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7/21/2019 Pierre Macherey Querelles Cartésiennes http://slidepdf.com/reader/full/pierre-macherey-querelles-cartesiennes 1/49 Pierre Macherey (1938-…) Professeur émérite à l' Université ille !or" "e #rance- $am%us ille &&& (06/11/2002)  QUERELLES CARTESIENNES Kant, qui espérait, par la voie de la critique, ramener la paix dans la philosophie, déplorait que l’ensemble de l’histoire passée de celleci se !"t déroulée comme sur un Kampfplatz, un champ de bataille o#, $ tous les sens de l’expression, elle étale ses divisions% &'ectivement, cette histoire a été alonnée tout au lon de son déroulement par de spectaculaires *querelles+ celle des amis des !ormes et des amis de la mati-re du temps de .laton la querelle des universaux au oene la querelle des nciens et des odernes $ l’époque classique le Pantheismusstreit déclenché en llemane $ la 3n du 45e si-cle qui a eu un retentissement en 7rance avec un décalae de plusieurs di8aines d’années sous le nom de querelle du panthéisme la querelle de la philosophie chrétienne au 44e si-cle, pour ne citer que quelques épisodes saillants d’une épopée emplie de bruit et de !ureur, o#, comme s’il était impossible de discuter sans se disputer ou se chamailler, ne se sont amais tues lontemps les aires  voix de la discorde et de l’invective% &t, bien s"r, cette ambiance permanente de controverse ette la suspicion sur le caract-re rationnel, voire m9me raisonnable, de l’activité philosophique qui tend naturellement $ trans!ormer ses débats en a'rontements dont l’allure est davantae politique que scienti3que, et priviléie la violence, donc en derni-re instance le con:it des volontés, sur la persuasion intellectuelle par voie d’aruments et de démonstrations en r-le, pour !aire valoir, c’est$dire en !ait prévaloir, des th-ses qui ne semblent ne pouvoir s’a'irmer qu’en s’opposant et en cherchant $ se détruire réciproquement% .récisons d’ailleurs que ces belliqueuses querelles, m9me si elles ont pu présenter au moment de leur déclenchement le caract-re de baarres personnelles mettant aux prises des protaonistes individuellement nommés et identi3és, se sont ensuite propaées $ des communautés d’opinion élaries, 1

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Pierre Macherey (1938-…)Professeur émérite à l'Université ille !or" "e #rance-

$am%us ille &&&

(06/11/2002) 

QUERELLES CARTESIENNES

Kant, qui espérait, par la voie de la critique, ramener lapaix dans la philosophie, déplorait que l’ensemble del’histoire passée de celleci se !"t déroulée comme surun Kampfplatz, un champ de bataille o#, $ tous les sens del’expression, elle étale ses divisions% &'ectivement, cette

histoire a été alonnée tout au lon de son déroulement parde spectaculaires *querelles+ celle des amis des !ormes etdes amis de la mati-re du temps de .laton la querelle desuniversaux au oene la querelle des nciens et desodernes $ l’époque classiquele Pantheismusstreit déclenché en llemane $ la 3ndu 45e si-cle qui a eu un retentissement en 7rance avecun décalae de plusieurs di8aines d’années sous le nom dequerelle du panthéisme la querelle de la philosophie

chrétienne au 44e si-cle, pour ne citer que quelquesépisodes saillants d’une épopée emplie de bruit et de !ureur,o#, comme s’il était impossible de discuter sans se disputerou se chamailler, ne se sont amais tues lontemps les aires

 voix de la discorde et de l’invective% &t, bien s"r, cetteambiance permanente de controverse ette la suspicion surle caract-re rationnel, voire m9me raisonnable, de l’activitéphilosophique qui tend naturellement $ trans!ormer sesdébats en a'rontements dont l’allure est davantae politiqueque scienti3que, et priviléie la violence, donc en derni-reinstance le con:it des volontés, sur la persuasionintellectuelle par voie d’aruments et de démonstrations enr-le, pour !aire valoir, c’est$dire en !ait prévaloir,des th-ses qui ne semblent ne pouvoir s’a'irmer qu’ens’opposant et en cherchant $ se détruire réciproquement%.récisons d’ailleurs que ces belliqueuses querelles, m9me sielles ont pu présenter au moment de leur déclenchement lecaract-re de baarres personnelles mettant aux prises desprotaonistes individuellement nommés et identi3és, se sontensuite propaées $ des communautés d’opinion élaries,

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appelées $ s’enaer dans le débat ainsi amorcé, etsommées de se raner sous la banni-re de l’une ou l’autrepartie, de choisir leur camp, dans le cadre de ce qui s’estainsi mué en de véritables batailles ranées o# l’on n’hésitait

m9me pas $ l’occasion $ !aire prendre les armes $ des morts%ais !autil s’e'aroucher de la combativité d’unedémarche qu’lthusser, ouant $ !ond cette carte, a pu dé3nircomme *lutte des classes dans la théorie+ ; <e contraire dudi'érend, tel qu’il sortirait de sa résolution, ce seraitl’indi'érence, résultant d’une arti3cielle neutralisation dutravail de la pensée philosophique, sommée de se maintenir $tout prix sur une voie unique de développement, ce quireviendrait peut9tre $ la supprimer en tant que philosophie%

&t d’ailleurs, le moen le plus e'icace auquel un philosophepuisse recourir en vue de se !aire comprendre n’estil pas, en vue de polémiquer avec lui, de se donner un adversaire, plusou moins 3cti! ou réel, dont la ré!utation lui !ournit unprétexte pour !aire ressortir les aspects positi!s de sapropre démarche ;

=e phénom-ne a aussi concerné l’histoire de laphilosophie lorsque ce nom a plus spécialement désinél’étude des doctrines des philosophes, étude qui a donné lieu

$ des débats qui ont pu 9tre acharnés, et ont d’ailleurscontribué $ restituer $ cette discipline $ part enti-re qu’estdevenue l’*histoire de la philosophie+ des eneux proprementphilosophiques ne concernant pas seulement la méthodoloiede l’histoire des idées% =’est ainsi que, dans la secondemoitié du vinti-me si-cle, l’interprétation de la philosophiede >escartes a donné lieu en 7rance $ deux bruantesquerelles dont les échos résonnent encore auourd?hui% l aeu, dans les années cinquante, celle qui s’est élevée entre7erdinand lquié, tenant d’une lecture *existentialiste+ ducoito, et artial @uéroult, partisan de l’ordre des raisonscette discussion, en dehors de ses aspects particuliers,souvent asse8 techniques, portait plus énéralement sur laquestion de savoir si lire un philosophe suppose l’examen dela en-se personnelle de sa pensée qui en !ait uneexpérience mentale sinuli-re, ou a pour unique propos dereconstituer une structure arumentative et démonstrativeimpersonnelle et essentielle prenant place dans unetpoloie lobale des sst-mes% &t puis, il a eu, au cours dela décade suivante, la dispute qui s’est élevée entre ichel

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7oucault et Aacques >errida $ propos de la lecture dequelques lines de la premi-re des Méditations

 Métaphysiques, discussion qui a pris rapidement un tour !ort vi!, voire m9me virulent, et dans laquelle la communauté des

personnes s’intéressant $ la philosophie a été, comme dansle cas de la précédente, larement prise $ témoin etimpliquée, ce qui, $ partir de la considération de ce quipouvait $ une vue rapide apparaBtre comme un point dedétail, a !ait venir au our des eneux beaucoup plus laresconcernant la nature du discours philosophique et desévénements de pensée dont celuici est le lieu ou l’occasion%

>e ceci, il se conclut immédiatement qu’on n’a amais3ni de lire et de relire les *classiques+, pour autant que ceux

ci sont porteurs d’eneux de pensée qui débordent l’époquepour laquelle ils ont été écrits% Cu’estce en e'et qu’unerande Duvre philosophique comme les Méditationsmétaphysiques ; =e n’est pas un répertoire o# seraientconsinées un certain nombre d’idées toutes !aites qui seraient déposées et en quelque sorte elées dans l’attentede leur réactivation mais c’est une machine $ !orer desidées et des aruments, dans la !orme d’une ré:exion activeet vivante dont la dispute ou la querelle est l’une des !ormes

les plus voantes% 

e "éat l*uié-+uéroult autour "e la *uestion"u cogito

 <’occasion du débat que nous allons retracer dans ses

randes lines a été !ournie par la publication, $ quelquesannées de distance, de deux rands ouvraes consacrés $>escartes par des universitaires !ranEais de renom, o# ceuxci, poussant $ !ond des options interprétatives quis’inscrivaient dans des contextes philosophiques alternati!sl’un de l’autre, dotaient du m9me coup cette pensée réputée*classique+, et reléuée $ ce titre dans l’ordre du bien connu,de dimensions inédites par lesquelles elle se trouvait 9tre enprise sur une br"lante modernité l’histoire de la philosophiese trouvait par l$ m9me exhaussée audessus du statut qui luiordinairement assiné de recension respectueusement 3d-ledes randes pensées du passé, ce qui l’apparente $ unecommémoration !unéraire ou $ un rite muséal, pour devenir

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un lieu o# se produit e'ectivement de la pensée, dans la3ure ardente du débat, et d’un débat dont, il !aut le dire, lestermes auraient sans doute été pour une rande partincompréhensibles de la part des contemporains de

>escartes, pour ne pas parler de >escartes luim9me%<e premier de ces ouvraes, publié en 1FG0 aux .H7,est La découverte Métaphysique de l’homme chez

 Descartes de 7erdinand lquié, qui met au cDur de salecture de >escartes *l’expérience de l’homme+ sous ses!ormes les plus intimement personnalisées de l$ la th-seselon laquelle la recherche de la vérité, $ caract-reapparemment noséoloique, $ laquelle >escartes s’est vouéet $ laquelle il a identi3é sa démarche de philosophe, est

indissociable d’une a'irmation ontoloique dont le ego sum,ego existo de la 2e éditation constitue le témoinae parexcellence% l en résulte que, pour comprendre >escartes, ausens d’une opération mentale e'ectuée au présent et prenantle caract-re d’une étroite adhésion au mouvement acti! depensée qui identi3e cette philosophie, il !aut reprendre cettepensée $ sa source, en remontant usqu’$ l’enaementmétaphsique, qui est aussi un acte de liberté, dont elle estissue comme d’une sorte de vécu primordial susceptible

d’9tre assumé et partaé, donc revécu, par d’autres% l s’aitdonc de lire >escartes $ la premi-re personne et non enadoptant la neutralité obective du savant ou du théoriciendésenaé qui établit une dissociation tranchée entrel’Duvre et l’homme $ la riueur, on peut expliquer l’Duvreindépendamment de l’homme, mais on ne peutauthentiquement la comprendre% Ir-s loiquement, laposition dé!endue par lquié devait le conduire, d’un strictpoint de vue méthodoloique, $ mettre l’accent surl’évolution de la pensée cartésienne, ce qui interdit de laréduire $ un sst-me d’idées se combinant abstraitemententre elles sur un m9me plan, donc, pour reprendre lelanae de l’époque, $ adopter le point de vue de la en-secontre celui de la structure% =’est suivant la loique de cepoint de vue qu’lquié réalisera par la suite, en 1F6J1F6,une tr-s intéressante et utile édition chronoloiquedes uvres philosophiques de >escartes (trois volumesparus aux éditions @arnier), destinée $ mettre en valeurcette en-se de la pensée cartésienne, qui a suivi le coursd’une évolution temporelle obéissant $ une nécessité

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di'érente de celle qui commande la structure d’un sst-meintellectuel dont tous les éléments sont par dé3nition coprésents les uns aux autres%

<’autre ouvrae, paru trois ans plus tard aux éditions

 ubier, est Descartes selon l’ordre des raisons deartial @uéroult qui, adoptant un stle de lecture inverse duprécédent, se présente comme une lecture strictementraisonnée des Méditations Métaphysiques, hantée par unsouci de riueur qui en !ait l’opposé de ce que l’vant.ropos du livre appelle, en visant implicitement la démarchesuivie par lquié qui mani!estement l’horripile, un +roman+,c’est$dire une histoire de vie abusivement élevée au rand’expérience de pensée% =’est pourquoi @uéroult, soucieux

avant tout d’obectivité, s’enae dans la voie compl-tementdépersonnalisée d’une *analse des structures+ de la penséecartésienne, la seule en mesure de conduire $ la *vérité de>escartes+ en écartant le risque de l’arbitraire% .ourreprendre les termes utilisés par @uéroult lui m9me,>escartes ressort d’une telle lecture sous la 3ure d’un*penseur de ranit+, *pro!ond monument, solide etéométrique, comme une !orteresse $ la 5auban+ c’est uneDuvre qui tient debout toute seule, du !ait m9me de la

riidité de son oranisation arumentative, son *ordre+, donton peut e'ectuer l’exploration en se passant compl-tementde la ré!érence $ un suet concret, par dé3nition extérieur $l’exercice de la pensée rationnelle qui est tout sau! uneintriue de roman%

 lquié a luim9me clairement résumé les termes dudébat suscité par la con!rontation de ces deux approches dela pensée cartésienne au début de son petit livre Descartes,l’homme et l’!uvre, paru che8 LatierMoivin en 1FG6

*=ertains auteurs essaient de comprendre le sst-me parsa cause 3nale% ls ne voient dans le cartésianisme qu’unensemble d’idées qu’ils uent du point de vue de la seule

 valeur obective% ls coordonnent des textes selon lecrit-re de la cohérence% >’autres au contraire nedédainent pas d’expliquer la pensée de >escartes parson histoire% .our eux l’ordre véritable du cartésianismen’est pas celui dans lequel s’enchaBnent loiquement desidées, c’est l’ordre temporel dans lequel une pensée

 vivante s’est développée%+ (p% N)

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>e !ait, étudier >escartes en 7rance dans les annéescinquante, c’était se trouver placé devant l’obliation dechoisir entre deux 3ures du cartésianisme exclusives l’unede l’autre, l’une propre $ une philosophie axée sur

l’expérience dans ses dimensions vécue et temporelle, l’autrepropre $ une philosophie centrée au contraire sur laconsidération du sst-me% .ar l$ m9me, la penséecartésienne était enaée dans un dilemme dont les eneuxla dépassaient larement, et dont les termes avaient étérésumés $ travers la !ameuse !ormule sur laquelles’achevait "ur la logique et la théorie de la science de=availl-s, publié $ titre posthume en 1FO celleci opposait*philosophie de la conscience+ et *philosophie du concept+,

installant un clivae qui devait se trouver $ l’arri-replan dela plupart des débats philosophiques menés en 7rance usqu’en 1FN0, au nombre desquels celui occasionné dans lesannées cinquante par la lecture de >escartes lquié apparaissait clairement comme le représentant desphilosophies de la conscience, et @ueroult comme celui desphilosophies du concept%

  cela s’aoutaient, sur un plan institutionnel, desconsidérations beaucoup plus concr-tes et pratiques% u

moment o# le débat qui nous intéresse a étédéclenché, lquié se préparait $ exercer un lon maist-resur les études d’histoire de la philosophie $ la Porbonne, o# ilallait !ormer toute une énération d’él-ves parmi lesquels setrouvent les rands commentateurs actuels de >escartescomme Messade et arion% >e son cQté, @uéroult, qui avaitdes admirateurs plutQt que des él-ves, prenait la suite de@ilson au =oll-e de 7rance, o# il occupait la chaired’+histoire et technoloie des sst-mes philosophiques+, enm9me temps qu’il assurait réuli-rement des cours $l’&RP de Paint=loud, et dirieait aux éditions ubier unecollection, *nalse et raisons+, d’esprit étonnammentouvert o# devaient 9tre publiés des livres sinés &lster,@raner ou Pimondon% lquié et @uéroult avaient des stlesd’enseinement compl-tement di'érents l’un tendant $ unmaximum de simpli3cation et de clarté, la !ameuse *clarté!ranEaise+, l’autre mettant au contraire l’accent, non sansune certaine lourdeur ermanique, sur l’extr9mecomplication d’une rationalité suivie minutieusement dansles détails les plus in3mes de sa !ormulation textuelle et des

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commentaires dont celleci avait pu !aire l’obet% &ntre 1FG0et 1F0, ils ont été les deux rands maBtre rivaux qui, l’Dil3xé en permanence sur l’autre, se partaeaient en 7rance lesétudes universitaires d’histoire de la philosophie classique,

dans des conditions telles qu’il n’était possible de plaire $l’un qu’en déplaisant $ l’autre, nul n’osant ni m9me n’aantl’idée, $ l’exception du seul @ouhier, d’entreprendre uncompromis ou une snth-se entre deux démarches quiapparaissaient comme radicalement exclusives l’une del’autre%

<e débat ainsi élevé entre les deux rands historiensde la philosophie cartésienne a atteint un deré maximumd’acuité critique lorsque s’est tenu $ Soaumont un rand

colloque sur >escartes, dont les ctes qui restituentl’intéralité des communications et des discussions qui lesavaient suivies ont été publiés en 1FG aux éditions deinuit sous le titre Descartes , titre dont la sobriététrompeuse dissimulait les épisodes d’une oute oratoiremenée in vivo  avec une ardeur con!ondante dont on peut se!aire $ distance une idée en relisant auourd’hui les compterendus qui en ont été conservés% lquié et @ueroult étaientbien s"r présents $ cette rencontre, qui avait sans doute été

oranisée pour qu’ils aient une occasion de s’expliquerpubliquement devant la communauté philosophiqueconvoquée en vue de les entendre, de se !aire une opinionsur la nature de leur di'érend, et éventuellement de letrancher, comme cela se pouvait normalement se !aire dansles Hniversité médiévales, suivant un rite qui a presquedisparu actuellement de nos usaes, sau! peut9tre $l’occasion des soutenances de th-se, o# tr-s !réquemment cesont les membres du ur qui s’examinent entre eux, dans lecadre d’un !ace $ !ace direct dont le public compteavidement les coups, comme s’il s’aissait d’une compétition$ l’issue de laquelle un vainqueur doit 9tre désiné%Pportivement, lquié et @ueroult, comme deux champions enprésence, avaient relevé le ant, et ainsi donné letémoinae passionnant et spectaculaire d’une pratique dela philosophie, sous les esp-ces de l’histoire de laphilosophie, ne se ramenant pas $ l’exercice solitaire de lapensée ou $ l’exposé maistral dans lequel l’orateur paraBtavant tout s’adresser $ luim9me, mais se proposant entre

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autres pour but d’occuper directement l’espace public, sanspasser par l’interposition de *médias+%

Sentrons $ présent dans le vi! de ce débat qui, tout enmaintenant les !ormes extérieures d’une par!aite urbanité,

n’en a pas moins maintenu usqu’au bout un niveaud’extr9me tension, qui a d" tenir en haleine les assistants,sans doute médusés, de cette rencontre%

  pr-s un discours d’ouverture prononcé par @ueroult,

d’o# se déae, en attente des échanes serrés qui vontsuivre, une version tr-s intérative de la pensée cartésienne,d’apr-s laquelle, dans son discours, tout se tient sans lacunesni contradictions, la parole est donnée $ lquié pour le

premier exposé, qui est intitulé *&xpérience ontoloique etdéduction sstématique dans la constitution de lamétaphsique de >escartes+ $ la seule lecture de ce titre, oncomprend que la question cruciale va 9tre soulevée en touteclarté, les principaux éléments de la discussion étantd’emblée mis sur la table%

<a th-se soutenue par lquié est qu’on ne trouve pasche8 >escartes un ordre univoque des raisons, parce que sadémarche se déroule simultanément sur deux plans décalés

l’un par rapport $ l’autre il a, d’une part, celui de laconnaissance scienti3que, qui ne parvient qu’$ des certitudesrelatives, parce que ses raisonnements se déploient ensuivant une procédure $ caract-re hpothéticodéducti!, o# la

 vérité des choses est atteinte indirectement, par le biaisd’une reconstruction, sur le mode du *tout se passe commesi+, sans qu’il soit possible, en poursuivant cette voie, d’allerplus loin, et d’atteindre en toute certitude la réalité e'ectivedes choses et il a, d’autre part, celui propre $ lamétaphsique, qui, elle, parvient $ des certitudes absolues,parce qu’elle adopte une autre voie, un ordre distinct decelui de la déduction scienti3que, et proc-de d’uneexpérience de pensée, la méditation, qui se situecompl-tement $ part, en rupture par rapport $ l’ordrenécessaire !ermé o# s’accomplit, de !aEon rioureuse etneutre, la démonstration c’est sous la condition de cedécrochae que peut en e'et 9tre posée une question quireste inaccessible $ l’esprit scienti3que, la question de l’9tre,qui ne rel-ve pas d’une approche $ caract-re hpothéticodéducti!% =eci sini3e que la science $ besoin de la

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métaphsique pour qu’elle résolve $ sa place une questionqu’elle n’est pas en mesure d’aborder, et pour qu’elle con!-re$ ses résultats incomplets en euxm9mes le caract-reproprement ontoloique de la réalité obective, de l’9tre, ce

qu’elle !ait par le biais de la th-se de la véracité divine%l a donc clivae entre deux tpes de vérités *les vérités métaphsiques sont d’un autre ordre que les véritésde la science+, ce dont lquié conclut

*=’est pourquoi e crois que >escartes n’a pas desst-me%+ (p% 1G)

.ar sst-me, il !aut entendre ici un ordre des raisonsunique et continu, enchaBnant toutes les vérités sur un m9meplan hori8ontal o# elles dépendent étroitement les unes des

autres% <e propre de l’expérience métaphsique de laméditation, selon lquié, c’est qu’elle troue la sur!ace o# sedéploie le sst-me, de mani-re $ introduire dans l’exercicede la pensée une sorte de verticalité

*<’ordre de la métaphsique doit établir des liens entredes réalités hétéro-nes, et cela parce qu’elles sont des9tres le *moi+, *>ieu+, *la mati-re+% <a science aucontraire est !aite d’idées homo-nes représentant uneréalité ellem9me homo-ne% =’est pourquoi elle

explique, alors que la métaphsique découvre etconstate%+ (p% 1G16)Tn peut dire de la métaphsique, qu’elle s’e'orce de

penser directement les choses m9mes, d’en *toucher+ la vérité, selon les termes emploés par >escartes, m9me si,comme s’aissant de la réalité divine, elle n’est pas enmesure de les embrasser en totalité la science, au contraireprétend rendre compte en totalité de ses *obets+, ce qu’ellene peut !aire que parce qu’elle les reconstruit par le moende l’abstraction, ce qui la lib-re de l’obliation de voir leschoses m9mes, auxquelles elle substitue ses arte!acts%

*<es idées de la science sont des idées de m9me ordre%%%&n sorte que l’idée scienti3que peut dériver d’une autreidée, 9tre tirée d’une autre idée, 9tre reconstruite $partir d’une autre idée, cela est clair dans les #egulae%ais en métaphsique, il n’en est pas ainsi% ant $ lierdes 9tres hétéro-nes et libres, la métaphsique doituser d’une méthode qui ne peut plus 9tre de simpleanalse loique ou de construction éométrique% Ae nepeux déduire >ieu de moi, e ne peux me déduire de >ieu

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puisque >ieu aurait pu ne pas me créer% Ae ne puisreconstruire dans l’homo-ne une vérité $ partir d’uneautre% .ar conséquent, il !aut bien qu’ici e découvre, econstate, et que, par l$ m9me, s’introduise ce que

 ’appelle l’expérience de l’9tre, l’expérience purementontoloique%+ (p% 16)%  ce que arion, l’él-ve d’lquié, appellera

*l’ontoloie rise+ de la science et de sa rationalité abstraite, vide de toute ré!érence e'ective $ l’9tre, la métaphsique estdonc seule en mesure de restituer un contenu et descouleurs%

=’est ainsi que l’idée de moim9me $ laquelle !aitaccéder l’expérience métaphsique de l’9tre est sans aucun

rapport avec l’idée du trianle telle qu’elle est travaillée parle éom-tre, ce qui am-ne lquié $ a'irmer, de !aEon volontairement provoquante

*>ans les Méditations  des 9tres sont découverts $ titrede présences directes, et sans leurs raisons+ (p% 1F),

ce qui revient $ suérer qu’il a dans l’expériencemétaphsique de l’9tre, véritable théophanie mstique parl’intermédiaire de laquelle sont atteintes de réellesprésences, quelque chose de pro!ondément irrationnel%

Tuvrons ici une parenth-se on s’est par!ois étonné, voire m9me o'usqué, qu’lquié, universitaire spécialisé dansl’étude de la philosophie classique, et particuli-rementamateur de clarté, ait pu aussi, sans états d’Ume, publier unouvrae intitulé Philosophie du surréalisme (éd% 7lammarion,1FGG), et, dans la !oulée, prendre l’initiative d’oraniser,éalement $ Soaumont, un colloque sur le surréalismeauquel Mreton, $ ce moment bien isolé, avait acceptéd’assister au titre de témoin muet, déclarant par sa présencequ’il n’était pas !Uché de cette reconnaissance inconrue

 venue sous les !ormes les plus o'icielles du monde del’Hniversité% Pi on ré:échit, on s’aperEoit qu’il n’ avait pastellement lieu de s’étonner, du moins en ce quiconcerne lquié, tant sa démarche est cohérente avec ellem9me% <a critique des abstractions rationnelles de la scienceauxquelles sont opposées les vérités directement éprouvéesde l’ontoloie métaphsique au cours d’une *rencontre+renversante mettant en avant la thématique de l’hétéro-ne,le moi et >ieu, le petit e et le rand l, n’aant pas plus de*raisons+ d’9tre réunis qu’un parapluie et une machine $

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coudre sur une table de dissection, peut paraBtre directementinspirée par le premier Manifeste du "urréalisme et par ledéni eté par celuici sur la raison boureoise et ses pauvrescertitudes% Tn mesure mieux alors que l’entreprise

d’lquié a consisté $ !aire passer sur la philosophie de>escartes le souVe vertiineux de l’inspiration et de ladéraison, démarche incontestablement décapante quipouvait, tout en se réclamant des pouvoirs de l’imainationpoétique, rallier par la m9me occasion les adorateurscléricaux de la donation de l’9tre, mstérieusementappréhendée, lquié, pourtant amateur de sensations !ortes,n’allait pas usquel$, comme retrait de l’9tre% Ioeuniversitaire et oupillon, aant !ait alliance sous l’autorité

souveraine de >escartes, pouvaient alors clamer d’unem9me voix sus $ la science, poésie, métaphsique etreliion, m9me combat W

=ette parenth-se re!ermée, revenons $ l’exposéd’lquié% =eluici se poursuivait de la mani-re suivante

*Ae sais que e suis parce que e sais que e pense% aispourquoi estce que e pense et suis ; =’est l$ un !ait%=’est éalement un !ait que ’ai l’idée de >ieu, ou que eme découvre comme un milieu entre l’9tre et le néant%

>-s lors, d’o# vient l’ordre métaphsique ; Pelon moi, dela position de l’homme% Ae suis un *moi+ et e ne peuxpartir que de ce *moi+ pour passer $ >ieu et de >ieu aumonde% <’unité, la constance de l’ordre proviennent doncavant tout de la situation ontoloique de l’homme plusencore que d’un ordre loique% Ae me trouve dans lemonde créé, situé de telle sorte que e dois, si e veuxparvenir $ connaBtre le réel, passer par un certainnombre de moments, de découvertes, dont chacune merév-le un 9tre%+ (p% 1F)

&n e'et, ce qu’enseine la métaphsique, c’est d’abordque e suis un 9tre dans le monde, un existant, un Dasein ,qui n’est pas quelque chose d’absolu mais un 3ni, milieuentre rien et tout, dont l’existence est suspendue $ celle d’unautre 9tre, Iout.uissant, qui m’a créé et me maintient dansl’existence *découverte+ e'ectivement décoi'ante, d’o#il résulte que tout ce que e connais, e ne le connais qu’enperspective, $ partir de la position que ’occupe moim9medans le monde, dans des conditions telles que tout ce que esais ou crois savoir acc-de $ une certitude obective

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uniquement sous la condition d’9tre rapporté $ la souveraineper!ection de >ieu, créateur des vérités éternelles, de ladécision libre duquel rel-vent en derni-re instance toutes leschoses créées, au nombre desquelles les connaissances que

 e peux !ormer $ leur propos qui sont, elles aussi, suspendues$ l’initiative divine%l a donc éclatement de la raison entre, d’une part,

une expérience ontoloique, au point de vue de laquelle leschoses ont plus ou moins d’9tre, et, d’autre part,une connaissance phsicienne, qui élimine touteconsidération de valeur parce qu’elle met tous ses obets $plat en les !aisant rentrer dans un ordre unique o# ellespeuvent s’enchaBner rioureusement les unes aux autres

*<e monde se divise en deux domaines il a celui duréel phsique qui n’a pas de valeur et qui peut 9tresoumis $ mon action technicienne, de m9me qu’il esto'ert $ ma connaissance car tout cela est du m9me cQté,et, si e puis dire, audessous de moi le monde phsique,c’est ce que e comprends, c’est ce sur quoi ’ais, etc’est ce dont e doute% &t, d’un autre cQté, il a ledomaine métaphsique c’est ce que e ne comprendspas, c’est ce sur quoi e ne peux pas air, et c’est ce dont

 e ne doute pas voici mon 9tre propre, qui est liberté, etl’&tre divin que e ne puis qu’admirer et adorer%+(p% 21)>e l$, c’est le point auquel lquié veut en venir, une

nécessaire réévaluation de la leEon du cogito , leEon qui n’estpas intellectuelle mais existentielle

*<e *e pense+ ne rév-le pas un esprit pur, unentendement en énéral mais un *moi+, un *e+ existantet concret%+ (p% 22)

=’est pourquoi lquié attache énormémentd’importance au !ait que, dans l’exposé des Méditations,>escartes ait écarté la 3ure déductive du cogito, celleévoquée par la !ormule cogito ergo sum, exploitée dansd’autres contextes, comme ceux du Discours de laméthode  ou des Principes de philosophie, et lui ait substituél’a'irmation de la pure existence véhiculée par la!ormule ego sum ego existo, vérité directement issue del’expérience vécue du doute%

*<’9tre pensant, avant m9me de se saisir comme pensée,se saisit comme 9tre et comme sum %%% =e n’est pas unconcept que le moi, ’entends le moichose, le moires ,

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c’est une sorte d’9tre qui est donné dans une expérience vécue sans équivalent%+ (p% 2J)

&t, en conséquence, c’est seulement apr-s avoirdécouvert que *e suis+, et ceci d’une mani-re qui est au

dessus de tout doute possible, alors m9me que cettecertitude est issue de l’expérience du doute, que e suis enmesure de m’interroer sur ce que e suis, question qui serarésolue par élimination, en écartant tout ce que e ne suispas et ne peux pas *9tre+ e ne suis pas mon corps, ni tout cequi s’ rapporte, donc, il ne reste plus que cela, e suis purepensée, cogitatio, e suis une chose *pensante+% &t ainsi, lasubstance, c’est moi en tant que, dans l’absolu, *e suis+, $laquelle la pensée se rattache en tant qu’attribut principal le

moi est ce qui donne $ la pensée son substrat ontoloique, cequi suppose qu’il ne soit pas luim9me réductible $ la pensée,donc qu’il ne soit pas ontoloiquement en substance de lapensée au sens o# on dit vulairement de la table qu’elle estde bois ou en bois%

=’est pourquoi, nous en arrivons $ la conclusion del’exposé d’lquié, alors que la science vise $ la maBtrise d’unmonde privé d’9tre, la métaphsique 3xe au contrairel’attention sur l’9tre, et atteint ainsi, suivant un ordre qui

n’est pas loique, la réalité absolue de certains 9tres, le moi,>ieu et le monde, ce qui permet en retour de restituer uncontenu aux connaissances rationnelles obtenues par la voiede l’intellection pure% =’est pourquoi le cartésianisme est unephilosophie du vécu avant d’9tre une philosophie du conEu%

  lquié aant ainsi présenté sa position, avec une clarté

qui n’était pas exempte d’un certain esprit de provocation, ledébat s’enae aussitQt, et, le premier, @ueroult prend laparole, puisque c’est $ lui qu’était destiné le proposd’lquié dont l’intention principale était de ruiner l’idée d’unordre unique et homo-ne des raisons sur laquelle luim9meavait !ondé sa lecture des Méditations% Pur un plan tr-sénéral, il commence par dénoncer lXorientation adoptéepar lquié, qui tend $ !aire de >escartes un philosophe *de laratuité+, alors qu’il est tout le contraire, un philosophe de lariueur et de la certitude, animé avant tout par un souci derationalité en rompant l’ordre des raisons, qui proresserioureusement de certitude en certitude, on !ait basculer

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>escartes du cQté, la chose est mani!este, d’un certainirrationalisme, ce qui est inacceptable%

=ette remarque !aite, @ueroult soul-ve immédiatementun point beaucoup plus technique qui va donner lieu $ une

discussion serrée si, comme le !ait lquié, on ram-nel’expérience métaphsique $ la saisie primordiale d’un moipur, qui n’est pas substantiellement de l’ordre de la pensée,celleci ne pouvant lui 9tre rattachée qu’ultérieurement,quelle est la nature de ce moi qui, bien s"r, n’est pas uneportion de l’étendue, mais, comme on l’a'irme, n’est pas nonplus une détermination de la pensée ou n’est pas en soim9me une réalité pensante ;

 lquié répond ce moi pur est le moisubstance auquel

la pensée se rattache comme son attribut $ travers laconstatation que e suis une chosepensante, ego sum res cogitans  il !aut d’abord que e medécouvre comme cette chosesubstance pour pouvoir ensuitem’appréhender, sur un tout autre plan, comme chosepensante% =e qui revient $ soutenir qu’il a prioritéontoloique de l’existence (le moi) sur l’essence (la pensée)%

 utrement dit encore, >escartes passe de la considérationdu quod  (que e suis) $ celle du quid  (ce que e suis) avant

de me demander ce que e suis, il !aut bien que e sache que e suis% Puivant la vulate de l’existentialisme, Partre luiaussi s’est recommandé de >escartes, l’existence préc-del’essence%

  cela, @ueroult réait de la !aEon suivante si ceraisonnement est valable pour la res cogitans, qui doit 9treconnue comme res avant de pouvoir 9tre déterminéecomme res cogitans, il doit 9tre éalement valable $ proposde la res extensa  mais alors, quelle serait cette réalitéprimordiale, cette *chose+ dont la nature serait antérieure $sa détermination comme chose étendue et $ laquelle cettedétermination ne serait rattachée qu’au titre d’un attribut,de la m9me mani-re que la pensée est censée quali3er unmoi qui subsiste en dehors d’elle; =ette obection est tr-sintéressante, parce qu’elle rév-le que @ueroult,consciemment ou non, s’installe luim9me d-s le départ dansune perspective *paralléliste+, au sens o# on parle duparallélisme $ propos de Ppino8a, perspective au point de

 vue de laquelle ce qui vaut sur le plan de la pensée doit aussi valoir au m9me titre sur le plan de l’étendue, abstraction

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étant !aite dans les deux cas de la ré!érence $ un *suet+ dela pensée comme $ un *suet+ de l’étendue, puisque lemot res doit avoir exactement la m9me sini3cations’aissant de la chose pensante et de la chose étendue, qui

sont en réalité une seule et m9me *chose+, que Ppino8aappelle >ieu ou la substance% Tr on ne peut oublier que>escartes ne cesse d’a'irmer, en sens exactement inverse,l’inéalité ontoloique des deux ordres de la pensée et del’étendue, >ieu participant au premier mais pas au second,ce qui interdit d’emblée de lui appliquer une rilled’interprétation de tpe paralléliste% lors m9me que,lorsqu’il proposera sa propre lecture de Ppino8a, il mettra enavant la th-se du radical anticartésianisme de celuici, c’est

en quelque sorte avec les eux de Ppino8a que @ueroult lit>escartes, ce qui est la raison de !ond du di'érend quil’oppose $ lquié, $ propos de qui on pourrait dire que, lui, illit >escartes d’une certaine mani-re avec les eux de Kant,en limitant les ambitions de la science pour ouvrir un champd’exercice $ la !oi%

  ce moment de la controverse, lquié, qui a parailleurs écrit tout un livre pour expliquer qu’il ne comprendpas Ppino8a, che8 lequel il ne doit d’ailleurs selon lui avoir

rien $ comprendre, au sens propre du mot comprendre, nesoul-ve toute!ois pas ce point% l conc-de qu’il doit bien avoir une *chose+, $ laquelle il donne le nom de *mati-re+,sorte de réalité en soi de tpe Yantien, qui doit constituer lasubstance dont l’étendue est l’attribut principal% &t il précise,ce qui rompt de !ait le parallélisme installépar @ueroult entre res cogitans et res extensa, que, d’apr-s>escartes, le moisubstance est beaucoup plus aisé $appréhender que la substance matérielle, puisqu’il !ait l’obetd’une expérience directe qui est celle de ma liberté% =’estpourquoi l’expérience ontoloique !ondamentale est cellequi, suivant la voie du doute, me !ait saisir moim9me comme9tre libre, ce mode d’acc-s étant impraticable s’aissant dela réalité de la mati-re dont il est impossible d’avoir uneexpérience directe allant audel$ de ce que e peux enconnaBtre, $ savoir le !ait que cette réalité est étendue, ausens o# l’étendue est attribuée $ la mati-re%

*5ous me demande8 qu’estce que cette mati-re qui nese réduit pas $ ce que ’en conEois; Ae ne sais pas% l al$ toute l’obscurité de la notion d’existence, d’9tre% ais

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il me semble que cette di'iculté se trouve en >escarteset il me semble que l’on ne peut l’éliminer ou la passersous silence%+ (p% JO)

=eci revient $ dire qu’$ l’arri-replan de la démarche

de >escartes, il a un secret ontoloique impénétrable ouincompl-tement pénétrable $ la raison, un mst-reinsondable constituant cette part d’ombre de la doctrine quiemp9che qu’on la !asse rentrer en totalité dans un ordreuni3é de rationalité%

@ueroult, qui ne peut accepter cette irruption del’irrationnel dans la démarche métaphsique de >escartes,re!ormule la question qu’il a posée $ lquié, en lui !aisantremarquer que son raisonnement présuppose que la

substance puisse 9tre appréhendée en ellem9meindépendamment de son attribut, alors que cet attribut, lapensée pour le moi, et l’étendue pour la mati-re, ne peut en9tre séparé puisqu’il la constitue essentiellement c’estpourquoi, lorsqu’lquié soutient que e peux comprendre lemoi sans la pensée alors que e ne peux comprendre lapensée sans le moi qui constitue son substrat, il est encontradiction avec >escartes pour qui, entre la substance etson attribut principal, il a tout au plus une distinction de

raison, mais en aucun cas distinction réelle% =et arumentcon3rme que @ueroult interpr-te spontanément la notiond’attribut dans son sens spino8iste, ce qui pourraitd’ailleurs se usti3er par le !ait que Ppino8a a luim9meélaboré son propre concept de l’attribut, qui est la pi-ce!ondamentale de son ontoloie, $ partir d’une ré:exion surles particularités de la notion d’attribut principal che8>escartes , comme déterminant ou composant essentiel dela substance, qui doit 9tre $ l’identique ce que l’entendementconnaBt d’elle, au sens o# la chose et l’idée de la chose, dansla perspective propre $ Ppino8a, coZncident absolument, pourautant bien s"r que cette idée soit adéquate% =’estpourquoi @ueroult n’admet pas qu’il puisse avoir uneexpérience ontoloique premi-re de l’existenceindépendante de la saisie intellectuelle de l’essence

*Ae ne vois pas du tout de textes dans lesquels >escartesoppose un support, une qualité occulte, un 9tre qui nepourrait pas 9tre atteint par la pensée puisqu’il ne seraitpas la pensée, ce qui !ait qu’au !ond de nousm9mes nousaurions un 9tre opaque qui nous échapperait, et que par

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conséquence, lorsque >escartes dit qu’il n’ a aucuninconscient en nous, c’est$dire qu’il n’ a rien en nousque nous ne pourrions rendre conscient si nous le

 voulions, ce principe devrait 9tre récusé car il a une

chose que nous ne pourrions arriver $ élever $ la pensée,c’est ce support extraintellectuel, inconnu etinconnaissable, qui ne serait pas la pensée%+ (p% JF)

  la philosophie de l’opacité qui soutient la conceptionde la métaphsique dé!endue par lquié, @ueroult opposeune philosophie de la transparence, un rationalisme intéralau point de vue duquel il est impensable que l’existencepréc-de l’essence comme il est d’ailleurs éalementimpensable que l’essence préc-de l’existence, l’une et l’autre

se tenant étroitement entre elles% <’essence et l’existencesont le m9me 9tre, que cet 9tre soit celui de la pensée oucelui de l’étendue, et c’est pourquoi il n’ a pas lieu de lesdistinuer% @ueroult est ainsi usti3é $ conclure sonintervention sur une a'irmation dont l’énoncé suit unestructure rammaticale évoquant directement l’idée deparallélisme

*>e m9me que l’9tre de la chose extérieure n’est riend’autre que l’étendue selon ses trois dimensions, de

m9me l’9tre de la substance spirituelle n’est rien d’autrenon pas seulement que la pensée, mais que l’intelliencepure%+ (p% JF)

&n disant $ lquié *e ne vois pas du toutde textes %%+, @ueroult a tendu $ celuici une perche dont ilse saisit aussitQt en proposant précisément de revenir auxtextes pour donner une base solide $ la discussion% l choisitde se ré!érer aux Séponses aux troisi-mes obections, cellesqui avaient été communiquées $ >escartes par Lobbes%Lobbes avait reproché $ >escartes de conclure de ce que *esuis pensant+, qui est un !ait irrécusable, que *e suis penséeou de la pensée+, ce qui est une interprétation et il lui avaitobecté que, suivant le m9me raisonnement, on pourraitconclure du !ait que *e suis promenant+ (sum am$ulans) que*e suis promenade+ ou *e suis une promenade+(sum am$ulatio)% =ette obection avait pro!ondément aacé>escartes, qui avait répondu $ *l’nlais+, comme ill’appelait, de la mani-re suivante

*T# ’ai dit *(e suis une chose qui pense), c’est$dire unesprit, une Ume, un entendement, une raison, etc%+, e

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n’ai point entendu par ces noms les seules !acultés, maisles choses douées de la !aculté de penser, comme par lesdeux premiers (esprit, Ume), on a coutume d’entendre, etasse8 souvent aussi par les deux derniers (entendement,

raison) ce que ’ai si souvent expliqué et en des termessi expr-s que e ne vois pas qu’il ait lieu d’en douter% &til n’ a point ici de rapport ou de convenance entre lapromenade et la pensée, parce que la promenade n’est

 amais prise que pour l’action m9me mais la pensée seprend quelque!ois pour l’action quelque!ois pour la!aculté, et quelque!ois pour la chose en laquelle résidecette !aculté% &t e ne dis pas que l’intellection et lachose qui entend soient une m9me chose, non pas m9me

la chose qui entend et l’entendement, si l’entendementest pris pour la chose m9me qui entend% Tr ’avoue!ranchement que pour sini3er une chose ou unesubstance, laquelle e voulais dépouiller de toutes leschoses qui ne lui appartiennent pas, e me suis servi determes autant simples et abstraits que ’ai pu%%%+ (trad%=lerselier, in %euvres philosophiques  de >escartes,éd% lquié, t% , p% 60260J)%

 utrement dit, en tant qu’action ou !aculté d’un suet

promenant, la promenade est un accident qui n’est en aucuncas substantialisable alors que la pensée, elle, n’est passeulement une action ou une !aculté, mais est aussi la*chose+ $ laquelle l’action et la !aculté de penser peuvent9tre rapportées c’est parce qu’il a abusivement interprété>escartes $ la lumi-re d’une loique essentialiste, quiinstalle une !Ucheuse con!usion entre l’action ou la !aculté etla réalité aissante ou douée de cette !aculté, que Lobbes apu lui imputer une absurdité du tpe *e suis unechose promenante+% =ontre cette loique essentialiste, quimet tout sur un m9me plan, et se rév-le incapable de saisirles di'érences ontoloiques !ondamentales, >escartesdé!end une loique substantialiste, seule apte $ dissocier lessubstrats des activités !actuelles ou essentielles qui peuventleur 9tre rapportées% >ans son édition, lquié commente cepassae des troisi-mes Séponses de la !aEon suivante*>escartes indique ici son substantialisme%+ utrement dit,a'irmer que e suis une chose qui pense, c’est$dire unesprit, c’est tout autre chose que constater que e suis entrain de penser et ce n’est donc pas rabattre sur le prédicat

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*pensant+ la réalité de la chose qui constitue le suet auquelce prédicat est rapporté, mais c’est au contraire reconnaBtrela priorité ontoloique de ce suet par rapport $ tout ce quipeut lui 9tre rapporté% l !aut 9tre aveule aux di'érences

ontoloiques !ondamentales pour croire que dans les deuxphrases *e suis promenant+, et *e suis pensant+, le verbe9tre a la m9me valeur et la !onction d’attribution s’exerce $l’identique%

 lquié semble n’avoir pas clairement conscience qu’ens’appuant sur ce passae de >escartes pour étaer sapropre position, il la met ravement en péril% Lobbes n’avaitpas pris au hasard l’exemple de la promenade pour ébranlerle raisonnement du cogito% <a promenade n’est pas en e'et

n’importe quelle activité c’est une activité corporelle, dutpe de toutes celles auxquelles se livrent les seules réalitésauxquelles, dans le cadre de son matérialisme intéral, ilreconnaisse un 9tre e'ecti!, $ savoir des corps individuésexerEant un certain nombre de !onctions au nombredesquelles la pensée% =’est pourquoi l’eneu de son débatavec >escartes ne se ram-ne pas au choix entre une loiqueessentialiste, une loique du quid, et une loiquesubstantialiste, une loique du quod , mais il porte sur la

question de savoir quelle chose *e suis+, $ savoirprécisément une chose de nature corporelle, pour laquellepenser et se promener sont des activités de m9me ordre, ouspirituelle, pour laquelle une telle con!usion est impossible%  cet éard, la position de >escartes est nette e ne suis pascorps mais esprit, ou du moins e me connais comme espritd’une tout autre mani-re que celle dont e me connaiscomme corps, ce qui me conduit précisément, dans le cadrede la méditation, $ m’appréhender d’abord de mani-re claireet distincte comme substance pensante, et non commesubstance corporelle% &t donc e suis esprit, au sens o# madétermination d’9tre pensant est inséparable de mon 9tre,qui ne peut absolument pas se concevoir autrement% =e sontles ambiuZtés de la notion d’attribut principal, c’est$dired’attribut substantiel, ces ambiuZtés qui ont certainementbeaucoup !ait ré:échir Ppino8a , qui transparaissent ici, etqui retournent la th-se d’lquié contre ellem9me car si esuis, au sens o# l’a'irme la!ormule ego sum ego cogito , c’est précisément en tant que esuis esprit et non corps c’est donc parce que e suis esprit,

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avec la valeur non seulement du déterminé mais dudéterminant% <a !ameuse expérience métaphsique du *esuis+ comme chose se rév-le alors indissociable del’appréhension de ma réalité comme chose pensante qui la

conditionne ma substance est bien la pensée, qui n’est passeulement un attribut se rapportant apr-s coup $ mon 9treou $ mon existence de suet qui serait susceptible d’9treappréhendé de !aEon indépendante% Pi on pousse $ sesderni-res conséquences la loique substantialiste, on doitadmettre que l’attribut principal qu’est la pensée n’est passeulement un attribut au sens rammatical du terme, c’est$dire une propriété ointe au suet par l’opération attributive,mais est une détermination interne de sa nature m9me de

suet% u !ond, lquié est le plus proche de >escartes par cequi !railise sa propre position, alors que @ueroult, peut9tre,s’en éloine en cherchant $ doter sa démarche d’une!ermeté, d’une riidité qui, précisément, lui !aitdé!aut% lquié maintient donc son interprétation, et renvoie$ @ueroult son obection en !orme de *e ne vois pas che8>escartes de texte%%%+, en demandant pourquoi

*il n’ a pas dans >escartes un seul texte o# il

dise sum cogitatio % l dit touours res cogitans%Tr res cogitans c’est une chose pensante% <a pensée estl’attribut d’une chose qui pense% P’il n’ a rien de plusdans la chose qui pense que la pensée, pourquoi>escartes ne ditil pas *e suis une pensée+% =e serait sisimple%+ (p% O1)%

=eci revient $ dire que le cogito se décompose en deuxénoncés e suis une chose (une substance), et cette chosepense (a pour attribut la pensée), le premier de ces énoncésétant la condition du second, qui ne peut 9tre a'irméindépendamment de lui, tout en pouvant 9tre a'irmé pourluim9me indépendamment%

l est $ noter que Ppino8a, lorsque, dans la premi-re partie de ses Principes dephilosophie cartésienne de 166J ($ laquelle @ueroult a par ailleurs consacré une tr-sintéressante étude *<e cogito et l’ordre des axiomes métaphsiques dansles Principia philosophiae cartesianae de Ppino8a+, &rchives de philosophie, 1F60 ), il s’estexercé $ re!ormuler ordine geometrico les randes lines de la métaphsique de >escartes, acontourné ce dilemme en proposant du coito la version simpli3ée suivante ego sum cogitans,qui se rév-le $ l’examen !aite sur le m9me mod-le que la !ormule de Lobbes sum am$ulans,dont ce dernier re!usait de conclure sum am$ulatio% 'go sum cogitans, littéralement *e suis,moi, pensant+, c’est$dire $ la !ois *e suis en train de penser+, comme on dit *e suis en trainde me promener+, et *e suis quelque chose de pensant+, *e suis un pensant+, au sens o# lachose, le quelque chose que e suis, n’est ustement pas identi3able séparément de sa naturede pensant% lquié lit donc la !ormule du coito en la décomposant de la !aEon suivante e suisquelque chose (sum res) de pensant (cogitans) alors que @ueroult, suivant consciemment ou

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non la leEon de Ppino8a, la lit de la !aEon suivante e suis ( sum ) quelque chose de pensant(res cogitans), c’est$dire e suis (sum) pensant (cogitans ), ce qui en bouleverse compl-tementl’interprétation%

  ce point, la discussion prend la !orme d’un échane de balles tr-s serré dont onimaine qu’il a d" 9tre suivi par des auditeursspectateurs tétanisés comme s’ils se trouvaient $une 3nale de [imbledon ou de Soland@arros

*@ueroult l n’ a pas che8 >escartes un 9tre pensant qui ne serait pas pensant%

 lquié Ae n’ai amais dit que l’9tre pensant n’est pas pensant% A’ai dit qu’il n’est pas lapensée%@ueroult Hn 9tre pensant qui ne serait pas pensée, qui serait autre chose que la pensée,qu’estce que cela serait%

 lquié Ae n’ai pas dit qu’il était *autre chose+ que la pensée% <’9tre et la pensée ne sontpas deux choses% ais l’9tre est pensant, non pensée% =omment voule8vous que e vousréponde mieux; >escartes rattache la pensée $ un 9tre pensant, $ un moi pensant, $ uneres cogitans %@ueroult .our >escartes, qu’estce qu’un 9tre pensant qui n’est pas pensée;

 lquié Ioute ma th-se consiste $ a'irmer que l’9tre n’est pas réductible au concept% Tr,la question que vous me pose8 est la suivante mais qu’estce que c’est que cet 9tre quin’est pas réductible au concept; =omme e ne pourrais m’expliquer, par dé3nition, quepar concepts, e ne puis vous répondre% ais cela ne saurait prouver que ’ai tort, car math-se consiste $ dire que l’9tre n’est pas réductible au concept% Pi vous me demande8 ce

qu’est l’9tre dans le plan des concepts, e ne peux donc pas vous le dire, vous !ournir un*attribut+ qui soit adéquat $ l’9tre% Ae crois que l’9tre, l’existence ne se rév-lent $ lapensée qu’en une expérience !amili-re, mais intraduisible% <’évidence du sum estpremi-re, et dépasse l’idée de pensée%%% l a plus dans cet 9tre que le !ait qu’il pense%%%+(p% O2)%

Rous avons peine $ croire que nous ne sommes pas en train de lire $ présent unpassae d’un dialoue platonicien mais qu’il s’ait de la retranscription, sans doute 3d-le,d’une discussion qui s’est tenue réellement, devant témoins, en se maintenant $ un niveau detension extr9me qui associe étroitement le débat d’idées et l’a'rontement personnel en !ormede puilat, un a'rontement qui allait marquer durablement les études d’histoire de laphilosophie en 7rance et leur donner $ certains éard le caract-re de uerre de tranchées o#allaient s’opposer les 3d-les de l’un et l’autre de ses protaonistes%

 Rous en resterons l$ pour ce qui concerne le déroulement du colloque Descartes de

Soaumont, qui s’est poursuivi audel$ de cette oute particuli-re dont la vivacité étonne etenchante ont pris ensuite la parole d’autres intervenants, entre autres le sae @ouhier, quiprésentera des textes cartésiens des lectures plus équilibrées, plus nuancées, et peut9tre plus!ades que celles esquissées dans les propos d’lquié et de @ueroult, que leur caract-reextr9mement accusé rend particuli-rement intéressants, en raison des eneux philosophiquesqui s’ mani!estent avec une !orce stupé3ante, ce qui témoine d’ailleurs du !ait quel’institution universitaire n’était pas, dans la décade qui a précédé 1F6N, aussi moribonde etin!éconde qu’on a bien voulu le dire%

=ontentonsnous pour 3nir de résumer les positions en présence, qui ne pouvaients’a'irmer qu’en se déclarant mutuellement inconciliables du cogito cartésien, lquié donneune lecture existentielle qui le ram-ne sur le plan d’une expérience métaphsique en derni-reinstance indicible parce que non conceptualisable, et, $ ce point de vue, la randeur de>escartes, nouveau .arménide, tient au !ait d’avoir poussé l’entreprise d’une élucidationrationnelle de l’9tre usqu’au point o# elle bute contre une limite in!ranchissable, étant

impossible de rien dire de l’9tre sinon qu’il est, dans l’absolu de son indétermination $cela @ueroult oppose une lecture du coito qu’on peut dire loique, ce qui permet de leréinscrire $ sa place $ l’intérieur de l’ordre des raisons auquel il est par!aitement intéré, et, $ce point de vue, la randeur de >escartes est d’avoir en quelque sorte ramené enti-rement lamétaphsique dans les limites de la simple raison, tout simplement en mettant de l’ordre,c’est$dire en édi3ant un sst-me enti-rement conceptualisé, véritable !orteresse $ la 5auban,que la pensée habite sans avoir aucune raison valable de chercher $ en sortir%

ais peut9tre la randeur de >escartes estelle ustement d’avoir pr9té occasion $ detelles lectures alternatives et irréconciliables, ce qui !ait qu’on n’a pas 3ni de disputer et de sedisputer $ son propos, sine qu’il s’ait d’une pensée touours vivante, qui, audel$ des limitesdans lesquelles son discours est historiquement en!ermé, continue $ !aire ré:échir parcequ’elle n’a touours pas livré ses ultimes secrets%

 =opriht .ierre achere

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(1J/11/2002)

,uerelles cartésiennes ()e "éat #oucault-.erri"a autour "e l/ar0ument "e la folie et "u

rve <e point de départ de la discussion entre 7oucault et >errida a été

!ourni par la publication en 1F61 de ce qui a été le premier rand livrede 7oucault, l()istoire de la folie  (1e éd%, .lon, *olie et déraison +

 )istoire de la folie l’-ge classique , )* . ), avec lequel a débuté unetraectoire qui, au cours des vint années suivantes, a larementcontribué $ chaner la donne des débats théoriques de l’époque, $ lacroisée des sciences, de l’histoire et de la philosophie%

Sappelons qu’en parlant d’une histoire de la !olie, 7oucaultsini3ait d’emblée sa décision d’arracher la !olie, ou plutQt ce qu’ilappelait *l’expérience de la !olie+, au statut prétendument naturel quelui avait assiné la médecine pschiatrique qui, avec son positivismespontané et naZ!, avait identi3é la !olie $ une sorte de !atalité oraniqueune !ois pour toutes dé3nie par ses traits immuables% <’idée de départde 7oucault était au !ond tr-s simple en reprise de la th-se deRiet8sche selon laquelle il n’ a pas de !aits mais seulement desinterprétations, elle consistait $ récuser l’hpoth-se selon laquelle la!olie est un !ait obecti! donné préalablement $ ses interprétations, ce

qui conduisait $ l’expliquer en !onction du reard porté sur elle, reardnécessairement historique, donc soumis aux conditions propres $ uncertain état de civilisation et de culture, et par l$ m9me aussidéterminé $ se trans!ormer lorsque cet état est modi3é%

Tr, selon 7oucault, un moment !ort de l’histoire o# prennent placeles expériences de la !olie est celui o# s’élabore le sst-me de larationalité classique% lors, le reard porté sur la !olie prend la !ormeinédite d’un reard d’exclusion, exclusion concr-tement matérialisée $travers le este d’en!ermement des !ous dans la nouvelle institution quiconstitue l’embl-me visible, le dispositi! o# se réalise en pratiquel’ordre de la raison, c’est$dire $ la !ois l’ordre qu’elle prescrit et celui

auquel elle s’identi3e l’LQpital @énéral% insi, ce que nouscomprenons sous le nom de raison lorsque nous lisons >escartescorrespond $ une !ormation historique, tout $ !ait particuli-re en dépitde sa prétention $ l’universalité% =ette !ormation se caractérisespéci3quement par le partae qu’elle promulue $ l’éard de son

 utre, contre lequel elle se dé3nit la déraison, 3ure sinuli-re de la!olie%

ntitulé *<e rand ren!ermement+, le 2e chapitre de la premi-repartie de l’ )istoire de la folie, commence par un pararaphe consacré$ >escartes, pris comme témoin exemplaire du mouvement de penséequi a usti3é l’expulsion de la !olie hors du champ uni3é dévolu $ laseule raison, et a provoqué sa réclusion% &t c’est $ cette occasion que

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7oucault propose sa lecture du passae de la premi-re Méditation Métaphysique o# *>escartes rencontre la !olie $ cQté du r9ve et detoutes les !ormes d’erreur+, qui doivent 9tre disquali3ées pour que laraison a'irme sa domination% Iel qu’il est cité par 7oucault, avec uneré!érence $ l’édition de la .léiade qui reproduit la traduction !ranEaise

réalisée au 45e si-cle sous l’autorité de >escartes par le duc de<unes, ce passae est le suivant

*=omment estce que e pourrais nier que ces mains et cecorps sont $ moi, si ce n’est peut9tre que e me compare $certains insensés, de qui le cerveau est tellement troublé eto'usqué par les noires vapeurs de la bile qu’ils assurentconstamment qu’ils sont des rois lorsqu’ils sont tr-s pauvres, qu’ilssont v9tus d’or et de pourpre lorsqu’ils sont tout nus, ou qu’ilss’imainent 9tre des cruches ou avoir des corps en verre%+=eci su-re que la !olie rel-ve d’un déterminisme corporel les

humeurs qui envahissent le cerveau des individus concernés par cephénom-ne leur !ont littéralement perdre la raison, dont ils sont d-slors privés, et les rel-uent hors de raison, au sens d’une véritableexterritorialité% >’o# cette conséquence que, si ceux qui sont en proie $la !olie se trompent ou sont trompés, comme c’est le cas de ceux quir9vent ou tombent communément dans l’erreur, c’est d’une mani-re $nulle autre pareille, ce que 7oucault précise $ l’aide de la !ormulesuivante

*>escartes n’évite pas le péril de la !olie comme il contournel’éventualité du r9ve ou de l’erreur%+ ( )* ., p% GO)=ette !ormule doit 9tre prise $ la lettre au point de vue de la

lecture que 7oucault !ait de >escartes, la !olie est un *péril qu’onévite+, alors que le r9ve et l’erreur sont une *éventualité qu’oncontourne+% Tn contourne le risque de l’erreur et du r9ve, parce queceuxci n’attaquent pas la raison dans son principe, mais tout au plusen alt-rent le !onctionnement que e r9ve ou que e sois éveillé, que esois ou non su'isamment viilant $ l’éard de ce que prétendentm’enseiner mes sens, e reste une chose pensante qui, $ tout moment,peut penser mal si elle ne se donne pas les moens qui luipermettraient de !ormer des idées claires et distinctes sur lesquellesasseoir la certitude de ses représentations% ais il en va toutautrement avec la !olie, qui met réellement l’existence de la raison en

péril et c’est pourquoi le probl-me n’est pas seulement d’encontourner l’éventualité, mais de l’éviter, c’est$dire, concr-tement, del’éliminer, en raison du risque radical qu’elle présente che8 le !ou,l’esprit ne !onctionne pas mal, il a compl-tement cessé de !onctionnerl’Ume ne pense plus du tout, mais est entraBnée sur un terrain o# ellene peut plus se retrouver, qui est celui de la pure déraison, par laquelleses pouvoirs sont dé3nitivement abolis, puisque cette déraison consisteen un abandon $ la seule loi du corps%

=’est ce que 7oucault veut !aire comprendre lorsqu’il écrit *Ri le sommeil peuplé d’imaes, ni la claire conscience que

les sens se trompent ne peuvent porter le doute au point extr9mede son universalité admettons que les eux nous déEoivent,

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*supposons maintenant que nous sommes endormis+, la vérité nelissera pas tout enti-re dans la nuit%+ ( )* , p% GG)=’est pourquoi l’hpoth-se selon laquelle, alors que e crois 9tre

éveillé, e pourrais bien 9tre en train de r9ver, n’est pas privée de sens,et il est par!aitement loisible d’en envisaer la possibilité% lors que

l’hpoth-se selon laquelle e serais !ou, alors m9me que e pense 9treraisonnable, est, elle, non seulement peu vraisemblable, maistotalement inacceptable, inadmissible, impensable, dans la mesure o#elle revient $ raer de la carte la possibilité m9me de raisonner et depenser, que ce soit bien ou mal% =’est pourquoi la !olie ne peut 9tresimplement présentée comme une erreur ou une dé!aillance de laraison

*.our la !olie il en est tout autrement si ses daners necompromettent pas la démarche, ni l’essentiel de la vérité, ce n’estpas parce que telle chose, m9me dans la pensée d’un !ou, ne peutpas 9tre !ausse mais parce que moi qui pense, e ne peux pas 9tre!ou% Cuand e crois avoir un corps, suise assuré de tenir une

 vérité plus !erme que celui qui s’imaine avoir un corps de verre; ssurément car *ce sont des !ous, et e ne serais pas moinsextravaant si e me rélais sur leur exemple+% =e n’est pas lapermanence d’une vérité qui arantit la pensée contre la !olie,comme elle lui permettrait de se déprendre d’une erreur oud’émerer d’un sone c’est une impossibilité d’9tre !ou,essentielle non $ l’obet de la pensée mais au suet qui pense% Tnpeut supposer qu’on r9ve et s’identi3er au suet r9vant pourtrouver *quelque raison de douter+ la vérité apparaBt encore,

comme condition de possibilité du r9ve% Tn ne peut en revanchesupposer, m9me par la pensée, qu’on est !ou, car la !olie ustementest condition d’impossibilité de la pensée *Ae ne serais pas moinsextravaant+%%% ( )* ., p% GG)+=roire qu’on est éveillé, alors qu’on est en plein sone, c’est se

tromper, c’est$dire s’écarter de la vérité% ais 9tre !ou est bien plusc’est *extravauer+, c’est$dire s’extraire compl-tement du champ dela raison, s’Qter tout moen de penser% Tn s’éveille d’un sone, on nesort pas de la !olie, car on est en!ermé et c’est pourquoi il !aut ellem9me l’en!ermer, c’est$dire traduire dans les !aits l’état absolumentnéati! qu’elle représente, état qui est exclusi! de la pensée en tant que

telle, et non seulement de la vraie pensée%>e l$ la nécessité d’une mise $ l’écart de la !olie,

nécessité prorammée dans la mesure o#, écrit 7oucault, *une certainedécision a été prise+

*>escartes a acquis la certitude et la tient solidement la !oliene peut plus le concerner% =e serait extravaance de supposerqu’on est extravaant comme expérience de pensée, ma !olies’implique ellem9me, et partant s’exclut du proet% insi le périlde la !olie a disparu de l’exercice m9me de la raison%+ ( )* ., p% G6)=ar on ne voit pas comment la raison pourrait se dé3nir autrement

que comme pure de déraison, cette derni-re constituant l’expérience

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de nonpensée qui s’exclut d’ellem9me de l’exercice de la pensée% >el$ le réime d’exclusion par lequel

* le daner se trouve conuré et la !olie placée hors dudomaine d’appartenance o# le suet détient ses droits $ la vérité%+( ) * ., p% G)

&t, peuton aouter, appartenance en vertu de laquelle le suetdétient aussi ses droits $ l’erreur, ce qui doit normalement l’inciter $redresser ses erreurs, en quoi consiste le !ait de se détromper, par unexercice mieux contrQlé de la raison% lors que cette m9meappartenance décline obliatoirement tout droit $ la !olie, ce quiexplique que, dans cette loique, cette derni-re soit reetée davantaeencore que condamnée en vue d’9tre corriée%

=e reet de la !olie est l’impensé de l’Ue classique *l s’en !aut que l’histoire d’une ratio comme celle du monde

occidental s’épuise dans le pror-s d’un *rationalisme+ elle est!aite, pour une part aussi rande, m9me si elle est plus secr-te, dece mouvement par lequel la >éraison s’est en!oncée dans notresol, pour disparaBtre, sans doute, mais prendre racine%+ /)* .,p% G)<a raison classique a donc bien sa part d’ombre mais, cette part,

elle l’a soineusement mise $ part, en s’en séparant, ce pour quoi il luia !allu construire les murs d’une prison dans laquelle elle a cru, quelleillusion W,pouvoir pour touours la contenir%

 =’est sur cette lecture de >escartes que >errida est revenu deux

ans plus tard, en 1F6J, dans une con!érence présentée au =oll-e

philosophique (dirié par A% [ahl) sur *=oito et histoire de la !olie+,dont le texte a été ensuite incorporé $ L’écriture et la di0érence (Peuil,coll% Iel Cuel, 1F6, 'D, p% G1F)% l propose son propre commentairedu texte de >escartes, commentaire dont les conclusions s’écartentnettement de celles auxquelles était arrivé 7oucault, voire m9me lescontredisent%

>errida reprend $ son point de départ l’examen du coitocartésien comme saisie de soi immédiate de la pensée, ce qui le conduit$

*éprouver qu’il s’ait l$ d’une expérience qui, en sa plus 3nepointe, n’est peut9tre pas moins aventureuse, périlleuse,

énimatique, nocturne et pathétique que celle de la !olie, et qui luiest, e crois, beaucoup moins adverse et accusatrice, accusative,obectivante que 7oucault ne semble le penser%+ ( 'D, p% GG)

 utrement dit, le partae entre raison et déraison est beaucoupmoins net et tranché que ne le voit 7oucault, qui, en cautionnant lareprésentation de celleci comme pure lumi-re qui s’est exemptée detoute obscurité, est peut9tre tombé $ son insu dans le pi-e tendu parla raison triomphante dont il entérine, non sans une certaine candeur,le messae, en étant plus attenti! $ la parole déclarée de >escartes, rappelons la !ormule emploée par 7oucault *Hne certaine décision a

été prise%+ , qu’$ ce qui est réellement écrit et inscrit dans son texte etdéborde la portée immédiate de cette parole mani!este%

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>ans un !rament des Pensées  cité par 7oucault au début de la.ré!ace de l’ )istoire de la folie, .ascal avait avancé que *ce serait 9tre!ou par un autre tour de !olie de n’9tre point !ou+, tour de !olie dont,sans aucun doute, il créditait les *demihabiles+ au nombre desquels ilraneait >escartes et son mod-le univoque de rationalité abstraite%

=’est en quelque sorte le point de vue de .ascal qu’adopte >erridapour lire >escartes entre les lines, de mani-re $ !aire ressortirqu’entre ce qu’il dit, en a'irmant la pureté de la raison, et ce qu’il !ait,$ travers une expérience qui est tout sau! limpide mais est marquéepar l’ambiuZté, voire m9me par un certain tour de !olie, s’installe unemare d’écart, une *di'érence+, qui creuse dans son épaisseur lalettre, l’écriture matérielle de son texte, $ la sur!ace duquel 7oucaults’est tenu en s’attachant au !ait qu’ *une certaine décision a été prise+,comme si on était touours absolument maBtre de ses décisions%

Ron sans malice, et m9me peut9tre avec une certaine dose demalinité, >errida déclare qu’il se propose de *relire naZvement>escartes+ ( 'D , p% O la !ormule *lecture naZve+ revient un peu plusloin, p% FG), alors qu’il !ait tout ce qu’il peut pour se déprendre des!antasmes attachés $ une lecture de premier deré, qui prend au piedde la lettre ce qu’a l’air de dire l’auteur du texte, quand il !audrait aucontraire se rendre attenti! au !ait qu’en réalité il peut dire tout autrechose, ou plutQt, pour reprendre les mots qui viennent d’9tre utilisés, ilpeut !aire autre chose que ce qu’il dit, cet écart se trouvant quelquepart inscrit dans la lettre de son texte, qui n’est en rien transparente $ellem9me et se trouve touours décalée, en exc-s ou en dé!aut, parrapport $ la parole qu’elle a l’air d’énoncer directement ce serait

l’enseinement principal de ce que >errida a par ailleurs appelé*rammatoloie+% *>ire c’est !aire+, la !ormule est devenue classiquedepuis ustin mais si c’était !aire autre chose que ce qu’on dit ; <adiscussion qui s’est élevée plus tard entre >errida et Pearle, au suetde la bonne lecture $ e'ectuer de la th-se d’ustin trouve peut9treson oriine dans cette interroation% outons que, dans le cas qui nousoccupe, ce qui est en question, c’est moins ce qui est *dit+, enré!érence $ une parole susceptible d’9tre rapportée $ une dispositionintentionnelle (*une certaine décision a été prise+), que ce qui est écrit,ce qui est tout autre chose de ce qui est écrit par >escartes ou sousson nom dans les Méditations Métaphysiques , il est impropre de

soutenir qu’il le *dit+, ou du moins cela pr9te $ con!usion%Tn peut léitimement se demander ce que serait la lecture *naZve+

d’un philosophe, la notion de naZveté étant de celles qui appellent leplus une entreprise d’analse critique, voire de *déconstruction+% >e!ait, la lecture de >escartes que >errida propose dans la suite de sacon!érence est une lecture savante, qui suit le texte de la1e Méditation pas $ pas, ce que 7oucault, comme soucieux d’allerdirectement $ l’essentiel en se taillant peu académiquement un chemin$ la hache, s’était dispensé de !aire% Tr, en relisant le texte $ la loupedans son intéralité et en essaant d’en ressaisir le mouvement

d’ensemble, au lieu de s’en tenir $ un extrait commodément isolé parrapport $ son contexte, on s’aperEoit, d’apr-s >errida, que la relation

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entre les deux aruments du r9ve et de la !olie est exactement inversede la présentation qu’en donnait 7oucault

*=ette ré!érence au sone n’est donc pas, bien au contraire,en retrait par rapport $ la possibilité d’une !olie que >escartesaurait tenue en respect ou m9me exclue% &lle constitue, dans

l’ordre méthodique qui est ici le nQtre, l’exaspération hperboliquede l’hpoth-se de la !olie%%% >e ce point de vue, le dormeur ou ler9veur est plus !ou que le !ou%+ ( 'D, p% F)&n e'et, le vrai daner pour la raison, ce n’est pas la donnée

empirique constituée par !olie, qui représente $ son éard un accidentpériphérique ne concernant par dé3nition que quelquesuns, ceux quisont reconnus comme *insensés+, et sur lequel il n’ a pas lieu des’attarder, mais la réalité !antomatique du r9ve, dont la potentialité luiest consubstantielle car, $ la di'érence de la !olie, il correspond $ uneexpérience universellement connue et pratiquée, dont ni les plusrands savants ni les plus rands saes ne sont a priori préservés, etdont la menace se pro3le en permanence sur les activités de la raison,qui, si elle peut aisément, du moins en apparence, 9tre délivrée del’accusation d’9tre une raison !olle, ne peut 9tre aussi !acilementexemptée de celle d’9tre une raison r9vante dont toutes lesreprésentations, prises $ leur source, seraient !actices% Tn peutprendre la décision d’en!ermer les !ous, mais on ne peut échapper $ la!atalité qui dé3nit la condition du r9veur, qui est d’9tre de luim9me, etcomme sous son enti-re responsabilité, bien qu’il n’en puisse mais,en!ermé dans son r9ve

&t donc, si la lecture de >errida est la bonne, la raison cartésienne

n’est pas cette puissance s"re de soi qui, $ partir du moment o# *unecertaine décision a été prise+, a compl-tement reeté hors de son ordrecet utre qu’est pour elle la !olie catalouée comme déraison, mais unepensée inqui-te, ronée de l’intérieur par le doute, hantée par le soucide ne pouvoir établir une !ronti-re nette entre le sommeil et la veille,ce qui remet en question la certitude de toutes ses représentations, etlui rend extr9mement di'icile de prendre quelque décision que ce soit%=’est cela que veut sini3er >errida lorsqu’il présente l’hpoth-se dur9ve comme *l’exaspération hperbolique+ de celle de la !olie et parhperbole, il !aut entendre ce passae $ la limite, cette violence !aiteaux dispositions naturelles de la pensée qui caractérise la traectoire

suivie dans la premi-re Méditation, o# le doute, appué au départ surdes raisons naturelles, les erreurs des sens qui conduisent $ supposerque, si e me trompe quelque!ois, e pourrais bien me tromper touours(ce qui est une premi-re ébauche de passae $ la limite), se déplace, setrans!orme, usqu’au point o# il perd dé3nitivement tout caract-renaturel et devient *hperbolique+, non plus simple soupEondirectement dérivé de l’expérience, mais doute !orcé, arti3ciel, dont lesconséquences se déploient hors de toute mesure% =’est suivant cetteloique de l’hperbole qu’est amenée pour 3nir la supposition qu’ilpourrait bien avoir un alin @énie qui manipule toutes mes pensées

et m’abuse, compris lorsque e !orme des idées claires et distinctesque e rapporte spontanément $ des obets existant hors de ma pensée,

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alors que, tant qu’il n’ a pas de preuve du contraire, il est touoursloisible de supposer que rien n’existe hors de ma pensée et que la vieest un pur sone sans contenu assinable dans la réalité% &t l’on saitque ce probl-me va poursuivre la pensée classique tout au lon de sonhistoire, et ne trouvera une sorte de résolution qu’avec Kant et son idée

selon laquelle, si la pensée est un r9ve, c’est un r9ve normalementstructuré et ordonné, dont les !ormes de mani!estation maintiennent ledroit $ l’universalité, ce qui doit nous su'ire pour rétablir $ son éardune relative con3ance%

P’il en est bien ainsi, si l’arument du r9ve consiste enl’exaspération hperbolique de celui de la !olie, c’est que dans lapossibilité de r9ver subsiste, sous une !orme modi3ée, et m9meampli3ée, une trace de !olie% &t e'ectivement, il a dans la pratique dudoute hperbolique quelque chose qui ne va pas sans une certaine dosede !olie, la sinularité de l’entreprise de >escartes consistant en ceciqu’il consid-re que, pour sauver la raison, il !aut d’abord l’éprouver,l’a'oler, en ébranlant de !ond en comble toutes ses certitudes, cequi nécessite de l’amener usqu’au point o# elle se met $ douter d’ellem9me $ la !olie en remettant en cause sa propre existence% =e serait lapreuve que >escartes, bien loin d’avoir expulsé la !olie hors de l’ordrede la raison, l’ a au contraire d’une certaine !aEon intérée, assimilée,en !aisant d’elle, dans sa qu9te de la certitude, un instrument, unambivalent pharma1on 

*<e recours $ l’hpoth-se du alin @énie va rendre présente, va convoquer la possibilité d’une folie totale, d’un a'olement totalque e ne saurais maBtriser puisqu’il m’est in:ié par hpoth-se

et que e n’en suis plus responsable a'olement total, c’est$dired’une !olie qui ne sera plus seulement désordre du corps, del’obet, du corpsobet hors des !ronti-res de la res cogitans, horsde la cité policée et rassurée de la subectivité pensante, maisd’une !olie qui introduira la subversion dans la pensée pure, dansses obets purement intelliibles, dans le champ des idées claireset distinctes, dans le domaine des vérités mathématiques quiéchappent au doute naturel%+ ( 'D, p% N1)l aurait donc une sorte de contamination de la rationalité par la

!olie qui, littéralement, la *subvertit+, la met sens dessus dessous, cequi correspond au !ait que, loin d’avoir été reetée dé3nitivement

comme impossible, elle est devenue possible% >e l$ la démarcheparadoxale de >escartes qui consiste $ a'irmer que

*l’acte du coito vaut m9me si e suis !ou, m9me si ma penséeest !olle de part en part% l a une valeur et un sens du coitocomme de l’existence qui échappent $ l’alternative d’une !olie etd’une raison déterminée%+ ( 'D, p% NG)=’est donc que la raison n’a de chance de récupérer une maBtrise

sur la !olie qu’$ partir du moment o# elle a cessé de la tenir $distance

*<a pensée alors ne redoute plus la !olie *les plus

extravaantes suppositions des sceptiques ne sont pas capables del’ébranler+ ( Discours, Oe partie)% <a certitude ainsi atteinte n’est

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pas $ l’abri d’une !olie en!ermée, elle est atteinte et assurée en la!olie ellem9me% &lle vaut m9me si e suis !ou%+ ( 'D, p% N6)<a !olie, au lieu d’9tre exclue, est apprivoisée, domptée elle ne

peut plus rien contre une raison qui, en s’enaeant dans lemouvement du doute hperbolique, a en quelque sorte, en !aisant !ond

sur l’ambivalence dupharma1on qui est $ la !ois le mal et son rem-de, oué la !olie contre ellem9me, de mani-re $ pouvoir, en aant bienassuré ses arri-res, tout reprendre $ 8éro $ partir du moment inauuraldu coito% Tr, pour rendre possible ce recommencement, il a !alluutiliser la violence, l’exc-s de l’u$ris hperbolique, qui a permisd’opérer la rupture par laquelle la raison est ramenée $ son point dedépart, ou oriine absolue mais cet acte extr9me n’a rien $ voir avec leeste historique du ren!ermement évoqué par 7oucault% .our le dired’un mot, il a !allu, non pas enchaBner la !olie, mais au contraire ladéchaBner% =’est pourquoi il n’ a rien de plus !ou que cette raison qui,pour se sauver, en est venue $ se compromettre ouvertement avec la!olie%

>e cela, >errida tire cette leEon qui ne concerne pas seulement>escartes, mais con!-re $ sa démarche un caract-re exemplaire pourtoute la philosophie pour autant qu’elle !ait place $ l’exc-shperbolique, ce que !ait éalement .laton dans un passae clé du livre

 5 de La #épu$lique, cette démarche ne se laisse pas ramener dans lecadre 3xé par une structure historique dé3nie, mais renvoie $ unedimension transhistorique de l’entreprise philosophique qui, par saradicalité, échappe ellem9me $ la mesure de la temporalité% =’est surcette idée que se conclut son exposé

*=ette crise en laquelle la raison est plus !olle que la !olie car elle est nonsens et oubli et o# la !olie est plus rationnelle quela raison car elle est plus proche de la source vive quoiquesilencieuse ou murmurante du sens, cette crise a touours dé$commencé et elle est interminable% =’est asse8 dire que si elle estclassique, elle ne l’est peut9tre pas au sens de l’Ue classiquemais au sens du classique essentiel et éternel, quoique historiqueen un sens insolite%+ ( 'D, p% F6)=ette historicité insolite, qui inore les !ronti-res des époques et

ne reconnaBt de *classique+ qu’essentiel et éternel, est en !ait cellepropre $ une autre histoire, histoire en pro!ondeur qui inore la

succession temporelle des *Ues+ et les contraintes attachées $ sapériodicité% <e mot *historicité+ est d’ailleurs impropre pour désinercette autre histoire c’est plutQt d’une *historialité+ ausens heideérien qu’il !audrait parler ici% &t ceci !ait comprendre qu’$l’arri-replan des deux lectures de >escartes proposées par 7oucault et>errida, il a aussi deux lectures de Leideer l’une au point de vuede laquelle le este d’oblitération propre $ l’oubli de l’9tre, qui marqueune certaine mani-re de !aire de la philosophie, prend place quelquepart dans le processus de l’histoire et permet d’en rendre comptel’autre au point de vue de laquelle l’oubli de l’9tre marque de part en

part cette histoire dont il constitue l’oriine idéale $ laquelle elle necesse amais de revenir comme $ son ultime condition de possibilité%

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>’o# cette conclusion que l’expérience de la !olie ne peut 9treinclue dans le cadre d’une histoire o# sa place serait une !ois pourtoutes et !actuellement marquée% =ontrairement $ ce qu’avance7oucault, pris en :arant délit d’historicisme, il n’ a pas d’histoire dela !olie%

 <a lecture de l’exposé de >errida a déclenché che8 7oucault une

!roide col-re on ne s’arr9tera pas ici sur les aspects tr-s personnels, voire m9me caractériels, de cette réaction, qui ont en:ammé ladiscussion au point de la trans!ormer en une oraeuse et asse8 b9tequerelle de personnes nourrie d’obscurs ressentiments% =e qui nousintéresse, c’est le !ond des positions dé!endues, et la conception de ladémarche philosophique qu’elles impliquent, qui n’est mani!estementpas la m9me pour 7oucault et >errida% =’est donc cette di'érence qu’ilnous !aut essaer de mieux cerner en vue d’en mesurer lesconséquences%

&n réaction $ l’analse de >errida, 7oucault écrit un texte, *oncorps, ce papier, ce !eu+, qu’il annexe en 1F2 $ la réédition del’ )istoire de la folie dans la Miblioth-que des idées de @allimard, dont ilconstitue le second ppendice (p% GNJ et sq% de cette édition, )* 2)%

>ans ce texte il commence par préciser ce qui, $ ses eux,constitue l’eneu central du débat

*Pauraitil avoir quelque chose d’antérieur ou d’extérieur audiscours philosophique; .eutil avoir sa condition dans uneexclusion, un re!us, un risque éludé, et, pourquoi pas, dans unepeur; PoupEon que >errida reette avec passion% Pudenda origo,

disait Riet8sche $ propos des reliieux et de leur reliion%+ ( )* 2,p% GNO)7oucault veut dire que, en a'irmant que la raison classique s’est

développée $ partir du *este+ par lequel la !olie est, en théorie,reetée de son ordre, et, en pratique, en!ermée entre les murs del’institution de l’LQpital@énéral, il avait cherché délibérément $attenter $ la pureté inviolable ou prétendue telle de l’actephilosophique, ce qu’il avait !ait en assinant $ celuici un préalablenon philosophique ne relevant pas, du moins pas seulement, de l’ordrede l’idée% Tr c’est précisément ce qui aurait arr9té >errida, que7oucault installe dans la posture peu lorieuse d’un ardien du temple,

en le présentant comme un esprit reliieux pro!ondément choqué etindiné par le soupEon porté $ l’encontre de l’intérité du discoursphilosophique, intérité que luim9me aurait, en sens inverse, cherché$ rétablir% utrement dit, au reproche qui lui est !ait d’historiciser lapensée philosophique en reetant celleci du cQté de son dehors,7oucault !ait la réponse du berer $ la ber-re et su-re que, de soncQté, >errida reste campé sur les positions traditionnelles dela philosophia perennis  et c’est ce qui, normalement, doit le rendreréticent aussi bien $ l’éard d’une remise en perspective historique desaruments des philosophes qu’$ celui de leur assimilation $ des

*estes+ associés $ des postures décisionnelles dont les conséquencesne sont pas seulement théoriques mais aussi pratiques, puisqu’elles

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sont inscrites, comme ravées en dur, dans les murs de l’institution quiconcrétise ces postures%

=eci posé, 7oucault, piqué au vi! par le reproche qui lui a été !aitpar >errida de l’avoir survolé avec une certaine nélience, revient autexte de >escartes, et m9me se reporte au texte oriinal latin qu’il

avait roalement inoré $ l’occasion de sa premi-re lecture, ils’amuse d’ailleurs au passae $ remarquer que >errida, emporté parson souci de !aire parler l’intéralité du texte de >escartes, n’a paspr9té attention au !ait que certaines de ses interprétations portent surdes aouts de la traduction !ranEaise du duc de <unes , et il enpropose une analse détaillée en vue d’étaer sa conception durapport entre l’arument du r9ve et celui de la !olie%

>errida avait opposé le caract-re habituel et commun del’expérience du r9ve, ainsi universalisée, et le caract-re exceptionnel et!actuel de celle de la !olie, qui en !ait une expérience particuli-re dontil ne serait pas possible de tirer de conséquences sini3catives en cequi concerne le statut propre de la raison, celleci étant en derni-reinstance davantae ébranlée par la sourde menace que constitue pourelle en permanence le r9ve que par le daner occasionnel représentépar la !olie, si bruantes qu’en soient les mani!estations% ais, observe7oucault, le probl-me n’est pas de mesurer cette di'érence en termesde !réquence statistique ou d’intensité, comme si cela su'isait pour luicon!érer une valeur obective car on prend alors le risque de passer $cQté de ce qui !ait la sinularité de l’expérience de la !olie et lui con!-reun surcroBt d’intér9t% Pans doute, l’expérience du r9ve présentetelleun caract-re *intime+, dans la mesure o# chacun doit reconnaBtre qu’il

peut $ tout moment la !aire% ais, ustement, cette proximité du r9vecon3rme son appartenance au champ qu’occupe aussi la raison, champdont il con3rme la réalité et l’enverure $ sa mani-re, car, *e pensedonc e suis+, qui veut dire aussi *e doute donc e suis+, cela pourraitse dire *e r9ve (et e doute si e le !ais ou non) donc e suis+

*(<e r9ve)%%% a beau modi3er $ ce point le suet méditant, il nel’emp9che pas, au coeur m9me de ce stupos  , de continuer $méditer, $ méditer valablement, $ voir clairement un certainnombre de choses ou de principes, en dépit de l’indistinction, aussipro!onde qu’elle soit, entre veille et sommeil%%% 9me trans!orméen *suet supposé dormant+, le suet méditant peut poursuivre de

!aEon s"re le cheminement de son doute%+ ( )* 2, p% GN)<$ est ce qui distinue le !ou du r9veur le r9veur continue $

douter, ou $ pouvoir le !aire, et en tout cas se prépare $ le !aire, alorsque le !ou est dé3nitivement emp9ché de douter l’un pense, l’autrepas% =’est pourquoi e puis touours douter si e r9ve ou non, mais e nepuis douter si e suis !ou car, 9tre !ou, c’est 9tre privé des moens dedouter et, en conséquence, si e ne puis pas !ou, e suis amenénécessairement $ concevoir l’expérience de la !olie comme quelquechose d’impensable, qui, $ moins d’une remise en cause radicale de manature d’9tre pensant, ne peut en aucun cas m’arriver et m’est donc

dé3nitivement étraner% <e r9veur, c’est peut9tre moi, mais le !ou, il!aut que ce soit l’autre, ce que traduit éloquemment l’interection qui

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se trouve dans le texte de >escartes, *ais quoi W ce sont des !ous W+Cui ; 3sti, *eux+, ceuxl$, mais certainement pas moi% Tn peut !eindrede r9ver, mais on ne peut !eindre la !olie on est !ou, et alors on ne lesait pas, ou on ne l’est pas, et on en a l’enti-re conviction% >ire *emens+ !ait tomber dans d’insolubles paradoxes qui sont au !ond

comparables $ ceux attachés au !ait de dire *e r9ve+ mais dire *e suis!ou+ est tout simplement impossible, en ce sens que, 9tre !ou, c’est cequi ne doit pas du tout 9tre au point de vue de qui est en position de sereconnaBtre comme pensant ou comme un pensant et se trouve ainsi enmesure d’a'irmer *e suis+% la lettre, e ne peux pas penser que esuis !ou, car la !olie emp9che de penser sous quelque !orme que ce soit%>u moins estce le point de vue auquel se place >escartes, ce qui lerend exemplaire de la position dé!endue par la rationalité classique

=eci !ait de la !olie un étatlimite, une !ronti-re audel$ de laquelleon sort du eu, parce que les conditions d’exercice de la pensée ont étéen totalité suspendues, abolies% =’est pourquoi il n’est pas permis deplacer les deux expériences du r9ve et de la !olie sur une m9me line,et de prétendre, comme le !ait >errida, que l’une est l’hperbole del’autre, c’est$dire que le r9ve est une sorte de !olie incorporée $l’ordre de la raison et qui conteste ou ruine cet ordre de l’intérieur car,étant de nature compl-tement di'érente, ces deux expériences sontirréductibles l’une $ l’autre%

=’est ce qui explique, remarque 7oucault, que lorsqu’il veutcaractériser la !olie, qui est proprement l’impensable, au sens nonseulement de ce qu’on ne peut pas penser mais de ce qu’il ne !aut paspenser, de ce qu’il !aut interdire et s’interdire de penser pour arantir

et préserver le pouvoir de penser, >escartes passe d’uneterminoloie constatative ou explicative $ caract-re médical, quiprésente les !ous comme des insani, des *insensés+, $ une terminoloienormative et prescriptive $ caract-re, cette !ois, uridique, qui lesprésente comme amentes ou dementes, privés ou démis de l’exercicede la raison dont ils sont reconnus incapables, et en quelque sorteindines

*<orsque >escartes veut, non plus caractériser la !olie, maisa'irmer que e ne dois pas prendre exemple sur les !ous, il emploiele terme demens  et amens  terme d’abord uridique avant d’9tremédical, et qui désine toute une catéorie de ens incapables de

certains actes reliieux, civils, udiciaires%+ ( )* 2, p% GF0)Tn a donc bien a'aire $ une disquali3cation léale,

institutionnelle, qui expulse la !olie, et la !rappe d’interdit, alors qu’onne peut interdire $ personne de r9ver, ni m9me ne peut avoir l’idée dele !aire%

>’o#, on revient $ nouveau, le caract-re d’exclusion attaché $ la!olie

*<a !olie est exclue par le suet qui doute pour pouvoir sequali3er comme suet doutant%+ ( )* 2, p% GF2)Rous voons donc que la nouvelle lecture que !ait 7oucault du

texte de >escartes con3rme enti-rement, et m9me ren!orce, lesconclusions obtenues précédemment, conclusions qu’il n’ a donc lieu $

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son point de vue, ni de remettre en question, ni m9me de nuancer la!olie $ l’Ue classique est bien ce qu’exclut la raison, ce qui sini3eréciproquement que la raison est ce qui exclut la !olie, donc est ce qui apour condition de possibilité, pour *a priori historique+, l’exclusion, nonseulement idéelle mais aussi matérielle, de la !olie, d’o# on est en droit

de conclure que l’LQpital @énéral est l’imae visible, la représentationinstitutionnelle, le smbole matériel d’un certain ordre de la rationalitéqui n’a rien d’intemporel ou d’éternel%

=ette con3rmation étant apportée, 7oucault passe en3n $ desconsidérations plus énérales au suet du mode d’énonciation propre $la *méditation+, qui est la !orme retenue par >escartes pour exposer saconception du suet pensant% ppréhendé de cette mani-re, le texte de>escartes cesse d’9tre vu comme un exposé académique, une simplerecension d’idées et d’aruments, mais se présente comme le lieu o# seproduisent des *événements discursi!s+, concept auquel 7oucaultattache beaucoup d’importance et dont il développe par ailleurs lesimplications dans L’archéologie du savoir  et dans L’ordre du discours %

&n quoi la méditation estelle un mode de discours qui !aitévénement ; &n ce qu’elle articule deux réimes d’énonciation d’unepart celui propre $ une procédure démonstrative dont la riueurdépend de l’observation d’un certain nombre de r-les !ormelles,comme s’aissant de n’importe quelle sorte de raisonnement pourautant qu’il vise $ la certitude c’était le plan auquel s’était strictementtenue la lecture de @ueroult d’autre part, $ un tout autre niveau,comme lquié l’avait bien vu, celui correspondant $ une dispositionpratique, en rapport avec la mise en place d’un ha$itus , qui poursuit

l’obecti!, non de produire des vérités, mais d’induire du cQté du suetauquel ces vérités sont destinées un certain nombre detrans!ormations ce sont ces trans!ormations qui !ont de lui, par la voiede la méditation, un suet de vérité, c’est$dire un suet totalementinvesti dans la réalité de ce qu’il pense, réalité qu’il est parvenu $assimiler $ ce qui le constitue dans son 9tre de chose pensante etméditante%

>ix ans plus tard, dans le cours sur L’herméneutique du su4et , duJ mars 1FN2 (2e heure), 7oucault reprendra $ nouveau cette analse enmontrant comment la pratique cartésienne de la méditation e'ectueune résurence de la saesse antique et de ses *exercices spirituels+

*%%% Aeu non pas du suet avec sa propre pensée ou sur sespropres pensée, mais eu e'ectué par la pensée sur le suet luim9me%%% =ette idée de la méditation, non pas comme eu du suetavec sa pensée mais comme eu de la pensée sur le suet, c’est au!ond exactement cela que !aisait encore >escartes dansles Méditations, et c’est bien précisément le sens qu’il a donné $*méditation+% lors il !audrait !aire toute une histoire de cettepratique m9me de la méditation méditation dans l’ntiquitéméditation dans le christianisme primiti! sa résurence, en toutcas son importance nouvelle et sa !ormidable explosion

aux 45e et 45e si-cles% ais en tout cas quand >escartes !aitdes *méditations+ et écrit des Méditations au 45e si-cle, c’est

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bien en ce sensl$% l ne s’ait pas d’un eu du suet avec sa pensée%>escartes ne pense pas $ tout ce qui pourrait 9tre douteux dans lemonde% l ne pense pas non plus $ ce qui pourrait 9tre indubitable%>isons que c’est l$ l’exercice sceptique habituel% >escartes se metdans la situation du suet qui doute de tout sans d’ailleurs

s’interroer sur tout ce qui pourrait 9tre dubitable ou tout ce donton pourrait douter% &t il se met dans la situation de quelqu’un quiest $ la recherche de ce qui est indubitable% =e n’est donc pas dutout un exercice sur la pensée et son contenu% =’est une exercicepar lequel le suet se met, par la pensée, dans une certainesituation%%%+ ( L’herméneutique du su4et, @allimard/Peuil 2001, p%JO0JO1)&n d’autres termes, la méditation est un exercice de pensée qui

suppose la mise entre parenth-ses de tout contenu de pensée, donccesse de considérer la pensée en tant que contenu ou aant uncontenu, c’est$dire un ou des obets, et l’aborde dans sa !orme m9mede pensée, en tant qu’elle est pensée qui se rapporte, non $ un obet,mais $ un suet qui pense, et que ce retour sur soi opéré par le biais dela méditation met en situation de devenir suet de vérité%

 .our rendre compte de la di'érence entre ces deux réimes

d’énonciation, celui propre $ la procédure démonstrative et celuipropre $ la disposition pratique, on pourrait reprendre uneterminoloie empruntée aux travaux d’ustin et de Pearle, et dire quele premier est constati! et le second per!ormati! en se plaEant aupremier niveau, on donne une sini3cation intellectuelle $ l’a'irmation

*Ae suis une chose pensante+ en se plaEant au second, on transposecette a'irmation sur un plan pratique et existentiel et on se donne lesmoens de devenir soim9me dans les !aits une chose méditante% insi,le coito n’est pas seulement la révélation théorique par laquelle on seconnaBt comme chose pensante, mais est éalement l’opératione'ective par laquelle *e+ me !ais concr-tement chose pensante, c’est$dire suet de vérité% &n proposant cette interprétation, 7oucaultrecoupe par un certain biais le lecture per!ormative du coito cartésiene'ectuée par LintiYYa%

=’est ce qui explique que >escartes 3xe $ l’exercice de laméditation, qui n’est pas sans rappeler de ce point de vue les exercices

spirituels d’nace de <oola, un certain nombre de conditionspréalables qui le préparent et le rendent possible avoir l’espritsu'isamment m"r, 9tre libre de soins et de passions, s’9tre assuré unepaisible retraite, etc%, conditions sans lesquelles la machine $ produiredes événements discursi!s qu’est le texte cartésien ne !onctionne pas,devient inapte $ !abriquer des suets de vérité% Tr, parmi cesconditions, il en est une qui est essentielle c’est d’9tre sain d’esprit,potentiellement raisonnable, c’est$dire n’9tre point !ou% >escartespeut $ la riueur envisaer d’écrire de !aEon $ pouvoir 9tre lu par des!emmes, mais il n’admet pas qu’il puisse 9tre lu par des !ous% &n e'et,

nous l’avons vu, un !ou ne peut pas méditer, puisque lui !ontcompl-tement dé!aut les dispositions $ devenir suet de vérité% lors

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que l’expérience du r9ve est, elle, par!aitement intérée au parcoursinitiatique de la méditation dont elle constitue m9me un élémentmoteur% Tn pourrait d’ailleurs imainer que le suet du coito puisseavoir intér9t $ s’exercer spécialement $ r9ver, et 9tre encouraé $ le!aire comme l’ inciterait un po-te surréaliste lquié n’avaitil pas !ait

se rencontrer en sa personne Mreton et >escartes; , pour développerses dispositions $ douter% <e r9ve est dans le champ occupé par laméditation, en plein centre de ce champ, alors que la !olie doit lui 9treextérieure, et donc en est reetée, d’une mani-re qui, nous l’avons vu,n’est pas seulement théorique mais pratique%

Pelon 7oucault, en réintérant la !olie au champ de la méditationpar le biais du r9ve, interprété comme exaspération hperbolique de la!olie, >errida ne veut donc pas voir ce qu’il a hors de ce champ, ne

 veut pas voir ce que ce champ doit reeter $ l’extérieur en se donnantl’extérieur dont il a besoin pour pouvoir exister en luim9me et, d’unecertaine !aEon il ram-ne ainsi tout le discours de >escartes sur le planpropre au réime énonciati! de l’arumentation démonstrativethéorique, sans pr9ter attention $ l’autre réime, le réime pratique deson énonciation, qui est celui par lequel le suet de vérité se constituee'ectivement% l ne comprend pas que, si le r9ve est consubstantiel audoute et conditionne son cheminement, du m9me coup lui estconsubstantiel le reet de la !olie, qui constitue l’impensé de cettepensée, en ce sens, non qu’elle est incapable de le comprendreintellectuellement, ce qu’elle ne !ait que trop bien, mais qu’elle abesoin, ce qui est tout autre chose que le comprendre, de le réaliser $travers un acte dont les e'ets ne se produisent pas dans l’ordre de la

pensée, mais $ l’extérieur de cet ordre%&t ainsi, interpréter l’hpoth-se du alin @énie comme un trait de!olie rationnelle, donc consubstantielle $ l’ordre de la raison et quiborde celuici vers l’intérieur, c’est

*ommer du texte tout ce qui montre que l’hpoth-se dualin @énie est un exercice volontaire, contrQlé, et maBtrisé debout en bout par un suet méditant qui ne se laisse amaissurprendre%+ ( )* 2, p% 601)=’est donc con!ondre les eux de l’entendement, ceux qui se

déroulent au dedans, avec les eux de la volonté, ceux qui se déroulenten vue du dehors, de ce vrai dehors dont le dedans a besoin, et qu’au

besoin il proette $ partir de luim9me, pour s’a'irmer comme dedans%Tn peut $ la riueur admettre que le suet méditant qui reprend $ soncompte l’hpoth-se du alin @énie est quelqu’un qui !ait le !ou, qui !aitcomme s’il était !ou, avec toute la mare ouverte par le *comme si+cette mare est celle qui sépare celui qui !ait le !ou, et a besoin pourcela de n’9tre pas !ou, du vrai !ou, qui, lui, est bien incapable de !airesemblant de quoi que ce soit, non pas parce qu’il n’en a pasnaturellement les moens, mais parce qu’on lui en a historiquement Qtéles moens en l’en!ermant en un lieu o# il n’ a plus de place pour les!auxsemblants% =’est pourquoi

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*si le alin @énie reprend les puissances de la !olie, c’estapr-s que l’exercice de la méditation a exclu le risque d’9tre !ou+%+( )* 2, p% 601)

 utrement dit, comme l’a'irmait d-s le départ l’ )istoire de la folie , il !aut qu’une certaine décision ait été prise et mise en pratique,

celle d’exclure les !ous, et par l$ d’exclure pour ceux qui ne sont pas victimes de cette exclusion le risque d’9tre !ou, a3n que soit possible lediscours de la méditation, avec ses deux réimes d’énonciation qui,d’une certaine !aEon, se compl-tent et a'irment ensemble, m9me sic’est dans deux lanaes di'érents, le nécessaire clivae théoriqueet pratique de la raison et de la !olie constituée en déraison%

 >errida n’a pas voulu répondre $ 7oucault, et lorsque, plusieurs

années apr-s la mort de ce dernier, en 1FF1, il a accepté de participer$ une commémoration de la publication de l’ )istoire de la folie aucours d’une séance oranisée par la Pociété nternationale d’histoirede la pschiatrie et de la pschanalse oranisée $ l’LQpital Painte

 nne, tout un smbole W, séance qui avait été ouverte par @%=anuilhem, il a choisi de parler d’autre chose% ais, m9me si, biens"r, il est impossible de se mettre $ sa place, il n’est pas tr-s di'iciled’imainer quel enre de réponse il aurait pu !aire $ 7oucault s’il avaitaccepté de poursuivre cette discussion qui, sur le plan o# 7oucaultavait pris la responsabilité de la porter, l’avait blessé% l aurait re!usécomme loocentrique, loocratique, voire m9me peut9tre phalloocratique, que, !"tce par le biais de l’histoire, puisse 9trereconnue comme e'ectuée de !aEon nettement tranchée la séparation

du dedans et du dehors, alors que ceuxci doivent pour touours rester,comme les deux réimes de l’énonciation, indissolublementenchev9trés% 7oucault n’a sans doute pas tort de souliner la dimensionpratique du discours philosophique qui ne se ram-ne pas au !ait dedévider des aruments théoriques au lon de chaBnes de raisons maisil c-de $ la tentation d’un positivisme naZ! lorsqu’il interpr-te cettedimension dans les termes d’une extériorité radicale,institutionnellement réalisée, ce qui revient une !ois encore $ reouer ladualité de l’esprit et du corps, de l’idée et de la mati-re% <a rationalitécartésienne présente bien un caract-re carcéral, mais, sa prison, c’estdans son ordre propre qu’elle l’édi3e, en tant qu’entreprise rationnelle

qui se 3xe des r-les et s’e'raie de la possibilité de s’en écarter,possibilité qui lui est consubstantielle% Poutenir que la raison classiquea ses !ous, et a besoin d’eux pour se déclarer rationnelle, est une vuesuper3cielle sur sa réalité, et cette vue détourne l’attention de saréalité pro!onde, qui consiste dans le !ait qu’ellem9me estcompl-tement !olle, d’une !olie qui s’inscrit dans la lettre m9me de sondiscours et met celleci en exc-s par rapport $ ellem9me, de tellemani-re qu’elle porte son dehors au plus pro!ond de son dedans% &t les

 vrais !ous, ce sont les philosophes qui, par un certain tour de !olie quileur est propre, croient ou veulent ne pas 9tre des !ous, et pratiquent la

dénéation de leur !olie en la reetant sur les autres et en s’écriant ausuet de ces derniers *ais quoi W ce sont des !ous%+

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 =opriht .ierre achere

(20/11/2002),uerelles cartésiennes (3)

 ./une *uerelle à l/autre2 ou *ui a raison 45 Tn pourrait en rester $ la relation des deux querelles telle qu’elle

 vient d’9tre e'ectuée, tant elle est par ellem9me riche enenseinements philosophiques, mais aussi historiques, puisque, bienaudel$ des di'icultés liées $ la lecture de certains textes cartésiens,elle !ournit un aperEu des plus éclairants sur l’état des lieux de laphilosophie en 7rance au cours de la seconde moitié du 44e si-cle en!aisant ressortir la nature tr-s particuli-re des probl-mes qui sont endiscussion, et les principaux clivaes auxquels ceuxci donnent lieu%

=ependant, il est di'icile d’éluder deux questions qui ne peuventmanquer de se présenter $ l’esprit lorsqu’on prend connaissance desdébats qui viennent d’9tre évoqués%

.remi-re question $ qui donner raison au terme de cesa'rontements dont l’ardeur aiuise le désir de les voir tranchés dansun sens ou dans un autre; &n e'et, le rituel de la querelle voudraitqu’on prenne parti, en déclarant la victoire de l’un des combattants, dupenseur de l’historicité ou de celui de l’historialité, dans le cas de laquerelle 7oucault>errida, du penseur de l’existence ou de celui de lariueur !ormelle, dans le cas de la querelle lquié@ueroult% &tpourtant, interroation subsidiaire $ cette premi-re question, cela atilun sens de chercher $ répondre; <a condition d’un reard obecti! surces querelles n’estelle pas qu’on re!use de s’ enaer et qu’on lesconsid-re de l’extérieur sans accepter de s’ impliquer ; &t surtout,qu’estce qui permet d’a'irmer que ces débats sont dé3nitivement clos,ce qui serait la condition pour qu’un bilan puisse en 9tre établi et qu’untrait dé3niti! soit tiré sur ce qui est avec eux en eu; <e propre desdébats de la philosophie n’estil pas de rester ouverts indé3niment, laseule mani-re envisaeable d’ mettre un terme étant de les mettre decQté, voire de les oublier, pour pouvoir prendre $ nouveau !eu et:amme au suet d’autres questions, !ormulées dans des termes

compl-tement di'érents, quitte $ les voir se réactiver plus tard et dansd’autres contextes, $ la mani-re de !oers d’incendie mal éteints qui

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continuent $ couver m9me lorsqu’on a cessé de les voir et de leurpr9ter attention ;

Peconde question ces deux querelles qui se sont suivies $ unedi8aine d’années d’intervalle en prenant pour prétexte la !aEon de lireles Méditations métaphysiques de >escartes, texte emblématique de ce

que, $ tort ou $ raison, on appelle la *philosophie !ranEaise+, sontellesabsolument sans rapport entre elles ; Pans doute, aucun lien explicitene passe de l’une $ l’autre, et lorsque 7oucault et >errida se sonta'rontés sur la question de savoir comment lire au uste quelqueslines de la premi-re éditation, ils n’ont pas !ait mine de se souvenirqu’lquié et @ueroult avaient débattu d’une mani-re qu’il est di'icilede quali3er de sereine au suet de quelques lines de la deuxi-meéditation mais il n’en reste pas moins qu’ils n’avaient pu euxm9mesinorer les attendus de ce débat qui avait mis au prise les maBtresd’une autre énération $ laquelle ils devaient une partie de leur!ormation universitaire, et qu’ils avaient d" en arder quelques tracesranées dans un coin ou dans un autre de leur esprit, ne seraitce quesous la !orme néative du reet, en re!usant d’ accorder unequelconque importance% &t m9me en laissant de cQté le point de savoirsi, subectivement, leur propre di'érend était plus ou moins marquépar les échos du précédent, on ne peut manquer de se demander si, surun tout autre plan que celui des arri-repensées conscientes ouinconscientes, les deux discussions ne sont pas obectivement corréléesentre elles sur le !ond, que ce !ond soit caractérisé en ré!érence auxrandes orientations auxquelles la philosophie ne cesse de revenirdepuis qu’elle existe, ou qu’il le soit d’un point de vue cette !ois

historique, en tant qu’il renvoie $ ce qu’on peut appeler lephilosophique d’une époque, c’est$dire l’ensemble plus ou moinscohérent et lié de préoccupations dont s’est nourrie la ré:exionphilosophique en 7rance durant la période considérée et qui !ournitson socle $ tout ce qui a pu se !aire et se dire en cette mati-re% =ecirenvoie d’ailleurs $ l’autre question plus que de décider qui a euraison dans les débats enaés dans ces conditions, il importe peut9tre de savoir quelle a pu 9tre la raison de ces débats, pour autant qu’ilpuisse leur en 9tre assinée une, ce qui n’implique d’ailleurs pas quecette *raison+ soit de part en part rationalisable intellectuellement, car,apr-s tout, il se peut tr-s bien qu’elle renvoie $ des nécessités d’une

autre sorte% &ssaons donc d’ voir plus clair au suet de l’éventuel bien ou mal

!ondé des positions dé!endues par les participants aux querellescartésiennes examinées% Rous allons voir que cela va aussitQtpermettre de !aire apparaBtre certaines 3ures de résonance qui lientces deux querelles et les eneux de pensée qui leur étaient attachés%

 .renons pour commencer les deux querelles sur leur bord le plus

extérieur le retentissement qu’elles ont pu avoir sur le moment dans

l’esprit de ceux qui en étaient les témoins directs et en recueillaient au!ur et $ mesure les échos% &n ros, ce sont $ peu pr-s les m9mes

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personnes qui donnaient raison $ @ueroult et $ 7oucault, dont le coupleparaissait emblématique de la riueur structuraliste qui était $l’époque au cDur d’un débat de !ond, parce qu’ils représentaientexemplairement le souci propre $ celleci de déceler, en arri-re desméandres et des subtilités du vécu conscient, cultivé principalement

par les phénoménoloues, des !ormes d’oranisation plus solides,*sst-me+ et *ordre des raisons+ pour @ueroult, *épistémé+ pour7oucault% >e mani-re smptomatique, ces deux auteurs, lorsqu’ils secon!rontaient $ >escartes, proetaient la pensée de celuici $ traversdes imaes qu’ils voaient comme ravées en dur sous la !orme deconstructions architecturales subsistant dans l’espace hors de toutécoulement temporel, qui, chacune $ sa mani-re, smbolisaient la mortdu suet !orteresse $ la 5auban pour @ueroult, Lopital @énéral pour7oucault, deux édi3ces solidement plantés sur leur base, dont lesmurailles avaient été dressées au terme de processus décisionnels danslesquels la raison classique paraissait enaer en totalité son destin en

 ouant $ !ond, et en toute lumi-re, les cartes de la cohésion (@ueroult)et de l’exclusion (7oucault)% 7ace $ eux, lquié et >errida seprésentaient, chacun d’ailleurs dans un stle bien $ soi, comme leschampions d’une certaine souplesse et ambiuZté ils répunaientprincipalement $ !aire rentrer de !orce la vie obscure de la penséedans des épures aux contours nettement tracés et aux arr9tes bientranchées en reprenant les catéories mises en place par [\llVin, onserait tenté de parler $ leur propos d’option baroque, éprise avant toutde nuances évanescentes et de !ormes en mouvement, dans unéclairae $ la Sembrandt l’attention portée par >errida aux

!ulurances impalpables de la démarche hperbolique, dans laquelle il voait le ressort principal de l’arumentation cartésienne, pouvait 9tred’une certaine !aEon rapprochée de l’intér9t priviléié portépar lquié aux ruptures initiées par le saut ontoloique quiconstituaient $ ses eux l’apport philosophique !ondamental duraisonnement développé dans l’arument du coito% Mre!, sans trop rearder de pr-s, on voait s’esquisser, si contre nature qu’ils puissentapparaBtre $ certains éards, deux couples opposés, et c’est entre lesoptions alternatives auxquelles on identi3ait l’allure énérale dechacun de ces couples, qu’on se sentait appelé $ choisir, en prenant,pour schématiser $ l’extr9me, soit le parti du clair et du dur (@ueroult

7oucault), soit celui de l’obscur et du mou (lquié>errida)%&stil permis de voir $ présent les choses de la m9me mani-re ;

=es deux *querelles cartésiennes+ avec le recul du temps, et d’untemps qui a vu, pour ce qui concerne la *sc-ne !ranEaise+, lesphénoménoloues prendre leur revanche sur les structuralistes, pourautant que ces étiquettes soient vraiment pertinentes, les termes deleur discussion aant d’ailleurs été modi3és avec l’apparition d’untroisi-me protaoniste représenté par la philosophie d’inspirationanaltique, ne se présententelles pas sous un nouveau our ; =’estcette voie que nous voudrions explorer en reprenant une !ois encore les

deux débats $ leur point de départ a3n d’essaer d’en comprendre la vraie nature% &t, disons le tout de suite, ce sera l’un des principaux

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enseinements qui se déaera de cet examen, les deux *couples+ quenous venons de voir se !ormer, vont alors se dé!aire, et le eu desa'inités électives tramera l’intriue de nouveaux appariements nousserons davantae tentés de *marier+ 7oucault et lquié d’une part,>errida et @ueroult d’autre part, ce qui am-nera $ observer de pr-s la

con!ormation de la postérité de ces deux couples, puisque c’est elle quiconcerne directement le présent de notre ré:exion philosophique%

 <e point !ort de la position dé!endue par lquié était représenté

par l’adoption d’une perspective énétique sur la pensée cartésienne,qui s’est révélée extr9mement !éconde et a !ait école en inspirant $ lasuite d’lquié de nombreux travaux il en découlait que le >escartesdes Méditations  n’est pas exactement le m9me que celui des #5glespour la direction de l’esprit ou du Discours de la méthode, voiredes Principes de philosophie, et qu’il est impossible de plaquerautomatiquement sur l’un de ces textes les leEons déaées de lalecture de l’un des autres% <a ré:exion de >escartes s’étant déploéeentre deux pQles d’intér9t relativement hétéro-nes, voire m9mediverents, la science et la métaphsique, dont la balance avait $ 9trechaque !ois renéociée, il est impossible de lui attribuer a priori lastabilité dé3nitive du sst-me et de rabattre l’ensemble de sesspéculations sur un m9me plan en !aisant le pari qu’elles obéissenttoutes aux m9mes exiences comme cela aurait été le cas si elless’étaient contentées de suivre l’ordre éométrique de l’exposésnthétique, une option expressément écartée par >escartes qui, pourdes raisons sur lesquelles il s’est lonuement expliqué $ la 3n de ses

réponses aux deuxi-mes obections, avait pré!éré emprunter l’autre voie, celle de l’analse dont la méditation constitue la !ormeexemplaire% &tre attenti! aux évolutions de cette philosophie, qui !ontavant tout de celleci une expérience de pensée concr-te tournée versla découverte émotionnante de vérités cachées, et non un !roid calculpréoccupé principalement par le souci de respecter un certain nombrede r-les !ormelles de construction, suivant le mod-le architecturalpriviléié par @ueroult, rendait un lecteurcomme lquié particuli-rement sensible aux irréularités de sondiscours, et en particulier au !ait que celuici proresse simultanémentsur plusieurs niveaux, en ouant de leurs di'érences d’une mani-re qui

évoque davantae l’esprit de 3nesse que l’esprit de éométrie% =’est decette mani-re qu’lquié est parvenu $ déplier la structure !aussementsimple du cogito, et $ montrer qu’elle articule subtilement deuxa'irmations d’esprit bien di'érent, l’une portant dans l’absolu surl’existence du suet pensant, l’autre sur sa détermination relative, ouquali3cation en tant que nature pensante% =eci constituait une avancéeconsidérable, et permettait de porter une nouvelle appréciation sur lesens de la métaphsique cartésienne, qui cesse alors d’9tre identi3ée $un raisonnement positi! et serein avanEant droit devant de soi $ partirde ses principes de base, mais s’apparente plutQt $ une recherche

inqui-te dont les eneux ne sont pas réductibles $ des catéoriesabstraites, ce qui rapproche $ certains éards la démarche de

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>escartes de celle d’un .ascal dont elle partae le souci existentiel liéau th-me !ondamental de la 3nitude le !ait de se reconnaBtre commeun milieu entre rien et tout n’est pas intéralement !ormalisable, etl’intér9t qu’on peut lui attacher exc-de celui auquel la rationalitédémonstrative reste rivée par nécessité d’état%

l est intéressant de voir cette révélation reprise en compte dans lecadre de l’autre querelle, lorsque 7oucault est amené $ s’interroer surle stle de pensée propre $ la méditation, et découvre que celleciproc-de simultanément $ deux niveaux, en déroulant d’une part lesenchaBnements rioureux d’un raisonnement destiné $ entraBner uneconviction !ormelle, et en prenant d’autre part la !orme de l’exercicespirituel par lequel le suet méditant ait sur luim9me, et induit destrans!ormations se produisant sur un plan non plus seulementthéorique mais aussi pratique c’est sur ce second plan que, selon7oucault, le reet de la !olie prend la !orme d’une exienceobsessionnelle, éprouvée comme une véritable hantise, sur !ond desouci, le souci de n’9tre pas !ou, dont les motivations ne rel-vent pas dela spéculation pure et des nécessités méthodoloiques de sa mise en!orme% .ar l$, nous voons 7oucault reoindre d’une certainemani-re lquié, et la volonté constamment a'irmée par celuici desoustraire la pensée de >escartes, et avec elle la philosophie en tantque telle, aux paradimes de la science positive pour lui restituer unenracinement dans la vie pratique%

<a nouveauté introduite par 7oucault par rapport $ lquié est que,par vie pratique, il n’entend pas seulement les 3ures de l’existenceindividuelle, mais les !ormes institutionnelles de son oranisation

collective, ce qui !ait de la dénéation de la !olie exprimée $ travers la!ormule *mais quoi W ce sont des !ous+, audel$ de l’expression d’unecrainte toute personnelle, la mani!estation d’une r-le communautaireobectivée dans la pierre dont sont construits les murs del’Lopital% lquié, pour qui l’histoire s’identi3e avant tout $ latemporalité consciente du suet, n’aurait certainement pas acceptécette extension de sa th-se au domaine de la vie collective, ce quirevient aussi $ déplacer les conditions de la pratique du plan du vécutemporel sur celui d’une mise en place spatialisée qui évacue $nouveau le point de vue de la en-se pour ramener l’histoire $ ladisposition plus ou moins aléatoire de blocs structurés ordonnant les

conduites particuli-res et la mani-re dont cellesci sont représentéesmentalement $ une époque donnée sous la !orme d’épistémés dont lanature est $ la !ois théorique et pratique% ais il reste que, bien qu’ildonne lieu che8 l’un et l’autre $ des exploitations d’inspirationdi'érente, $ la limite inconciliables, le point de départ des deuxdémarches est le m9me il consiste $ con!ronter l’entreprisephilosophique $ ce qui la borde sur l’extérieur d’ellem9me, $ savoirpour lquié, un audel$ absolu poétique ou reliieux d’ordre mstiqueet pour 7oucault, les pro!ondeurs insondables de l’en!ermementcarcéral deux 3ures de l’extériorité bien di'érentes en substance, qui

n’en ont pas moins en commun qu’elles répondent $ la volonté de

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soustraire la philosophie au statut de spéculation pure qui lui esténéralement assiné %

=e n’est d’ailleurs pas un hasard si Messade, le premier discipled’lquié, qui, au moment de la querelle entre 7oucault et >errida aécrit un article plutQt !avorable $ la position soutenue par 7oucault, a

placé au dos de la couverture de son édition des Méditationsmétaphysiques dans la collection @77lammarion (1FF) cette citationreprise $ 7oucault

*=’est cette double lecture que requi-rent les Méditations  unensemble de propositions !ormant sst-me, que chaque lecteurdoit parcourir s’il veut en éprouver la vérité et un ensemble demodi3cations !ormant exercice, que chaque lecteur doit e'ectuer,par lesquelles chaque lecteur doit 9tre a'ecté, s’il veut 9tre $ sontour le suet énonEant, pour son propre compte, cette vérité%+=ette !ormule, extraite d’un texte publié en 1F2, montre entre

autres que 7oucault, d-s cette période, était préoccupé par lathématique du souci de soi bien avant d’en rechercher les oriinesche8 les philosophes stoZciens de l’ntiquité, il en avait dé$ décelé unesini3cative occurrence che8 >escartes dont le rationalisme est $certains éards un rationalisme pratique, qui soul-ve $ propos du suetpensant, audel$ de celle de savoir s’il acc-de $ la vérité, la questiondes conditions dans lesquelles a été e'ectué son assuettissement,conditions qui mettent en eu, audel$ de sa nature de suet considéréen luim9me, le monde ou la structure obective $ l’intérieur de laquelleil s’a'irme et se reconnaBt historiquement comme suet%

 

Tn vient de voir ce qui !ait le principal intér9t de la démarchesuivie par lquié disons pour abréer son externalisme énétique, aureard duquel certains choix retenus par @ueroult au nom d’unrationalisme intransieant, qui écarte d’emblée la possibilité que quoique ce soit puisse échapper $ son *ordre+, peuvent paraBtre auourd’huirétrorades, ou du moins contestables dans leur !orme rioureuse,

 voire m9me riide, qui, sur le moment, les avait rendus au contraireparticuli-rement attracti!s, et avait conduit $ inscrire son e'ort en vuede sstématiser $ outrance la lecture des doctrines philosophiquesdans le cadre d’un structuralisme avant la lettre, par lequel il pouvaitparaBtre 3nalement proche de 7oucault% ais la démarche d’lquié a

aussi son point !aible, voire m9me tr-s !aible, qui tient $ l’inconsistancedu concept d’existence qui lui donne son assise théorique%

@ueroult avait beau eu d’obecter $ lquié que son approche dusuet comme existence absolue, dont la réalité indicible, accessibleseulement $ l’expérience dans une !orme s’apparentant $ une extasemstique, se dérobe $ toute détermination qui, sous prétexte de laquali3er, lui Qterait ses vertus !ondatrices de *chose+, c’est$dire deréalité substantielle devant servir de support $ une attribution, uneloique du quid ne pouvant !onctionner que sur un terrain dé$ préparépar la mise en Duvre de la loique du quod, ne tient pas la route% <a

représentation d’un suet en soi déquali3é se tenant en retrait parrapport aux 3ures possibles de sa quali3cation renvoie $ une

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conception de la métaphsique dont la radicalité ne parvient pas $dissimuler e'icacement la pauvreté sans doute le texte de la deuxi-meéditation metil en avant la !ormule ego sum ego existo,dont lquiés’autorise pour soutenir que la reconnaissance de la réalitédu moi s’op-re indépendamment de toute ré!érence $ la pensée, $

l’exercice de la cogitatio mais il se lit entre les lines du texte quecette !ormule n’a de sini3cation et ne présente de caract-re decertitude qu’au point de vue d’un suet qui, $ travers l’épreuveréductrice du doute, qui lui a permis de !aire l’époché  de toutes sesautres idées, se connaBt comme suet pensant, ce sans quoi on ne voitpas comment il parviendrait $ se connaBtre comme suet%

Tn peut dire que, che8 >escartes, la pensée colle tellement $ lapeau du suet qu’elle est la condition de son existence, ce qui interditde la réduire $ un attribut en luim9me extérieur $ cette existence qui,de son cQté, pourrait 9tre comprise indépendamment de lui% =eciadmis, il apparaBt que le suet cartésien, en m9me temps que suetpensant, est suet pensé, une res cogitata, chose pensée ou chose depensée, dont la réalité est enti-rement tramée $ partir de la pensée quila constitue substantiellement c’est pourquoi la démarche de laméditation, du moins dans sa 3ure initiale et non dans celle qu’elleprendra tout $ la 3n de son parcours avec la sixi-me éditation, sesitue enti-rement dans l’ordre de la pensée, et ne donne nullementacc-s $ un absolu extérieur $ celleci et disproportionné $ sa nature% =equi donne sa portée métaphsique au coito, c’est le !ait qu’il traite lapensée comme étant ellem9me un absolu que la conscience rationnellepose $ son point de vue comme irréductible, et dont le doute n’atteint

pas en conséquence la réalité nécessaire% <a condition de cetteopération, qui ram-ne enti-rement la pensée du cQté de laconsidération du suet pensant, est qu’elle soit traitée comme purepensée, indépendante comme telle de tout obet de pensée la pensée $laquelle renvoie l’a'irmation du coito est en e'et une pensée vide,pour laquelle le !ait de penser vaut en luim9me et par luim9meintransitivement, donc indépendamment du !ait d’9tre rapporté $ quoique ce soit d’autre c’est pourquoi le suet qui acc-de $ la révélation decette *pensée+, qui est pure pensée dans la mesure o# elle n’est penséede rien en particulier, doit s’incorporer de part en part $ samani!estation qui n’est pas pour lui une quali3cation accidentelle mais

le déterminant inconditionné de sa substance%=’est ce qui usti3e que @ueroult s’en tienne $ l’ordre des raisons

dont la métaphsique cartésienne ne peut en aucun cas constituer lacontestation ou la transression si elle pousse cet ordre $ ses limites,en tirant toutes les conséquences de son autoré!érentialité, elle n’ensort pas, sous peine de renoncer $ son obecti! qui est d’atteindre lacertitude% Mien s"r, >escartes se pose aussi la question de savoir s’il aquelque chose d’extérieur $ la pensée, c’est$dire si >ieu ae'ectivement créé le monde dont elle construit par ses propres moensla connaissance et pour résoudre ce probl-me, il lui !audra mettre en

place le dispositi! de la véracité divine, seul apte $ arantir que laconnaissance rationnelle n’est pas un r9ve intérieur au !onctionnement

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d’une pensée humaine trop humaine mais la spéci3cité de la th-se ducoito, qui !ait qu’elle est la premi-re $ émerer de l’épreuve du doute,est qu’elle peut 9tre a'irmée préalablement $ la mise en place de cedispositi!, auquel ellem9me échappe, n’ aant nul besoin de prouverque le suet de la pensée existe en luim9me indépendamment du !ait

qu’il pense, pour autant que le !ait de penser qui constitue sasubstance soit appréhendé dans l’absolu, sans relation $ quoi que cesoit d’extérieur% =’est pourquoi d’ailleurs le suet du coito, $ l’imaede la pensée qui le constitue, est un suet vide, une simple positiondans l’espace de la pure pensée, et non un suet plein,suet pscholoique qui serait donné $ l’expérience comme une chosedu monde et non comme la chose de pensée qu’il est exclusivement,

 usqu’au moment o#, pour 3nir, il apparaBtra en tant qu’Ume unie $ uncorps%

>e cela, @ueroult donne une interprétation !ormaliste, ce qui !aitdu suet pensant un suet loique, totalement impersonnel, apte commetel $ prendre place dans un ordre des raisons auquel il est par!aitementintéré et adapté, ce qui lui con!-re son caract-re universel, alors quele suet de l’expérience temporalisée qui est au cDur de l’interprétationd’lquié n’est amais qu’un suet particulier, du tpe de ceux dont lesintriues de roman racontent les *histoires+% Tr la philosophie de>escartes, dont @ueroult s’emploie $ reconstituer la structurerationnelle, n’est pas relation de l’histoire de quelqu’un, que cequelqu’un ait pour nom >escartes ouquelqu’autre nom m9melorsqu’elle prend la !orme de la méditation, elle proc-de d’uneinvestiation intellectuelle n’aant aucun caract-re personnel, ce sans

quoi elle n’aurait aucun droit $ témoiner obectivement pour la vérité% insi le tour de !orce accompli par >escartes est d’avoir en quelquesorte désubectivé le suet de la pensée, en lui retirant toute réalitéindépendante et en l’incorporant $ l’ordre rationnel dont il devient lesmbole ou le représentant, et non seulement l’aent ou l’exécutantplus ou moins quali3é, ce qui est la condition pour qu’il prenneplace dans le cadre de ce que =availl-s a appelé philosophie duconcept en opposition aux philosophies de la conscience%

<orsque >errida renverse le rapport installé par 7oucault entrel’arument de la !olie et celui du r9ve, et donne $ ce dernier la prioritéen vue d’éclairer la nature propre de la démarche philosophique, il

accomplit une opération analoue $ celle de @ueroult vis$vis d’lquié,$ ceci pr-s cependant que, telle qu’il la pratique, cette opération rev9tune portée critique, qui met en évidence les contradictions internes autravail de la pensée philosophique, contradictions qui, loin de lebloquer, en nourrissent le développement% Ron, on ne sort pas de laphilosophie, car, une !ois enclenché son mouvement, elle le poursuitindé3niment sans ré!érence $ un dehors o'rant les crit-res matérielsen vue de la léitimer ou de la disquali3er% =’est pourquoi laphilosophie, comme le soutenait aussi lthusser, dont la conception dela philosophie était, sur ce point du moins, le reet de l’historicisme,

plus proche de celle de >errida que de celle de 7oucault, n’a pas $proprement parler d’histoire ce qu’on appelle son histoire n’est que la

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répétition indé3nie du m9me acte par lequel elle s’institue commephilosophie dans une !orme qui est aussi, simultanément, celle de sadestitution% l’optimisme rationnel de @ueroult, >errida oppose ainsiun pessimisme critique, au point de vue duquel la philosophie seram-ne en permanence $ une production d’illusion qui enendre en

m9me temps les conditions de son désillusionnement ce sont deuxattitudes pro!ondément diverentes $ l’éard de la philosophie, qui ontcependant en commun le re!us de reconnaBtre $ l’histoire un rQledéterminant dans le déroulement de son processus, puisque celuici senourrit exclusivement de luim9me, et ne tend vers aucune 3n quiserait extérieure $ son discours%

=’est pourquoi 7oucault ne visait certainement pas uste lorsqu’ilaccusait >errida d’9tre un esprit reliieux, installé dans la posture d’unbien pensant soucieux de préserver le voile de respectabilité souslequel la philosophie dissimule sa pudenda origo, son oriine honteuse,telle que la rév-le son dehors impur, la rande conuration dont les*!ous+ ont été les victimes muettes et transies% &n ramenant le reardde la considération de son dehors vers celle de son dedans, >erridan’adoptait pas moins $ l’éard de cette oriine une perspectivecritique, en introduisant le soupEon que cette raison arroante que.ascal voulait $ tout prix humilier pouvait n’9tre apr-s tout que la !olledu lois, marquée en son cDur par le con:it entre raison et déraison,m9me si elle s’e'orce, en vain, de reeter ce con:it au dehors% l est

 vrai qu’il voait ce con:it autrement que comme un accident historiquede son parcours relevant d’une décision intentionnelle imputable enderni-re instance $ une volonté maline, du tpe de celle qui a inspiré

$ une certaine époque le *este+ de l’en!ermement des !ous mais il la voait comme une véritable oriine, qui n’est pas réductible $ unsimple événement !actuel bordant sur l’extérieur la réalité de laphilosophie, parce qu’elle s’inscrit au plus pro!ond de son *ordre+, dansla permanence de son texte, rendu d-s sa naissance porteur d’uneambiuZté ine'aEable et indépassable qui est en quelque sorte sonpéché oriinel, la *!aute+ consubstantielle $ sa nature qui la rendessentiellement, et non seulement historiquement, c’est$dire $ tel outel moment particulier de son histoire, impure, ce pour quoi elle n’a paseu besoin de rearder vers le dehors% >e ce point de vue, ramenerl’entreprise de la philosophie au !ait d’exclure les !ous et de construire

les bUtiments qui matérialisent la réalité de cette exclusion, c’estprendre le risque de se rendre aveule au véritable en!ermement dontla philosophie est $ la !ois la responsable et la victime celui qui laretient dans les limites qu’elle s’est $ ellem9me imposées, etl’emp9che de trouver une issue vers un dehors salvateur qui doit resterdé3nitivement pour elle de l’ordre d’un vDu pieux% 7oucault a cru qu’ilétait possible de considérer la philosophie du dehors, ce qui revenait $pratiquer un matérialisme de premier deré, du tpe de celui qui a pu9tre reproché $ arx qui, lui aussi, semble avoir considéré qu’il étaitpossible de *sortir+ de la philosophie mais il n’est pas si évident

d’échapper au pi-e qu’elle re!erme sur elle% =’est pourquoil’investiation la plus lucide qu’on puisse lui consacrer est celle qui

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explore patiemment les tours et détours que tisse cette machinationavec laquelle il serait naZ! de croire qu’on pourrait un our en avoir 3nide réler ses comptes%

 Pi ce qui vient d’9tre avancé est usti3é, il se con3rme que les

points de philosophie cartésienne autour desquels a tourné ladiscussion, s’ils n’étaient nullement indi'érents, n’étaient pas seuls $9tre concernés par elle mais c’est la nature m9me de l’opérationphilosophique qui était visée et !aisait probl-me $ travers la mani-redont elle s’inscrit dans des textes sinés >escartes ou d’un autre nom,le nom de >escartes valant en quelque sorte pour d’autres, voire pourtous les autres, comme s’il était porteur en luim9me d’enaements $

 valeur, sinon universelle, du moins dépassant larement les limitespropres dans lesquelles s’inscrit son discours, ce qu’il réussit $ !aire enprenant appui sur ce discours et ses limites% =eci sini3e que l’histoirede la philosophie, pour autant qu’elle soit prise au sérieux, c’est$direne !asse pas seulement appel $ des compétences techniques visant $atteindre des résultats d’ordre strictement in!ormati!, n’est pascondamnée $ rester en!ermée dans le cadre d’une discipline $caract-re réional en m9me temps qu’une *histoire+, elle est uneré:exion sur la nature de l’historicité attachée $ cette histoire,ré:exion qui ne peut rester neutre $ l’éard de son obet qu’elleappréhende en s’enaeant ellem9me dans le processus qui leconstitue%

 utrement dit, l’histoire de la philosophie ne peut s’en tenir $ unpoint de vue extérieur sur la philosophie et sur son histoire elle est

ellem9me de la philosophie, et elle appartient $ la réalité matérielle decelleci dans le mouvement de laquelle elle est entraBnée, que ce soit ounon $ son insu% <’histoire de la philosophie, c’est$dire la démarche parlaquelle la philosophie se reconnaBt $ travers le miroir que lui renvoiela succession des doctrines des di'érents philosophes, est ellem9meune 3ure de l’histoire réelle de la philosophie et que cette 3ure soitpeut9tre transitoire, qu’elle ne constitue qu’un moment de sondéveloppement par lequel elle a d" passer sans que rien n’indiquequ’elle doive pour touours s’ arr9ter, nXemp9che qu’elle ne soit une!orme énimatique et inachevée de sa mani!estation qui, usque dansses dé!ectuosités et ses lacunes, dans ses contradictions mani!estes,

témoine de sa teneur et de sa !orce réelles, c’est$dire de sa capacité$ 9tre en prise sur l’ordre des choses et du monde dont elle ne proposepas seulement une interprétation plus ou moins cohérente et crédible%

=’est ainsi qu’lquié et @uéroult, en m9me temps qu’ils e'ectuent$ chaud la relecture de sements textuels dans lesquels se trouventimpliqués certains th-mes essentiels de la rationalité classique, ontdéveloppé $ cette occasion une ré:exion de !ond sur la nature del’opération philosophique, ré:exion dont ils mettent euxm9mes lesleEons en Duvre au cours de leur discussion qui ne se ram-ne pas $ unplat exposé d’aruments, mais représente exemplairement, pour

reprendre les termes dont se sert 7oucault pour caractériser l’exercicede la méditation, le mode de !onctionnement propre $ une pensée

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!aisant événement, de mani-re non seulement théorique mais aussipratique% <e discours philosophique acquiert par l$ une verticalité, uneépaisseur, qui lui permet de dérouler ses voix sur des plans di'érentsest ainsi mise en évidence la nature polphonique de ce discours pourlequel le dialoue n’est pas seulement une !orme rhétorique spéciale

susceptible d’9tre adoptée dans certaines occasions mais absenteautrement, parce qu’il constitue au contraire son présupposé de base,sa condition de possibilité explicite ou latente%

Ioute expression philosophique est inséparablement discussion,que son *auteur+ con!ronte ses propres positions avec celles qui sontdé!endues par d’autres que lui, ou qu’il soit en débat avec luim9me%Tn voit mal comment la philosophie pourrait se développer sur un plande rationalité univoque et sans !aille procédant d’une neutralisation deces diverses voix qui permettrait de les ramener toutes sur une uniqueline déroulant droit devant elle !ermement son 3l mince et ténu, sansrisque dXopacité et de crise% >e ce point de vue, lquié, m9me si sonconcept d’existence, paradoxalement articulé $ une ré:exion au suetde l’emploi que !ait >escartes de la notion de *chose+, peut paraBtreasse8 court, et terriblement unidimensionnel, a quand m9me raisoncontre @ueroult qui, lui, entretient $ l’éard des capacitésstructurantes du *sst-me+ une inentamable conviction relevant de la!oi du charbonnier davantae que de la !orce de la démonstration% &tcette pluridimensionnalité de l’expression philosophique qu’il éliminepar principe de l’examen de chaque sst-me philosophiqueparticulier, @ueroult la retrouve d’ailleurs intacte et irréductiblelorsqu’il en vient luim9me $ s’interroer sur les relations

Xdianoétiques+ passant entre les di'érents sst-mes qu’il est bienoblié alors de laisser dialouer entre eux dans les conditions que leurimpose leur indépendance réciproque%

<orsque @ueroult dé!end une conception énérale de laphilosophie qui la disperse en 3ures de rationalité distinctes les unesdes autres, entre lesquelles, de son propre aveu, le choix est de pureconvenance, ce qui autorise l’historien de la philosophie $ 9tre selon les

 ours de la semaines ou les mois de l’année cartésien, spino8iste,Yantien ou 3chtéen, et ceci en quelque sorte $ volonté, la seulecondition qu’il doive observer étant qu’une !ois son choix !ait, il enrespecte scrupuleusement les attendus initiaux, c’est$dire qu’il ne

!asse pas parler $ >escartes par exemple le lanae de Kant, sadémarche s’inscrit dans une perspective qui, bien qu’elle soit intrathéorique, rel-ve $ sa mani-re du m9me dilemme entre dedans etdehors qui est aussi au cDur de la discussion entre 7oucault et>errida% <a philosophie, hantée par une obsession autoré!érentielle,est en permanence tentée de reeter vers le dehors, vers l’extérieur, cequi pourrait venir compromettre ou altérer la riueur intrins-que de sadémarche et peu importe au !ond que ce dehors soit une autre pensée,ou cet autre de la pensée que serait la vie dans ses !orme spontanéesou instituées% ais ce reet présente aussi tous les caract-res de la

dénéation, et son re!oulé !ait inévitablement retour, et ceci $ m9me leeste qui proc-de $ son élimination% <a philosophie est ainsi touours

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ramenée $ son dehors, qui est au plus pro!ond de ce qui la constitue,comme l’envers ine'aEable de son dedans%

Rous l’avons vu, @ueroult, qu’il s’en rende compte ou non, lit>escartes avec les eux de Ppino8a, alors m9me qu’il croit par ailleurs

 voir entre leurs deux pensées une in!ranchissable barri-re, du tpe de

celle opposant sst-me $ sst-me% 7oucault, expressément, lit>escartes l’Dil 3xé sur cet extérieur de son discours qui, en m9metemps qu’il le borde, le soutient, le soude $ luim9mel’LQpital @énéral, qui édi3e et 3e dans la pierre les !ormes riides, etpourtant provisoires, de la rationalité classique% Pi l’un et l’autre ontpu, dans les années soixante, 9tre cataloués comme *structuralistes+,c’est sans doute parce qu’ils étaient, chacun $ sa !aEon, des penseursdu ren!ermement, qu’ils créditent celuici des vertus de la théorie oudes vices de la pratique% leur !ormalisme, dont témoine leurcommune a'irmation d’une séparation nettement tranchée entrededans et dehors, répond la 3nesse des positions dé!enduespar lquié ou >errida qui, quoique sur des plans théoriques di'érents,s’inscrivent tous deux dans la 3liation des philosophies de l’ambiuZté,au point de vue desquelles l’intérieur et l’extérieur, le m9me et l’autresont m9lés de !aEon inextricable, et se renvoient l’un $ l’autreindé3niment% Pelon lquié, la philosophie est animée par un *désird’éternité+ qui la proette audel$ d’ellem9me vers un inconnu!ondamentalement hétérodoxe% =’est de cette m9me hétérodoxie que>errida renvoie une imae néative et critique, hantée par les spectresde la déconstruction si la philosophie est en permanence tentée parl’appel du dehors d’o# elle tire la !orce de ses propres convictions, elle

est aussi renvoée sans cesse vers ellem9me et vers son vide intérieurpar la con3ance qu’elle accorde $ ces voix extérieures qui rendimpossible de dém9ler ce qui, en elle, rel-ve du savoir et de la !oi, del’ordre et du désordre, de la raison et de la déraison%

=’est pourquoi >escartes, $ travers les querelles auxquelles sonDuvre continue de !ournir prétexte, donc en raison m9me desdi'icultés sur lesquelles bute encore le déchi'rement de sa pensée, estexemplaire son proet de construire un discours philosophique !ermésur soi, complet dans les limites qu’il s’est $ luim9me données en vertudXune décision dont les implications sont $ la !ois théoriques etpratiques, témoine de la !orce irrépressible d’un désir impossible $

!aire passer dans les !aits, sinon sous la !orme d’une esquisseinachevée, qui tire sa !écondité de son inach-vement, et aussi sapuissance de sa !aiblesse qui ouvre un champ apparemmentinépuisable au débat et $ la querelle% >e ce point de vue, il estrelativement indi'érent de décider qui peut avoir raison dans ce débat,l’intéressant étant avant tout qu’il puisse avoir lieu, et que laphilosophie continue $ dérouler la polphonie de ses voix, que cellescisoient ou non accordées, puisque ce qui compte, c’est qu’elles serépondent, que la discussion se poursuive, et que la philosophie aitencore une histoire dont l’interprétation reste $ débattre%

  $o%yri0ht Pierre Macherey 

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