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u P. 6 LE DOSSIER MIGRATIONS AU-DELÀ DU FANTASME P. 36 PRODUCTION DE TERRITOIRES LA VILLE NÉOLIBÉRALE, MODE D’EMPLOI Par Max Rousseau P. 32 MARX ÉCOLOGISTE Par Baptiste Eychart P. 5 CIMETIÈRES MODERNES de Nyaba Léon Ouedraogo N°17 MAI 2012 REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF COMMUNISME EN QUESTION REGARD

N°17 MAI P. 5 REGARD EN QUESTION P. COMMUNISME P. …projet.pcf.fr/sites/default/files/rdp-17-web.pdf · 2012. 5. 14. · u P. 6 LE DOSSIER MIGRATIONS AU-DELÀ DU FANTASME P. 36

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  • u P.6 LE DOSSIER

    MIGRATIONSAU-DELÀ DU FANTASME

    P.36 PRODUCTION DE TERRITOIRESLA VILLE NÉOLIBÉRALE,MODE D’EMPLOIPar Max Rousseau

    P.32 MARX ÉCOLOGISTEPar Baptiste Eychart

    P.5 CIMETIÈRES MODERNESde Nyaba Léon Ouedraogo

    N°17MAI2012

    REVUEPOLITIQUEMENSUELLE

    DU PCF

    COMMUNISME EN QUESTIONREGARD

    RdP-17-V8:Mise en page 1 03/05/12 09:55 Page1

  • LA REVUE DU PROJET - MARS 2012

    2 SOMMAIRE2

    APPEL À CONTRIBUTIONS

    Nous disposons d'une édition La Revue du Projet publiée et recommandée parla rédaction de Mediapart. Nous vous invitons à participer à cette collaborationen réagissant, en commentant et en diffusant largement les contributions quenous mettons en ligne. http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet

    Note : Pour tout commentaire concernant cette édition, vous pouvez nous contacter à l'adressesuivante : [email protected]

    Parce que prendre conscience d'un problème, c’estdéjà un premier pas vers sa résolution, nouspublions, chaque mois, un diagramme indiquant lepourcentage d'hommes et de femmes s’exprimantdans la revue.

    Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro.

    4 FORUM DESLECTEURS/LECTRICES

    5 REGARDNyaba Leon Ouedraogo Cimetières modernes

    6 u21 LE DOSSIERMIGRATIONS,AU-DELÀ DU FANTASMEGuillaume Quashie-Vauclin Une clef del’avenir : gagner la bataille de l’hégémonieculturelle en matière migratoireCatherine de Wenden Panorama des fluxmigratoires dans le mondeMichaël Orand Combien d’immigrés enFrance ?Isabelle Lorand Construire le vivre ensemble,une urgence politique Jean Magniadas L’évolution des politiquesmigratoires en FrancePierre Barron, Anne Bory et al. Les travailleurssans-papiers, de la précarité à la grèveMaryse Tripier, Andrea Rea 1968-2008l’immigré au travail, une figure de plus enplus hétérogèneÉliane Assassi La citoyenneté de résidence,une exigenceGuy Michelat, Michel Simon L’hostilité auximmigrés en recul

    Alain Hayot Répondre aux thèses du FNHugo Pompougnac Au cœur desproblématiques migratoires : le partage dessavoirsGazmend Kapllani Petit journal de bord desfrontières- Extraits du programme du Front de gauche

    22 COMBAT D’IDÉESGérard Streiff Classe moyenne, mot creux etréalité innommée

    24 SONDAGESEurope : une image dégradée

    25 BULLETIN D’ABONNEMENT26 NOTESRévolution Numérique ACTA, l'arme atomiquede la rente informationnelle mondiale

    28 REVUE DES MÉDIAAlain Vermeersch L’austérité qui vient

    30 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon• Guy Michelat, Michel Simon, Le Peuple, lacrise et la politique

    • Mathieu Leonard, L’émancipation destravailleurs, une histoire de la PremièreInternationale,

    • Groupe de recherche pour ladémocratisation scolaire (GRDS), L’écolecommune. Propositions pour une refondationdu système éducatif,

    • Jean Salem, « Élections, piège à cons »,Que reste-t-il de la démocratie  ?

    32 COMMUNISME EN QUESTIONBaptiste Eychart Marx écologiste

    34 HISTOIREPaula Cossart L’invention des meetings-démonstrations de force

    36 PRODUCTION DE TERRITOIRESMax Rousseau La ville néolibérale, moded’emploi

    38 SCIENCESJean-Pierre Kahane La place de la sciencedans la société

    40 CONTACTS / RESPONSABLESDES SECTEURS

    HommesFemmes

    « BEAUCOUP METTENT DE L’ÉNERGIE À RÉSISTER, IL EN FAUT TOUT AUTANTQUI SE MÊLENT DU DÉBAT POLITIQUE ! »Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, a invité ainsi l’ensemble des forces sociales, syndicales, associatives, à investir le débat d'idées et à participer à la construction d'une véritable alternative politique à gauche.Nous voulons nous appuyer sur l'expertise professionnelle, citoyenne et sociale de chacune et chacun, en mettant à contribu-tion toutes les intelligences et les compétences. La Revue du projet est un outil au service de cette ambition.Vous souhaitez apporter votre contribution ? Vous avez des idées, des suggestions, des critiques ? Vous voulez participer à ungroupe de travail en partageant votre savoir et vos capacités avec d'autres ?

    LAISSEZ-NOUS VOS COORDONNÉES, NOUS PRENDRONS CONTACT AVEC VOUS.

    Nom : ........................................................................................... Prénom : ..................................................................................................

    Adresse postale : .............................................................................................................................................................................................

    Portable ........................................................................................ Adresse électronique :...........................................................................

    Profession ........................................................................................................................................................................................................

    Centre d'intérêt ou compétences : ..............................................................................................................................................................

    Contactez-nous à l'adresse suivante : [email protected]

    RdP-17-V8:Mise en page 1 03/05/12 09:55 Page2

  • 3

    MARS 2012 - LA REVUE DU PROJET

    3

    PATRICE BESSAC, RESPONSABLE DU PROJET

    ÉDITO

    IDENTITÉ NATIONALEQue les bonnes âmes hurlent oupas ne changera rien à l’affaire.Les problématiques dites iden-titaires travaillent profondément

    notre grand corps malade, la France,

    et notre vieux continent.

    Quel méchant mot que celui d’iden-

    tité ! Quel méchant mot que celui-

    ci qui sonne comme une insulte aux

    oreilles de celles et ceux qui ont fait

    profession d’être mouvement, deve-

    nir, voyage, liberté sans autre attache

    que leur volonté propre !

    Et pourtant... plus les forces du mar-

    ché dissolvent la culture, les valeurs,

    le sacré d’ici ou de là-bas, plus elles

    répandent le lisier inodorant de leur

    idéologie individualiste et plus le

    méchant réel remonte, tourbe

    mélangée, protéiforme, régressive

    et progressiste, Janus électoral.

    Nous pouvons crier tout à la fois à

    la victoire, à la réussite, au danger

    fasciste, à je ne sais quoi d’autre. Le

    réel vivant est toujours là après les

    cris. Et par des formes diverses notre

    communauté nationale exprime son

    vouloir-vivre collectif, sa volonté de

    souveraineté, sa volonté de vivre-

    ensemble, expression qui n’est que

    qu’un synonyme émasculé de la

    nation.

    En régime économique libéral, la

    liberté n’est que la contraction de la

    liberté de consommer et de se ven-

    dre. C’est dans la solitude face à la

    précarité ou à la marchandise qu’est

    forgée notre liberté présente. Nous

    sommes libres de voyager de capi-

    tale mondialisée en capitale mon-

    dialisée, libres de voyager dans des

    espaces qui, culturellement, sont

    ceux du libéralisme économique.

    Ce cycle est désormais consommé.

    Que nous éprouvions de la peur ou

    du chagrin ne changera rien. Pour

    mal paraphraser Régis Debray, ayant

    éprouvé que la soi-disant dispari-

    tion des frontières conduisait au

    redoublement dans l’ordre libéral

    des guerres de frontières, de l’enfer-

    mement individuel, de la résurgence

    des chauvinismes. Alors, il faut se

    rendre à l’évidence que la vie collec-

    tive n’est pas juste le résultat de l’ad-

    dition des comportements des

    acteurs individuels, elle est en pro-

    pre une question politique.

    C’est la fin des terroristes du mou-

    vement qui à l’évocation du mot

    identité sortaient leurs fusils à bien-

    pensance. Oui, notre vie collective

    est politique, c’est-à-dire à la fois

    bien sûr produit de la société et pro-

    duit de la sphère relativement auto-

    nome des formes de délibérations

    collectives.

    Faut-il s’en réjouir ? Bien sûr, et plu-

    tôt deux fois qu’une. C’est la culture

    qui est de retour ! C’est les valeurs !

    C’est la capacité de la politique de

    s’incarner dans des choix de société

    et non plus simplement dans la

    bonne gestion des paramètres éco-

    nomiques.

    Pour le pays qui se flatte d’avoir

    inventé laïcité et République,

    Lumières et Révolution française,

    quelle bonne nouvelle que ce retour

    du devenir humain sur la place

    publique.

    Mais j’en conviens, cette bonne nou-

    velle est un optimisme de la volonté

    et après son annonce, que de viles

    questions nous aurons à traiter :

    industrie, travail, souveraineté, ques-

    tion nationale, rôle de l’école de la

    République, articulation avec les

    questions européennes et mon-

    diales... Que de vilaines remises en

    cause sont à prévoir pour les idéo-

    logues de l’instant présent, des libé-

    raux-libertaires tapis au fond des

    draps chauds de leur loft si bien

    aménagé...

    Dommage pour eux. Les inactuels

    sont de retour. n

    RdP-17-V8:Mise en page 1 03/05/12 09:55 Page3

  • LA REVUE DU PROJET - AVRIL 2012

    44

    FORUM DES LECTEURSÉcrivez-nous

    [email protected]

    Fédérations, sections, élus, camarades, la Revue est àvous : l’abonnement vous attend ! Vous souhaitez organiser un débat autour d’une thème

    abordé par la Revue ? Vous souhaitez monter une initia-

    tive militante autour de ce nouvel outil qu’est la Revue ?

    Nous sommes à votre disposition. Contactez-nous :

    [email protected]

    L’ÉQUIPE DE LA REVUE

    La Revue du Projet vous propose de découvrir le blog de l'exposition « Peoples of Europe, rise up! ». Pendantun peu plus d'un mois la galerie La petite poule noire a accroché chaque jour une nouvelle photographiedonnant à voir et apprécier une autre vision de la crise grecque. C'est à travers son quotidien meurtri, sesrésistances et mobilisations citoyennes que ce peuple est saisi. Bien loin des clichés culpabilisants ou naïfsvéhiculés à son sujet par une certaine Europe... Une séance de rattrapage à ne pas manquer !Photographies de Stefania Mizara et Achilleas Zavallis Lien : http://peoples-of-europe-rise-up.tumblr.com/

    NICOLAS DUTENT

    Un plaisir de recevoir LaRevue du Projet sous sanouvelle forme. Belle impres-sion qui en facilite la lecture,met en valeur illustrations etmise en page. J’espère quenous serons nombreux à sou-tenir cette belle initiative...

    B. P.

    La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac - Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - secrétariat derédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Amar Bellal, Renaud Boissac, Anne Bourvic, Nicolas Dutent, Corinne Luxembourg, MarineRoussillon, Alain Vermeersch - Direction artistique : Frédo Coyère. Mise en page : Sébastien Thomassey - Édité par l’association Paul-Langevin 6, ave-nue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19 - Imprimerie : Public Imprim 12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Venissieux Cedex - Dépôt légal : mai2012 - N°17 - numéro de commission paritaire en cours d'attribution.

    RdP-17-V8:Mise en page 1 03/05/12 09:55 Page4

  • Athlète burkinabé passé du sport à la chambre noire,

    ce photographe atypique nous décrit, empruntant la

    voie d’un récit abrupt dont la cohérence est maîtrisée,

    le caractère résolument auto-destructeur de l’écono-

    mie de survie qui menace et détruit le continent afri-

    cain. Enfer qui n’est pas isolé et tend à globaliser ses

    effets partout où la pauvreté et l’isolement écono-

    mique et sociale sévissent dans le monde. Chaque

    enfer est particulier et celui-ci ne manque malheureu-

    sement pas d’arguments pour interpeller le visiteur.

    Du Ghana au Burkina Fasso, nous rencontrons plu-

    sieurs générations d’extracteurs de pierre, de collec-

    teurs de déchets... qui abîment leurs corps, défigurent

    leur patrimoine naturel. Agonie collective dont le bon

    sens ne peut cependant se convaincre ni croire qu’elle

    soit inéluctable.

    Reste que tout ici réanime le spectacle impitoyable

    d’une Afrique acculée qui, prise dans de violentes

    contradictions et jetée dans l’oubli ou l’impuissance,

    sacrifie ses enfants et ses paysages sur l’autel de la

    mondialisation.

    Chacun, privé de toute autre perspective d’avenir, use

    de l’infime et bricole ainsi dans un coin de quoi l’éloi-

    gner un fragile instant de la famine.

    Décharges figeant l’horizon tout en rognant sur les

    terres cultivables, régions dépeuplées sous les effets

    d’une agriculture en perte de vitesse, cimetières d’or-

    dinateurs et de pneus rejetant d’abondants et mena-

    çants nuages de fumées toxiques... c’est au milieu de

    ce décor macabre que des milliers d’hommes et de

    femmes s’amassent chaque jour pour transformer,

    récupérer, extraire une matière (plastique, caoutchouc,

    PVC, cuivre, granit...) dominée au prix de conséquences

    irréversibles.

    Le travail aliénant trouve là son expression culminante.

    Symbole et véhicule d’un danger sanitaire omnipré-

    sent, de ravages environnementaux, d’abrutissement

    à la tâche et d’extrême pénibilité... le travail juxtapose

    les contraintes et les négations de soi et de son milieu.

    Il ruine l’âme, asservit et instaure le règne de la néces-

    sité au lieu de nous en écarter...

    NICOLAS DUTENT

    AVRIL 2012 - LA REVUE DU PROJET

    REGARD

    55

    « La galerie particulière* » vous invite du 26 avril au 28 mai à découvrir deux sériesde Nyaba Leon Ouedraogo L’Enfer du cuivre & Casseurs de Granit.

    CIMETIÈRES MODERNES

    © Nyaba Leon Ouedraogo Courtesy La galerie particulière - 2010

    * 16, rue du Perche, 75003 Paris.

    RdP-17-V8:Mise en page 1 03/05/12 09:55 Page5

  • V ingt-deux avril 2012. Place Stalingradcomme ailleurs : surprise, stupeur,consternation. Le Front national estannoncé à 20% – en réalité 17,90%.Comment expliquer que, par millions,nous n’ayons rien vu venir ? Pollués parles obsédantes sécrétions sondagières,n’avons-nous pas tout simplement oubliéla réalité et cessé de penser ?Oui, le Front national – et l’extrême droiteplus largement – est une réalité structu-relle lourde dans notre pays. Voilà bienlongtemps qu’il a quitté les rivages des190 000 électeurs (1974) pour ne jamaisdescendre sous la barre des 4,3 millionsdepuis près de trente ans : 4,38 millionsdès 1988 ; 4,57 en 1995 ; 5,47 en 2002 (avecMégret) ; 4,65 en 2007 (avec Villiers). Etl’extrême droite – déjà sous-évaluée en2007 du fait d’un puissant vote utileSarkozy à la droite de la droite – aurait dûreculer après cinq ans de discours etd’actes presque inouïs signés Sarkozy,Guéant, Besson und andere ! Eh bien non,le réel et ses 6 421 426 voix a rattrapé nosdivagations idéalistes…Ne forçons pas le trait : nous avons, et bienseuls, mené l’offensive contre le FN. À sontour, la Revue du projet entend prendre sapart de l’impérieux combat avec le pré-sent numéro – dont on se permettra d’in-diquer qu’il a été pensé bien en amont del’indigeste 17,9%.Extrême droite et migrations : le lien esten effet crucial. C’est bien une manière devoir le monde où la frontière du « eux » etdu « nous » passe entre les cartes d’iden-tité – voire entre les couleurs de peau qu’onleur associe – plutôt qu’entre les classessociales qui entraîne vers les rives du FN.Les sociologues Guy Michelat et MichelSimon dans cet ouvrage décidémentincontournable (Le Peuple, la crise et lapolitique, 2012), le montrent très nette-ment : « Tout se passe comme si les diffi-cultés vécues et le sentiment de révolte

    qu’elles suscitent n’entraînent un fortniveau de sympathie pour le FN qu’à lacondition d’être imputées à l’omnipré-sence d’immigrés qui "nous" coûtent,prennent "nos emplois" […], à qui "nos"politiques donnent tout et permettent toutalors "qu’on" ne fait rien pour "nous". » Si c’est cette fixation sur la question immi-grée qui emmène vers le FN, c’est donc làqu’il faut résolument porter le fer. D’autantqu’elle est comme l’œil apotropaïque à laproue de l’antique paquebot du Capital :elle détourne le fatal danger. Elle interditune mobilisation ambitieuse et majori-taire, fruit de la claire identification de l’en-nemi véritable ; elle chauffe les eaux d’unehaine désorientée, freinant toute action-iceberg susceptible de couler les arrogantsTitanic de notre temps. Oui, c’est là qu’il faut porter le fer avecardeur et urgence car ce travail décisif serade longue haleine. Certes, la situations’améliore dans les têtes par rapport à l’en-fer des années 1990 (cf. bis Michelat etSimon). Elle n’en demeure pas moins trèspréoccupante : ce sont encore 48% desFrançais qui pensent qu’il y a trop d’im-migrés dans notre pays… Dans le même temps, « l’ethnicisation »(Jean-Loup Amselle) de la société avancedangereusement : voyez ces questionsrécurrentes dès qu’on a un peu plus demélanine que Brice Hortefeux « Vous venezd’où ? » ou, mieux encore, l’impayable« Vous avez des origines ? » ; voyez les coursd’école où le « Cé-Fran » est l’écolier auteint clair. Le grand historien ErnestLabrousse disait que les mentalités retar-dent toujours sur le réel. Quel retard ! Notreimage mentale du Français semble blo-quée au Cantal médiéval… Non, unFrançais, à présent et pour toujours, peutêtre de n’importe quelle couleur : il va bienfalloir l’intégrer !Communistes, nous avons bien sûr à êtreclairs et combatifs sur ce chapitre.

    Assurément, nous le sommes infinimentplus que les douteux Valls ou Boutih…Mais, puisque la Revue du projet tâched’être un caillou dans tous les chaussonsfunestes de l’assoupissement, grattonsun peu.Pourquoi n’avoir pas défendu clairementdans L’humain d’abord ! une citoyennetéde résidence dans la droite ligne de la tra-dition révolutionnaire depuis Chénier etRobespierre et s’être contenté d’un droitde vote aux élections locales pour les étran-gers ? Un étranger serait assez citoyen pourélire son maire mais pas assez pour élireson député quand la démocratie (voyezRousseau) consiste à obéir aux lois qu’ons’est soi-même données collectivement ?Bien sûr, les élections locales sont uneétape à l’importance décisive, fou quil’ignore ! Bien sûr, il nous faut toujoursscruter où en sont les habitants de notrepays pour produire un discours audible.Mais si nous estimons que les « gens nesont pas prêts » (est-ce si sûr ?), affrontonsla question conséquente : que faisons-nous pour qu’ils le deviennent ? Enfin,notre force ne tient-elle pas à la cohérencede nos propositions, socle de notre crédi-bilité ? Dans ce cadre, le suffrage réservéaux élections locales ne s’apparente-t-ilpas à un bricolage laissant trop voir le che-min à parcourir pour opposer au FN – etau-delà… – une conception solide (« Onvit ici, on bosse ici, on vote ici »), seule àmême de battre en brèche leur visionétroite de la citoyenneté ? Pour sûr, nous sommes bien armés pource combat : n’est-ce pas notre jeune partiqui, en 1924, présenta l’Algérien Abd elKader Hadj Ali manquant à vingt voix dele faire entrer à l’Assemblée ? Le nouveaupari communiste est toujours celui de l’au-dace. Notre pays en a bien besoin. n

    *Guillaume Quashie-Vauclin est responsableadjoint de la Revue du projet.

    LE DOSSIER

    6

    LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

    17,90% pour le Front national : la question migratoire fait son retour par lagrande porte, la porte à droite… Comprendre cette puissante crispation sur laquestion migratoire ; exposer les faits décidément têtus mais non moins igno-rés ; esquisser un projet de vivre-ensemble cohérent et progressiste : voilà ceque tâche de donner à voir le présent dossier, coordonné par Renaud Boissac.

    UNE CLÉ DE L’AVENIR : GAGNER LA BATAILLE DE L’HÉGÉMONIECULTURELLE EN MATIÈRE MIGRATOIRE

    Migrations, au-delà du fantasme

    ÉDITO

    RdP-17-V8:Mise en page 1 03/05/12 09:55 Page6

  • LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

    Migrations, au-delà du fantasme

    SUITE DE LA PAGE 7 >

    MICHAËL ORAND*

    Qu’est-ce qu’un immigré ? Uneréponse correcte à cette questioncomplexe doit faire intervenir deuxnotions proches, bien que différentes :le lieu de naissance et la nationalité. Ladéfinition adoptée par le Haut Conseil àl’Intégration définit ainsi un immigrécomme une personne vivant en France,née à l’étranger et de nationalité étran-gère à sa naissance.

    C’est donc sa trajectoire migratoire quicaractérise l’immigré, et non pas sa situa-tion administrative à un moment donné,dont on sait qu’elle peut varier fortementselon les contextes politiques et histo-riques. On trouvera ainsi parmi les immi-grés aussi bien des étrangers que des per-sonnes ayant acquis la nationalitéfrançaise.

    C’est bien l’articulation des deux critèresde lieu de naissance et de nationalité àla naissance qui permet un décomptesans erreur des immigrés. En effet, en sefondant uniquement sur le lieu de nais-sance, on pourrait par exemple gonflerartificiellement les chiffres en incluantles rapatriés des colonies françaises, enparticulier ceux d’Algérie, qui sont nés

    hors de France métropolitaine mais denationalité française à leur naissance.

    APRÈS UNE PÉRIODE DE STABILITÉ, UNEHAUSSE DE LA PROPORTION D’IMMIGRÉS En 2008, 5,3 millions d’immigrés vivaienten France, soit 8,4% de la populationtotale. La répartition des immigrés surle territoire est évidemment très inégale.Ils vivent la plupart du temps dans lesgrandes agglomérations, et en particu-lier dans l’agglomération parisienne :plus de 35% des immigrés vivent ainsien Île-de-France. La Seine-Saint-Denisest le département avec la plus forte pro-portion d’immigrés (27% des habitants)et la Charente celui avec la plus faibleproportion (moins de 2% des habitantssont immigrés).

    À l’exception de la période de la secondeguerre mondiale, la proportion d’immi-grés n’a cessé de croître en France aucours du XXe siècle (graphique 1). Demoins de 3% en 1911, elle est passée àprès de 7% en 1930, proportion équiva-lente à celle des années 1960. Entre 1975et 2000, le nombre d’immigrés augmentelégèrement, mais on observe une stabi-lisation de la proportion d’immigrés,autour de 7,5%. Les années 2000 mar-quent le retour à une croissance mar-quée du taux d’immigrés.

    Cette évolution de la population immi-grée en France peut cependant masquerles volumes des flux d’entrée et de sor-tie des immigrés. Ainsi, entre 1999 et2006, le nombre d’immigrés a crû de118 000 personnes par an environ, alorsque l’Insee estimait qu’en 2003 par exem-ple, 250 000 immigrés étaient entrés surle territoire français. Cela signifie que lenombre d’immigrés repartant de Francechaque année reste important, de l’or-dre de la moitié des entrants.

    Ces chiffres sont cependant à prendre aveccirconspection, les seules sources dispo-nibles pour mesurer les flux d’entrée étantles sources administratives (Office desmigrations internationales, Office fran-çais de protection des réfugiés et des apa-trides et Ministère de l’Intérieur).

    DES IMMIGRÉS QUI SONT DE PLUS ENPLUS DES IMMIGRÉESAlors que jusque dans les années 1980, lagrande majorité des immigrés étaient deshommes, on observe, depuis, une crois-sance importante de l’immigration fémi-nine (graphique 2). Entre 1970 et 1990 lenombre d’hommes immigrés en Francea stagné, voire légèrement diminué, alorsque le nombre de femmes immigrées n’acessé de croître, allant jusqu’à rattraperle nombre d’hommes en 1999.

    COMBIEN D’IMMIGRÉS EN FRANCE ?C’est l’articulation des deux critères de lieu de naissance et de nationalité à la naissance qui permetun décompte sans erreur des immigrés.

    8

    LE DOSSIER

    1%

    2%

    3%

    4%

    5%

    6%

    7%

    8%

    9%

    1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 0

    Champ  : France métropolitaineSource  : Recensements de la population, InseeLecture  : en 1911, 2,83% de la population vivant en France métropolitaine était immigrée

    PROPORTION D’IMMIGRÉS DANS LA POPULATION FRANÇAISE ENTRE 1911 ET 2008ANNÉE DE

    RECENSEMENT POP. TOTALE IMMIGRÉSPROPORTIOND'IMMIGRÉS

    1911 39  192  133 1  110  168 2,83%

    1921 38  797  540 1  429  102 3,68%

    1926 40  228  481 2  288  181 5,69%

    1931 41  228  466 2  729  270 6,62%

    1936 41  183  193 2  326  130 5,65%

    1946 39  848  182 1  985  871 4,98%

    1954 42  781  000 2  293  000 5,36%

    1962 46  455  800 2  861  280 6,16%

    1968 49  755  560 3  281  060 6,59%

    1975 52  599  430 3  887  460 7,39%

    1982 54  295  612 4  037  036 7,44%

    1990 56  651  955 4  165  952 7,35%

    1999 58  513  700 4  306  094 7,36%

    2006 63  186  000 5  137  000 8,13%

    2008 63  962  000 5  342  000 8,35%

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    > SUITEPAGE 10

    UNE MAJORITÉ D’IMMIGRÉS AFRICAINSParmi les immigrés vivant en France en2008, ce sont ceux originaires d’Afriquequi sont les plus nombreux, puisqu’ilsreprésentent près de la moitié de l’en-semble des immigrés. Les immigrésmaghrébins notamment sont fortementreprésentés : les immigrés originairesd’Algérie représentent ainsi le groupenational le plus nombreux, avec 13% del’ensemble des immigrés. Les immigrésoriginaires du Maroc les suivent de près,avec 12% de l’ensemble des immigrés,et enfin les immigrés tunisiens représen-tent 4% des immigrés. Au total, c’est doncprès d’un tiers des immigrés vivant enFrance qui sont originaires du Maghreb.La part des immigrés européens, mêmesi elle a décliné au cours de ces dernièresdécennies, reste cependant importante :près de 40% des immigrés vivant enFrance sont originaires d’un pays euro-péen. L’Italie, l’Espagne et le Portugal,pays d’immigration historique, repré-sentent la majorité de ces immigrés euro-péens. Les Portugais sont ainsi le troi-sième groupe national après les Algérienset les Marocains.

    Des données plus précises sur les trajec-toires migratoires des immigrés, comme

    UNE IMMIGRATION FAMILIALELes motifs de délivrance du premier titrede séjour des immigrés vivant en Franceen 2008 sont essentiellement des motifsfamiliaux : regroupement familial (28%des cas) et conjoint de Français (12% descas). Les immigrés arrivés en France entant qu’étudiants représentent quant àeux 16% des immigrés, soit autant queles immigrés arrivés en tant que travail-leurs. Enfin, les réfugiés représentent unpeu moins de 10% des immigrés. n

    *Michaël Orand est statisticien.

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    celles de l’enquête Trajectoires et Originesde l’Ined et de l’Insee, permettent decomprendre cette répartition en retra-çant l’histoire des différentes vaguesmigratoires. Les immigrés d’Europe duSud et d’Algérie sont arrivés en Franceplutôt avant 1974. Entre 1974 et 1980, cesont les immigrés d’Asie du Sud-Est quisont les plus nombreux, notamment avecle phénomène des boat-people. Enfin, àpartir des années 1980, on assiste à uneapparition de l’immigration africainehors Maghreb et de l’immigrationd’Europe de l’Est et du Nord.

    NOMBRE D’HOMMES ET DE FEMMES IMMIGRÉS EN FRANCE ENTRE 1911 ET 2008

    0

    500 000

    1 000 000

    1 500 000

    2 000 000

    2 500 000

    3 000 000

    1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010

    HOMMES

    FEMMES

    Champ  : France métropolitaineSource  : Recensements de la population, InseeLecture  : en 1911, 590 000 hommes immigrés et 520 000 femmes immigrées vivaienten France métropolitaine

    ANNÉE DE RECENSEMENT

    HOMMES FEMMES

    1911 589  733 520  435

    1921 818  752 610  350

    1926 1  335  476 952  705

    1931 1  634  521 1  094  749

    1936 1  306  932 1  019  198

    1946 1  083  000 902  871

    1954 1  292  000 1  001  000

    1962 1  606  300 1  254  980

    1968 1  841  280 1  439  780

    1975 2  186  830 1  700  630

    1982 2  178  816 1  858  220

    1990 2  168  271 1  997  681

    1999 2  166  318 2  139  776

    2006 2  619  870 2  517  130

    2008 2  724  420 2  617  580

    L'IMMIGRATION SERAIT UN COÛT POUR LE PAYS ?

    FAUX ! Une étude de chercheurs de l'Université de Lille, s'appuyant sur des chiffresofficiels, montre que l'immigration n'est pas un coût pour la France, bien au contraire.En 2009, les immigrés ont reçu de l’État 47,9 milliards d'euros (retraites, aides aulogement, RMI, allocations chômage et familiales, santé...).Sur la même période, ils ont reversé à l’État des sommes bien plus importantes :impôt sur le revenu 3,4 milliards d'euros ; impôt sur le patrimoine 3,3 milliards ;impôts et taxes à la consommation 18,4 milliards ; impôts locaux et autres 2,6 mil-liards ; CRDS et CSG 6,2 milliards ; cotisations sociales 26,4 milliards. Soit un totalde 60,3 milliards d'euros. On obtient un solde positif de 12,4 milliardspour l’État.

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    LE DOSSIER Migrations, au-delà du fantasmeSUITE DE

    LA PAGE 9 >

    ISABELLE LORAND*

    Les résultats du 22 avril confortent l’im-portance primordiale du combat antiraciste et pour le droit des migrants.Le score de l’héritière Le Pen indique com-bien le racisme est prégnant. Certes, sonélectorat n’est pas homogène. Certes, il ya l’expression d’un ras-le-bol et du malde vivre... Certes, c’est un vote de crise.Mais que l’on ne se raconte pas d’histoire,on ne met pas un bulletin Le Pen dansl’urne sans en connaître la connotationraciste. Un sondage réalisé en 2005, 1/3des français se déclaraient racistes. Dansle même sondage, 6/10 pensaient que cer-taines attitudes pouvaient justifier uneréaction raciste. Un sondage récurrentdepuis 1984 montre une progression régu-lière depuis 1997 d’adhésion aux idées duFN. Il montre également qu’aujourd’huiprès d’un sondé sur deux ne juge pas leFN dangereux.Quand Hitler prend le pouvoir en 1933,y a-t-il une majorité de nazis prêts à lasolution finale ? Évidemment non. Enrevanche, l’antisémitisme s’affiche bana-lement au quotidien. La relecture destravaux d’Hannah Arendt nous rappellecombien le fascisme devient majoritairequand il contamine Monsieur ouMadame Michu.

    La suprématie des blancs sur l’indigènea marqué l’histoire de l’humanité.Esclavagisme, génocide inca, colonialismeen sont de terribles illustrations. Au XIXe

    siècle, le racisme est théorisé et devientobjet politique. Comme tel, il est l’assi-milation d’un peuple à une race, avec samorphologie, ses pratiques, son histoire...niant ainsi le fait social. Les différences –parfois totalement construites – devien-nent des problèmes intrinsèques et indé-passables. Elles deviennent même le pro-blème au détriment de toute vision declasse. Paradoxalement, dans l’Alle magnenazie, elles s’appliquent à des populations« blanches » (Juifs, Tziganes). D’ailleurs,

    il n’est pas neutre de noter que le motracisme fait son entrée dans le diction-naire Larousse en 1930.Depuis les années 2000, une évolutionsémantique est notable. Nous nesommes plus sur « il y a trop d’Arabes enFrance, ou d’Africains, ou d’Asiatiques »...Mais sur « il y a trop d’immigrés en

    France ». Le terme immigré désigne alorssouvent tout autant les travailleurs venusdans les années 1960 que leurs enfantset petits-enfants français depuis parfoistrois générations, tout autant les sans-papiers que les demandeurs d’asile poli-tique, les Roms ou les primo-arrivants.Un imaginaire collectif se construit ainsi :l’idée d’une nébuleuse étrange, soudéeet dangereuse. Source de tous les pro-blèmes. Oui, le venin de la haine a péné-tré les esprits. Et le combattre est devenuun enjeu de première importance. Direcela amène immédiatement une ques-tion : comment ?

    ÊTRE RACISTE : UNE HONTENous avons, avec la campagne présiden-tielle, commencé à enrayer la complai-sance à l’égard de Le Pen. Il est probableque sans l’intensité avec laquelle Jean-Luc Mélenchon l’a combattue, elle auraitfait un score supérieur. Et surtout, il estcertain que nombre de victimes duracisme et de discriminations se sontenfin senties représentées dans l’espacepolitique. Il est également certain quenotre détermination a redonné de laforce au discours antiraciste. En matièrede mouvement des idées, je crois plusaux rapports de forces qu’à la seuleconviction rationnelle. Autrement dit,plus que d’aller convaincre les racistes,

    CONSTRUIRE LE VIVRE ENSEMBLE, UNE URGENCE POLITIQUELes jeunes des quartiers populaires sont massivement et pleinement citoyens français. La nouvellegénération refuse la soumission. Donnons-leur toute leur place dans la vie de la cité.

    Les enjeux sociauxdoivent entrer en résonnance

    avec l’opiniâtreté contre le racisme et pour le droit à la

    diversité.“

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    > SUITEPAGE 12

    je crois qu’il faut que le malaise changede côté. La honte, ce n’est pas d’êtreimmigré, c’est d’être raciste.Les deux grandes luttes menées par lestravailleurs sans-papiers, et par le réseauÉducation sans frontières a égalementcontribué au cours de la dernière décen-nie à casser l’image d’une nébuleuseinquiétante. Quand un enfant en centrede rétention ou le sans-papiers a un pré-nom, un visage, un regard... la stigmati-sation, aisée dans l’anonymat, devientplus difficile.

    LE DROIT À LA DIVERSITÉPour franchir un cap, il faut que le Frontde gauche soit envahi par les immigréset donc par les quartiers populaires. Il ya dans les zones urbaines sensibles 23,6%d’immigrés (au sens vrai du terme). Il suf-fit de regarder les photos dans les écolesdes quartiers populaires pour savoir com-bien ils sont aux couleurs du monde.Jusqu’en 2002, la gauche de transforma-tion sociale devançait le PS dans les quar-tiers populaires. C’étaient des lieux d’hé-gémonie du Parti communiste dontl’implication locale était telle qu’il étaitreconnu comme acteur déterminant dulien social. Les résultats du Front degauche en 2012 sont d’un niveau globa-lement inespéré : la participation impor-tante et les scores très élevés du Front degauche dans les quartiers populaires yont contribué. Pour franchir le seuil de15%, il faut maintenant reconstituer deszones d’influence majoritaire. Les villes

    populaires doivent redevenir des placesfortes. Chômage, précarité, crise du loge-ment ou de l’école, vie chère... les enjeuxsociaux doivent entrer en résonnanceavec l’opiniâtreté contre le racisme etpour le droit à la diversité. Contrairementà ce que l’on entend parfois, les jeunesde ces quartiers sont massivement et plei-nement citoyens français. Les chibanis,immigrés des heures glorieuses, ont étécantonnés dans les emplois les plus dursaux revenus les plus faibles. Cette inéga-lité est inscrite dans la personnalité desjeunes des quartiers. Qui n’a jamaisentendu « Nos parents nous apprenaientà baisser la tête ». La nouvelle générationrefuse la soumission. Et elle crie sa colèrepour aujourd’hui, hier, et des siècles d’es-clavagisme et de colonialisme. Cettecolère doit trouver place au Front degauche. Et là encore, il faudra faire preuved’ouverture et d’inventivité dans lesformes et le fond.En défendant le droit de vote pour lesrésidents étrangers, le Front de gauchefait la promotion d’une idée simple : jevis ici, je bosse ici, je paye mes impôtsici, je décide ici. J’aurais souhaité que laprofession de foi de notre candidat évo-quât cette proposition ainsi que celle surla régularisation des sans-papiers. Passeulement parce qu’il s’agit de pointsforts de notre programme partagé, maisaussi parce que c’est précisément un deschamps sur lequel notre campagne auramarqué les esprits. J’ajoute que si le PSen a pris l’engagement également, il faut

    tout faire pour éviter le syndrome1981 : « J’voudrais bien, mais j’peuxpoint ». À cet égard aussi, le nombre dedéputé-e-s du Front de gauche sera unfacteur de réussite à gauche. Une autre mesure émanant des associa-tions œuvrant dans les quartiers popu-laires me paraît emblématique de la lutteantiraciste : la lutte contre les contrôlesau faciès et l’obligation de remettre lorsde tout contrôle un récépissé indiquantle motif du contrôle et le matricule del’agent. Outre la suppression de la poli-tique du chiffre, une telle mesure chan-gerait le quotidien des jeunes de noscités. J’ajoute qu’elle serait égalementtrès significative pour leurs parents quivivent cette agression permanentecomme une humiliation. Encore unemesure qui devra compter sur la déter-mination des député-e-s et des sénateurset sénatrices du Front de gauche. Depuisqu’à l’occasion de la rédaction du tracten direction des quartiers populaires,nous avons fait nôtre cette proposition,le syndicat Alliance, proche de l’UMP, estvent debout pour s’y opposer. C’est direqu’il y a du grain à moudre !En période de crise économiquemajeure, le racisme n’est pas une ques-tion morale ou philosophique. C’est unequestion politique majeure. n

    *Isabelle Lorand est responsable du secteurLibertés et droits de la personne du PCF. Elleest membre du Conseil exécutif national duPCF.

    L'ÉVOLUTION DES POLITIQUES MIGRATOIRES EN FRANCEDes mesures répondant le plus souvent aux demandes patronales de main-d’œuvre à bon marché,favorisant le communautarisme.

    JEAN MAGNIADAS*

    On ne peut pas dire que le tournantmajeur que Sarkozy a imprimé à lapolitique migratoire de la France arompu avec une politique satisfaisanteou même simplement acceptable. À par-tir du tournant de 1974 l’orientation decette politique est délibérément répres-sive, ouvertement agressive à l’égard desmigrants. C’est Giscard d’Estaing qui adécidé l’arrêt de l’immigration. La poli-tique qui en a découlé s’est traduite parun contrôle beaucoup plus rigoureux desentrées et des séjours (mesures d’intimi-

    dation policières, nouveaux décrets, arse-nal de circulaires ministérielles) s’ajou-tant aux textes existants en les durcis-sant sensiblement. De nouvelles loisseront promulguées par les ministres del’Intérieur pour « encourager » les retoursvolontaires ou pour réprimer l’immigra-tion « clandestine » (loi Bonnet). Tout cela va susciter des réactions de lapart des syndicats, de nombreuses asso-ciations et partis de gauche – en parti-culier le PCF –, des églises, et se traduirepar de nombreuses manifestations, desprotestations multiples qui obligerontle gouvernement à un certain nombrede reculs, sans que, pour autant, il

    renonce à sa stratégie. Le secrétaired’État Lionel Stoléru signera fin novem-bre 1980 un accord avec le gouverne-ment du Sénégal portant sur la forma-tion, en vue de leur retour, destravailleurs sénégalais immigrés enFrance. Cet accord devait être à l’évi-dence un modèle que la diplomatie gis-cardienne entendait développer avecd’autres pays, notamment en Afrique.

    DÉCEPTION EN 1981La victoire de la gauche en 1981 ouvreune nouvelle phase des politiques migra-toires de la France. Dans sa déclarationde politique générale, le nouveau Premier

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    SUITE DE LA PAGE 11 >

    LE DOSSIER

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    Migrations, au-delà du fantasme

    toires constitue un chantage, déclarerala Cimade, d’autant plus inacceptableque certaines politiques économiques etcommerciales européennes sont loind’être neutres sur les phénomènes migra-toires ». On peut suivre la Cimade surcette question.

    UNE ENSEIGNE NATIONALISTEEn 2007, le ministère de l’Immigration etde l’identité nationale évolue, avec cenouvel intitulé, vers l’enseigne « natio-naliste ». Il est confié à Brice Hortefeux,un proche du président qui va chercherà mobiliser l’appareil d’État, et notam-ment les préfets, au service d’une poli-tique répressive mesurée par des objec-tifs chiffrés, qui va susciter de nombreuxconflits et entraîner des souffrances etdes drames, un mouvement de soutien,de solidarité et d’actions concrètes(Mouvement des sans-papiers, Réseauéducation sans frontières, manifestationscontre les expulsions, avec la participa-tion des partis et organisations de gauche,des syndicats, des églises, etc.). Les objec-tifs chiffrés que le gouvernement s’étaitfixés n’ont été atteints sur le papier qu’auprix d’un certain bricolage statistique,souligné par plusieurs observateurs. Etgrands sont les dégâts : par les épreuvesinfligées à des hommes, des femmes etdes enfants ; par les torts causés à l’imagede la France dans le monde. Le succes-seur de Hortefeux sera Éric Besson, trans-fuge du Parti socialiste, dont il a été l’undes secrétaires, et qui, naguère, avait qua-lifié son prédécesseur de « néoconserva-teur américain à passeport français ». Ils’est illustré rapidement dans la mise enœuvre, vivement critiquée par les orga-nisations de défense des immigrés, du« délit de solidarité » et dans la continuitéde l’action de son prédécesseur.Il a été flanqué, en décembre dernier,d’un commissaire à la diversité et à l’éga-lité des chances, rattaché au Premierministre, fonction dévolue à Yazid Sabeg,industriel d’origine kabyle et actif parti-cipant de l’Institut Montaigne, le thinktank du grand patronat. Il vient de remet-tre un rapport à Nicolas Sarkozy, dont ilest annoncé que ce dernier ne se pro-noncera pas tout de suite publiquementsur ses conclusions. Il est vrai que ce quien a transpiré suscite déjà de fortes oppo-sitions. » n

    *Jean Magniadas est membre honoraire duConseil économique social.Extrait d’une note de la Fondation GabrielPéri réalisée en partenariat avec la revueRecherches internationales, septembre 2009,publié avec l'autorisaion de l'auteur.

    ministre, Pierre Mauroy, prône un effortde solidarité avec les immigrés, mais seprononce cependant pour la limitationde l’immigration nouvelle au moyen d’ac-cords bilatéraux avec les pays concernés.Les débuts du gouvernement de gauche,en 1981, vont donc s’accompagner demesures positives. Après l’élection pré-sidentielle intervient une régularisationmassive des étrangers en situation irré-gulière. Mais il y aura également desdéceptions, par exemple en n’accordantpas le droit de vote aux étrangers promispar la gauche (article 110 du programmecommun). En 1990, le Premier ministreMichel Rocard va déclarer : «… la Francene peut accueillir toute la misère dumonde ». Et Jacques Chirac, alors prési-dent du RPR et maire de Paris, proposeune restriction de l’immigration assortied’une référence entachée de racisme au« bruit et à l’odeur ». L’arrivée de NicolasSarkozy à la présidence de la Républiquesurvient donc au lendemain d’unepériode négative pour les immigrés, d’au-tant que leurs conditions de vie sont gra-vement affectées par le chômage, le déve-loppement du temps partiel, la stagnationdu SMIC, l’affaiblissement du pouvoird’achat des salariés en France.

    UN TOURNANT MAJEUR ET DANGEREUXAVEC NICOLAS SARKOZYLa politique qu’il avait amorcée en tantque ministre de l’Intérieur dans le gou-vernement de Villepin et qu’il poursuità l’Élysée constitue un tournant majeurparticulièrement néfaste. Placé sous letimbre publicitaire de « l’immigrationchoisie », son volontarisme est affichédès la campagne électorale présiden-tielle, où le candidat et son parti se pla-cent en concurrence directe avec le FNsur le terrain de la démagogie […] raciste,afin de capter à son profit l’électorat del’extrême droite. Par la redéfinition dustatut de l’étranger et de l’immigré, unepolitique ouvertement répressive estconfirmée. Les mesures restrictives secouvriront volontiers du drapeau de l’ac-tion contre l’immigration clandestine,alors que rien de sérieux n’est entrepriscontre les agents de cette pratique (pas-seurs, filières, complaisance vis-à-vis desemployeurs, etc.).En juillet 2006, déjà, le ministre del’Intérieur avait fait porter de douze à dix-neuf mois le délai au terme duquel unétranger en séjour régulier en France pou-vait solliciter un regroupement pour lesmembres de sa famille proche. Cette loiautorisait aussi le recours à de la main-d’œuvre étrangère, suspendu depuis 1974,

    sans avoir à justifier qu’il ne nuisait pasaux demandeurs d’emploi en France.Cette mesure, relative à certaines profes-sions – l’hôtellerie, restauration, construc-tion et travaux publics, travaux saison-niers, professions commerciales – n’estpas un renoncement aux contrôles poli-ciers, ni une ouverture, mais une mesured’organisation pour satisfaire lesdemandes patronales de main-d’œuvre àbon marché. La loi met en place la cartede séjour « compétences et talents », des-tinée à drainer les migrants hautementqualifiés et les étudiants.En 2007, une loi est étudiée visant à res-treindre l’immigration afin d’appliquer lavolonté présidentielle d’« immigrationchoisie ». Elle est accompagnée d’unamendement relatif à la maîtrise de lalangue française, dont l’insuffisance estestimée créer des difficultés aux migrantset aux couples mixtes.Pour le pouvoir, l’immigration choisie estun moyen de mieux choisir les migrants,afin de réduire leur nombre et de mieux

    assurer leur intégration. Or l’immigrationfamiliale est un facteur favorable à unebonne insertion alors que toute politiquede rejet favorise à l’inverse le communau-tarisme. La politique extérieure est, enoutre, désormais subordonnée aux objec-tifs de la politique d’immigration choisie.Depuis quelques années, des accords degestion concertée des flux migratoires deco-développement conditionnent l’aideau développement à la prise de mesures,par les États du Sud, visant à restreindrel’émigration. Le lien entre gestion des fluxmigratoires et co-développement devientl’objet de l’action diplomatique de laFrance, et s’efforce de généraliser ce typede dispositif, en particulier à l'Unioneuropéenne. En 2008, la CommissionMazeaud consacrée au cadre constitu-tionnel de la nouvelle politique d’immi-gration le confirme dans son rapport,mais indique cependant que « le déve-loppement est un droit reconnu par lesNations unies et ne saurait faire l’objetde conditionnalité, quelle qu’elle soit.Conditionner l’aide publique au déve-loppement au contrôle des flux migra-

    L’immigration familiale est un facteur favorable à une

    bonne insertion alors que toutepolitique de rejet favorise

    à l’inverse le communautarisme.

    “”

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    LES TRAVAILLEURS SANS-PAPIERS,DE LA PRÉCARITÉ À LA GRÈVEChercher à conquérir l’égalité des droits pour une frange margina-lisée des salariés a œuvré à l’élargissement de droits pour l’ensem-ble du monde du travail.

    ture, mais qui a des effets réels : les tra-vailleurs sans-papiers sont choisis par desemployeurs parce que l’État les déclare« subis » et les contraint, par son harcèle-ment administratif et policier, à la sou-mission.La France des années 2000 a été marquéepar une chasse accrue aux étrangers irré-guliers et une fragilisation des réguliers.Malgré l’objectif gouvernemental affichéde réduction de l’effectif des sans-papiers,ce sont des dizaines de milliers d’immi-grés qui restent sans-papiers plus long-temps et voient leurs espoirs de régulari-sation s’éloigner. Bien plus, ils sont rejointspar des étrangers réguliers à qui les pré-fectures refusent plus fréquemment lerenouvellement de leur titre de séjour. Lessans-papiers d’aujourd’hui sont plus« intégrés » que ne l’étaient leurs prédé-cesseurs. Ils sont davantage insérés dansla vie économique, leur voisinage, les ins-titutions ; ils sont davantage pourchas-sés, mais disposent également de plus deliens et de ressources pour faire face. Lesgrèves de travailleurs sans-papiers en sontun révélateur.

    DES « DÉLOCALISATIONS SUR PLACE »Sans droit aux prestations sociales bienque nombreux à cotiser, craignant l’acci-dent et ses suites administratives alorsqu’ils réalisent des travaux pénibles etdangereux, les travailleurs sans-papierssont une cible privilégiée pour les infra-

    PAR PIERRE BARRON, ANNE BORY,SÉBASTIEN CHAUVIN, NICOLAS JOUNIN,LUCIE TOURETTE*

    Le 15 avril 2008, en région parisienne,trois cents salariés sans-papiers semettent en grève et occupent simul-tanément leurs entreprises pour réclamerleur régularisation. De 2006 à 2010, ils sontdes milliers à prendre part sous diversesmodalités à cette mobilisation inédite quiprend le nom de « mouvement des tra-vailleurs sans-papiers » et, pour beau-coup, à obtenir par ce biais un titre deséjour. Organisées et soutenues par des syndicats(la CGT, mais aussi Solidaires, la CNT, laFSU, la CFDT, l’UNSA) et des associationsœuvrant dans la défense des droits desétrangers (Droits Devant !!, le Réseau Édu-cation Sans Frontières, Femmes Égalité,la Cimade, Autremonde, la Ligue desDroits de l’Homme), les grèves ont mobi-lisé des salariés majoritairement africains,travaillant surtout dans les secteurs del’hôtellerie-restauration, du nettoyage etdu bâtiment. Elles ont révélé que l’emploi de sans-papiers concerne des pans de l’économiefrançaise, des petites aux grandes entre-prises, du traiteur du coin aux familiersdu pouvoir, de l’intérim aux ministères.L’opposition rhétorique entre immigra-tion « choisie » et « subie » est une impos-

    ctions patronales au droit du travail (tra-vail dissimulé, licenciement sans préavis,suppression des congés, absence dereconnaissance des qualifications, salaireà la tâche, etc.). Ces conditions de travailen deçà du droit reviennent, pour des sec-teurs qui ne peuvent délocaliser leur acti-vité dans des pays où la main-d’œuvre estmoins chère, à opérer, en embauchantdes salariés sans-papiers, des « délocali-sations sur place ».Lorsque la loi du 20 novembre 2007 auto-rise la régularisation à titre « exception-nel » d’un sans-papiers qui bénéficieraitd’un contrat de travail, l’administrationentend traiter avec un interlocuteurunique : l’employeur. Mais, ce faisant,l’État a inévitablement invité, dans le pro-cessus de régularisation, la relation d’em-ploi, et, avec elle, l’ensemble des antago-nismes dont elle est porteuse et desinstitutions que ces antagonismes ontproduites au cours de deux siècles deluttes sociales, du droit du travailjusqu’aux syndicats. C’est à cette invita-tion involontaire que les syndicats ontrépondu. La grève est d’abord partie de salariéssans-papiers déclarés, le plus souvent enCDI. Au fil des occupations, syndicats ettravailleurs sans-papiers ont révélé nonseulement que la grève est un moyen d’ac-tion légalement ouvert aux personnes ensituation irrégulière, mais que, de surcroît,elle les protège : les policiers s’arrêtentaux portes des entreprises occupées, n’in-tervenant traditionnellement pas dansun conflit du travail.

    L'EXERCICE DU DROIT DE GRÈVELe mouvement s’est ensuite étendu à unepopulation pour laquelle il était plus dif-ficile de démontrer un lien avec l’em-ployeur (salariés à temps partiel, intéri-maires et/ou au noir). Si pour ces derniersla précarité de l’emploi demeure en par-tie un obstacle à la régularisation, cesgrèves ont contribué à faire reconnaîtreceux à qui s’appliquent les formes d’em-ploi précaires comme d’authentiquessalariés, légitimés à prendre part auxconflits du travail. Elles ont égalementpermis d’approfondir l’exercice du droitde grève au-delà des seuls travailleurssans-papiers.Pour les intérimaires notamment, il étaitdifficile d’identifier UN lieu de travail :nombre d’entre eux avaient travaillé pen-dant des années sur de multiples chan-tiers, pour plusieurs agences d’intérim etentreprises du bâtiment. C’était davan-tage un « employeur collectif » qu’uneentreprise en particulier, précisément

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  • identifiable, qui avait utilisé leur force detravail. Les tribunaux ont souvent consi-déré que les occupations d’agences étaientillégales, mettant en avant l’absence delien salarial entre les occupants et l’agenceoccupée. Certains juges ont estimé entreautres qu’occuper une agence pourlaquelle les grévistes n’avaient jamais tra-vaillé, mais qui appartenait à uneenseigne dont ils possédaient des feuillesde paie, n’était pas légal. Enfin, plusieurstribunaux ont affirmé qu’un intérimaireentre deux missions n’avait ni devoirs nidroits vis-à-vis de son agence. L’occupantdevait alors être considéré comme unchômeur, pouvant faire l’objet d’une éva-

    cuation, et non comme un gréviste.Toutefois, un arrêt de la Cour d’appel deParis, en date du 12 avril 2010, est allé àl’encontre des décisions qui l’avaientprécédé. « Considérant que les feuillesde paie présentées par seize occupantsd’une agence attestaient que ceux-ci setrouv[ai]ent bien en relation de travail-leurs intérimaires habituels avec lasociété Synergie à l’occasion de missionssuccessives, quand bien même elles pou-vaient être discontinues », le tribunal aestimé que le lien salarial était établi etdonc la qualification de gréviste justi-fiée. Par la notion de « travailleurs habi-tuels », cette décision a étendu la défini-

    LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

    Migrations, au-delà du fantasme

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    LE DOSSIER

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    1968-2008 : L’IMMIGRÉ AU TRAVAIL,UNE FIGURE DE PLUS EN PLUS HÉTÉROGÈNEDes immigrés peuvent dorénavant vivre longtemps à l’intérieur des frontières des États européens tout enétant maintenus aux frontières des institutions de l’État de droit et de l’État social.

    MARYSE TRIPIER, ANDREA REA*

    «En mars 1999, 4 310 000 immigrésrésidaient en France métropoli-taine, soit 7,4 % de la population,proportion constante depuis 1975. Leursorigines géographiques sont de plus enplus diversifiées et lointaines. Le nombredes immigrés natifs de pays d'Europediminue, celui des originaires du Maghrebaugmente légèrement. Les immigrésvivent surtout dans les grandes villes et enrégion parisienne. Par rapport à 1990, lapopulation immigrée a vieilli mais ellecomprend plus de jeunes adultes que lereste de la population. Elle comptedé sor mais autant de femmes qued'hommes. Les immigrés français paracquisition sont plus souvent des femmeset sont plus âgés que ceux restés étran-gers. Plus d'un immigré sur trois est denationalité française ». (source INSEE,résumé RGP1999) En 2005, les « immi-grés » (étrangers plus français par acqui-sition) représentent donc 8% de la popu-lation totale, ce qui indique cette stabilité.Depuis 1990, l’immigration a repris enEurope bien que sous des formes diffé-rentes. L’Espagne et l’Italie sont les pre-miers à avoir initié l’accueil massif de nou-veaux migrants, essentiellement pour desraisons de travail. Toutefois, même les paysde l’Europe du Nord ont renoué avec l’im-migration de travail, surtout saisonnière

    et temporaire. S’y ajoute la mobilité denombreux travailleurs venant des nou-veaux États membres de l’Union euro-péenne qui sont passés de l’irrégularité deleur séjour à leur régularisation alors qu’iln’en va pas nécessairement de même deleur inscription sur le marché de l’emploi. Pour Castles, la mondialisation conduitplus que jamais à faire appel à l’immi-gration pour les « 3-D Jobs » (Dirty,Demanding and Dangerous : sales, exi-geants et dangereux ). Cependant, l’oc-cupation de la main-d’œuvre étrangèreconnaît un déplacement des secteursd’activités : de l’industrie vers les ser-vices. En Europe, l’agriculture, l’horti-culture, la construction, l’hôtellerie, larestauration, la confection et les servicesreprésentent des secteurs d’activité àhaute intensité de travailleurs immigrés.Pour Marie, les nouveaux immigrants,mais pas seulement eux, sont en butteaux transformations des stratégies entre-preneuriales, fondées sur l’externalisa-tion des coûts salariaux, tout particuliè-rement avec la sous-traitance en cascade,et sur la précarité et la flexibilité du tra-vail. Le nouvel usage de l’emploi desétrangers irréguliers constitue ainsi laforme extrême d’un mode de gestion quise généralise avec le développement del’emploi atypique ou précaire. « L’étran -ger sans titre des années quatre-vingt adessiné les traits d’une figure sociale nou-velle : le salarié néolibéral ».

    SOUS-TRAITANCE EN CASCADEL’appel de main-d’œuvre clandestine parquelques secteurs et sa mobilisation parles réseaux ethniques instaurent uneimmigration en chaîne. L’emploi desnouveaux migrants se concentre dansdes secteurs peu délocalisables. Le poidsdes irréguliers dans l’économie est rela-tivement faible bien qu’important sec-toriellement. Dans la confection, l’em-ploi des irréguliers s’apparente à de ladélocalisation sur place. Pour être com-pétitif sur le marché international, des« zones de travail gris » se constituent oùdes travailleurs immigrés déclaréscôtoient des irréguliers. La sous-traitanceen cascade permet de brouiller ce sys-tème et d’éluder la responsabilité desdonneurs d’ordre. Ces travailleurs sonttotalement subordonnés à leuremployeur qui définit les critères desélection et de recrutement. Les rapportsentre salariés, entre salariés et syndicatssont ainsi bouleversés par la sous-trai-tance, le précariat, les divisions eth-niques. Le recours à l’intérim permetd’associer précarité de l’emploi et pré-carité de séjour tout en assujettissanttoujours plus les travailleurs à leursemployeurs. Toutefois, l’usage de l’inté-rim est déjà remplacé par un systèmeplus flexible et moins onéreux : la pres-tation transnationale de services qui voitdes entreprises étrangères venir avec destravailleurs détachés et recrutés dans le

    tion de la relation d’emploi intérimaire,et, par là même, certains droits que cetterelation comporte, notamment celui defaire grève. Ainsi, bien que cette avancéesoit restée isolée et bien que sa naturedemeure jurisprudentielle, il semble queces grèves, en cherchant à conquérirl’égalité des droits pour une frange mar-ginalisée des salariés, aient œuvré à l’élar-gissement de droits pour l’ensemble dumonde du travail. n

    *Auteurs de l'ouvrage collectif : On bosse ici !On reste ici ! La grève des travailleurs sans-papiers, une aventure inédite, La Découverte,2011.

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    pays d’origine, système légal d’un nou-veau processus de « l’immigration sansimmigrés ».Le maintien des nouveaux migrants dansun statut de séjour irrégulier ou précaire,constitue désormais une composante dela politique européenne d’immigrationmalgré des volontés d’instaurer de nou-velles régulations de main-d’oeuvre.Contrairement à la figure fordiste du

    Gastarbeiter, [travailleurs importés] il nes’agit plus de maintenir les travailleursimmigrés dans une position intégrée maisinfériorisée. Des immigrés peuvent doré-navant vivre longtemps à l’intérieur desfrontières des États européens tout enétant maintenus aux frontières des insti-tutions de l’État de droit et de l’État social. Il s’agit toujours d’une tentative de réduc-tion du coût du travail qui s’accompagnede tentatives de démantèlement du droitdu travail, d’une déréglementation desactivités économiques, voire du détour-

    nement du droit commercial pouvant fri-ser l’illégalité. Cette situation exacerbe laconcurrence sur le marché de l’emploi etintroduit de nouvelles divisions. Le faitd’être un clandestin favorise cet usage,mais n’est pas la cause du travail illégal .Ces travailleurs sont alors confinés aurègne de la combine, tributaire du clien-télisme, du clanisme et de la corruption,poussés aux frontières de l’illégalisme.

    DIVERSIFICATION ET FÉMINISATIONL’intensification contemporaine des fluxmigratoires s’accompagne d’une diversi-fication des caractéristiques des migrants.Cette différenciation concerne particuliè-rement le genre, l’âge, le niveau d’étude,la nationalité, l’urbanité des migrants. Lesfemmes jouent dorénavant un rôlemoteur. Les nouvelles migrations mon-trent l’importance croissante des femmesdans l’immigration de travail [Phizacklea,1983]. Les travaux empiriques prenant letravail des femmes et leur fonction dansles migrations internationales se multi-plient, en particulier autour de trois marchés : la domesticité, le care et la pros-titution. Sur base d’une recherche inter -nationale, Ehrenreich et Hochschild pro-posent le concept de « global care chain »[chaîne du soin global] pour saisir lesmigrations féminines de la mondialisa-tion en insistant sur le caractère transna-tional des familles concernées. Le conceptde travail domestique, selon Parrenas,implique un transfert international du tra-vail reproductif du Sud vers le Nord impli-

    quant trois catégories de femmes : lesclasses moyennes et supérieures des paysd’accueil, les migrantes domestiques etles femmes trop pauvres pour migrer duTiers-monde. Ces femmes deviennent desbreadwinners [celles qui gagnent le pain]dans leur pays d’origine, remplissant sou-vent le même rôle que les hommesmigrants assuraient par le passé. La diversification de la figure du migranttient aussi à la multiplication des originesnationales des immigrés arrivant enEurope. Les nouveaux immigrés provien-nent de pays de plus en plus divers. Lesrecherches sur les migrations de travail enEurope montrent également une différen-ciation de l’origine sociale du migrant. Cedernier n’est plus l’analphabète ou le ruralde la période fordiste. Les nouveauxmigrants sont parfois hautement scolari-sés même s’ils effectuent des travauxdéqualifiés. Des études relatives aux sans-papiersmontrent que les nouveaux migrants sontaussi issus des classes moyennes de leurpays d’origine, viennent des villes et pos-sèdent des diplômes. Le slogan « sans-papiers mais nullementclandestins » a été popularisé par lecomité de Saint Bernard : ces sans-papiers refusaient d’être assimilés à desclandestins ; certes ils sont en situationirrégulière au regard du séjour mais lamajorité d’entre eux sont entrés avec untitre de séjour. Ils ont été « réguliers »pendant plusieurs années et ce sont leslois qui les ont plongés dans l’illégalité.

    Il s’agit toujoursd’une tentative de réduction du

    coût du travail qui s’accompagnede tentatives de démantèlement du

    droit du travail, d’unedéréglementation des activités

    économiques, voire dudétournement du droit commercial

    pouvant friser l’illégalité.

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    Migrations, au-delà du fantasmeLE DOSSIER

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    ÉLIANE ASSASSI*

    Beaucoup d'enseignements sont à tirerdu 1er tour de l'élection présidentiellemais le score du Front national mériteune attention particulière, tant il révèleune structuration de pensée et d'idées quitrouvent de la résonance au delà de sonélectorat « traditionnel ».Si l’UMP s'échine à s'emparer de cer-taines thèses du Front national pour ten-ter de se redonner des forces, la gauche sedoit de ne céder à aucune sirène mais detenir les promesses régulièrement ins-crites dans ses programmes. C'est le cassur le droit de vote des étrangers aux élec-tions locales.Dix ans après l'Assemblée nationale, alorsmajoritairement à gauche, cette exigencedémocratique a été adoptée au Sénat endécembre 2011. Les sénatrices et séna-teurs du groupe communiste, républicainet citoyen ont largement participé au débatet ont contribué à l’adoption de cette pro-position de loi. Si la gauche est à nouveaumajoritaire au Palais Bourbon en juin pro-chain, le gouvernement devra la soumet-tre au vote des députés dans les premiersmois de leur mandat.

    UN LEVIER D’ÉMANCIPATIONEn effet, nous ne pouvons plus continuerà écarter du droit de vote et d’éligibilitédes milliers de résidents étrangers qui par-ticipent dans notre pays, depuis plusieursannées et de façon active, à la vie de la cité,à la vie associative, syndicale, culturelle,

    éducative, etc. Ne votent-ils pas déjà auxélections prud’homales et aux électionsau sein de l’entreprise ? N’élisent-ils pasles parents d’élèves aux conseils d’écoles ?Faut-il rappeler qu’ils bénéficient depuis1981 du droit d’association ; que beau-coup d’entre eux sont issus de nosanciennes colonies et qu’ils contribuentau développement économique et à larichesse de notre pays ? On ne peut plusles considérer comme des « travailleursde passage en France » censés retournerdans leur pays d’origine.Venus en France dans les années 1960-1970 pour répondre aux besoins de main-d’œuvre, ils y ont construit toute leur vie.Leurs enfants, français et qui ont le droitde vote, ne comprennent pas pourquoileurs parents sont exclus de ce droit. Plus que jamais, le droit de vote des rési-dents étrangers excite toute la droite. Pours'opposer à cette mesure, avec l'extrêmedroite, elle se plait à amalgamer de façonéhontée nationalité et religion et à bran-dir les dangers du communautarisme.En brandissant cet argument du commu-nautarisme, elle avoue elle-même qu'ellen'a pas mis en place tout ce qui permettraitde lutter contre le repli sur soi, contre laméfiance à l’égard de son semblable, à savoirla participation à la vie de la collectivité. Or, l'exercice de la citoyenneté est un fac-teur essentiel d'intégration et par là mêmeun levier d'émancipation. C'est la garan-tie à la fois d'une citoyenneté participa-tive, active et d'une construction parta-gée entre les différents habitants d'unterritoire pour vivre ensemble de manièreégale et solidaire. Autre argument de la droite pour s’oppo-ser au droit de vote des étrangers : celuide la naturalisation. En somme, pour voter,les étrangers devraient prendre la natio-nalité française. D’abord, faut-il rappeler

    LA CITOYENNETÉ DE RÉSIDENCE, UNE EXIGENCEDe nombreuses raisons militentpour accorder d’urgence le droitde vote aux étrangers. Une prio-rité pour la gauche.

    ici que depuis la ratification du traité deMaastricht, les ressortissants de l’Unioneuropéenne ont la possibilité de partici-per aux élections municipales sans condi-tion de durée de résidence ? Il est contraire au principe d’égalité quetous les étrangers présents sur notre soln’aient pas les mêmes droits alors même

    que les élections municipales les concer-nent tout autant. Mais, de façon plus générale, en réformantà plusieurs reprises le Code de la nationa-lité, il est aujourd’hui très long et très dif-ficile d’accéder à la nationalité françaisetant les conditions administratives ont étédurcies. J’ajouterais que des résidentsétrangers n’ont pas forcément envie d’êtrefrançais. Ils sont certes attachés à leur paysde naissance mais, travaillant dans notrepays, ayant des enfants nés dans notrepays, ils aspirent à avoir les mêmes droitsque leurs amis, leurs voisins leurs collèguesqui, étrangers mais membres d’un despays de l’UE, ont le droit de vote sansrenoncer à leur nationalité.

    UN RENFORCEMENT DE LA DÉMOCRATIEMais surtout, le raisonnement mis enavant par la droite selon lequel la citoyen-neté serait indissociable de la nationa-lité n’est pas fondé dès lors que le traité

    En effet, l’asile politique a été en Franceen constante régression, et les loisPasqua ont fabriqué « des inexpulsables-irrégularisables ». Etudier en Francedevient de plus en plus difficile pour les« non-européens » (des pays pauvressurtout), rester après les études estimpossible, sauf en cas de mariage. Àces sans-papiers, fabriqués sur place,s’ajoutent désormais des migrants quiprolongent leur séjour au-delà du visade tourisme, quand ils l’ont obtenu, ceuxqui restent après avoir été déboutés du

    Le raisonnement mis en avant par la droite selon

    lequel la citoyenneté seraitindissociable de la nationalité n’est

    pas fondé dès lors que le traité deMaastricht opère d’ores et déjà une

    distinction entre nationalitéfrançaise et citoyenneté

    européenne.

    droit d’asile, ou avoir accompli leur mis-sion saisonnière, et ceux qui, après unpériple souvent mortel et de plus en pluslong, arrivent clandestinement enEurope, ceux et surtout celles, victimesdu trafic d’êtres humains. On estime auxÉtats-Unis à 12 millions de personnes,les « illégaux ». Loin d’être à la marge,cette population est devenue une com-posante du marché du travail, victimede la fermeture des frontières, dans unesituation pire que celle du Gastarbeiterdes années 1970. » n

    *Maryse Tripier est sociologue, professeurémérite à l’université Paris-Diderot.Andrea Rea est sociologue, chargé de cours àl'université libre de Bruxelles. Il dirige legroupe d'études sur l'ethnicité, le racisme, lesmigrations et l'exclusion (GERME).

    Extrait de Maryse Tripier, Andrea Rea, 1968-2008 : L’immigré au travail, une figure de plusen plus hétérogène, Journée d’étude franco-italienne, Immigration et marchés du travail,8 avril 2008, Aix-en-Provence, publié avecl’autorisation des auteurs.

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    PAR GUY MICHELAT, MICHEL SIMON*

    Les réponses à « il y a trop d’immigrésen France » sont fortement associéesaux réponses à d’autres énoncéssymptomatiques, eux aussi, d’un syn-drome xénophobe, à connotationsracistes, dont la poussée au début desannées 1990 ne laissait pas d’être préoc-cupante (« il y a des races plus douéesque d’autres », « maintenant on ne sesent plus chez soi comme avant », etc.).Depuis les années 1990 et en 2007 encore,le vote Front national est quasi nul quandon n’est pas du tout ou plutôt pas d’ac-cord avec « il y a trop d’immigrés enFrance », comme on le verra plus loin. Ilreste rare quand on se dit seulement plu-

    tôt d’accord. C’est seulement chez ceuxqui se disent tout à fait d’accord qu’ildevient plus que significatif. Mêmeconstat en 2010 à propos du parti donton se sent le plus proche. C’est dire l’im-portance de cette question, à forte chargeaffective, comme révélateur du « climat »idéologique, culturel, et finalement poli-tique.La figure ci-contre confirme la brutalitéet l’ampleur de la poussée xénophobe-raciste au début des années 1990. En1993, 50% des personnes interrogées(dont ouvriers : 60%) se disent « tout àfait d’accord » (++) avec « il y a trop d’im-migrés en France », 20% seulement expri-ment leur désaccord (-,- -). Les deuxcourbes se croisent au milieu des années1990. En 2010, nonobstant la gravité de

    L’HOSTILITÉ DES IMMIGRÉS EN RECULL’hostilité aux immigrés, en fort recul par rapport aux années 1990,ne semble pas connaître, malgré la crise, un rebond vraiment signi-ficatif par rapport à 2010.

    de Maastricht opère d’ores et déjà unedistinction entre nationalité française etcitoyenneté européenne. Pour les élec-tions locales, il convient donc de retenirla notion de « citoyenneté de résidence »qui permet à chacune et chacun d’êtrecitoyenne et citoyen là où elle/il vit.Faut-il rappeler que chaque fois que ledroit de vote a été élargi, que ce soitlorsque le droit de vote censitaire a étésupprimé, lorsque le droit de vote a étéaccordé aux femmes, lorsque l’âge pourvoter a été abaissé, lorsque a été accordéle droit de vote aux étrangers commu-

    nautaires, c’est la démocratie qui s’en esttrouvée renforcée ?C’est en tout cas ce que partagent desmillions de nos concitoyens et de nom-breuses associations et mouvements qui,en la matière, prônent l’égalité des droits. Terre d’accueil, pays des droits del’Homme, dont l’histoire reste marquéepar la Révolution française à la concep-tion très ouverte de la citoyenneté, laFrance s’honorerait par conséquentd’inscrire dans sa Constitution que ledroit de vote et d’éligibilité aux électionsmunicipales est accordé aux étrangers

    non ressortissants de l’Union euro -péenne.Une simple raison justifierait une tellemesure : rendre justice à toutes celles etceux qui vivent ici, qui travaillent ici, quiont des enfants nés français, qui paientdes impôts, qui ont, à juste titre desdevoirs ici, mais à qui on refuse ici, l’ac-cès à des droits fondamentaux dont celuid’être électrice et électeur. n

    *Éliane Assassi est responsable du secteurquartiers populaires et libertés du PCF. Elleest sénatrice de Seine-St-Denis.

    la crise, « tout à fait d’accord » tombe à20%(24% chez les ouvriers), « pas d’ac-cord » monte à 49%. Par rapport au « pic »de 1993, la situation s’est inversée.Iln’empêche qu’en juin 2010, 48% desFrançais estiment, peu ou prou, que desimmigrés en France, « il y en a quandmême trop ». Le complexe xénophobe-raciste est donc loin d’avoir disparu. Maisil n’est plus comme naguère massive-ment majoritaire. Et il a considérable-ment perdu en virulence. L’enquête TNS-SOFRES déjà citée montre qu’endécembre 2011, peu de chose a changépar rapport à 2010. D̓autres enquêtesindiquent au contraire un certain regain.Là encore la prudence s’impose.Ces résultats incitent à accueillir avecbeaucoup de réserve un certain nombred’affirmations. La crise (et l’anxiété qu’ef-fectivement elle nourrit) « devaient » s’ac-compagner d’une montée des réactionsautoritaires et xénophobes. En France,ce ne semble pas être le cas. Il est vraique, selon une enquête internationale,la France est, de tous les pays compara-bles, celui où, « en bas » du moins, on semontre le plus compréhensif à l’égardde l’immigration illégale. Il nous sembledonc difficile de parler d’une France cris-pée sur ses références identitaires et fer-mée à l’autre. Surtout quand on constateque plus on est jeune, plus on est rétif aurigorisme autoritaire et au racisme.Exemples (enquête de 2010) :– D’accord avec « il y a trop d’immigrésen France » : 18-24 ans : 38%, 65 ans etplus : 66%. n

    *Guy Michelat est sociologue, directeur derecherche au CEVIPOF.Michel Simon est sociologue, professeurémérite à l’université de Lille.

    Extrait de Le peuple, la crise et la poli-tique, numéro hors-série de La Pensée,2012.

    « IL Y A TROP D’IMMIGRÉS EN FRANCE »Tout à fait d’accord (++), plutôt d’accord (+), plutôt pas d’accord (-), pas d’accord du tout (- -)

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    Migrations, au-delà du fantasme

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    PAR ALAIN HAYOT*

    «I l s’agit de tisser à nouveau desliens de solidarité entre toutesces catégories qui sont mises enconcurrence et divisées. Et bien évidem-ment, donner un élan beaucoup plus fortà un projet alternatif qui puisse prendrele contrepied du projet du FN, mais ausside celui de la droite française , [...] capi-taliste qui tente de créer les conditionsnécessaires pour faire en sorte que lecapitalisme, à bout de souffle, nes’éteigne pas. L’immigration est accuséed’être à l’origine de la crise. [...] Il ne s’agitpas de combattre l’émigration mais delui apporter une réponse.[...]

    Un projet ne peut se dire social s’il estfondé sur la division des dominés, surl’exclusion d’une partie d’entre eux etsur la mise en accusation du plus pau-vre et de la différence. S’il n’y avait pasd’immigrés, croyez-vous que la concur-rence entre les salariés et les ouvriers dis-paraîtrait ? Il semble que nous connais-sons des pays qui n’étaient pas des paysd’immigration et dans lesquels le capi-talisme était autant exploiteur.C’était le cas des pays latins commel’Espagne ou l’Italie qui n’étaient pas des

    pays d’immigration mais des pays d’émi-gration. Beaucoup sont partis mais trèspeu sont venus. L’immigration dans cespays date seulement de vingt ou trenteans. Étaient-ils plus protégés des criseset autres ? Cette division des dominés,donc, désarme les forces populaires etles laisse en très grande fragilité face auxdominants, aux oligarchies.

    RECONSTRUIRE DES SOLIDARITÉSACTIVESPour conclure, je dirais simplement quel’entreprise lepéniste a réussi sur deuxterrains : elle a ancré à droite une forcepolitique qui a une influence réelle surla durée mais a peut-être surtout essaiméidéologiquement ses analyses, sesvaleurs, sa vision de la nation française.Ce que nous appelons la lepénisationdes esprits. Elle a créé les conditionsd’une hégémonie idéologique et cultu-relle et donc les conditions politiquesd’une recomposition de la droite fran-çaise sur ces bases-là. Cela fut possiblegrâce à la construction d’un projet poli-tique ; et pour combattre le FN, il ne suf-fit pas de réduire la crise sociale et defaire reculer le chômage. Depuis trèslongtemps, je suis convaincu que ce n’estpas cela qui fera reculer le FN. C’est encombattant ses thèses comme celles de

    RÉPONDRE AUX THÈSES DU FNAffronter le FN c’est d’abord combattre clairement ses thèses et ledire. Projet contre projet.

    LE DOSSIERtoute la droite aujourd’hui, c’est enreconstruisant des solidarités activesentre les dominés, c’est en élaborant eten partageant un projet alternatif, enproposant une nouvelle théorisationpolitique que nous ferons reculer, dansun même temps, la crise et l’influencedu FN. Le FN présente une théorisationpolitique qui redonne sens et ambitionaux aspirations populaires. À gauche,chacun sait que l’abstention autant que

    le vote FN sont un problème majeur pournous. Ces deux phénomènes indiquentl’urgence d’une nouvelle théorisationpolitique à la mesure de cette crise decivilisation que met en avant la crise ducapitalisme. Crise d’alternative que lagauche française et les communistesconnaissent particulièrement depuis lachute du mur de Berlin. Il faut, selon moi,inventer et c’est ce qu’il y a sans doutede plus difficile. » n

    *Alain Hayot est membre du conseil nationaldu PCF.Extrait de Combattre le Front national deMarine Le Pen, audition du 16 mai 2011,Cahiers du LEM, n° 2, 2011.

    Un projet ne peut se dire social s’il est fondé sur la

    division des dominés, surl’exclusion d’une partie d’entre eux

    et sur la mise en accusation du plus pauvre et de la différence.

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    PAR HUGO POMPOUGNAC*

    C’est dès la Renaissance qu'étu-diants, savants et artistes voyagentà travers le monde entier pour yéchanger des savoirs, comme le plus célè-bre, Erasme, humaniste hollandais quipartira faire ses études à l'université deParis, donnant ainsi son nom au pro-gramme d'échanges européen. Mathématiques, philosophie, droit,... lesconnaissances sont ainsi partagées, plu-tôt que d'être dispersées en multitudesde propriétés nationales et individuelles.Forgé collectivement, dans le partage etla confrontation, le savoir est la propriétéde l'humanité. C'est dans les années 1970que l'on voit exploser le nombre d'étu-diants étrangers venus des pays du Sudayant tout récemment acquis leur indé-pendance. Le partage de savoir se situeune fois de plus au cœur du mouvementd'émancipation des peuples.

    LE VOL DES CERVEAUXNous assistons aujourd'hui à un doublemouvement : d'une part, la privatisationdes savoirs qui sacrifie leur constructioncollective sur l'autel des brevets et de laconcurrence internationale et d'autrepart, les mesures de restriction du séjourdes étudiants étrangers sur le territoire,comme outil de maintien de la domina-tion des pays du Nord sur les pays du Sud.En effet, derrière l'interdiction de redou-blement, tout comme l'interdiction de seréorienter, sous l'apparence anodine dedémasquer les profiteurs, se cachent lesmécanismes de maintien des inégalitésde classe, et le vol des cerveaux. Les étu-diants sont de plus en plus sélectionnésdès leur pays d'origine par le biais desCentres d’Études en France (CEF), quiconditionnent leur autorisation à venirétudier en France à leurs ressources finan-cières (7 680 euros sur l'année ou unrevenu de 620 euros par mois). Les CEFont fait leur apparition en premier lieudans les anciennes colonies françaises, etles pays victimes de la Françafrique. EnFrance, plus l'étudiant a des ressourceslimitées, plus la liste des justificatifs à four-nir auprès de la préfecture s'allonge : il ya là une volonté claire de sélectionner les

    étudiants issus des classes déjà domi-nantes des pays en voie de développe-ment. La masse des étudiants étrangers,précaires, ne pouvant prétendre à aucuneaide sociale, sont jetés tout crus dans lagueule du patronat, où ils s'épuiseront enheures de travail non déclarées, avant detomber sous le coup de l'expulsion. Dansun contexte de politique d'austérité et dequotas d'expulsions, qui fait du milieuétudiant l'armée de réserve du salariatprécaire, nous voyons bien qu'à l'inversedes traditionnels discours réactionnaires,la réalité nous montre que ce sont les paysdu Sud qui fournissent chaque année desdizaines de milliers d'étudiants et dejeunes travailleurs qualifiés à la France.Qu'en est-il pour ceux qui réussissent leurparcours du combattant, et obtiennentleur diplôme ? Ceux-ci, alors que nosdiplômes sont chaque jour davantagesoumis aux exigences du patronat local,se voient contraints de rester en France,faute de débouchés dans leur pays d'ori-gine. Ainsi, dire que les étudiants étran-gers ne peuvent pas bénéficier d'une for-mation qualifiante utile dans leur paysd'origine, c'est observer que les pays duSud sont maintenus dans la dépendanceconcernant l'offre de formation, et quelorsque les patrons français délocalisentleurs entreprises, ils y délocalisent aussileurs cadres dirigeants. La circulaireGuéant, ne fait que plonger ces jeunesdiplômés ainsi retenus dans l'illégalité,pour faire pression sur leurs salaires et lesrendre dociles. De même, nous pouvons avoir l'illusion,que du côté des programmes d'échangeseuropéens, la vie est bien plus rose, il n'enest rien ! Le processus de Bologne n'a pasété une harmonisation des diplômes, maisune harmonisation des exigences dupatronat européen. Aujourd'hui, le pro-gramme Erasmus tant vanté, en l’absencequasi-totale de cadrage structurel et finan-cier, permet à moins de 2 % d'étudiantsfrançais de partir étudier à l'étranger, leplus souvent il s'agit d'étudiants favori-sés par leurs ressources familiales, ou dansle cadre des IEP. En Grèce, en Italie,comme en Irlande, nous assistons à deréels exodes d'étudiants qui ne trouventaucun débouché professionnel dans leur

    pays d'origine, et qui rejoignent notam-ment la France dans l'espoir d'un avenirmeilleur.

    REMETTRE LE SAVOIR AU CŒUR DE LASOLIDARITÉ INTERNATIONALEEn premier lieu, il nous faut démasquerl'imposture du discours qui nous est tenuactuellement par le pouvoir en place : cene sont pas les politiques d'expulsionsdont les étudiants sont les premièrescibles qui créeront toutes les conditionsnécessaires à l'accès de tous à une for-mation de qualité dans les pays du Sud. À l'inverse de ce gouvernement quiexpulse pour maintenir sa domination,nous devons lutter pour l'égalité desdroits entre étudiants français et étu-diants étrangers pour construire aveceux, un fort maillage territorial de la for-mation partout dans le monde. La reven-dication historique de l'UEC « une carted'étudiant = une carte de séjour » per-met ainsi de remettre le droit d'accès àl'enseignement au cœur d'une vraie poli-tique qui soit au service des besoins del’humanité, plutôt que ceux d'obscursquotas d'expulsions. Le droit d'étudier,c'est le droit de prendre le temps des'adapter à des normes méthodologiquesqui ne sont pas les siennes. Donner vrai-ment le droit d'étudier, c'est reconnaî-tre qu'étudier est un travail à plein temps,c'est prendre conscience du fait que l'im-mense majorité des étudiants a besoinde six ans pour atteindre le niveaulicence, c'est donner le droit de persévé-rer. Donner le droit d'étudier à tous, c'estdonner accès à un logement social, à lasanté, à un cadre d'aides sociales. C'estpourquoi les étudiants étrangers ont éténombreux à nous rejoindre pour clameravec nous : « Ni précarité, ni charité, desmoyens pour étudier ! ». Ensuite, dans labataille pour la reconnaissance de l'Étatpalestinien, les étudiants communistesse sont rendus en Palestine, et se mobi-lisent dans leurs universités pour y obte-nir la création de jumelages avec les uni-versités palestiniennes. Partout, etjusqu'au Sénégal, nous construisons noscombats en commun. C'est dans cettedémarche, que nous comptons contri-buer à l'émancipation de l'humanité toutentière, pour que les étudiants méditer-ranéens qui ont fait leur printemps en2011 rencontrent notre chaleureuse soli-darité, loin de l'hiver rude que leur ontréservé Sarkozy et Berlusconi. n

    *Hugo Pompougnac est secrétaire à l'organi-sation de l'Union des étudiants commu-nistes.

    AU CŒUR DES PROBLÉMATIQUESMIGRATOIRES : LE PARTAGE DES SAVOIRS !En réponse au patronat qui exerce toujours plus de pression sur l’of-fre de formation, il faut gagner l’égalité des droits entre étudiantsimmigrés et français.

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  • LA REVUE DU PROJET - MAI 2012

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    LE DOSSIER Migrations, au-delà du fantasme

    e ne raffole pas des frontières. Pour être toutà fait franc, je ne les déteste pas non plus. Toutsimplement, je redoute le malaise qui m’en-vahit quand je me retrouve en tête-à-tête avecelles. Celles dont je parle avant tout, ce sont

    les frontières visibles, les frontières géographiques, cellesqui séparent les pays, les États et les nations. Même sielles sont devenues plus poreuses, aujourd’hui encorej’éprouve un curieux sentiment quand j’en franchis une :un mélange de délivrance et de gêne. Peut-être est-ce liéau passeport que j’ai sur moi. En tout