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exclusif Tennessee Williams expliqué par lui-même DOM 6,50 € - BEL 6,50 € - CH 12,00 FS - CAN 8,30 $ CAN - ALL 6,90 € - ITL 6,60 € - ESP 6,60 € - GB 5 £ - AUT 6.70 € - GR 6,60 € - PORT CONT 6,60 € - MAR 60 DH - LUX 6,60 € - TUN 7,3 TND - TOM /S 850 CFP - TOM/A 1350 CFP - MAY 6,50 € 3:HIKMKE=^U[UU\:?a@p@b@l@a; M 02049 - 511 - F: 6,00 E www.magazine-litteraire.com - Septembre 2011 enquêTe que reste-t-il de lacan ? RABELAIS « Les Fantastiques Batailles des grands Roys Rodilardus et Croacus » TEXTE INÉDIT RENTRÉE LITTÉRAIRE CAHIER CRITIQUE DE 32 PAGES Darrieussecq, Minard, carrère, Reinhardt, foenkinos, Audeguy, Burnside, Grossman… RABELAIS « Les Fantastiques Batailles des grands Roys Rodilardus et Croacus »

Rabelais

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En son temps jugé inconvenant par les lettrés et par la Sorbonne, l’auteur est cette année mis à l’honneur par l’Éducation nationale, qui l’inscrit aux programmes du bac et de l’agrégation.

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www.magazine-litteraire.com - Septembre 2011

enquêTeque reste-t-il de lacan ?

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« Les Fantastiques Batailles des grands Roys Rodilardus et Croacus »

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RentRée littéRaiRe cahieR cRitique de 32 pages Darrieussecq, Minard,carrère, Reinhardt, foenkinos, Audeguy, Burnside, Grossman…

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« Les Fantastiques Batailles des grands Roys Rodilardus et Croacus »

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3 Éditorial

Septembre 2011 | 511 | Le Magazine Littéraire

Édité par Sophia Publications74, avenue du Maine, 75014 Paris.Tél. : 01 44 10 10 10 Fax : 01 44 10 13 94Courriel : [email protected] : www.magazine-litteraire.com

Service abonnements Le Magazine Littéraire, Service abonnements 22, rue René-Boulanger, 75472 Paris Cedex 10Tél. - France : 01 55 56 71 25Tél. - Étranger : 00 33 1 55 56 71 25Courriel : [email protected] France 2010 : 1 an, 11 numéros, 58 €.Achat de revues et d’écrins : 02 38 33 42 87 U. E. et autres pays, nous contacter.

Pour joindre directement par téléphone votre correspondant, composez le 01 44 10, suivi des quatre chiffres placés après son nom.

RédactionDirecteur de la rédactionJoseph Macé-Scaron (13 85)[email protected]édacteur en chef Laurent Nunez (10 70) [email protected]édacteur en chef adjoint Hervé Aubron (13 87) [email protected] éditorial Alexis LacroixChef de rubrique « La vie des lettres » Alexis Brocas (13 93)Conception couverture A noirConception maquette Blandine PerroisDirectrice artistique Blandine Perrois (13 89) [email protected] photo Michel Bénichou (13 90) [email protected]/éditrice web Enrica Sartori (13 95) [email protected] Valérie Cabridens (13 88)[email protected] Christophe Perrusson (13 78)Directrice administrative et financièreDounia Ammor (13 73)Directrice commerciale et marketing Virginie Marliac (54 49)

Marketing directGestion : Isabelle Parez (13 60) [email protected] : Anne Alloueteau (54 50)

Vente et promotionDirectrice : Évelyne Miont (13 80) [email protected] messageries VIP Diffusion Presse Contact : Frédéric Vinot (N° Vert : 08 00 51 49 74)Diffusion librairies : Difpop : 01 40 24 21 31

PublicitéDirectrice commerciale Publicité et Développement Caroline Nourry (13 96)Publicité littéraire Marie Amiel - directrice de clientèle (12 11) [email protected]é culturelle Françoise Hullot - directrice de clientèle (secteur culturel) (12 13) [email protected]

Service comptabilité Sylvie Poirier (12 89) [email protected]

Impression Imprimerie G. Canale, via Liguria 24, 10 071 Borgaro (To), Italie.

Commission paritairen° 0410 K 79505. ISSN- : 0024-9807

Les manuscrits non insérés ne sont pas rendus.Copyright © Magazine LittéraireLe Magazine Littéraire est publié par Sophia Publications, Société anonyme au capital de 115 500 euros.

Président-directeur général et directeur de la publicationPhilippe ClergetDépôt légal : à parution

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L a rentrée littéraire… comme s’il y avait une sortie littéraire ! Il faut en­tendre par cette expression dont nous usons et abusons dans ces pages l’ava­lanche de titres qui va submerger les

rayons des libraires et permettre au critique de « gratter » une ou deux pages de plus dans le ghetto des pages « culture » – et ce, en dépit des hurlements indignés de ses collègues qui traitent du dernier film en 3D ou de l’opus remixé de Britney Spears.Justement, nous assistons à l’occasion de cette rentrée à une bataille de « blondes » sans quitter les bars de Sunset Bou­levard. À ma gauche, Simon Liberati traite chez Grasset de la tragique disparition de Jayne Mansfield. À ma droite, Jean Rolin s’attaque au possible enlèvement de Britney Spears (P.O.L). Deux romans réussis tant il est vrai que les écrivains tout comme les philosophes peu­vent déployer leur inspiration et leur talent dans les rognures du temps, comme l’ont assez souligné, cha­cun à sa manière, Gombrowicz et Foucault.Voilà qui nous conduit tout naturellement au dernier ouvrage de Frédéric Beigbeder : Premier bilan après l’apocalypse (1). Cent romans qui se présentent comme cent raisons de défendre la survie du livre papier. Le choix est arbitraire. Normal. La lecture, c’est aussi et d’abord la conscience subjective d’un lecteur. Fini la naïveté positiviste, objectiviste, qui consistait à nier l’efficace du préjugé, comme si les choses pouvaient parler elles­mêmes sans aucune espèce d’intrusion subjective. Les choses et les textes ne peuvent parler qu’à travers nos projets d’intelligi­bilité. Seule notre parole leur permet de parler.

C’ est ainsi que Beigbeder a raison de donner une seconde chance non seulement à La Route du retour de Jim Harrison et à Ivre

du vin perdu de Gabriel Matzneff, mais aussi à Fin de party de Christian Kracht, qui fait penser au Huys­mans d’À rebours, et à Un jeune homme chic d’Alain

« Destroy » Pacadis. Ses notes sur les écrivains (sur­tout ceux de sa génération, car Beigbeder est un des rares – le seul ? – roman­ciers actuels à lire ses pairs, ce qui tout de même se pra­tique dans tous les autres pays) sont terriblement justes. Ainsi quand il évoque Marc­Édouard Nabe : « Quel destin plus triste que d’avoir voulu être Léon Bloy et de finir sous­Jean­Edern Hallier ? » Page 108, puis page 423, Bret Easton Ellis, que l’auteur place très haut, est

présenté comme un « curé qui appelle au secours », puis comme un moine. Pour la prochaine réédition de cet ouvrage, qui ne manquera pas d’arriver, je me permets de conseiller de s’en tenir à la première présentation. Il y a, en effet, un aspect bernanosien – eh oui ! – chez Ellis, car, dans ses romans, il est moins question du Mal que du Diable, du Malin.

V ous êtes beigbederophobe ? Après tout, pourquoi pas, puisque la France est deve­nue une immense cage aux phobes. Ouvrez

quand même ce livre pour sa préface, et vous verrez comment l’auteur met gants blancs et casoar pour partir à l’assaut du livre numérique. Derrière le ton désabusé et cynique perce une véritable angoisse, mais aussi un sursaut de colère. « Comme disait Michaux à propos de l’homme : le roman sur papier, c’était quand même quelqu’un. » Le problème avec la tablette électronique, c’est qu’Albertine disparue pèsera exactement le même poids que L’Échappée belle. Ceux qui attendaient un Frédéric ricanant découvrent un Beigbeder indigné ! Et c’est ainsi que l’auteur est grand. [email protected](1) Premier bilan après l’apocalypse, Frédéric Beigbeder, éd. Grasset, 432 p., 20,50 €.

La guerre du goût selon Beigbederpar Joseph Macé-Scaron

Sur Marc-Édouard Nabe : « Quel destin plus triste que d’avoir voulu être Léon Bloy et de finir sous-Jean-Edern Hallier ? »

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Septembre 2011 | 511 | Le Magazine Littéraire

Le cercle critiqueChaque mois, des critiques inédites exclusivement accessibles en ligne.

Émissions littérairesLe point sur les nouvelles grilles de programmes des radios et des télévisions. Une analyse détaillée de la place des livres dans les médias audiovisuels.

Jacques LacanEn complément de notre enquête, les liens vers les meilleures ressources lacaniennes du web.

David GrossmanLa vidéo de notre rencontre avec l’écrivain le 8 septembre à l’hôtel Lutetia.Su

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n° 511 Septembre 2011Sommaire

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Trente ans après sa mort, l’héritage de Jacques Lacan Dossier :� François Rabelais Entretien :� David Grossman

Illustration de couverture : Enki Bilal pour Le Magazine Littéraire © ADAGP-Paris pour les œuvres de ses membres reproduites à l'intérieur de ce numéro.

Abonnez-vous page 101

Ce numéro comporte 5 encarts : 2 encarts abonnement sur les exemplaires kiosque, 1 encart Edigroup sur exemplaires kiosque de Suisse et Belgique, 1 encart Faton et 1 encart Studio Ciné Live sous enveloppe, sur abonnés et ventes France Métropolitaine.

Charles Dantzig inaugure dans ce numéro un feuilleton mensuel. Première salve avec Stendhal et Paul Auster.

L’actualité 3 L’éditorial de Joseph Macé-Scaron 6 Contributeurs 8 Trente ans après sa mort : Lacan, analyste

ou maître spirituel ? par Jean Allouch 14 La vie des lettres Édition, festivals,

spectacles… Les rendez-vous du mois 24 Le feuilleton de Charles Dantzig

Le cahier critique 26 Emmanuel Carrère, Limonov 28 Marien Defalvard, Du temps qu’on existait 29 Véronique Ovaldé, Des vies d’oiseaux 30 Éric Reinhardt, Le Système Victoria 32 Vanessa Schneider, Le Pacte des vierges 33 Thierry Laget, La Lanterne d’Aristote 34 Stéphane Audeguy, Rom@ 36 Marie Darrieussecq, Clèves 37 Céline Minard, So Long Luise 38 Brigitte Giraud, Pas d’inquiétude 39 David Foenkinos, Les Souvenirs 40 Sylvain Coher, Carénage 41 Denis Lachaud, J’apprends l’hébreu 42 Michel Schneider, Comme une ombre 43 Anne Maro, Solution terminale 44 Alexis Jenni, L’Art français de la guerre 46 Clara Dupont-Monod, Nestor rend les armes 48 Maxim Biller, Le Juif de service Howard Jacobson, La Question finkler 50 Joseph O’Connor, Muse 51 Steve Sem-Sandberg, Les Dépossédés 52 John Burnside, Scintillation 53 David Vann, Désolations 54 Ida Hattemer-Higgins, L’Histoire de l’Histoire 55 Julian Barnes, Pulsations 56 Dimitri Bortnikov, Repas de morts

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Prochainnuméroenventele29septembreDossier : Maupassant

Le dossier 58 François Rabelais

dossier coordonné par Maxime Rovere 60 Tardivement digéré, par Thomas Pavel 62 Un illustre inconnu,

par Pierre-Édouard Peillon 64 Bibliographie 66 En dehors des rangs, par Claire Sicard Un éditeur actif, par Claude La Charité 68 Mécènes mis en scène, par Mireille Huchon 70 Un ouvroir de langues potentielles,

par Jean-Charles Monferran 72 La Babel rabelaisienne, par Mireille Huchon,

Romain Menini et Olivier Pédeflous 76 La correspondance de Rabelais,

par Claude La Charité 78 Un texte écrit sous cape,

par Romain Menini 80 Inédit : Les Fantastiques Batailles

des grands Roys Rodilardus et Croacus 82 Le banquet philosophique,

par Romain Menini 84 Ivres de savoir, par Laurent Zimmermann 85 En ordres de bataille, par Claire Sicard 87 Généalogie des géants, par Walter Stephens 88 Le goût des livres imaginaires,

par Walter Stephens 90 Entrez dans la danse, par Carlo Ossola

Le magazine des écrivains 94 Admiration Malcolm de Chazal,

par Robert Furlong 96 Grand entretien avec David Grossman,

par Manuel Carcassonne : « L’écriture, le seul chemin pour revenir de l’exil »

102 Extraits inédits De vous à moi, un recueil d’essais de Tennessee Williams

106 Le dernier mot, par Alain Rey

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Séminaire de Jacques Lacan, faculté de droit, 1970. À droite, sa secrétaire Gloria Gonzalez. Photo extraite du livre Album Jacques Lacan, visages de mon père, par Judith Miller, éd. du Seuil, 1991.

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parcours. En France, on découvrait Frege, on s’inté­ressait à la théorie des ensembles, aux fondements des mathématiques, ce qui donnait une certaine cou­leur « logicienne » à cet épinglage nouveau venu. Malentendu : c’était un maître spirituel qui parlait, enseignait, intervenait, pas seulement un psychana­lyste soucieux de porter au jour une inédite logique de la pratique analytique.

Vu depuis les margesJacques Lacan maître spirituel : cette donne est désor­mais davantage lisible par la grâce de publications récentes de textes qui ne furent ni écrits par Lacan ni issus de son séminaire. Parler ailleurs, s’adresser à un autre public offre la possibilité d’avancer certains pro­pos que l’on juge informulables à un public composé

d’élèves, d’analysants, d’au­diteurs sans doute trop acquis pour n’avoir pas les oreilles déjà formées, c’est­à­dire inaptes à accueillir certains énoncés. Jacques Lacan s’épanche lorsqu’il parle à des

érudits catholiques ; il peut, à eux, dire à quoi précisé­ment il a « consacré sa vie » (Le Triomphe de la religion, précédé de Discours aux catholiques, est paru en 2005). Car, autre nouveauté, on ne saurait plus radica­lement séparer vie et œuvre, comme cela était prescrit à l’époque dite « structuraliste ».Déjà les lecteurs les plus avisés, Thomas Mann notam­ment, avaient su voir en Freud non seulement l’ana­lyste, non seulement le savant, mais également le maître spirituel (Freud le confirme, son ultime ouvrage, son Moïse, se veut une histoire de l’esprit, Geist). Avec Lacan, cet autre statut devient notoire. Sans doute la crainte que le groupe analytique soit identifié à une secte avait­elle quelque peu relâché son emprise, tandis que la tentative du mathème, récusant par avance la répudiation, indiquait que c’était au non­analyste que le discours s’adressait. Freud et quelques­uns de ses élèves créaient une association ; pour

S e pourrait­il qu’écrire aujourd’hui, soit trente années après son décès, un hom­mage à Jacques Lacan, maintenir ainsi ac­tuelle son œuvre, n’ait aucun sens, aucune valeur, aucune portée, tout au moins au

regard de ce que fut son enseignement ? Se pourrait­il que cet enseignement ait été si étroitement dépen­dant de sa présence in vivo qu’il excluait, de fait, toute suite envisageable ? Plusieurs traits plaident en faveur de cette conjecture, regrettable pour certains, heu­reuse pour d’autres. Et tout d’abord celui­ci : souvent, entendant un élève présenter tel point de sa doctrine, Lacan ne manquait pas, tout en saluant la perfor­mance, d’indiquer que « ce n’était pas ça ». Il s’appli­quait d’ailleurs à lui­même ce traitement, faisant dis­crètement varier ses propos, jusqu’à en venir à situer la vérité comme pure et sim­ple « varité » – deuxième trait donc, largement insupporté, ainsi qu’en témoignent cer­tains écrits « lacaniens » qui tentent en vain de fagoter ces variations en « système ». D’ailleurs, troisième trait, Lacan tenait­il tellement à ce que son enseignement lui survive ? Il peut le sem­bler, il s’y est certes largement employé, mais sur la base d’un vœu d’une tout autre veine. Ainsi a­t­il dit ne pas tenir spécialement à la perpétuation de ce qu’il avait avancé, une déclaration que l’on ne peut en­tendre que référée à un certain rapport à la mort : il ne s’adressait pas à l’éternité. Enfin, comment imagi­ner une quelconque suite un tant soit peu cohérente à une pensée qui aura su voir dans le malentendu le régime le plus commun et le plus irréductible de la communication humaine ?Pour autant, on ne retiendra pas telle quelle cette conjecture, sans l’écarter cependant, car elle éclaire ce qu’avec Lacan il y a lieu d’entendre par « enseigne­ment ». Il reçut ce terme des « princes de l’univer­sité », tandis qu’il faisait séminaire à l’École normale supérieure, et donc assez tardivement dans son

Trente ans après sa mortLacan, analyste ou maître spirituel ?La parution d’une partie inédite de son séminaire marque entre autres l’anniversaire de la disparition du psychanalyste, dont l’œuvre peut désormais être abordée avec un œil neuf.Par Jean Allouch

Jacques Lacan refusa toute fonction d’expertise, visant plutôt une sorte d’ascèse : « n’être rien » pour mieux écouter.

Vient de paraître Lacan, envers

et contre tout, Élisabeth Roudinesco, éd. du Seuil, 178 p., 15 €.À l’occasion de cet anni­versaire, Élisabeth Roudi­nesco, qui avait déjà rédigé une impressionnante bio­graphie du psychanalyste, tente dans ce court livre de présenter Lacan sous un angle neuf, car « la seule manière de faire vivre un héritage conceptuel et clinique, c’est d’y être infidèle ».

Je parle aux murs, Jacques Lacan, éd. du Seuil, 128 p., 12 €.Trois conférences inédites que Lacan donna au début des années 1970, à la cha­pelle de l’hôpital Sainte­Anne. Trois moments où l’homme improvise et s’amuse, jusqu’à ce qu’il aborde une profonde ques­tion : que peut­on savoir de l’inconscient ?

Le Séminaire livre XIX… ou pire, Jacques Lacan, éd. du Seuil, 264 p., 23 €.Le séminaire de l’année 1971­1972 est enfin édité : on y lira une étude appro­fondie des relations entre l’homme et la femme dans la société moderne. On y découvrira surtout ce qu’on savait déjà : les deux sexes ne seront jamais complémentaires.

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14 La vie des lettres

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I l y a quelque chose d’af-freusement morbide dans cette manie qui sévit aujourd’hui de s’identi-fier à la douleur, remar-

quait Oscar Wilde. On devrait s’identifier à la couleur de la vie, à sa beauté, à sa joie. Moins on parle de ses plaies, mieux on se porte. » Si l’on cessait de blâmer l’homme pour ses vices, de plaindre ses lâchetés ? Et si l’on se contentait de célébrer sa beauté, sa sensualité, ses vani-tés ? De flatter l’allure du dandy qui tient sa cigarette, une fleur à la boutonnière, comme l’incarna

le poète anglais, de désirer la bouche d’une femme qui vient d’être embrassée, telle que l’ima-gina le peintre Rossetti. La beauté pour la beauté, sans autre but qu’elle-même, assurément futile et totalement inutile. « L’art pour l’art », cri de ralliement de Théo-phile Gautier, Charles Baude-laire, Victor Hugo, Théodore de Banville. Toute une avant-garde française qui s’arracha aux contraintes religieuses et éthiques pour se préoccuper de séduction et d’esthétique. Et qui répercuta dangereusement son écho de l’autre côté de la

Manche, jusqu’à dégrafer le cor-set victorien pour donner lieu à une joyeuse effervescence dans tous les domaines : l’art, la litté-rature, l’architecture, la décora-tion intérieure.Pour la première fois en France, grâce au Victoria & Albert Mu-seum de Londres et à son conser-vateur, Stephen Calloway, le musée d’Orsay rend hommage à ce mouvement dit « esthétique », dont l’éminent et impertinent chef de file fut Oscar Wilde. Cette « fougueuse protestation, […] courageuse tentative de remettre la Nature à sa place », clamait-il dans ses nombreuses confé-rences à travers les États-Unis. Il faut quatorze salles et plus de deux cent cinquante objets – ta-bleaux, meubles, vitraux, céra-miques, livres illustrés, objets de-sign, etc. – pour montrer les premiers pas d’une telle révolu-tion. « Ce fut un mouvement in-formel, qui ne répondait à aucun autre dogme que celui de la beauté et du plaisir, explique Yves Badetz, commissaire de l’ex-position au musée d’Orsay. Une réaction esthétique et sociale ra-dicale à la laideur de l’industria-lisation et à la stricte discipline morale de la Royal Academy ».Plus simplement intitulée « Cult of Beauty » dans sa version anglo-saxonne – à Londres et à San Francisco –, l’escale française, « Beauté, morale et volupté dans l’Angleterre d’Oscar Wilde », pré-sente les mêmes objets représen-tatifs du mouvement – des por-celaines japonisantes bleu et

blanc aux soupières ou services à thé les plus inoffensifs, en pas-sant par les représentations d’une féminité peu convenable, du désir ou de l’homosexualité, chez des artistes comme Simeon Solomon, Frederic Leighton, William Morris ou Whistler et Edward Burne-Jones. Mais elle insiste sur l’importance d’Oscar Wilde, en émaillant les salles de ses portraits, de ses costumes, et de ses précieux aphorismes. « Nous avons estimé, confirme Yves Badetz, que Wilde était la figure la plus controversée et la plus sulfureuse de l’époque. Celle qui représentait le mieux, tant par sa personne que par ses œuvres, la transgression morale et les ambivalences sexuelles portées par ce courant. »L’exposition française interroge aussi le caractère moral de cette esthétique. Comment l’érotisme scandaleux et décadent du per-sonnage biblique de Salomé, mis en scène par Oscar Wilde, finit-il par accéder aux grands théâtres et opéras britanniques ? Com-ment la représentation de cette héroïne ensorceleuse et venge-resse, initialement censurée, a-t-elle irrigué de multiples inspi-rations ? Fallait-il exclure Wilde de la cité pour s’être adonné au plaisir de la sensualité poétique ? Celui-ci paya cher l’audace de cette esthétique, mais lui et ses amis installèrent les fondations d’une modernité où les artistes et leurs muses éliraient demeure de façon permanente.

Lauren Malka

exposition�Portraits de Dorian GraySous l’égide d’Oscar Wilde, le musée d’Orsay rend justice à l’émancipation esthétique des artistes britanniques au xixe siècle, dans la foulée de « l’art pour l’art » français.

« Un mouvement informel, ne répondant à aucun autre dogme que la beauté et le plaisir. »

Bocca Baciata, Dante Gabriel Rossetti, 1859, Museum of Fine Arts, Boston.

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À voir« Beauté, morale et volupté

dans l’Angleterre d’Oscar Wilde », du 13 septembre au 15 janvier 2012, musée d’Orsay, Paris 7e. Catalogue aux éd. Skira-Flammarion, 224 p., 25 €.

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Septembre 2011 | 511 | Le Magazine Littéraire

érasme, fragments des sagesses perdues

I l a raison, Jean-Christophe Saladin : « L’auteur le plus célébré de la Renaissance est sans doute l’un des moins lus de nos jours. » Pour pallier cette triste évidence, voilà qu’il s’est fait le

maître d’œuvre d’une édition monumentale qui rend pleinement justice à Érasme, le « prince des humanistes », inoubliable et oublié, qui n’est pas seulement l’auteur du trop célèbre et peu lu Éloge de la folie (1511). Ses Adages, qui connurent pas moins de trente édi-tions de son vivant, sont incontestablement son chef-d’œuvre. Érasme a fait des dictons les plus communs de son temps – issus pour la plupart de l’Antiquité non chrétienne – les morceaux dis-persés d’une sagesse perdue. Et il l’a rassemblée, commentée, annotée, faisant dialoguer les auteurs pour mieux cerner les prin-cipes. On mesure l’ambition et l’audace du geste : rien ici, ou presque, qui vienne de l’Église. Toutes les vertus du paganisme, conservées par le peuple sous forme d’aphorismes, éclatent à nou-veau. Tambours, trompettes. Avec cette édition voici que se relè-vent, hors des tombes de l’oubli, les génies disparus.Cet antitraité peut s’ouvrir à n’importe quelle page (chose utile pour de si gros volumes !), parce que c’est la méthode qu’Érasme lui-même a choisie : il va piocher chez ses auteurs fétiches telle ou telle phrase qui l’a frappé, ou que les bonnes dames répètent à l’envi. Il souhaite l’approfondir, y trouver matière à penser, et en effet il pense. « Entre amis, tout est commun », c’est par là qu’il commence – et, après quelques plaisanteries socratiques, il bascule sur les conséquences politiques de cette belle vérité. Plus loin : « Ne pisse pas face au soleil » – et lui de remarquer : « Je pense que c’est un conseil de modestie. » Souvent on rit en le lisant, et par-fois on voyage, notamment lorsqu’il explique l’origine des expressions (comme pour l’an-neau des bœufs, qu’on « mène par le bout du nez »). « Trouver chaussure à son pied » : vous y voyez un souhait légitime ; Érasme, lui, retrouve chez le poète Pindare le vers original et montre qu’il s’agit d’une exigence de luxe, qui détermine surtout une éthique de la louange. Quoi d’autre ? On ressent à la lecture des Adages le plaisir que l’on a avec ses bons amis, dans ces soirées que l’on voudrait ne jamais voir finir. Alors, demandez qu’on vous l’offre, lancez des souscriptions, ven-dez vos autres livres, cessez de boire ou de manger. Mais ne refusez pas de discuter avec cet homme parce que ses livres valent cher. La sagesse n’a pas de prix. Maxime Rovere

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30 millions de symbolesainsi qu’en témoigne La Chanson de Roland – dans laquelle Charlemagne rêve qu’il est attaqué par un léopard et un verrat –, le bestiaire médiéval jouissait d’une haute valeur symbolique. Cela n’a pas échappé à michel Pastoureau, titulaire de la chaire d’histoire de la symbolique occidentale à l’École pratique des hautes études, qui publie le 6 octobre, au Seuil, un Bestiaire médiéval illustré. Cet ouvrage rappelle, entre autres, la chasteté alors proverbiale de l’éléphant et le destin du spécimen offert à Charlemagne par Haroun al-rachid…

Salve vargas-llosienneen même temps que Le Songe du Celte, dernier roman du nobel mario Vargas Llosa, les éditions gallimard feront paraître, en octobre, Éloge de la lecture et de la fiction, sa conférence devant l’académie nobel, De sabres et d’utopies, recueil d’articles, et son Théâtre complet. S’y ajoute une nouvelle édition des Chiots, illustrée par des photos de Barcelone.

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nouvelle collectionPrécieux herbierLes éditions genevoises Héros-Limite lancent une nouvelle collection, intitulée d’après Whitman « Feuilles d’herbe ». Leur but : rééditer, à des prix accessibles, des textes introuvables. Les premiers à en bénéficier sont la poétesse allemande else Lasker-Schüler (Secrètement, à la nuit), le Britannique John Berger (Pourquoi regarder les animaux ?) et le russe Panteleïmon romanov. Son roman, Le Droit de vivre ou le Problème des sans-parti, débute ainsi : « Si tu es encore de ce monde, c’est que tu es passé à travers les mailles de la révolution. » L’auteur est mort en 1938, durant les purges staliniennes…

édition anniversairesFanon célébréSenghor chantait la négritude, Frantz Fanon la refusait de toutes ses forces. en décembre, la France célébrera les cinquante ans de la mort de cet essayiste, ancien des Forces françaises libres, qui devint, avec Peau noire, masques blancs, l’une des principales voix anticoloniales. Parmi les multiples événements annoncés, de nombreux colloques en martinique et en guadeloupe.

Passez par la case Gallimardaprès l’exposition gallimard, la rue gallimard, voici le jeu gallimard. en octobre, les éditions de l’ex-rue Sébastien-Bottin publieront, à l’occasion de leur centenaire, un jeu d’érudition sur les publications maison. Les règles mêleront celles du Trivial Pursuit et de ses dérivés : il vous faudra soit répondre à des questions, soit suivre d’autres consignes (Complétez cette phrase : « aujourd’hui, … est morte ou c’était peut-être hier, je ne sais pas »), soit relever des défis (faites deviner, grâce à vos mimes, le titre L’existentialisme est un humanisme)…

Autoportrait de Boris Vian.

Érasme par Holbein le Jeune, musée du Louvre.

éditionVian inéditLes éditions du Cherche midi publieront en octobre Post-scriptum, qui recueille les dessins, graffitis, unes de journaux réalisés par Boris Vian. Ceux-ci s’accompagnent de textes souvent savoureux, telle cette adresse au dessinateur Siné intitulée « Chat chat siné » : « un jour un chat dessiné, par le crayon de Siné/ décida d’assassiner/ celui qui l’avait signé. »

À lireLes Adages, Érasme, édition complète bilingue, Jean-Christophe Saladin (dir.),

éd. Les Belles Lettres. Cinq volumes sous coffret, tirage limité, offre de souscription 350 € jusqu’au 30 septembre 2011, puis 420 €.

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Critique |Fiction

Le Magazine Littéraire | 511 | Septembre 2011

Limonov, Emmanuel Carrère, éd. P.O.L, 496 p., 20 €.

à la lumière de son précédent livre, D’autres vies que la mienne, nous pou-vions croire Emmanuel Carrère apaisé. Peut-être l’expérience de l’horreur absolue, la plus injuste – celle de la

mort d’une petite fille dans le tsunami de 2004 et celle, quelques mois plus tard, de sa belle-sœur, d’un can-cer –, qu’il avait fallu mettre en mots, en chapitres, en un récit entier et bouleversant, avait-elle balayé le goût qu’on lui connaissait pour le crime et la folie. Nous avions tort : Limonov fait écho à cette violence-là. Encore que nous soyons loin de Jean-Claude Romand, meurtrier de sa femme, de ses enfants et de ses

parents, auquel Carrère a consacré L’Adversaire. Plus proche, sans doute, d’Un roman russe, au moins pour les décors, où l’auteur partait dans le pays de ses grands-parents pour délier un secret familial. À la dif-férence que ce n’est plus sa propre histoire qui l’inté-resse mais, de nouveau, une autre vie que la sienne. Celle d’Édouard Limonov et, par surimpression, celle de la Russie, et la nôtre, jusqu’à l’extrême contempo-rain. Qui est Édouard Limonov ? En France, on le connaît de loin en loin, moins pour ses livres que pour ses engagements. Il traîne une réputation rouge-brun, on sait qu’il a porté les armes, qu’il a fait de la prison. Pour beaucoup, c’est un type infréquentable. Cela n’a pas empêché Emmanuel Carrère de penser à lui quand Patrick de Saint-Exupéry lui a demandé un sujet pour le premier numéro de la revue XXI. En jan-vier 2008 paraissait un long reportage sur le « dernier des possédés », « poète », « loser », « mercenaire », et

Cocktail Limonov

Emmanuel Carrère raconte la trajectoire rocambolesque d’Édouard Limonov.

Par Thomas Stélandre

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À lire aussi d’Édouard Limonov

Discours d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo, éd. Le Dilettante, 192 p., 17 €.

Journal d’un raté, traduit du russe par Antoine Pingaud, éd. Albin Michel, 280 p., 19 €.

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www.colline.fr - 01 44 62 52 52

de Iouri Olechamise en scène Bernard Sobel

du 9 sept. au 8 oct. 2011

d’après le roman de Virginia Woolfmise en scène Marie-Christine Soma

du 14 sept. au 15 oct. 2011

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chef de son propre Parti national-bolchevik. L’expérience aurait pu s’arrêter là, mais l’auteur a voulu aller plus loin. Partant de cette ren-contre, il a composé une biographie, une enquête, un essai histo-rique. Et surtout le roman flamboyant d’une existence qui rivalise avec la fiction, résu-mée ainsi en prologue : « Voyou en Ukraine, idole de l’underground soviétique ; clochard puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain à la mode à Paris ; sol-dat perdu dans les Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-commu-nisme, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. » Il faudra presque cinq cents pages pour retracer cette trajec-toire à grand spectacle, où tout est expé-rience, de la pauvreté à la geôle, en passant par les relations homosexuelles dans les parcs mal famés et les tirs sur les champs de bataille. Si cette vie n’avait été vécue, si Limonov avait été un personnage inventé, on aurait parlé d’exagération. Pourtant, tout est « vrai », au sens où l’entendait déjà Car-rère dans D’autres vies que la mienne.Cette question de la vérité, dans son rapport au réalisme, c’est bien plutôt à la grande his-toire qu’il faudrait la poser. Car Limonov tra-verse et explore, sur plus d’un demi-siècle, le destin de la Russie, dont l’étrangeté et les paradoxes sautent aux yeux comme rarement. Il faut rappeler qu’Emmanuel Carrère est le fils d’Hélène Carrère d’Encausse, illustre historienne, spécialiste de la Russie et académicienne depuis 1990. À ce titre, il a de qui tenir, sans pour autant reproduire le schéma familial. Il se souvient d’avoir essayé de lire, enfant, l’un des livres de sa mère, Le Marxisme et l’Asie, dont les premiers mots étaient : « Chacun sait que le marxisme… » Cet incipit est devenu pour lui un sujet de plaisanterie, puisque, non, chacun ne sait pas ce qu’est le marxisme. La leçon retenue, Carrère a voulu non pas simplifier les événements et leurs enchaînements, mais les rendre intelligibles ; les « déplier », écrit-il. Pour cela, il use de cette expression claire qui est sa manière de dire, ce ton qui met le lecteur d’égal à égal, comme dans une conversation détendue, où l’on n’aurait qu’à écouter. L’autre moyen est de montrer les choses à hauteur d’homme : peu de chiffres et de statistiques ici, mais beau-coup d’anecdotes, de portraits. Par exemple celui de l’écrivain Zakhar Prilepine, engagé dans le parti de Limonov. Un « nasbol », ainsi qu’on les appelle. C’est à travers son histoire d’adolescent rageur, ayant grandi dans la province russe, immobile, morose, qu’on comprend le désir d’adhérer à quelque chose qui fera tout exploser, autour d’un Che Guevara soviétique, aujourd’hui bête noire de Poutine.Avant d’en arriver là, on trouvera à Limonov toutes les qualités du roman d’aventures : rebondissements, tension dramatique, situations rocambolesques, personnages incroyables. On pense en particulier aux femmes de la vie d’Édouard. La première s’appelle Anna, il la rencontre en pleine jeunesse ; elle a 28 ans, pèse deux fois plus lourd que lui et souffre de troubles maniaco-dépressifs. Toute la bohème de Kharkov, en Ukraine, se réunit dans son appartement, elle sera la clé pour le monde des « décadents ». Vient ensuite Elena, tige d’une vingtaine d’années, mannequin, sa fierté. Avec elle, il s’installe à New York, côtoie la jet-set, rêve de gloire, y croit. Sa plus longue rela-tion, treize ans, il la vit à Paris avec Natacha, russe comme lui, chan-teuse de cabaret, alcoolique et nymphomane, capable de disparaître des jours entiers. Sur les trois, deux mourront, suicide et overdose, la troisième deviendra comtesse en Italie. Et sur les trois, deux l’ont

quitté, en le regrettant amèrement car, il l’affirme, « leur seule chance d’avoir une vie hors du commun, c’était lui » – Limonov étant, en plus de tout le reste, terriblement mégalo : c’est une rock star.

Emmanuel Carrère le regarde souvent comme tel, avec les yeux de l’élève sérieux fasciné par le bagarreur, conscient du danger, mais excité par son attrait. Dans les années 1980, à l’époque où l’écrivain adoptait les valeurs esthétiques de P.O.L, maison à laquelle il est resté fidèle, Limonov participait lui à L’Idiot international, brûlot dont Jean-Edern Hallier était le fondateur. Ils ne sont pas de la même famille. L’auteur avoue d’ailleurs avoir eu peur « de [s]e fourvoyer » en racontant le parcours de cet homme. Pourquoi l’avoir fait, lui demande finalement Limonov, lors d’une ultime rencontre à Mos-cou. Parce qu’il a eu une vie passionnante, répond Emmanuel Carrère. « Une vie roma-nesque, dangereuse, une vie qui a pris le risque de se mêler à l’histoire. » Le plus fou, à l’arrivée, est sans doute de savoir que cette vie n’est pas finie et que, à près de 70 ans, Édouard Limonov a le temps d’en vivre d’autres, qu’il pourra raconter dans ses livres à lui, ainsi qu’il l’a toujours fait. En attendant, les éditions Le Dilettante republient, à l’oc-

casion de la parution du récit de Carrère, plusieurs de ses nouvelles parues en 1986, 1987 et 1991, en un seul volume. Son titre : Discours d’une grande gueule coiffée d’une casquette de prolo.

E x t r a i t

Au centre d’un cercle, dominant la foule, en retrait mais attirant le regard, il donnait une impression d’importance et j’ai bizarrement pensé à un chef de gang assistant avec sa garde rapprochée à l’en-terrement d’un de ses hommes. Je ne le voyais qu’en profil perdu, du col relevé de son manteau dépas-sait une barbiche. Une femme qui, à côté de moi, l’avait repéré aussi a dit à sa voisine : « Édouard est là, c’est bien. » Il a tourné la tête, comme si malgré la distance il l’avait entendue. La flamme de la bougie a creusé ses traits. J’ai reconnu Limonov.

Limonov, Emmanuel Carrère

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Dossier 58 Dossier

François Rabelais à sa table de travail. Planche pour une édition des Épîtres de l’auteur, par François Chauveau, xviie siècle.

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Dossier Dossier 59

En France, Gargantua est à sa table, dans les festins de Rabelais, comme Remus et Romu­lus tétant la louve à Rome : cette béate nutri­tion est l’origine d’un monde. À travers les cinq livres qui forment l’épopée burlesque d’un géant et de son père, Rabelais a donné le la à un esprit français où le sens du plaisir déborde dans tous les domaines : pas seule­ment plaisir des sens, mais aussi de l’esprit – la langue liant tout cela, dans une débauche d’amour pour les mots. Là, dans le français littéraire que les excentricités de Rabelais ont contribué à définir, se reflète la diversité d’un pays que l’écrivain a su réinventer. Les parti­cularismes des terroirs, comme autant de spé­cialités culinaires locales, se croisent avec les strates d’une société bruyante et bavarde : les dia­lectes propres aux uns et aux autres, classes populaires ou mé­taphysiciens, contribuent ainsi à la naissance d’une unité plurielle – moins celle d’un pays réel que celle, plus tangible, du roman.Pourtant, de son vivant, Rabelais se situe à la marge. Trop espiègle pour les lettrés, trop érudit pour les profanes, trop paillard pour la bonne société, le père des géants les plus célèbres de la littérature ne fut pas toujours, pas d’emblée, prophète en son pays. Dans son humanisme bon enfant, il faut entendre le bruit des polémiques auxquelles il parti­cipa avec ardeur. Comment oublier qu’en son temps, annonçant le nôtre, les franciscains parvinrent à faire interdire l’étude du grec à

E la Sorbonne ? Si les romans de Rabelais pro­posent des modèles de vie, ce n’est donc pas sur le mode du retrait épicurien, isolé dans le plaisir ; son activisme d’éditeur montre que les facéties du romancier s’adossent à un fort désir d’assumer l’héritage de l’Antiquité et de poser, pour l’avenir, les fondements de la culture moderne. L’euphorie propre au Tou­rangeau résonne dans les couloirs des assem­blées les plus austères, et son rire est destiné à les faire tomber – au moins de leurs chaises. À l’image de son créateur, le héros rabelaisien est un guerrier épris de vie et de bonne entente, prêt à défendre les valeurs huma­nistes, mais sans vocation pour le martyre

– « jusqu’au feu exclusivement » !Alors, Céline avait­il tort en soutenant que, « Rabelais, il a raté son coup » ?

Pour Céline, la langue orale dont maître François a fait la matière de son œuvre a constitué, pendant quatre siècles, une sorte d’exception, écrasée sous la pesanteur du français « littéraire », langue artificielle, langue de traducteur, celle qu’Amyot utilise pour rendre Plutarque. Il est vrai que Rabe­lais demeura seul, longtemps, avant que le désordre des langues et des formes ne finisse, au cours du xxe siècle, par affluer de nouveau dans les textes. Aujourd’hui libérés des bornes du « bon usage », nous sommes mieux placés que jamais pour retrouver Rabelais, et jouir avec lui de la littérature comme d’un plat en sauce. M. R.

RabelaisEn son temps jugé inconvenant par les lettrés et par la Sorbonne, l’auteur est cette année mis à l’honneur par l’Éducation nationale, qui l’inscrit aux programmes du bac et de l’agrégation.

Dossier coordonné par Maxime Rovere

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Rabelais a donné le la à un esprit français où le sens du plaisir déborde dans tous les domaines.

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