61
MASTER NEGATIVE NO. 93-81332-12

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MASTER NEGATIVENO. 93-81332-12

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MICROFILMED 1993

COLUMBIA UNIVERSITY LIBRARIES/NEW YORK

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AUTHOR:

ARNOU, RENE

TITLE:

PRAXIS ET THEORIA

PLACE:

RISDATE

:

1921

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COLUMBIA UNIVERSITY LIBRARIESPRESERVATION DEPARTMENT

BIBLIOGRAPHIC MICROFORM TARCFT

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EA Arnou, Rene,i

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%*»npa9i<; et Gecupia. Etude de detail sur le

bulaire et la pensee des Enneades de Plotin,,

Paris, Alcan, 1921. •\

vii, 87 p. 22 cm.

Thesis, Paris. 1920.

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TECHNICAL MICROFORM DATA

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301/587-8202

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BY fiPPLIED IMfiGEp INC.

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UNIVERSITE DE PARIS - FACULTE DES LETTRES

THESE COMPLEMENTAIREPOUR LE DOCTORAT ES LeTTRES

nPAHI2 ET eE2PIA

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\Etude de detail

sur le vocabulaire et la pensee

des Enneades de Plotin

PAR

RENE ARNOU

n TTOiriaK; &pa Qeujpia f{|uTv dvaTrd<pavTOi

III. 8. 3 — I. 334*».

PARISLIBRAIRIE FELIX ALCAN

io8, Boulevard Saint-Germain, VI=

1921

Importc de Belgiquc

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COLUMBIA UNIVERSITY LIBRARIES

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ment with the Librarian in charge.

DATE BORROWED DATE DUE

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Etude de detail

sur le vocabulaire et la pensee

des Enneades de Plotin

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PARISLIBRAIRIE FELIX ALCAN

io8, Boulevard Saint-Germain, VI«

1921

Importe dc Bclgiquc

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TABLE DES MATi:feRES.IntroducHon.

Un texte obscur: action et contemplation _

Interpretations divergentes _ Une etude devocabulaire s'impose.

"^ * • • • .

A. Les sources d'information

B. Etude de vocabulaire

I. GEQPIA.

Les aements de la . contemplation . - Elle estun AoTOS — un Xotos luevuiv.Dcux acceptions du mot e€a.p{a.

II. 0EQPIA, TTOIHZIZ, nPAZIZ.L'opposition entre rroinffu et ,rpa£,; : leur rap-

port a la contemplation (Troinms) _ bet uni[vTTpamiv - Activite npo? dXXo et activite npb<:ouTo - Le huitieme livre de la VI= Enne-

• • •

III. nPAEIZ et noiHziz.1. Apergu historique.

La distinction entre rrofna.s et Trpag.; : i. chezPaton-- 2 chez Aristote - 3. chez Alexan-dre Aphrodis.as - 4. chez les Stoiciens _Concius.on: k distinction entre rrotnmc etTrpa?,? a chez Plotin un sens original2. Z,a gcnhe de la distinction piotinienne

Un texte de Clement d'Alexandrie - rro.etv etTrpam.v chez Philon - L'originalite dePlotin.

Survivances de I'ancien vocabulaire.

IV. Unb contwbution au lbxiqub db Plotin,

8

12

15

»7

38

43

Page 11: praxisettheoriat00arno.pdf

IV

C. Les rapports de raction et de la contemplationselon Plotin.

1. Uaction est contemplation.

Les textes et leur significatioa — L'action du

voOq ; l'action de rame 52

Cause exemplaire ou cause efficiente ? . . 58

L*action en tant que telle est contemplation —Genese probable de cette theorie. ... 59

2. Tous les etres sont < contemplation >.

Le prentier principe est « contemplation >

Est-ce possible ? — Les textes — La vie

intime de rUn — Faut-il admettre sur

ce point une evolution dans la pensee de

Plotin ? — Non — L'dvepT€ia )Lievouaa. . 65Le second principe est ccontemplation » — Dou-

ble intervention de la contemplation dans

la constitution du voO^ : a) pour produire

la matiere intelligible ; b) pour achever

cette matiere et en faire le voO^ — LeV0O5 est Oeiupia Khaa 70

Le monde dcs dmes et la contemplaiion. —Les textes — Une contemplation debile

(daGevoOcra Geujpia) — Toutes les oeuvres

de l'ame sont egalement « contemplation »

— Meme la TrpaHi^ est aKid Geuipia^ — Letexte IIL 8. 4(1.336*) .... 75

3. La contemplationy fin de Vaction.

Le finalisme universel 81

Toute action est tendancc d*un etre a s'achever :

il trouve son « achevement » dans la contempla-

tion 82«

Conclusion.

Liste des principaux passages de Plotin

expliques ou cites dans ce travail

Premiere Enneade»

L I. 12 —I. 4. 2 —I. 4. 10 —I. 5. 10 —I. 9. —

1. 49'

L 65»

I. 74"I. 84'*

L 116«

Deuxieme Enneade.

IL 3. 8

11. 9. I

11. 9. 2

11. 9. 12

— I. 140*'

— I. 184«*

— I. i86«*

— I. 201'

Troisieme Enneade.

III. I. I

III. I. 10

III. 2. 8

III. 2. 10

III. 2. 16

III. 5. 3

HLj. 5

III. 7. 6

III. 8.

III. 8.

III. 8.

III. 8.

III. 8.

III. 8.

III. 8.

III. 8.

31

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I

I

2

3

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4

4

— I. 215'

— I. 225''

— I. 237*«

— I. 239'«

— L 246"— I. 271

— I. 315*

— L 316«

— I. 331

— I. 331

— I. 33-

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ts— I- 332

— I. 333— I. 334'

— I. 334"I- 335*

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46

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81

77

56,63

57

77» 60

60

82

Page 12: praxisettheoriat00arno.pdf

VI

III. 8. 4 — I. 335*' .

III. 8. 4 — I. 335'* '

III. 8. 4 — I. 336^ .

III. 8. 4 — I. 336' .

III. 8. 5 337*

III. 8. 5 337*"

III. 8. 7 339"

III. 8. 7 339'" .

III. 8. 7 — I, 339'' .

m. 8. 7 339** •

III. 8. II 344'* .

III. 9. I 346" .

III. 9. I 347' .

III. 9. 2 348'« ,

III. 9. 3 349'" .

Quatrieme Enncade.

IV. 3. 11 . 23" .

IV. 4. 43 98« .

IV. 4. 44 — II . 98" .

IV. 4. 4f .98'' .

IV. 4. 44 . 99* .

IV. 7. 4 • 123".

IV. 8. 2 — II.• 145'

.

Cinquieme Enneade,

V. I. 3 -- II, 164'« .

V. I. 4 — II. 166» .

V. I. 5 — II. 168'» .

V. I. 6 169*« .

V. I. 7 • 169" .

V. 3. 5— II. 184** .

V. 3. 6 — 11. i85^ .

V. 3. 6 — II. 185* .

V. 3. 6 186« .

y. 3. 7 — II» 187» .

V. 3. 7 — II. 187'* .

V. 3. 8 — II. 188'° .

48

79

78

480

80

81

82

82

82

72

72

78

76

76

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20

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45» 60

78

(1

^ -r-

V. 3. 10

V. 3. II

V. 4. 2

V. 9. I

Sixieme

VI. I. 21

VI. I. 22

VI. 2. i6

VI. 2. 21

VI. 7. 37VI. 7. 37VI. 7. 38VI. 8. 5

VI. 8. 5

VI. 8. 6

VI. 8. 16

VI. 8. 16

VI. 8. 17

VI. 8. 19

— II. 192"— II. 193»— II. 204*»

— II. 248*«

Enneade,

'—II. 288*«.

— II. 289*'.

— II. 318»«.

— II. 323«.— II. 471*^— II. 471*'.

— II. 472»*.

— II. 483'».

— II. 484*'.

— II. 485« .

— II. 500*».

— II. 500".— II. 502* .

— II. 504**'.

67

VII

66

71

66

16

47

47

46»

10

73

46

67

23

24

16, 25

68, 69

24

10

23

Page 13: praxisettheoriat00arno.pdf

H^ss^'

Le but de ce travail est de fixer, autant que possible,

la position des Enneades sur un point de detail, dont

a ma connaissance on ne s'est pas encore occupe, qui

pourtant, bien elucid^, jetterait quelque lumiere sur des

passages difficiles et sur rensemble du systeme : l'equi-

valence entre action et contemplation.

Plotin distingue action et action, TToiridi; et TTpaHiq :

la distinction n'est pas nouvelle ; mais il lui donne au' moins ordinairement un sens nouveau, en fonction

de ses propres idees sur la 9eujpia. J'ai parle ailleurs (*)

de la 0eiupia, en etudiant l'extase et Tunion a Dieu.

<Si j'y reviens, c'est a un point de vue tr^s different et

parceque Plotin voit dans la c contemplation », nonseulement comme Aristote l'acte par excellence, de tou-

tes les activites la moins melee de passivite, mais la

puissance meme qui engendre. Si bien que dans cette

conception synthetique des choses, Tetre en tant qu'etre,

— toute cloison serait artificielle —, est a la fois con-

templation et action.

Cette doctrine se rencontre avec des conclusions

deja exposees (*).

En analysant la connaissance et l'intellection en

particulier, il nous est apparu que pour Plotin il yavait, au fond de toute connaissance un appetit, l'appe-

tit du vrai, et que le « Desir » etait a la fois principe

d'activite et principe de connaissance. Puisque l'intel-

{*) Le Dcsir da Dieu dans la philosophic de Plotin. ch.VI.

(2) Id. ch. II.

Page 14: praxisettheoriat00arno.pdf

2 ACTION BT CONTEMPLATION

lection et raction sont unies par des liens essentiels,

rien d'etonnant que la contemplation soit a la fois fa-

culte de connaitre et pouvoir de produire.

Etait-ce theorie toute nouvelle et propre a notre au-

teur ? II semble bien qu^elle n'etait pas etrangere a

certaines sectes gnostiques contemporaines de Plotin ('J,

chez elles comme chez lui, echo de l'enseignement ct

des speculations de repoque. Aux temps lontains

deja, Platon en avait donne une ebauche dans la theo-

rie de TAmc qu'expose le Timee (36 E-37 C). (') Sousrinfluence de la doctrine peripateticienne de l*Acte pur,

en opposition au materialisme stoicien pour qui toute

action etait corporellc ('), Plotin la developpe, et tout

son systeme en regoit une coloration idealiste : LesEtres veritables sont lcs Idees ou Intelligibles qui sont

aussi Intelligences (*) ; comme le mode d'agir est en

rapport avec le mode d'etre, Taction veritable est Tac-

tion propre de l'esprit, donc la contemplation : la est

le principe de toute generation. Quant a Tactivite pra-

tique ou s'exerce le corps et ou il s'epuise, le sage la

meprise ou tout au plus la regarde de loin avec unededaigneuse indulgence.

Le probl^me de Vaciion et de la contemplaiion est po-

se en un raccourci d'allure paradoxale au livre huiti^.-

1

(') St Irenee, contra haereses lib. I. c. IV. n. 5.

(*) Dans le Timee, il y a une liaison incontestable entre le

mouvement dcs cercles de TAme et la connaissancc. Cf. Robin.

La Theorie platonicienne de VAmour p. 214-216.

(5) Arnim. Siotcoriim vcterum fragvienta, vol. i. p. 25. n. 90.

cf. Enn. IV. 7. 8.

() Pour Plotin, les Intclligibles nc subsisterit pas horsde Tlntel-

ligence, cf. Enn. V. 1. 5, mais ils ne font qu'un avec elle. Por-

phyre raconte dans la vie de son maitre (c. XVIII) qu'ii eut lui-

meme beaucoup de peine a partager cette theoric, contraire a la

tradition platoniciennc. Apres plusieurs discussions avec Amelius

un autre disciple de Plotin, 11 se rendit.

i

i\

\

INTRODUCTION

I

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I

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I

me de la 111=""^ Enneade, un livre que lcs critiques

s'accordent a reconnaitre comme manitestant speciale-

ment le genie original de Plotin ('): ei |uevujv TTOieT Kai

ev auTUJ iuevujv ecTfi Xoto^, eiri av auT6<; Geujpia...

(III. 8. 3 — I. 333'°), et un peu plus loin (334') : ei oijv \xr\

TTpaHi(; dXXd Xoto^. Geujpia. La formule est obscure : ce

modeste travail n'est en somme qu'un effort pour la com-

prendre.

Si Ton etablit dans ce texte une equivalence entre

TTOieiv et rrpdTTeiv, fatalement on aboutit a une con-

tradiction, car d'un cote, ce qui agit tout en etant

€ raison » est « contemplation >, et de Tautre, est

€ contemplation > ce qui n'est pas action, mais raison. (^)

M. N. Bouillet traduit (t. 11. p. 213) : « Puisqu'elle pro-

diiit (il s'agit de la Nature) en demeurant immobile en

elle-meme et qu'elle est une raison, elle est une con-

templation... Puisque la raison n'est pas une action,

elle est une contemplation » ; c'est a dire, si je com-

prends bien, la Nature est une contemplation, parce-

qu'etant une raison elle produit, et pourtant la raison est

une contemplation, justement parcequ'elle n'est pas

une action : la contemplation peut donc etre une « pro-

(*) Steinhart. Meletemata plotiniana. p. 19 — M. N. Bouil-

LET. Lcs Enneadcs de Plotin t. II. p. aii.note— H. F. MUllbr.

(puai? bei Plotinos dans Rheinisches Museum fiir Philologie N. F.

t. 71 (1916) p. 241.

(^) Ce qui ajjit est «raison»; nous verrons plus loin que, sclon

Plotin, tous ies etres sont « contemplation » ; ils sont aussi en un

sens ou en Tautre, < action ». Equivalences bizarres, semble-t-il,

entre des etres concrets et des abstractions. II faut se souvenir

que pour un neo-platonicien, les Idees 6taient non d'abstraits

irreels, mais de vivantes hypostases, auxqucllcs participent les

etres de ce monde, qui ne sont intelligibles, intelligents, actifs, ou

comme ils disaient raison, contemplation, action, que parcequMls

recoivent un reflet du monde snperieur. Sur ce monde ou Koa^oq

voriTo^;, intermediaire dans la hierarchie plotinienne entre le Pre-

mier principe absolument simple et immuable et les ames qui deja

« inclinent » plus ou moins vers la matiere, voir les livres que Por-

phyrc a groupes dans la V™e Enneade.

k

Page 15: praxisettheoriat00arno.pdf

(

ACTION BT CONTEMPLATION I

duction », maisjamais une < action. • Selon M. N. Bouil-

let, € produire > traduit TTOieTv, et < action > TTpdHi^.

Dans une conference faite le 26 mai 191 la rUnion

d'Oxford sur la perception du changement, un philo-

sophe dont la pensee voisine souvent avec celle des

Enneades, M. Bergson, a propos d'un texte sur lequel

nous aurons a revenir faisait ce commentaire : Toute

action, disait Plotin (et il ajoutait m^me : toute fabri-

cation) est un affaiblissement de la contemplation. Le

textc grec porte : TravTaxoO br\ dveupriCOfLiev Tf)v TTOincxiv

Kai Tr]V TTpdHiv n dcjeeveiav Geujpia^s n TrapaKoXoOenMa

(II1.8 4 — 1. 346') : action, c*est TroincJi? ; fabrication, npd-

Hi? ; interpretation tout opposee a la precedente. D'ail-

leurs, M. Bouillet lui-m^mc, sans sortir du livre qui

nous occupe et dans le meme alinea (III. 8. 3 — i. 334'^ ;

cf. Bouillet, t. II. p. 214), traduit TTOin(TK par ac-

tion (*). Mais alors, la difference avec TipdHK; disparait,

et la « contemplation > devient un monstre contradic-

toire qui tout a la fois est action (X6to(; ttoiiIjv), et ne

peut pas etre action (TTpdHiq)- C)

11 sera difficiie de traduire ces mots autrement que

par dcs periphrases, et, faute de vocables assez nuances,

force sera de nous contenter de decrire les operations

qu'ils figurent plutot que de les definir; il convient

pourtant de les distinguer, car le probleme dont il

s^agit ici, le probleme des rapports de Taction et de

la contemplation chez Plotin ne peut mdme pas etre

clairement pose sans une etudc prealable de vocabulaire,

qui determine la signification de TTOieiv et de TTpdTTeiv.

Ce travail sera donc divise en deux parties : i) une etu-

i w

(*) i\ Tro{r|cn? oipa Geujpio fiiuiv dvaTrdqpavxai L'action est donc

evidemment, comme nous venons'de le montrer, une contemplation.

(«) H. F. MiiLLER. Die Enneadcn des Platin (Berlin. Weidmann

l878) t. I, p. 259, traduit ainsi ce passage : « Wenn er blcibtnd

schafft und in sich selbst bleibend und Begriff ist, so mochte er

wohl selbst Schauen scin... Ist er also nicht Handlung^ sondern

Begriff, so ist er Schauen. » TToiei cst rendu par schafft, np&lv; par

Handlung.

INTRODUCTION 5

de d'inter^t purement lexicographique, une etude de

mots ; 2) Texpose des idees et de la philosophie des En-neades a ce point de vue.

Q'on ne s'attende pas a voir, a la fin de ce travail,

toutes les notions distribuees en casiers bien ordonnes;

je dois reconnaitre qu'en e^sayant de determiner le sens

des mots je ne suis pas arrive a la classification rigou-

reuse que j'aurais desiree. l\ sl fallu, apres avoir fixe

le sens propre a Plotin, rappeler, au risque de sembler

remettre le probleme en question, que ce sens n'est

pas le seul, les distinctions annoncees n'etant pas tou-

jours observees, et par suite renoncer a la satisfaction

que procurent a l'esprit des notions claires. Trop de

clarte ici serait une presomption d'infidelite. J'estime

que cette complexite et ces apparences incoherentes

doivent se retrouver dans toute etude objective des En-n^ades.

1 1

1]

m11

Page 16: praxisettheoriat00arno.pdf

'jfiliK:iiaiiiiKi:»ap>5

Les sources d'information sur ce sujet.

Ce sont d'abord les textes nombreux ou Plotin, de-L

crivant les differents stades de la < procession >, ex-

pose ses idees sur la maniere dont les etres s'engen-

drent et se produisent les uns les autres, sur ce qu'on

peutappeler « la contemplation creatrice >. Un chapitre

leur sera consacre plus loin.

1. Le livre 8^"^^ de la VP'"'^ Enneade (XXXVP se-

lon Tordre chronologique porphyrien) (•), Trepi toO

^KOucTiou Kai 0eXriMaTO(S toO evoq, de Taction propre au

premier principe et des caracteres qui lui conviennent.

2. Le livre 3^"^^ de la V^""^ Enneade (XLIIIe) qui,

traitant en general des etres superieurs et de leur Prin-

cipe, TTepi tuuv yvujpkttikujv uTTOcrTdcreujv Kai toO eneKeiva,

parle plus specialement, aux paragraphes 6 et 7, de

l'intelligence (voO(;) et de son activite, se demande si

on peut 1'appelcr une activite « pratique », ce qui conduit

a examiner la nature de la irpaHi?.

3. Le livre 8«"^« de la 111^"^^ Enneade (XXVII^), Trepi

9U(JeuJ5 Kai Geujpiaq Kai toO ^vo^, ou Ton etablit que

Taction propre a ia Nature n'est pas une Trpa^iq.

II ne s'agit pas ici d'analyser les theories de Plotin sur

Taction en general, la causalite, la double dvepTeia ('),

mais de prendre en consideration une vue de detail qui

lui est propre et qu'il traduit par un vocabulaire d'une

-^ i

^

7 SOURCES d'information

certaine originalite; il n'y aura donc pas lieu d'insis-

ter sur les deux premiers Hvres de la VP Enneade,qui avec le troisi^me forment le XXXIX^ selon 1'ordrechronologique, dans lequel il est question des catego-ries de Tetre, Tiepi tujv revujv toO ovToq, et. a l'occa-sion, de 1'action fVI. i. 15 a 19, 21, 22; VI. 2. 16;V^; 3-22, 27), mais sans que soit apportee aucuneprecision utile au sujet qui nous occupe. Nous enparlerons en passant, comme des passages dans les-quels l'emploi exclusif ou simultane de TroieTv et deTipdTTeiv parait intentionnel.

De ces textes il ressort que les Enneades fonf unedisiinction entre TroieTv et TipdTTeiv, une distinction dontle principe est dans une relation differenie avec la contempla-tion (eeujpia), car, tandisque la Geuipia est conside-ree comme une espece de TTOiriai^, on oppose avec in-sistance Geujpia et Tzpalxq,

II faut le prouver, en essayant de determiner le sensexact de ces differents mots.

^

\i

(«) On sait que Porphyre, dans sa « Vie de Plotin >. donne la

liste des livres qui composent les Enneadcs, en suivant Tordre dans

lequel iU ont ete redigcs. (vita Plotini. c. IV. V. VI). Bien qu'il

n'ait pas juge bon de suivre lui-meme cet ordre dans son editioh,

11 peut etre utile de s'y referer pour iuger s'il y a vraiment, com-

mc on Ta dit, des variations dans la doctrine.

(«) Cf. U desir de Dieu dans la philosophie dc Plotin ch. IV.

\*

Page 17: praxisettheoriat00arno.pdf

t

A. Etude de vocabulaire.

I 0EQPIA (').

1. Les 616ments de la < contemplation >.

« Un logos — qui agit (TTOieT) — qui agit sans se repan-dre a rexterieur (|u€vujv TroieT), donc en restant en soi

(€V auTUj ^€vuiv) - est contemplation (Geujpia). » (') Qu'est-ce donc qu'une eeujpia (eeuipia est un terme generique),sinon une operation immanente, ou mieux un princi-

pe..., un principe « logique >, qui exerce sa feconditesans subir lui-meme de modification. Trois elements la

constituent donc, et l'opposent a la TipdHi^ : elle est

.i)un XoTO^, 2) un XoTO^ ttoiujv, 3) un Xoto^ juevujv... Iv

auTLp ^evujv.

A dire vrai, ces trois elements ne sont pas adequatement distincts ; le premier et le second rentrent Tundans Tautre, le logos etant dans les choses le princi-

pe qui les determine a telle espece d'etre et a tel mo-dc d'action, — loi et force disaient les Stoiciens, Id6elet puissance disent les neo-platoniciens — , et par suite

necessairement actif : Xoto? troiiuv (II. 7. 3 — I. 180",

", '* ; cf. IV. 3. 10 — II. 22«*; VI. I. lo; 6 t«P Xoto?

evuXriTTOieTII. 3. 17 — I. 149» ; cf. III. 8. 7 — I. 339»*).

Chacun agit xaTd qpucriv Kai xaTd Xotov (III. 2. 17 —I. 247'*). 11 reste donc a proprement parler deux carac-teres essentiels de la eeujpia : i) Elle est un logos.

(*) Sur le sens du mot Geujpia, cf. rEnneade III. c. 8. ncpi Geuu-

pia? et V. 3; Le desir de Dieu dans la philosophie de Plotin,

ch. VI ; H. F. MiiLLER: qpuaig bei Plotinos dans Rheinisches Museumfiir Philologie, N. F. 71 (1916) p. 241 ; du meme, dans Hermes48 (1913) p. 420, 422 ; Thiel. Die Ekstasis als Erkenntnisform .

bei Plotin — Archiv fiir Geschichte der Philosophie t. 36, p. 48-55. f

(«) III. 8. 3 - I. 33350.

deujpiag

7) un logos qui reste sans changement, quand il pro-duit : ^evujv.

a)La eeujpia cst un logos — Le mot Xoto^ semblereduit parfois a ne figurer qu*un € acte » de Tame (*) :

oubajnoeev 5av TrpocreXeoi XoTogfi Tiapd ^tvxnq (iV. y. 2),dvT0(; ToO XoTOu oiov ^vepTeia^; T0ia(;5e (Tfi(; ipuxn^;),

Tn^ 6e evepTeia^; ^r\ 5uva^evn<; dfveu toO evepToOvTO<; eiva'

(VI. 7. 4, 5). Les logoi n'existeraient donc que par Ta-me et s'opposeraient aux Idees du monde intelligible

dont ils seraient un reflet. Formes des choses, uni-fiant la matiere mais eux-m^mes encore disperses, il leurserait essentiel d'etre multiples. « II est necessaire quece logos un (il s'agit du logos de Tunivers) soit la

resultante de logoi opposes entre eux, car ce qui le

constitue, ce qui est en quelque sorte son essence, c'estcette opposition-la : dvdTKn xai tov eva toOtov Xotov i^

dvavTiujv XoTwv eivai ^va, t^v ouOTaoiv auTuj Kai oiovouoiav Tn^ TOiauTn? evavTiduaew^ cpepoucrn^. Car s'il n'e-tait pas multiple (7toXu<;), il ne serait pas non plus uni-versel (iTd^), ni logos (ou5'dv XoTog). Puisqu'il est logos,il doit renfermer en soi une difference, Xoto^ 5e uiv

5id(pop65 le TTpo^ auTov eOTi. . (III. 2. 16 — I. 246"-").II faut se rappeler pourtant que par une consequen-

ce de la degradation progressive des etres, la perfec- «

tion de chacun doit se trouver a un degre superieuren ceux qui le precedent, a un degre inferieur enceux qui le suivent, la cause donnant toujours a seseffets quelque chose de sa perfection. Tous les etresse ressemblent donc « en quelque maniere (oiovj », et

en quelque mani^re aussi le nom qui convient a Tunconvient aux autres, au grand detriment de la preci-sion. Ils sont tous plus ou moins logoi.

f

i

s

^

(*) Un acte non point de l'ame isolee, mais de Tame orienteevers le voi)q, ^ivxr\q KaTcc voOv biaKeijudvri? — comme un rayon-nement a la fois de Tame et du voO^, oiov lK\a)Lnpi<; ^H <i|Licpoiv

H. 2. 16.

^

Page 18: praxisettheoriat00arno.pdf

lO ETUDB Du VOCABULAIRB

Ainsi le voOq est logos, un, grand, parfait, qui poss^-

de tous les logoi (les Idees) sans recourir au raison-

nement (VI. 2. 21 — 11. 323" ; cf. VI. 8. 17, 18) : eiq olov

XoToq. II est donc vrai que, bien que le logos soit paressence multiple, il y en a de telle sorte (olov \6yo(;)

qu'il s'accommode d'une unite tres ramassee, — memesemble-t-il de Tunite du Prcmier, que Plotin decrit

(VI. 8. 17 — II. 502*) comme « Tlndivisible, logos qui est

tout a la fois un et toutes choses ; dbidcTTaTog... ^Kei-

yo<; el? TrdvTa X6yo(;. 'EKeivo^; en effet dans ce pas-

sage est ceiui auquel participe le voO^ (^erexov eKeivou

502^), qui est au-dessus du voO^ (t6 Trpo toO toioutou,

apxn» 501^*), c'estl'Un- (*)

De meme les Ames : l'Ame universelle qui < reste »

(fi juevouaa) sans se meler au monde ; elle est le X6Toq

eiq ToO voO, de qui naissent d'autres X6toi jLiepiKoi Kai

dOXoi (IV. 3. 5), les ames particulicres (*) ; la Natureest un logos qui produit un autre logos (III. 8. i) ;

meme les formes des choses inanimees, des choses vi-

sibles et sensibles, meme les qualites ajoutees a la

matiere sont des logoi (IV. 7. 2 ; III, 8. i).

Le mot « logos », dans sa plus large acception, ex-

prime donc < la nature autre que le corps » (IV. 7. 4;

— II. 123^^: ou (TiujLia Kai qpuai^ erepa), et par conse-l

quent, la matiere etant le non-etre, tout ce qui est

principe ou resultat de la pensee, tout ce qui est or-

donne, conforme a la raison, les « raisons » anterieures

au raisonnement,... superieures a la nature et a la

raison (VI. 2. 21 —II. 323" ; 324*,'), rintelligence et

les Idees, l'Ame et les ames, l'ordre du monde, les

formes des choses, tout ce qui est determinant ou de-

(') Aillcurs (V. 3. 16) Plotin affirme que TUn n'est pas Xdyoq.

II ne l'est pas, en ce sens que le logos impliquc une multiplicit^;

il l'est, en ce sens que le logos est principe d'unite. L'Un est oiov

X6to?.I

(^) cf. IV. 3. 10; V. I. 3 ; VI. a. 5 ; III. 2. 16. /

.-1

*f'

Geujpia jj

termine, tout ce qui agit, tout ce qui est, car toutcela porte la trace de la pensee.

TToi? oijv vonaeig ; 6ti Xotoi (<) (III. 8. 7)

Si la < contemplation > est logos, de ce chef, vastcest le champ qui lui est ouvert.

b) La Gewpia esi tin XoToq Mevwv — Le logos cstprmcipe d'action

; mais il y a, selon Plotin, deux sor-tes d'actions: l'une incline l'agent aux choses inferieu.res, mtroduit en lui le changement, le rend passif enm^me temps qu'il agit, et, le faisant tomber, lefait sortir de soi. « Rester en soi ^ iueveiv, c'est semettre a Tabri de ces avatars ; et l'action capable, touten < restant >, de produire. seule se fixe dans la liberte,parcequ'elle est exempte de? influences deprimantes, dansla purete, parcequ'elle ignore tout alliage avec le sen-sible, dans l'independance, bref dans la permanence,^ovn, un nom qui dcfinit TUn mieux que tout autre!mieux que l'etre meme ou la pensee (I. 7. i), et quiconvient aux autres dans la mesure ou ils participenta rimmutabilite de TUn. Dans cette mesure meme, ilssont « contemplation ^, et cette mesure est variable.H. F. Mliller, dans la rcvue Hermes 48(1913) p. 422,

definit la Geujpia « das rcflexionslose Schauen, das an-^schauende Denken », une intuition qui ne fait pasretour sur elle-meme. Telle est en effet, nous le verrons,la contemplation de TUn, mais non pas toute contem-

I

plation;

la « permanence > essentielle au Xoto^ Mevujv

\n'exclut pas necessairement la reflexion sur soi-meme, mais seulement la chute deshonorante dans lamati^re. Bien plus, c*est une reflexion, un retour

I

(«) cf. au contraire II. 3. 17 - i. 149H: le logos n'est pas pen-

s6e: ou v6riaK oijbd opaaig... logos est pris ici en un sens restreintX6to? ^v eXrj, celui qui informe la matiere, logos inanim6.

il

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12 ETUDB Du VOCABULAIRB

(dvaaTpoqpn), un rcploiement sur soi qui est constitu-

tif du voO(;, r^tre contemplatif par excellence (6eujpia

Zwaa) ; c'est sa maniere a lui de rester avec soi.Jamais

le recueillement n'est l'ennemi de la contemplation.

De ce qui precede on peut deduire que, chcz Plotin,

le mot Geu^pia, comme le mot \6yo(;, enveloppe tout le

domaine de la speculation et traduit, avec plus ou moinsd'exactitude, tous les modes de la pensee, de la reflex-

ion, du raisonnement...

2. Deux acceptions du mot : Ocujpia.

Une remarque s'impose encore ; ce mot est employetantot pour signifier Taction de contempler et tantot

pour designer Tetre qui contemple ; c'est dire qu'en

un sens il est abstrait, en Tautre, concret.

0€ujpia (sens abstraitj

Au sens abstrait, Geujpio s'applique a toute espece

de connaissance, depuis les grossieres apprehensions

des organes sensoriels, limitees a une apparence qui

est toujours une illusion, jusqu'aux vues les plus pene-

trantes de l'esprit, penetrantes au pomt de se saisir

de 1'essence meme des choses, jusqu*au mode special

de connaitre qui, se passant d'intermediaire, estintui-

tion, pure lumi^re jaillissant de Tunion immediate avec

Dieu. Plotin parle de la contemplation des arbres et

des plantes (III. 8, i — I. 332 *'), de la contemplation

de la Nature (III. 8. 4), de TAme (III. 8. 5), des intel-'

ligibles (III. 8. 4) ; il parle m^me de la contemplationi,

du Premier Principe : je remarquc seulement qu'il em-ploie alors de preferencele mot 9ea (I. 4. 13 — I. 76" ;

I. 6. 7 - I. 93 ". 94 *; VI. 9. 4- II. 513

*•'•**; VI. 9.

7-'

II. 518 **; VI. 9. 10 — II. 522 " ; VI. 9. II — II. 524 ").

II distingue la Geujpia qui vient de la « raison > (Tr|V

ji^v ^K XoTOu), qui consiste ^ consid6rer ce que Ton nc

/

if

deoipia 13

poss^de pas (III. 8 3 - I. 334*'•'«•

**), et la Oeujpia,celle de la Nature par exemple, qui ne fait qu'unayec la « ra.ison » : Ictti 5e Geujpia Kui eeujpTiMa • Xoto^TOP (I. 334 ") ; et c'est pourquoi l'on doit dire de laNature qu'elle c est . Geujpia, plutot qu'elle « a > uneGeujpia.

Geujpia (sens concret).

La Nature est Geujpia. On voit comment s'est fait lepassage du sens abstrait au sens concret. Quand lesujet ne fait qu'un avec Tobjet, il n'y a plus lieu de dis-tinguer l'action et Tagent : Le contemplant est une memechose avec sa contemplation. Aussi de meme que les Ideessont des voe^ (IV. 3. 5), c'est a dire non seulement penseesdu voO^, mais esprits pensants, des essences et des forcesspirituelles que le vovq embrasse et qui le composent,de meme les logoi, Idees degradees, _ comme la

M/uxn est un voO^ en decheance — , sont des realitesviyantes, et de meme aussi la « contemplation > mal-gre la forme abstraite du vocable etant logos ne doitpas etre consideree seulement comme une entite, Tac-tion de contempler, mais comme une essence tout ala fois et une puissance, que Plotin traite en sujet, dont il

dit qu'elle agit, qu'elle vit. Les etres sont des contempla-tions. Les contemplations sont des etres.

Cela est vrai surtout du voO^, contemplation vivantesans distinction de sujet et d'objet (Geujpia libaa, ouGeujpnMa oiov t6 ev dXXuj III. 8. 7), mais aussi de laNature, qui implique pourtant une dualite, etant a lafois, contemplation et objet contemple (ecTTi 6e Geujpia

? Kai eeujpTma. III. 8 2), objet distmct du sujet et en luioiov ev aXXuj. Avec une complaisance a peine justi-fiable en principe, Plotin va plus lom : m^me le plusmfime logos, la forme visible des etres inorganiques,dernier reflet de la grande lumiere divine, bien que

.1111

,i

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H ETUDB DU VOCABULAIREf

multiple et disperse dans la matiere, peut etre appelelui aussi contemplation, en ce sens qu'il est contem-ple (Kai ecujpia outu)^ wq Teeeiupn^evog III. 8. 2) : il

est encore sous Tinfluence et du ressort de l'esprit (*j.

Tel est, chez Plotin, le domaine de la « cohtemplation ».

k

II 0EQPIA, nOIHIII, nPAEII.

Laeeiupia est un mode d'activite. Qu'on se rappelle le

texte qui nous a servi de point de depart, III. 8 (XXVII),

3 — 1- 333 '"• €1 |Li£viuv TTOieT Kai ev auTtp iuevujv iafi X6-

Toq, eiri av avibq eeujpia; Le sens n'en sera parfaite-

ment clair que quand le cours de nos recherches au-

ra precise le sens de cette « action immanente » : ^evujv

TToiei,, ev auTUj jueujv ; il apparait pourtant des maintenantqu'il y a une certaine sorte d'action (7T0ir|cri(;) differen-

te de laTTpaHig. qui est contemplation. ei oijv jur) 7Tpd£i(;,

dXXd XoTO^, eeujpia (ibid. I. 3343) : Si elle n'est pas iTpd-

Hi?, mais XoToq, elle est eeujpia.

Ainsi I.) TTpdSiq et eeujpia s'excluent : il est facile

d'en multiplier les preuves, empruntees a toutes les

epoques de Tactivite litteraire de Plotin.

I.i (XLVII).i2 — I. 49». vSi le poete a dit d'He-racles qu'il etait a la fois et parmi les dieux et dansTHad^s (*), c'est scmble-t-il qu^Heracles etait porte aTaction, et non a la contemplation », sans quoi il

serait tout entier la-haut : OTi bf| TTpaKTiKrjV dpeTfiv

Ixujv 'HpaKXng Kai d^iujeei^ bid KaXoKaTaeiav eeoq eivai, oti

TTpaKTiKo^, dXX' ou eeujpTiTiKO? nv, iva dv oXoq fjv

eKet, dvuj Te ecTTi Kai eri ecTTi ti auToO Kai KdTUj.

IV. 4 (XXVI), 43 — 11. 98«; 44— n. 98*«. TouteTTpdHi^ est ensorcelee ; toute la vie de « 1'homme pra-tique > aussi... Seule, « la contemplation > est a Pabride rensorcellement; Trdaa TTpdHi^ TtToriTeuTai Kai naq

(*) L^Hades, comme chez Philon (quis rer. div. her. 45) designeici le monde sensible. Cf. Brehier: les idees philo. et relig. dePhilon d'Al. p. iio. n. 5; p. 341.

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i6 ETUDB DU VOCABULAIRB

6 ToO TTpaKTiKoO Pioq. , ^ovTi bf| X€iTr€Tai f| e€U)piadTor|T€UTO^ €ivai.

V. 9 (v). I — II. 248*». II y a trois classes d'hom-mes, ceux qui se contentent de la vie d'ici-bas, oi-

seaux pesants que leurs ailes sont impuissantes a por-ter; les hommes divins dont la vue per^ante se fixe

sur les splendeurs d'en-haut ; et entre les deux la fou-

le de ceux qui, quelque peu souleves par la meilleurepartie de leur ame, sont ensuite retombes, par impuis-sance de contemplcr, vers des TTpaHei^ et des occupationsinferieures dont il^ avaient essaye d'abord de se deta-

cher: d5uvaTr|CTavT€(; beib^iv t6 dvuj... KaTnvexGricTav...

inX TTpd^ei^ Kai dKXoTd^s tujv KdTUj.

VI. 8 (XXXVI), 6 — II. 485 «: Le hbre arbitre et

rautonomie qui se rencontrent dans les actions bf Taiq

TTpdHeaiv, ne se rapportent pas a Tactivite « pratique .»

ni a l'acte extericur, mais a Tacte interieur, a la pen-see, a la contemplation de la vertu m^me : ujO"Te Kai

t6 ev Taiq TTpdHecTiv auTe^oumov Kai t6 e(p'f])uiv oukek t6 TTpdTTeiv dvdTeaGai oub^ei^ thv e£uj, &\r^{(; Tr]V

evT6q evepT€iav Kai v6r|(Tiv Kai eeujpiav auTnq Tncjdpe-

Tn^. Cest du point de vue de la liberte avec, des pre-cisions sur les quelles il faudra revenir, la meme op-position entre Trpdfi^ et eeujpia (*).

2.) La TTpdHi^ est tine forme inferieure d'activite, a cepoint suspecte que Plotin, par un decret qui est bien danssamaniere absolue, proclame : b€i.. jurib^v TTpdTTev[i.

9 (XVI) - I. 116']. Traduirons-nous : il ne faut rien

faire?(*) Prisc dans sa generalite, la phrase n'a pas desens acceptable, puisque nous savons par ailleurs qu'il

^ () II semble bien qu'il faut voir aussi la volonte dc distinguer

TTpaHK et eeujpia dans le texte I. 4 (XLI), 10— I. 74 3<': ttoWck;

b'dv TK eijpoi Kai ^YpnTopoxujv KaXd? ^vepY€iag Kai Geujpiag Kai

TTpdJei? Sxe 0eu>poOjaev Kai Sre TrpdxToiuev, t6 'napaKoXouGeiv

niud? aOTai(; ouk ^xouaaq.

(') H. F. Miiller. Die Enneaden des Plotin, I. p. 70, traduit sans

aucunc cxplication : « er darf abcr nichts thun. »

V

npSHig 17

est des actions recommandables par ce qu*elles condui-sent au terme heurcux de la contemplation. — Bouil-let (<) traduit : « Un tel acte est illicite »

; c'est res-treindre indilment Textension universelle de la propo-sition. Plotin nMnterdit pas telle ou telle action, maistoute « action » ,.. au sens special qu'il reconnait au motTTpdEi? : c'est ce sens qu'il convient de determiner.Dans le contexte il s'agit du suicide qui est con-

damne, parceque Tame, au moment ou elle se sepa-

re du corps n'est pas alors sans passion dTTa8r|5 commeelle devrait Tetre : elle agit en effet ou par chagrinou par colere, et elle emporte avec soi cette impu-rete. L'action qu'on pose sous le coup de la passionest une TTpdHiq ... action d'une ame serve, voila ce quiest interdit be! be )Lir|bev TTpdrTeiv, arret d'un ascetismeexigeant dont le desir de purification ne connait pasde limites (*).

Meme les belles actions (TTpd^ei^ KaXai) ne sont gu^reestimables. Plotin cherche si elles peuvent donnerle bonheur ; il repond par la negative [i. 5 (xxxiii),

10], et donne ses raisons : t6 5e ^v ToTq Trpd-

Heai t6 eubaijuoveiv Tieeaeai ev toT^ IHuj Tng dpeTfiq Kai

Tn^ ipuxn<s edTi TieevTO^ • n rdp evepT€ia Tng ipuxn<; €V Tip

(ppovnaai Kai ev eauTfi ujbi evepTnaai, Kai toOto t6€u5ai)LA6viJU(;. Placer le bonheur dans les « actions »,

c'est le placer dans les dehors de la vertu et de rame.L'acte propre de Tame consiste a sagement agir enelle-m^me.

Ainsi « les dehors, Td IHiu rnq dpeTn? Koi Tn^ ipuxn? »,

0) M. N. Bouiliet. Les Enneades de Plotin. t. I. p. 141.

{^) Sur cette purification ou Kd0ap(Jiq, voir : Le desir de Dieu dansla philosophie dc Plotin ch. V ; cf. I. 2(xix)6— i. 56". Un resultat

de la purification — dont la contcmplation est le but ultime —est d'habiter avec le voO^, de lui ressembler autant que faire sepeut, et, si possible, de n'etre emu de rien, de « ne rien faire »

de ce qui dcplait au maitre : OjcTTe, ei buvaTov, airXriKTOv eivai r\

dirpaKT^v Te tu>v |uri boKouvTUJv tuj bearroTr). L'influencc stoicienneest sensible jusque dans rexpression.

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i8 ACTION BT CONTEMPLATION

sont le lieu des TrpdHeK; ; au contraire contenir en soi-meme son activite est le secret de la sagesse et du bon-heur.

Dans ce texte la TrpaHK; apparait donc comme racHond une dme qui sort de soi et se repand au dehors^v TOT? IHui 1.84-; Plotin dit ailleurs:d'une ame quitend vers ce qui n'est pas elle, Trpo^; dfWo (IV. 4. 43 -II. 98) ou ce qui revient au m^me vers les chosesinferieures et sensibles, qui se ravale en se soumettantaux mfluences d'en-bas (•) et n'est plus maitresse d'elle.m^me.

Activite d'un ^tre qui au lieu dc se retourner Trpoc^auTO, regarde vers 1'exterieur et sort ainsi de soi sedisperse, tombe sous la dependance de ce qui n'estpas lui, la TTpdHi^ s'oppose donc a la contemplationqui est essentiellement un acte immanent.

3) En effet les ^tres se distingucnt par le terme deleur tendance, (le syst^me dc Plotin est un dynamisme («)les uns TTp6(; dUo, les autres Tipo^ auTo ; Les premiersrapportes a autre chose, tendent vers ce qui n'est paseux, et montrent par la qu'ils ne se suffisent pas keux-m^mes. Leur finalite est un signe de dependance,ce que Plotin exprime en disant qu'ils sont sous lecharme et comme ensorceles : Trav rdp t6 TTp6^ dWoToriT€ueTai bix' dWou • irpbc; rap ^otiv, €K€ivo TonreueiKai dTCi auT6 — Seul I'^tre Trpo^ auTo est a Fabri dela seduction (')

: ^ovov bk t6 TTp6<; auTo dTonT€UTOV car

(') L'influence des cho<?es exterieures cst rori^ine de tout mal •

dperai m^v bxd t6 dpxaTov Tf\q Hiuxn?. KaKiai bi auvTUYvaiyu-Xf\<; TTpo^ Td l?ui. (II.3(XLVI,8 - L140.7). L-exterieur'c'estle sensible. c'est ia matidre

; au contraire, en rentrant en soi ons oricnte vers le monde superieur. Sur ces notions de « dtdans »€ dehors », cf

:le Desir dc Dieu dans la philosophie de r>i«tin;

cn* X V •

(2) TTdvTa Totp dplyexau.. V. 5. 12.

(5) cf. IV. 4. 44 (IL 99«) on dira peut-etre que quand on faitde bcUes choses (Td? npd^eiq tiDv KaXujv) on est k l'abri de l'en.

f

TTpaHi? 19

trouvant en soi tout ce qu'il pourrait desirer, ne de-pendant de personne, il est soustrait a toute influencedu dehors. La contemplation (G^ujpia) jouit-elle de ceprivilege ? Oui. Pourquoi ? oti jnnb€i^ Ttpo^ auTov TeTon-TCUTailV. 4 44

— II. 78 '«.(*)M. N. BouiIlet(2) traduit

:

< car nul n'est ensorcele par lui-m^me >. Jlpbc; auTov,par lui-meme ? Ce n'est point cela ; apres ce que nousavons dit, (cf. IV. 4. 43: juovov 5e t6 TTp6^ auT6 aTor)-TeuTOv), il est evident qu'il faut comprendre : Mn^ei^ ^rp^^auTov, aucun ^tre qui reste tourne vers lui-meme sansse repandre au dehors. Cest bien le cas de Thommecontemplatif qui est un a^^ec Tobjet de sa contemplation:€l? Tap ecTTi, Kai t6 GeujpoujLievov auTog ecTTi. Cest lui-

meme qu'il contemple ; un tel homme ne subit le char-me d'aucun objet exterieur; il fait ce qu'il doit faire :

6 bei TToiei Kai Trjv auToO lvjr\\ Kai t6 epTOV TTOieT.

De meme, Ic livre 3^»"« de la Ve"^« Enneade, traitantdes hypostases douees du pouvoir de connaitre et re-

sorcellement; sans quoi, semble-t-il, il faudrait dire que la eeuipia

aussi, ayant pour objet de belles choses (KaXd), est ensorcclee —Plotin distingue. Si Ton fait ces actions qu'on nomme belles (TdgKaXag X^yo^ivaq TipdEei^ TrpdTTOi), et si on possede le beau veri-table comme quelque chose qui n'est pas etranger (ouk dXXo t6dvTUjg KaXov ex^v), on n'est pas ensorcele ; et cela se comprend,car alors en agissant on n'est pas reellemcnt dependant d'uneinfluence etrangere. Mais si Pon aime le beau qui sc trouve^v xalq TTpdSeai et qu'on se tourne de preference vers cette acti-

vite pratique, on poursuit en fait la beaute qui se trouve dansles choses inferieures t6 Trepl Td KdTUj KaXov, inferieures, donc ex-

tericures; on est comme arrache a soi, ensorcele.

(•) Plotin cite des exemplcs de TrpdHei^ IV. 4 (XXVI), 44 -11.98«**

: TTpdEei? bi ai |uev bid 0u|li6v dXoTUit; KivoOvTai, ai bd bi'^Tri0u-

Mia? djoauTUJ?, TroXiTeiai bi Kai dpxu»v 6p^Sei? t6 qpiXapxov t6^v f\p.iv Ixouai TTpoKaXou/ievov Kai ai |u^v fivdiuevai UTr^p toO |ur)

iraeeiv dpxnv Ix^^vai tov qpopov, ai b'uTTep toO TrXeiovog Trjv ^Trieu-

iuiav, ai be tiuv xpeiujbiiv x^piv tkiv tti^; qpuaeujg evbeiav ^riToOaai

dTTOTrXripoOv qpavepujg exouai Trjv Tr\<; qpuaeujg piav up6(; t6 lr\v 01-

Keiujaaaav.

(*) op. cit. t. II. p. 402.

f,

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20 ACTION BT CONTBMPLATION

cherchant en particulier celles dont 1'activite se r6fle-

chit et prend connaissance d'elle-meme (YvajOiv ^au-

ToO V. 3. I — II. 178"; V. 3 2 — 179" et i8oS«;V. 3. 4 - 182*»

; V. 3. 5 - 183«», »«; V. 3. 6 - 186*«

;

V. 3. 8 — 189**, "...). oppose ce mode d'activite, qui

est celui de la contemplation, a la TrpdHi^ consideree

comme une activite tout entiere tournee vers le de-

hors. Le passage qu'on va citer parle du vo\}<; ou Es-

prit, la seconde des hypostases plotiniennes, qui, sans

posseder rabsolue simplicite, apanage exclusif du pre-

mier Principe, ne fait qu'un pourtant avec TEtre ve-

ritable, rintelligible, dans Tintimite et le repos duKoapLoq voTiTO^, et par consequent n'a pas besoin, pourle connaitre, de sortir de soi V. 3. 6 — i86\. : II est

" impossible que !e voO^ soit hors de lui dKToq^auioO.

Comme il est en soi et avec soi (dv ^auTuJ eOTi Kai (Tuv

eauTUj). necessairement il se connait lui-meme : dvaxKfi

(Tuveivai auTuj Trjv Tvujcriv lauToO. car il est en soi, et

son acte, son essence est d'etre voOg. II n'est pas

€ pratique » ou yap ^n TTpaKTiKO^; ^e outo(; : qtii dit < pra-

tique » dit un etrc qui, regardant dehors ei ne restant pas

en soi, a connaissance des choses exterieures : uj^ TTpo^ t6

ll\xi pXeTTOVTi Tili TipaKTiKii Kai \xr[ iv auTUj juevovTi eiri

dv Tijuv )u^v eHuj ti^ yvujok;. Pour ce qui est de se con-

naitre soi-m^me, ce n'est nullement necessaire a qui

est entierement TrpaKTiKO*;. Au contraire, 0« il ny a pas

TTpdHiq, il y a retour sur soi (dTTicTTpoqpri TTp6(; auTov)

et connaissance de soi; car n'ayant ni besoin, ni desir

(opeHi^... diTOVTO^), Tactivite n'est pas tournee vers le

dehors ; elle est donc tournee vers le dedans (il n'y

a pas d'autre alternative ric; Yap dv Kai f] l^xjx] auToO

ein TTpdHeuiq dTrnXXaYiuevu) Kai ev vuj ovti ; II, 186"), acte

vivant ou se rejoignent dans Tunite la pensee et Tob-

jet pense et le sujet qui pense (V. 3. 5 — II. 184",IS S7 S8\

La TTpdHi^ n'est donc pas precisement, comme le vou-lait Steinhart Tactivite humaine tendant vers des buts

TTpdHi? 21

particuliers « das Handeln des Menschen, insofern das-

selbe auf einzelne Zw^ecke .g;eht », mais l'action soumiseaux influences materielles, aux appetits inferieurs (*),

et qui entraine Tagent, le tirant pour ainsi dire delui-meme vers les bas-fonds

; elle est tout le contraire de la

vie interieure, du recueillement et de la contemplation,une sortie qui est une decheance, ce que les ascetesdu Moyen-Age appelerent « effusio ad exteriora ».

Les textes qui precedent montrent clairement que la

TTpdHi(; ne peut convenir aux etres superieurs du mondeintelligible, encore moins au Premier Principe, immua-ble dans son eternite. Le 8« livre de la Vh Enneade,en confirmant ces conclusions, introduit un problemenouveau concernant i'emploi des mots TTOincTiq et TTpd-

Hi?, soit chez notre auteur, soit dans la tradition phi-

losophique grecque.

Nous ne pouvons nous en desinteresser, car Tinfluence

persistante de cette tradition explique, au moins enpartie, certaines incoherences du vocabulaire plotinien.

Ce livre (le 36« selon Tordre chronologique), trai-

tant de la liberte et de la volonte de l'Un, parle beau-coup de Taction. Au point de vue qui nous occupeune remarque s'impose. Jusqu'au no 7 le mot TTpdHi^

revient tr6s frequemment et plus ou moins confondu par-fois avec TToinOi^, tandisque dans le reste du livre, du

(') Cf. Steinhart dans la Realcncyclopadie der classischen Alter-

tumswissenschaft, art. Plotinus. p. 1770. II faut reconnaitre qu'enfait pour Plotin, le particulier cst aussi le materiel, particulier

parceque mat^riei : scul, TUn est completement immateriel. Inu-tile dMnsistcr sur la parente de pensee avec certaines doctrinesdu Moyen-Age augustiniennes et platonisantes concernant la matiereintelligiblc et le principe d'individuation, avec le formalisme deKant aussi, pour qui rien d'empirique, rien de sensible ne sau-rait avoir un caractdre universel et necessaire.

*^'

/'

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22 ACTION BT CONTBMPLATION

n° 7 au n® 21, ni ixpahq ni TrpdTT€iv ne reviennent uneseule fois : on ne trouve que TTOieTv ou ^vepYeTv et cela

tres frequemment. Or, il suffit d'une simple lecture

pour s'en rendre compte, le livre se divise en deuxparties : la premiere s'occupant de la liberte de la vo-

lonte dans Tame et dans le voO^, la seconde, de la

liberte et de la volonte de rUn, et c'est justement aun° 7 que se fait le passage de l'une a Tautre. II y a

deja dans ce fait un indice et que la distinction s'af-

firme entre TTpdHi<; et TToiriOi^ et que TTpdiHi^ designe

une action de qualite inferieure qu*on ne peut pas

attribuer au premier Principe.

I. Exammons d'abord le sens de « Troir^Oi^ > tel qu'il

se revele dans la seconde partie du livre. Une expres-

sion y revient constamment : TUn se fait lui-m^meauTO auTo ttoicT (VI. 8. 7 — II. 488* ; VI. 8. 13 ~ II.

496" ; VI. 8. 15 ^ II. 498^' ; VI. 8. 16 - II. 500" ; VI.

8. 20 — II. 504*'...), el le propre de cette action est

qu'elle consiste en < une inclination vers soi-meme »; car

si l'Un inclinait vers le dehors, il cesserait d'^tre ce

qu'il est : ce qui le fait ^tre ce qu'il est, c'est qu'il

reste en lui. (*). Aussi, n'etant pas au service d'une

volonte etrangere (VI. 8. i5 — II. 498"), cette TToitioi^

est-elle vraiment libre (VI, 8. 12 — II. 494') ; elle n'est

aucunement liee (ttoiticti^... dTToXuTO^ ni enchainee par

un but a atteindre, car cUe n'a pas eri vue de produire

autre chose ; elle est Tacte (^vepteia) de TUn, elle est

rUn lui-m^me ou Totp ^uo, dXX'^v (VI. 8. 20 — II 505*),

ev xdp tt) TTOirioei xai oiov Tevvrjaei dibiuj t6 eivai

(ibid - II. 505") (^).

(*) cf. VI. 8. 16 — II. 500"'': 6ti b'T] ToiauTn veOai<; auToO Tipd^

aOT6v olov ^vdpY€ia ouaa aOToO Kai jaovr] ^v aOTtu t6 eivai 8

^aTi TTOiei, luapTupei uTTOTeG^v TouvavTiov* 8TieiTrp6g t6 ?Euj veu-

aeiev aOToO, dTroXei t6 eivai 6uep ^ari. 'EvepYeiv et iroieiv sont ici

synonymes ; comparer 500'« et 500« ; VI. 8. 17 — II. 502'*.

(*) L*Un a fait retre aussi (luoir\ae Tfjv ouaiav), mais sans

sortir de toi, car il ne Ta pas fait pour lui : il n'en avait pas be-

\

TTpaHi? 23

Une seule fois le mot TroieTv est employe dans unsens contraire, celui d'une action que la necessite com-mande (0 rivdTKaOTai TTOieiv f\ ^r\ TTOieTv. VI. 8. 7 — II.

486", ") et on ne peut en tirer argument, car de touteevidence Plotin cite alors une opmion qu'il reprouve

:

ToX^npo? X0T05 ^Tepujeev cTTaXei?. D'ailleurs nous ne pre-tendons pas demontrer ici que ce mot est confisquedans Ics Enneades pour un usage transcendant, maisseulement qu'il sert quelquefois a cet usage, a Texclu-sion de TTpdTTeiv.

2. Dans les six premiers paragraphes du livre, ,on

trouve TTpdHK, TTpdTTeiv employe au moins 26 fois. Dansce nombre, il y a lieu de distinguer, comme nous Ta-vons dit, les endroits ou Plotin expose sa propre pen-see de ceux qui sont des citations ou des rerniniscen-ces d'Aristote.

Ainsi Texpression ai kot' dpeTriv TTpdHeiq, empruntee aTEthique a Nicomaque (A 1 120^23), Td KaTapeTfiv TTpdT-

T€iv (ibid. K. ii78b. 6)... Plotin la re^oit (VI. 8.5 - II.

483'', ", ", 484')» et soul^ve le probleme : peut-on direqu'une ame est libre, quand elle agit selon la vertu(KaTd dperfiv TTpaTTOuOi;! II. 483*«)? II y a une difficul-

t6; c'est que les actions vertueuses (TTpdHei^ ai KaTd

dp€Tr|v II. 483") sont soumises aux circonstances et ala necessite, donc que leur execution ne depcnd pasuniquement de nous ; or a parler correctement (Td^aixky/ dv.. 6peuj? XeTOiTo), la liberte convient i l'action

bonne ou Ton fait tout par soi-m6me (t6 KaXuj^ Kai t6TTdvTa TTOinoai Td TTapauToO II. 483'«). Aussi la con-clusion est-elle : puisque les irpdEei^ sont du domainede la necessite, puisque par ailleurs la volonte et la

raison qui les prec^dent (f\ TTpo tojv TTpdHeujv) ne sontpas soumises a cette necessite, nous dirons que la

liberte se trouve dans cette volonte pure avant que rien

: \

goin ; aussi l'a-t-il laisse hors de lui : uoiriaa? TaOTnv ?Sw eiaaev^auToO dT€. oObdv ToO eivai be6^evoq (VI. 8. 19 — II. 504").

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24 ACTION BT CONTBMPLATION TTpaHi? 25

se fasse encore, hors de raction : ^v i|iiXuj... tlu Trpo

ToG TTpaTTO^evou IHui Tf]^ TTpdHeuj^ II. 484'...• • •

Cela est deja clair : qui dit TrpdHiq, dit une action soumi-

se a des influences necessitantes, donc asservie, depen-

dant du hasard ou de la necessite ou de passions vio-

lentes (VI. 8. 1 - 11. 479»/), de la colere ou de la con-

cupiscence (VI. 8. 2 - II. 479","*), des imaginations

produites par les humeurs du corps (VI. 8. 3 — II. 481" :

ev€pT€Tv et bpdv sont ici employes dans le memesens) (*) ; ou, ce qui revient au meme, action com-

mandee au moins en partie par rexterieur,

Voici d'autres passages du meme livre qui le disent for-

mellement. VI. 8. 2— II. 480'* : quand il y a connaissance

de Tobjet (Yviucri^ toO TTOiou^evou) et desir (6peHi(;), un

principe etranger determine Taction et cette action est

TTpdHi^ : dXXo eTii ttjv TTpdHiv dtTei. Que si la connais-

sance, si la raison l'emporte et fait taire le desir,

Taction devient libre, mais elle n'est plus alors TTpdHi^,

tout se passe dans le vovq : ouk dv TTpdHci toOto larax,

dXX' ev vuj aTrjcreTai toOto, « car tout ce qui est TTpdHiq,

meme si le logos le dominc, est melange )uikt6v et ne

peut posseder dans sa purete le Hbre arbitrc (-) ».

De meme VI. 8. 5 — II. 484" : La liberte n'est pas

dans laTTpdHi^, mais dans rinteUigence affranchie de toute

trpdHi^ : ouK iv TTpdHei t6 i<p fi)uTv, dXX' ev vlu n<^uxuj tuiv

TTpdHeujv.

(*) cf. VI. 8. 6 — II. 484-" : irpoaTriTrTdvTiuv hl tujv dvaTKaiujv

Tia6r||adTiuv t€ Kai 7rpdS€U)v - II ne semble pas qu'on puisse invo-

quer VI. 8. 4 — II. 483' : o\q TrpdEK;, f] dvdYKrj 6Huj0€v • ou Y"P MdTnvTrpdSouaiv, car dans ce texte Plotin exposc les difficultes qu'on

pourrait faire k sa these : (2Ir|Tr|aeiev &v ti?...) et non pas sa pro-

pre pensee,

(«) Plotin dit pourtant VI. 8.1 — II. 479«,«'>: ^qp fmiv hi, o Kai

Kupioi TrpdHai. Cest je pense comme il dit : VI. 8. 6 — II. 485»

:

t6 iv raiq TrpdE^aiv aOTeEouaiov ; avec cette reservc que la liberte

ne doit pas etre attribuee k la TrpdSit cn tant que tellc — ou

bien, c'cst un reste du vocabuiaire aristotelicien ; nous en verrons

d'autres exemples.

•'^

On peut encore invoquer le passage VI. 8. 6 — II.

485*, deja cite : « Ce qui est vraiment Ubre, ce n'est

pas Tactivite tournee vers le dehors, mais Tactivite

mterieure, la pcnsee, la contemplation ». Et un peuplus loin (485",") : « Le voO^ theorique est par excel-

lence le hbrc arbitre (t6 eqp' auTuj), parceque son acte

(^PTOv) n'est nullement err' dXXLi», mais se tourne tout

entier TTpoq auTOV, et il est lui-meme son propre acte

Kai t6 Ipfov auToO auTo^... »

Ce hvre (VI. 8) permet donc d*etabhr avec fermeteles conclusions suivantes :

1. Pour caracteriser Taction de 1'Un, le mot TTOieiv

est employe a 1'exclusion de TTpdTTCiv.

2. Cette action est essentieUement une action Trpbq

^auTO, se rephant sur soi, semblable a la contemplation

qui a son terme en elk-meme.

3. TTpdHi<; definit une action « impure », c'est a dire

serviie, esclave des influences du monde sensible, par-

ceque, tournee vers un but exterieur, eUe regarde et

sort de soi. Meme quand la raison a quelque part a

son accomphssement et qu'eUe se fait kclt dpeTr|V ouKaTd XoYOV, eUe reste toujours d'espece inferieure, « me-langee », et souiUee par la matiere vers laqueUe cUe

inchne.

De plus, le debut du hvre est sous l'inspiration ma-nifeste d'Aristote, en particulier de la morale a Nicoma-que et de la morale a Eudeme, dont plusieurs passages

ont ete imites et m^me transcrits (*). De la, le proble-

me: Si le vocabulaire d'Aristote n'est pas le m^me que

(*) Cf. Bouillet. Les Enneades de Plotin. t. III. pp. 491-503.

'Steinhart remarque aussi dans ses Meletemata plotiniana (p. 30.

note) ; In egregio de libera voluntate libro, primum Stagiritael»

arbitrio et voluntate definitiones recipit Plotinus, tum ad sublimio-

rem verae libertatis, quae vitam divinam imitetur, notionem attol-

litur ».

V\

(

Page 26: praxisettheoriat00arno.pdf

26

f ^

ACTION BT CONTBMPLATION

celui de Plotin, n'est-il pas vraisemblable qu'il a. dti

y avoir, qu'il y a des adaptations, que des formules toutesfaites et passees depuis longtemps dans le langage cou-rant ont ete conservees en depit de Tunite et font tache?— Cest en effet ce qui s'est passe pour les mots ttoi-

noi^ et TTpaHi^ (').

Nous reviendrons sur les passages plus caracteristi-ques, apr^s avoir rappele dans un rapide expose histo-

rique le sens traditionnel de la distinction, et tente deretrouver les influences par lesquelles Plotin est ar-

rive a une conception et a un vocabulaire difterents.

(*)Cf V. 3. 7; VI. 7. 37; III. 7.5.

III. nPAEII et noiHiii.

A — Apergu historique.

Porphyre nous apprend qu'a Tecole de Piotin on li-

sait beaucoup Aristote et ses commentateurs (*) ; on

s'inspirait aussi de Numenius, puisqu'ii y avait entre

les doctrines une ressembiance qui faisait crier au pia-

giat ('), de Piaton surtout, le maitre dont Tautorite

parfois habiicment interpretee et queique peu soilicitee

tranchait tout differend. — Recherchons donc le sens

de TToiriOi^ et de 7Tpd?i<; (la distinction en etait tradition-

nelle dans la pensee grecque) chez Piaton et chez Aris-

tote ; chez Aiexandre d'Aphrodisias qui representera les

commentateurs peripatdticiens, puisqu'aussi bien c'est

un de ceux que, suivant Porphyre ('), on expliquait

habituellement ; a defaut de Numenius, dont il ne reste

presque rien, chez Philon (*) dont Piotin subit certai-

nement l'influence (*), enfin chez les Stoiciens qu'il a

en vue de fagon constante pour les combattre.

I. Chez Plaion.

Dans le Charmide, un dialogue de jeunessc tres sug-

gestif (*), Socrate, parlant des actions par lesquelles

(«)Vita Plotini. c. XIV.

(*) Ibid. c. XVII — cf. c. III: Amelius, un disciple de Plotin,

€ savait presque par cceur tous les ouvrages de Numenius ».

(3) Ibid. c. XIV.

(*) Sur la parente de Numenius et de Piiilon, cf. Ueberweg-Pracch-

ter. Grundriss der Geschichte der Philosophie des Altertums p. 325.

(^) cf. GuYOT. Les nminisunces dc Philon U Juif chez Plotin,

Alcan 1906.

(^) R1TT8R. Platon I. 353 ; cf. SouiLHE, la notion platoniciennt

d' intermediaire. p. jig.,

IW«Wi!!ii,,"tSi|oA.*il»«S.W''-. -iHit.T*''»»'

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38 ACTION BT CONTEMPLATION

f

!l

nous « faisons ce qui nous est propre >, avait dit in-

differemment id eauToO... TrpctTTeiv et TTOieTv. Critias le

reprend et declare qu'il y a une ditference entre TTOieiv

et TTpdTTeiv ou epTdZ:e(T0ai (*), et il invoque le temoigna-ge d'Hesiode: IjLiaGov Tap Trap' 'Hoiobou... xai keTvo?oi)Liai TTOinOiv TTpdSetu^ Kai epTaoiaq dWc iyo^xle (Charm.163 B).

"AWo. Elle est autre chose. Ou mettait-il la differen-

ce ? En ce que, ttoitictk; restant le terme generique,TTpd£iq marque une specification de Taction, celle quise donne comme but de faire le bien (') : Td Tdp kqXo»?

T€ KQi ujcpeXiniu^ TTOioOineva ^pTa eKdXei Kai epTaoia^; t€

Kai TTpdHei^ Taq ToiauTa^; TTOinoei^. Charm. 163 C.

Critias defend la meme position et appelle Td^ tujv

dTaeiuv TTOincreK; irpdHiq. Charm. 163. D.La distinction etait donc ancienne. Bien que son im-

portance dans la philosophie des dialogues paraisse

assez mii^ce puisqu'ailleurs il n'y est pas fait allusion,

dans le Charmide le sens n'est pas douteux () : opposeea la TToiriai^, la TTpd^i^ est une action dirigee vers ce

qui est beau et bien, une action moralement superieureet qui participe davantage aux Idees.

ODans THippias Minor (373 D. E), ttoigTv et Ip-fdZeaQax sontdistingues, mais sans qu'apparaisse claircment le sens de la distinc-

tion — Dans le Banquet (^205 C), la noir]a\<; est difinie comme uncespece b'^pTaaia, celle que produisent les arts fou metiers, oppo-ses aux sciences : ^TiiaTriiaai) : djaxe Kai ai utto Trdaaig xaT? T^xvai?

^pTaaiai -noxr^aeK; eiaiv.

(*) Hans Raeder. Platons philosophischc Bntwickelung . Leipzig.

Teubner 1905 : c letzteres (TrpdTT€iv) bezieht sich immer auf eingutes Ziel > (p. 98, note).

(5) Cf. cependant Euthyd. 284 C : X^t^iv apa iTpdTTeiv Te Kai ttoi-

cTv ^OTiv;

(*) Meme dans ce dialogue, Socrate parait gouter assez peu cesdiscussions de mots : Kai Tap TTpobiKov juupia Tiva dKriKoa Trepi

6vo|idTUJv ^iaipoOvTog... cela lui rappelie la maniere dcs sophistes.

Peu importent les mots pourvu qu'on s'entende : apa Triv tujv dTa-eoiv TTpaEiv n TTOinaiv f\ Sttuj? aO pouXei dvojudZeiv, TauTnv Xifexq

a\} auKppoauvriv eivai; (163 D- E).

(

X

TTpaHi? ET TTOir|<Ti^ 29

2. Chez Arisiote

1. Aristote etablit une distinction entre Troiricri^ et

npahc; : (*)

eiepov 5'e(TTi TTOirjai^ Kai TrpaHi^ (Eth, Nic. Z. 4. 1140 a.

2, 6, 16).

dXXo t6 t^vo^ TTpdHeujg Kai TTOiriaeiu^ (ib. 5. 1140 b. 3— cf. Eth. magn. A 1197 a. 3 ; Polit. A. 1254 a. 5).

2. La difference consiste en ce que la TTOinCTK^ pour-suit uri but qui est en dehors d'elle, tandisque celui

de la TTpdHi^ est dans sa propr^ activite.

Eth. Nic. Z. 1139 b. 1-4. La TToir|cri(; n'a pas sa fin

en soi, car elle tend a produire un epTOV different derdvepTCia : eveKa Tdp tou TTOiei Tra^ 6 ttoiiuv, Kai ou TeXo^dTTXujq dXXd TTpoq Ti Kai Tivbq t6 ttoititov. Elle inclut

donc une relation a autre chose (ttpo^ ti Kai Tivog).

Dans la TTpdHiq au contraire le but est de bien faire et

c'est cela qu'on desire*: dXXd t6 TrpaKTOV •f) ^dp euTrpa-

Hia TiXoq, r] 5'6peHi^ toutou.

La meme distinction est repetee Eth. Nic. Z. 1140b. 6 : Tnq M^v Tap TTOirjcreuj^; eTepov t6 tcXo^, Tf\<; be TTpd-

Heujq ouK dv ein • eari ^dp auTn n euTTpaHia TeXo^j.

Eth. magn. A. 1197 a. \.. tujv juev Tap TTOinTiKoiv ecTTi

Ti TTapd Tnv TToinaiv dXXo TeXoq...

Aristote cite comme exemple Taction de construireune maison ('). 'ETTi 5e tuiv TTpaKTiKUJV ouk I(Ttiv dXXo ouGev

(*) Sur lc sens de cctte distinction chez Aristote, cf. Thurot :

La morale et la politique d'Aristote (traduction), Paris 1824, tome I

p. 254 Ueberwkg-Praechter : Grundriss der Geschtchte d. Ph. 10«

^dition 1909 p. 332; cf. pp. 210, 227. Rodier. Notes sur le traite

de l'Ame. pp. 535 sqq. Gomperz. Les penseurs cte la Grece, trad.

Reymond. t. III. pp. 235 sqq. Zeller. Die Philosophie der Grie-Jien W, 3« ed. p. 178.

(') cf. (puaiKn dKpoaOK B. 192 b. 28. 30 : Td iToiou|U€va, consi-

dere comme synonyme de rd xeip6K|unTa, se dit de ce qui n'apas en soi le principe de son action : rnv dpxnv ^v ^auxiu Tn<;

Page 28: praxisettheoriat00arno.pdf

30 ACTION ET CONTEMPLATION

rekoc; Trap' aurriv Tr\v TrpaHiv : ainsi on joue de la ci-

thare, ouk Icttiv dWo leXo? oueev, dW auTo toOto teXo^

f] ^V€pY€ia Kai f) TTpdHi^.

3. Tandisque la 7Toir|cri(; est le domaine de Tart (Texvri),

car la Texvn est ihq t\<; |U€Td Xotou dXneoOq TTOinTiKn(Eth. Nic Z. 4. 1140. 10. 20), la 7TpdSi<; est le domainede la « sa^esse » (<pp6vncri(;), la qppovndiq etant iBi<;

dXnefiq )U€Td XoTOu TTpaKTiKf) TTepi Td dvepujTTUJ draedKai KOKd. En elle se parfait le voOq TTpaKTiKOij ; elle indi-

que la juste mesure (opQbq Xoto?) a tenir dans Tac-tion.

Aristote, remarque M. Rodier (') commentant le traite

de TAme III. 9. 433 a, 14. distingue rintelkct thcorique

qui € a pour fonction Tintellection pure des essencesindivisibles, d'autre part la discussion qui.deduit, desdefinitions ou des principes ainsi apergus, leurs conse-quences necessaires », et Vinlellect pratique qui < partdu concept d'une fin a atteindre, d'un but a realiser »,

qui a par consequent pour domaine, non le necessai-

re, mais « le contingent, ce qui peut etre ou ne pas^tre. » — « LHntelleci pratique.,, n'est nuUement poetique

;

il ne fait que determiner les moyens propres a attein-

dre une fin, Texecution de ccs moyens restant endehors de son domaine et appartenant a celui de Tart »

(P- 5^7» 538). TTpdTTeiv s^oppose donc a eeujpeiv : eeuj-

peTv Te Tap buvd^eea auvexox; judXXov r\ TrpdrTeiv otioOv(Eth. Nic. K. 7. 1177 a. 21J ; mais bien plus encoreTTOieiv : aussi ne peut-on, en ri^ueur, admettre en Dieuni Tune ni Pautre de ces activites : tuj bfi ^oiVTi toOTTpdTTeiv dqpaipouMevou, eri hk jLidXXov toO rroieTv, ti Xei-

7T€Tai TTXfjv eeujpia ; oio-Te n toO eeoO ^vepTCia, jnaKapioTnTi

biaqpepouaa, OeujpnTiKn dv ein ... (Eth. Nic. K. 1178 b.

20-22)

Et pourtant la 7TpdHi<; n'est pas tout a fait incompa-

TToinaeuuq — Pol. A. 1254 a, 7:66^ pio(; iTpdHi^ oO Troinaig ^otiv.

La vie est Trpcttiq non Troinai^.

(*) G. Rodier. Notes sur le traite de TAme pp. 536,

TTpa£iq BT TToinaiq

(

31

tible avec une forme inferieure de contemplation(Metaph. A. 993 b. 22, 23). Par suite, la Divinite ne re-jette pas absolument une forme superieure de TTpdHi^.

Gomperz (') se separe ici de Zeller a qui il reprochede dire tantot (IIP. 36 ed. p 374. n 2) * qu'Aristotene refuse a la divinite qu'une ceitaine sorte de 7T0in(Ti<; »

et tantot (ibid. p. 368. n. i) que, selon Aristote, < [\ fautrefuser a la divinitc aussi bien le TTpdTTeiv que le ttoi-

eTv. » Mais je crois que Gomperz se met en tort, cardans la note incriminee (p. 368 n. i) Zeller dit qu'ilfaut ayec Aristote (Polit. VII. 3. 1325 b. 28) distinguerles TTpd2ei(; TTpoq eTepouq.,. ^HujTepiKai, TTpdSei? au sensstrict, et Tac, auToreXeT^ Kai Td(; auTiuv eveKev OeujpiagKai biavonaeK;, TipdHei? au sens large. Cest une TTpdHi?de cette derniere espece qu'on peut attribuer a la divi-nite, une action qui se rapproche de la contemplation,ayant sa fin en soi. Retenons qu'Aristote la nommeTTpd^i^ : c'est le point interessant pour notre etude. (»)

3, Chez Alexandre d^Aphrodisias

I. Sur ce mot de la Metaphysique d'Aristote : Tousles hommes desirent naturellement savoir, TTdvT€<;

dvepujTToi ToO eibevai opeTOvrai ^ucrei (980 a. 2iMlexan-dre remarque

: Comme la « ^nose » est la perfection(TeXeiOTn?) de Tame, surtout la ,^nose dont la contem-plation (eeujpia) est le but (t6 TeXoq), et comme laperfection de chacun consiste dans son bicn propre,car c'est le bien qui est le principe de son etre et desa conservation (t6 eivai re Kai OujleaQax). a cause decela (Aristote) a dit que tous les hommes ont naturel-lement le desir de savoir, c'est a dire que par nature

(*) op. cit, p. 235 n. 2.

(») D'ailleurs, meme chez Aristote, TrpdSiq ne s'oppose pastoujours a rroinai?, par cxemple de an. III. 10. 433 a 17, imme-diatement apres un passage ovi il les distinguc.

r-:i

m

Page 29: praxisettheoriat00arno.pdf

32 ACTION BT CONTEMPLATIONTTpaHi? et noxr^axq 33

M

ils aiment la « gnose > comme etant leur perfection :

auToqpuu)^ IpOuai tti^ TvuJtreuj^ ib^ TauTriq TeXeiOTrjTO^

ou(Tnq auTiuv (*).

2. Cette « gnose », Alexandre l*oppose a Taction

(7Toiri(Ti(;) : jf](^ Tap dTVoiaq oux n no\r]a\(; aW r\ Tva)cri(;

TaCKj, et deux lignes plus haut: YvdjO^euu^; dpa dXX' ou

7Tpd£€UJ(; xdpiv fjXBov em t6 qpiXoaocpeiv ('), le chemin

qui mene a la philosophie est < gnose > et non < action >

(TTpdHi<;).

3. Alexandre oppose donc aussi < gnose » et TTpaHi^ (')

;

la gnose est superieure. Une preuve en est que les

TTpdHeiq, meme celles qui sont vertueuses ai KaTOt TOt^

dperd^ TTpdHeiq, se rapportent a une fin differente d'elles-

memes (eTT* dXXo ti TeXo^ Tnv dva^opdv exeiv), tandis

que la contemplation et la science (TTdcra 5e Beujpia

Kai ^TTKTTrmn) rie se rapportent pas a autre chose (*).

4. Alexandre ne met-il donc aucune difference entre

TTOieTv et TTpdTTeiv ?

II emploie tres souvent les deux mots comme un dou-

blet rive par un usage invetere ; et son insistance a

les unir montre qu'il ne les confond pas absolument :

ce sont deux compartiments entre lesquels se partage

le domaine de Taction.

6 ^ovov eibdx; ottuj^; ^bei TTpdcrcreiv tou TTpdcrtTovTO^

auTO Kai ttoioOvto^ TiiuiujTepo^ .. Ti|uiuJTepoi Tdp... ol

ei56T6<; Tujv TTpaa(T6vTUJV Te Kai ttoioO vtujv. (^)

(•) Commcnt. Arist. I. Alex. in Mctaph. 980 a. 21 — ed. Hayiiuck

p I. debut.

(') Comment. in Mctaph. 983 b. 11. — ed. Hayduck 15, 22, 28.

(=) Alexandre distingue TrpfiEiq et ^v^pYeia : il trouve le mot

TipaEK; KOivoTepov. « Kupiujq yd.p 'npdEK; \0YiKn f] ^vepYeid ^otiv,

f\<; oubev Tujv dXoYUiv (c'est un ccho d'Aristote) oiov t€ Koivujveiv»

Comment m L. de Scnsu I, ed. Wendland p. 44.

C*) Comment. in Metaph. 980 a. 21. — ed. Hayduck p. 2 ^

(cf. ibid. p. 16 "; Comment. in Topic. III - ed Walhes. p. 219 '*-*»,

p. 244 •* ou le eeujpnTiKoq pio(; est opposc au TrpaKTiKoq, p. 255 «,

p. 268 «*, p. 270 ".)

(») Comm. m Metaph. 980 a,,«i — ed. Hayduck p. 2 ", '^ ".

^;

^

\

TTdan? TTpaKTiKfiq Kai TT0ir|TiKfi5 n dpxn TTl^ KlVrj-

(Teuj(; Ka6' f^v TTOieiTai Kai TTpdtTTeTai Td TTOioujuevaKai TTpaTTOjueva ^v dXXoiq, nToi Ttu ttoioOvti Kai tuj

TTpdTTOVTl iOTX.,. (*)

5. La distinction, quand distinction il y a, est celle

d*Aristote. Cf. Comment. in Metaph. 1063 b. 36 (ed.

Hayduck p. 659 "..) : A propos de la science « poetique»et de la science « pratique » TToriTiKrj (lTTi(TTr||Lir|) et TTpa-

KTiKH, jl apporte les exemples d'Aristote et ses raisons:

TTOirjTiKfiv 5e XeYei e7TiaTr|jLir|V oiKobojuiKfiv TeKTOViKfjv Kai

dTrXuj^ Trdaa^ Uiv }A€.ia Tf]V TrpaHiv eOTiv epYOv ti koi ttoi-

niua ^evov • TTpaKTiKf) bi eaTiv fjq jueTd Tfjv TtpaHiv oubev

dcTTiv (*).

En fait Alexandre prend-il cette distinction a soncompte ? il la re^oit plutot de Tusage courant sans^se

preoccuper de la justifier; souvent meme ii emploie ttoi-

eiv et TTpdTTeiv indistinctement. Cf. Comment. in Metaph.

p. 22*,*«,*'; p. 182 *,',', : To Tivo^ xdpiv Td rrpo toO Te-

Xou^ TTOieTv ev TTpdHeaiv laT\ Kai ev Tai(; TroinTiKaT?Kai TTpaKTiKaT^ tujv eTricrTn)uu)V • ev olq 6e TTOincTK; Kai

TTpaHi^, Kai Kivncriq ev toutoi^. Cf. p. 7"; 660*.

4. Chez les Stoicicns.

Les Stoiciens ne. con^oivent d'action que sur la ma-tiere (Diog. VII. 134) et par la matiere : 01 5e iTOiKoi

aoijLia Tfjv cpujvrjv • TTdv ydp to 6pu>vn Kai ttoioOv aiij-

|Lia, n ^e (pujvf) TTOieT Kai bpa. (Plac. IV. 20. 2 — Dox.

(*) ed. Hayduck p. 660*; cf. p. 443«; p. 445 *'••.

(') Cest la pensce d'Aristote, mais interpretee, me semble-t-il,

sans tenir un compte suffisant de la finalite ou de Tintention. LaTTOinaig n'est pas tant Taction « ap.es laquelle il reste quelque cho-se », (simple resultat), que Taction qui s'est proposu de produire horsdc soi quelque chose qui reste, qui a mis sa fin hors de soi —Cf. la pensee de Plotin (VI. i, 22), suivant laquelle, pour qu'il y ait

TToinOK, il faut le faire cxpres : oObd Tioiei ti.,. oti \xr\ Trpog toOto

^ujpa.

ft

i*^.

Page 30: praxisettheoriat00arno.pdf

ACTION ET CONTBMPLATION TTpdHl^ ET 7T0iTl(XK 35

410). Cf. Ciceron. Acad. Post. I. 39 : Discrepabat etiam ab

iisdem (sc. Zeno a Peripateticis et Academicis), quod

nullo modo arbitrabatur quidquam effici posse ab ea

(natura), quae expers esset corporis — , nec vero aut

quod efficeret aliquid aut quod efficeretur, posse esse

non corpus (').

Aetius. Plac. I. 11. 5 : 01 ZTOiKOi TrdvTa Tot ama (Tuj-

ILiaTiKd • TTV€U)LiaTa Tap (')• Aussi Tame est-elle corporelle ('),

et Dieu lui-meme (*) ; changeant et corruptible (^), feu

artiste, il parcourt, anime* et organise la matiere (*).

Ce sont ces theories materialistes si lointaines de

ses propres conceptions que Plotin combat quand il

parle de la spiritualite de l'ame (IV. 7. 10), quand il

distingue des mouvements {K\vr\aex<;) corporels (aiWjLiaTi-

Kd^), et des mouvements spirituels (TTveujuaTiKd^) (VI. I.

ig ; IV. 4. 32); quand il rejette meme toute action

corporelle, reprochant a ceux qui ne voient que laq

TU)V (Ttu|LidTU)V TT0ir|<T€i<S ct ne reconnaissent aucune puis-

sance aux incorporels, d'ignorer que Kai Td (Ttu^aTa dcTu)-

^dTOi^ buvd)Li€cri buvaTai a buvaTai ('). Cest la these

contradictoire : toute puissance d'action est de sa natu-

re incorporelle.

2. L'ideal du sage stoicien ne saurait donc ^tre une€ contemplation » entierement degagee du sensible (*),

(') Arnim. Stoicorum veterum fragmenta. vol. 1. p. 25. n. 90.

(*) Arnim vol. II. p. 119. n" 340.

(') Arnim. vol. II. p. 319. 11. 790 a 800.

() Arnim. vol. I. p. 24. n. 87 : Stoici dcum sciircet hoc esse

quod siiva sit vel etiam qualitatem inseparabilem dcum silvae ean-

demque per silvam meare (Chalcid. in Tim. c. 294) ; cf. vol. II.

p. 306 n. 1038-1048.

(*) Arnim. ibid. n. 1049 — 1057 : t6 ludv oOv Trdaxov eivai Tf)v

&TT010V ouaiav, t6 be ttoioOv t6v ^v aOTfi Xotov, t6v ee6v (Diog.

VII. 134).

(«) Arnim. voI. I. p. 41. n. 153...

(")1V.7. 8. (II. i3o«;26 _ 131I); cf. Euseb. praep. cvang. XV.23 ; Seneque Epist., 65. 2.

(•) Comment les Stoiciens concevaient la science parfaite, la

science du sage, et c*etait, d'aprcs eux, la seule science dignc de

t

mais une science pratique visant a Taction, un compro-

mis entre la vie contemplative et la vie active, que

chez les disciples de Zenon on appelait « la vie logi-

que » (Diog. VII. 130) : piujv be rpiujv ovtujv, 9eujpr|Ti-

KoO Ktti TTpaKTiKoO KQi XoTiKoO, Tov TpiTOV q)aaiv aipeTeov

xeTOvevai t^P utto tti^; q)ucTeu)(; ^mTTibe^ t6 Xotikov ^ujov

TTpo^ 0eujpiav Kai rrpa^iv. Cette vie est a la fois

contemplation et action ; contemplation, en ce sens

qu'elle inclut le discernement de ce qu'il faut faire et

de ce qu'il faut eviter et de ce qu'il ne faut ni faire,

ni eviter de faire, etant indifferent, c'est pourquoi on

Tappelle encore q)p6vri(yi? (*) ; action, en ce sens qu'elle

est Tacte commun de Tame raisonnable et du corps

qui lui est uni par la nature, s'achevant grace a la

collaboration du corps ; et a ce point de vue elle est

7rpaHi<;, la TipaHi^ stoicienne, dont Clement d'Alexan-

drie a conserve la definition (').

Cest Topinion des Stoiciens, temoigne Diog^ne (VII.

125) — et il cite Chrysippe, ApoUodore, Hecaton —

,

que rhomme vertueux sait et fait ce qu'il faut faire :

ce nom, Zenon, raconte Cicefon (Acad. II. 144. Arnim. vol. I.

p. 19. 20. n. 66) Texprimait de fa^on pittoresque :

Et hoc quidem Zeno gestu conficiebat. Nam, cum extensis digitis

adversam manum ostenderat : c visum, inquiebat, huiusmodi est ».

Deinde, cum paullum digitos coiitraxerat. c adsensus huiusmodi

est >. Tum cum plane compresserat pugnumque fecerat, com-

prehensionem illam cssc dicebat : qua cx similitudine eliam nomen

ei rei, quod antea non fuerat, KaTdXnvviv imposuit. Cum autem

laevam manum admoverat et illum pugnum arte vehementerque

compresserat scientiam talem esse dicebat cuius compotem nisi

sapientem esse neminem. — Donc, extreme tension de la faculte de

connaitre... imaginee dc fa^on materialiste.

(M q)p6vr|<yi V b'€ivai ^TnOTriiariv ujv TroiriT^ov koI ou iTOir|T^ov

Kai oub€T^pujv r\ ^maTr||unv dTaeOuv Kal KaKiXiv Kai oub€T^pujv (Stob.

Ecl. II. 102).

C«)CI^ment d'AIex. Pedag. I. 13: Kui eOTiv r\ juev TrpdSiq (n

OTroubaia) MJuxnq ^v^pTeia XoTiKfiq (cf. ce qui a ete dit plus haut

sur le pioq XoTiK6ql KaTci Kpiaiv dOTeiav (kui opeHiv aXnOeiaq) bid

ToO au|Liq)uoOg Kui auvuTUJViaToO au)|LiaTO^ ^KTeXounevri — cl. Ar-

nim, vol. III. n. 293.

Page 31: praxisettheoriat00arno.pdf

36 ACTION BT CONTEMPLATION

Tov Yop dvdpeiov GcujpnTiKov tg €ivai Kai irpaKTiKovTUJV TTOirjTeUiV. (')

3. Entre ttoiciv et TTpdTTeiv, les Stoiciens ne semblentpas faire de differer.ce

;pourquoi d'ailleurs en faire, si

toutes les actions sont de meme nature, toutes corpo-relles ?

Stob. Ecl. II. 116: cpacri bk Kai TrdvTa TTOieiv tovCToqpov (c'etait une expression consacree : cf Arnim.vol. III. p. 148, 149 n. 560-564) (KOTd) TTdcJag Toq dpeTd^.

TTdcrav fap TTpdHiv TeXeiav auToO eivai, bio Kai )nr|6e^id(;

dTToXeXeiq^eai dpeTn^ — 120 : KaTd t6 dvdXorov 5e Kai

Tov cpaOXov TTdvTa ocra TToiei KaKiijq TTOieTv Kai KaTdTrdaa^Td(; KaKia^;. Cf. Stob. Ecl. II. iio. Les vertus sont in-

separablfcs les unes des autres : tov Ydp ^iav IxovTaTrdaa^ Ix^iv Kai tov KaTd juiav TTpdTTOVTa KaTd nciaa<;

TTpdTTeiv.

Retenons que de raction parfaite, c'est a dire decelle qui est accomplie selon toutes les vertus, les Stoi-

ciens disent aussi bien TTpdTTeiv que TToieiv (').

5 CoHclusions,

Ainsi donc, en laissant de cote ceux pour qui la

distinction pratiquement n'existe pas, soit chez Platon,

soit chez Aristote, soit chez les commentateurs auto-

ri ses du Stagyrite qu'on lisait a Tecole de Plotin,

quand on opposait TTOieTv et TTpoTTeiv, TTpdTTeiv designait

toujours, avec des nuances qui varient de Platon a

Aristote, un mode d'action moralcment superieurc Td^

Tu»v dYaeOjv TTOirjaei^ TTpdHeK;. La conception d'une TTpd-

(*) cf. Arnim vol. III. p. 73. n. 295.

(') Kaxd -ndaaq TTpdTTeTai Tctq dpeToc;, Plutarquc, de Stoico-

rum repugn. c. 27 — Arnim vol III. p. 73. n. 399 ; cf. Stob. Ecl. II.

116 : (paai bi xai TrdvTa ir 1 e i v tov ao^ov (KaTd) -ndaaq Td? dpeTd^;.

TTpdHi? et TToirim? 37

Hi^ engagee dans le sensible, en contraste avec une TTOirim^

libre, pure, elevee, qui est la contemplation m^me,cette conception, ou plutot ce vocabulaire (on a vuque c'etait celui de Plotin) n'est pas en usage chez ses

precurseurs. D'ou Ta-t-il re^u ? ou, s'il Ta invente, com-ment en est-il venu la ?

)

Page 32: praxisettheoriat00arno.pdf

B. — La genese de la distinction plotinienne.

Clement d'Alexandrie, au livre des Stromates (l. V.

c. XIII) ('), fait a pcopos d'Aristote cette rcmarque, qu'il

accorde t6 TroieTv meme aux animaux sans raison, m^-

me aux choses sans ame, mais qu'il fait de t6 TTpdTTeiv

Tapanage des seuls hommes : Kdv 6 'ApiaT0T€Xr|(; t€XVO-

XoTTJ, t6 h€V Troi€iv Kai ^tti tuiv dX6TUJV ZiLuiwv Tda(T€(T6ai

Kai ^TTi dipuxujv, t6 be TrpdTT€iv dvGpiuTiujv €ivai |li6vujv

Allusion sans doute au passage de TEthique a Nico-

maque (Z. 1139 a. 20), qui refuse la Trpd^iq aux b^tes

et dont nous avons retrouve un souvenir chez Alexan-

dre d'Aphrodisias (comrn. in L. de sensu I. ed. Wend-land. p. 4 *) — Ce partage roffense. « Qu'Aristote corri-

ge donc alors, s'ecrie-t-il, ceux qui appellent TT0ir|Triq le

Dieu de Tunivers : €u8uv€Tiu tgu? XcTOVTa^ TT0iT]Tfiv

t6v tujv oXujv 0€6v ! ».

Le texte est interessant, car il manifeste le mecon-

tentement qui acciieillait cn certains cercles les for-

mules philosophiques traditionnelles, en meme temps

qu'il nous apprend la cause de ce mecontentement.

Accepter le partage qu'on faisait entre la TrpdHi(; et la

TTOiriaKj, c*etait exclure de Textension de ce dernier voca-

ble toute action parfaite, et c'etait par un ricochet

insolent et impie atteindre la perfection de Dieu, Tu-

sage prevalant dcpuis longtemps dc caracteriser Tac-

lion divine par le verbe Troi€iv.

Pour Platon deja, TToirjcnq signifiait une oeuvre < poe-

tique » f] tujv biGupdiuPujv ttoiticTi^ ••• n Tfj? TpaTU)5ia<;

TTOiTicriq (Gorgias 502 a. b — Rep. 394. C), et TTOirjTri^

etait un nom du pere de cet univers : t6v TTOiriTfiv

Kai TTaiepa to05€ toO TTdvTO? (Timee. 28. C). Si

TTpaHl? ET TTOinCTig 39

y

iS

rexempiede Platon sur ce point ne fut pas decisif, c'estque lorsqu'iI s'agissait de distinguer TTOindig et TTpdHiq,

il subissait lui-meme, nous Tavons vu, d'autres influen-ces qui n'etaient pas concordantes. Mais les inter-pretes juifs et chretiens du recit de la Genese qui, tra-duit en grec par les Septante, commen^ait par le texte :

iv dpxr) eTToir|cr€v 6 Qebc; t6v oupav6v Kai rnv tHv, aucommencement Dieu crea ... €TToincT€, furent amenes,dans leiirs commentaires minutieux, a reflechir sur cemot, et, dans leur souci de fairc Taccord entre la doc-trine revelee et la sagesse hell^ne, donnerent un nouveaurelief aux anciennes formules de Platon. Quand Clementdit : €Tou^ XeTOvra^ (au pluriel) TTOinTnv t6v tu)v oXujv9€6v, avec Platon sans doute, ce sont ces interpretesde la Bible qu'il a en vue (').

On disait : €TToincr€ ; et ce n'etait pas aller contreTusage traditionnel, puisque Dieu projette pour ainsidire*ses effets ; rien en cela d'incompatible avec saperfection. Son immutabilite, il est vrai, s'oppose a toutchangement intrinseque ; mais le fait de produire quel-que chose hors de soi ne trouble pas necessairementle principe qui produit, puisqu'au contraire, (c'est Ten-seignement- d'Aristote), il repugne a Taction en tantqu'action d'etre passion ; d'ou il suit que plus une cau-se est parfaite, et moins elle doit etre ebranlee parl'exercice de son activite — Rien n'empechait donc queTon considerat Taction divine comme le type parfaitde Taction, bien qu'on lui conservat un nom consacrepar Tusage a 1'action transitive : TToinaK;.

Ainsi faisait Philon. Dans son traite sur la creationdu monde — TTcpi Tn<; KoajuoiTOua?, le mot est a noter —

,

toujours, pour exprimer Taction creatrice. ii disait :

(«) Migne P. G. t. 9. col. ia8. A. B.

OVoir ClemcRt d'Alexandrie. Stromates, liv. V. c. 14 (P. G.t. 9. col. 136 B), ou le premifer verset dc la Genese est ri.pproch^des textes de Platon ; cf. Strom. 1. III. c. 2 (P. G. t. 8. col. 1108B) : Dieu est appele 6 TTOinTri? re Koi TraTnp irdvTUiv. Voir aussile commentaire d*Origine sur la Gen^se.

)

Page 33: praxisettheoriat00arno.pdf

40 ACTION ET CONTEMPLATION

TTOieT (cf. n. 24, 14, 17)... Suivant rexpression de la

Bible, et par surcroit Tautorite d'un ancien, tujv

dpxaiujv Tiq, celui qu'on ne nomme pas, mais qui pourses disciples resume toute rantiquite. L'action deDieu est Troinai<;. Mais l'imprecision de son vocabulai-re se rev^le quand il accueille, en un eclectisme indul-gent a 1'exc^s, les formules d'Aristote et des Stoiciens

;

il regoit de ses devanciers des courants divers... et. il

les juxtapose sans les fondre. Cest ainsi qu'il reprend laclassification peripateticienne des arts « theoriques >

(T€uj^€Tpia, daTpovofiia) et des arts pratiques (TeKTOViKri.

XaXKCUTiKri); quant a la vertu, pense-t-il, elle est a la

fois theorique et pratique 0€ujpTiTiKn eOTi Kai TrpaKTiKri-Kai rap eeujpiav ^x€i, elle inclut la contemplation, puis-que la philosophie est le chemin qui y m^ne... ; KaiTTpdHei^, car la vertu est Tart de la vie entiere et doncdes actions (TrpdHeiO qui la composent. Comprenanta la fois et la Oeujpia et la TrpaHi^, elle est excellenteet en Tune et en Tautre («). Cest la doctrine stoi-cienne (') deja rencontree. L'action du sage, l'actionvertueuse et parfaite reste TrpdHi^ — Voila ce qui faitdifficulte

; car la vertu ne consiste-t-elle pas precise-ment a agir selon Dieu et a imiter son action ? Orcette action, suivant Philon, est TToinOi? .. Commentfaire l'accord ? N'y a-t-il pas d'ailleurs plus qu'uneconvenance, une necessite, que l'action divine soit laplus parfaite ? — Philon ne reduit pas le conflit ; ou il

se contente de juxtaposer, Plotin, et c'est son origina-lite, systematise (»).

Chez Plotin, action ci contemplation.

I. La tradition hellenique lui leguait un doubleheritage,avec rhabitude de distinguer TToincTK; et TrpdHi?, celle de di-viser Taction en deux especes, une action qui s'accompa-

(*;Philo. Leg. alleg. lib I. n. 17 — ed. Cohn p. 75^0.

(») cf. Arnim. Fragm. Stoic. vol III. p. 49. n. 202.(') cf. Le desir de Dieu dans la philosophie de Plotin c. VI.

TTpdHi^ et TToinai^ ^j

gne de « passion », ebranlant pour ainsi dire le sujet ou el-le se produit

; Pautre qui le laisse impassible, manifesta-tion d'une plenitude de puissance qui se communiquesans s'ecouler, qui, m^me quand elle propage horsd'elle i'existence et la vie, ne subit aucun changement.L'effet est produit, non parceque le principe a souffertune diminution, mais au contraire parcequ'il est restece qu'il etait, parcequ'en agissant il garde entiere laperfection de son etre (juevei) (•) ; action tres parfaite,telle que doit ^tre evidemment, dans la creation, celiedu Dieu Tres-haut.

2. L'usage voulait, nous avons dit par quel jeu d'in-fluences philosophiques et religieuses, que cette actionfut traduite par le verbe TTOieiv, usage invetere, maisqui cntrait en conflit avec ies habitudes vieilles aussiet respectables du vocabulaire. Plotin fit Paccord (im-parfaitement encore il est vrai), en modifiant le vocabu-iaire au detriment de la TrpdHi^, qui devint ie nom dei'activite assujettie a la poursuite d'un bien exterieuret convaincue par la d'indigence et d'inferiorite : t6...

bioiKov ojuoXoYeT x^Tpov eivai. (V. i. i).

3. Quant au verbe TTOieTv, tout en continuant a si-

gnifier — et c'est son emploi le plus ordinaire — i'actionen general, en tant qu'elle s'oppose a la c passion » («),

i.l devint capable de presenter aussi l'action ou le prin-cipe reste en soi,. maitre de soi, parfaitement indepen-dant, l'action qui se confond avec la c contemplation ».

Pour Aristote deja, la contemplation etait l'activitepar excellence, non pas une puissance d'agir, disposi-tion permanente, habitude (eHi^), qui est comme un acte

(*) cf. ibid. c. IV.

(*) cf. par exemple II. 3. 13 (I. 1448 .- TroinxiKog oppose a iraen-TiKo?); II 3. 16 (I. i47^«);III. 1.4(1. 219*«: TioinaivTeKaiTreTaiv-I. 219^*)

;III. 2. 2 (I. 228««.^")

; IIL 3. 4 d- 254") ; HL 3. 7 (I. 26o'«)

;

IV 4 39 (II. 84*^);

IV. 4. 33 (11. 85^-) ; IV. 4.35 (II. 90«); IV. 4.45 (II 99"; looV»; IV. 5. 8 (113 «V«|.. En ce sens. iroinaw ne sedistingue pas de irpaHig qui s'oppose aussi quelquefois a TTdeoc—cf. III. 3. 2 (i. 252««).

't: *i

Page 34: praxisettheoriat00arno.pdf

42 ACTION ET CONTBMPLATION

endormi • analogue au fait de posseder la science et

de ne pas la penser actuellement (*), mais un acte eveil-

le ct en exercice ; Aristote ne l'appelle ni TroiTiaK; ni

TTpdHiq, ni evepyeia qui designe Taction elle-meme, maisdvieXexeia, qui est plutot Tetat realise par Taction, uneperfection en acte ('). Par suite, plus une action est

excellente et plus aussi elle s*approche de la contem-plation, de cette Geiupia qui ne poursuit aucun interet

pratique, a laquelle son desinteressement meme con-fere une valeur absoiue, action la plus noble de Thom-me libre et son bonheur supreme (iMet. I. 2. 18-24 ;

XII. 7. 11-18; Eth. Nic. X. 7. 8).Excellencesuremi-nente du pio(; eeujpTiTiKO^; que Plotin celebrera en ter-

mes enthousiastes.

La difference est que dans les Enneades, si touteaction, dans la mesure ou elle est acte, est contempla-tion, elle porte un autre nom. rToieiv est le mot quirexprime.

(«) Dc anima 1. II. c. i. 413 a. 10 et 32. Aristote y parlant dcla i|;uxn c,ui est toioOtou... oujiaaToc ^VTcXexeia, remarque : auTnbi (sc. f] dvTeX^xeia) XeTeToi bixOuq n fxiv ujq ^TriaTniin, n ^i ib<;

t6 0€ujpeiv.

(*) cf. Rodier. Notes sur le Traite de Tame d'Aristote pp. 168,169 - Cest ce sens d'^vTeX£X€ia que Bonitz a fixe dans son Index253 h- 39

:« inde ita vidctur Ar. ^VTcX^xeiav ab ^vepTcia distin-

guerc, ut ^vdpTeia actioncm qua quid ex possibilitate ad plenamet perfectam pcrducitur essentiam, ^vTeX^xeia ipsam hanc perfec-tionem significet... » Bonitz note que pourtant lcs deux mots sontsouvent pris Tun pour Tautrc.

Les survivances de Vancien vocabnlaire

dans les Enneades.

,0,-

I Nous ne pretendons pourtant pas que Plotin s'ensoit inviolablement tenu a cette maniere de conccvoirTTOieiv et TTpdTTeiv. II y a des passages obscurs ; d'au-tres feraient manifestement difficulte a une these tropabsolue. Un mot n'est pas toujours employe dans sonsens fort.

Ainsi dans les Enneades ; etant donne que TroieTv,

pris dans son sens general, s'oppose a Trdo-xeiv et nona TTpdTTeiv, on ne doit pas s'etonner de trouver par-fois les deux mots employes indistinctement.

III III. I. I. (I. 215^') II ne faut pas croire que rienarrive sans cause ou par une determination aveuglede Tame, sans que rien la meuve a fatre ce qu'elle nefaisait pas auparavant : ei^ 16 ti TipdHai iDv TrpoTepovouK eTToiei.

III III I. 10. (1.225*2-) TTpaTTOucra^; 5e i|iuxd(; odaTTpdTTouai KttTd juev XoTOV TTOiouda^ opGov TTap' auTuDvTTpdTTeiv oaa TrpdTTOucri. Pourquoi TToieTv ? Est-ceparcequ'il s'agit alors de droite raison ? Mais pourquoiaussitot apres Trap' auTiuv TTpdTTeiv, Taction autonome ?

Je erois inutile de chercher ici une distinction

XLII. III. 2.8 (I. 237»°) Parlant de la Providence, Plotinrevendique pour Thomme une part de realite indepen-dante et d'autonomie : ou Tap br) outu)? Tnv TTpovoiaveivai beT ujctt€ ^n^ev fmd? eivai. II ajoute : il seraitridicule que des gens qui dans la conduite de leurviefont (TTpdTTeiv) tout a leur mode, sans rien faire

(TTpdTTeiv) comme il plait aux dieux, doivent leur salut{ayxiUaim) uniquement aux dieux, sans avoir memefait (TTOinddvTa?) ce par quoi les dieux veulent qu'onse sauve.

Page 35: praxisettheoriat00arno.pdf

44 ACTION ET CONTEMPLATION

XLII, III. 2. io(I. 239'") On n'est pas injuste volontai-

rement, en ce sens que rinjustice (en tant que telle)

n'est pas volontaire ; mais cela n'empeche pas queceux qui commettent ces injustices agissent spontane-ment (amoix; Tovq TTpaTxovTa^ Trap ' auTOJV eivai)

parccque c'est eux qui agissent (auToi ttoigucti), c'est

eux aussi qui pechent ; ils ne seraient nuUement cou-pabies, si ce n'etait pas eux qui agissent (01 ttoicO VTe^.La necessite ici ne vient- pas de Texterieur, elle nefait qu'un avec eux.

VI. IV. 8, 2 (II. 145*-") II y a deux mani^res de s'inte-

resser a l'univers {bmr\. . eTTijueXeia TrdvTo^ : celle deTAme universelie, qui veille sur i'ensemble, comme unereine sans s'embarrasser dans lcs details KeXeuoei..

dTTpdTjuovi ^TTiaTaoia PaoiXiKfi et celle de I'ame parti-

cuhere qui s'occupe du detail, travaillant comme unmanoeuvre auTOupTiI) tivi TTOirjcrei, et qui entrant encontact avec ce qui se fait, rempht ce qui fait de la

nature de ce qui se fait : auvacprj Tf) TTpo^ t6 iTpaT-

TOjuevov t6 TTpdTTOv Tou TTpaTTO/Lievou Tfj^ qpuaeuj^

dvaTTi|LiTTXdcra. Voila une action dans laquelle Tagentsubit une modification ; et pourtajit si Tagent est t6TTpdTTOv ct Teffet t6 TTpaTTojuevov, l'action, elle, est

TTOinCTK;.

2. Quon se rappelle aussi la maniere dont furentcomposees les Enneades. Aux negligences d'une expo-sition qui fut souvent improvisee, Porphyre a ajout^ descorrections, des additions peut-^rc (cf. vita Plotini

C.XXIV. fin), les imprecisions que nous apportons neces-sairement quand nous completons une pensee qui n'estpas la notre. Voila qui rend particulierement delicatesles recherches philologiques sur les Enneades. II fautbien passer par la pourtant, si Ton veut rester objec-tif, mais roblig^tion s'impose a faire fond sur desensembles plutot que sur Tune ou Tautrc expressioncueillie au hasard.

Trpa£n et TToiriaij

3. Et puis, Plotin commentait dans ses lecons lesouvrages des anciens

: necessairement ieurs facons deparler passaient chez lui : nous avons releve dans lel.vre S^e de la VI' Enneade plusieurs e.xpressions d'A.nstote. L infiltration est particulierement sensible auxendroits ou Plotin emploie conjointement a la maniered'un doublet, comme faisait Ale.xandre Aphrodisias, TTO.eTvet TtpaTTC.v, TTpoS.s et TToinff.s - H semble cependant qua-ors l'occasion etait bonne de les distinguer en affirmantle sens nouveau qu'il leur attiibuait. Mais non leurrapp.-ochement meme reveillait de vieu.x souvenirs etusage plus fort faisait passer, comme une e.xpression

toute fa.te, dans l'ancienne fo.mule, l'ancien conte-nu, le sens traditionnel. Ces infill.ations ou ces .-emi-n.scences se ret.-ouvent meme aux end.-oits ou on s'at-tendrait le moins a les rencontrer.

Dans un liv.-e tres representatif de sa doct.-ine surI aetiv.te p.-opre au voOs (XLIII. V. 3. 7 — H jgy '«

)quelques lignes seulement ap.-es avoir oppose la Trpdf.jet . rhomme pratique . a 1'acte immanent par lequelun etre se connait soi-meme (V. 3. 6 — II 186 "->')Plotin remarque que l'ame peut se tourner ou vers leyous (et alors elle reste en soi (') ). ou hors du voOc(et alors elle va ve.-s l'exterieu,-)

: f, be ^uxn t6 uevOffOV TTpog VOOvaUTfis OTOV €ICTUJ, t6 bSuj voO iTpocTO iEw Dans le p,-emier cas, elle ressemble au principed ou elle v.ent

;dans le second, malg,-e la difference, elle

ga,-de toujours une i-essemblance, erre irpdTToi eUtTTo.ot- KaiTdp Km7TpdTTouffa6nu,se€u,p€tKai noiovaa€.bn TTO.e., o.ov vor|CT€.s aTrnpr.ffiLievas, djffre TrdvTa elva,ixvn voiiffewq Kai voO. (II. 187 "-").

II est clair que dans ce texte 1. TrpdTTe.v et iroietv -

des.gnent tous deux des fo.mes d'activite tou.-nees versle dehors 7Tp6? t6 eSu,, donc opposees a la contempla-

(') Cf. Le desir de Dieu dans la philosophie de Plotin, chap. V.

Page 36: praxisettheoriat00arno.pdf

44 ACTION ET CONTEMPLATION

XLII, III. 2. io(I. 239**) On n'est pas injuste volontai-

rement, en ce sens que Tinjustice (en tant que telle)

n'est pas volontaire ; mais cela n'emp^che pas queceux qui commettent ces injustices agissent spontane-ment (auTOu^ Touq rrpaTTOVTa^ rrap ' auTuuv eivai)

parccque c'est eux qui agissent (auToi TTOioOai), c'est

eux aussi qui pechent ; ils ne seraient nullement cou-pables, si ce n'etait pas eux qui agissent (01 ttoioO vieO-La necessite ici ne vient- pas de Texterieur, elle nefait qu'un avec eux.

VI. IV. 8, 2 (II. 145*-*) II y a deux mani^res de s'inte-

resser a Tunivers (biTTr). . emjLieXeia TrdvTO^ : celle del'Ame universelle, qui veille sur 1'ensemble, comme unereine sans s'embarrasser dans les details KeXeuoei..

dTrpdtTltiovi ^TTiaTaaia PaOiXiKr) et celle de Tame parti-

cuhere qui s'occupe du detail, travaillant comme unmanoeuvre auTOupxuJ tivi rroirioei, et qui entrant encontact avec ce qui se fait, rempUt ce qui fait de la

nature de ce qui se fait : auvaqpr) jf} ttq6<; t6 irpaT-

Tojuevov t6 TTpaTTOv ToO TTpaTTO|uevou Tfl^ qpuoeiui;

dvaTTijLiTTXdoa. Voila une action dans laquelle Tagentsubit une modification ; et pourtajit si Tagent est t6TTpdTTOV et Teffet t6 TTpaTTOjuevov, Taction, elle, est

TTOincTi?.

2. Qu'on se rappelle aussi la maniere dont furentcomposees les Enneades. Aux neghgences d'une expo-sition qui tut souvent improvisee, Porphyre a ajoutd descorrections, des additions peut-etre (cf. vita Plotini

C.XXIV. fin), les imprecisions que nous apportons neces-sairement quand nous completons une pensee qui n'estpas la notre. Voila qui cend particulierement delicatesles recherches philologiques sur les Enneades. II fautbien passer par la pourtant, si Ton veut rester objec-tif, mais robligstion s'impose a faire fond sur desensembles plutot que sur l'une ou lautrc expressioncueillie au hasard.

/

1

TTpdHl^ et TTOinCTl?

3. Et puis, Plotin commentait dans ses le^ons lesouvrages des anciens

: necessairement leurs facons deparler passaient chez lui : nous avons releve dans lehvre 8-c de la VP Enneade plusieurs expressions d'A.ristote. L'mfiltration est particulierement sensible auxendroits oii Plotin emploie conjointement alamaniered'un doublet, comme faisait Alexandre Aphrodisias, TTOieTvet TTpaTTeiv, TTpd^? et tTOinOiq - H semble cependant qua-ors 1'occasion etait bonne de les distinguer en affirmantle sens nouveau qu'il leur attribuait. Mais non leurrapprochement meme reveillait de vieux souvenirs et1'usage plus fort faisait passer, comme une expressiontoute faite, dans l'ancienne formule, Tancien conte-nu. le sens traditionnel. Ces infiltrations ou ces remi-niscences se retrouvent meme aux endroits ou on s'at-tendrait le moms a les rencontrer.

Dans un livre tres representatif de sa doctrine surlactivite propre au voOg (XLIII. V. 3. 7 — n. 187^*)quelques lignes seulement apres avoir opposela iTpdHi^et < Thomme pratique > a 1'acte immanent par lequelun ^tre se connait soi-meme (V. 3. 6 — II. i86 "-«*)Plotin remarque que l'ame peut se tournerou vers levoug (et alors elle reste en soi (*) ), ou hors du voOc(et alors elle va vers I'exterieur) : f, be ipuxn t6 juev6aov TTp6(; voOvauTn^ olov eiow, t6 b'eHuj voO TTp6^To^Hu). Dans le premier cas, elle ressemble au principed ou elle vient

;dans le second, malgre la difference, elle

garde toujours une ressemblance, eiTe TTpdTToi efTe7T^oioT-KaiTdpKaiTTpdTTouaao|au)^eeujpeTKai TToi'oOaaeibn TToieT, olov vonoeiq dTTnpTKTneva^, ujcrTe TrdvTa eivaiixvn vonoeujq Kai voO. (II. 1872*-'»).

II est clair que dans ce texte 1. TTpdTreiv et TTOieTv -

designent tous deux des formes d'activite tournees versle dehors TTp6^ t6 eHuj, donc opposees a la contempla-

(') Cf. Le desir de Dieu dans la philosophie de Plotin, chap. V.

Page 37: praxisettheoriat00arno.pdf

46 ACTION BT CONTEMPLATION

tion prise dans son sens strict. — 2, Qu'est-ce qui les

distingue ? Kai TTpdTTOucra 0)iuj^ Geujpel, Kai TroioOaa

eibri TTOieT : TrpctTTeiv peut encore etre considere commeune manicre de contempler (Geujpetv), tandisqiie TTOieTv con-

siste a faire.. a produire quelque chose. (eibr) TTOieTv) — Uneactivite qui s'oppose a la contemplation et qui s'appel-

le TTpdHi^ ; une activite productrice, essentiellement en

rapport avec rexterieur et qui par la s'eloigne davan-tage de la contemplation, et qui a nom TTOincTi^, c'est

le vocabulaire d'Aristote,

Ailleurs, XXXV. VI. 7. 37 - II. 471 '«,'%««: Le prin-

•cipe dont c'est la nature de penser (t6 voeTv), s'il ne

remplit pas sa fonction (ei ^f) toOto TTpdTTOi), est in-

sense;quant a celui qui n'a pas d'acte (^pYOv), on ne

peut pas lui en attribuer et Taccuser ensuite de nepas Taccomplir (oti \xr\ TTpdTTei). Or il (rUn) n'a pas

d'acte (?pTOv) car il ne lui convient pas de rien faire

(oTi \xr\hkM eTTipdWei auTUj TTOieTv), et la raison en est

qu'il se suffit a soi et aux autres. Ici encore, TTOieTv

represente une action indigente, celle qui produit qucl-

que chose hors de soi ; tandisque pour exprimer la

pensee, c'est TTpdTTeiv qu'on emploie.

De meme XL. III. 7. 5. — i. 315 ',•*: Qui ne s'eloigne

jamais de la contemplation (des intelligibles) if\(^ Gea^.

mais persistant dans l'admiration de cette nature, est

capable de faire cela (toOto TTpdTTeiv) infatigablement,

prend pied dans reternite — TTpdTTeiv, synonyme de

contempler.

Un livre ou Ton s'attendrait a trouver distinguees

TTOirjOi^ et TTpd^iq, c'est bien celui qui ouvre la VI^ En-neade (Porphyre Ta coupe en trois), Plotin y faisant

la critique des categories d'Aristote, en particulier de

la categorie d^agir (1. I) et y exposant ses propres ca-

tegories (l. II). Mais on a la desillusion d'y lire (VI.

2. 16

II. 318") que l'action comme la passion etant

en mouvement (t6 be TTOieTv Kai t6 Trdaxciv dv ki-

vr|(Tei) est double (t6 TTOieTv be buo), donc composee,

TTpdHl? ET TTOinCTK; 47

et ne saurait etre comptee, comme le pretendent les

peripateticiens, parmi les genres premiers de Tetre; que

TTOieTv comme TTdcrxeiv, Ix^iv. KeToGai suppose une relation a

quelque chose et n'appartient pas a reternel, qu'il faut

donc ramener ir.o\x\a\c, au mouvement KivriOK;, qui, lui

est un genre premier. Nous voila loin de Timmuablecontemplation-action !

On peut comparer dans la meme Enneade le cha-

pitre 21 du livre I (II. 288'^). < Nous definirons Tac-

tion (t6 TTOieTv), le mouvement en tant qu'il part de

l'agent (Kivr|)Lia eH auToO. Bouillet : un mouvementspontane) et s'oppose a la passion (= le mouvement en

tant que re^u), soit que ce mouvement reste dans l'a-

gent (par exemple la pensee ou l'opinion), soit

qu'il passe dans un autre eiT€ ev auTtu, eiTe ei^ dXXo ti.

Et le chap. 22 (II. 289") : raction, c'est ou bien le

mouvement qui reste dans Tagent sans relation avec

l'exterieur, ou bien le mouvement qui a son terme dans

un autre etre different et son origine dans l*etre qui

est dit agir : t6 TTOieTv f| exeiv ev auTiij Kivricriv ttjv

dTToXuTov TTap'auToO, r| Tf|v TeXeuTUJO"av eiq dXXo dTi'

auToO, 6p)Liuj)Lievriv dTT6 toO XeYO)Lievou TTOieTv..

TTOieTv, c'est meme tout specialement «faire quelque

chose ». La suite du texte (ch. 22) Tindique claire-

ment : on pourrait croire, y dit Plotin, que prevoir ou

pourvoir (^TTpovoeTv) c'est agir (TTOieTv), car la -« providen-

ce » (TTpovoia) s'etend a autre chose (eiq dXXo ydp Kai

Trepi dXXou, il n'y a donc de TToir|0"i<; qu'a cette condi-

tion : ei^ dXXo). Eh bien non ! repond-il aussitot, memepenser n'est pas agir oube t6 voeTv.. TTOieTv). Et pour-

quoi ? c'est que la pensee ne passe pas dans l'objet

pense, mais s'exerce seulement a son occasion : ou xoip

eiq auT6 t6 voouiuevov, dXXd TTepi auToO : ce n'est

pas une action oube TroirjO"!^ 6Xuj(;. mns seulement un

acte (vepeYeia)

Plotin re^oit donc de ses devanciers la distinction

des deux actions, Tune qui produit quelque chose,

I'autre qui ne laisse rien apres soi (oubev ^x^i jueTauTrjv

Page 38: praxisettheoriat00arno.pdf

I

48 ACTION ET CONTEMPLATION

Trauaa^evn? Tf](; Kivnacui^ VI. 3. aa-II. 354"; cf. AlexandreAphrodisias reproduisant la pensee d'Aristote, et TEn-neade III. 8. 4 — i. 336«), l'une qui a pour terme uneforme

: toO ^^v... oti nKOi av dq dboc; ti, ainsi la formed'unc statue, Tautre qui aboutit a un acte : toO 5e,OTi fiKOi av €iq Tr|v dvepT€iav, par exemple dans celuiqui marche ou qui danse (354*«), l'une (celle qui estproductrice d'une forme) transitive, 1'autre immanen-te : Td Mev ^evei, Td 6e ou (354"). Et subissant lesm^mes influences, il restreint ici lc mot TToincJi^ a nefigurcr que celle qui est transitive et relative a autrechose VI. I. 12 (II. 278"). Les arts (Texvai), en tantqu'ils produisent, sont « poetiques >, et par la ils serapportent a autre chose fj bk TioioOai, rroinTiKai KaiKaid toOto TTpoq xJXXov Kai Trpo^ ti. Encore un souve-nir d'Aristote.

Cen est assez pour demontrer, ce que nous fai-

sionspressentirdes le debut, que le vocabulaire de Plo-tm, n^etant point parfaitement coherent, nous refusela satisfaction des classifications adequates

; pour sug-gerer aussi que ce n'est pas dans la doctrine des Ca-tegories, a laquelle on a souvent attache une importan-ce exageree, qu'il faut chercher les points originauxdu syst^me.

IV. Une contribution au lexique de Plotin.

w

Apr^s ce qui vient d'^tre dit, si on se rappelle en-core, — et Ton ne doit jamais perdre cette remarquede vue quand on lit les Enneades -

, q^ue par suitede la degradation progressive des etres dans ce sys-t^me moniste, le m^me mot est amene insensiblementd couvrirdes concepts qui different beaucoup, et finis-

sent m^me par ne plus contenir certains elements qu'onavait d'abord declares essentiels, on conviendra que la

tache sera dilBcile de confectionner le lexique de Plo-tin, une tache qu'il ne faudra pas entreprendre avecla volonte de tracer des limites tr^s precises entreles vocables.

Voici quelques el6ments.

Geujpio.

1. Sensabstrait. Se dit de toute connaissance : de celle du voOc(V. 3. 5. sqcj.j, t6 fap eeu)povv, vovq (111.9.1 — 1.3462*), donCla v6r\ai<; est Geujpia—de celle de l'ame (III. 8. 4), le \6foq est Geuj-pia—de cellede laNature (qpuai?), connaissance qui, non accompa-gnee de TrapaKoXouGnaig, est pourtant « contemplation > : Oeiupia• •.Tn?» b^vbpwv, qpUTUJv (IIL 8. i — I. 332 «7^.

2. SeTts concret, La c contemplation » est une hypostase

;

cela est vrai surtout du principe qui, se connaissant lui-memene fait qu'un avec sa contemplation : ei touto, bei t^v 0euj-piav TauTov eivai tuj GeujpriTuj Kal tov voOv TauTov eivai tuj

voTiTj^ (V. 3. 5- IL 184«). Aussi le voOg est-il Geujpia Maa,(III. 8. 7); la Nature aussi ^oti Geujpia (III. 8. a); meme le

logos dcs choses sensibles est eeujpia, outuj? dx; TeGeujpnM^-voq (IIL 8. a).

^. La * contemplation * est action, tuj eivai Geujpia... TTOieT*

/) TToiriaig apa Geujpia... dvair^tpavTai (IIL 8. 3 — L 334 <«). Con-templation-action des InteUigibles : ^Keivujv oubev TTpaEdv-Tujv, dXXd... GeujpouvTUJv. TeYevvniaai (III. 8. 4 — I. 335*) — deTAme, qui parle ainsi : ^juoO \xr\ Ypaqpouanq, Geujpouarig b^,

uqpiaTavTai ai twv aujjudTUJV TpaMMai (III. 8. 4 - I. 334 32; .

Page 39: praxisettheoriat00arno.pdf

50 ACTION ET CONTEMPLATION

daGevoOaa Geuupia daGev^? 0€djpTi|na ttoici (III. 8. 4 — I. 335").Geujpia s'oppose donc a TTpaSii;, sans s'opposer a toute action.

Elle est meme une activite productrice.

1. En ^eneral Troieiv s'oppose k irdaxeiv {II. 3. 16 — I. 147 «»;

III. I. 4 - I. 219 ** ; IV. 4. 32 — II. 84 " ; IV. 5.8- II. 113 «')

et signifie : faire qnelquechose, impliquc donc une action trahsitivc,

cf. VI. I. 12 (II. 278'^J: TTOirjTiKai, Kai Kaxd toOto TTpog dXXoKai "irpo? Ti.

2. Sens special, exprime Taction qui ne tend pas vcrs Texte-

rieur, bien qu'clle puisse produire des effcts au dehors, mais

se reflechit sur soi et € reste > : €i in^viuv ttoi€1 Kai ^v (xm(b \xiv\jjv

iCTX XoTO?, €ir| dv auTO? eeiupia (111.8. 3— I. 333^"). L'ac-

^tion est alors contemplation : r] TToir)ai? apa eewpia r\\x\y ava-

TT^qpavTai (III. 8. 3— I. 334 •••) et TToinaK s'oppose a TTpdHi?.

TTpdSi^

1. Sem propre aux Enneades: Activite pratique qui incline

vers le sensible et subit des influences materielles I. 9 — I.

116',«); VI 8. I, 3, 3; IV. 4.44. (11.98«); assujettie a la

necessite (VI. 8. 5— II. 483. 484 : TTpdHeK;... dvaTKaiaq) ; ensor-

celee : IV. 4. 43 (II. 98 «) : rrdaa xrpdEK TeTonTeuTai Kai TTd? 6

ToO TTpaKTiKoO pio^.

EUe s'oppose a la contemplation : III 8. 3 (I. 334') €( ouv

Mn TtpdHi(;... eeujpia. Cf. IV. 4. 43, 44 (II, 98«,*''); VI. 8 6

(II. 485 8) ; V. 3. 6 (11- 186 fi) — I. I. 12 (I. 49") : TTpaKTiKd? oppos6a eeuupiKO^; — Cependant, -memc la TTpdEi? est appel^e aKid eeui-

pia? (III. 8. 4 ; cf. V. 3. 7 (II. 187"): Kai TrpdTTOuaa 8|uuj? eewpei).

En ce sens la iTpdSi<; peut etre bonne ou mauvaise, bonned'une bontc relative comme toutes les vertus d'ordre pratique,

TrpdSeK; KaXai (i. 5. 10 ; cf. VI. 8. 5 — II. 483 *').

2. Souvent aussi rrpdsi? signifie Taction en gen6ral ; irpdT-

Teiv et TTOieiv sont alors employes indistinctemcnt (III. i. i —I. 215 2«... ; III. 2. 8 — I. 237 •"

; III- 3. 10 — I. 239 «0).

Bref, cVst un vocabulaire ou se marquent a la fois

et Toriginalite de Plotin et son eclectisme. II ouvre des

voies nouvelles, mais les chemins anciens lui sont si

connus qu'il ne peut s*empecher de les suivre encore

quelquefois.

C. Les rapports de rAction et de la Contemplation

selon Plotin.

En somme, ce qui separe chez Plotin TTOieTv et TTpdT-

T€iv — quand ces deux mots sont opposes — , ce n'est

pas la production d'un terme exterieur, car la ixo\r]a\(;

meme dans les degres ies plus eleves de la hierarchie,

est productrice d'etres, mais c'est, nous l'avons vu, unerelation differente avec la « contemplation >, TTOieTv etant

admis a Texprimer, tandisque TrpdTTeiv, du moins or-

dinairement, en est reconnu incapable. II reste a exa-miner de plus pres la nature de ces rapports entre

la € contemplation > et T c action ».

^

Page 40: praxisettheoriat00arno.pdf

I. L'action est contemplation.

f) TToiTicyK «pci Geiupia fmiv dvaTrecpavTai

(III 8. 3.)

Examinons d'abord les textes ; les uns ont trait

a Taction de Tesprit (voOq), les aiitres a Taction del'ame (viiuxn) ou de la nature (qpucTi^) (*).

^1. Les Textes.

Vaciion du voO^ est contemplation.

XLIII. V. 3. 7 — II. 187^ II faut accorder au voO^

la connaissance de soi-meme. c Car que lui donnerions-

nous d'autre ? — Le repos (nauxia) ? Mais le repospour le voO^ n'est pas une sortie de soi (iKCTTam^) ;

le repos du voO<; est un acte, libre de toute autre in-

fluence (axoXfiv dTouaa diTO toiv dXXuuv Ivepreia). Son ^tre

est acte et il n'y a rien vers quoi tende cet acte ; il

reste donc tourne vers soi (oub^v, Trpo^ f] dvepT€ia •

TTpoq auTUJ dpa. Le datif marque qu'il n'y a pas tcn-

dance a i*exterieur Trp6<; 6, mais un reploiement

sur place ; cf. ev auTip \xivov). Donc en se pensant, il

garde son acte rapporte a lui-meme et tourne vers

lui-meme. De fait, si quclque chose vient de luit c'estpar'

ce quHl resie tourne vers lui-meme, en lui-meme (^auTov dpavotuv ouTU) TTp6(; auTuj Kai ei^ ^auT6v Tf]v ^vepteiav laxer

(*) On sait que la hierarchie plotinienne comprend trois degr6s •

Au sommet, TUn;puis TEsprit ou voO?, puis TAme ou vpuxn,

proc6dant du voOq comme le voO? procdde de TUn. L'Ame inclinc

vers la matiere qui est le non-etre, mais elle ne descend pastout entiere, remarque Plotiu. La Nature (cpuai^; est la partie deTAmc qui informe le monde.

L'ACTI0N EST CONTRMPLATION 53

^

xai Tdp ei Ti il auToO, Tipei^ auT6v ev eauTUj);car il fallait qu'il fut en lui-m^me (dv eauToi), avantd'etre rapporte a autre chose (ei^ dXXo) ou deproduire quelque chose qui lui ressemblat. Cest ainsique le feu doit etre d'abord feu en soi et avoir l'actedu feu, pour produire dans autre chose un vestigede soi ; de meme le voOq est acte en lui-m^me. Quanta rame,si elle se tourne vers le voO^, elle reste en quelquemaniere chez elle : hors du voO^, elle se repand au de-hors ('). Dans le premier cas elle est semblable a son prin-

cipe; dans le second, bien que dissemblable, elle garde

encore quelque ressemblance, quelque soit son moded'activite eiTe TTpdTTOi, eiTe ttoioi ; car alors ou 1)ien

elle contemple encore, ou bien elle produit des formesqui sont comme des pensees eloignees ; si bien que toutest vestige de pensee et de voOg, tous les etres gardantla ressemblance de Tarchetype dont ils procedent,image plus ou moins effacee, suivant qu'ils en sontplus on moins eloignes ».

De ce texte retenons pour le moment deux ensei-gnements.

1. Le propre du voO^ est de rester en lui-

meme, tourne vers lui-meme, dans un repos qui le

tient a Tabri des influences exterieures et ne differe

pas de la connaissance qu'il a de lui-m^me. Cest la

contemplation, etat paisible (flCTuxia) qui n'exclut pas,bien au contraire, l'activite (dvlpTCia), un desir, unetendance (ei^; auTdv), mais une tendance, une activitequi est immanente (^v auTUj).

2. Et cette immanence (qui est sa contemplation meme)est la raison formelle de sa fecondite : ei ti il auToO,Tuj €1? auTov ^v eauTui.

(') Cesl l^ un point essentiel de la doctrine plotinienne, quenous avons explique ailieurs avec les developpements qu'il com-porte. cf. Le Desir de Dieu... p. 191...

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54 ACTION ET CONTEMPLATION

Uaction de Vdmc est contemplation.

XXX. II. 9. 2 - I. 186 *'. « Tantot Tame s'eleve toute

entiere avec la meilleure partie d*elle-meme ... et tan-

tot sa partie inferieure entrainee, entraine avec elle la

partie intermediaire, car rame tout entiere ne peut

^tre entrainee Si ce malheur lui arrive, c'est qu'el-

le n'est pas restee au lieu de la parlaite Beaute. Eny demeurant^ VAme qui n'est pas une partie et dont nous

ne sommes pas une partie (l'Ame universelle), a donne

au corps de Vtmivers tout ce quHl peut recevoir (ottou . .

^eivacra,... €5ujk€V .. oaov buvaiai irap' auifi^

IX€iv). Eile reste elle-meme sans embarras, radminis-trantsaDS raisonnement, sans rien cornger. ordonnanttout par une puissance admtrable, par la seule contem-plation de ce qui est avant elle. Pius elle s'y appli-

que et plus elle est belle et puissante :. recevant dela-

haut, elle donne a ce qui est apres elle, toujours eclai-

-rante, toujours eclairee. »

Ainsi, TAme donne au corps de Tunivers tout ce

qu'il peut recevoir. Mais pour elle, elle demeure sans

rien « faire » (|li€V€i tc d7TpaT|Li6vuj(; auin) ; si elle ordonne,

si elle redresse, cc n'est point par suite d'une re-

flexion (ouk ^k biavoia^), mais par Teffet d'une contem-plation dirigee verscequi est avant elle (t\] eiq t6 Trpo

auTH^; 0€a KaTaKO(T)LioOaa), car plus elle est appHquee a

cctte contemplation (*), et plus elle re^oit, et plus elle

donne.

Sur quoi il faut remarquer :

1. que rhypoth^se d'une deHberation est exclue

;

2. ^que l'operation de l'ame est attribuee sans in-

termediaire a la « contemplation », comme a la source

de toute son activite (KdK€i8€V ix^vaa bibujai tuj juct'

(*) CVst ainsi que je comprends : 5aov tap Trpo? auxf) iaxx,

rapportant auTf| k Qia de la phrasc precedente ; si on veut lire

:

trpd? aOxd, aOxd rappelant t6 trpd auTfi^, le sens sera le m^me.

L^ACTION EST CONTEMPLATION 55

auTrjV). Comment Tame ordonne-t-elle la matiere ? Endemeurant la-haut, ou, ce qui est la meme chose, en

contemplant.., par le fait de contempler (datif de ma-niere, Tfj 6€a) : c'est sa contemplation meme qui Tor-

donne, admirable puissancc ! (6uvd)U€i 6au)Lid(TTfi). II ya la un ex opere operato ou Tame semble ne rien met-

tre du sien. Elle est comme un lieu de passage pour

rillumination superieure. EUe s'oritnte, et la lumiere

passc : €XXd)aTTOuaa... eXXd)UTr€Tai, !a lumiere qui donne

l'^tre et la vie ; ou piutot, la contemplation l'enrichit

et parcequ'elle est riche, elle donne ; la contemplation

la rend lumineuse et des lors necessairement elle

eclaire.

(cf. la suite de ce passage. II. 9. 3 — I. iSy'*")

XLIV. III. 5. 3 — I. 271*". < Cette ame (l'ame celeste)

est une essence nee de Tacte qui est avant elle..., elle

regarde vers celui qui est la premiere essence, eUe re-

garde avec intensite (Trpoq €K€ivo opiucrriq.., kqi (Tcpobpa

6puj<yr|q)... Vision telle que celui qui voit ne contem-

ple pas en vain ; mais par l'espece dc volupte et par

Tattention qui Tattache a son objet, par Tintensite

de sa contemplation il engendre une chose digne de

lui et de sa vision: t6 opa)Lia toioOtov flv, ibg \kr\ Trdpep-

Tov Triv 6eav TT0ieicr6ai t6 opuuv, ib^ Tfj olov f^bovrj Kai

Tdcrei Tfi TTp6(; auT6 (var : TTp6q auTo) Kai crcpobpoTriTi Tfiq

Sea^ T^vvTiaai ti TTap' auTf)^ dHiov auTn^ Kai toO opdfia-

TO^. * Ainsi nait Eros.

Le principe de sa generation doit, donc ^tre cherche

dans la contemplation (6€a), dans la tension (Td(Ti(;) et

la vivacite (aqpobp6Tr|<;) de la contemplation. II nait d'un

acte qui est tendu vers Tobjet de sa vision, et de ceque

laisse pour ainsi dire ecouler cet objet : eH ouv toO

^vepTOuvTO^ (JuvTOVUjq Trepi t6 opajjLievov Kai €k toO olov

OTToppeovTO^ (') dTT6 ToO opui^evou — Cest d'une vision

(*) Cette image ^manatiste exprime mal une pens^e qui ne Te t

Page 42: praxisettheoriat00arno.pdf

56 ACTION ET CONTBMPLATION

qu'il tient son hypostase : i^ 6pd(Teuj(; jr\y uTTOCTTaaiv

^X€i (271^*).

Telle est Tefficacite enrichissante de Tacte de voirqu'il s'ensuit comme un debordement qui est la nais-

sance d*un autre ^tre (•).

Uaction de la nattire est contemplation.

III. 8. 3 (I. 333"-334'*) « Comment en agissant et enagissant ainsi, (la nature) peut-elle atteindre a unecontemplation quelconque ? (ttgiijuv Kai outux; ttoiujv eeu)-

p\a<i Tivo^ av €(pd7TT0iT0 ;) — Ce qui agit en restant

(M€Vujv), et qui restant en soi est logos, est lui-memecontemplation. La 7TpaHi(; se fait KaTd Xotov, elle est

differentc du logos ; le logos qui accompagne et dirige

la TTpd£i<g ne saurait etre TTpdHi<;. — Si donc il n'est pasrrpdgi^, mais Xoto^, il est contemplation.

II en est ainsi de tout logos : meme le dernier logosproc^de de conte.nplation (ck 0€U)piaO, il est meme con-templation en ce sens qu'il est contemple. De memetous les logoi qui sont avant lui, Tun d'une maniere,Tautre d'une autre, celui qui n'est pas Nature maisAme et celui qui est dans la Nature et Nature (*). Ce.

pas. Selon Plotin le principe qui produit ne souffre, du fait de sonaction, aucune diminution, auciin changement dans son etre.

(') Cf. IV. 3. II (II. 23^7). L'ame produit en contempiant le mondeintelligible

: €i? 8v eibev fj i|;uxn Kai eixe TTOioOaa — Elle a regard^(elbev), et elle s'est appropri^ Tobjet de sa vision, elle le pos-sede €i)(€ (car on devient ce qu'on regarde IV. 3. 8 — 11. i8«6

;

cf. VI. 7. 31, 35), et par le fait, eile produit (TioioOaa). Cest ainsique selon les gnostiques valentiniens, Achamoth enfante en con-tcmplant, (Irenee, contra haereses lib. i. cap. IV. n. 5): Tr|v xeAxambO ^KTO? Trdeou? T€vou^vr|v Kai auUapoOaav Tf| xapd tujv ^vaOTUj qpiiiTUJv Trjv eeujpiav, TOUTdaTi tujv d.^^i\{iiv tujv |neT'aOToO,Kai ^YKiaariaaaav auTou^; KeKunK^vai KapTTOu? KaToi Trjv eiK^vabibdaKouai. — Tertullicn (de praescr. cap. 17) intcrprete cette doc-trine dans un sens tres materiel qui ne s'accordc gu^re avec la

remarquc dTrenee ^KTdq irdeouq.

^ W

L^ACTION EST CONTEMPLATION 57

dernier est-il lui aussi ^k Gewpia^ ? Oui, il vient de lacontemplation. Est-ce qu'il se contemple lui-meme ?

Comment en serait-il autrement, alors qu'il est ach^ve-ment d'une contemplation et de queiqu^un qui a con-temple {iai\ ju^v rap dTroTeX^ajua e^ujpia^ Kai 0€ujprif7av-TO? TlVO^).

Comment la nature a-t-elle la contemplation ? EUen*a pas la contemplation ck Xoyou, c'est a dire la fa-

culte d'examiner ce qu'il y a en elle (t6 (TKOTT^Taeai

7T€pi Tuiv ^v auTfi). Comment se fait-il alo: s qu'elle estvie, logos, puissanceagissante ? Examiner, c'est ne pasposseder encore (t6 (iKOTreTcreai dcTTi t6 |ur|Truj l\<i\M}. Orelle, elle (•) poss^de deja, et c'est parcequ'elle possedequ'elle produit (5idToOTO oti ^x^i, Kai 7toi€T). Pour elle,

^tre ce qu'elle est, c'est produire. Or elle est contem-plation et objet de contemplation, car elle est .logos

(t6 oijv €ivai auTfj 6 ecTTi, toOto ecTTi t6 ttoi€Tv auTfj Ictti

be Geujpia Kai eeiupnjua, X6T05 xdp). Etant contempla-tion, objet de contemplation et logos, elle produitparcequ'elle est tout cela. L'action (TToiriaiO nous appa-rait donc bien comme contemplation, car elle est ach^-vement (dTTOTeX€cr|ua) de contemplation, d'une con-templation immanente, qui n'a rien produit d'autre ala maniere de la TrpaSi^, mais qui a agi parcequ'elleetait contemplation (tuj eivai eeujpia TTOiTiado"Ti?). »

III. 8. 4 (i. 334" _ 22^7) . ^ sj Yon demandait a la na-ture pourquoi elle produit (tivo? ^v€Ka ttouT) et si la

nature consentait a ecouter et a repondre, elle dirait

:

II eut fallu, au lieu de m'interroger, comprendre et

se taire, comme moi-m^meje me tais : je n'ai pas Tha-bitude de parler (ouk eieiOjuai Xereiv). Que fallait-il com-prendre ? - Que ce qui est produit est Tobjet de macontemplation silencieuse (oti t6 Tevojuevov ea"Ti eeajua

€m6v [djuoO] (TiujTTTiadcTn?)... Nee moi-meme d'une con-

(*) Au lieu de ei hi ^x^i je propose de lire f\ hi ly^j^x, quipresente un sens beaucoup plus satisfaisant.

T-itr*'^. «*- .y

Page 43: praxisettheoriat00arno.pdf

58 ACTION ET CONTEMPLATION

templation, j'ai une nature amie de la contemplation

(Ktti jLioi T€VOjuevr) ck 6€UJpia? in^ ujbi Tr|v q)u(Tiv Ix^iv

(piXoeed^ovd uTidpxci), et ce qui contemple en moi pro-

duit un objet de contemplation (Koi t6 0€UJpoOv iuou

0€ujprijua TTOiei), comme les geometres en contemplant

ecrivent; mais moi je n'ecris pas^ c'est qtiand je contem-

ple qii^apparaissent les lignes des corps : on dirait qu'elles

tombent de moi (dWejuoO \k\\ xpaqpouoriq, 0€ujpouan? hi,

uq)icrTavTai ai tuuv OujjudTUJV YpctMMai, uuOTTcp eKTTiTTTOuoai).

Cest une disposition que je tiens de ma mere (l'Ame

universelle) et de ceux qui m'ont engendree : Eux aussi

sont nes de la contemplatton, comme moi, Sans quHls aient

rien ^fait-> {a la maniere de la TTpdHi^), par cela seul

qu'ils sont des logot superieurs et qutls se contemplent eux-

memes, j^existe, €K€ivujv ou5€V TTpaHdvTUJV, dWovTUJV

H€iZ6vujv XoTUJV Kai 0€UJpouvTUJV auTOu^, €tuj T^Ttvvrinai. »

Nous avons deja reieve dans ce passage l'opposition

TToinOK; et rrpd^i^, la TrpdEi^ n'etant ni 0€ujpia ni Xoto^,

ni une forme d'activite immanente, au contraire de la

TToinOi^ qui est contemplation {r\ TToinOiq dpa 0€UJpia

fmiv dvaTT€9avTai) et objet de contemplation et Xoto^.

II _y a plus, c'est parce qu'elle est tout cela que la

7Toir|Oi(; produit : tlu ouv €ivai 0€ujpia Kai 0€ujprma Kai

XoTO^, TOUTUJ Kai TTOiei rj TauTd iaixv, sans incliner vers

ce qu'elle produit mais demeurant en elle-meme ; elle

produit parcequ'elle est contemplation, ju€VOuar|^ 0€UJ-

pxaq ouK dXXo Ti TTpaHdonq, dXXd tuj €ivai 0€ujpia ttoit]-

adoriq.

On ne peut guere exprimer e:i termes plus explici-

tes, que la contemplation en tant que telle tuj €ivai 0€ujpia

est actton, et que la Nature produit parcequ^elle est con-

templation,

2. Nature du rapport contemplation-action.

II faut sur ce sujet se garder d*une equivoque. Par-

ler du roie de ia contemplation dans Taction pourrait

L*ACTION EST CONTEMPLATION 59

n'etre qu'une maniere d'exprimer la causalite exem-plaire, une cause qui produit pendant qu'elle contemple,

et non pas une cause qui produit parccqu' q\\g, contem-ple ; tel le demiurge platonicien ordonnant la matiere

et dosant ses melanges, Toeil fixe sur les Idees dontil veut reproduire Timage en ce m(;nde. — La contem-plation des lors n'est plus le principe de Taction entant que telle, donc de toute Taction ; elle ne fait quela specifier, la determiner ou t'orienter ; le principe

m^me de Tactivite, le moteur qui la met cn cxercice,

il faut le chercher ailleurs.

Est-ce la pensee de Plotin ?

Certains textes detaches pourraient, il est vrai, faire

croire a une simple causalite exemplaire, non qu'ils ex-

cluent absolument une autre interpretation, mais ils ne la

commandent pas. Par exemple III. 5. i. (I. 268') r\

(puOiq TTpoq t6 KaXov pXcTTOucra ttoi€T, la nature produit

en regardant vers le beau. — II. 9. 4. (I. 188*) : tt60€V

TOp TTOl€T f| il UJV €lb€V €K€T / €1 hi CK^ivUJV Ji€JLiVriJU€Vri

TTOi€T, ou6€ oXujg lv€ucr€. — Suivant quel modele Tamefait-elle le monde, si non d'apres les Idees qu'elle a

vues la-haut ? et si elle le fait en s'en souvenant, elle

n'a pas c incline » (c. a. d. elle n'est pas tombee dans

le monde sensiole) (').

Mais -les passages cites plus haut exigent davantage :

leur theme general peutetre ainsi resume :

Les etres naissent d'un principe qui contemple, en tant

qu'il contemple et parcequ'il contemple, parcequ'il se

(*) Cf. IV. 4 35 (IL 89^") : L'univers produit ces modifications dans

ses partie$ et cherche ie bien ou plutot le contemple : t6 b'6\ov

Kai ^v TouTcu^ |Li^v TaOTa TTOier, auTo be t6 dYa66v SrjTeT, |ud\\ov

b^ p\eTr€i. Mev-. hi, quelle cst la nature de cette correlation. ? Faut-

ii comprendre ; il produit en regardant } Simple concomitance ouactioh efficace ? — IV. 3.9 (II. 31 '.) L'ame en regardant rombrgqu'est la matiere, Ta informee : oTiep iboOaa n Hiuxn-- ^^<^P9waevaOT6.

r

I*:

Page 44: praxisettheoriat00arno.pdf

L*ACTION BST CONTEMPLATION60

61ACTION BT CONTBMPLATION

contemple lui-m^me et ne fait rien oubev TTpdTiei, par-

cequ'il reste (^ievei) concentre en soi, sans incliner audehors, sans se disperser.

Ainsi 1'ame nait de la contemplation des etres intel-

ligibles.

f) T€V€(T15 n ^Mn ^KCIVUJV oub^v TTpa^dvTUJV, d\y6v'

TUJV )i€i26vujv XoTUJV 'Kai GeujpouvTUiv uutou^, if\jj

. T€T€Vvnjuai III. 8, 4 — I. 335*.

(6 voO^) eauTov apa vouuv outuj TTpo^ auTip kqi

€i<; ^auTov Tfjv evepT€iav iffxei * koi t^P ^^ ti i^ au-

ToO, Tuj eiq auTov ev eauTuj V. 3. 7 -- II. 187*'.

Ainsi nait de TAme le monde corporel et sensible

represente comme une belle image objet de contempla-

tion, III. 8. 4 — I. S3S*''"

T€v6ja€Vov auTfj ^k toO ev auTfj Kai (Juv

auTfi ^eveiv Kai eeujpr|)aa eivai.ejuoO |Lifi Tpa<pou-crrj^ 9eujpou(Tri<; ^e, u (piaravTai ai Ttuv aujfidrujv

Tpamuai, ujaTTep ^KTTiTTTOucTai (III. 8. 4-I. 334"..)

En partant de la notion de cause exemplaire, et en

la soumettant a un examen critique, Piotin etait ame-ne a trouver dans la contemplation le principe formel

de l'action. Car comment se representer, par exemple,

Taction du demiurge ? II ordonne et fa^onne, il divise et

separe... A-t-il donc des mains ? Si de la metaphore on

veut degager Tame spirituelle, force sera d'accorder

que la Nature n'agit pas a Taide de leviers : bei 6^ Kai

t6 ^oxXeueiv dqjeXeiv ^k Tfj*; (puaiKfi^ iToifiaeujq (').

Mais, sans recourir a rintervention d^instruments et

d'organes dont n'aurait que faire un ^tre immateriel,

ne pourrait-on concevoirdu moins qu'une certaine con-

naissance du modele precede et dirige Texecution ? —Sans doute ; cependant c'est mettre encore une dis-

{*) III. 8. 2. — I. 332'=; cf. II. 9. 12. —I. 201 9 : oux ^hq ax t^X"

vai ^Tcoiei * OoTepai y<^P '^'n^ q^uaeuu^ Kai toO Kda^ou al T^x^ai.

r

tance entre le mod^le et Tagent, et placer par conse-

quent cet agent dans les conditions de Tespace et dutemps ; c'est introduire en lui la reflcxion, la delibera-

tion, ia succession et donc la multiplicite, autant d'in-

suffisances incompatibles avec une action parfaite (*J.

Chez les ^tres superieurs ou tout se simplifie, il nefaut pas imaginer de facultes distinctes se preparant le

travaii les unes aux autres, mais, dans l'unite d'un su-

jet qui n'a besoin, pour connaitre ou agir, d'aucun

determinant exterieur, une faculte de produire qui ne

fait qu'un avec Tacte de voir: c'est la contemplation

creatrice.

Essayons de serrer le probleme, en cherchant par

quels intermediaires Plotin est arrive a poser l'equa-

tion :

0€ujpia = TToiriai^.

I. D'abord c'est un principe de cette philosophie —on pourrait le prouver et d'abondance —

,que la fecon-

dite est un attribut essentiel de la perfection, si bien

que tout etre parfait en son genre necessairement

produit.

En effet, « nous voyons que tout ^tre arrive a sa per-

fection (ei^ reXeiujaiv) engendre et ne souffre pas de

rester en soi.., > Ainsi doit-il en ^tre a plus forte rai-

son de TEtre le pUis parfait (t6 reXei^TaTOv) : bei bf| ti

Kai dir' auToO T€V€a8ai (V. 3. 4 — II. 20 3 "). < Etant par-

fait..., rUn a produit autre chose. » (V. 2. i — II. 176*°).

De menie, le second principe produit orav €K€ivo jLidXiaTa

f| 6 l<Ji\ (V. 4. 2 - II. 204 "). Et ainsi de tous les

autres (').

{*) La deliberation, la premeditation cst consider6e par Plotin

comme une cause exterieure qiii rend l'action « neccssaire » dvaY-

Kaia \xiv ouv TaOTO, oaa Tipoaipeaei Kai Tuxai^ KpaG^vTO fiveTai.

Cf. III. 2. 2 - I. 227. 228.

(») cf. V. 3. 16; II. 9. 3, 8 — 1. 194«.

%

Page 45: praxisettheoriat00arno.pdf

62 ACTION ET CONTEMPLATION l'action EST CONTEMPLATION 63

2. Mais quand peut-on dire d'un dtre, qu^il est par-

fait, complet, acheve (leXeiov), qu'il est judXicrTa 6 ecTTi ?

Quand il a retrouve son unite, toute Tunite dont il

est capable par nature, car ^tre et unite sont corre-

latifs ou pour mieux dire deux faces d'une m^me rea-

lite, r^tre etant une trace de TUn (*), et d'autant plus

etre qu'il est plus un.

La question ne se pose donc que pour ce qui est

dans le devenir, et, comme tel, capable de perfection-

nement ; en devenir, donc materiel ; cet etre n'est

point parfait, parce que la forme en lui est amoin-

drie par le voisinage de la matiere : ib^ )Lifi TeXeiov t€-

vea9ai, f]TTUJ)uevou toO eibou^ (II. 3. 12 — 1. 143**;

cf. II. 3. 9 — I. 141'",'^); d'autant plus faible qu'il est

plus etendu dans la matiere (*). Diminue, il tend a se

completer; disperse, il cherche a se rassembler (I. 6.

5 — I. 89" ; separe d'avec lui-meme (dqpiCTTaTai "fdp

eauToO TTdv buaTd^evov, V. 8. i) il desire s'unifier.

< L'ancienne Nature et le desir du Bien pousse ve-

ritablement chaque chose a etre une, c'est a dire a

etre elle meme : elc; ev ovisuq dfei, xai em toOto aTreu-

b€i TTdcra 9uai(; eqp'eauTr|V.... (VI. 5. ir — II. 384'*);

car de tout etre multiple, eK ttoXXuuv fevoinevov, Tessen-

ce a besoin de s'unifier (beiTai ... auToO f) ouaia 'ev eivai

VI. 6. I — II. 399*). Aristote ne disait-il pas deja que

ce qui meut ranimal, ce n'est pas la forme qu'il pos-

sede, mais la forme parfaite et achevee c[u'il devrait

posseder pour realiser pleinement son essence ? (l)

3. Or, un etre refait son unite et se retrouve en

rassemblant ce qui etait disperse dans le monde de la

sensation (ou KexujLievov eiq aiaGncJiv, dXX'dv eauTUJ au-

n(M ujaT€ €ivai to eivai ixvo? toO 4v6; V. 5. 5 (cf. II. 508"') : o

sait que par une fantaisie etymologique Plotin fait deriver 6v de ev.

(*) V. 8. I — n. 2312'* : oouj iov eiq ty\v \)\r\v ^KT€TaTai, toolu

daOev^aTepov toO ^v ^vi in^vovToq.

(5) cf. Rodier. Notes sur le traite de TAme, ad I. 3. 406 b. 25,

p. 89.

-t

r

vriTM^vov I. 4. 10 — I. 75**) ; il est alors un etre

< recueilli », et la matiere ne mettant plus aucune

distance, aucune difference (eTepoTrjTa) entre le sujet

ct robjet de sa connaissance, un etre iout en soi ; c'est

a dire que, selon la formule, il est en acte de contem-

plation : ei jueviuv TTOiei Kai ev auTUj )li€vu)v eaTi Xoyo^g,

cTn dv auToq eeujpia (III. 8. 3 — i. ^SS'"*)-

L'etre qui pense, dit Plotin, S2 manqu-ait a lui-m^-

mc (dvbee^ Trpoq auTO 6v) ; il faut que par la pensee il

s'acheve : bei oijv... Tf\, . vonaei TeXeio0a6ai, il est alors

vraiment avec soi auvov eauTUJ (III 9 3 — 1. 350"-").

Tel est le desir passionne qui souleve et transporte

les veritables amants (01 ovtuji; epujTiKoi), qui sont

aussi, dit Plotin, les vrais contemplatifs ; ils desi-

rent se detacher de tout ce qui est coros, se recueil-

lir et s'unir a eux-m6mes, eauTOi(; auveivai... auXXe^d-

^€V0i auTOuq dTTO TU)V aiu)LiaTUJV (III. 9. 3 — I. 350^%'")

dans la contemplation. Et par la ils se gagnent (^).

Cest donc par la contemplation que tout etre con-

quiert son unite et assure sa fecondite en meme temps

qu'il consomme sa perfection. Productif parcequ'il con-

temple, car en contemplant il s'unifie et par suite

arrive a la plenitude de sa nature.

Geujpia et Troir|ai(; se rencontrent dans la perfection

dc Tetre, intermediaire et moyen terme qui permet de

poser leur equivalence.

Aussi les dieux du monde intelli^ible, n'ayant jamais

dispcrse leur etre jdans la matiere, mais toujours avec

eux-m^mes, tout en eux-memes. ne faisant qu'un avec

la contemplation de leur propre perfection (t6 6€UJpo0v

voO^, 6€ujpia Z^Ouaa) vivent dans Texercice d'une puis-

sance toujours active. Ceux qui se sont laisses tom-

(*j La contemplation est cette irapouaia ivoq dont Plotm dit

que de chaque etre elle comble rindigente multiplicite, iui con-

f^rant une certaine suffisance iroiei eKaoTov eivai Kai. . auTapKeq

Td TT\f|0O(; auToO Kai auTo (V. 3. 17 — II. 201").

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>'"T4l!S!«P»'p«»>"'|g'»)wt-'''

il

64 ACTION BT CONTEMPLATION

ber dans la multiplicite du monde sensible, sortis d*eux-memes et comme perdus, doivent cl'abord se rechercherpour retrouver dans la contemplation de leur uniteenfin reconquise, le principe d'une pleine activite.

Telle est, a son etat fort, la contemplation-action.Cependant, si le principe vaut qu'a la contemplationen tant que telle appartient le pouvoir de produire,ilfautque, m^me dans les hypostases inferieures, tout cequi produitsoit en contemplation et contemplation... plusou moins degradee, plus ou moins infeconde, suivantque Tunite deleuratre est plus ou moins developpee etdetendue.— Dans les Enneades la formule est universelle :

Tout est contemplation; nous allons en faire la preu-

ve en parcourant les divers degres de la hierarchie ploti-

nienne.

II. Tout est « contemplation »

I. Lc Premier Principe est-il « conteynplation » ?

Aristote, qui ne concevait rien de plus grand que

l'esprit, persuade que « la contemplation est la jouis-

sance supreme >, en deduisait que Dieu est rintelligence

toujours en acte, une pensee eternelle qui se pense eUe-m€-

me 6ternellement » (*) : sinon il serait « comme un hommecndormi » sans vie et sans dignite.

Plotin connait cette doctrine de la Metaphysique ('),

et ne la suit pas ; il pretend au contraire qu'on ne

peut identifier le premier Principe avec rintelligence

qui pense, — la pensee supposant necessairement une

dualite et decouvrant une inieriorite. Tout ce qui pense

en effet est pour ainsi dire en quete de soi-meme,

cherchant a s'unifier et par la convaincu d'etre incom-

plet, multiple, dependant, indigent, V. 4. 2 — II. 204*'';

V. 3. 13; III. 8. II... II s'ensuit que le Principe « qui

n'a pas ete engendre, qui n'a rien au-dessus de lui,

qui est eternellement ce qu'il est », se suffit a soi avant

toute pensee ('). II ne se connait point parcequ'il est

simple et il connait encore moins les autres etres : ou-

be Toi dWa bei auTov eibevai (*). Comment parler a son

sujet de « contemplation » ? N'est-il pas plutot le par-

fait inconscient, l'insensible, le statique pur ? Trans-

cendante et solitaire, sa preeminence meme le prive

de toute activite comme de toute influence rayonnante,

si bien qu'a ce sommet des etres la perfection semble

se confondre avec Tinertie, et la purete avec un efface-

r

(«) Arist. Metaph, XII. 7. 9.

(«) Enn. VI. 7. 37.

(3) cf. VI. 7. 37 (II. 470''-')» 38 (II. 47*").

(*) V.6. 6 — 11,32729,

w

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s

66 ACTION BT CONTEMPLATION

ment de tout attribut positif singulicrement proche duneant.

Aux textes de d6cider.

VII. V. 4. 2 — II. 204'»--- L'Intellig^ible dont procedele voO<; (diTO toutou toO votitoO 6 voO^ : il s'agit evi-demment du premier Principe), restant en lui-memeet sans indigence (ecp' ^auToO ^€Vov kqi ouk 6v ivbeit;)

tn^est pas comme insensible (ouk ccttiv oIov dvaiaeri-Tov), mais... il a tout a fait le discernement de lui-

meme (TrdvTn biaKpiriKOV ^auToO) : une vie est en lui ettoutes choses sont cn lui. II a (ou mieux : il est lui-

meme : cequi eloicrne toute multipliciie et touie composition)il est la comprehension de lui-mcme, quaccompagne unesorte de sentimeni dans une eternelle immutabilite, et unepensee, mais une pensee qui n'est pas celle du voO^(f)

^KaTavondi^ auToO auTo oiovei (Tuvai(Ter|(Tei oucra ^v

aTd(J€i dibiw Kai \or\ae\ ijlpax; f| KaTd Tfjv voO v6r|(Jiv).

Si quelque chose vient de lui tandis qu'il reste enlui-meme (MevovTO^; auToO ev auTiij), cela vient de lui,

precisement quand il est ce qu'il est : c'est parce-qu'il reste dans Tetat qui lui est propre que vient delui ce qui en vient (MevovToq oijv auToO ev tuj oiKeiuj

fieei i^ auToO ^tv t6 TivojLievov yiveTai, ^ievovToq 5e Twe-Tai). »

^

Cela est repete avec une insistance remarquable : Lafecondite de TUn n'entame pas son immuable perfection

;

cf. ce qui a ete dit du yovq: ei ti i^ auToO, tuj eiqauT6v 4v ^auTiIi (V. 3. 7. - H. 187 «'•••) Mais cette immuta-bilite n'est pas insensibilite stupide.

XLIII. V. 3. 10 — II. 192 «». < II faut que ce qui penseregoive une multiplicite et que ce qui est pense par-cequ'il est pense offre une diversite ; sinon, ce ne seraplus une pensee mais une espece de toucher, un con-tact ineffable et inconcevable, anterieur au voO^ (eiHi^mx olov ^Traqpn Movov (JppnTO? Kai dv6nT0(;, TTpovooO(7aouTTUJ voO t€TOv6to<; Kai toO eiTTdvovTO^ ou vooOvto^;). >

^ \

i

^ }

TOUT EST CONTEMPLATION 67

Telle est rapprehension que le Premier Principe ade lui-m^me : quelque chose comme un coup d'oeiltr^s simple sur lui-meme : dTrXn Tiq eTTiPoXn ot^Td» TTp6(;

auTo (XXXV. VI. 7. 38 — II. 472'*), un contact (oiov^TTaqpn), qui n'a rien d'intellectuel (voepov VI. 7 og _IL 473H), .

XXXVI. VI. 8. 16 - II. 500''. « L'Un se porte enquelque sorte vers ses profondeurs les plus intimes ei<;

t6 eT^Tuj oiov (pepeTai auToO, s'aimant lui-meme, puresplendeur, etant lui-meme ce qu'il aime, c'est a dire,se donnant Texistence, car il est un acte immanentfevepTeia Mevouora) et ce qu'il y a de plus aimable en lui

constitue une sortc de voO«;... II se regarde en quel-que sorte lui-m6me, et 1'etre qu'il a consiste en ceregard sur soi-meme : oiov TTpoq auT6v pXeTTCi Kai t6 oiov€ivai auTUj t6 TTp6? auTov pXeTreiv. II se fait lui-meme.

II est donc, non par hasard, mais ce qu'il veut ^tre(cf. VI. 8. 13). Que son inclination vers lui-m^me(veO(Ti(; TTp6^ auT6v), inclination qui est son acte, etque son immanence en lui-meme (iuovii dvauTi&)le fontetre ce qu'il est, c'est ce qu'on reconnaitra aisement,si on suppose un momeat le contraire. Car queDieu incline vers ce qui est hors de lui et il cessed'etre ce qu'il est. Etre ce qu'il est, voila son actepar rapport a lui-m^me ; lui et cet acte ne font qu'un :

il se donne ainsi Texistence, parceque Tacte qu'il pro-duit est inseparable de lui. » — Cet acte est unc actionvigilante (eTPnTop(Ti(;), supraintellection perpetuelle (uTTep-

voncTi? dei ouaa), par laquelle Dieu se fait ce qu'il est.

Ces textes jettent quelque lumi^re sur la vie intimedu Premier Principe ct la constitution de ce qu'onpeut appeler d'un terme impropre son < essence » :

il se regarde en quclque sorte...; il se connait doncd'une certaine maniere

; qu'on nomme cette connais-sance comme on voudra, c'est une espece de contem-

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pflj-

itji"

m

68 ACTION ET CONTBMPLATION

plation superieure ou sont supprimees les distinctions

et les distances de 1'intellection.

Telle me parait ^tre la pensee de Plotin, dans le 4^

livre de la V« Enneade (le VII* selon Porphyre) (*),

aussi bien que dans ceux de sa maturite V. 3 (XLIII),

VI. 7 (XXXV), VI. 8 (XXXVI), sans quHl soit necessai-

re dc recoiirir a ufte evolution^ qui, a en crdire certains

critiques, l'aurait conduit comme par etapes de la con-

ception du voO^ a celle beaucoup plus epuree d'un prin-

cipe ineffable, superieur a toute pensee.

Si Plotin, tel est Tavis d'un de ces interpretes ('),

affirmc souvent que le principe supr^me est intelli-

gible par rapport a rintelligence, si au livre VII (se-

lon le canon porphyrien) il demontre la necessite d'un

intelligible preexistant a l'intelligence, sans quoi l'in-

telligence ne pourrait < intelliger », deja au livre IX il

nous previent que tout ce qu'on dit de TUn est pure-

ment analogique, a partir du livre XXV, « l'illogis-

me > disparait de cet Un ineffable et intelligible pour-

tant par rapport au second principe, et au livre XXX,Plotin prouve positivement que le principe superieur

a l'intelligence, ne peut etre ni intelligence ni intelli-

gible.

Je ne crois pas pour ma part a ce perfectionnement

graduel de TUn se degageant peu a peu de tout con-

tenu intelligible : c'est une vue de Tesprit qui ne re-

pose pas sur les textes ; et la preuve en est qu'au li-

vre XXXVI, a un moment ou Tevolution, de l'aveu de

tous, devrait etre achevee, Plotin s'oublie encore a di-

re que ce qu'il y a de plus aimable dans l'Un est une

esp^ce de voO^: olov voO^ (VI. 8. 16 — II. 500*') (*), tan-

disque le livre XXX, qui devrait consacrer Texistence,

(•) Un ecrit de jeunesse ou du moins, puisqu'il commenQa a ecrire

vers 49 ans (vita c. IV), du debut de son activit^ litteraire.

(') J. CoeHEZ, Rcvue neo-scol. 1913. p. 302, ^o^.

(3) Par contre, des le livre IX^ (VI. 9. 6), il dlclare que TUn est

plutot v6r|ai(; que t6 vooOv, car il ne pense pas, mais il est la cai>

se qui fait penser.

TOUT EST CONTBMPLATION 69

au dessus du voOg, d'un Principe Premier, declare posi-tivement que cela a deja ete prouve bien souvent ebei-

XOn TToXXaxrj (II. 9. i - I. 184«').

D'un bout a l'autre de son oeuvre, bien qu'avec desformules plus ou moins heureuses (en un pareil sujet

qui iui en tiendrait rigueur .^), sa position est la meme ;

il est d'avis que tout ce qu'on dit de TUn est analogi-que et qu'il est par suite tres difficile d'en parler, im-possible meme d'en bien parler : quand on hasar-de a son sujet les mots de connaitre ou d'agir, il

faut bien se garder d'introduire en lui avec nos gros-siers concepts la multiplicite qu'ils enveloppent. II

se veut ; il se produit ; il est comme il veut : [jjc; GeXei

auTO^;, auTO? ecTTiv oijTo^; 6 ttoiiuv eauTov xai Kupio? eau-ToO (VI. 8. 15), et il n'y pas la deux actes distincts, caril est Tunite, une activite tres pure qui condense et

resume et de loin surpasse dans son infinie richessetoutes les puissances dagir, de comprendre, d'aimerque nous distinguons en ce qui n'est pas lui. II se fait

en quelque sorte : il se regarde en quelque sorte... et

ces deux actes n'en font qu'un, une uirepvoriCTi^, quiest une uTrepGeujpia, dans la simplicite d'un acte eter-nel, evepTeia jievoucTa. (VI. 8. 16 — II. 500'«).

La eeujpia, dit Plotin, est Xoro^; Troiaiv ev auTUJ \ie-

vujv, une activite qui se referme sur elle-m^me, sanstendre vers le dehors. Or une evepYeia juevouaa est

precisement cela, realisant a la fois et le concept d'ac-tion et celui d'immanence : veOaiq TTpo^ auTov... dv au-Toj... TTpb<; auTov. Est-ce encore une tendance ? Cestun mouvement, si Ton veut, mais qui n'est pas transi-

tif (dv auTUj) ; c'est une action immanente, mais uneaction pourtant (evepreia, erpnTopcTig) ; il faut en rete-

nir que pour Plotin la perfection, bien qu'immuable, est

un acte pur. Mevouo"a rappelle seulement que cette ac-tivite reste toute en elle-m^me, non pas inerte, maisimmanente, qu'on lui refuse les tares d'une activite com-me la notre, ebranlee par son proprc mouvement et

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i

1>

70 ACTION ET CONTBMPLATION

qui s'use dans son exerci^e, n'etant pas seulement

action, mais passion.

Cette immanence n'empeche pas le Premier Princi-

pe d'etre ractivite par excellence ; au contaire elle est

la condition de sa fecondite. Si TUn est le Bien, (le Bien

qui est diffusif de soi et la liberalite meme), ce n'est pas

a la pensee qu'il le doit, ni a Taction, mais a son im-

manence (^ovQ, i. 7. i — I. 97 '*) ; c'est parce qu'il n'a

pas disperse sa puissance d'agir au dehors, mais Ta

ramassee en soi, conservant ainsi dans leur integrite,

concentrees dans sa propre unite, toutes ses forces d'ex-

pansion et de production.

L'Un est Tactivite meme, Taction qui ne fait qu'un

avec la contemplation (*).

2. Le voO^ est contetnplation.

Toute chose arrivee a sa forme parfaite engendre

par le desir naturel qu'elle a d'arriver a la perpetuite

et de manifester sa bonte (V. 4. i ; V. i, 6). Suivant

Plotin, cela est vrai de tous les ^tres, a plus forte

raison du principe dont le nom propre est le Bien.

Necessairement il produit. II a une evepYCia beuiepa,

un acte second, manifestation de l'acte premier qui

le constitue. Or cet acte est, nous avons vu en quel

sens, € contemplation ». La contemplation intervient

donc comme principe formel de l'activite essentielle

sans laquelle il faudrait admettre dans TUn, ou unegoisme jaloux incompatible avec son excellence, ou

une impuissance radicale qui rendrait incomprehensible

la fecondite des ^tres issus de lui. Ell-; intervient non

(*) Un trait peut faire difficult6 dans la definition donnee plus

haut. « Comment, se demande Plotin, n'etant pas logos, TUn pro- ,

duit-il des logoi ? » — II n'est pas logos dans la mesure od logos

dit multiplicite, pas plus qu'il n'est « contemplation », si la « con-

templatioii » implique necessairement la dualit6 sujet-objct — II

possede la pcrfection du \6foq et de la 6€u*pia, sans aucune de

leurs insuffisances. (cf. V. 3. 16).

- /

i>

V

TOUT EST CONTEMPLATION 71

pas sans doute comme une cause exemplaire ou unecause finale, comme idee, comme but poursuivi, cequi supposerait en TUn, pense Plotin, avec la connais-sance de ce qui lui est inferieur, une certaine subordi-nation, mais comme une cause efficiente de la matiercintelligible, comme une contemplation creatrice.La surabondance de TUn produit donc autre chose :

t6 U7T€pTT\fipe(; auToO TTeTroinKev dXXo (V. 2. i), autrechose dXXo, ce neutre indetermine rend au mieuxla pensee de Plotin (cf. V. 3. i i — H. 193«, <«>). li

dit encore ^avTao^d ti (193'°), tuttov toO opdMaTO^(i93">*'), et par ces expressions moins exactes (*), il

marque du moins « la nature contemplative de cetteebauche, matiere intelligible dont on dirait aussi bienqu'elle est une forme vide, parceque ce qui lui man-que pour etre voO^, c'est I'objet qui la « remplissant >

la ferait passer a Tacte.

Cet objet, elle le trouve dans la contemplation, dontle role efficace napparait pas seulement dans la pro-duction de la matiere intelligible, mais complete encoreet paracheve cette matiere indeterminee, Le y/oOq estvision en acte, donc contemplation. La chose est claire

;il suffit, pour s'en convaincre, d'ouvrir les Ennea-des.

V. 3. II — II 193'/*••• « Quand le second principesort du Premier, il n'est pas voOq, mais une vue quin'est pas encore entree en acte ( 6>i^ outtuj iboOcrace n'est qu'apres s'etre retourne vers TUn et avoirtrouve en lui son objet, qu'il devient une vue quivoit

; et alors il est voO(;, tandis qu'auparavant il n'e-

(*) Ce langage est moins exact. Plotin dit en effet : quand levoOg sort de I»Un, il emporte en soi comme une empreinte de iacontemplation. Or a vrai dire, ie meme passage l'affirme en ter-mes cxplicites, ie voO^ n'existe pas encore alors ; ujppLr\ae }jiiv in'aCiTO oux ihq voO? (193»,'). H ne devient voO? qu'apres avoir saisii'Un XapOiv bi ifivero voO? (193'", *»).

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72 ACTION ET CONTEMPLATION TOUT BST CONTEMPLATION 73

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Sl

tait que tendance et vision indeterminee {ovTijjq tvou^

eibev auTO, Kai t6t€ eYeveTO iboOaa 6i|;i<;. toOto be r\hr\

voO(;, 0T€ €X€i Kai ihq vovq Ix^i : rrpo bk toutou eqpecTi^

fAOVOV Kai dTU7TUJT0<; 6i|Ji<;). Le voO<; s'est elance vcrs

l'Un et l'ayant saisi, est devenu voO^. II est esprit,

^tre, et pensee, des qu'il pense ; auparavant il n'etait

ni pensee, parcequ'il ne possedait pas l'intelligible, ni

intelligence parcequ'il n'avait pas pense (y€v6)U€V05 Kai

voO^ Kai oucria Kai v6r|0"i^, ot€ €v6r|CT€ * iTpo y«P tou-

Tou ou v^ho^k; t^v t6 vohtov ouk ^x^v, oubevoO^ ou-

7TUJ v6T]0"a<;). ^

Cest donc le fait de penser qui determine le voO^ :

il n'est le voO<; que quand il s'est, par la contemplation,

approprie son objet intelligible (')

III. 8. II — I. 344" : « Puisque le voO^ est vision,

vision en acte (6i|ji<; ti<; Kai 6i\i\(; opujaa), il est unepuissance passee a Tacte ; il y a donc en lui mati^re

et forme, comme dans la vision en acte^ (f| KaT* dv€p-

T€iav 8pa(Ti^), mais matiere intelligible. ... La vision

(opacTi^) re^oit de Tobjet sensible sa plenitude (f| irXri-

pujm^) et comme son achevement {f\ olov TeXeiujCi^) ;

mais la vision du voO^, c'est le Bien (to dYa06v) qui

la remplit (t6 TrXripoOv)... Le voO<; a besoin du Bien

...En atteignant le Bien, le voO<; prend la forme duBien (dYa9o€ibe<; TiTV^Tai), il s'acheve (T€X€ioOTai) par le

Bien.., c'est une trace de lui-meme que le Bien imprimedans le voO^ qui le contemple CevopiuvTi). Le voOq

desire sans cesse et sans cesse obtient ce qu'il desire. »

S'il cessaii de rcgarder vers VUn, il cesserait d^ctre voO^:voO<; ... TTp6<; ^KeTvo, iva \} vou^ (V. i. 6 — II. 169*" ; cf. VI.

7. 37- II. 471''')

Le voOq est par essence ce qui contemple : t6 t«PeeujpoOv, voO<; (III. 9. I — I 346'*)

(*) La « contemplation » est ainsi cause <ie la multiplicitd, necessaire

suivant Plotin, k la pensee : r\ hk Geujpia aiTia toO qpavnvai auTd

TroWd, Vva vor\(5y\ (VL 2. 6. — II. 3062G) — cf. H. F. Muller (Her-

mes 48. p, 420)

<v

"EcTTi Tap n vono"!^ opa(Tiq opoiJa (V. r. 5 — II.

168'^)

VI. 7. 37 — n. 471** : Cest a Tdtre qui vient d'un

autre que nous accordons la faculte de penser,

de chercher pour ainsi dire son etre propre et soi-memeet celui qui Ta fait, et en se tournant vers lui dansla contemplation, en le connaissant, de devenir voO<; :

Kai dTTKTTpaqpev ev Tr) Oea Kai Yvujpicrav voOv f|br| biKaiuj^

€ivai.

V. 3. 6 — II. 185'. Le voO<; en se tournant vers lui-

meme (eTriaTpeqpuJV €i<; eauTOVJ voit et les etres qui sont

en lul et lui-meme. En voyant il est en acte, et il estlui

meme cet acte^ car le voOq et la pensee ne font qu^un : id

Totp ovTa opujv ^auT6v eiupa Kai opujv evepT^ia iiv Kai f)

evepTeia auT6<;- voOq Totp Koi v6riai5 ^v. Cf. V. 3. 5 : la

contemplation doit etre identique a ce qui est contem-ple et rintelligcnce a rintelligible : 5ei Trjv 0€ujpiav TauT6v

€ivai TLp 0eujpr|TUJ Kai t6v voOv TauT6v eivai tuj vorjTUj.

V. I. 7. Le Premier Principe n'est pas voO^. Com-ment engendre-t-il donc ie voO^ ? Cest qu'tf« se iour-

nant vers liti (Volkmann : Trpo^ auTO — var : Trp6<; auT6),

il voit, ei la vision meme est le voO^ : n be opaci^ avjTrj

V0O5.

^De ce texte et des precedents ressort que le voO^

est vision et que cette vision ou contemplation n'est

pas une tres simple intuition comme dans le cas de

rUn, mais le resultat d'une reflexion eTTiCTpoqpri. Lanature de cette refiexion ne se degage pas aussi clai-

rement. II semble m^me, si l'on isole le texte qui nous

occupe, que le voO^ n'est autre que le premier prin-

cipe faisant retour sur soi-meme ; c'est l'Un qui de-

viendrait voOq. On a demontre que cet evolution-

nisme, en introduisant le devenir dans TUn, ebranle-

rait le fondement de tout le syst^me. D'ailleurs le contex-

te dit assez la distinction des divers degres, et que l'Un

n'est pas voO<; (ou voO^ eKcTvo II. 169"), et que le voO?

n'est qu'une imagc de TUn (eiKova 5^ €K€ivou civai

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74 ACTION ET CONTEMPLATION TOUT EST CONTEMPLATION75

XeroMev tov voOv II. 169"), qu'il est engendre (T€vvui|U€-vov) par rUn, qu'il lui ressemble et par consequent nese confond pas avec lui.

II faut donc comprendre ce passage (que son tourelliptique rend obscur), dans le sens de la doctrine or-dinairement exposee par Plotin : le Premier Principeproduit le second, qui, au moment ou il en sort, n*estpas encore determine, mais se determine en se retournant(vers soi-m^me ? ou vers l'Un ?), et en voyant, car levoOq est la vision meme.

III. 7.6 — I. 316«..: 10 Totp toOto Kai outuj ju^vovKQi auTo t6 MevovocOTiv dvepT€ia lijjr\q Mevouon^TTapauTfi^; TTp6(; ^KeTvo Kai ^v eKeivuj.

II s'agit de < la toute belle et eternelle nature > de1'Espnt (ibid. I. 315»'-"), acte d'une vie qui ne s'ecouIepas, mais qui demeure en soi, tout en restant orienteevers son principe et fixee en lui .. : Trepi t6 ev Kai dTT^eKei-vou Kai Tipo^ eK€ivo, oubev iKPaivouoa dTr'auToO, juevou-oa 5e dei Tiepi eKeivo Kai ev eKeivuj Kai Iwaa k^t' dKeivo(1-315"..)

On ne peut marquer avec plus d'insistance ce doublecaractere de Tactivite de TEsprit : et qu'elle ne se re-pand pas au dehors (juevouaa), et qu'elle est toute en-tiere tendue dans la contemplation et le desir du Prin-cipc supr^me (TTp6^ eKeivo), Le texte precedent, en nousmettanten mesure d'opter entre ei^; auTO et €i<; auTo, adeja pose le probleme : Est-ce vers soi-meme ou versson principe que le voO? se tourne dans la contemplation ?—

-Cest a la fois vers soi-m^me et vers son principe.Comment ces deux caracteres ne sont pas incompa-

tibles, il suffira pour le montrer de rappeler ce qui a cteetabli ailleurs (*), que le Principe n'est pas * un de-hors » pour ses cffets, mais au contraire leur interieurle plus intime, et que tendre vers lui ce n'est pas sortir de•oi. Aussi le mouvement «en haut» et le mouvement «vers

(*) Cf. Le d^air dc Dieu dans la philosophie de Piotin p. 163...

le dedans » ne sont-ils pas divergents. Ils sont un m^meregard, dans lequel Plotin distingue deux formalites,de meme quMl distingue quelquefois I'Etre et le voO(; :

f) M€v TTP65 ^KeTvo (TTdoiq auToO t6 6v ^TToincre, n bkTTpbqauT6 e^a, t6v voOv. 'ETrei ouv lOTn ixpbq auT6 'iva 1613,

OMoO voOg TiTveTai Kai 6v. (V. 2. i — II. i 76*^).

Quand on dit que la contemplation est cause duV0O5 et qu'il existe par elle, faut-il coniprendre que lapensee est cause de l'etre ? - Soit, mais au memetitre ni plus ni moins, que l'etre est cause de lapensee Ils sont correlatifs, produits simultanement parune m^me causc et n'existant dans le voO^ que parleur mutuelle opposition.

V. I. 4 - II. i66' : Le voO^ est parcequ'il pense

;

r^tre est, parceque, pense, il fait ^tre et penserle V0O5 — 6 juev voOq KaTd t6 voeTv ucpicrTd(; t6 ov,t6 5e 6v TUJ voeTaeai tiu vuj 6i56v t6 voeTv Kai t6 €i-

vai • ToO 6e voeTv aiTiov dXXo, Kai tui ovti. 'AjucpoTepujv

ouv d^a aiTiov dXXo- djua juev Tdp eKcTva, Kai auvuTrdpxeiKai ouK dTToXeiTT€i dXXnXa... ils forment une unite a euxdeux, et ne peuvent se manquer Tun a Tautre ; ils

existent l'un par Tautre ; 6)uo0 voO<; TiTveTai Kai ov.

La « contemplation » est le type de Tactivite imma-terielle, du voO(; par consequent. Plotin ne dit-il pasqu'il est logos par excellence Xoto? TeXeio? VI. 2. 21— II 323", qu'il ne produit qu'en restant tourne verslui-mtoe, en lui-m^me (V. 3. 7) ? Xoto^ juevwv — con-templation par consequent, « non pas objet de con-templation dans un sujet, mais contemplation vivanteetujpia l(uaa > (III. 8. 7). II est, pour ainsi dire, la con-templation en personne.

3. Lc mondc dcs Amcs ct la contcmplation.

V. I. 6 (II. 169') : L'ame est un logos obscur (djuubp6^

6 XoToq) ; image du voO(j, elle doit contempler le voO^

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76 ACTION ET CONTBMPLATION

m -

1

i- ii

1-

I.

«

(€1^ VoOv pXerreiv bex), comme celui-ci doit pour dtrevoOg (Yva r} voOq) contempler rUii.

V. I. 3 (II. 164^**) : L'ame regoit son hypostase duvoOq : elle devient le logos en acte (6t€ evepxeia Xoto^;)

quand elle voit le voO^. En effet, quand elle fixe sonregard sur le voO^ (orav rap ^vibr) eiq voOv), de sonfond apparaissent et comme lui appartenant ses pen-sees et ses actes (evboGev Ix^i Kai oiKeia, d voeT Kai

^vepTei).

III. g. 2 — I. 348*« : L'ame particuliere (f) laepiKn)

est eclairee quand elle se porte vers ce qui est avantelle, car alors c'est Tetre qu'elle rencontre (ovti Tap^VTUTXavei).

« Se porter vers », pour un ^tre immateriel, c'est

« contempler » ; il y a coincidence entre la < vision > etle € desir de voir x> ; lcpeaxq ^ap o^ie^xx; opacri^ (V. 6. 5)— « Etre eclaire », c'est < passer de la puissance aTacte » *.

III. 9. 3 : L'ame est avec le voO^ dans le meme rap-port que la vue avec l'objet visible ; mais eile est

une vue indeterminee qui, avant de voir, est disposeea voir

; ainsi elle est avec le voOq dans le rappoitde la matiere avec la forme (I. 349*»).

L'ame doit donc sa naissance a la contemplation

;

elle est ame en acte, quand elle regarde le voOq.Cest alors qu'enrichie d'un reflet intelligible qui Te-claire et la fait sortir de Tetat de puissance (voepdv

^TTOiTiaev (6 voO(;), toOto b'^aTiv di^ioiujcrev ^auTiD tuj dvwqpuiTi V. 3. 8), elle arrive a la perfection de sa natureet devient capable a son tour, etant parfaite, d'en-

gendrer.

Comment il faut comprendre cette fecondite, Plotin,

pour prevenir toute imagination materialiste, prend soin

(*) Cf. Lc desir de Dieu dans la philosophie de Plotin ch. II.

n.4, la genese du voO? ; et ch. V. n. 3 le passage de la puissancei, Tacte.

TOUT EST CONTEMPLATION 77

de le dire (III. 8. 2 — I. 332") : « La nature (c*est-a-dire

' l'ame universelle) ne travaille pas comme les artisans

au moyen de leviers et de machines ; d'ailleurs memequand Its artisans travaillent, il faut que quelque cho-

se reste en eux sans changement : le principe qui par

l'intermediaire des mains produit et travaille (bei Ti ev

auToT^ ILieveiv, KaB' 6 iuevov 6id x^iptuv TTOincTouai... 333*),

ainsi en est-il de la nature : il faut que reste sans

changement la puissance qui ne se scrt pas de mains

pour produire, jueveiv bei dvTaOGa Tr)v buvaiuiv Tfjv ou

bid x^ip^v TTOioOcTav Kai Trdaav jLieveiv, il faut qu'elle

reste toute entiere. — Ce qui produit dans les ani-

maux et les plantes, ce sont les logoi ; la Nature est

un logos qui produit un autre logos, qui communiquequelque chose de lui-m^me tout en restant lui-meme :

Tfjv q)ucriv eivai Xotov, bq TroieT Xotov dXXov, Tcvvr|)ua

auToO bovTa )Liev ti tuj uTroKei|uevLu, juevovTa b'auT6v.

Un logos qui produit (TTOieT) en restant tel apr^s

qu'avant est une contemplation. Telle est la Nature

ou Ame du monde.

Cf. XXX. II. 9. 2, un texte dont il a ete question

deja, ou l'Ame apparait ordonnant et fa^onnant Tunivers

sans sortir de soi ni de la contemplation du mondeintelligible, sans se donner de mal : iueivaaa. . . Iv tuj

KaXXicTTLU... dTTpaT|u6vuj(;... Tfj dc; t6 TTp6 auTn^ 0ea.

III. 8. 4 : La Nature contenant paisiblement en soi

sa contemplation ficruxrj ^v ^auTf) Geujpiav exoucra, par

cette connaissance, par cette conscience, a vu ce qui

est apres elle, comme cela lui est possible, et sans

chercher davantage, elle a acheve de produire un ob-

jet de contemplation brillant et gracicux : Tfj (TuvecTei

TauTri Kai cruvai(Tef|(Tei t6 jueT' aurfiv eibev, ibq o!6v Te

auTf), Kai ouKeTi eZ!f|Tr|crev, dXXa 0eajpr|)ua dTTOTeXeaacra d^-

Xa6v Kai xo^Pi^v. Cest en le voyant qu'elle « acheve »

le monde sensible : il est le produit de sa contemplation

(III. 8. 4 - I. 334").

Contemplation qui ne peut 6tre egalee pourtant a celle

Page 53: praxisettheoriat00arno.pdf

78 ACTION ET CONTEMPLATION TOUT EST CONTEMPLATION79

\

du voO^. Plotin compare la connaissance ((TuvedK;) et laconscience (auvai00n(TiO de la nature a celles d'un hom-me endormi. < EUe se repose dans la contemplation deson objet, qui lui est venu de ce qu'elle demeure enelle-meme. 'de ce qu'elle est objet de contemplation etde ce qu'elle contemple sans bruit mais plus faiblement

"

eeuip^uaa yap Geu^pnMa auTn? dvaTraueTai, Tevoiuevov auTn^K Tou ev aurn Kai auv aurri ^eveiv, Kai GeiupnMa eivaiKai eeiupia a>o<po5, dMubpoTepa 6e. » Elle n'cst en eftetque i'image (eibiuXov) d'une autre contemplation (eeiupiacidont la puissance d'intuition (eea) est plus grandeC est pourquoi ce qu'elle a engendre est tout a faitdebile, car une contemplation debilitee pioduit un objetde contemplation debile (daeevoOaa eeiupia daetve? Beui-pnMoi TTOiei;. Tandisque « ce que le voO<; contemple Kaeo-pa, comme dit Platon, il ne le contemple pas dans unautre, mais en lui-meme, parcequ'il poss^de les intel-ligibles. (III. 9. I _ I 34^«), ^^„^-3 q^,^j ^^OTi auTO^ (V. 3. 6 - II. 185«), parcequ'il voit ce quiest en lui et que ce qui est en lui est lui-meme, etque ne laisant qu'un avec son objet c il poss^de salumiere en propre » comme le soleil (V. 6. 4), Tame, ellene se pcnse qu'en tant qu'elle depend d'un autre 'pnn-cipe {f] uev rap ipuxn ^voei eaurnv, 8ti dXXou. V. 3. 6— II. 1S5»/), en tant qu'illuminee par la lumiere duvou^ (V. 3. 8) comme la lune par le soleil, elle en re-9oit une coloration intcllectuelle, un voOq d'emprunt(V. 6. 4». Par elle-m.eme elle n'a pas assez de lumi^repour voir, 5i6 oube pXeirei (V. 3. 8 — II. 188'«)...

Toutes les ceuvres de l'Ame sont-elles egalement< contemplation » ? c'estle lieu de revenir sur un textedifficile, d'ordinaire mal interprete.

«

III. 8. 4 (I. 336 *•): < Partout nous trouverons que Tac-

tion dans sa double acception TioincTK; et TipaHiq est im-puissance de contempler ou accompagnemcnt de la con-templation

; impuissance, quand il n'y a rien d'autre dcontempler que ce qui est fait ; accompagnement, pour

j

qui peut contempler, avant que l'effet soit produit, unobjet meilleur. »

Je traduis: impuissance de contempler, et non c af-

faiblissement de la contemplation » (comme M. Bergson),c'est le sujet qui est en cause et ses mauvaises disposi'tions. Le contexte le prouve (335 *«)

: dvepujTTOi, oTavdaeevncTujcTi ei^ t6 eeujpeiv.., Tnv TrpdHiv TioioOvTai.Cest faiblesse d'ame (daeeveia vpuxnq) ; ne pouvant per-cevoir 1'objet pir les seules forces de resprit, et de-sirant pourtant le voir. ils se livrent a Taction eiq Trpd-Hiv (pepovTai. Ainsi font les enfants mal doues (336»).Dans ce cas, ne voyant rien s'ils n'agissent pas, ils

agissent pour voir quelque chose, car meme en'

euxdemeure le voeu de la nature, vOv eedaaaeai TToeoOMev,ei TTri buvarov (V. 5. 4. — II. 210 % le desir de savoir,'disait Aristote, le desir de voir, pense Plotin ; et ilsne voient que ce qu'ils ont fait : MH&tv M€Td t6 'Trpaxeev.Noter le mot Tipaxeev.

Accompagnement.. ou resultat : TiapaKoXouenMa, c'estmaintenant le cas de la contemplation-action. Ici ce n'estpas Teffet que Tagent contemple : il a mieux a rcgar-der... avant tout effet. Pouvant voir l'exemplairc danssa verite, il ne fait pas attention a Timage, produit dela contemplation. Plotin dit TToineev.Ce passage reprend la distinction TTOineev — Trpaxeev,

la TTpdSi^ etant impuissance de contempler. EUe n'estdonc pas contemplation .? — Ce serait trop dire, car onht dans le meme livre, au meme passage, quelqueshgnes plus haut (III. 8. 4 - I. 335 '0 : * Les hommestrop faibles pour contempler (ei? t6 eeuipeiv) « font deTaction*, qui est ombre de contemplation (aKidv eeuj-piaq Kai XoTOu Tnv TrpdHiv TTOioOvTai). Ne pouvant en effeta cause de la faiblesse de leur ame s'elever jusqu'ala contemplation et se rassasier (Kai 6id toOto ou TrXn-pouMevoi), desirant cependant voir, ils se portent a Tac-tion dans le but de voir ce que par les seules forcesdel'esprit ils ne pouvaient pas (ei<; TrpdHiv (pepovrai, \'vaTbuiaiv Mn vuj ebuvavTo).

Page 54: praxisettheoriat00arno.pdf

\f

-I

mi

80 ACTION BT CONTEMPLATION

La TTpaSiq est donc elle aussi uii moyen de voir, « une

ombre de contemplation » ! qu'on se rapporte a ce qui

a ete dit plus haut et Ton verra combien les principes

ont a souffrir de cette concession ; car, si on opposait

alors Troiricn<; et TrpdHi^, c'etait sur ce fondement que

la TTpdHi? n'est pas contemplation — Or voici qu'aux

memes passages (il ne faut pas parler d'evolution), on

dit que la npah<; est, en un sens, a la rigueur, con-

templation.

Que conclure? Que Plotin n'est decidement pas rhom-

me des categories etanches, et puis, qu'il y a contem-

plation et contemplation (*), la contemplation propre-

ment dite, et les autres qui ne sont telles que par ana-

h gie et participation ('). Tout ce qui n'est pas pur non-

etre,si degrade soit-il, est contemplation ; de meme toute

action, meme la plus repandue a l'exterieur, car elle

lend a produire quelque chose, donc un forme, donc

un objet de contemplation.

(*; cf. III. 8. 5 (i. 337*) : dvdYKri daGeveax^pav iuev ^repav ^i^paq

eivai, Trdaav bt Geiupiav ijjare ttiv Kaxd rrjv Geuupiav TipdSiv bo-

KoOaav eivai Tr|v daGeveaTdTriv Geuupiav eivai.

(-) La TTpdEi^ est eeuupia et elle ne Pest pas ; car un trait dis-

tinctif dc la « contemplation » est qu'elle ne regarde pas vers Tex-

tcrieur — Or Flotin rapproche justement updEiq et ri IHuj6ev Geui-

pia : cf. III. 8. 5 (i. 337 '") : « Toute chose se produit sans bruit,

car il n'est pas besoin de rien de sensible ni de contemplation

de rexterieur ou de irpdEK; (on junb^v ^ucpavoO^ Kai T?\q

^Huj0ev eeuipiaq fi iipdteiuc; beiTai). Bouillet traduit (t. II. p. 218).

Toutes choses procedent donc silencieusement de TAme, parce

qu'eiles n'ont besom ni de contemplation, ni d'action exterieure et

visible ». Je ne vois pas comment cettc traduction, assez libre,pcut

s'accorder avec le prinipe deneral que toutes choses desirent la

coniemplation et y tendent — Je suis porle k voir unc tquivalenc«

cntre f] lEmeev Oeujpia et irpdHK; (Plotin ne dit-il pas aussi que la

TTpdEK est aKid eeuipia? ?), ct a comprendre quc la nature, quand

elle produit les choses, n'a pas recours a cette contemplation de

bas ^tage, action bruyantc ct dependante du sensible.

III. La contemplation, fln de raction.

Kai TTpdHi? naaa ei? eetwpiav Tqv (JTTOubfiv h^\

(IIL 8. I - 1.332**-*')

Tous les etres, dit Plotin, desirent la contemplation ;

c'est vers cette fin qu'ils regardent, meme les animaux

sans raison, meme les vegetaux et la terre qui les en-

gendre, et tous y arrivent Kae'o(Tov diov t€ auTOi? ;

ils y arrivent et contemplent de diverses manieres dX-

Xa dXXuj(;, les uns en verite, les autres ne recevant

qu»une imitation et une image Ta ^iev aKr\Qw^, Ja bi

|u(|nncyiv Kai eiKOva toOtou Xa|npavovTa. (III. 8. i - I.

^31*'...)

Ce que nous disons semble un « paradoxe > (332*),

un badinage (331", 33^^). ^ais ce badinage njest-ce

pas encore une contemplation ? dp'oOv Kai f]m<; Trai-

lovjic; iv tA TiapoVTi eeu)poOM€V ;Tout badmage com-

me toute occupation serieuse a en vue la contempla-

tion (eeujpiaq ?veK€v) ; toute TtpaHi^ meme fait effort

vers la contemplation, Tune necessaire et tirant

davantage la contemplation (eewpiav) au dehors (Tipo?

t6 IHw) rautre dite spontanee et la faisant moms sor-

tir de soi, mais venant elle aussi d»un desir de con-

templer lcpecrei eewpia^.

Le m^me th^me est developpe longuement un peu

plus loin III. 8. 7 - 1.339^ Mtoe les « actions » ont

pour fin de connaitre, Kai ai TrpaSei^ t6 TeXo<s ^xouaiv

€t^ tvu/CTiv... racte d'engendrer qui a son origme dans

la contemplation tend a produire une forme, un autre

obiet de contemplation (dTT6 eetupia? ei? d7T0TeXeuTTi(Tiv

etbouq Kai eeujpnMaToq dXXou)... ; la pensee discursive

(al btavonaeiO.... la sensation (ai aiaer,aei?) ont pour

fin la connaissance. De meme, la Nature. Car il estI

I

4'

Page 55: praxisettheoriat00arno.pdf

Nl ':

80 ACTION BT CONTEMPLATION

La TTpdHi^ est donc elle aussi un moyen de voir, « une

ombre de contemplation » ! qu'on se rapporte a ce qui

a ete dit plus haut et Ton verra combien les principes

ont a souffrir de cette concession ; car, si on opposait

alors 7Toir|(yi<; et TTpdHi<g, c'etait sur ce fondement que

la TTpdSi^ n'est pas contemplation — Or voici qu'aux

memes passages (il ne faut pas parler d'evolution), on

dit que la iTpdHi^ est, en un sens, a la rigueur, con-

templation.

Que conclure? Que Plotin n'est decidement pas rhom-

me des catei^ories etanches, et puis, qu'il y a contem-

plation et contemplation (*), la contemplation propre-

ment dite, et les autres qui ne sont telles que par ana-

1< gie et participation (^). Tout ce qui n'est pas pur non-

etre,si degrade soit-il, est contemplation ; de meme toute

action, meme la plus repandue a l'exterieur, car elle

lend a produire quelque chose, donc un forme, donc

un objet de contemplation.

{*) cf. III. 8. 5 (i. 337*) : dvdYKr) daBeveax^pav juev ^xepav iT^paq

eivai, iTd0av b^ Geuupiav lijaxe ttiv Kard rriv Geiupiav irpdEiv bo-

KoOaav eivai ty]v da6eveaTdTnv Geuupiav eivai.

(-) La irpdSK; est Geujpia ct clle ne Test pas ; car un trait dis-

tinctif dc la « contcmplation » est qu'clle ne regarde pas vers Tex-

tcrieur — Or Flotin rapproche justement TTpdHK et f] eEuj9ev Oeui-

pia : cf. III. 8. 5 (i. 337 '") : « Toute chose se produit sans bruit,

car il n'est pas bcsoin dc rien de sensible ni de contemplation

de rexteneur ou de TipdSi^ (oti iuTib^v ^iucpavoOq Kai Tr\q

lEujeev Geujpiaq f\ irpdteuj? beiTai). Bouillet traduit (t. II. p. 218).

Toutes choses procedent donc silencieusement de l'Ame, parce

qu^elles n'ont besom ni de contemplation, ni d'action exterieure et

visible ». Je ne vois pas comment cettc traduction, assez libre,pcut

s'accorder avec le prinipe general que toutes choses desirent la

conlcmplation et y tendcnt — Je suis porle d voir unc tquivalenc«

cntre f] llvjQey/ Gewpia et irpdHK; (Plotin ne dit-il pas aussi que la

'•n:pdsi(; est OKid Geuipia? ?), ct a comprendrc quc la nature, quand

elle produit les choscs, n'a pas recours a cette contemplation de

bas ^tage, action bruyante ct dependante du sensible.

—^.^^

III. La contemplation, fln de Taction.

Ktti TTpdHi? TTdcra el(; Geujpiav liiv (TTTOubnv Ix^x

(IIL 8. I - 1.332**-*')

Tous les etres, dit Plotin, desirent la contemplation ;

c'est vers cette fin qu'ils regardent, meme les animaux

sans raison, meme les vegetaux et la terre qui les en-

gendre, et tous y arrivent Kae'6(Tov dioy t€ auTOK; ;

ils y arrivent et contemplent de diverses manieres dX-

Xa dXXuu?, les uns en verite, les autres ne recevant

qu'une imitation et une image Td ^ev dXneuj?, Ta bfe

)x\\x\\a\v Kai eiKOva toOtou Xa^pdvovTa. (III. 8. i — I.

031*'..,)

Ce"que nous disons semble un « paradoxe > (332*),

un badinage (331", SS^')* ^ais ce badinage njest-ce

pas encore une contemplation ? dp'oOv Kai fmei? TTai-

lovTic; iv TUJ TTapovTi eeujpoOMev ;Tout badinage com-

me toute occupation serieuse a en vue la contempla-

tion (eeujpiaq 2veKev) ; toute TTpdHiq m^me fait effort

vers la contemplation, Tune necessaire et tirant

davantage la contemplation (eeujpiav) au dehors (Trpo?

t6 IHuj) Tautre dite spontanee et la faisant moms sor-

tir de soi, mais venant elle aussi d'un desir de con-

templer ^(pecrei eeujpia^;.

Le mtoe th^me est developp6 longuement un peu

plus loin III. 8. 7 - 1-339^ Meme les c actions » ont

pour fin de connaitre, Kai al TTpciHei^ t6 TeXo? IxoucTiv

eU Tvu^criv... Tacte d'engendrer qui a son ongme dans

la contemplation tend a produire une forme, un autre

obiet de contemplation (dTTO eeujpia? ei<; dTTOTeXeuTncTiv

ttbouq Kai eeujpriMaToq dXXou)... ; la pensee discursive

(ai biavoncrei^)..., la sensation (ai aicrencTeiO ont pour

fin la connaissance. De meme, la Nature. Car il est[

J

Page 56: praxisettheoriat00arno.pdf

8a ACTION BT CONTEMPLATIONLA CONTBMPLATION FIN DB L^ACTION

m

evident que les premiers principes etant en contempla-tion, tous les autres devaient y aspirer, car le prin-

cipe de toutes choses est aussi leur fin : ujq dvaYKmov f^v

Ta»v TTpujTUiv ^v 8€ujpi« ovTUJv, Koii Toi dXXa TTdvTa icpka-

eai TOUTOu, eiTTep xeXoq aTracriv f) dpxn.

Ce desir n'est que la manitestatiDn de runiverselle

finalite qui tend toutes choses vers leur commun prin-

cipe (*) ; toutes, elles ont re^u, avec leur etre, une orien-

tation vers ce principe, orientation qui est en memetemps un appel a se completer, a se parfaire. a s'elever,

or ayant toutes plus ou moins une nature contempla-tive par le fait du logos qui les constitue, c*est en< contemplant > qu'elles s'ach^vent, si bien que toutes

leurs demarchesvers Tachevement de leur etre sont efforts

vers la contemplation et la contemplation est cet ach^-vement m^me(').

Quand les animaux engendrent, ce sont les logoi qui

du dedans les mettent en branle (oi Xotoi ^vbov 6vt€^

Kivouai). Tout cela est acte de contemplation, en malde produire beaucoup de form^es et beaucoup d'objets

(*) cf. III. 8. I — I. 331", «s ou il est dit que tous les etres

d^sirent la contemplation et regardent vers cette /in rcdvxa Betjjpiat;

^qpieaeai kqI eiq t^Xo? toOto pX^-rreiv.

• (') Cette observation permet de fixer le scns du mot dTTOT^eaina(qu'on remarque sa parente avec tAo?) ; cf. III. 8. 4 (I. 335». «),

La nature, en voyant, « ach^ve » un objet de contemplation brillant

et gracieux. 06djpr||ua dTTOTeXdaaaa &YXaov nal xctpi^v. Cest le

monde, — III. 8. 7 (I. 339««) ; i^ cpOaig t6 eeujpriMCt t6 ^v atJTQ

(pour Plotin, le monde est dans TAme, comme tout cst dansrUn) . . TTOiei aXXov Xotov diroTeXoOaa. — III. 8. 7(1. 339*^) xalal Yiv6|aevai uTroaTdaeK; |ui|uriaei<; 6vtujv ouaai (tA) TroioOvTa beiK-

vOai Tiko<; Troiou|ueva ou Tdt; TTOiriaeK oub^ Td? TrpdHei?, aXXd t6dTTOTeXeaiua l'va eeujpriefi. — cf. III. 8. 3 (I. 3349. i»». w) __

III. 8. 7 (I. 339'") Kai ai YevvnaeK; dTTo eeojpiac ei? dTTOTeXeu Triaiviibouq Kai eeujpri|uaTO(;.

II est vrai que Plotin dit (I. 4. 2 — I. 65») : TTOieiv Ydp bei

aCiTov TAeiov oO Trjv eeujpiav t^v Trepi TaOTa, ce qui doit per-fectionner le logos, ce n'est pas la contemplation ; mais il s'agit

de la contemplation des choses sensibles (Trepi TaOTa.)

83

i

^

de contemplation, de remplir tout de logoi et, pourainsi dire, de toujours contempler (Kai eaTiv evepY€ia

Gcujpiaq TOUTO Kai dbbiq toO TroXXd TTOieTv ei5r| Kai jroXXd

Geuiprmara, Kai Xotujv irXripiucTai TidvTa Kai oiov dei GeujpeTv).

Car faire exister quelque chose, c'est produire une foYme^c'est'd-direy remplir tout de contemplaiion : t6 xap Troieiv,

eivai Ti eibo? eaTi TTioeTv toOto be ecTTi TrdvTa TrXripujaai

Geojpia^.

Telle est la vue idealiste que Plotin jette sur le

monde. En toutes choses il voit la forme ou le logos

et la forme est un objet de contemplation (Geiuprijna) (M

;

un principe d'action aussi, mais 1'action est un effort

vers une contemplation plus parfaite. Chez les etres

les plus impuissants dont le logos obscurci se contented*une € ombre de contemplation », Tactivite (TTpdSiq)

est encore un signe de la vocation superieure des

ames, (dans cette philosophie TAme est partout^ en

m^me temps que la diversion, le troinpe-faim dont elles

s'accommodent, ne pouvant voler plus haut.

(») Cf, III. 8. 4 (I. 3352«) ; III. 8. 6 (I. 339<V.

\

Page 57: praxisettheoriat00arno.pdf

ff

Conclusion

On pourra peut-etre tirer de ce travail une double

conclusion, Tune concernant Tidentification de TTOiri^Ti^

et de eeuipia, l'autre, ropposition de Geujpia et de Trpa-

iiq. Ce ne sont en fait que deux aspects, Tun d'ordre

psychologique, Tautre d'ordre metaphysique, d'une m^meattitude a regard de la « contemplation * — La. con-

templation en tant que telle, tlu eivai Geujpia (III. 8.2.)

cst activite pure et feconde. Influence par Platon, pro-

bablement plus encore par les milieux juifs ou chre-

tiens d'Alexandrie et de Rome, Plotin donne a cette

activit^ le nom de TToincri^, et reserve, du moins ordi-

nairement, celui de TrpdHic; a une action inferieure

qu'avec une rigueur intransigeante il juge indigne du

vrai contemplatif.

Socrate enseignait qu'il suffit de bien penser pour

bien vivre ; c'etait pousser a Textr^me, dans Tordre

psychologique, la dependance de Taction par rapport a

la speculation : la vertu n'est plus autre chose que la

science du bien ; savoir, c'est vouloir, c'est bien agir.

Toujours, la tendance de la « gnose » sera de placer le

perfectionnement de Thomme uniquement dans le de-

veloppement de ses facultes speculativcs qui absorbe-

ront toute sa spontaneite. Agir vraiment, vivre pleine-

ment, c'est connaitre.

De la le mepris de Plotin, veritable « gnostique

»

malgre son opposition a certains gnostiques, pour

Taction qu'il appelle irpaHK;, car le sensible qui s'y m^-

le, par Tintervention de la matiere gene et reduit Te-

xcrcice de rintelligence. De la, sa reserve, son absten-

tion a Tegard des fonctions civiles ou politiques ; il ne

les condamne pas ; mais il ne les conseille pas non

f

/

\^

C0NCLU8I0N 85

plus ; ceux qui s'y adonnent, devant, sous pcine de me-diocrite, passer outre.

II avait toujours ete de mode dans l'ecole de Platonde priser assez peu Tactivite pratique ; il semble pour-tant que chez ses disciples eloignes la conception stoi-

cienne du pioq Xotiko^ (') ait modere quelque peu Tex-pression du dedain. Cela est sensible chez Philon (*).

bien qu'il oppose les Esseens zelateurs de la vie pra-tique aux Therapeutes, adonnes a la contemplation (•'')

;

chez Maxime de Tyr, pour qui jrpaHi^ et Geojpia sontdeux moyens d'atteindre le Beau, Tun par la connais-sance, Tautre (la TrpaHi?) par la vertu (*) — Les ecri-

vains chretiens auraient sans doute volontiers repris

la pensee d'Origene : « Les contemplatifs sont dans la

maison dc Dieu ; les actifs restent au vestibule », maisles exemples et les le^ons de TEvangile leur faisaient

un devoir de recommander Texercice de la vertu. « Fai-

sons ce qui nous est ordonne.., dit Clement d'Aiexan-drie (") ; le Verbe fait chair nous a montre que la me-me vertu est a la fois contemplative et active ; iriv

QUTriv dp€Tnv TTpaKTiKJ^v djLia Kai GewprjTiKriv (*).

Les Enneades qui se defient de rinfluence stoicien-

ne comme d'une tentation de materialisme, sontbeau-

(') Voir plus haut : la TrpdHig chez les Stoiciens.

(«) Philon Leg. alleg. liv, I. n. 17.

(5) Philon. De vita contemp, debut.

(^) Maxime de Tyr, disscftatioH VI.

(«) Clembnt. Pedagogue. liv. I, c. 3 — P. G. t. 8. col. 260 B.("^Cetait un probiime familier aux Peres de l'Eglise. Vie con-

templative ou vie active ? S^ Gregoire de Nazianze' fait entendrela voix du bon sens ^carm. sect. I. carm. XXXIII. v. I...)

TTpaHiv TTpoTi|urjcr€ia^ r\ Geujpiav;

"04115 TcXeiujv epTov, f\ hi tt\€i6vujv.

"A|uqpuj |u^v eiai b^Hiai tc xai cpiXai.

ZO hi npoc, r\v Tt^qpuKa?, ^KTeivou irX^ov.

La contemplation (04/1? = Geujpia) est le fait des parfaits

1 action... de la foule. Que preferer ? Toutes deux sont bonncs ct

amies... que chacun s'eprouve : ne for^oas point notre taient. \

'I

Page 58: praxisettheoriat00arno.pdf

I

lll

86 CONCLUSION

coup plus exclusives : la TrpdHi? y est impuissance de

c contempler », une imperfection dont il faut, autant

que possible, se guerir, tout au plus tolerable en des

ames faibles ou chez les enfants... puisqu'ils ne peu-

vent faire autre chose. Tandisque le sage qui contem-

ple s'approche de Dieu, travailler des mains, s'occuper

des affaires de spn pays, c'est se m^ler a la vaine agi-

tation et a la multiplicite du devenir. Plotin n'a pas

ridee qu'on puisse s'apprucher de Dieu par 1'exercice

de vertus aussi vulgaires.

«

II serait inexact, pourtant, de pretendre que Plotin

sacritie Taction a la connaissance ; il ne les oppose

pas, puisque, dans sa metaphysique, connaitre c'est

encore essentiellement agir ; les Stoiciens se sont trom-

pes, en n'y voyant qu'une operation purement recep-

tive et passive, telle rinscription de caracteres sur

une tablette. Non, connaitre c'est agir, si bien que

Taction, qui paraissait pres de s'abimer dans la tran-

quille et permanente identite de la contemplation, se

survit dans l'activite essentielle a Tacte de connaitre.

Activite productrice, declare-t-on, car, achevant ce

qui etait seulement en puissance, elle introduit les

etres, puis ies maintient dans Tetat de perfection ou

de pleine maturite, condition necessaire et suffisante

de leur fecondite. — Aussi est-ce a la contemplation

que le monde intelligible doit sa naissance, et le mon-

de des ames, et la nature, et tout Tunivers. Cest par

la contemplation que tous les 6tres imparfaiis ont

Tespoir de realiser pleincment leurs puissances d*dtre

et d'agir, par une contemplation que Plotin juge pos-

sible en cette vie, bien qu'aucun terme de la langue

humaine ne soit digne de Texprimer, sorte de contact,

de commerce ineffable, ou, dans revanouissement de

toutes les « differences», Tame ravie renonce a se distin-

guer de Dieu. Cest la 0eujpia par excellence et c'est

aussi Tactivite la plus elevee. la plus feconde dont

soit capable une creature.

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<9

CONCLUSION 87

Absorber la puissance d'agir dans l'acte de voir et

proposer a l'homme cette tres simple operation commele but normal de ses efforts, n'est-ce pas un defi a la

' condition de- notre nature, dont une experience quoti-

dienne se charge pourtant de nous rappeler les im-

puissances ? (*) Plotin semble parfois philosopher nonpour des hommes, mais pour de purs esprits, comple-

tement independants du monde sensible. De fait entre

le corps et l'ame il admettait plutot une presence mu-tuelle qu'une veritable union, une presence a laquelle

Tame avait la facilite, bien plus le devoir, de se sous-

traire pour devenir voO^ KaGapo^. Reve d'une ascen-

sion vers la pure lumierc intelligible, conditionne par le

mepris de la matiere et de toute activite qui tient a

la matiere... Dans le cadre d'un systeme moniste, la

pensee de Plotin reste profondement dualiste.

(') Sur 1' < extase » plotinienne, cf. Le Desir de Dieu dans la

philosophie de Plotin, ch. VI«.

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