Nakba, Naksa, Nahda Mémoire Et Histoire de La Palestine 1904-2006

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Nakba, Naksa, Nahda Mémoire Et Histoire de La Palestine 1904-2006

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    Nakba, Naksa, Nahda: mmoire et histoire de la Palestine 1904-2006 Author(s): BICHARA KHADER Source: Rivista di Studi Politici Internazionali, Nuova Serie, Vol. 73, No. 4 (292) (

    Ottobre-Dicembre 2006), pp. 535-559Published by: Maria Grazia MelchionniStable URL: http://www.jstor.org/stable/42740528Accessed: 14-08-2015 08:20 UTC

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  • Nakba, Naksa, Nahda:

    memoire et histoire de la Palestine

    1904-2006

    BICHARA KHADER

    Introduction L'histoire de la Palestine depuis un sicle a t un long fleuve tu-

    multueux fait de larmes, de sang et d'exil, du fait de la duplicit des Britanniques (depuis la dclaration Balfour en 1917), du transfert de culpabilit de l'Occident (depuis 1945), des trahisons de certains diri- geants arabes (avant et aprs les indpendances) et surtout d'une idologie sioniste proprement coloniale depuis la naissance du sionis- me politique (premier congrs sioniste Ble en 1897) jusqu'au 2""' gouvernement de Sharon (2003). Qu'il y ait eu, de tout temps, des Juifs libraux, courageux, dissidents qui aient dnonc les drives mi- litaristes et sgrgationnistes du sionisme rel (d'Ahad Haam nagure jusqu' d'Uri Avnery aujourd'hui) ne change rien la donne: l'ob- servation des faits historiques depuis un sicle et les modifications ap- portes la carte gographique d'Isral depuis sa cration (le 15 mai 1948) sont l pour attester la vigueur, toujours renouvele, d'un sio- nisme en expansion. En ceci, nul doute qu'une grande catastrophe (Nakba) s'est abattue sur la Palestine (depuis la dclaration Balfour, jusqu' la rsolution du partage-dcoupage de la Palestine en 1947 culminant avec la cration d'Isral en 1948), et enfin cette autre d- faite majeure en 1967 (Naksa).

    Et pourtant c'est sans doute une des surprises de l'histoire: les Palestiniens dchiquets, et jets sur les routes de l'exil, et que le sio- nisme aurait dsir voir disparatre, jamais, de son champ de vi- sion, en effaant leur mmoire - histoire et gographie physique - ou en les noyant dans l'ocan arabe, ressurgissent, plus visibles que jamais, d'abord dans la figure de l'homme au Keffieh (rsistant pa- lestinien), ensuite dans celle du palestinien des territoires occups qui se soulve (d'o l'origine du mot arabe: Intifadah qui veut dire sou- lvement) et qui, en mme temps, tend la branche d'olivier son op- presseur: ce surgissement de l'invisibilit et de l'anonymat c'est la Nahda.

    Je voudrais donc rappeler grands traits, dans une premire partie, toutes les tentatives et projets des dirigeants sionistes, avant et aprs la cration d'Isral, d'occulter, voire carrment d'ensevelir la

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  • BICHARA KHADER

    mmoire palestinienne et de prsenter le sionisme sous les oripeaux d'un messianisme bienveillant. Dans une deuxime partie, je me pen- cherai sur les travaux de politologues et historiens israliens et pales- tiniens qui, depuis une trentaine d'annes, travaillent une autre criture historique contribuant magistralement dterrer la mmoire palestinienne des gravats de l'histoire officielle des vainqueurs. Dans la dernire partie, je voudrais souligner combien il est important pour les Palestiniens de revivifier leur mmoire mais sans se laisser piger par elle, c'est--dire surmonter les douleurs du pass pour crire les pages d'un futur partag.

    Le sionisme vu par ses victimes Les premires colonies juives ont commenc s'implanter en Pa-

    lestine dans le dernier quart du sicle. A ce moment, sur 500 000 Palestiniens, 94% taient des Palestiniens arabes (84% musulmans et 10% chrtiens) et prs de 6% des juifs palestiniens de souche et des juifs immigrs d'origine europenne. Ces premiers colons juifs, qui s'tablissaient en Palestine, surtout pendant la priode 1881-1905, n'avaient pas d'objectif structur. Ils s'tablissaient dans les villages agricoles collectifs, aids par des familles juives aises, installes en Europe occidentale, notamment la famille Rothschild. Avec le tour- nant de 1905, la colonisation prend une autre tournure et s'insre dans un autre cadre: le cadre du sionisme politique lanc partir du l,r congrs sioniste mondial (1897) avec l'objectif de crer un Etat juif en Palestine. A partir de ce moment, on met en route tout un ar- senal de mesures destines privilgier le travail juif, excluant l'utilisation des Palestiniens du travail, notamment dans l'agriculture. L'embryon du Yichouv (communaut juive avant la cration de l'Etat d'Isral) avec ses classes paysannes et ouvrires et ses syndicats. Au cur de la Palestine arabe s'installe, sans s'y greffer, une nouvelle communaut - juive d'origine europenne - avec ses institutions propres et un projet clair: crer moyen terme un Etat juif.

    L'crivain Slim Nassib rsume fort bien les rapports des pre- miers sionistes avec la population palestinienne: [...] les premiers sio- nistes arrivs en Palestine... n'taient anims d'aucune hostilit parti- culire envers les Arabes. Ils n'avaient en tte ni de les exploiter, ni de les opprimer, ni de les 'civiliser', ni en fait d'avoir quoique ce soit faire avec eux. Ils voulaient seulement construire une socit juive s- pare d'eux avec sa langue propre et son 'travail juif' du sommet la base [...]'. Certes, la terre tait peuple et les sionistes les ont donc

    1 SLIM NASSIB, Spars/ mlanges, in Revue d'tudes palestiniennes, n 26, hiver 2001, p. 32.

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    vus sans les voir. Ce qui les intressait: c'est le rve d'difier un tat o l'on serait enfin entre Juifs. Primordialit de l'espace et invisibili- t palestinienne: tel est le socle de l'idologie sioniste2.

    1. La primordialit de l'espace Le rle de l'espace dans l'histoire juive a t magnifiquement

    analys par Uri Eizenzweig ( Territoires occups de l'imaginaire juif)3. En effet, l'ensemble de l'exprience juive s'articule autour de concepts spatiaux: exil, dispersion, errance, immigration, etc... L'his- toire rcente du sionisme elle-mme est hante par la question de l'es- pace depuis le problme originel du territoire conqurir (du premier congrs sioniste mondial en 1897 la rsolution du partage de la Pa- lestine en 1947) aux frontires dfendre et largir (de 1948 nos jours).

    En effet tout le projet sioniste se fonde sur une dmarche spatia- le: c'est dire la concentration de communauts juives spatialement disperses dans un seul lieu gographique. C'est le projet de Thodo- re Herzl lorsqu'il rdige L'Etat Juif (en 1896).

    Dans le projet sioniste initial, au moins jusqu' la mort de Herzl en 1904, la Palestine n'est pas la seule option possible. On a voqu l'Argentine (1897-98), Chypre (1901-02), le Sina (1902) et enfin l'Ou- ganda (1903-04).

    Dj Pinsker crivait en 1882, dans son fameux Auto mancipa- tion [...] gardons-nous tout d'abord d'une illusion: celle de croire restaurer l'antique Jude [...] Ce n'est pas la Terre Sainte qui doit tre le but actuel de nos efforts, mais une terre nous. Ainsi, si la Diaspora tait vcue comme problme, le territoire apparaissait n- cessairement comme la solution.

    a) La Palestine comme espace dsir

    Jusqu' la mort de Herzl (en 1904), l'espace recherch pour ra- liser l'objectif du sionisme politique demeurait un espace indtermin. Ce n'est qu'en 1905 que l'organisation sioniste mondiale a fix son choix dfinitif sur la Palestine. C'est ^ partir de ce moment que va se nouer le drame palestinien: en effet l'Etat juif rv par Herzl ne pou- vait s'riger que sur un emplacement vacant. Or la Palestine tait habite majoritairement par les Arabes et pour 4% par des Juifs, es-

    2 J'ai longuement analys cela dans Anatomie du Sionisme et d'Isral , Alger, SNEP, 1975 et L'Europe et la Palestine: des croisades nos jours , Paris, L'Har- mattan, 1999 3 Ull EisKNZWEIC, Territoires occups dans l'imaginaire juif , Paris, Christian Bourgeois, 1980, p. 33.

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    sentiellement de souche palestinienne, et qui n'taient gnralement pas concerns par le sionisme qui s'tait dvelopp la faveur de la mode nationaliste et coloniale, dans l'espace europen.

    Comment les dirigeants sionistes pouvaient-ils donc transformer un espace peupl d'Arabes une crasante majorit, en un espace peupl majoritairement de Juifs et devant constituer l'Etat d'Isral?

    Par l'immigration et l'implantation grce au soutien des grandes puissances. Mais ne fallait-il pas craindre l'opposition des Palestiniens autochtones? La question n'effleurait pas l'esprit des dirigeants sio- nistes. Obnubils par la ralisation de leurs objectifs, ils ont tout bon- nement procd vacuer les Palestiniens de leur champ de vision. Les Palestiniens deviendront la question invisible ( the invisible question ). Le dirigeant sioniste Cham Weizmann le reconnat avec beaucoup de candeur: Si vous tudiez les publications sionistes d'avant la guerre, vous n'y trouverez quasiment pas un mot sur les Arabes4. Certes la Palestine existait, mais pour les premiers sionistes c'tait une nature sauvage et vierge, c'tait du sable et des mar- cages: image absolue du nant historique, de la non-identit. A cet gard, cette phrase de Bernard Rosenblatt est rvlatrice: Quand il y a un territoire virtuellement vide, le monde appelle pour sa r- demption. La Palestine dpeuple tait justement un Texas en minia- ture. La logique de l'histoire requiert que les espaces vides soient remplis car la nature dteste le vide ( nature abhors vacuum )5. On peut multiplier les citations. Mais ce qui est retenir c'est le lien im- mdiat qu'il y a entre cette vision de la Palestine comme nature sau- vage et la non-vision de ses habitants en tant qu'ensemble social6. Plus qu'une population vivante, l'espace palestinien tait davantage une fonction: il tait ce qui devait permettre le passage du Juif errant l'Isralien sdentaris.

    b) La Palestine comme espace investi

    Ayant prcis l'objectif (cration de l'tat juif) et opt pour un territoire (la Palestine) en y attachant une valeur symbolique lgiti- mante et mobilisatrice (Terre Promise), les dirigeants sionistes ont mis en place un ensemble d'instruments symboliques, institutionnels, fi- nanciers et rglementaires pour contrler l'espace palestinien: Agence juive (pour organiser l'immigration), Fonds national juif (pour finan-

    4 Cit par Walter Laqueur, Histoire du sionisme (traduction franaise), Paris, Calman-Lyy, 1973, p. 236. 5 BERNARD Rosenblatt, The American Bridge to the Israeli Commonwealth , New York, Farrar Shaus & Cydahy, 1959, p. 123. 6 Eisenzweig, Op. cit., p. 84.

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    cer l'appropriation de terres et l'tablissement des villages agricoles) et surtout un ordre rglementaire fond sur l'inalinabilit des terres acquises et le concept du travail juif. Progressivement les mtayers et paysans palestiniens ont t vincs du circuit du travail. La socit palestinienne s'est trouve dstructure par les nouvelles vagues de migrations et l'appropriation de nouvelles terres, encourage, au moins jusqu'en 1939, par l'Angleterre, puissance mandataire en Pa- lestine depuis 1922, et charge de la mise en application de la dcla- ration Balfour.

    c) La Palestine comme espace conquis Lors du vote de partage de la Palestine en 1947, les sionistes pos-

    sdaient 5,6% de la superficie de la Palestine historique du Jourdain la Mditerrane et reprsentaient 33% de la population totale. L'As- semble gnrale des Nations Unies leur a offert 56% du territoire. Aprs la premire guerre isralo-arabe de 1948, l'Etat d'Isral s'est largi pour englober 78% de la Palestine. Mais la transformation la plus significative a concern la population de l'espace allou l'tat juif. Alors qu'en 1947, il y avait quasi autant d'Arabes que de Juifs dans cet espace, en 1949 les deux tiers de la population arabe palesti- nienne a t force l'exil. Ainsi la conqute de l'espace palestinien a produit la tragdie des rfugis.

    La responsabilit d'Isral dans la tragdie des rfugis palesti- niens a t trop longtemps occulte. Il a fallu attendre les annes '80 pour voir les nouveaux historiens israliens dnoncer cette occulta- tion et rappeler, avec certaines nuances mais grands renforts de documents, la responsabilit directe des dirigeants sionistes, puis is- raliens dans l'expulsion force des deux tiers de la population pa- lestinienne.

    2. L'occultation de l'histoire La doctrine sioniste du retour la Terre Promise renvoie au

    discours mystique o le sionisme est compris comme un retour et non comme une conqute coloniale, comme une renaissance sur la terre des anctres et non comme une naissance sur une terre pales- tinienne. Cette vision mythique conduit un travestissement de l'his- toire, car elle ne considre de l'histoire de la Palestine que les tranches correspondant son occupation par les Hbreux (temps bi- bliques) ou sa transformation par le sionisme. 18 sicles sont donc gomms. Ils correspondent un nant historique, une non-histoire.

    Un tel travestissement de l'histoire de la Palestine qui ne consi- dre comme significative que la prsence des Hbreux ou des Isra- liens sur le sol palestinien constitue le fondement mme de l'idologie sioniste. Il est tout de mme proccupant que dans certaines coles

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    religieuses juives d'Isral on enseigne, au dbut du XX.V'mi' sicle, que les Palestiniens sont des Amalcites (tribu autochtone que les Anciens Hbreux avaient combattue) et qu'il est ds lors, selon le rabbin Is- ral Hess, lgitime de les combattre7. Avec de telles visions, on com- prend aisment que l'occupation du sol palestinien ft juge par les sionistes comme une revitalisation par le travail et comme une res- tauration du peuple juif sur sa Terre et qu'en 2003 il y ait eu un ministre isralien du gouvernement Sharon qui disait: Rendez-leur (aux Palestiniens) la vie tellement impossible qu'ils partiront d'eux- mmes".

    Tout naturellement la restauration du peuple juif sur sa terre, qualifie par le sociologue isralien Eisenstadt de rvolution socio-po- litique9, ne pouvait se raliser que par l'extraterritorialisation d'une partie importante du territoire palestinien. Pendant trop longtemps l'histoire officielle isralienne a minimis ce fait majeur, en prsentant une vision mythique d'un sionisme gnreux et bienveillant l'gard des Arabes .On sait maintenant combien cette histoire ne repose sur rien. Il suffit d'couter ou de lire les dirigeants sionistes eux-mmes: Il n'y a que peu d'endroits que nous avons pu coloniser sans tre for- cs d'en transfrer les habitants, dira Ben Gurion. A. Lulu, autre di- rigeant sioniste renchrit: Quelqu'un dit ici que le transfert [des Pa- lestiniens] tait une provocation politique. Ce n'est pas vrai. C'est un programme logique et juste, moral et humain dans tous les sens ,0.

    Malgr ces aveux, un propagandiste isralien pouvait crire, en 1976, sans broncher: l'immigration juive et le formidable essor qu'elle a apport n'ont caus aucun tort aux quelques rsidents arabes locaux. Au contraire, ceux-ci ont bnfici conomiquement et socialement des progrs amens par les Juifs [...] la rvolution sionis- te a donc eu pour effet d'amliorer grandement le sort de la popula- tion non-juive de Palestine ".

    7 Cit par Shulamit Aloni, ancien ministre (l'Isral, dans le Courrier Interna- tional, 13 mars 2003. 8 Cit par ALONI, ibidem. 9 II est frappant que ce sociologue isralien, qui consacre un livre au retour des Juifs dans l'histoire et l'apport du sionisme, ne cite la Palestine que dans une seu- le phrase pour rappeler que le dsir de reconstruire une civilisation juive d'une manire nouvelle, collective, moderne passait videmment par l'existence d'un Etat juif indpendant, qu'difirent les premiers colons partis la conqute de la Palestine et d'Eretz Isral. Samuki, Noaii EISENSTADT, Le retour des Juifs dans l'histoire , Bruxelles, d. Complexe, 2002, p. 122. 10 Cit par Ilan Halwi, Sous Isral la Palestine , Paris, Le Sycomore, 1976, p. 137-147. " Samu KL Katz, Isral face au mythe de la Palestine , Paris, d. Albatros, 1976, p. 221.

    540 RSPI - N 292, 4/2006

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    La Nakba: 1947-1948 Avec la dclaration Balfour (novembre 1917), le mandat britan-

    nique (1922-1948) et surtout la rsolution de partage de la Palestine le 29 novembre 1947 et la proclamation de l'Etat d'Isral le 15 mai 1948, le sionisme remporte une victoire dcisive: son rve vient de se raliser. Pour les Palestiniens, le cauchemar prend la dimension d'une catastrophe nationale: c'est ce qu'on appelle la Nakba.

    1. Mandat britannique et transformation de la Palestine: un bilan Avec le dpart du dernier soldat britannique du sol palestinien,

    se ferme un des chapitres les plus sombres de l'histoire moderne du Proche-Orient. Le mandat britannique en Palestine aura dur vingt- huit ans, du l,r juillet 1920 au 14 mai 1948.

    A leur arrive, les Britanniques trouvent une Palestine essentiel- lement arabe raison de 94% de sa population, majoritairement pay- sanne (plus ou moins 70% de la population), des villes portuaires, dont Haifa, Jaffa, Acre en plein essor et des villes de l'intrieur, J- rusalem, Naplouse, Hebron, etc. moins assoupies que ne le laissent supposer certaines descriptions sociologiques. Les minorits chr- tiennes palestiniennes, qui reprsentent prs de 10% de la population, sont concentres dans le secteur agricole, administratif et des services; au-del de leur fractionnement en rites et allgeances, elles se peroi- vent comme partie intgrante d'une Palestine arabe.

    La majorit de la population est musulmane. Rpartie entre les villes et les campagnes, elle aussi est traverse par de multiples lignes de fracture: entre la paysannerie et les propritaires latifundiaires, entre les grandes familles fodales elles-mmes, entre l'intrieur et les villes ctires, entre deux principaux courants: les pales tinistes, favo- rables une indpendance palestinienne, et les arabistes, partisans de l'unit arabe syrienne.

    Les Britanniques trouvent galement en Palestine une minorit juive reprsentant plus ou moins 6% de la population totale, compo- se, pour une partie, de Juifs palestiniens, essentiellement citadins, qui vivent dans le pays depuis longtemps et, pour une autre partie, de Juifs installs en Palestine essentiellement partir de 1881 et qui sont rpartis entre une vingtaine de colonies agricoles (plus ou moins 0,5% de la superficie totale de la Palestine). En somme, une Palestine rela- tivement prospre comparativement aux autres pays de la rgion, multi-confessionnelle, tolrante l'gard des minorits, ouverte sur le monde extrieur et aspirant profondment, aprs quatre sicles d'oc- cupation ottomane, l'indpendance, soit sous forme d'un Etat sou- verain, soit dans un Etat fdr ou unitaire, avec les autres Etats arabes du Proche-Orient.

    Quand, vingt-huit annes plus tard, les Britanniques quittent la Palestine en 1948, celle-ci est dmographiquement transforme. La

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  • BICHARA KHADER

    petite minorit juive reprsente dsormais prs de 33% de la popula- tion, dtenant prs de 5,6% des terres parmi les plus fertiles.

    En dpit de ces transformations, en 1948, les Palestiniens conti- nuent reprsenter les deux tiers de la population vivant en Palesti- ne et continuent dtenir la majorit des terres (plus ou moins 94,4% des terres), mais contrairement aux pays voisins, la Palestine est pri- ve d'indpendance.

    A la lumire de ces faits, qu'est-ce qui explique donc la russite du projet sioniste et son aboutissement: la proclamation de l'Etat d'Isral?

    Pour rpondre cette question, les sionistes avancent gnrale- ment plusieurs fragments de rponse:

    1. l'attachement du peuple juif sa terre ancestrale; 2. le lancement du mouvement sioniste au congrs de Ble en

    1897 et l'implantation des premires colonies en Palestine; 3. la dclaration Balfour de 1917 et surtout le mandat britan-

    nique en Palestine (1920-1948); 4. l'impact de la Shoah sur le renforcement du Yichouv aprs la

    seconde guerre mondiale. Ecartons d'emble la thse un peu nave qui consiste dire que

    le retour des juifs dans leur terre ancestrale et le rtablissement de leur Etat taient inscrits dans une sorte de ncessit historique, tant la nostalgie des juifs pour leur Terre Promise tait ineffaable, com- me le prouverait la fameuse formule l'an prochain Jrusalem. Sans mconnatre la force des mythes dans la mobilisation des Juifs et leur encadrement par le mouvement sioniste, l'attachement des Juifs au souvenir des royaumes de Jude et de Samarie n'aurait pas pu suffi- re, lui seul, dclencher le mouvement. Plus significatives de ce point de vue ont t les vagues de perscutions anti-juives et l'effer- vescence antismite de ja fin du XIX'' sicle.

    Y aurait-il eu un Etat juif en Palestine grce au seul dynamisme du mouvement sioniste, sans appui des puissances occidentales? Beau- coup d'historiens israliens de la vieille garde y croient, en mettant en avant quatre arguments:

    1. le gnie juif, la notion de hros positif, la religion du travail (approche psychologique);

    2. les capacits organisationnelles, institutionnelles, financires du mouvement sioniste;

    3. ou, a contrario , les faiblesses structurelles de la socit pales- tinienne dchire entre les grandes familles de notables et caractrise par une culture politique traditionnelle favorisant le clientlisme et l'esprit de clan ( asabiyyah );

    4. la collusion des Hachmites de Transjordanie avec le mouve- ment sioniste ds le dbut de la cration de l'Emirat transjordanien en 1922 ,2.

    Cfr. Avi SlILAM, Collusion accross the Jordan : King Abdallah and the Zionist movement and the partition of Palestine , Oxford, Clarendon Press, 1988.

    542 RSPI - N 292, 4/2006

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  • NAKBA, NAKSA, NAHDA

    La Shoah (l'holocauste) a-t-elle contribu la cration de l'Etat d'Isral? Ici aussi, nombreux sont ceux qui pensent que si la premi- re guerre mondiale a donn la dclaration Balfour, la deuxime guer- re mondiale a produit la Shoah et celle-ci a donn l'Etat d'Isral. Par l'motion qu'elle a suscit dans les opinions publiques, par le senti- ment de culpabilit qu'elle a engendr dans les cercles dirigeants occi- dentaux, la Shoah et son corollaire, les personnes dplaces, ont t un puissant aiguillon pour le projet sioniste. C'est, entre autres, l'opi- nion du dirigeant sioniste Nahum Goldman: Je ne suis pas certain que sans Auschwitz, l'tat juif existerait toujours13.

    A l'vidence, toutes ces explications ne manquent pas de perti- nence: la corrlation entre le sionisme et la Shoah , d'une part, et l'dification de l'Etat d'Isral sur le sol palestinien, d'autre part, ne doivent pas faire l'objet d'un doute.

    Mais il y a un lment fondamental qui ne peut tre ni ou mme minimis: c'est l'appui britannique au projet sioniste tout au long de la priode du mandat. L'intgration de la dclaration Balfour dans les missions du mandat britannique, le soutien de la Grande-Bretagne l'immigration juive en Palestine et aux acquisitions foncires et, aus- si, la rpression sans merci de la rsistance palestinienne, entre 1920 et 1939, se sont avrs les lments les plus dcisifs dans la mise en place du Yichouv et, plus tard, dans l'dification de l'Etat d'Isral. Dj en 1904, le fondateur du sionisme politique, Thodore Herzl, prophtisait: Avec l'Angleterre en guise de point d'appui, nous pou- vons tre assurs que l'ide sioniste s'lancera plus avant et plus haut que jamais auparavant14.

    Ainsi, contrairement l'historiographie officielle isralienne qui diabolise les Britanniques, la plupart des nouveaux historiens isra- liens reconnaissent aujourd'hui que l'Angleterre n'tait pas si hostile que cela l'Etat juif. Tom Segev va mme plus loin en affirmant que le succs du sionisme a t possible grce au soutien massif au Yichouv , la dfense des colonies juives par l'arme britannique. C'est exacte- ment la thse que je dfends ici. Mais je prcise que l'Angleterre n'a pas soutenu le sionisme par pure philanthropie, loin de l: un mo- ment particulier de l'histoire du Proche-Orient, il y a eu concidence entre l'objectif sioniste - coloniser la Palestine par l'immigration partir de l'Europe - et l'objectif britannique - s'assurer une base d'appui aux approches du canal de Suez et utiliser le sionisme dans sa stratgie impriale -.

    Le paradoxe juif , Paris, Stock, 1976, p. 111. 14 Cit par DOMINIQUE VlDAL, Le pch originei d'Isral: l'expulsion des Pales- tiniens revisite par les nouveaux historiens israliens , Paris, d. de l'Atelier, 1998, p. 28

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    En rendant possible l'implantation d'Isral sur une terre arabe, place provisoirement sous mandat, l'Angleterre peut tre tenue pour responsable de la d-existence palestinienne. C'est la puissance man- dataire qui, par sa politique rpressive l'gard du mouvement na- tional palestinien, a empch que celui-ci n'accouche d'une indpen- dance aprs 1945, l'instar de pays arabes voisins comme la Syrie et le Liban.

    Certes, on peut loisir souligner les conflits internes de la direc- tion politique palestinienne et le jeu ambigu de la monarchie Hach- mite de Transjordanie. Mais toute la politique britannique ne consis- tait-elle pas, justement, attiser les diffrends entre les notables pa- lestiniens et introduire l'acteur transjordanien dans l'quation judo- palestinienne?

    Certes, l'Angleterre s'est bien rendue compte qu'elle a t trop loin dans son soutien du mouvement sioniste et a d, la veille de la deuxime guerre mondiale, par le Livre blanc de 1939, imposer des restrictions l'immigration juive en Palestine et aux acquisitions fon- cires. Mais cette inflexion de la politique anglaise s'inscrit dans le contexte de la guerre qui s'annonce et rpond au souci d'viter que les pays arabes ne basculent dans le camp des pays de l'Axe. C'est une distanciation raisonne par rapport aux exigences sionistes, mais certainement pas une trahison, comme l'a qualifie Ben Gourion15.

    Comme on sait, l'Angleterre sort de la deuxime guerre mondia- le exsangue. Elle ne peut plus, seule, rsoudre un problme qu'elle a largement contribu crer: des sionistes la recherche d'un Etat et un peuple palestinien qu'on arrache sa terre. C'est donc aux Etats- Unis que se dplace tout le dispositif de lobbying sioniste. Et bien que le prsident Roosevelt s'engage auprs du roi d'Arabie Saoudite dans une lettre en date du 5 avril 1945: Le gouvernement amricain ne proposera aucun changement de sa politique en Palestine sans consultation des Juifs et des Arabes16, ce sont les Etats-Unis qui porteront le mouvement sioniste sur les fonts baptismaux en poussant l'Assemble gnrale des Nations Unies voter le partage de la Pa- lestine, en novembre 1947, et en reconnaissant l'Etat d'Isral onze minutes aprs la proclamation de cet Etat, soit 18 h. 11, le 14 mai (heure amricaine).

    L'histoire retiendra de cette priode tragique de l'histoire de la Palestine le profond mpris des puissances occidentales (y compris

    15 WALTER Laqukuk, Histoire du Sionisme , Paris, Calmann-Levy, 1973, p. 571. 16 Cfr. F. W. BlCIlKK, Reluctant ally: US foreign policy toward the Jews from Wilson to Roosevelt , New York, Greenwood Press, 1991, pp. 79-81. Cit par Nadi- NK PlCAUDOU, Sionisme et imprialisme dans rentre-deux guerres , in Revue d'Etudes Palestiniennes, automne 1998, p. 16.

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    l'Union Sovitique) pour la dignit des peuples arabes et surtout cet- te volont dlibre de faire payer au peuple palestinien la tragdie juive, la Shoah , dont il n'est nullement responsable.

    2. Le problme des rfugis palestiniens Contrairement la priode prcdente, o le peuple palestinien

    vivait regroup sur un territoire homogne et dlimit, aprs 1948 on assiste un vritable clatement du corps social palestinien et l'mergence du problme des rfugis.

    En cinq grandes vagues successives (entre novembre 1947 et d- cembre 1951), prs de huit cent mille palestiniens ont d prendre la route de l'exode, ce qui reprsente peu prs les deux-tiers de la po- pulation palestinienne totale.

    Le problme des rfugis a donn lieu une longue controverse historique: sont-ils partis de leur plein gr pour fuir les zones de com- bat (thse officielle isralienne) ou ont-ils t expulss d'une manire dlibre par l'arme isralienne et les diffrents groupes terroristes juifs tels que l'Irgoun et le Lehi (thse soutenue par les Palestiniens 17 et la majorit des spcialistes du conflit isralo-arabe)?

    Pendant longtemps, les Israliens avaient fait prvaloir leur ver- sion des vnements: les Arabes ont fui; l'arme isralienne ne les a pas forcs quitter leurs villes et villages; il n'y a eu ni expulsions, ni massacres et s'il y a eu un exode massif, c'est parce que les dirigeants arabes leur demandaient de partir.

    Aujourd'hui, cette thse est battue en brche par un travail de sape systmatique des nouveaux historiens israliens. Dans deux ou- vrages d'une rigueur scientifique irrprochable, en se basant sur le dpouillement des archives israliennes et notamment les rapports des services de renseignements, Benny Morris rcuse la thse officielle is- ralienne. S'il ne retient pas la thse d'une volont systmatique d'ex- pulsions sur une large chelle, il ne reconnat pas moins qu' partir d'avril 1948, donc bien avant l'entre des Arabes en guerre, il y a des signes clairs d'une politique d'expulsion au niveau national et lo- cal en ce qui concerne certains districts et localits stratgiques cls. De fait, prs de trois cent cinquante mille Arabes palestiniens pren- nent le chemin de l'exil avant la proclamation de l'Etat d'Isral ,K.

    Bien avant la fin du mandat britannique, grce au plan Dalet (plan D), les forces juives tendent leur contrle sur des portions im-

    ^ 17 Cfr. EiJAS Sanhar, Palestine 1948: l'expulsion , Paris, les livres

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    portantes du territoire attribues aux arabes, afin de rendre impos- sible l'dification de l'Etat palestinien prvu par le plan de partage. Des massacres sont perptrs dans de nombreuses localits. Celui du village de Deir Yassine, le 9 avril 1948, est le plus cit. Deux cent cin- quante-quatre villageois sont massacrs par YIrgoun de Menahim Be- gin, futur premier ministre isralien, la mitraillette, puis la gre- nade et enfin au couteau, se souvient un dlgu de la Croix-Rouge, Jacques de Reynier19.

    Se situant dans la suite de tueries semblables (Katamon, Nasser Ed-Dine, Beit El Khouri, Cheikh Badr, lifta al-Foqa, lifta al-Tihta, Beit-Dajan, etc.), le massacre de Deir Yassine produisit sur la popu- lation arabe un choc immense et peut-tre dcisif20. Et bien que Jo- seph Dov, ancien ministre isralien de la Justice, le dcrive comme une attaque dlibre et injustifie21, le leader de l'attaque, Mena- him Begin, reconnat qu'il n'y aurait pas eu d'Etat d'Isral sans la victoire de Deir Yassine22. Il exagre peine la porte de cette drle de victoire car l'effet psychologique de pareils massacres sur le peuple palestinien s'est avr dterminant.

    Les historiens traditionnels israliens ne nient point la ralit de ces massacres mais ils tendent les minimiser ou en attribuer la res- ponsabilit quelques lments excits et incontrls, une faon de ddouaner les dirigeants israliens.

    Un autre volet de l'argumentation officielle isralienne sur la question des rfugis consiste affirmer que les Palestiniens sont par- tis l'instigation des dirigeants arabes. C'est faux, affirme Benny Morris, aucun moment, durant la guerre, les dirigeants arabes n'ont publi un appel gnral aux Arabes de Palestine quitter leurs maisons et leurs villages et errer vers l'exil 23 . Dj en 1961, cette thse des appels radiophoniques des dirigeants arabes avait t rfu- te par un journaliste irlandais, Erskine Childers, qui a cout des enregistrements de l'poque et qui n'a pas repr un seul appel ra- diophonique manant de dirigeants arabes appelant les Palestiniens partir24.

    19 Jacques DE Reynier, Jrusalem: un drapeau flottait sur la ligne de feu, Paris, La Baconnire, 1950, p. 72 et 55. 20 Um AVNERY, Le Monde , 9 mai 1964. 21 JOSEPH Dov, The faithful city: siege of Jerusalem , New York, Simon and Schuster, 1951, p. 152. 22 MENAHIM Begin, The revolt: the story of the Irgun , New York, Henry Schu- man, 1951, p. 162. 2:< BENNY Morris, 1948 and after: Israel and the Palestinians , Oxford, Claren- don Press, 1990, p. 17. 24 ERSKINE Childers, The other Exodus , the Spectator, London, 12 May 1961.

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    Les nouveaux historiens israliens ne se sont pas fait que des amis en Isral. En infirmant la thse officielle de leur pays, ils ont mis nu un des mythes de l'histoire patriotique isralienne, suscitant une leve de boucliers. Car il est un fait, reconnat Ilan Greilsammer, que dans leur crasante majorit, les Israliens n'ont pas t mcontents de voir les Palestiniens fuir, et ils sont unanimement, de la droite l'extrme gauche sioniste, opposs leur retour25.

    L'opposition isralienne au retour des rfugis s'appuie sur six arguments:

    1. l'argument de la bonne conscience: les Palestiniens sont partis de leur plein gr et ils ne font qu'assumer les consquences de leur choix;

    2. l'argument de principe: la coexistence entre deux peuples si diffrents n'est pas viable; il est donc prfrable pour les Palestiniens de partir et de s'installer dans des pays frres qui ne manquent pas d'espace;

    3. l'argument d'opportunit: le sionisme vise la cration d'un Etat juif et non d'un Etat binational; par consquent, la sauvegarde du caractre homogne de l'Etat juif est prioritaire mme s'il faut empiter sur le droit international;

    4. l'argument d'quivalence: le dpart des rfugis palestiniens est compens par l'migration des Juifs qui ont quitt les pays arabes pour s'installer, partir de 1948, dans le nouvel Etat d'Isral;

    5. l'argument de scurit: le besoin de scurit pour l'Etat d'Is- ral est primordial, ce qui conduit celui-ci empcher que les Arabes, s'ils sont trop nombreux, puissent y constituer une sorte de cinquime colonne;

    6. l'argument de ncessit: Isral a besoin des immigrs juifs et ceux-ci ont besoin d'espace. Vu l'exigut du territoire, le retour des rfugis palestiniens n'est ni envisageable ni souhaitable.

    Face cette fin de non-recevoir, la confrence des Nations Unies, tenue Lausanne en aot 1949 pour tenter de trouver line solution globale ou partielle au problme des rfugis, est, d'avance, voue l'chec. Les Etats arabes ont beau poser la question du retour des r- fugis comme une condition pralable tout accord, ils ne sont tout bonnement pas couts.

    Ainsi, sans espoir de retour, les rfugis palestiniens doivent fai- re l'apprentissage d'une vie de dnuement dans les camps du Liban, de Jordanie, de Syrie, de Cisjordanie et de Gaza. La question de l'in- dpendance de la Palestine se transforme, aprs 1948, en un probl- me de rfugis. Par la Rsolution 212 du 19 novembre 1948, les Na-

    25 ILAN GkeILSAMMKK, La nouvelle histoire d'Isral: essai sur une identit natio- nale , Paris, Gallimard, 1998, p. 198.

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    tions Unies mettent sur pied un programme d'aide pour les rfugis palestiniens. Mais celui-ci est remplac, le 8 dcembre 1949, par une agence ad hoc pour les rfugis palestiniens: United Nations Relief and Works Agency (UNRWA), charge de distribuer les rations ali- mentaires et de pourvoir la scolarisation des enfants (Rsolution 302). A partir de ce moment, il apparat de plus en plus clairement, que l'exode est appel se transformer en une donne durable du paysage rgional.

    A partir de 1948 la population palestinienne clate et se disperse. Les rfugis palestiniens s'entassent dans des camps au cur des p- riphries urbaines de Beyrouth, d'Amman ou de Damas. Ils mnent une vie misrable, vivant des rations alimentaires de l'UNRWA: trop pour mourir, pas assez pour vivre. Mais cette socit dans l'exil se transforme et se rorganise. C'est en son sein que la rsistance pales- tinienne va recruter les premiers fidayin (combattants).

    3. La dislocation du lien avec la terre natale ou d-existence pales- tinienne L'anne 1948 reste grave dans la mmoire collective palestinien-

    ne comme une relle catastrophe, car elle provoque la dsintgration d'une socit dj affaiblie, bien avant 1948, par la rpression anglai- se et la violence sioniste, et souffrant d'une absence quasi totale d'ins- titutions d'encadrement et d'auto-gouvernement, et d'un leadership vritablement national. L'issue de la collision entre les deux nationa- lismes, palestinien et sioniste, rvle les faiblesses structurelles de la socit palestinienne essentiellement d'origine rurale et confronte un peuplement d'origine europenne, dot d'importants moyens fi- nanciers et militaires, de structures d'encadrement et surtout de sou- tiens occidentaux incomparables.

    Ainsi, dans la catastrophe palestinienne, Palestiniens et Arabes doivent assumer leur part de responsabilit: la direction traditionnel- le palestinienne pour avoir fait prvaloir ses intrts de classe ou de clan sur l'intrt national; les dirigeants arabes qui ont toujours veill mnager leur grande amie, la Grande-Bretagne, et dont certains, les Transjordaniens, ngocient secrtement un arrangement territorial avec les sionistes. Mais la principale responsabilit de la tragdie pa- lestinienne incombe l'Occident, amricain et europen qui, pouss par la culpabilit l'gard des Juifs, a voulu se disculper, sans grand mal, en frappant le mea culpa (c'est ma faute) sur la poitrine des Pa- lestiniens, et enfin et surtout, les sionistes eux-mmes qui taient tel point obsds par la ralisation de leur rve qu'ils en taient venus concevoir la prsence palestinienne comme un simple accident de l'histoire.

    Aprs 1948 la Palestine devient une question arabe et une ques- tion de terre perdue que les arabes allaient bientt librer. Prise au

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    pige de la guerre froide inter-arabe, la cause palestinienne se trans- forme rapidement en un problme inter-arabe tandis que le conflit is- ralo-palestinien devient rapidement le conflit isralo-arabe.

    L'atomisation de la socit palestinienne aboutit tout naturelle- ment une coupure nette opre au sein du peuple, un manque de communication entre ses fils et la cessation de toute politique socia- le. A partir de 1948, il n'y a plus de socit palestinienne mais des fragments de socit, vivant dans plusieurs pays et bnficiant de sta- tuts diffrents:

    1. les Palestiniens rests l'intrieur des frontires d'Isral. Ils sont appels les Arabes d'Isral. Ils reprsentent 20% de la popula- tion d'Isral (1.200.000) et doivent faire l'apprentissage difficile de la vie dans un Etat juif (passeport isralien)26;

    2. les Palestiniens de Cisjordanie, rsidents et rfugis, devenus citoyens jordaniens depuis l'annexion de la Rive Ouest au Royaume de Transjordanie, aprs le congrs tenu Jricho, le 1" dcembre 1948 (passeport jordanien);

    3. les Palestiniens de Gaza, rsidents et rfugis, dconnects gographiquement de la Palestine historique par l'extension des fron- tires israliennes. Ils sont placs sous administration gyptienne (titre de voyage gyptien);

    4. les rfugis palestiniens du Liban. Ils sont parqus dans les camps et disposent d'un titre de voyage ( Wathiqt Safar);

    5. les rfugis palestiniens de Syrie sont galement des rfugis vivant dans des camps. La Syrie les considre comme des syriens de naissance, mais ils bnficient d'un titre de voyage;

    6. les rfugis palestiniens de Jordanie vivent galement dans des camps pour la plupart; les plus duqus d'entre eux trouvent un em- ploi dans l'administration, le secteur tertiaire et les institutions du- catives (passeport jordanien);

    7. les Palestiniens migrs, ce sont les palestiniens les plus aiss ou les plus cultivs qui migrent vers les Etats-Unis, le Canada ou l'Amrique latine, rejoignant des familles installes depuis le dbut du sicle. D'autres Palestiniens migrent vers l'or noir, essentiellement en Arabie et dans les pays du Golfe. Ainsi, quelle que soit la destina- tion, l'migration devient, dans les annes cinquante, la soupape de la survie et le passage oblig de la mobilit sociale.

    Chaque communaut palestinienne a fait l'objet de nombreuses recherches, tant les conditions d'accueil et de traitement sont varies

    2 En mars 2002, 31% des Juifs israliens se dclaraient favorables un trans- fert autoritaire, tandis que 60% approuvaient un transfert moins explicite, sous la forme d'incitation quitter le pays (rsultats du sondage in Haaretz , 12 mars 2002). Sur l'ensemble de la question de cette minorit arabe d'Isral, cfr. l'ouvra- ge de Laurence Louer, Les citoyens arabes d'Isral , Paris, Balland, 2003.

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    et complexes. Il n'est pas opportun d'y revenir ici. Mais un fait saillant mrite d'tre mis en exergue: ayant tout perdu pour la plu- part, leurs maisons, leurs terres et le lien avec leur communaut d'origine, les Palestiniens s'accrochent l'ducation comme une boue de sauvetage. Progressivement, ils deviennent en quelque sorte le Quartier latin du monde arabe, avec un taux d'ducation dpas- sant, de loin, la moyenne rgionale.

    Les enjeux de la mmoire d'un pass qui ne passe pas Avant la cration d'Isral, il y avait en Palestine prs de 807

    villes et villages. Or 479 parmi ceux-ci furent occups par les sionistes entre 1947 et 1949, et prs de 417 furent dtruits, ou transforms en champs de broussailles, en parcs naturels ou en kibboutzim. Or la vie d'un Palestinien se passait gnralement au village qui tait sa princi- pale unit sociale et conomique: il travaillait, se mariait, construisait dans son village.

    Cette primordialit de l'appartenance un village tait si forte, que mme dans les camps de rfugis les gens se regroupaient par clan et par village. La mmoire palestinienne qui tait transmise de pre en fils tait d'abord la mmoire du village natal dont on connaissait les moindres dtails: le nombre de figuiers, l'emplacement de l'glise ou de la mosque et du puits, etc.27. Aussi le camp a-t-il prserv les va- leurs et les traditions villageoises: bref la mmoire de village.

    Mais le camp de rfugis a jou un rle plus important encore: en concentrant tant de mmoires morceles dans un mme espace confi- n, vivant les mmes difficults, soumis aux mmes pressions, et prouvant les mmes besoins, le camp va fusionner les mmoires vil- lageoises en sorte de mmoire collective: une vritable conscience de l'identit palestinienne.

    Le camp va ds lors cristalliser l'identit nationale palestinienne, au grand tonnement d'ailleurs des sionistes qui jusqu' aujourd'hui vont reprocher aux Palestiniens de ne pas se dissoudre dans le corps social arabe et aux Etats arabes d'avoir utilis les rfugis comme ar- me de combat.

    Cette sortie de l'invisibilit, travers la fusion des mmoires vil- lageoises et le lien avec le pays natal, est d'abord l'uvre des rfugis aux-mmes. L'OLP, cre en 1964, sur le tard devient le lieu o se re- trouvent tous les territoires sociaux des composantes fragmentes de la socit palestinienne2". Mais on peut dire que jusqu' la guerre de

    27 CIRPES, Palestine: mmoire et territoires , in Cahiers d'tudes strat- giques, n 14, Paris, 1989. 28 E LIAR Sanbar, " L'Intifadah en Palestine" , ivi , p. 86.

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    1967, tant pour Isral que pour le monde extrieur, surtout les Etats- Unis et l'Europe, les Palestiniens ne constituent pas une nation mais un groupe de rfugies29.

    Aprs la dfaite arabe de 1967, le Palestinien resurgit sur la sc- ne du Moyen-Orient dans la figure du rsistant (fiday ). Dj le 1" janvier 1965, la rsistance palestinienne dclenchait la premire op- ration militaire contre l'arme isralienne d'occupation. Mais l'aprs- guerre de 1967 marque un tournant majeur dans la mesure o les Pa- lestiniens accdent la visibilit. Expulss de la gographie de Pales- tine, pour la moiti d'entre eux, incrusts au sol, pour l'autre moiti (Palestiniens d'Isral et Palestiniens sous occupation isralienne en Cisjordanie et Gaza), les Palestiniens ne peuvent plus tre rejets hors de l'histoire.

    Ils sont dsormais au cur de l'histoire du Moyen-Orient. C'est srement le nud du drame isralien puisque les Palestiniens font partie du paysage que les sionistes voudraient coloniser, et ils sont des acteurs historiques: par la rsistance militaire (bataille de Karameh 1968), par la rsistance pacifique (premire intifada 1987-93), par l'initiative politique (discours de Arafat l'Assemble gnrale en 1974, proclamation de l'Etat palestinien en 1988, les ngociations se- crtes Oslo 1993) et surtout par la mobilisation culturelle (depuis les premiers centres de recherche Beyrouth avant '67 jusqu'au dve- loppement des universits l'intrieur des territoires occups et la mobilisation des mouvements associatifs, etc.).

    Ce n'est pas tonnant, ds lors, que toute la stratgie isralienne aprs 1967 se fut concentre sur l'impratif d'expulser les Palesti- niens hors de l'histoire:

    politiquement en discutant d'un projet vague d'autonomie pour eux avec Sadate: Camp David 1979; militairement en forant l'OLP l'exil: Beyrouth 1982; diplomatiquement en refusant une dlgation palestinienne au- tonome la confrence de Madrid en 1991 et en disqualifiant l'auto- rit palestinienne et sa direction depuis 2000 jusqu' 2003.

    De Yigal Allon jusqu' Sharon, cette stratgie est reste inva- riable en dpit de l'intermde d'Yitshak Rabin. Pour rappel, Yigal Al- lon n'avait de cesse de rpter: Les Palestiniens ont dj un foyer national en Transjordanie. L'OLP est un ramassis de bandes terro- ristes en dsaccord entre elles30.

    29 Pour la perception europenne du problme palestinien, voir BICHARA KlIA- DER, L'Europe et la Palestine: des croisades nos jours , Paris, L'Harmattan, 1999, pp. 339-354. 30 Allocution au Comit central du parti travailliste, le 9 nov. 1972 in YIGAL Al- LON, Isral: la lutte pour l'espoir ; Paris, Stock, 1977, pp. 257 et 204.

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    Quant Begin, son obsession tait l'OLP qu'il qualifiait aussi de terroriste: Bien sr si l'OLP cessait d'tre l'OLP, nous pourrions cesser de la considrer comme telle. Ou si le tigre se transformait en cheval, nous pourrions l'enfourcher31. Begin oubliait naturellement qu'il tait lui-mme, avant la cration de l'Etat d'Isral, le chef de ce que les Britanniques qualifiaient de bande terroriste.

    Par cette vision isralienne il s'agit de refouler les Palestiniens hors de leur espace (ils ont dj un Etat en Jordanie) et de discrdi- ter leur organisation reprsentative de l'OLP: bande de terroristes.

    Mais, avec Begin, le discours scuritaire se fait sous des atours mystiques Les Israliens ont le droit de s'installer sur tout le terri- toire d'Eretz-Isral (la Palestine). Ce qui a t pris injustement (par les Arabes), ne cre pas un droit. Telle est la loi internationale: cette terre nous a t promise (dans la Bible) et nous avons droit sur elle 32.

    Shamir ne disait pas autre chose l'ouverture de la confrence de Madrid en 1991 et Sharon ne disait pas autre chose en 2003. Pour lui la guerre d'indpendance de 1948 n'tait pas termine. Dans ses mmoires publies en 1990, il rappelait qu'il ne pourrait exister deux Etats, car les Palestiniens ont dj un Etat en Jordanie33. Et bien que le premier ministre isralien Ehud Olmert, proclame en 2006, haut et fort, qu'Isral dsire ardemment une paix avec les Palestiniens, les conditions qu'ils pose pour atteindre cet objectif sont tels que cette paix dsire s'apparente une fiction de paix.

    C'est clair: en Isral-Palestine, nous nous trouvons face deux peuples singuliers beaucoup d'gards par les noms qu'ils portent (Isral-Palestine), par la mmoire longue qu'ils convoquent, par le territoire qu'ils se disputent (berceau de religions), par les passions transnationales qu'ils suscitent, par les interfrences extrieures qui s'exercent sur eux. Ceci nous claire sur la focalisation des mdias sur le conflit isralo-palestinien et sa centralit symbolique.

    Dans le conflit qui s'envenime depuis un sicle, nul doute que le peuple palestinien a t le vaincu de la gopolitique. Il a perdu 78% de son territoire et doit 'marchander' les 22 restants. Deux tiers de sa population (4,7 millions aujourd'hui) a t dracine et transforme en rfugis. Et ce peuple continue subir les assauts d'un Isral tou- jours en expansion dont les pratiques frisent la discrimination la plus honte, et qui, pourtant, s'enferme sur ses propres peurs, au point de devenir 'autiste' face l'autre: le Palestinien.

    Que les directions palestiniennes n'aient pas t la hauteur des dfis, accumulant les erreurs et les errements, voil qui ne souffre au-

    :u Dclaration de Begin in Davar, 12 (lc. 1978. :{2 Ibid. " Akiel SHARON, Mmoires , Paris, Stock, 1990, p. 660.

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    cun doute. C'est dsolant d'avoir une des causes les plus nobles et les avocats les moins futs, incapables de convaincre leur peuple et les opinions internationales et de parler leurs adversaires. Il n'en de- meure pas moins que le problme palestinien ne se rduit pas simple- ment une mauvaise gouvernance palestinienne, mais il est, dans sa quintessence, le produit d'une vritable politique coloniale isra- lienne (colonisation des territoires occups; rection du Mur de la Honte qui, loin d'pouser les lignes d'armistice du 4 juin 1967, grigno- te, en ralit, les territoire palestinien et permet Isral de fixer uni- latralement ses nouvelles frontires).

    Ainsi l'expansion d'Isral et l'incapacit des Palestiniens de l'en- diguer: telle est la raison principale de l'impasse. Gomment peut-on s'en extraire?

    I. Par un travail sur la mmoire J'ai dj rappel que nous sommes en effet face deux peuples

    qui ont un pass qui ne passe pas: un pass toujours prsent. Parce que les identits palestinienne et juive constituent une accumulation d'expriences qui plongent leurs racines au fond de l'histoire, et de traumatismes anciens et plus rcents, de blessures toujours bantes, on se trouve face deux communauts enfermes sur leur propre mal- heur. Le tmoignage mmoriel: la Shoah pour les uns, le Nakba pour les Palestiniens, est si fort que les deux communauts semblent visses leur pass au point d'hypothquer leur avenir. En ce sens, le futur est pris en otage par le pass, parce que les mmoires dans les deux cas fonctionnent comme les gardiennes de la problmatique du rap- port reprsentatif du prsent au pass, pour paraphraser le philo- sophe Paul Ricoeur34.

    Certes, la mmoire se nourrit de l'exigence existentielle de toute communaut pour qui la convocation du pass est un lment essentiel de la Construction de son tre collectif. Mais il y a toujours le risque - comme nous l'avons vu dans le rapport du sionisme et d'Isral aux Palestiniens - que le besoin de lgitimation de construction de l'iden- tit ne conduise une rcriture du pass qui dforme ou occulte les apports du savoir historique contrl35. Le rle des historiens est jus- tement le reprage de ces impostures. C'est ce que font les quelques nouveaux historiens israliens afin de corriger, voire de dmentir, la mmoire collective isralienne qui se referme sur ses propres repr- sentations et sur ses propres souffrances au point de se rendre sourde

    M Paul Ricoeur, La Mmoire , l'Histoire , l'Oubli , Paris, Le Seuil, 2000. Cfr. ROGER Chartier, Le pass au prsent , in Le Dbat, n 122, nov.-dc.

    2002, p. 5.

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    et aveugle aux souffrances de l'autre communaut, savoir la com- munaut palestinienne. Or l'interrogation de Paul Ricoeur est essen- tielle: Que serait la mmoire heureuse qui ne serait pas aussi une mmoire quitable? 36.

    Dans le cas d'Isral en particulier, une mmoire quitable est essentielle pour faciliter la rconciliation et prparer l'avenir. Car nous nous trouvons, d'un ct, face une forte mmoire lgitime et comprhensible de la Shoah avec une hypertrophie d'instruments de mmoire: muses, monuments, bibliothques et archives, etc. Et, de l'autre ct, une sous-mmoire de la Nakba , c'est dire une mini- misation et une occultation de la souffrance palestinienne.

    En d'autres termes, on a l'impression que le rcit historique sur la Shoah s'tait construit partir de la mmoire, mais que l'histoire officielle isralienne du sionisme rel en Palestine s'tait construite contre la mmoire palestinienne.

    Comme si l'identit isralienne pour se construire avait besoin d'une non-identit autre. C'est ici que les notions de fidlit la m- moire entre en collusion avec la vrit de l'histoire. On comprend ds lors l'irritation de Paul Ricoeur contre les dtournements du devoir de mmoire trop volontiers convoqu pour court-circuiter le travail de l'histoire, ce qui conduit Pierre Nora faire cette rflexion magni- fique: la contamination commmorative est alle jusqu' faire fleurir une histoire hypercommmorative et prolifrer une race d'historiens improviss qui se mettent hroquement au service d'une mmoire pu- rement militante 37 . Il suffit de lire cet gard les livres des mmoires de Begin, Shamir, Peres, Rabin, et Sharon, pour ne citer que ceux-l, pour se rendre compte de la distance entre le fait historique avr et l'vnement rel remmor.

    Il a fallu une grande distance temporelle entre l'historien isra- lien et son objet, pour qu'une nouvelle histoire soit entame. S'est-on demand pourquoi il a fallu attendre des annes '80 pour que surgis- sent les nouveaux historiens israliens? Fallait-il attendre qu'Isral soit sr de sa force et hors de toute menace existentielle? Ou qu'Isral ouvre ses archives? Ou que l'importance de la matrice mmorielle di- minue? Ou que des historiens, eux-mmes, se sentent mal l'aise avec une histoire qui n'tait qu'un simple habillage de la mmoire. Ou qu' l'approche d'une solution qui se profilerait l'horizon, appa- raisse le souci de raliser un travail sur la mmoire, mme s'il faut al- ler contre la mmoire.

    :

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    Cette volution, positive mais limite, de la recherche historique prouve l'vidence ce qu'on peut appeler la pluralit des mmoires en Isral-Palestine. La mmoire isralienne sur les vnements qui ont prcd et suivi la cration d'Isral est entre en collusion avec la m- moire palestinienne. Il y a donc une complicit intrinsque des m- moires qui ne pourrait s'estomper que par le travail de l'histoire et par le souci des uns et des autres de se librer de la hantise du pass pour faire de la place au futur. Mais comment les Palestiniens, vic- times de la gopolitique, et dont le malheur s'tale toujours dans les camps de l'exil et dans leurs espaces occups et meurtris, peuvent-ils oublier un pass qui est toujours prsent dans des vnements dont la puissance traumatique ne relve pas du souvenir mais du vcu quoti- dien? Par le rtablissement de la vrit historique, par la reconnais- sance des souffrances qui leur ont t infliges et une volont relle de la part des 'vainqueurs' de rparer les torts causs.

    2. Une commission de Vrit - Rconciliation (le modle sudafri - cain) Aujourd'hui, une telle commission est difficilement envisageable

    dans le contexte actuel isralo-palestinien: le conflit est en cours, plus virulent que jamais. Les esprits ne sont pas rassrns pour accepter le verdict des vrais historiens. Et les curs ne sont pas apaiss pour s'engager sur la voie de la rconciliation. Le modle sud-africain convient parfaitement au 'jour aprs' dans un contexte post-conflic- tuel. Mais Palestiniens et Israliens se retrouveront tt ou tard autour de la table des ngociations. La communaut internationale rclame une 'solution' car le maintien de cet abcs de fixation dans une zone aussi sismique non seulement ne se justifie plus mais devient de plus en plus dangereux pour la stabilit de la rgion et du monde. Une so- lution sera peut-tre trouve, refltant le rapport de forces rel ou peru des principaux protagonistes. Des signatures pourraient tre apposes au bas de documents officiels signs par des responsables is- raliens et palestiniens et contresigns par des parrains et tmoins ex- trieurs.

    Tout ceci est du domaine du possible. Mais une chose demeure: pour faire le deuil du pass et fonder la rconciliation sur des bases solides comme en Afrique du Sud, il faut une commission Vrit et Rconciliation pour aider au travail du souvenir (la mmoire) et son dpassement (le pardon).

    Rappelons d'abord ce qu'a t la commission Vrit et Rconci- liation en Afrique du Sud (1996-1998) 3H. La commission sud-africai-

    39 Plus de dtails in BOGUMIL JEWIEWICKI, De la vrit de mmoire la rconci- liation , ivi , pp. 63-77.

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    ne Vrit et Rconciliation a commenc ses travaux en 1996, aprs d'intenses ngociations entre les ennemis d'hier: le parti national (NP) et le Congrs National Africain (ANP). Il s'agit de faire la lumire sur la mmoire de V apartheid partir des rcits d'expriences vcues par ses acteurs et ses victimes. Les audiences, qui ont dur jusque 1998, permettaient travers les souvenirs raconts, d'assister, voire de participer l'instar d'une messe..., au mystre du surgissement de l'absent 39.

    Le rapport de la commission 40 , dpos le 29 octobre 1998, devait refermer le livre du pass sur la vrit enfin rvle tous: restitu- tion de la voix des victimes, invalidation de l'excuse morale "Je ne le savais pas"41. Et tout cela pour aider au pardon, mais sans jamais oublier.

    La commission cherchait-elle s'instituer comme une cour de justice, en fonctionnant comme un confessionnal? C'est une ques- tion qui a toujours intrigu des spcialistes qui ont cart l'ide d'une cour de justice tout en affirmant que la rconciliation en Afrique du Sud devait passer par la ncessit imprieuse de faire entendre la v- rit propos de V apartheid pour gurir les effets des traumatismes qu'il a caus, et surtout pour clore une page sombre de l'histoire et inventer une nouvelle modalit d'un vivre-ensemble dans un pays habitu au vivre-spar.

    La leon qu'Israliens et Palestiniens peuvent puiser dans cette exprience magistrale de rconciliation sud-africaine c'est qu'il sera vain de chercher fermer le pass avant de l'avoir ouvert tous, car la bataille du futur se livre sur le terrain du pass. C'est le sens de la rflexion de l'archevque Tutu dans la prface du rapport: Il est dans l'intrt du futur de venir bout, comme il faut, du pass42.

    La faille de la ngociation isralo-palestinienne est que celle-ci se fonde essentiellement sur un rapport de force, fait table rase de la p- riode dterminante du dbut du sionisme la guerre de 1967 en pas- sant par la cration d'Isral en 1948. Le fait que les ngociations por- tent sur les effets de la guerre de 1967 (occupation et colonisation) permet aux Israliens de faire avaliser par les Palestiniens la dilata- tion illgale du territoire d'Isral de 1948 1967, et de faire croire que le pass est 'rvolu', et donc, ne doit pas 'polluer' la ngociation.

    Plus que les questions pineuses et sensibles du partage de souve- rainet Jrusalem ou de l'illgalit des colonies juives dans les terri-

    39 Idem , p. 64. 40 Truth and Reconciliation Commission of South Africa Report , Le Cap, 1998, 5 volumes. 41 JEWIEWICKI, Op. cit., p. 64. 42 Idem , p. 68.

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    toires palestiniens, c'est le refus des Israliens de reconnatre leur pleine responsabilit dans la tragdie des rfugis palestiniens, avec tout ce que cette reconnaissance implique, qui a fait capoter les ngo- ciations de Camp David en juillet 2000.

    Pour les Palestiniens cette reconnaissance est primordiale non seulement pour sa valeur thrapeutique (effet de gurison), mais pour sa valeur restauratrice (redressement des torts subis), et libratrice (libration de l'histoire des filets de la mmoire slective et instru- mentale).

    C'est aprs cette reconnaissance et non avant qu'un dirigeant pa- lestinien pourra dclarer clos le conflit et s'adresser aux Israliens dans ces termes: Ce que mon peuple a souffert du fait du sionisme et de l'tablissement d'Isral sur notre terre, nous ne l'oublierons ja- mais, mais nous vous pardonnons, et je vous invite btir avec nous un avenir solidaire. Reconnaissance des torts causs, rconciliation, rparation, pardon telle est donc la nouvelle utopie, la seule capable de nous extraire de la plus terrible des impasses: celle de l'injustice.

    Conclusion gnrale Le conflit isralo-arabe structure le rapport problmatique entre

    les Arabes et l'Occident, ne ft ce que par cette espce de 'sacralisa- tion' de l'Etat d'Isral en Occident et le traitement singulier rserv l'Etat juif. Ce n'est pas un hasard si dans l'imaginaire collectif arabe la cration d'Isral sur la terre palestinienne - qualifie par le dis- cours officiel isralien de guerre d'indpendance - a t perue, par les Palestiniens et les Arabes, comme une nouvelle croisade.

    La persistance du conflit depuis au moins 1948 a amen les pro- tagonistes construire une lgitimit en niant radicalement celle de l'adversaire. La proposition centrale de ce texte est que les peuples palestinien et isralien, aujourd'hui enferms dans le cycle infernal de la violence, doivent inventer un autre chemin mancipateur pour sor- tir de l'impasse. Cela ne sera possible que par une subversion de la logique qui a trop longtemps structur leurs rapports: la logique de puissance. Isral, parce qu'il a t le vainqueur de la gopolitique, doit faire preuve d'une grande audace pour sortir de cette histoire of- ficielle des reprsentations idalises et intgrer l'histoire de l'autre: celle des Palestiniens. S'il ne le fait pas, alors la paix venir s'appa- rentera un mirage de paix.

    Quant aux Palestiniens, accabls par l'histoire et sans doute par la gographie, ils ne peuvent plus se battre avec des clichs (Isral disparatra comme le Royaume latin des Croisades). Les mythes mobi- lisent mais ils peuvent immobiliser la pense et entraver le discours innovant et pertinent. Il me semble qu'est venue l'heure d'un travail d'veil d'une conscience critique et plus informe sur les vrais enjeux et les vrais choix. Cet veil passe par un travail sur soi, pour domes-

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    tiquer le pass et inventer le futur. Les morts doivent laisser la place aux vivants. Tout cela ncessite une autre dmarche morale, une autre relation la mmoire, un autre regard sur l'adversaire et, sans doute, des dirigeants capables de transformer une cause juste en une vidence.

    Le conflit isralo-palestinien oppose deux peuples la mmoire longue, revendiquant, chacun sa manire, une sorte de monopolisa- tion victimaire. Il faut briser ces attitudes striles. Si les Israliens doivent absolument reconnatre la tragdie palestinienne que repr- sente la Nakba , il est tout aussi vident que les Palestiniens n'ont au- cun intrt un commerce avec le ngationnisme. La Shoah a t une tragdie singulire et, comme l'affirme mon compatriote Edward Sad avec une rare lucidit, [...] il ne peut y avoir le moindre doute que la mmoire collective de la tragdie et le fardeau de peur dont elle ac- cable aujourd'hui tous les Juifs ne doivent tre minimiss [...]. Et d'ajouter que si le lien doit tre fait entre ce qui est advenu aux Juifs durant la seconde guerre mondiale et la catastrophe (Nakba) que vit le peuple palestinien [...] Ni l'un (l'holocauste) ni l'autre (la Nakba) ne sont quivalents; mais ni l'un ni l'autre n'excusent l'ac- tuelle violence; et ni l'un ni l'autre ne doivent tre minimiss [...]43.

    Reconnatre la souffrance de l'autre, les peurs qui le tenaillent c'est une condition essentielle de la rencontre logique, la seule suscep- tible de remettre en question l'usage instrumental de l'histoire, convo- que trop commodment, moins pour Ure le pass que pour conforter le prsent. Le conflit isralo-palestinien a trop dur. Des gnrations de Palestiniens ont t sacrifies. De vengeance en reprsailles, la si- tuation pourrit lentement, rode la confiance, radicalise les esprits, durcit les curs. Il est donc grand temps pour les Israliens et les Pa- lestiniens de sortir de cette cologie de la souffrance et de la haine qui obstrue les sentiers du futur. Certes il est commode d'adopter la pos- ture de la victime, lgitimant par les preuves subies par le pass un droit prioritaire la compassion ou la dsignation d'un ennemi hr- ditaire, constamment stigmatis. Cette attitude ne mne nulle part car elle se fonde sur des mmoires victimaires incompatibles qui, en sa- cralisant les enjeux, bloquent la solution du conflit.

    Le travail de mmoire44, auquel on appelle ici, ne signifie pas la ngation du pass, qui, pour les Palestiniens a signifi de-existence

    4:1 EDWARD SAD, La Shoah , les Juifs et les Arabes , in Jeune Afrique, n. 1928, 1929, 16 dc. 1997, 5 janv. 1998. 44 Cfr. les travaux de ma collgue VALRIE ROSOUX, Piges et ressources de la mmoire des Balkans , Louvain-la-Neuve, IEE, doc. N 28, novembre 2002 et sur- tout son livre remarquable: Les usages de la mmoire dans les relations interna- tionales, Bruxelles, Bruylant, 2001.

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    nationale, fragmentation sociale et souffrances infinies, et qui, du res- te, se prolonge dans le prsent, mais sa neutralisation et son dpasse- ment de manire ngocier une issue raisonnable un conflit qui ne peut se rsoudre par la formule explosive eux ou nous. Porter le re- gard sur le futur ne doit pas signifier ignorer la souffrance de l'autre ou sa propre souffrance, mais de ne plus recourir la martyhologie comme instrument de marchandage politique. La souffrance ne donne pas un droit, en tout cas pas celui d'infliger une autre souffrance, et cela vaut pour les Israliens comme pour les Palestiniens. En re- vanche l'injustice donne un droit: d'abord celui d'tre rpare. C'est pour cela que la Nakba de 1948, c'est dire l'expulsion des deux tiers des Palestiniens de leur terre natale, va demeurer la pierre d'achoppement de toute ngociation qui l'ignore. Mais un droit n'est pas une obligation. Une fois reconnue la pleine (et non partielle) res- ponsabilit des Israliens dans l'viction des Palestiniens de leur ter- re, il appartiendra aux reprsentants lgitimes du peuple palestinien, et de ceux mandats par les rfugis pour parler en leur nom, de n- gocier les modalits concrtes d'exercice du droit de retour. C'est bien l'enjeu de la ngociation politique, qui doit dboucher non seulement sur la fin de l'occupation mais aussi sur la fin de l'exil. S'chiner, comme le font David Crossman, Amos Os, et la quasi totalit des in- tellectuels israliens, dcrire le retour des rfugis comme la fin de l'Etat juif, suscite des crispations inutiles qui rendent encore plus difficile la prise en charge de la mmoire quitable.

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    Article Contentsp. 535p. 536p. 537p. 538p. 539p. 540p. 541p. 542p. 543p. 544p. 545p. 546p. 547p. 548p. 549p. 550p. 551p. 552p. 553p. 554p. 555p. 556p. 557p. 558p. 559

    Issue Table of ContentsRivista di Studi Politici Internazionali, Vol. 73, No. 4 (292) (Ottobre-Dicembre 2006) pp. 485-640Front MatterAbstracts - Rsums [pp. 487-491][Autori] [pp. 492-492]Lo status quo nel Vicino Oriente non pi sopportabile [pp. 493-498]Internazionalizzare per corresponsabilizzare [pp. 499-516]Les conditions d'une vritable paix isralo-arabe [pp. 517-534]Nakba, Naksa, Nahda: mmoire et histoire de la Palestine 1904-2006 [pp. 535-559]Stato e religioni nella Francia separatista e nell'Italia concordataria: Verso un modello europeo di laicit? [pp. 560-567]'Penser l'Europe' e 'Faire l'Europe'. I valori fondamentali europei e la complementariet CdE-UE nel centenario di Denis de Rougemont [pp. 568-591]Profili di uomini politiciLa storia diplomatica europea della prima met del Novecento, vista da Parigi [pp. 592-595][Documenti iconografici] [pp. 596-607]

    Note e rassegneTerrore e terrorismo internazionale. Breve excursus storico e tentativo di definire l'attualit [pp. 608-619]

    Recensioni e segnalazioniReview: untitled [pp. 620-621]Review: untitled [pp. 621-622]Review: untitled [pp. 622-623]Review: untitled [pp. 623-624]Review: untitled [pp. 624-624]Review: untitled [pp. 624-625]Review: untitled [pp. 625-627]Review: untitled [pp. 627-628]Review: untitled [pp. 628-629]Review: untitled [pp. 629-631]Review: untitled [pp. 631-632]

    Libri ricevuti [pp. 633-635]INDICE DEL VOLUME: Anno LXXIII: 2006 [pp. 636-640]Back Matter