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6 BIOTECH FINANCES - 26 mars 2012 - N° 544 © Éditions Européennes de l’Innovation. La photocopie non autorisée est un délit. Expertise Quality by design et produits biotechs : comment L ’approche de quality by design (QbD) présentée dans l’ICH Q8 (R2) pour le développement du drug product est aujourd’hui confortée dans le nouveau guide ICH Q11 qui concerne le développement de la substance active. L’ICH Q11 intègre également les produits issus des biotechnologies qui n’étaient pas pris en compte dans l’ICH Q7A, référentiel GMP pour la fabrication des API. Au regard de la complexité des molécules biologiques, une démarche de type QbD basée sur une bonne compréhension du produit et du procédé apparaît tout à fait adaptée en phase de développe- ment. Roland Ollivier, responsable scientifique chez Aktehom revient pour Biotech finances sur les spéci- ficités de cette approche et de son intérêt dans le développement des produits biotechs. Une approche raisonnée basée sur l’exploitation de la connaissance Un développement selon la vision QbD, représentée dans le schéma ci-contre, nécessite une analyse fine du produit et du procédé et de leurs interactions respectives. Pour être efficace, elle doit respecter une séquence d’étapes, la caractérisa- tion du produit, la caractérisation du procédé et la formalisation de la connaissance par l’établissement du design space afin de définir les moyens de maîtrise (control strategy) permettant d’assurer la constance de la qualité du produit fini. L’approche fait appel à des compétences multidis- ciplinaires et au partage des informa- tions entre les différents services de l’entreprise. Certes, la connaissance scientifique est nécessaire à cette approche, mais du fait de la grande variabilité des matières premières, de la multiplicité des différents facteurs susceptibles d’influencer la qualité de la molécule, il apparaît essentiel de définir les relations intimes entre les paramètres qui régissent le procédé de fabrication et les attributs qualité critiques (CQAs) du produit qui permettent de répondre aux requis d’efficacité et de sûreté pour le patient. Vers une meilleure connaissance du produit Première étape de la démarche, la caractérisation du produit est critique pour la mise en œuvre du QbD. En effet, les molécules biologiques sont très complexes. Une légère modifi- cation structurale, le profil de glyco- sylation par exemple, peut altérer l’activité(1)(2)(3) des produits, leur pharmacocinétique(4)(5), leur biodis- ponibilité(6) ou leur immunogéni- cité(7). Une description du produit résumant les caractéristiques atten- dues lors du développement pour répondre à la cible théra- peutique revendiquée est formalisée par le quality target product profile (QTPP) qui constitue une véritable « carte d’iden- tité » du futur médica- ment. Pour les produits issus des biotechnolo- gies, nombreuses sont les caracté- ristiques relevées qui permettent de répondre à la qualité souhaitée en termes d’identité, d’activité, de pureté et de stabilité. Cependant, ces attributs identifiés ne présentent pas le même poids pour assurer l’effica- cité et la sûreté du médicament. Il est donc nécessaire de les prioriser pour, in fine, sélectionner les CQAs, c’est-à- dire ceux qui sont réellement critiques pour l’efficacité et la sûreté du produit. Ils seront des « marqueurs » indispensables pour s’assurer de la conformité du produit lors des phases critiques de développement, scale up ou transfert. Cette priorisation sera clairement établie et justifiée par évaluation du risque (product risk assessment) associé à une dévia- tion hors spécifications de l’attribut concerné. À des fins de comparabi- lité lors des évolutions du procédé de fabrication, des spécifications doivent être établies pour les différents CQAs, et une difficulté complémentaire pour les produits biologiques réside dans le fait que les méthodes analy- tiques utilisées pour les évaluer et les quantifier sont souvent difficiles à mettre en œuvre. Pour certaines d’entre elles, le seuil de sensibilité ne permet pas avec certitude une véri- table détermination. La combinaison de méthodes physicochimiques et de tests fonctionnels in vitro, voire in vivo (ADCC, hémagglutination, binding…), faisant appel à des compétences nouvelles au sein des entreprises, est souvent nécessaire pour s’assurer de la conformité du produit. Cette caractérisation vaut aussi bien pour la substance active que pour le produit fini car même si les éléments structuraux sont déter- minés lors des phases initiales du procédé (upstream), ils peuvent être altérés lors des phases downstream de purification et de mise en forme pharmaceutique, du fait même de la sensibilité des molécules biolo- giques aux stress physiques (ex. : cisaillement) ou chimiques (ex. : pH, osmolalité). Les AQCs du produit fini concernent non seulement la molé- cule elle-même mais également les excipients, dont la fonction doit être argumentée, ainsi que la forme d’ad- ministration. Pour les produits biolo- giques, la forme galénique utilisée lors des essais cliniques est souvent différente de celle retenue pour la commercialisation (ex. : forme liquide injectable vs forme lyophilisée). Cette évolution nécessite une évaluation des caractéristiques nouvelles atten- dues du produit. Vers une meilleure connaissance du procédé Le « cahier des charges » étant établi lors de la caractérisation du L’approche rigou- reuse de défini- tion des matières et du procédé évite les dérives. Roland Ollivier

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6 BIOTECH FINANCES - 26 mars 2012 - N° 544

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L’approche de quality by design (QbD) présentée dans l’ICH Q8 (R2) pour le développement

du drug product est aujourd’hui confortée dans le nouveau guide ICH Q11 qui concerne le développement de la substance active. L’ICH Q11 intègre également les produits issus des biotechnologies qui n’étaient pas pris en compte dans l’ICH Q7A, référentiel GMP pour la fabrication des API. Au regard de la complexité des molécules biologiques, une démarche de type QbD basée sur une bonne compréhension du produit et du procédé apparaît tout à fait adaptée en phase de développe-ment. Roland Ollivier, responsable scientifique chez Aktehom revient pour Biotech finances sur les spéci-ficités de cette approche et de son intérêt dans le développement des produits biotechs.

Une approche raisonnée basée sur l’exploitation de la connaissanceUn développement selon la vision QbD, représentée dans le schéma ci-contre, nécessite une analyse fine du produit et du procédé et de leurs interactions respectives. Pour être efficace, elle doit respecter une séquence d’étapes, la caractérisa-tion du produit, la caractérisation du procédé et la formalisation de la connaissance par l’établissement du design space afin de définir les

moyens de maîtrise (control strategy) permettant d’assurer la constance de la qualité du produit fini. L’approche fait appel à des compétences multidis-ciplinaires et au partage des informa-tions entre les différents services de l’entreprise. Certes, la connaissance scientifique est nécessaire à cette approche, mais du fait de la grande variabilité des matières premières, de la multiplicité des différents facteurs susceptibles d’influencer la qualité de la molécule, il apparaît essentiel de

définir les relations intimes entre les paramètres qui régissent le procédé de fabrication et les attributs qualité critiques (CQAs) du produit qui permettent de répondre aux requis d’efficacité et de sûreté pour le patient.

Vers une meilleure connaissance du produitPremière étape de la démarche, la caractérisation du produit est critique pour la mise en œuvre du QbD. En effet, les molécules biologiques sont très complexes. Une légère modifi-cation structurale, le profil de glyco-sylation par exemple, peut altérer l’activité(1)(2)(3) des produits, leur pharmacocinétique(4)(5), leur biodis-ponibilité(6) ou leur immunogéni-cité(7). Une description du produit résumant les caractéristiques atten-dues lors du développement pour

répondre à la cible théra-peutique revendiquée est formalisée par le quality

target product profile (QTPP) qui constitue une véritable « carte d’iden-tité » du futur médica-ment. Pour les produits issus des biotechnolo-

gies, nombreuses sont les caracté-ristiques relevées qui permettent de répondre à la qualité souhaitée en termes d’identité, d’activité, de pureté et de stabilité. Cependant, ces attributs identifiés ne présentent pas le même poids pour assurer l’effica-cité et la sûreté du médicament. Il est donc nécessaire de les prioriser pour, in fine, sélectionner les CQAs, c’est-à-dire ceux qui sont réellement critiques pour l’efficacité et la sûreté du produit. Ils seront des « marqueurs »

indispensables pour s’assurer de la conformité du produit lors des phases critiques de développement, scale

up ou transfert. Cette priorisation sera clairement établie et justifiée par évaluation du risque (product

risk assessment) associé à une dévia-tion hors spécifications de l’attribut concerné. À des fins de comparabi-lité lors des évolutions du procédé de fabrication, des spécifications doivent être établies pour les différents CQAs, et une difficulté complémentaire pour les produits biologiques réside dans le fait que les méthodes analy-tiques utilisées pour les évaluer et les quantifier sont souvent difficiles à mettre en œuvre. Pour certaines d’entre elles, le seuil de sensibilité ne permet pas avec certitude une véri-table détermination. La combinaison de méthodes physicochimiques et de tests fonctionnels in vitro, voire in vivo (ADCC, hémagglutination, binding…), faisant appel à des compétences nouvelles au sein des entreprises, est souvent nécessaire pour s’assurer de la conformité du produit. Cette caractérisation vaut aussi bien pour la substance active que pour le produit fini car même si les éléments structuraux sont déter-minés lors des phases initiales du procédé (upstream), ils peuvent être altérés lors des phases downstream de purification et de mise en forme pharmaceutique, du fait même de la sensibilité des molécules biolo-giques aux stress physiques (ex. : cisaillement) ou chimiques (ex. : pH, osmolalité). Les AQCs du produit fini concernent non seulement la molé-cule elle-même mais également les excipients, dont la fonction doit être argumentée, ainsi que la forme d’ad-ministration. Pour les produits biolo-giques, la forme galénique utilisée lors des essais cliniques est souvent différente de celle retenue pour la commercialisation (ex. : forme liquide injectable vs forme lyophilisée). Cette évolution nécessite une évaluation des caractéristiques nouvelles atten-dues du produit.

Vers une meilleure connaissance du procédéLe « cahier des charges » étant établi lors de la caractérisation du

L’approche rigou-reuse de défini-tion des matières et du procédé évite les dérives.

Roland Ollivier

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7BIOTECH FINANCES - 26 mars 2012 - N° 544

produit, il convient ensuite d’aborder le procédé en lui-même afin d’en définir les paramètres, les conditions opératoires et l’impact de leurs varia-tions sur les CQAs. Il est essentiel de prendre en compte, pour chaque

étape du procédé, les différentes matières entrantes (MATsIN), car leur variabilité peut entraîner une adapta-tion des conditions de réalisation du procédé pour aboutir au produit avec sa qualité attendue. Cette variabilité est inhérente à la nature même des matières de départ (cellules, micro-organismes, plasma, extraits…) et à leur évolution lors du procédé de fabrication. Compte tenu de l’impact des matières sur le produit final, l’identification de leurs attributs qualités propres sera également nécessaire.La multiplicité des étapes de mise en œuvre pour les produits biologiques nécessite une approche rigoureuse de définition des matières et du procédé pour éviter les dérives de la qualité du produit. La caractérisation du procédé doit avant tout permettre de classer les différents paramètres à mettre sous contrôle en réponse

à ces dérives potentielles. Les para-mètres du procédé et les conditions opératoires doivent être priorisés par évaluation des risques associés à leur dérive sur la qualité du produit (process risk management). Si l’im-

pact sur les CQAs est démontré, on parle alors de paramètres procédé critiques (CPPs). Ils sont souvent difficiles à formaliser du fait de leur évolution lors de l’étape du procédé et de l’effet combinatoire de condi-tions opératoires (ex. : pH, taux de O2 et de CO2, composition des milieux). Ce sont ces conditions opératoires que l’on fera varier dans les plans d’expériences réalisés pour mettre en évidence les interactions entre les différents paramètres étudiés et la qualité du produit. Si par nature les paramètres processes sont indépen-dants des équipements mis en œuvre, les conditions opératoires quant à elles peuvent être modifiées en fonc-tion de la déclinaison technologique retenue. Dans ce cas, des études en scale down peuvent s’avérer néces-saires afin d’évaluer les impacts potentiels sur les CQAs et redéfinir le design space.

Vers une meilleure maîtrise de la qualité produitLa control strategy résultant de la démarche QbD intègre non seule-ment la mesure de CQAs ou d’inter-médiaires (MATsOUT) jugés critiques

pour atteindre la qualité attendue du produit fini, mais également le monito-

ring du procédé au travers du contrôle des CPPs et des conditions opératoires. La contribution du procédé pour la maîtrise de la qualité est essentielle pour les produits biologiques car les contrôles libératoires réglementaires ne peuvent à eux seuls apporter la garantie de la conformité et de la reproductibilité du

produit administré. Une telle stratégie de contrôle ne peut trouver sa justifi-cation que si le produit et le process

ont été bien caractérisés et que leurs interconnexions sont connues et démontrées scientifiquement.L’intérêt d’une approche QbD est double. D’une part elle permet de garantir la qualité des produits fabri-qués par l’identification de toutes les sources de variabilité inhérentes aux molécules biologiques, qu’elles soient dépendantes de la matière mise en œuvre ou du procédé en lui-même, et d’autre part elle rétablit les liens de communication entre les différents services ou départements de l’entre-prise nécessaires à la consolidation et la fluidité des flux d’informations exigés par la démarche tout au long du cycle de vie du médicament.

(1) Abès R. and Teillaud J.-L., Impact of Glycosylation on Effector Functions of The-rapeutic IgG. Pharmaceuticals 2010, 3, 146-157(2) Raju T.S. Glycosylation Variations with Expression Systems and Their Impact on Biological Activity of Therapeutic Immu-noglobulins. BioProcess International april 2003, 44-53(3) Nechansky A. et al. In Response to: Im-pact of Glycosylation on Effector Functions of Therapeutic IgG Pharmaceuticals 2010, 3, 146–157(4) Iwao Y. et al. Altered chain-length and glycosylation modify the pharmacokinetics of human serum albumin(5) Marini G. et al. Electronic Journal of Bio-technology. 10 (2), 2007, 271-278(6) Goetze A.M. et al. High Mannose Gly-cans on the Fc region of Therapeutic IgG Antibodies Increase Serum Clearance in Humans. Glycobiology 2011 ; 21(7):949-59(7) Paschinger K. et al. Definition of im-munogenic carbohydrate epitopes. Acta Biochemica Polonica Vol. 52 No. 3/2005, 629–632

E x p e r t i s e

Roland Ollivier