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L'INSURRECTION
DELA
GRANDE KABYLIE
EN 1871
ar le Colonel ROBIN
ANCIENDIRECTEURDESAFFAIRESARABESDELADIVISIOND'ALGER
MEMBRERSIDANTDE L'ACADMIEDE NIMES
PARIS
HENRI CHARLES-LAVAUZELLEditeur militaire
10, Rue Danton, Boulevard Saint-Germain, 118
(MMEMAISONALIMOGES)
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OUVRAGES DU MME AUTEUR
Histoire du chrif Bou-Bar'la, 1volume in-8 raisin.
Le Mzab et son annexion la France, brochure in-Soraisin.Soumission des Beni-Yala etoprations du colonel Canrobert en
juillet 1849, brochure in-8 raisin.
Notes et documents concernant l'insurrection de la Kabylie en1856 et 1857, 1 volume in-Soraisin.
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CHAPITRE PREMIER
Objet de ce livre.Situation de la subdivision de Dellysau moment de laguerrecontrela Pi-usse.- Fonctionnementdes institutionskabyles.- Organisa-tion du commandement indigne,lections,sofs.Impts.Juridiction desdjemaas.Justice rpressive.Organisationcommunale, commune subdi-visionnaire de Dellys.Travaux publics.Instruction publique.cole
des artset mtiers. Colonisation,villages crs. Communes mixtes. Situation matrielle.Situationpolilique.Proslytisme religieuxchrtien.
Dveloppementde la confrrie desrahmania. Chikh-el-lladdad.Si benAliChrif,bachaghadeChellata; apprciation sur ce chefindigne. L'agi-tateur Bu-Bekeur-benIvhsdouma.
Je n'ai pas l'intention de refaire l'histoire de l'insurrection
de l'Algrie aprs l'uvre magistrale du commandant Rinn (1);
je veux seulement, en limitant mon tude une portion res-
treinte du thtre de cette formidable leve de boucliers,donner certains dtails qui n'ont pu trouver place dans une
histoire d'ensemble o ils auraient alouidi le rcit.
Je m'occuperai plus particulirement de la Grande Kabylie,de la subdivision de Dellys, mais je parlerai aussi des faits
insurrectionnels qui se sont produits dans la subdivision
d'Aumale et dans l'annexe d'Alger (2), faits qui ont une tropgrande connexit avec les vnements de la Grande Kabylie
pour qu'on puisse les en sparer.
Je vais d'abord donner un aperu de la situation de la sub-
division de Dellys au moment de l'insurrection et exposercomment ont fonctionn les institutions kabyles dans l'orga-nisation qui a t donne au pays par le marchal Randon,
aprs l'expdition de 1857. Il est intressant de noter ce qu'a
(1) Histoire del'insurrection de 1871en Algrie, par LouisRinn,conseillerdugouvernementdel'Algrie. -
(2) Voir,auxannexes,le tableaud'organisation de ces territoires.
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donn l'usage cette organisation spciale, aujourd'hui aban-
donne, qu'on avait cherch adapter aux coutumes kabyles;elle n'tait pas tout fait conforme l'ancienne constitutionde la Kabylie, que nous ne connaissions encore qu'imparfaite-ment en 1857 et qu'on n'avait pas juge applicable dans son
intgrit, mais elle s'en rapprochait dans ses parties essen-tielles.
ORGANISATIONDUCOMMANDEMENT,LECTIONS.Dans l'an-
cienne coutume (1), chaque village ou chaque toufik (groupede villages formant une u-nit communale) constituait une
petite rpublique indpendante, qui faisait elle-mme ses loiset rglements et les appliquait sans aucune intervention
trangre ; la djemaa, ou assemble de tous les hommes du
village ou du toufik, runissait tous les pouvoirs. Le prsidentde la djemaa, qui tait l'amin, tait choisi par cette assemble,mais l'lection se faisait d'un commun accord sans qu'on et
recours un vote. Les pouvoirs de l'amin avaient une dureindtermine et on ne le remplaait que lorsqu'il avait cess
d'tre en communaut d'ides avec la djemaa.Les tribus, composes d'un certain nombre de villages soli-
dariss par leur situation topographique et ayant des intrts
communs, ne se donnaient un chef, amin el arch ou amin el
oumena, que lorsqu'elles taient engages dans une guerrede tribu tribu ou contre nous, pour grouper toutes les forces,
rgler le service des contingents et rpartir les charges quirsultaient de l'tat de guerre. En temps de paix, les intrts
communs des villages formant la tribu taient dbattus dans
des assembles de dlgus des djemaas.Dans l'organisation que nous avons applique la Kabylie,
les amins furent nomms dans chaque village au suffrage
universel la majorit des voix; on donna des amins
el oumena toutes les tribus et ces chefs indignes furent lus,
au 2edegr, par les suffrages des amins de leur tribu.
(1) Voir,pourlescoutumeskabyles,l'excellentouvragedu gnralIlanoteauet du conseillerLetourneux, ayant pour titre: LaKabylie et les coutumeskabyles.
-
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DE LA GRANDEKABYLIE 7
Les amins eloumena taient diviss en trois classes suivant
l'importance des tribus et ils recevaient, sur le budget de
l'Algrie, un traitement annuel de 1.000 francs pour la
lre classe, de 700 francs pour la 2e et de 500 francs pour la
3e classe.
Dans le principe, les lections avaient lieu tous les ans au
mois de dcembre et les nouveaux lus entraient en fonctions
partir du lei>janvier ; mais, plus tard, pour diminuer l'agita-tion que faisaient natre dans les populations kabyles les
intrigues des partis pendant la priode lectorale, on a cherch rendre les lections triennales avec le consentement des
populations intresses. Les djemaas ont t appeles opterentre les lections annuelles et les lections triennales et,
lorsque dans une tribu la majorit des djemaas avaient les
lections triennales, l'amin el oumena tait aussi nomm
pour trois ans. La plupart des djemaas ont prfr renouveler
leurs amins tous les ans.
Pour tre valables, les lections devaient tre approuves
par l'autorit suprieure ; mais celle-ci faisait bien rarement
usage de son droit de veto et seulement lorsque les lus se
trouvaient tre des repris de justice ou des chefs indignes
rvoqus.
Voyons comment se faisaient les lections. Tous les hommes
figurant sur les listes d'impts taient lecteurs. Dans les
tribus kabyles de la subdivision de Dellys, l'impt unique taitune taxe de capitation qui frappait tous les hommes ayantatteint l'ge du jene; dans l'annexe des Beni-Manour (1) il
n'y avait pas d'impt de capitation, on y payait l'achour et le
zekkat comme dans les tribus arabes.
Dans la plupart des cas, les djemaas choisissaient leur amin
d'un commun accord, ou plutt, le sof de l'opposition, recon-
naissant son infriorit notoire, acceptait de
bon gr
le candidatdu sof le plus nombreux ; lorsqu'il en tait ainsi, les noms deslus taient simplement inscrits au bureau arabe. Lorsque
(1)Lergime kabyle avait t tendu toutes les tribus de l'annexe desBeniManour, lesquellestaient d'origine kabyle.
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8 L'INSURRECTION
dans un toufik les deux partis aspirant au pouvoir taient
peu prs gaux et n'avaient
pu s'entendre, les lecteurs taientconvoqus au chef-lieu du cercle, si les tribus n'en taient pastrop loignes ; dans le cas contraire, des officiers du bureauarabe taient envoys pour faire procder au vote sur place.
Les lecteurs devaient se prsenter sans armes et mmesans btons, les deux partis se rangeaient sur deux lignes
parallles sur un terrain autant que possible dpourvu de
pierres et on les faisait asseoir sur leurs talons la manire
arabe; les agents du makhezen veillaient ce que personne nese levt jusqu' la fin des oprations. Ces prcautions taient
ncessaires pour empcher les sofs d'en venir aux mains lors-
qu'une contestation survenait sur l'identit des lecteurs.
L'appel tait fait au moyen des listes de capitation et les indi-
vidus ne figurant pas sur ces listes taient exclus. Il suffisait
alors de compter les sofs pour constater lequel avait la ma-
jorit.
Pendant la priode lectorale il y avait souvent des rixes
sanglantes dans les villages, chaque sof cherchant par tous les
moyens et au besoin par la violence rallier lui les gens de
l'autre sof; malgr toutes les prcautions qu'on pouvait
prendre, il est arriv plus d'une fois que ces conflits se sont
produits mme en prsence des officiers appels faire pro-cder aux lections.
Les amins une fois nomms, il fallait constituer les djemaas.Suivant les anciennes coutumes, tous les hommes d'un toufik
faisaient partie de droit de la djemaa, mais lapratique ne tarda
pas nous forcer instituer des djemaas restreintes. La
djemaa avait exercer des pouvoirs administratifs et judi-ciaires et on lui faisait rdiger les procs-verbaux, contrats et
jugements qui taient de son ministre. On ne pouvait pas
exiger que ces documents portassent les noms de tous les
assistants; or, il tait arriv assez souvent que l'amin, avecles gens de son sof, avait tranch, au nom de la djemaa, et en
l'absence de l'autre sof, sur des questions intressant ce sof,
avait fait prendre acte de ces dcisions irrgulires et avait
prsent ces actes comme des jugements de la djemaa. Pour
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10 L'INSURRECTION
aux manuvres des ambitieux aspirant les remplacer, quiauraient ameut contre eux les mcontents.
La ncessit d'appuyer les amins, tant qu'il n'aurait past bien prouv qu'ils taient des prvaricateurs, aurait us
notre autorit dans des dtails de maigre importance et nousaurait laiss la responsabilit morale des injustices qu'ilsauraient pu commettre notre insu.
Avec des amins lus, on tait certain d'avoir toujours des
hommes soutenus par le sof le plus fort, et l'autorit franaise
n'avait plus la responsabilit morale dont je viens de parler;si les amins mcontentaient leurs administrs, ceux-ci
n'avaient qu' s'en prendre eux-mmes de leur mauvais
choix et ils n'avaient qu' ne plus les rlire au bout de
l'anne. Il est considrer aussi que les Kabyles sont pos-sds de l'esprit d'intrigue; il faut que les sofs agissent tou-
jours, c'est un besoin pour eux; les lections priodiquestaient un aliment l'activit des sofs, c'tait un drivatif qui
les dtournait de conspirer contre nous.Les sofs avaient le plus grand intrt arriver au pouvoir
et il est facile de le comprendre. Les attributions des djemaastaient trs nombreuses et trs importantes; ces assembles
prparaient les listes de capitation, prononaient des amendes
de police pour rprimer les contraventions et certains dlits,elles recevaient les contrats et jugeaient tous les procs civils
sans limite de comptence.Pour l'impt de capitation, les contribuables taient diviss
en quatre classes : la lre classe payait 15 francs par tte; la
2e, 10francs; la 3e, 5francs, et la 4e, compose des indigents,ne payait rien. La djemaa tait charge de dresser les listes de
recensement et de classer les contribuables; or, comme il
tait naturel de s'y attendre, les partisans de l'amin taient
classs de prfrence dans les catgories infrieures et les
cotes les plus fortes revenaient aux gens du parti de la mino-rit. Les rclamations taient coutes par les officiers des
bureaux arabes qui arrtaient dfinitivement les listes; mais
on comprend combien il tait difficile de constater le bien
fond de ces rclamations, d'apprcier la situation de fortune
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DE LAGRANDEKABYLIE 11
relative des rclamants, on ne pouvait que rformer les injus-tices les plus criantes et le reste passait tel quel.
Pour les amendes de police, les partisans de l'amin avaient
des immunits particulires ; enfin, lorsqu'on avait un procsen instance, il faisait bon, pour avoir gain de cause, d'appar-tenir au sof le plus fort. Il fallait donc, tout prix, l'emporteraux lections, aussi les luttes lectorales taient-elles achar-
nes; elles n'avaient pas lieu seulement au moment des lec-
tions, on peut dire qu'elles duraient toute l'anne dans les
villages o les sofs taient peu prs gaux; les djemaas nepouvaient y prendre une dcision sans que le sof de la mino-
rit allt porter ses rclamations l'autorit franaise.
Cet tat d'agitation perptuelle n'existait pas un degraussi intense avant la conqute ; pour vider les diffrends
graves on se battait, et le sof le plus faible tait oblig de se
soumettre ou de s'exiler ; comme nous ne pouvions pas auto-
riser ces recours aux armes, les minorits n'ayant plus rien
de grave redouter pouvaient s'en donner cur joie.
Quoi qu'il en soit, toutes ces luttes striles pour arriver au
pouvoir jetaient un grand malaise dans la population et beau-
coup de gens senss auraient volontiers renonc l'avantagede choisir eux-mmes leurs chefs pour recouvrer la paix et la
tranquillit.Il faut bien observer nanmoins, pour ne pas prendre une
trop mauvaise opinion de l'ordre de choses tabli, que lesluttes intestines que je viens de signaler n'existaient que dans
un nombre assez restreint de toufiks et que, dans la plupart,les choses se passaient avec beaucoup d'entente et sans qu'onvt se produire de rclamations srieuses.
Mais, s'il tait excellent de faire nommer les amins l'lec-
tion, il n'en tait plus de mme pource qui regardait les amins
el oumena. Le marchal Randon avait eu tant de difficults
propos des cads qu'il avait nomms en dcembre 1854 dans
les Beni-Raten (1), qu'il n'avait plus voulu nommer directe-
(1) Voir,dans la Revueafricaine de 1899,l'article: Notes et documentscon-cernant l'insurrection de18j6-18o7de la GrandeKabylie, parl'auteur.
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12 L'INSURRECTION
ment aucun chef indigne en Kabylie et, en cela, il avait t
beaucoup trop loin en appliquant cette abstention aux aminsel oumena. Ces chefs indignes taient, en effet, les seuls
reprsentants de l'autorit franaise dans les tribus, ilsn'avaient pas s'immiscer dans le fonctionnement des djemaas ;leur mission se bornait informer le commandement des faits
qui se passaient dans leur tribu et y faire excuter ses ordres ;ils taient les agents de l'autorit franaise et il tait peulogique de les faire nommer par ceux qu'ils taient chargs
de surveiller. La consquence infaillible de cette manire defaire fut que les amins el oumena taient beaucoup plus portsmnager leurs subordonns, qui taient leurs lecteurs, et cacher leurs fautes, qu' dnoncer les agissements contraires l'ordre qu'ils remarquaient; ils faisaient bien juste ce quitait ncessaire pour ne pas trop nous mcontenter et pouravoir l'air de nous servir.
Les amins servaient les intrts des djemaas et iltait natu-
rel de les faire nommer par elles; les amins el oumena taientexclusivement nos agents, nous leur assurions un traitement
et nous aurions d nous rserver leur nomination.
Je dois dire, pour tre juste, que malgr leur origine il y aeu parmi les amins el oumena des serviteurs dvous.
La nomination des chefs de tribu l'lection a encore eu,dans un autre ordre d'ides, un rsultat fcheux, Nous avions
dans beaucoup de tribus, avant 1857, des cads qui, pour la
plupart, avaient rendu de bons services, qui s'taient com-
promis pour nous et s'taient fait des ennemis en excutant
nos ordres. Quelques-uns russirent d'abord se faire lire
amins el oumena; mais, peu peu, ils finirent tous par tre
renverss du pouvoir et nous dmes les abandonner aux
reprsailles de leurs anciens administrs.
Nous retrouverons, au moment de l'insurrection, bon nom-
bre de ces anciens chefs'indignes parmi
nos ennemis les
plus acharns ; ils ne nous avaient pas pardonn d'avoir
mconnu leurs services et de les avoir abandonns.
JURIDICTIONDES DJEMAAS. En outre de leurs attributions
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DE LA GRANDEKABYL1E 13
municipales, les djemaas avaient, comme il a t dit plus haut,
toutes les attributions des cadis du pays arabe; elles rece-vaient les contrats, dressaient les actes, jugeaient en dernier
ressort tous les procs civils et pourvoyaient l'excution des
jugements; aucune juridiction rgulire d'appel n'avait t
institue.
L3s djemaas jugeaient d'aprs l'ada, c'est--dire d'aprsla coutume qui variait lgrement de tribu tribu et mme
de village
village;
l'ada n'tait pas
crite, elle se transmettait
par tradition.
Le point capital des coutumes, ce qui tenait le plus cur
aux Kabyles, tait l'exclusion de la femme des successions. La
raison de cette exclusion tait que la femme en devenant pro-
pritaire pouvait, par un mariage au dehors du village, ame-
ner l 'intrusion sur le territoire de ce village d'un tranger quiserait venu rompre l'unit d'intrts et donner peut-tre nais-
sance des conflits et des guerres, l'tranger en question sefaisant soutenir par les siens. Ce n'tait qu'aprs bien des
guerres intestines que les Kabyles s'taient dcids prendrecette mesure radicale en rompant carrment avec la loi musul-
mane dont ils avaient galement rejet les prescriptions dans
tout ce qui concernait le mariage. Les Kabyles qui mconnais-
saient ainsi les prceptes du Coran taient regards par les
bons musulmans comme de vritables schismatiques.L'exercice du droit de chefa (1), pouss jusqu' ses dernires
limites, concourait galement carter les trangers du ter-
ritoire du village; une mesure compltait l'autre.
Au temps de l'indpendance kabyle, les djemaas n'taient
pas, proprement parler, des tribunaux judiciaires; elles
taient prises tmoin dans toutes les conventions, elles fai-
saient le partage des successions, recevaient les rclamations
et ydonnaient suite et faisaient des conciliations; le serment
(1) Lorsqu'un Kabyle vend unimmeuble, ilpeut tre repris pardroit dechefaou deprfrence moyennant la restitution du prix d'achat, d'abord par leco-propritaire, puis par les parents du vendeur dans l'ordre desuccessibilit,puis par les gens de la kharouba, enfin par les gensduvillage.Le droit dechefas'tendait mmequelquefoisaux gensde la tribu.
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dfr soit aux parties, soit aux tmoins, soit certains
parents des parties et prononc sur le tombeau d'un saintmarabout rput pour sa svrit l'gard des parjures, taitle grand moyen employ pour rgler les diffrends. Mais
lorsqu'il y avait un procs litigieux ncessitant les lumiresd'un jurisconsulte, les parties avaient recours, d'un commun
accord, des marabouts rputs pour leur science et leur int-
grit qui jugeaient comme arbitres. Lorsque les intresss ne
pouvaient s'entendre sur le choix des arbitres,
la djemaa
en
dsignait un ou plusieurs d'office; son rle se bornait alors
faire excuter les jugements rendus. Dans les titres anciens
possds par les Kabyles, on ne trouve pas d'autres jugementsque ceux rendus de cette manire.
Lorsqu'on en arrivait la mise excution des jugementsd'arbitres, on voyait souvent natre de nouvelles difficults, la
partie qui n'avait pas eu gain de cause cherchant s'y sous-
traire par toutes sortes d'chappatoires, et il fallait tre appuypar un sof srieux pour obtenir satisfaction. Le rgne de la
justice n'tait pas toujours assur en Kabylie et la force y pri-mait souvent le droit.
Les gens sans appui taient obligs de prendre un oukil
parmi les notables du parti au pouvoir et de lui abandonner
une part souvent fort grosse de l'objet du litige. Les orphelins
qui n'avaient pas de proches parents pour soutenir leurs droits
risquaient fort de se voir dpouiller, quelquefois par leurs pa-rents eux-mmes; aussi tait-il de rgle, dans certaines tribus,
d'attribuer l'oukil d'orphelins un tiers de leurs biens lors-
qu'ils arrivaient leur majorit.Comme je l'ai dit, les djemaas se sont trouves investies par
nous de droits plus tendus que ceux qu'elles avaient aupara-
vant; nous en avions fait de vritables tribunaux et c'taient
des assembles politiques qui jugeaient les procs entre parti-
culiers. Se reprsente-t-on, mme en France, un conseil muni-
cipal divis par l'esprit de parti charg de rendre la justice!Dans les villages o l'accord rgnait, les choses se passaientencore d'une manire assez satisfaisante, mais dans ceux d-
chirs par l'esprit de sof, on voyait s'accomplir de nombreux
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16 L'INSURRECTION
ments rendus taient transcrits sur un registre cot etparaph;
ce registre tait prsent tous les mois au bureau arabe pourtre vis; les expditions des actes, dment collationnes,taient traduites sommairement en marge et recevaient,comme garantie d'authenticit, la signature et le cachet ducommandant suprieur. Les djemaas n'avaient pas de cachet,non plus que les chefs indignes.
JUSTICE RPRESSIVE. La justice criminelle tait autrefois
exerce par les djemaas, mais celles-ci n'appliquaient pasd'autres peines que l'amende et le bannissement; la peine de
mort par lapidation n'tait prononce que dans des cas tout
fait exceptionnels.Le meurtre tait puni par la peine du talion et l'excuteur
tait le plus proche parent de la victime; cette dette de sang
(rekba) tait sacre. Ce n'tait pas seulement un droit que de
tuer le meurtrier ou un membre de sa famille, c'tait un
devoir et celui qui ne remplissait pas ce devoir ou acceptaitla dia (prix du sang) tait dshonor. De mme, l'adultre de
la femme devait tre puni par la mort de celle-ci et par celle
de son complice; dfaut du mari, c'tait son plus proche
parent qui tait charg de venger l'honneur de la famille.
Aprs la soumission de la Kabylie, la justice criminelle fut
retire aux djemaas qui conservrent seulement le droit d'in-
fliger des amendes
pour punir les contraventions et certains
dlits comme vols simples, coups et blessures, affaires de
murs; les amendes taient infliges d'aprs le kanoun parti-culier chaque village, et le produit tait encaiss par l'oukil
qui en tait comptable. Les amendes pouvaient s'lever autre-
fois jusqu' la totalit des biens des coupables et, dans ce cas,
elles taient employes en ouzias (distribution de viande). Ces
confiscations compltes furent supprimes; on ne fixa pas de
limite aux amendes que pouvaient prononcer les djemaas,mais dans la pratique elles ne dpassaient jamais 500 francs.
Les Kabyles durent, de leur ct, renoncer la rekba, mais
ils ne le firent qu'avec beaucoup de peine; il y avait pour eux
une question de nif (amour-propre, honneur) ne pas renon-
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DELAGRANDEKABYLIE 17
GrandeKabylie. 2
cer ce qu'ils regardaient comme un devoir et le nif est un
stimulant bien puissant
chez ces montagnards.Les crimes furent dfrs aux conseils de guerre, et la plu-
part des dlits, suivant dcision du gnral commandant la
division, aux commissions disciplinaires; les informations
pralables taient faites exclusivement par les officiers des
bureaux arabes qui avaient qualit d'officiers de police judi-ciaire militaire.
L'instruction des crimes et dlits n'tait pas chose commode
en Kabylie, surtout lorsque les questions de sof se mettaientde la partie; les Kabyles sont ordinairement de bonne foi dans
les relations ordinaires de la vie, mais lorsque l'esprit de sof
est en jeu, ils regardent comme un devoir de cacher les
mfaits des leurs et d'accuser leurs ennemis politiques; tout
le monde ment, mme les hommes les plus honorables, ou, du
moins, ceux qui ne veulent pas mentir ne disent pas ce qu'ils
savent, s'il
peut en rsulter un
prjudice pour leur sof. Il
arrivait assez souvent que des individus victimes d'un crime
aimaient mieux, au lieu de rechercher le vritable coupable,faire leurs efforts pour faire diriger les poursuites contre leurs
ennemis de sof et ils trouvaient des tmoins pour appuyerleurs dires.
On comprend combien, dans de pareilles conditions, les in-
formations judiciaires taient difficiles et laborieuses.
Lorsque l'esprit de sof n'tait pas veill et qu'on n'avaitaffaire qu' des criminels de profession, les tmoignages
pouvaient tre accepts avec confiance et alors on n'avait plus lutter que contre la rserve des inculps qui ne cherchent
pas donner des explications o ils pourraient se faire trouver
en dfaut et qui se bornent dire: Je suis innocent, ceux
qui m'accusent sont mes ennemis, je ne sais rien, je n'ai rien
vu. ))
Les commissions disciplinaires prononaient sur le simple
rapport des officiers de police judiciaire, les commissions de
cercle pouvaient infliger 2 mois de prison et 200 francs
d'amende et les commissions disciplinaires de subdivision 1an
de prison et 1.000 francs d'amende. Les unes et les autres pro-
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18 L'INSURRECTION
nonaient sur les demandes de dommages-intrts, ce qui tait
interdit aux conseils de guerre.Les peines de prison taient subies dans les pnitenciers
agricoles.Les commandants suprieurs pouvaient prononcer des
punitions disciplinaires allant jusqu' 15 jours de prison et50 francs d'amende; les commandants de subdivision pou-vaient infliger un mois de prison et 100 francs d'amende, le
commandant de la division 2 mois de prison et 200 francs
d'amende.
ORGANISATION COMMUNALE.COMMUNESUBDIVISIONNAIRE.
Les villages ettoufiks de la Kabylie formaient autant de petitescommunes, mais les rgles de la comptabilit publique ne leur
taient pas appliques. En dehors du produit des biens com-
munaux, leur principal revenu tait celui des amendes infli-
ges par les
djemaas et
par le
commandement; les
principalesdpenses taient les frais d'hospitalit des officiers des affaires
indignes en tourne et des agents du makhezen, qui avaient
droit la difa, et les travaux communaux, dification de fon-
taines, petits travaux d'art sur les routes, etc.
L'oukil de la djemaa, qui tait comptable des fonds com-
munaux, avait un registre des recettes et des dpenses et il le
faisait vrifier et arrter tous les mois au bureau arabe.
L'organisation communale qui existait au moment de l'in-surrection tait celle dicte par le dcret imprial du 9 mai
1868, et l'arrt du gouverneur gnral de l'Algrie du 20 mai
de la mme anne.
Le territoire de la subdivision de Dellys formait une com-
mune subdivisionnaire (1) au budget de laquelle se ratta-
chaient ceux des douars-communes organiss par applicationdu snatus-consulte du 22 avril 1863; ses ressources finan-
cires s'levaient environ 176.000 francs. Les principales
(1)Les communes subdivisionnaires ont tsupprimes par arrt du13no-vembre 1874et remplaces pardes communesindignescomprenantleterritoiredechaquecercle.
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DE LA GRANDEKABYLIE 19
recettes taient : les centimes additionnels aux impts arabes;
le produit de
l'adjudication des
marchs; la
portion des
amendes arabes non attribue aux chefs indignes et la tota-
lit de celles infliges par les commissions disciplinaires. Les
principales dpenses taient : l'hbergement des htes dans
les chefs-lieux de cercle, l'entretien des indignes dtenus
dans les cercles et dans les pnitenciers; les travaux d'utilit
publique; les frais d'instruction publique des indignes.En fait de travaux publics, ce qu'il y avait de plus urgent au
point de vue commercial et au point de vue militaire, c'taitl'ouverture de routes carrossables ou au moins muletires
dans un pays montagneux o les communications taient fort
difficiles. Malgr la modicit des ressources de lacommune sub-
divisionnaire, relativement l'tendue du territoire, on aurait
pu faire beaucoup, grce l'appoint des prestations en nature
dues par les indignes et par leurs btes de somme; malheu-
reusement les communes subdivisionnaires taient obligespar les rglements de recourir au service du Gnie pour leurs
travaux publics; or, dans les places, ce service n'avait que le
personnel ncessaire pour les travaux militaires et il n'avait
pas d'agents envoyer sur les points loigns. Des sommes
alloues pour travaux de routes sont souvent restes sans
emploi pour ce motif. D'un autre ct, les projets tablis parles agents locaux subissaient des vrifications et des modifi-
cations tous les chelons hirarchiques du Gnie; ces projetsn'taient approuvs que fort longtemps aprs leur prparation :ils revenaient avec des retouches faites par des officiers quin'avaient pas vu le terrain, de sorte que les commissions mu-
nicipales avaient beaucoup de peine obtenir ce qu'elles dsi-raient.
La vrification de l'emploi des fonds tait surveille exclusi-vement par le Gnie qui faisait de frquents virements sans
que les autorits locales eussent t consultes.Les communes subdivisionnaires auraient certainement
obtenu de meilleurs rsultats si elles avaient t laisses libres
d'employer des agents voyers qui auraient t entirement leur disposition. Ces agents auraient fait les tracs de route et
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fait excuter les petits travaux d'art et alors, au moyen des
prestations, on aurait excut
peu de frais les terrassements
et les empierrements. Les prestations employes sur demauvais tracs ne produisaient rien de durable ni de dfi-nilif.
Malgr l'entrave dont je viens de parler on a pu excuterdans la subdivision de Dellys des travaux de route d'une cer-
taine importance, savoir : la route de Fort-Napolon au col de
Tirourda qui a ncessit des travaux de mine considrables et
le percement de tunnels travers des montagnes rocheuses ;la route muletire de Tizi-Ouzou Dra-el-Mizan par les
Maatka; la route de Dra-el-Mizan Fort-Napolon par les
Ouadia.
La commune subdivisionnaire n'entretenait qu'une s3ule
cole arabe-franaise, celle de Tizi-Ouzou, qui avait de nom-
breux lves et qui donnait des rsultats remarquables. Les
jeunes Kabyles apprennent facilement le franais et ils peu-vent lutter sans dsavantage avec les fils de nos colons sur
toutes les matires de l'instruction primaire. La commune
subdivisionnaire entretenait un certain nombre de boursiers
indignes au collge arabe-franais d'Alger; ces boursiers
taient ordinairement choisis parmi les meilleurs lves de
l'cole arabe-franaise.Une des principales charges de la commune subdivision-
naire de Dellys a t la cration et l'entretien de l'cole desarts et mtiers de Fort-Napolon. Cette cole, construite sur
un mamelon 600 mtres en dehors de l'enceinte du fort, avait
t agence de manire recevoir 80 lves.
Le personnel de l'cole se composait d'un directeur, qui
tait le capitaine du gnie Damarey, d'un grant, de 2 chefs
d'ateliers, de 3 sous-chefs, d'un instituteur et d'un con-
cierge.Les lves taient partags en deux divisions, celle des
ouvriers en fer et celle des ouvriers en bois.
La dure des tudes tait de trois ans.
Les ouvriers en fer passaient successivement aux ateliers de
forge, d'ajustage et de serrurerie; les ouvriers en bois pas-
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DE LA GRANDEKABYLIE 21
saient de mme successivement aux ateliers de sciage, de char-
penterie, de
menuiserie, de tour et de
charronnage.En outre des travaux manuels, les lves recevaient une
instruction thorique comprenant la langue franaise, la lec-
ture, l'criture, le calcul, la grammaire, le trac des ouvragesexcuts dans les ateliers, la pratique des pures de charpente
ou autres
Les cours taient interrompus pendant la dure du jene du
ramdan, ce qui donnait un mois de vacances.
A la fin des trois annes d'tudes, chaque lve recevait uncertain nombre d'outils de sa profession.
Les lves devaient tre gs de 15 ans au moins et de
25 ans au plus; leur admission tait prononce par le gnralcommandant la division. Les indignes de toute la province
pouvaient y tre admis; le prix de la pension, qui tait de
500 francs, tait pay par les communes subdivisionnaires.
Une dcision du gnral
commandant la division, du 8 dcem-
bre 1868, avait rparti entre les communes subdivisionnaires
autres que celle de Dellys la charge de 40 bourses ; si les com-
munes subdivisionnaires ne trouvaient pas de titulaires
pour les bourses qu'elles payaient, le gnral comman-
dant la division en disposait son gr.Les lves de l'cole des arts et mtiers appartenaient en
grande majorit au cercle de Fort-Napolon et mme la
tribu des Beni- Raten. On pouvait admettre des lves euro-pens; il y en avait 4dans les derniers temps de l'cole.
Les lves recevaient l'cole un salaire journalier de 1 fr. 05
sur lequel on prlevait 5 centimes pour la masse; ils devaient
se loger et se nourrir leurs frais. Les trangers qui ne trou-
vaient pas se placer dans des familles indignes pouvaienttreautoriss loger l'tablissement et il tait pourvu leur
nourriture au moyen d'une retenue sur leur salaire.Les lves de chaque division classs les premiers rece-
vaient un supplment de salaire de 10 centimes; le nombre
des hautes payes ne pouvait pas dpasser 6 pour toutel'cole.
Les jeunes Kabyles sont intelligents et adroits et on a pu
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facilement en faire de bons ouvriers ; malgr cela les rsultatsobtenus n'ont pas t en rapport avec les
dpenses quel'cole des arts et mtiers a occasionnes. On avait voulu faire
grand et on avait install des machines-outils mues par la
vapeur dont les lves n'avaient aucune chance de se servirune fois sortis de l'cole; or, le charbon venu de France et
transport Fort-Napolon revenait des prix fantastiques.D'un autre ct, il faut le dire, la plupart des lves n'avaient
aucun dsir, une fois sortis de l'cole, d'exercer la profession
qu'ils avaient apprise ; les parents les avaient fait admettre l'cole dans le but de s'attirer la bienveillance de l'autorit
franaise. Un grand nombre de jeunes gens des Beni-Raten
avaient trouv avantageux d'obtenir sans trop de peine un
salaire d'un franc par jour qu'ils n'auraient pas trouv
gagner ailleurs.
Il est toujours si difficile d'introduire quelque chose de
nouveau dans un pays qui n'a pas encore t entran par lecourant du progrs, qu'on tait oblig de prendre tout ce
qu'on trouvait, dans la pense que, si tous les lves ne profi-taient pas de l'enseignement acquis, il en rsulterait nan-
moins un grand bien. On comptait sur le temps pour clairer
les Kabyles sur les avantages qu'ils pourraient tirer d'une
bonne instruction professionnelle qui leur permettrait de
trouver du travail dans les ateliers europens ; mais le temps
a manqu, l'cole ayant t dtruite pendant l'insurrection.Dans les quatre ans qu'elle afonctionn elle aproduit un certain
nombre de bons ouvriers qui ont rpandu dans les tribus
l'usage d'outils plus parfaits et les procds de travail qui leur
ont t enseigns.
J'ai dit qu'au budget de la commune subdivisionnaire
taient rattachs ceux des douars-communes organiss pa*
l'application du snatus-consulte du 22 avril 1863. En organi-sant ces douars-communes, on avait eu l'intention d'initier
les indignes la vie communale, la gestion de leurs intrts
communs ; mais ces units communales avaient de si maigres
ressources qu'on ne put rien faire de srieux et on n'obtint pas
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d'autre rsultat qu'une complication plus grande dans la
comptabilit.
- COLONISATION.COMMUNESMIXTES. La colonisation n'avait
pis encore pris un grand essor dans la subdivision de Dellys ;voici un aperu succinct de ses dveloppements successifs.
Le marchal Bugeaud a occup la ville indigne de Dellys le
7 jnai 1844; il y a cr, par arrt du 2 mars 1845, un centre
europen de 200 familles. En 1854, un nouveau centre de po-
pulation fut tabli
Ben-Nechoud, 10 kilomtres de
Dellys,et l'ensemble des deux territoires fut rig en commune parun dcret du 31 dcembre 1856, qui confia son administration
un commissaire civil.
Un arrt du gouverneur gnral du 27 octobre 1858 cra
un centre de population de 94 feux, avec un territoire de
286h 5a 65eTizi-Ouzou, et un autre arrt du 30 dcembre de
la mme anne cra un centre de 82 feux Dra-el-Mizan,
avec un territoire de 683h 18a45e.La fondation du village de Bordj-Mnael. dans le cercle de
Dellys, remonte 185G; une dcision du 10 juillet 1861 a
ajout ce village un hameau de 2661147a22e, ce qui a portl'tendue de son territoire 1.718h 19a 30c. Le village de
Bordj-Menael a t rattach au territoire civil par dcret du
27 janvier 1869 et a form une section de la commune de
Dellys; puis il a t rig en commune de plein exercice le
18 novembre 1870.
Un dcret du 16 aot 1859 a fait entrer dans le territoire de
la commune de Dellys les tribus des Beni-Tour et des Taourgaet l'tendue rserve pour la cration d'un nouveau centre
Dar-el-Beda; ce nouveau centre, datant du 4 juin 1860, reutlenom du commandant Boyer de Rebeval, du 54ede ligne, tu
lmanseren, prs de Fort-Napolon, le 24 mai 1857; la dota-
tion de Rebeval fut de 631h 44" 80e.Enfin, le village de Palestro, fond le 18 novembre 1869,
dans la tribu des Ammal, sur la rive droite de l'Oued-Isser, et
comprenant 59 feux, reut une attribution de 546h 31a10e.
Si la colonisation n'avait pas fait plus de progrs en Kabylie,
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cela tenait moins l'absence de terres domaniales qu' l'insi-
gnifiance des rsultats qu'on avait obtenus au point de vue du
peuplement europen. Pour n'en donner qu'un exemple, jeciterai le village de Bordj-Menael, qui avait t pourvu d'ex-cellentes terres sur une bonne route carrossable et dans une
rgion o les colons pouvaient se dfaire de leurs rcoltes sur
place, les Kabyles, qui ne produisent pas les crales nces-
saires leur consommation, tant obligs d'en acheter de
grandes quantits hors de leur pays. Au bout de dix ans, une
grande partie des terres taient passes aux mains des indi-gnes, les colons les leur ayant vendues ds qu'ils avaient eu
leurs titres dfinitifs; si bien qu'en 1870 le village ne comp-tait plus que 39 habitants europens. Il avait fallu sacrifier
plus de 1.700 hectares de bonnes terres pour fixer sur le sol
une population de 39 colons !
Ce rsultat n'tait pas encourageant; nanmoins, deux nou-
veaux villages, situs An-Zaoua et Bor'ni, dans le cercle
de Dra-el-Mizan, taient en voie de cration au moment o aclat l'insurrection. De nombreuses demandes de concession
avaient dj t reues par l'administration, mais toutes ma-
naient d'anciens colons, de sorte que la population euro-
penne de l'Algrie n'en aurait pas t augmente.Trois communes mixtes, dans les conditions du dcret du
9mai 1868, ont t organises dans la subdivision de Dellys
par arrt du 6 novembre 1868, et elles sont entres en fonc-tionnement partir du 1erjanvier 1869, savoir :
1La commune mixte de Dra-el-Mizan, comprenant le ter-
ritoire de colonisation de ce village et la tribu des Abid; ses
ressources financires s'levaient 8.680 francs.
Sa population tait de :
Franais. 172usulrnans,.,. 606
trangers. 18Total. , ,. 796 habitants.
Sa superficie, de :
1Territoire de colonisation 683M3150 :2.Territoire indigne. 2.500h.
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A cette commune mixte a t rattach, comme section de
la commune, par arrt gouvernemental du 17 mars 1870, le
nouveau centre de Palestro, qui a t distrait, par ce fait, de
l'annexe d'Alger.2 La commune mixte de Tizi-Ouzou, qui ne comprenait que
le territoire agricole attribu au village au moment de la
cration du village: ses ressources financires s'levaient
8.400 francs, et sa population tait la suivante :
Franais. 205Musulmans. 25
Isralites. , 10
trangers. , 36
Total.. , 276 habitants.
3 La commune mixte de Fort-Napolon, qui ne comprenait
que la superficie de la ville avec une banlieue trs restreinte;ses revenus s'levaient environ 5.000 francs; voici sa popu-lation :
Franais 168
Mus ulm ans. 13
Isralites. 8
trangers. 39
Tot 1 228 habitants.
Dans les communes mixtes, le commandant suprieur du
cercle remplissait les fonctions de maire; il avait dans la po-
pulation civile un adjoint qui remplissait, en particulier, lesfonctions d'officier de l'tat civil.
SITUATION MATRIELLE. La pacification gnrale de la
Kabylie qui suivit
l'expdition de 1857 ouvrit
pour ce paysune re de prosprit qui dut adoucir pour les Kabyles les
regrets de la perte de leur indpendance. Leurs produits agri-coles :huile, figues, raisins, etc., et ceux de leur industrie
trouvrent des dbouchs avantageux dans nos villes et dansles tribus arabes, et leurs marchs furent dsormais large-
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ment approvisionns en crales et en bestiaux; des permisde voyage gratuits, largement dlivrs, leur permirent d'allerfaire au loin du colportage et d'aller chercher un travailrmunrateur chez nos colons, o ils faisaient la moisson, le
fauchage des prairies, les travaux de binage et sur nos chan-tiers de travaux publics, o ils s'employaient comme terras-siers. Ils se mirent partout dfricher les broussailles pouraugmenter leurs terrains de labour et leurs plantations de
figuiers, de vignes, d'oliviers. L'impt de capitation (lezma)
qu'ils payaient tant d'ailleurs fort modr, ils purent aug-menter leur bien-tre et amasser des pargnes fort notables.
C'est ce qui leur permit, aprs l'insurrection, d'acquitterassez rapidement les normes contributions de guerre quileur furent imposes et le prix de rachat du squestre col-
lectif.
Quelque temps avant la guerre, ils avaient eu passer plu-sieurs annes dsastreuses : l'anne 1864, o il y eut une pre-
mire invasion de sauterelles ; l'anne 1865, o la scheresse fitmanquer la fois les rcoltes du bl, de l'orge, du bechena et
des olives. L'anne 1866 s'tait annonce en Kabylie, du moins
au nord du Djurdjura, sous d'heureux auspices; [Tes cultures
avaient un bel aspect, lorsque le vent du sud apporta des nues
de sauterelles qui, en quelques jours, dvorrent les bls et
orges jusqu' la racine; peu aprs, des lgions de criquets sor-
tirent de terre et tous les arbres furent dpouills de leurs
feuilles et de leurs fruits. Les pertes causes par ce flau ont
t values, pour la subdivision de Dellys, 1.268.000 francs,mais elles furent, en ralit, bien plus considrables. 3
En 1867, la scheresse continue plus intense que jamais, sur
beaucoup de points, les crales semes ne trouvent pas assez
d'humidit pour lever; aucune herbe ne pousse dans les
champs, les troupeaux meurent de faim et le btail est vendu
vil prix.Puis, c'est le cholra qui fait dans la subdivision plus de
10.000 victimes; puis vint la famine qui a amen des scnes
d'horreur dont tout le monde a gard le souvenir; sur quel-
ques points de l'Algrie, les indignes, pousss parla faim, ont
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commis non seulement des actes de cannibalisme, mais ils
sont alls jusqu' dterrer les morts pour les dvorer !
LaKabylie, grce la varit de ses cultures, a moins souf-
fert de la disette que. le pays arabe et elle s'est vue peu peuenvahir par un flot d'trangers affams, hommes, femmes et
enfants dans le plus affreux dnment. C'tait un spectacleinoubliable que celui de ces gens rduits l'tat de squelettestant leur maigreur tait extrme et pouvant peine se traner.
Il y en eut parmi eux dont l'puisement tait si grand que,
quand on voulut les secourir, ils ne pouvaient plus manger,leur estomac refusait toute nourriture; la vermine les en-
vahissait tel point qu'on et dit qu'elle sortait spontanmentde leur corps. La mortalit fut grande.
Dans l'hiver de 1867-1868, la Kabylie put ainsi nourrir plusde 12.000 trangers qu'il fallut renvoyer au printemps de 1868
pour empcher que les rcoltes ne fussent dvores avant
d'arriver maturit. Cette fois, l'herbe avait pu pousser dans
les champs et les affams y trouvaient des plantes qu'ils fai-
saient cuire et avec lesquelles ils trompaient leur faim.
Dans cette anne de 1868, le ciel parut avoir puis ses
rigueurs, les rcoltes furent magnifiques; malheureusement,faute de grains de semence en quantit suffisante, les tendues
laboures taient restreintes.
Les annes 1869 et 1870 furent encore excellentes, la misre
avait disparu et la prosprit tait revenue.
SITUATIONPOLITIQUE. La situation politique de la Kabylie
lorsque survint la guerre contre l'Allemagne tait excellente.
Les populations kabyles qui, comme nous venons de le voir,taient arrives une grande prosprit matrielle, qui avaientconserv leurs coutumes et qui jouissaient, sous une adminis-
tration paternelle et bienveillante, d'une paix et d'une scurit
inconnues jusque-l dans leurs montagnes, n'avaient pas lamoindre vellit de rvolte et il n'y aurait certainement paseu d'insurrection en Kabylie sans les fautes commises par le
gouvernement de la Dfense nationale et sans les folies et les
excs des nergumnes qui voulaient.profiter des malheurs de
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la France pour s'emparer du pouvoir et de tout ce qui tait bon
prendre, sous
prtexte de mettre en
pratique leurs utopiesrvolutionnairs.
Il y avait pourtant en Kabylie un mauvais symptme, c'taitla recrudescence du fanatisme religieux et le dveloppement
prodigieux qu'avait pris l'affiliation des khouans de Si-Abd-
er-Rahman-bou-Goberin.
Peut-tre ce mouvement religieux tait-il une raction
contre les tentatives de proslytisme chrtien qui taient
faites depuis quelques annes?Mgr Lavigerie, archevque d'Alger, avait recueilli, pen-
dant la famine de 1867, un grand nombre de petits Arabes
des deux sexes devenus orphelins; il les avait levs dans la
religion chrtienne et il voulait prendre les plus intelligents
pour en faire des auxiliaires pour sa propagande religieuse et
fonder avec les autres des tablissements agricoles chrtiens.
En Kabylie, dans le cercle de Fort-Napolon, certains membres
du clerg avaient essay, depuis plus longtemps encore, de faire
des conversions chez les indignes. Avant d'exposer les agis-sements des khouans, je vais raconter ces derniers faits de pro-
slytisme chrtien, qui n'ont d'ailleurs eu aucun succs.
En 1863, le pre Creust, de l'ordre des Jsuites, s'tait fait
nommer cur Fort-Napolon dans le but d'y faire de la pro-
pagande religieuse; il esprait que les Kabyles, qui avaient tautrefois chrtiens, seraient moins rfractaires que les Arabes
ses prdications et qu'il en amnerait un certain nombre
embrasser le christianisme. Il commena par attirer chez lui
les Kabyles par des libralits en argent, vtements, sucre,
caf, comestibles et en leur donnant l'hospitalit quand ils
venaient au fort pour leurs affaires; il se fit ainsi une nom-
breuse clientle. Quand il eut prpar le terrain de cette
manire, il commena parler religion; on l'couta sanss'effaroucher. Les Kabyles ne songeaient qu' l'exploiter et ils
riaient ouvertement entre eux de ses prdications.Le pre Creust avait pris au srieux la docilit des Kabyles
l'couter et il avait concentr ses efforts sur le village des
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At-Ferah, situ une heure de marche de Fort-Napolon.
Quelques individus lui avaient fait croire que la djemaa luidonnerait du terrain pour y lever un tablissement religieux.Le bruit en courut au fort et les colons en parlrent aux
At-Ferah qui, comprenant qu'ils avaient t trop loin, ne
trouvrent rien de mieux, pour se tirer d'embarras, que
d'organiser une mystification grossire qui dcouraget le
zle du pre Creust.
Un jour que celui-ci avait appel le provincial des Jsuites,le pre Laurenceau, pour lui faire constater le succs de sa
mission, les gens des At-Ferah couvrirent d'excrments
humains le banc sur lequel le pre Creusat avait coutume de
s'asseoir, en les dissimulant sous de la paille et des feuillages;ce banc avait d'ailleurs t plac dans un coin obscur du
local. Le pre Creusat et le provincial allrent s'y asseoir sans
mfiance et, le soir, tous les villages des Beni-Raten riaient de
la msaventure des deux missionnaires.Le pre Creusat ne s'tait pas plaint de cet outrage, mais le
colonel Martin, commandant suprieur de Fort-Napolon, en
eut connaissance et il infligea une punition ses principauxauteurs.
Le pre Creusat n'avait pas encore ouvert les yeux; on lui fit
croire qu'il avait t victime d'une minorit turbulente et le
colonel Martin, en prsence d'affirmations faites avec uneinbranlable assurance, crivit la djemaa pour connatre ses
intentions. Celle-ci rpondit aussitt en termes nergiques et
catgoriques :
Nous ne renoncerons jamais notre religion; si legouvernementveut nous y contraindre, nous lui demanderons un moyen dequitter le pays; si nous n'en trouvons pas, nous prfrons la mort
plutt que d'embrasser votre religion.Quant aux autres choses qui nous viennent du gouvernement etqui ont pour but notre bien tre, nous serons toujours prts lesaccepter et nous ledevons, car nous vivons sous son ombre protec-trice. Nous serons loyaux dans nos actions parce que le gouverne-ment n'a en vue pour nous que notre bien et la paix et nous lereconnatrons en agissant pour le bien.
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Quant ce qui regarde notre conversion, nous aimons mieux la
mort que de renoncer notre religion.Pour ce qui concerne la demande de ce prtre d'habiter parminous, Dieu nous garde d'y consentir moins que l'autorit ne nousy force! Dans ce cas, nous lui obirons, mais s'il venait habiternotre village, nous en sortirions et nous ne demeurerions jamaisavec lui.
Ds l'arrive Fort-Napolon du colonel Hanoteau, qui pritle commandement du cercle en fvrier 1866, plusieurs mois
aprs les faits rapports ci-dessus, il comprit vite la situationet, quand le pre Creusat lui parla de ses projets, il lui dit
franchement qu'il les regardait comme aussi chimriques que
dangereux. Cependant, pour viter qu'on pt dire que la mission
vanglique du pre Creusat avait chou par suite du mau-
vais vouloir du commandement, il le laissa libre de continuer
sa propagande dans son domicile, mais il le pria de ne plus
aller dans les villages kabyles.Au mois de dcembre 1867, l'archevque d'Alger, MgrLavi-
gerie, devait faire un voyage Fort-Napolon ; le pre Creusat
organisa secrtement une manifestation en lui faisant crire
par les djemaas pour lui dire qu'elles consentaient laisser
habiter dans leur village des religieux des deux sexes.
C'est avec une surprise extrme que le colonel Hanoteau
lut, quelque temps aprs, dans le journal VAkhbar, une lettre
de l'archevque, date du 31 mai, dans laquelle il disait que
plusieurs djemaas lui avaient fait demander par crit la faveur
d'avoir chez elles des tablissements religieux. Vrification
faite, on reconnut que les lettres n'manaient pas des djemaasmais avaient t fabriques par des faussaires qui avaient
abus de la bonne foi du pre Creust.
Voici un fait qui s'est pass au mois d'avril 1868. Le pre
jsuite Stumpf avait t envoy Fort-Napolon pour rem-
placer momentanment le pre Creust, parti en mission
Dellys; il demanda au commandant suprieur s'il y aurait des
inconvnients ce qu'il allt visiter le Djurdjura. Le colonel
Hanoteau comprit bien qu'il s'agissait encore de propagande
religieuse, mais loin d'empcher ce voyage, il donna au pre
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Stumpf tous les moyens de l'effectuer afin de faire voir la
vrit un homme sans prvention.Celui-ci partit donc accompagn d'un autre prtre et de
deux des agents les plus actifs de la propagande, les frres
Jeannin et Falcon. Ils se rendirent Tala-Ntazert, dans les
Beni-bou-Drar, village dont l'amin tait le commensal assidu
du pre Creusat Fort-Napolon et qui, en retour de l'hospi-talit qu'il avait reue, n'avait pas t avare de promesses.
A peine les voyageurs avaient-ils mis pied terre, qu'ils
furent entours par toute la population du village. Le pre
Stumpf, voyant les anciens groups prs de lui, leur fit
demander par le frre Jeannin, son interprte, s'ils voulaient
recevoir des missionnaires, numrant en mme temps les
avantages qu'ils en tireraient : prts d'argent, instruction aux
enfants, soins aux malades, etc. Au lieu de l'accueil qu'il
attendait, le pre Stumpf reut un refus net, catgorique,
exprim en termes fort vifs. Le frre Jeannin, se tournantalors vers l'amin, lui rappela ses promesses; mais celui-ci,sans se dconcerter, rpondit qu'il n'avait pas suppos que le
pre Creusat prendrait au srieux des conversations en l'air,
qu'il n'avait pas le pouvoir d'engager son village et qu'iln'tait pas plus dispos que les autres amener des prtreschrtiens, sachant bien que, s'il prenait cette initiative, ses
propres frres seraient les premiers lui faire un mauvais
parti.En rsum, pendant les cinq ans qu'il est rest Fort-
Napolon, le pre Creusat n'a pas obtenu une seule conver-
sion. Il avait fond de grandes esprances sur un jeune mara-
bout des At-Ferah; il l'avait hberg, pourvu de tout,catchis et, l'approche des ftes de Pques de 1868, il voulut
le mettre en demeure de se prononcer; mais le jeune no-
phyte, pouss dans ses derniers retranchements, leva lemasque et alla s'engager aux spahis.
Le pre Creusat avait t remplac dfinitivement Fort-
Napolon par le pre Vincent, mais cela ne l'empchait pas d'yfaire du proslytisme religieux par l'intermdiaire du frre
Lrondelle.
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32 L'INSURRECTION
Au village d'Imanseren, prs du fort, une femme, nomme
Hassenia, tait reste veuve avec cinq enfants : trois garonset deux filles; en comblant cette femme de petites largesses,il essaya de l'amener lui confier ses enfants. L'un des gar-ons, le jeune Mouhoub, l'accompagna dans un voyage enFrance entrepris pour faire des qutes au profit des missions;une des petites filles, Achoucha, frquenta l'cole des surs.
Le 25 janvier 1870, sous prtexte de leur faire des cadeaux, le
frre Lrondelle fit venir ces enfants Fort-Napolon, chez les
surs de la doctrine chrtienne; Achoucha fut habille avec
l'uniforme des pensionnaires de l'orphelinat, une voiture fut
amene et le frre Lrondelle voulut y faire monter, avec l'aide
de la sur suprieure, les deux enfants. Ceux-ci rsistrent
et un attroupement se forma; le fils an d'Hassenia, nomm
Mohamed, protesta de toutes ses forces contre l'enlvement et
le frre Lrondelle, voyant que son entreprise chouait, mit
fin cette scne en promettant qu'il emmnerait simplementles enfants sur la route de Tizi-Ouzou jusqu' la rencontre du
pre Vincent, en promenade de ce ct, et que ce dernier les
ramnerait chez leur mre Imanseren; c'est ce qui fut fait.
(Toutes ces tentatives de proslytisme religieux n'avaient pas
grande porte, mais elles inquitaient les Kabyles qui connais-
saient, d'autre part, l'uvre entreprise par l'archevque
d'Alger, et, comme ils sont trs ombrageux sur les questionsde religion, les gens malintentionns n'avaient pas manqude leur faire entrevoir qu'ils ne jouiraient peut-tre pas tou-
jours de la libert absolue qui leur avait t laisse en matire
de culte et que nous chercherions, par la persuasion ou autre-
ment, les convertir la religion catholique. Ce motif n'tait
pas le seul, sans doute, qui les poussait s'affilier l'ordre
des Rahmania, mais il y contribua dans une certaine mesure]
L'ordre religieux des Rahmania, fond par Si-Mhamed-ben-
Abd-er-Rahman-bou-Goberin, dont la zaoua tait situe dans
les Beni-Smal du cercle de Dra-el-Mizan, existait depuis une
centaine d'annes et il s'tait rpandu dans toute l'Algrie,
mais il n'avait commenc prendre une grande extension en
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DE LA GRANDEKABYLIE 33
GrandeKabylie. 3
Kabylie qu'une quinzaine d'annes avant l'insurrection de
1871; c'est le grand matre de cet ordre, Si-el-Hadj-mar, quiaprovoqu l'insurrection dela Grande Kabylie de 1856-1857 (1).
Si-el-Hadj-Amar ayant t contraint de s'exiler aprs l'exp-dition de 1857, ce ne fut pas un marabout qui recueillit sa
succession, ce fut un Kabyle d'origine obscure, Chikh-
Mohamed-Amzian-ben-Ali-el-Ha.ddad, de Seddouk, tribu des
Beni-Adel, descendant d'un forgeron, comme son nom l'indi-
que, et qu'on dsigne ordinairement sous le nom de Chikh-el-
Haddad.C'tait, l'poque dont nous nous occupons, un vieillard
de 80 ans, d'aspect vnrable et qui s'tait fait une grande
rputation de saintet par les pratiques d'un asctisme des
plus raffins. Il n'tait pas sorti depuis des annes de la cham-
bre qu'il habitait et on ne communiquait avec lui que par une
lucarne. Il avait pris sur ses khouan un ascendant extraordi-
naire.
A la zaoua des Beni-Smal, il n'y avait plus qu'un oukilqui, pendant quelque temps, avait fait une dissidence en se
donnant comme le vritable grand matre des Rahmania, mais
qui avait fini par se rallier sous la direction de Chikh-el-
Haddad. Cet oukil, au moment de l'insurrection, tait Si-el-
Hadj-Mhamed-ben-Mohamed-el-Djadi, originaire de la tribu
des Beni-Djad du cercle d'Aumale.
Chikh-el-Haddad avait deux fils; l'an,
Mhamed, tait un
homme austre, fanatique, vou au mysticisme, qui avait t
un des lieutenants du fameux agitateur de la Kabylie, le
chrif Bou-Bar'la et qui tait maintenant cadi 'des Beni-Adel
et des Rir'a; ]e second tait Aziz, intelligent, homme d'intri-
gues, jouisseur et dbauch; il tait cad des Amoucha dans
l'annexe de Takitount et chevalier de la Lgion d'honneur.
Chikh-el-Haddad agissait sur ses khouans au moyen de ses
mokoddems qui taient rpandus dans les tribus et qui levisitaient frquemment. Les mokoddems taient chargs de
(1) Voir, dans la Revue africaine de 1899,l'lude intitule: Notes et documentssur l'insurrection de1886-1857dela GrandeKabylie, parl'auteur.
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34 L'INSURRECTION
recruter les nophytes, de les catchiser, de leur donner
l'ourad (initiation); ils prsidaient des runions priodiques(hadera) dans lesquelles ils leur communiquaient les instruc-tions du chikh/ leur rappelaient les devoirs que leur imposaitleur titre de khouan et o on priait en commun. Les khouansdevaient une obissance aveugle leur chikh; ils devaient treentre ses mains comme le cadavre entre lesmains du laveur desmorts qui le tourne et le retourne son gr. Les khouans fai-saient des plerinages frquents Seddouk pour yporter leursoffrandes et pour tre admis voir ou entendre leur chikh
vnr; ils y taient conduits par leurs mokoddems.
L'ordre des Rahmania avait fait, sous la direction de Chikh-
el-Haddad, des progrs extraordinaires; tout le monde vou-
lait en tre, les femmes elles-mmes taient admises et elles
se distinguaient par leur ferveur. Les mokoddems cherchaient
particulirement amener eux nos chefs indignes et les
agents du makhezen. Les Kabyles trouvaient dans les prati-ques qu'on leur imposait, et qui leur valaient des indulgenceset des immunits particulires (1), un moyen commode de
gagner le paradis. Ce qu'on leur demandait surtout, c'tait de
faire abngation de leur volont. Ils voyaient aussi, en s'affi-
liant cette franc-maonnerie, un moyen de se crer des
appuis parmi leurs frres influents, et puis ils taient fiers
d'tre autre chose que leurs-cotributes
et ils se sentaient deve-
nir comme de petits marabouts.
Il y avait en 1870, dans la subdivision de Dellys, 73 mo-
koddems ainsi rpartis : cercle de Dellys, 11; cercle de Tizi-
Ouzou, 24; cercle de Fort-Napolon, 29; cercle de Dra-el-
Mizan, 9. (Il devait y en avoir un plus grand nombre dans le
cercle de Dra-el-Mizan, je donne le chiffre des rapports offi-
ciels. )
Quant au chiffre des khouans, il serait bien difficile de ledonner mme approximativement ; ce qu'il ya de bien certain,
c'est qu'il tait considrable.
(1)Voir MaraboutsetKhouans,du commandantRinn,p.468.
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DELA GRANDEKABYLIE 35
Chikh-el-Haddad avait-il seulement en vue, comme il l'a
prtendu, les intrts de la
religion ? Il est
permis d'en
douter;mais qu'il ait eu le dessein prmdit de prparer une insur-
rection pour nous chasser du pays, cela n'est pas probable.Il cherchait la puissance que donnent un grand nombre de
fidles soumis sa volont et les richesses que ces fidles lui
apportaient, sauf en faire, un moment donn, suivant les
circonstances, l'usage qui lui conviendrait.
Le dveloppement que prenait de jour en jour l'association
des Rahmania n'tait pas sans inquiter l'autorit franaise,mais la difficult tait de savoir ce qu'il convenait de faire
pour enrayer ce mouvement religieux. Employer la perscu-
tion, interdire les runions de khouans, les plerinages Sed-
douk, n'et pas conduit de grands rsultats : les khouans
auraient continu secrtement ce qu'ils faisaient ouvertement
et la seule diffrence et t que nous n'aurions plus connu ni
les affilis ni leurs chefs. On crut avoir trouv, sinon une solu-
tion complte, du moins un palliatif en mettant Chikh-el-
Haddad sous la dpendance d'un grand chef indigne en posi-tion de contrebalancer son influence religieuse, qui ne se
laisserait pas lui-mme dominer par le chikh et qui surveil-
lerait ses menes d'un il attentif. On choisit pour cela le
chef de la zaoua vnre de Chellata, Si-Mohamed-Sad-ben-
Ali-Cherif, cad des Beni-Adel, et le marchal de Mac-Mahon,
gouverneur gnral, le nomma bach-agha de Chellata pardcision du 24 dcembre 1869.
Son commandement, qui releva du cercle de Bougie, com-
prenait les Beni-Adel du cercle de Stif, les Ouzellaguen,
Beni-Our'lis-Imzalen,Mcisna dtachs du cadat des Oulad-Abd-
el-Djebar de Bougie, et les Beni-Our'lis-Aameur, du mme
cercle. On lui donna un traitement annuel de 12.000 francs,
qui devait le ddommager des pertes qu'avait subies sa
zaoua par suite de la rivalit religieuse de Chikh-el-Haddad.Son fils, Si-Mohamed-Chrif, le remplaa comme cad des
Beni-Adel et des Illoula-Aameur.La nomination comme bach-agha de Si-ben-Ali-Chrif fut
vue de trs mauvais il par Chikh-el-Haddad et par son fils
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Aziz, qui avait ambitionn pour lui-mme un grand comman-dement et n'avait
pu l'obtenir; Aziz ne tarda pas donner, pardpit, sa dmission de cad des Amoucha.Le choix du gouverneur gnral tait-il bon? La personna-
lit de Si-ben-Ali-Chrif a t trs discute et j'ai t amen tudier minutieusement les actes de ce chef indigne, afin de
pouvoir mettre, en connaissance de cause, un jugement surson compte; j'ai consign mes recherches dans une notice
qu'on trouvera aux annexes. Voici quelles conclusions je
suis arriv :Si-Mohamed-Sad-ben-Ali-Chrif tait un homme d'une
intelligence suprieure, instruit, de manires distingues;insinuant et sduisant avec les grands qu'il voulait gagner, il
tait hautain et brusque avec les petits, car il avait un immense
orgueil. Il avait une grande facilit de parole, mme en fran-
ais. Plusieurs sjours en France lui avaient fait comprendre
la supriorit de notre civilisation et il en avait mme adoptcertains raffinements dans son train de vie; il se plaisait
davantage sa campagne de Koubba, prs d'Alger, qu' sa
zaoua. 11s'tait fait une ide juste de notre puissance et avait
saisi les rouages de notre administration; il tenait parfaite-ment sa place au conseil gnral de Constantine dont il tait
membre.
Seulement, il tait loin d'avoir l'immense influence reli-
gieuse qu'on lui attribuait et il n'avait pas les qualits de com-
mandement qu'on doit demander un chef indigne.
Son rve et t de jouer vis--vis de nous le rle que
jouaient avec le gouvernement turc les marabouts influents de
la Kabylie. Ces marabouts servaient d'intermdiaires bn-
voles aux Turcs lorsque ceux-ci avaient quelque chose obte-
nir des tribus kabyles, aussi taient-ils traits avec de grands
gards; ils n'taient soumis aucune autorit et, en changede leurs services, ils taient exempts d'impts eux et les leurs,
on leur faisait des cadeaux et on coutait avec faveur les gens
qu'ils recommandaient.
Si-ben-Ali-Chrif et voulu n'avoir affaire qu' l'autorit
suprieure et n'tre pas trait par elle en subordonn; on lui
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DE LAGRANDEKABYLIE 37
aurait demand ses bons offices lorsqu'on aurait eu besoin de
lui, mais sans avoir le mauvais got de lui donner des ordres.
N'ayant pas de commandement, il n'aurait eu aucune respon-
sabilit et il n'aurait eu rendre compte de ses actes per-sonne. Il a toujours tendu arriver cet idal; malheureu-
sement pour lui cette situation ct, quasi-indpendante,n'tait pas admissible :il lui fallait ou tre subordonn un
chef indigne ou accepter lui-mme un commandement.
Il tait venu nous en 1847, au moment de l'expdition du
marchal Bugeaud dans l'oued Sahel; on avait voulu luidonner un grand commandement qu'il n'avait pas accept,mais il s'tait laiss nommer cad des Beni-Adel, sauf ne pasen exercer srieusement les fonctions, uniquement afin d'-
viter qu'on n'en nommt un autre sa place. Quand on a
voulu l'employer comme chef indigne, on n'en a jamaisobtenu un service rel; si son influence religieuse tait grande,il ne l'a jamais montr par des rsultats tangibles. Beaucoupde lettres, beaucoup de paroles, mais des actes point. C'tait
la mouche du coche.
Cequi lui convenait bien, c'tait, quand une de nos colonnes
avait battu les Kabyles, de se donner comme intermdiaire
entre le commandant de la colonne et ces derniers; il s'assu-
rait ainsi un rle influent sans avoir eu faire d'efforts per-sonnels.
Nomm bach-agha de Chellata pour combattre l'influencede Chikh-el-Haddad, il et bien volontiers ananti ce Kabylede basse extraction qui jouait au pontife ct de lui, le vraichef religieux du pays par droit de naissance, qui lui enlevait
ses serviteurs religieux en tarissant les revenus de sa zaoua,et dont l'influence, il ne pouvait se le dissimuler, clipsait la
sienne; mais ses rancunes furent impuissantes et Chikh-el-Haddad continua tendre de plus en plus le rseau de ses
khouans qui enveloppait une grande partie des provinces deConstantine et d'Alger.
En 1870, avant la dclaration de guerre la Prusse, unaventurier tranger avait essay, mais sans succs, de jouer
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Je rle de chrif; les agitateurs de cette sorte avaient foisonnautrefois en Kabylie, mais, depuis la soumission gnrale de
1857, on n'en avait plus entendu parler.Donc, au mois d'avril de ladite anne, un personnage qui
se faisait appeler El-Hadj-Mohamed-ben-Abd-es-Slam, aprsavoir travers pdestrement en chtif quipage les cerclesde Dra-el-Mizan, Fort-Napolon et Tizi-Ouzou demandant
l'hospitalit sur sa route, s 'arrta dans le cercle de Bougie,chez un marabout nomm Si-Ahmed-ou-Yahia de Tazrout,
tribu de l'Oued-el-Hammam. Ce dernier tait un homme d'in-trigues et de dsordre qui avait dj t emprisonn Bougie
pour ses agissements ; il avait ensuite sjourn Tunis et il
en tait revenu depuis deux ou trois ans. El-Hadj-Mohamed-ben-Abd-es-Slam et Si-Ahmed-ou-Yahia taient tous deux-mokoddems de l'ordre religieux des Chadelia qui a de grandesaffinits avec celui des Rahmania.
Sous le patronage
de son ami, le nouveau venu, qui
se don- -
nait comme originaire de Fez et comme ayant achev ses tudes
Tunis, se mit faire de lapropagande chez lesKabyles. Il disait
que son intention tait de fonder, dans leur pays, un tablisse-
ment religieux destin rpandre l'instruction et ramener
les populations aux pratiques du culte qui lui paraissaienttombes en dsutude.f Il obtint le concours de quelques chefs indignes et en parti-
culier de l'amin el oumena de l'Oued-el-Hammam. Il affiliaitles Kabyles l'ordre des Chadelia et, accompagn de ses dis-
ciples, il allait de village en village, recrutant de nouveaux
adhrents et se faisant donner l'hospitalit. Personne n'osait
rien refuser un aussi saint personnage qui n'hsitait
d'ailleurs pas btonner vigoureusement ceux qui ne lui
tmoignaient pas une dfrence suffisante ; comme il parlaitau nom de la
religion, on se laissait faire sans se
plaindrezQuand son influence se fut un peu assise, il songea faire
construire son tablissement religieux et les tribus laissrent
d'un commun accord sa disposition une terre appele blad
At-Aouana, qui parat provenir du domaine des anciens sul-
tans de Koukou et du Tamgout et qui, aprs la disparition
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de la dynastie des Oulad-el-Kadi, devint une proie que se
disputrent les tribus voisines et qui fut l'objet de bien des
rivalits et de bien des combats (1).Toutes les tribus voisines des cercles de Bougie et de Tizi-
Ouzou lui fournirent des travailleurs volontaires et on vit
s'lever rapidement deux grandes maisons en pierre d'une
superficie d'environ 40 mtres carrs chacune, avec une
grande cour au fond de laquelle on avait bti une maison
d'habitation l'usage personnel du marabout. Celui-ci rece-
vait dj de nombreux adhrents des cercles de Bougie, Tizi-
Ouzou, Fort-Napolon et Dellys; il dressait des listes des
hommes qu'il admettait comme khouans des Chadelia.
Les visiteurs, en rentrant dans leurs tribus, se laissaient
aller leur imagination et racontaient les miracles que le
marabout avait faits devant eux: en frappant dans ses mains,il s'y dessinait une montre indiquant l'heure, il transformait
des morceaux de papier en pices d'argent. Ses pouces,
disaient-ils, avaient une coude de longueur (le personnageavait en effet les mains trs longues) et il tait dou d'une
force musculaire merveilleuse. Ces contes excitaient la curio-
sit et les visiteurs affluaient de plus en plus.L'autorit franaise fut informe de ces manuvres par une
lettre de l'amin el oumena du Beni-Hassan de Tizi-Ouzou,
Saadi-ou-Boudjema, adresse au gnral commandant la
division.
Le lieutenant d'artillerie Bernardin, adjoint stagiaire aubureau arabe de Tizi-Ouzou, fut envoy sur les lieux pourfaire une enqute et il en rapporta que l'tranger ne s'occupait
que de religion et qu'il n'avait essay aucune mene poli-
tique.Le gouverneur gnral, sur les rapports qui lui furent
adresss, comprit qu'il y avait l autre chose que de la religion
pure et, comme le
personnage se donnait comme
originaire
(1)C'est dans des conditions analogues queles famillesde marabouts d'ori-ginearabequ'ontrouve sur tous les points delaKabyliesesont tablies dansle pays, particulirement l'poqueodes missionnaires arabesontentreprisde convertir au mahomtisme lespopulations kabyles quitaient chrtiennes.
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de Fez, il donna l'ordre de le rapatrier sur Tanger. Cet ordrefut excut sans rsistance
par les soins du commandant
sup-rieur de Bougie et les constructions leves aux At-Aouanafurent rases.
Pendant plusieurs mois il ne fut plus question d'El-Hadj-Mohamed-ben-Abd-es-Slam ; mais, la fin de septembre 1870,on apprit qu'il avait reparu dans l'Oued-el-Hammam. Il tait
revenu de Tanger par Sidi-bel-Abbs, avait fait un court sjour Mda, tait pass par Tizi-Ouzou et les Beni-R'obri et tait
arriv chez Si-Ahmed-ou-Yahia de Tazrout.Dans l'intervalle, les vnements avaient march, la guerre
avait t dclare la Prusse, la plus grande partie des
troupes d'occupation de l'Algrie avaient tembarques, nos
armes avaient prouv leurs premires dfaites, l'Empereuravait t fait prisonnier et la Rpublique avait t proclame.Aussi, cette fois, El-Hadj-Mohamed-ben-Abd-es-Slam agit-il
ouvertement en vue de la
guerre sainte. Il avait conserv laliste de ses adhrents dans les tribus de Bougie et de la subdi-
vision de Dellys et il leur adressa une circulaire dont un exem-
plaire a t saisi et envoy l'autorit suprieure. En voici la
traduction :
Louange Dieu unique, c'est de lui que nous implorons lesecours.
A la totalit des marabouts de la zaoua (1) et tous les frres
auxquels nous avons confr Pourad. Puisse Dieu vous conduiredans la bonne voie et amliorer votre situation! Que le salut, lamisricorde et la bndiction de Dieu soient sur vous et qu'il vousaccorde ses grces!
Vous avez appris mon retour dans cette contre que j'habitaisantrieurement ce jour. Vous n'ignorez pas non plus mes inten-
tions, le but que je me propose et la sincrit de mes sentiments
l'gard de tous ceux qui m'ont connu. Mon dsir est de faire votresalut en dclarant la guerre sainte aux ennemis de Dieu et de son
prophte et d'teindre le feu des troubles qui surgissent l'occasionde la nouvelle anne (2), troubles qui engendrent la famine et lamisre et que nous suscitent les ennemis de Dieu parce qu'ils ne
(1)Cette lettre tait adresse Sid Sad-ben-Es-Sad.(2)Allusionauxlections quiavaientlieu lafin dechaqueanne.
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veulent point nous laisser jouir de la paix et de la tranquillit.Maintenant
je reviens ici, car le moment est venu o les ennemis de
Dieu vont quitter le sol algrien et ce fait est annonc par des pr-dictions.
J'abrge : que celui qui a du courage, ne ft-ce que gros commeune graine de moutarde, vienne me trouver ici avec ses armes; jelui donnerai 50 francs de solde, Dieu le rcompensera aussi endernier lieu. Nous nous concerterons pour savoir de quel ct nouscommencerons nos attaques. Prenez garde de manquer de venirvers moi. N'ayez aucune crainte des ennemis de Dieu: ils sont
impuissants, dcourags et sur lepoint d'tre anantis par la guerre
qu'ils soutiennent actuellement. Il est donc prfrable de venir moi que de s'abstenir. Je me suis lev pour la guerre sainte. Il estdit dans le Coran: Les combattants pour la guerre sainte aurontune grande rcompense deDieu. Je dsire que vous m'aidiez parceque vous tes dela contre et le prophte a dit : Fais-toi aider parles gens du pays. Dieu, par sa force et sa puissance, nous con-duira dans le sentier du bien.
crit par ordre de Si-el-Hadj-Mohamed-ben-Abd-es-Slam, queDieu le protge, l'aide dans son entreprise et lui fasse atteindre le
but de ses dsirs! C'est tout ce que j'ai vous apprendre et cela suf-fit. Salut au lecteur et aux auditeurs. Le 29 djoumad tani 1287
(25 septembre 1870).
A cette poque, la Kabylie ne dsirait encore que la paix ;aussi bien peu de khouans rpondirent l'appel du chrif; il lui
arriva seulement une cinquantaine d'individus en armes des
Beni-Djennad, Beni-R'obri et Beni-Fraoucen du cercle de
Tizi-Ouzou et de la tribu de l'Oued-el-Hammam de Bougie.On parlait dj des razias qui allaient tre excutes, mais les
partisans du chrif, se voyant trop peu nombreux, se disper-srent.
Le 25 septembre, l'amin el oumena de l'Oued-el-Hammam,
qui avait autrefois patronn l'aventurier, craignant d'tre
rendu responsable des dsordres qui pourraient survenir,
s'tait mis en route pour prvenir le commandant suprieurde Bougie. Le faux chrif, inform de cette dmarche, alla s'em-
busquer sur le chemin de l'amin el oumena dans l'intention
de le tuer; mais, lorsqu'il voulut lui tirer un coup de pistolet,son arme rata,et il prit la fuite.
Des officiers des bureaux arabes de Bougie, Tizi-Ouzou,
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Fort-Napolon et Dellys se portrent sur la limite de leurscercles respectifs, pour concourir l'arrestation de l'agitateur.Le 26 septembre, le goum de Bougie tomba subitement sur le
village de Tazrout, mais le faux chrif tait sur ses gardes; ilse cacha d'abord dans la fort des Beni-R'obri et il parvint
djouer toutes les recherches, quitter le pays et gagner le
cercle de Mda. L, il recommena ses menes et recruta des
khouans dans les smalas de spahis de Berrouaguia et deMoud-
jebeur, ainsi que dans les tribus des Oulad-Ded et des Rir'a de
Mda et dans le cercle d'Aumale. Il se donnait maintenant lenom d'El-Hadj-Mohamed-ben-Abd-el-Malek.
Les autorits militaires de Mda avaient connaissance de
ces manuvres; la difficult tait de s'emparer de l'agitateursans faire un dploiement de forces qui aurait pu conduire
plus loin qu'on n'et voulu. Le capitaine Goyne, chef du
bureau arabe de Mda, dcida le cad des cads des Abid,
Djilali-ben-el-hadj-Miloud, chef
indigne trs dvou, tendre
un pige au faux chrif pour s'en rendre matre par surprise.Ce chef indigne crivit a l'aventurier en lui faisant enten-
dre qu'il avait l'intention de se rallier lui et lui demanda un
rendez-vous; la rencontre eut lieu le 13 fvrier 1871, prs de
Berrouaguia, dans la fort de l'Oued-el-Hammam. Le chrif
annona au cad qu'il allait commencer la guerre sainte, qu'ilavait dj de nombreux adhrents, et il lui demanda de rallier
sa cause ses amis et en particulier les Oulad-Mokhtar-R'erabadu cercle de Boghar; il lui demanda en outre de lui fournir
un cheval, un cachet, un drapeau et de mettre sa dispo-sition quelques cavaliers l'aide desquels il s'empareraitdes chevaux de la zmala de spahis de Berrouaguia. Le cad
promit tout et, avec l'assentiment du gnral commandant
la subdivision de Mda, il fit' fabriquer un cachet et un dra-
peau et il donna rendez-vous au chrif dans la maison de sonoukil El-Hadj-Mohamed-ben-Kaddour pour la nuit du 22 au
23 fvrier; il s'tait assur du concours d'une douzaine de
khamms en armes qui devaient se cacher dans un ravin *
prs de la maison.
Le chrif arriva au rendez-vous avec trois individus arms
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de pistolets. Sous prtexte de les faire mettre leur aise pourla difa
qu'on allait servir, le cad les dbarrassa de leurs
armes; puis, un signal donn, Djilali et ses serviteurs se pr-
cipitrent sur leurs htes et les ligotrent solidement. Le len-
demain le cad livra ses prisonniers au capitaine Coyne.Le faux chrif fut alors reconn