Occult is Me - Louis Pauwels & Jacques Bergier - Le_matin_des_magiciens

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    LE MATIN DES MAGICIENS

    LOUIS PAUWELS & JACQUES BERGIER

    Un alchimiste au caf Procope, en 1953 / Conversation propos de Gurdjieff / Un homme qui prtend

    savoir que la pierre philosophale est une ralit '/ Bergier m'entrane toute vitesse dans un drle de

    raccourci / Ce que je vois me libre du bte mpris du progrs / Nos arrire-penses sur l'alchimie : ni

    rvlation, ni ttonnement / Courte mditation sur la spirale et l'esprance.

    C'est en mars 1953 que j'ai rencontr pour la premire fois un alchimiste. Cela se passait au caf Procope qui connut, cettepoque, un court regain de vie. Un grand pote, alors que j'crivais mon livre sur Gurdjieff, m'avait mnag cette rencontreet je devais revoir souvent cet homme singulier sans toutefois percer ses secrets.J'avais, sur l'alchimie et les alchimistes, des ides primaires, puises dans l'imagerie populaire, et j'tais loin de savoir qu'ily avait encore des alchimistes. L'homme qui tait assis en face de moi, la table de Voltaire, tait jeune, lgant. Il avait

    fait de fortes tudes classiques, suivies d'tudes de chimie. Prsentement, il gagnait sa vie dans le commerce et frquentaitbeaucoup d'artistes, ainsi que quelques gens du monde.

    Je ne tiens pas un journal intime, mais il m'arrive, en quelques occasions importantes, de noter mes

    observations ou mes sentiments. Cette nuit-l, rentr chez moi, j'crivis ceci :

    Quel ge peut-il avoir ? Il dit trente-cinq ans. Cela confond. La chevelure blanche, frise, dcoupe

    sur le crne comme une perruque. Des rides nombreuses et profondes sous une chair ros, dans un

    visage plein. Trs peu de gestes, lents, mesurs, habiles. Un sourire calme et aigu. Des yeux rieurs,

    mais qui rient de manire dtache. Tout exprime un autre ge. Dans ses propos, pas une flure, un

    cart, une retombe; de la prsence d'esprit. Il y a du sphinx derrire cet affable visage hors du temps.

    Incomprhensible. Et ce n'est pas seulement mon impression. A. B., qui le voit presque tous les jours

    depuis des semaines, me dit qu'il ne l'a jamais, une seconde, pris en dfaut d'objectivit suprieure .

    Ce qui lui fait condamner Gurdjieff :

    1 Qui prouve le besoin d'enseigner ne vit pas entirement sa doctrine et n'est pas au sommet del'initiation.

    2 A l'cole de Gurdjieff, il n'y a pas d'intercession matrielle entre l'lve que l'on a persuad de son

    nant et l'nergie qu'il doit parvenir possder pour passer l'tre rel. Cette nergie cette volont

    de la volont , dit Gurdjieff l'lve doit la trouver en lui-mme, rien qu'en lui-mme. Or, cette

    dmarche est partiellement fausse et ne peut conduire qu'au dsespoir. Cette nergie existe hors de

    l'homme, et il s'agit de la capter. Le catholique qui avale l'hostie : captation rituelle de cette nergie.

    Mais si vous n'avez pas la foi ? Si vous n'avez pas la foi, ayez un feu : c'est toute l'alchimie. Un vrai

    feu. Un feu matriel. Tout commence, tout arrive par le contact avec la matire.

    3 Gurdjieff ne vivait pas seul, toujours entour, toujours en phalanstre. Il y a un chemin dans la

    solitude, il y a des rivires dans le dsert . Il n'y a ni chemin ni rivires dans l'homme ml aux

    autres.

    Je pose, sur l'alchimie, des questions qui doivent lui paratre d'une curante sottise. Il n'en montre

    rien et rpond :

    Rien que matire, rien que contact avec la matire, travail sur la matire, travail avec les mains. Il

    insiste beaucoup l-dessus :

    Aimez-vous le jardinage ? Voil un bon dbut, l'alchimie est comparable au jardinage.

    Aimez-vous la pche ? L'alchimie a quelque chose de commun avec la pche.

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    Travail de femme et jeu d'enfant.

    On ne saurait enseigner l'alchimie. Toutes les grandes uvres littraires qui ont pass les sicles

    portent une partie de cet enseignement. Elles sont le fait d'hommes adultes vraiment adultes qui

    ont parl des enfants, tout en respectant les lois de la connaissance adulte. On ne prend jamais une

    grande uvre en dfaut sur les principes . Mais la connaissance de ces principes et la voie qui mne

    cette connaissance doivent demeurer caches. Cependant, il y a un devoir d'entraide pour les

    chercheurs du premier degr.

    Aux environs de minuit, je l'interroge sur Fulcanelli ( L'auteur du Mystre des Cathdrales et

    des Demeures philosophales.), et il me laisse entendre que Fulcanelli n'est pas mort : On peut vivre, me dit-il, infiniment plus longtemps que l'homme non veill l'imagine. Et l'on peut changer totalementd'aspect. Je le sais. Mes yeux savent. Je sais aussi que la pierre philosophale est une ralit. Mais il s'agit d'un autre tat de

    la matire que celui que nous connaissons. Cet tat permet, comme tous les autres tats, des mensurations. Les moyens detravail et de mensuration sont simples et n'exigent pas d'appareils compliqus : travail de femme et jeu d'enfant...

    Il ajoute :

    Patience, esprance, travail. Et quel que soit le travail, on ne travaille jamais assez.

    Esprance : en alchimie, l'esprance se fonde sur la certitude qu'il y a un but. Je n'aurais pas, dit-il,

    commenc, si l'on ne m'avait clairement prouv que ce but existe et qu'il est possible de l'atteindre dans

    cette vie.

    Tel fut mon premier contact avec l'alchimie. Si je l'avais aborde par les grimoires, je pense que mes

    recherches n'auraient gure t loin : manque de temps, manque de got pour l'rudition littraire.

    Manque de vocation aussi : cette vocation qui saisit l'alchimiste, alors qu'il s'ignore encore comme tel,

    au moment o il ouvre, pour la premire fois, un vieux trait. Ma vocation n'est pas de faire, mais de

    comprendre. N'est pas de raliser, mais de voir. Je pense, comme le dit mon vieil ami Andr Billy, que

    comprendre, c'est aussi beau que de chanter , mme si la comprhension ne doit tre que fugitive(1). Je suis un homme press, comme

    1. Dans sa gele de Reading, Oscar Wilde dcouvre que l'inattention de l'esprit est le crime

    fondamental, que l'attention extrme dvoile l'accord parfait entre tous les vnements d'une vie, mais

    sans doute aussi, sur un plan plus vaste, l'accord parfait entre tous les lments et tous les mouvements

    de la Cration, l'harmonie de toutes choses. Et il s'crie : Tout ce qui est compris est bien. C'est la

    plus belle parole que je connaisse.

    Je suis un homme press, comme la plupart de mes contemporains. J'eus le contact le plus moderne qui

    soit avec l'alchimie : une conversation dans un bistrot de Saint-Germain-des-Prs. Ensuite, lorsque jecherchai donner un sens plus complet ce que m'avait dit cet homme jeune, je rencontrai Jacques

    Bergier, qui ne sortait pas poudreux d'un grenier garni de vieux livres, mais de lieux o la vie du sicle

    s'est concentre : les laboratoires et les bureaux de renseignements. Bergier cherchait, lui aussi,

    quelque chose sur le chemin de l'alchimie. Ce n'tait pas pour faire un plerinage dans le pass. Cet

    extraordinaire petit homme tout occup des secrets de l'nergie atomique avait pris ce chemin-l

    comme raccourci. Je volai, accroch ses basques, parmi les vnrables textes conus par des sages

    amoureux de la lenteur, ivres de patience, une vitesse supersonique. Bergier avait la confiance de

    quelques-uns des hommes qui, aujourd'hui encore, se livrent l'alchimie. Il avait aussi l'oreille des

    savants modernes. J'acquis bientt la certitude, auprs de lui, qu'il existe d'troits rapports entrel'alchimie traditionnelle et la science d'avant-garde. Je vis l'intelligence jeter un pont entre deux

    mondes. Je m'engageai sur ce pont et vis qu'il tenait. J'en prouvai un grand bonheur, un profond

    apaisement. Depuis longtemps rfugi dans la pense antiprogressiste hindouiste, Gurdjieffien, voyant

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    le monde d'aujourd'hui comme un dbut d'Apocalypse, n'attendant plus, avec un dsespoir trs grand,

    qu'une vilaine fin des temps et pas trs assur dans l'orgueil d'tre part, voici que je voyais le vieux

    pass et l'avenir se donner la main. La mtaphysique de l'alchimiste plusieurs fois millnaire cachait

    une technique enfin comprhensible, ou presque, au vingtime sicle. Les techniques terrifiantes

    d'aujourd'hui ouvraient sur une mtaphysique presque semblable celle des anciens temps. Fausse

    posie, que mon retrait ! L'me immortelle des hommes jetait les mmes feux de chaque ct du pont.

    Je finis par croire que les hommes, dans un trs lointain pass, avaient dcouvert les secrets del'nergie et de la matire. Non seulement par mditation, mais par manipulation. Non seulement

    spirituellement, mais techniquement. L'esprit moderne, par des voies diffrentes, par les routes

    longtemps dplaisantes, mes yeux, de la raison pure, de l'irrligiosit, avec des moyens diffrents et

    qui m'avaient longtemps paru laids, s'apprtait son tour dcouvrir les mmes secrets. Il

    s'interrogeait l-dessus, il s'enthousiasmait et s'inquitait la fois. Il butait sur l'essentiel, tout comme

    l'esprit de la haute tradition.

    Je vis alors que l'opposition entre la sagesse millnaire et la folie contemporaine tait une

    invention de l'intelligence trop faible et trop lente, un produit de compensation pour intellectuel

    incapable d'acclrer aussi fort que son poque l'exige.

    Il y a plusieurs faons d'accder la connaissance essentielle. Notre temps a les siennes. D'anciennes

    civilisations eurent les leurs. Je ne parle pas uniquement de connaissance thorique.

    Je vis enfin que, les techniques d'aujourd'hui tant plus puissantes, apparemment, que les techniques

    d'hier, cette connaissance essentielle, qu'avaient sans doute les alchimistes (et d'autres sages, avant

    eux), arriverait jusqu' nous avec plus de force encore, plus de poids, plus de dangers et plus

    d'exigences. Nous atteignons le mme point que les Anciens, mais une hauteur diffrente. Plutt que

    de condamner l'esprit moderne au nom de la sagesse initiatique des Anciens, ou plutt que de nier cette

    sagesse en dclarant que la connaissance relle commence avec notre propre civilisation, ilconviendrait d'admirer, il conviendrait de vnrer la puissance de l'esprit qui, sous des aspects

    diffrents, repasse par le mme point de lumire en s'levant en spirale. Plutt que de condamner,

    rpudier, choisir, il conviendrait d'aimer. L'amour est tout : repos et mouvement la fois.

    Nous allons vous soumettre les rsultats de nos recherches sur l'alchimie. Il ne s'agit, bien entendu, que

    d'esquisses. Il nous faudrait dix ou vingt ans de loisir, et peut-tre des facults que nous n'avons pas,

    pour apporter sur le sujet une contribution rellement positive. Cependant, ce que nous avons fait et la

    manire dont nous l'avons fait, rendent notre petit travail trs diffrent des ouvrages jusqu'ici consacrs

    l'alchimie. On y trouvera peu d'claircissements sur l'histoire et la philosophie de cette science

    traditionnelle, mais quelques lueurs sur des rapports inattendus entre les rves des vieux philosophes

    chimiques et les ralits de la physique actuelle. Autant dire tout de suite nos arrire-penses :

    L'alchimie, selon nous, pourrait tre l'un des plus importants rsidus d'une science, d'une technique et

    d'une philosophie appartenant une civilisation engloutie. Ce que nous avons dcouvert dans

    l'alchimie, la lumire du savoir contemporain, ne nous invite pas croire qu'une technique aussi

    subtile, complique et prcise, ait pu tre le produit d'une rvlation divine tombe du ciel. Ce n'est

    pas que nous rejetions toute ide de rvlation. Mais nous n'avons jamais constat, en tudiant les

    saints et les grands mystiques, que Dieu parle aux hommes le langage de la technique : Place ton

    creuset sous la lumire polarise, mon Fils ! Lave les scories l'eau tri-distille.

    Nous ne croyons pas non plus que la technique alchimiste ait pu se dvelopper par ttonnements,

    minuscules bricolages d'ignorants, fantaisies de maniaques du creuset, jusqu' aboutir ce qu'il faut

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    bien appeler une dsintgration atomique. Nous serions plutt tents de croire que rsident dans l'alchi-

    mie des dbris d'une science disparue, difficiles comprendre et utiliser, le contexte manquant. A

    partir de ces dbris, il y a forcment ttonnements, mais dans une direction dtermine, il y a aussi

    foisonnement d'interprtations techniques, morales, religieuses. Il y a enfin, pour les dtenteurs de ces

    dbris, l'imprieuse ncessit de garder le secret.

    Nous pensons que notre civilisation, atteignant un savoir qui fut peut-tre celui d'une prcdente

    civilisation, dans d'autres conditions, avec un autre tat d'esprit, aurait peut-tre le plus grand intrt interroger avec srieux l'antique pour hter sa propre progression.

    Nous pensons enfin ceci : l'alchimiste au terme de son travail sur la matire voit, selon la lgende,

    s'oprer en lui-mme une sorte de transmutation. Ce qui se passe dans son creuset se passe aussi dans

    sa conscience ou dans son me. Il y a changement d'tat. Tous les textes traditionnels insistent l-

    dessus, voquent le moment o le Grand uvre s'accomplit et o l'alchimiste devient un homme

    veill . Il nous semble que ces vieux textes dcrivent ainsi le terme de toute connaissance relle des

    lois de la matire et de l'nergie, y compris la connaissance technique. C'est vers la possession d'une

    telle connaissance que se prcipite notre civilisation. Il ne nous parat pas absurde de songer que les

    hommes sont appels, dans un avenir relativement proche, changer d'tat , comme l'alchimistelgendaire, subir quelque transmutation. A moins que notre civilisation ne prisse tout entire un

    instant avant d'avoir touch le but, comme d'autres civilisations ont peut-tre disparu. Encore, dans

    notre dernire seconde de lucidit, ne dsesprerions-nous pas, songeant que si l'aventure de l'esprit se

    rpte, c'est chaque fois un degr plus haut de la spirale. Nous remettrions d'autres millnaires le

    soin de porter cette aventure jusqu'au point final, jusqu'au centre immobile, et nous nous engloutirions

    avec esprance.

    II

    Cent mille livres que personne n'interroge / On demande une expdition scientifique en paysalchimique / Les inventeurs I Le dlire par le mercure / Un langage chiffr / Y eut-il une autre

    civilisation atomique ? / Les piles du muse de Bagdad / Newton et les grands initis / Helvtius et

    Spinoza devant l'or philosophai / Alchimie et physique moderne / Une bombe hydrogne sur un

    fourneau de cuisine / Matrialiser, hominiser, spiritualiser.On connat plus de cent mille livres ou manuscrits alchimiques. Cette norme littrature, laquelle se sont consacrs desesprits de qualit, des hommes importants et honntes, cette norme littrature qui affirme solennellement son attachement des faits, des ralits exprimentales, n'a jamais t explore scientifiquement. La pense rgnante, catholique dans le

    pass, rationaliste aujourd'hui, a entretenu autour de ces textes une conspiration de l'ignorance et du mpris. Cent millelivres et manuscrits contiennent peut-tre quelques-uns des secrets de l'nergie et de la matire. Si ce n'est vrai, ils le proclament, tout au moins. Les princes, les rois et les rpubliques ont encourag d'innombrables expditions en pays

    lointains, financ des recherches scientifiques de toutes sortes. Jamais une quipe de cryptographes, d'historiens, delinguistes et de savants, physiciens, chimistes, mathmaticiens, biologistes, n'a t runie dans une bibliothque alchimiquecomplte avec mission de voir ce qu'il y a de vrai et d'utilisable dans ses vieux traits. Voil qui est inconcevable. Que de

    telles fermetures de l'esprit soient possibles et durables, que des socits humaines trs civilises et apparemment, commela ntre, sans prjugs d'aucune sorte, puissent oublier dans leur grenier cent mille livres et manuscrits portant l'tiquette : Trsor , voil qui convaincra les plus sceptiques .que nous vivons dans le fantastique.

    Les rares recherches sur l'alchimie sont faites, ou bien par 'des mystiques qui demandent aux textes une

    confirmation de leurs attitudes spirituelles, au bien par des historiens coups de tout contact avec la

    science et les techniques.

    Les alchimistes parlent de la ncessit de distiller mille et mille fois l'eau qui va servir prparer

    lElixir. Nous avons entendu un historien spcialis dire que cette opration tait dmentielle. Il

    ignorait tout de l'eau lourde et des mthodes que l'on emploie pour enrichir l'eau simple en eau lourde.

    Nous avons entendu un rudit affirmer que le raffinage et la purification indfiniment rpts d'un

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    mtal ou d'un mtallode ne changeant en rien les procds de celui-ci, il fallait voir dans les

    recommandations alchimiques un mystique apprentissage de la patience, un geste rituel comparable

    l'grenage du rosaire. C'est pourtant par un tel raffinage au moyen d'une technique dcrite par les

    alchimistes et que l'on nomme aujourd'hui la fusion de zone , que l'on prpare le germanium et le

    silicium pur des transistors. Nous savons maintenant, grce ces travaux sur les transistors, qu'en

    purifiant fond un mtal et en introduisant ensuite quelques millionimes de gramme d'impurets

    soigneusement choisies, on donne au corps trait des proprits nouvelles et rvolutionnaires. Nous ne

    voulons pas multiplier les exemples, mais nous voudrions faire comprendre quel point serait souhai-table un examen vraiment mthodique de la littrature alchimique. Ce serait un travail immense, qui

    exigerait des dizaines d'annes de travail et des dizaines de chercheurs appartenant toutes les

    disciplines. Ni Bergier ni moi n'avons pu mme l'esquisser, mais si notre gros bouquin maladroit

    pouvait quelque jour dcider un mcne permettre ce travail, nous n'aurions pas perdu tout fait

    notre temps.

    En tudiant un peu les textes alchimiques, nous avons constat que ceux-ci sont gnralement

    modernes par rapport l'poque o ils ont t crits, alors que les autres ouvrages d'occultisme sont en

    retrait. D'autre part, l'alchimie est la seule pratique para-religieuse ayant enrichi rellement notre

    connaissance du rel.

    Albert le Grand (1193-1280) russit prparer la potasse caustique. Il fut le premier dcrire la

    composition chimique du cinabre, de la cruse et du minium.

    Raymond Lulle (1235-1315) prpara le bicarbonate de potassium.

    Thophraste Paracelse (1493-1541) fut le premier dcrire le zinc, jusqu'alors inconnu. Il introduisit

    galement dans la mdecine l'usage des composs chimiques.

    Giambattista dlia Porta (1541-1615) prpara l'oxyde d'tain.

    Jean-Baptiste Van Helmont (1577-1644) reconnut l'existence des gaz.

    Basile Valentin (dont nul ne sut jamais l'identit vritable) dcouvrit au XVIIe sicle l'acide sulfurique

    et l'acide chlorhydrique.

    Johann Rudolf Glauber (1604-1668) trouva le sulfate de sodium.

    Brandt (mort en 1692) dcouvrit le phosphore.

    Johann Friedrich Boetticher (1682-1719) fut le premier Europen faire de la porcelaine.

    Biaise Vigenre (1523-1596) dcouvrit l'acide benzoque.

    Tels sont quelques-uns des travaux alchimiques qui enrichissent l'humanit au moment o la chimie

    progresse (Cf. Le Miroir de la Magie, par Kurt SELIGMANN. Editions Fasquelle, Paris.). A mesure

    que d'autres sciences se dveloppent, l'alchimie semble suivre et souvent, prcder le progrs. Le

    Breton, dans ses Clefs de la Philosophie Spagyrique, en 1722, parle du magntisme de manire plus

    qu'intelligente et frquemment anticipe les dcouvertes modernes. Le Pre Castel, en 1728, au moment

    o les ides sur la gravitation commencent se rpandre, parle de celle-ci et de ses rapports avec la

    lumire dans des termes qui, deux sicles plus tard, feront trangement cho la pense d'Einstein :

    J'ai dit que si l'on tait la pesanteur du monde, on terait en mme temps la lumire. Du reste la

    lumire et le son, et toutes autres qualits sensibles sont une suite et comme un rsultat de la

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    mcanique et par consquent de la pesanteur des corps naturels qui sont plus ou moins lumineux ou

    sonores, selon qu'ils ont plus de pesanteur et de ressort.

    Dans les traits alchimiques de notre sicle, on voit apparatre frquemment, plus tt que dans les

    ouvrages universitaires, les dernires dcouvertes de la physique nuclaire, et il est probable que les

    traits de demain mentionneront les thories physiques et mathmatiques les plus abstraites qui soient.

    La distinction est nette entre l'alchimie et les fausses sciences comme la radiesthsie qui introduit des

    ondes ou des rayons dans ses publications aprs que la science officielle les a dcouverts. Tout pourrait

    nous inviter penser que l'alchimie est susceptible d'apporter une contribution importante aux

    connaissances et aux techniques de l'avenir bases sur la structure de la matire.

    Nous avons constat aussi, dans la littrature alchimique, l'existence d'un nombre impressionnant de

    textes purement dlirants. On a parfois voulu expliquer ce dlire par la psychanalyse (Jung :

    Psychologie et Alchimie, ou Herbert Silberer : Problmes du Mysticisme). Plus souvent comme

    l'alchimie contient une doctrine mtaphysique et suppose une attitude mystique, les historiens, les

    curieux et surtout les occultistes se sont acharns interprter ces propos dmentiels dans le sens d'une

    rvlation supra-naturelle, d'une vaticination inspire. A y regarder de prs, il nous a paru raisonnablede tenir, ct des textes techniques et des textes de sagesse, les textes dmentiels pour des textes

    dmentiels. Il nous a paru aussi que cette dmence de l'adepte exprimentateur pouvait trouver une

    explication matrielle, simple, satisfaisante. Le mercure tait frquemment utilis par les alchimistes.

    Sa vapeur est toxique et l'empoisonnement chronique provoque le dlire. Thoriquement, les rcipients

    employs taient absolument hermtiques, mais le secret de cette fermeture n'est pas donn tout

    adepte, et la folie a pu envahir plus d'un philosophe chimique .

    Enfin, nous avons t frapps par l'aspect de cryptogramme de la littrature alchimique. Biaise

    Vigenre, que nous avons cit tout l'heure, inventa les codes les plus perfectionns et les mthodes de

    chiffrage les plus ingnieuses. Ses inventions en cette matire sont encore utilises aujourd'hui. Or, ilest probable que Biaise Vigenre prit contact avec cette science du chiffre en essayant d'interprter les

    textes alchimiques. Il conviendrait d'ajouter aux quipes de chercheurs que nous souhaitons voir

    runies, des spcialistes du dchiffrage.

    Afin de donner un exemple plus clair, crit Ren Alleau ( Aspects de lAlchimie Traditionnelle.

    Editions de Minuit, Paris.), nous prendrons celui du jeu d'checs dont on connat la simplicit relative

    des rgles et des lments ainsi que l'indfinie varit des combinaisons. Si l'on suppose que

    l'ensemble des traits acroamatiques de l'alchimie se prsente nous comme autant de parties

    annotes en un langage conventionnel, il faut admettre d'abord, honntement, que nous ignorons et les

    rgles du jeu, et le chiffre utilis. Sinon, nous affirmons que l'indication cryptographique est compose

    de signes directement comprhensibles par n'importe quel individu, ce qui est prcisment l'illusion

    immdiate que doit provoquer un cryptogramme bien compos. Ainsi la prudence nous conseille-t-elle

    de ne pas nous laisser sduire par la tentation d'un sens clair et d'tudier ces textes comme s'il s'agissait

    d'une langue inconnue.

    Apparemment, ces messages ne s'adressent qu' d'autres joueurs, d'autres alchimistes dont nous

    devons penser qu'ils possdent dj, par quelque moyen diffrent de la tradition crite, la cl ncessaire

    la comprhension exacte de ce langage.

    Aussi loin que l'on remonte dans le pass, on trouve des manuscrits alchimiques. Nicolas de Valois, au

    XVe sicle, en dduisait que les transmutations, que les secrets et les techniques de la libration de

    l'nergie ont t connus des hommes avant l'criture mme. L'architecture a prcd l'criture. Elle a

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    peut-tre t une forme d'criture. Aussi bien voyons-nous l'alchimie lie trs intimement

    l'architecture. Un des textes les plus significatifs de l'alchimie, dont l'auteur est le sieur Esprit

    Gobineau de Montluisant, s'intitule : Explications trs curieuses des nigmes et figures

    hiroglyphiques qui sont au grand portail de Notre-Dame de Paris. Les ouvrages de Fulcanelli sont

    consacrs au Mystre des Cathdrales et de minutieuses descriptions des Demeures

    Philosophales . Certaines constructions mdivales tmoigneraient de l'habitude immmoriale de

    transmettre par l'architecture le message de l'alchimie qui remonterait des ges infiniment reculs de

    l'humanit.

    Newton croyait l'existence d'une chane d'initis s'tendant dans le temps jusqu' une trs lointaine

    antiquit, et qui auraient connu les secrets des transmutations et de la dsintgration de la matire. Le

    savant atomiste anglais Da Costa Andrade, dans un discours prononc devant ses pairs l'occasion du

    tricentenaire de Newton, Cambridge, en juillet 1946, n'a pas hsit laisser entendre que l'inventeur

    de la gravitation appartenait peut-tre cette chane et n'avait rvl au monde qu'une petite partie de

    son savoir :

    Je ne peux, a-t-il dit (Newton Tercentenary Celebrations. Universit de Cambridge, 1947.), esprer

    convaincre les sceptiques que Newton avait des pouvoirs de prophtie ou de vision spciale qui luiauraient rvl l'nergie atomique, mais je dirai simplement que les phrases que je vais vous citer d-

    passent de beaucoup, dans la pense de Newton parlant de la transmutation alchimique, l'inquitude

    d'un bouleversement du commerce mondial par suite de la synthse de l'or. Voici ce que Newton crit :

    La faon dont le mercure peut tre aussi imprgn a t garde secrte par ceux qui savaient et

    constitue probablement une porte vers quelque chose de plus noble (que la fabrication de l'or) qui ne

    peut tre communiqu sans que le monde coure un immense danger, si les crits d'Herms disent

    vrai. Et plus loin encore, Newton crit : Il existe d'autres Grands Mystres que la transmutation des mtaux si les grands

    matres ne se vantent point. Eux seuls connaissent ces secrets.

    En rflchissant au sens profond de ce passage, souvenez-vous que Newton parle avec la mme

    rticence et la mme prudence annonciatrice de ses propres dcouvertes en optique.

    De quel pass viendraient ces grands matres invoqus par Newton, et dans quel pass eux-mmes

    auraient-ils puis leur science ?

    Si je suis mont si haut, dit Newton, c'est que j'tais sur l'paule des gants.

    Atterbury, contemporain de Newton, crivait :

    La modestie nous apprend parler avec respect au sujet des Anciens, surtout quand nous ne

    connaissons pas parfaitement leurs ouvrages. Newton, qui les savait presque par cur, avait pour eux

    le plus grand respect et il les considrait comme des hommes d'un profond gnie et d'un esprit sup-

    rieur qui avaient port leurs dcouvertes en tous genres beaucoup plus loin qu'il ne nous parat

    prsent, par ce qui reste de leurs crits. Il y a plus d'ouvrages antiques perdus que conservs et peut-

    tre nos nouvelles dcouvertes ne valent-elles pas nos pertes anciennes.

    Pour Fulcanelli, l'alchimie serait le lien avec des civilisations englouties depuis des millnaires et

    ignores des archologues. Bien entendu, aucun archologue rput srieux et aucun historien d'gale

    rputation n'admettra l'existence dans le pass de civilisations possdant une science et des techniquessuprieures aux ntres. Mais une science et des techniques avances simplifient l'extrme

    l'appareillage, et les vestiges sont peut-tre sous nos yeux, sans que nous soyons capables de les voir

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    comme tels. Aucun archologue et aucun historien srieux, n'ayant reu une formation scientifique

    pousse, ne pourra effectuer des fouilles susceptibles de nous apporter l-dessus quelque lumire. Le

    cloisonnement des disciplines, qui fut une ncessit du fabuleux progrs contemporain, nous cache

    peut-tre quelque chose de fabuleux dans le pass.

    On sait que c'est un ingnieur allemand, charg de construire les gouts de Bagdad, qui dcouvrit dans

    le bric--brac du muse local, sous la vague tiquette objets de culte , des piles lectriques

    fabriques dix sicles avant Volta, sous la dynastie des Sassanides.

    Tant que l'archologie ne sera pratique que par des archologues, nous ne saurons pas si la nuit des

    temps tait obscure ou lumineuse.

    Jean-Frdric Schweitzer, dit Helvtius, violent adversaire de l'alchimie, rapporte que dans la

    matine du 27 dcembre 1666, un tranger se prsenta chez lui (Nous empruntons ce rcit l'ouvrage

    de Kurt SELIGMANN, dj cit.). C'tait un homme d'apparence honnte et grave, et de mine

    autoritaire, vtu d'un simple manteau, comme un mennonite. Ayant demand Helvtius s'il croyait

    la pierre philosophale (ce quoi le fameux docteur rpondit par la ngative), l'tranger ouvrit une

    petite bote d'ivoire contenant trois morceaux d'une substance ressemblant du verre ou de l'opale. Son propritaire dclara que c'tait la fameuse pierre, et qu'avec une quantit aussi minime, il

    pouvait produire vingt tonnes d'or. Helvtius en tint un fragment dans la main, et, ayant remerci le

    visiteur de son amabilit, il le pria de lui en donner un peu. L'alchimiste refusa d'un ton brusque,

    ajoutant avec plus de courtoisie que, pour toute la fortune d'Helvtius, il ne pourrait se sparer de la

    moindre parcelle de ce minral, pour une raison qu'il ne lui tait pas permis de divulguer. Pri de

    fournir la preuve de ses dires, en ralisant une transmutation, l'tranger rpondit qu'il viendrait trois

    semaines plus tard, et montrerait Helvtius une chose susceptible de l'tonner. Il revint

    ponctuellement au jour dit, mais refusa d'oprer, affirmant qu'il lui tait interdit de rvler le secret. Il

    condescendit pourtant donner Helvtius un petit fragment de la pierre, pas plus gros qu'un grain

    de snev . Et comme le docteur mettait le doute qu'une quantit aussi infime pt produire le

    moindre effet, l'alchimiste brisa le corpuscule en deux, en jeta une moiti et lui tendit l'autre en disant :

    Voici mme ce qui vous suffit.

    Notre savant dut alors avouer qu' la premire visite de l'tranger, il avait russi s'approprier

    quelques particules de la pierre et qu'elles avaient chang le plomb, non point en or, mais en verre.

    Vous auriez d protger votre butin avec de la cire jaune, rpondit l'alchimiste, cela l'aurait aid

    pntrer le plomb et le transformer en or. L'homme promit de revenir le lendemain matin, neuf

    heures, et de raliser le miracle, mais il ne vint pas, et le surlendemain non plus. Ce que voyant, la

    femme d'Helvtius le persuada de tenter lui-mme la transmutation :

    Helvtius procda conformment aux directives de l'tranger. Il fit fondre trois drachmes de plomb,

    entoura la pierre de cire, et la laissa tomber dans le mtal liquide. Celui-ci se changea en or ! Nous le

    portmes immdiatement l'orfvre, qui dclara que c'tait l'or le plus fin qu'il et jamais vu, et il

    en offrit cinquante florins l'once. Helvtius, en concluant son rapport, nous dit que le lingot d'or tait

    toujours en sa possession, preuve tangible de la transmutation. Puissent les Saints Anges de Dieu

    veiller sur lui (l'alchimiste anonyme) comme sur une source de bndictions pour la chrtient.

    Telle est notre prire constante, pour lui et pour nous.

    La nouvelle se rpandit comme une trane de poudre. Spinoza, que nous ne pouvons compter au

    nombre des nafs, voulut avoir le fin mot de l'histoire. Il rendit visite l'orfvre qui avait expertis l'or.

    Le rapport fut plus que favorable : au cours de la fusion, de l'argent incorpor au mlange s'tait

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    galement transform en or. L'orfvre, Brechtel, tait monnayeur du duc d'Orange. Il connaissait

    certainement son mtier. Il semble difficile de croire qu'il ait pu tre la victime d'un subterfuge, ou qu'il

    ait voulu abuser Spinoza. Spinoza se rendit alors chez Helvtius qui lui montra l'or et le creuset qui

    avait servi l'opration. Des bribes du prcieux mtal adhraient encore l'intrieur du rcipient ;

    comme les autres, Spinoza fut convaincu que la transmutation avait rellement eu lieu.

    La transmutation, pour l'alchimiste, est un phnomne secondaire, ralis simplement titre de

    dmonstration. Il est difficile de se faire une opinion sur la ralit de ces transmutations, quoiquediverses observations, comme celle d'Helvtius ou celle de Van Helmont, par exemple, semblent frap-

    pantes. On peut allguer que l'art du prestidigitateur est sans, limites, mais quatre mille ans de

    recherches et cent mille; volumes ou manuscrits auraient-ils t consacrs une fourberie ? Noua

    proposons autre chose, comme on le verra tout; l'heure. Nous le proposons timidement, car le poids

    de? l'opinion scientifique acquise est redoutable. Nous essaierons de dcrire le travail de l'alchimiste,

    qui aboutit la fabrication de la pierre ou poudre de projection , et nous verrons que

    l'interprtation de certaines oprations se heurte notre savoir actuel sur la structure de la matire.

    Mais il n'est pas vident que notre connaissance des phnomnes nuclaires soit parfaite, dfinitive. La

    catalyse, en particulier, peut intervenir dans ces phnomnes d'une manire encore inattendue pour

    nous [Des travaux sont en cours, dans, divers pays, sur l'utilisation de particules (produites par de

    puissants acclrateurs) pour catalyser-la fusion de l'hydrogne.].

    Il n'est pas impossible que certains mlanges naturels produisent, sous l'effet des rayons cosmiques,

    des ractions nuclo-catalytiques grande chelle, conduisant une transmutation massive d'lments.

    Il faudrait voir l une des cls de l'alchimie et la raison pour laquelle l'alchimiste rpte indfiniment

    ses manipulations, jusqu'au moment o les conditions cosmiques sont runies.

    L'objection est : si des transmutations de cette nature sont possibles, que devient l'nergie dgage ?

    Bien des alchimistes; auraient d faire sauter la ville qu'ils habitaient et quelques, dizaines de milliers

    de kilomtres carrs de leur patrie parla mme occasion. De nombreuses et immenses catastrophes;

    auraient d se produire.

    Les alchimistes rpondent : c'est justement parce que de telles catastrophes ont eu lieu dans un lointain

    pass, que nous-.. craignons la terrible nergie contenue dans la matire et que nous gardons secrte

    notre science. En outre, le Grand; uvre est atteint par phases progressives et celui qui, au: terme

    de dizaines et dizaines d'annes de manipulations et d'ascse, apprend dchaner les forces

    nuclaires, apprend; galement quelles prcautions il convient d'observer pour-viter le danger.Argument valable ? Peut-tre. Les physiciens d'aujourd'hui admettent que, dans certaines conditions, l'nergie d'une;transmutation nuclaire pourrait tre absorbe par des particules spciales qu'ils appellent neutrinos, ou anti-neutrinos..

    Quelques preuves de l'existence du neutrino semblent avoir t apportes. Il y a peut-tre des types de transmutation qui; nelibrent que peu d'nergie, ou dans lesquelles l'nergie: libre s'en va sous forme de neutrinos. Nous reviendrons sur cettequestion.

    M. Eugne Canseliet, disciple de Fulcanelli et l'un des meilleurs spcialistes actuels de l'alchimie,

    tomba en arrt sur un passage d'une tude que Jacques Bergier avait crite en prface l'un des

    ouvrages classiques de la Bibliothque Mondiale. Il s'agissait d'une anthologie de la posie du XVIe

    sicle. Dans cette prface, Bergier faisait allusion aux alchimistes et leur volont de secret. Il crivait

    : Sur ce point particulier, il est difficile de ne pas leur donner raison. S'il existe un procd

    permettant de fabriquer des bombes hydrogne sur un fourneau de cuisine, il est nettement prfrable

    que ce procd ne soit pas rvl.

    M. Eugne Canseliet nous rpondit alors : Il ne faudrait surtout pas que l'on prt cela pour une

    boutade. Vous avez vu juste, et je suis bien plac pour affirmer qu'il est possible de parvenir la

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    fission atomique en partant d'un minerai relativement commun et bon march, et cela par un processus

    .d'oprations ne rclamant rien d'autre qu'une bonne chemine, un four de fusion de charbon, quelques

    brleurs Meker et quatre bouteilles de gaz butane.

    Il n'est pas exclu que l'on puisse, mme en physique nuclaire, obtenir des rsultats importants par des

    moyens simples. C'est la direction de l'avenir de toute science et de toute technique.

    x< Nous pouvons plus que nous savons , disait Roger Bacon. Mais il ajoutait cette parole qui pourrait

    tre un adage alchimique : Bien que tout ne soit pas permis, tout est possible.

    Pour l'alchimiste, il faut sans cesse le rappeler, le pouvoir sur la matire et l'nergie n'est qu'une ralit

    accessoire. Le vritable but des oprations alchimiques, qui sont peut-tre le rsidu d'une science trs

    ancienne appartenant une civilisation engloutie, st la transformation de l'alchimiste lui-mme, son

    accession un tat de conscience suprieur. Les rsultats matriels ne sont que les promesses du

    rsultat final, qui est spirituel. Tout est dirig vers la transmutation de l'homme lui-mme, vers sa

    divinisation, sa fusion dans l'nergie divine fixe, d'o rayonnent toutes le nergies de la matire.

    L'alchimie est cette science avec conscience dont parle Rabelais. C'est une science qui matrialise

    moins qu'elle n'hominise, pour reprendre une expression du Pre Teilhard de Chardin, qui disait : Lavraie physique est celle qui parviendra intgrer l'Homme total dans une reprsentation cohrente du

    monde.

    Sachez, crivait un matre alchimiste ( La Tourbe des Philosophes in. Bibliothque des

    Philosophes Chimiques 1741.), sachez vous tous, Investigateurs de cet Art, que l'Esprit est tout, et

    que si dans cet Esprit, il s'est enferm un autre Esprit semblable, tout ne profite de rien.

    IIIO l'on voit un petit Juif prfrer le miel au sucre '/ O un alchimiste qui pourrait tre le mystrieux Fulcanelli parle dudanger atomique en 1937, dcrit la pile atomique et voque des civilisations disparues / O Bergier dcoupe un coffre-fort

    au chalumeau et promne une bouteille d'uranium sous son bras / O un major amricain sans nom recherche unFulcanelli dfinitivement vanoui / O Oppenheimer chante en duo avec un sage chinois d'il y a mille ans.C'tait en 1933. Le petit tudiant juif avait un nez pointu, chauss de lunettes rondes derrire lesquelles brillaient des yeux

    agiles et froids. Sur son crne rond se clairsemait dj une chevelure pareille un duvet de poussin. Un effroyable accent,aggrav par des hsitations, donnait ses propos le comique et la confusion d'un barbotage de canards dans une flaque.Quand on le connaissait un peu mieux, on prouvait l'impression qu'une intelligence boulimique, tendue, sensible,follement rapide, dansait dans ce petit bonhomme malgracieux, plein de malice et d'une purile maladresse vivre, comme

    un gros ballon rouge retenu par un fil au poignet d'un enfant.

    Vous voulez donc devenir alchimiste ? demanda le vnrable professeur l'tudiant Jacques

    Bergier qui baissait la tte, assis sur le bord du fauteuil, une serviette bourre de paperasses sur les

    genoux. Le vnrable tait un des plus grands chimistes franais.

    Je ne vous comprends pas, Monsieur , dit l'tudiant, vex.

    Il avait une mmoire prodigieuse, et il se souvint d'avoir vu, six ans, une gravure allemande

    reprsentant deux alchimistes au travail, dans un dsordre de cornues, de pinces, de creusets, de

    soufflets. L'un, en haillons, surveillait un feu, la bouche ouverte, et l'autre, barbe et cheveux fous, se

    grattait la tte en titubant au fond du capharnam.

    Le professeur consulta un dossier :

    Durant vos deux dernires annes de travail, vous vous tes surtout intress au cours libre de

    physique nuclaire de M. Jean Thibaud. Ce cours ne conduit aucun diplme, aucun certificat. Vous

    exprimez le dsir de poursuivre dans cette voie. J'aurais encore compris la rigueur, cette curiosit de

    la part d'un physicien. Mais vous vous destinez la chimie. Compteriez-vous, par hasard, apprendre

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    fabriquer de l'or ?

    Monsieur, dit l'tudiant juif en levant ses petites mains grasses et ngliges, je crois en l'avenir de

    la chimie nuclaire. Je crois que des transmutations industrielles seront ralises dans un proche

    avenir.

    Cela me parat dlirant. , Mais Monsieur...

    Parfois, il s'arrtait au dbut d'une phrase et se mettait rpter ce dbut, comme un phonographedtraqu, non par absence, mais parce que son esprit s'en allait faire un crochet inavouable du ct de

    la posie. Il savait par cur des milliers de vers, et tous les pomes de Kipling :

    Ils copirent tout ce qu'ils pouvaient suivre Mais ils ne pouvaient rattraper mon esprit Aussi les ai-je

    laisss haletants et pensant Un an et demi en arrire...

    Mais Monsieur, mme si vous ne croyez pas aux transmutations, vous devriez croire l'nergie

    nuclaire. Les normes ressources potentielles du noyau...

    Ta, ta, ta, dit le professeur. C'est primaire et enfantin. Ce que les physiciens nomment l'nergie

    nuclaire est une constante d'intgration dans leurs quations. C'est une ide philosophique, voil la

    chose. La conscience est le principal moteur des hommes. Mais ce n'est pas la conscience qui fait

    marcher les locomotives, n'est-ce pas ? Alors, rver d'une machine actionne par l'nergie

    nuclaire... Non, mon garon.

    Le garon avalait sa salive.

    Revenez sur terre et songez votre avenir. Ce qui vous pousse, pour l'instant, parce que vous ne me

    paraissez pas sorti de l'enfance, c'est un des plus vieux rves des hommes : le rve alchimique. Relisez

    Berthelot. Il a bien dcrit cette chimre de la transmutation de la matire. Vos notes ne sont pas trs,

    trs brillantes. Je vous donnerai un conseil : entrez le plus vite possible dans l'industrie. Faites donc

    une campagne sucrire. Trois mois dans une fabrique de sucre vous remettront en contact avec le rel.

    Vous en avez besoin. Je vous parle comme un pre.

    Le fils indigne remercia en bgayant, et partit le nez au vent, sa grosse serviette au bout de son bras

    court. C'tait un entt : il se dit qu'il fallait profiter de cette conversation, mais que le miel tait

    meilleur que le sucre. Il continuerait tudier les problmes du noyau atomique. Et il se documenterait

    sur l'alchimie.

    C'est ainsi que mon ami Jacques Bergier dcida de poursuivre des tudes juges inutiles et de les

    complter par d'autres tudes juges dlirantes. Les ncessits de la vie, la guerre et les camps de

    concentration, l'cartrent un peu de la nuclonique. Il y a cependant apport quelques contributions

    estimes par les spcialistes. Au cours de ses recherches, les rves des alchimistes et les ralits de la

    physique mathmatique se recouprent plus d'une fois. Mais dans le domaine scientifique, il s'est

    produit de grands changements depuis 1933, et mon ami eut de moins en moins l'impression de

    naviguer contre-courant.

    De 1934 1940, Jacques Bergier fut le collaborateur d'Andr Helbronner, l'un des hommes

    remarquables de notre poque. Helbronner, assassin par les nazis Buchenwald en mars 1944, avait

    t, en France le premier professeur de Facult enseigner la chimie-physique. Cette science frontireentre deux disciplines a donn naissance, depuis, de nombreuses autres sciences : l'lectronique, la

    nuclonique, la strotronique ( La strotronique est une science toute nouvelle qui tudie la

    transformation de lnergie dans les solides. Une de ses applications est le transistor.). Helbronner

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    devait recevoir la grande mdaille d'or de l'Institut Franklin pour ses dcouvertes sur les mtaux

    collodaux. Il s'tait galement intress la liqufaction des gaz, l'aronautique et aux rayons

    ultraviolets.

    En 1934, il se consacrait la physique nuclaire et avait mont, avec le concours de groupes

    industriels, un laboratoire de recherches sur la nuclonique o des rsultats d'un intrt considrable

    furent obtenus jusqu'en 1940. Helbronner tait en outre expert auprs des tribunaux pour toutes les

    affaires touchant la transmutation des lments, et c'est ainsi que Jacques Bergier eut l'occasion derencontrer un certain nombre de faux alchimistes, escrocs ou illumins, et un alchimiste vritable, un

    vrai matre.

    Mon ami ne sut jamais le nom rel de cet alchimiste, et le saurait-il qu'il se garderait de donner trop

    d'indices. L'homme dont nous parlons avait disparu depuis longtemps dj, sans laisser de traces

    visibles. Il est entr en clandestinit, ayant volontairement coup tous les ponts entre le sicle et lui.

    Bergier pense seulement qu'il s'agissait de l'homme qui, sous le pseudonyme de Fulcanelli, crivit aux

    environs de 1920 deux livres tranges et admirables : Les Demeures Philosophales et Le Mystre des

    Cathdrales. Ces livres furent dits par les soins de M. Eugne Canseliet, qui ne rvla jamais

    l'identit de l'auteur (Ces deux ouvrages ont t rdits par l'Omnium Littraire, 72, Champs-Elyses, Paris. La premire dition date de 1925. Elle tait depuis trs longtemps puise et les curieux

    achetaient les rares exemplaires en circulation des dizaines de milliers de francs.). Ils sont

    certainement parmi les ouvrages les plus importants sur l'alchimie. Ils expriment une connaissance et

    une sagesse souveraines, et nous savons plus d'un grand esprit qui vnre le nom lgendaire de

    Fulcanelli. Pouvait-il, crit M. Eugne Canseliet, arriv au fate de la connaissance, refuser d'obir aux ordres du Destin ? Nul n'est prophte en son pays. Ce vieil adage donne, peut-tre, la raison occulte du bouleversement que provoque, dans la viesolitaire et studieuse du philosophe, l'tincelle de la rvlation. Sous l'effet de cette flamme divine, le vieil homme est toutentier consum. Nom, famille, patrie, toutes les illusions, toutes les erreurs, toutes les vanits tombent en poussire. Et deces cendres, comme le phnix des potes, une personnalit nouvelle renat. Ainsi, du moins, le veut la tradition philo-

    sophique.

    Mon matre le savait. Il disparut quand sonna l'heure fatidique, lorsque le signe fut accompli. Qui

    donc oserait se soustraire la loi ? Moi-mme, malgr le dchirement d'une sparation douloureuse,

    mais invitable, s'il m'arrivait aujourd'hui l'heureux avnement qui contraignit mon matre fuir les

    hommages du monde, je n'agirais pas autrement.

    M. Eugne Canseliet crivit ces lignes en 1925. L'homme qui lui laissait le soin d'diter ses ouvrages

    allait changer d'aspect et de milieu. En 1937, un aprs-midi de juin, Jacques Bergier crut avoir

    d'excellentes raisons de penser qu'il 6e trouvait en prsence de Fulcanelli.

    C'est la demande d'Andr Helbronner que mon ami rencontra le mystrieux personnage, dans le

    cadre prosaque d'un laboratoire d'essai de la Socit du Gaz de Paris. Voici exactement la

    conversation :

    M. Andr Helbronner, dont vous tes, je crois, l'assistant, est la recherche de l'nergie nuclaire. M.

    Helbronner a bien voulu me tenir au courant de quelques-uns des rsultats obtenus, et notamment de

    l'apparition de la radio-activit correspondant du polonium, lorsqu'un fil de bismuth est volatilis par

    une dcharge lectrique dans du deutrium haute pression. Vous tes trs prs de la russite, comme

    d'ailleurs quelques autres savants contemporains. Puis-je me permettre de vous mettre en garde ? Les

    travaux auxquels vous vous livrez, vous et vos pareils, sont terriblement dangereux. Ils ne vous mettentpas seuls en pril. Ils sont redoutables pour l'humanit tout entire. La libration de l'nergie nuclaire

    est plus facile que vous ne le pensez. Et la radioactivit artificielle produite peut empoisonner

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    l'atmosphre de la plante en quelques annes. En outre, des explosifs atomiques peuvent tre

    fabriqus partir de quelques grammes de mtal, et raser des villes. Je vous le dis tout net : les alchi-

    mistes le savent depuis longtemps.

    Bergier tenta d'interrompre en s'insurgeant. Les alchimistes et la physique moderne ! Il allait se lancer

    dans les sarcasmes, quand son hte l'interrompit :

    Je sais ce que vous allez me dire, mais c'est sans intrt. Les alchimistes ne connaissaient pas la

    structure du noyau, ne connaissaient pas l'lectricit, n'avaient aucun moyen de dtection. Ils n'ont

    donc pu oprer aucune transmutation, ils n'ont donc jamais pu librer l'nergie nuclaire. Je n'essaierai

    pas de vous prouver ce que je vais vous dclarer maintenant, mais je vous prie de le rpter M.

    Helbronner : des arrangements gomtriques de matriaux extrmement purs suffisent pour dchaner

    les forces atomiques, sans qu'il y ait besoin d'utiliser l'lectricit ou la technique du vide. Je me

    bornerai ensuite vous faire une courte lecture.

    L'homme prit sur son bureau l'ouvrage de Frdric Soddy : L'Interprtation du Radium, l'ouvrit et lut :

    Je pense qu'il a exist dans le pass des civilisations qui ont connu l'nergie de l'atome et qu'un

    mauvais usage de cette nergie a totalement dtruites.

    Puis il reprit :

    Je vous demande d'admettre que quelques techniques partielles ont survcu. Je vous demande aussi

    de rflchir au fait que les alchimistes mlaient leurs recherches des proccupations morales et

    religieuses, tandis que la physique moderne est ne au XVIIIe sicle de l'amusement de quelques

    seigneurs et de quelques riches libertins. Science sans conscience... J'ai cru bien faire en avertissant

    quelques chercheurs, d-ci, d-l, mais je n'ai nul espoir de voir cet avertissement porter ses fruits. Au

    reste, je n'ai pas besoin d'esprer.

    Bergier devait toujours garder dans l'oreille le son de cette voix prcise, mtallique et digne.

    Il se permit de poser une question :

    Si vous tes alchimiste vous-mme, Monsieur, je ne puis croire que vous passiez votre temps tenter

    de fabriquer de l'or, comme Dunikovski ou le docteur Miethe. Depuis un an, j'essaie de me documenter

    sur l'alchimie, et je nage parmi les charlatans ou les interprtations qui me semblent fantaisistes. Vous,

    Monsieur, pouvez-vous me dire en quoi consistent vos recherches ?

    Vous me demandez de rsumer en quatre minutes quatre mille ans de philosophie et les efforts de

    toute ma vie. Vous me demandez en outre de traduire en langage clair des concepts pour lesquels n'est

    pas fait le langage clair. Je puis tout de mme vous dire ceci : vous n'ignorez pas que, dans la science

    officielle en progrs, le rle de l'observateur devient de plus en plus important. La relativit, le principe

    d'incertitude, vous montrent quel point l'observateur intervient aujourd'hui dans les phnomnes. Le

    secret de l'alchimie, le voici : il existe un moyen de manipuler la matire et l'nergie de faon

    produire ce que les scientifiques contemporains nommeraient un champ de forces. Ce champ de forces

    agit sur l'observateur et le met dans une situation privilgie en face de l'univers. De ce point

    privilgi, il a accs des ralits que l'espace et le temps, la matire et l'nergie, nous masquent

    d'habitude. C'est ce que nous appelons le Grand uvre.

    Mais la pierre philosophale ? La fabrication de l'or ?

    Ce ne sont que des applications, des cas particuliers. L'essentiel n'est pas la transmutation des

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    mtaux, mais celle de l'exprimentateur lui-mme. C'est un secret ancien que, plusieurs hommes par

    sicle retrouvent.

    Et que deviennent-ils alors ?

    Je le saurai peut-tre un jour.

    Mou ami ne devait jamais revoir cet homme qui a laiss une trace ineffaable sous le nom de

    Fulcanelli. Tout ce que nous savons de lui est qu'il survcut la guerre et disparut compltement aprsla Libration. Toutes recherches chourent pour le retrouver ( L'opinion des plus instruits et des plus

    qualifis est que celui qui se cacha, ou se dissimule encore de nos jours sous ce fameux pseudonyme

    de Fulcanelli, est le plus clbre et sans doute le seul alchimiste vritable (peut-tre le dernier) de ce

    sicle o l'atome est roi. Claude d'Yg, revue Initiation et Science, n 44, Paris.).

    Nous voici maintenant un matin de juillet 1945. Encore squelettique et blafard, Jacques Bergier, vtu

    de kaki, est en train de dcouper un coffre-fort au chalumeau. C'est un avatar de plus. Durant ces

    dernires annes, il a t successivement agent secret, terroriste et dport politique. Le coffre-fort se

    trouve dans une belle villa, sur le lac de Constance, qui fut la proprit du directeur d'un grand trust

    allemand. Dcoup, le coffre-fort livre son mystre : une bouteille contenant une poudre extrmement

    lourde. Sur l'tiquette : Uranium, pour applications atomiques. C'est la premire preuve formelle de

    l'existence en Allemagne d'un projet de bombe atomique suffisamment pouss pour exiger de grandes

    quantits d'uranium pur. Gbbels n'avait pas tout fait tort quand, du bunker bombard, il faisait

    circuler dans les rues en ruine de Berlin le bruit que l'arme secrte tait sur le point d'clater au visage

    des envahisseurs . Bergier rendit compte de la dcouverte aux autorits allies. Les Amricains se

    montrrent sceptiques et dclarrent sans intrt toute enqute sur l'nergie nuclaire. C'tait une

    feinte. En ralit, leur premire bombe avait explos en secret, Alamogordo, et une mission

    amricaine dirige par le physicien Goudsmith tait, en ce moment mme, en Allemagne, la

    recherche de la pile atomique que le professeur Heisenberg avait construite avant l'effondrement duReich.

    En France, on ne savait rien formellement, mais il y avait des indices. Et notamment celui-ci, pour les

    gens aviss : des Amricains achetaient prix d'or tous les manuscrits et documents alchimiques.

    Bergier fit un rapport au gouvernement provisoire sur la ralit probable de recherches sur les

    explosifs nuclaires aussi bien en Allemagne qu'aux Etats-Unis. Le rapport fut sans doute envoy au

    panier, et mon ami garda son flacon qu'il brandissait au nez des gens en dclarant : Vous voyez cela

    ? Il suffirait qu'un neutron passe l'intrieur pour que Paris saute ! Ce petit bonhomme l'accent

    comique avait dcidment du got pour la plaisanterie et l'on s'merveillait qu'un dport frachementsorti de Mauthausen et conserv tant d'humour. Mais la plaisanterie perdit brusquement tout son sel le

    matin d'Hiroshima. Le tlphone se mit sonner sans relche dans la chambre de Bergier. Diverses

    autorits comptentes demandaient des copies du rapport. Les services de renseignements amricains

    priaient le dtenteur de la fameuse bouteille de rencontrer d'urgence un certain major qui ne voulait pas

    dire son nom. D'autres autorits exigeaient que l'on loignt tout de suite le flacon de l'agglomration

    parisienne. En vain, Bergier expliqua que ce flacon ne contenait certainement pas d'uranium 235 pur et

    que, mme s'il en contenait, l'uranium tait sans doute au-dessous de la masse critique. Sinon, il et

    explos depuis longtemps. On lui confisqua son joujou et il n'en entendit plus jamais parler. Pour le

    consoler, on lui fit porter un rapport de la Direction Gnrale des Etudes et Recherches . C'tait toutce que cet organisme, manant des services secrets franais, savait de l'nergie nuclaire. Le rapport

    portait trois cachets : Secret , Confidentiel , A ne pas diffuser . Il contenait uniquement des

    coupures de la revue Science et Vie.

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    Il ne lui restait, pour satisfaire sa curiosit, que de rencontrer le fameux major anonyme dont le

    professeur Goudsmith a cont quelques aventures dans son livreAlsos. Ce mystrieux officier, dou

    d'humour noir, avait camoufl ses services en une organisation pour la recherche des tombes des

    soldats amricains. Il tait trs agit et paraissait talonn par Washington. Il voulut d'abord savoir tout

    ce que Bergier avait pu apprendre ou deviner sur les projets nuclaires allemands. Mais surtout il tait

    indispensable an salut du monde, la cause allie et l'avancement du major, que l'on retrouvt

    d'urgence Eric Edward Dutt et l'alchimiste connu sous le nom de Fulcanelli.

    Dutt, sur lequel Helbronner avait t appel enquter, tait un Hindou qui prtendait avoir en accs

    de trs anciens manuscrits. Il affirmait y avoir puis certaines mthodes de transmutation des mtaux

    et, par une dcharge condense travers un conducteur de borure de tungstne, obtenait des traces d'or

    dans les produits recueillis. Des rsultats analogues devaient tre obtenus beaucoup plus tard par les

    Russes, mais en utilisant de puissants acclrateurs de particules.

    Bergier ne put tre d'un grand secours au monde libre, la cause allie et l'avancement du major.

    Eric Edward Dutt, collaborateur, avait t fusill par le contre-espionnage franais en Afrique du Nord.

    Quant Fulcanelli, il s'tait dfinitivement vanoui.

    Cependant, le major, en remerciement, fit porter Bergier, avant parution, les preuves du rapport :

    Sur l'Utilisation militaire de l'Energie Atomique, par le professeur H. D. Smyth. C'tait le premier

    document rel sur la question. Or, dans ce texte, il y avait d'tranges confirmations des propos tenus

    par l'alchimiste en juin 1937.

    La pile atomique, outil essentiel pour la fabrication de la bombe, tait en effet uniquement un

    arrangement gomtrique de substances extrmement pures . Dans son principe, cet outil, comme

    l'avait dit Fulcanelli, n'utilisait ni l'lectricit, ni la technique du vide. Le rapport Smyth faisait gale-

    ment allusion des poisons radiants, des gaz, des poussires radio-actives d'une extrme toxicit,

    qu'il tait relativement facile de prparer en grande quantit. L'alchimiste avait parl d'unempoisonnement possible de la plante tout entire.

    Comment un chercheur obscur, isol, mystique, avait-il pu prvoir, ou connatre tout cela ? D'o te

    vient ceci, me de l'homme, d'o te vient ceci ?

    En feuilletant les preuves du rapport, mon ami se souvenait aussi de ce passage de De Alchimia

    d'Albert le Grand :

    Si tu as le malheur de t'introduire auprs des princes et des rois, ils ne cesseront de te demander :

    Eh bien, matre, comment va l'uvre ? Quand verrons-nous enfin quelque chose de bon ? Et

    dans leur impatience, ils t'appelleront filou et vaurien et te causeront toutes sortes de dsagrments. Et

    si tu n'arrives pas bonne fin, tu ressentiras tout l'effet de leur colre. Si tu russis, au contraire, ils te

    garderont chez eux dans une captivit perptuelle dans l'intention de te faire travailler leur profit.

    Etait-ce pour cela que Fulcanelli avait disparu et que les alchimistes de tous les temps avaient gard

    jalousement le secret ?

    Le premier et le dernier conseil donn par le papyrus Harris tait : Fermez les bouches ! Clturez les

    bouches !

    Des annes aprs Hiroshima, le 17 janvier 1955, Oppenheimer devait dclarer : Dans un sens

    profond qu'aucun ridicule bon march ne saurait effacer, nous autres savants avons connu le pch.

    Et mille annes avant, un alchimiste chinois crivait :

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    Ce serait un terrible pch que de dvoiler aux soldats le secret de ton art. Fais attention ! Qu'il n'y

    ait pas mme un insecte dans la pice o tu travailles !

    IV

    L'Alchimiste moderne et l'esprit de recherche / Description de ce que fait un alchimiste dans son

    laboratoire / La rptition indfinie de l'exprience / Qu'est-ce qu'il attend ? / La prparation des

    tnbres / Le gaz lectronique /L'eau dissolvante / La pierre philosophale est-elle de l'nergie en

    suspension ? / La transmutation de l'alchimiste lui-mme / Au-del commence la vraie mtaphysique.L'alchimiste moderne est un homme qui lit les traits de physique nuclaire. Il tient pour certain que des transmutations etdes phnomnes encore plus extraordinaires peuvent tre obtenus par des manipulations et avec un matriel relativementsimples. C'est chez les alchimistes contemporains que l'on retrouve l'esprit du chercheur isol. La conservation d'un telesprit est prcieuse notre poque. En effet, nous avons fini par croire que le progrs des connaissances n'est plus possiblesans quipes nombreuses, sans appareillage norme, sans financement considrable. Or, les dcouvertes fondamentales,

    comme, par exemple, la radio-activit ou la mcanique ondulatoire, ont t faites par des hommes isols. L'Amrique, quiest le pays des grandes quipes et des grands moyens, dlgue aujourd'hui des agents dans le monde la recherche d'espritsoriginaux. Le directeur de la recherche scientifique amricaine, le docteur James Killian, a dclar en 1958 qu'il taitnuisible d'accorder uniquement confiance au travail collectif et qu'il fallait faire appel aux hommes solitaires porteursd'ides originales, Rutherford a effectu ses travaux capitaux sur la structure de la matire avec des botes de conserve etdes bouts de ficelle. Jean Perrin et Mme Curie, avant guerre, envoyaient leurs collaborateurs au March aux Puces, le

    dimanche, chercher un peu de matriel. Bien entendu, les laboratoires puissant outillage sont ncessaires, mais il seraitimportant d'organiser une coopration entre ces laboratoires, ces quipes, et les originaux solitaires. Cependant, les alchi-mistes se droberont l'invitation. Leur rgle est le secret. Leur ambition est d'ordre spirituel. Il est hors de doute, critRen Alleau, que les manipulations alchimiques servent de support une ascse intrieure. Si l'alchimie contient unescience, cette science n'est qu'un moyen d'accder la conscience. Il importe, ds lors, qu'elle ne se rpande pas au-dehors,o elle deviendrait une fin.

    Quel est le matriel de l'alchimiste ? Celui du chercheur en chimie minrale de hautes tempratures :

    fours, creusets, balances, instruments de mesure, quoi sont venus s'ajouter les appareils modernes

    accessibles de dtection des radiations nuclaires : compteur Geiger, scintillomtre, etc.

    Ce matriel peut paratre drisoire. Un physicien orthodoxe ne saurait admettre qu'il est possible de

    fabriquer une cathode mettant des neutrons avec des moyens simples et peu coteux. Si nos

    renseignements sont exacts, des alchimistes y parviennent. Au temps o l'lectron tait considr

    comme le quatrime tat de la matire, on a invent des dispositifs extrmement onreux et

    compliqus pour produire des courants lectroniques. Aprs quoi, en 1910, Elster et Gaitel ont montr

    qu'il suffisait de chauffer dans le vide de la chaux au rouge sombre. Nous ne connaissons pas tout des

    lois de la matire. Si l'alchimie est une connaissance en avance sur la ntre, elle use de moyens plus

    simples que les ntres.

    Nous connaissons plusieurs alchimistes en France et deux aux Etats-Unis. Il y en a en Angleterre, en

    Allemagne et en Italie. E. J. Holmyard dit en avoir rencontr un au Maroc. Trois nous ont crit de

    Prague. La presse sovitique scientifique semble faire grand cas, aujourd'hui, de l'alchimie et

    entreprend des recherches historiques.

    Nous allons maintenant, pour la premire fois, pensons-nous essayer de dcrire avec prcision ce que

    fait un alchimiste dans son laboratoire. Nous ne prtendons pas rvler, la totalit de la mthode

    alchimique, mais nous croyons avoir, BUT cette mthode, quelques aperus d'un certain intrt. Nous

    n'oublions pas que le but ultime de l'alchimie est la transmutation de l'alchimiste lui-mme, et que les

    manipulations ne sont qu'un lent cheminement vers la dlivrance de l'esprit . C'est sur ces

    manipulations que nous tentons d'apporter des renseignements nouveaux.

    L'alchimiste a d'abord, pendant des annes, dcrypt de vieux textes o le lecteur doit s'engager priv

    du fil d'Ariane, plong dans un labyrinthe o tout a t prpar consciemment et systmatiquement afin

    de jeter le profane dans une inextricable confusion mentale . Patience, humilit et foi l'ont amen un

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    certain niveau de comprhension de ces textes. A ce niveau, il va pouvoir commencer rellement

    l'exprience alchimique. Cette exprience, nous allons la dcrire, mais il nous manque un lment.

    Nous savons ce qui se passe dans le laboratoire de l'alchimiste. Nous ignorons ce qui se passe dans

    l'alchimiste lui-mme, dans son me. Il se peut que tout soit li. Il se peut que l'nergie spirituelle joue

    un rle dans les manipulations physiques et chimiques de l'alchimie. Il se peut qu'une certaine manire

    d'acqurir, de concentrer et d'orienter l'nergie spirituelle soit indispensable la russite du travail

    alchimique. Cela n'est pas sr, mais nous ne pouvons, en un sujet aussi dlicat, ne pas rserver sa part

    la parole de Dante : Je vois que tu crois ces choses parce que je te les dis, mais tu n'en sais pas lepourquoi, en sorte que pour tre crues elles n'en sont pas moins caches.

    Notre alchimiste commence par prparer, dans un mortier d'agate, un mlange intime de trois

    constituants. Le premier, qui entre pour 95 % est un minerai : une pyrite arsnieuse, par exemple, un

    minerai de fer contenant notamment comme impurets de l'arsenic et de l'antimoine. Le second est un

    mtal : fer, plomb, argent ou mercure. Le troisime est un acide d'origine organique: acide tartrique ou

    citrique. Il va broyer la main et mlanger ces constituants durant cinq ou six mois. Ensuite, il chauffe

    le tout dans un creuset. Il augmente progressivement la temprature et fait durer l'opration une dizaine

    de jours. Il doit prendre des prcautions. Des gaz toxiques se dgagent : la vapeur de mercure et surtout

    l'hydrogne arsnieux qui a tu plus d'un alchimiste ds le dbut des travaux.

    Il dissout enfin le contenu du creuset grce un acide. C'est en cherchant un dissolvant que les

    alchimistes du temps pass ont dcouvert l'acide actique, l'acide nitrique et l'acide sulfurique. Cette

    dissolution doit s'effectuer sous une lumire polarise : soit une faible lumire solaire rflchie sur un

    miroir, soit la lumire de la lune. On sait aujourd'hui que la lumire polarise vibre dans une seule

    direction, tandis que la lumire normale vibre dans toutes les directions autour d'un axe.

    Il vapore ensuite le liquide et recalcine le solide. Il va recommencer cette opration des milliers de

    fois, pendant plusieurs annes. Pourquoi ? Nous ne le savons pas. Peut-tre dans l'attente du moment

    o seront runies les meilleures conditions : rayons cosmiques, magntisme terrestre, etc. Peut-tre

    afin d'obtenir une fatigue de la matire dans des structures profondes que nous ignorons encore.

    L'alchimiste parle de patience sacre , de lente condensation de l'esprit universel . Il y a

    srement autre chose, derrire ce langage para-religieux.

    Cette faon d'oprer en rptant indfiniment la mme manipulation peut paratre dmentielle un

    chimiste moderne. On a enseign ce dernier qu'une seule mthode exprimentale est valable : celle

    de Claude Bernard. Cette mthode procde par variations concomitantes. On reproduit des milliers de

    fois la mme exprience, mais en faisant chaque fois varier l'un des facteurs : proportions de l'un des

    constituants, temprature, pression, catalyseur, etc. On note les rsultats obtenus et l'on dgagequelques-unes des lois qui gouvernent le phnomne. C'est une mthode qui a fait ses preuves, mais ce

    n'est pas la seule. L'alchimiste rpte sa manipulation sans rien faire varier, jusqu' ce que quelque

    chose d'extraordinaire se produise. Il croit, au fond, en une loi naturelle assez comparable au principe

    d'exclusion formul par le physicien Pauli, l'ami de Jung. Pour Pauli, dans un systme donn (l'atome

    et ses molcules) il ne peut y avoir deux particules (lectrons, protons, msons) dans le mme tat.

    Tout est unique dans la nature : Votre me nulle autre pareille... C'est pour cela qu'on passe

    brusquement, sans intermdiaire, de l'hydrogne l'hlium, de l'hlium au lithium, et ainsi de suite,

    comme l'indique, pour le physicien nuclaire, la Table Priodique des Elments.

    Quand on ajoute un systme une particule, cette particule ne peut prendre aucun des tats existant l'intrieur de ce systme. Elle prend un tat nouveau et la combinaison avec les particules dj

    existantes cre un systme nouveau et unique.

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    Pour l'alchimiste, de mme qu'il n'y a pas deux mes semblables, deux tres semblables, deux plantes

    semblables (Pauli dirait : deux lectrons semblables), il n'y a pas deux expriences semblables. Si l'on

    rpte des milliers de fois une exprience, quelque chose d'extraordinaire finira par se produire. Nous

    ne sommes pas assez comptents pour lui donner tort ou raison. Nous nous contentons de remarquer

    qu'une science moderne : la science des rayons cosmiques, a adopt une mthode comparable celle

    de l'alchimiste. Cette science tudie les phnomnes causs par l'arrive, dans un appareil de dtection

    ou sur une plaque, de particules d'une formidable nergie venant d'toiles. Ces phnomnes ne peuvent

    tre obtenus volont. Il faut attendre. Parfois, on enregistre un phnomne extraordinaire. C'est ainsique dans l't 1957, au cours des recherches poursuivies aux Etats-Unis par le professeur Bruno Rossi,

    une particule anime d'une nergie formidable, jamais enregistre jusqu'ici, et venant peut-tre d'une

    autre galaxie que notre Voie Lacte, impressionna 1 500 compteurs la fois dans un rayon de huit

    kilomtres carrs, crant sur son passage une norme gerbe de dbris atomiques. On ne conoit aucune

    machine capable de produire une telle nergie. Jamais un tel vnement n'avait eu lieu, de mmoire de

    savant, et l'on ne sait s'il aura lieu de nouveau. C'est un vnement exceptionnel, d'origine terrestre on

    cosmique, influenant son creuset, que semble attendre notre alchimiste. Peut-tre pourrait-il abrger

    son attente en utilisant des moyens plus actifs que le feu, par exemple en chauffant son creuset dans un

    four induction par la mthode de lvitation (1), ou encore en ajoutant des isotopes radio-actifs sonmlange. Il pourrait alors faire et refaire sa manipulation, non pas plusieurs fois par semaine, mais

    plusieurs milliards de fois par seconde, multipliant ainsi les chances de capter l'vnement

    ncessaire la russite de l'exprience. Mais l'alchimiste d'aujourd'hui, comme celui d'hier, travaille en

    secret, pauvrement, et tient l'attente pour vertu.

    1. Cette mthode consiste suspendre le mlange fondre dans le vide, hors de tout contact avec une

    paroi matrielle, au moyen d'un champ magntique. On fond alors par un courant haute frquence.

    L'hebdomadaire amricain Life, en janvier 1958. a publi de trs belles photos d'un four de ce genre,

    en action.

    Poursuivons notre description : au bout de plusieurs annes d'un travail toujours le mme, de jour et de

    nuit, notre alchimiste finit par estimer que la premire phase est termine. Il ajoute alors son mlange

    un oxydant : le nitrate de potasse, par exemple. Il y a dans son creuset, du soufre provenant de la pyrite

    et du charbon provenant de l'acide organique. Soufre, charbon et nitrate : c'est au cours de cette

    manipulation que les anciens alchimistes ont dcouvert la poudre canon.

    Il va recommencer dissoudre, puis calciner, sans relche, durant des mois et des annes, dans

    l'attente d'un signe. Sur la nature de ce signe, les ouvrages alchimiques diffrent, mais c'est peut-tre

    qu'il y a plusieurs phnomnes possibles. Ce signe se produit au moment d'une dissolution. Pour

    certains alchimistes, il s'agit de la formation de cristaux en forme d'toiles la surface du bain. Pourd'autres, une couche d'oxyde apparat la surface de ce bain, puis se dchire, dcouvrant le mtal

    lumineux dans lequel semblent se reflter, en image rduite, tantt la Voie Lacte, tantt les

    constellations (Jacques Bergier dclare avoir assist ce phnomne.).

    Ce signe reu, l'alchimiste retire son mlange du creuset et le laisse mrir , l'abri de l'air et de

    l'humidit, jusqu'au premier jour du prochain printemps. Quand il reprendra les oprations, celles-ci

    viseront ce que l'on nomme, dans les vieux textes, la prparation des tnbres . Des recherches

    rcentes sur l'histoire de la chimie ont montr que le moine allemand Berthold Le Noir (Berthold

    Schwarz) qui l'on attribue communment l'invention de la poudre canon en Occident, n'a jamais

    exist. Il est une figure symbolique de cette prparation des tnbres .

    Le mlange est plac dans un rcipient transparent, en cristal de roche, ferm de manire spciale. On

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    a peu d'indications sur cette fermeture, dite fermeture d'Herms, ou hermtique. Le travail consiste

    dsormais chauffer le rcipient en dosant, avec une infinie dlicatesse, les tempratures. Le mlange,

    dans le rcipient ferm, contient toujours du soufre, du charbon et du nitrate. Il s'agit de porter ce

    mlange un certain degr d'incandescence en vitant l'explosion. Les cas d'alchimistes gravement

    brls ou tus sont nombreux. Les explosions qui se produisent ainsi sont d'une violence particulire et

    dgagent des tempratures auxquelles, logiquement, on ne saurait s'attendre.

    Le but poursuivi est l'obtention, dans le rcipient, d'une essence , d'un fluide , que les alchimistesnomment parfois l'aile de corbeau .

    Expliquons-nous l-dessus. Cette opration n'a pas d'quivalent dans la physique et la chimie

    modernes. Cependant, elle n'est pas sans analogies. Lorsque l'on dissout dans le gaz ammoniac liquide

    un mtal tel que le cuivre, on obtient une coloration bleu fonc qui vire au noir pour les grandes

    concentrations. Le mme phnomne se produit si l'on dissout dans le gaz ammoniac liqufi de

    l'hydrogne sous pression on des amins organiques, de manire obtenir le compos instable NH, qui

    a toutes les proprits d'un mtal alcalin et que, pour cette raison, on a appel ammonium . Il y a

    lieu de croire que cette coloration bleu-noir, qui fait songer l'aile de corbeau du fluide obtenu par

    les alchimistes, est la couleur mme du gaz lectronique. Qu'est-ce que le gaz lectronique ? C'est, pour les savants modernes, l'ensemble d'lectrons libres qui constituent un mtal et lui assurent ses

    proprits mcaniques, lectriques et thermiques. H correspond, dans la terminologie d'aujourd'hui,

    ce que l'alchimiste appelle l'me ou encore l'essence des mtaux. C'est cette me ou cette

    essence qui se dgage dans le rcipient hermtiquement clos et patiemment chauff de l'alchimiste.

    Il chauffe, laisse refroidir, chauffe nouveau, et ceci pendant des mois ou des annes, observant

    travers le cristal de roche la formation de ce qui est aussi nomm l'uf alchimique : le mlange

    chang en un fluide bleu-noir. Il ouvre finalement son rcipient dans l'obscurit, la lumire seule de

    cette sorte de liquide fluorescent. Au contact de l'air, ce liquide fluorescent se solidifie et se spare.

    Il obtiendrait ainsi des substances tout fait nouvelles, inconnues dans la nature et ayant toutes les

    proprits d'lments chimiques purs, c'est--dire insparables par les moyens de la chimie.

    Des alchimistes modernes prtendent avoir ainsi obtenu des lments chimiques nouveaux, et ceci en

    quantits pondrables. Fulcanelli aurait extrait d'un kilo de fer, vingt grammes d'un corps tout fait

    nouveau dont les proprits chimiques et physiques ne correspondent aucun lment chimique

    connu. La mme opration serait applicable tous les lments, dont la plupart donneraient deux

    lments nouveaux par lment trait.

    Une telle affirmation est de nature choquer l'homme de laboratoire. Actuellement, la thorie nepermet pas de prvoir d'autres sparations d'un lment chimique que celles-ci :

    La molcule d'un lment peut prendre plusieurs tats : ortho-hydrogne et para-hydrogne, par

    exemple.

    Le noyau d'un lment peut prendre un certain nombre d'tats isotopiques caractriss par un

    nombre de neutrons diffrents. Dans le lithium 6, le noyau contient trois neutrons, et dans le lithium 7,

    le noyau en contient quatre.

    Nos techniques, pour sparer les divers tats allotropiques de la molcule et les divers tats isotopiques

    du noyau, exigent la mise en uvre d'un norme matriel.

    Les moyens de l'alchimiste sont, en regard, drisoires, et il parviendrait, non pas un changement

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    d'tat de la matire mais la cration d'une matire nouvelle, ou tout au moins une dcomposition et

    recomposition diffrente de la matire. Toute notre connaissance de l'atome et du noyau est base sur

    le modle saturnien de Nagaoka et Rutherford : le noyau et son anneau d'lectrons. Il n'est pas

    vident que, dans l'avenir, une autre thorie ne nous amne pas raliser des changements d'tats et

    des sparations d'lments chimiques inconcevables en ce moment.

    Donc, notre alchimiste a ouvert son rcipient de cristal de roche et obtenu, par refroidissement du

    liquide fluorescent au contact de l'air, un ou plusieurs lments nouveaux. Il reste des scories. Cesscories, il va les laver, pendant des mois, l'eau tri-distille. Puis il conservera cette eau l'abri de la

    lumire et des variations de temprature.

    Cette eau aurait des proprits chimiques et mdicales extraordinaires. C'est le dissolvant universel et

    llixir de longue vie de la tradition, l'lixir de Faust (Le professeur Ralph Milne Farley, snateur des

    Etats-Unis et professeur de physique moderne l'Ecole militaire de West Point, a attir l'attention sur

    le fait que certains biologistes pensent que le vieillissement est d l'accumulation de l'eau lourde dans

    l'organisme. L'lixir de longue vie des alchimistes serait une substance liminant slectivement l'eau

    lourde. De telles substances existent dans la vapeur d'eau. Pourquoi n'en existerait-il pas dans l'eau

    liquide traite d'une certaine faon ? Mais une dcouverte de cette importance pourrait-elle trepropage sans danger ? M. Farley imagine une socit secrte d'immortels, ou quasi-immortels, exis-

    tant depuis des sicles et se reproduisant par cooptation. Une telle socit, qui ne se mlerait pas de

    politique et n'interviendrait nullement dans les affaires des hommes, aurait toutes chances de passer

    inaperue),

    Ici, la tradition alchimique parat en harmonie avec la science d'avant-garde. Pour la science ultra-

    moderne, en effet, l'eau est un mlange extrmement complexe et ractif. Les chercheurs penchs sur

    la question des oligo-lments, et notamment le docteur Jacques Mntrier, ont constat que,

    pratiquement, tous les mtaux taient solubles dans l'eau en prsence de certains catalyseurs comme le

    glucose et sous certaines variations de tempratures. L'eau formerait en outre de vritables composs

    chimiques, des hydrates, avec des gaz inertes tels que l'hlium et l'argon. Si l'on savait quel est le

    constituant de l'eau responsable de la formation des hydrates au contact d'un gaz inerte, il serait

    possible de stimuler le pouvoir solvant de l'eau et ainsi d'obtenir un vritable dissolvant universel. La

    trs srieuse revue russe Savoir et Force crivait dans son numro 11 de 1957 que l'on arriverait peut-

    tre un jour ce rsultat en bombardant l'eau avec des radiations nuclaires et que le dissolvant

    universel des alchimistes serait une ralit avant la fin du sicle. Et cette revue prvoyait un certain

    nombre d'applications, imaginait des perces de tunnels au moyen d'un jet d'eau active.

    Notre alchimiste se trouve donc maintenant en possession d'un certain nombre de corps simplesinconnus dans la nature et de quelques flacons d'une eau alchimique susceptible de prolonger sa vie

    considrablement par le rajeunissement des tissus.

    Il va maintenant essayer de recombiner les lments simples qu'il a obtenus. Il les mlange dans son

    mortier et les fait fondre de basses tempratures, en prsence de catalyseurs sur lesquels les textes

    sont trs vagues. Plus on avance dans l'tude des manipulations alchimiques, plus les textes sont

    malaiss dcrypter. Ce travail va lui prendre encore plusieurs annes.

    Il obtiendrait ainsi, assure-t-on, des substances ressemblant absolument aux mtaux connus, et en

    particulier aux mtaux bons conducteurs de la chaleur et de l'lectricit. Ce seraient le cuivrealchimique, l'argent alchimique, l'or alchimique. Les tests classiques et la spectroscopie ne

    permettraient pas de dceler la nouveaut de ces substances, et cependant elles auraient des proprits

    nouvelles, diffrentes de celles des mtaux connus, et surprenantes.

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    Si nos informations sont exactes, le cuivre alchimique, apparemment semblable au cuivre connu et

    pourtant trs diffrent, aurait une rsistance lectrique infiniment faible, comparable celle des super-

    conducteurs que le physicien obtient au voisinage du zro absolu. Un tel cuivre, s'il pouvait tre utilis,

    bouleverserait l'lectrochimie.

    D'autres substances, nes de la manipulation alchimique, seraient plus surprenantes encore. L'une

    d'elles serait soluble dans le verre, basse temprature et avant le moment de fusion de celui-ci. Cette

    substance, en touchant le verre lgrement amolli, se disperserait l'intrieur, lui donnant unecoloration rouge rubis, avec fluorescence mauve dans l'obscurit. C'est la poudre obtenue en broyant

    ce verre modifi dans le mortier d'agate, que les textes alchimiques nomment la poudre de projection

    ou pierre philosophale . En quoi, crit Bernard, comte de la Marche Trvisane, dans son trait

    philosophique, est accomplie cette prcieuse Pierre surmontant toute pierre prcieuse, laquelle est un

    trsor infini la gloire de Dieu qui vit et rgne ternellement.

    On connat les lgendes merveilleuses qui s'attachent cette pierre ou poudre de projection qui

    serait capable d'assurer des transmutations de mtaux en quantits pondrables. Elle transformerait

    notamment certains mtaux vils en or, argent ou platine, mais il ne s'agirait l que d'un des aspects de

    son pouvoir. Elle serait une sorte de rservoir d'nergie nuclaire en suspension, maniable volont.

    Nous allons revenir tout l'heure sur les questions que posent l'homme moderne clair les

    manipulations de l'alchimiste, mais arrtons-nous l o s'arrtent les textes alchimiques eux-mmes.

    Voici le grand uvre accompli. Il se produit dans l'alchimiste lui-mme une transformation que ces

    textes voquent, mais que nous sommes incapables de dcrire, n'ayant l-dessus que de faibles aperus

    analogiques. Cette transformation serait comme la promesse, travers un tre privilgi, de ce qui

    attend l'humanit entire au terme de son contact intelligent avec la terre et ses lments : sa fusion en

    Esprit, sa concentration en un point spirituel fixe et sa liaison avec d'autres foyers de conscience

    travers les espaces cosmiques. Progressivement, ou en un soudain clair, l'alchimiste, dit la tradition,

    dcouvre le sens de son long travail. Les secrets de l'nergie et de la matire lui sont dvoils, et en

    mme temps lui deviennent visibles les infinies perspectives de la Vie. Il possde la cl de la

    mcanique de l'univers. Lui-mme tablit de nouveaux rapports entre son propre esprit dsormais

    anim et l'esprit universel en ternel progrs de concentration. Certaines radiations de la poudre de

    projection sont-elles la cause de la transmutation de l'tre physique ?

    La manipulation du feu et de certaines substances permet donc, non seulement de transmuter les

    lments, mais encore de transformer l'exprimentateur lui-mme. Celui-ci, sous l'influence des forces

    mises par le creuset (c'est--dire des radiations mises par des noyaux subissant des changements de

    structure), entre dans un autre tat. Des mutations s'oprent en lui. Sa vie se trouve prolonge, sonintelligence et ses perceptions atteignent un niveau suprieur. L'existence de tels mutants est un des

    fondements de la tradition Rose-Croix. L'alchimiste passe un autre tat de l'tre. Il se trouve hiss

    un autre tage de la conscience. Lui seul se dcouvre veill, et tous les autres hommes, lui semble-t-il,

    dorment encore. Il chappe l'humain ordinaire, comme Mallory, sur l'Everest, disparat, ayant eu sa

    minute de vrit.

    La Pierre philosophale reprsente ainsi le premier chelon qui peut aider l'homme s'lever vers

    l'Absolu (Ren ALLEAU : Prface l'ouvrage de M. Le Breton : Les Cls de la Philosophie

    spagyrique. Editions Caractres, Paris.). Au-del, le mystre commence. En de, il n'y a pas de

    mystre, pas d'sotrisme, pas d'autres ombres que celles que projettent nos dsirs et surtout notreorgueil. Mais, comme il est plus facile de se satisfaire d'ides et de mots que de faire quelque chose

    avec ses mains, sa douleur, sa fatigue, dans le silence et dans la solitude, il est aussi plus commode de

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    chercher dans la pense dite pure un refuge, que de se battre corps corps contre la pesanteur et les

    tnbres de la matire. L'alchimie interdit toute vasion de ce genre ses disciples. Elle les laisse face

    face avec la grande nigme... Elle nous assure seulement que si nous luttons jusqu'au bout pour nous

    dgager de l'ignorance, la vrit elle-mme luttera pour nous et vaincra finalement toutes choses. Alors

    commencera peut-tre la VRAIE mtaphysique.

    V

    Il y a un temps pour tout /