Michel Vovelle Revolution Revolutions

8/2/2019 Michel Vovelle Revolution Revolutions

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NOTES

Fvrier

2012

Rvolution - Rvolutions

lhorizon 2011-2012Michel Vovelle

Note de la Fondation Gabriel Pri


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Sommaire

Il y a vingt ans ................................................................................................................... p. 3

Une ralit, le dsordre mondial .........................................................................p. 3

Dans le temps court, depuis 2007..................................................................... p. 4

Comme une trane de poudre ............................................................................p. 5

Premire valuation par des universitaires - vrier 2011 ................p. 5

Des passions rvolutionnaires ............................................................................... p. 7

ransition...........................................................................................................................p. 10

Edgar Morin et Stphane Hessel : le temps des prophtes ..........p. 10

Dindignez-vous aux indigns ...........................................................................p. 14

Les limites dun envol :Le message commun de Morin et Hessel..................................................p. 16

De lmotionnel au rationnel ?..........................................................................p. 18

Retour aux rvolutions arabes............................................................................p. 22

Post-scriptum ..................................................................................................................p. 30

Illustration couverture:Carte : 2012 Google, INEGI, Maplink, eleAtlas

Marseillaise: photo de om Radulovitch


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3Rvolution - Rvolutions lhorizon 2011-2012

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Il y a vingt ans

Lobjet de linterrogation collective laquelle jinvite au-jourdhui tmoigne coup sr dune relle obstination : au-del dela Rvolution Franaise dont je mappliquais expertiser les restesdans mon ouvrage 1789 Lhritage et la mmoire(Privat, oulouse,2005), valuer ce qui demeure aujourdhui de la Rvolution, celleque nous attendions, et laquelle louvrage testament de Franois

Furet La n de lillusion communiste a, aux dires de beaucoup,port le coup de grce. ermine la Rvolution ? Nous le savionsdepuis 1989, et la campagne du Bicentenaire, quand la ormulede Franois Furet, rige en slogan scurisant, a t accueillie avecaveur par une partie de lopinion et les mdias. Dans louvrage quilconsacrait en cette anne 1989 lhritage de la Rvolution, cestun chapitre sous-trait Vittorio Strada qui explicitait le thme : lecycle des rvolutions de la n du XVIIIe sicle jusquau XXe, rvolu-

tions de la libert au XIXe

, de lgalit au XXe

est dsormais clos, lesRvolutions venir seront celles de la communication, du progrstechnologique, rvolutions paciques dans lquilibre du mondenolibral.

Sans pousser touteois comme lhistorien Fukuyama et quelquesautres jusqu prophtiser la n de lHistoire, Furet admettait, no-tamment en conclusion de La fn de lillusion quil y aurait toujoursdes nostalgiques de la passion galitaire, mais comme une invitable

squelle. Et la chute du mur de Berlin en 1990 tait devenue le sym-bole de lentre dans une nouvelle re. La thorie des passions remplaant la lecture marxo-jacobine qui avait prvalu encorechez nos matres (Labrousse : trois crises, trois rvolutions ) laporte se ermait sur la perspective de rvolutions authentiques ouutures.

Une ralit, le dsordre mondial

Et pourtant je nentreprendrai pas dvoquer les ralits dudsordre mondial dans les annes 90. Guerres ethniques en ex-

Yougoslavie, mondialisation accrue des conits internationaux, enOrient, en Arique, en Amrique du Sud et en Asie.


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Certes, la bulle de lOccident nolibral semblait prserve, all-

ge mme du poids de la guerre roide, et les dstabilisations terro-ristes dans les annes 70 en Allemagne ou en Italie avaient t conte-nues durant les annes de plomb, tandis quen Amrique Latine lerve de Che Guevara entrait dans la lgende.

Le 11 septembre 2001, la erreur a remplac la Rvolution :lordre hgmonique amricain qui sest arm sur les ruines dusocialisme dit rel stait impos en Europe et dans le mondesans perspective dalternative relle. Al Quada orme extrme de lanouvelle apocalypse va tre le support de la peur de lIslam nouveladversaire dsign. La rvolution islamique, telle quelle sest im-plante en Iran depuis 1979, est-elle une rvolution authentique,digne de recevoir le label ?

Dans le temps court, depuis 2007

La crise conomique, nancire a achev de rvler des ssuresproondes. Je nentre point dans le dtail :

Le complexe du 11 septembre et la n de lempire amricain, larvlation des pays mergents Chine, Inde, Brsil, la crise internedes dmocraties occidentales : corruption, bureaucratisation, prsi-dentialisation, banlieues : les barbares sont nos portes. Et depuislongtemps dj Charles Pasqua avait annonc que nous tions la

veille dune Rvolution ; dautres lont rpt jusqu Villepin. Agauche dans la gauche extrme comme on dit subsistaient desboues de l Illusion mme si Robert Hue dans La Mutationavait annonc quon nlverait plus de barricades. Mais jai collabo-r lhebdomadaire Rvolution qui se rclamait de Jean-JacquesRousseau Nous vivons le temps des Rvolutions et hier encore,en mai 2010 jtais sollicit Avignon de traiter le problme unenouvelle nuit du 4 aot est-elle possible ?

Quelle quait t lampleur du mouvement social dans la grandepousse de 2007, les protecteurs de lordre mondial taient encorel : Sarkozy, Merkel, Berlusconi. Et en ace Kadha, Moubarak, Ben

Ali, ajouterai-je par provocation.


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Comme une trane de poudre

unisie (Ben Ali, 14 janvier 2011), Egypte (Moubarak, 11 -vrier) puis le Ymen, Bahren efeur, la Libye, la Syrie : de lhiver2011 aujourdhui ont clat ce quon reconnat tre des rvolu-tions arabes, un mouvement qui nest pas achev aujourdhui lhi-ver 2011-2012. Je nai pas lambition de lanalyser, au plus de tenterde suivre au l de cette anne les avatars de lide de Rvolution et de

la aon dont elle est prsente.Mes sources sont modestes, au jour le jour les images visuelles dela tlvision, les crits de la presse, pour la chronique quotidienne etles prises de position (jai dpouill Le Mondeet LHumanit: cestpeu mais dj signicati, je lespre). Surtout, je me suis appliqu la production livresque, celle du moins que jai pu aborder : avecStphane Hessel et Edgar Morin jai rquent les prophtes, quanddautres, essais ou articles et tables rondes, apportent une approche

que lon pourra dire plus sereine ou scientique mais sous rservedinventaire

Premire valuation par des universitaires Fvrier 2011

Cest dune table ronde organise par Le Mondeassez prcoce-

ment le 21 vrier 2011 que je partirai pour poser la problmatique,car elle est un bon tmoignage des hsitations et des doutes deshistoriens universitaires sur la nature et la qualication du mouve-ment. Ce sont des personnalits autorises chacune sa aon : Sylvie

Aprile (Lille III) spcialiste de 1848, Pierre Hassner politologue deSciences Po, Henry Laurens du Collge de France, le seul trespcialiste du monde arabe. Est-ce ce triumvirat qui a dni le titre

et le thme 1848, 1989, 2011 : il tait une ois la Rvolution ?Lambition ache par le gigantisme du mot Rvolution dans letitre est dentre corrige par les sous-titres vagues de soulvementspopulaires et surtout leur choix trs slecti. Il en manque ! dirais-je au risque de dvoiler mon corporatisme, mais outre 1789, cest1830, 1871 et surtout 1917 qui manquent lappel. Cest volon-


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tairement que lon a mis de ct les rvolutions mres comme

on dit, et ocalis sur les printemps au sens littral ou non, cequi revient les rapper dune esprance de vie contestable et mena-ce, mais en mme temps maniester la prudence de rigueur pourdes historiens srieux qui rappellent le caractre alatoire des v-nements historiques. Mais ils connaissent leur mtier : sans se ris-quer parler de causes (lointaines ou immdiates) cest le protocoleclassique qui est appliqu lvocation des conditions de la crise,conomiques et sociales comme en 1789 ou en 1847 : voici des payset des socits o lagriculture domine, mme si elle napparatra pasaujourdhui sinon par le biais de la disette et la ambe des prix. Onne sattarde pas ces banalits et lon part en qute trs vite des traitsdistinctis (et autant que possible communs) ces mouvements po-pulaires, sans perdre touteois de vue, puisque cest la rgle du jeu,les analogies ventuelles rencontres avec les prcdentes. Un traitcommun, le souci dune lgitimitrevendique ace un pouvoir

autocratique et surtout corrompu, puis le rle ventuel de larmeingalement visible, li la dimension nationaledes mouvementscontigus, complices mais cloisonns

On a hte de sinterroger pour savoir quels enseignements ontt tirs du pass : jusqu quel point a t mdit lchec de 1989et surtout de la troisime voie entre capitalisme et communisme ?Et quand vient linvitable question sur lesperspectives davenir onpeut tout imaginer : que le peuple, in ne, se contente des institu-

tions actuelles, ou quil adopte un exemple comme le modle turc,ce qui ne serait pas la plus mauvaise solution. Ce qui peut nousparatre aprs coup un peu na cest linvitation la sagesse pour ne pas ruiner le tourisme qui me semble bien signicati dunmoment o le pass reste encore trs prsent. Mais avant tout jesaurai gr ces collgues davoir pos les questions simples. Quelssont les participants, les grandes gures, inspirateurs ou dirigeants :

le constat est quil ny en a pas (on nvoque pas Bernard-HenriLevy, quel aront !). Les exils pas plus quautreois nont le derniermot, mais ils se ondent dans les rangs des combattants. Quels sontceux-ci ? Une lite, certes, avec beaucoup de jeunes, des tudiants,mais aussi des sans travail de modeste condition, puis des plus gs,des reprsentants dune lite de statut plus lev qui ne sont pas


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tous mdecins, proesseurs ou cadres mais appartiennent la socit

civile. La prsence et lengagement des emmes sont souligns avecsympathie. Le tout-venant de la oule reste imprcis, on esquisseune csure ville-campagne, dans les grands rassemblements urbainssur une place qui ait oce de lieu de concentration. ous les par-ticipants au dbat ont t rapps de limportance des nouveauxmdias, du portable la toile, qui reprsentent dans la propagationdes mots dordre la nouveaut la plus rvolutionnaire banalise, sanstouteois que nous nen retirions lide quelle dessine les limitesde cette lite juvnile, enthousiaste, progressiste et dmocrate. Lacrainte des islamistes a t voque surtout en Egypte avec la pr-sence des Frres Musulmans, elle ne semble pas alors trs dangereuseen unisie orte dune tradition laque. Au nal, on sent les expertspartags entre une sympathie que lenthousiasme juvnile suscite,et les leons de leur exprience historique qui les rend plus pes-simistes : les printemps nissent toujours mal . Mais il en reste

toujours quelque chose.

Des passions rvolutionnaires

Par leur extension au cours du printemps et de lanne 2011,les rvolutions arabes ont sollicit une approche plus approondie,des articles et des ouvrages gnralement courts, mais qui exposent

une approche dirente en tmoignage du questionnement quellessuscitent dans le courant de lhistoriographie occidentale, majo-ritairement rallie la lecture uretiste : publi en mai 2011 auxditions de lEHESS les Passions rvolutionnaires Amrique Latine,Moyen-Orient, Indeest le ruit de la collaboration de chercheurs quise rclament de cette liation, notamment leur che de le HamitBozarslan, qui de louverture la conclusion rdige trois des cinq

contributions, Gilles Bataillon traitant de lAmrique Latine (Cuba,1959 ; Nicaragua, 1979) et Christophe Jerelot de Linde commeRvolution Nationale : des rvolutionnaires en qute de lgitimitau pays de Gandhi (1895-1935) . Quel que soit lintrt de cesdeux approches inscrites dans la moyenne dure pour la pninsuleindienne, dans un hier plus proche pour la Carabe, nous devons


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nous concentrer sur lapport le plus signicati dHamit Bozarslan,

chercheur iranien, qui traite de sa rvolution dans les annes sui-vant 1979, mais surtout inscrit sa dmarche en rrence lhritagede Franois Furet dans une grosse introduction de trente-deux pages,comme dans un post-scriptum pour poursuivre la rexion sousle titre De quoi la Rvolution est-elle le nom ? .

La singularit de cet ouvrage collecti paru en mai 2011, unmoment o la crise des rvolutions arabes atteignait dj son pleindveloppement en touchant la Libye et la Syrie sans quils entraitent vraiment, ne tient pas seulement son dcalage par rapport lhistoire immdiate en cours : ses trois auteurs, dont un Iranien,abordent le problme des rvolutions non europennes la veille delpisode en cours. Mais plus encore ces reprsentants de la mou-vance que lon peut dire de lEHESS , trs marque par linuencede Franois Furet, se prsentent du moins sous la conduite dHamitBozarslan comme des hritiers, ou des mules, dont le texte de r-

rence est le grand testament du matre La fn de lillusion communiste.Cest le paradoxe dun ouvrage qui souvre, en orme de dialogueposthume avec Franois Furet, par une analyse des thmatiques del Illusion , avec le dessein ach de tester leur caractre opratoiredans le champ des nouvelles Rvolutions non europennes. Ce quiconduit reconnatre, comme le ait plusieurs reprises Bozarslanque Furet ne sest pas risqu sur ces chantiers, que son univers esteuropen et amricain, un ou deux excursus prs. Le chapitre quil

a sous-trait en 1989 Vittorio Strada dans son ouvrage sur lhri-tage de la Rvolution, mettant imprudemment un point nal lredes Rvolutions, ne rete pas compltement sa vision. Les ouver-tures ultrieures de Furet se dmarqueront de Fukuyama et de lan de lhistoire mais elles ne vont pas au-del dans la conclusion del Illusion de la reconnaissance quil subsistera toujours une placepour ranimer les braises de lillusion, de la passion galitaire.

Ce qui ait que Bozarslan, ne voulant pas convenir de lchecdun uretisme contredit par lhistoire, en tire ce qui lui semble entre la quintessence : la rvolution comme passion, au sein dunehistoire des passions collectives, positives comme celle de la libert,mortires comme lgalitarisme ou le nationalisme. Cest en termesde passions quon entreprend de prospecter le monde extra-euro-


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pen, avec laide de celui qui prend auprs de Bozarslan le relais

de Franois Furet, Martin Malia auteur en 1961 dun ouvrage re-marqu sur lIntelligentsia russe, puis rcemment dune Histoire desRvolutions(aillandier, 2008). La transition du matre ce succes-seur improvis va-t-elle de soi ? Un instant Bozarslan se pose la ques-tion, mais il est trop heureux de retrouver un guide auquel il em-prunte au moins deux ides ondamentales : celle, pour aire simple,du lien entre Rvolution et aspiration religieuse(millnariste) et plusparticulirement lhrsie et ses avatars caractre rvolutionnairedans la longue dure de lhritage europen. Ce qui est au moinsorcer un peu la rexion uretiste au risque de la solliciter abusive-ment. Mais cette adaptation de lhistoire des passions saccompagnechez Malia de lintroduction dun concept, le Gradiant Est Ouest,qui inchit linscription dans lespace de lhistoire des Rvolutionsdu XIXe sicle nos jours. De lEurope occidentale des rvolutionslibrales et nationales entre 1789 et 1914, une migration sest opre

vers lEst, passant par la Russie, tape majeure en 1917, du ait dutraumatisme collecti de la Grande Guerre, pour Furet comme pourses mules picentre de la grande mutation dans lhistoire des rvo-lutions. Cest partir de l que soprera la diaspora des rvolutionsdu XXe sicle vers le Moyen-Orient, lAsie, lArique et lAmriqueLatine (suivant un pendage ouest-est approximati !). En Europe,lillusion marxiste lniniste est dsormais dissipe, et le verdict ure-tiste accompli. Au-del, la voie reste ouverte au dchanement de

nouvelles passions, quelles adaptent ou rcusent le modle occiden-tal. Pour notre auteur, il y a des rvolutions mres susceptiblesde se projeter sur luniversel et de nourrir limaginaire collecti. Il endcompte trois : 1789, puis la rvolution doctobre 1917, et enn larvolution iranienne depuis 1979. Il traite de celle-ci de aon plusprcise en insistant sur son originalit par rapport aux deux autres,qui est de sadosser explicitement une religion constitue : ce

titre elle rednit luniversel en le rtrcissant au monde musulman.Cette autonomisation par rapport au systme monde la condamne tre inniment plus radicale, gnratrice de plus dattentes et dedceptions, du ait de son caractre proondment conservateur .

En nous abandonnant ce stade, les auteurs, et en particulierBozarslan, napportent pas de rponse ou dexplication convain-


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cante, me semble-t-il, lanalyse des nouvelles rvolutions du

monde arabe depuis janvier 2011. Lhistoire des passions ne sauraittre la cle qui ouvre toutes les portes et la vulgate uretiste dvoileici ses limites.

Transition

L o les historiens cherchent leur voie ou appliquent leurs re-

cettes, lvnement prend corps et prolire de lhiver au printemps2011. Il se gree sur un contexte de crise sociale, nancire et po-litique en Europe et aux tats-Unis, o le rve (?) de Rvolutionpeut tre caress. Sans accorder une anecdote personnelle plusdimportance quelle ne doit en avoir, jai t sollicit (par le regrettcollgue Grosso) de traiter en mai 2011 devant le cercle CondorcetdAvignon de la question navement pose : Une nouvelle nuit du4 aot serait-elle possible en France aujourdhui ? . Problme de laRvolution aujourdhui nos portes. Mais cest quen ce printemps,leet boomerang des rvolutions en cours dans le monde arabe ai-sait natre des rponses inattendues, voire spectaculaires par lchoquelles ont reu.

Je vais parler du temps des prophtes, au sens quasi biblique duterme, en voquant Stphane Hessel et Edgar Morin.

L o les historiens pitinent ou sinterrogent, la Rvolution se

retrouve-t-elle porte par dautres voix au cours de cette saison 2011o lon a pu suivre en parallle les proclamations qui accompagnentles mouvements rvolutionnaires sur le terrain et lclosion simulta-ne dun certain nombre de maniestes ?

Edgar Morin et Stphane Hessel :

le temps des prophtesDu prophte biblique, Stphane Hessel et Edgar Morin ont un

trait quils partagent en commun : ils sont vieux, plus de quatre-vingt-dix ans lun et lautre. Ils ont droit au respect, surtout Hesselsans doute pour sa carrire exemplaire de la Rsistance la haute


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onction publique, un sans-aute et sans compromission. Edgar

Morin a le prestige de ses ouvrages depuis les annes 1950, socio-logue engag qui a su prendre ses distances et accompagner le mou-vement de lhistoire dans ses inexions successives. Leur rencontre lhiver 2011 pourrait tre voque en termes ironiquement cruels :en dcembre 2010 Edgar Morin prpare avec son diteur Fayard lasortie dun livre testament dont le titre nest pas modeste : La voie.

Au sein du trouble et de lindcision dun aujourdhui o lhuma-nit semble courir sa perte, il propose son arbitrage, et mme unesolution.

En point et contrepoint, une dmarche quasi pascalienne ex-pose dun ct tous les dangers qui menacent lhumanit, depuislaccroissement des ingalits, les conits dordre social et politique lchelle mondiale, jusqu la nature agresse : tout converge versune apocalypse prvisible. En regard on expose la ace positive duprogrs, les virtualits dun amnagement humaniste de la plante

et de lquilibre mondial, dlivrant un message desprance Etvoici qu limproviste, cette dmarche assure, pleine dautorit sevoit comme traverse par un petit bolide, inattendu, insolent, uncri peine dvelopp sur trente pages dune plaquette dditeur in-connu : Indignez-vousproclame Hessel au nom de la Rsistance quilincarne, la dlit ses valeurs, comme celles de la DclarationUniverselle des Droits de lHomme. exte peu argument, mo-tionnel, sympathique dans sa dnonciation des ingalits, des injus-

tices scandaleuses, dhier en Algrie jusqu aujourdhui Gaza. elquel ce brlot ait mouche cest peu dire. En quelques semaines ilse diuse par quel miracle ? des centaines de milliers dexem-plaires en France et hors de France, trouvant des sites daccueil Espagne, Italie, mais aussi Allemagne, dont la carte, telle quelle at tablie par Le Monde, nous interroge car elle nest pas vidente.Pour lors, il y a quelque cruaut dans le combat des vieux ches par

diteurs interposs : Edgar Morin est vex davoir t coi sur lepoteau par ce ree-lance, ce senior sorti don ne sait o. Il importaitquils se rconcilient : cest chose aite comme on a pu le voir. Maison peut suivre au l des mois les commentaires : sur France 2, 13 heures 30 le 9 janvier 2011, un dbat, auquel participe la se-crtaire dtat Nathalie Kosciusko Morizet, la montre mprisante


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lgard de Stphane Hessel, plus respectueuse lgard dEdgar

Morin quand il parle de mtamorphoses .Pour moi qui suis un vieux, quoi quen retard de quelques

annes, et de plus modeste stature, je dois avouer quelque agace-ment lgard dEdgar Morin, que je pratique depuis les annes50, lorsquil crivait lun de ses premiers ouvrages sur Lhomme et lamort, tmoignage encore dun optimisme de rigueur en ces temps,o lon pouvait envisager datteindre un stade sinon dimmortalitdu moins d amortalit relative plus de cent ans certes, grceau srum de Bogomoletz. Il serait injuste de ricaner. Jai retrouvEdgar Morin sur ma route, toujours dtenteur assur dune vrit,en 1989 lorsquil dlivra dans Le Monde, au cours de lt une pro-clamation Dmythier, remythier la Rvolution Franaise . Sarecette tait alors celle des tourbillons emprunts au vocabulairecartsien pour dsigner la nature du ait rvolutionnaire dans lhis-toire, comme squence invitable de violence, propdeutique une

issue positive : ctait celle quil attendait, aprs ien An Men maisavant la chute du mur de Berlin, des mouvements quil voyait seproduire dans le monde qui se disait socialiste. Edgar Morin croyaitencore la Rvolution, il a chang, on ne saurait lui en aire grie.Passant du mcanisme cartsien au registre des sciences de la nature,il remplace aujourdhui les tourbillonspar les mtamorphoses: unenotion nous dit-il plus riche que celle de la Rvolution . Elle engarde la radicalit novatrice mais la lie la conservation de la vie,

des cultures, du legs de pense et de sagesse de lhumanit . Exitla Rvolution, mme si lon convient quil existe dj sur tous lescontinents ou toutes les nations des bouillonnements cratis mais les convulsions de la crise de lhumanitrisquent dtre mor-tels . A la place de la voie rvolutionnaire, riche de tous les apportsde sa culture et de son exprience, communisme, socialisme, anar-chisme, et pour nir devenu cologiste sans la carte, le sociologue

nous ouvre une pluralit de chemins rormateursqui permettrontdoprer l encore invisible et inconcevable mtamorphose. (inter-view dans LHumanit, 6 dcembre 2010).

Stphane Hessel, pour sa part, nappelle pas non plus laRvolution : dans lesprit de lhritage de la non-violence o il sereconnat dans la conclusion, il appelle une insurrection paci-


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fque . Cest un peu court, et piqu au vi par les critiques du clan

Fayard, Hessel, dans les interviews que lon sollicite de lui, se mon-trera parois tent par Nicolas Hulot. Sans tomber touteois dansle pige cologique. Il a compris quil allait muscler son discours :interview la n de mars par LHumanit Dimanche (31 mars 3 avril), il a ait plus que persister Voter est une orme dengage-ment, mais cela ne sut plus. Il ne sut pas de sindignerdelinjustice du monde comme sil sagissait dun vaste panorama, ilaut ensuite sengagertrs concrtement .

Rceptive, la presse, en loccurrence LHumanit Dimanche, aauditionn Edgar Morin en janvier 2011 puis le 1er mars sur lavoie de la mtamorphose , avant de donner la parole StphaneHessel dans le mme cadre, double page avec photo grand ormatdes auteurs, Edgar Morin un peu carnassier, Stphane Hessel undemi-sourire, pour la prsentation de son nouveau livre, versionamliore de son projet sous le titre Engagez-vous.

Sollicits, les auteurs se produisent en public : invit de la pre-mire universit populaire de LHumanit le mercredi 20 mars lUniversit Paris VIII. Edgar Morin, remontant aux sources de lagauche , y lance ses pistes desprance en termes de rassemble-ment de ma gauche moi . On est plus prs dune pr campagnelectorale que dun appel aux armes. Si lon ne saurait stonnerde laccueil empress rserv de telles recrues, il reste que pourla gauche extrme comme on dit, cest sous rserve dexamen : une

table ronde de LHumanit Dimanche le 26 mars 2011 sinterrogesur le thme Badiou, Hessel, Morin, pourquoi ce succs ? entrele rationnel et lmotionnel quelle est la raison du succs ? Et lonny entend point que des compliments sur Hessel. Lditeur MichelSurya tranche : le succs tient presque rien, on ne dit peuprs rien . On doit se rjouir : Lhomme est estimable . Maissinquiter aussi : un livre daussi peu de pense dit malgr lui en

quelle indirence sinon en quel mpris sont tenus dsormais leslivres de pense dont il tient lieu. Rexe corporati pourra-t-ondire et incomprhension. De aon plus agrante encore que pourle gros livre, nous conviendrons pour notre part que ce qui importecest la valeur de symptmedont tmoigne lampleur de la ractionet de la rception du public.


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Ce succs est lunisson du dveloppement des mouvements

rvolutionnaires du printemps lt 2011 : et lon constate quiltrouve son apoge lors du rendez-vous de la te de lHumanit,en septembre, quand Edgar Morin est accueilli comme un porte-parole exceptionnel dans une atmosphre qui se prte escaladesverbales. Les chroniques de la te insistent sur la prsence dans lesdlgations comme dans le public dmissaires des rvolutions envrai, de unisie, dEgypte, mais aussi de Syrie et de Libye, commegalement dIsral. Et cest de Rvolutions authentiques que lonparle. Quitte ce que les politiques dans ce contexte se risquent ranchir le pas eux aussi, voquant la Rvolution citoyenne chez Mlenchon qui parle de prendre le pouvoir aire placeau peuple, on appelle cela une rvolution .Dans un entretien du30 septembre, Patrick Besson, compagnon de route, se voit orirune page entire pour armer plutt la rvolteque lindignationqui a quelque chose de bourgeois.

Dindignez-vous aux indigns

Cest cette escalade qui sinscrit dans le mouvement des indi-gns tmoignage de limpact dun mot lorsquil rencontre, sinonles masses, du moins un public qui ladopte comme mot dordre.Les indignadosont-ils tous lu Stphane Hessel ? Question assez vaine

mme si la comparaison des deux cartes de la diusion du livreet des mobilisations de la rue nest pas sans intrt. La France oplus de 2 100 000 exemplaires avaient t vendus, bonne premiredevant lAllemagne (450 000), lEspagne (430 000), est suivie deloin par lItalie (120 000), la Grce (12 500), mais les tats-Unis at-teignent 50 000, la Chine annonce 30 000, la Core du Sud 20 000et le Portugal 10 000. Une gographie se dessine, avec explications

lappui : la France mais aussi lAllemagne sont grosses lectrices maisencore peu touches (septembre-octobre) par les maniestations derue, lEspagne au contraire, un des picentres de la maniestationde rue de la Puerta del Sol cumule les deux engagements, de mmeque la Grce la hauteur de ses moyens, mais avec le prestige de laplace Syntagma. La presse quotidienne nous ait suivre les tapes de


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la diusion du mouvement. Elle porte un regard tout particulier sur

les Amricains qui se sont maniests Wall Street le 17 septembre,un mouvement dans la prime enance mais prsent dj danssoixante villes en attendant mieux (Le Monde, 8 octobre 2011). Ilva de soi que ce sont les grandes convergences espagnoles qui sontles plus suivies, au lieu de naissance du mouvement des Indigns sous le titre de Mouvement du 15 mai Madrid, qui se targuecinq mois plus tard dtre au cur dun rseau de plus de soixantevilles.

Qui sont les indigns? Petits groupes lorigine, rompus, sinoninventeurs dune technique souple de rassemblements spontans surles places, grce au net et aux nouveaux moyens de communication,on nous les dcrit comme une oule plus ou moins nombreuse, deshommes, des emmes en nombre, des jeunes, beaucoup de jeunesmais aussi des vieux riches de leur mmoire. Des pauvres certes, delextrme pauvret des chmeurs, des sans-emploi, celle des nou-

veaux dracins par la crise. Mais on ne manque pas de recueillir lesparoles, aprs celles attendues des tudiants et des enseignants, duncadre, dun entrepreneur, de bonne ou moyenne bourgeoisie quitient partager le ras-le-bol du petit peuple des ruisseaux.

La rencontre interclassiste, la plus nette dans les sites les plusdvasts de lEurope mridionale (en contrepoint de llitisme new-yorkais), ne dbouche que sur un programme pour le moins ou,bien quil ait ses mots dordre et ses slogans tranchants. Changer

le monde, abattre le pouvoir des banques et du capital nancier,extirper la corruption ; voire mme nettoyer les curies dAugias dela classe politique, cette revendication de table rase saccompagne delexpression dun rve qui, parti du droit lexistence, senrichit desexigences dune utopie, dmocratique, sociale, cologique.

Quel avenir pour les indigns ? La presse des lendemains dela grande maniestation internationale du 15 octobre (Le Monde,

mardi 18 octobre 2011) rend compte du succs mitig des mani-estations en rponse lappel international lanc. Certes on parlede 951 villes de 82 pays, mais maigre mobilisation en France, un op en Grande-Bretagne, le mouvement marque-t-il le pas ?


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Les limites dun envol :le message commun de Morin et Hessel

Edgar Morin et Stphane Hessel ont scell leur rconciliationpar une publication commune, un livret de 61 pages chez Fayardsous le titre Le chemin de lespranceparu en octobre 2011. Il esttrop tt pour valuer son succs. Je doute quil soit la hauteurdes prcdents. Leet de rptition est trop visible, le clin dil

publicitaire trop vident, puis les temps ont chang, comme onverra. LHumanita salu le texte subversi comme porteur de cette utopie qui est devenue un produit trop rare dans le magasin dela gauche (LHumanit, 30 septembre 2011). Jai tenu dcrypteravec autant de soin que de sympathie le produit de cet accouple-ment tardi, propre peut-tre orir une lecture synthtique duneRvolution venir. La dception est grande, la Rvolution nest paspour demain, la usion applique des deux apports en extirpe ce qui

pouvait y rester de provocateur. La rencontre sopre sans trop depeine sur le registre de la dnonciation : sont dnoncs dans lhis-toire le anatisme, le manichisme et lInquisition, la barbarie de laguerre, du capitalisme, les ingalits croissantes, la comptitivit, leconsumrisme et le gaspillage, la rgression dmocratique et laai-blissement de ltat. On pousse plus loin que ce catalogue auquelnous sommes habitus, jusqu lintime des atteintes la personnehumaine, la solitude, la drogue, le dsamour, le divorce Mais lis-

sue nale reste la mme : dsastre, cataclysme, apocalypse, si nousnous laissons aller. En contrepoint, larsenal de nos valeurs, voqudans lhistoire, o lon retrouve la touche de Stphane Hessel, avecparois le souvenir des preuves tragiques, jusqu la crise thmecommun aux deux auteurs, mais aussi les nouveaux prils dans lesystme plantaire o se dchane le capitalisme nouveau, lexacer-bation des ingalits, la corruption des lites. Les thmes sensibles

sont choys : la culture et lducation objet dune attention inquite,la mondialisation particulirement cible pour son caractre am-bigu, et de ce ait pervers : un progrs ou une ncessit mais enmme temps, dans le systme du libralisme occidental actuel, unagent ravageur de destruction de notre civilisation. Dmondialiseren dendant les autonomies et les solidarits du terroir ou de larti-


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sanat, cest dendre une certaine ide de lEurope, terre daccueil et

de tradition humaniste.Avec amme, ces thmes nous sont proposs, nous qui ne

demandons qu tre convaincus. Mais comme dans les runionspolitiques de ma jeunesse, on attend toujours une intervention, auond de la salle : passer aux conclusions, aux mesures pratiques, enun mot : quel programme ? Morin et Hessel se sont mis daccordsur un slogan : rejeter la civilisation actuelle du bien-tre(entendonsgosme, consumrisme) pour une civilisation du bien vivredans lecadre dune socit humaniste quils nhsitent pas voquer sousle sigle de laectivit et de lamour. Nous sommes ici parois auxportes du phalanstre, et somme toute Edgar Morin nen discon-viendrait pas.

Cela se dvoile lorsquon esquisse le plan des institutions dans lacit venir toute axe sur la qualit de vie collective respectueuse desindividus : dans une atmosphre de erveur et dexaltation estive

voire potique, on dcouvre la maison de la raternit, accueillante tous les besoins et toutes les dtresses. Au sommet, un Conseildtat sera le gardien vigilant de lthique collective, trois conseilspermanents saronteront lun aux ingalits, les autres aux ds-quilibres et la transormation. Mais comment soprera lagrandemtamorphosequi sera gre par la gouvernance mondiale voire pla-ntaire, oprant la rgnration de lhumanit?

Rattraps par lhistoire quotidienne Hessel et Morin signalent,

sans trop sy attarder, le mouvement des indigns qui ont rpondu lappel lanc par Hessel, ils relvent que un peu partout dansle monde les peuples viennent de se dresser contre le pouvoir e-rn de largent , preuve que limpulsion [est donne] pour cette grande rorme surgie des proondeurs . Mais lorsquils envisagentune nouvelle nuit du 4 aot , nos bons aptres voquent avecbienveillance le geste philanthropique de quelques richissimes

Amricains.Sils en appellent la nouvelle rsistance, ils nusent pas du termede rvolution, et avec prudence de celui de rvolte. Ils appellent une insurrection des consciences et un mouvement citoyen. Lamtamorphose soprera par la conjonction de processus multiormes,rormateurs et transormateurs. Ce nest pas par des rvolteset des


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insurrectionsque changera le monde mais par la voie , dit-on, que

lun dentre-nous a tent dlaborer.Il serait malsant de commenter avec aigreur ou commisration

ce tmoignage qui plonge eectivement ses racines dans lhritagede lUtopie du XIXe sicle. Mais il convient de se rveiller, et deretrouver aprs les indigns, les rvolutionnaires du terrain que noussemblions avoir oublis.

De lmotionnel au rationnel ?

La table ronde organise par LHumanitle 28 mars 2011 asso-ciait de aon apparemment un peu arbitraire Morin et Hessel,

Alain Badiou qui visiblement ne tenait pas le mme langage. Ildevait reprsenter le rationnel, tel quon le prsentait partir dequelques publications : mais cest seulement en octobre 2011 quil a

dlivr son message, enrichi de ce ait de toute une partie des exp-riences de terrain des mois couls, au moins jusqu septembre.Ce livre, Le rveil de lhistoire, se dmarque demble du registreprophtique sans entrer dans la catgorie des analyses universitairesdes spcialistes. Philosophe engag connu par ses positions duncommuniste autoproclam non marxiste, cest une analyse nonmoins engage, chaleureuse mais sans le lyrisme des deux compres,puisquelle entend dresser un constat en partant de la ralit des

rvolutions arabes en cours. Son titre en dit le propos et lambition.Il salue ce qui se passe dans le monde arabe comme le tout

dbut dune leve populaire mondiale encore aveugle, nave, dis-perse mais qui en ouvrant le temps des meutes va nous sortirde la version atone et corrompue de dmocratie pour revisiter lidedu communisme en la nourrissant de ce que la vivace diversit desmeutes si prcaires nous enseigne.

On commence par un tableau enlev du capitalisme aujourdhuien rponse Antonio Negri qui la accus de ntre pas marxiste etdignorer le mouvement du nouveau capitalisme postmoderne laveille de sa mtamorphose en communisme.

Non rpond Badiou, le capitalisme na pas chang, il reste dle son essence, tel que Marx, vri par lhistoire la analys dans sa


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ralit et son avenir. Ce capitalisme est la veille de sa fn (et ce

titre Fukuyama a raison). Mais il aut le rveil de linitiative popu-laire o senracine la puissance de lide.

Avec jubilation, Badiou entreprend de dcrire les ralits pr-sentes, et den aire la thorie. Il distingue trois ormes dmeutes:immdiate, latente, historique.

Lmeute immdiate, vieille comme le monde, est une rponse lpisode violent de la coercition dtat. Fait universel, de tout tempselle a exist, de la France de la Fronde la Chine des aiping ouautres lieux. Aujourdhui ces meutes sobservent partout, Londreschez les jeunes, en Chine chez les ouvriers et les paysans, aux tats-Unis chez les sans-papiers mais aussi en Iran ou en Palestine.

Ces meutes prsentent des caractres communs : Elles impliquent une jeunesse indiscipline, mobile, sonore ; Elles sont localises, circonscrites au centre des villes, mais

aptes tre imites dans des lieux semblables. On note la prsence des emmes, mais le recrutement restequivoque, susceptible dtre inltr et dnatur par la pgre.

Avec lmeute latenteon reste dans le cadre des pays occidentauxqui se disent dmocratiques, ce qui autorise la coexistence paciquedes direntes ractions des lites au pouvoir. Dans ce cadre, on napas connu depuis quarante ans dmeute historique, mais plutt

des meutes latentes molles dont la campagne contre la rormedes retraites en France donne lexemple. Des possibilits dinven-tions ponctuelles se prolent (grve par procuration, occupationsdusines) mais sans dboucher sur un au-del imprvisible. Peut-treaurait-il su dune tincelle dans la campagne pour les retraites ?

Lmeute historique est la rappante nouveaut des pays arabes

actuels, en termes dacharnement, de dure, dindpendance. Onassiste en ces lieux la transormation dmeutes immdiates enmeutes pr politiques. Cela implique la convergence dun certainnombre de composantes : Llection dun lieu central durable, comme la place ahrir au

Caire.


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Le passage dune extension par imitation une extension

qualitative , quand sunient toutes les composantes dupeuple soit quand la prsence compacte dune oule multi-orme vaut pour le peuple entier .(A ce stade, Alain Badiou invoque la caution de rotski Lesmasses sont montes sur la scne de lhistoire )

Linvention dun mot dordre unique dsigne un enjeu im-mdiat Dgage

Ces constats autorisent lauteur parler de la raret historique des meutes gyptienne et tunisienne de 2011, apte y aire appa-ratre un rveil de lhistoire . Il aut, dit-il, remonter trente-deuxans en arrire, la chute du shah dIran en 1975 pour retrouver untel phnomne.

Mais depuis lors sous le signe de lantitotalitarisme, se sont en-chans les checs : la Rvolution culturelle chinoise sest croule

sous sa propre violence anarchique .La rvolution iranienne de 1979 aprs la chute du shah, sesttermine par une impasse pour une population encastre dans uncontexte thocratique . La Pologne de Solidarnosc est invoquecomme une exprience comparable celle de lIran. Au contrairela unisie et lEgypte ouvrent des possibles historiques mais nous ne savons pas quoi conduiront les meutes de unisie etdEgypte (Badiou, p. 60).

Nous sommes dans une priode intervallaire (ce nologismena tait-il bien utile ?). Une gure ouverte de lmancipation aitdaut .

Parvenu ce stade dune analyse qui se veut rationnelle, au risquedu schmatisme, lhistorien ou le simple lecteur clair sinterroge :cette typologie des meutes ne lui apprend pas grand-chose, ellesemble ignorer la rexion sculaire de Leebvre, Mathiez, Soboul,

et surtout du Labrousse, de Comment naissent les Rvolutions ? .Faire lhistoire immdiate dune rvolution en cours, Marx nousen avait donn de magistrales illustrations (Les luttes de classe,le 18 brumaire de Louis Napolon Bonaparte). Lauteur en aconscience et senonce dans la remmoration historique des ana-logies , cet exercice qui a t trs pratiqu au sicle pass, par les


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politiques et vis--vis duquel les historiens ont pris leurs distances.

Nous sommes entre 1815 et 1850 voquant les meutes dupremier XIXe sicle, et comment le soufe issu de la RvolutionFranaise, quil dsigne trop simplement comme lide rpublicaine,se serait puis, au mme titre quaujourdhui celle de dmocratie.

A ce jeu, les meutes napportent pas en elles-mmes de solu-tion, lhistoire ne porte pas en elle la solution des problmes quecependant elle met lordre du jour : pour Badiou, les meuteshistoriques ne sont pas la Rvolution. Elles ne peuvent gnrer quela dception devant un nouveau pouvoir identique lancien. Lesrvolutions arabes vont se poursuivre en rassemblant une partiedes jeunes les mieux organiss pour dnoncer les pouvoirs anciensreconduits, mais cela ne produit pas lide pour organiser (iciBadiou sabandonne un retour nostalgique sur le Manieste deMarx et Engels en 1848, et sur laudace du POSDR et des bolche-viks de se dclarer aptes onder un Etat nouveau).

A daut dorganisation, lide-orce des meutiers daujourdhuipeut-elle sincarner dans un dsir de libert , de monde civilis certes justi par lodieux des dictatures dtruites mais sagit-ildun dsir dOccident ? Brutalement, Badiou, qui achve enoctobre 2011 son essai, tranche en Libye : Franais et Anglais ontabriqu des rebelles de bric et de broc . Et comme il est normal, lissue dun exercice de simulation analogique, il met des supposi-tions sur ce qui sortira de tous ces mouvements : des constitutions

modestes, celles dlections bien contrles portant au pouvoir lessicaires de lancien rgime ou une mouture dIslam modr dontnos gouvernements apprennent quil ny a pas grand-chose redou-ter . Une issue vraisemblable sera linclusion occidentale . Mmesil a sur Hessel et Morin lavantage apprciable dcrire six moisplus tard, ce nest pas si mal comme prdiction, lentre de lhiver2011-2012. Mais au vrai, les trois universitaires runis en tribune

par Le Mondeen vrier 2011 navaient-ils pas envisag dj une sor-tie de crise de ce genre, mme sil leur manquait encore une partiedes cartes ?

Pour Badiou, le vrai changement (rvolutionnaire ?) serait une sortie de lOccident Un rve ? En Egypte, o le mot dmo-cratie loccidentale pourrait seacer devant la dmocratie de


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masse de la dictature populaire du peuple entier qui larracherait

la pression du dsir dOccident ? Un instant de rve qui sebrise in ne, en portant un dernier regard sur lEurope, engluedans ses problmes didentit et de racisme culturel, sa peur desclasses moyennes envers le peuple des banlieues Lauteur porteun jugement bre et sans complaisance sur les indigns espagnols,il tmoigne de son respect pour Stphane Hessel, sans dissimuler sacommisration. Et le mot de la n est emprunt aux Espagnols. Cenest pas dgage , mais lections, pige cons .

La publication de lessai dAlain Badiou nest pas reste inaper-ue dans la presse communiste : LesLettres Franaisesen ont renducompte dans leur numro de novembre 2011, et LHumanitdanscelui du 30 de ce mois. Mais lune comme lautre de ces publicationsavalisent le dclassement desdites Rvolutions arabes , ravales aurang dmeutes( Le temps des meutes dans Les Lettres Franaises, nous sommes dans le temps des meutes dans LHumanit).

Elles nont pas droit au triple A ! Ne serait-ce pas le tmoignage delembarras des partis hier rvolutionnaires dans notre Europe occi-dentale, rduits tenter dexpliquer par les manipulations identi-taires du camp libral aux abois la aon dont on a jusqu prsentrussi endiguer dans nos classes moyennes (voire populaires) laderlante rvolutionnaire dont les indigns sont les reprsen-tants encore marginaux ? Mais quadviendra-t-il quand la lame deond qui se prpare actuellement dans le cadre de la gigantesque

crise nancire sociale, et mondiale va atteindre son paroxysme ?

Retour aux Rvolutions arabes

Les textes que jai choisi danalyser chaud ne reprsententquune slection au sein dune ination ditoriale spectaculaire du-

rant lanne coule, ciblant lobjecti de lemploi du concept deRvolution. Jassume volontiers cette limite dans la prospection durayon complet des ouvrages qui, dans nos librairies un peu achalan-des, se sont prcipits sur ce sujet lordre du jour, sous la plumede spcialistes ou de journalistes, tels que jen ai lu quelques-unsavec plus ou moins de prot. Masri Feki, n au Caire, chercheur


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en gopolitique, est pdagogue lorsquil analyse la gopolitique et

les enjeux des Rvoltes arabes(Study-rama 2011), Jean-Pierre Filiuuniversitaire Science Po traite doctoralement de La Rvolutionarabe, en dix leons sur le soulvement dmocratique(Fayard, 2011),Ren Naba, journaliste lAFP Beyrouth, vend la mche quandil titre Les Rvolutions arabes et la maldiction de Camp David(Ed.Bachari, 2011).

Il y aura plus tard analyser et comparer ces dirents pointsde vue, regards comptents mais souvent engags, aperus que lahte de publier entre avril et mai 2011 rend incomplets voireimprudents, aute de connatre la n du lm. On peut adopter unmoyen court de aire oraison. La chronique quotidienne de la pressecrite ou tlvise telle que je lai suivie depuis prs dun an, dedcembre 2010 novembre 2011 apporte une inormation que jepeux, comme les autres, enregistrer et tenter de dcoder avec un ilcritique, sans avoir pour autant la comptence dun expert ou dun

spcialiste, ce nest pas mon ambition. Nous en savons assez toute-ois pour apporter quelques rponses, et de nouvelles questions, ltat des lieux que les historiens consults par Le Mondedressaienten vrier 2011.

Les mouvements ou les rvoltes qui se sont ait jour durantcette priode partir de la unisie et de lEgypte se sont intitulsrvolutionset il ny a pas lieu de discuter ce statut, non point telle-ment du ait que la communaut internationale dans ses instances,

ou certains pays comme la France, laient reconnu (lgitimit dis-cutable), mais en raison de lampleur mme des bouleversementsoprs, mettant bas de aon irrversible dans trois pays au moinsde laire mditerranenne, unisie, Egypte, Libye, les rgimes dic-tatoriaux qui les opprimaient. Dans la dsignation qui leur a tapplique les rvolts ou les rebellessont devenus des patriotes, etplus explicitement des citoyens. Le concert des nations, notamment

de celles qui se targuent dtre les championnes de la dmocratieles a donc lgitims, allant jusqu intervenir directement sur lethtre doprations libyen au prix de quelques dpassements dumandat qui avait t con. Le discours justicati prsent par lesches dtat et leurs reprsentants exprime le programme, non pointdune Sainte Alliance inverse, on sen dend et lunanimit nest


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pas aite, mais le credo dun soutien la dmocratie en lutte. A

daut de prophtes, un philosophe autoproclam, Bernard HenryLevy a voulu apporter par son intervention directe aux cts desinsurgs de Benghazi la caution de la dmocratie quil incarne.

enter de aire le point aujourdhui (dcembre 2011), cest cou-rir le risque de lobjection que nous avons aite aux auteurs presss :mais en un an, les choses ont chang, des perces ont t aites, desespoirs dus dans le dploiement dune onde rvolutionnaire dontla ralit ne saurait tre conteste, mais dont lampleur ultime etlissue demeure incertaine.

Le terme de rvolutions arabes a t conrm. Il y a eu mul-tiplication des oyers partir des picentres initiaux : du Marocau Ymen cest tout larc mditerranen du sud et moyen-orientalqui est concern, ingalement touteois : au Maroc et en Algrie lacontestation a t contenue et les pouvoirs en place conservs, auprix de quelques promesses et ajustements. De lArabie Saoudite

au Gole persique les tentatives ponctuelles ont t rprimes bru-talement, ut-ce avec la complicit des allis occidentaux (Bahren),mme si un oyer darontements a subsist durablement au Ymen.En Syrie, la guerre ouverte entre les rebelles organiss et le gou-vernement de Bachar El-Assad assist des orces rpressives a prislampleur dune vritable guerre civile, dans laquelle le concert despuissances, au sortir de la contestable intervention en Libye, hsite singrer directement.

rois dictateurs ont t mis mal, en unisie, Egypte, Libye,dans ce dernier cas lissue dune guerre civile de sept mois, qui amis lpreuve les aiblesses de linsurrection arme, mis laccentsur linterventionnisme des puissances, France et Angleterre. ellela Mduse, la ace et le corps dgur de Kadha, le tyran massacrdemeure une touche de sauvagerie dans ces rvolutions vengeresses.

Rvolutions arabes ou islamiques ? Lextension du mouvement

laire mditerranenne a rveill les tensions sur les points sen-sibles leur contact : la urquie, le couple inernal Isral-Palestine,et bien sr lIran qui campe sur le site de sa Rvolution : modleou cauchemar. On se gardait jusqu hier dinsister sur le caractreislamique car les nouveaux pouvoirs naissants ne se rclamaient pasouvertement de cette rrence. Celle de la urquie, galement aux


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nombre de traits communs se conrment. Initialement le rle des

jeunes, des tudiants et des diplms tait le plus visible, ouvrantsur le groupe des chmeurs de toutes conditions, puis des retraits,des vieux (sous rserve dinventaire), avec, trs remarque linter-vention des emmes, en Egypte, en unisie surtout, dans les sites lesplus volus. out ceci pouvant conduire au l des chroniques jour-nalistiques limpression dun unanimisme ciment par la haine desdictatures abattues, et qui englobe dans le mouvement une bour-geoisie parois aise, des cadres et des intellectuels. Cette impressiondun vaste ralliement consensuel rsiste mal lpreuve qui dvoilelimportance dune population passive et terrorise, voire hostile.La mesure de la rsistance populaire khadaste en Libye, trop aci-lement attribue aux seuls mercenaires du rgime, demande trevalue quand la situation se stabilisera plus ou moins tt.

La dception et les inquitudes des emmes ont t les plus pr-cocement maniestes, en unisie, tout particulirement, o lhri-

tage du systme Bourguiba avait prpar leur mancipation. Maisla dception la plus nette le terme est aible reste bien celle deces jeunes ou moins jeunes, ceux de la place ahrir ou de ses homo-logues, dont on avait ait les hros dune nouvelle aon de aire laRvolution.

On a mis laccent, juste titre, sur limportance des moyensnouveaux de communication dans la propagation des mots dordre :rvolutions du portable et du net, ce qui peut permettre sans doute

de mieux cerner les contours de ce qui reste une lite motive etporteuse des aspirations dmocratiques.

On a dcouvert en direct sur les images lexpression de leurconviction dmocratique et nationale arme, en mme temps queleur imprparation, leur dsorganisation devant les proessionnelsde la police et de larme, les rumeurs, les paniques, la dmonstra-tivit des attitudes en mme temps que la cruaut partage de r-

glements de comptes sanglants dont nous ne voyons quune partie.Aujourdhui, quand, sous le regard de larme, les FrresMusulmans, crdits de 40 % des voix en Egypte, sapprtent pr-parer un Termidor gyptien, les bons enants de la place ahrirdeviennent mchants, violent une journaliste ranaise, la rvolu-tion ait peur tout coup


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Par rrence au tableau initial qui a t prsent, on mesure ce

qui a volu ou sest dvoil, pret des luttes, issue longuementincertaine en Syrie, ragilit de la conqute dmocratique avec lamenace de larme en Egypte, le retour insidieux des anciens dten-teurs du pouvoir, limmaturit des vainqueurs en unisie comme enLibye. Et ce que pudiquement les dbateurs du journal Le Mondenvoquaient pas en vrier : lopration main basse du capitalismeinternational, les ambitions politiques dvoiles au l de cet pisodeinachev.

En ces derniers jours de 2011, on a clbr dans la petite ville duSud tunisien, Sdi Bouzid, lanniversaire du geste ondateur, lim-molation par le eu dun modeste vendeur de tomates comme lerappelle une caricature de Plantu (Le Monde, 20 dcembre 2011,p. 1). Cest par la drision aux ranges du mauvais got, que sex-prime lamertume ressentie : ct de lventaire du hros mo-deste, celui dune emme, une unisienne moderne qui partage

ses larmes. Dans son cageot, les tomates sont remplaces par lesttes enturbannes de emmes islamistes ou salastes de bon oumauvais gr, qui symbolisent la rgression amorce par le triompheinattendu des partis islamistes dans un pays que lon disait lac.Le premier novembre, le journaliste Yves Calvi a tenu table rondevesprale sur un bilan (ni le premier ni le dernier) des rvolutionsarabes un an aprs. On a pu y entendre le ministre ranais de ladense, Grard Longuet, exprimer sa satisaction de la aon dont

la France est intervenue en Libye, avec lapprobation de son prd-cesseur Vdrine, cependant quun universitaire ranco-tunisien vo-quait la sortie de soixante-dix ans de dictature laque , la partieadverse tant tenue par deux emmes, qui chacune sa manire ontsauv lhonneur menac de leur Rvolution.

Je nai pu me retenir denvoyer un billet ironique LHumanit,en voquant ce remake du Bal des vampires qui nous a t pro-

pos. Mais cet humour cache mal ma gne : en entreprenant im-prudemment cette chronique, qui se voulait analyse critique dunesquence dhistoire immdiate, jai t pris au pige, et ne puis metarguer dtre plus malin que les autres car laventure nest pas ter-mine et lon nen connat pas lissue.


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Alors que les derniers soldats amricains ont quitt lIrak quils

avaient envahi voil neu ans, le laissant en proie un chaos nonmatris, o ressurgit le clivage meurtrier enter sunnites et chiites,lIran de, par la menace virtuelle de larme atomique, le cercledes puissances occidentales , Isral campe sur des positions aussirigides dans le camp den ace Dans larc mditerranen branlvoici un an par londe propage des mouvements rvolutionnaires, lordre , un temps branl, semble se rtablir du Maroc lAl-grie, et se reconstruire de manire pour une part inattendue enunisie, o la dmocratie arme dans les urnes a rvl la puis-sance des courants islamiques, modrs au pouvoir et aisant pattede velours, talonns par les radicaux. Et cest lampleur de cettearmation dun islamisme comme orme didentit qui surprend,tonne sur les autres sites de la contestation, dhier aujourdhui. LaLibye exsangue au sortir de la guerre civile et de lintervention despuissances occidentales, France et Angleterre en tte, avec la caution

des tats-Unis, nore actuellement quune image incertaine, sinonquon y devine les tensions territoriales et tribales, une classe poli-tique qui a rpudi les rebelles dhier, et rtabli la charia : schma la tunisienne sur ond de dcombres, et de mainmise du grand capi-tal sur le ptrole et les avantages venir. En Egypte, la Rvolutionnest pas nie, mais le Termidor gyptien attendu peine stablir.Les protagonistes davant la chute de Moubarak sont bien prsents :les partisans de lordre ancien attendant les rsultats des lections,

cependant que les Frres Musulmans, orts de leur prsence his-torique, se posent en parti majoritaire, avec l encore la concur-rence salaste. Loriginalit locale, si lon peut dire, vient du poidsde larme et de la police restes au cur dun dispositi rpres-si momentanment subverti. Cerns, dans leur rduit de la placeahrir, les rvolutionnaires sobstinent, snervent, sous le regard despuissances et de la Ligue arabe.

La Syrie prsente, dans ce dispositi gnral, un oyer daronte-ment ouvert et sanglant, o le dernier des dictateurs historiquesrsiste la rprobation presque unanime des puissances qui hsitent rditer, en intervenant directement, le cheux prcdent libyen pour ne pas voquer celui de lIrak dans un pays o le pouvoirgarde une emprise enracine, renvoyant des clivages politiques etconessionnels.


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Les rvolutions arabes, au bout dun an, se ragmentent,

semblent sessoufer, suivant les pronostics des spcialistes que nousavions entendus en vrier dernier. Fatalit de ces printemps que, delUkraine lAzerbadjan, ou autres lieux, on a dpeint de toutes lescouleurs, et dots de tous les parums ? Le parum dOrient sappelleIslamisme.

En continuit avec le verdict, on serait tent de passer la ron-tire, pour visiter dans les dcombres des Etats sinistrs, mditerra-nens ou non, les destines des indigns , mobiliss comme encho (plus qu lexemple) des rvolutions islamiques. Mais tout desuite, apparat limportance du tsunami en cours, de lirruption noninattendue mais devenue cataclysmique de la crise mondiale, nan-cire, conomique, sociale. Elle a ravag le paysage grec, sest propa-ge lEspagne et au Portugal, et gagne aujourdhui les pays euro-pens les mieux barricads, comme la France et lAllemagne. Ici, lemouvement social, suivant lexpression classique, reprend sa place,

sur ond dune crise dune violence non connue depuis la grande d-pression de 1929. La composante politique ny est pas pour autantngligeable, turbulences de lEspagne lItalie, bientt la France,dans un climat de contestation des gouvernants en place.

Quelle pourra tre la orme de mobilisation venir, escomp-tables dans le cadre de cette relance ? Les leons de lhistoire, propres nourrir les peurs plutt qu alimenter un espoir qui peine rayersa voie, nous incitent la rserve, mais aussi la vigilance. La

Rvolution est redevenue un objet chaud. Mais nous restons dans ledoute sur le visage quelle pourrait prendre un jour.

Michel VOVELLE


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Post-scriptum

Fidle la dmarche adopte au dpart, qui dans sa simplicitlivre une esquisse du mouvement, jai conront le numro de ndcembre du magazine M du Monde, au numro spcial du 22de ce mois de LHumanit Dimanche: deux bilans dune anne ex-ceptionnelle, pour lun comme pour lautre.

Le magazine du Mondeache llgance quand il rend hom-

mage Stphane Hessel quali de gentleman indigndevenu unedes premires icnesdu sicle naissant, toujours sur le ront, certes,mais avec un petit sourire espigle pour voquer la derlante, letourbillon qui a promu son petit livre magique dans le mondeentier. Mais on vite de tomber dans le snobisme du star systemcar les nouveaux hros de lhistoire en marche sont les anonymesmilitants de mouvements sans leader arm : voil qui permet parun glissement de aire entrer le peuple sur la scne de lactualit

dun spectacle composite. On nous ait passer du printempsarabe, lentre en scne des indignspour nir sur les mouvements desolidarit suscits par le dsastre du tsunami japonais Un peuourre-tout ? Un autre article prtend aire du traumatisme initial dela mort du petit marchand immol par le eu le cataclysme desan-tasmes de la rue arabe partir duquel, comme une trane de poudre,se propagea travers le monde, de unis en octobre au Caire, Benghazi, Madrid, el-Aviv, Londres, New York en septembre en

passant par le Japon vrai dire quoi ? Une onde, parois mdio-crement reue. Cest le cas en France pour les indigns ; mais daut Les intouchables, pour changer dtiquette, en exploitant lesuccs dun lm qui draine les oules si avides de se donner bonneconscience aux cts dun paralytique aisant amiti avec son copainnoir. Voil bien ce qui convient aux oules sentimentales dont onemprunte lide Alain Souchon ! O en sommes-nous ? O allons-

nous ? Nous quittons ce parcours dun magazine avec le rve dunejeune Isralienne qui cherche un autre monde daction . On luisouhaite bon courage.

Il incombait au numro de LHumanit Dimanchede remusclerces cartes de Nol ? Le titre nous prpare touteois au rajustementdevenu invitable des rvolutions et des rvoltes, tout en gardant


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lesprit oensi autant que aire se peut. Les mouvements de lanne

coule sont voqus par plusieurs articles au l des pages : on sin-terroge pour la orme sur le point de savoir si la guerre de BernardHenry Levy a [-t-elle] chang une dictature pour une autre ? , etplus loin on dnonce en Egypte une rpression militaire digne delancien rgime, qui met au plus mal lesprogressistes. Ces militairesveulent apparatre comme la seule orce constitue, mais HilaryClinton dnonce lusage excessi de la orce.

Dans un habile partage des tches, le bilan gnral a t con deux responsables du journal et du parti. Patrick Le Hyaric se reuse aecter un optimisme orc lorsquil voque la douceur appa-rente de lanne qui stire doucement on croirait entendre

Aragon en 1940 ( Le temps a retrouv son charroi monotone ).Nous avons la mme culture.

Le Manifestant

Mais lurgence impose par la crise globale rclame, crit-il,une impulsion sociale audacieuse . A qui incombera ce rle his-torique ? Lauteur propose le personnage du maniestantqui vientdtre dsign par le magazine Time(une rrence) comme le hrosde lanne. On pourrait sourire de la convergence sur cette silhouetteemblmatique moins brile que celle de lindigne entre le discoursde LHumanitet celui du Mondemais P. Le Hyaric rebondit : cesont lespeuplesqui ont lhistoire voire mme lacclrent. Il voque

la conscience des peuplesactuellement en train de basculer, dans lecontexte dune crise totaleo les peuples se lvent.

Moins optimiste, un autre article, en quelques touches, tenteune rednition de ce qui ut imprudemment baptis sous le titredeprintempsarabe. Pas de saison pour les peuples arabes qui nousinviterait mditer sur lenchanement des pseudo-rvolutions pa-res de couleurs et de parums illusoires, dont la mort de Vaclav

Havel en ces jours nous ait souvenir. Mais plutt que de sengagerdans cette remmoration, on prre insister dans le cas prsent surles dirences notables, tant culturelles quconomiques, sociales etpolitiques entre les dirents pays de laire arabe. Des traits com-muns les rapprochent, en particulier la corruption gnralise desrgimes dictatoriaux en place. Mais certains autres, qui ont parti-


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culirement retenu lattention, comme la dsignation la mode de

rvolution de lInternet , sans tre accessoires, ne lui semblent pasdonner la cl ultime de ces rvolutions modernes. Et lon sinterrogesurtout sur lmergence pour une part inattendue dun islamisme,dnominateur commun que lon avait pu croire secondaire au d-part, pour se dvoiler maintenant comme une composante majeure.

Linsurrection populaire et citoyenneEn conclusion ou presque de ce numro, Francis Wurtz reprend

le ambeau brandi au dbut par Patrick Le Hyaric pour lappel auxpeuples, en voquant lan I delinsurrection populaire et citoyenne.

Sil reconnat aussi le caractre disparate et contradictoire desvnements de lanne, il identie lensemble comme une insurrec-tion populaire et citoyenne pacifque. Recul smantique et concep-tuel : Rvolution et mme rvoltes seacent, bien que le titre dumagazine sen soit tenu Rvoltes.

Au vu de la vague impressionnante des indigns, de la contes-tation tudiante, de lampleur de la mobilisation sociale, FrancisWurtz adhre touteois nalement avec Alain Badiou lide dun rveil de lhistoire . Mais, peut-tre plus assur, cest nalement Marx, lirrductible quil nous renvoie pour indiquer le chemin.

En ce jour de lan 2012, ce post-scriptum simposait lissue

dun parcours inachev.Jai mauvaise conscience davoir perdu le l de mon interroga-

tion initiale dhistorien en qute des avatars dun mot, et plus encoredun concept : Rvolution. Remontant le cours de ma chronique,les expressions senchanent, armations audacieuses, imprudentesou au contraire masques, mtaphoriques, parois mysticatrices,telle que je les rappelle au pas de course dans leur succession :

Rvolution, printemps, mouvements populaires, rvolution arabe(ou islamique ?), mtamorphoses, successions de rormes, indignez-vous non il ne sut plus de sindigner il aut sengager, rebellescitoyens, rvolution citoyenne, lindign, linsurrection populaire etcitoyenne, lmeutehabituelle devenue historique grce au rveil delhistoiremais retour la rvoltedans le cadre de la criseet pour nir


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le maniestant. Le mot de passe murmur par Francis Wurtz : Karl

Marx. Qui cest celui-l ?En ce moment prcis, le Prsident Sarkozy vient conorter un

pouvoir chancelant, en aisant voter par son assemble un texteinvestissant du droit quasi rgalien de dire lhistoire, dcrire unehistoire ocielle hypocritement consensuelle, la place des histo-riens et des peuples !

L Histoire la grande, jugera, mais ce sont les peuples qui laont, et il revient lhistorien qui tient la plume de sappliquer au ldes mots, den suivre les inexions, les audaces et les ratures.


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Michel Vovelle Revolution Revolutions