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8/11/2019 L'oncle et le neveu - Chaumeil 1992.pdf
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Bonnie ChaumeilJean-Pierre Chaumeil
L'oncle et le neveuIn: Journal de la Société des Américanistes. Tome 78 n°2, 1992. pp. 25-37.
Abstract
The uncle and the nephew. Kinship of living beings among the Yagua (Peruvian Amazon) The authors inquire about the reasons
for success of the notion of « kinship » among the Yagua by mean of a dynamic analysis of the indigenous taxonomie. According
to the Yagua living organisms are related to one another by kinship as well as friendship and cannibalistic hostility. The study of
this relationships reveals a global model of classification which includes biological as well as social events.
Resumen
El tío y el sobrino. El parentesco del viviente entre los Yagua (Amazonia реruana). A través de un análisis de la dinámica de las
taxonomias indigenas, examinaremos las razones del éxito de la noción de « pariente » entre los Yagua. Según ellos, los seres
vivientes mantienen entre si relaciones de parentesco consanguinea, de amistad о de hostilidad canibal. El estudio de dichas
relaciones hizo aparecer la presencia de un modelo global de clasificación del viviente que conjuga en un mismo esquema los
nivelés biológico y social.
Résumé
A travers une analyse de la dynamique des taxinomies indigènes, on examinera les raisons du succès de la notion de « parent »chez les Yagua. Pour ces derniers en effet, les organismes vivants maintiennent entre eux des relations de parenté consanguine,
d'amitié ou d'hostilité cannibale selon les cas. L'étude de ces rapports a révélé l'existence d'un modèle global de classification du
vivant combinant dans un même scheme taxinomique les niveaux biologique et social.
Citer ce document / Cite this document :
Chaumeil Bonnie, Chaumeil Jean-Pierre. L'oncle et le neveu. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 78 n°2, 1992.
pp. 25-37.
doi : 10.3406/jsa.1992.1454
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1992_num_78_2_1454
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L ONCLE ET LE NEVEU
La
parenté
du
vivant
chez
les Yagua (Amazonie
péruvienne)
Bonnie
et
Jean-Pierre CHAUMEIL *
A
travers une
analyse
de
la
dynamique des taxinomies
indigènes, on
examinera les
raisons
du
succès
de la
notion
de « parent » chez
les
Yagua.
Pour
ces derniers en
effet, les organismes
vivants maintiennent entre
eux
des relations
de
parenté consanguine,
d amitié ou
d hostilité
cannibale selon les cas. L étude de ces rapports a
révélé
l existence d un modèle global de
classification du
vivant
combinant
dans un même scheme
taxinomique les
niveaux biologique
et
social.
El tïo y el sobrino. El parentesco
del
viviente entre los Yagua
(Amazonia
региона)
A
través
de
un
análisis
de
la
dinámica
de
las
taxonomias
indigenas,
examinaremos
las
razones
del éxito
de
la
noción de
«
pariente
» entre
los
Yagua. Según ellos,
los
seres vivientes
mantienen entre si relaciones
de parentesco consanguinea, de amistad
о
de hostilidad
canibal.
El estudio de dichas relaciones
hizo aparecer
la presencia de un modelo global de
clasificación
del
viviente que conjuga en un mismo esquema los
nivelés
biológico y social.
The
uncle
and the
nephew. Kinship of
living beings among the Yagua (Peruvian Amazon)
The authors inquire
about the
reasons for success of
the
notion of « kinship »
among the
Yagua by mean of a dynamic analysis of
the
indigenous taxonomie. According
to the
Yagua
living
organisms
are related
to
one
another
by
kinship
as
well
as
friendship
and cannibalistic
hostility.
The
study
of
this
relationships reveals
a
global model
of
classification
which
includes biological
as well as social
events.
Dans un travail antérieur intitulé «Du végétal à
l humain»
(Chaumeil 1989),
nous avions exposé les grandes
lignes
d une théorie yagua sur le vivant
basée
essentiellement sur une doctrine des essences.
Cette
étude révélait l existence d un
système classificatoire de dimension cosmologique dans lequel les espèces
étaient
*
CNRS, Paris.
J.S.A.
1992,
LXXVIII-II
:
p. 25
à
37.
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26 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
réparties
le
long
d un continuum
allant des
êtres les plus simples (les
végétaux)
vers
ceux
plus complexes
(les
humains)
par
animaux
intercalés.
Nous avions
cru voir
derrière
ce système graduel de
passage
du « simple au complexe »
l ébauche
d une
«théorie évolutionniste », ou tout du moins d une dynamique évolutive
entre
organismes
vivants,
plaquée
sur
l axe
nature-culture. Cette
conception
trouvait
par
ailleurs écho dans les mythes, dans l idéologie de la gestation-procréation et dans
les visions chamaniques ipp cit.
: 21-23).
Le propos du présent texte
est
d apporter une nouvelle contribution à
la
théorie
yagua sur le vivant,
mais
en
abordant
cette fois-ci un
autre
aspect de leur système
taxinomique ; celui concernant
la
parenté des organismes vivants.
Les
Yagua
pensent en effet que les êtres vivants maintiennent
entre
eux
des
relations de
parenté,
d amitié
ou d inimitié, à l image des humains. Dans
un
article pionnier,
Haudricourt
avait déjà établi une
correspondance
entre la façon dont certains
Mélanésiens traitaient
l igname
et
ses clones
et la façon dont
ces mêmes
Mélanésiens
se
comportaient
entre
eux
et
avec
autrui
(Haudricourt
1962).
Ce
faisant,
nous nous sommes limités dans le texte
aux
seules
données
taxinomiques
nécessaires à
la démonstration,
au risque de
décevoir le
lecteur passionné de
classification. Dans le même esprit de concision, seront seulement évoqués les
éléments
mythiques
concernant
la
différenciation, à partir d une
humanité
primord
iale, es diverses entités et
classes
naturelles. Les formes
de
sociabilité établies
entre
l homme
et la
nature (à travers
notamment la
chasse
et le
chamanisme)
ainsi
que le
traitement
rituel
de
certaines
espèces
végétales et
animales ne seront pas
abordés.
Les Yagua, auxquels nous
consacrons
les
pages
qui suivent, occupent
un
vaste
territoire
situé
à
l extrême
pointe
nord-orientale
de
l Amazonie
péruvienne.
Derniers représentants
de
la
famille
linguistique Peba-
Yagua,
ils
totalisent aujour
d hui uelque 3500 personnes
réparties
en une
soixantaine
de groupes locaux.
Partageant
leur
temps
entre
la chasse,
la pêche et
l essartage, ils se définissent
toujours par
rapport
à la première
activité
bien qu ils reçoivent de la troisième la
base
de
leur alimentation *.
L UNIVERS
TAXINOMIQUE
D une manière générale,
pour
les
Yagua,
toute
matière
(minérale, végétale,
animale ou humaine) est douée de vie,
animée
par un même principe vital hamwo,
mais
elle devient
inanimée dés
que
ce principe
la quitte.
Selon
la
théorie
indigène,
le tout premier
critère
de différenciation
entre
les
grands
domaines du vivant tient
précisément
aux
formes
de répartition de cette énergie vitale :
généralisée et
indifférenciée dans le minéral, différenciée par
espèce
dans le végétal et la faune
inférieure,
individualisée (avec
l apparition
ď
« âmes
») dans la faune supérieure et
l homme. On passe ainsi du concept très
abstrait
d énergie vitale comme principe
généralisé
à
celui
d âme comme
entité la
plus
individualisée (Chaumeil
1989).
Intéressons-nous
à
présent
aux
classifications
botaniques
et
zoologiques.
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l oncle
et
le
neveu 27
Classification animale
Les
Yagua
disposent d un terme d origine unique, towiči
pour se référer à
l ensemble des animaux,
terme
qu ils font
parfois
correspondre avec
la
catégorie
awanu,
«
gibier
»,
même
si,
à
l évidence,
tous
les
animaux
ne
sont
pas
gibier
pour
l homme. Etymologiquement, towiči
dénote
les
animaux
de la
forêt
(toho
=
«
forêt
primaire »),
mais
il englobe, dans
son acception
usuelle, tout
aussi
bien
les espèces
sauvages, tohase,
«
troupeau
de la forêt
»,
que les
familiers
(progénitures d animaux
tués
à
la
chasse)
et les
animaux
domestiques
(d introduction récente),
ces deux
dernières catégories
étant
appelées
du
même terme ňihamwohase,
«
troupeau des
gens ». Les Yagua
répertorient
par ailleurs les
animaux
en grandes
classes
ou
« formes de vie
», telles
que mammifères terrestres, towiči
(taxon
d origine
unique),
oiseaux rè pdti, singes hasati, poissons kiwd, serpents kóndi, insectes
nekaní
Au
niveau taxinomique
inférieur,
les
classes
se ramifient en «
espèces »
dont
le nom dte
est
placé en équivalence avec celui
désignant
les clans yagua, riria
(cf.
infra), par
exemple
:
átenača, espèce-tapir
;
dtenimbi,
espèce-jaguar, átekoče, espèce-perroquet.
Toutefois, à
la différence
des Yagua qui pratiquent l exogamie clanique, les
animaux sont supposés se reproduire à l intérieur de
leur
dte.
Du point
de vue
Yagua,
catégories claniques et
espèces
naturelles
s opposent
donc sur l exogamie.
Enfin, certains dte se subdivisent en «
sous-espèces » ;
le nom de base de
l espèce
est
alors précédé d un
déterminant
spécifiant
la
sous-espèce.
Par
exemple, dans
la
catégorie
des
jaguars dtenimbi,
on trouve amonimbi,
« grand
jaguar » (onca) ;
dnarinimbi,
« jaguar-cervidé »
(puma)
;
načanimbi,
« jaguar-tapir »
(yanapuma)
;
pësinimbi, «petit jaguar» (ocelot);
hanimbi,
«jaguar-d eau»
(loutre géante);
aponimbi,
«jaguar
moyen
» (chien sylvestre, Speothos) ou même nimbi tout court,
le
chien
domestique.
Un
même
principe
classificatoire
existe
chez
les
Achuar
d Equateur (Descola
1986 : 108).
A ce premier
type
de classification viennent s en ajouter d autres, souvent plus
pertinents au regard
des
pratiques indigènes, qui redistribuent les espèces selon des
critères
morphologiques,
écologiques (animaux des salines, des palmeraies, des
abattis, des berges, etc.), éthologiques
(les
solitaires, ceux qui se déplacent en bande
ou en couple, ceux qui marchent au sol, perchent dans les arbres, volent loin ou
près,
vivent dans l eau ou dans
le
sol,
en profondeur
ou
en
surface
...),
les modes
de
reproduction
ou
encore
les
habitudes alimentaires. Ces classifications
transvers
leserviront, comme
on
le verra, à organiser
les
rapports
de
parenté ou
de rivalité
entre
espèces.
Classification
végétale
A
la différence
des animaux, il n existe à notre connaissance aucun terme
d origine unique pour désigner
le
végétal en
général.
En
effet, Les
Yagua opposent
au plus
haut
niveau de
la
taxinomie
végétale
deux catégories de plantes : towačara,
les plantes sauvages
(matddiwaria,
« qui poussent d elles-mêmes »)
et hdtasara,
les
plantes
cultivées.
Dans
la
classification botanique, sont
d abord
énumérés les arbres
ninu, puis les lianes
réjú,
enfin les
herbes wiču. Au niveau
taxinomique interméd
iaire,
es végétaux
(sauvages et cultivés)
sont
divisés
en espèces dte
et
« sous-
espèces»,
sur
le
même principe
que
les
animaux.
Les
cultigènes
sont
en
outre
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28
SOCIÉTÉ
DES
AMÉRICANISTES
répartis en « plantes de l homme », wanu ntara
et
« plantes de
la femme
», watoró
ntara, cependant que les
espèces
sauvages sont tohamwo ntara,
«
plantes des maîtres
de la forêt ». Les premières regroupent grosso modo les cultigènes
«
aériens
»
(banane, maïs, canne à
sucre,
ananas, etc.), les secondes essentiellement les
tubercules
souterrains
(manioc,
igname,
patate
douce,
colocase).
Les
plantes
à
odeur pénétrante et saveur amère hiwera constituent en outre une classe à part ;
celle des harie
wačara, « plantes-pouvoir »
(masculines), parmi
lesquelles figurent
les
hallucinogènes
siino, les médecines pata et les poisons awatia. D autres
classifications transversales
réordonnent l univers végétal
selon
des
critères
de taille,
l aspect ligneux,
la présence d épine
ou de
résine, la forme
des feuilles ou
l habitat,
entre autres. Enfin, différence
essentielle avec les animaux, les végétaux sont
dépourvus
selon
les Yagua de capacité motrice
(excepté
certaines
plantes grimpant
s
ohótu).
RAPPORTS
ENTRE
ESPÈCES
A
l instar
des
humains,
nous
l avons
dit, les animaux
et
les végétaux (à
l exclusion des minéraux) sont censés
entretenir entre
eux des
relations
de
parenté
consanguine,
d am itié ou
d hostilité
cannibale
selon
les cas. C est à l examen de ces
rapports
que l on
s attachera
ici en essayant de dégager, pour
chacun
d eux, les
paramètres
et
les niveaux taxinomiques pertinents.
Les
relations de parenté
entre
espèces s expriment, pour
un
ego
masculin,
dans
la terminologie consanguine suivante (les Yagua ont une nomenclature de parenté
de
type
dravidien)
:
hatieri
=
frère
(F)
;
hatieriwuči
= cousin
parallèle
(FsFP)
;
hahečó
=
oncle parallèle (FP) ; handianuwud
=
neveu parallèle (FsF) ; hahépa
=
grand-père (PP) et rásí = petit-fils
(FsFs). Seule manque
au tableau la relation
de
filiation directe père/fils,
hahe/handianu, celle-là
même qui
confirme
l union
consanguine la
plus forte.
Les
relations d amitié entre
espèces sont désignées
par le terme anikiatambwë,
«
alliés,
amis » ;
celles
marquant
l hostilité par
sënëkiétambwë, « ennemis
».
Dans
le
champ
social
yagua,
la première relation
indique l alliance
politique
entre
groupes
(incluant
les affins), la seconde
la
rivalité
et la guerre.
Rappelons
que
les Yagua ont
pratiqué
jusque vers
les
années
30 une guerre intra
et
inter-ethnique avec
prise
de
trophées, au moins
pour
les
ennemis « proches
»
(Chaumeil,
sous-presse). Les
Yagua
ont
ainsi catégorisé
des
paliers
de
l altérité
sociale (selon
l axe
parents-amis-
ennemis ou,
si
l on
veut, l axe consanguins-affins-étrangers) qu ils appliquent
en
termes
identiques aux espèces
naturelles, et
auxquels
correspondent
des formes
spécifiques d échange et de
rapports
sociaux. Bien loin de voir dans cette
concordance taxinomique l expression d un quelconque
sociocentrisme
à
la manière
de
Durkheim et
Mauss (1968
:
224-230),
il
faudrait
plutôt
parler, à la
suite
de
Lévi-Strauss
(1963
: 183-185), d une «
taxinomie
globale »
intégrant dans un même
scheme classificatoire les niveaux biologique et social.
Comment
s expriment concrètement ces
rapports
et
quels sont
les
classes
et les
éléments qu ils
mettent en jeu
?
Par
souci de
clarté,
nous traiterons
d abord des
animaux, puis
des
végétaux,
pour
aborder
ensuite
le
système
clanique.
Celui-ci
relie
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l oncle
et le neveu 29
en effet les humains aux deux domaines
précédents
par une série de termes
et
d attributs spécifiques.
Parenté des animaux
Parmi les
gros
mammifères,
le
tapir n a nul
parent
terrestre, mais
il est le cousin,
hatieriwuči
du
lamantin
car
tous
deux
dominent par la
stature
leur milieu respectif
(forêt/rivière).
Le tapir
est
aussi l ami, anikiatambwë de tous les animaux qui
fréquentent
les
salines
(trous à sel) parce qu ils « s abreuvent ensemble ».
Amies du
tapir,
les deux espèces communes de
cervidés (le
gris
et le
rouge) sont
par ailleurs
cousines en raison de
la
couleur différente de
leur robe. Sur le
terrain
des
ennemis,
sënëkiétambwë, figurent les
deux
espèces de pécaris (à
collier et
à lèvres blanches)
qui se
«
haïssent
»
et
«
luttent à
mort
»
pour motif d odeur
incompatible
(celle
pénétrante
du
pécari
à
lèvres blanches incommode le pécari
à
collier). La réputation
cannibale
du
jaguar
(Felis onca)
le
désigne
comme
l ennemi
de
tous
les
animaux
qu il
guette aux abords des
salines
pour les
dévorer.
Il
pousse l aventure jusqu à
pratiquer l « endocannibalisme » avec
le
yanapuma, son
parent
de même
áte, et
de
force sensiblement égale. Sa puissante corpulence lui vaut d être le grand-père,
hahépa de l ocelot
et
l oncle,
hahečó
du puma (l éloignement
générationnel étant
proportionnel
à l écart de taille
entre
espèces). C est ainsi
que chez
les rongeurs,
le
раса est l oncle
de l agouti,
lui-même
oncle du « punchana », de sorte
que ce
dernier
appelle
le
раса, «
grand-père
». De même,
chez
les fourmiliers,
le
tamanoir
est
l oncle du tamandua, plus petit,
le
premier (terricole) gagne l amitié du pécari car
il débusque avec
sa
langue vermiforme
les
fourmis Myrmica dont
se régale
le pécari,
alors
que
le
second
(arboricole)
devient
l ami
du coati
pour
faire
ensemble bon
ménage
dans les arbres. Rangé parmi les singes, le
coati n a
cependant
aucun
parent dans cette classe, sinon quelques
amis
et
surtout
un
ennemi
: le tayra
(lui-même inclus dans les singes)
qui
le
pourchasse
volontiers. Par son côté
« cannibale
»,
le tayra
se
rapproche
des
félidés
; on ne s étonnera donc
pas
de
le
savoir
cousin du
chien sylvestre, aponimbi : «jaguar-moyen
»,
de taille
équivalente.
Le singe hurleur, quant à lui, est le doyen (grand-père)
de
tous les singes et l ami
des
animaux
des
salines
avec lesquels il festoie la saison venue.
Il
a
su
notamment
tisser
de
solides liens d amitié avec le singe araignée
et
le singe laineux au point
de
former un
trio inséparable
(les
échanges
entre
bandes sont
fréquents).
Le saimiri
traite le singe
capucin en neveu pour arborer
tous
deux
en
pectoral
une
même touffe
de
poils blancs.
Les
deux
espèces
de
tamarin
(«
bouche
blanche
»
et
«
bouche
sale
»)
s appellent
frère
étant presque identiques ; ils sont encore amis du saki
et
du uakari
avec lesquels ils « se
promènent et
jouent ». Par sa taille minuscule,
le
ouistiti
est
le petit-fils des grands
singes, mais
il
se rapproche du
tamarin,
son
oncle, par le
cri.
Pratiquant
la chasse nocturne, le
kinkajou
et le
singe de
nuit {Aotus)
sont cousins,
encore
qu ils
soient dans une relation d oncle
à neveu
par la taille. On
remarquera
qu à
l exception du
tayra (un mustélidés),
tous
les
singes
sont liés par la parenté ou
l amitié.
Chez les
chéloniens,
la tortue mata-mata à l allure antédiluvienne reçoit
le
rang
de doyenne de
toutes
les
autres
tortues
fluviales
qui sont
cousines entre elles.
Les
oiseaux ont
élu le catatoa,
aux
cris enchanteurs et au long
vol,
doyen des
leurs.
Plus
prosaïquement,
le
condor
et
le
vautour
s organisent
autour
du
pourri,
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30 SOCIÉTÉ DES
AMÉRICANISTES
ce qui
leur
vaut
d être parents
(oncle
et
neveu)
et
amis de
l épervier.
Tous les
trois
sont de surcroît
ennemis
des autres oiseaux
et
de certains animaux terrestres.
L épervier en particulier
est
accusé de
trahison
pour faire
le jeu des
chasseurs qu il
avertit
par ses chants de
la
proximité d un gibier.
Les
oiseaux Penelope, Tinamus
et
Mitu
sont
amis
par
la
taille
et
par
la
couleur du plumage.
Tous
les
oiseaux
vivant
près
des
lacs
et
se
nourrissant
de petits poissons sont parents ou amis (aigrettes,
râles,
savacou).
De même, les
toucans
se retrouvent tous cousins par la
forme et la
taille du
bec et
amis des
perroquets,
cousins
entre
eux par
leur bec crochu.
Cependant,
le perroquet devient neveu de l ara par l écart de stature. D une façon
générale,
et contrairement
à
l épervier, l oiseau
Penelope
et le «
trompetero »
(Psophia)
sont les amis
des
animaux chassés de jour, ayant pour habitude
et
complicité
de les prévenir à
l approche
du chasseur.
Chez
les poissons domine
la relation
cannibale avec le piranha,
la
loutre
(«jaguar-d eau»), le
caïman
et le
dauphin
(émissaire de l anaconda dans les
mythes),
tous
ennemis
des
autres représentants
aquatiques.
Dans
la
mythologie, le
piranha est
associé aux Indiens Witoto
et Bora que
les
Yagua classent parmi
les
« anthropophages »
et contre lesquels
ils livrèrent,
il
n y a pas si longtemps,
une
guerre totale. Beaucoup d espèces de poissons sont en outre cousines ou amies
entre
elles, que ce
soit
par la forme des écailles, la
morphologie,
la taille, la
couleur
ou
la
dentition
(sur ce chapitre le piranha jouit, comme
on
peut s y attendre,
d une
écrasante supériorité). Enfin, nous
avons
déjà
relevé
la relation de
cousinage
maintenue
entre
le tapir terrestre
et
son
équivalent
aquatique, le
lamantin.
Parenté des
végétaux
Dans
la
catégorie des
grands
arbres, ceux à bois très
dur
occupent
le devant de
la
scène pour se vouer une haine
sans
limite ; ils se « provoquent » en
luttes
fratricides
pour voir celui qui fléchira
le
premier. Le
géant
« lupuna » {Chorisia sp.),
doté
de larges contreforts tabulaires, demeure sans conteste le plus fort,
mais
l arbre-étrangleur « renaco » (Ficus), développant davantage de
racines
adventives,
peut
ainsi
défier souvent
et vaincre
parfois, par
strangulation,
n importe quel arbre.
Le solide « huacapû » (Minquartia), utilisé comme poteaux de soutènement dans les
maisons, résiste
bien
aux attaques du Manilkara
et
du Brosimum (bois du
Brésil).
Le type
de combat auquel se
livrent
les
grands arbres est
appelé áduyu,
et non toti,
terme
réservé à
la lutte
entre
animaux
ou humains. Les palmiers (qui forment une
sous-classe
identifiée
par
le
morphème
terminal
-ase)
maintiennent
entre
eux
des
rapports
plus pacifiques, de
type
avunculaire ou de cousinage
selon le degré
de
ressemblance
morphologique des espèces
(concernant le tronc, la
feuille, le fruit
ou
le
noyau).
Soulignons également que deux
« espèces » morphologiquement
très
proches,
mais
dont
l une
est sauvage et l autre cultivée, se qualifient de germaines
(sœurs ou cousines selon les cas). Elles bénéficient d ailleurs dans
la
plupart des cas
d un même nom de
base.
Par exemple, le « pupufia
» cultivé,
pure (Bactris gasipaes)
sera
le cousin
de
son
homologue sauvage,
towapiire, cependant que le yagé
ramanujú (Banisteriopsis caapî)
sera
le
frère
de sa contrepartie sauvage
toramanujú,
car
pratiquement
identiques. Certains arbres se retrouvent
parents
par l usage,
notamment
lorsqu ils
servent
à
la
fabrication
de
mêmes
objets.
C est
ainsi
que
le
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l oncle
et
le
neveu
31
« pucuna-caspi » (Pouteria sp.),
la
« pona madura » {Iriartea sp.)
et
le « motelo-
caspi » (non identifié)
sont cousins
car de leur fût
rectiligne
les Yagua font les
sarbacanes. Une même parenté unit par ailleurs les plantes herbacées poussant
en
touffe.
Parmi
les cultigènes,
on
retrouve les mêmes principes d association que ceux
évoqués
précédemment,
avec
une
attention
supplémentaire portée
aux
différents
modes d ensemencement ou de repiquage. Parmi les tubercules, le manioc amer est
l ennemi mortel du manioc doux qu il « contamine »
et
rend toxique à son image.
Voilà pourquoi les Yagua
prennent
grand soin de bien les séparer dans les jardins.
Au terme
de
ce bref examen, il
ressort
que
du
côté
des animaux, les
rapports
de parenté se manifestent
essentiellement entre
espèces
et
« sous-espèces » à
l intérieur
d un même áte, plus rarement
entre
classes
(par exemple lamantin/tapir,
tayra/chien sylvestre).
Il
arrive cependant
que
des
animaux
n aient aucun
parent
au
sein de
leur propre classe (voir le coati). Les relations d amitié s expriment plus
largement
entre
animaux qui fréquentent
un
même
lieu
(saline
en
particulier),
s entraident
(tamanoir/pécari), cohabitent pacifiquement
(tamandua/coati)
ou
marchent
et
jouent ensemble
(tamarin/saki/uakari),
quel
que
soit
leur
áte ou
leur
classe (les oiseaux Penelope et « trompetero
»
par exemple sont
amis de
tous les
animaux chassés
de jour). Cette relation transcende les grandes
catégories animales,
mais n opère pas à
l intérieur
du
áte où les
animaux
sont
soit parents, soit
ennemis.
Les rapports d hostilité s exercent entre
classes
(vautour/animaux),
au
sein
d une
même
classe (piranha/poissons), mais
peuvent encore éclater entre
animaux
parents
issus d un même áte (voir l endocannibalisme jaguar/yanapuma). On peut schémat
is res lignes d extension de ces
rapports
de
la façon
suivante :
Animaux
Parents
Amis
Ennemis
«
sous-espèces
»
áte
classe entre
classes
plus rarement
Du côté des
végétaux,
on
retrouve
sensiblement
les mêmes
rapports
de parenté
et d hostilité entre
« sous-espèces »
et
áte, à l exception du rapport d amitié qui
n apparaît
nulle part.
Rien ici de bien étonnant si
l on
se
souvient que
les végétaux
sont
dépourvus
de
capacité
motrice.
Leurs
luttes
par
exemple consistent
à
abattre
l adversaire
sur
place (comme on
abat
un
arbre),
non à
le poursuivre
à
la façon
des
animaux. Or, c est précisément sur des critères de
mobilité que
se greffent les
relations d amitié
;
le
fait de marcher ou de jouer ensemble suffit à cela. Immobiles,
les végétaux se voient donc
privés
d amis.
D une
manière générale,
les espèces
parentes appartiennent
à
la
catégorie de
Г «
identique »,
avec une
gradation qui
va
du
plus
proche
— sans être toutefois le
même (frère,
cousin,
oncle/neveu) — au plus lointain
(grand-père/petit-fils). Plus on
s éloigne, plus le niveau générationnel augmente. C est ainsi que la relation de
germanité met en œuvre des affinités de
comportement,
d habitude alimentaire,
d aspect ou d usage,
tandis que la relation
générationnelle fait plutôt intervenir de
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32
SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
simples
rapports
de taille
entre
espèces
parentes. Dans
le système classificatoire, les
Amis, pourtant
unis par des liens de
convivialité,
de
complicité,
de fidélité
et
d échange,
se retrouvent incontestablement plus éloignés, alors que les Ennemis,
souvent plus
proches,
sont animés par
la
haine, Pincompatibilté d humeur ou
d odeur,
la
trahison
ou
le
cannibalisme.
Il
existe par
ailleurs,
entre
certains animaux
et
certains
végétaux, des
associations de type allégorique établies exclusivement durant l époque de
célébra
tiones
grands
rituels. Elles
n ont
toutefois pas grand chose à voir avec les
rapports
de parenté qui nous intéressent ici, si ce
n est qu elles impliquent
des
analogies
de même ordre. Le tatou,
par
exemple,
est
appelé nintiu, « ananas »
en
raison de
la
ressemblance d aspect
entre
la
carapace
du
mammifère et
l enveloppe
écailleuse du fruit ;
le
singe hurleur, ramanufi. «
yagé
»,
par l analogie établie entre
les cris perçants
du
singe et
les
hallucinations
produites
par le Banisteriopsis caapi,
etc. Des
rapports
plus systématiques
entre
végétaux et
animaux
ne semblent pas
avoir court,
mais
peuvent exister
ponctuellement,
surtout lorsqu il
s agit
d un
animal
qui
se nourrit
spécialement
des
fruits
d une espèce
végétale
précise (voir
plus
loin
le toucan
et
l arbre-à-sarbacane).
Que se passe-t-il à présent
du
côté
des
êtres humains et
des
Yagua en
particulier ?
RAPPORTS
ENTRE
GROUPES SOCIAUX
LE SYSTÈME CLANIQUE
Les Yagua s autodénomment ňihamwo,
« nous
», « les
gens
», mais
ce terme
a
un
sens
plus général puisqu il signifie également « être
humain
» et englobe par
conséquent
des
non-
Yagua.
Cependant,
pris
dans
son
sens
restreint,
ňihamwo
s oppose à munuňu (littéralement « ceux-qui-vivent-loin »)
désignant
les
ennemis
formels.
Dans
ce cas, ňihamwo est
mis
en
correspondance
avec la catégorie
hatiawa,
« parents »,
dont le nom,
hispanisé
yawa, pourrait être
à
l origine de l ethnonyme
actuel (Yagua) ; c est du moins l hypothèse
la
plus plausible.
Au
niveau «
taxino-
mique » intermédiaire, les
rapports entre
groupes yagua s expriment à travers les
catégories claniques. La
société
yagua
est
en effet divisée en clans patrilinéaires
riria,
autrefois localisés. Nous avons relevé au
cours
de nos divers séjours les
noms
de
quinze d entre
eux, mais la
liste est loin
d être
exhaustive :
ara
rouge
apwiria
arbre-à-sarbacane mëtianuria
ara
noir
wanakananë
arbre
mata-mata
pranuria
toucan nowaria
arbre
capirona asanuria
cassique mowariria
arbre
lupuna
mičária
chauve-souris
ričaturia arbre
cedro-macha
košmarečaria
écureuil
mëkaturia
liane
(générique) réjúria
singe
araignée kuotaria liane
ayahuasca
ramanuria
singe
hurleur
kandaria
Selon le mythe d origine des clans, c est en frappant ou en piétinant un amas
de
détritus
végétaux
que
les jumeaux
mythiques
créèrent les gens yagua en les
appelant du
nom de différentes
espèces végétales
ou
animales.
Autrement
dit,
les
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l oncle
et
le
neveu
33
Yagua naissent dès le début «
clanisés
» en espèces naturelles. Si
l on
ne décèle
aujourd hui
aucun
indice de hiérarchie clanique, il semble cependant que le clan
de
l ara
rouge ait
occupé naguère
une
position
dominante, y compris
peut-être au plan
politique
(Chaumeil,
s/presse).
Au
niveau
global,
le
système
clanique
fonctionne
de
la
manière suivante.
Les
clans sont regroupés
en
trois catégories
naturelles
(oiseaux,
végétaux,
animaux
terrestres)
formant deux moitiés exogames.
végétaux towačara
oiseaux rè patï
animaux íowiči
terrestres
Traditionnellement,
les alliances interclaniques n ont
lieu
qu entre deux classes,
oiseaux d un
côté,
végétaux
et
animaux
terrestres
de
l autre. Bien
que
les
moitiés ne
soient
pas
explicitement nommées,
l examen
des
termes servant à
désigner
les
trois
catégories naturelles suggère une
répartition
en
moitié «
cuite » et moitié
«
crue ».
Le terme couvrant
la
catégorie oiseaux, rè pdti dérive
en effet
de arëpa, « cuisson »,
« brûlis » (mais aussi « naissance »)
et
dans
la mythologie,
c est à
un oiseau (le
colibri)
que
les humains doivent l acquisition du
feu. Au niveau
des
représentations
ethnomédicales,
l origine
des
brûlures est
imputée à
un oiseau
à
tête-de-feu
(Chaumeil 1983 :
279). De
nombreux autres exemples confirmeraient l association
entre
la faune aérienne, le feu et la cuisson. En
revanche,
les deux autres
catégories
naturelles sont
marquées
du préfixe
to
—
désignant
l élément
forêt,
le « sauvage »,
et par extension le
«
cru ».
En
outre,
certains
clans
associés deux-à-deux
s interdisent toute
forme d inter-
mariage, soit à l intérieur d une même classe (par exemple ayahuasca/écureuil
<
végétal/animal
>), soit
entre
classes
(par exemple toucan/arbre-à-sarbacane
<
oiseau/végétal >).
Dans
ce
dernier
cas,
l explication
fournie par
les Yagua
tient
dans l alimentation du toucan qui se nourrit des fruits de l arbre-à-sarbacane
(Pouteria
sp.).
L oiseau
grimpeur est alors
perçu
«identique»
à l espèce
qui le
nourrit. D autre
part, la
classe oiseaux se
dédouble en
« sous-espèces
»
différenciées
par la
taille
ou par la
couleur
:
cassique
chauve-souris
toucan
ara rouge
ara
« noir »
grand
petit
grande
petite
grand
petit
tapándieria
mowariria
ričaturia
nawáriria
nowariria
siyória
apwiria
wanakanaňejria
Rien n autorise à
penser que
les « sous-espèces » oiseaux
aient fonctionné
à
proprement
parler
comme sous-clans ; elles
semblent
plutôt être l expression d une
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34
SOCIETE DES AMERICANISTES
dualité interne
reproduisant,
en
l équilibrant,
celle de
la moitié
opposée. Le modèle
clanique
global
peut alors être représenté comme suit :
moitié « cuite » moitié « crue »
oiseaux végétaux animaux terrestres
Au niveau
local, on
retrouve théoriquement le
modèle bi-clanique
avec
— dans
sa formule idéale—
la
répétition des alliances matrimoniales
entre deux
mêmes
segments
claniques
appartenant
à
chacune
des
moitiés.
Le
groupe
local
tend
ainsi
à se
reproduire
à l identique, formant
une
unité
endogame
au sein
même
du modèle
exogamique. A
la différence
de l exemple
cité
plus
haut
du toucan qui prélève
sans
contrepartie les fruits de l arbre-à-sarbacane, les segments
claniques s
«
alimen
tentmutuellement au gré des
alliances
répétées.
Les
Yagua étendent par ailleurs leur système d appellation clanique à
d autres
groupes
non-Yagua,
généralement considérés
comme
hostiles.
Aucun d eux
n appartient cependant à
la
classe oiseaux
dont
les Yagua
semblent
se
réserver
l exclusivité. Citons les
clans du palmier
bacaba,
tóširiria
et de la liane tordue,
sispu/ria (tous deux
localisés
au nord du territoire yagua) ; celui du cacaoyer
macambo,
masádiriria
(identifié aux indiens
Marubo
du Brésil) ; du palmier
hungurahui,
simësiriria
; de
la
fourmi
curuhuinse,
ntidira
(situé
aux
sources du
Yavari-mirim)
et
de
la fourmi
sitaracuy,
sáhatarasa
(dépeint comme
un
groupe de
pygmées errants), etc.
Pour peu
que
ces groupes-là
aient réellement existé
(ce
dont
on peut
douter
pour
certains), leur
appartenance
clanique
les place
dans une
relation d échange
virtuelle
avec la classe oiseaux,
donc
d alliés
potentiels. En
revanche, les groupes avec lesquels les Yagua disent
n entretenir aucune
forme
d échange
sont
exclus
du
registre clanique. C est le cas
notamment
des Mayoruna
de
la rivière Yavari (frontière entre le
Pérou
et le Brésil), appelés kandamunuňu,
les
« sauvages singes hurleurs »
et
non
kandaria,
clan des singes hurleurs (ce dernier
étant représenté
chez les Yagua).
Rapports
avec
les espèces éponymes
Nous avons vu
que la catégorie
clanique riria correspond, dans
le registre
naturel,
à
celle
de áte (« espèce
»),
à
la différence que la première est
exogame alors
que
la seconde
est perçue endogame. Les
Yagua
disent cependant entretenir avec
les
espèces
éponymes
des
relations de parenté
proche.
La relation est de type
oncle/neveu parallèles,
hahečó/handianuwuči,
appartenant à
la catégorie
de
Г
« iden
tique »
mais
excluant une filiation directe avec l éponyme
qui
occupe de surcroît la
position généalogique
inférieure
(neveu). Les
membres
du
clan
sont donc en
position
d aîné (frère de père) par rapport
à l espèce paratotémique.
Au moins deux
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l oncle et le neveu 35
raisons à cela. Dans
la mythologie
concernant l origine du monde, tout ce
que
celui-ci
comptait
d êtres
vivants était
confondu dans
une seule et
même
humanité
primordiale,
sans
distinction
d espèces. A
la
suite de fautes commises ou d excès de
zèle malencontreux, une partie de ces êtres
mythiques
se transforma
en
animaux
ou
en
végétaux, tandis
que
l autre
partie
conserva
sa
forme
et
ses facultés premières,
notamment le
langage
articulé.
Selon
la
conception yagua, cette
transformation
en
espèces
naturelles est une
régression,
un amoindrissement par rapport
à
l état initial
de complétude des êtres vivants.
En
second lieu,
diverses
composantes
humaines
(âmes,
chairs)
retournent
à
la
nature
après la mort d un individu (thème de la
nature
nécrophage) et « alimentent » les
espèces
naturelles
—
surtout
animales —
selon un
cycle de
transformation que
nous avons mis
en
évidence
dans un travail
antérieur
(Chaumeil
1989). D une certaine
manière
donc, les animaux, dans une
moindre mesure les
végétaux,
dépendent des humains pour se reproduire.
Il
est
intéressant de noter à cet
égard que
les Yagua
n observent
aucun
tabou
alimentaire vis-à-vis
des
espèces
éponymes,
mais
ils
en
respectent
une
partie
comme
emblème
clanique.
Les
membres du
clan
de l écureuil
par
exemple
agrémentent
volontiers leur costume de
dépouilles
séchées du petit rongeur, ceux du clan de l ara
rouge arborent
aux bras
les
longues
et chatoyantes plumes de
l oiseau,
alors que
ceux du toucan portent
en
sautoir les plumes caudales du
volatile. Ainsi
que
Lévi-Strauss
(1962 :
141-142) l a
souligné
à propos des Ticuna,
proches voisins
des
Yagua, les espèces paratotémiques se décomposent ici en partie consommable
et
en
partie
emblématique.
D autre
part, chaque clan
dispose
d attributs spécifiques :
stock de noms
individuels,
répertoire de chants, de danses
et
de pantomimes,
peintures faciales et corporelles à base de Genipa
americana
et de Bixa Orellana
(noir
sur
fond
rouge),
tous
intimement liés
à
l espèce
éponyme
ou évoquant
l une
de ses qualités caractéristiques. Le système clanique
yagua
établit ainsi une double
homologie
entre
d une
part
des espèces
naturelles et
des
groupes
sociaux placés
dans
un rapport
de consanguinité
et
de « chair
»
partagée ; d autre part
entre
des
différences
marquées au niveau des espèces
naturelles
d un côté
et
des groupes
sociaux de l autre,
mais
avec l exogamie
en
plus.
RAPPORTS
INTERCLANIQUES ET INTERETHNIQUES
A
la
notion
de
riria
(clan),
Les
Yagua
associent
celle
de
«chair»
šuwe, de
substance partagée.
Cette
définition du clan comme substance
écarte,
au
moins
théoriquement, toute velléité de guerre interne (les conflits
intraclaniques
sont
canalisés par
la
sorcellerie interpersonnelle). De même, les clans engagés dans des
échanges réguliers
forment
un bloc
politiquement
solidaire, anikiatambwë autour
d un clan
dominant
(théoriquement oiseau).
En
revanche,
des clans
non-
échangistes,
et donc
spatialement distants, pouvaient entrer
en
conflit ouvert, mais
l on connaît mal
aujourd hui
les modalités exactes
des
guerres
interclaniques. Les
grands
mouvements migratoires de
la première moitié
de ce siècle ont
en
effet
suscité de
profonds
bouleversements dans
l organisation sociale des
Yagua
avec,
notamment,
la
dispersion
des
clans
et
la
fin
des guerres.
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36 SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
Au niveau supra-ethnique, les Yagua maintenaient, et maintiennent encore
partiellement,
des
rapports d échange
avec
plusieurs
groupes
voisins,
tout
part
i ulièrement avec les
Ticuna et
les Cocama de l Amazone. En
revanche,
ils affirment
n avoir entretenu dans
le
passé aucune
forme
d échange avec les
Mayoruna
du
rio
Yavari
et
les
Witoto du
rio
Putumayo
qu ils
considèrent toujours
comme
leurs
pires
ennemis
munuňu.
Il
est
intéressant de
noter
que, dans les mythes, les Yagua
associent
les Witoto à des
« gens-piranha » (cannibales) et
les
Mayoruna
à des
«
gens-tamis » (Chaumeil 1983 :
157).
Si l on se
reporte
au
modèle
clanique
global,
on retrouve, mais
cette
fois-ci
sans
l échange,
la
répartition en
trois
classes, étant
entendu
que
les Yagua s identifient à la moitié oiseaux
:
Yagua
Witoto
Mayoruna
oiseaux
poisson-cannibale
tamis
(végétal)
II
est
possible
que
ce système
duel
à
trois classes, que
l on
pourrait
appliquer à
d autres
domaines
(celui de
la
musique
par
exemple), serve ici de modèle
général
pour
penser
les
rapports
à
autrui.
Dans ce système, les classes se trouvent en
position
de complémentarité ou d opposition potentielles en fonction
du
type de
rapports que
les
groupes
sociaux tissent
entre eux.
Nous
ne pouvons
entrer ici
dans
le détail
de
la précellence
de
la classe
oiseaux chez les
Yagua (et tout spécialement
de
l espèce
ara rouge).
Signalons
simplement la tendance actuellement observée
chez
les Yagua d une
« aranisation »
globale de leur
société
à mesure que s affaiblit
la structure clanique
sous l effet
des
contacts
de plus
en
plus intensifs avec la
société
dominante, comme si le modèle « aranoïde » (et par extension
la
classe oiseaux)
offrait
ce
repli
identitaire
et
« taxinomique »
nécessaire
à
une
reformulation
globale
des
rapports
à autrui.
Triplement marqués, les
rapports
intra
et
interethniques peuvent être représent
ésur l axe des échanges comme suit :
humains
Parents
Amis
Ennemis
Yagua
« s/clan »
clan
entre clans
Ticuna
Cocama
plus
rarement
Witoto
Mayoruna
* * *
Comme on
le voit, les grilles concernant
les animaux,
les végétaux et les
humains se recouvrent
en
grande partie et
intègrent
un même
modèle taxinomique
global. Celui-ci projette l univers
du
vivant (si l on excepte bien entendu le minéral
perçu
sous
le
signe de
l uniformité) sur un
axe à
plusieurs paliers (deux
pour
les
végétaux,
trois
pour
les
animaux
et les
humains),
lui-même pensé, dans
sa
version
la
plus élaborée,
sur
le
mode
duel-triadique.
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l oncle
et le neveu 37
L un
des
points
intéressants pour
une
discussion plus ample
sur
l origine des
classifications
est
que
les
classes sociales occupent
ici une ascendance généalogique
sur les classes
naturelles
(la
relation est
d oncle à
neveu),
laissant entendre
que
les
Yagua accordent une prédominance du social sur le biologique. Mais non pas en
vertu
d un
scheme
social
préalable
à
toute classification
du
vivant
(les relations
sociales
entre
les
hommes présidant
à
la
répartition logique des choses). Il
s agit
dans le cas qui nous occupe d une
relation
d ordre métaphysique
entre
les humains
et
les espèces
naturelles
dans laquelle ces dernières, avatars amoindris d une
humanité
primordiale
sans
nuance, dépendent à présent des
hommes
pour se
reconstituer dans leur chair et leur
être
propre.
La
relation est d ordre
ontologique,
non
sociocentrique.
Enfin, par
delà
la
diversité tangible
des organismes vivants et
les principes
d organisation qui
les régissent, c est
à
un
modèle global
de
classification
du
vivant,
combinant
les niveaux
social
et biologique, que nous a
conduit
l analyse
présentée
dans ces
pages.
NOTE
1. Entre 1971 et 1991 nous avons effectué de
nombreux séjours chez
les Yagua. Depuis 1984, nous
avons
bénéficié à diverses
reprises
d un soutien financier du
Legs
Bernard
Lelong auquel nous
renouvelons à
cette occasion
nos plus
vifs remerciements.
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— Asi
es la
selva.
Iquitos. CETA.