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Matin rouge Christophe Mayné

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Matin rouge

Christophe Mayné

33.78 619742

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 458 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 34.06 ----------------------------------------------------------------------------

Matin rouge

Christophe Mayné

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Pour mes parents, ma petite sœur et tous mes amis qui m’ont supporté durant toute cette épopée que fut l’écriture de ce roman.

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Prologue

La plus grande partie des terres Des Hirdlands se nommait l’île de Whiteland. Deux presqu’îles s’y rattachaient : une au Nord-est : la presqu’île d’Earling, et l’autre à l’Ouest : la presqu’île d’Hillwurth. Le tout était relié par des routes solides, de magnifiques voies de pierres de granit millénaires.

Le Whiteland s’étalait sur plus de cent-cinquante kilomètres en longitude, une centaine en latitude. Il ne restait en réalité qu’une seule grande ville, Windtown, la capitale, à l’extrême Sud, qui était à présent seule au monde. Car quand la Terre entière fut dévastée par une catastrophe sans précédent, cet archipel volcanique, tel un grain de sable dans l’immense Atlantique Nord, échappa à la contamination mondiale.

Lorsque les ravitaillements cessèrent et que les habitants se retrouvèrent livrés à leurs seules ressources, un chaos abominable s’installa.

Lors des premières années qui suivirent les

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pénuries, dites « les années sombres », beaucoup moururent de froid et de faim, d’autres, plus nombreux, d’égarement et de folie ; des événements terribles se produisirent dans une confusion indicible.

Livrés à leurs démons, les habitants furent dépassés par la mort et la faim. Certains trouvèrent des responsables, d’autres des martyrs.

Ainsi, les personnes qui n’avaient pas eu la chance de bénéficier de toutes leurs facultés, mentales ou physiques, furent rapidement la cible des plus prompts à faire régner l’efficacité et le rendement.

Inévitablement, les jeunes hommes dans la fleur de l’âge, armés de leur puissance, manièrent leur supériorité athlétique ; mais aussi ethnique et éthique d’une main de fer. Car, s’il était vrai que certains jeunes ne s’étaient pas mêlés à cette entreprise de purification et d’organisation, la plupart des survivants s’était sentie apte à choisir ce qui était bon pour tout le monde. Et il en découla des centaines de litres de sang.

La première décennie d’entropie fut si pénible et cauchemardesque que très peu mentionnèrent par la suite ces temps maudits, si bien qu’ils finirent d’une certaine manière par se faire oublier.

Mais ensuite vint l’« Avènement », lorsque les guerres s’épuisèrent et que les plus forts et audacieux des chefs de bandes se réunirent pour diriger, un homme, dont personne ne connaissait le nom, émit une idée de « Code ».

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La légende voulut qu’il parvienne à persuader la plupart de son entourage, et fut assez intelligent pour ajouter une notion effective et d’amélioration à ce Code. On pouvait le parachever, le perfectionner, mais il était impossible de se dresser contre ses principes premiers et fondateurs.

Ainsi, ce « Premier », homme du Code, véritable source de stabilité, avait conservé l’anonymat et personne, excepté les plus hauts gradés, ne connaissait ses caractéristiques physiques.

Subséquemment perduraient Les Hirdlands. Autonomes, perfectibles et inébranlables. Sans compter que le temps, les espaces et les conduites étaient inexorablement régis par le Code, véritable mur infranchissable et gardien de ce nouveau monde.

Au fur et à mesure de l’écoulement des années et des stratagèmes de substitution nécessaires, que ce soit au niveau de l’alimentation comme de l’éducation, une nouvelle vie était née. Dorénavant, chacun avait une place et de quoi vivre. L’« Administration », créée en corollaire au Code, contrôlait tout. Grâce à elle, chaque citoyen jouissait d’une certitude et d’un état d’être satisfaisant.

Tout en haut de l’échelle hiérarchique indispensable au maintien de l’ordre, Le Premier coordonnait, et déléguait ensuite aux préposés à l’organisation : les Gardes, véritables armes humaines.

Le Premier avait été choisi ou élu lors de l’Avènement. Toutefois, personne ne s’en souvenait,

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tant cette époque s’assimilait aux attributs de la souffrance. Même les aïeuls, ceux qui avaient connu l’ancien monde, semblaient vouloir oublier ce qu’avait été leur univers. Rares restaient ceux qui doutaient et s’intéressaient au passé. L’Administration ne s’en souciait désormais plus, car elle n’existait pas dans le passé. Elle était le présent. Aussi, les traces du passé avaient été retransformées, recyclées ou détruites. Les disques et les livres avaient été confisqués, tel était le prix à payer pour que l’Administration installe son pouvoir.

Les espoirs de renouer avec le reste de la planète s’étaient amoindris au fil des décennies et des silences. Les ressources en énergies avaient été remplacées, les gens ne mouraient plus de froid. Et, en fin de compte, ce sentiment de sécurité inhérent à l’isolement semblait être devenu leur salut.

À force, la solitude de l’île devint son essence. La peur du lointain et du différent s’était ancrée dans le cœur de la population jusqu’aux tréfonds de sa volonté.

La voile n’avait pas été abandonnée, loin de là. Les principales ressources alimentaires provenaient de la mer. Cela étant, les seuls à avoir enfreint le cabotage imposé n’étaient jamais revenus, et l’Administration avait, dès lors, tiré ses conclusions.

Elle prit donc des dispositions. La rigueur, acceptée par tous, dictait le comportement et l’organisation de la société. Excepté quelques jeux, qui sauvaient la grisaille

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de l’ambiance. Tous les deux ans, depuis la suffisance énergétique, des Grands Jeux s’organisaient et les villages s’affrontaient dans les plaines. Le village (ou pour Windtown, le quartier) qui gagnait recevait l’honneur d’une ration de nourriture supplémentaire par mois, et une autre pour toute l’année, au sein du Département du Textile.

Mieux valait que le reste du monde ne connaisse pas l’existence de cet harmonie, cette régularité sociétale parfaite et autonome.

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Quarante années après l’Avènement, tandis que les effluves du mois de mai caressaient le nez des passants, plus rien ne permettait à Ethan Hawkins d’espérer quitter son histoire, perdue dans un océan infini.

Tout semblait ocre, une chaleur légère se baladait dans l’air, les fleurs donnaient au Parc un aspect neuf : toutes fraîchement plantées, les pensées octroyaient au décor une touche de surprise artificielle.

Malgré l’intention certaine des employés de Windtown de rendre l’endroit plus agréable, rien ne semblait finalement si ridicule qu’une dizaine de rangées de fleurs, au beau milieu de ce qui se nommait le « Parc Central ».

Hawkins y déambulait l’esprit amer. L’endroit le submergeait ; il effleurait à chaque occasion toute possibilité de se rapprocher de la nature, d’humer une odeur fraîche, de s’arracher à la vie qu’il apercevait, au loin.

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Il contempla un banc instable puis s’y assit. Il pensa à son passé, au passé sulfureux et terrible

des Hirdlands. Il savait ce qu’il fallait savoir sur la question, tout comme l’entièreté des habitants de ce bout de terre perdu au milieu de nulle part.

La vie d’Hawkins avait échappé, du moins en partie, au chaos des années sombres. (Il était né au bon moment, juste quand l’Administration s’était rendue maître de l’ordre). Jusqu’ici, elle avait été plus ou moins bien remplie, mûrie par des petites choses qui ne créent finalement rien de concret. Trop de soirées à critiquer ce système, tout en y demeurant afin de mieux le disséquer, le corrompre par des conjectures imbibées d’espoir…

Combien de fois s’était-il retrouvé ici, dans ce Parc, le soir, avec toutes sortes d’amis, à s’esclaffer, à se surprendre d’être si fier de lui-même ?

Tout était devenu si clair à présent, plus rien ne pourrait jamais remplacer ses parents, plus rien n’aura jamais autant de goût ni de couleur. Tout lui paraissait insensé, illusoire. Il reprit sa marche, bercé par la brise.

Quelques minutes plus tard, assis sur une petite estrade en pierre devant un kiosque désuet, il repensait à tous ses regrets, à toutes ces choses qui se révélaient si graves maintenant. Le pire dans la perte récente d’êtres chers, ce n’est pas qu’on ne pourra plus jamais leur parler, mais plutôt l’irrémédiable absence d’une nouvelle chance de se faire pardonner de ses fautes passées…

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Il avait passé ses trente-deux premières années à chercher où chercher, à retourner sa conscience pour trouver une brèche dans cette société qui lui semblait si dénuée de saveurs. Maintenant plus rien n’avait d’importance, le monde pouvait continuer à mourir de monotonie, à se corrompre, ça lui était égal. Il ne les reverrait jamais. Sa mère et son père avaient été tout pour lui, il ne s’en était rendu compte qu’à la fin, qu’à la toute fin. Et c’était trop tard pour ne pas culpabiliser de ne les avoir que trop peu aimés. Ses parents ne lui avaient jamais rien reproché, au contraire. Mais c’était plus fort que lui, il aurait voulu être plus doux, moins énervé, plus gentil surtout.

Il se leva et marcha à nouveau pour dissiper ce tourment qui, pensa-t-il, ne le quitterait plus jamais.

Au-delà de la troisième allée Est du Parc, un petit bosquet rendait l’endroit plus attirant. Mais peu importait.

Ses souvenirs lui brûlaient le crâne. Son père disait toujours que tout passe, comme dans une vieille chanson. Mais non, cette idée-là ne passerait jamais, elle restera, mais peut-être pas la douleur. C’est cela qu’il n’arrivait pas à accepter, que son père ait raison, et qu’il ne retienne que l’idée du souvenir, car sans chagrin, elle n’aurait pas de quoi tenir, selon lui.

Il continua à divaguer sur le sentier de gravillons, puis quitta le Parc et se faufila maladroitement dans la circulation sans but des gens sans intérêt. Un enfant cria près de lui, il se retourna, crispé, mais n’eut pas la

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force de trouver cela désagréable. Il ne discernait plus d’énergie nulle part, et se dit qu’il ne voulait pas en trouver.

Il avait dû s’assumer seul, même si sa vie était déjà bien définie, il ne pouvait désormais imaginer qu’elle allait continuer comme avant, qu’elle allait continuer tout court.

Il avait passé ces quatre derniers mois à tenter de se remettre en route, de se débarrasser du souvenir de ces innombrables nuits passées à perdre le temps de vue. Il avait revu tous ses amis, mais il se sentait mal à l’aise et ça n’améliorait pas réellement les choses.

Finalement, il se retrouvait souvent seul, à se rendre à l’évidence que s’il n’avait pas vraiment raté sa vie, il ne l’avait pas vraiment réussie non plus.

Couché dans son quarante mètres carrés fonctionnel sur Emerson Street, il regardait le plafond. De taille moyenne et d’apparence normale, Hawkins se distinguait par sa moyenne. Les cheveux châtain clair, de beaux yeux marron qu’il tenait de sa mère et son front large le rendaient élégant, d’une sagesse et d’une certaine grâce qu’il s’efforçait d’entretenir.

Du point de vue de son intégration, il avait réussi à tirer ses épingles du jeu. Il occupait un poste confortable dans l’Administration, mais ses espoirs de changements s’étaient complètement écroulés au fil d’articles semi-subversifs qu’il avait soumis à son supérieur hiérarchique. Il travaillait maintenant depuis huit ans au sein du Journal de l’Administration, seul

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document distribué à l’ensemble de la population des Hirdlands.

Il avait dans l’idée que le Code pouvait évoluer (cela avait d’ailleurs déjà été le cas). Mais la difficulté était de ne pas dépasser la limite. Et justement, ses articles « limites » n’avaient jamais été publiés, et s’étaient finalement tous retrouvés classés d’un mauvais œil.

Magnifique… Quel temps perdu à idéaliser ce monde sans dessein. Il avait pourtant cru qu’il y avait quelque chose à tirer de cet ensemble, ne fut-ce qu’un rapport d’admiration des belles choses ; mais les déceptions et la colère n’avaient que trop détruit tout ce qui restait de son intellectualisme utopiste.

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C’est en octobre que tout bascula, dans un intermède, une pause que le temps lui accorda.

Il avait maintenant essayé d’accepter l’idée de vivre seul, simplement, même si cela le dérangeait.

Les souvenirs revenaient sans cesse, avec la même intensité, mais le touchaient différemment. Il ne comprenait pas. Tout lui semblait si prévisiblement gris, même de reprendre le goût d’être là, de respirer à nouveau sans contrainte, sans regrets.

Il avait repris contact avec Max et passait son temps à sortir dans les caves de certains vieux bâtiments du centre ville (communément dénommées « cagees »), refuges ultimes pour artistes anonymes et olibrius en tout genre. C’est entre autres là qu’il revoyait ses amis idéalistes, profitant à la fois de l’adrénaline de l’interdit et de l’alcool illégal qu’on y servait.

Toutefois, il ne s’y rendait que peu de nuits sur le mois, préférant ne pas mettre en péril sa vie pour

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quelques bouffées de cette chère folie. Car l’autorité apportée par le Code n’avait apporté que restrictions de libertés ; si bien que les cagees fermaient les uns après les autres, les tenanciers n’ayant que moyennement l’envie de se retrouver au bout d’une corde pour désobéissance civile.

Il avait véritablement fini par se faire une raison… Mais au fil de son rétablissement, ses idées destructrices réattaquaient en force et il se demanda s’il allait un jour se remettre à écrire.

Alors qu’il terminait sa journée de labeur, il prit Second Street, puis s’engagea dans une ruelle adjacente. Arrivé au milieu de l’allée étroite, il vérifia de deux regards discrets et rapides que personne ne l’observait. Il ouvrit alors une porte rouillée et suintante, s’engouffrant rapidement dans l’obscurité.

La cave sentait la vieille boisson, il s’en dégageait une chaleur humaine, une sensation qu’on ne retrouvait qu’en ces lieux insolites. Lumières feutrées et musiques prohibées opéraient avec magie, et, de part et d’autre, s’entassaient les éméchés habituels.

L’architecture détenait elle aussi des caractéristiques surannées, mais non moins chaleureuses pour autant. Des poutres de bois foncé ornaient çà et là l’ensemble du sous-sol. Les murs s’embellissaient d’objets incongrus ; de vieux ustensiles cassés mais en assez bon état pour être exposés y étaient agencés savamment. Un ancêtre de vélo s’appropriait le mur du fond, et il pendait du

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plafond une foule de vieux rouages, cafetières, vieux vinyles, trophées rouillés, instruments de musique cassés et autres bricoles. La salle était divisée en plusieurs petites enclaves, ornées chacune de petits slogans anti-gouvernementaux : fanions, t-shirts, tout ce qui se trouvait dans ce sous-sol aurait pu suffire à tous les faire pendre si un Garde ou quelque sycophante découvrait la planque.

Pour ce qui était de la confidentialité du lieu, l’antipatriotisme des gens qui le fréquentaient annihilait les possibilités de fuite.

À la gauche d’Hawkins, un homme d’apparence solitaire se tenait maladroitement au bar. Grand type, la quarantaine, le poil dur et le caractère sec, il portait un pantalon rapiécé qui en disait long sur ses activités. Les manches retroussées, il se tournait et se retournait d’un air sûr sur l’assemblée. En dépit de ses attitudes de dur à cuire, on pressentait une pointe de dépit, une profonde blessure.

La tristesse transperce tout, même les vieux gars dans son genre, pensa Ethan.

L’énergumène en question s’adressait de temps à autres au barman, le plus souvent dans le but de perfectionner sa capacité à enfiler les verres. Ce dernier ne dénotait du cliché que par sa moustache élégante. On devinait son acuité à distiller l’alcool, d’un maniérisme minutieux. Il tenait et emplissait les verres de gestes droits et efficaces, d’un amour de la finition de l’objet manœuvré. Un véritable artiste.

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Hawkins se fraya un chemin parmi ce ramassis de camarades ésotériques, et rejoignit Max et ses yeux de nourrisson, ses frusques mal ajustées et son allure inimitablement gauche.

Ethan s’assit en face de lui, le petit regard amical embraya :

– Alors quoi de nouveau ? – Les affaires tournent. Et toi, le boulot ? – Rien de bien frais, lui rétorqua Hawkins, l’air

absent. Ils passèrent en revue les non-événements de la

semaine, tout en s’agrippant aux verres que leur apportait le barman, plus vite que d’habitude.

Après seulement une petite heure, la qualité de leur conversation s’estompa inévitablement.

Ethan s’assombrissait, lançant couramment ses yeux au fond de son alcool de grain.

Max, par contre, subsistait toujours aussi drôle et vif, même s’il articulait beaucoup moins qu’en début de soirée.

– Tu sais, Ethan, moi j’te dis, on finira tous comme les autres, on ne tiendra plus très longtemps. D’ailleurs, tu vois bien que les cagees sont sur la sellette, non ?

– Je n’en suis pas si sûr, une quantité réduite, ok ! mais déterminée ! des jeunes se joignent encore régulièrement aux réseaux cachés non ? Et puis, tu oublies qu’on est encore là, et on compte pour plus ! On en connait assez sur cette région pour organiser ce