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NATIONS UNIES Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire ONUCI UNITED NATIONS United Nations Operation in Côte d’Ivoire RAPPORT SUR LES ABUS DES DROITS DE L’HOMME COMMIS PAR DES DOZOS EN RÉPUBLIQUE DE CÔTE D’IVOIRE 1

rapport - OHCHR | Home · Web viewDepuis la fin des violences postélectorales, les Dozos tardent à renouer avec leurs occupations traditionnelles de chasseurs et de détenteurs

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NATIONS UNIES

Opration des Nations

Unies en Cte dIvoire

ONUCI

UNITED NATIONS

United Nations Operation

in Cte dIvoire

RAPPORT SUR LES ABUS DES DROITS DE LHOMME COMMIS PAR DES DOZOS

EN RPUBLIQUE DE CTE DIVOIRE

JUIN 2013

TABLE DES MATIERES

ParagraphesPage

I.Rsum55

II.Introduction1-38

III.Mthodologie et difficults rencontres4-79

IV.Contexte historique et scuritaire8-269-15

4.1.Origine et caractristiques identitaires8-109-10

4.2.Critres dadhsion et mysticisme11-1310-11

4.3.Rle historique et vocation contemporaine1411

4.4.Nombre, migration et organisation15-1911-12

4.5.Conflit de leadership20-2212-13

4.6.Dozos et question foncire23-2613-15

V.Analyse du statut des Dozos27-3217-17

VI.Cadre lgal33-3417-18

VII.Abus des droits de lhomme attribuables aux Dozos35-6118-23

7.1.Atteintes au droit la vie 38-4318-20

7.2.Atteintes au droit lintgrit physique44-5220-21

7.3. Atteintes au droit la libert et la scurit de la personne53-5921-23

7.4.Atteintes au droit de proprit60-6123

VIII.Mesures prises par les autorits ivoiriennes face aux abus commis par les Dozos62-7023-25

IX.Conclusions et recommandations 71-7625-28

X.Annexes

LISTE DES ABRVIATIONS ET ACRONYMES

ADDRAutorit pour le dsarmement, la dmobilisation et la rinsertion

APDHAction pour la protection des droits de lhomme

BRDHBureau rgional des droits de lhomme

CDEConvention relative aux droits de lenfant

CADHPCharte africaine des droits de lhomme et des peuples

CHRCentre hospitalier rgional

CHUCentre hospitalier universitaire

CICGCentre dinformation et de communication gouvernementale

CNOCentre-nord-ouest

CODOZ-CIConfrrie des Dozos de Cte dIvoire

DDHDivision des droits de lhomme

DDRDsarmement, dmobilisation et rinsertion

FAFNForces armes des forces nouvelles

FDSForces de dfense et de scurit

FENACODOCIFdration nationale des Confrries Dozos de Cte dIvoire

FPIFront populaire ivoirien

FRCIForces rpublicaines de Cte dIvoire

GSPRGroupe de scurit de la Prsidence de la Rpublique

MEMISMinistre dEtat Ministre de lIntrieur et de la Scurit

MILOBSObservateur militaire de lOrganisation des Nations Unies

MORBATTSoldats du contingent marocain de lONUCI

ONUCIOpration des Nations Unies en Cte dIvoire

PDCI-RDAParti dmocratique de Cte dIvoire-Rassemblement dmocratique africain

PIDCPPacte international relatif aux droits civils et politiques

PNRRCProgramme national de rinsertion et de rhabilitation communautaire

RDRRassemblement des rpublicains

SNIRSocit nationale dintervention rapide

UNPOLPolice civile de lOrganisation des Nations Unies

I. Rsum

Les chasseurs traditionnels, communment appels Dozos en Cte dIvoire, se caractrisent par le port de fusils traditionnels et de vtements atypiques assortis damulettes. Ils sont regroups au sein dune confrrie sotrique dnomme la Confrrie des Dozos. Depuis plus de deux dcennies, cette confrrie est au centre dune controverse, principalement en raison de sa reconversion informelle dans le domaine de la scurit des biens et des personnes, trs souvent avec la caution des pouvoirs publics, et la demande de la population.

Cette vocation des Dozos, observe initialement dans les zones affectes par la criminalit en milieu rural, a t suscite par le dficit de lEtat en matire de scurit tout au long de la priode dinstabilit institutionnelle. Elle a t exacerbe pendant la crise politico-militaire qua traverse la Cte dIvoire suite au deuxime tour des lections prsidentielles du 28 novembre 2011, notamment marques par limmixtion, sur lensemble du territoire national, de milices armes et autres groupes dautodfense au sein du dispositif officiel de lEtat en charge de la scurit des personnes et des biens.

Au lendemain de cette crise, les Dozos ont exerc des missions de police et de gendarmerie dans plusieurs rgions de Cte dIvoire, sans autorisation lgale ni formation approprie. Ils ont galement suppl les forces de lordre dans des localits o ntaient prsents ni forces militaires, ni policiers, ni gendarmes.

Ce rapport prsente les conclusions denqutes ralises par la Division des droits de lhomme (DDH) de lOpration des Nations unies en Cte dIvoire (ONUCI) concernant les abus des droits de lhomme commis par les Dozos entre mars 2009 et mai 2013, dans le cadre de leurs oprations, notamment les atteintes au droit la vie, lintgrit physique, la libert et la scurit de la personne et au droit de proprit. Ce rapport sinscrit dans le cadre des rsolutions 2000 (2011) et 2062 (2012) du Conseil de scurit des Nations unies qui donnent mandat lONUCI denquter sur les violations prsumes des droits de lhomme et sur les exactions commises par toutes les parties, raffirmant que leurs auteurs devront en rpondre, quelle que soit leur appartenance politique .

Au terme de ces enqutes, la DDH est en mesure dindiquer quau moins 228 personnes auraient t tues, 164 autres blesses par balle, machette ou couteau, et 162 arrtes arbitrairement et dtenues illgalement par les Dozos. De plus, au moins 274 cas de pillage, dincendie de maisons et dextorsion commis par des Dozos ont t vrifis et confirms, principalement dans les rgions de Gbkl, Haut-Sassandra, Gh, Cavally, Guemon, Tonkpi, Marahou, Nawa, Indenie-Djuablin, Poro et du Moronou.

Dans un grand nombre de cas, ces violations pourraient tre directement attribuables ltat ivoirien vu que les Dozos ont apparemment exerc de fait des prrogatives de puissance publique dans le secteur de la scurit dans des circonstances qui requraient lexercice de ces prrogatives par les autorits. Dans certains cas, les Dozos auraient mme agi sur les directives ou sous le contrle des certains lments des forces scuritaires ou des autorits administratives. Ltat aurait galement failli dans sa responsabilit de protger les droits de sa population avec la diligence ncessaire contre les abus des Dozos, y compris en ne traduisant pas les auteurs prsums en justice.

Afin de prvenir de tels abus des droits de lhomme dans le futur, de traduire en justice les auteurs prsums de ces actes, et de mettre fin limpunit dont ils jouissent, le prsent rapport formule les recommandations suivantes:

Aux autorits de la Cte dIvoire:

De dployer des forces de scurit, de faon permanente et sur lensemble du territoire national afin de limiter le recours de la population aux Dozos et de renforcer la confiance entre ceux-ci et la population, notamment dans les localits o les forces de lordre sont inexistantes; de doter ces dernires de la formation et de moyens logistiques adquats et les encourager la discipline pour mener bien leurs missions de dfense et de protection des personnes et des biens;

De mettre en uvre toutes les mesures ncessaires afin que les Dozos cessent dexercer des fonctions en matire de scurit;

De veiller lapplication de la loi de 1998 sur le foncier rural, et rglementer les modalits de circulation, de rassemblement et de runion des Dozos afin de limiter les atteintes lordre public et la cohsion sociale;

Dinciter et daccompagner les Dozos mener un recensement gnral de leurs effectifs;

De prendre toutes les mesures ncessaires pour sassurer que les Dozos se conforment aux prescriptions du dcret du 4 juillet 2012 portant rglementation des armes et des munitions en Cte dIvoire;

De mener des enqutes approfondies sur toutes les exactions des droits de lhomme notamment celles commises par des Dozos, de sassurer que les auteurs prsums sont traduits en justice et sanctionns et que les victimes obtiennent rparation;

De doter les autorits judiciaires des moyens ncessaires pour faire efficacement leur travail afin de traduire en actes concrets la volont politique dclare de lutter contre limpunit, y compris envers les Dozos;

De prendre toutes les mesures ncessaires pour sanctionner et engager la responsabilit pnale et civile des lments des Forces Rpublicaines de Cte dIvoire (FRCI), des autorits administratives, politiques et traditionnelles, ainsi que des civils qui solliciteraient les services des Dozos;

Aux Dozos :

De prendre toutes les mesures ncessaires, notamment en ce qui concerne la discipline ainsi que la non immixtion des pouvoirs publics dans le fonctionnement interne des Dozos;

De se conformer aux prescriptions gouvernementales, notamment en ce qui concerne le port darmes et de munitions;

A la communaut internationale:

Dencourager et dappuyer les efforts des Autorits dans la lutte contre limpunit des Dozos auteurs prsums dabus des droits de lhomme;

Daccompagner activement les Autorits dans les efforts de mise en uvre du programme pour le dsarmement, la dmobilisation et la rinsertion (DDR) et la rforme du secteur de la scurit afin que des FRCI bien forms et disciplins soient dployes sur lensemble du territoire national et quils y gagnent la confiance de la population.

II. Introduction

1. Bien avant les annes 2000, la population ainsi que les pouvoirs publics ont souvent recouru aux Dozos pour la scurit et le gardiennage de rsidences, de commerces, de plantations, de quartiers et des villes. Ce mandat scuritaire que la population et certaines autorits ont attribu aux Dozos a renforc lopinion quils ont un rle important jouer dans le dispositif scuritaire officiel en Cte dIvoire. Pourtant, les Dozos ne bnficient ni dun mandat lgal ni dune formation approprie les autorisant exercer de telles fonctions. Assumant tantt les tches de civils arms, dagents de scurit et de gardiennage ou membre de groupes dautodfense, les Dozos se sont galement constitus en milices armes la solde de certains leaders politiques et ont suppl des forces officielles de dfense et de scurit ivoiriennes, patrouillant conjointement avec les FRCI et excutant des missions classiques de scurit et de dfense dvolues aux militaires, policiers et gendarmes. Depuis au moins deux dcennies, y compris pendant la crise postlectorale de dcembre 2010 avril 2011, conscutive au second tour des lections prsidentielles du 28 novembre 2010, les observateurs nationaux et internationaux[footnoteRef:1] ont rapport et confirm limmixtion dans lappareil scuritaire tatique de certaines milices et groupes arms, parmi lesquels des Dozos, sous tous les gouvernements qui se sont succds en Cte dIvoire. La qualification de leurs exactions constitue donc une difficult supplmentaire. [1: Le rapport sur les violations des droits de lhomme et du droit international humanitaire commises lOuest de la Cte dIvoire , publi le 10 mai 2011 par la DDH de lONUCI, dmontre limplication des Dozos, aux cts de membres des FRCI, dans des massacres. Voir galement le rapport de Human Rights Watch publi en octobre 2011: http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/cdi1011frwebwcover.pdf]

2. Depuis la fin des violences postlectorales, les Dozos tardent renouer avec leurs occupations traditionnelles de chasseurs et de dtenteurs de savoirs ancestraux. Leur rle en matire de scurit sest accru en raison du vide scuritaire qui continue de prvaloir dans certaines localits, ainsi que du peu de confiance dont jouissent les forces de scurit auprs de la population, notamment en milieu rural. Les pouvoirs mystiques attribus aux Dozos, censs les rendre invulnrables et redouts par les bandits et autres criminels, contribuent grandement leur confrer une valeur particulire aux yeux de la population.

3. Dans le cadre de lexcution de son mandat denqute et de surveillance des droits de lhomme, la DDH de lONUCI a t rgulirement informe dallgations dabus des droits de lhomme commis par des Dozos sur lensemble du territoire de la Cte dIvoire. En juin 2012, face la persistance et lampleur du phnomne, elle a mis en place une quipe denqute[footnoteRef:2] charge de collecter et de vrifier certaines allgations dabus des droits de lhomme attribuables aux Dozos au cours de la priode allant de mars 2009[footnoteRef:3] mai 2013, afin dtablir les responsabilits, dinciter les autorits tatiques mettre un terme de telles pratiques attribues aux Dozos et poursuivre en justice les auteurs prsums de ces abus dans une perspective de lutte contre limpunit. [2: Cette quipe tait compose de deux chargs des droits de lhomme et dun assistant. Tout au long de ce rapport, lquipe denqute de la DDH sera appele quipe . ] [3: Les Dozos ont commis des abus des droits de lhomme bien avant cette priode. En revanche, la DDH a t en mesure de commencer la vrification et la documentation dexactions attribuables aux Dozos partir de mars 2009.]

III. Mthodologie et difficults rencontres

4. Lquipe a collect des informations auprs de sources diverses, principalement les rapports quotidiens de surveillance des droits de lhomme provenant des 12 bureaux rgionaux de la DDH[footnoteRef:4] (BRDH) de lONUCI, et les rapports des sections de la Police des Nations unies (UNPOL) et des observateurs militaires des Nations Unies (MILOBS). Dans le cadre de leurs activits de surveillance des droits de lhomme, les chargs des droits de lhomme au sein des 12 bureaux rgionaux ont rencontr des tmoins et des victimes dabus des droits de lhomme commis par des Dozos, des autorits politiques, administratives et traditionnelles ainsi que des responsables locaux des Dozos. [4: La DDH de lONUCI compte douze bureaux rgionaux sur lensemble du territoire: Abidjan, Aboisso, Bondoukou, Bouak, Duekou, Daloa, Korhogo, Odienn, San Pedro, Tai, Touleupleu et Yamoussoukro.]

5. Lquipe a identifi les principaux abus des droits de lhomme commis par des Dozos et publis dans les mdias. Elle les a ensuite transmis aux BRDH pour vrification. En outre, elle a envoy un questionnaire aux BRDH afin de recueillir des informations sur le type et la forme des interventions des Dozos dans leurs zones de dploiement respectif, ainsi que sur les abus des Dozos et leur collaboration prsume avec les autorits traditionnelles, administratives et les forces de lordre au niveau local.

6. Lquipe sest dploye dans les localits dAdebem, Divo, Koreguh, Korhogo, Sago et San Pedro, o elle sest entretenue avec les autorits prfectorales et sous-prfectorales, les responsables de la police, de la gendarmerie et des FRCI, les autorits traditionnelles, les reprsentants associatifs, des tmoins et des victimes, ainsi que des leaders Dozos[footnoteRef:5] au niveau rgional. Elle a galement rencontr le directeur de Cabinet du Ministre dEtat, le Ministre dEtat de lIntrieur et de la Scurit (MEMIS), le Commandant Zakaria Kon, ex-Chef de la police militaire de Cte dIvoire et membre influent de la confrrie des Dozos, ainsi que de prsums responsables nationaux des Dozos[footnoteRef:6] bass Abidjan et Bouak. Au total, lquipe a pu recueillir au moins 300 tmoignages de diverses sources. [5: Par exemple M. Soro Nagalourou, leader des Dozos, que lquipe a rencontr Korhogo le 30 octobre 2012.] [6: Principalement M.M Dosso Sory (prsident de la fdration nationale des confrries Dozos de Cte dIvoire) et Moussa Tour (prsident de la confrrie des Dozos en Cte dIvoire) Abidjan, et Bamba Mamoudou (prsident de lassociation des Dozos dnomme Mande Mory - qui revendique un leadership national) Bouak.]

7. Plusieurs difficults, telles que lallgeance de certaines autorits administratives, traditionnelles et des forces de scurit aux Dozos, ainsi que la crainte de reprsailles des victimes, ont limit la capacit de collecte et de vrification des informations.

IV. Contexte historique et scuritaire4.1. Origines et caractristiques identitaires

8. Les Dozos sont prsents dans plusieurs pays de lAfrique subsaharienne, notamment au Burkina-Faso, au Mali, en Guine, en Sierra Leone et en Cte dIvoire. Leur prsence remonterait au 13eme sicle, principalement au Mali sous le rgne de lempereur Soundiata Keita[footnoteRef:7]. A cette poque, cette confrrie de chasseurs traditionnels tait une catgorie socioprofessionnelle ne relevant pas dun groupe ethnique spcifique. [7: Selon les leaders Dozos, Soundiata Keita aurait t membre dune confrrie sotrique de chasseurs. Il fut lun des premiers rois en Afrique qui recourut aux services des membres de sa confrrie pour sa scurit personnelle et pour la dfense de son royaume compte tenue de leurs prtendus pouvoirs magiques.]

9. Les premiers Dozos arrivs en Cte dIvoire, principalement en provenance du Mali, se seraient installs dans le village Gbeya, dans la localit de Vandougou, en rgion dOdienn, bien avant lindpendance du pays. Ceci laisse croire que la partie septentrionale, notamment laire gographique comprenant les groupes ethniques Malink, Voltaques et Mand, est le berceau des Dozos en Cte dIvoire. Ils se sont ensuite organiss en confrries secrtes dotes dun code moral et de rites initiatiques pour enseigner lart de la chasse et des connaissances mystiques aux nouveaux adhrents de nationalit ivoirienne vivant dans les villages et campements dans lesquels les Dozos staient installs.

10. Les Dozos se dmarquent notamment par le port darmes traditionnelles de chasse de petit calibre ainsi que de multiples amulettes, prsumes les rendre invincibles et invulnrables aux balles, aux blessures par des objets contondants et toutes sortes dattaques mystiques.

4.2. Critres dadhsion et mysticisme

11. A lorigine, la confrrie des Dozos tait une catgorie socio-professionnelle dont laccs tait limit aux chasseurs mrites qui devaient eux-mmes appartenir la ligne des chasseurs traditionnels. Les postulants remplissant ces conditions de base taient alors initis dans la fort sacre sous les auspices dun matre initiateur dozoba . Les savoirs, qui relvent essentiellement de lsotrisme et du mysticisme, leur sont transmis oralement. Cet apprentissage, qui se poursuit au terme de la priode initiatique[footnoteRef:8] et dure toute la vie, est ax sur la connaissance des secrets de la faune, de la flore, de la cosmogonie, des plantes mdicinales, de lart de la chasse et du respect de la hirarchie au sein de la confrrie. [8: Plusieurs Dozos rencontrs par lquipe ont indiqu que la priode dinitiation dure au moins sept ans. Au cours de cette priode, le nouvel adhrent vit en brousse avec son maitre initiateur et ne doit pas tre en contact avec une femme sous peine de perdre ses pouvoirs.]

12. Au fil du temps, un assouplissement des critres dadhsion a t observ, rduisant laffiliation la confrrie lobtention dune carte de membre prcd dune initiation qui dure le temps du rituel dintronisation. Dsormais, tout individu, y compris des femmes[footnoteRef:9], peut devenir Dozo. Cet assouplissement a facilit laccs des ivoiriens de toutes les ethnies et de toutes les catgories socioprofessionnelles la confrrie et a engendr le concept des vrais et faux Dozos. Cette classification est apparue au cours de lanne 1999 et sest amplifie avec la fin de la crise politique en 2011. Selon des dozoba rencontrs par lquipe, les faux Dozos adhrent la confrrie pour rechercher de prtendus pouvoirs mystiques en vue de leur autoprotection et la scurisation de leur patrimoine, tre promus socialement[footnoteRef:10] et servir les intrts inavous de certains leaders Dozos parrains par certaines hautes personnalits de lEtat[footnoteRef:11]. Ainsi, la diffrence des vrais Dozos qui sont supposs respecter scrupuleusement lthique et le code de conduite de la confrrie, les faux Dozos seraient des opportunistes et des dlinquants qui usurpent luniforme et le port des fusils pour mener des activits criminelles et dlictuelles en se faisant passer pour des lments suppltifs des forces de lordre, notamment en milieu rural, o le dficit de lEtat en matire de scurit est le plus ressenti. [9: Il y a peu de femmes Dozos. Lquipe a enregistr 4 femmes Dozos dans la partie septentrionale du pays. Elles y ont adhr soit par lignage, soit par intronisation aprs la mnopause. Les femmes Dozos sont essentiellement en charge de la cuisson des repas lors des grands rassemblements de la confrrie.] [10: Depuis la fin de la crise, les Dozos jouissent dune reconnaissance des autorits tatiques qui fait deux des intouchables et des protgs. Ce qui a facilit la naissance descrocs et de vendeurs dillusion parmi les Dozos. Ils crent des associations ou des groupes et font croire leurs membres quils ont reu un agrment des autorits tatiques pour mener des projets agro-industriels et diriger des socits dintervention rapide et de gardiennage au profit des Dozos. Ce qui fait gonfler les effectifs de leurs associations respectives dont ils exigent des membres le paiement des frais dinitiation cotant entre 10000 et 30000 FCFA (60$) et des cartes dont le cot slve entre 5000 (10$) et 10 000 FCFA (20$).] [11: Lquipe a observ que les Dozos reoivent des consignes et des directives diffrentes sur le terrain selon leur affiliation associative. Alors que certains collaborent et sont respectueux des forces de lordre et des institutions rpublicaines, dautres se comportent en hors-la-loi et nhsitent pas sattaquer aux policiers, gendarmes, FRCI et dfient les autorits administratives.]

13. Les leaders Dozos considrent lunanimit quun vrai Dozo est un protecteur de la communaut au sein de laquelle il vit souvent; et que les drapages, les crimes et les abus des droits de lhomme attribuables aux membres de la confrrie sont lapanage exclusif des faux Dozos. Les analyses faites et les chiffres indiqus dans le prsent rapport concernent les Dozos en gnral, et ne font aucune distinction entre vrais ou faux Dozos.

4.3. Rle historique et vocation contemporaine

14. Forts de leur rputation de protecteurs des villages contre les btes froces, de leur bravoure et de leurs supposs pouvoirs mystiques, les Dozos ont t sollicits par certains chefs traditionnels pour servir de soldats, guerriers, tradi-praticiens et magiciens dans leurs royaumes et villages. A partir de 1990, la population vivant en milieu rural et forestier en gnral, et celle des grandes villes - linstar dAbidjan - a fait appel aux Dozos pour assurer le gardiennage de commerces, domiciles et/ou quartiers. Trs vite, les Dozos sont parvenus rduire le taux de criminalit dans leurs zones dintervention. Compte tenu de lapprciation de leurs services par une partie de la population, les Dozos vont progressivement exercer des responsabilits en matire de scurit la demande, et avec le soutien de certaines autorits tatiques, depuis 1995 ce jour. Ceci englobe leur collaboration avec les FAFN et les FRCI au cours de la crise postlectorale depuis 2002.

4.4. Nombre, migration et organisation

15. En 2012, la communaut des Dozos en Cte dIvoire tait estime environ 50.000 personnes[footnoteRef:12]. Toutefois, la multiplicit dassociations de Dozos et labsence de rgles communes dadhsion la confrrie rendent difficiles tout effort de recensement. [12: Des sources du ministre de lIntrieur indiquent quen 1997, 41.914 Dozos (41.118 Ivoiriens et 796 immigrs) taient enregistrs seulement dans onze dpartements situs dans la partie septentrionale du pays.]

16. Alors que les Dozos appartiennent originellement laire gographique septentrionale, ils se sont installs progressivement au courant de la dcennie 1980-1990 sur lensemble du territoire la faveur de vagues migratoires justifies par les besoins scuritaires de la population et la reconversion des Dozos en agriculteurs fuyant la rgion sahlienne du nord la recherche de terres arables vers le sud.

17. A partir de lanne 2000, la crise politico-scuritaire qui divise le pays en deux blocs (Nord et Sud) et bipolarise la population sur des lignes ethniques, a permis certains leaders politiques dinstrumentaliser les Dozos. Depuis lors, les Dozos se sont affilis aux FAFN et ont pris part aux offensives militaires de ces derniers, principalement dans la zone Centre Nord Ouest (CNO). Cette vague migratoire des Dozos sest poursuivie vers le sud, la conqute dAbidjan en 2011, lors de la campagne militaire lance par les FRCI, laquelle les Dozos ont pris part. Ainsi, la zone dintervention des Dozos sest tendue concomitamment aux offensives des FRCI sur les zones dites "gouvernementales". Les Dozos se sont retrouvs aux cts des FRCI dans de nouvelles localits sises au sud, au sud-ouest, au sud-est, lest et louest, reconvertis majoritairement dans des missions de scurit.

18. Les tentatives dorganiser et dencadrer les membres des Dozos au sein dune structure nationale hirarchise remontent 1980, et aboutirent la cration dune association dnomme Afrique Environnementale[footnoteRef:13] . En 1995, les autorits tatiques suspendirent les activits de cette association pour des raisons scuritaires. En mai 2010, lancien vice-prsident de lassociation, le Commandant Moussa Tour, crait la Coordination des Dozos de Cte dIvoire (CODOZ-CI). Entretemps, le ministre de lIntrieur procdait en 1997, au premier recensement des Dozos et de leurs armes[footnoteRef:14], et le Conseil des ministres du 30 avril 1998 entrinait un programme dactivits pour mieux encadrer les Dozos suite aux nombreux drapages qui caractrisaient leurs activits. [13: Lassociation Afrique Environnementale tait prside par un Malink, lAmbassadeur Fanny Inza et M. Tour Moussa, lactuel prsident de la CODOZ-CI et commandant retrait de la Marine nationale, en assurait la vice-prsidence.] [14: Para 18 op.cit.]

19. La crise politico-scuritaire que le pays traverse partir de 1999 ne permettra pas lexcution dudit programme. A la fin de la crise en 2011, par souci dencadrement des Dozos ou par simple opportunisme, plusieurs autres associations nationales de Dozos ont vu le jour, principalement la Fdration nationale des Dozos de Cte dIvoire (FENACODOCI), ainsi que plusieurs leaders Dozos envergure nationale, tels que Bamba Mamoudou Bouak et Soro Nagalourou Korhogo. Chacun de ces leaders revendique des membres sur lensemble du territoire national[footnoteRef:15] et a install des reprsentants au niveau rgional et local. Cette pluralit dassociations a engendr un fonctionnement htroclite de la confrrie et favoris le dveloppement de factions et de conflits de leadership. [15: Bamba Mamoudou couvrirait la rgion de Gbk et compterait 3600 membres. La FENACODOCI de Dosso Sory et ses 28. 000 membres allgus seraient plus prsents dans les rgions du Blier, Sud-Como, Nzi, Iffou et Lh-Djiboua. Moussa Tour revendique environ 5.000 membres principalement dans les rgions de Agneby- Tiassa, Grands Ponts, Nawa, San Pedro et Gbkl. Soro Nagalourou couvre toute la zone septentrionale du pays (de Sgula Tengrela) de la faade est jusqu' louest.]

4.5. Conflits de leadership

20. Les leaders des principales associations nationales des Dozos[footnoteRef:16] fondent officiellement leur activisme sur la ncessit de discipliner les membres de la confrrie. Il nen demeure pas moins que certains sont anims par des vises opportunistes lies aux retombes financires de lventuelle assistance que les pouvoirs publics leur fourniraient en reconnaissance[footnoteRef:17] de leur rle pendant la crise. Ainsi, pour mieux illustrer leur statut dinterlocuteur privilgi des pouvoirs publics pour les questions des Dozos, chaque pseudo leader national va rechercher, pour son association, un parrain parmi les plus hautes personnalits de lEtat[footnoteRef:18]. Cette politisation de la confrrie des Dozos constituerait, selon les tmoignages concordants, le vritable danger encouru par la confrrie, car elle transposerait en son sein les conflits personnels et de leadership auxquels se livreraient de hautes personnalits de lEtat. Il est en effet prsum que chaque parrain souhaite que son protg devienne le leader national des Dozos afin que la confrrie soit sous son contrle. [16: Para 21 op cit.] [17: Lors dun point de presse intitul " les matinales du Centre dinformation et de communication gouvernementale" (CICG) datant du 4 aot 2011, le ministre Kon Bruno, porte-parole du Gouvernement,a dclar propos des Dozos: Il y a des gens dont on peut louer le courage et qui ont accept de faire un combat que beaucoup divoiriens nont pas voulu mener (...); Ces personnes ont men un combat, il faut leur en tre reconnaissant(...).] [18: Le Ministre Hamed Bakayoko est le parrain de la FENACODOCI. Son nom est clairement visible avec la mention parrain sur les cartes des membres des Dozos affilis la FENACODOCI au cours de lanne 2012. Dautres sources locales ont indiqu que Soro Nagalourou serait parrain par le Commandant Kon Zakaria, ce que ce dernier a dmenti lors dun entretien men avec lquipe le 18 janvier 2013 Abidjan. Guillaume Soro parrainerait le groupe des Dozos dirigs par Bamba Mamoudou qui a reprsent les Dozos au secrtariat gnral des Forces nouvelles depuis 2002 et a occup des fonctions au cabinet de Guillaume Soro alors que ce dernier tait Premier Ministre.]

21. Cette rivalit se manifeste souvent par la chasse aux membres afin de gonfler les effectifs des associations, trs souvent en scartant des critres classiques dadhsion[footnoteRef:19], et de rclamer une lgitimit par le nombre, ainsi que par la chasse aux dozoba afin de les affilier aux associations nationales et revendiquer ainsi la lgitimit par la puissance mystique. Convaincus au dpart de limportance de ces associations, plusieurs dozoba sy sont affilis, puis sen sont dsolidariss progressivement, persuads de lopportunisme de certains de leurs responsables. [19: Selon un leader Dozorencontr Divo, des individus pouvaient recevoir la carte de Dozos et porter luniforme des Dozos sans avoir pralablement t initis. Dautres portent une fausse carte de membre.]

22. Cette crise de leadership dbouche souvent sur des affrontements dans des villages entre Dozos de factions rivales. Un incident survenu dans la nuit du 21 au 22 octobre 2012, Abengourou illustre cette situation. Au cours daffrontements entre les partisans de deux factions rivales, un Dozo a t tu et deux autres gravement blesss par balle. Les motivations et les attentes des membres des diffrentes associations de Dozos varient. Alors que certains envisagent de retourner vaquer leurs missions originelles, dautres attendent avec impatience la rcompense ventuelle du rgime pour leur soutien pendant la crise, et menacent de ne pas se retirer des missions scuritaires.

4.6. Dozos et question foncire

23. Cette problmatique concerne essentiellement les Dozos qui, suite aux migrations observes au cours des annes 1980[footnoteRef:20], se sont installs au sud et louest de la Cte dIvoire la recherche de terres arables. Ces Dozos sont des planteurs allognes[footnoteRef:21] (ivoiriens et non ivoiriens) qui ont reu des parcelles de terres auprs des autochtones qui les ont accueillis. Selon des tmoignages, les rapports entre les Dozos et la population autochtone taient cordiaux et paisibles au dpart. Les Dozos respectaient lautorit du chef de village. Luniforme et le fusil taient ports uniquement lors des runions et des crmonies culturelles. [20: Voir para 19. Lquipe a rencontr des planteurs Dozos San Pedro, Adebem et Sago qui ont affirm tre installs dans ces localits depuis 1970, pour la plupart.] [21: Des planteurs de nationalit ivoirienne et des trangers qui ont migr la recherche des terres arables dans diverses rgions de Cte dIvoire.]

24. Cette cordialit intercommunautaire a t rompue partir de 1995, suite lapparition du concept de livoirit[footnoteRef:22] qui a engendr une marginalisation des communauts allognes. Les allognes ont indiqu avoir t victimes de violences et ont accus les autochtones de vouloir les dpossder des terres sur lesquelles ils staient installs et pratiquaient des activits agricoles depuis des dcennies. [22: Ce concept a fait son apparition sur le champ politique ivoirien le 20 aot 1995 lors de la Convention du PDCI RDA tenue Yamoussoukro. Il signifie que tout individu revendiquant avoir la Cte dIvoire pour pays, devrait tre n de parents appartenant lune des ethnies autochtones dudit pays. Lapplication de ce concept va donner lieu aux atteintes graves aux droits de lhomme lencontre des communauts jadis issues de limmigration et prsumes ne pas tre des ivoiriens de souche.]

25. Face cette situation, les Dozos se sont organiss en groupe dautodfense dans leur milieu daccueil pour rsister aux expropriations. Cette rsistance a rencontr un certain succs grce aux prtendus pouvoirs mystiques des Dozos et le port darme, qui ont largement dissuad les autochtones de mettre leurs menaces excution. En outre, une catgorie spontane de Dozos a vu le jour ds la fin de la crise post-lectorale de 2011, lorsque des allognes non Dozos ont adhr massivement[footnoteRef:23] la confrrie, par opportunisme et pour se protger [footnoteRef:24] contre lagresseur autochtone[footnoteRef:25]. Le rle jou par les Dozos pendant la crise et la reconnaissance dont ils jouissent auprs des pouvoirs publics et des forces de lordre ont contribu changer le rapport de force avec les autochtones. Selon les propos dun chef de village rencontr par lquipe dans la rgion du Lh-Djiboua, les Dozos ont pris la grosse tte. Ils disent que le pouvoir a chang de camp et quils sont maintenant en position de force (...); Ils sestiment au-dessus de la loi et affirment qui veut lentendre quils nont de compte rendre quau Prsident Alassane Ouattara (..); Ils ne respectent pas le chef de village qui est le reprsentant de ladministration dans le village (..). Bref, les Dozos font la loi surtout quils sont devenus majoritaires par rapport aux autochtones dans le village. [23: Par exemple, sur laxe Duekou-Man, les enquteurs ont observ une grande population de Dozos appartenant presque toutes les ethnies. Laffiliation sest faite au lendemain de la crise lectorale, pour la plupart, principalement pour rejoindre cette confrrie rpute intouchable, et protge par le rgime en place et, par consquent, pour se prserver dune ventuelle expropriation par les autochtones des terres qui leur avaient t cdes depuis leur arrive.] [24: Protection personnelle, protection des plantations et des habitations. ] [25: Par exemple, Pahoubly (30 km de Touleupleu), dans le dpartement de Touleupleu, les 39 Dozos recenss sont prsents dans la localit depuis janvier 2012. Il sagit de planteurs maliens et burkinabs, bien connus du chef de village, qui navaient jamais indiqu leur statut de Dozos et qui, du jour au lendemain, ont enfil luniforme des Dozos et port le fusil pour faire la loi dans le village.]

26. Dans de nombreuses localits, notamment Adebem, Duekou, Gagnoa, Man et Ta, les tensions intercommunautaires sur fond de revendications foncires ont t ravives entre les Dozos et les populations autochtones. Ces dernires sinterrogent sur ces civils qui ils ont donn des terres pour pratiquer lagriculture et qui se sont transforms du jour au lendemain en hommes en armes et terrorisent la population. Certains Dozos jouissant de contrats restreignant leurs activits agricoles la pratique de cultures annuelles se sont lancs dans des cultures pluriannuelles linstar de lhva, du caf et du cacao, sans le consentement des propritaires. Ces derniers sont interdits daccs auxdits champs lors de leur mission de contrle doccupation des terres par les Dozos. Le prfet de Duekou, a fait le point sur la situation scuritaire[footnoteRef:26]dans sa circonscription le 25 juin 2011 et a indiqu, entre autres, que la forte prsence spontane des Dozos, notamment sur laxe Duekou-Man, (...) reprsente aujourdhui une menace pour la population autochtone (...) et quil y a un rel risque de conflit intercommunautaire si rien nest fait[footnoteRef:27]. La diversit actuelle des groupes ethniques constitutifs des Dozos et les vises opportunistes des adhrents reprsentent une nouveaut au sein de la confrrie ds le lendemain de la crise post-lectorale. [26: Quotidien le Nouveau Rveil, Edition du 27 juin 2011, document en ligne consultable ladresse:http://www.lenouveaureveil.com/a.asp?n=402667&p=2824.] [27: Lattaque du Camp de Nahibly, le 20 juillet 2012, dans laquelle des Dozos ont t impliqus,illustre assez bien ces tensions intercommunautaires.]

V. Analyse du statut des Dozos

27. Considrs tantt comme des civils arms, agents de scurit et de gardiennage ou membre de groupes dauto-dfense, les Dozos se sont galement constitus, notamment partir doctobre 2002, en milices armes la solde de certains leaders politiques, en loccurrence la Compagnie des guerriers de la lumire dont le sige tait Bouak et le zone daction couvrait toute la partie septentrionale du pays. Les Dozos se sont affilis aux partis politiques, aux mouvements insurrectionnels ou rbellion et ont pris part aux offensives militaires organises par ces dernires. Ils ont galement suppl des forces officielles de dfense et de scurit ivoiriennes, patrouillant conjointement avec les FRCI en excutant des missions classiques de scurit et de dfense dvolues aux militaires, policiers et gendarmes.

28. Cet largissement du champ dactivits des Dozos correspond lexpansion progressive de leur espace dintervention sur toute ltendue de la Cte dIvoire. En agissant conjointement avec les forces de dfense et de scurit ivoiriennes ou en les supplant dans des zones o les forces de lordre sont inexistantes, les Dozos sont assimilables aux acteurs tatiques et tous ceux qui agissent pour le compte de lEtat[footnoteRef:28]. Ce soutien des pouvoirs publics[footnoteRef:29] et la reconnaissance[footnoteRef:30]des Dozos pour services rendus en matire de lutte contre linscurit et lors de la crise politique, ont renforc chez ces derniers un sentiment dimpunit et favoris la naissance dune vocation sur le march officiel de la scurit en Cte dIvoire. [28: Lors dune runion de sensibilisation des Dozos sur la discipline au sein de la confrrie, tenue le 7 mai 2012 dans la rgion du Bas-Sassandra, sur laxe Abidjan-Sassandra, les responsables de la Confrrie des Dozos de Cte dIvoire (CODOZ-CI), en prsence de son prsident, le commandant Moussa Tour, ont soulign que les Dozos ne mnent aucune action dans une localit sans que les autorits politiques, administratives, militaires et traditionnelles nen soient informes par voie de courrier.] [29: Ce soutien,qui date au moins de 1995, a pris plusieurs formes. Le soutien continu du pouvoir excutif, par lequel les Dozos ont reu des prsidentsHenri Konan Bdi, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ou leurs reprsentants, dimportantes sommes dargent, non seulement en reconnaissance de leur rle pour la lutte contre linscurit, mais aussi pour sattirer leur sympathie. Par exemple, le prsident Alassane Ouattara auraitoffert 5 millions de FCFA (10. 000$) aux Dozos le 31 juillet 2009 Korhogo, par le biais de son directeur dpartemental de campagne, Kon Lacina. Le soutien de larme aux Dozos tait effectif surtout dans la zone CNO, par exemple lorsque le commandant de la zone 10, Fofi Kouakou Martin, a offert aux Dozos de Korhogo la somme de 8 millions de FCFA (16. 000$) ainsi quun vhicule tout terrain et deux motos, le 12 septembre 2009. Convaincus du soutien dont jouissent les Dozos, la plupart des autorits administratives, judiciaires et les forces de lordre en fonction dans les zones dintervention des Dozos se sentent souvent obligs de leur faire allgeance de peur dtre accuses de mener des activits subversives et dtre pro-Gbagbo.] [30: Para 22 op cit.]

29. Depuis la fin de la crise, lquipe a observ que dans lex zone CNO, par exemple, les forces de lordre et certains FRCI sollicitent systmatiquement les Dozos pour partager des informations scuritaires et pour les assister lors de leurs oprations dans des zones affectes par la criminalit. Cette observation a galement t faite dans plusieurs autres rgions et localits au sud, lest et louest du pays, o les responsables administratifs, traditionnels, et des services des forces de lordre sont pro-Dozos. Lors de ces oprations conjointes, les Dozos, grce leurs prtendus pouvoirs mystiques, sont en premire ligne alors que les forces de scurit officielles sont en arrire-plan. Ces comptences mystiques des Dozos sont galement sollicites par des responsables des forces de scurit, des FRCI et des magistrats lors denqutes pr-juridictionnelles ou juridictionnelles afin de retrouver rapidement les auteurs prsums dinfractions, crimes et dlits[footnoteRef:31]. Selon les responsables des forces de lordre et des institutions judicaires rencontrs par lquipe Korhogo, cette collaboration[footnoteRef:32]se fonderait sur larticle 72 du Code de procdure pnale qui dispose quedans les cas de crime flagrant ou de dlit flagrant puni dune peine demprisonnement, toute personne a qualit pour en apprhender lauteur et le conduire devant lofficier de police judiciaire le plus proche. [31: Selon un tmoignage de Soro Nagalourou, chef Dozo Korhogo, confirm par un magistrat et un responsable la prfecture de police de la ville, plusieurs enqutes ont t boucles promptement grce la collaboration de Dozos. Par exemple, 6 braqueurs ont t arrts par les forces de lordre suite au meurtre dun instituteur la veille de la fte du Ramadan en 2012 sur la route menant Ferkessdougou grce aux Dozos qui ont travaill mystiquement du sable ramass sur le sol lendroit o la victime a t tue.] [32: Par contre, en octobre 2012, le prfet du dpartement de Touleupleu, dans la rgion de Cavally, a instruit tous les sous-prfets de sa circonscription administrative dinterdire lutilisation des Dozos dans le cadre de lexcution des missions de scurit, ordonnant quelles devraient tre menes exclusivement par les forces de lordre officielles et les FRCI.]

30. Face ces dysfonctionnements et afin dencourager les Dozos vaquer leurs occupations originelles, les autorits tatiques ont adopt, le 5 juin 2012, une circulaire interministrielle interdisant aux Dozos de mener des missions de scurit sous peine de sanctions ou de poursuites judiciaires. Le 4 juillet 2012, un dcret portant rglementation du port darme et de munitions a galement t adopt par les autorits tatiques. Toutefois, ces prescriptions ont t appliques trs partiellement sur lensemble du territoire. La libert et le zle que les Dozos continuent de faire montre en matire de scurit pourraient indiquer que leurs interventions, non officielles, sont acceptes et tolres par les autorits tatiques. Cette situation est galement lie aux facteurs structurels et conjoncturels qui limitent lefficacit des forces de lordre dans leur mission de protection des personnes et de leurs biens.

31. Les Dozos revendiquent le statut de civils. La question de leur dsarmement a souvent t voque pour saligner leur statut de civils. Historiquement, les Dozos sont apolitiques et leurs activits sont restreintes dans le champ culturel. Le port du fusil traditionnel de petit calibre gnralement fabriqu artisanalement est un critre de rfrencement social, culturel ou existentiel. Ce statut de civils portant des armes de manire incontrle se complexifie et reprsente une menace srieuse pour la population civile non arme dans un contexte de crise qui a favoris chez certains Dozos le troc du fusil traditionnel contre des armes de guerre. Dans tout Etat, il est essentiel que le port des armes soit rglement, mme en ce qui concerne le port des armes traditionnelles[footnoteRef:33], de manire mieux contrler leur usage et leur circulation. Suite leur instrumentalisation par des hommes politiques dans le cadre de la crise politique, les Dozos sont devenus une milice arme. [33: LorsquAlassane Ouattara tait Premier ministre du Prsident Houphout-Boigny, le prfet de Korhogo, Issa Diakit fut la premire autorit prfectorale autoriser officiellement les Dozos circuler avec leurs fusils et aider les forces lgales dans la lutte contre linscurit. En revanche, depuis mars 2012, Kpan Droh Joseph, prfet du dpartement de Divo dans la rgion de Lh-Djiboua, a interdit les rassemblements des Dozos sans autorisation pralable ainsi que le port du fusil lorsquils circulent en ville, sont dans les transports en commun et se rendent dans les services publics et les commerces. ]

32. Les groupes dauto-dfense arms ou milices armes de Dozos affilis des forces de la rbellion et qui ont soutenu[footnoteRef:34] des forces officielles en opration, tombent dans la catgorie des acteurs non tatiques[footnoteRef:35]. Ces multiples rles jous par les Dozos deviennent plus complexes analyser lorsque les Dozos usurpent le statut dacteur tatique de fait pour lgitimer leurs interventions sous la bannire de milice arme. Tout se passe dans la pratique comme sil sagissait dune dlgation de prrogatives de fait reposant principalement sur des arrangements non officiels et isols manant de certains officiers des FRCI et des autorits administratives, politiques et traditionnelles pro-Dozos. [34: Il sagit dun soutien non officiel. Lquipe na pas pu trouver de textes officiels autorisant les rquisitions de Dozos pour lexcution de missions de scurit. Pourtant, cette offre de service des Dozos, illgale et bien connue des autorits gouvernementales actuelles, est plutt tolre et accepte par ces dernires.] [35: Voir para 50 du rapport de lExpert indpendant sur la Cte dIvoire, Doudou Dine: www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session19/A-HRC-19-72_en.pdf]

VI. Cadre lgal

33. En tant quEtat partie plusieurs conventions internationales et rgionales caractre contraignant relatives aux droits de lhomme[footnoteRef:36], lEtat ivoirien est tenu de respecter tous ces droits y relatifs et dexercer la diligence ncessaire pour prvenir et rprimer les abus de ces droits commis par ses propres forces de scurit ou des acteurs non tatiques faisant partie, ou intervenant, en soutien son dispositif de scurit. Les atteintes au droit la vie, lintgrit physique, la libert et scurit de la personne et au droit de proprit, attribuables aux Dozos qui auraient agis comme lments suppltifs des FRCI ou relais des forces de lordre, contreviendraient aux dispositions des articles[footnoteRef:37] 2, 3, 4, 15, 21 et 22 de la loi N 2000-513 du 1er aot 2000 portant Constitution de la Cte dIvoire. Ces violations des droits de lhomme pourraient alors tre directement attribuables ltat selon les principes du droit international coutumier sur la responsabilit de ltat, [footnoteRef:38] dans la mesure o ils ont exerc en fait des prrogatives de puissance publique dans le secteur scuritaire en cas dabsence ou de carence des autorits officielles et dans des circonstances qui requirent lexercice de ces prrogatives. [36: Par exemple, la Cte dIvoire a ratifi le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) le 26 mars 1992, la Convention des droits de lenfant (CDE) le 4 fvrier 1991 et la Charte africaine des droits de lhomme et des peuples (CADHP) le 6 janvier 1992.] [37: LArticle 2 prvoit que La personne humaine est sacre (); les droits de la personne humaine sont inviolables. Les autorits publiques ont lobligation den assurer le respect, la protection et la promotion. Toute sanction tendant la privation de la vie humaine est interdite. LArticle 3 interdit les traitements inhumains et cruels, dgradants et humiliant, la torture physique ou morale, les violences physiques (..).] [38: Ces principes ont t codifis dans les Articles sur la responsabilit des tats pour fait internationalement illicite, labors par la Commission du droit international et recommand lattention des gouvernements par la rsolution 56/83 de l'Assemble gnrale des Nations Unies. Voir en particulier les articles 8 et 9. Les Articles et ses commentaires officiels sont disponibles http://untreaty.un.org/ilc/texts/instruments/francais/commentaires/9_6_2001_francais.pdf]

34. Malgr labsence de toute rglementation officielle sur lintervention des Dozos comme force de scurit tatique, des liens entre les Dozos et les forces de lordre, les FRCI[footnoteRef:39] ainsi que les autorits politico-administratives et traditionnelles semblent avrs. Dans la plupart des cas, les autorits taient apparemment rgulirement tenues au courant des interventions, y compris des abus commis par les Dozos, posant la question dune ventuelle responsabilit pnale dventuels complices et commanditaires officieux.[footnoteRef:40]. Ceci permettrait de lutter contre limpunit qui caractrise les interventions des Dozos et de prvenir les futurs abus des droits de lhomme. [39: Par exemple lquipe du Capitaine Ouattara Bema Skou, Chef des FRCI au poste de commandement du Groupement tactique du sud-ouest dans la rgion de San Pedro, comprend au moins trois Dozos. Le 5 juillet 2012, sur ses instructions, ces derniers auraient soumis des dtenus de mauvais traitements afin de leur extorquer des aveux.] [40: Les Kamajors , milice compose de chasseurs traditionnels en Sierra Leone, structure proche des Dozos de Cte dIvoire, ont t tenus responsables de pillage, terreur organise, massacres de civils et emploi denfants soldats en Sierra Leone. Le 7 mars 2003, Hinga Norman, leur chef, ainsi que deux de ses collaborateurs, Moinina Fofana et Allieu Kondaw, ont t inculp pour les crimes sus-indiqus par le Tribunal pnal spcial pour la Sierra Leone. Leur procs sest ouvert le 3 juin 2004.]

VII. Abus des droits de lhomme attribuables aux Dozos

35. Durant la priode couverte par ce rapport, lquipe a pu confirmer quau moins 228 personnes ont t tues, 164 autres blesses par balle, machette ou couteau, et 162 arrtes arbitrairement et dtenues illgalement par les Dozos. De plus, au moins 274 cas de pillage, dincendie de maison et dextorsion commis par des Dozos ont t vrifis et confirms, principalement dans les rgions de San Pedro, Nawa, Gbkl, Gh, Cavally, Indenie-Djuablin, Marahou, Haut Sassandra, Tonkpi, Moronou et Guemon.

36. Ces exactions sont survenues lors doprations conjointes de Dozos et des FRCI et/ ou Dozos et allognes, ou du fait de limmixtion des Dozos dans lappareil scuritaire, soit de linitiative dlments Dozos, soit encore la demande dautorits administratives ou traditionnelles, ou de la population locale, pour assurer des missions de scurit, de maintien de lordre et dadministration de la justice. Les interventions des Dozos se sont concentres gnralement sur la traque des miliciens pro-Gbagbo et de personnes suspectes de mener des activits subversives, des pilleurs, des voleurs, des braqueurs, et des coupeurs de route. De nombreux tmoignages relatent que des Dozos profitent souvent de petits incidents pour agresser les habitants de leur village daccueil ou de villages voisins. Des tmoins ont galement indiqu que des Dozos sont sollicits pour procder des rglements de compte ou des rglements de litiges fonciers, ce qui dgnre souvent en conflits intercommunautaires violents pouvant entraner des pertes en vies humaines.

37. Dans leur grande majorit, les abus des Dozos restent impunis. Par exemple, lquipe a pu vrifier que, sur la trentaine de Dozos interpells par les forces de lordre entre 2011 et 2012, 16 ont t jugs, parmi lesquels sept ont t condamns en 2012. Si certains responsables des forces de scurit interpellent souvent les Dozos auteurs prsums dabus des droits de lhomme, par exemple Toumodi (31 km de Yamoussoukro), Bondoukou (173 km de Bouna) et Sanegourifla (15 km de Sinfra), et bien que certains tribunaux ouvrent des informations judiciaires lencontre de Dozos, en loccurrence Ouragahio (30 km de Gagnoa), Korhogo (634 km dAbidjan) et Gussabo (55 km de Daloa), lquipe a observ que la plupart des enqutes sont gnralement restes sans suite. La peur de reprsailles, le rglement lamiable des litiges impliquant des Dozos et lallgeance aux Dozos de certains responsables des forces de scurit, des autorits judiciaires, administratives, militaires et traditionnelles limitent laction de la justice dans plusieurs localits. De plus, certaines audiences et auditions de Dozos, prcisment aux Palais de justice de Toumodi et Korhogo, ainsi quau poste de la Gendarmerie de Ta, respectivement en mai, juin et juillet 2012, ont t suivis dun envahissement desdits locaux par des dizaines de Dozos mcontents et arms voulant manifestement faire obstruction aux enqutes et la justice.

7.1. Atteintes au droit la vie

38. A la lumire des informations et tmoignages concordants recueillis auprs de multiples sources, lquipe confirme quau moins 228 personnes, savoir 218 hommes, cinq femmes et cinq mineurs gs de 7 17 ans, ont t tues par des Dozos entre mars 2009 et mai 2013, principalement par balle de type calibre 12 et coups de machette.

39. Le 6 mars 2012, une femme tait tue coups de machette par un Dozo la gare routire de Bouak. Selon des tmoins rencontrs par les enquteurs de la DDH, une querelle a oppos la victime, une vendeuse ambulante, un Dozo en provenance de Vavoua. La tension est vite monte entre les deux protagonistes. Le Dozo a sorti sa machette dun sac et a dcoup les bras, ensuite le cou et le pied droit de la victime qui a succomb sur le champ ses blessures.

40. Le 30 mars 2012, le corps dun homme tait retrouv au cimetire de Guessabo (55 km de Daloa), mutil et amput de la cervelle, de lil droit et de la langue. Selon des tmoignages concordants collects Guessabo, la victime avait t enleve son domicile le 29 mars 2012, aux environs de 23 heures, par une dizaine de Dozos arms, dirigs par le chef des Dozos de la ville.

41. Le 25 avril 2012, une victime originaire de Sakr (27 km de Ta), tait mortellement blesse par balle. Un tmoin rencontr par les chargs des droits de lhomme de la DDH Sakr rapporte que ce jour-l, nous tions au bord de la route dans la matine (...); un homme habill en tenue Dozo et portant un fusil de chasse sest dirig vers nous et nous a demand lobjet de notre regroupement (...); Alors que nous lui demandions sil tait policier ou gendarme, il a ouvert le feu sur nous, blessant au moins cinq personnes, dont la victime(); Il sen est suivi une dbandade (...); Cest vers 18h, lorsquil y a eu accalmie, que la population, en compagnie dun lment des FRCI, est retourne sur les lieux et a retrouv le corps de la victime ().

42. Le 19 mai 2012, une jeune femme de 18 ans, enceinte de quatre mois, tait blesse mortellement par balle Ouragahio (16 km de Gagnoa), lors dune intervention des Dozos. Selon un voisin : Un groupe de Dozos bien connus de la population locale, arms de fusil calibre 12 et de couteaux a pntr dans notre cour aux environs de 18 heures afin de procder une arrestation (...); Les Dozos ont attach la victime avec une corde (); Cest alors que le frre an de la victime est venu la rescousse (); Il a t maitris aussitt par trois Dozos (); La tension est alors monte dun cran et tous les voisins sont sortis de leurs maisons pour suivre la scne, y compris la victime (); Un Dozo a arm son fusil de calibre 12 et la point sur nous, le doigt sur la gchette (); Soudain, nous avons entendu un coup de feu, la victime a pouss un cri et est tombe (...); La balle tait rentre dans son ventre (); Pris de panique, les Dozos se sont enfuis (); La population a mis un pagne autour de labdomen de la victime afin de couvrir les intestins qui en ressortaient, puis elle a t vacue Gagnoa (); Elle est dcde son arrive au Centre hospitalier rgional de Gagnoa.

43. Le 20 juillet 2012, lors de lattaque du camp de dplacs internes de Nahibly Duekou, les Dozos ont soutenu les jeunes assaillants malinks causant la mort dau moins 8 personnes. Par ailleurs, dans la nuit du 31 juillet 2012, Sanegourifla (15 km de Sinfra), les Dozos, pourchassant un voleur de bananes, ont tu un homme par balle. Le 26 octobre 2012, un orpailleur originaire du Burkina Faso a t tu par un Dozo laide dun fusil calibre 12 au motif quil aurait travers motocyclette un poste de contrle des Dozos sans marquer un arrt. Lquipe des enquteurs de la DDH a pu voir dans une clinique prive de la ville, la dpouille mortelle de la victime qui portait plusieurs impacts de balles sur le dos.

7.2. Atteintes au droit lintgrit physique

44. Lquipe confirme quau moins164 personnes, dont 14 femmes, 137 hommes et 13 mineurs - parmi lesquels 7 filles - ont t victimes datteinte au droit lintgrit physique. Ces actes seraient imputables aux Dozos. Ces actes ont t perptrs dans 22 localits dans les villes dAbidjan, Bondoukou (424 km dAbidjan), Bouak (379 km dAbidjan), Bouna (604 km dAbidjan), Boundiali (574 km dAbidjan), Daloa (406 km dAbidjan), Duekou (500 km dAbidjan), Gagnoa (288 km dAbidjan), Grand Zattry (69 km au nord de Soubr), Korhogo (634 km dAbidjan), Odienn (771 km dAbidjan), et Ta (118 km au sud de Duekou).

45. Les personnes ont t blesses principalement par balle, poignard, machette et coups de fouet. Les Dozos ont souvent utilis des cordes et des chanes munies de cadenas afin de ligoter et dimmobiliser leurs victimes avant de les transfrer aux forces de lordre. Dans la majorit des cas, il est rapport que les Dozos soumettent les victimes un interrogatoire serr et leur administrent des traitements cruels, inhumains et dgradants en scarifiant leurs corps, par exemple, avec des lames de couteaux chauffs afin de les contraindre passer aux aveux.

46. Dans la nuit du 9 au 10 octobre 2011, un cultivateur de lethnie Gur, rsidant au quartier Antenne de Duekou, tait arrt par six Dozos sous prtexte quil hbergeait des voleurs et des braqueurs. La victime a t ligote en prsence de sa concubine et de leur fils de 4 ans puis conduite la base des Dozos sise dans le mme quartier. Elle y a t prive de libert jusquau lendemain, 22 heures, et battue laide de divers objets contondants. Les Dozos lont tortur pour lui extorquer des aveux en lui apposant des lames de couteaux chauffes sur le corps.

47. Le 21 novembre 2011 Batgudea II (30 km de Daloa), lors dun conflit communautaire opposant les Dozos la population, une fille ge de 12 ans a reu une balle perdue labdomen. Cette attaque tait mene par un groupe de Dozos arms de fusil de chasse et ayant leur tte le chef Dozo de la localit. Au cours de la mme attaque, un garon g de 14 ans a t bless lpaule par une machette. Le 25 avril 2012 Sakr (27 km de Ta), une fille de sept ans et sa mre ont t poignardes par des Dozos, respectivement au ventre et au visage, suite leur refus dobtemprer leur interpellation un poste de contrle des Dozos situ lentre dudit village.

48. Le 7 fvrier 2012, deux hommes roulant moto, taient arrts et bastonns par des Dozos Golihoua (31 km dIssia sur laxe Issia-Gagnoa), avant dtre conduits au camp des FRCI de la ville au motif quils taient des miliciens pro-Gbagbo. Le premier a t libr le 14 fvrier 2012, faute de preuves, et portait des blessures la tte, la poitrine, au dos et un bras. Le second, qui tait vtu dun treillis et de rangers lors de son arrestation, a t prsent par les FRCI aux chargs des droits de lhomme de la DDH comme un ancien milicien pro-Gbagbo. Lors de la visite, cette victime prsentait une blessure ouverte sur le bras droit.

49. Le 5 mars 2012, Petit-Yapo (65 km dAbidjan), une femme a appel la rescousse une dizaine de Dozos en provenance dAgboville, arms de fusils calibre 12 et de couteaux, afin dinterpeller et darrter un autochtone de lethnie Abbey avec lequel elle avait eu une dispute la gare routire. Il sen est suivi de violents affrontements entre les Abbey et les Dozos qui ont fait six blesss par arme blanche et crosse de fusil parmi les Abbey. De plus, le 26 avril 2012, vers minuit, un homme tait arrt par un Dozo proximit de sa maison, sise au quartier rsidentiel de Duekou. Le Dozo a demand la victime de le suivre au motif quelle tait un bandit. Face aux protestations de la victime, le Dozo la gifle et la entraine de force dans un cachot situ dix kilomtres plus loin.

50. Un homme rsidant Gussabo, a prsent aux enquteurs de la DDH son dos lacr par le fouet et sa bouche dpourvue de deux dents, tmoignant des mauvais traitements que les Dozos lui ont infligs le 29 mars 2012: Un groupe de Dozos sous la dlgation dun chef Dozo de Gussabo ma rveill et sest introduit dans ma maison(..); Ils ont trouv un colis compos de masque et des gris-gris(); Ils mont demand si le colis mappartenait et je leur ai rpondu que cela appartient un fticheur - gurisseur qui travaille dans ma cour (); Je leur ai propos de tlphoner ce fticheur pour vrification (); Ils mont alors arrach mon tlphone portable, mont attach avec une corde et mont battu (); Les coups allaient sur tout le corps y compris le visage (); Cest ainsi que jai perdu deux dents (); Quelques instants plus tard, ce groupe narrivait pas saccorder sur mon sort (..); Certains voulaient me conduire dans leur camp, dautres voulaient me transfrer dans un lieu inconnu pour me tuer (); Jai pu tre sauv par un lment des FRCI que mon pouse a appel au tlphone ().

51. Le 17 mars 2013, sur la route de Grand Zattry, trois Dozos ont ligot et train au sol sur prs de deux kilomtres, laide dune corde, un jeune homme suspect du cambriolage dune boutique. Un tmoin a indiqu que la victime tait hue par les passants, quelle narrivait plus se tenir debout et que son corps tait ensanglant. Une quipe de lONUCI, de passage sur les lieux de lincident, a facilit le transfert de la victime vers le poste de gendarmerie puis dans un centre hospitalier.

7.3. Atteintes au droit la libert et la scurit de la personne

52. Lquipe a vrifi et confirm 162 cas datteinte au droit la libert et la scurit de la personne au cours de la priode couverte par le rapport. Ces exactions, dans leur majorit, ont t commises principalement louest et au sud-ouest du pays afin de traquer et/ou neutraliser les prsums partisans pro-Gbagbo, les voleurs, braqueurs, coupeurs de route et autres bandits, rputs nombreux dans cette partie du territoire[footnoteRef:41]. Dans ces rgions, la prsence des Dozos est synonyme dinscurit et de peur. Elle reprsente une relle menace pour la population autochtone. En se substituant aux forces de lordre et en menant des missions de police administrative et judiciaire, les Dozos procdent des arrestations arbitraires, des dtentions illgales, profrent des menaces de mort lencontre de ceux qui dnoncent leurs exactions, limitent la libre circulation des biens et des personnes, occasionnant ainsi des dplacements des populations ou limitant le retour des dplacs. [41: Ces chiffres sont loin dtre exhaustifs. La crainte relle ou suppose de reprsailles des victimes de Dozos limite leur propension tmoigner. ]

53. Par exemple, larrive dune centaine de Dozos munis de fusils calibre 12 et darmes blanches Adebem, dans la sous-prfecture de Sago, entre les 28 et 31 juillet 2011, en vue dy installer un campement, a caus le dplacement de centaines de personnes vers des localits avoisinantes. Cette situation a galement paralys le systme scolaire dans la localit sus-indique, car les enseignants apeurs ont abandonn les coles dans lesquelles ils taient affects. Lors dune runion communautaire tenue le 19 aot 2011 relative linstallation dun camp de Dozos dans ledit village afin dy assurer la scurit, la population autochtone largement minoritaire, craignant des reprsailles de la part des Dozos en surnombre dans la localit et ses environs, na pas pu donner ouvertement son avis sur la question et a souhait se rfrer au prfet. Cette mfiance de la population vis--vis des Dozos a t observe dans plusieurs autres localits, notamment Meagui, le 12 octobre 2011, ainsi qu Moussadougou et Mathieukro, respectivement les 25 septembre et 30 octobre 2011. Elle a souvent occasionn des tensions communautaires et favoris les dplacements internes de centaines dautres personnes.

54. Le 20 novembre 2011, des Dozos ont envahi le village dAdebem (140 km au nord-est de San Pedro) et ont procd larrestation de plusieurs personnes au motif quelles avaient dtach et favoris la fuite dun coupeur de route que les Dozos avaient arrt et ligot depuis le 18 novembre 2011.

55. Le 25 janvier 2012, des Dozos ont arrt et dtenu un homme Grand Zattry, sous le prtexte quil avait vol une couverture en plastique. Les arrestations arbitraires opres de manire intempestive par des Dozos, ont pouss la population de Grand Zattry solliciter lintervention et la protection de lONUCI. Le 13 juillet 2011, la population de lethnie Bakw, rsidant entre les axes routiers de San Pedro et Soubr dune part, et San Pedro- Sassandra dautre part, asaisi lONUCI suite aux exactions[footnoteRef:42]commises par des Dozos dans leurs villages, campements et plantations, avec le soutien prsum des FRCI. [42: Entre autres, menaces de mort et victions par la force de leurs plantations des autochtones au profit de non autochtones. ]

56. Des Dozos ont galement rig des barrires et corridors sur plusieurs voies publiques en vue dextorquer de largent aux usagers de la route, notamment sur les axes Abidjan-Sassandra et Sassandra-Sago- Niambezaria, dans les localits de Dassioko, Petit Bondoukou, Nouveau Zegban situes dans le dpartement de Fresco, Lauzoua dans le dpartement de Guitry et Dokpodon, dans le dpartement de Grand Lahou. On pourrait galement citer laxe Meagui-Campement Meangabougou et les localits de Okrouyo, Mabehiri I et Nguessankro, ainsi que Tchetaly, dans le dpartement de Soubr. De mai 2011 juin 2012, des Dozos ont maintenu une barrire sur laxe Meagui-Campement Meangabougou, obligeant les usagers payer une taxe de passage value 200 francs CFA (0,4 $), 500 francs CFA (1 $) et 1.000 francs CFA (2 $) respectivement pour les pitons, les cyclistes et les chauffeurs de camions de transport de fves de cacao et de caf.

57. Des Dozos exigent parfois le paiement dune ranon et extorquent de largent aux personnes quils ont arrtes lors de leurs interventions avant de les librer. Le 15 mars 2012, un leveur rsidant Gbongaha, dans la sous-prfecture de Seguelon, a t oblig de verser une ranon de 150. 000 francs CFA (300 $) au chef Dozo de sa localit afin de recouvrer la libert. Dans la nuit du 28 au 29 mars 2012, des Dozos ont emport un tlphone portable ainsi que la somme de 251.000 francs CFA (502 $) appartenant un commerant rsidant Guessabo. Dans la nuit du 27 au 28 juin 2012, des Dozos ont extorqu la somme de 310.000 francs CFA (620 $) et emport un tlphone portable appartenant un homme rsidant Gadouan (55 km de Daloa) au motif quil circulait pendant le couvre-feu dcrt unilatralement par les Dozos.

58. Le 28 janvier 2013, dans le cadre de leurs patrouilles nocturnes, des Dozos rsidant au Quartier Terre Rouge San Pedro, ont arrt, ligot avec des chanes et des cadenas, puis dtenu pendant trois jours dans leur base, trois personnes souponnes de vol de latex dans une plantation dhva avoisinante. Une intervention des officiers de droits de lhomme a permis le transfert immdiat des suspects la brigade de gendarmerie locale.

59. Les femmes nont pas t pargnes par les Dozos. En effet, au cours de la priode sous examen, lquipe a vrifi une vingtaine de cas darrestations arbitraires et de dtentions illgales de femmes par des Dozos, principalement dans les localits de Dahoua (24 km au nord-est de Duekou), Tanda (57 km au sud-est de Bondoukou), Koreguh (rgion de San Pedro), Fah (11km de Gabiadji) et Zita. Du 8 au 9 juillet 2011, une femme originaire de Guetuezon (42 km de Daloa) qui se rendait Zita (rgion du Haut-Sassandra) a t kidnappe et squestre par des Dozos Sokora (rgion du Haut-Sassandra). Elle a t libre le lendemain grce la mobilisation des villageois qui staient rendus au camp des Dozos Sokora afin de rclamer sa libration. Dans la nuit du 9 au 10 novembre 2012, Tanda (prs de la ville de Bondoukou), la demande dun couple, une femme ge de 69 ans a t squestre dans sa chambre par un Dozo qui la menace laide dun fusil de calibre 12, pour quelle lui remette de largent et un ftiche quelle utiliserait pour ensorceler son propre petit-fils atteint dpilepsie.

7.4. Atteintes au droit de proprit

60. Les enquteurs de la DDH ont document 274 cas datteintes au droit de proprit dont le bilan slve 300 pillages et maisons incendies par les Dozos, principalement lors de conflits intercommunautaires parfois motivs par des litiges fonciers et des destructions volontaires de plantations, rackets et extorsions sur la voie publique et les pistes en milieu rural.

61. Le 1er novembre 2011, des Dozos ont incendi 10 maisons et une cole Tahoubly-Gah, dans la rgion de Duekou. Les 20 et 21 novembre 2011, 19 maisons, dont quatre Drayo Dagnoa, dans le dpartement dOuragahio, et 15 Batguda II, dans le dpartement de Daloa, ont t endommages et incendies par les Dozos sur instruction des chefs Dozos dOuragahio et Daloa.Le 31 juillet 2012, des Dozos ont pill et incendi au moins cinq maisons ainsi que le march de Sanegourifla (15 km de Sinfra).

VIII. Mesures prises par les autorits ivoiriennes face aux abus commis par des Dozos

62. Depuis linvestiture du Prsident de la Rpublique Alassane Ouattara, le 21 mai 2011, la rconciliation, la lutte contre limpunit et la scurisation totale du territoire national reprsentent quelques-unes des principales priorits affiches par le gouvernement.

63. Sagissant du dfi scuritaire et de la volont politique de mettre fin aux drives des FRCI et autres forces affilies, notamment les Dozos, une opration de recensement et didentification des FRCI a dmarr le 8 mai 2011 dans le cadre du Programme national de rinsertion et de rhabilitation communautaire (PNRRC). Cette opration, supprime en 2012 au profit de lAutorit pour le dsarmement, la dmobilisation et la rintgration (ADDR), avait pour objectif de rtablir le capital confiance entre la population et larme afin de permettre aux FRCI dtre plus efficaces[footnoteRef:43] . Elle visait galement consolider les informations sur les ex-FAFN et ex-FDS au sein dune base de donnes centralise, exploitable par toutes les institutions officielles et rduire le nombre dusurpateurs du statut de FRCI. [43: Propos tenus par Cherif Ousmane, ex Comzone de la Zone 3 au sein des FAFN, actuellement commandant en second du GSPR en charge de la scurit de la premire dame, Dominique Ouattara, lors du lancement de lopration de recensement et didentification des FRCI tenue le 8 mai 2011 au Camp Gallieni sis au quartier Plateau dans la ville dAbidjan.]

64. En marge du PNRRC, le programme de Dsarmement, dmobilisation et rinsertion[footnoteRef:44] (DDR) recueille le surplus des effectifs[footnoteRef:45] requis pour lintgration au sein des FRCI afin de les rintgrer dans la vie civile et plusieurs autres programmes de rinsertion professionnelle. On y retrouve des ex-combattants des FAFN, des forces affilies aux FRCI, telles que des Dozos et dautres miliciens dtenant encore des armes et arborant des uniformes militaires, qui nont pas pu intgrer les FRCI lors du PNRRC. [44: A la demande du Prsident de la Rpublique, Alassane Ouattara, et suite aux multiples dysfonctionnements ayant caractris ce programme, il a t institu une Autorit pour le DDR (ADDR)par dcret prsidentiel en date du 8 aot 2012, sous la direction de M. Fidle Sarassoro.] [45: Le sminaire organis du 22 au 24 juin 2011 Grand Bassam, sous la prsidence de Paul Koffi Koffi, ministre dlgu auprs du Prsident de la rpublique charg de la dfense sur le thme Quelle arme pour la Cte dIvoire nouvelle , a fix un quota de 11 000 lments qui doivent tre intgrs aux FRCI, dont 8700 ex-FAFN et 2300 autres lments associs aux FRCI pendant la crise postlectorale.]

65. Le 21 dcembre 2011, Zakaria Kon[footnoteRef:46], une des grandes figures de la confrrie des Dozos et ancien commandant de la Zone 5 des Forces Nouvelles Vavoua-Sgula, a t nomm responsable nationalde la police militaire. Il a notamment pour mission de traquer les lments indlicats et incontrls des FRCI et ses forces affilies qui ternissent limage et la rputation des forces de dfense et de scurit ivoiriennes en commettant des violations et exactions des droits de lhomme. Il a sillonn toutes les rgions de Cte dIvoire, en compagnie dautres leaders Dozos, afin dinviter les membres de cette confrrie qui ne sont ni des militaires, policiers ou gendarmes retourner leurs occupations traditionnelles de dtenteurs de savoirs ancestraux. [46: Selon des sources officielles, Kon Zakaria a t affect le 7 novembre 2012 au Bataillon dartillerie Sol-Air (BASA) dAbidjan en qualit de commandant en second.]

66. Une circulaire interministrielle relative la prsence des Dozos aux barrages routiers a t adopte le 5 juin 2012, par le ministre auprs du Prsident de la Rpublique charg de la dfense et ministre dEtat, le ministre de lIntrieur et de la Scurit. Cette circulaire stipule qu compter du 30 juin 2012, toute personne nappartenant pas aux forces armes ou la Police Nationale et prise en flagrant dlit de contrle routier sera interpelle, et le cas chant, fera lobjet de poursuites judiciaires . En dehors de certains grands axes - linstar de celui dAbidjan/Sassandra o des barrires des Dozos ont t supprimes - cette circulaire na pas reu un grand cho lintrieur du pays o plusieurs barrages et autres postes dobservation des Dozos continuent dtre oprationnels sans que cela ait entrain des poursuites judiciaires lencontre des contrevenants.

67. Le 1er novembre 2012, le Ministre dEtat, Ministre de lIntrieur et de la Scurit, Hamed Bakayoko, a organis une grande rencontre dite de clarification avec les membres de la confrrie des Dozos. Tout en reconnaissant leur soutien au rgime lors de la crise post-lectorale, il leur a demand de sen tenir absolument leurs missions historiques de chasseurs traditionnels et de sabstenir de se substituer aux forces de lordre, notamment la police, la gendarmerie et larme, et aux missions dvolues la justice. Les participants ont promis de se conformer cette demande et de se dpartir des comportements indignes, y compris des exactions.

68. Cette rencontre ayant rvl un conflit de leadership, sur le plan national, affectant la confrrie, le ministre sus-indiqu a facilit lorganisation dau moins quatre autres grands rassemblements des Dozos[footnoteRef:47] en vue dunifier les diffrentes factions dissidentes, de mieux structurer les membres de la confrrie au sein dune seule et unique association nationale Binkadi Vandougou et de dsigner un leader national des Dozos[footnoteRef:48]. Cest ainsi que, lors du conclave des Dozos tenu les 9 et 10 mai 2013 Oueli, dans le canton du Vandougou (160 km au nord dOdienn), Kon Noumouti a t dsign par ses pairs, chef suprme des Dozos de Cte dIvoire. [47: On pourrait citer le 18 novembre 2012 Gagnoa, le 13dcembre 2012 Korhogo, le 30 dcembre 2012 Mankono, dans la rgion de Ber, et les 9 et10 mai 2013 (160 km au nord dOdienn). ] [48: Trois critres majeurs sont souvent invoqus pour prtendre la qualit de leader national des Dozos; lanciennet dans la confrrie, lappartenance la ligne des premiers Dozos ou la partie septentrionale du pays (principalement les rgions du Folon et Kabadougou considres comme le berceau des Dozos), et la pratique du Dozoya pur (avoir la puissance mystique et maitriser une vaste gamme de secrets sotriques relevant de la confrrie).]

69. Le dficit scuritaire justifiant lattente de la population de certaines rgions et localits des services des Dozos, est progressivement combl par le dploiement graduel des forces de police, gendarmerie et militaires sur lensemble du territoire national. Ce personnel, bien que manquant de moyens logistiques et, souvent, de discipline et de motivation[footnoteRef:49], sexerce traduire la volont du gouvernement de transfrer les missions de scurisation des personnes et des biens exclusivement aux forces officielles de maintien de lordre. [49: Lors des missions, plusieurs personnes ont indiqu lquipe que la police et la gendarmerie en milieu priurbain et rural interviennent rarement lorsque les citoyens en dtresse les appellent au secours, alors que les Dozos, grce leur systme dintervention rapide, sont prsents sur les lieux dans un dlai de 5 10 minutes suivant lappel. Les raisons invoques par la police et la gendarmerie sont le manque de moyens de locomotion et de protection (gilets pare-balles et casques), et lembargo sur les armes, qui limite la capacit des policiers et gendarmes mener des oprations contre des criminels arms de mitraillettes automatiques et autres armes lourdes. . ]

70. Depuis 2010, la crise politique a facilit la libre circulation et lutilisation des armes. Pour lutter contre ce flau, le Prsident de la Rpublique a sign, lors du Conseil des ministres du 4 juillet 2012, un dcret portant modification du dcret n 99-183 du 24 fvrier 1999 portant rglementation des armes et des munitions en Cte dIvoire. Ce dcret permet de mieux encadrer la dlivrance du permis de port darmes et de munitions par un mcanisme rigoureux, qui prserve la fois les intrts de lEtat, des dtenteurs de permis et des populations. Le dcret prescrit aux dtenteurs darmes un dlai de six mois compter de la date de son adoption pour introduire de nouvelles demandes de port darmes et de munitions auprs des services comptents du MEMIS. Plus de dix mois aprs lentre en vigueur dudit dcret, les entreprises de transfert de fonds, de gardiennage, de scurit rapproche et de scurit prive et les particuliers, y compris les Dozos, tardent sy conformer.

IX. Conclusions et recommandations

71. Depuis au moins deux dcennies environ, les Dozos sont au centre de vifs dbats en Cte dIvoire, compte tenu du rle croissant quils ont jou et continuent de jouer dans le domaine scuritaire, ainsi que des drives qui en dcoulent. Les autorits gouvernementales prconisent depuis lanne 2011 linterdiction pour les Dozos dexercer des responsabilits en matire de scurit, ainsi que leur dsarmement, dmobilisation et rintgration, de mme que des sanctions lencontre de Dozos auteurs dabus des droits de lhomme. Toutefois, les rsultats de quelques initiatives des pouvoirs publics se font encore attendre[footnoteRef:50] sur lensemble du pays, notamment en raison des connivences prsumes entre certaines hautes autorits tatiques et les Dozos. Entre-temps, des membres influents de cette confrrie ont t promus des postes de responsabilit dans les services de scurit et de dfense de lEtat. Les leaders Dozos, quant eux, estiment navoir pas t suffisamment rcompenss pour les services apports aux forces ayant port au pouvoir le prsident en exercice. Ils se considrent comme des protgs du pouvoir en place et esprent que ce dernier rpondra favorablement leurs dolances[footnoteRef:51]. [50: Depuis lexpiration du dlai du 30 juin 2012 en application de la circulaire interministrielle du 5 juin 2012 relative la prsence des Dozos aux barrages routiers, des Dozos continuent dassurer impunment, dans certaines localits, des missions de police, de gendarmerie et de police administrative. Ils rigent galement des postes de contrle en vue dextorquer des sommes dargent aux usagers de la route, notamment dans les villages autour dAbengourou, Duekou, Korhogo, San Pedro, Daloa, Ta et Touleupleu] [51: Le 13 avril 2012, le prsident de la FENACODOCI, Dosso Sory, a inform ses pairs, lors de la crmonie dinstallation de son reprsentant dans la rgion dOdienn, de la cration de la socit nationale dintervention rapide (SNIR) pour le compte des Dozos. Il a ajout que ce projet aurait reu lagrment des hautes autorits tatiques. Lquipe, lors de ses missions sur le terrain en octobre et novembre 2012, a rencontr des Dozos ayant une carte de membre de la SNIR. Cette initiative pourrait limiter lengouement des Dozos pour le programme DDR.]

72. De mars 2009 mai 2013, travers tout le pays, des Dozos ont t impliqus dans des abus des droits de lhomme, causant la mort dau moins 228 personnes et blessant 164 autres par balle, machette ou couteau. Des Dozos sont galement responsables de 162 arrestations et dtentions arbitraires. De plus, au moins 274 cas de pillage, dincendie de maisons et dextorsion commis par les Dozos ont t vrifis et confirms, principalement dans les rgions de Gbkl, Haut Sassandra, Gh, Cavally, Guemon, Tonkpi, Marahou, Nawa, Indenie-Djuablin, Moronou et Moyen Como. En tout et pour tout, seuls sept Dozos auraient t jugs et condamns ce jour pour des actes de vol main arme, meurtre, et dtention illgale darmes.

73. De nombreux actes commis par des membres de la confrrie des Dozos constituent des violations de normes internationales relatives aux droits de lhomme, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits conomiques, sociaux et culturels ainsi que la Charte africaine des droits de lHomme et des peuples. Ces abus sont galement en contravention avec certaines dispositions de la Constitution ivoirienne, notamment ses articles 2, 3, 4 et 15. Aussi, les Dozos responsables dabus des droits de lhomme devraient rpondre de leurs actes devant les juridictions nationales comptentes. Toutefois, les forces de lordre et les institutions judiciaires font souvent allgeance aux Dozos et ninterpellent pas les Dozos prsums coupables ni engagent des poursuites judiciaires leur encontre.

74. Par ailleurs, des Dozos ont souvent fait usage des armes feu envers la population civile durant leurs interventions, sans autorisation de port darmes pralable ou expresse de lautorit comptente. Ce comportement enfreint galement le serment et le code thique des Dozos prnant le respect et la protection de la vie, notamment des femmes et des enfants. Les autorits ivoiriennes comptentes ont lobligation de rglementer le port et lutilisation des armes feu, de veiller la stricte application de la rglementation y affrant et de poursuivre les contrevenants.

75. Limplication des Dozos en matire de scurit, y compris leur implication non officielle dans lappareil scuritaire tatique et ladministration de la justice, sans autorisation lgale, sest faite avec le soutien tacite de certains responsables des forces de lordre, des FRCI et des autorits politiques, administratives et traditionnelles pro-Dozos. Cette collaboration officieusement officielle des Dozos a contribu linstauration dune culture dimpunit chez les Dozos, aiguisant le sentiment quils sont au-dessus de la loi et que le rgime en place leur est redevable pour stre appuy sur eux dans leur qute du pouvoir. Ceci oblige les autorits comptentes enquter sur ces soutiens prsums aux Dozos responsables dexactions.

76. A la lumire des abus des droits de lhomme attribuables aux Dozos, et dans la perspective de prvenir dautres violations, de sanctionner les auteurs prsums - quelle que soit leur affiliation ethnique et politique -, de promouvoir la stabilit des institutions rpublicaines, la bonne cohabitation intercommunautaire, et de favoriser la cohsion sociale, la DDH de lONUCI recommande:

Aux autorits de la Cte dIvoire:

De dployer des forces de scurit, de faon permanente et sur lensemble du territoire national afin de limiter le recours de la population aux Dozos et de renforcer la confiance entre ceux-ci et la population, notamment dans les localits o les forces de lordre sont inexistantes; de doter ces dernires de la formation et de moyens logistiques adquats et les encourager la discipline pour mener bien leurs missions de dfense et de protection des personnes et des biens;

De mettre en uvre toutes les mesures ncessaires afin que les Dozos cessent dexercer des fonctions en matire de scurit;

De veiller lapplication de la loi de 1998 sur le foncier rural, et rglementer les modalits de circulation, de rassemblement et de runion des Dozos afin de limiter les atteintes lordre public et la cohsion sociale;

Dinciter et daccompagner les Dozos mener un recensement gnral de leurs effectifs;

De prendre toutes les mesures ncessaires pour sassurer que les Dozos se conforment aux prescriptions du dcret du 4 juillet 2012 portant rglementation des armes et des munitions en Cte dIvoire;

De mener des enqutes approfondies sur toutes les exactions des droits de lhomme notamment celles commises par des Dozos, de sassurer que les auteurs prsums sont traduits en justice et sanctionns et que les victimes obtiennent rparation;

De doter les autorits judiciaires des moyens ncessaires pour faire efficacement leur travail afin de traduire en actes concrets la volont politique dclare de lutter contre limpunit, y compris envers les Dozos;

De prendre toutes les mesures ncessaires pour sanctionner et engager la responsabilit pnale et civile des lments des Forces Rpublicaines de Cte dIvoire (FRCI), des autorits administratives, politiques et traditionnelles, ainsi que des civils qui solliciteraient les services des Dozos;

Aux Dozos :

De prendre toutes les mesures ncessaires, notamment en ce qui concerne la discipline ainsi que la non immixtion des pouvoirs publics dans le fonctionnement interne des Dozos;

De se conformer aux prescriptions gouvernementales, notamment en ce qui concerne le port darmes et de munitions;

A la communaut internationale:

Dencourager et dappuyer les efforts des Autorits dans la lutte contre limpunit des Dozos auteurs prsums dabus des droits de lhomme;

Daccompagner activement les Autorits dans les efforts de mise en uvre du programme pour le dsarmement, la dmobilisation et la rinsertion (DDR) et la rforme du secteur de la scurit afin que des FRCI bien forms et disciplins soient deployes sur lensemble du territoire national et quils y gagnent la confiance de la population.

X. Annexes

1. Circulaire interministrielle du 05 juin 2012 relative la prsence des Dozos aux barrages routiers.

2. Dcret du 4 juillet 2012 portant modification du dcret n 99-183 du 24 fvrier 1999 portant rglementation des armes et munitions

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