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L'HYPOFIRME, VIVIER ET CREUSET DE L'INNOVATION HYPERMODERNE Michel Marchesnay De Boeck Supérieur | Innovations 2008/1 - n° 27 pages 147 à 161 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2008-1-page-147.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Marchesnay Michel, « L'hypofirme, vivier et creuset de l'innovation hypermoderne », Innovations, 2008/1 n° 27, p. 147-161. DOI : 10.3917/inno.027.0147 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 02h59. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 02h59. © De Boeck Supérieur

L'hypofirme, vivier et creuset de l'innovation hypermoderne

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L'HYPOFIRME, VIVIER ET CREUSET DE L'INNOVATIONHYPERMODERNE Michel Marchesnay De Boeck Supérieur | Innovations 2008/1 - n° 27pages 147 à 161

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2008-1-page-147.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Marchesnay Michel, « L'hypofirme, vivier et creuset de l'innovation hypermoderne »,

Innovations, 2008/1 n° 27, p. 147-161. DOI : 10.3917/inno.027.0147

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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L’HYPOFIRME, VIVIERET CREUSET DE L’INNOVATION

HYPERMODERNE

Michel MARCHESNAY

ERFI, ISEM. Université de [email protected]

INTRODUCTION

Cette contribution repose d’abord sur un constat : les grands groupes mon-diaux, qui avaient assis leur puissance sur un système de « technoscience »privilégiant une innovation planifiée, managée, sont en crise. Emerge unenouvelle société, dans laquelle le salariat n’apparaît plus comme la formedominante. Le primat de l’initiative individuelle, liée à la nouvelle moder-nité (hypermodernité) interpelle des couches croissantes de population,notamment les nouvelles générations de nos étudiants (y compris à leurcorps défendant). Il en découle une conception renouvelée de la notion d’inno-vation, fort éloignée de ce qui est couramment enseigné dans la « doxa mana-gériale ».

Notre article abordera d’abord les diverses notions de modernité (protoet post modernités), afin de mieux comprendre en quoi les valeurs émergen-tes, constitutives d’une soi-disant « hyper modernité », appellent une repré-sentation et une présentation renouvelées du concept et de la pratique del’innovation. Il présentera ensuite les diverses facettes de l’hypermodernité,en montrant que, à l’opposé de la post modernité, centrée sur la croissancede l’hyperfirme au travers d’innovations incrémentales, elle implique ledéveloppement d’hypofirmes, centrées sur la recherche de la petite taille etde l’innovation radicale, soit une stratégie de singularité fondée sur l’idiosyn-crasie du couple-ressources compétences, fruit de la mise en pratique decapacités entrepreneuriales.

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L’INNOVATION PROTO MODERNE : LE RÈGNE DE L’« INGÉNIEUX »

La première vague débute dans le dernier quart du dix-huitième siècle. Aulong du dix-neuvième siècle, s’instaure un capitalisme proto industriel,caractéristique de ce que nous conviendrons d’appeler la « proto modernité ».L’innovation est alors, comme l’ont observé les historiens, le fait de jeunes gens« ingénieux », issus des couches sociales modestes que l’on qualifierait de nosjours de « moyennes- dominées » : artisans, contremaîtres, fermiers, petitsnégociants, etc. Ils mettent au point, améliorent, inventent, « s’inspirent »(aux limites de la copie, notamment de l’Angleterre vers le continent) desprocédés, dont l’objectif est d’augmenter la productivité mécanique au tra-vers de machines plus performantes. Ainsi, Jean-Félix Bapterosses, fils decontre-maître, ingénieux de nature (il dépose son premier brevet à vingt ans)invente, vers 1840, à l’issue d’un stage en Angleterre, une machine capablede produire cinq cents boutons d’un coup (ruinant les artisans, qui fabriquaientjusque là les boutons à l’unité) (Marchesnay, 2006).

S’instaure la manufacture (ou « machinofacture » plus précisément),telle qu’elle a été popularisée dans le Capital, et telle qu’elle sera modéliséepar Marshall, fort (trop) tard dans le siècle (1883), sous le nom de « firmereprésentative ». L’idée essentielle était que, compte-tenu du « catalogue destechniques » existant, il existe une taille optimale, décourageant la tailleexcessive, en statique du moins (le catalogue étant susceptible d’évoluer enlongue période). Bapterosses s’installe en 1850 à Briare (Loiret). Sa manu-facture va bientôt s’étendre sur l’ensemble de la ville et de ses alentours, avecson école, son hôpital, son hospice… et son église. Elle emploiera, directe-ment ou en « putting out », plusieurs milliers de personnes, principalementdans la production de boutons et de perles, l’apogée se situant en 1885, datede la mort du fondateur, lequel n’aura de cesse de déposer systématiquementdes brevets destinés à améliorer son invention initiale. L’entreprise ne dispa-raîtra qu’en 1960.

L’INNOVATION POST MODERNE : LE RÈGNE DE L’INGÉNIEUR-MANAGEUR

Dès les années 1880, le développement des grandes firmes industrielles remeten cause cette vision de l’entreprise et de l’innovation. Au sein des trustsaméricains et des cartels allemands, l’innovation est désormais confiée à desorganisations bureaucratiques, à des laboratoires de recherche, en liaison avecdes Universités, auxquels on assigne la tâche de découvrir de nouveaux pro-cédés et process, certes, mais avant tout pour déboucher sur de nouveaux

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produits « marketables », commercialisables. Ce système de techno-scienceaccorde un rôle décisif à l’ingénieur, dont Thorstein Veblen avait prophétiséle règne, notamment dans un ouvrage de 1910. Cela signifie que l’innova-tion est désormais systématiquement programmée, au travers de procédurespréétablies. La filière – découverte, invention, innovation, développement,commercialisation – est désormais inversée, pour reprendre l’expressionpopularisée par Galbraith (Marchesnay, 2006).

Conformément au modèle fordiste, l’innovation est donc conduite enfonction de besoins supposés ou planifiés du marché. En conséquence, lanotion d’innovation s’intègre dans ce que nous appellerons la doxa managé-riale. La firme coasienne apparaît comme un « îlot de coordination cons-ciente dans un océan de coordination inconsciente », bénéficiant de lamaîtrise de son organisation par les managers. Il en découle logiquement leremplacement de la théorie de la firme représentative, marshallienne, guidéepar les seules impulsions du marché, sous réserve d’innovations « tombées duciel », par l’hyper firme découlant des divers courants (béhavioristes, mana-gériaux) de la théorie post moderne de la firme, laquelle est désormais sur-tout représentative d’elle-même (sauf hypothèse d’ isomorphisme des firmesindividuelles au sein de l’industrie d’accueil, du à de faibles barrières à l’entrée,ou au recours aux préceptes « universels » de la « doxa managériale »).

L’une des conséquences logiques du modèle d’hyper firme est l’inéluctabi-lité de la croissance, parfaitement représentée à nos yeux par le modèle decroissance d’Ansoff, complété par le cycle de vie sous-jacent à la grille BCG.Dans ces conditions, l’hyper firme managériale est condamnée à « innover ».Au plan de l’optimum collectif, donc politique, la concurrence est en désor-mais garantie par l’innovativité incessante des hyper firmes, celle-ci étantobtenue au travers de divers processus de croissance (interne, externe, con-jointe, contractuelle). La fonction « entrepreneuriale » d’innovation est dévo-lue, nous rappelle Schumpeter, à des managers responsables d’organisationsplanifiées. On peut alors se demander si le terme d’« innovation planifiée »n’est pas un oxymore, si l’accolement de ces deux termes n’est pas contradic-toire, pour les raisons suivantes : la créativité est le fait d’individus, seuls ouen petit groupe, car elle résulte d’un processus cognitif, fait d’apprentissages,d’essais et d’erreurs ; la découverte est souvent aléatoire, en ce sens que lesrésultats, même finalisés, présentent un grand degré d’imprévisibilité ; cesrésultats ne débouchent pas a priori sur des produits, des procédés ou des pro-cess exploitables et rentables. Ainsi, leprocessus systématique ou « fatal »d’élimination des innovations non exploitables ou non rentables expliqueen majeure partie le soi-disant « effet d’échelle », puisque ne sont repérésstatistiquement que les produits ayant réussi.

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En conséquence, la priorité est donnée à des « innovations » incrémen-tales, venant se greffer sur des procédés connus (brevetés), des processusexistants (mis en procédures), des besoins bien ciblés. Il est ainsi bien connuque, sur les deux cents inventions considérées comme « majeures » au ving-tième siècle, seules quelques unes ont été le fait des hyper firmes (et parfoisavec réticences). La plupart des inventions ont été le fait d’individus, ou depetites organisations, ayant conduit les inventeurs à monter leur propreaffaire ; il est également remarquable d’observer qu’un certain nombre d’entreelles ont été le fait du hasard, voire d’erreurs (aspirateur, ascenseur), et que,de façon générale, elles ont rencontré le scepticisme – les anecdotes à cesujet sont innombrables ! L’exemple mythique est celui du post-it.

LA CRISE DE L’INNOVATION POST MODERNE : LES EXCÈS DE L’ULTRA MANAGEMENTLa plupart des produits manufacturés représentatifs de la Société fordiste deconsommation reposent sur des découvertes faites dans le dernier quart dudix-neuvième siècle, voire avant (comme la photo argentique, la pile électri-que). Il est donc logique qu’ils connaissent le déclin que l’on sait dans lespays arrivés au stade post industriel, dont témoigne par exemple la crise del’industrie automobile américaine. La concentration mondiale des hyperfir-mes aboutit à des hyper groupes congloméraux, mus par une logique de ges-tion de portefeuille financier, axée sur la rentabilité, à l’opposé de la logiquemanagériale, fondée sur une logique de gestion industrielle, jouant des syner-gies techniques et commerciales et des effets d’échelle.

La capacité d’innovation dans ces industries post modernes, de deuxièmegénération industrielle, est en conséquence limitée, car le socle technologi-que et commercial s’épuise. Aussi, les stratégies dites d’« innovation »s’apparentent à un cautère sur une jambe de bois, et ne sauraient enrayer queprovisoirement l’inéluctable déclin de ces industries, du moins dans les paysentrés dans l’hyper modernité. Rappelons ces stratagèmes : multiplication depseudo innovations, impliquant un coût de communication extrêmementélevé, telles que les rasoirs à quatre (et bientôt cinq !) lames, les chaussuresde jogging « électroniques », etc. ; multiplication des micro-innovations,soit que le produit est destiné à des clientèles de plus en plus ciblées et étroi-tes, soit que les « innovations » découlent de procédés ou de produits exis-tants, par « customisation » (cas de l’outwear) ; raccourcissement des duréesde vie, obsolescence, voire usure « programmées » (y compris dans le marchéde l’édition…) ; dématérialisation de l’« utilité perçue » du produit, au tra-vers des « dépenses de persuasion », pour reprendre l’expression de VancePackard, aboutissant à une valeur démesurée accordée à la marque par rap-port à une réelle inventivité.

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Toutefois, le degré d’innovation est insuffisant pour compenser le déclinrelatif de la consommation, désormais supplantée par les besoins nés del’hyper modernité. En conséquence, le maintien d’un taux de profit « normal »(aux yeux des financiers) est obtenu par d’autres stratagèmes : délocalisation,bas salaires (« wallmartisation » et « poor workers »), concentration, réimplan-tation dans les pays s’ouvrant à la post modernité, etc.

LE PASSAGE À LA NOUVELLE MODERNITÉ : UNE ÉCONOMIE DES SAVOIRS ET DE LA CONNAISSANCE

L’hyper modernité se dégage progressivement au cours du dernier quart duvingtième siècle. Comme les deux modernités qui l’ont précédée, elle ne« tombe pas du ciel », mais découle d’un sentiment d’insatisfaction, et surtoutde nouvelles aspirations liées autant à des valeurs montantes, voire mutantes,qu’à l’épuisement du modèle post moderne, salarial, fordiste, « consumeur »(à la fois consommateur et destructeur) de biens et services privés et collectifs(nature y compris). L’hyper modernité traduit des courants contraires, anta-gonistes, mais contribuant à la dialectique du changement social. Celui-ci estétayé par les innovations technologiques, induisant de nouveaux modes ettypes de consommation (individuelle et collective), constitutifs de nouveauxmarchés. Comme au début de chaque « révolution industrielle », on assistedonc à l’éclosion « classique » d’une myriade de petites entreprises « tentantleur chance » sur les marchés émergents, et contribuant de la sorte, par leurinnovativité, à stabiliser les procédés, process et produits. Cependant, lesdonnées du problème de l’innovation ont profondément changé.

Dans l’économie proto moderne, l’innovation se fonde sur la maîtriseingénieuse de nouveaux procédés (songeons à la machine à boutons). Dansl’économie post moderne, l’innovation importante se situe sur le produit etsur son développement (quitte à adapter le mode de production), autourd’une ingénierie commerciale, orientée par des directives et des procéduresmanagériales. Dans l’économie hyper moderne qui se dessine, la compé-tence-clé devient l’acquisition de connaissances et de savoirs « nomades »,exigeant flexibilité, adaptabilité et créativité. Les activités qui impulsent lenouveau capitalisme, qui créent de la valeur, selon l’expression consacrée, sesituent toujours davantage en aval des filières, qu’elles soient anciennes (ausein même des hyper firmes bien souvent, conformément au modèle de Por-ter de chaîne de valeur) ou qu’elles appartiennent à la « nouvelle économiedu savoir», pour reprendre l’expression de Drucker, structurant les « marchésde la connaissance ». Or, dans l’hyper firme managériale, fortement bureau-cratique, l’innovation est bridée par :

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– Une grande rigidité, une absence de flexibilité, liée à l’importance descoûts de structure, déjà dénoncés par John Maurice Clark dans l’Entre DeuxGuerres, sous le nom d’« overhead costs ». Ces « coûts de capacité » réduisentla possibilité d’abandonner rapidement une production obsolète : les dérivesultra managériales, de « charrettes » et de fermetures plus ou moins program-mées, se font à un coût social et d’image très élevés. Les innovations de rup-ture sont donc retardées.

– Une adaptabilité difficile, en sorte que les opérations de diversificationsont généralement engagées par rachat ou fusion, plutôt que par croissanceinterne. Or, on sait que la plupart des opérations de croissance externe, cen-sées dégager des « synergies », selon le modèle d’Ansoff, se révèlent avoir deseffets négatifs sur la performance, en sorte que l’effet visé est avant tout decapter une clientèle existante, plus que d’innover.

– Une créativité faible, qui s’oppose, lorsque l’innovation est radicale, réelle-ment novatrice, à l’encontre des productions existantes. Les exemples d’aveu-glement de l’équipe dirigeante d’hyperfirmes ou d’hypergroupes sont légion.

Cette triple exigence sera dès lors satisfaite au travers d’un tissu de petiteset toutes petites entreprises. Mais par rapport aux configurations historiquesantérieures, ces PE et TPE ne sont pas systématiquement en concurrence,dans un processus de « destruction créatrice », mais bien plutôt fonctionnentlargement en réseaux, donnant naissance à un nouveau modèle de firme, quenous avons qualifiée d’« hypo firme » en 1980.

L’AVENÈMENT DU « SMALL IS EFFICIENT » : DE L’INDIVIDU À L’ENTREPRISE HYPERMODERNES

Le vocable d’hyper modernité est récent. Apparu au début des années 1990,il traduit d’abord une insatisfaction profonde au regard de ce que l’on pour-rait appeler un « hystéro management », lié à l’essoufflement du capitalismepost moderne. Les thèmes dominants sont alors l’excès de stress, entraîné parle « culte de la performance », « les illusions du management », « le coût del’excellence ». On dénonce l’ « empire de l’éphémère », le rôle excessif de lamarque, du logo, dans la valeur assignée aux produits, l’individualisme et letribalisme, etc. Se dessine en l’occurrence un courant, au demeurant assezhétérogène, qui dénonce en fait davantage les excès de l’ultra managementde la post modernité, avec ses pseudo modèles sur le « choix de l’excellence »,le « savoir être », le « corporate entrepreneurship », etc., que l’avènementd’une nouvelle société, avec ses valeurs propres. Bref, l’entreprise serait« malade de sa gestion », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Gaulejac.

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Un courant (« alternatif », en quelque sorte) plus positif aborde la ques-tion de l’hyper modernité dans ses aspects « paradoxaux », pour reprendrel’expression de Gilles Lipovetsky (2006). Les nouvelles valeurs qui sous-ten-dent l’hyper modernité tendent à promouvoir une conception renouvelée del’innovation capitaliste, dans un système qui, au sortir de la Société salariale,surmontant l’imperium de la doxa managériale et l’omnipotence de l’hyperfirme, voire des méga organisations (administrations publiques et privées)bureaucratisées, privilégie les petites organisations individualisées, flexibles,adaptatives et créatives.

L’hyper modernité repose, en effet, sur une nouvelle conception de l’indi-vidualité. L’individu hyper moderne, affirmant son libre arbitre et sa facultéde juger, devrait s’affirmer pleinement, en sortant de la position béhavioristed’« homme de l’organisation », chère à la Société salariale, managériale.Mais, au-delà de l’emprise bureaucratique, l’individu réfute l’appartenancepérenne, l’engagement au sein de « tribus » (comme le suggérait Maffesoli,se référant à la post modernité). Nomade, il construit ses propres réseaux,pour soutenir sa propre « performativité », l’expression et la réalisation de sesaspirations, en choisissant librement ses « partenaires ». Son individualité(plutôt que son individualisme), son idiosyncrasie s’expriment au travers desa singularité, que manifeste le rôle des récits de vie.

Il est clair que cette nouvelle approche « morale et politique » (au sensdes Lumières) ne touche qu’une fraction, sinon marginale, du moins minori-taire, des générations montantes. Mais il s’agit d’un comportement qui tou-che les futures « élites », les couches les plus dynamiques de la Société.Ainsi, observe-t-on un désengagement, un désintérêt croissants à l’égard desinstitutions « formelles » liées à la post modernité, envisagée comme idéologiede la « démocratie » (partis, syndicats), du « progrès » (salariat, consomma-tion de biens manufacturés), de la « communauté » (Etat national, familletraditionnelle). Une des conséquences majeures sera la montée en puissancedu phénomène entrepreneurial, au sein de toutes petites entreprises, indivi-dualisées, nomades, en réseau.

L’HYPOFIRME, IDÉALTYPE DE L’HYPERMODERNITÉ ?

Le modèle d’hyperfirme part de la supposition selon laquelle la performancevisée par les managers (profit/part de marché) implique la maximisation dela taille et de la croissance. Le modèle d’hypofirme part de la suppositioninverse : la performance visée par l’entrepreneur implique la recherche de

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la taille la plus petite possible. Cette supposition était déjà vraisemblable(réaliste) dans les modernités précédentes, dès l’instant que le propriétaire-dirigeant (en y incluant la famille) entendait conserver la maîtrise du patri-moine. Mais elle s’est heurtée au fait que, dans nombre d’activités dominéespar les effets d’échelle « managériaux », la PME était condamnée à « croîtreou disparaître », quitte à devenir une « quasi-firme », intégrée dans le sys-tème de gestion de l’hyperfirme, par intégration juridique ou par dépendancestratégique. Dans l’hypermodernité, la recherche de la taille minimale devientla norme. Il convient maintenant d’en énumérer les raisons.

Au stade de complexité où est parvenu le système productif, les compé-tences, les connaissances, les savoirs, les besoins sont de plus en plus sophis-tiqués et « pointus ». En particulier, les innovations technologiques ontentraîné une variété et une spécialisation sans cesse croissantes dans les pro-duits, les procédés et les process, par exemple sur les matériaux nouveaux. Ilen résulte que les marchés sont de plus en plus étroits, ciblés, au point quel’on parle désormais de « nanomarchés », sur lesquels seuls quelques concur-rents (qui se connaissent parfaitement) oeuvrent à l’échelle mondiale. Cesentreprises ne comprennent le plus souvent que quelques salariés.

Ces activités, apparemment singulières, ne prennent leur sens qu’en sym-biose avec des activités technologiquement complémentaires, en sorte quese constitue un réseau au sein duquel les informations relatives aux innova-tions circulent, impliquant la mise en œuvre de processus adaptatifs forte-ment interactifs, venant se substituer aux procédures hiérarchisées desdonneurs d’ordre « classiques » des hyperfirmes. Ces réseaux sont éminem-ment évolutifs, au gré des innovations internes ou externes au réseau, lequelpeut se développer et se pérenniser sur des bases largement informelles.Cette complexité croissante du système productif hyper moderne impliqueun rôle prédominant de la prestation de services (de conception, de commu-nication, d’entretien, etc.), à côté de la transformation matérielle. Or, la « pro-duction de service » (« servuction ») se caractérise avant tout par deux faits :le demandeur participe au processus de façon interactive ; le processus se heurterapidement aux déséconomies d’échelle, de sorte que les « petits servucteurs »sont plus performants que les « gros ».

La limite est atteinte avec le free lance, spécialiste « pointu », dont l’espèceprolifère dans les différentes activités productives. Cette prolifération est enquelque sorte « encouragée » par la propension, dans la logique managériale,à externaliser les activités se prêtant mal à la normalisation bureaucratique.Inévitablement, un spécialiste pointu a toutes chances d’être sous-utilisé dansune seule méga organisation, en tant que cadre salarié ; de surcroît, il peutlégitimement penser que sa compétence est à la fois sous-employée et sous-

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rémunérée, ce qui devrait logiquement l’inciter à démissionner et à créer sapropre entreprise. Le cas est particulièrement net pour les chercheurs, puis-que le brevet appartient à l’entreprise. Aussi, nombre de start-up ont été lefait de cadres souhaitant sortir de leur condition, et tirer eux-mêmes profit deleurs propres compétences technologiques. Par ailleurs, comme on l’observedans l’industrie pharmaceutique, en « confiant » la recherche à de petitslaboratoires, quitte à assurer le développement du produit, on évite d’assu-mer les risques inhérents à l’innovation. Cependant, le développement deshypofirmes ne saurait se réduire aux seules « jeunes pousses » issues des nou-velles technologies, dans l’information et la communication, dans la généti-que, dans les matériaux nouveaux, etc. La vague de fond est en réalité plusimportante, plus profonde, et concerne toutes les activités du système pro-ductif.

A cela, correspond d’abord une explication « négative » : la sortie de lasociété salariale. La part des salaires dans le revenu national se réduisant,cette tendance signifie que la demande effective n’est plus portée par la classesalariale. Les hyper firmes managériales, de la seconde génération industrielle,se désengagent largement du territoire national, à la recherche de nouveauxdébouchés vers les pays accédant à la post modernité, ou de « gisements demain-d’œuvre » pour la transformation, en conservant (pour l’instant) lesactivités de conception et d’innovation.

Les « chassés » (a posteriori ou a priori) du système sont alors contraints detrouver un emploi dans des petites structures, ou de créer leur propre emploi.On observe ainsi un développement important de ce que nous appelleronsl’« entreprebeuriat », par des jeunes issus de l’immigration, avec des réussitesmédiatisées, ce qui n’est pas sans rappeler les entrepreneurs de la proto moder-nité. Cependant, les « chasseurs » constituent une population croissante descréateurs d’entreprises que l’on peut qualifier d’« innovantes », dans un sensque nous allons préciser. En effet, les valeurs nouvelles de l’hyper modernitétrouvent leur pleine expression dans la réalisation de projets personnels,dont la concrétisation la plus exemplaire est sans doute le fait de « se mettreà son compte » en créant sa « petite entreprise ». Celle-ci peut se situer danstous les secteurs d’activité – notamment dans le secteur artisanal, au seinduquel se développe rapidement un « nouvel artisanat », imposant uneréflexion renouvelée sur le secteur. Il est également clair que le projet ne setraduit pas nécessairement par la création officiellement enregistrée, de tellesorte que nombre de microfirmes relèvent du secteur informel – surtout sil’on y ajoute les activités « au noir », telles que les services aux particuliers(jardinage, bricolage, gardiennage, etc.) dont la demande explose.

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L’HYPOFIRME INNOVANTE, EN QUÊTE DE SINGULARITÉ

L’hyperfirme post moderne est avant tout en quête d’un pouvoir de marché, fac-teur de rentabilité à court terme, assis sur un management stratégique faible-ment innovant (au sens schumpétérien), puisqu’ axé sur :la captation de partsde marché (modèle PIMS), l’observation suiviste des « meilleurs » (« benchmar-king), l’absorption des plus faibles, quitte à accaparer leurs innovations, lavariété croissante, au travers de vagues de « micro-innovations », structuréesdans des organisations par projets, des coûts de différenciation et de promotionélevés, autour de la marque, le recentrage sur un « métier » maîtrisé (impli-quant l’évitement d’innovations technologiques radicales), l’élimination systé-matique d’activités (produits, quasi-firmes) non rentables à court terme, enparticulier dont le degré de nouveauté « excessif » est facteur de risques élevés.

L’hypofirme hypermoderne se conforme, assez paradoxalement à pre-mière vue, aux modèles les plus récents d’un « néo-management stratégique »,tels que l’approche fondée sur les ressources-compétences et de capacitésdynamiques (Marchesnay, 2003) Le paradoxe n’est qu’apparent, puisque cesmodèles sont inspirés largement de travaux hétérodoxes des années 60,notamment de Tilton-Penrose, qui insistaient sur les obstacles à la crois-sance des firmes. A l’opposé du manager post moderne, l’entrepreneur hypermoderne cherche à se distinguer par son inventivité, sa capacité d’innova-tion. De la sorte, il peut, au travers de ses ressources ou de ses compétencesdistinctives :

– soit obtenir un avantage concurrentiel par rapport à ses concurrentsles plus proches, qu’il s’exprime en termes de ressources-compétencesdistinctives (notamment sur les marchés exigeant une forte spécialisa-tion), ou en termes de « proxémie » (relations étroites avec les parte-naires du réseau, encastrement profond sur un territoire donné),

– soit, carrément, créer une aire concurrentielle nouvelle en propo-sant une activité, au sens T-P-M de la notion de « business », des modè-les de Ansoff et de Abell, qu’il s’agisse d’une technologie nouvelle, d’unproduit différent, d’un besoin jusqu’ici non détecté ou non satisfait.

La singularité exprime, en définitive, le comportement « vertueux », ausens de l’éthique aristotélicienne, dont il est symptomatique qu’on la redé-couvre et la médite de nos jours (sans doute davantage que les stoïciens). Lavertu est ici la recherche de l’excellence, par un effort constant, seul garantde sagesse et, finalement, d’accomplissement. En termes entrepreneuriaux,elle s’exprime par un processus permanent, constant, d’apprentissage, d’accu-mulation de savoirs (comme le diplômé post moderne), mais aussi d’expé-

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riences les plus diverses, que révèlent notamment les récits de vie, et quiconfèrent à chaque individu son irremplaçable unicité, sa singularité, sonidiosyncrasie. Ainsi, l’individu hyper moderne détient de façon latente, maisaussi déclarée en partie, des « ressources » qui lui appartiennent en propre.En fonction de ses aptitudes, de ses valeurs, de ses aspirations, il va être enmesure de les mobiliser pour en faire des compétences distinctives, « distinguan-tes », quitte à créer un « business » singulier, lequel, dans sa version extrême,peut conduire à l’absence de concurrents directs de façon permanente, pas-sant ainsi de la quasi-rente à la rente de singularité.

Il est clair cependant que cette situation est exceptionnelle, pratiquementhypothétique. Cependant, elle confirme le réalisme potentiel de conceptsthéoriques, comme la notion de ressource idiosyncrasique, pont- aux-ânes detout chercheur en RBV, à savoir : la rareté, l’unicité, la non imitabilité, lanon transférabilité, la pérennité, la compétitivité (valorisation potentielle).Il est tout aussi clair que la singularité exclue la croissance de l’affaire : larareté limite l’extension de la ressource, elle appartient en propre à un indi-vidu ou un petit groupe, elle est préservée par l’évitement de l’effet d’agence(formation de futurs concurrents) ou par la longueur et la singularité du pro-cessus d’apprentissage, sa pérennité est liée à sa limitation (il vaut mieuxaccroître les marges d’exploitation et les délais, que d’augmenter la produc-tion), la ressource rare, à ménager est le temps – d’autant que nombred’innovateurs hyper modernes ont une conscience aiguë de la relation tra-vail – loisirs. Il convient d’ajouter, pour contre balancer l’effet de rente desingularité, que nombre d’hyper modernes sont des nomades, qui ne souhai-tent pas se pérenniser dans un lieu ou une activité. Lorsque l’affaire devientflorissante, il semble qu’il se produise un « effet d’accomplissement », don-nant l’envie de passer à autre chose, l’expérience acquise contribuant audemeurant à rebondir sur une autre aventure singulière (parfois, pour ne pasdire souvent, dans un « business » radicalement différent).

Pour conclure, nous donnerons trois exemples d’entrepreneurs que nouspouvons qualifier d’hyper modernes, dont la singularité s’exprime à un degréplus ou moins élevé.

TROIS TYPES CARACTÉRISTIQES D’INNOVATION D’HYPOFIRMES HYPER MODERNES

Pour illustrer notre propos, nous nous appuierons sur trois cas, inspirésd’entreprises réelles ayant fait l’objet de l’intérêt des médias (presse régionaleet nationale, radios), et ayant obtenu divers prix (Anvar, prix de la TPE

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innovante, etc.). Deux d’entre elles ont « subi » nos conseils et observations,au sein de la Maison des Entreprises de Saint-André de Sangonis (Hérault).L’Hérault est à cet égard particulièrement intéressant, car il s’agit du dépar-tement où le taux de création de TPE est le plus élevé en France – le plussouvent, du fait d’« étrangers » à la région. On distinguera trois niveaux dedémarche innovante, en se conformant à la définition du domaine d’activité(« business ») en trois éléments : technologie (process, procédé), produit,marché. Chacune des trois entreprises est représentative de l’une des troisdémarches.

Le cas Libreur : l’innovation de procédé

Monsieur Libreur, cadre supérieur chez IBM, arrivé en bout de carrière, décideà 55 ans de « sauter le pas », et, dans une opération d’essaimage, crée sonentreprise sur le site de l’usine de Montpellier, qui connaît une restructurationdrastique. L’objectif est de développer des produits de mesure industrielle. Ilsaisit l’opportunité de racheter un bureau d’études toulousain ayant mis aupoint un enregistreur. Sa « capability » (fusion de ressources-compétences) varésider dans le développement commercial, d’abord par recrutement d’unsalarié, ensuite par une association avec deux distributeurs pour l’Europe.

Il obtient le prix France Info/Anvar , pour un appareil que l’entreprise estla seule au Monde à proposer (le Nanovacq). Il s’agit d’un tube qui, placé àl’intérieur du produit, en mesure les indicateurs de qualité (pression, humi-dité, température, etc.), vendu avec le logiciel et interface. Cet appareil estau départ destiné à l’industrie agro-alimentaire ; mais, rapidement, le mar-ché s’étend à diverses industries, y compris dans les process impliquant destempératures extrêmement élevées. L’entreprise entend développer les appli-cations innovantes vers d’autres industries (nucléaire, appareillage hospitalier,pharmacie, environnement, etc.) et d’autres continents. Monsieur Libreurentend surtout ne pas être dépendant d’une grosse entreprise, comme lors dudémarrage. Il compte rester à moins de dix salariés, et se développer au tra-vers d’associations, avec des distributeurs et des clients, afin de tester avecces derniers de nouveaux appareils, en fonction de leur propre process.

– Ce type d’entrepreneur évoque le type d’entrepreneur opportunistede Norman Smith : cadre supérieur désireux de développer un projetlonguement mûri. Mais on voit que l’âge ne fait rien à l’affaire (dansles deux autres cas, les créateurs sont plus jeunes).

– La capacité d’innovation de l’entrepreneur repose sur ses compéten-ces d’ingénieur ; mais elle se cumule avec sa capacité entrepreneuriale,laquelle implique de prendre appui sur des compétences commercialesque lui ne possède pas.

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– Le développement de l’entreprise n’implique pas –au contraire-l’accroissement en termes d’effectifs, mais plutôt l’élargissement cons-tant du réseau de partenaires, qu’il constitue en établissant des relationsde servuction, et en évitant des situations de dépendance.

– La stratégie singulière repose sur la constatation d’une situation danslaquelle aucune entreprise – du moins sur le marché européen – n’entreen concurrence.

Le cas Rassin : l’innovation de produit

Le couple Rassin, deux jeunes gens d’une trentaine d’années, titulaires d’unBTS, décident de s’installer, venant de la Loire, dans un endroit a priori fortinhospitalier, sur le Larzac : pas de route, pas d’électricité, pas d’adductiond’eau. Ils installent leur caravane près d’une source, laquelle constitue, auregard de leur projet entrepreneurial, une ressource idiosyncrasique parexcellence, car pure de toute pollution. Ils décident en effet d’élever despoissons devenus rares, selon des procédés écologiques. La truite Fario vafaire leur renommée : après une période difficile (réticences, sauf un, desbanquiers – trop risqué –, refus des restaurateurs locaux –trop cher-), le salutvient de l’appui de Michel Bras, célébrissime restaurateur de l’Aubrac, quivalide leur truite. Dès lors, les médias nationaux s’en mêlent (Le Monde 2, LeFigaro, etc.). Ils obtiennent divers prix de la TPE innovante.

Le couple diversifie sa clientèle, en constituant son propre réseau de restau-rateurs et de traiteurs hauts de gamme, en élargissant sa production aux écrevis-ses, à l’omble chevalier (pratiquement disparu dans les Alpes), en s’appuyantsur un réseau de distributeurs. Mais en aucun cas, il ne saurait être question degrandir, car les risques de pollution seraient trop importants. De sorte, que, poury accéder, il faut encore laisser sa voiture et faire un long chemin à pied…

– La capacité entrepreneuriale des deux « jeunes » repose sur la prisede risque, l’investissement personnel élevé, mais avant tout sur l’apti-tude à saisir une opportunité, que personne n’avait vue auparavant, sus-citant d’ailleurs le scepticisme propre à tout projet vraiment innovant.Ici, la ressource idiosyncrasique est « donnée » par Dame Nature. Maisil fallait la saisir.

– Ces deux entrepreneurs sont a priori isolés. Mais ils ont su se cons-tituer leur propre réseau, emportant la conviction par un enthou-siasme communicatif.

– Ils affichent (y compris dans les interviews dans la presse nationale)une « certaine hostilité » à l’égard des éleveurs industriels, managé-

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riaux, dont les produits sont particulièrement pollués (au point que lesfemelles doivent être détruites après la ponte). Conformément auxvaleurs hyper modernes, ils sont animés d’un grand souci moral, sans être« baba cools » ou « écolos bobos ».

Le cas Paraçon : l’innovation de marché

Monsieur Paraçon, après avoir connu une vie nomade, décide de s’installer,avec femme et enfants, dans l’arrière-pays de Montpellier. Ayant suivi auxEtats-Unis un enseignement universitaire (nous dirions en France : « profes-sionnalisé ») en sellerie, il décide de créer son affaire, en tant qu’artisan,mais en lui conférant une forte singularité. L’idée est en effet de proposer desselles « sur mesure » à des amateurs, en utilisant les outils, aujourd’hui dispa-rus en France, du dix-huitième siècle, comme on les voit dans l’Encyclopédie– ce qui suscite les sarcasmes des « ingénieurs » des Haras Nationaux. Trèsvite, son site Internet fait apparaître un marché nouveau, constitué de per-sonnes de tous pays, prêtes à débourser une forte somme pour avoir « leur »selle et le harnachement à leur mesure, mais désireuses également d’établirdes liens avec d’autres amateurs.

A marché nouveau, compétence fondée sur une ressource idiosyncrasique :l’expertise acquise au cours d’une vingtaine d’années d’ « apprentissage » d’unmétier artisanal où l’art et la créativité dominent. Mais, face à cet engouement,monsieur Paraçon adopte une stratégie à plusieurs entrées : d’abord, aug-menter les délais d’attente et augmenter les marges (ce qui accroît paradoxa-lement, la demande) ; ensuite, se recentrer sur la selle de western, afin deréduire encore le « nano marché », de maintenir une position singulière, enévitant de croître ; enfin, construire « son » réseau de clientèle, en offrantdivers services sur le site, y compris la formation à l’entretien et à la réparation.Bien entendu, monsieur Paraçon a obtenu divers prix de la TPE innovante

– L’entrepreneur est un « nomade » : le parcours de vie est doncappelé à devenir un élément essentiel d’identification et de singulari-sation des capacités entrepreneuriales – fort éloigné du CV managé-rial « classique » !

– La création répond à un besoin de stabilité (ce qui diffère de l’imagede l’« aventurier »), révélant un côté « notable » (besoin de reconnais-sance et d’affiliation sociale).

– La capacité entrepreneuriale a consisté ici à « voir » un marché nonexploité jusqu’ici, que l’entrepreneur va progressivement circonscrire,non pas en l’étendant (modèle managérial d’Ansoff), mais en le rédui-sant, afin d’occuper une position singulière et de densifier le réseaurelationnel.

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EN GUISE DE CONCLUSION

Nous ferons simplement deux observations. Face à cette « innovation dansl’innovation », les outils issus de la post modernité, axés sur une rationalitéinstrumentale, procédurale, hérités de la doxa managériale, sont non seule-ment inopérants, mais dissuasifs. Il semble d’ailleurs que les institutions con-cernées (banques, chambres consulaires, Maisons des Entreprises, Centres deGestion, etc.) aient pris conscience de l’inanité et de la perversité d’outilstels que le « business plan », la « démarche qualité », etc., adaptés à des entre-prises de taille supérieure, et, surtout, de l’« addiction à la croissance ».L’intérêt de ces entreprises est justement de ne pas croître !

Il importe donc de développer des recherches sur les TPE , en s’interro-geant sur l’impact des valeurs nouvelles transmises au travers des nouvellesgénérations, sachant à l’évidence que ces valeurs sont confuses, complexes,voire contradictoires – de telle sorte qu’elles apparaissent comme une sourceinépuisable d ‘innovations.

BIBLIOGRAPHIE

LIPOVETSKY, G. 2006, Le bonheur paradoxal – Essai sur la société d’hyperconsommation,Paris : Gallimard.

MARCHESNAY, M. 2006, « Galbraith : d’un institutionnalisme à l’autre ? », Innovations.Cahiers d’économie de l’innovation, n° 23, p. 31-48.

MARCHESNAY, M. 2003, Pour une approche entrepreneuriale de la dynamique ressources-compétences – essai de praxéologie, Paris : Editions de l’ADREG.

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