penser_relations_internationales

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    SOUS LA DIRECTION DE

    Michel BERGSProfesseur des universits, Agrg de science politiqueUniversit de Bordeaux IV Montesquieu

    (2008)

    Penser les relationsinternationales

    Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiCourriel:[email protected]

    Site web pdagogique : http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

    Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales"Une bibliothque numrique fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay,

    professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web: http://classiques.uqac.ca/

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.ca/

    mailto:[email protected]://www.uqac.ca/jmt-sociologue/http://classiques.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://bibliotheque.uqac.ca/http://classiques.uqac.ca/http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/mailto:[email protected]
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    Politique d'utilisationde la bibliothque des Classiques

    Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite, mmeavec la mention de leur provenance, sans lautorisation formelle, crite, dufondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, so-ciologue.

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    Ils sont disponibles pour une utilisation intellectuelle et personnelle et,en aucun cas, commerciale. Toute utilisation des fins commerciales desfichiers sur ce site est strictement interdite et toute rediffusion est galementstrictement interdite.

    L'accs notre travail est libre et gratuit tous les utilisateurs.C'est notre mission.

    Jean-Marie Tremblay, sociologue

    Fondateur et Prsident-directeur gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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    Michel Bergs (dir), Penser les relations internationales. (2008) 3

    Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, profes-seur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de :

    Sous la direction de Michel BERGS

    PENSER LES RELATIONS INTERNATIONALES.

    Paris: L'Harmattan, 2008, 472 pp. Collection: Pouvoirs compars. Collectiondirige par Michel Bergs.

    [Autorisation formelle accorde par lauteur le 5 mars 2011 de diffuser cetteuvre dans Les Classiques des sciences sociales.]

    Courriel : [email protected]

    Polices de caractres utilise : Times New Roman, 12 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word2008 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5 x 11.

    dition numrique ralise le 3 septembre 2011 Chicoutimi,Ville de Saguenay, Qubec.

    mailto:[email protected]:[email protected]
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    Michel Bergs (dir), Penser les relations internationales. (2008) 4

    Sous la direction de

    Michel BERGSProfesseur des universits, Agrg de science politique

    Universit de Bordeaux IV Montesquieu

    PENSER LES RELATIONSINTERNATIONALES

    Paris: L'Harmattan, 2008, 472 pp. Collection: Pouvoirs compars. Collectiondirige par Michel Bergs.

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    Pouvoirs compars

    Collection dirige par Michel BergsProfesseur de science politique

    NATHALIE BLANC-NOL (sous la direction de)La Baltique. Une nouvelle rgion en Europe

    David CUMIN et Jean-Paul JOUBERTLe Japon, puissance nuclaire ?

    Dimitri Georges LAVROFF (sous la direction de)La Rpublique dcentralise

    Michel Louis MARTIN (sous la direction de)Les Militaires et le recours la force arme. Faucons, colombes ?

    Constanze VILLARLe Discours diplomatique

    Grard DUSSOUYLes Thories gopolitiques. Trait de relations internationales (1)

    Grard DUSSOUYLes Thories intertatiques. Trait de relations internationales (2)

    Andr-Marie YINDA YINDALArt dordonner le monde. Usages de Machiavel

    Dominique dANTIN DE VAILLACLInvention des Landes. Ltat franais et les territoires

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    Pouvoirs compars

    LHarmattan

    Ouvrages de Michel Bergs

    Le Syndicalisme policier en FranceParis, LHarmattan, 1995

    Vichy contre Mounier.Les non-conformistes face aux annes quarante

    Paris, conomica, 1997

    La Vrit nintressait personne. Un procs contre la Mmoire

    Paris, Franois-Xavier de Guibert, 1999

    Machiavel, un penseur masqu ?Paris, Bruxelles, Complexe, 2000.

    Le tableau de couverture est une uvre de Madeleine Martinez-Ubaud, Espa-ces, qui en a autoris la reproduction.

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    Table des matires

    Quatrime de couverture

    Premire PartieLcole martrienne de Bordeaux.

    Noralisme et diplomatie culturelleIntroduction : du CAPC au CAPCGRI

    Chapitre I. pistmologie des thories

    I. De la ncessit dune thorie des relations internationales ou lillusionparadigmatique (Jean-Louis Martres)

    A. Le paradigme raliste et ses adversairesB. Les fondements de la querelle

    a) Thories, idologies et philosophiesb) Thories, doctrines de politique trangre et Histoire.c) Le problme de lcart entre les thories et la structure de la

    pense en Occident

    d) La thorie comme substitut la religione) La rsolution stratgique des conflits thoriquesC. Conclusion

    II. Dpasser les paradigmes classiques

    A. La diplomatie : un obstacle idologique ? (Constanze Villar)B. Pour une gopolitique systmique (Grard Dussouy)C. Pour une thortique des thories des relations internationales.

    (Michel Bergs)

    a) Un constat de dpart: la carence pistmologique franaise enmatire de thorie des relations internationales

    b) Pour une pistmologie noaronienne

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    Chapitre II. Le retour de la puissanceI. La puissance comme lieu commun des relations internationales. (Jean-

    Louis Martres)

    A. La premire phase : construction et valuation des ressources. Lapuissance comme cumul des ressources

    B. La seconde phase. La puissance en action ou la relationdinfluence ou la figure dUlysse

    C. Conclusion : les deux lectures

    II. Le retour des tats : analyses de casA. La protection des tats : la superpuissance amricaine

    a) Un exemple de hard power : le rseau chelon. (Claude Delesse)

    b) Un exemple de soft power : la dnuclarisation de lAsie duNord-Est(Michel Dusclaud, Bernard Sionneau)B. Politiques globales

    a) Les politiques globales de scurit maritime. (Dominique dAntinde Vaillac)

    b) Les politiques globales de la Fort et de Dveloppement durable.(Michel Bergs, Yves Lesgourgues, Lizianne Guennguez,Franois Mimiague, Dominique dAntin de Vaillac, PascalTozzi)

    III. Conclusion : essai de dfinition dune diplomatie culturelle (Jean-Louis

    Martres)

    A. Le problme du conflit relativisme culturel/universalisme : le cas dela Chine

    B. Comment rgler le divorce des nations : le problme ethniqueC. Existe-t-il un particularisme islamique ?

    Deuxime PartieLe statut des thories internationalistes :

    culture ou science ?

    Introduction : la rencontre de lAci Pkin (juin 2005)

    Chapitre III. Les approches externistesChapitre IV. Les approches internistes

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    I. Liridescence chez les papillons : un essai de transposition des mthodesde lanalyse physique dans le domaine des relations internationales.(Jean-Louis Martres, Pascal Tozzi)

    A. Le problme de la complexita) Remarques et pistes de transpositions dans le domaine de la

    politique internationaleB. Questions sur la puissance

    a) Remarques et pistes de transpositions dans lanalyse de la

    puissanceC. Transposition de la thorie lanalyse de la stratgie

    a) Remarques et pistes de transpositions dans le domaine

    internationalb) Remarques et pistes de transpositions quant aux stratgiesdacteurs internationaux

    II. Relations internationales et thorie : pour viter des impasses

    pistmologiques. (Grard Dussouy)

    III. Smiotique des thories internationalistes. (Constanze Villar)

    IV. LUnion europenne : une puissance internationale mergente ? (AngelAngelidis)

    A. Les politiques de lUnion europenne en rapport avec les relationsinternationales

    B. Les thories de lintgration europennea) Le processus de lintgration europenneb) Les tapes principales de lintgration europennec) Les politiques de lUnion europenne en matire de relations

    internationalesC. Les relations entre lUnion europenne et la Chine

    a) Phases principalesb) Orientations prioritaires de la politique de lUnion europenne lgard de la Chine

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    Troisime PartieHgmonie et relations internationales

    Introduction : La rencontre de lAci Bordeaux (24-26 octobre 2006)

    Chapitre V. Thories de lhgmonieI. Hgmonie et thorie des relations internationales. (Jean-Jacques Roche)II. Lhgmonie ou lEmpire ? (Yves Roucaute)III. Le mta-jeu du pouvoir et le panorama militaire international. (Gilberto

    Dupas)

    A. Mondialisation, nations et pouvoir militaire au dbut du XXIe sicleB. Hgmonies, asymtries conomiques et terrorisme comme

    alternative mergente de pouvoirIV. Les images de lennemi : ressources dhgmonie lgitime ou vecteurs

    dhgmonisme ? (Frdric Ramel)

    A. Une recomposition limite des images de lennemia) Un nouvel objet de menaces ou une recomposition ?b) Une morphologie classique des images

    B. Des liens entre images de lennemi et hgmonie : le spectre de

    Janus

    a) Au fondement dune hgmonie lgitimeb) Des risques d hgmonisme C. Conclusion

    V. Pour une thorie morphogntique des cycles de lhgmonie. (Jean-

    Paul Joubert)

    VI. Unipolarit, hgmonie et quilibre des puissances. (Grard Dussouy)

    A. Dfinition de lhgmonieB. Unipolarit et quilibre soft des puissances

    C. Thalassocratie amricaine et homognisation hgmonique dumondeVII. Lhgmonie tats-unienne lpreuve du nobolivarisme vnzulien.

    (ric Dubesset)

    A. LAmrique latine et la Carabe dans lombre de lhgmon tats-unien

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    a) De linfluence coloniale europenne la monte en puissancedes tats-Unis

    b) Du leadership lunilatralisme tats-unien

    B. Le nobolivarisme vnzuliena) La germination dune conscience latino-amricaine contestataireb) La doctrine nobolivarienne dHugo Chvezc) Une contre-offensive multiscalaire

    Chapitre VI. Cultures, hgmonie et contre-hgmonie

    I. Hgmonie et culture : le cas brsilien. (Monica Leite Lessa)

    II. La francophonie : hgmonie ou contre-hgmonie ? (Constanze Villar)

    A. La francophonie dans lEmpire colonial : une ambitionhgmonique ?a) Linvention du terme de francophonie : de la langue la

    gohistoireb) Le dessein sous-tendant la notion : lemprise du centre sur la

    priphrieB. La francophonie moderne : une contre-hgmonie ?

    a) La rsurgence du mot et le dveloppement de lide defrancophonieb) De linstitutionnalisation au dveloppement durable de la

    francophoniec) Les dfis du dveloppement durable de la francophonie

    III. Hgmonie et cultures dans la mondialisation : trois paradigmes et une

    exception franaise. (Nathalie Blanc-Nol)

    A. Les thories de la mondialisation culturelle : trois paradigmesfondamentaux

    a) Le paradigme de luniformisation du mondeb) Le paradigme essentialistec) Le paradigme de lhybridit

    B. Lexception franaise : entre ignorance de la problmatique de la

    mondialisation culturelle et engagement extrme

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    IV. Hgmonie industrielle et dveloppement durable : les complicitsscandinaves (D. dAntin de Vaillac)

    A. La solidarit active entre gestion durable forestire et hgmonie

    industrielle scandinavea) Lavantage stratgique du modle dorganisation de rfrenceb) La consolidation institutionnelle du protectionnisme

    cologique c) La disqualification cologique de produits concurrents stimule la

    demande deproduits cologiquement certifisB. La complicit dvoile : lalliance entre groupes industriels et Ong

    pour lexploitation des bois russes

    a) Des forts gres durablement au bois illgal : uneopportune inversion des priorits b) Du bois russe : lgal dans limmdiat, durable un peu

    plus tardc) Le ralliement des grands groupes industriels la certification

    prconise par les ONGcologistesConclusion

    Index

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    Penser les relations internationales

    QUATRIME DE COUVERTURE

    Retour la table des matires

    Comment analyser les rapports de puissance ? Aprs un examen des thorieset des ides politiques que ceux-ci impliquent, sont proposes des tudes de cassur le retour de la puissance , ainsi qu'un projet de diplomatie culturelle prn par le professeur Jean-Louis Martres, susceptible de fonder de nouveauxrapports internationaux. Cela, de faon noraliste et relativiste, contre-courantde certaines conceptions trop manichennes ou angliques.

    Cet ouvrage rend compte galement du programme indit de l'ACI Thoriesdes relations internationales et hgmonie culturelle , du ministre de la Recher-che, autour de questions heuristiques :

    - les apports de Raymond Aron, de Pierre Renouvin, de Jean-BaptisteDuroselle l construction d'une thorie franaise des relations inter-nationales ;

    - l'influence, mais aussi la diversit des conceptions amricaines ;

    - les thories des formes et des cycles , face celles des forces ;

    - la nature scientifique ou culturelle des thories internationalistes ;

    - la pertinence du concept d'empire et de celui, nogramscien, d'hgmo-nie ;

    - le caractre contre-hgmonique de la francophonie ;

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    - le poids des constructions de l'image de l'ennemi dans la guerre amri-caine ;

    - les paradigmes contradictoires de la mondialisation culturelle ;

    - l'mergence de contre-hgmonies politi-ques (Hugo Chvez) les grilles chinoise etbrsilienne ;

    - les intrts secrets des normes cologiquessur le plan international...

    Michel Bergs, professeur de science poli-tique, dirige le Centre d'Analyse politique

    compare, de Gostratgie et de Relationsinternationales de l'Universit de Bordeaux. Ila notamment publi, aux ditions Complexe,Machiavel, un penseur masqu ?

    C'est avec le professeur Jean-Jacques Ro-che, de l'Universit de Paris II, qu'il a coordonne, entre 2005 et 2007, ce dialogue- rare dans l'Universit franaise d'aujourd'hui - autour de cette Action concerteincitative (ACI).

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    Premire partie

    Lcole martrienne

    de Bordeaux.Noralisme et

    diplomatie culturelle

    Retour au sommaire

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    Premire partie : Lcole martrienne de Bordeaux.Noralisme et diplomatie culturelle

    Introduction

    Du CAPC AU CAPCGRI

    Retour la table des matires

    Les professeurs Jean-Louis Martres et Jean-Louis Seurin, tous deux issusdune gnration de publicistes franais devenus politologues sur le plan intellec-tuel et institutionnel, ont cr, en 1978, le CAPC (Centre dAnalyse politique com-pare) luniversit de Bordeaux. Dans un contexte o dominaient, dans lessciences sociales en gnral et dans la science politique de lpoque en particulier,

    des logiques dengagements pimentes de discours thoriques outrecuidants, ilsagissait de dfendre une approche libre, ouverte, pluraliste et comprhensive.

    Dans lesprit de ses initiateurs, le CAPC sest donn plusieurs objectifs scienti-fiques :

    la valorisation de la spcificit des tches et des fonctions des ensei-gnants-chercheurs universitaires, runissant intimement, au lieu de lessparer, pdagogie et recherche ;

    le lien ncessaire de la science politique avec toutes les disciplines so-ciales et humaines, face au carcan normativiste du droit et aux apories

    rigides de la philosophie ; le dveloppement dune coopration internationale tendue, pour

    lintrt de la recherche francophone.

    Les deux fondateurs insistrent, ds le dpart, sur limportance de la diffusionen France des travaux de la science politique behaviouraliste amricaine(thorie politique, analyse des partis, politique compare, tude critique des com-

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    portements, des idologies, des ides politiques et des codes culturels, approcheraliste des relations internationales). Des colloques organiss avec les USA surces matires, des programmes de recherche, la publication de travaux (La Dmo-

    cratie pluraliste, Technologie et Relations internationales, Les Rvolutions am-ricaines et franaises aux ditions conomica), le tout appuy par la logistiquede la Maison des [14] Sciences de lHommedAquitaine, dirige par Michel Dus-claud, marqurent les activits dune quipe qui comptait dans ses rangs politolo-gues, sociologues, historiens, gographes, linguistes, franais ou amricains.

    Depuis sa cration, le CAPC reposa donc sur :

    une crativit thorique et mthodologique dans lanalyse de lobjetpolitique et des phnomnes de pouvoir rels ou reprsents ;

    le respect dune culture gnrale tourne vers les humanits (sciences

    de lespace, du temps et du sens), mais aussi vers lpistmologie ; un dialogue interdisciplinaire entre sciences molles et sciences

    dures ;

    un recul comparatiste dautant plus heuristique que les faits civilisa-tionnels et culturels formatent universellement et durablement lesinstitutions et les attitudes, au-dessus des normes, des intrts, des or-ganisations, des comportements, des idologies, dont la logique imm-diate est plus ou moins lie au processus contemporain de modernisa-tion et de politisation ;

    la ncessit de relier linterne et lexterne et de valoriser la synthse.

    linitiative de Michel Bergs, qui hrita du poste dagrg de science politi-que occup par Jean-Louis Seurin antrieurement, le CAPC fut relanc en dcem-bre 1995. Le Conseil scientifique de luniversit appuya cette initiative en 1996.En 1997, le Centre devint Jeune quipe , puis, en 1998, quipe daccueil dun DEA gnraliste, un temps co-habilit avec lIEP de site. Il sagissait de re-mobiliser les nombreuses thses inscrites et de renforcer une quipe potentielledenseignants-chercheurs. Les relations furent renoues avec les USA et orientesgalement vers la Chine. Cependant la progression du Centre se heurta, entre au-tre, une difficile cohabilitation du DEA avec lIEP et surtout aux insuffisances de

    lcole doctorale de cet tablissement autonomis. Ds 1999, pour compenserlabsence de DEA, lquipe cra un DESS novateur soutenu par la Commissioneuropenne, portant sur les politiques publiques, la gestion et le dveloppement dela Fort cultive. Cette exprience pdagogique, en relation avec les profession-nels du secteur Fort, Bois et Papier, appuye par la Rgion Aquitaine, bnficia huit promotions dtudiants. Un programme [15] rgional de recherche sur lethme Empire et Rseaux , lanc en 1997, fit merger une problmatique

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    dquipe durable qui entrana un changement de sigle : le CAPC devint en 2002 leCAPCGRI (Centre dAnalyse politique compare, de Gostratgie et de Relationsinternationales). De 2002 2007, quarante thses furent inscrites ou soutenues

    dans le cadre dun nouveau Master de science politique de cinq options, dontlune portait sur la Fort et le dveloppement durable, une autre sur la Scuritglobale.

    Le CACPCGRI a dvelopp des fonctions ditoriales en matire de valorisationde la recherche travers deux nouvelles collections aux ditions Complexe etlHarmattan, diriges par Michel Bergs, qui ont publi, entre 2000 et 2008, lesouvrages suivants, ouverts une conception gnraliste, libre et pluraliste de lascience politique :

    1) Aux ditions Complexe (Paris, Bruxelles), collection Thorie politi-que :

    Michel Bergs,Machiavel, un penseur masqu ?

    Grard Dussouy, Quelle gopolitique au XXIe sicle ?

    Jean-Patrice Lacam,La France. Une rpublique de mandarins ?

    Jean-Marie Izquierdo,La Question basque.

    Shmuel Noah Eisenstadt,Le Retour des Juifs dans lhistoire.

    Franois Dieu,La Gendarmerie. Secrets dun corps.

    Claude Horrut,Ibn Khaldn. Un islam des Lumires ?

    2) Aux ditions lHarmattan, collection Pouvoirs compars :

    Nathalie Blanc-Nol (dir.),La Baltique. Une nouvelle rgion en Euro-pe.

    David Cumin, Jean-Paul Joubert,Le Japon, puissance nuclaire ?

    Dimitri Georges Lavroff (dir.),La Rpublique dcentralise.

    Michel Louis Martin (sous la direction de),Les Militaires et le recours

    la force arme. Faucons, colombes ? Constanze Villar,Le Discours diplomatique.

    Grard Dussouy, Les Thories gopolitiques. Trait de Relations in-ternationales (1).

    Grard Dussouy, Les Thories de lintertatique. Trait de Relationsinternationales (2).

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    [16]

    Andr-Marie Yinda Yinda, LArt dordonner le monde. Usages de Ma-chiavel, prface de Pierre Manent.

    Dominique dAntin de Vaillac, LInvention des Landes. Ltat fran-ais et les territoires.

    En matire de collaboration scientifique, le CAPCGRI a fonctionn en troitesynergie avec diverses institutions et rseaux franais :

    Association des formations universitaires de dfense, de relations in-ternationales et de scurit (AFUDRIS), qui regroupe quatorze centresde recherches sur ces thmes et plus de 30 masters ;

    INHES (Institut des hautes tudes de Scurit), rattach au ministre delIntrieur ;

    ISC (Institut de stratgie compare de Paris) ; Institut europen de la fort cultive (Bordeaux) ;

    INRA dAquitaine (Pierroton) ;

    Maison de la Fort dAquitaine ;

    Centre de recherches pour le dveloppement des sciences sociales etde la communication (CREDESCO) ;

    APIC (Association pour la promotion des identits culturelles) ;

    Centre dtudes de civilisation islamique de Bordeaux 3 ;

    Institut de Stratgie, dArmement et de Dfense (ISAD), Universit deParis II ;

    Centre lyonnais dtudes, de Scurit internationale et de Dfense(CLESID), Universit de Lyon 3 ;

    Groupe dhistoire des forts franaises, Paris I, Sorbonne, CNRS ;

    Centre dtudes et de recherches sur la police (CERP) Universit desSciences sociales de Toulouse 1 ;

    RevueNordique (Institut Choiseul de Paris) ;

    Stratgique, Revue de lInstitut de Stratgie compare.

    Le centre a galement coordonn, de 2005 2008, une Action concerte inci-tative (ACI) du ministre de la Recherche : Thorie des Relations internationaleset hgmonie culturelle (projet 0043), dont le prsent ouvrage rend compte destravaux (cf. infra, deuxime et troisime parties). Il participe galement, parlintermdiaire de lInstitut europen de la Fort cultive, et en tant que centre

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    daccueil du Master Fort et Dveloppement [17] durable, au Ple de comptitivi-t de la Rgion Aquitaine portant sur Le Pin maritime du futur , ainsi quauRseau FORSEE (Gestion durable des FOrts : un RSEau Europen de zones pilo-

    tes pour la mise en uvre oprationnelle, initiative communautaire INTEREG

    IIIb Espace Atlantique ).

    Des relations scientifiques rgulires et conventionnes avec les universitstrangres suivantes ont t entretenues :

    Universit Beida de Pkin, Dpartement de relations internationales ;

    Universit de Virginie (Uva), Dpartement de Science politique, Char-lottesville, Usa ;

    Institut de stratgie internationale de lInstitute of Technology delUniversit Georgia Tech dAtlanta, USA ;

    Universit de Porto.

    La premire partie de cet ouvrage rsume les axes de recherche du CAPCGRI,orients autour des concepts en apparence antinomiques de puissance et de di-plomatie culturelle.

    Alors que Jean-Louis Seurin avait initi divers travaux de sociologie et dethorie politique, cest sous linfluence de Jean-Louis Martres que fut engage,

    ds les dbuts du CAPC, une approche raliste en matire de relations internationa-les.

    Lensemble de la rflexion thorique repose ce propos sur une prise deconscience de la fragilit et de la spcificit des approches universitaires en lamatire. Souvent, le thoricien, quittant ses limites, rve dtre le conseiller duPrince ou cest le syndrome de Kissinger de devenir dcideur lui-mme. linverse, il peut fuir la ralit brute et tre tent par un voyage en songe, non d-pourvu dune arrogance compensatoire cest le syndrome de Cyrano de Berge-rac. La tche, humble, de dcrire le monde, nest pas aise face la multitude des

    tats et des acteurs en prsence, la diversit linguistique, linfinit de tramessimultanes, visibles ou caches, dintrts contradictoires, la plthore de basesde donnes, face aussi aux dterminations des vnements. Malgr Internet,laccs aux informations confidentielles nest pas toujours facile pour des univer-sitaires franais qui travaillent dans de petites units de province, confrontes une totale pnurie de moyens. Il ne sagit donc pas pour eux de concurrencer lesgrilles [18] globales danalyse dorganisations spcialises qui se consacrent la

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    Michel Bergs (dir), Penser les relations internationales. (2008) 21

    lecture quotidienne de linternational (les dpartements ministriels des grandstats CIA en tte , les services de prospective des multinationales oudentreprises prdatrices, des banques, des grands journaux ou des chanes de

    tlvision, des socits prives de consulting). Sans non plus rester dpendantsdes sources produites par ces entits externes, il leur faut surtout essayer de penserlunit et les universaux (prcisment !) des relations internationales, de sur-crot sans disposer des facilits de leurs vis--vis trangers, notamment amricainsou europens.

    Pour mener bien cette tche de synthse, insparable de la formation desdoctorants, ils doivent aussi viter de suivre des tiquettes la mode dans ladfinition des problmes. Le prsident de lAFUDRIS nous a mis justement en gar-de contre les formules rhtoriques imposes , les fourre-tout des nouvellesprobl-matiques que rptent, sans les matriser, les acteurs de terrain, politi-ciens, hommes daffaires ou diplomates, spcialistes de la rflexion opration-nelle ou de la prospective administrative , en une sorte de volapk interna-tionalis, color de sigles, d incantations magiques , dadjectifs enthymmati-ques, qui nont de ralit effective que leur propre usage dsignatif, nominaliste,constructiviste. Ce collgue appelait de ses vux une refonte des reprsenta-tions mentales dans laquelle les enseignants-chercheurs , qui ont pour profes-sion de lire, dcrire, denseigner, de rechercher dans la solitude et au sein de peti-tes collgialits, conservent leur lgitimit 1.

    Dans cette direction, lquipe du CAPCGRI a choisi la fois dengager une r-

    flexion pistmologique critique et comparative sur les modles de lecture aca-dmiques les plus courants en science politique internationaliste, et de mettre enavant une problmatique raliste en termes de thorisation et danalyse, qui sem-ble la plus adquate pour rendre compte modestement de la complexit dumonde actuel, qui constitue un dfi pour la dmarche universitaire, stricto sensu.

    1 Cf. Jean-Jacques Roche, Le temps des incantations magiques ,Le Devoir, 19 juin 2004.

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    [19]

    Premire partie : Lcole martrienne de Bordeaux.Noralisme et diplomatie culturelle

    I

    pistmologie

    des thories

    Le rapport la thorie en matire de relations internationales reste problma-tique. Dans un premier temps, il est apparu indispensable dtablir un bilan et unetypologie raisonne des thories en prsence, avant dengager, au regard dune

    critique thortique (cest--dire proposant une thorie pistmologique desapproches sectorielles en question), une dmarche plus heuristique de redfinitionde la puissance.

    I. De la ncessit dune thorie des relationsinternationales ou lillusion paradigmatique

    Jean-Louis Martres

    Retour la table des matires

    Deux obstacles rendent difficile une approche raliste des relations internatio-nales : les paradigmes acadmiques et le discours des diplomates. partir de ceconstat, il est important de comprendre les raisons des rapports entre idologie etthorie en la matire, mais aussi denvisager leur dpassement en proposant une

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    thortique constructive afin de choisir, non un syncrtisme paradigmatique,mais une grille adapte rendant compte de lordre mondial tel quil est, tel quilvolue et tel que le ressentent objectivement et subjectivement ceux qui

    lanalysent.Les relations internationales constituent-elles un territoire si particulier

    quelles ncessitent le recours des paradigmes spcifiques distincts des mtho-des habituelles en sciences sociales ? [20] Il ne le semble pas. Cependant il fauttenir compte des voiles successifs qui en obscurcissent le sens.

    Tout dabord les gouvernants, fussent-ils dmocratiques, ne sont gure enclins expliquer clairement lopinion les raisons relles de leurs engagements. Bienentendu, parce que la plupart des citoyens sy intressent peu, mais aussi parcequils ont tendance les considrer comme un thtre o se dplacent des person-

    nages jouant une pice inconnue. Ils ont besoin dun code pour comprendre laliturgie et applaudir les performances.

    Et les Princes savent quils doivent, au regard de leurs valeurs culturelles etdes attentes nationalistes du public, se donner le plus beau rle. Aussi choisissent-ils dvoquer les problmes de la socit internationale par un discours moralistevisant dsigner les bons et les mchants et, si possible, prcisant quel pointeux sont du bon ct !

    Les mdias confortent lessentiel du dispositif en renforant leur tour le ca-ractre manichen du discours et rservent une mince lite des cls de compr-

    hension plus raffines, mais souvent partisanes en fonction de leurs propres rf-rences politiques.

    Le malaise saccrot lorsque lon constate quel point lOccident, lieu essen-tiel du dbat thorique, trouve de bonnes raisons pour laborer des doctrines in-terventionnistes fondes sur de grands principes ou de bons sentiments. Dabordlglise et la guerre juste, puis la dfense de la dmocratie et des Droits delhomme, tout lui est bon pour continuer sattribuer la meilleure part, celle de lajustice dans les relations internationales.

    Pour approcher tant soit peu lessentiel, il faut donc passer au travers de ce

    premier barrage idologique. Mais cest pour mieux se trouver confront undeuxime, celui du langage diplomatique. Celui-ci (Constanze Villar le dmontrebrillamment cf. infra, p. 48), a ses propres rgles et tout particulirement unevision du temps diffrente de celle de lopinion. La dure, la solution long ter-me, la gestion mticuleuse des mots, loblige euphmiser les propos, les en-fermer dans un registre trs court, jouant sur les nuances smantiques. Car le di-

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    plomate, sil sengage, prvoit aussi de se dlier. Il se doit de cultiver lambigut,source fconde dune pluralit dinterprtations.

    Devrait alors intervenir le recours la thorie qui, grce des paradigmes ex-

    plicatifs, aiderait percer le secret des Princes. [21] Nous ne sommes pas loin deconsidrer pourtant quil sagit encore dune barrire contribuant finalement obscurcir le sujet plutt qu lclairer. Cest tout spcialement cette illusionparadigmatique que nous allons nous attacher.

    Tous ceux qui reprochent la thorie raliste son cynisme, cultivent une vi-sion irnique et idaliste de lavenir des relations internationales. Mais cette intro-duction de la morale a au moins un mrite, celui de poser une question au conceptde thorie des relations internationales : reprsente-t-il une modlisation dunepratique politique, ou est-il vritablement lembryon dune science capable de

    dduire de lobservation empirique des rgularits rptitives ? La prise au s-rieux de ces thories exigerait un choix entre ces deux possibilits. Il est prudentcependant douvrir le dbat sur une autre hypothse : ne sommes-nous pas en facedun nouveau champ dexpression pour les ides politiques qui prfre dserterles lieux traditionnels de la pense ?

    Nous penchons en faveur de la dernire hypothse. Cherchons donc dbus-quer cette pense derrire le masque dune pseudo-science. Cela ne veut en aucuncas dire que nous ngligeons ou tenons pour nant limmense effort danalysedj accompli. Bien au contraire. Trs prcisment, le rle de la pense politique,

    longtemps msestim sous linfluence du marxisme, saffirme aussi bien dans latentative de comprhension de la ralit, que dans la proposition de modles decomportement, en vue damliorer ou de changer radicalement la vie politique.

    Cest dans cette direction que nous allons prsenter, trs sommairement, la lo-gique acadmique de la grande bataille des paradigmes , avec lespoir de d-montrer que leurs distances ne sont pas aussi grandes que leurs concepteurs leprtendent.

    A. Le paradigme raliste et ses adversaires

    Retour la table des matires

    Il faut essayer daborder les thories des relations internationales avec une vo-lont de clart, tant celles-ci cultivent leurs diffrences et semblent exiger unchoix pralable. Leurs auteurs refusent dtre mis sur le mme pied et considrentcomme hrtique [22] toute tentative de tirer des bnfices cumulatifs de leurs

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    recherches varies. Pourrait-on tre, srieusement, catholique et protestant enmme temps ?

    Pourtant il y a un seul point sur lequel les thoriciens des relations internatio-

    nales sont daccord, cest la certitude de ne travailler ni sur le mme objet ni grceaux mmes mthodes. Ils se disputent sur lexistence dune discipline dont ils sontincapables de dire si elle concerne le pouvoir mondial, les relations entre tats, lesflux transnationaux publics et privs, ou tout cela en mme temps.

    Largement domine par les chercheurs nord-amricains, la thorie des rela-tions internationales a en trs peu de temps donn naissance un large corpuspartag entre paradigmes rivaux. Ceux-ci sont devenus un lieu drudition, unerichesse acadmique, que se doivent de possder tudiants et chercheurs. Un telpuzzle semble poser linterrogation majeure de savoir quel paradigme choisir afin

    darrimer solidement son avenir universitaire lquipe gagnanteLa part franaise, trs concentre autour du Centre dtudes des Relations in-

    ternationales de lInstitut dtudes politiques de Paris, ne peut, sans perdre sonoriginalit, se rallier entirement avec armes et bagages aux seules thories amri-caines. Elle doit sen dmarquer, afin de ne pas cder ce dangereux impria-lisme idologique . Pour cela, apparemment, elle a rsolument choisi un cheminqui la dirige vers le jugement de valeur. La position est habile et rejoint celle, tra-ditionnelle chez les intellectuels franais, dpouser la posture du dtenteur de lavrit, afin de mesurer laune de leur propre vertu, tout aussi bien les thories

    des chapelles rivales que le comportement des tats. Cette approche nest passans prcdent, et dans la lutte qui opposait colombes et faucons aux USA, lespremiers avaient dj trs largement fait un choix thique.

    Lorsque le ralisme cherche des anctres ses analyses, il invoque tout natu-rellement Thucydide, Machiavel ou Clausevitz. Mais finalement, la thorisationapparat chez des auteurs comme Kennan, Morgenthau, Waltz (donc une prio-de rcente) marque par les violents conflits du XXe sicle. Considr par certainscoryphes transnationalistes comme troitement li la vision juridique, il sendistingue en fait trs fortement. [23] Lopposition radicale apparat sur la questionde lidalisme juridique qui suppose possible de dpasser les conflits parlinstitutionnalisation et le rgne du droit.

    Les ralistes, refusant de croire en une harmonie universelle des intrts, sontaussi des libraux, au sens politique et conomique du terme, mais ils se mfientdune rgulation sociale rendue possible par le seul jeu de lconomie de march.

    Si des auteurs comme Kennan et Morgenthau conservent une partie de lacosmogonie juridique, en ce sens quils centrent leurs analyses sur ltat, en re-

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    vanche ils pensent que la socit internationale est par nature anarchique, rgiepar la seule loi du conflit et la poursuite des intrts nationaux. Le fondement d-rive du jugement pessimiste de Machiavel et Hobbes sur la nature humaine, o

    lhomme dchu reste soumis lgosme de ses passions et ne trouve que dans laforce les moyens de satisfaire ses intrts. Ils refusent donc daccepter lidedgalit et sen remettent la puissance pour exprimer leur vision hirarchiquedu monde. Les tats seraient ainsi condamns augmenter sans arrt leurs forcesafin dviter la soumission ou la destruction. La seule issue cette escalade setrouve dans laccs des quilibres de pouvoir entre tats, aussi fragilesquinconstants.

    Contrairement aux apparences, le ralisme nest pas une thorie, encore moinsun paradigme, mais le rsultat dune exprience, dune apprhension empiriquedu politique. Toute lerreur du ralisme fut de se prsenter comme une thoriealors quil dcrivait lart de la politique, immuable et changeant. La comprhen-sion du ralisme doit se faire en fonction dune philosophie de laction trs diff-rente du souci thique. En revanche, le libralisme tel quil est interprt dans leparadigme ponyme est, lui, vritablement dogmatique et idologique. En effet, ilentend dduire la politique dun parti pris pacifiste, laissant supposer quil y auraitune liaison mcanique entre lconomie de march, la coopration politique, etlinstitutionnalisation des relations internationales.

    Or les dtracteurs de la pense des ralistes les ont trs prcisment attaqussur la part thorique, ngligeant ainsi leur relle spcificit. Cela voque la dis-

    tinction existant entre les lgistes en Chine, o la thorie se durcit de faon syst-matique chez Han Fe par rapport aux recueils de pratiques exposs par ses prd-cesseurs. [24] Or Han Fe est le seul ne pas avoir exerc de responsabilit politi-que. Mme les thoriciens ralistes les plus durs, comme Morgenthau, ne furentpas vraiment des gouvernants.

    Pour faire bref, le ralisme caractrise bien le temprament de lhommedaction, sa volont de lutte au service dune cause quil fait sienne et quil veutvoir triompher par tous les moyens jugs opportuns et efficaces, en considrantque lintrt quil dfend passe avant toute considration de morale ordinaire. Le

    monde que dcrivent les ralistes correspond un jeu pour lequel les acteurs doi-vent avoir la matrise de leurs nerfs et obir la logique de la raison. Aussisexprime-t-il au mieux dans le calcul stratgique. La conceptualisation fige cetart mouvant et lenferme tort dans des rgles apparemment prcises. Mfiantes,prudentes, rationnelles, raisonnables, telles devraient tre les politiques trangresinspires par le ralisme. Cela nous oblige passer en revue les concepts invoqusou prts aux ralistes comme symptomatiques de leur pense.

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    1) Ltat, pour eux, rsulte dune transposition anthropocentrique, symboli-sant le retour ltat de nature qui prcde le pacte social. Moment qui rclame

    toutes les ressources de lintelligence, de la ruse et de la force, pour assurer survieet scurit, dfendre son intgrit physique ; la frontire tatique en est le symboleet la souverainet lattribut. Machiavel dans ses analyses du mal, fondateur delordre, trouve ici sa juste place.

    Mais cest sans doute sur ce point, du soi-disant stato-centrisme des ralistes,que se portrent les attaques les plus vives. Rosenau par exemple, en multipliantle nombre des acteurs, se ralliait aux transnationalistes afin dter tout privilgeparticulier ltat. Il est vrai cependant que les praticiens qui furent qualifis deralistes travaillaient pour ltat et naimaient gure que leur employeur ft

    dchu au niveau dune quelconque ONG, encore moins de le sentir soumis lapuissance de multinationales. Leur propre travail sen trouverait du mme couprabaiss, et pour un serviteur de ltat, ce sentiment ntait pas acceptable. Cetteraction corporatiste ne doit pas faire oublier les leons de lHistoire.

    Les ralistes savent trs bien que ltat nest pas la seule forme, ni la formencessaire, de lamnagement du pouvoir politique. Dailleurs dans la bataillebipolaire, chaque bloc implicitement, en [25] luttant pour la disparition de lautre,visait lEmpire qui aurait dtruit les prrogatives de ltat westphalien. Nest-cepas dailleurs le cas depuis limplosion de lURSS ? Pas tout fait, car la possibili-

    t de gouvernance de cet ensemble plantaire en voie de constitution exige encorele respect des prsances et du protocole des Nations. Nest-ce pas dailleurs laleon des vieilles techniques de lIndirect Rule, pratiques par les Anglais en In-de, en Afrique ou en Asie ? Il serait en effet extrmement dsagrable de rappeler certains tats que leur souverainet nexiste plus quin partibus ! Cela permetde mnager habilement un fait ttu, celui de la Nation, dont la disparition nestpas postule par lexistence dun Empire. Les ralistes ne ngligent pas la longuepriode qui a prcd le trait de Westphalie et sen souviennent au moment degrer les affaires de la priode contemporaine. Ils ont trs bien saisi que politi-quement les idologies transnationales sont dangereuses dans la mesure o elles

    glorifient labaissement de ltat. En fait les ralistes sintressent davantage aupouvoir qu ltat, et ceux qui agissent au sein des USA ne voient aucune raisonpour renoncer la suprmatie de ltat au moment o sa puissance devient hg-monique.

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    Dailleurs Susan Strange, tout en se rclamant du ralisme (mais britannique)a consacr une large partie de son uvre tudier les relations entre pouvoir poli-tique et pouvoir conomique, reconnaissant la puissance de ce dernier facteur.

    De la mme faon, aucun raliste nignore que, dans la conduite des affaires,le comportement stratgique doit tenir compte de tous les autres acteurs. Mais ilssavent, qu la diffrence des tats, acteurs permanents, tous les autres sont sp-cialiss, et parmi eux, beaucoup sont phmres, donc vulnrables. Les acteursralistes servent le pouvoir politique et se servent des autres pouvoirs pour aboutir leurs fins.

    2) Autrement dit, ce souci permanent de survie du pouvoir trouve son expres-sion dans le concept dintrt. Pris dans un sens rationnel, il postule le calcul de

    linvestissement dans laction pour en apprcier la rentabilit attendue. Trop co-teuse, il faut lviter, bnficiaire, il faut lengager. Bien entendu au regard desthses idalistes, le calcul apparat mesquin, indigne de la gnrosit humaine.Mais les ralistes estiment que les biens sont mal [26] rpartis, en quantits siinsuffisantes quils obligent ceux qui les dtiennent organiser une veille cons-tante pour ne pas en tre dpossds.

    Lide selon laquelle laction de lun provoque la raction de lautre et quetout le scnario se construit de la sorte relve dune notation juste, appartenantaussi bien au ralisme stratgique quau constructivisme interactionniste. Elle a le

    mrite de souligner la possibilit technique pour lhomme de changer le cours deschoses, selon la faon dont il jouera de ses atouts. Mais les consquences tirer de ce propos doivent tre prudemment circonscrites. Lacteur actuel, ltat,hrite de certains rles forgs par lHistoire qui le contraignent. PourquoilHistoire a-t-elle t ce quelle a t ? Sans retomber dans le dterminisme tlo-logique de lHistoire, o et quand se situent les marges de libert ? Pourquoi laFrance a-t-elle cherch conqurir ses frontires naturelles ? Pourquoi la Russiea-t-elle couru vers les mers libres ? Et lle anglaise, a-t-elle choisi par hasard lamatrise des mers ? Jusquo peut aller le constructivisme dans la cration dunordre nouveau ? Dailleurs ce paradigme reste ambigu, car il peut tre aussi biendfini comme une postrit inavoue du marxisme, comme un libralisme absolu,ou bien encore comme la formalisation des principes gnraux de stratgie partirde la thorie du jeu deux joueurs de Newman et Morgenstern.

    En fait, inspirs de la morale des Princes, de la raison dtat en action,lattachement patriotique des ralistes rend compte galement du concept dintrtnational, tels quils le dcrivent. Chaque fois quils ont voulu thoriser le contenu

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    pour dmontrer sa persistance historique, ils ont sans doute mrit la critiquedavoir us dun concept flou, commode, mais indfinissable. Or pour saisir lapense raliste, il faut au contraire rintgrer chaque auteur dans sa priode,

    lcouter disserter de lintrt tel quil lentend un moment prcis de lHistoire.En dautres termes, lintrt est insparable de la conjoncture et de la compta-

    bilit imaginaire auquel doit constamment se livrer le Prince pour atteindre lesbuts quil sest fix. Ceux-ci sont sans doute dicts par sa culture, mais aussi etsurtout par la froide analyse des moyens rels quil dtient.

    Il doit rester clair que la formulation abstraite du concept dintrt perd unegrande partie de son sens. Tout au plus, peut-il servir [27] de guide pour saisir cequi, un moment donn, dans des circonstances particulires, gnre la ractiondes gouvernants et lui suggre des objectifs considrs comme vitaux. Il ny a

    aucune possibilit dobjectiver lintrt, sans lui faire perdre son sens pluriel.Nous avons affaire des variables historiques et psychologiques congruentes,incapables de se glisser dans un moule abstrait. Pour viter ce reproche, les ralis-tes se rfugient derrire un intrt minimal commun tous, celui de la survie et dela scurit, sans pour autant convaincre, car lquation nest pas plus solide, et leconcept toujours aussi indfinissable, moins de lentendre comme la volont destats de perdurer. Le problme nest pas pour autant rsolu, car cette volont estidentifiable dans toutes les organisations ou associations, mme les plus modestes.Labstrac-tion ne sied pas au ralisme.

    Devient alors trs forte la contestation constructiviste qui fait de lintrt le r-sultat dune interaction dmunie de tout fondement antrieur qui serait la propri-t particulire et constitutive dun acteur. Il y a une grande part de sophisme danscette prsentation des choses. Sans doute pour passer sur la scne du thtre inter-national, tous les acteurs revtent-ils masques et costumes de rle. Mais ceux-cine sont pas choisis au hasard. Ils sont construits intentionnellement afin de tenircompte des contraintes du milieu. Quelquefois la tenue de scne les gne aux en-tournures pour la ralisation et la formalisation de leurs objectifs. Mais, tout aussibien, elle peut dcupler la puissance des ruses et des stratagmes. Autrement dit,si lintrt en soi nexiste pas, tous les gouvernants agissent pourtant en raison

    dintrts concrets parfaitement identifiables.

    3) Bien entendu, cette vision des choses trouve son fondement danslanarchie, cense rgner entre les entits tatiques rivales, les projetant dans levide sauvage dun tat de nature antrieur toute rgulation. cette visionrpond la dmonstration selon laquelle ce vide est un trop plein, en voie

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    dintgration grce aux rgimes et aux institutions internationales, rputeschapper au contrle tatique. cela sajoutent toutes les thses transnationalistesdmontrant la continuit interne-externe, dpeant ltat de ses dernires capaci-

    ts. Les noralistes saccommodent trs bien de tels arguments, car ils peuvent[28] arguer tout aussi facilement que les organisations nexisteraient pas sans lecontrle de ltat, que les rgimes obissent aux mmes principes lmentai-res de dlgation et de coordination que ceux des services publics internes. Quant lordre international nouveau naissant des socits conomiques multinationa-les , il nest gure difficile de montrer, sans mme recourir largument de Gil-pin sur la cration de Biens Publics par ltat, que lordre libral implique lasparation du politique et de lconomie. Lexistence, vite oublie, des conomiesplanifies, dmontrait bien quune solution diffrente tait possible, mme si ellene fonctionnait pas correctement.

    Lanarchie, dans le discours raliste, est une simple commodit langagire,pour montrer que lgosme national doit lemporter sur tout autre. Elle ne visepas dcrire un type de systme politique sans rgle, qui nexiste pas plus dansles socits internes quinternationales. Tout au plus les ralistes visent-ils lidedun degr plus grand de libert existant dans la dfense des intrts, carlincomprhension des peuples aux questions de politique internationale leur lais-se les mains plus libres. Cette incomprhension cache souvent dailleurs unconsentement implicite lemploi de moyens drogatoires aux normes internes.La victoire est le seul moyen de lgitimation dont on peut senorgueillir au mme

    titre que dun succs sportif. Le nationalisme est simplement inscrit dans le fili-grane du discours, qui trouve commode de prtendre agir dans un tat de nature,afin de mieux y dployer ses stratgies. Simple ruse smantique, lanarchie est unalibi commode pour librer la puissance de ses entraves morales. La preuve en estdailleurs donne lorsque dans ce vide se dploient des stratgies de gouver-nance ! Les ralistes en connaissent parfaitement les rouages, le seul problmereste de les utiliser au profit de leurs mandants.

    En dautres termes il est curieux, voire inconsquent, de dduire leffacementde ltat dans les relations internationales, au seul prtexte quil existe une plura-

    lit dacteurs. Cest le fruit pourtant dun choix clair des tats en faveur dun plu-ralisme aussi bien interne quexterne, comme il convient dans une socit librale.

    [29]

    4) Chacun saccorde dire que balance of power se comprend mal et quesa signification est plus large, plus dynamique. En effet, ce concept est bti com-

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    me une sorte de guide de laction visant viter la domination dun tat trop fort,ce qui suppose et gnre de multiples tactiques : se coaliser avec dautres pourrsister la monte en puissance dun acteur, concert des Nations, appui apport

    aux tats les plus faibles dans une guerre avec un voisin dj trop fort, division etsubversion des coalitions, proposition dchanges ou de compensations loccasion dun marchandage diplomatique, etc. Si lon veut enfermer le principedans une rgle fixe, il chappera lanalyse, car il se dfinit davantage comme laproccupation stratgique gnrale dun dirigeant, que comme la dclinaison deprincipes et daxiomes ; en fait les circonstances obligent se fier limaginationpour renouveler les modalits de laction. En examinant lhistoire de la politiquede la Grande-Bretagne lgard du continent, les multiples recettes employespour le dominer tmoignent de linfatigable activit cratrice de limaginationstratgique.

    5)Do la ncessit de recourir la puissancecomme seul moyen de provo-quer larbitrage du destin. Mais ici limage est brouille, car elle semble synony-me de force dchane arbitrairement, pour assouvir la soif de domination dequelque tyran. En fait cela ne diffre gure du Si vis pacem para bellum , ladmonstration de la force est dissuasive par nature. Or comme loiseau minusculese pare de couleurs effrayantes pour dissuader le prdateur, la puissance est autantralit que subterfuge, car son but demeure bien la paix et non la victoire commele fait remarquer Raymond Aron. La puissance ne justifie pas la conqute, mais

    fait plutt lloge du gendarme gardien de lordre.

    La puissance raliste pourrait se dfinir comme le recours la force contre laviolence, mais ce paradoxe passe souvent inaperu, alors quil est la conditionessentielle pour arriver la table de ngociation, prlude la paix.

    Il ne faut pas prter trop de navet irnique aux gouvernants et le discoursprcdent est commode quand surviennent les critiques librales. La loi de lapuissance est la fois plus silencieuse et plus meurtrire. Surtout, l encore, pren-dre la thorie raliste au pied de la lettre conduit une impasse. La mode [30]condamne la puissance sur le fallacieux prtexte quelle nest pas calculable .Raymond Aron le dit lui-mme, et dautres, par la suite, ont condamn les entre-prises dauteurs comme Cohen ou Clyne et renonc aux tables de la puissancelabores par Karl Deutsch. Ce concept nest pas susceptible dune dfinitionunique. En revanche, comment ne pas remarquer lutilit du mot pour souligner lefait quaucun acteur ne se lance dans une action sans avoir auparavant valu ses forces et celles de son adversaire ? Devrait-on renoncer la beaut sous pr-

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    texte quil est impossible de dgager des critres universels permettant delidentifier coup sr ? Pour autant, ce concept flou, sur lequel nous reviendrons(cf. infra, p. 66 107), reste indispensable car il nomme cette polymorphie dun

    phnomne. Il ne sert rien den refuser lusage au nom dune quelconque arith-mtique. Ce qui gne, une fois encore, reste bien lincapacit du thoricien ac-cepter que dans les sciences sociales les concepts nobissent pas aux mmes d-finitions que celles utilises en physique ou en chimie. Pour le saisir, une rupturepistmologique est ncessaire, et on se doit daccepter lambigu, le trouble, lapolysmie, comme un moyen empirique et utile rendant accessible un momentdonn un fait de plus grande puissance .

    En rendant compte de cette faon trs lmentaire de la thorie raliste, il estais de reconnatre les sources europennes de la conduite des affaires trangresdans la vieille Europe. Toute lhistoire du continent se trouva rgle sur ces prin-cipes quincarnrent parfaitement des personnalits comme Louis XI, Talleyrandou Metternich. Clausewitz, en sattachant dcrire les rgles de la guerre, ne fitpas autre chose quaffirmer la subordination des militaires aux politiques, seulsmatres des chemins de la paix. Autrement dit le ralisme se ramne un art de lapolitique, transpos dans les relations internationales.

    Pour cette raison il est impossible dinvoquer une quelconque thorie ralistequi sera toujours incapable denfermer sa subtilit dans des concepts fixes et dfi-nitifs. Bien au contraire cette formulation paradigmatique du ralisme prte le flan toutes les critiques. Elles furent nombreuses, mais finalement, sattaqurent da-

    vantage une illusion dogmatique quau cur mme des arguments subtils duralisme.

    [31]

    Avant de se livrer aux analyses dconstructivistes des ennemis du ralis-me, notons, avec quelque ironie, quelles se trouvent dfendues par des auteursamricains, alors que celles-ci symbolisent tout limmoralisme de la vieille Euro-pe que les Pres fondateurs avaient fui pour cette mme raison.

    En bref, cet inventaire avait pour but de faire apparatre le caractre axial, ma-

    triciel de la thorie raliste, principalement vise par tous les dconstructeurs,quel que soit leur point de dpart mthodologique. Mais peu importe que ltat nesoit plus un acteur unifi, quil partage linitiative de la politique extrieure avecdes organisations multinationales, que sa souverainet sefface comme cela estprvisible dans une socit pluraliste. Seul lacteur rel doit tre pris en comptepour un raliste. Il en va de mme pour la distinction interne-externe. Tous es-saient de dmonter ce quils considrent comme les dogmes fondateurs du ralis-

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    me, alors quils poursuivent de leurs foudres la forme illusoire que prend le r-alisme chaque fois quil veut tre considr, lui aussi, comme une thorie. De cefait, chaque critique porte faux. Sans doute lintrt national devient flou et

    quivoque aprs le passage du culturalisme et cde le pas des formes singuliresdintrts particuliers, tous incapables de sunifier pour fonder une thorie. Maisjamais aucun acteur raliste na contest la spcificit des intrts. Pour ce quiest de la puissance, symbole honni des politiques de force, faute encore de pou-voir en prsenter une dfinition prcise et scientifique , il parat dsormais pr-frable de dclarer sa mort ou bien de la remplacer par un substitut dulcor :linfluence. Cette critique est de lordre de la conjuration, car le phnomne de-meure ! Quant ltat danarchie, suppos dfinir le milieu international, sa remi-se en question par les mcanismes de rgulation systmique mis jour par lesstructuralistes, ne fait pas disparatre ltat, toujours prt renatre, toujours vigi-

    lant. Tout au plus celui-ci sincline-t-il quand il est le plus faible dans une relationavec une entreprise multinationale qui le soumet. Mais cest la consquence deson impuissance et non la preuve gnrale de la fin des tats. Le tableau ci-aprsillustre lenjeu destructeur des nouveaux paradigmes, en mme temps quil souli-gne le caractre matriciel de la thse raliste.

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    [32]

    Tableau de la dconstruction de la thorie raliste

    Ltat Exter-ne/interne

    Puissance Intrts natio-naux

    Combat-conflit

    1) Fonde-ments duralisme

    Seul acteur Lanarchie Lquilibre

    Balance ofPower.

    maximiser

    2) Critiques

    marxistes 1) les forcesde production Lutte capi-tal/social Dominationpar la puis-sance despeuples rvo-lutionnairesconduits parle sens delhistoire

    Intrts inter-nationaux duProltariat

    Lutte desclasses mon-diale

    Internationa-lisme prolta-rien

    librales 2) pluralitdes acteurs

    Continuit dumarch inter-ne/externe

    Incalculable Culturalisme -doute

    Processuscomplexesans com-mencement nifin

    transnational 3) Organisa-tions interna-tionales

    K. Deutsch Apprhensionsubjective

    influence

    Fonctionna-lisme (mo-teur)

    Organisationsinternationa-les

    Rgimesinternatio-naux

    Structurales etsystmiques

    4) Systmeprime ltat

    Autorgula-tion

    Attribus parle systme

    Models parle systme

    Problmes duchangementde systme

    Constructivis-tes 5) Interac-tions

    - Identits

    Perceptions Rle Auto-construits etnon donns

    Solidaritpossible

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    [33]

    Il reste cependant prciser les raisons pour lesquelles ces querelles entre pa-radigmes sont aussi violentes et si elles dpendent vraiment de la complexit des

    relations internationales. Il semble au contraire quelles soient surdtermines pardes motivations idologiques.

    B. Les fondements de la querelle

    Retour la table des matires

    La persistance du ralisme se manifeste par sa capacit senrichir de nouvel-les mthodes des sciences sociales, principalement dveloppes aprs la deuximeguerre mondiale. Quant ses adversaires, ils montrent par leurs hsitations quilsne peuvent pas vritablement loublier. Ainsi des transits frquents dun paradig-me vers lautre prouvent le fait. Prenons tmoin les repentirs de Robert Keohanequi, de lui-mme, reconnut le caractre simpliste du modle raliste tel quil ledfinissait, afin de lopposer linterdpendance complexe .

    Quant Ernest Haas, approfondissant son tude de la CEE, il devint sceptiquesur les mrites du nofonctionnalisme ou, en tout cas, sur la possibilit de consi-drer lintgration europenne comme un modle susceptible dtre tendu dautres tats. En effet, le caractre particulier du traumatisme de la secondeguerre, le contexte de dissuasion nuclaire, les valeurs historiques et culturellesdes tats europens constituent des conditions non reproductibles dans dautresaires gographiques.

    Ce dernier se consacra alors ltude de la gouvernance mondiale en ana-lysant le fonctionnement dfectueux pour lui des grandes organisations inter-nationales. Il nest pas isol dans son cas, et une lecture plus attentive montre enfait que des auteurs comme Karl Deutsch, partir du behaviouralisme,sattachrent ltude de la puissance et en recherchrent les indicateurs dans desanalyses quantitatives raffines.

    Cela nous amne poser la question fondamentale : toutes ces attaques sont-elles dictes par un souci scientifique, ou manent-elles de jugements idologi-ques ?

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    [34]

    a) Thories, idologies et philosophies

    Retour la table des matires

    Il est trs hasardeux de penser que lintroduction de mthodes scientifiques ri-goureuses ferait totalement disparatre les rfrents idologiques de chaque au-teur. La plupart, dailleurs, dorigine europenne, avaient d fuir devant lavancedu nazisme et se mfiaient viscralement de tout compromis avec le Mal, cest--dire ltat. Ernest Haas, par exemple, sintressait de prs lintgration euro-penne, mais il le faisait avec lespoir que ce processus tonnant ferait disparatrela relation directe du citoyen ltat, cause des dsastres militaires dorigine na-tionaliste. Lattachement une socit internationale quilibre, pacifique, dbar-

    rasse des pulsions agressives prtes aux tats, obligerait rechercher des mod-les idaux supranationaux, sintresser la gouvernance mondiale et rejeter lesrelations de force. En cela, il poursuivait le vieux rve des juristes. Maisnoublions pas que des auteurs rputs ralistes comme Henry Kissinger ouGeorges Kennan, refusaient lengagement amricain au Vietnam !

    On pourrait dj prtendre que les oppositions thoriques reproduisent le cli-vage droite-gauche, o les ralistes occuperaient la place des conservateurs enpolitique interne et les idalistes libraux celle de la vertu pacifiste et cooprativede la gauche. Pour ces raisons, les premiers furent prsents comme des faucons

    incapables dimaginer une politique spare de la force (attaque trs exagre,songeons la rfrence cooprative du Congrs de Vienne chez Kissinger), leslibraux, au contraire, feraient toute confiance au march, se substituant progres-sivement lautorit de ltat et conduisant directement la paix.

    En fait la grande question politique pose par les relations internationales de-meure, comme la montr Raymond Aron, la dialectique paix et guerre. On cons-tate que sur ce thme paradigmatique, les thoriciens recherchent dans les matri-ces philosophiques la solution au problme. Tantt ils redoutent la part mauditede lhomme, sa volont de puissance ou de domination, et ltat devient le sup-

    port anthropocentrique dune volont de rsistance cherchant faire preuve de sacapacit protger lunit nationale. De ce point de vue, les ralistes ressententprofondment linfluence [35] des philosophies pessimistes sur la nature humaineet se rclament dune vision hroque et tragique du monde, trs inspire par unemtaphysique du Mal. Pour eux, le conflit est la source mme du changement, cequi les oblige courir aprs ce mystrieux concept dquilibre, moment de stabili-t dont le secret rside dans lart de la politique. Car le pouvoir, davantage que

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    ltat, est au centre des dbats. Cette ligne philosophique, trs aristocratique, nesintresse quau moment o lhomme doit prendre sa dcision pour sengagerdans laction. La volont reste ainsi au centre de son systme de reprsentation et,

    dune certaine faon, implique une vision subjectiviste dans la mesure o ltat setrouve investi des mmes attributs que lhomme. Mais faut-il reconnatre qu unmoment donn ltat est toujours un homme ! Il y a toujours un dcideur ultime,quelle que soit la chane de contraintes qui conduise au choix.

    Mais il est parfaitement possible de rfuter cette vision du monde et delimaginer sur de tout autres fondements. Ainsi Locke croyait que la faim seulecaractrisait ltat de nature. Il justifiait ainsi lexistence de la proprit et de lalibert du commerce. partir de l, cette option peut conduire vers un quitismematrialiste et hdoniste li la vision librale de lconomie de march. Remar-quons, titre incident, que la concurrence des intrts prsente comme dbou-chant sur ce moment privilgi o le conflit se transforme en harmonie est toutaussi mystrieuse dans son approche que lquilibre des ralistes.

    De ce fait toute procdure juridique ou politique pouvant conduire lententeleur parat suprieure a priori aux dmonstrations de force et aux moulinets desmilitaires. Encore faudrait-il faire attention de nouveaux Munich !

    Lirnisme libral trouve sa limite chaque fois que ladversaire nen partagepas les valeurs. Mais son adoption entrane immdiatement, au moment delanalyse des relations internationales, une prfrence trs nette pour le paradigme

    transnationaliste ou pour les thories de la coopration pousses jusqulintgration. De la mme faon, la prfrence idologique pour lobjectivismeconduira choisir les thories structuralistes et systmiques, ngligeantlimportance des acteurs. Nous retrouvons donc ce niveau les mmes opposi-tions quen philosophie [36] o se dploie le combat entre mtaphysique du Malet philosophie optimiste, entre universalisme libral et relativisme culturel, entreobjectivisme et subjectivisme, lesquelles oppositions gnrent des mthodesdapproche, mais ne font jamais oublier leur parti pris sur la nature de lhomme etlontologie. Il ne saurait tre question de considrer ces surdterminations philo-sophiques comme la source plausible de paradigmes rellement explicatifs.

    Ajoutons, pour ne ngliger aucun aspect, linfluence des thoriciens fminis-tes qui, comme J.Ann Tickner soulignent la position trs voisine des ralistes etdes libraux en lattribuant leur vision masculine de la socit internationale.En particulier les concepts de scurit et dinstabilit dpendraient forte-ment de leur vision machiste du monde.

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    Cependant la relation la philosophie nexplique pas lalternance des mo-des dans le choix dune thorie des relations internationales.

    b) Thories, doctrines de politique trangre et Histoire

    Retour la table des matires

    Thoriquement, nous serions confronts des paradigmes contradictoires dontchacun prtendrait expliquer le sens et la conduite des relations internationales,justifiant ainsi le jugement dclatement. Rien nest plus faux que ce propos.

    Tout dabord ces thories sont dates du fait de leurs conditions historiquesdmergence. Elles ont un trs fort contenu historique et leur formulation abstraite

    ne peut cacher leur profond ancrage dans un dbat prcis de politique trangre.Moins que des thories, mais lgrement plus que des doctrines, elles exprimentfortement des opinions de politique trangre. Nous avons dj esquiss lideselon laquelle la reprsentation juridique du monde tait fortement lie un subs-trat idologique et exprimait une forte nostalgie de lEmpire. Cela donnera nais-sance une voie possible au maintien de la paix et de la scurit par la transposi-tion des mcanismes internes de ltat dans la socit internationale, qui seconcrtisrent la SDN puis lONU. Remarquons au passage limportance de cediscours qui russit convaincre suffisamment de partisans pour faire natre uneorganisation. Mais lidologie wilsonienne ne russit pas attirer [37] les USA et les faire adhrer la SDN, la privant ainsi dun pivot hgmonique puissant.

    Lincapacit de cette organisation dcourager les initiatives du fascisme etdu nazisme fut clatante. Dun certain point de vue, dans une socit aussi ht-rogne que celle de lentre-deux-guerres, larme du droit tait une barrire depapier contre des puissances acquises au primat de la force. Face langlisme,mais surtout au constitutionnalisme naf et au constructivisme subjectivistedes auteurs du Pacte de la SDN, se dressait une coalition dhommes dtat et dethoriciens qui souhaitaient opposer la force la force. Les ralistes avaient par-faitement compris que la nature anarchique , ou plus exactement conflictuelle,

    de la socit internationale ne permettait pas denclencher un processus dunionjuridique de type quasi fdral. Se nommant ralistes pour faire front contre lidalisme des autres, ils btirent leur construction thorique sur le pilier deltat, souverain et gal, dfendant ses intrts par la force, si ncessaire. Cechoix thorique avait aussi lambition de faire renoncer les Rpublicains leurtraditionnel isolationnisme. Lambigut nest pas absente de cette formulation etelle est sans doute lorigine du contresens sur son interprtation. Le danger de la

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    formulation raliste tient sa sacralisation de ltat, sans doute exagre, maisnanmoins ncessaire cette poque, puisque lui seul dtenait de facto la capacitmilitaire. Il est donc normal que cette thorie ait provoqu la raction de ceux qui

    croyaient en la possibilit dun monde coopratif o les intrts finiraient parconverger harmonieusement, grce lconomie de march, en conformit avecles thses librales. De ce fait ils faisaient procs ltat dattenter volontaire-ment la paix. Sa nature mme tait suspecte de bellicisme.

    La thse librale correspondait assez bien aux USA, du moins une large par-tie de lopinion acquise aux valeurs du capitalisme et de lindividualisme. Maisleur opposition aux ralistes tait extrmement ambigu, car elle se limitait auchoix des moyens pour conduire vers la paix. Les ralistes partageaient avec euxune croyance identique dans la valeur de la libert individuelle et de lconomiede march. En revanche, ce commun attachement ne pouvait que provoquer laraction des marxistes et justifier leurs critiques de lingalit et de lexploitationexistant dans le [38] monde bourgeois. De ce fait ils contribuaient la critique deltat, en remplaant la vision atomistique par un faisceau des forces organisesdans de grands blocs, transcendant la machine tatique, quils vouaient la dispa-rition.

    Et ce nest pas la fin de la deuxime guerre mondiale qui allait apaiser le d-bat, car nouveau, ltat se trouvait en procs, attaqu quil tait pour avoir tlinstrument de la puissance de lAxe germano-italien. Plus grave encore, laconfusion entre souverainet de ltat et nationalisme aurait eu pour rsultat natu-

    rel de conduire la guerre. En raison de cela, la thorie se divisa alors entre deuxcourants. Lun voulait rechercher dans des mcanismes dintgration politique,dans le multilibralisme institutionnel, une solution au problme de la scurit.Lautre, tout fait conscient des dangers encourus par la guerre froide, choisissaitla voie du noralisme pour conduire limmense conflit idologique et militaireentre les USA et lURSS. Cette dernire gnration du ralisme donna naissance un fort courant thorique avec des personnalits brillantes comme Georges Ken-nan ou Henry Kissinger, qui tous cherchaient par le moyen de la puissance trou-ver un quilibre stable, une balance galitaire dans le conflit bipolaire.

    La fin de lURSS dclencha une autre problmatique o les nolibraux eu-rent la part belle du fait du recul de la puissance militaire lie la disparition dun ennemi crdible. La formidable expansion qui en rsultait favorisaitlintgration du monde et privilgiait le mode coopratif pour rgler les diff-rends. De nouveau, la question de ltat tait au centre de la discussion. Fallait-ilsen remettre un systme mondial command par les valeurs et la puissance h-gmonique amricaine, ou bien fallait-il rechercher dans le multilatralisme (John

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    Grard Ruggie) ou linstitutionnalisation onusienne les cls dun nouvel ordresystmique ? La rponse de la ralit sera toujours plus forte que la thorie ! Ain-si, les attentats du 11septembre mirent fin la controverse et, dun coup, pulvri-sant la thse transnationaliste, rhabilitrent la puissance de ltat, seul capable dedtruire les rseaux terroristes structurs dailleurs de faon quasi tatique et sou-tenu par des tats qui prenaient pour cible le Grand Satan et ses mules infi-dles du monde occidental . On oublie trop, maintenant, lloge fait par leslibraux de la valeur intrinsque du concept de rseau, encourag, parce quilattnuait linfluence de ltat !

    [39]

    En mettant en vidence la variable historique, nous voulons simplement mon-trer que la dispute tait lie, dans le monde amricain, aux orientations de la poli-

    tique trangre. Seul un axiome praxologique dictait leur contenu : commentmaintenir la paix et la scurit sans nuire aux intrts amricains ?

    c) Le problme de lcart entre les thorieset la structure de la pense en Occident

    Retour la table des matires

    En outre, et de faon consquente la prcdente remarque, il nest pas inutile

    de faire apparatre le substrat idologique de ces querelles, avec pour intention dedmontrer leur trs grande proximit. Une forte tendance considrer les courantsralistes ou libraux comme des mtathories se manifesta en effet chez certainsauteurs amricains, comme Alexander Wendt qui, la suite du structuralisme deMichel Foucault, recherchrent dans toutes les thories les points de convergencepistmologique. Wendt se prsente lui-mme comme un constructiviste , outhoricien du second rang. Il sattache dmontrer lidentit de vue des nolib-raux et des noralistes, reposant toutes les deux sur un atomisme ontologique etun positivisme pistmologique . En bref, il reproche aux deux thories de rifierdes instances, que ce soient lagent, ltat, le systme mondial. Sa critique porte

    sur labsence dtude des processus qui permettent aux structures dexister et dese construire mutuellement par un systme dinteractions et defeedback. Ces deuxthories contestes conduiraient en effet ngliger une vritable ontologie qui cesserait de considrer action et structure comme deux forces dun antagonismedualiste .

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    Cette analyse vient point nomm pour replacer les thories leur juste en-droit, cest--dire un moment de la pense occidentale dict de faon troite parsa tradition culturelle.

    Nous croyons que pour saisir les luttes (ou soi-disant telles) des paradigmes, ilest ncessaire de les apprhender grce un outil philosophique qui abrge leursdistances. Le point de vue occidental, son mode de raisonnement, est traditionnel-lement binaire. Ainsi, toutes les grandes disputes se sont concentres surlalternative entre deux ples antithtiques et rivaux : ralisme et nominalisme,objectivisme et subjectivisme par exemple. La prise en [40] compte des relationsinternationales fut soumise la mme loi culturelle et donna naissance des tho-ries reposant sur des antithses. En fait, celles-ci procdent les unes des autres etsengendrent mutuellement. Le point de vue juridique nest pas tellement loigndu ralisme, ds lors que le premier est dbarrass de son idologie moniste etquil a dfinitivement oubli le fantme imprial. La preuve en est que les juristessaccommodent fort bien des entorses au principe dgalit des tats, acceptant ledroit de veto des grandes puissances au Conseil de Scurit. De la mme faon,les ralistes ne refusent pas lidal de paix quils croient trouver dans un quilibrede puissance, sans doute mystrieux, mais qui nanmoins, pendant toute la duredu systme bipolaire, a assur labsence dune guerre centrale. Resterait une op-position entre libraux et ralistes portant sur la nature humaine et la possibilitdun univers pacifique. Mais ce dbat nest pas propre aux relations internationa-les et dune certaine faon il est puis : plus personne ne songe raisonner de la

    sorte sur ce problme. Bien plus, il ne nous parat plus contradictoire de reconna-tre la coexistence des deux pulsions chez ltre humain, sans besoin nouveau dereprendre la querelle du XVIIIe sicle sur ltat de nature. Poser la question desavoir si lhomme est bon ou mauvais relve bien de la mtaphysique.

    Plus prcisment, nous voulons dire quil existe en Occident une structure dela dispute dont la procdure est rgle comme un ballet. Toute thse entrane, parrespect dun principe dialectique imaginaire, une antithse radicalement contraire,puis, faute de synthse, le paradigme qui a domin pendant un moment, devient lacible et cde devant la dconstruction. Une fois le travail effectu, intervient une

    phase rflexive et critique sur la nature mme des thories ayant servi la dcons-truction. Si nous considrons que la structure de la querelle est plus importanteque le contenu des discours illustratifs, alors tombe lide dun clatement de lathorie. Lcart est voulu par le systme culturel occidental, afin de justifier desopinions idologiques subjectives. Davantage encore, la querelle tmoigne dunbesoin analytique constant cherchant sparer et autonomiser les catgories, aurisque doublier les liaisons qui animent lensemble. Nous pouvons alors prsu-

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    mer quune fois casse la coquille protectrice donne par la culture, nous devrionsnous trouver en prsence dun corpus relativement homogne et dj enrichi.Dans cette dernire hypothse, il faut [41] postuler que lclatement est de lordre

    du spectacle, et que sen tenir ce niveau ne dit rien des problmes rels des rela-tions internationales et de leurs acquis les plus certains.

    linverse, nous pouvons soutenir un principe de mitoyennet des thoriesfacilitant la transhumance de lune vers lautre, sans pour autant se renier. Ainsi la thorie des rgimes peut aussi bien tre considre comme un prolonge-ment habile du noralisme quune illustration du noinstitutionnalisme. De lamme faon, la division ralistes-libraux se fait sur le choix des moyens ; en faitla diplomatie des compensations, des arrangements, du compromis poursuivie parHenry Kissinger, est tout fait proche des recommandations librales. Dans lemme sens, le ralisme de Susan Strange se prsente comme une critique dupremier des dogmes du ralisme, ltat, au nom du deuxime, la puissance ! Lefonctionnalisme et le systmisme traduisent sans doute une mfiance lgard destats, mais qui va progressivement sattnuer un point tel que finalement lacoopration fdre entre tats apparatra comme un moyen indispensable pourrpondre aux attentes des citoyens et dbouchera sur la gouvernance de la Socit politique mondiale . De la mme faon, les prolongements modernesde la pense raliste chez Barry Buzan thorisent la socit anarchique mature qui rejoint les proccupations du transnationalisme dsireux dintgrer les attentessociales des individus.

    Il est facile dimaginer, en recourant aux matrices fondamentales de la pensechinoise, la construction dune thorie des relations internationales qui, ignorantla distinction binaire occidentale entre le Bien et le Mal, rendrait infiniment mieuxcompte du sens rel des politiques internationales.

    d) La thorie comme substitut la religion

    Retour la table des matires

    Une tendance psychosociale des relations internationales sattache mettre envidence des traits de caractre des gouvernants, en dresser la typologie pourmieux apprcier ou prvoir leurs comportements. Cette tude mriterait dtrefaite pour les intellectuels-thoriciens, auteurs de thories. Il apparatrait sans dou-te que leurs origines, souvent des Europens chasss vers les USA par le nazisme,mais aussi des enseignants ou des praticiens, [42] influencent fortement leur dis-cours. Dans tous les cas, ils ont tendance agir de faon quasi religieuse, comme

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    pourrait le faire un clerg lac, mettant dans les paradigmes la mme volontdexplication ultime que celle procure par des dogmes religieux. Sans doute cettetendance dpend fortement de la pense occidentale, trs marque par le ques-

    tionnement mtaphysique. Nul tonnement alors que la part transcendante ne de-vienne une obsession, et que, dans la construction thorique, soit plac lespoirinconscient de dcouvrir lexplication dernire. Paradigme, tymologiquementparlant, signifie dclinaison et, sans dformation du sens, nous pouvons accepterlide que le paradigme fait fonction de dogme partir duquel peut se dduirele sens de lobjet tudi. Et cest pour cette raison que nous refusons lidemme de paradigme.

    Les apports mthodologiques seraient alors postrieurs, instrumentaliss auservice de laffirmation dogmatique. Il y a dans la volont de dicter sa conduite auPrince trs sensible encore lorsque certains coryphes franais du transnationa-lisme parlent de lvolution de la capacit de ltat vers sa responsabilit une revendication de pouvoir incontestable. Il nest pas inutile non plus de consta-ter que la partie de la doctrine non pratiquante purement mystique marque uneprofonde dtestation lgard des thories ralistes qui dvoilent trop crment leurs yeux les dterminants en termes de force. La dvaluation de la puissance deltat ressort de ce besoin inconscient chez ces thoriciens de mettre en place uneautorit qui lui soit suprieure et dont ils seraient les grands prtres. Cette strat-gie de la dngation ne doit pas tre prise pour argent comptant. Laccumulationdes preuves servant dmontrer la faiblesse de ltat, sa transparence, devient

    alors suspecte et doit entraner un doute mthodologique quant aux prsuppossidologiques tapis dans lombre. La projection de lambition personnelle dans unparadigme lentache de soupons et oblige rtablir lquilibre du ct des ralis-tes. La querelle dailleurs nest pas sans rappeler celle qui opposait les thologiensralistes (pris au sens de la ralit des ides gnrales) aux nominalistes plus em-piriques et plus pragmatiques. La perptuation du dbat du XIIIe sicle dans lesjoutes du XXe, opposant toujours les praticiens en charge des affaires aux moralis-tes, [43] est une preuve supplmentaire de la force de la continuit du gnie occi-dental et des formes acadmiques dont il use pour exprimer ses doutes, sescontroverses, et surtout son ignorance. Qui est capable de dire aujourdhui si les

    ides gnrales existent en soi ou par soi ? Qui demain sintressera au fait desavoir si le systme international est rgi par des lois autonomes qui simposentaux tats, ou si au contraire, il nest que la rsultante des dcisions libres des ac-teurs ?

    La persistance des cultures, galement constate dans lapproche empirique delcole anglaise, nous fait donc pencher en faveur dune grande prudence dans

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    lapprciation de la validit des paradigmes dfendus par chaque cole, au moinsen tant que clefs uniques pour la Vrit. En revanche, ils correspondent parfaite-ment bien des dclinaisons locales de la pense politique, au sens de la plus pure

    tradition occidentale.Toutefois ce dbat sur la mtathorie apparat un moment prcis de

    lvolution de lHistoire, celui o la trs grande bataille russo-amricaine se ter-minant, rgne une sorte de srnit irnique qui pousse faire de lpistmologie,faute de trouver un sujet passionnant. Gageons que lapparition du terrorisme enpleine lumire de lactualit relancera le dbat et donnera un nouvel lan auxcontroverses thoriques !

    e) La rsolution stratgique des conflits thoriques

    Retour la table des matires

    En fait toutes les constructions thoriques reposent sur un double ancrage danslHistoire comme suite de prcdents dune part, dans la pratique la plus imm-diate dautre part. Les deux aspects conditionnent la naissance dune techniquedapprentissage par lexemple, assorti dune attitude normative afin de guider lePrince dans son action.

    Une premire source dopposition survient ds lors quapparat la spcialisa-

    tion de chaque auteur dans lune ou lautre de ces voies, insistant tantt surlaction, tantt sur la morale. La diffrence dpend uniquement de la qualit delauteur, soit quil ait en charge la conduite des affaires, soit quil recherche unevoie idale vers la paix et la scurit. Le ralisme correspond au premier cas defigure, lidalisme au second. En fait le ralisme [44] est le nom de guerre de lapense stratgique, source de tout art de la politique. La grande erreur du ralismerside dans son ambition daccder la thorie et davoir voulu enfermer dans desconcepts rigides, le flou, le hasard, lagility, lhabilet et la ruse, qui sont des n-cessits videntes de laction mais se refusent toute clture conceptuelle.

    Il faut donc reprendre le problme avec un autre regard et rechercher dans lavoie de la stratgie le point de convergence.

    Le marxisme, par exemple, aboutit la praxis, instrument dialectique delaccomplissement de lhistoire par le jeu des agents rels, le libralisme chercheou espre construire la paix par lintgration conomique puis supranationale.Quant au ralisme, de toute vidence, il trouve dans la monte en puissance desacteurs le chemin tactique des forces, condition concrte de la stabilit dun sys-

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    tme. La discussion, finalement, porte sur les moyens jugs les plus efficaces pouratteindre un but identique. Si donc nous faisons abstraction de la part mtaphysi-que, dont les oppositions relvent strictement de la philosophie occidentale, seul

    subsiste comme questionnement le choix tech