79
AUDE CASTAN 2011-2012 ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES DE LINFORMATION ET DE LA COMMUNICATION UNIVERSITÉ DE PARIS-SORBONNE ( PARIS IV) MASTER PROFESSIONNEL Mention : Information et Communication Spécialité : Marketing, Publicité et Communication () APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES. Préparé sous la direction du Professeur Véronique Richard.

(RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Le sujet de mon mémoire de Master 2 porte sur l’appropriation et la réappropriation du concept des « villes intelligentes » par les marques. Nous verrons ainsi quelles sont les marques qui s’approprient ce concept des « villes intelligentes », en utilisant les terminologies, la sémantique et les imaginaires qui y sont associés, et quelles sont celles qui se réapproprient le concept, en proposant de nouvelles solutions, en concevant des services, des outils et des biens pour façonner la ville, la réinventer, ou tout simplement répondre à de nouveaux usages.

Citation preview

Page 1: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

AUDE CASTAN 2011-2012

ÉCOLE DES HAUTES ÉTUDES EN SCIENCES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION

UNIVERSITÉ DE PARIS-SORBONNE ( PARIS IV)

MASTER PROFESSIONNEL

Mention : Information et Communication

Spécialité : Marketing, Publicité et Communication

(RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR

LES MARQUES.

Préparé sous la direction du Professeur Véronique Richard.

Page 2: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

2

Page 3: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

3

REMERCIEMENTS

Je tiens à tout particulièrement remercier Philippe Gargov, mon rapporteur professionel

pour le temps qu’il a su me consacrer tout au long de l’écriture de ce mémoire..

Je remercie de la même manière l’ensemble du corps enseignant du CELSA pour leurs

précieux conseils de méthodologie et lecture.

Enfin, merci à MJB pour son support.

Page 4: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

4

Sommaire

INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 5

I. Quand les frontières entre marketing et urbanisme se confondent, la ville devient media. ....... 12

A. Face à la congestion publicitaire, on assiste à un phénomène de dépublicitarisation au profit

de l‘expérience physique et sociale, amenant les marques à investir l’espace urbain. ................... 12

B. Au-delà de cette investigation essentiellement médiatique de l’espace, certaines marques

s’intègrent dans des dynamiques de prospective urbaine, l'espace urbain devenant ainsi un

gigantesque territoire d'expérimentation. ....................................................................................... 19

C. Étude de cas : Montréal ............................................................................................................ 21

II. La ville intelligente comme nouvel horizon créatif: Appropriation et réappropriation de ses

territoires et imaginaires par les marques ........................................................................................... 30

A. Smart city et streetsmart brands .............................................................................................. 31

B. Participation, proximité et dialogue .......................................................................................... 35

C. Imaginaire de la ville intelligente : entre utopie naïve… ........................................................... 39

D. …et dystopie cyberpunk ? ......................................................................................................... 43

III. Limites et recommandations..................................................................................................... 48

A. Utopies techniques et réalités urbaines ................................................................................... 48

B. La ville comme plateforme d’innovation ouverte pour les marques ........................................ 53

C. Hacking urbain, détournement urbain et détournement de valeurs : ..................................... 55

CONCLUSION ......................................................................................................................................... 62

BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... 69

MOTS-CLEFS .......................................................................................................................................... 72

ANNEXES ............................................................................................................................................... 73

Page 5: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

5

INTRODUCTION

Au sein des villes, l’architecture et l’urbanisme épousent inévitablement le

rythme des révolutions technologiques : Dans son ouvrage Los Angeles : The

architecture of the four ecologies, Reyner Banham1 critique architectural américain,

explique comment ce qui était auparavant une révolution (l’ossature d’acier des

édifices du 19ème siècle, la mise en place d’escalators dans les métros et l’air

conditionné au 20ème etc ) devient généralement une norme, s’intégrant

naturellement dans l’infrastructure urbaine.

Au 21ème siècle toutefois les innovations ayant influencé l’évolution de

l’infrastructure urbaine sont autant tangibles qu’intangibles2 : Les TIC (technologies

de l’information et de la communication) modifient depuis une dizaine d’années

l’accès aux services et aux ressources de la ville, des compagnies urbaine et de

certaines collectivités locales. Internet, les smartphones et les smart cards3,

détenus par un nombre croissant4 d’individus sont devenus aujourd’hui, et seront

encore plus demain, des vecteurs essentiels de l’autonomie, de la communication et

de la socialisation urbaine. Pour Bruno Marzloff, sociologue, directeur du cabinet

d'études Média Mundia et du Groupe Chronos, les apports du numérique permettent

une nouvelle maîtrise des usages de la ville, que cela soit par exemple dans les

transports (auto-partage, vélo en libre service etc.), les réseaux intelligents (les

"smart grids"5 pour une optimisation des productions-consommations d'énergie), les

1 Los angeles : The architecture of the four ecologies, Reyner Banham, p17-35, 2000

2 Si les données et flux d’informations circulant dans les villes sont intangibles il ne faut pas oublier que les

infrastructures du "virtuel" sont tout à fait "tangibles" : câbles, antennes, postes de contrôle, etc.

3 Les smart cards (cartes à puce en français) sont principalement utilisées comme moyens d'identification

personnelle (carte d'identité, badge d'accès aux bâtiments, carte d'assurance maladie, carte SIM) ou de paiement (carte bancaire, porte-monnaie électronique) ou preuve d'abonnement à des services prépayés (Ainsi toutes les cartes de téléphone et titres de transport rechargeables utilisent cette technologie)

4 En 2012, environ 18% de la population mondiale possédant un téléphone est équipée d’un smartphone,

contre 12% en 2010 et 8% en 2008. D’ici 2015 ce chiffre est estimé passer à 60%. Source : IHS iSuppli's market intelligence, 25 Aout 2011

5 Le smart grid est une des dénominations d'un réseau de distribution d'électricité « intelligent » qui utilise des

technologies informatiques de manière à optimiser la production, la distribution, la consommation ainsi que de mieux mettre en relation l'offre et la demande entre les producteurs et les consommateurs d'électricité. Définition proposée par fournisseurs-electricite.com

Page 6: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

6

régulations de flux, le “quotidien à distance” (commerce, travail, formation, santé...),

etc. La massification des pratiques numériques alliée à la banalisation des capteurs

et des supports de transmission ouvre des horizons inédits de régulation urbaine,

visant à une économie des ressources, un apaisement des mobilités et à une

autonomisation des pratiques du citadin6

Pour Serge Wachter7, les TIC et les réseaux numériques sont de plus en plus

« encastrés » dans les modes de vie et représentent désormais aussi une

composante de premier plan du fonctionnement de l’infrastructure environnementale

et urbaine de ce qu’il appelle « la ville interactive ».

Au-delà de cette vision plutôt techno centrée, l’économiste, sociologue et urbaniste

François Ascher et l’architecte Néerlandais Rem Koolhaas préfèrent parler de « ville

hypermoderne » reprenant les théories de Gilles Lipovetsky sur l’hypermodernité8,

théorie qui envisage la ville hypermoderne au travers des développements

considérables dans les techniques de transport et de stockage des personnes, des

biens et surtout des flux d’informations9. Rem Koolhaas déclare d’ailleurs que « la

métropole hypermoderne est moins marquée par une transformation des lieux que

par une montée en flèche des flux matériels et virtuels qui relient ces mêmes

lieux. »10

6 Pourquoi la ville sera servicielle ? Bruno Marzloff. Texte publié sur le site de Millénaire 3, le centre de

ressources prospectives du Grand Lyon. 7 La ville interactive - L'architecture et l'urbanisme au risque du numérique et de l'écologie, de Serge Wachter ;

L'Harmattan 8 « On peut dès lors définir l’hypermodernité par la radicalisation des trois logiques constitutives de l’âge

moderne, à savoir, la techno-science, le marché, et l’individu et sa transcription politique, la démocratie'. Une radicalisation qui se déploie au travers des processus de rationalisation mais aussi de l’intensification de la compétition et de la commercialisation quasi générale des modes de vie. » Institut paul Bocuse, Cycles de conférences « Grands Témoins » sur le thème de « l’hypermodernité », Extrait de la conférence de Gilles Lipovetsky - 4 octobre 2010. 9 Organiser la ville hypermoderne - François Ascher, grand prix de l'urbanisme Ariella Masboungi , Olivia Barbet

Massin, 2009,Broché 10

Great leap forward – Harvard Design School Project on the City, New York , Rem Khoolas, Taschen, p. 124-

140.

Page 7: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

7

Toutefois durant ces dernières années c’est le concept des « smart cities » ou

encore villes intelligentes qui a eu le plus de succès, désignant par là un type de

développement urbain apte à faire face aux besoins des institutions, des entreprises

et des citoyens, tant sur le plan économique, social qu'environnemental. Selon la

définition la plus communément employée, une ville intelligente serait ainsi une ville

qui investit en capitaux humains et sociaux, et en infrastructures traditionnelles

(transports) et modernes ( NTIC11) dans le but d’offrir une qualité de vie plus élevée

à ses citoyens, avec une gestion avisée des ressources naturelles, et ce à travers

une gouvernance participative. 12

De nos jours, les performances urbaines ne dépendent plus seulement de la dotation

de la ville en infrastructures (son capital physique) mais aussi, et de plus en plus, de

la disponibilité et la qualité de la communication du savoir et l’infrastructure sociale

(capital social et capital intellectuel). Le terme de villes (plus) intelligentes est utilisé

comme concept de marketing ou de branding par les villes : La ville de

Southampton en Angleterre utilise le terme depuis 2004 pour décrire leur système

de carte de transport « Smartcities card »13 tandis qu’Amsterdam revendique

l'appellation Smart City.14 Louise Guay qui dirige le Living Lab de Montréal, un

laboratoire d'innovation urbaine, rappelle qu’ «Une ville intelligente, c'est aussi une

ville qui s'appuie sur la participation citoyenne. Les jeunes, ceux qu'on a baptisés les

«digital natives» ou natifs numériques, sont habitués d'avoir une voix, de voter, de

co-créer. Naturellement, on se dirige de plus en plus vers ça. C'est la notion

d'intelligence planétaire dont parlait l'auteur Joël de Rosnay »15

11

Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication. 12

“A city can be defined as ‘smart’ when investments in human and social capital and traditional (transport)

and modern (ICT) communication infrastructure fuel sustainable economic development and a high quality of

life, with a wise management of natural resources, through participatory governance” définition donnée dans

Smart Cities and the Future Internet: Towards Cooperation Frameworks for Open Innovation par Hans

Schaffers, Annika Sällström, Marc Pallot, José M. Hernandez-Muñoz, Roberto Santoro, Brigitte Trousse In: The

Future Internet. Future Internet Assemby 2011: Achievements and Technological Promises, pp 431-446.

13 http://www.southampton.gov.uk/living/smartcities/

14 http://www.amsterdamsmartcity.nl/#/en

15 Le cerveau planétaire, Joël de Rosnay ,Editions Olivier Orban, collection Points, 1986, p.11.

Page 8: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

8

Les marques s’aventurent également de plus en plus sur ce terrain, comme IBM et

sa campagne « Une planète plus intelligente » 16 ou encore Siemens (probablement

précurseur) en 2004 avec le projet Stadt der Zukunft/Smart City project17 On

remarquera que ces initiatives vont au-delà de l’aspect purement techno centré, et

s’inscrivent dans une démarche participative et durable : Le concept de la campagne

« Une planète plus intelligente » repose sur une conversation qu’IBM engage avec

son écosystème et le grand public sur la nécessité d’une planète plus intelligente, et

ce que fait IBM pour créer des solutions. Cette conversation s’exprime sur diverses

plate-formes sur Internet (une par pays) autour de thématiques régulièrement

renouvelées comme la gestion du trafic automobile, le traitement des données ou

encore la pénurie d’énergie. En France le journal Le Monde possède un partenariat

avec IBM, et propose un supplément numérique http://www.planete-plus-

intelligente.lemonde.fr/ consacré aux problématiques de la ville intelligente.

Dans la mesure où 50% des habitants de notre planète vivent en ville d'après l'ONU,

la transformation des villes est un nouvel enjeu central pour les marques. Depuis

quelques années les entreprises de télécommunications telles qu’IBM ou Siemens

ne sont plus les seules à se positionner sur ce segment, et de nombreux autres

groupes multiplient les dispositifs pour imaginer mais surtout concevoir la ville de

demain. Au-delà de la volonté d’innovation et d’inventivité que connotent ces projets,

il faut également envisager que ce déploiement des marques dans la ville intelligente

soit aussi une alternative médiatique face à l’érosion des supports publicitaires

traditionnels : Depuis une vingtaine d’années l’OJD , Office de Justification de la

Diffusion des Supports de Publicité, constate une baisse de l’efficacité et un recul de

la diffusion des principaux médias, que l’on attribue à une saturation visuelle, et une

lassitude des consommateurs face à la publicité.18

16

http://www.ibm.com/smarterplanet/uk/en/overview/ideas/

17http://www.siemens.com/innovation/de/publikationen/zeitschriften_pictures_of_the_future/PoF_Fruehjahr

_2004/SmartCity.htm 18

Plus des trois quarts des Français ont le sentiment que la communication des marques a fortement augmenté ces dernières années, et 56% jugent que c'est plutôt une mauvaise chose. Source : étude TNS Sofres publiée à l’occasion des Phénix de l’UDA, mars 2010.

Page 9: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

9

Le sujet de réflexion portera donc sur l’appropriation et la réappropriation du concept

des « villes intelligentes » par les marques. Nous verrons ainsi quelles sont les

marques qui s’approprient ce concept des « villes intelligentes », en utilisant les

terminologies, la sémantique et les imaginaires qui y sont associés, et quelles sont

celles qui se réapproprient le concept, en proposant de nouvelles solutions, en

concevant des services, des outils et des biens pour façonner la ville, la réinventer,

ou tout simplement répondre à de nouveaux usages. Dans cette optique, le sujet

pourra être problématisé de la façon suivante :

***

"Dans quelle mesure peut-on dire que la ville intelligente soit un nouvel horizon

créatif pour les marques face à l’érosion des supports publicitaires traditionnels ?

***

Il s'agira ici de penser la ville intelligente comme une inspiration pour les marques

qui la mettent en scène, la subliment, la transforment ou la perfectionnent, et de

dépasser la notion de marketing urbain et de city branding. Nous nous interrogerons

sur la sémantique du concept : Que signifie le terme « intelligence », comment doit-il

être compris selon qu’on soit collectivité, entreprise, citadin, marque ? Quels sont les

imaginaires, les valeurs, les symboliques qui gravitent autour de ce concept ?

Comment se concrétisent-ils au niveau des stratégies de communication des

marques, des collectivités, des entreprises ? Il est important ici de sortir de la vision

techno-centrée, qui selon Philippe Gargov géographe et spécialiste de la ville

numérique, « s’accompagne principalement d’imaginaires stéréotypés, hâtivement

résumés par le raccourci : « ville numérique = smart city = ville intelligente = ville

idéale. »19 Il nous faudra également confronter le terme à ses dérivés sémantiques

« Clever city », « ville astucieuse » ou encore « ville agile » et à ses extensions

marketing « smart brands » et « street smarts brands. »

19

De la smart city à la « clever city » : la boîte à outils de la ville astucieuse (Angers Technopole), Philippe

Gargov, http://www.pop-up-urbain.com

Page 10: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

10

La première hypothèse s’attache à analyser et interpréter le contexte présent,

et postule que l’investissement de l'espace urbain s’inscrit dans une logique de

dépublicitarisation20 : De plus en plus marketing et urbanisme se confondent, par

conséquent on pourrait envisager la smart city comme un média à part entière, dans

le sens où elle permet la communication, l’échange d'informations et la transmission

d’un message. Pour vérifier cette hypothèse nous utiliserons une méthodologie

essentiellement académique dans un premier temps : Nous nous appuierons sur les

travaux de différents universitaires et chercheurs afin de montrer en quoi l’érosion

de l’efficacité des supports classiques de publicité pousse les marques à investir la

ville.

Nous utiliserons ainsi les travaux de Pierre Berthelot21, consultant chez Sennse, o

il gère différents projets de mobilité et d’architecture, et chargé de cours au Celsa,

mais également des textes issus de yperpublicitarisation et dépublicitarisation

Métamorphoses du discours des marques et gestion sémiotique22 par Karine

Berthelot-Guiet et Caroline de Montety enseignants chercheurs au Celsa. Après

avoir posé les bases théoriques sur le sujet nous couplerons ces informations avec

une étude de cas, pratique, à travers la ville de Montréal, en présentant les divers

moyens mis en place par les marques pour s’inscrire dans l‘environnement urbain de

cette « ville intelligente » en devenir. Nous nous baserons ici essentiellement sur des

entretiens menés avec Louise Guay et Claude Faribault, dirigeants du Living Lab de

Montréal et sur une observation in situ des infrastructures de la ville.

La seconde hypothèse avancée pour répondre à cette problématique se place sous

un angle de prospective et envisage les villes intelligentes comme un terrain fertile

aux innovations d‘un point de vue marketing et communicationnel.

20

Hyperpublicitarisation et dépublicitarisation : métamorphoses du discours des marques et gestion sémiotique. Caroline de Montety, co-auteur avec Karine Berthelot Guiet. Circav, n ° 20, juin 2009. La publicité d’aujourd’hui . Discours, formes et pratiques. Ouvrage coordonné par Y. Lebtahi et F. Minot. L’harmattan. 21

Les médias magasins : du prétexte à l'implication. Pierre Berthelot. Communication & langages - n° 146- Décembre 2005. P52 22

Hyperpublicitarisation et dépublicitarisation : métamorphoses du discours des marques et gestion sémiotique. Caroline de Montety, co-auteur avec Karine Berthelot Guiet. Circav, n ° 20, juin 2009. La publicité d’aujourd’hui Discours, formes et pratiques. Ouvrage coordonné par Y. Lebtahi et F. Minot. L’harmattan.

Page 11: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

11

Pour répondre à cette hypothèse, nous présenterons une étude des imaginaires et

des valeurs ainsi qu’une étude de cas de marques qui s’approprient l’imaginaire des

smart cities. Notre méthodologie s’inscrit dans une démarche de prospective : Nous

tâcherons ici de montrer que cette appropriation n’est pas qu’une mode passagère

mais bel et bien un horizon de créativité. Il nous faudra ainsi répertorier et énumérer

les campagnes, médias et hors médias gravitant autour du concept de la ville

intelligente afin de sélectionner les thèmes récurrents.

Afin de montrer que les imaginaires et valeurs sélectionnés constituent de possibles

leviers créatifs nous analyserons toutes les connexions immédiates et secondaires

qui y sont liés, que se soit dans les tendances sociétales, la littérature, l’art, la

cinématographie ou le sport. Outre ces références culturelles et pop, nous utiliserons

les travaux et conférences de Phillipe Gargov et Bruno Marzloff géographe et

sociologue et de François Ascher, sociologue et urbaniste ainsi que les ouvrages de

Claude Chabine Les villes nouvelles dans le monde et de Françoise Choay

l’urbanisme, utopies et réalité, une anthologie, pour compléter notre corpus.

La troisième et dernière hypothèse s’interrogera sur la capacité des marques à

réellement maîtriser cette ville-médias. Dans cette optique interrogerons les limites

du sujet, en essayant de proposer des recommandations pour pallier à ses limites.

Nous nous appuierons sur les ouvrages La ville 2.0, plateforme d’innovation

ouverte23 de Daniel Kaplan et Thierry Marcou et le 5ème écran, de Bruno Marzloff,

sociologue, directeur du groupe Chronos afin d’appréhender l’hypothèse dans une

optique de prospective urbaine viable.

Dans un premier temps nous tâcherons de montrer pourquoi et comment les

marques se sont-elles inscrites dans la ville en réponse à la perte d’efficacité des

médias traditionnels. La deuxième partie sera consacrée à l’analyse des territoires et

des imaginaires qui font de la ville intelligente un nouvel horizon créatif pour les

marques. Enfin dans une troisième et dernière partie nous nous concentrerons sur

les limites et recommandations, toujours dans une démarche de prospective.

23

La ville 2.0, plateforme d’innovation ouverte, Daniel Kaplan et Thierry Marcou, éditions FYP.

Page 12: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

12

I. Quand les frontières entre marketing et urbanisme se

confondent, la ville devient media.

A. Face à la congestion publicitaire, on assiste à un phénomène de

dépublicitarisation au profit de l‘expérience physique et sociale,

amenant les marques à investir l’espace urbain.

Ces dernières années on a vu de nombreuses marques rompre la barrière

entre l’espace public et l’espace promotionnel. Au delà d’opérations de street

marketing, ces initiatives relèvent d’un véritable processus de planning urbain, et

s’intègrent dans un phénomène plus global de nouvelles transformations

médiatiques que nous allons nous employer à décrire.

Pour expliquer ces mutations médiatiques, il est nécessaire de tout d’abord se

pencher sur le système médiatique originel : Dans Les médias magasins : du

prétexte à l'implication, Pierre Berthelot24 explique que les médias à partir du

moment où la diffusion publicitaire y était importante, et ce quelque soit le support,

(que cela soit le contenu d’un journal télévisé, ou d’un magazine par exemple) offrent

systématiquement un prétexte pour diffuser le discours de la marque. La publicité

s’immisce et se dissimule dans le contenu éditorial, les contenus eux-mêmes n’étant

que le prétexte à la consommation de messages publicitaires constituant la véritable

finalité de la relation construite entre le média et ses récepteurs. On profite de

l'attente du programme de première partie de soirée, ou de la pagination d’un

magazine pour démultiplier les occasions de stimulations publicitaires.

24

Pierre Berthelot, Les médias magasins : du prétexte à l'implication. in: Communication et langages. N°146,

4ème trimestre 2005. pp. 42-43.

Page 13: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

13

Toutefois, selon Pierre Berthelot, cette multiplication des prétextes occasions /

dissimulation a engendré un effet de saturation :

« (…)Si elles permettent de faire connaître une marque, un produit, elles ne

sont pas nécessairement transformées en actes d'achats par les

consommateurs. Elles sont le plus souvent, au mieux, reléguées au fond de la

mémoire, si toutefois le message a été perçu malgré le « bruit » concurrent

constitué par la multitude des sollicitations auxquelles un citoyen est

aujourd'hui soumis. Mais de consommation, point. »

Face à cette saturation et à la congestion publicitaires les marques ont donc dû

trouver de nouveaux espaces et apprendre “à désancrer leur discours des supports

publicitaires traditionnels pour l’inscrire dans des espaces non dédiés aux marques”,

comme l’expliquent Karine Berthelot-Guiet et Caroline de Montety enseignants

chercheurs au Celsa dans Hyperpublicitarisation et dépublicitarisation :

Métamorphoses du discours des marques et gestion sémiotique25.

Depuis la production de médias de marque (le magazine En route produit par Air

Canada) en passant par des incursion dans les écoles ( films sur la santé bucco-

dentaire présentés par le lapin Colgate) la création de lieu-médias (le Spa Dove ou

l’hôtel Campers) ou encore des expositions dans les musées (Ai Wei Wei26 et

Unilever dans la Tate Modern à Londres en 2011) de nombreuses marques sont

investies dans une démarche de recherche constante de nouveaux espaces

cohérents, mais également dans la volonté de présenter des expériences sociales et

physiques inédites. Plus précisément, des marques s’immiscent dans la fabrique

même de l’espace public mobilier urbain, modes de transports, scénographie, etc.

25

Hyperpublicitarisation et dépublicitarisation : Métamorphoses du discours des marques et gestion

sémiotique. Caroline de Montety et Karine Berthelot Guiet,in La publicité d’aujourd’hui. Discours, formes et pratique , Revue du CIRCAV, Paris, L’harmattan, pp.63-78. 2008. 26

Ai Weiwei est un des artistes majeurs de la scène artistique indépendante chinoise. Une de ses oeuvres

récentes les plus célèbres est l'installation Sunflower Seeds présentée dans le cadre des « Unilever Series », du 10 octobre 2010 au 2 mai 2011, à la Tate Modern de Londres.

Page 14: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

14

L'investissement de l'espace urbain s’inscrit parfaitement dans cette logique de

dépublicitarisation : de plus en plus marketing et urbanisme se confondent, avec des

démarches comme celles de Barclays Cycle Super Highways27 (programme de

location de vélos sponsorisés développé par la banque Barclays à Londres) ou

encore la campagne Fun Theory28 par Volkswagen, utilisant le milieu urbain

(escaliers, poubelles et autres containers de recyclage) comme installations

ludiques.

Pour reprendre les théories de Pierre Berthelot, le média ne se contente plus

d'exploiter le prétexte, il l'engendre :

‘’Le branding ne consiste plus seulement à être associé à des représentations

positives et cohérentes avec leurs identités, mais à en « faire des réalités

vécues ». Ce qui passe par deux étapes clefs: transformer notre

environnement en fiction de marque et, pour ce faire, multiplier les opérations

de médiatisation du quotidien.’’29

27

http://group.barclays.com/Media-Centre/Barclays-news/NewsArticle/1231785287844.html 28

http://www.thefuntheory.com/ 29

Pierre Berthelot, Les médias magasins : du prétexte à l'implication in Communication et langages. N°146,

4ème trimestre 2005. p. 45

Page 15: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

15

Le système médiatique est passé d’une « double logique du prétexte - dissimulation

et occasion vers une logique d’implication », les marques ont évolué de façon

masquée vers une logique d’implication, en créant des dispositifs nouveaux, ancrés

dans l’expérience signifiante : La banque Barclays a ainsi financé à hauteur de 20%

le projet Barclays Cycle Super Highways (programme similaire à celui des vélib à

Paris) s’octroyant en échange le droit de d’apposer son nom, son logo et ses

couleurs sur chacun des vélos du programme. Au-delà de la visibilité médiatique

quotidienne évidente, la banque a également su transformer l’environnement en

fiction de marque comme le dit Berthelot, et il est évident que dorénavant cette

initiative ancrera dans l’esprit des Londonien une image d’une marque responsable,

et écologique.

Autre point important, la municipalité a fait le choix de l’open data : toutes les

données concernant le service et les flux de passagers sont disponibles en ligne.

Mises en formes par l’opérateur, elles peuvent ainsi être manipulées par des

développeurs tiers (indépendants, start-ups, autres opérateurs, etc.) afin d’améliorer

l’offre de services afférents cartographies dynamiques, applications mobiles... 30

Ainsi il n’existe pas d’application officielle mais une multitude d’applications iPhone et

Android privées fournissant divers renseignements sur la disponibilité des vélos,

l’itinéraire le plus court etc.31 Autre programme similaire, le système VLS Bicing de

Barcelone mis en place par ClearChannel s’accompagne du service iBicing qui

fournit des renseignements sur la disponibilité des vélos directement depuis un

téléphone mobile. Il suffit d’envoyer par sms le nom d’une station, et on reçoit

immédiatement un message avec un numéro pour débloquer un vélo.

Autre exemple, celui de la campagne « Fun theory » par Volkswagen, lancée sur le

web en 2009 sous forme de vidéos virales par l’agence DDB Stockholm. La marque

automobile allemande s’était lancé un défi en Suède responsabiliser les citoyens de

façon ludique, en s’appuyant sur les mécanismes de fidélisation par le jeu et la

“gamification”. Ainsi, à l’image de la mise en plage des signalétiques pietonnes32 par

30

Open data, comprendre l’ouverture des données publiques. De Simon Chignard, FYP editions. 31

http://data.london.gov.uk/datastore/package/tfl-cycle-hire-locations

32 http://www.mangerbouger.fr/pro/IMG/pdf/kit_pieton_inpes.pdf

Page 16: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

16

les collectivités locales afin d’encourager les citadins à marcher, The Fun Theory a ici

utilisé ici les escaliers du métro en les déguisant en touches de piano pour les

convaincre de prendre les escaliers au lieu de l’escalator. La campagne se veut

également participative puisqu’elle invitait les suédois à laisser leurs propres idées

sur son site Internet. Au final, ce fut un gros succès viral (18 millions de vues pour la

seule vidéo des escaliers sur Youtube) mais également un succès en terme de

changement dans le comportement des usagers (66% d’utilisation supplémentaire

des escaliers) Pour mieux comprendre l’investissement de l’espace urbain par les

marques, il serait intéressant de se pencher sur la théorie Earned, Bought and

Owned medias, développée par les acteurs du digital , et synthétisée dans ce

schéma par Daniel Goodall, responsable Digital chez Nokia, et blogueur actif.33

Sur le schéma, le paramètre, « Bought », correspond aux canaux traditionnels de

communication, c'est-à-dire à l’achat médias classique (presse, TV, radio, bannières

etc). « Owned », représente quand à lui les canaux de communication propres à la

marque, comme son site web, son magazine, ses profils sur les réseaux sociaux ou

encore son point de vente.

33

Owned, bought and earned http://danielgoodall.com/

Page 17: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

17

Enfin le troisième paramètre, « Earned », correspond aux médias que les marques

ne peuvent contrôler : les commentaires sur un blog, les tweets, les articles dans la

presse, le bouche à oreille etc. On observe également que plus la marque détient un

contrôle sur le média, et moins sa portée (Reach) est importante. De fait le

paramètre « Earned » ne dépend pas de la marque, il ne peut être contrôlé mais

uniquement influencé. Toutefois ce paramètre conversationnel n’est pas à négliger

dans la mesure où le bouche à oreille et la prescription ont toujours été le moyen le

plus sûr de convaincre un prospect d’acheter un produit ou un service. Et face à

l’érosion des médias traditionnels ( « Bought » ), créer la conversation entre les

consommateurs est devenue primordiale dans la construction d’une stratégie de

communication :

C’est grâce à leur capacité à susciter des conversations (du bouche à oreille) et à

faire vivre aux consommateurs des expériences uniques que les marques se

distinguent. La portée d’Internet et des réseaux sociaux a donné aux consommateurs

la possibilité de se faire une opinion par eux-mêmes, de devenir une source

d’information pour les autres concernant tout ce qui touche aux marques, aux

produits et services, et donc de partager leurs expériences à un spectre bien plus

élargi de consommateurs potentiels. Cette théorie est à rapprocher des celles

développées par Jeremy Rifkin dans L’Âge de l’accès. La nouvelle culture du

capitalisme34 Il y explique que nous appartenons désormais à « une économie qui

fournit des services et procure des expériences » (p.103) une société où ce qui

importe ce ne sont plus tant les objets à posséder que la qualité de vie et les

expériences auxquelles l’individu peut avoir accès.

34

L’Âge de l’accès. La nouvelle culture du capitalisme. Jérémy Rifkin. Paris : La Découverte, 2005

Page 18: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

18

Nous vivons dans une société de services, une cité servicielle comme le rappelle

Bruno Marzloff35 :

“D'une manière générale, la société est entrée inexorablement dans un

modèle de services. Les services dans l'économie ont supplanté les

productions agricoles et industrielles. Les services, ce sont quelques 65% des

budgets des ménages, quelques 75% des emplois, quelques 80% du PIB,

quelques 85% de la croissance, en France aujourd'hui. Dans ce modèle (…)

les services deviennent des évidences qui s'imposent à la ville. Ces évolutions

sont drainées par l'ambition - explicite ou sous-jacente - de "maîtrises des

usages". Elles appellent une réflexion qui dépasse l'invocation du "service"

comme solution ou même l'identification des services comme pistes de

réponses. C'est une philosophie de la ville qui se repense.”

Cette nouvelle philosophie de la ville est repensée par les collectivités locales, mais

également par les marques et le citadin. En définitive les services de vélos en libre

service Barclays ou encore les services d’auto partage Car2go36 par Daimler sont

parfaitement représentatifs de cette nouvelle économie de la ville intelligente et

servicielle : Basés sur de nouvelles problématiques de mobilités incluant les TIC, se

sont de véritables médias de marques subtils, déguisés sous un habillage social et

surtout utilisés par les consommateurs de façon spontanée, conformément à ce que

Pierre Berthelot appelle “des phénomènes d'implication volontaire”, c'est-à-dire des

services, des outils et des biens susceptibles d’attirer et d’impliquer les

consommateurs, par leur nature même.

Ces deux exemples illustrent parfaitement la façon dont la ville intelligente peut

devenir un véritable média pour les marques dans le sens où ils permettent la

transmission d'un message, la communication et l'échange d'informations. Pour aller

plus loin on pourrait même dire que développer ce genre de services crée une

35

Pourquoi la ville sera servicielle ? Bruno Marzloff, Texte publié sur le site de Millénaire 3, le centre de

ressources prospectives du Grand Lyon, 2011. 36

Car2go est le nom d'un concept d'auto-partage urbain développé dans une dizaine de villes dans le monde

par le constructeur automobile allemand Daimler.

Page 19: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

19

synergie entre les canaux de communications : Le financement relatif à la mise en

place des services pourrait être assimilé à de ‘achat d’espace (Dans la mesure ou la

marque verse une certaine somme à la ville en échange de la mise en place du

service) le service en lui-même ( auto-partage, vélo en libre service etc. ) constituant

le « owned medias » assurant visibilité et notoriété, tandis que les conversations

quotidiennes et les RP déclenchées au lancement du projet relèvent du « earned

medias ».

B. Au-delà de cette investigation essentiellement médiatique

de l’espace, certaines marques s’intègrent dans des dynamiques

de prospective urbaine, l'espace urbain devenant ainsi un

gigantesque territoire d'expérimentation.

Comme nous venons de le voir, les transformations médiatiques (dépublicitarisation,

investissement d’espaces non dédiés aux marques etc.) couplées à la multiplication

des réseaux et des flux d’informations dans les villes instaurent une nouvelle

condition urbaine dans laquelle les marques essayent de trouver leur place à travers

de multiples expérimentations. En effet, outre la visibilité et le bouche à l’oreille

entrainées par l’utilisation ou la mise en place d’ infrastructures urbaines comme

médias, cette incursion dans la ville se retrouve également dans la création de lieux

pionniers dédiés à des formes d'innovation urbaines : Au cours de ces dernières

années on a assisté à a multiplication des ouvertures de hackerspaces37 et autres

Living Labs38, lieux d'observation des usages émergents des technologies de

l'information et de la communication, dont certains ont été mis en place en

partenariat avec les marques. Parmi les marques qui se penchent vers l’urbanisme

37

Les Hackerspaces peuvent être vus comme des laboratoires communautaires ouverts où des

« hackers »peuvent partager ressources et savoir. Beaucoup de hackerspaces utilisent et participent à des

projets autour du logiciel libre, ou des médias alternatifs. Source : hackerspaces.org/

38 Le projet Living Labs est un programme de label européen lancé en 2006. Un Living Lab regroupe des acteurs

publics, privés, des acteurs individuels, dans l’objectif de créer et tester des services, des outils ou des usages

nouveaux. Il s’agit de sortir la recherche des laboratoires pour la faire descendre dans la vie de tous les jours.

Source : www.openlivinglabs.eu

Page 20: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

20

et la prospective, on trouve les “fournisseurs de mobilité”, à savoir les constructeurs

automobiles et les marques du secteur de la communication, sans oublier les

opérateurs de mobilité qui doivent renouveler leur offre avec l’arrivée de ces

nouveaux entrants. Ainsi l’année dernière, Bjarke Ingels, l’un des plus grands

architectes contemporains, a été sollicité par Audi pour créer Urban Future

Initiative39, regroupant divers écrivains, créateurs et spécialistes de la prospective,

afin de travailler sur des idées de transition vers une nouvelle forme de mobilité.

BMW a quand elle mis en place un partenariat avec le musée Guggenheim de New

York pour créer le BMW Guggenheim Lab40, un laboratoire de recherche mobile.

Enfin Smart a traversé l’Europe entière d’avril 2010 à septembre 2011 avec son

projet itinérant Smart Urban Stage41, centré sur la ville du futur et la mobilité urbaine.

Côté communication IBM a par exemple lancé Smarter Cities Challenge42et Philips

son programme de Living Labs à travers le monde43 tandis que Sony a crée, en

partenariat avec le Forum for the Future, FutureScapes, un projet dont le but est

d’imaginer le monde en 2025 et de réfléchir au rôle que peut jouer la technologie

dans le futur selon différents scénarios d’évolution.44

Ces exemples prouvent le récent engagement des marques quand à la mise en

place de plate forme d’innovation ouverte favorisant l’innovation. Dans la mesure o

l’on considère que les marques font partie, au même titre que les collectivités

locales, des acteurs œuvrant au dynamisme des villes, il paraît logique qu’elles

mettent sur pied de nouveaux projets urbains afin de faire évoluer les villes. La 11ème

thèse proposée par François Ascher sur l'urbanisme moderne dans son dossier de

candidature pour le Grand Prix de l'Urbanisme en 2006 résume cette mutation

qu’opèrent les villes intelligentes.

39

http://www.audi-urban-future-initiative.com/

40 http://www.bmwguggenheimlab.org/

41 http://www.smart-urban-stage.com/

42 http://smartercitieschallenge.org/

43 http://www.research.philips.com/focused/experiencelab.html

44 http://www.sony.co.uk/discussions/community/en/community/futurescapes

Page 21: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

21

« Le développement d'une ville dépend pour une bonne part du dynamisme

des acteurs. Son potentiel dépend aussi de toutes sortes de richesses

immatérielles, de l'intensité des réseaux sociaux locaux à l'image de marque

de la ville. L'urbanisme doit donc être capable de jouer non seulement sur le

hard de la ville, mais également sur le soft, que ce soit dans les tâches de

développement, dans l'invention programmatique liée à la conception de

projets urbains, dans la production d'événements susceptibles de laisser des

traces urbaines, dans la cristallisation spatiale des potentiels culturels et

sociaux. »

Si les marques ont un rôle à jouer dans le hard – c'est-à-dire dans les infrastructures

matérielles de la ville – comme on l’a vu précédemment avec les services de vélos et

voiture en libre service, ou encore avec l’installation de signalétiques ludiques, elles

ont également un rôle possible dans le soft , la programmatique de la ville C’est sur

cette programmatique que les living labs conçus par BMW IBM ou Smart

réfléchissent, dans le but bien sûr de l’améliorer, mais également pour reprendre

Ascher, de laisser une trace durable. Nous allons à présent approfondir cette

nouvelle forme de dynamique de prospective urbaine à l’échelle d’une ville, à savoir

Montréal.

C. Étude de cas : Montréal

Depuis quelques années de nombreux projets visant à promouvoir l’essor du Grand

Montréal comme ville intelligente se mettent en place dans la métropole Québécoise,

en particulier au niveau des infrastructures de transport. Une de ces premières

initiatives est la création en 1994 de Communauto45, un des plus importants services

d’auto-partage à avoir vu le jour en Amérique du Nord, suivi en 2008 par la mise en

place du Service Stationnement de Montréal ayant mis au point des terminaux de

paiement de stationnement automobile, en réseau sans fil et alimentés à l'énergie

solaire.

45

Communauto met des véhicules à la disposition exclusive de ses abonnés pour une demi-heure, une heure,

une journée. Disséminées dans de nombreuses stations, les voitures sont disponibles sans délai, 24 h / 24, 7 jours sur 7.

Page 22: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

22

En 2009 la Ville de Montréal a lancé le système BIXI (mot-valise, contraction de

bicyclette et taxi) un service de quelques 6000 vélos en libre-service répartis sur 405

stations s’appuyant sur la même technologie d’alimentation à l’énergie solaire, et la

même infrastructure TI que les terminaux de paiement de stationnement automobile

existants. La réalisation physique a été faite en collaboration avec Rio Tinto Alcan

(Groupe minier fabricant aussi de l’aluminium) qui est également un des partenaires

mais également commanditaires du servie Bixi. Afin de rentabiliser les coûts

d’entretiens du service Société de vélo en libre-service46 et la ville ont mis en place

deux types de collaboration avec les marques :

Le premier système de financement, rapportant environ 2 millions de dollars par an,

est le partenariat, avec Rio Tinto Alcan, Telus (télécommunication) et Desjardins

(institution bancaire) En contre partie de leur appui financier ces trois marques on pu

afficher leurs logos et publicités sur les vélos et les stations ( voir photo ci-dessous).

46

C'est à l'automne 2008 que la Société de vélo en libre-service a été créée par Stationnement de Montréal

pour officiellement exploiter le système. En mars 2010, le maire de Londres, Boris Johnson, a procédé au lancement de la franchise BIXI, baptisé Barclays Cycle Hire, du nom de son commanditaire principal. En mai 2010, Bixi s’est installé à Melbourne, à Toronto , Ottawa et Boston en 2011 . En 2012 le système est présent ou encours d’installation dans une vingtaine de ville.

Page 23: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

23

Le second système de financement provient des commanditaires, c'est-à-dire des

marques prêtes à payer pour avoir une ou plusieurs stations Bixi baptisées au nom

de leur entreprise. En plus des trois principaux partenaires cinq marques locales font

partie des commanditaires47. Toutefois cette transformation des vélos en support

publicitaire ne plait pas à tout le monde : Les Bixi sont régulièrement vandalisés, à la

peinture, au ruban adhésif ou à l'autocollant, afin de masquer les logos des

partenaires ( voir photo ci-dessous). La banque Desjardin, plutôt que de condamner

ces agissements reconnaît aujourd'hui qu'elle aurait pu afficher son partenariat avec

Bixi «de manière un peu plus délicate» comme elle l’indique dans le journal Le

Devoir48.

«Nous préférerions que notre image soit respectée, a indiqué Francine

Blackburn, porte-parole, mais nous ne pouvons pas empêcher les gens de

s'exprimer, même s'ils s'expriment mal.» L'institution dit aussi être « ouverte à

l'idée de discuter avec les représentants de Bixi afin de trouver d'autres façons

de les soutenir ». « Nous aurions pu nous montrer sur les vélos de façon un

peu plus discrète », reconnaît aujourd'hui Mme Blackburn.

47

http://montreal.bixi.com/commanditaires/commanditaires

48 Bixi: la pub qui dérange... dérange. Les affiches vandalisées causent des maux de tête à Desjardins, Fabien

Deglise, Le Devoir, mai 2011. http://www.ledevoir.com/politique/montreal/323220/bixi-la-pub-qui-derange-

derange

Page 24: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

24

Justement, si la banque le désire, il existe des façons pour elle de discuter avec les

usagers et représentants, à travers la mise en place du BixiWiki 2.0 projet-pilote

lancé par le Living Lab de Montréal sous la forme d’une plate-forme numérique

basée sur l’innovation ouverte49, permettant aux acteurs de la ville de communiquer

entre eux.50

L'objectif est ici d'évaluer comment les usagers de Bixi peuvent utiliser les

applications mobiles et web sociales afin d’ aider à améliorer la fluidité du service de

vélos, développer le commerce local ou créer de nouvelles applications pour faciliter

les transports urbains. Cette plate-forme a été mise en place grâce à la collaboration

active de nombreux partenaires issus des secteurs publics et privés : les

usagers de Bixi, Tourisme Montréal, l’école HEC (Montréal), le groupe Bell (télé-

communications), l'École Polytechnique, le MIT Media Lab (Boston), entre autres.

Selon Louise Guay, fondatrice du Living Lab, interviewée en août 2012 à Montréal51,

l’intérêt pour les marques n’est plus seulement médiatique, mais de l’ordre de la

prospective urbaine Il s’agit ici pour les marques de s’habituer à collaborer, à aller

chercher des solutions en dehors de leur sein, à s’initier à l’innovation ouverte, avec

d’autres partenaires ou au sein de leur organisation interne. Le Living Lab se pose

en facilitateur, en collaborateur, en tant que plateforme de modélisation et de

consultation, tant pour les marques que pour les acteurs publics de la ville. Louise

Guay et Claude Faribault avouent que le Living Lab a pour vocation d’optimiser

Montréal, de la rendre plus intelligente.

49

L’innovation ouverte est un terme promu par Henry Chesbrough, professeur et directeur du centre pour

l'innovation ouverte à Berkeley. C'est un mode d'innovation basé sur le partage, la collaboration et la

sérendipité, s’opposant a à 'innovation "fermée", c'est-à-dire principalement développée « en interne » et mise

en œuvre au sein de l'entreprise, sous le sceau du secret industriel ou de fabrication Elle peut concerner tous

les domaines de la recherche. 50

Le Living Lab est un organisme à but non lucratif fondé par Louise Guay et Claude Faribault. Le Living Lab de

Montréal est né dans le cadre du projet de recherche international Responsive City, qui vise à mieux

comprendre l'utilisation des ressources partagées par les citoyens des villes. Regroupant plusieurs partenaires

sociaux, corporatifs, publics et universitaires, le Living Lab de Montréal favorise la co-création et l'innovation

ouverte comme méthode de recherche participative. 51

Interview réalisée en aout 2012 à Montréal auprès de Louise Guay et Claude Faribault. L’interview n’est pas

retranscrite en annexes pour des raisons de confidentialité.

Page 25: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

25

« Aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, tous les grands enjeux de

développement de la vie urbaine sont déjà discutés ouvertement par des

citoyens venus de tous les horizons. Le web 2.0 fait partie intégrante de la

nouvelle trame urbaine. Il a déjà commencé de transformer la ville en paysage

d'information et les citoyens en agents interactifs. »

Pour Louise Guay si les innovations sont aussi importantes dans le secteur du

transport c’est parce que les infrastructures de transport constituent la nouvelle

trame de la ville intelligente. Selon elle, les transports sont la matrice de la ville, elle

rappelle ainsi qu’en Amérique du nord les villes ont étés construites en fonction des

moyens de transport : Ainsi la largeur des routes épouse celle des calèches et

diligences, et par la suite celle des voitures, les résidences et commerces sont

venues s’installer le long des axes routiers, puis par la suite se sont délocalisés à

l’extérieur du centre ville. En Amérique du nord, ne pas avoir de voiture c’est être

condamné à être enfermé là o l’on vit, c’est aussi montrer indirectement que l’on n’a

pas les moyens d’en acquérir une. Le développement de Bixi ou de Communauto

représente une option écologique intéressante pour ceux qui ne possèdent pas de

voiture ou choisissent de ne conserver qu’un seul véhicule pour la famille.

Ces alternatives entraînent également un changement de paradigme fort : Le statut

social et les valeurs du conducteur ne se sont désormais plus visibles à travers le

choix de la marque de sa voiture, mais au contraire à travers son choix de ne pas

être propriétaire, sa volonté de trouver des solutions alternatives et intelligente, par

soucis d’écologie et d’économie. Ce changement de paradigme est pour Louise

Guay au cœur des problématiques des marques automobiles, qui plutôt que de s’en

inquiéter devraient apprendre à y voir de nouvelles formes d’innovation possible (Ce

que Audi, BMW ou Daimler ont très bien compris52)

Les marques, en collaborant avec le Living Lab et les acteurs publics ont la

possibilité de redéfinir la notion de possession, de mettre en place un système de

transport alternatif en plaçant l’usager au centre des problématiques, de réfléchir aux

nouvelles formes de financement ou de partenariat possibles afin de démocratiser de

l’accès aux différentes infrastructures publiques et commerciales de la ville, et

52

Cf exemples cités dans la première partie.

Page 26: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

26

réduire l’empreinte écologique. Le projet central du Living lab, qui devrait voir le jour

courant 2013, est une plateforme de négociation et de collaboration, visant à

promouvoir l’économie locale, à récompenser les usagers des transports alternatifs

et axée sur des principes de ludification.

Le principe : les marchands et entreprises de la ville achètent des crédits de jeu

auprès des sociétés de transports de Montréal, en échange, c’est dans leurs

boutiques que les usagers pourront venir dépenser les points accumulés gagnés en

délaissent leurs voitures au profit des transports en commun, du co-voiturage, du Bixi

ou de la marche à pied. Comme le fait remarquer Louise Guay, pour arriver à de

nouvelles solutions, il est nécessaire de prendre en compte et collaborer avec tous

les acteurs du marché : Cette plateforme ne pourra être mise en place que si les

sociétés de transport publics et les marques travaillent main dans la main, en se

servant du Living Lab comme consultant et médiateur auprès des usagers afin de

créer une application utile et profitable à tous. Elle critique ainsi les initiatives trop

superficielles ou menées individuellement, constatant que les consommateurs ne

sont pas dupes et détectent facilement les projets o l’investissement des marques

n’est que superficiel et publicitaire : Bien que la démarche de Desjardin, Rio Tinto

Alcan et Telus à Montréal relève de la dépublicitarisation, les Montréalais n’y voient

qu’une nouvelle forme de publicité intrusive, et ne se privent pas de le faire savoir en

vandalisant les logos des vélos.

Pour eux le financement représente d’avantage un achat médias qu’un réel

investissement dans le projet, déjà parce que les sommes versées par les marques

ne couvrent qu’une petite partie des frais de dépense du service, mais également

parce que cela reflète une « appropriation » du projet plutôt qu’une vraie réflexion,

les entreprises ayant simplement « récupéré » le projet pour faire valoir un soit

disant engagement citoyen, elles ne se sont à aucun moment assises avec les

pouvoirs publics et les usagers pour le mettre en place. Ainsi il n’existe pas

d’application mobile officielle, et ce alors que Telus est une des plus grandes

compagnies de télécommunication en Amérique du nord.

Page 27: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

27

Claude Faribault cite également l’Autobus des créateurs, un concours réalisé durant

la conférence internationale C2 MTL53 en mai 2012, en partenariat avec la Ville de

Montréal, la Société de transport de Montréal (STM) et Telus, où de jeunes

développeurs étaient invités à monter et travailler dans un bus sillonnant la ville, afin

de trouver des solutions aux problèmes de transport à Montréal de développer un

projet web ou mobile à partir des ensembles de données ouvertes par la Ville de

Montréal et la STM. Pour alimenter le travail des développeurs présents dans

l’autobus, la Ville de Montréal libérait de nouveaux ensembles de données dans de

nombreux domaines dont les pistes cyclables, l’hydrographie, les données de la

voirie etc.

Si l’initiative est à priori louable, sa réalisation se montre en revanche plus délicate,

un bus scolaire n’étant pas franchement un endroit adapté pour le travail en équipe

(pas de bureau, un accès WiFi très faible, une chaleur écrasante etc.) Ici,

l’engagement de Telus n’aura été qu’iconique, puisque la marque se sera

simplement contenté d’apporter un soutien financier. Si ici on déplore tout au plus

des conditions de travail absurdes, le manque de collaboration et d’écoute peut

entrainer de lourdes conséquences pour les compagnies.

Claude Faribault cite ainsi le BMW Guggenheim Lab, sorte de living lab temporaire et

mobile, réunissant architectes, artistes et scientifiques afin de discuter de problèmes

de développement urbain actuels, qui devait ouvrir ses portes à Berlin mais a reçu un

très mauvais accueil des habitants. Le projet a été retardé de trois semaines et a dû

s’installer dans un quartier plus excentré que ce qui avait été initialement prévu,

suite aux menaces de violence provenant de militants d’extrême gauche, et aux

plaintes des riverains. Un site internet et une pétition s’opposant à l’arrivée du lab

avaient étés mis en place en soulevant que le projet signifiant une prise de valeur du

terrain et donc une augmentation croissante des loyers. En effet ce type de projet

artistique et culturel signifie un afflux de touristes et entraîne une hausse importante

des loyers et de la vie quotidienne, ce qui a été jugé inacceptable de la part des

Berlinois, reprochant à BMW et au musée de venir faire du profit sans avoir consulté

53

http://createurs.ville.montreal.qc.ca/ C2-MTL est un événement de trois jours, mis en place par l’agence de

publicité Sid Lee, en collaboration avec le Cirque du Soleil, Fast Company et IBM, mis en place afin de trouver des réponses créatives à des questions commerciales. L’évènement accueillait divers ateliers , conférences et groupes de discussions en collaboration avec la ville et la région de Quebec.

Page 28: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

28

les riverains, et en dépit de leur avis. L’affaire était remontée au plus haut niveau des

autorités locales, qui avaient du intervenir et prendre la décision de délocaliser le

projet plus loin entraînant de nombreuses répercussions sur l’image du constructeur

automobile et du musée. La ville est bel et bien une vitrine potentielle pour un produit

ou une compagnie, pourvu qu’elles apprennent à consulter pouvoirs publics et

usagers, sous peine de devenir intrusives, ou de saturer l’espace urbain par des

campagnes publicitaires invasives.

Pour reprendre notre hypothèse initiale, il est certain que l’investissement de la

ville intelligente s’inscrit dans une logique de dépublicitarisation. Toutefois les

marques doivent maintenant aller au-delà de la dimension de support médiatique

qu’offre la ville intelligente, pour se diriger dans une optique de prospective urbaine,

en collaboration avec les acteurs du secteur, afin de proposer des solutions

intelligentes à l’écoute des usagers. Lorsqu’on analyse le terme « intelligence »

selon les définitions proposées par les dictionnaires Larousse54 et le Trésor de la

langue française informatisée55 on remarque la récurrence de plusieurs

thèmes entourant le concept d’intelligence, à savoir l’aptitude ; (soit la capacité, la

compétence reconnue ou la disposition naturelle) la notion de but et le choix des

moyens pour atteindre ce but ; la compréhension de l’environnement et des enjeux et

enfin l’action.

En comparant les définitions du concept « d’intelligence » avec la définition de la

ville intelligente donnée lors de la conférence Future Internet Assembly à Ghent en

Belgique en décembre 201056, on pourrait imaginer quelle serait la ville intelligente

dans laquelle les marques évolueraient : Une ville astucieuse, qui se construit selon

54

Intelligence, nom féminin (latin intelligentia, de intelligere, connaître) Désigne l’Ensemble des fonctions

mentales ayant pour objet la connaissance conceptuelle et rationnelle mais également l’ aptitude d'un être humain à s'adapter à une situation, à choisir des moyens d'action en fonction des circonstances, Qualité de quelqu'un qui manifeste dans un domaine donné un souci de comprendre, de réfléchir, de connaître et qui adapte facilement son comportement à ces finalités, Dictionnaire Larousse 55

[Dans des circonstances nouvelles pour lesquelles l'instinct, l'apprentissage ou l'habitude ne dispose

d'aucune solution] Aptitude à appréhender et organiser les données de la situation, à mettre en relation les procédés à employer avec le but à atteindre, à choisir les moyens ou à découvrir les solutions originales qui permettent l'adaptation aux exigences de l'action. Trésor informatisé de la langue française 56

« Une ville peut être qualifiée d’intelligente quand les investissements en capitaux humains, sociaux, en

infrastructures de communication traditionnelle (transports) et moderne (NTIC) alimentent un développement économique durable ainsi qu’une qualité de vie élevée, avec une gestion avisée des ressources naturelles, et ce à travers une gouvernance participative. »

Page 29: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

29

les usages, une ville capable de comprendre et de s’adapter à son environnement

(citoyens, acteurs privés et publics) afin de choisir les moyens d’actions en fonction

du but à atteindre.

Par extension, une marque associée à une ville intelligente serait alors une marque

qui vient s’inscrire dans l’inconscient (ou le conscient) collectif comme une marque

intelligente, focalisée sur les usages du citoyen, sachant s’adapter aux besoins, aux

attentes, et s’adapter aux problèmes urbains pour simplifier et améliorer

concrètement le quotidien des citadins. Proposer des solutions urbaines intelligentes

assurerait ainsi aux marques une image positive, à la fois innovante et soucieuse de

l’environnement dans lequel elle s’inscrit. Pour cela, de nombreux imaginaires

créatifs s’offrent à elle, que nous allons dès à présent étudier dans une seconde

partie.

Page 30: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

30

II. La ville intelligente comme nouvel horizon créatif:

Appropriation et réappropriation de ses territoires et

imaginaires par les marques

La ville, quelle soit réelle ou réinventée, imaginaire ou imaginée, a toujours

constituée un espace représenté à travers les diverses productions médiatiques

que sont la peinture, la littérature, la représentation cartographique, puis la publicité,

le cinéma, etc. ainsi qu’un espace de représentation, pour les acteurs qui viennent

s’y intégrer. La ville est depuis longtemps un sujet d’inspiration pour les marques,

qu’elle soit contemporaine ou futuriste : Depuis les villes robotisées ( Suntory - The

bar ou Puma - Until Then ) en passant par les villes ludifiées, terrains de jeu à ciel

ouvert ( Nike - Tag ou Nissan Qashqai ), celles reprenant les codes des jeux vidéos (

Nike- Game on, World) jusqu’aux villes dystopiques ( Verizon Motorola Droid Bionic –

Arena)57 Toutes sortes de représentations , de projections et d’imaginaires ont étés

utilisés par toutes sortes de marques.

Durant l’atelier « Ville imaginaire, ville imaginée, comment s’y retrouver? » organisé

l’an dernier à Montréal, Céline Poisson, enseignante à l’ École de design, Université

du Québec à Montréal rappelle comment depuis l‘imaginaire entourant la Rome

antique, en passant par le Paris haussmannien, jusqu’à Las Vegas « les images et

discours sur la ville se construisent, se complexifient au gré des désirs, des

aspirations et des fantasmes d’acteurs aux intérêts divers jouant ainsi un rôle

essentiel dans la représentation sociale et la construction identitaire urbaine. »

Comme on l’a vu dans une première partie, les marques aujourd’hui essaient de

plus en plus de devenir des acteurs importants du développement de la ville

intelligente, elles pourraient donc façonner cette nouvelle cité au gré de leurs désirs

et aspirations, et donc participer à la construction identitaire.

57

Toutes les références publicitaires de la ville du futur sont dans le corpus page 65, la ville ludifiée pages 66 et

67.

Page 31: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

31

Comment les marques pourraient-elles projeter leur vision de l’urbanité ? Nous

commencerons ici par analyser les trois principaux concepts et leurs sous-concepts

qui entourent la ville intelligente et la façon dont ils peuvent être utilisés par les

marques. Que signifient-ils, comment peuvent-ils être appréhendés par les

marques ? Quels sont les imaginaires, les valeurs, les symboliques qui gravitent

autour de ces concepts pouvant être exploités par les marques ? Après avoir

analysé la sémantique de ces concepts, et les imaginaires qu’ils transportent, nous

tâcherons de voir comment chacun d’eux peut être amené à se concrétiser

ensemble ou séparément au niveau des stratégies de communication des marques.

A. Smart city et streetsmart brands

Si l’on reprend encore une fois la définition de l’intelligence on note que les notions

d’aptitude et d’adaptation reviennent beaucoup. Comme on l’a vu dans la première

partie, la ville intelligente est une ville astucieuse, qui se construit selon les usages,

une ville capable de comprendre et de s’adapter à son environnement, ce qui

suppose que ses habitants sachent faire de même. Ces notions « d’aptitude » et «

d’adaptation » en milieu urbain renvoient d’ailleurs vers la terminologie anglo-

saxonne « streetwise » ou « streetsmart »58 désignant une personne possédant les

astuces nécessaires à la survie dans l’environnement urbain, concept souvent traduit

en français par « débrouillard » ou « astucieux » perdant ainsi la dimension urbaine

du terme anglais. L’adjectif « streetsmart » qualifie également une personne

connaissant les « bons plans » les lieus secrets, les moindres recoins de la ville où

elle se déplace.

De nombreuses marques s’appuient sur ce concept et ancrent leurs campagnes de

communication dans le territoire créatif du « streetsmart » : Le collectif Soundwalk

59propose ainsi des guides audio téléchargeables sur internet. Il suffit d’écouter tout

en marchant les indications et les histoires racontées par les guides pour découvrir

une vingtaine de villes et leurs secrets.

58

- Adj, informal : having the skills and knowledge necessary for dealing with modern urban life. Word

reference 59

http://cxa.typepad.com/creative_exchange_agency/2011/03/now-representing-soundwalk.html

Page 32: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

32

Le groupe a également travaillé avec différentes marques dont Louis Vuitton lors des

jeux Olympiques de Beijing en 2008 ou encore Puma lors de la coupe du monde de

football en Allemagne en 2010. Autres exemples : Adidas a mis au point en 2009 une

application mobile répertoriant les meilleurs graffitis et fresques murales de Berlin et

Hambourg et prévoit de faire de même pour d’autres capitales européennes tandis

que Nike a lancé « Nike True city » une application iPhone où les fans peuvent

laisser commentaires et opinions sur leurs endroits préfèrés dans les villes où ils

résident, afin d’établir une cartographie de la « Nike True city ». L’application prévient

également les fans avant tous les autres consommateurs de l’arrivée de nouveaux

produits dans leurs villes ou du lancement d’événements.

Nike est d’ailleurs un formidable exemple de ces marques qui mettent en scène la

ville comme terrain de jeu, et incarnent parfaitement l’introduction du « streetsmart »

dans le phénomène de mobilité et ludification urbaine, phénomènes ayant toute leurs

place dans les problématiques de la ville intelligente. Talya Bigio, architecte et co-

fondatrice de la rubrique architecture des Lettres Françaises explique que les

marques, et Nike en particulier, se sont appropriées le thème de la ludification

urbaine suite aux transformations des valeurs sociales vers le divertissement :

[Dans les publicité Nike] Dans les années 90, la publicité montrait l’image d’un

cycliste qui montait péniblement une montagne. La publicité privilégiait alors la

volonté et le dépassement héroïque de soi. Aujourd’hui, la publicité privilégie

les situations de loisir dans l’espace urbain. La publicité pour les chaussures

Nike met en scène un jeune homme engagé dans une course-poursuite dans

le métro. L’espace urbain est transformé en lieu de jouissance et d’action. A

l’image du mode ludique des jeux vidéo, le personnage est une figure de

l’éternel adolescent qui s’invente le modèle d’une cité qu’il peut librement

parcourir en tous sens.60

60

Talya Bigio, « Technopolis ou les paradoxes de la visibilité », Communication et organisation [Online], 32 |

2007, Online since 01 December 2010, connection on 15 August 2012. URL : http://communicationorganisation.revues.org/276

Page 33: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

33

Dans ce spot publicitaire, la ville est un terrain de jeu (les habitants jouent à «

chat ») et le jeu se prolonge online, puisque les consommateurs sont invités à se

mesurer les uns aux autres en chronométrant leurs performances grâce au système

iPod (ou plus récemment à l’application Nike + tag.) et à partager en ligne les

résultats de leurs courses afin de comparer leurs aptitudes.

Nike a également lancé Nike Grid à Londres en 2010 invitant ses fans à parcourir

Londres en courant en vue de conquérir des quartiers. Pour ce faire, les joueurs

devaient se rendre dans les cabines téléphoniques brandées aux couleurs de la

marque et appeler un numéro afin de remporter le badge du quartier, le but du jeu

étant évidemment de courir plus pour remporter plus de badges. La campagne

exploite et détourne ici le mobilier urbain en le couplant avec la géolocalisation et la

gamification61 dans une grande quête o l’envie naturelle de se mesurer aux

coureurs locaux et l’attachement à leurs quartiers assurait une participation de la

part des coureurs. Nike se base ici sur l’insight selon lequel des joggeurs du même

quartier se défient naturellement en se croisant. De surcroit, la marque parie sur le

fait que plus un joueur connaît la ville comme sa poche et plus il est assuré de

gagner, en passant par des raccourcis inédits ou secrets. La campagne leur permet

ici de devenir les « rois du quartier » tant grâce à leur aptitude à courir plus vite que

les autres que grâce à leur maîtrise de l’espace urbain.

Autre exemple de streetsmart brand, le projet « Musée Ephémère » une initiative

ludique mêlant street art et revalorisation de l’espace urbain, mise en place par le

rhum Pampero à Lisbonne et permettant aux usagers de découvrir les œuvres des

murs de la ville : Sur le site web de la marque on peut télécharger gratuitement une

carte répertoriant tous les graffitis du Bairro Alto, quartier populaire connu pour ses

fresques murales mais perdant peu à peu son dynamisme passé. Un guide audio

était également mis à disposition, afin d’obtenir plus d’informations sur les œuvres.

61

La ludification ou gamification, est le transfert des mécanismes du jeu dans d’autres domaines, en particulier

des sites web, des situations d'apprentissage, des situations de travail ou des réseaux sociaux. Son objet est d’augmenter l’acceptabilité et l’usage de ces applications en s’appuyant sur la prédisposition humaine au jeu. [owni.fr/2012/06/07/la-culture-des-jeux-video-est-aux-fraises/ « C’est pas du jeu »], Owni.fr, Anaïs Richardin, 7 juin 201

Page 34: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

34

Si on les compare aux initiatives de vélos en libre service, d’auto-partage ou de mise

en place de living lab, il est évident que ce genre de projet ludique vient s’inscrire

dans une dimension à moindre échelle, toutefois ils permettent à une marque de

s’intégrer dans une prospective d’innovation en s’affranchissant de la dimension

institutionnelle, en se positionnant comme de vraies marques urbaines tout en

préservant ( ou en créant de toute pièces ) une certaine impertinence, exclusivité ou

« street credibility » .

L’imaginaire de la « street » est vaste et se décline dans de nombreux domaines,62

comme le sport (le skate, le basketball de rue, le football de rue), le graffiti et les

installations artistiques urbaines (qu’on appelle communément streetart), le style

vestimentaire (de nombreuses marques – dont Adidas - revendiquent l’appellation

streetwear ) mais également la nourriture ( L’une des tendances majeures de 2010

ayant été les restaurants streetfood installés dans des camion ambulants annonçant

leurs venue grâce aux réseaux sociaux) Cette multitude de connexions permettent

ainsi possiblement à un grands nombres de marques aux origines et aux fonctions

diverses de venir s’établir dans les rues des villes intelligentes.

De plus, le concept « Streetsmart brand » possède une dimension plus locale, c’est

une expérience ou un service ludique à l’échelle d’une rue ou d’un quartier (Adidas,

Musée Ephémère ou Nike Grid) ou d’une communauté (Nike Tag, Nike True City,

Soundwalk ) qui permettent – en théorie - de souder ces quartiers ou communautés

autour d’un intérêt, ou d’un patrimoine commun. En effet, si ces projets ont en

apparence l’air plus simples à mettre en place d’un point de vu financier, ils

nécessitent la collaboration du public, à la fois des collectivités locales, mais

également des riverains, et demandent surtout à la marque de maîtriser, partager et

connaître les codes, intérêts et valeurs des communautés ou des quartiers à qui

elles s’adressent.

62

Planète street : cultures urbaines des cinq continents / Roger Gastman ; Caleb Neelon ; Anthony Smyrski. - Paris : Pyramyd, 2007.

Page 35: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

35

Lorsqu’adidas a lancé son application les critiques ont étés vives, la marque ayant

été accusée de « récupérer » le mouvement street art à des fins publicitaires. En

effet l’application était payante, mais aucun des artistes ayant été répertoriés par la

marque n’a reçu de rémunération, et ce, alors qu’adidas utilisait les visuels lors de

ses communications. Quand au rhum Pampero, si la marque avait d’abord consulté

les artistes, c’est les riverains qu’elle avait oubliés La valorisation des graffitis n’est

pas au goût de certains commerçants et résidents du quartier, qui n’y ont pas vu une

tribune d’expression mais au contraire une incitation à vandaliser les murs du

quartier. Soutenus par des élus de l'opposition, les riverains ont convaincu la mairie

de Lisbonne de faire nettoyer deux rues du quartier et ont fait installer des caméras

de vidéosurveillance afin de dissuader les éventuels vandales.

Cette notion de participation, d’inclusion de la sphère publique se rattache d’ailleurs

à notre première partie, où nous avions détaillé l’importance du earned medias, et de

la prise en compte des usagers et citoyens dans les stratégies de communication, et

vient maintenant faire l’objet d’une étude plus approfondie.

B. Participation, proximité et dialogue

Participation, proximité et dialogue. Les trois maîtres-mots de la communication au

XXIème siècle, qu’elle soit politique, institutionnelle et bien entendu publicitaire. On

l’a vu, les nouvelles pratiques numériques ont chamboulé le schéma classique

émetteur-récepteur, aujourd’hui internet et les réseaux sociaux ont donné la

possibilité à tout le monde de participer, dialoguer, émettre un avis ou critiquer,

inspirant aux acteurs privés et publics de nouvelles idées, que cela soit à travers le

crowdsourcing 63ou la volonté d’une démocratie participative.

63

Le crowdsourcing est la pratique qui correspond à faire appel au grand public ou aux consommateurs pour

proposer et créer des éléments de la politique marketing (choix de marque, création de slogan, création de vidéo). Les prestataires amateurs peuvent alors être récompensés ou rémunérés. Source : http://www.definitions-marketing.com/Definition-Crowdsourcing

Page 36: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

36

La notion de « gouvernance participative64 » étant incluse au cœur de la définition

de la ville intelligente, on peut donc déclarer que l’importance croissante de cette

mobilisation des acteurs, s’inscrit dans une redéfinition des façons de construire

l’intérêt général. Au sujet de cette nouvelle gouvernance urbaine, Saskia Sassen,

professeur de sociologie et co-présidente du Comité pour la pensée globale de

l’université de Columbia déclare :65

On peut imaginer qu’une telle organisation donnerait lieu à une conversation

générale, non seulement entre les résidents et les personnes qui dirigent la

ville, mais aussi horizontalement, entre les citoyens qui comparent leurs

impressions. Cela pourrait mener à un nouveau genre de réseau open source,

dans lequel le principe de détection des problèmes de code du logiciel serait

remplacé par un principe d’amélioration du système et de résolution des

problèmes par la collectivité urbaine. C’est ce que j’appelle « l’urbanisme open

source ».

Ce que Saskia Sassen avait imaginé en 2011, les applications Beecitiz, ou encore

FixMyStreet l’ont réalisé. Le principe : Une carte participative qui permet aux

citadins de rendre compte de problèmes sur la voirie et, aux services municipaux de

leur répondre. Les requêtes sont postées autour de quelques grandes catégories

(espaces verts, voirie, éclairage...). La mairie Paris IV a été une des premières à

expérimenter ce service et après un an quelques 100 signalements ont été fait, et

plus de 700 téléchargements de l'appli Paris4 sur Iphone et sur Androïd ont été

répertoriés.66 Ce nouvel outil de géolocalisation participatif répond ainsi aux

exigences actuelles des citoyens envers leurs services publics : la réactivité,

l’immédiateté, la proximité et le dialogue. D’un côté, les habitants en participant

améliorent leur environnement immédiat et les élus quant à eux voient leur notoriété

augmenter et leur image s’améliorer.

64

La Gouvernance Participative est l’exercice de l’autorité économique, politique et administrative par les citoyens et les officiels, pour gérer les affaires de la société à tous les niveaux. 65

Dialogue sur la ville de demain avec Saskia Sassen http://www.sfr.com/les-mondes-numeriques/sfr-

player/11142011-1259-dialogue-sur-la-ville-de-demain-avec-saskia-sassen 66

http://www.mairie4.paris.fr/mairie04/jsp/site/Portal.jsp?document_id=2223&portlet_id=119

Page 37: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

37

A l’échelle d’une marque, ce genre d’initiative est à relever du côté de la SNCF :

Ainsi la plateforme Transilien Open Data s’appuie sur la participation des usagers,

pour proposer des idées d'applications mobiles dans une démarche d'appropriation

des outils numériques en mobilité, mais aussi dans un processus d’open data,

lentement mis en place par la SNCF. Accessible à tous, le concours Open app (

organisé par l’agence publicitaire June 21 ) a récompensé en mai 2012 les

applications les plus intelligentes.

Le jury a choisi de récompenser Transifoule, une application renseignant

« l'affluence quotidienne sur chaque Transilien pour optimiser son trajet et de fait

participer à la régularisation du trafic en gares. »67 L'application se couple à d'autres

services proposés dans le concours comme la possibilité de rencontrer des profils

similaires ou au contraire d'éviter un train trop masculin le soir.

67

http://opendata.transilien.com/concours-openapp/transifoule/

Page 38: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

38

Autre idée d'application, Colis Train, qui transforme le voyageur en livreur à temps

partiel68 :

"L'application proposée permettrait à des voyageurs de se confier des

livraisons de tous types (colis, lettres, fleurs...). L'expéditeur dépose une

requête dans laquelle il décrit les stations de départ et d'arrivée ainsi que la

nature de la livraison (poids, délai...). Un voyageur peut accepter cette requête

et ils conviennent alors d'un tarif qui idéalement est gratuit. De la même façon

tout voyageur peut indiquer les trajets qu'il réalise et proposer ses services

pour effectuer une livraison. Ce type d'application peut s'effectuer en

partenariat avec un site type colis-covoiturage."

Au-delà de l’aspect écologique et de la possibilité d’augmenter un peu les revenus

des usagers, cette initiative répond également à un réel problème rencontré dans

certaines ZUS69, o les livreurs n’osent plus s’aventurer, privant les habitants de leurs

colis (et de leurs droits !)70 Si pour l’instant ces deux applications sont simplement

envisagées par la RATP, le processus décrit dans la deuxième commence à se

mettre doucement en forme : à Seattle et à New York, Amazon expérimente

actuellement un système de consignes, installés dans les supérettes Seven Eleven,

possédant des enseignes dans tous les états du pays.

Ces nouvelles initiatives basées sur la mobilisation citoyenne contribuent à

l'élargissement des possibles, en termes de créativité. On pourrait ainsi imaginer des

services et applications à mettre en place grâce à la mobilisation citoyenne voire au

crowdfunding, à l’image de la « Plus pool »71 un projet de piscine flottant dans la

rivière Hudson à New York. Pour réaliser ce projet les designers ont ouvert un

compte kickstarter, afin de recevoir des dons des habitants et commencer à

construire la piscine avec l’accord des autorités locales.

68

http://opendata.transilien.com/concours-openapp/colis-train/ 69

zone urbaine sensible 70

http://www.lepoint.fr/societe/pas-de-livraison-de-colis-en-zone-urbaine-sensible-14-08-2012-

1495911_23.php 71

http://www.pluspool.org

Page 39: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

39

Ce genre d’initiative serait parfaitement envisageable à l’échelle d’une marque soit

au niveau du financement, soit au niveau des décisions à prendre (emplacement,

design du projet etc.) Dans la veine des compagnies qui demandent de l’aide aux

consommateurs et jeunes designers pour concevoir un spot télé, un logo etc. ces

initiatives vont plus loin et proposent un résultat concret, ouvert, utile et accessible à

tous. La mobilisation et le dialogue citoyen pourraient amener les marques à

s’intéresser à l’aménagement urbain en collaboration avec les citadins, pourvu

qu’elles y perçoivent un moyen de renouveler leurs fonctions et leur image, en

proposant non plus des produits mais des services des services utiles à la

communauté. Les nouvelles formes d’appropriations de l’espace urbain par les

marques ou les possibles partenariats public-privé ouvrent de grandes perspectives

tant pour les acteurs privés que pour les acteurs publics, à court de financement,

mais cherchant néanmoins toujours de nouveaux moyens de montrer le dynamisme

et l’attractivité de leurs villes.

De plus, à partir du moment où se sont les citoyens qui investissent massivement

(intellectuellement et financièrement) en connaissance de cause dans les projets

proposés par les marques, les collectivités locales ont davantage de chance d’avoir

l’opinion publique de leur côté, essayant ainsi d’éviter de se faire taxer d’opportuniste

ou de faire le jeu des multinationales.

C. Imaginaire de la ville intelligente : entre utopie naïve…

Il est intéressant de noter que la plupart de ces communications, qu’elles soient

médias ou hors médias possèdent toutes une double temporalité : Inscrire sa

marque dans la ville intelligente c’est naturellement l’inscrire dans le présent, et faire

valoir son dynamisme, son côté précurseur, innovant, tendance voire comme on l’a

vu plus haut lui donner une certaine « street credibility ». Mais c’est également

l’inscrire dans une temporalité future en pariant sur la ville intelligente et ses

technologies on projette la marque dans le futur, on lui conçoit une longévité, on

avance vers le progrès, on se place dans une démarche de projection souvent un

peu utopique.

Page 40: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

40

La problématique de la cité idéale est loin d’être récente et se décline de multiples

façons depuis la “Callipolis” de Platon (La République) jusqu’aux grandes utopies

urbanistiques du XXe siècle en passant par les u-cities72 , comme Songdo73 en

Corée , ou encore les villes 100% écolo comme Lilypad74. Il est certain que les

grandes ambitions sociales, technologiques, écologiques et politiques de la ville

intelligente lui confèrent à priori une dimension de « ville idéale », il est donc logique

que les marques se soient aventurées sur ce territoire. Toutefois certaines de ces

projections, et ce à la différence des marques évoquées plus haut qui exploitent des

territoires et imaginaires très ancrés dans le réel, tendent souvent à ressembler à

une ville utopique aseptisée, uniformisée, voire déshumanisée, pour reprendre

Françoise Choay.75

Ainsi, les récents spots Samsung pour la tablette Galaxy Note en 2010 suivis d’une

campagne pour le smartphone Galaxy Note en 2012, présentent tous une ville

moderne, aseptisée et lisse, mais qualifiée d’ « idéale ». Ainsi dans un des films

(Work) un jeune homme travaille pour un projet économique sur la ville idéale,

présentant de jolis camemberts de parts de marché et autres diagrammes en bâton

analysant la satisfaction client. Derrière cette publicité somme toute assez banale, on

trouve en réalité une réalité urbanistique : Les dénominations « intelligente »,

« numérique » ou «ville du futur » de plus en plus employées par les métropoles

dans leurs stratégies de branding révèlent leur volonté d’attirer les classes créatives

et supérieures, garant du dynamisme économique de la ville, en leur promettant des

installations culturelles et technologiques dernier cri.

72

Une ville ubiquitaire, ou u-city est une ville hyperconnectée, où tous les systèmes d’information sont liés. 73

Songdo est une nouvelle ville en construction près de Séoul, à Incheon, en Corée du Sud. Construite de toute pièce, la

ville, verte et intelligente, inaugurera, en2018, sa centaine de buildings, couverts de toits végétaux et de panneaux solaires., parcourus de milliers de kilomètres de câbles collectant, traitant et utilisant les moindres données émises par ses habitants. Son concepteur, la société Gale, espère vendre prochainement ce concept de « ville en kit » à une vingtaine d’agglomérations en Asie. Source :. http://www.maxisciences.com/ville/songdo-la-ville-du-futur_art25808.html 74

Lilypad est un concept de l'architecte Vincent Callebaut, un modèle de ville à 100% écolo, qui flotte au large de nos

côtes

75

Entretien de Françoise Choay avec Thierry Paquot, 1994. http://www.franceculture.fr

Page 41: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

41

A travers la présentation des capacités du téléphone Samsung projette ainsi sa

vision de l’urbanité, à savoir une ville dynamique grâce à ses cadres supérieurs. Si

on peut émettre certaines réserves devant cette construction d’une ville-produit un

peu lisse dans laquelle les citadins sont des clients, il faut tout de même reconnaître

que la marque exploite le territoire du « projet » et de la « construction » de la ville

idéale, et laisse toute la place à l’imagination : la publicité ne montre pas

physiquement la ville, mais se contente de montrer comment la marque peut aider

les individus à la façonner, aux grés de leurs envies. Ainsi une seconde vidéo

exploite également cette notion de projet urbain avec beaucoup plus de candeur

cette fois : Dans le spot « Laissez libre cours à votre créativité » la ville idéale ne se

markette pas, elle se rêve et se dessine. Le citadin bricole lui-même sa « ville idéale

» en commençant par intégrer un bâtiment iconique et moderne (ressemblant à

l’opéra de Sydney) dans le paysage tout aussi iconique (pour ne pas dire cliché)

d’une mer bleu turquoise scintillante.

On retrouve cette vision de la ville idéale et aseptisée dans deux autres films (

Galaxy Note - Create et Galaxy Tab – official Release ) : Le décor carton-pâte

rappelle les rues marchandes de Disneyland, la ville-privée Celebration76 ou encore

les banlieues résidentielles américaines proprettes et uniformisées d’ Agrestic et

Wisteria Lane dans les séries TV Weeds et Desperate Housewife. La ville est si

paisible et policée qu’elle paraît quasiment désuète : Dans les rues du spot

« Create » on voit un vieux landeau monté sur des hautes roues, installé devant des

musiciens ambulants jouant de l’accordéon, dans le spot Galaxy Tab on aperçoit des

rails de tramway séculaire et des voitures de collection, quand aux passants et

protagonistes des deux films, ils arborent tous un look preppy-retro des plus sages.

Comme le note Philippe Gargov, le plus intriguant dans le décor du film Galaxy Tab

réside dans le fait que la ville représentée est sensée être New York :

76

Celebration est une ville privée américaine, située dans le centre de l'État de Floride, à quelques kilomètres

d'Orlando. Elle a la particularité d'avoir été créée, développée et d'être administrée par la Walt Disney Company. Elle devait être en quelque sorte la réalisation du projet lancé par Walt Disney d'une ville idéale

Page 42: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

42

Alors qu’habituellement, les publicitaires se contentent de quelques taxis

jaunes ou d’un plan sur l’entrée d’un métro, facilement identifiables, le spot

choisi ici d’afficher son identité territoriale grâce aux panneaux indiquant la

direction de Broadway ou Central Park. C’est d’autant plus surprenant que l’on

n’est clairement pas à New York.

La ville que nous présente Samsung est lisse, propre, dépouillée et calme, loin de

l’effervescence technologique, urbaine et humaine un peu grouillante attribuée

généralement à New York. On peut y voir ici le choix de la marque de présenter sa

propre vision de ce que devrait être une ville moderne et idéale. Si la marque

s’écarte du cliché « Times Squares et ses écrans géants » c’est bien entendu pour

montrer qu’une autre ville, plus sereine et chaleureuse est possible, mais c’est

surtout pour s’éloigner des imaginaires de la ville numérique. La marque laisse la

porte du champ des possibles grande ouverte Ici, la modernité, l’innovation et

l’intelligence viennent des usages que l’on fait de l’outil, et non pas de la ville elle-

même. En somme, la ville du futur se construit par le biais des objets et des

interactions des citadins.

En haut à gauche, la publicité Samsung Galaxy Note - Spot TV Create ( 2012) En bas à gauche, les boutiques de Disneyland Tokyo. En haut à droite, la publicité Samsung Galaxy Tab Official Release (2010) En bas, à droite, la ville de Wisteria Lane dans la série Desperate Housewives.

Page 43: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

43

D. …et dystopie cyberpunk ?

En réalité, si l’on s’attarde sur la dimension «technologie et modernité » de la ville

intelligente , dimension qui comme on l’a vu précédemment est souvent trop mise en

avant au détriment des autres paramètres, on s’aperçoit très vite que les imaginaires

et les projections entourant ces concept sont révélateurs de nombreuses peurs, et

penchent souvent vers la paranoïa aigue, raison sans doute pour laquelle Samsung

a préféré rassurer ses consommateurs en utilisant une ville uniformisée et coquette

plutôt que de mettre en avant un prototype de ville du futur.

La technologie est en train de profondément modifier les interactions entre les

acteurs des villes (à défaut de modifier profondément leurs infrastructures) et

engendre une nouvelles condition urbaine, se caractérisant selon Robert David

Kaplan77 journaliste économique américain, par six facteurs, englobant autant d’effets

positifs que d’effets pervers.

1. Omniprésence des réseaux : les réseaux sont de plus en plus banalisés, au

sens où ils véhiculent indifféremment toutes sortent de contenu.

2. Internet des objets, autrement dit l’intelligence ambiante qui suppose

l’adjonction de puces aux objets, et donc l’enrichissement de leurs

interactions avec leur environnement.

3. Infrastructure informationnelle et le web sémantique : les données produits

par les objets intelligents sont potentiellement exploitables par les acteurs

privé ou publics. Quand au web sémantique, il permet la délivrance de

nouveaux services avec un impact sur la localisation de ces services

4. Tensions autour de la sécurité due au développement des TIC : risques de vol

des données numériques, peur que l’on utilise les TIC à des fins sécuritaires

(comme la vidéo-surveillance généralisée)

5. Risque de fracture numérique, géographique et générationnelle Ethique de

l’innovation : possible nécessité de mettre en place des mesures de protection

des libertés et des individualités, et d’un principe de précaution à l’innovation

numérique

77

D.Kaplan, Le territoire face aux nouvelles tendances technologiques, prospecTIC et territoires, conférence

Fing - octobre 2006.

Page 44: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

44

Si la technologie permet des avancées considérables, elle n’en demeure pas moins

inquiétante aux yeux de nombreux citoyens, journalistes, urbanistes et architectes :

Reprenant les travaux du critique d’architecture américain Paul Goldberger, Serge

Wachter s’interroge sur la montée de cet environnement saturé d’informations et de

signes numériques et ses effets néfastes sur l’espace public et en termes de

dissolution du lien social et des lieux.

« En prétendant libérer les acteurs sociaux des contraintes de l’espace et du

temps, les réseaux numériques l’enfermeraient, en réalité, dans une bulle

individualiste.(…) Cela a pour effet de désincarner ou de réifier les rapports

des individus à l’espace public. De fait, un risque se présente qui pourrait

amplifier un penchant pour des relations sociales de plus en plus virtuelles et

de plus en plus déconnectées des espaces publics et lieux traditionnels où se

construit l’urbanité. » 78

Outre cette peur de la déconnexion du réel , couplée à la crainte que les futures

générations n’envisagent les relations sociales que via leur amis virtuels, les craintes

faces à la technologies sont nombreuses, il suffit de lancer une brève recherche sur

internet pour s’en rendre compte : Les articles de presse, blogpost, threads dans les

forums et autres débats en lignes sont innombrables, et révèlent une inquiétude

certaine, doublée parfois d’une paranoïa digne de la science fiction dystopique

« Faut-il avoir peur de la vidéo surveillance ?79 » « Étude d'Avira :86% ont peur pour

la sécurité de leurs données 80» « La perte de données et le vol d'identité inquiète les

internautes81 » « Les puces RFID : ça fait peur 82» « Cartes de crédit sans contact...

78

La ville numérique : quels enjeux pour demain ? par Serge Wachter, le 28/11/2011

http://www.metropolitiques.eu/La-ville-numerique-quels-enjeux.html 79

http://m.gilles.free.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=241:faut-il-avoir-peur-de-la-video-

surveillance-&catid=41:democratie-locale&Itemid=65

80 http://fr.canoe.ca/techno/mediassociaux/archives/2012/05/20120531-111435.html

81 http://www.ti-exclusif.ch/Dossiers/Informatique/les-internautes-se-sentent-de-plus-en-plus-menaces-par-la-

perte-de-donnees-et-le-vol-didentite.html

82 http://blog.ramenos.net/general/les-puces-rfid-ca-fait-peur/

Page 45: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

45

et sans danger ?83 » « Faut-il avoir peur des nanotechnos ?84 » etc etc. Et pour

cause, quand on se penche sur les œuvres de science-fiction mettant en scène la

ville, la technologie semble toujours être à l’origine de créatures destructrices ou

être utilisée par des autorités malfaisantes pour contrôler l’humain, s’inscrivant dans

une vision d'un avenir désenchanté et aliéné aux progrès informatiques et

technologiques, condamnant les individus à des existences par procuration, ou

sordides.

Ainsi dans le film Matrix des frères Larry et Andy Wachowski85, « les champs des

corps humains » servent comme source d’énergie pour la ville des machines, les

humains étant connectés à « la matrice » un univers virtuel où ils pensent vivre, dans

le même genre Gravé sur Chrome 86de William Gibson raconte l’histoire deux

hackers, s’attaquant à Chrome, représentation virtuelle d'une entreprise totalitaire

maîtrisant tous les flux d’informations dans la ville.

Si les œuvres « Cyberpunk »87 ont autant d’impact sur l’imaginaire collectif de la ville

du futur c’est parce qu’elles évoluent dans une proximité temporelle avec le début du

xxie siècle : Les innovations technologiques présentées dans les films sont tout à fait

plausibles, et, plus troublant encore, certaines de ce projections imaginées dans les

années 1970-1980 sont devenues quasi réalisables ( la matrice ressemble beaucoup

à Internet et à la réalité augmenté, technologies qui n’existaient pas à l’époque) voire

prophétiques ( Les gynoïdes88, (robots-sexuels ayant l’apparence de femmes)

ressemblent aux robots prostitués dans le film A.I Intelligence Artificielle de Steven

Spielberg ou dans le manga Ghost in the Shell par Masamune Shirow)

83

http://affaires.lapresse.ca/finances-personnelles/bons-comptes/201102/11/01-4369454-cartes-de-credit-

sans-contact-et-sans-danger-.php

84 http://www.linternaute.com/science/technologie/dossiers/06/nanotechnologies/14.shtml

85 Toutes les références cinématographiques et littéraires sont répertoriées dans le corpus page 64.

86 Ibid

87Ibid

88 En juin 2006, Henrik Christensen du département Européen de recherché robotique déclarait “ les gens

auront des relations sexuelles avec des robots d’ici cinq ans », dans l’article « No sex please, robot, just clean the floor » publié par The Times (London). En réalité il n’aura même pas fallut cinq ans.

Page 46: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

46

Bien sûr on peut voir ici une limite à l’utilisation de l’imaginaire de la smart city :

Puisque la technologie en tant qu’outil mal utilisé ou mal maîtrisé inquiète les

citadins, les marques doivent s’aventurer sur ce terrain de façon prudente,

notamment en ce qui concerne l’utilisation des données, sous peine de voir leurs

actions perçues comme envahissantes, ou violant les lois de protection numérique.

Toutefois, certaines marques arrivent à réutiliser et réinventer les codes du

cyberpunk, en se plaçant cette fois comme « sauveurs providentiels » et ce grâce à

la technologie : Dans la publicité Verizon Motorola Droid Bionic – Arena89, une

humaine se bat contre un robot dans une ville futuriste, et gagne en retournant la

technologie de la marque contre lui.

On peut voir ici dans le détournement des codes cyberpunk un nouvel horizon créatif

où les marques ne joueraient plus un rôle antagoniste, mais au contraire un rôle

d’adjuvant. Si l’on revient à notre hypothèse initiale, il parait donc envisageable de

considérer que la ville intelligente constitue bel et bien une nouvelle forme d’horizon

créatif, limité toutefois par les craintes d’une réalité dystopique de l’autre. Afin de

contourner cette limite il reste toutefois possible pour les marques de participer à la

construction identitaire de la ville intelligente en restant bien ancrées dans des

problématiques présentes.

Les initiatives streetsmart ludique et astucieuses ou encore les services élaborés en

collaboration avec les citadins sont deux moyens d’innover, d’améliorer le quotidien,

et de rester en osmose avec les thèmes de la ville intelligente. La ville intelligente

constitue un horizon créatif immense aux possibilités quasi infinies, dans la mesure

o les marques se concentrent sur des projets d’aménagements urbains locaux et

concrets et ne se projettent pas dans des prospectives de villes futuristes ou idéales

et utopiques, qui pourraient être potentiellement jugées inquiétantes ou au contraire

irréalistes et naïves par les consommateurs.

89

Toutes les références publicitaires répertoriées dans le corpus page 65.

Page 47: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

47

En effet, concernant l’utopie, il est intéressant de constater que dans l’imaginaire

collectif, comme en urbanisme ou en philosophie, l’utopie est souvent considérée

comme un exercice d’imagination naïf, un projet idéal mais irréalisable qui ne prend

pas en compte le réel et les possibilités de concrétisation. Ainsi François Ascher90

déclare « La prospective est un art plus difficile que la prévision ou que l’utopie »

quand Armand Braun, prospectiviste et président de la SICS (Société internationale

des conseillers de synthèse) écrit : « L’utopie cherche à reconstruire à partir de rien.

Or, nous ne sommes pas de nulle part, nous avons une histoire biologique et une

histoire humaine. (…) Toute prospective se détache de l’utopie.»91 Si on revient sur

l’étymologie du mot, dans l’ouvrage Utopia de l’archevêque de Canterbury, Thomas

More, premier auteur a avoir donné un nom à ce genre en 1516, le nom grec topos

signifie « lieu » et « u » renvoie au préfixe privatif grec ou l’« utopie » désigne par

conséquent un non‐lieu, un lieu qui n’existe pas, un lieu imaginaire.

Dans une deuxième étymologie possible, si l’on retient non pas le préfixe « u » mais

« eu », « eu‐topos » signifie lieu heureux. L'utopie peut donc être définie comme un

lieu idéal imaginaire. Si l’on part du principe que l’œuvre utopique cherche à

produire un contraste, entre ce qui est, et ce qui pourrait ou devrait être, alors il faut

bien admettre que parfois la prospective urbaine incorpore de l’utopie, surtout quand

on touche à « la ville intelligente » : les possibilités créatives de la ville intelligente

sont souvent axées sur l’imagination plus que sur la réalisation ( ne demande-t-on

pas aux designers et consommateurs « d’imaginer » la ville ou les services du

futur ?) et ne tiennent pas toujours compte du réel, en particulier quand il s’agit de

prospectives axées sur la technologie, comme nous allons le voir à présent dans une

troisième et dernière partie.

90

La parabole des pratiques alimentaires, séminaire de prospective pour la cnaf, juin 2005. P111 91

http://www.prospective.fr/Bibliotheque/Les_mots_de_la_prospective.htm

Page 48: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

48

III. Limites et recommandations

A. Utopies techniques et réalités urbaines

Les « utopies techniques » qui caractérisent les nouvelles villes idéales se

proposent de régler les grands problèmes sociétaux à travers la technique (fusion

thermonucléaire, hydrogène, captation et stockage du CO2, thérapies géniques,

OGM, robotique de mobilité…) en sous‐estimant parfois les effets pervers de ces

solutions. Un de ces effets pervers consiste selon Rem Khoolas à oublier que

l’architecture n’est pas – ou n’est plus – une forme construite destinée à marquer son

temps et son milieu mais un service susceptible d’être ponctuel et temporaire, dans

un contexte particulier, adapté aux usages et aux besoins des citadins, dont la

signification se fait en réponse à un programme, contrairement à l’art “ Le magasin

incite à la vente, le bureau optimise le travail et l’église abrite le recueillement”.92

L’architecture numérique (c’est-à-dire incluant les technologies digitales dans la

conception des édifices) encourage de plus en plus la starisation des architectes et

la surenchère de l’exploit technique l’architecture devient centrée sur l’édifice,

l’architecte crée un bâtiment iconique, révolutionnaire, sans tenir réellement compte

de la façon dont la technologie pourrait révolutionner les usages, innovant mais sans

tenir compte de l’éthique de la conception et de sa conceptualisation.

Dans « La ville interactive » Serge Wachter qualifie ces édifices « d’autistic

buildings » : bien que pourvu de propriétés communicantes ils ne sont en réalité que

les symboles de la société du spectacle et ne servent pas concrètement à grand-

chose. De plus, quand on sait que le temps qu’il faut à une technologie pour devenir

obsolète est devenu extrêmement court, le risque est alors que ces bâtiments

fonctionnant grâce aux systèmes intelligents deviennent obsolètes très rapidement.

92

Esthétique : cahier de notes inédit de Victor Cousin, Hegel. éd. Alain Patrick Olivier, Paris, Vrin, 2005

Page 49: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

49

Cette problématique de la fracture des temporalités urbaines se retrouve également

au niveau des décisions des collectivités locales quand à l’installation de mobilier

urbain intelligent comme l’indique Jean-Philippe Clément chargé de mission TICC et

Innovation à la Mairie de Paris :

"Si elle décide de sa création et ses fonctions, une collectivité ne maîtrise pas

l'évolution potentielle d'un mobilier urbain pendant sa durée de vie souvent

longue (10, 15, voire 20 ans). A l'heure où le numérique induit des ruptures

technologiques tous les 3 à 5 ans, il est difficile de définir tous les dispositifs

présents et à venir que la ville souhaitera mettre en place dans son

développement numérique, dès la conception et le contrat initial du mobilier."93

De plus en plus "intelligents", les mobiliers urbains se sont vu attribuer de nouvelles

missions (Donner des prévisions météorologiques en temps réel, servir de guide

interactif pour les touristes etc.) en plus de celles pour lesquelles ils ont été crées (

Renseigner sur une direction, abriter les passagers attendant le bus, collecter les

déchets etc.) Depuis cette année dans le quartier londonien de la City des poubelles

intelligentes, équipées de bornes WiFi et d’écrans annoncent aux passant les

disponibilités des vélos Barclays, la météo du jour, ainsi que des alertes financières.

Au-delà d’un simple effet de mode, ces mobiliers posent la question de l’arrivée de

nouveaux usages, et des problèmes techniques qui y sont liés : Comment faire en

sorte de mettre en place des installations durables, mais dont la technologie de

pointe permettra de proposer des informations en temps réel ? Pour Jean Phillipe

Clément il s'agit pour la collectivité qui souhaite accompagner la mutation de l'espace

public hybride grâce au mobilier intelligent, de se laisser une « marge de

manœuvre », qu’il appelle une « servitude TICC »94 permettant de suivre l'évolution

des usages et supports technologiques matériels :

« Concrètement, une servitude TICC est un simple emplacement laissé libre à

l'intérieur d'un mobilier au moment de sa conception. Concernant l'accès, la

gestion et la valorisation de la servitude TICC, la collectivité reste maîtresse et

autonome vis-à-vis d'un éventuel concessionnaire ou d'un gestionnaire global. 93

http://fr.slideshare.net/AgentNumerique/revue-m3-article-mobilier-urbain-jpclement 94

technologies de l'information et de la communication et de la connaissance

Page 50: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

50

Le fait de se projeter et de s'ouvrir des perspectives indéterminées pourra

peut-être permettre demain d'innover et de désigner de nouveaux services

pour les usagers. »95

On retrouve ici la notion d’adaptation, primordiale dans la ville intelligente, ainsi que

la notion de sérendipité, essentielles en prospective urbaine, dans la mesure o l’on

considère que se sont les usages qui façonnent les villes. Deux exemples viennent

ici illustrer nos propos Lorsque JC Decaux a lancé Vélib’, le groupe n’avait pas

pensé à créer d’application mobile officielle. Très rapidement un développeur

indépendant a hacké la page web, et a crée sa propre application, générant ainsi un

nouveau service. Le groupe s’est par la suite ouvert à l’open data, prouvant sa

capacité d’adaptation aux usages et besoins. En 2011 la campagne Yahoo Stop

Derby en partenariat avec Clear Channel proposait aux habitants de San Francisco

de jouer à des jeux sur un écran tactile installé sur l’abribus en attendant le bus, les

points étant cumulés à l’échelle du quartier. Une initiative simple, ludique, et

ponctuelle, qui a ici permis à la marque de s’offrir de la visibilité mais également

d’améliorer son image en proposant une solution simple et efficace à une des

problématiques des usages citadin ; la diminution du temps d’attente perçu étant un

levier d’attractivité des transports publics.

Ces exemples s’inscrivent parfaitement dans une démarche d’agilité technologique

et d’ouverture vers des perspectives indéterminées décrites par Jean-Philippe

Clément la technologie et les datas peuvent être réutilisée à d’autres fins, et pour

d’autres marques ou projet encore inconnues lors de leur mise en place. Il ne faut

pas oublier qu’un véritable écosystème fluctuant de signes numériques en tout

genre tapissent désormais l’espace public, depuis les bornes des vélos en libre

service en passant par les téléphones mobiles, les passes de transports, mais

95 "Pourquoi et comment prévoir la création d'une servitude TICC dans les milieux urbains" présentation par

Jean Philippe Clément, chargé de mission TIC à la Ville de Paris

http://fr.slideshare.net/AgentNumerique/pourquoi-et-comment-prvoir-la-cration-dune-servitude-ticc-dans-les-

mobiliers-urbains#btnPrevious

Page 51: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

51

également les espaces publics, ou encore les façades d’immeubles le CityWall96 ou

la comme la Dexia Weather Tower97. Au-delà de la dimension spectaculaire ou

« gadget » qu’on peut leur prêter, ils possèdent une réelle utilité potentielle, comme

le rappelle Serge Wachter :

« Une rue est un objet technique, une infrastructure matérielle, mais elle est

aussi, dorénavant, une infrastructure numérique et informationnelle. Elle abrite

et condense des nuages de données. Ainsi, les murs et autres surfaces

peuvent potentiellement devenir des écrans et afficher des informations, des

images, des couleurs qui communiquent et interagissent avec ceux qui

passent devant eux. Des lieux peuvent se voir « tagués » numériquement par

ceux qui les visitent, laissant ainsi commentaires, annotations et impressions

aux visiteurs et passants suivants»

Ce système des médias urbains est catégorisé par Bruno Marzloff comme le

système du 5ème écran98, un système technique où les écrans traditionnels échangent

entre eux au sein d’un nouvel écosystème permettant l’action dans l’espace public,

avec le mobile comme pivot et le réseau internet comme le lien. Il explique que dans

ce cas de figure « Le citadin lambda devient un média, un producteur d’information,

et les prestataires de la ville (transport, afficheurs, services publics, etc.) deviennent

les fournisseurs de nouveaux services urbains. » ( Il est d’ailleurs intéressant de

96

Le City Wall, à Helsinki, est un écran urbain interactif et tactile dont le contenu est organisé sur une «

timeline », c’est-à-dire une carte temporelle qui permet de visualiser des manifestations sur une échelle des

temps. On trouve sur cet écran public des informations relatives aux festivals, aux représentations ou encore

aux événements sportifs qui se déroulent dans ou autour de Helsinki.

97 Cette tour construite à Bruxelles propose la météo du lendemain grâce à ses 4 200 fenêtres équipées de LED

qui, grâce à un code couleur, deviennent source d’information.

98 Le premier écran dynamique dans l’histoire des technologies est public et extérieur, c’est le cinéma. Le

deuxième écran, la télévision, reste collective mais n’est plus public. Le troisième écran est personnel, c’est

l’ordinateur. Il signe le renversement d’un mode collectif à un mode personnel (PC : personal computer).Le

quatrième écran est le téléphone mobile et ses diverses déclinaisons. Il est sur soi, intime, quasiment le

prolongement de la main. L’étape suivante est celle où les écrans échangent entre eux au sein d’un nouvel

écosystème, le 5eme écran.

Sources 86,87,88 : Le 5eme écran, les médias urbains dans la ville 2.0, Bruno Marzloff, editions FYP.

Page 52: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

52

constater qu’au moment ou Marzloff a écrit son livre, il n’a pas inclus les marques

dans cette liste de prestataires, prouvant que cette évolution est récente, et en

cours.)

Les écrans, ubiquitaires et présents dans la ville sous de multiples formes

(téléphones mobiles, passes de transports, façades etc) se font l’écho de la ville, de

ses évènements, publics ou privés, de son rythme, se faisant tour à tour médias,

crieurs de la place publique, producteurs d’informations ou producteurs de services.

Les données entrantes sont déclinables et modifiables à l’envie, induisant par

conséquent une collecte quasi infinie de différentes formes de données de sortie. La

fluidité, le mouvement perpétuel intrinsèque et la polyvalence des écrans en font des

outils facilement utilisables par les marques, dans la mesure où elles peuvent gérer

facilement les input/output quasiment au jour le jour.

Toutefois il est également important pour les marques (et les collectivités locales) de

garder à l’esprit que chaque habitant doit pouvoir « vivre sa ville » en mode

déconnecté s’il le souhaite. Si le numérique peut offrir un plus, son absence ne doit

pas générer un handicap. Les applications et services proposés via les smart card,

smart phone, smart cars, smart screens, mis en place par de nombreuses villes

appellent à des capacités cognitives et à un capital social qui n’est pas toujours

détenu par les utilisateurs et sans connaissances il est alors impossible de s’en

servir. Outre la limite de l’obsolescence des technologies, se pose donc la limite de

la maîtrise des technologies : La solution pour les marques et les villes pourrait

provenir de l’innovation ouverte, où les entreprises, acteurs publics et individus

deviennent les co-auteurs des réponses à leurs besoins.

Page 53: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

53

B. La ville comme plateforme d’innovation ouverte pour les

marques

Une plate forme d’innovation ouverte, qu’elle soit annoncée comme telle, comme

celle mise en place par le Living Lab de Montréal pour Bixi, ou qu’elle soit

« déguisée » en concours comme le projet open app par Transilien, permets de

favoriser l’éclosion d’idées innovantes, donne la possibilité à tous de participer, de

façon active ou fortuite, et d’être certains que les usagers comprennent et maîtrisent

les technologies, dans la mesure où se sont eux qui les proposent. De même,

l’innovation ouverte permets d’éviter les dérives de l’architecture ou de l’urbanisme

numérique, en s’assurant que les propositions communicantes correspondent

réellement à des usages et des besoins, et non pas uniquement à un désir égoïste

de créer une infrastructure innovante pour la « beauté du geste ». Dans La ville 2.0,

plateforme d’innovation ouverte99, Daniel Kaplan et Thierry Marcou, expliquent que si

la ville se vit comme une plate-forme d’innovation ouverte, elle a des chances d’être

plus attractive, de se transformer en profondeur, en devenant plus durable, plus

vivante et solidaire. Selon eux une nouvelle et récente dynamique d’innovation

urbaine est en train de naître, basée sur une énergie collaborative « public-privé-

citoyen ».

Ils expliquent qu’une des premières raisons qui poussent les villes à innover est bien

sûr de répondre aux attentes des citoyens et proposer des réponses neuves aux

tensions urbaines d’aujourd’hui (compétitivité et exclusion, développement durable et

mobilité, individualisation des modes de vie et identité collective) Toutefois face au

manque d’action de certains acteurs publics, les villes et les quartiers ont vu naître

avec l’implémentation du web 2.0, la multiplication de centaines d’initiatives

individuelles, entrepreneuriales ou associatives, s’employant à résoudre ses

problèmes à une échelle locale (comme les applications Fixmystreet ou Beezcity

citées dans la deuxième partie) prouvant que les acteurs privés et les citoyens

désirent réellement être impliqués dans l’innovation urbaine. La seconde raison

majeure listée par les auteurs est le besoin des villes de rester compétitives et

attractives, afin de renouveler constamment leur vivier de talents et entreprises :

99

La ville 2.0, plateforme d’innovation ouverte, Daniel Kaplan et Thierry Marcou, éditions FYP.

Page 54: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

54

Aujourd’hui, la compétitivité des entreprises ne repose plus sur leur capacité

de réduire les coûts (tout le monde le fait) mais sur celle d’innover en

permanence, de redéfinir sans cesse leur propre marché ou de reprendre de

l’avance sur leurs concurrents à chaque moment. C’est aussi le cas des villes,

qui sont elles-mêmes en concurrence les unes vis-à-vis des autres pour attirer

les activités et les talents.

Ainsi en Amérique du Nord, l’innovation et la créativité sont souvent conçues comme

résultant des activités économiques des acteurs privés et publics (tandis qu’ en

Europe, la capacité innovatrice est encore souvent uniquement associée aux acteurs

publics) comme en témoigne par exemple les propos du Maire de Toronto,

David Miller, lors de l’ouverture de la semaine de la créativité et de l’innovation en

2005

« Le potentiel créatif illimité de tous est l’une de nos plus abondantes

ressources encore sous-exploitée. Elle devrait être nourrie, reconnue et

encouragée. La créativité (…) aide les gens à développer de nouvelles

perspectives, à voir de nouvelles possibilités de choisir et prendre de

nouvelles décisions, donnant ainsi à chacun les potentialités lui permettant

d’améliorer sa vie et sa communauté (…) » 100

Toutefois il faut garder à l’esprit que ce n’est pas la créativité en elle-même qui

explique entièrement le dynamisme économique des villes, comme a pu l’écrire par

exemple l’auteur américain Richard Florida101, mais le niveau d’éducation et le capital

humain de leurs habitants.

100

City of Toronto, 2005, cité dans Grundy, Boudreau, 2008, p. 352 101

L’ouvrage de Richard Florida The Rise of the Creative Class affirme que la capacité de développement

économique des villes dépend de la place qu’y occupe la “classe créative” : “scientifiques, ingénieurs, professeurs d’université, romanciers, artistes, gens du show-business etc.” et professionnels des secteurs “à forte intensité de savoir” (nouvelles technologies, finances, conseil juridique, etc.). Cinq indices permettent de définir une ville créative : indices de haute technologie (pourcentage d’exportation des biens et services liés à la haute technologie), d’innovation (nombre de brevets par habitant), de gays, comme représentatifs de la tolérance (pourcentage de ménages gays), de “bohémiens” (pourcentage d’artistes et de créateurs) et de talent (pourcentage de la population ayant au moins le baccalauréat).

Page 55: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

55

Les profils créatifs (gays, « hipsters », artistes) qui contribuent selon Florida à la

croissance des villes grâce à leur personnalité ouverte, tolérante, avant-gardiste et «

cool » détiennent en réalité bien souvent un capital humain élevé, et un niveau

d’éducation supérieur à la moyenne. Dans la mesure où on considère que les

entreprises innovantes réalisant d’importants profits apportent indéniablement un

dynamisme et des capitaux aux villes en attirant les classes supérieures et créatives

( créatives par leur profession et non pas leur personnalité) il est donc logique

d’envisager l’innovation ouverte comme solution aux problèmes urbains. Les villes

peuvent trouver un intérêt à s’allier aux entreprises privées dans la mesure o elles

détiennent des capitaux, mais également dans la mesure où ces capacités de

financement et d’investissement des entreprises privées attirent d’avantage les

chercheurs et les scientifiques que les institutions publiques.

De leur côté, les entreprises privées trouvent dans cette alliance une crédibilité et un

soutient auprès des citoyens, qui pourraient être potentiellement inquiets d’une «

externalisation » des tâches des collectivités locales. L’innovation ouverte, à

condition qu’elle regroupe public-privé et citoyens permets aux différents acteurs des

villes de s’improviser consultants en innovation urbaine, en utilisant les notions de

dialogue, proximité et participation que nous évoquions dans la seconde partie, mais

permettent surtout de faire en sorte que le projet reçoive la validation et l’approbation

des usagers ou des citadins, évitant ainsi les détournements, les critiques et la

mauvaise presse.

C. Hacking urbain, détournement urbain et détournement de

valeurs :

Lorsque BMW a lancé son projet Living Lab, la marque a omis de demander l’accord

et l’avis de la population, et bien qu’elle ai reçu l’appui de la municipalité le projet a

reçu de vives critiques. Cette presse négative aurait pu être évitée si le groupe avait

pris la peine de consulter le public, ou si tout simplement elle avait supporté son

opération par davantage de relations publiques, par le biais de la presse ou d’internet

par exemple. Bien que la ville comme médias puisse, on l’a vu, constituer un

formidable moyen de renouveler les moyens d’actions et l’image des marques,

Page 56: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

56

celles-ci ne doivent pas oublier que le renouvellement des moyens de

communication ne doit pas signifier un changement radical.

Les marques ne doivent pas s’affranchir des canaux traditionnels de communication

telles que les relations publiques ou les communiqués de presse, au contraire, ceux-

ci doivent venir supporter les initiatives, afin de les rendre plus convaincantes, plus

médiatisées et plus transparentes. Plus que jamais la communication intégrée

s’impose, lorsque communications hors médias, technologiques et traditionnelles

convergent.

Si les initiatives utilisant la ville comme média continueront de s’améliorer, d’évoluer

et de s’affirmer comme un outil de communication incontournable, pour en tirer

pleinement profit, les compagnies doivent toutefois garder à l’esprit que si elles

n’arrivent pas à établir un lien avec les membres du public cible, elles ne

communiquent pas vraiment. Il est nécessaire de trouver le bon équilibre entre

l’utilisation des nouveaux outils de communication dans la ville-média et celle des

médias plus traditionnels, et des choix en fonction de la situation, du public cible et

des résultats souhaités.

Il faut bien garder à l’esprit que la publicité dans les villes, sous toutes ses formes,

subit de vives critiques, notamment en ce qui concerne la saturation visuelle de

l’environnement, les réticences à son encontre ne se situant pas uniquement auprès

du grand public mais également à une échelle institutionnelle : En témoigne depuis

le 31 janvier 2011 un décret paru au Journal officiel dans le cadre du Grenelle visant

à faire disparaître les panneaux publicitaires ( affichage et numérique) des villes,

avec l ‘appui de l’ancienne ministre de l'écologie, Nathalie Kosciusko-Morizet qui

déclarait alors : "La fin des couloirs publicitaires dans les entrées de ville est en

passe de devenir une réalité. (...) Cette réglementation va enfin stopper la lente

dégradation de nos paysages urbains et péri-urbains et améliorer notre cadre de vie

et l'image même de nos villes".102

102

Toutefois en mai 2012 grâce au recul du gouvernement sous la pression des lobbies, les afficheurs ont

obtenu un délai de six ans au lieu de deux pour se mettre en conformité avec tout nouveau règlement sur les panneaux de publicités.

Page 57: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

57

Paradoxalement, en voulant éviter de s’inscrire dans les supports traditionnels qui

peuplent les villes, en implantant des projets trop « marketés » et jugés non

désirables ou superficiels (Comme les vélos Bixi portant les logos Telus ou

Desjardins ) par les citadins, les marques ne font que renforcer cette impression de

congestion de l’espace urbain, elles viennent superposer le discours sur la multitude

d’autres discours publicitaires contenus dans les panneaux d’affichages, sur les

carrosseries des bus, etc.. Cette superposition naturelle de valeurs et de messages

dans l’espace urbain est d’ailleurs à l’origine de multiples détournements,

technologiques et urbains, deux paramètres qui prouvent la capacité d’adaptation et

la forme d’agilité qui caractérisent les villes intelligentes. En 2007, le vendredi 30

novembre, Act Up-Paris détourne le système Vélib’ et recouvre les vélos de protège-

selles roses dans lesquels sont glissés un préservatif, avec l’inscription « et vous,

vous faites quoi pour vous protéger ? » afin d’informer les citoyens de l’ampleur de

l’épidémie de sida à Paris. Si le but de la campagne guérilla d’ Act Up est louable, on

peut toutefois se demander quelle aurait été la réaction de JC Decaux si un autre

annonceur s’était servi du support médiatique que représentent les vélos à d’autres

fins commerciales lucratives.

Rappelons que chaque année le groupe verse une somme importante pour

l’entretient et le droit d’installer le service dans la ville, ce qui équivaut finalement à

un achat médias, et que par conséquent ce qu’Act Up a réalisé s’apparente à de

l’ambush marketing103, ce qui est considéré comme illégal aux yeux de la loi. Si

l’afficheur a fermé les yeux cette fois ci, nul doute qu’une initiative similaire non

affiliée à un organisme caritatif ou humanitaire se verrait poursuivie en justice.

Toutefois, cette menace n’effraie pas toutes les marques, et quand bien même elles

seraient poursuivies, il serait déjà trop tard et leur détournement créeraient sans

aucun doute un buzz qui les serviraient.

103

L’ambush marketing (anglicisme signifiant littéralement « marketing en embuscade ») est l'ensemble des

techniques de marketing utilisées par une marque ou une entreprise pour se rendre visible mais sans avoir versé l'argent nécessaire pour devenir commanditaire ou annonceur.

Page 58: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

58

Plus récemment la RATP ouvrait ses premiers comptes Twitter dédiés aux lignes de

métro 1, 4, 12 et 13, censés permettre aux usagers de suivre en temps réel le trafic

sur leur ligne. Toutefois la RATP avait oublié de réserver les comptes Twitter pour

les autres lignes, et très vite des utilisateurs ont crées des comptes parodiques pour

les autres lignes, o l‘humour satirique était révélateur de ce que la plupart des

usagers pensent de l’état des lignes et de leurs nombreux incidents quotidiens.

Si les comptes ont été très vite désactivés, la RATP a eu l’intelligence de bien

réagir en créant un Tumblr nommé le Hall of Fake104, reprenant les meilleurs tweets,

dont les deux ci dessous :

Il est d’ailleurs intéressant de constater que les community managers de la RATP, en

faisant preuve d’auto-dérision, ont réussi à en quelque sorte « détourner le

détournement ». Cette capacité à s’adapter, à rebondir, à saisir l’opportunité du

moment présent représente une parade que les marques se doivent de maîtriser.

Dans la mesure où reprenant les théories de Mc Luhan on déclare que si la ville est

un média, et que le média c'est le message, à partir du moment où les marques ne

maîtrisent pas pleinement le média, elles ne maîtrisent pas leur message et donc

leur communication. Une solution pourrait alors être pour les villes d’adopter un

système similaire au community management afin d’avoir une interface entre le

public, la ville et la marque.

104

http://ratp-hall-of-fake.tumblr.com

Page 59: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

59

La ville, comme tout hors-médias basé sur le bouche à oreille échappe plus ou

moins à un contrôle total. (Voir le schéma dans la première partie) Tout comme

internet et les réseaux sociaux, la ville se révèle être un support en mouvement

constant, et nécessite par conséquent une présence, une vigilance constance. Ce

mouvement permanent des villes intelligentes permet d’ailleurs de dépasser les

morphologies urbaines préexistantes en détournant, en hackant l‘espace Qu'il

s'agisse d'occuper l'espace inoccupé par les voitures (les parklets), de créer des tiers

lieux éphémères ou mobiles en s’inspirant de la culture hacker, ou de détourner

des containers inutilisés, on trouve de multiples initiatives ludiques ou fonctionnelles

menées par des individus, des collectivités ou des marques révélateurs de cette

agilité créative.

Page 60: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

60

Partant du postulat que si tout ce qui relève de la technologie tend à se banaliser

rapidement grâce au développement accéléré des performances dans ce secteur,

François Ascher explique que cela donne en contre partie « une valeur économique

et symbolique accrue à tout ce qui ne télécommunique pas, à ce qui se touche, se

sent, se goûte, se vit dans le face-à-face, en direct. » Le hacking urbain, reprends les

codes de la culture du hacking, en améliorant par petites touches le quotidien de ses

habitants en détournant les objets et mobiliers de leurs fonctions premières, en les

transformant ou en les recyclant, souvent dans un but aussi ludique que fonctionnel.

Au-delà de « bidouillages » opportunistes, il faut voir dans ses installations de

véritables inspirations pour les marques, en terme de design et de conception de

nouveaux mobiliers, mais également de potentiels supports de communication

véhiculant des valeurs positives et un message concret : Lorsque Volkswagen,

installe un toboggan dans les escaliers d’un métro berlinois, ou des escaliers-piano

en Suède, la marque réponds à des usages et des attentes existantes et concrétise

physiquement le message porté par sa campagne « Fun Theory » A l’inverse d’une

opération de guérilla marketing, l’installation apporte réellement une plus-value à

ceux qui l’utilisent. Les toboggans auraient ainsi changé la routine quotidienne de

ceux qui les ont essayés, convaincant les usagers de prendre les escaliers plutôt que

les escalators, ou apportant un peu de gaité dans la glissade durant un moment de la

journée jugé difficile et morne par de nombreux usagers des transports en commun.

La tendance du pop-up, que l’on a d’abord pu observer dans l’industrie de la vente,

se déploie désormais dans l’ensemble de l‘espace urbain de la ville intelligente, que

ce soit à travers un musée temporaire et intéractif (Le musée Pampero) , un lieu de

restauration mobile communiquant via les réseaux sociaux (Kogi Korean BBQ à Los

Angeles) ou un mobilier modulable et intelligent ( Le principe des servitudes TICC ou

encore tout simplement la table en kit) Temporaires, réutilisables, recyclés ou

recyclables les « pop up » permettent d’économiser les coûts fixes liés à la location,

à l’achat et à l’entretien, mobiles et modifiables ils peuvent être déplacés là o se

trouve la clientèle désirée, s’adaptent facilement à différents produits, services et

environnements, ce qui leur confère une qualité de renouveau perpétuel.

Page 61: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

61

Si les marques ne peuvent totalement maîtriser totalement la ville, elles peuvent en

revanche s’approprier ses codes, ses particularités, ses installations, et en se

montrant aussi agiles et réactives, arriver à proposer des solutions, et des services

ponctuels, ré-ajustables ou réutilisables. Il s’agit ici de ne pas oublier que se sont les

usages, et les usagers qui font la ville en aménageant des politiques d’innovation

ouverte, ou du moins des propositions axées sur « les découverte heureuses » et a

sérendipité. Chaque action mise en place doit l’être en prenant en compte le

caractère mouvant et fluctuant des villes et de leurs installations, afin qu’ainsi les

marques puissent réagir à chaque réaction, critiques ou réappropriation des citadins,

et utiliser le puissant levier du earned media à des fins constructives et profitables à

tous.

Page 62: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

62

CONCLUSION

Tout au long de ce mémoire nous avons dit, et répété à quel point il est important

pour nos marques souhaitant s’intégrer dans la ville intelligente de se placer dans un

angle de prospective urbaine réaliste et servicielle. Pour reprendre Françoise Choay,

Il est indispensable « de récupérer la réalité, le concret, (…) afin d'échapper à

l'illusion et à l'illusoire! Il ne faut pas voir cela comme une limite, mais plutôt comme

une contrainte posant un cadre au champ d’action des marques, leur permettant de

savoir si leurs actions sont légitimes et utiles. On l’a vu l’innovation ouverte, le

partenariat avec les collectivités locales ou le détournement urbain sont autant de

façons de communiquer en répondant aux nouveaux usages et comportements

dans la ville intelligente. »

La ville intelligente peut être considérée comme un horizon créatif dans la mesure

où les marques n’essaient pas de construire une ville idéale, mais au contraire

chercher à améliorer l’existant, sans imposer leur présence pour autant. Dans la

mesure o l’on considère que l’ une des principales raisons poussant les marques à

communiquer à travers la ville est la volonté d’éviter les écueils des supports

traditionnels de communication, il est évident que l’investissement urbain se doit

d’être discret, validé, sinon toléré par les citoyens.

Les marques auront beau investir des millions pour proposer des solutions futuristes,

l’horizon créatif conféré par la ville intelligente se limite toutefois à un futur proche et

anticipé : Il ne faut pas oublier que l’urbanisme au XXème siècle n’est pas une

réponse nouvelle à de nouveaux problèmes mais des reprises, des répétitions de

configuration discursives inconscientes nées au siècle précédent.105 En d’autres

termes l’architecture et l’urbanisme répondent à nos problèmes présents, et

n’anticipent pas les problèmes futurs.

105

Françoise Choay, l’urbanisme, utopie et réalité : une anthologie.

Page 63: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

63

Dans son anthologie Françoise Choay énumère d’ailleurs une liste de thèmes

récurrents, revenant d’un auteur à ‘autre, d’un siècle à l’autre : P.J Proudhon, Jules

Vernes, Victor Hugo, Martin Heidegger ou encore Kevin Lynch, tous ces

« penseurs » de la ville ont tous abordé les mêmes thèmes dans leurs ouvrages, à

savoir l’hygiène, l’habitat individuel, les espaces verts, la mobilité, le rapport à

l’esthétique et à la lisibilité.

Selon elle l’auteur le « plus fin, le plus actuel, le plus interrogateur est

incontestablement Victor Hugo » parce que justement il n’inventait pas une nouvelle

réalité, mais proposait des solutions concrètes. A l’inverse elle décrit Le Corbusier

comme un architecte anachronique : Selon elle, à force de vouloir utiliser la science

dans une démarche architecturale utopique, (notamment pour La Ville radieuse, qu'il

imagine en 1935) Le Corbusier a cessé de se préoccuper de la réalité et est devenu

« en retard par rapport aux attentes des citadins et au développement de l'économie

et des innovations technologiques. »

A partir du moment où les acteurs privés et publics intègrent ces dimensions, chacun

peut trouver son compte dans la mise en place d’initiatives communes. Pour les

marques, la ville intelligente comme plateforme d’innovation ouverte permets un

auto-renouvellement interne et externe, en termes d’image, de positionnement et de

production de bien ou de services. Par auto-renouvellement interne on entend ici un

renouvellement par l’amélioration de l’organisation de l’innovation des entreprises et

des conséquences qui en découlent, que cela soit à travers une démarche

d’innovation interne (activité interne de recherche et développement ) ou externe (

démarche d’innovation ouverte faisant intervenir de nouveaux acteurs dans le

processus tel que des chercheurs ou des artistes mais aussi des agences de

communication, des citoyens etc.)

Page 64: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

64

Utiliser la ville intelligente comme plateforme de communication ou d’innovation sert

ainsi de levier aux marques pour :

- Accroitre la dynamique de leur activité interne de recherche et

développement leur permettant la commercialisation de futurs biens ou

services.

- Elaborer de nouvelles campagnes de communication innovantes.

- Faire « sortir » les innovations internes qui ne sont pas utilisées, par

l'intermédiaire de publications, bases de données, brevets etc. qui pourront

être repris et utilisés par d’autre chercheurs, journalistes et universitaires, leur

assurant un retour en terme de notoriété, d’image ou de bouche à oreille.

En outre, dans une démarche d’innovation ouverte, l’entreprise a besoin de porte-

paroles et d’attachés de presse qui vont faire connaître l’initiative et les thématiques

d’innovation à l’occasion d’événements, de conférences ou de workshops. La mise

en place de ce réseau de porte-paroles est une fois un plus un moyen d’améliorer

l’image, la notoriété et la visibilité des groupes.

Outre cet auto-renouvellement interne, on observe également un auto-

renouvellement externe, issu de la mise en place des services, des biens ou des

outils dans la ville. On l’a vu, ce sont les usages qui font la ville. Potentiellement,

chaque nouveau service, solution ou expérience nouvellement crées dans les villes

peuvent donc engendrer de nouveaux usages sur lesquels les acteurs privés et

publics peuvent rebondir pour de nouveau proposer des réponses à ces besoins,

créant ainsi une sorte de cercle d’innovation vertueux. Cela implique également que

l’on agisse en mettant les principes d’agilité et de sérendipité en avant lors du

processus de création : Toute installation doit être conçue de façon à pouvoir être

réutilisée, détournée ou recyclée opportunément, sous peine de devenir rapidement

obsolète.

Page 65: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

65

Le potentiel de créativité renouvelée des villes intelligentes représente un intérêt

indéniable pour les marques, mais également pour les villes elles-mêmes : On l’a vu,

il est important pour elles de se renouveler afin de rester compétitive et attractives,

mais également afin de trouver de nouvelles ressources en capitaux humains et

financiers. C’est justement cette dimension globale de renouvellement qui a motivé le

choix du sujet : Le thème de la ville intelligente et des marques a globalement peu et

traité (voire pas été traité du tout) d’un point de vue académique, pourtant il semble

que du point de vue de la théorie communicationnelle il y ait beaucoup à dire sur le

sujet dans la mesure où on considère la ville comme un média. On pourrait donc au

cours d’une prochaine réflexion, traiter le sujet sous l’angle du renouvellement des

supports médiatiques de la ville, et d’envisager ainsi que la ville intelligente constitue

une nouveau moyen pour les agences médias et de communication de se

renouveler.

On l’a vu, la ville ne peut être totalement maîtrisée, les marques ont besoin

d’accompagnement stratégique afin d’éviter le détournement, la saturation, le «

brouillage des valeurs ». Les agences de communications pourraient voir dans cet

« accompagnement » de nouvelles opportunités de travailler avec les marques en

proposant des services tels que le community management urbain, du consulting ou

encore des relations publiques spécialisées. (Que nous évoquions quelques

paragraphes plus haut en tant que « porte-paroles »des groupes) Cette étape est

déjà en train de se mettre en place doucement, ainsi l’agence June 21 a mis sur pied

le concours Transilien Open App relayé par une campagne médias, alors qu’elle

aurait pu proposer une campagne classique uniquement avec des médias

traditionnels.

On pourrait envisager que dans l’avenir les métiers de planeur stratégique et

consultant stratégiques s’ouvrent à l’urbanisme (ou que l’urbanisme s’ouvre au

planning stratégique c’est selon) comme c’est déjà le cas avec l’architecture. Dans

ce cas de figure, le planeur vient légitimer l’extension des compétences de l’agence

de communication vers l’architecture classique par ses connaissances en branding,

ses capacités à créer un argumentaire de vente et sa vision d’une stratégie de

communication globale. Steven Somogyi, chargé de projet chez Sid Lee

Page 66: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

66

architecture106 raconte que le planeur possède l ‘d’envisager l’espace du point de

vue de la marque, habileté que ne possèdent pas forcément les architectes. On

pourrait également supposer que ces qualités soient légitimes dans le cas d’une

ouverture à l’urbanisme, o dans le cas de la mise en place d’une campagne

publicitaire ou d’une plateforme innovation ouverte ou les stratèges seraient invités à

aider les marques.

Il se dégage en définitive de nouvelles questions, concernant le rôle à jouer des

agences de communication. On l’a vu, la mise en place de solutions ou d’installations

urbaines, implique l’imagination, l’idéation, la création, le design de l’expérience, puis

sa communication, sa promotion. Les agences de communication polyvalentes,

auraient donc tout intérêt à suggérer de telles pratiques aux marques, dans la

mesure o elles seraient capables d’intervenir à toutes les étapes. Certaines

agences comme Wieden + Kennedy, l’agence du groupe Nike utilisent ces

mécaniques depuis plusieurs années déjà : Ainsi la plateforme en ligne Nike + se

déploie peu à peu dans la ville, de façons concrète, les produits permettant de

mesurer ses performances de course, et surtout de les comparer à celles d’autres «

joueurs » en ligne, un paramètre qui a été plébiscité par les consommateurs eux-

mêmes.

Tout comme les innovations en matière d’interactivité et de publicité digitale

influencent les innovations architecturales (en particulier sur les points de vente), on

est donc en droit de se demander si l’innovation dans l’urbanisme des villes

intelligentes pourrait provenir de la publicité et des marques dans la mesure où les

communicants portent un regard sur l’espace urbain très différents de celui des

urbanistes.

106

Sid Lee est une agence de communication basée à Montréal possédant une antenne d’architecture dans laquelle des planeurs travaillent de concert avec des architectes. L’entretien de Steven Somogyi est disponible dans le mémoire « Le développement du planning stratégique appliqué à l’architecture commerciale en réponse aux transformations médiatiques »

Page 67: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

67

Dans la dernière campagne « Game on world », en exploitant à la fois des

imaginaires issus de la culture pop (présence de l’acteur Ving Rhames célèbre pour

son rôle dans Pulp Fiction ), geek (les références aux jeux vidéos comme Mario) et

street, ( le basketball de rue ou le parkour 107) et en actionnant diverses mécaniques

comme le data et la gamification, Nike façonne une nouvelle perception de la ville,

plus ludique, plus fluide. Si la campagne se déroule dans une ville virtuelle, elle se

prolonge en revanche de façon physique dans les villes bien réelles, à travers le

produit, le bracelet Fuelband (permettant de mesurer la course) mais également

online, sur la plateforme Nike + et sur les réseaux sociaux où les consommateurs

sont invités à analyser et partager leurs résultats.

On trouve dans cette campagne de nombreux insights concernant les attentes des

joggeurs et des sportifs urbains en matière de contrôle des performances et des

résultats, tout en maintenant la compétition ludique et sociale. Par déduction il est

donc possible d’imaginer les améliorations à envisager pour parfaire les

infrastructures sportives de la ville, et en ce sens on peut réellement dire de cette

campagne qu’elle est inspirante aux yeux des urbanistes.

107

Le parkour est une discipline physique consistant à transformer des éléments du milieu urbain ou rural en obstacles à franchir. Le but est de se déplacer d'un point à un autre de la manière la plus naturelle, fluide et efficace possible.

Page 68: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

68

Il semblerait donc que les agences ayant compris comment combiner la capacité de

leurs services stratégique à appréhender les évolutions et attentes de la société avec

leur maîtrise du branding, des infrastructures digitales et des techniques de

communication puisse trouver rapidement de nouvelles opportunités de travailler

avec les marques et de se déployer dans les villes intelligentes, pourvu que les

citadins revalorisent leurs actions ou du moins apprennent à y voir des services et

des expériences plaisantes à défaut d’être utiles.

Page 69: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

69

BIBLIOGRAPHIE

OUVRAGES ET PUBLICATIONS

Communication, société et médias :

Hyperpublicitarisation et dépublicitarisation : Métamorphoses du discours des

marques et gestion sémiotique. Caroline de Montety et Karine Berthelot

Guiet,in La publicité d’aujourd’hui. Discours, formes et pratique , Revue du

CIRCAV, Paris, L’harmattan, pp.63-78. 2008.

Le cerveau planétaire, Joël de Rosny ,Editions Olivier Orban, collection

Points, 1986, p.11.

Pierre Berthelot, Les médias magasins : du prétexte à l'implication. in:

Communication et langages. N°146, 4ème trimestre 2005. pp. 42-43.

Institut Paul Bocuse, Cycles de conférences « Grands Témoins » sur le thème

de « l’hypermodernité », Extrait de la conférence de Gilles Lipovetsky - 4

octobre 2010.

Architecture et urbanisme :

Los angeles : The architecture of the four ecologies, Reyner Banham, p17-35,

2000

Great leap forward – Harvard Design School Project on the City, New York ,

Rem Khoolas, Taschen, p. 124-140.

Smart Cities and the Future Internet: Towards Cooperation Frameworks for

Open Innovation. Hans Schaffers, Annika Sällström, Marc Pallot, José M.

Hernandez-Muñoz, Roberto Santoro, Brigitte Trousse In: The Future Internet.

Future Internet Assemby 2011: Achievements and Technological Promises,

pp 431-446.

Claude Chabine Les villes nouvelles dans le monde

Françoise Choay l’urbanisme, utopies et réalité, une anthologie

Page 70: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

70

D.Kaplan, Le territoire face aux nouvelles tendances technologiques,

prospecTIC et territoires, conférence Fing - octobre 2006.

Sciences humaines et sociales appliqués à l’urbanisme :

Pourquoi la ville sera servicielle ? Bruno Marzloff. Texte publié sur le site de

Millénaire 3, le centre de ressources prospectives du Grand Lyon.

Organiser la ville hypermoderne - François Ascher, grand prix de l'urbanisme

Ariella Masboungi , Olivia Barbet Massin, 2009,Broché

Le 5eme écran, les médias urbains dans la ville 2.0, Bruno Marzloff, editions

FYP.

La ville 2.0, plateforme d’innovation ouverte, Daniel Kaplan et Thierry Marcou,

éditions FYP.

La ville interactive - L'architecture et l'urbanisme au risque du numérique et de

l'écologie, de Serge Wachter ; L'Harmattan

The Rise of the Creative Class, Richard Florida

ARTICLES ET BLOG POST

De la smart city à la « clever city » : la boîte à outils de la ville astucieuse

(Angers Technopole), Philippe Gargov, http://www.pop-up-urbain.com

« Pourquoi et comment prévoir la création d'une servitude TICC dans les

milieux urbains » présentation par Jean Philippe Clément, chargé de mission

TIC à la Ville de Paris http://fr.slideshare.net/AgentNumerique/pourquoi-et-

comment-prvoir-la-cration-dune-servitude-ticc-dans-les-mobiliers-

urbains#btnPrevious

Bixi: la pub qui dérange... dérange. Les affiches vandalisées causent des

maux de tête à Desjardins, Fabien Deglise, Le Devoir, mai 2011.

http://www.ledevoir.com/politique/montreal/323220/bixi-la-pub-qui-derange-

derange

La ville numérique : quels enjeux pour demain ? par Serge Wachter, le 28

novembre 2011 http://www.metropolitiques.eu/La-ville-numerique-quels-

enjeux.html

Page 71: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

71

« C’est pas du jeu », Owni.fr, Anaïs Richardin, 7 juin 2011

Dialogue sur la ville de demain avec Saskia Sassen http://www.sfr.com/les-

mondes-numeriques/sfr-player/11142011-1259-dialogue-sur-la-ville-de-

demain-avec-saskia-sassen

“Owned, bought and earned”, Daniel Goodall http //danielgoodall.com/

SITES INTERNET

http://www.southampton.gov.uk/living/smartcities/

http://www.amsterdamsmartcity.nl/#/en

http://www.ibm.com/smarterplanet/uk/en/overview/ideas/

http://www.planete-plus-intelligente.lemonde.fr/

http://group.barclays.com

http://www.thefuntheory.com/

http://data.london.gov.uk/datastore/package/tfl-cycle-hire-locations

http://www.bmwguggenheimlab.org/

http://www.smart-urban-stage.com/

http://smartercitieschallenge.org/

http://www.research.philips.com/focused/experiencelab.html

http://www.sony.co.uk/discussions/community/en/community/futurescapes

http://createurs.ville.montreal.qc.ca/

http://www.pop-up-urbain.com

http://www.livinglabmontreal.org/

http://www.groupechronos.org/

http://opendata.transilien.com/concours-openapp/transifoule/

http://opendata.transilien.com/concours-openapp/colis-train/

Page 72: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

72

MOTS-CLEFS

- Ville intelligente

- Ville agile

- Ville 2.0

- Ville interactive

- Ville numérique

- Ville média

- Innovation ouverte

- Urbanisme

- Marketing urbain

- Marques

- Street smart brands

- Smart city

Page 73: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

73

ANNEXES

RÉFÉRENCES :

Littérature :

• William Gibson

• Philip K.Dick

• Ray Bradbury, Farenheit 451

• Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes (1931)

• George Orwell, notamment le roman 1984 (Nineteen Eighty-Four,

1948)

• Richard Matheson, Je suis une légende

• Pierre Bordage : le cycle de Wang, la trilogie des Prophéties

Bandes dessinées, animés et manga

• La Trilogie Nikopol de Enki Bilal : La Foire aux immortels, La

Femme piège, Froid Équateur)

• Akira de Katsuhiro Ōtomo

• Ghost in the Shell (Mamoru Oshii, 1995, d'après le manga de

Masamune Shirow)

Films

• Blade Runner (Ridley Scott, 1982), d'après le roman de Philip K.

Dick

• Tron (Steven Lisberger, 1982)

• 1984 (Michael Radford, 1984), d'après le roman "Nineteen Eighty-

Four" de George Orwell

• Brazil (Terry Gilliam, 1985)

• Total Recall (Paul Verhoeven, 1990), d'après la nouvelle "We can

remember it for you wholesale" de Philip K. Dick

• eXistenZ (David Cronenberg, 1999)

• Le cycle de Matrix : Matrix (1999), Matrix Reloaded (2003) et Matrix

Revolutions (2003) (Andy et Larry Wachowski)

• Avalon (Mamoru Oshii, 2001)

• Impostor (Gary Fleder, 2001)

• Intelligence artificielle (Steven Spielberg, 2001)

• Minority Report (Steven Spielberg, 2002), d'après la nouvelle de

Philip K. Dick

• Equilibrium (Kurt Wimmer, 2002)

• I, Robot (Alex Proyas, 2004) d'après une nouvelle de Isaac Asimov

• 5th Element .

Page 74: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

AUDE CASTAN 2011-2012

ANNEXES

La ville du futur dans la publicité.

Page 75: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

75

ANNEXES

Villes ludifiées.

Page 76: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

76

ANNEXES

Villes ludifiées : Le cas Nike.

Page 77: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

77

ANNEXES

La ville idéale de Samsung.

Page 78: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

78

ANNEXES

La ville idéale de Samsung.

Page 79: (RÉ) APPROPRIATION DES VILLES INTELLIGENTES PAR LES MARQUES

79

ANNEXES

Villes idéales.