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Jacques des Courtils Thomas Marksteiner "Long Mur" au Nord de Xanthos In: Anatolia Antiqua, Tome 7, 1999. pp. 89-104. Citer ce document / Cite this document : des Courtils Jacques, Marksteiner Thomas. "Long Mur" au Nord de Xanthos. In: Anatolia Antiqua, Tome 7, 1999. pp. 89-104. doi : 10.3406/anata.1999.921 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/anata_1018-1946_1999_num_7_1_921

Long Mur' Au Nord de Xanthos

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'Long Mur' Au Nord de Xanthos - HISTOIRE

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Page 1: Long Mur' Au Nord de Xanthos

Jacques des CourtilsThomas Marksteiner

"Long Mur" au Nord de XanthosIn: Anatolia Antiqua, Tome 7, 1999. pp. 89-104.

Citer ce document / Cite this document :

des Courtils Jacques, Marksteiner Thomas. "Long Mur" au Nord de Xanthos. In: Anatolia Antiqua, Tome 7, 1999. pp. 89-104.

doi : 10.3406/anata.1999.921

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/anata_1018-1946_1999_num_7_1_921

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Anatolia Antiqua VII (1999), p. 89-104.

J. des COURTILS* et Th. MARKSTEINER**

"LONG MUR" AU NORD DE XANTHOS

A environ 5 km au Nord de Xanthos sont conservés les vestiges d'un "long mur" barrant complètement la vallée à l'Est du fleuve1. Cet ouvrage, déjà signalé à la fin du siècle dernier par les membres de l'expédition autrichienne, figure sur la carte de Kiepert sous la désignation "Elaiou Teichos"2. En l'absence de toute étude et même d'une simple description de cet exceptionnel monument d'architecture militaire antique, il nous a paru utile de procéder à son relevé. Comme, par ailleurs, nous avons lancé depuis 1992 un programme d'étude des fortifications de Xanthos et que des prospections ponctuelles dans la chora de la métropole lycienne sont également effectuées depuis quelques années, cette nouvelle entreprise trouvait naturellement sa place dans le programme de recherche de l'équipe de Xanthos/Létôon. Néanmoins, une étude systématique demanderait des effectifs plus importants que ceux dont nous pouvions disposer et doit donc être remise à plus tard, aussi nous nous sommes contentés d'effectuer un relevé provisoire servant de base à la description que nous présentons ici afin de rendre ce monument accessible à la communauté scientifique.

LE TRACE DU MUR (Fig. 1 et 2)

On rencontre les vestiges du "long mur" à environ 200 m au Sud du village de Palamutkôy, à une altitude d'environ 25 m au-dessus du niveau de la mer. D'une longueur totale de presque 3 km, le mur suit un tracé approximativement recti-

ligne, d'orientation générale Est-Ouest et ses vestiges sont encore bien visibles de nos jours sur la totalité de leur longueur. A l'Ouest, les premières traces du mur se trouvent à une distance d'environ 50 m de la rive gauche du fleuve, point à partir duquel il suit le rebord méridional d'un petit vallon. Au-delà de ce dernier, le mur parcourt sur à peu près 200 m un terrain relativement plat et cultivé de nos jours, au-delà duquel son tracé en direction de l'Est lui fait rencontrer les accidents naturels suivants :

- d'abord (fig. 3) il escalade jusqu'au tiers de sa hauteur environ le flanc nord d'une colline (nommée A§ar Tepe) sur la partie supérieure de laquelle se trouvent des vestiges qui seront décrits ci-après ;

- en redescendant, il rencontre le lit d'une rivière sèche, pour la traversée de laquelle son parcours est interrompu. Juste avant le lit de la rivière (à l'Ouest), le mur est percé d'une porte (fig. 4) ;

- au-delà de ce vallon, qu'il barrait vraisemblablement autrefois3, le mur traverse un vaste terrain plat et cultivé aujourd'hui de façon intensive (c'est là qu'il croise la route moderne), avant de grimper en ligne droite au flanc de la montagne, qui borne la plaine fluviale du Xanthe sur son côté est (fig. 5). Le tracé se perd à une altitude de plus de 250 m au dessus du niveau de la mer, au contact de falaises rocheuses contre lesquelles il devait buter autrefois. Le dénivellement total entre les deux extrémités de l'ouvrage s'élève donc à environ 250 m.

A ce tracé principal Est-Ouest s'ajoute une

*) Université de Bordeaux III-AUSONIUS. **) Université de Vienne, Autriche. 1) Nous remercions chaleureusement H. Canbilen et P. Lebouteiller pour les relevés et les dessins. Nous tenons également à

remercier F. Yildinm qui a assisté nos travaux en tant que représentant du Ministère de la Culture de Turquie. Photographies des fig. 2, 12 et 14 : Th. Marksteiner, les autres : J. des Courtils (archives de la mission de Xanthos).

2) Benndorf-Niemann, 1884, 138 ; Ritter, 1859, 1020. Le toponyme Elaiou Teichos mentionné par Etienne de Byzance désigne une polis lykias, ce qui semble exclure tout rapport avec le "long mur" en question.

3) A proximité du fleuve, les traces du mur se suivent encore presque jusqu'à la rive. A contrario, l'interruption du mur dans le vallon sur une vingtaine de mètres, en raison de la présence d'une rivière sèche, semble absurde et cadre mal avec le soin qui fut mis à la réalisation d'une porte juste à côté ! Cette interruption n'est donc certainement pas d'origine.

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Massif du

KRAGOS

N

t

Carte de la basse vallée du Xanthe /j\ Sites ou édifices ^r archéologique Mur antique Routes modernes IBà Zone de dunes

MER

MEDITERRANEE

5 kms Golfe

de /j KALKAN

Fig. 1 : Plan de l'estuaire du Xanthe (P. Lebouteiller).

N

Fig. 2 : Secteur du long mur (P. Lebouteiller).

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"LONG MUR" AU NORD DE XANTHOS 91

Fig. 3 : Section du long mur sur le flanc ouest de la colline d'A§ar Tepe.

branche secondaire qui s'en détache à angle droit vers le Sud à l'endroit où le mur escalade la colline d'A§ar Tepe. Cent mètres après avoir divergé, cette branche méridionale est percée d'une porte (fig. 6), puis au-delà de celle-ci elle s'incurve vers l'Est comme si elle allait faire le tour complet de la colline (fig. 7), mais son tracé se perd complètement et il est peu probable que le circuit ait été complété : on ne trouve en effet ni blocs errants ni trace d'implantation sur le rocher. La partie de la colline qui est incluse dans ce tracé porte des traces de constructions antiques dont il sera question ci-dessous.

DESCRIPTION ARCHITECTURALE

Le matériau de construction, un calcaire très érodé provenant de la surface, est utilisé généralement à l'état brut, sans trace de retouche quelconque. Bien que l'ouvrage témoigne à l'examen d'une grande homogénéité sur le plan construc- tif, telle n'est pas l'impression qu'il donne au premier abord, mais plutôt celle d'une certaine hétérogénéité des diverses sections du mur. Celle impression est due à la différence de dimensions des blocs employés selon les endroits : sur le terrain rocheux de la colline et à proximité, de grands ou parfois même de très grands blocs étaient plus facilement disponibles, tandis que dans la plaine alluviale le mur est partiellement érigé avec des moellons de dimensions plus modestes, voire petites. Cette différence s'explique naturellement par la difficulté du transport des matériaux.

Elle se traduit également par des différences d'aspect : quelques rares secteurs sont en polygonal à grands blocs assez soignés (fig. 8), la plus grande partie du mur présente un parement fait de blocs équarris et simplement empilés.

L'épaisseur du "long mur" est d'environ 2,30 m en moyenne, avec d'importantes variations. Ces dernières sont en partie dues au glissement des blocs supérieurs mais reflètent probablement aussi un manque de rigueur dans la construction. Les deux parements du mur sont constitués de blocs relativement grands, employés généralement comme parpaings, avec un remplissage de petits moellons. Bien que quelques blocs des parements pénètrent dans ce remplissage, il n'y a pas d'emploi systématique de boutisses.

LA PORTE DU GRAND MUR

Nous avons pu localiser deux portes, l'une à l'Est et au pied de la colline, près de la rivière sèche, permettant le passage entre les zones situées au Nord et au Sud du "long mur", l'autre donnant accès par le Sud-Ouest à la partie fortifiée de la colline d'A§ar Tepe. La première est aménagée dans une section du rempart construite avec des blocs nettement plus grands que la moyenne (fig. 4). En bordure du passage, large de 1,90 m, un souci de jointoiement inhabituel se constate : les montants sont formés de blocs quadrangulaires , tandis qu'à l'intérieur du passage l'ouvrage a plutôt un caractère polygonal. Aucune trace d'un quelconque système de fermeture n'est conservée, et nous n'avons pas trouvé trace d'un linteau, même brisé.

Le fait que nous n'ayons localisé qu'un seul passage sur tout le tracé principal du "long mur"

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Illustration non autorisée à la diffusion

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Fig. 4 : Porte dans le mur principal, à proxim

ité de la rivière sèche (relevé P. Lebouteiller et H. Canbilen, dessin H

. Canbilen).

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'LONG MUR" AU NORD DE XANTHOS 93

Fig. 5 : Le long mur à l'Est d'Açar Tepe : vue générale depuis la colline jusqu'au

flanc est de la vallée du Xanthe (au fond). Le tracé du mur est souligné par une ligne de végétation.

Fig. 6 : Porte dans la branche sud (vue vers le Sud).

Fig. 7 : Branche sud s'incurvant vers l'Est (vue vers le Sud).

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en travers de la vallée, bien que nous ayions attaché beaucoup d'attention à cette question, paraît étonnant. L'état de conservation médiocre de longues sections de cet ouvrage, dont les ruines sont en plusieurs endroits recouvertes de broussailles et de pierres ramassées par les paysans dans les champs environnants, ne permet pas d'être absolument sûr du nombre de portes à l'origine. Il faut tout de même souligner que, comme le prouvent les secteurs des deux portes repérées, les parties construites en grands blocs et avec un certain soin se sont mieux conservées. Nous pouvons donc conclure, qu'il y avait au moins un passage entre les régions au Nord et au Sud du long mur, que de longues sections ont été construites sans porte et que le nombre total des passages n'était vraisemblablement pas élevé.

AUTRES CONSTRUCTIONS SUR LA COLLINE D'A§AR TEPE

Comme nous l'avons vu, une branche se détache du long mur sur le flanc de la colline d'A§ar Tepe qui domine la plaine vers le Nord. Cette branche embrasse ainsi un terrain rocheux et parsemé de vestiges de constructions, qui culmine à 156 m. Le point de jonction des deux sections est trop mal conservé pour permettre de déterminer le rapport constructif et chronologique des deux lignes de défense. La face extérieure du mur principal, surplombant le versant nord de la colline, est construite avec de grands blocs et ne montre aucune trace de remaniement, tandis que sa face intérieure (sud), recouverte de petits ébou- lis, n'est guère discernable en surface, de sorte que l'on ne peut examiner la jonction qui se fait ici avec la branche méridionale.

Le parement extérieur (ouest) de la branche méridionale est également constitué de grands blocs et s'interrompt à 2 m à l'arrière du parement extérieur du mur principal. Comme nous avons déterminé une largeur moyenne de 2,30 m pour ce dernier, il a bien pu y avoir pénétration. Ce fait, ainsi que la grande similitude de technique, amènent à conclure que les deux branches ont dû faire partie d'un seul projet de construction.

A une distance d'environ 50 m de la bifurcation, une porte large de 1 ,70 m a été aménagée dans la branche sud du rempart, construit dans ce secteur avec de grands blocs. Les montants de cette porte, qui avait autrefois une hauteur d'au moins 2,80 m, sont faits de blocs énormes (fig. 6), quasi cyclopéens, dont celui de l'angle intérieur

tal fait fonction d'orthostate. Aucune trace d'un système de fermeture ou d'un linteau n'est préservée.

A une distance d'environ 30 m à l'Est de cette porte le mur fait un retour vers le Nord-Est, suivant les courbes du terrain. L'angle ainsi dessiné est occupé par un bloc monolithe haut de 2,30 m et large de plus d'un mètre, posé de chant, que l'on peut qualifier "d'orthostate lycien" (fig. 7).

A une trentaine de mètres à l'Est du retour d'angle, le mur se perd sans avoir laissé la moindre trace d'un prolongement. Cette disparition soudaine et surprenante dans un terrain en pente modérée, parsemé de rochers pointus et érodés, pourrait être prise comme indice que le rempart n'a jamais été achevé et n'a jamais fait le tour complet de la colline au Sud et à l'Est.

Le sommet de la colline est entouré presque aux trois quarts par le long mur et parsemé de constructions antiques, très éboulées en général. La plupart de celles-ci consiste en murs de terrasses formés de moellons de taille moyenne et de pierres de calage. Parfois un ou même deux angles de ces constructions sont conservés. Ils font retour vers le haut et démontrent ainsi que nous n'avons pas affaire à de simples terrasses agricoles, mais plutôt à des substructions de bâtiments érigés à flanc de colline.

Une légère dépression à l'Est du sommet, sur lequel affleurent les ruines presque méconnaissables d'une construction quadrangulaire (fig. 9), est bordée au Nord par un mur de terrasse de style polygonal classique, construit avec de grands blocs taillés avec soin et parfaitement assemblés (fig. 10, 11 et 12). A l'arrière de ce mur, conservé sur une quinzaine de mètres, ont été entassés des moellons liés à l'argile, agrandissant ainsi l'espace disponible sur la crête. A une dizaine de mètres au Sud de la terrasse est conservée une installation cubique taillée dans le rocher, dans la face supérieure de laquelle une cavité oblonge a été aménagée (fig. 13 et 14). Le fond de celle-ci montre un recreusement supplémentaire sous forme d'une entaille, profonde d'une dizaine de centimètres. Cette disposition distingue clairement notre installation des "autels de feu" taillés dans le rocher, ayant un bassin peu profond sur la face supérieure, qui sont si fréquents en Lycie4. On ne peut exclure qu'elle ait pu servir à accueillir une stèle à tenon. Le rôle important des stèles érigées dans les sanctuaires hypètres d'Anatolie en général et de Lycie en particulier a été souligné récemment par F. I§ik5.

4) Marksteiner, 1993, p. 105 ; Akyel, 1995, p. 145 ; Miller, 1995, p. 37s. ; I§ik, 1996. 5)Isik, 1996, en part. p. 62.

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Fig. 8 : Section en grand appareil polygonal dans la plaine (face sud).

Fig. 9 : Restes d'un édifice au sommet de la colline d'A§ar Tepe.

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Fig. 10 : La grande terrasse au sommet de la colline d'A§ar Tepe (face nord).

DATATION, ASPECTS TECHNIQUES ET TYPOLOGIQUES

Les aspects généraux de la technique de construction de l'ensemble du "long mur" et de son embranchement sur la colline, surtout l'emploi de pierres brutes de très grand format et l'absence d'utilisation systématique de boutisses, pointent vers une haute date, c'est-à-dire préhellénistique6. Certains traits, notamment l'emploi de blocs monolithiques pour les montants des portes et les blocs d'angle posés en orthostate, sont des traits typiques de l'architecture lycienne de l'époque classique, plus précisément du Ve siècle avant notre ère . Ajoutons que l'absence complète de bastions, de tours et d'autres procédés de flan-

quement tout au long du tracé repérable indiquerait plutôt une date haute8.

La quasi totalité des constructions comprises dans le circuit du long mur et de son extension méridionale sont construites dans un appareil très rustique qui se soustrait à une datation précise. Seule la terrasse polygonale près de la cime est stylistiquement datable à l'époque classique, les parallèles les plus proches se trouvant à Xanthos9. Des installations cultuelles taillées à même le rocher, comparables au quadrilatère conservé près de la terrasse polygonale, se rencontrent en Lycie souvent dans un contexte classique, mais leur morphologie et leur chronologie ne sont pas encore assez étudiées pour permettre des conclusions sûres10. Quant à la construction quadrangulaire dont les traces se sont conservées sur la cîme de la colline, elle pourrait appartenir à un édifice en forme de tour dominant l'ensemble, comparable à ces "donjons" qui forment un des éléments les plus typiques des agglomérations lyciennes de l'époque classique11.

RESTITUTION DU "LONG MUR"

Les vestiges du "long mur" sont en assez mauvais état général. Ils s'élèvent en moyenne de 0,30 à 0,70 m au-dessus du niveau du sol. Leur état de conservation est un peu meilleur seulement dans le voisinage des deux portes connues. A notre avis la technique de construction peu soignée et l'emploi de pierres brutes sont les causes de son délabrement avancé : les parements du mur, qui sont par endroit relativement minces, n'ont pas été assez stables pour retenir le remplissage et se sont écroulés. Au contraire, la présence d'orthostates et le plus grand soin mis à la construction aux environs des portes explique que le mur soit mieux conservé dans ces endroits.

En bien des points, les masses d'éboulis amorphes provenant du mur se discernent mal des cailloux et pierres rongés par l'érosion, dont la surface de la colline est jonchée. Il est donc difficile de juger de l'importance de l'éboulis par rapport à l'élévation de la construction. En fait, seule la hauteur conservée du montant de la porte du secteur sud, qui est de 2,80 m, permet de déduire une élévation minimale.

6) Marksteiner, 1994, 1 14 ; Marksteiner, 1997, p. 116. 7) Ibid. 8) Sur l'emploi irrégulier de tours dans l'architecture militaire préhellénistique en Lycie, voir Marksteiner, 1997, p. 148. On

comparera le mur barrant la vallée près de la ville de Termessos avec ses tours placées à distance régulière et sa porte flanquée doublement, qui date très vraisemblablement de l'époque hellénistique. Voir Winter, 1966.

9) Voir l'enceinte polygonale de l'acropole lycienne, Metzger, 1963, p. 2 s 10)Isik, 1996 11) Marksteiner, 1994 ; Marksteiner, 1997, p. 138.

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Fig. 11 : La grande terrasse au sommet de la colline d'A§ar Tepe (face nord).

Fig. 12 : La grande terrasse au sommet de la colline d'A§ar Tepe (face nord).

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Fig. 13 : Structure quadrangulaire taillée dans le rocher, au sommet d'A§ar Tepe.

Fig. 14 : Structure quadrangulaire taillée dans le rocher (détail).

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Les portes, qui ne montrent aucune trace d'un système de fermeture quelconque, étaient-elles ouvertes habituellement et obturées avec des gros blocs en cas de nécessité ? Aucun indice ne le prouve et nous jugeons préférable d'éviter les conjectures, mais on soulignera qu'une telle solution paraît possible à haute époque12. En fait, n'ayant point trouvé de linteau, nous ne savons même pas si les passages étaient couverts ou non.

Aucun indice ne montre que le mur ait comporté un parapet. Vu la médiocre qualité de la maçonnerie, ceci n'étonne point : des blocs provenant d'une épalxide peu élaborée, construite avec des moellons, ne se distingueraient guère dans la masse des éboulis. Pourtant il semble évident qu'un mur d'une telle hauteur et surtout d'une telle épaisseur n'était défendable que s'il portait un chemin de ronde et un parapet pour protéger les soldats. Nous n'avons pas trouvé de traces d'escalier ni de rampe pour monter sur le mur13, il faut donc penser à d'autres moyens, éventuellement en matériaux périssables, comme des échelles, dont l'emploi est attesté par les sources14.

LA FONCTION STRATEGIQUE DU "LONG MUR"

Avant de procéder à une analyse de la fonction stratégique du "long mur", il convient de se demander si les vestiges étudiés constituent un ensemble complet ou s'il ne s'agirait que des parties les mieux conservées et donc les plus facilement repérables d'un ensemble plus grand. Un coup d'œil sur la carte (fig. 1) indique, que le "long mur" barre la vallée du côté est du Xanthe, à l'endroit où la distance est la plus faible entre le lit du fleuve et le versant des montagnes. A cet avantage matériel s'ajoute un avantage tactique, la présence d'une colline sur laquelle le mur s'appuie et qui fournit un point surélevé d'où la défense est plus facile, ainsi qu'un avantage technique, les matériaux étant facilement disponibles en terrain rocheux. Le choix de l'emplacement du mur semble donc être le résultat de réflexions encore valables de nos jours. La concordance de ces divers avantages fournit un premier indice pour dire que les vestiges aujourd'hui visibles forment un ensemble complet, bien que ruiné.

En poursuivant l'analyse nous remarquons qu'à leur extrémité ouest les ruines du "long mur" sont conservées jusqu'à une cinquantaine de mètres de la rive du fleuve. A cet endroit le cours d'eau fait un coude marqué vers l'Est avant de revenir vers l'Ouest. Ce changement de cours est imposé par le relief, le fleuve se heurtant ici à une barrière de collines qui ferme partiellement la vallée. Si les bâtisseurs du "long mur" avaient eu pour projet de barrer la vallée sur les deux rives du Xanthe, un tracé suivant les crêtes rocheuses au Sud-Ouest de la colline fortifiée d'A§ar Tepe aurait été préférable à plusieurs égards : le terrain y est constamment en surélévation par rapport à la plaine qui s'étale vers le Nord et une longue section de la ligne de défense aurait pu s'appuyer sur la barrière naturelle que forment le fleuve et les deux collines proches, Yigma Tepe et Gôkta§ Tepe. Le fait d'avoir choisi le tracé court en plaine prouve suffisamment à notre avis qu'une prolongation du "long mur" sur la rive droite n'a jamais été prévue.

A son extrémité orientale, le mur est conservé jusqu'au point où il se confond avec des falaises qui s'élèvent au flanc de la vallée et forment un obstacle infranchissable. Au-delà de celles-ci s'étend un terrain qui monte en pente faible jusqu'au pied du massif du Massikytos. Dans ces hautes terres, difficiles d'accès et topographique- ment séparées de la vallée, aucune trace d'une ligne de défense n'est repérable ; elles n'étaient donc probablement pas concernées par l'installation du "long mur".

Le "long mur" barrait donc la vallée du Xanthe à l'Est du fleuve, en s 'appuyant des deux côtés sur les obstacles naturels que présentent un cours d'eau et des falaises rocheuses. Il suit un tracé relativement court, mais qui présente le désavantage d'avoir des sections importantes en terrain plat. L'ouvrage est dirigé vers le Nord, comme le prouvent son tracé15 et le fait que l'entrée dans l'espace fortifié au sommet de la colline soit tournée vers le Sud. Il s'agit donc, comme les voyageurs du siècle dernier n'ont pas manqué de le remarquer, d'une ligne de défense conçue par une autorité installée au centre du territoire de Xanthos contre des agresseurs venant du Nord. La haute vallée du Xanthe présentait à l'époque comme aujour-

12) Voir Lawrence, 1979, 248. Pour une opinion contraire à celle de Lawrence voir Winter, 1971 , 254. 13) En Lycie, l'acropole classique récemment découverte à Telmessos/Hizirlik, est la seule à avoir conservé un double escalier,

tandis qu'aucune des autres fortifications préhellénistiques de la région ayant fait l'objet d'une étude ne montre de trace d'installations d'accès. Pour Telmessos voir Buschmann, 1992.

14) Winter, 1971, 149 ; Lawrence, 1979, 346. 15) Le mur s'adosse du côté sud sur des accidents naturels (vallon proche du fleuve et colline d'Açar Tepe) d'où il domine les

terres situées à son pied vers le Nord.

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d'hui encore la meilleure voie de communication terrestre avec les régions situées au Nord et à l'Ouest de la Lycie et constituait donc l'itinéraire obligé pour toute action militaire offensive dirigée par voie de terre contre Xanthos en provenance de ces régions.

Les dimensions de cet ouvrage, qui paraît être de haute époque, la relative qualité de son exécution, ainsi que l'existence sur la colline d'un groupe de constructions, conduisent vers une interprétation de cet ensemble dans le cadre d'une stratégie de défense territoriale conçue à long terme. Il ne saurait donc s'agir, à notre avis, d'un instrument de défense installé en hâte, en réaction contre un danger imminent.

La construction d'un mur d'une longueur de plusieurs kilomètres, d'une épaisseur de plus de 2 mètres et d'une hauteur surpassant les 3,00 m a dû demander un énorme investissement1 . C'est surtout en le comparant avec d'autres établissements et édifices construits à l'époque classique en Lycie que l'on réalise l'ampleur de l'ouvrage17. Un tel effort a dû être entrepris pour des raisons considérées comme vitales et non point simplement pour délimiter un territoire ou contrôler son accès, toutes considérations d'importance secondaire à l'époque : nous pensons évidemment à des objectifs militaires, c'est-à-dire, stricto sensu, stratégiques.

En tout état de cause, le "long mur" ne pouvait servir qu'à la défense d'une partie du

territoire de Xanthos et non de sa totalité, la frontière avec Tlos/Tlawa ayant été située probablement beaucoup plus au Nord18 et les régions à l'Ouest du fleuve n'étant pas concernées. L'aire protégée par le long mur forme le voisinage immédiat de la ville de Xanthos et, par conséquent, du centre dynastique. Le souci d'éviter un long siège, comme Xanthos en a connu, tout en appuyant la défense sur un ouvrage défensif de premier ordre, tel pourrait-être le concept stratégique qui a mené à la construction du "long mur".

Mais une telle stratégie ne pouvait être efficace qu'à condition que les flancs du dispositif

sent à l'abri du danger. A l'Est les montagnes formaient une barrière massive extrêmement difficile à franchir pour une armée en marche. Même l'accès en venant du Nord par les flancs du massif du Massikytos aurait posé des problèmes énormes pour une force armée un tant soit peu importante et aurait pu être bloqué facilement. A l'Ouest, le fleuve semble avoir été considéré comme formant un obstacle suffisant pour le passage de troupes. Aujourd'hui encore le débit du Xanthe est impressionnant et son courant reste fort même pendant les mois d'été les plus secs. Depuis le début de années quatre-vingt-dix, il a toutefois beaucoup décru du fait d'importants pompages pour l'irrigation, mais la situation dans l'Antiquité devait ressembler à celle du siècle dernier, pour lequel nous avons de nombreux récits de voyageurs qui durent remettre de plusieurs jours le passage du gué situé au Sud de l'acropole de Xanthos, car le niveau d'eau avait augmenté sensiblement à la suite de fortes pluies19. Le fleuve, même s'il n'était pas gardé militairement, présentait donc un obstacle sérieux, mais point infranchissable. En revanche, il eût été d'autant plus difficile et coûteux de forcer le passage de ce cours d'eau tumultueux, si la rive opposée était occupée par des défenseurs ayant l'avantage d'une position surélevé et étant libres de leurs mouvements.

A condition d'être gardé de façon appropriée, le système défensif formé par le "long mur" et le fleuve formait donc un obstacle sérieux à toute attaque de cavalerie ou d'infanterie. De plus, la faible distance le séparant de la ville de Xanthos permettait l'envoi rapide de troupes de renfort, elle facilitait le ravitaillement des troupes et permettait si nécessaire une retraite ordonnée à l'abri des remparts du centre dynastique.

Le "long mur" était donc vraisemblablement conçu comme le nœud d'une stratégie de défense flexible du territoire environnant Xanthos et pouvait sans doute permettre de résister à des forces importantes.

16) La construction d'un mur défensif contre les incursions barbares dans la Chersonese Thrace, entreprise par le Spartiate Derkylidas, semble avoir occupé toute l'armée pendant plusieurs mois (Xén., Hell., Ill, 2, 10). Déjà Périclès avait fortifié cet endroit (Plut., Pér., 19). Les habitants des villes et agglomérations de la région n'avaient peut-être pas les moyens de procéder eux-mêmes à la fortification de l'isthme ou manquaient de volonté de coopération.

17) Les remparts de Xanthos, qui constituent le système défensif le plus important de la région, ont une longueur d'environ 3 km. La plupart des établissements classiques majeurs en Lycie avaient une superficie comprise entre 1 et 8 hectares, seules Xanthos et Limyra dépassaient nettement ces superficies et avaient des remparts en proportion.

18) En l'absence d'indice matériel, c'est le simple bon sens qui amène à prêter à Xanthos un territoire au moins aussi étendu — et probablement plus encore — que celui de sa voisine du Nord. La présence de massifs montagneux à l'Est et celle d'étendues marécageuses immédiatement au Sud, ne laissent de place pour un territoire appartenant à la ville qu'en direction du Nord, c'est-à- dire au-delà même du long mur.

19) Voir von Luschan, Petersen, 1889, 84. L'expression "dinèeis" (II., II, 876) n'est peut-être pas qu'une "épithète homérique"...

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"LONG MUR" AU NORD DE XANTHOS 101

OUVRAGES COMPARABLES

Au petit nombre d'ouvrages militaires linéaires structurellement comparables au "long mur" de Xanthos, qui ont été répertoriés jusqu'à aujourd'hui, s'ajoutent quelques murs barrant un col ou un isthme mentionnés par des auteurs anciens20. La plupart de ces fortifications furent érigées en hâte face à un danger immédiat (Hdt. VIII, 71, 2 pour l'Isthme de Corinthe) ; d'autres, conçues à plus long terme, devaient empêcher les incursions de voisins barbares (Hdt. VI, 36, 2 ; Plut., Périclès, 19 pour la Chersonese ; Xén., Hell, 3, 2, 10). Il semble que les chefs militaires grecs aient généralement renoncé à la défense des frontières et à l'établissement de lignes défensives rigides21. En cas de guerre, la tactique consistait soit à rechercher la décision par une bataille en terrain ouvert, soit à ménager les troupes en les retirant derrière les remparts d'une ville ou de forteresses et à attendre que l'ennemi s'épuise ou que la mauvaise saison commence22.

Les ouvrages militaires linéaires formés de murs massifs qui ont été construits à l'époque grecque se présentent donc comme des exceptions à la règle et furent probablement conçus pour faire face à des situations spécifiques23. Les "long murs" de Iasos24 et de Salganeus25 furent érigés vraisemblablement pour couvrir des armées établissant un campement en territoire ennemi sans pouvoir s'appuyer sur une ville assez importante. Ils sont comparables en ceci à un ouvrage construit par les Athéniens à Méthana (Thuc, IV, 45, 2) et liés au phénomène de V epiteichismos , qui fit son apparition dans le cadre des stratégies développées au cours de la guerre du Péloponnèse26.

Une autre catégorie comprend les ouvrages qui barrent un axe de communication

d'importance à des endroits topographiquement

geux, c'est-à-dire des cols ou des isthmes. L'étude du "Dèma", que l'on peut considérer comme l'ouvrage défensif linéaire grec le mieux connu, a été reprise dernièrement par M .H. Munn27. La situation topographique de l'ouvrage, qui barre l'axe d'accès primordial pour Athènes et les plaines fertiles avoisinantes, semble en faire l'instrument d'une stratégie de défense territoriale. Cette interprétation est très largement acceptée. Dans une analyse brillante, qui s'appuie sur la tactique inférée de la structure en segments alignés si caractéristique du Dèma, M .H. Munn plaide pour une datation dans les années de la guerre Béotienne, c'est- à-dire à la fin du premier quart du IVe siècle av.J.-C28.

Un autre ouvrage, relativement bien étudié lui aussi, se trouve dans une région proche de la Lycie, en Pamphylie occidentale. Il barre une étroite vallée qui permet d'accéder facilement aux plaines fertiles. Bien qu'il soit situé au pied de la ville pisi- dienne de Termessos, ce mur renforcé par de nombreuses tours a été interprété comme un instrument de défense d'Attaleia, fondée au IIe siècle29.

Les ouvrages linéaires barrent généralement des axes de communication d'importance stratégique. Ils ont été construits à des endroits topographiquement propices, c'est-à-dire des cols ou des isthmes, qui présentent l'avantage de la brièveté du tracé. Leur terrain de construction est d'habitude peu accidenté et donc facile d'accès, tandis que leur extrémités s'appuient sur des obstacles naturels, que ce soient des pentes abruptes ou des rives ou rivages. Au-delà de leurs extrémités, le terrain n'est pas nécessairement infranchissable : s'il n'a pas été fortifié, c'est qu'il a été jugé suffisamment impraticable pour rendre difficile la progression de corps d'hoplites ou bien qu'il était situé de façon à donner aux défenseurs l'avantage d'une position surélevée.

20) Lawrence, 1979, 167-172. 21) Au sujet de systèmes de défense territoriale voir Ober, 1985 ; Lohmann, 1987 ; Munn, 1993 ; Maele, Fossey, Gavin, 1992 ;

Marksteiner, 1994. 22) Sur la stratégie "traditionnelle" : voir Garlan, 1974, 22-24 ; Lawrence, 1979, 112 s. ; Ober, 1985, 32f s. Au sujet des

forteresses attiques voir Garlan, 1974, 80-83 ; Lohmann in : Lauter-Lohmann - Lauter-Bufe, 1988, 35, n. 9 ; Ibid, 5 s. ; H. Lauter, MWPr 1993, 11 s. A propos des saisons : Hanson, 1981, 30 s. ; Hanson, 1989, passim.

23) Munn, 1993, 33, parle de "responses to special conditions" . 24) Lawrence, 1979, 184-187. Adam, 1982, qui propose une datation à l'époque hellénistique, interprète le mur d'Iasos comme

fortification du territoire. Voir aussi la description de Me Nicoll, 1997, 111 s., pour lequel le mur d'Iasos aurait plutôt servi pour des objectifs militaires.

25) Lawrence, 1979, 167169. 26) Garlan, 1974,33-38. 27) Munn, \993, passim. Voir aussi Jones - Sackett - Eliot, 1957 ; Lauter - Lohmann - Lauter-Bufe, 1988, 7 ; Hanson, 1981,

passim. 28) D'après Munn, 1993, 53, l'ouvrage serait "o tactical device to support an army in the field" et aurait été conçu pour être

défendu par une armée de plusieurs milliers d'hoplites. 29) La description du passage d'Alexandre, qui dut traverser cette vallée sur son chemin vers Sagalassos,

ne mentionne pas de fortification, Winter, 1966, 130, pense que l'ouvrage a été construit par Attale II "on the occasion of a particular crisis or campaign, in order to bar the pass against Termessian raid" .

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En cas de crise, la défense des ouvrages linéaires semble avoir reposé sur la disponibilité de troupes assez nombreuses pour assurer la garde du mur mais ne pouvant s'appuyer sur une supériorité numérique qui rendrait inutile la protection donnée par le mur. En d'autres termes ces murs ont été conçus comme appui d'une armée inférieure ou égale en nombre aux agresseurs et qui cherchait à éviter une bataille rangée. Quelques-uns des ouvrages, comme le mur près de Termessos avec ses nombreuses tours, reflètent le stade du développement de l'architecture militaire d'une certaine période, en lien avec l'évolution des progrès techniques. Le Dèma au contraire, si l'on suit l'interprétation de H.R. Munn, a été conçu en vue d'une tactique très spécifique, ajoutant aux avantages d'une ligne de défense rigide la possibilité de faire des sorties pour harceler l'ennemi.

LE "LONG MUR" DE XANTHOS ET SON CONTEXTE HISTORIQUE

Nous proposons donc une interprétation du "long mur" en question comme ouvrage de défense avancée du centre dynastique de Xanthos, qui paraît avoir été réalisé contre une attaque massive venant du Nord. Nous avons vu que certains aspects constructifs (l'appareil notamment) orientent vers une datation à la haute époque classique. Des comparaisons d'appareil permettraient de proposer une datation vers le milieu du Ve s. av. J.-C.

Pour une date plus ancienne, la tradition antique nous a transmis un événement historique, la prise de Xanthos par Harpagos le Mède dans les années quarante du VIe s. av. J.-C. Cet épisode est d'intérêt particulier pour notre analyse : d'après Hérodote (I, 176) l'armée lycienne aurait proposé près de Xanthos une bataille rangée aux troupes perses venant du Nord (de la Carie récemment conquise). La bataille perdue, les Xanthiens durent se retirer dans la ville qui fut assiégée et finalement prise. Dans la littérature archéologique contemporaine a été proposé un rapprochement entre ces événements et le "long mur", qui impliquerait une datation de l'ouvrage en pleine époque archaïque30. Or les vestiges de la période pré-achéménide découverts sur l'acropole lycienne de Xanthos, qui

datent de la première moitié du VIe s. sont si peu élaborés qu'il ne paraissent guère pouvoir être contemporains du "long mur" : il s'agit de bâtisses construites au moyen de petits moellons et de cailloux31.

La période suivant la conquête de la Lycie par les Achéménides, qui s'implantèrent de façon durable en Asie Mineure méridionale, paraît avoir été relativement calme. La Lycie fut administrée par les satrapes résidant à Sardes32. C'est à cette époque que s'établit à Xanthos une dynastie qui paraît avoir assumé une fonction d'intermédiaire entre les satrapes lointains et la population autochtone33. Il est assez difficile de concevoir en cette période de relative stabilité la construction du "long mur", qui au surplus, est stratégiquement orienté de manière à bloquer l'itinéraire d'accès de la puissance souveraine, ce qui serait paradoxal, voire intolérable pour le satrape.

Si, comme nous le supposons, les Xanthiens construisirent cet ouvrage avec le souvenir de la défaite contre les forces supérieures d'Harpagos le Mède bien présent dans leur mémoire, ce n'est que dans la première moitié du Ve s. qu'une situation politique comparable, impliquant le risque d'une incursion militaire venant du Nord, s'est présentée. En effet, au cours des événements qui précédèrent la bataille de l'Eurymédon (466) l'Athénien Cimon avait persuadé les Lyciens - par force ? - de rallier la Ligue de Délos. Il n'est pas exclu que les Lyciens aient fourni quelques unités à la la flotte athénienne34. A la suite de ces événements une riposte de la part de l'empire achéménide eût été chose logique. Mais une opération militaire menée par les satrapes perses d'Asie Mineure pour rétablir l'autorité du grand Roi sur Xanthos aurait nécessairement dû, en raison de la suprématie navale de la Ligue de Délos, emprunter la voie terrestre, c'est-à- dire passer par la vallée du Xanthe. La construction du long mur à ce moment trouverait là une explication logique.

Au cours de la deuxième moitié du siècle, à un moment que nous ne pouvons pas préciser, la Lycie fut réintégrée de façon durable dans l'empire achéménide35. Thucydide (2, 69) rapporte comment une incursion en terre lycienne entreprise par le général athénien Mélésandros (429), commandant d'un

30) Adam, 1982, 242, propose une datation du "long mur" à la fin du VIe siècle ou au début du Ve et met l'ouvrage en rapport avec une invasion perse au cours de laquelle les défenseurs auraient été taillés en pièces. Parmi les événements rapportés par les sources antiques, seule la conquête d'Harpagos en 546 convient à cette description (mais pas à la date du mur).

31) C'est seulement au cours de la première période perse qu'une architecture plus élaborée, construite avec des précurseurs des orthostates d'angle de l'époque classique (orthostates "lyciens"), voit le jour : Metzger, 1963, passim.

32) Jacobs, 1993,66. 33)Bryce, 1983. 34)Treuber, 1887,98. 35)Treuber, 1887, 100.

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"LONG MUR" AU NORD DE XANTHOS 103

détachement naval croisant devant les cités d'Asie Mineure méridionale, aboutit à un désastre.

A partir de cette époque, les activités militaires des "grandes puissances" en Méditerranée orientale se bornèrent essentiellement à des opérations maritimes complétées par des débarquements et incursions en terre ennemie. Vis-à-vis de telles manœuvres, le flanc ouvert de la défense du territoire de Xanthos dominé par une dynastie pro-perse aurait été, non pas la route terrestre venant du Nord par la vallée du Xanthe, mais la façade maritime de son territoire entre Patara et Pydna.

Dans les premières décennies du IVe siècle, la situation politique de la région ne changea qu'imperceptiblement, la Lycie restant profondément intégrée dans l'empire achéménide. Ce n'est que vers la fin de la première moitié du même siècle que des troubles internes partagèrent les Lyciens en deux blocs antagonistes. L'ancienne dynastie de Xanthos, qui avait dominé le paysage politique depuis environ deux siècles, se vit confrontée à l'expansion d'un nouveau centre de gravité qui s'était constitué à l'Est de la péninsule sous l'impulsion énergique du dynaste Périclès, résidant vraisemblablement à Limyra/Zemuri36. Autant que nous puissions en juger d'après les renseignements historiques disponibles, ni la situation politique des premières décennies du siècle, ni la confrontation ultérieure des deux blocs lyciens n'impliquaient la nécessité pour les Xanthiens de construire le "long mur".

Ces troubles intérieurs semblent avoir mené à - ou du moins avaient pu être confondus avec - une participation des Lyciens à la révolte des satrapes37, sur laquelle nous manquons d'informations précises, mais dont la conséquence fut l'incorporation de la Lycie aux territoires sous administration carienne.

En tirant les conclusions de ce court aperçu historique, nous constatons qu'il est plausible, sans que nous en ayons de preuve formelle, que le "long mur" au Nord de Xanthos ait été érigé à la période suivant l'annexion de Xanthos par la Ligue de Délos. Cela s'accorde parfaitement avec la datation que nous avons proposée de cet ouvrage sur la base de son étude architecturale. On remarquera, pour finir, qu'à part l'époque de la conquête perse, il s'agit là du seul moment de son histoire où la cité de Xanthos ait pu craindre une invasion venue du Nord pendant un laps de temps suffisant pour la construction du long mur. Lagides et Rhodiens étaient des puissances navales, quant à l'annexion

par Antiochos III en 197, elle fut trop soudaine pour avoir provoqué la réalisation d'un tel ouvrage. Le mur paraît avoir été délaissé après l'époque de sa première utilisation : en aucun point de son tracé pas plus que sur la colline d'A§ar Tepe nous n'avons observé la moindre trace d'entretien, de réfection ou d'occupation subséquente. Il s'agit donc, selon toute apparence, d'un ouvrage érigé à grand frais dans une période de danger relativement durable mais qui ne s'est pas reproduite.

J. des Cet T. M.

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