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HAL Id: halshs-00009722 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00009722 Submitted on 22 Mar 2006 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La focalisation en afar Marie-Claude Simeone-Senelle, Martine Vanhove, Makki Houmedgaba To cite this version: Marie-Claude Simeone-Senelle, Martine Vanhove, Makki Houmedgaba. La focalisation en afar. Caron, B. (éd.). Topicalisation et focalisation dans les langues africaines, Peeters, pp.289-309, 2000, Afrique et Langage. halshs-00009722

Marie-Claude Simeone-Senelle, Martine Vanhove, Makki … · 2020. 7. 4. · Marie-Claude SIMEONE-SENELLE, Martine VANHOVE, Makki HOUMEDGABA et d’absolu3: ÷e, ÷e` “langue, bouche”

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HAL Id: halshs-00009722https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00009722

Submitted on 22 Mar 2006

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

La focalisation en afarMarie-Claude Simeone-Senelle, Martine Vanhove, Makki Houmedgaba

To cite this version:Marie-Claude Simeone-Senelle, Martine Vanhove, Makki Houmedgaba. La focalisation en afar. Caron,B. (éd.). Topicalisation et focalisation dans les langues africaines, Peeters, pp.289-309, 2000, Afriqueet Langage. �halshs-00009722�

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2000. Caron, B. (éd.), Topicalisation et focalisation dans les langues africaines. Louvain-Paris: Peeters, 289-309.

LA FOCALISATION EN AFAR*

Marie-Claude SIMEONE-SENELLE, Martine VANHOVE et Makki HOUMEDGABA

INTRODUCTION

La langue afar (Ä`e`q`e) appartient à la branche couchitique de la famille chamito-sémitique. Elle est parlée en Erythrée, en Ethiopie et en République de Djibouti. Deux groupes dialectaux sont traditionnellement distingués : les dialectes septentrionaux et les dialectes méridionaux.

Avant de présenter les procédés de la focalisation, il est nécessaire de donner quelques précisions d’ordre morphologique et syntaxique.

En morphologie nominale, il faut noter que les pronoms sont soumis à une flexion casuelle : cas sujet (S) et cas absolu (A).1 Pour les noms, seuls les noms masculins à finale vocalique (autre que -i) connaissent cette flexion : au cas S, ils prennent une voyelle accentuée -‚(l’accent lexical est déplacé) : ÷vj` (A) et `vj‚ (S) “garçon”, hc÷kst (A) et hc`ks‚ (S) “vieillard”.2

Quant aux noms masculins à finale consonantique, ils ont une forme brève et une forme longue qui ne recouvrent pas exactement les cas de sujet

* Cet article repose sur un corpus élaboré essentiellement à partir d’un questionnaire et

de quelques textes spontanés recueillis auprès de nos informateurs sur le terrain, et à Paris auprès de Djiboutiens originaires de Tadjoura, ‘Asagayla et Djibouti-ville. Nous sommes conscients des limites d’une telle démarche, mais, dans l’état actuel de nos recherches, elle aura eu le mérite de susciter une première réflexion. Nous tenons à remercier chaleureusement nos informateurs et tout particulièrement pour ce travail Kadiga Abdallah et Addaawa Hassan Ali.

1 Le cas absolu englobe toutes les fonctions autres que celle de sujet. Les pronoms présentent en outre une forme longue et une forme brève qui, pour la focalisation, n’est utilisée que dans un énoncé négatif.

2 Pour ce type de masculin, c’est le cas absolu qui est donné dans la plupart des lexiques existants.

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et d’absolu3 : ÷e, ÷e` “langue, bouche” ; l`qÔv, l`qÔvt “mouton” ; rhq÷f+rhq÷`f` “lampe”, lhm‚m, lhm‚hmh “sourcil”. Sujet et objet sont à la forme brève.4 C’est la forme longue qui est utilisée lorsque le mot fonctionne comme circonstant ou comme prédicat de phrase nominale et quand la focalisation porte sur le nom, quelle que soit sa fonction.

Les quelques noms masculins à finale vocalique -i et accent pénultième sont invariables : qÔcch “riz”, ÅÔaah “attention”. Il en va de même pour les noms féminins qui eux se caractérisent par leur finale vocalique accentuée : `vj÷ “fille”, `e÷ “porte, entrée”, lhmhhm‚“rougeole”, k`jÄË “argent”.

L’afar ne possède pas d’article. Pour ce qui est de la morphologie verbale, il existe deux classes de

conjugaisons en afar : la conjugaison suffixale et la conjugaison préfixale. Un même verbe ne peut appartenir qu’à l’une des deux.

La forme verbale indicative conjuguée se décompose comme suit : – conj. suff. : thème verbal + indice de personne + indice d’aspect (+ indice de pl.) ; – conj. préf. : indice de personne + indice d’aspect + thème verbal (+ indice de pl.).

Aux 2èmes et 3èmes personnes du pluriel, le verbe a deux formes, l’une dite longue (qui consiste en un étoffement de la marque de nombre) et l’autre dite brève. A ces formes de base peut, dans certaines conditions, s’ajouter un suffixe -h :

Conj. suff. 9 Å`ad“laisser” Acc. Inacc. sg. 1. Å`ad'g( Å`a`'g( 2. Å`asd'g( Å`as`'g( 3. m. Å`ad'g( Å`a`'g( f. Å`asd'g( Å`as`'g( pl. 1. Å`amd'g( Å`am`'g( 2. Å`asdm.Å`asddmh'g( Å`as`m.Å`as``m`'g( 3. Å`adm.Å`addmh'g( Å`a`m.Å`a``m`'g(

3 C’est la forme brève du nom qui est donnée comme entrée dans le lexique de Parker et

Hayward (1985). 4 Il existe toutefois des différences dialectales entre le nord et le sud, sans incidence sur

l’objet de cet article.

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La focalisation en afar

Conj. préf. : nnÄnad “boire” Acc. Inacc. sg. 1. nnÄnad'g( ``Ätad'g( 2. snnÄnad'g( s``Ätad'g( 3. m. xnnÄnad'g( x``Ätad'g( f. snnÄnad'g( s``Ätad'g( pl. 1. mnnÄnad'g( m``Ätad'g( 2. snnÄnadm.snnÄnaddmh'g( s``Ätadm.s``Ätaddmh'g( 3. xnnÄnadm.xnnÄnaddmh'g( x``Ätadm.x``Ätaddmh'g(

Sur le plan syntaxique, l’afar se caractérise par un ordre préférentiel des

termes : SOV. Pour l’expression de la focalisation, l’afar a pour spécificité que le

verbe porte toujours une marque, même si c’est un autre élément de l’énoncé qui est focalisé. Plusieurs marques existent. Dans le cas où le verbe est l’élément focalisé, il est le seul à être marqué, par un morphème particulier. Dans les autres cas, la focalisation est exprimée le plus souvent de manière redondante : le verbe et le terme focalisé sont tous deux marqués, le premier par une marque spécifique, toujours la même, le second par divers procédés que nous étudierons. Nous verrons que certains des morphèmes focalisateurs du verbe peuvent aussi focaliser les autres constituants. Nous présenterons d’abord les marques qui permettent de focaliser le verbe puis celles qui s’appliquent aux autres éléments de l’énoncé.

LES MARQUES DE FOCALISATION DU VERBE

Trois morphèmes sont utilisés pour l’expression de la focalisation du verbe. Le choix du morphème dépend de la modalité de l’énoncé : il sera différent selon qu’il s’agit d’un énoncé affirmatif, négatif ou interrogatif. En phrase assertive, la focalisation du verbe entraîne une valeur explicative de l’énoncé.

Le clitique ,VmV

Le suffixe ,VmV, en phrase affirmative, est le seul morphème de focalisation du verbe, quelle que soit sa conjugaison. Celui-ci est conjugué et

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les voyelles du suffixe obéissent aux règles de l’harmonie vocalique progressive : ,ama, ,dlh, ,nlt.

Suffixé à un verbe conjugué à l’inaccompli, ce morphème a aussi une valeur de modalité déontique: fdÇ÷`l`“je dois y aller !”. Dans un énoncé plus complexe, la place du sommet de la courbe intonative permet de distinguer entre modalité d’obligation et focalisation : celui-ci porte sur sur le verbe dans le premier cas, Å`mx``Äta·dlh5 “il faut qu’il boive du/le lait !”, et sur le mot qui le précède dans le second, Å÷mx``Äta·dlh“c’est qu’il boit du/le lait".

A la question : s÷g l`Å÷ j`,j `aËnmt,v``m Ç``fÔt (1a) c’est quoi ça-de elles feront-FUT+3PL information Cela, ce sont des informations dont elles feront quoi ?

il a été répondu : `l`g÷` jhsnna÷,k r‚hmh,g a``gËnmt,v``m,`l` (1b) DEM. PRED livres-en vous-pour elles apporteront-FUT+3PL-FOC C’est qu’elles mettront ça pour vous dans les livres

l`qÔv Ç``lhs·,dlh k`jÄË xn,j j`,g (2) mouton je me suis acheté-FOC argent moi-de ça-de sdladÇ·,lelle est terminée-REL C’est que j’ai acheté un mouton, c’est pourquoi je n’ai plus d’argent

L’auxiliaire vdd

En contexte non focalisé, l’auxiliaire négatif v`` (inacc.), vdd (acc.)6 qui, employé comme verbe plein, signifie “manquer, chercher et ne pas trouver”, est le seul élément qui permet d’exprimer la négation dans les propositions dépendantes. L’auxiliaire se conjugue et est postposé directement à la forme verbale qui demeure invariable : `mÔ ``Çhf·,v`` `vj÷ sdlddsdg (3) je connaître-AUX.NEG+1SG+INACC fille elle est venue Une fille que je ne connais pas est venue

5 Le sommet de la courbe intonative est indiqué par un soulignement. 6 Quand la relation prédicative est niée, en dehors de toute focalisation, la négation

s’exprime au moyen du morphème l÷- préfixé au verbe à l’inaccompli, par l÷-...-hmm` à l’accompli.hmm` est un auxiliaire négatif qui se conjugue. Cet auxiliaire sert aussi de copule assertive (cf. § 5) et de morphème focalisateur (cf. § 3.6).

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La focalisation en afar

C’est ce même auxiliaire qui est utilisé pour focaliser le verbe dans une phrase assertive négative.

Dans un contexte où la question posée est “pourquoi a-t-il refusé le thé ?”, la réponse sera : ~``g‚ e`Ç·,v`` (4) thé aimer-AUX.NEG.FOC+3M.SG +INACC C’est qu’il n’aime pas le thé

A l’auxiliaire wee, peut se suffixer le morphème ,UlU (cf. § précédent), procédé qui met en évidence le rôle essentiel de ce clitique, focalisateur du verbe dans les phrases assertives. En l’état actuel de nos recherches, il est difficile d’apprécier la différence sémantique entre les deux constructions. j`chf` `l``s·,v`xsd,dlh (5) Kadiga venir-AUX.NEG.FOC+3F.SG+ACC-FOC C’est que Kadiga n’est pas venue (on n’a pas pu faire ce qui était prévu)

Le clitique -mm``

En phrase interrogative, le clitique -mm`` est la seule possibilité de focaliser le verbe.7 Il est à rapprocher de hmm`, auxiliaire de négation pour un verbe à l’accompli dans une phrase sans élément focalisé (cf. note 6) et du verbe-copule à fonction modale assertive (cf. § 5). Il est postposé au verbe.8 Ce marqueur ne peut focaliser qu’un prédicat expansé. ÷v`x Çhms`,mm÷` ? (6) maintenant tu dors-enb Est-ce que tu vas dormir maintenant ?

Ä`kh+ l`Å÷ll`c xtakd,mm÷`ï? (7) Ali Mahammad+FB il a vu-FOC Ali, est-ce qu’il a vu Mahammad ?

tqq‚ `e÷ xhfhkkd,mm÷`ï> (8) enfants+S porte il cassa-enb Est-ce qu’ils ont cassé la porte les enfants ?

7 Dans une phrase interrogative, sans focalisation, le verbe est précédé de l’interrogatif

l÷`xï9l÷`xÇhhmd>“a-t-il dormi ?”. L’intonation et l’allongement de la voyelle finale du verbe peuvent suffire à former un énoncé interrogatif : Çhhm·d>“il a dormi ?”

8 En énoncé interrogatif, la voyelle finale de -innaa est allongée, comme il est de règle pour les mots (noms, adverbes, pronoms, etc.) sur lesquels porte l’interrogation .

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L’exemple ci-dessus serait utilisé dans un contexte où l’on constate que la porte ne fonctionne pas ou que le locuteur se demande si les enfants ont cassé la porte ou l’ont simplement démise, mal fermée, etc.

FOCALISATION DES AUTRES CONSTITUANTS ET LA MARQUE -m

Tout énoncé dont un terme, autre que le verbe, est focalisé comporte obligatoirement un morphème -m,9 suffixé au verbe. Celui-là est vraisemblablement à rapprocher du morphème ,VmV étudié ci-dessus (§ 2.1) ; il semble provenir du nom féminin im “chose”.

C’est ce même morphème -m qui sert à former des complétives (ex. 9 et 10) et un certain type de relatives (ex. 11) : `qa÷`ghl x‚ k`j`s x``a`,l ldÄ·g (9)Ibrahim mon après il parle-REL il est bien Il serait bien qu’Ibrahim parle après moi

tqq‚ Çhhm·,l tak·g (10) enfant+COL.SG ils dormirent-REL j’ai vu J’ai vu que les enfants dormaient

l`Å`ll`c Ä`kh xtakd,l ``w·qh,g jhl÷`k` (11) Mahammad Ali il a vu-REL dernier-en hier La dernière fois que Mahammad a vu Ali, c’était hier

La construction relative comme procédé de focalisation (souvent associée à une copule) est un phénomène connu dans les langues sémitiques et couchitiques de la Corne de l’Afrique. Pour l’afar, il a été repéré par Appleyard (1989:300) dans les phrases interrogatives, sur la base d’exemples fournis par Parker et Hayward (1985:223, 282). L’étude de notre corpus montre que la marque -m permet de repérer qu’il y a focalisation d’un élément de l’énoncé, autre que le verbe. Et ce, indépendamment de la fonction de l’élément focalisé et de la modalité de l’énoncé (phrase affirmative, négative ou interrogative). La marque de focalisation, dissociée du terme focalisé lui-même, est à analyser plutôt comme un indice de focalisation.

Ce morphème, s’il est nécessaire, n’est pas suffisant à l’expression de la focalisation. Sauf contraintes imposées par la structure de la langue, il est associé à d’autres marques morphosyntaxiques ou prosodiques. Leur

9 Il a aussi une fonction de nominalisateur dans la langue.

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La focalisation en afar

apparition est liée à différents critères linguistiques : morphologie du terme focalisé (cas, genre, structure syllabique), sa fonction et le type d’énoncé (affirmatif, négatif, interrogatif).

-m et l’usage du cas absolu : focalisation du sujet

L’afar présente deux caractéristiques morphosyntaxiques importantes pour la focalisation du sujet : 1. le sujet focalisé est au cas absolu et non au cas sujet. Ceci n’apparaît que

dans les pronoms et les noms masculins à finale vocalique autre que -i, étant donné la morphologie nominale de la langue,

2. le verbe est figé à la troisième personne du féminin singulier quels que soient le genre et la personne du sujet de la proposition.

Il serait donc plus approprié de considérer -m comme le sujet grammatical, puisqu’il impose son accord au verbe (cf. son origine nominale), et de nommer agent ou patient (selon la catégorie sémantique du verbe) le terme focalisé. Sujet grammatical et agent/patient sont donc distingués morphosyntaxiquement dans ce type d’énoncés.10 Ä÷kh+ gttq‚,g `cc`,k jtkktls` Å`as·,l (12) Ali canot-de intérieur-dans poisson+A elle-laissa-FOC C’est Ali qui a laissé le poisson dans la barque

La focalisation peut avoir une valeur définitoire. Dans l’exemple suivant (13), le contexte précise qu’en cas de meurtre, certaines tribus sont spécialisées dans la protection du meurtrier jusqu’à ce que justice soit rendue ; ce sont elles qui sont chargées de rendre et faire appliquer la justice : a‚hkt jtqs÷,l vËn,l`q` (13) prix du sang+A elle départage-FOC DEM-gens+COL11+A Ce sont ces gens-là qui tranchent à propos des crimes de sang

L’exemple ci-dessous a par contre une valeur nettement contrastive : ÷vj` ahx``jhss÷,l+ `vj÷ g‚mm`,`x hc÷kst (14) garçon+A elle est malade-FOC fille ce n’est pas-COOR vieillard+A g‚mm`ce n’est pas C’est un garçon qui est malade, pas une fille ni un vieillard

10 L’existence d’un paradigme verbal restreint dans des constructions focalisées n’est

pas exceptionnelle dans les langues couchitiques, comme l’attestent par exemple le somali et l’agaw (voir Appleyard, 1989).

11 L’accord de ce collectif se fait ordinairement au masculin singulier.

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Dans les énoncés interrogatifs, comportant un morphème interrogatif, on retrouve les mêmes procédés : sdldds·,l ‚xx``ï> (15) elle vint-FOC qui+A+INTER C’est qui qui est venu ?12

ahx``jhss÷,l `mm‚ hc`ksÔtï> (16) elle est malade-FOC quel+A vieillard+A+INTER C’est quel vieillard qui est malade ?

-m et la forme longue du terme focalisé

Nous entendons par forme longue aussi bien les noms dont il a été question dans l’introduction, que les adverbes ou lexèmes à valeur circonstancielle.

L’association à la marque -m de la forme longue du terme focalisé est conditionnée par la morphologie de la langue : elle ne peut s’appliquer qu’aux noms masculins à finale consonantique et ce, qu’ils soient sujet ou objet.

Sujet focalisé : Å÷l`c` Å`m snnÄna·,l (17) Hamad+FL lait+FB elle a bu-FOC C’est Hamad qui a bu du/le lait

Objet focalisé : Å÷m` m`j÷,l02 (18) lait+FL il boit-FOC C’est du lait qu’il boit

l`jj‚ xtak·,l Å÷l`c` (19) Makki il a vu Hamad+FLC’est Hamad que Makki a vu

En dehors de l’ordre OVS des ex. 17 et 19, l’ordre OSV, beaucoup moins fréquent, est aussi possible.

Syntagme circonstanciel focalisé : Le fonctionnel marquant le complément circonstanciel se présente sous

deux formes, l’une clitique, suffixée au nom, l’autre lexématique. Lorsque la focalisation porte sur le syntagme circonstanciel, ce fonctionnel apparaît toujours sous sa forme lexématique. Il est directement antéposé au verbe,

12 Cf. hxx‚xdlddsddï> “qui est venu ?”. 13 Ce verbe ne s’emploie que pour le lait.

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La focalisation en afar

quel que soit l’ordre des autres termes de l’énoncé. Le sommet de la courbe intonative se trouve alors sur le nom, centre du syntagme circonstanciel : f÷`k` dcc· xdldds·,l03 (20) chameau+A au moyen de il vint-FOC C’est en chameau qu’il est venu

dkk· nnanj·,l Ä`r`f÷xk`04 (21) y je naquis-FOC ‘Asagayla C’est à ‘Asagayla que je suis né

gttq‚,g `cc÷ jtkkÔls` dkk· Å`a·,l05 (22)canot-de intérieur poisson+SG y il laissa-FOC C’est dans le canot qu’il a laissé le poisson

Par ailleurs, l’ordre des constituants de l’énoncé permet de déterminer les valeurs sémantiques de la focalisation. Selon que le terme focalisé est placé avant le verbe (soit juste avant celui-ci, soit en tête d’énoncé) ou en fin d’énoncé, les effets de sens ne semblent pas être les mêmes. Si le terme focalisé est placé avant le verbe, il s’agit plutôt d’une focalisation contrastive (cf. aussi ex. 14) : xËn+ s`l``s·,l (23) moi+A elle vient-FOC C’est moi qui viens (et pas mon frère)

S’il est rejeté en fin d’énoncé, on peut dire qu’il y a « parcours sur la classe des possibles », le terme focalisé étant identifié comme le seul parmi les possibles. La valeur, tout en demeurant contrastive, est en quelque sorte définitoire de l’élément focalisé lui-même (cf. aussi ex. 15) : s`l``s·,l xËn (24) elle vient-FOC moi+A C’est moi qui viens (et personne d’autre)

Ce dernier exemple a été glosé par “la personne qui vient, c’est moi”, “il n’y a que moi qui viens”.

Du point de vue prosodique, on notera qu’une pause ne sépare les deux constituants (SN et SV) que si l’élément focalisé est en tête d’énoncé (cf. ex. 12, 25).

14 Cf. l’énoncé non focalisé : f÷`k`,sxdldds· <chameau-en / il vint> “il est venu en

chameau”. 15Be-Ä`r`f÷xk`,knnanj·g <'Asagayla-dans / je naquis> “je suis né à ‘Asagayla”. 16 Cf. jtkkÔls`gttq‚,g`cc÷,kÅ`a· <poisson / canot-dans / intérieur-dans / il

laissa> “il a laissé le poisson dans le canot”.

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Marie-Claude SIMEONE-SENELLE, Martine VANHOVE, Makki HOUMEDGABA

Comme pour la focalisation du sujet (cf. § 3.1), le terme focalisé qui n’assume pas sa fonction grammaticale, n’en porte pas la marque. -m peut être considéré comme « pro-sujet » ou comme « pro-objet ». Dans le cas de la focalisation d'un circonstant, la fonction grammaticale est explicitée par un lexème indépendant.

-let une construction cataphorique ou anaphorique

Lorsque la focalisation porte sur l’objet indirect du verbe, le complément est annoncé ou repris (selon la place de l’élément focalisé dans l’énoncé) par un pronom de forme neutre auquel est postposé le morphème directionnel (centripète ou centrifuge). Ce syntagme est toujours directement antéposé au verbe. Il y a, dans ce cas, obligatoirement anaphore ou cataphore de l’élément sur lequel porte la focalisation. `mÔ `g j`,j `aahÇ·,l x‚,j`ÇÇ`aa` (25a) moi ceci ça-de je tiens-FOC mon-grand-père <moi, ce de quoi je tiens ça (c’est) mon grand-père> Moi, c’est de mon grand-père que je tiens ça17

L’ordre peut aussi varier : `mÔ`gx‚,j`ÇÇ`aa`j`j`aahÇ·,l (25b)

l`Å÷ll`c`+ hkx÷`r l`qÔv j`,g xdÅ·,l18 (26) Mohammed+FL Ilyas mouton ça-à il donna-FOC C’est à Mohammed qu’Ilyas a donné un/le mouton

atÇ÷, j`,j `l``s·,l19 (27) maison ça-de je viens-FOC C’est de la maison que je viens

La focalisation comporte donc plusieurs éléments, deux d’entre eux sont toujours présents : l’un affecte le verbe, l’autre est une reprise ou une anticipation du terme focalisé sous forme de pronom, seul à porter les marques de la fonction qu’assume l’élément focalisé dans l’énoncé ; la pause qui suit l’élément focalisé peut constituer un indice supplémentaire (cf. ex. 34, 35).

17 Dans les énoncés sans focalisation, c’est le troisième actant qui est muni de la post-

position indicatrice de sa fonction : `mÔ`g x‚,j`ÇÇ`aa`,j`aahÇd<je / cela / mon-grand-père-de / je tiens> “Moi, je tiens ça de mon grand-père”.

18 Cf. l’énoncé non focalisé : hkx÷`rl`qÔvl`Å÷ll`c`,gxdÅ·. 19 A comparer avec atÇ÷,j`l``s· <maison-de / je viens> “je viens de la maison”.

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La focalisation en afar

Comme dans les cas évoqués ci-dessus (cf. § 3.1 et 3.2), le terme focalisé ne porte aucune marque de sa fonction grammaticale.

-m seule marque de focalisation

Pour des raisons d’ordre morphologique, -m peut être la seule marque explicite de focalisation dans un énoncé. C’est le cas en phrase affirmative et interrogative, lorsque la focalisation porte sur l’objet (pronom, nom féminin ou masculin), ou le sujet féminin. ÷vj` hc`ks‚ xtak·,l+ `vj÷ g‚mm` (28) garçon+A vieillard+S il vit-FOC fille ce n’est pas C’est le garçon que le vieillard a vu, pas la fille

qdxs÷+ a`Çtvv÷ shÇhffhk·,l (29) chèvre jeune fille elle traya-FOC C’est une chèvre que la jeune fille a traite

a`Çtvv÷+ qdxs÷ shÇhffhk·,l (30) jeune fille chèvre elle traya-FOC C’est une jeune fille qui a trait la chèvre

Dans une phrase comportant au moins deux propositions (cf. ex. 28), l’élément focalisé, quand il est placé en tête d’énoncé, n’est pas séparé par une pause du nom qui le suit. Par contre, dans les énoncés à une seule proposition, la pause semble obligatoire (cf. ex. 29 et 30).

L’élément focalisé est en règle générale placé en tête de rhème, ce qui ne lève pas l’ambiguïté possible sur la fonction du terme focalisé. Il est en effet des cas où rien, morphologiquement ou lexicalement, ne permet de distinguer (hors contexte) l’agent du patient : a`Çtvv÷+ Ähccd,l lnks÷ (31) jeune fille elle tue-FOC lionne C’est la jeune fille qui a tué une lionne, ou bien c’est la jeune fille qu’une lionne a tuée

Dans notre corpus, l’objet focalisé peut aussi être placé en fin de proposition : tak·,l j·dmh (32) j’ai vu-FOC eux+A Ce sont eux que j’ai vus

e`jddm‚,l `e÷ (33) ils ouvrirent-FOC porte C’est une porte qu’ils ont ouverte

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a`Çtvv÷ shÇhffhk·,l qdxs÷ (34) jeune fille elle traya-FOC chèvre C’est une chèvre que la jeune fille a traite

-m et vdd

En phrase négative, la présence de -m entraîne l’utilisation de l’auxiliaire négatif vdd, négation obligatoire en phrase dépendante (cf. § 2.2). Les règles énoncées dans les paragraphes précédents quant aux accords, cas et structure syllabique des éléments de l’énoncé focalisé sont les mêmes. En énoncé négatif, c’est donc le verbe (qui n’est pas l’élément focalisé) qui se retrouve porteur de deux marques de focalisation : Å`l÷c` `l``s·,v`xsd,l (35) Hamad+FL venir+AUX.NEG.FOC+3F.SG+ACC-FOC C’est Hamad qui n’est pas venu (les autres sont venus)

Ôrtj Ç``l·,vdd,l qdxs÷ (36) il vendre-AUX.NEG.FOC+3.M.SG+ACC-FOC chèvre C’est la chèvre qu’il n’a pas vendue

Ë,r``jt Ôrtj `l``s·,vdd,l (37) ce-jour il venir-AUX.NEG.FOC+3.M.SG.+ACC-FOC C’est ce jour-là qu’il n’est pas venu

-m et -nnaa

Dans l’interrogation partielle, le morphème ,mm``, déjà étudié pour la focalisation du verbe (§ 2.3), est suffixé à l’élément focalisé de l’énoncé, -m demeurant suffixé au verbe. Cette construction est en distribution complémentaire avec celle présentée au § suivant. Elle est utilisée dans un énoncé sans morphème interrogatif (cf. ex. 15, 16) : j÷`,mm`` sdldds·,lï? (38) lui-FOC elle vient-FOC Est-ce que c’est lui qui est venu ?

Ôqqt,mm`` `e÷ shffhk·,lï?20 (39) enfants+A-FOC porte elle cassa-FOC Est-ce que ce sont les enfants qui ont cassé la porte ?

20 L’interrogation sans focalisation est : tqq‚`e÷l÷xxhffhk·dï><enfants+COL+S /

porte / INTER / il cassa> “les enfants ont-ils cassé la porte ?”

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La focalisation en afar

`e÷,mm`` tqq‚ xhffhk·,lï? (40) porte-FOC enfants+COL+S21 il cassa-FOC Est-ce que c’est la/une porte que les enfants ont cassée ?

÷v`x`,mm` Çhms`,l ? (41) maintenant-enb stcnqr,enb Est-ce que c’est maintenant que tu vas dormir ?

-m et -y

Un morphème ,x, facultatif, peut s’ajouter au terme focalisé de l’interrogation partielle dans le cas où l’énoncé comporte un pronom ou un adjectif interrogatif (cp. ex. 15 et 16 § 3.1).22 Parker et Hayward (1985:282), repris par Appleyard (1989:300) voient dans ce clitique une ancienne copule. Remarquons qu’il permet en outre de former des propositions relatives.

Focalisation du sujet : sdlddsd,l ‚xx``-x23 ? (42) elle est venue-FOC quoi+A-FOC C’est qui qui est venu ?

ahx``jhss÷,l l``,÷vj``,y24 ? (43) elle est malade-FOC quel-garçon-FOC C’est quel garçon qui est malade ?

Focalisation de l’objet : ‚xx``,x stak·,lï>25 (44) quoi+A-FOC tu vois-FOC C’est qui que tu as vu ?

l`Å,s‚x``,x e`ÇÇ÷,lï?26 (45) quoi-chose-FOC tu veux-FOC C’est quoi, ce que tu veux ?

Focalisation du circonstant : Les circonstants se construisent comme en phrase affirmative (cf. § 3.3),

avec la forme lexématique directement antéposée au verbe :

21 Ce collectif régit un accord au masc. sing. 22 La voyelle finale du nom sur lequel porte l’interrogation est toujours allongée. 23 Cf. l’énoncé sans focalisation : hxx‚xdlddsdï? <qui?+S / il est venu> “qui est

venu ?” 24 Cf. sans focalisation : l`,`vj‚ahx``jhs÷`ï> “quel garçon est malade ?” 25 Cf. sans focalisation : ‚xx`stak·ï> “qui as-tu vu ?” 26 Cf. l`Å,s‚e`ÇÇ÷`ï> “qu’est-ce que tu veux ?”

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`mm‚ l`sdda÷`,x l`k÷a dccd a·d,l27ï? (46) quel récipient-FOC miel au moyen de il porta-FOC C’est dans quel récipient qu’il a porté le miel ?

L’exemple suivant (47) cumule plusieurs marques de focalisation : -m suffixé au verbe, -y à l’interrogatif, et le pronom cataphorique porteur de la marque de fonction du terme focalisé : Ä`e÷q j`,j q`cc÷,l l‚xx``,xï?28 (47) Afar ça-de elle descend-FOC quoi-FOC D’où est-ce qu’ils viennent/descendent les Afars ?

-m ET LES COPULES D’IDENTIFICATION

Les langues sémitiques et couchitiques de la Corne de l’Afrique associent souvent une copule à la construction relative pour marquer la focalisation. En afar, le phénomène semble être marginal29, même s’il est le seul possible en énoncé négatif pour la focalisation d’éléments autres que le verbe.

-m + la copule d’identification affirmative kinní(h)30

En phrase affirmative et interrogative, quand un terme autre que le verbe est focalisé, il est possible d’utiliser, en plus des marques propres à ce type de focalisation, le verbe-copule d’identification jhmm‚'g(“être, être identique à, être égal à”. Cet usage semble être encore très largement facultatif ; il n’apparaît d’ailleurs pas dans nos corpus spontanés.

L’élément focalisé précède directement le verbe-copule qui demeure invariable. Seul le morphème interrogatif peut s’intercaler entre ces deux éléments.

Sujet focalisé : ahx``jhss÷,l Ä`kh jhmm‚g (48) elle est malade-FOC Ali c’est C’est bien Ali qui est malade

27 Cf. l`k÷a`mm‚l`sdda`,sa·dï> “dans quel récipient a-t-il porté le miel ?” 28 Cf. Ä`e÷ql‚xx`,jq`cc÷`> “D’où descendent les Afars ?” “Afar” est un collectif

et régit un accord au fém. sing. 29 Rappelons cependant que -y (§ 3.7) est analysé comme une ancienne copule. 30 Pour les conditions d’apparition du morphème ,g, voir § 6.

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La focalisation en afar

Ôqqt l÷`x jhmmh `e÷ shffhk·,lï> (49) enfant+A INTER c’est porte elle cassa-FOC Est-ce bien les enfants qui ont cassé la porte ?

ou : `e÷ shffhk·,l Ôqqt l÷`x jhmmhï> (50) porte elle cassa-FOC enfants+A INTER c’est Est-ce bien les enfants qui ont cassé la porte ?

Objet focalisé : Ä`kh jhmm‚g l`Å`ll`c xtak·,l (51) Ali c’est Mahammad-FB il vit-FOC C’est bien Ali que Mahammad a vu

Circonstant focalisé : dkkd s``lhs÷,l ÷jjd jhmm‚g (52) y il travaille-FOC ici c’est C’est bien ici qu’il travaille

-m + la copule d’identification négative g‚mm`

La négation d’un sujet, d’un objet ou d’un circonstant focalisé entraîne l’utilisation obligatoire de la copule négative g‚mm`. Elle est invariable et toujours directement postposée au terme focalisé. Les règles morphologiques et syntaxiques sont les mêmes que dans les autres modalités d’énoncé ; les seules différences concernent les pronoms (au cas absolu, ils sont à la forme brève et non pas longue) et la forme du fonctionnel utilisé avec les circonstants (c’est un clitique). Le sommet de la courbe intonative est placé sur la copule. fdÇÇ÷,l jdm g‚mm` (53) elle part-FOC eux+A ce n’est pas Ce ne sont pas eux qui partent

L’ordre jdmg‚mm`fdÇÇ÷,l est possible. `vj‚ Ç``l·,l qdxs` g‚mm` (54) garçon+S il acheta-FOC chèvre ce n’est pas Ce n’est pas une chèvre que le garçon a achetée

fdÇ·,l Ëjjd g‚mm` (55) il alla-FOC DEM+endroit ce n’est pas Ce n’est pas là qu’il est allé

L’ordreËjjdg‚mm`fdÇ·,l est aussi possible.

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s``qhhwh,g khsnnmt,l g‚mm` (56) histoire-en vous avez-FOC ce n’est pas <en matière d’histoire, ce n’est pas ce que vous avez> Ce n’est pas d’histoire qu’il s’agit

FOCALISATION ET ASSERTION

Nous avons remarqué (§ 1), que dans certaines conditions un morphème ,gpouvait se suffixer aux conjugaisons de base. Dans la mesure où ce suffixe a été interprété dans la littérature (cf. par exemple Parker et Hayward, 1985) comme une marque liée à l’expression du focus, il nous paraît nécessaire d’apporter quelques précisions sur ce point.

Le verbe afar intègre dans sa conjugaison les indices personnels (préfixés ou suffixés) se référant au sujet syntaxique, il peut ainsi former à lui seul un énoncé complet et le pronom personnel sujet peut ne pas être exprimé. Dans ce cas, il comporte obligatoirement le suffixe -h : 'Ôrtj(x``Äta·g“il boit”.

Parker et Hayward (1985:222, § 1.8.1) présentent ainsi l’utilisation ou l’absence de ce morphème dans un paragraphe intitulé « The prosody of VP Focus and Neutral Focus » :

The verb in an affirmative declarative indicative sentence in which no NP or PP constituent is focussed, carries a final clitic -g, and the vowel preceding the clitic has high pitch. This prosody is also the means for indicating that the VP itself is focussed. In this case it could be equally regarded simply as a device for emphasising the VP... : Ôrtj fdÇ·g ‘he went’ or ‘he went’ - ËrnmfdÇddm‚g ‘they went’ or ‘they went’.

-g marque la relation prédicative en tant que telle, ce qui peut justifier l’analyse de la phrase comme un énoncé “neutre” (à comprendre “sans focalisation”). Mais il est aussi étroitement lié à la modalité d’assertion. Il permet de poser un procès ou un état comme certain et ne peut donc s’utiliser qu’en phrase affirmative, déclarative et avec un verbe au mode indicatif. L’énonciateur se porte garant de ce qui est affirmé. C’est cette modalité d’assertion qui a été interprétée parfois comme une marque d’emphase et qui a été confondue, à tort, avec une marque de focalisation du prédicat verbal. La forme x``Äta·g implique que celui qui parle atteste comme certain, réel ce qu’il affirme ; elle peut se traduire simplement par “il boit”. Si le contexte s’y prête, cette forme peut être soit une réponse explicative à la question “il est malade, qu’est-ce qu’il a ?”, “il boit !”, soit une affirmation fortement

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La focalisation en afar

contrastive dans le contexte “il ne boit pas au moins ?”, “(mais si) il boit !”. La forme en -g peut aussi être utilisée avec une valeur d’ironie : ÷,`vj` Ä`Ç`,k·,g (57a) DEM-fille beauté-il a31-ASSER Cette fille est belle ! (ah oui, vraiment ?)

peut être la réponse en écho à ÷,`vj` Ä`Ç`,k· (57b) DEM-fille beauté-il a Cette fille est belle

Si l’interlocuteur ne partage pas cette opinion, le premier énoncé impliquera, par antiphrase et avec humour, qu’il ne pense pas un mot de ce qu’il dit. Il est bien évident que des facteurs d’intonation entrent alors en jeu. De même, dans un énoncé où s’exprime l’étonnement, le verbe sera obligatoirement muni du morphème -h : k`jÄË xnj sdladÇ·,g, v÷xï! (58) argent+F moi-de elle est terminée-ASSER ça alors Je n’ai plus d’argent ! ça alors !

De plus, seul un énoncé fortement asserté, et dont le verbe comporte par conséquent le clitique -h, peut être mis en doute par un procédé interro-négatif rhétorique : l’utilisation de la copule hmm÷`,32 placé en fin d’énoncé : ÷st rta÷Å a`gs·,g hmm``ï? (59) tu beurre clarifié tu ramenas-ASSER TAG Tu as (bien) ramené du beurre clarifié, n’est-ce pas ?

Çhhm·,g hmm÷`ï? (60) il dormit-ASSER TAG Il a dormi, n’est-ce pas ?

On retrouve certes là des valeurs liées à la focalisation, mais qui ne lui sont en rien exclusives.

31 Les verbes statifs en afar sont invariables en genre à la 3 sg. 32 Ce hmm``est à rapprocher de l’auxiliaire de négation (cf. note 5). Il fonctionne

comme “n’est-ce pas ?” en français.

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CONCLUSION

Les deux tableaux suivants récapitulent les différentes marques utilisées pour la focalisation en afar.

Marques de focalisation du verbe

type d’énoncé marque sur le verbe affirmation négation interrogation totale

-VmV aux. waa/wee (+-VmV)

-nnaa

Marques de focalisation des autres constituants

constituant marques communes marques supplémentaires focalisé à tous les énoncés RP niée terme nié interrogation

terme focalisé

indice sur le verbe

indice sur le verbe

terme focalisé terme focalisé

sujet A / FL -m + figé 3fsg

(+ -nnaa

objet1

FL

et/ou + -y)

objet2 ana-/ cataphore

-m + aux. wee + cop. hinna

circonstant ana-/ cataphore ou forme lex.

(+ -y)

En phrase affirmative, lorsqu’un autre terme que le verbe est focalisé, la copule d’identification jhmmh'g(, facultative, peut clore l’énoncé.

Cette approche de la focalisation nous permet de dégager un certain nombre de traits généraux, caractéristiques du fonctionnement de ce phénomène en afar.

1. Il n’y a totale coïncidence entre la place de la marque de focalisation et le terme focalisé que dans le cas où celui-ci est le prédicat verbal. Ceci se vérifie dans tous les types d’énoncés, assertifs et interrogatifs. Parmi les marques de focalisation du verbe, seule celle spécifique de la phrase affirmative, -VmV, a une portée syntaxique qui concerne exclusivement le verbe.

Lorsqu’un autre élément de l’énoncé est focalisé, le verbe est toujours muni du morphème -m. Sauf dans quelques cas conditionnés par la morphologie de la langue (cf. § 3.4), -m ne fonctionne jamais seul, mais en

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La focalisation en afar

combinaison avec d’autres marques, procédés morpho-syntaxiques ou prosodiques, qui affectent l’élément focalisé.

Le verbe, en tant que noyau de la relation prédicative, est donc toujours explicitement associé à la focalisation : le morphème qui lui est suffixé est marque de focalisation quand le verbe est focalisé, et indice de focalisation quand il s’agit d’un autre élément.

2. L’expression de la focalisation en afar a toujours recours à une marque explicite de l’identification du terme focalisé. Les rares exceptions sont imputables à la morphologie de la langue (absence de distinction casuelle pour les noms féminins et certains types de noms masculins, cf. § 3.1) et ne remettent pas en cause le système. Les marques les plus explicites sont celles qui font appel à un auxiliaire (vdd), des copules 'jhmmh'g(, ghmm`, ,hmm`) ou à une ancienne copule grammaticalisée (-y). L’utilisation de formes particulières (cas absolu ou forme longue) du nom et du pronom est du même ordre. Ce sont en effet celles qui sont utilisées comme formes prédicatives dans les phrases nominales, à valeur d’identification.

3. Il nous semble important de souligner ici le lien qui existe entre les procédés de focalisation et la dépendance syntaxique. La focalisation d’un élément de l’énoncé autre que le verbe fait systématiquement appel à un morphème (-m) qui est identique à celui utilisé, comme conjoncteur ou relateur, pour la formation des complétives et de certaines relatives. C’est aussi un auxiliaire, wee, utilisé régulièrement pour l’expression de la négation en phrase dépendante (non focalisée), qui sert à marquer la focalisation du verbe ou de tout autre élément en phrase négative.

4. Dans le cas de la focalisation d’un autre élément que le verbe, la répartition et la dissociation des marques de la focalisation, qui est une des caractéristiques de cette langue, s’explique aussi par le fait que la structure de l’énoncé se dédouble en deux propositions : l’apodose dont le verbe porte un indice particulier à ce type d’énoncé (-m) et la protase, proposition nominale d’identification (avec copule – jhmmh'g(, ghmm`– ou sans). Le cas de la focalisation du sujet, où l’accord du verbe ne se fait pas avec le sujet de l’énoncé, qui devient centre d’un syntagme d’identification, mais avec le marqueur -m, illustre le lien entre focalisation et identification en même temps qu’il explique le procédé de répartition et de dissociation de la marque de focalisation en afar.

Les trois exemples suivants permettent de comparer un énoncé simple non focalisé à des énoncés complexes avec focalisation où la dépendance et l’identification sont plus ou moins marquées :

`vj‚ahx``jhs`<garçon+S / il est malade=äle garçon est malade”

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÷vj`ahx``jhss`,l<garçon+A .elle est malade-FOC> <ce qui est malade (c’est) le garçon> “c’est le garçon qui est malade”

ahx``jhss`,l÷vj`jhmmhg<elle est malade-FOC / garçon+A / c’est> “c’est le garçon qui est malade”.

5. Enfin, tout terme focalisé autre que le verbe se distingue par le fait qu’il ne porte pas les marques de sa fonction grammaticale dans la phrase. Si l’objet indirect ou le circonstant est l’élément focalisé, la fonction grammaticale est explicitée soit par un morphème suffixé à un pronom (neutre, 3SG) anaphorique ou cataphorique, soit par un lexème. Quand il s’agit du sujet ou de l’objet direct (par ailleurs soumis à une flexion casuelle), aucune marque de fonction n’est présente dans l’énoncé. Dans tous ces cas, -m fonctionne comme une reprise de l’élément focalisé.

ABREVIATIONS

A cas absolu ACC accompli ASSER assertion AUX auxiliaire COL collectif COOR coordonant conj. conjugaison DEM démonstratif PRED prédicatif F féminin FB forme brève FL forme longue FOC focalisateur FUT futur INACC inaccompli

INTER interrogatif lex. lexématique NEG négatif O objet Objet1 objet direct Objet2 objet indirect PL pluriel préf. préfixale REL relateur RP relation prédicative S sujet SG singulier suff. suffixale TAG interrogation rhétorique V verbe

RÉFÉRENCES

Appleyard, David L., 1989, “The Relative Verb in Focus Constructions: An Ethiopian Areal Feature”, Journal of Semitic Studies, 34/2 : 291-305.

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La focalisation en afar

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