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HAL Id: halshs-00558373https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00558373
Submitted on 21 Jan 2011
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LES LOGICIELS DE GESTION INTEGREE (ERP) ETLâHYBRIDATION DES METIERS DE GESTION â LE
CAS DâUN GRAND GROUPE INDUSTRIELPhilippe Lorino
To cite this version:Philippe Lorino. LES LOGICIELS DE GESTION INTEGREE (ERP) ET LâHYBRIDATION DESMETIERS DE GESTION â LE CAS DâUN GRAND GROUPE INDUSTRIEL. COMPTABILITE,CONTROLE, AUDIT ET INSTITUTION(S), May 2006, Tunisie. pp.CD-Rom. ïżœhalshs-00558373ïżœ
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CongrĂšs de lâAssociation Francophone de ComptabilitĂ© Tunis, mai 2006
LES LOGICIELS DE GESTION INTEGREE (ERP) ET LâHYBRIDATION
DES METIERS DE GESTION â LE CAS DâUN GRAND GROUPE INDUSTRIEL
Philippe LORINO
Professeur
ESSEC-Paris
Résumé
Partant dâune Ă©tude de cas approfondie (mise en Ćuvre de SAP dans les processus dâachat et
dâapprovisionnement dâune grande entreprise industrielle), nous constaterons que
lâarchitecture de processus sur laquelle est fondĂ© lâinstrument SAP dĂ©stabilise lâorganisation
fonctionnelle existante. Elle provoque un « choc abductif » qui peut donner lieu tout aussi
bien Ă des apprentissages nouveaux et lâinvention de formes dâaction collective plus
performantes quâĂ des rĂ©gressions dĂ©fensives et de fortes tensions. Nous proposerons une
lecture théorique des ces situations fondée sur une conceptualisation pragmatique des
instruments, les ERP étant vus comme une sorte de « méta-instruments » organisateurs
dâautres instruments et reliĂ©s Ă lâorganisation selon une relation Ă trois niveaux :
transactionnel, organisationnel et managérial. Nous examinerons les deux dynamiques
dâaction complĂ©mentaires qui peuvent permettre Ă lâorganisation de se saisir de ce type
dâinstrument pour crĂ©er de nouvelles connaissances et inventer des formes dâorganisation
efficaces :
la mise en place dâun fonctionnement transverse en communautĂ©s de processus,
lâhybridation des compĂ©tences des mĂ©tiers concernĂ©s.
Nous tenterons dâapprĂ©hender de maniĂšre plus prĂ©cise le contenu de ces deux orientations,
puis les enjeux théoriques et pratiques correspondants.
Introduction :
Dans lâapprentissage et le non-apprentissage organisationnels, les instruments (outils,
langages) jouent un rÎle clé. Parmi eux, les outils de gestion intégrés (PGI: progiciels de
gestion intégrés, ou ERP1, de type SAP), c.à d. des logiciels qui intÚgrent les fonctions de
gestion autour dâune base de donnĂ©es partagĂ©e unique, apparaissent aujourdâhui comme un
standard largement utilisĂ©. Leur impact organisationnel est discutĂ© (Caglio) : si lâon suit les
thĂ©ories Ă dominante structurelle portant sur les systĂšmes dâinformation (SI), les PGI auraient
la capacitĂ© de dĂ©terminer des changements organisationnels et dâimposer des formes
standardisĂ©es dâorganisation ; si lâon suit les thĂ©ories Ă dominante sociologique, axĂ©es sur
lâĂ©tude de lâaction socio-organisationnelle, les PGI, comme les autres SI, seraient le produit
des dynamiques socio-organisationnelles et seraient façonnĂ©s par elles, nâayant donc aucun
pouvoir de les dĂ©terminer. Au plan des dynamiques dâapprentissage et de crĂ©ation de
connaissance, on retrouve le mĂȘme dualisme : les PGI promeuvent-ils lâapprentissage
organisationnel ou au contraire y font-ils obstacle (Caglio, Granlund & Malmi, Hyvönen,
Lodh and Gaffikin, Quattrone & Hopper, Scapens & Jazayeri) ? Partant dâune Ă©tude de cas
approfondie (mise en Ćuvre de SAP dans les processus dâachat et dâapprovisionnement dâune
grande entreprise industrielle), nous constaterons que lâarchitecture de processus sur laquelle
est fondĂ© lâinstrument SAP dĂ©stabilise lâorganisation fonctionnelle existante. Elle provoque
un « choc abductif » qui peut donner lieu tout aussi bien à des apprentissages nouveaux et
lâinvention de formes dâaction collective plus performantes quâĂ des rĂ©gressions dĂ©fensives et
1 Enterprise Resource Planning
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de fortes tensions. Nous examinerons les deux dynamiques dâaction complĂ©mentaires qui
peuvent permettre Ă lâorganisation de se saisir de lâinstrument pour crĂ©er de nouvelles
connaissances :
la mise en place dâun fonctionnement transverse en communautĂ©s de processus,
lâhybridation des compĂ©tences des mĂ©tiers concernĂ©s.
Nous tenterons dâapprĂ©hender de maniĂšre plus prĂ©cise le contenu de ces deux orientations,
puis les enjeux théoriques et pratiques correspondants.
I. Le cas : lâentreprise « Produiflux »
« Produiflux » est une grande entreprise européenne qui produit et distribue un produit de
flux. Elle emploie environ 120 000 personnes et est le n°1 européen dans son secteur. La
production peut recourir à différentes filiÚres technologiques, essentiellement deux,
caractĂ©risĂ©es toutes deux par leur haut niveau dâintensitĂ© capitalistique. La filiĂšre A est trĂšs
standardisĂ©e, sâappuie sur un parc dâusines assez semblables et de grande taille. Les
approvisionnements sont donc, pour lâessentiel, des achats dâĂ©quipements standardisĂ©s lourds,
auprĂšs dâun nombre limitĂ© de fournisseurs trĂšs concentrĂ©s. La filiĂšre B, plus ancienne, est peu
standardisée. Les usines sont généralement beaucoup plus petites que dans la filiÚre A et
dispersées géographiquement. Leurs achats sont surtout des achats de piÚces de petite série et
de prix unitaire beaucoup plus bas que pour la filiĂšre A. Les fournisseurs de la filiĂšre B sont
aussi bien des grandes entreprises que des petites entreprises locales, géographiquement
proches de lâusine cliente.
I. A. La méthode de travail
Nous avons collecté nos informations par des entretiens semi-structurés, soit individuels,
en tĂȘte Ă tĂȘte, soit, le plus souvent, avec des Ă©quipes fonctionnellement homogĂšnes de deux Ă
cinq personnes, sur les sites. Nous avons aussi effectué des synthÚses de lectures à partir des
documents des bases Lotus Notes du projet SAP. Les comparaisons inter-sites du processus
« approvisionner » dans différents « univers » (le réel existant avant SAP, la cible dans le
projet SAP, le rĂ©el aprĂšs introduction de SAP) ont Ă©tĂ© riches dâenseignements.
Lâanalyse du processus (et donc la structuration des interviews) sâest faite essentiellement
selon les dimensions suivantes : description des tùches, répartition des tùches entre acteurs,
informations mobilisées pour chaque tùche, principaux outils (SI notamment) utilisés, modes
de coordination entre les tùches, principaux problÚmes rencontrés.
Une restitution partielle a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©e Ă mi-parcours pour les responsables de lâentreprise
impliqués dans la démarche, pour recueillir leurs commentaires et leurs suggestions.
I. B. Le champ couvert par lâĂ©tude
LâĂ©tude analyse lâexpĂ©rience de mise en Ćuvre de SAP dans la division ingĂ©nierie-
production (DIPI) de Produiflux, plus particuliÚrement dans la région RhÎne-Alpes. Nous
avons conduit entre février et juin 2005 des interviews avec les divers responsables concernés
par la mise en Ćuvre de SAP pour le processus achats/approvisionnements dâĂ©quipements et
de piĂšces, dans le cadre de la maintenance des usines, trĂšs importante compte tenu du
caractÚre fortement automatisé de la production et de la sensibilité des processus de flux
continu au moindre dysfonctionnement technique. Nous avons ainsi parcouru les unités de la
DIPI et les services locaux de la Direction des Achats (DIRA).
En ce qui concerne la DIPI, nous avons rencontré et analysé quatre unités : une usine de la
filiĂšre A, un ensemble de petites usines de la filiĂšre B, le service dâingĂ©nierie qui a en charge
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les projets dâinvestissement (SerTech), la direction rĂ©gionale qui rĂ©unit les services de soutien
administratif, gestionnaire et technique, notamment les Ă©quipes comptables (DirSup). Pour
chaque unité, des interviews ont été réalisés avec les contrÎleurs de gestion, les utilisateurs
opĂ©rationnels de SAP, pour lâessentiel des techniciens de maintenance (« utilisateurs » dans le
langage SAP adoptĂ© par Produiflux), les manageurs dĂ©tenant le pouvoir dâautorisation dâachat
(« managers ») et les acheteurs (locaux, sur usine, et régionaux, à la DIRA à Grenoble). En ce
qui concerne la DIRA, plusieurs visites ont été effectuées à Lyon, auprÚs des différentes
Ă©quipes dâacheteurs, spĂ©cialisĂ©es par natures dâachats (Ă©quipements industriels, Ă©tudes
techniques et ingĂ©nierie, services dâentretien sous-traitĂ©s, fournitures tertiaires, informatique
et télécommunications).
Au siĂšge central de lâentreprise, nous avons rencontrĂ©s les responsables du projet SAP,
notamment lâĂ©quipe en charge de la gestion du changement, les responsables centraux des
fonctions comptable, achats et politique technique de maintenance. Nous nâavons pas pu
rencontrer de parties prenantes externes Ă Produiflux, ni fournisseurs externes, ni consultants
impliqués dans la préparation et la mise en place de SAP.
Enfin nous avons pu consulter librement la documentation de lâentreprise, quâelle prenne
la forme de documents isolés mis à notre disposition par nos interlocuteurs (notes de travail,
Ă©tudes, comptes rendus de rĂ©unionsâŠ) ou des bases de donnĂ©es documentaires Lotus Notes
du projet SAP pour les différentes activités étudiées (filiÚre de production A, filiÚre de
production B, ingénierie, services de soutien).
I. C. Le contexte stratégique
La direction de Produiflux, de maniĂšre explicite, a dĂ©cidĂ© de saisir lâoccasion de
lâintroduction de SAP pour procĂ©der Ă une rĂ©forme organisationnelle assez profonde. Il
apparaissait en effet aux dirigeants que la mise en place dâun ERP sâapparentait Ă
lâautomatisation et la consolidation des modes de fonctionnement, et quâil serait
dommageable de procéder à cette consolidation sur une organisation et des pratiques
insatisfaisants. La dimension « re-engineering de processus », mĂȘme si elle ne fut pas
explicitement désignée par cette expression, susceptible de faire peur aux acteurs concernés,
sâest donc trouvĂ©e indissolublement liĂ©e Ă la mise en place du nouvel outil.
Cette dimension re-engineering sâest agencĂ©e autour de deux grands objectifs :
la productivité des achats : par une recentralisation des principales catégories
dâachats, dĂ©centralisĂ©es une dizaine dâannĂ©es auparavant, la direction de
lâentreprise espĂ©rait rĂ©aliser des Ă©conomies dâĂ©chelle substantielles et pouvoir
mettre en Ćuvre une politique industrielle active avec les fournisseurs majeurs
(notamment en remontant vers la reconception concertée des installations pour
réduire le coût de maintenance).
la productivité tertiaire : par une « compacification » du processus
« acheter/approvisionner », la direction pensait pouvoir réduire les effectifs et les
coûts des fonctions administratives, notamment de la fonction comptable.
Câest ainsi que lâintroduction de SAP a coĂŻncidĂ© avec le lancement de nouvelles politiques
structurantes :
une nouvelle politique dâachats : rĂ©duction du portefeuille de fournisseurs,
centralisation de la gestion des référentiels (liste des fournisseurs agréés, liste des
articles achetées, base de marchés-cadres obligatoires),
une politique de gestion centralisée des stocks,
la politique de réduction des coûts tertiaires. : celle-ci passe notamment par le
principe, classique avec SAP, de faire une saisie unique des transactions, ici en
lâoccurrence de la transaction dâachat, et de confier cette saisie Ă lâagent situĂ© en
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amont dans le processus, ici en lâoccurrence le technicien de maintenance qui est Ă
lâorigine du besoin.
Lâimbrication entre SAP et ces politiques est de fait Ă©troite, la version SAP šretenue et
paramétrée par la DIPI de Produitflux visant à imposer des modes de fonctionnement
cohérents avec les nouvelles politiques introduites.
I. D. Lâ « impĂ©ratif transverse » : importance de la dimension transversale
« processus »
La logique organisationnelle de SAP est fondée principalement sur une gestion par
processus. Cette logique transversale se matérialise par un dépassement du découpage
hiĂ©rarchico-fonctionnel de lâorganisation Ă travers une modĂ©lisation autour des flux de
données (liens forts et verrouillages entre transactions, saisie unique) au niveau
informationnel, ce qui suppose des coopérations inter-métiers fluides pour produire un résultat
correct (la chaĂźne de coopĂ©rations requise par lâapprovisionnement, par exemple). Cette
dimension « processus » passe par lâintĂ©gration transversale dans SAP : par exemple, contrĂŽle
de facture par les comptables sur la base dâune rĂ©ception effectuĂ©e par les techniciens ;
contact avec les fournisseurs confiĂ© aux acheteurs sur la base dâune dĂ©finition de besoin
formulée par les techniciens ; recours par les techniciens à des marchés cadres gérés par les
acheteurs ; etc... Les effets bloquants de lâoutil rendent ce fonctionnement transverse
incontournable.
Dans la phase de préparation avant basculement dans SAP, plusieurs éléments indiquent
que la dimension processus et donc le fonctionnement transverse ont été assez peu anticipés et
préparés par la DIPI :
les « études managériales préalables » proposent une évaluation générique des impacts
de lâarrivĂ©e de lâoutil SAP sur les profils de fonctionnement et de compĂ©tence cibles,
mais les seules études prévues étaient « verticales », par entités ; aucune étude
managériale par processus ne semble avoir été prévue, pour anticiper les évolutions
des processus, des modes de coordination et des coopérations transverses ;
les acteurs locaux nâont jamais Ă©tĂ© intĂ©grĂ©s dans des groupes de travail par processus
en amont du basculement, et les formations SAP ont été généralement cloisonnées par
métiers.
le fonctionnement transversal en processus exigĂ© par lâinstrument SAP sâest de fait
imposĂ© aprĂšs le dĂ©marrage du systĂšme, âĂ la dureâ, sous forme de dysfonctionnements
et de tensions à résoudre sur le tas, notamment de carences de communication inter-
métiers (entre techniciens et acheteurs, entre techniciens et comptables, entre
acheteurs et comptables).
Dans la phase de lâaprĂšs-basculement, la dimension processus nâa fait lâobjet dâaucun
engagement systématique et prioritaire pour résoudre le hiatus entre une organisation
traditionnellement verticalisĂ©e et un systĂšme dâinformation trĂšs transversalisĂ© :
le principe dâune animation âtripartiteâ acheteur-technicien de maintenance-comptable
est rĂ©guliĂšrement invoquĂ©, mais nâest guĂšre mis en Ćuvre dans les faits ; il sâĂ©tablit ai
mieux des contacts informels, inégaux selon les lieux et les personnes ; il semble
tacitement admis que le coût lié à la « réunionnite » et aux déplacements (problÚmes
de sĂ©paration gĂ©ographique des Ă©quipes) est supĂ©rieur au bĂ©nĂ©fice Ă attendre dâune
telle animation transverse ;
les fonctions restent attachées à leurs spécificités et mettent en oeuvre SAP en ne
tenant que mĂ©diocrement compte des enjeux de lâintĂ©gration et de la gestion par
processus ; dans un premier temps au moins, la mise en place sâest rĂ©alisĂ©e au niveau
de chaque métier, sans véritable vision d'ensemble.
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Les difficultĂ©s qui en rĂ©sultent sont Ă©videntes. Citons Ă titre dâexemple lâachat dâune
vanne destinée à un circuit de fluide, dans une usine de la filiÚre B. La décision de
recentraliser la politique dâachats se traduit par lâobligation faite aux techniciens dâenregistrer
leur demande dâachats (cahier des charges) sous un code dâarticle existant dans le rĂ©fĂ©rentiel
dâarticles gĂ©rĂ© centralement par les acheteurs. Or, lâarticle correspondant Ă ce type de vanne a
été destiné, par les gestionnaires des référentiels achats, de maniÚre exclusive aux usines de la
filiĂšre A. Il sâavĂšre donc impossible Ă court terme, pour lâusine de la filiĂšre B concernĂ©e, de
commander sur cet article : il faudrait obtenir une dérogation, et la procédure est lente et
lourde. Il faut noter que les contacts entre les techniciens de maintenance qui ont besoin de
cette vanne et les acheteurs qui gÚrent le référentiel « articles achetés » se font par mail : ce
point est significatif du caractĂšre assez distant de la communication entre les deux fonctions.
Les acheteurs conseillent aux techniciens, pour aller plus vite, une solution de contournement,
qui consiste à passer par un autre article, présentant des analogies techniques avec la vanne en
question, et pointant notamment sur les mĂȘmes fournisseurs. Malheureusement, cette solution,
mise en Ćuvre par les techniciens, soulĂšve plus tard un problĂšme avec les comptables parce
que lâautre article ne porte pas le bon compte en comptabilitĂ© : le comptable ne peut pas
dĂ©nouer lâopĂ©ration en procĂ©dant au paiement car lâimputation est incorrecte. Lorsque ce
problĂšme surgit avec les comptables, on sâaperçoit quâon va ĂȘtre obligĂ© de « dĂ©tricoter » tout
lâachat. Cet exemple dĂ©signe bien, en creux, la carence de fonctionnement transverse : le
technicien dâachats est au carrefour dâexigences contradictoires et sĂ©quentielles des acheteurs
et des comptables. Sa difficultĂ© Ă dĂ©mĂȘler la situation reflĂšte le manque de communication
prĂ©alable entre acheteurs et comptables (lâacheteur aurait dĂ» consulter le comptable sur
lâacceptabilitĂ© comptable de lâarticle suggĂ©rĂ© au technicien) et lâinefficacitĂ© de pratiques de
concertation qui sâopĂšrent exclusivement deux Ă deux.
un « trilogue » de sourdsâŠ
I. E. Une dimension « processus » renforcée par les choix de re-engineering de
lâentreprise
La dimension transversale processus est renforcée par les choix de re-engineering de
lâentreprise. Il est en effet dĂ©cidĂ©, au nom de la simplification du processus et de la
productivité tertiaire.
Lâagencement du processus « approvisionner », dans le cas dâun achat dĂ©centralisĂ©, gĂ©rĂ©
localement, sur site usine (inférieur à un montant seuil), se présentait avant la mise en place
de SAP comme suit, avec lâintervention de cinq acteurs clĂ©s (lâutilisateur, ou technicien, le
manager, lâacheteur, le contrĂŽleur de gestion et le comptable :
technicien
+
appro-
visionneur
acheteur
comptable
? ?
technicien
+
appro-
visionneur
acheteur
? ?
comptable
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Technicien de
maintenance
Manager
opérationnel
Acheteur local ContrĂŽleur de gestion Comptable
DĂ©finition dâun
besoin,
rĂ©daction dâun
cahier des charges
Validation
technique
Validation budgétaire,
traduction en
comptabilité de gestion
(imputation)
Saisie comptable
engagement
Pointage sur
marché existant,
code-article, ou
nĂ©gociation dâun
marché
RĂ©ception
technique
RĂ©ception
administrative,
bon Ă payer
ContrĂŽle de
facture, paiement,
saisie comptable
réglement
La démarche de re-engineering se traduit par une simplification significative du
déroulement du processus, reposant notamment sur :
la fusion des deux validations, technique et budgétaire, en une seule, confiée au
manager,
lâobligation impartie au technicien de maintenance de prĂ©ciser, dans son cahier des
charges, le code-article auquel il recourt, et, Ă travers ce code-article, le compte de
comptabilité générale et le régime de TVA,
la fusion des deux réceptions, technique t administrative, en une seule, qui vaut
« bon à payer »,
le principe affirmĂ© selon lequel lâutilisateur qui a rĂ©digĂ© le cahier des charges doit
ĂȘtre lâagent responsable de la rĂ©ception.
Dés lors, le processus se présente sous une forme beaucoup plus compacte :
Technicien de maintenance Manager
opérationnel
Acheteur ContrĂŽle
de
gestion
Comptable
DĂ©finition dâun besoin,
rĂ©daction dâun cahier des
charges,
y compris choix du code-
article, du compte comptable et
du régime TVA
Validation
technique
et budgétaire du
cahier des charges
Choix fournisseur,
négociation,
contractualisation,
suivi achats
RĂ©ception technique et
administrative,
bon Ă payer
ContrĂŽle de
facture,
rĂšglement du
fournisseur
Les relations entre mĂ©tiers sâen trouvent profondĂ©ment modifiĂ©s.
Dâune part, les techniciens impactent la comptabilitĂ© par le choix de lâarticle dans la
demande dâachat (dĂ©finition du compte et du rĂ©gime de TVA). La correction de leurs erreurs
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et la vérification de la qualité des imputations est à la charge des comptables, mais la relative
rigiditĂ© de lâoutil SAP rend trĂšs lourde et pĂ©nalisante la correction dâerreurs en fin de
parcours, lorsque les comptables sont censés intervenir dans le processus.
Par ailleurs, lâacte de rĂ©ception par les techniciens est fondamental dans le processus, car
il conditionne le traitement et donc le paiement de la facture au niveau comptable. La
rĂ©ception est un bon Ă payer. Si la rĂ©ception nâa pas Ă©tĂ© faite lorsque le comptable reçoit la
facture du fournisseur, la situation peut ĂȘtre trĂšs embarrassante pour le comptable. Le
technicien est-il en retard dans sa réception ? Le fournisseur a-t-il envoyé sa facture de
maniÚre anticipée ? Le découpage du cahier des charges en lots a-t-il été respecté par le
fournisseur dans lâĂ©chĂ©ancier de ses factures ? La facture correspond-elle bien aux premiers
lots qui figurent dans le cahier des charges du technicien, sachant que la rédaction des libellés
nâest pas la mĂȘme dans le cahier des charges et dans la facture, et que, gĂ©nĂ©ralement, les
connaissances techniques du comptable ne lui permettent pas de juger avec sûreté de
lâĂ©quivalence technique des Ă©noncĂ©s ?
Avec SAP, le choix a donc été fait de responsabiliser le technicien de gestes comptables et
gestionnaires Ă©lĂ©mentaires qui, sâils ne sont pas rĂ©alisĂ©s correctement, plongent le comptable
dans des abßmes de perplexité. Ce choix implique plus de contacts entre le technicien et le
comptable. Ces contacts ne sont pas toujours bien établis. Il en résulte des « frottements » et
des plaintes de part et dâautre :
Les techniciens se plaignent de la relative inadéquation ou opacité des codes-articles,
dont les libellés sont parfois peu explicatifs, et des liens code article / compte. Certains
articles ne pointeraient pas sur les bons comptes.
Les techniciens se plaignent de la rigidité des comptables, notamment dans les
relances quâils auraient tendance Ă faire trop systĂ©matiquement (contrĂŽle de facture
face à réception non faite) : beaucoup de problÚmes semblent venir de la difficulté de
mettre en regard la structure de la facture par postes de facturation et la structure de la
réception par postes de réception, calage pas toujours facile à réaliser par des
comptables peu au fait des réalités technologiques. Ceci peut mettre en cause le
fournisseur (facture peu claire ou mal organisée), le technicien (réceptions mal
cadencées), le comptable (manque de compréhension des contenus techniques),
voire⊠lâacheteur (modĂ©lisation du marchĂ© mal adaptĂ©e aux besoins de la rĂ©ception et
de la facturation).
De leur cÎté, les comptables se plaignent du manque de motivation et de compétence
de certains techniciens pour prendre ces tĂąches Ă bras le corps.
Les techniciens expriment un besoin de contact plus direct et personnalisé avec les
comptables, un Ă©change sur les besoins de chacun, et le souhait dâavoir une sorte de
« check list » des attentes de la comptabilité à leur égard.
Il y a aussi un problĂšme de relation entre acheteurs et comptables. Ces problĂšmes
prĂ©existaient sans doute Ă lâarrivĂ©e de SAP, qui nâen est pas la cause unique. Mais la nĂ©cessitĂ©
de se mobiliser sur la mise en Ćuvre dâun nouvel applicatif a probablement, dans un premier
temps, aggravé les problÚmes de communication. « On aurait dû communiquer plus, on a
communiqué moins », comme il nous a été dit en plusieurs endroits. A la DirSup (supports),
par exemple, il semble que dans la mise en place de SAP les comptables se soient plutĂŽt, dans
un premier temps, recentrĂ©s sur eux-mĂȘmes. Le changement dâapplicatif Ă©tait perçu comme
lourd. Pour lâabsorber, les comptables ont dâabord fait un travail de re-engineering interne de
leurs propres mĂ©canismes comptables. Le rĂ©sultat semble ĂȘtre que les gens ne se connaissent
pas dâun mĂ©tier Ă lâautre. Ils communiquent essentiellement par mails. Il leur est difficile de
travailler « en réseau » (« en processus », dirions-nous), car cela exigerait un investissement
en temps que, pour lâinstant, les fonctions concernĂ©es nâont pas pu rĂ©aliser.
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Les difficultés entre acheteurs et comptables portent notamment sur la modélisation des
marchés. Les comptables estiment que, lorsque les acheteurs modélisent les contrats en
postes, ils ne sâinterrogent pas toujours sur la maniĂšre dont le fournisseur facturera. Des
problÚmes sont souvent évoqués à propos de la gestion du lien entre code-article et TVA :
dans certains cas, les acheteurs auraient tendance Ă ne pas suffisamment prendre en compte
les contraintes fiscales et comptables dans le choix dâun code article pour modĂ©liser leur
marché. Les comptables souhaiteraient donc que le trinÎme technicien/acheteur/comptable
fonctionne plus systématiquement, notamment en matiÚre de modélisation. Une telle
concertation triangulaire pourrait viser à formaliser et systématiser les liens entre les trois
métiers, mais elle se heurte au manque de temps et à la séparation géographique.
Enfin, plusieurs de nos interlocuteurs (contrĂŽleurs de gestion, comptables, managers
opérationnels et acheteurs), expriment le regret de la marginalisation du contrÎle de gestion au
profit de la comptabilité générale, et de la séparation accrue, avec SAP, entre comptables et
gestion. Les comptables, qui estiment quâils connaissaient bien le SI gestion avant, regrettent
dâavoir Ă©tĂ© relativement Ă©cartĂ©s de la gestion, alors que le contrĂŽle estime avoir Ă©tĂ© Ă©cartĂ© de
la gestion des achats. Le bouclage avec le budget pour le pilotage budgétaire ne semble pas
toujours aisé.
I. F. La transformation des rĂŽles des acteurs et lâadaptation des profils et des mĂ©tiers
Comme nous venons de le voir, les transformations de lâactivitĂ© collective, plus
précisément ici du processus « acheter-approvisionner », semblent plus subies que maßtrisées
par les acteurs, du fait de la relative carence de la dimension transversale « processus » dans
la démarche délibérée du projet SAP. Cette situation se traduit de fait par des
dysfonctionnements, voire des souffrances, dans la maniĂšre dont les acteurs sâacquittent de
leurs missions et vivent lâaccomplissement de leur mĂ©tier. Ces bouleversements ne sont pas
sans rejaillir sur le contenu et les exigences majeures des divers métiers, notamment les trois
métiers directement concernés par le processus : acheteur, technicien de maintenance et
comptable. Nous nous intéresserons ici plus particuliÚrement aux évolutions concomitantes et
liées des métiers « comptable » et « technicien de maintenance ».
Le technicien qui définit le besoin (« utilisateur » dans le langage de Produiflux) se trouve
au cĆur de ces Ă©volutions. Le rĂŽle qui lui est imparti dans le schĂ©ma de gestion peut poser
divers problĂšmes :
des problÚmes de connaissance de SAP (parfois la pratique de SAP est trop espacée
pour maintenir une compétence effective, ce qui pose la question du nombre
dâ« utilisateurs » optimal pour garantir un niveau dâutilisation rĂ©gulier) ;
des problĂšmes de comprĂ©hension comptable : parfois, le technicien peine Ă
comprendre les gestes comptables et gestionnaires quâon lui demande et nâen saisit pas
complÚtement les enjeux (imputation, mensualisation des réceptions, pour étaler la
charge au mieux, distinction exploitation-investissement, distinction avance-acompte,
régime de TVA...) ;
ces mutations soulÚvent des problÚmes de motivation (« est-ce vraiment notre
métier ? »).
De fait, le profil dĂ©fini par la notion dâ« utilisateur » dans la dĂ©marche SAP de Produiflux
correspond typiquement Ă celui dâun chargĂ© dâintervention en maintenance. Il y a sans doute
un enjeu fort sur ce mĂ©tier : quel est-il aujourdâhui, que doit-il devenir en cible, quels sont les
enjeux de changement correspondants ? Le profil de chargĂ© dâintervention est Ă©voquĂ© en
plusieurs lieux de lâentreprise comme un point critique : compĂ©tence technique, bien sĂ»r, mais
aussi aptitude minimale Ă la gestion de projet, Ă la gestion budgĂ©taire et comptable. Câest un
rĂŽle-pivot dans lâorganisation industrielle, pour lequel se posent plusieurs questions :
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Quelle est la taille cible de la population des chargĂ©s dâintervention ?
Doit-on regrouper systĂ©matiquement dans les mĂȘmes mains la dĂ©finition du besoin
technique, la gestion de lâintervention, la transaction gestion/comptabilitĂ©, la rĂ©ception
technique et le bon à payer, ou faut-il transitoirement différencier les populations en
fonction des profils de compétences disponibles ? Faut-il distinguer, parmi les
techniciens de maintenance, des profils de « techniciens dâintervention », qui se
limitent à mobiliser une expertise technique et des profils de « chefs de projet », qui
Ă©largissent leur action Ă des tĂąches de gestion et de planification ?
En rĂ©sumĂ©, plus que des problĂšmes de compĂ©tence technique, lâĂ©volution engagĂ©e avec
SAP (« avec » plutĂŽt quâĂ cause de SAP) soulĂšve des questions de culture et dâidentitĂ© mĂ©tier
(transformer une population technicienne de « techniciens de maintenance » en une
population technico-gestionnaire de « chefs de projet »), donc des questions de
comprĂ©hension mais surtout de motivation, parfois trĂšs irrationnelles, et ayant trait Ă lâidentitĂ©
métier des individus.
Ces enjeux de changement pour les populations techniciennes sont insĂ©parables dâenjeux
symĂ©triques pour les comptables. Pour lâinstant, vis-Ă -vis des utilisateurs chargĂ©s de
réceptionner les approvisionnements, les services comptables semblent avoir un
fonctionnement plus rĂ©actif (relances, rĂ©solution a posteriori des problĂšmes lorsquâils ont
surgi) que proactif (anticipation des problĂšmes, formation et accompagnement des
opĂ©rationnels). Or, Ă lâexpĂ©rience, il sâavĂšre que ce fonctionnement « rĂ©actif » nâest pas
viable : le nombre dâerreurs Ă corriger « ex post » est trop important, lâallĂšgement de charge
de travail anticipé ne se concrétise pas. Dans certains cas, le coaching et la formation des
techniciens en comptabilité et gestion ont surtout été assurés par la fonction « contrÎle » ou
par les acheteurs. Du fait, notamment, de la séparation géographique, le contact direct, en face
Ă face, avec les opĂ©rationnels semble limitĂ©, beaucoup dâĂ©changes ayant lieu par mail ou
téléphone. Dans certains cas, cette situation peut se traduire par une sorte de cercle vicieux :
les comptables assurent peu de coaching, les problÚmes de réception sont donc assez
nombreux, ce qui entraĂźne une surcharge de travail en contrĂŽle des factures pour les
comptables, qui, de ce fait, nâont pas de temps pour assurer le coaching des opĂ©rationnelsâŠ
Peut-ĂȘtre aussi, consciemment ou non, ce comportement rĂ©actif de la fonction comptable a-t-il
une explication politique : il sâagirait pour les personnels concernĂ©s de faire barrage aux gains
de productivité espérés afin de défendre les effectifs en place et éviter des suppressions de
postes. Le climat de travail des comptables sâen trouve nĂ©anmoins substantiellement dĂ©gradĂ©.
II. Une proposition de lecture théorique
II. A. La mĂ©diatisation de lâactivitĂ© par lâinstrument
En sciences de gestion, lâĂ©tude des instruments de gestion est dominĂ©e par les thĂ©ories
dualistes (taylorisme ou cognitivisme de Herbert Simon) fondées sur le concept de
représentation. Ces approches séparent les instruments, vus comme des « représentations du
monde » ou des « représentations des procédures de raisonnement sur le monde » et les
organisations agissantes vues comme « le monde réel ». Pour dépasser ce dualisme, nous
proposons une approche pragmaticiste et interprétative des instruments. Selon cette approche,
lâactivitĂ© humaine est toujours mĂ©diatisĂ©e par des instruments (y compris des langages). Les
thĂ©ories de lâactivitĂ© instrumentĂ©e (Vygotsky, Leontiev) caractĂ©risent les instruments comme
des mĂ©diateurs de lâactivitĂ© porteurs de significations (signes) (Peirce, Eco).
Un instrument utilisé dans une situation de travail : marteau, machine, logiciel
comptableâŠ, est en effet aussi un signe qui rattache cette situation Ă une classe gĂ©nĂ©rique de
situations dâaction : les situations caractĂ©risĂ©es par lâusage de cet instrument. Par exemple, la
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mobilisation de la comptabilité analytique pour déterminer les coûts de revient des produits
dans une situation de gestion donnée rattache cette situation à la classe générique des « usages
de la comptabilité analytique à des fins de costing des produits ». Le signe produit de
lâabstraction et substitue Ă une situation ou un objet singuliers « ici et maintenant », une classe
abstraite dâobjets ou de situations, dâactions et dâusages instrumentaux.
Les instruments jouent ainsi un rĂŽle clĂ© dans lâactivitĂ© collective, en la mĂ©diatisant.
LâactivitĂ© humaine est toujours mĂ©diatisĂ©e : elle sâappuie sur des instruments, notamment le
langage et les outils de travail, qui « font signe » et la projettent dans un registre de
signification et dâaction. La mĂ©diatisation de lâactivitĂ© permet de la « mettre Ă distance », en
en faisant un objet de pensĂ©e (en maniant le marteau, je peux mâinterroger sur la meilleure
maniĂšre de lâutiliser : en me penchant sur le marteau, je me penche de maniĂšre rĂ©flexive sur
ma propre activitĂ©). La mĂ©diatisation permet donc aux sujets de penser la situation dâaction de
maniĂšre rĂ©flexive et de lâabstraire du hic et nunc immĂ©diats. Par exemple, lâouvrier fraiseur,
lorsquâil dĂ©signe lâopĂ©ration de sa machine par le verbe « fraiser », rattache son activitĂ© Ă une
classe abstraite : « fraiser », à laquelle sont attachés un registre de significations et un corpus
de connaissances, ainsi quâune mise en forme de son expĂ©rience personnelle.
La mĂ©diatisation inscrit lâactivitĂ© du sujet dans un espace socialisĂ© : dans lâinstrument,
quâil sâagisse dâun outil ou du langage, le sujet au travail rencontre lâactivitĂ© dâautrui,
lâactivitĂ© de ceux qui ont conçu lâoutil, lâactivitĂ© des autres utilisateurs du mĂȘme type dâoutil.
Il exprime aussi son activité pour autrui : il se présente comme utilisateur plus ou moins
expĂ©rimentĂ©, orthodoxe ou innovant, habile, voire virtuose, de son instrument, il sâaffiche
comme membre de la « communauté des utilisateurs » de cet instrument. Dans les
instruments, le sujet rencontre donc un autrui proche ou lointain, passé ou futur.
II. B. La double nature de lâinstrument de gestion : artefact et schĂ©ma
dâinterprĂ©tation
Lâinstrument peut remplir cette fonction essentielle de mĂ©diatisation parce quâil prĂ©sente
une double nature (Rabardel, 1999). Dâune part, il est objet, artefact matĂ©riel ou
informationnel, manche de bois et masse métallique du marteau ou code-programme du
logiciel. Cette part artefactuelle objective est contraignante : le code du logiciel, la matérialité
du marteau ou du diagramme, limitent les possibilitĂ©s dâaction, mais elle est aussi habilitante :
la démultiplication que donne à mon bras la longueur du manche et le poids de la masse du
marteau me permettent dâaccĂ©der Ă une puissance de frappe que ma main seule nâa pas.
Dâautre part, du cĂŽtĂ© du sujet utilisateur, lâinstrument existe comme habitude dâinterprĂ©tation,
schĂ©ma mental dâutilisation associĂ© Ă lâartefact par lâhabitude personnelle et culturelle (« avec
un tournevis, on visse, avec un marteau, on martÚle »..), contenu personnel investi par le sujet
dans lâartefact. Ce schĂ©ma dâutilisation est Ă©galement contraignant (il ne dicte pas
lâutilisation, mais il enferme dans des « habitudes » opĂ©ratoires liĂ©es Ă lâexpĂ©rience) et
habilitant (il permet de faire usage utilement de lâartefact, de mobiliser lâexpĂ©rience
personnelle mais aussi lâexpĂ©rience accumulĂ©e socialement : le pianiste contemporain hĂ©rite
des travaux pianistiques de Liszt, Chopin, Scriabine et John CageâŠ). Lâinstrument est donc
une entitĂ© mixte : concept et objet, contrainte de lâactivitĂ© et ressource habilitante de lâactivitĂ©,
qui autorise des interprétations et des actions qui, sans lui, auraient été impossibles.
Cette dualitĂ© est vraie de tout signe, qui appauvrit et enrichit Ă la fois lâobjet quâil dĂ©signe.
La désignation de cet objet placé devant moi par le mot « table » remplace une réalité
matérielle infiniment riche et complexe de grains, de rugosité, de nuances de brun, de surfaces
chaudes et froides, de courbes et dâaspĂ©ritĂ©s, dâusure et de taches, par un concept gĂ©nĂ©ral
dâune grande pauvretĂ© en comparaison de cette richesse. Mais, inversement, en dĂ©signant cet
objet par ce mot, je le fais entrer dans la classe générique « table », qui véhicule une infinité
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de potentiels interprétatifs et donc pratiques. Le mot ouvre le registre des usages possibles
dâune table : manger, Ă©crire, poser des objets, langer bĂ©bĂ©, jouer aux cartesâŠ, le registre des
processus de conception et de fabrication des tables, celui des références littéraires ou
artistiques (la table des joueurs de cartes de CĂ©zanne, la table sur laquelle le Koutouzov de
TolstoĂŻ dĂ©ploie les cartes dâĂ©tat-majorâŠ), toutes catĂ©gories de significations qui eussent bien
sûr été inaccessibles à cet objet singulier posé devant moi sans la médiatisation du mot.
Il en va de mĂȘme pour les instruments de gestion. La comptabilitĂ© analytique livre une
image des activitĂ©s de lâentreprise extrĂȘmement appauvrie par rapport Ă la richesse infinie des
activitĂ©s concrĂštes. Le coĂ»t de lâactivitĂ© « fraiser » est une Ă©vocation bien dĂ©charnĂ©e des
gestes, des savoirs, des imprévus et des tours de main de la pratique concrÚte du fraisage.
Mais, inversement, la comptabilitĂ© analytique offre un rĂ©pertoire dâinterprĂ©tations et de
pratiques potentiels (comparer les coĂ»ts des activitĂ©s entre elles, suivre le coĂ»t dâune activitĂ©
dans le temps, simuler le coĂ»t dâune activitĂ© dans lâavenirâŠ) que la simple observation de
lâactivitĂ© concrĂšte ne permettait pas. Le dĂ©tour par la desciption sĂ©miotique Ă©largit lâĂ©ventail
des pratiques accessibles.
La part contraignante de lâinstrument est partagĂ©e par les acteurs de lâorganisation : câest
le mĂȘme artefact pour tous, et la communautĂ© dâexpĂ©rience inspire des habitudes dâutilisation
similaires ; la contrainte perdure à travers le temps ; par cette communauté et cette pérennité
de contrainte, lâinstrument impose une cohĂ©rence dans lâorganisation et permet une
mĂ©morisation (non mĂ©caniste : il y a toujours rĂ©interprĂ©tation). Lâinstrument crĂ©e un usage
générique.
Sans le schĂ©ma dâutilisation portĂ© par le sujet agissant, il ne resterait de lâinstrument quâun
objet dépourvu de signification, minéral, végétal, opaque et inutile. « Cet escabeau, mesuré
sur la distance qui sĂ©pare du sol le cul dâun homme assis, cette table qui sert Ă Ă©crire ou Ă
manger, cette porte qui ouvre un cube dâair entourĂ© de cloisons sur un cube dâair voisin,
perdaient ces raisons dâĂȘtre quâun artisan leur avait donnĂ©es pour nâĂȘtre plus que des troncs ou
des branches Ă©corcĂ©es comme des saints BarthĂ©lĂ©my de tableaux dâĂ©glise, chargĂ©s de feuilles
spectrales et dâoiseaux invisibles, grinçant encore de tempĂȘtes depuis longtemps calmĂ©es, et
oĂč le rabot avait laissĂ© çà et lĂ le grumeau de la sĂšve (...). La chose signifiĂ©e authentifie le
signe », rappelle Marguerite Yourcenar dans « LâĆuvre au noir » (Yourcenar, 1968).
Illustrons la nature sémiotique des instruments de gestion en les comparant au ballon de
football utilisĂ© par un groupe de piqueniqueurs du dimanche. A lâarrivĂ©e dans une clairiĂšre,
lâun des prĂ©sents sort de son sac un ballon de football avec lequel le groupe se met Ă jouer. On
balise la clairiĂšre : limites du terrain, buts, on constitue des Ă©quipes et on joue. Le ballon est
un instrument qui suscite lâinterprĂ©tation de la situation par les acteurs. Il dĂ©clenche la
mobilisation des rĂšgles du football et le savoir-faire technique des joueurs occasionnels. De
toute Ă©vidence, le ballon nâest la « reprĂ©sentation », ni du jeu, ni des rĂšgles, ni des techniques.
Ce nâest quâune sphĂšre qui ne reprĂ©sente rien. Il constitue une ressource pour lâaction qui va
se mettre en Ćuvre. Il « fait signe », ouvre un registre de significations et dâinterprĂ©tations et
permet aux acteurs de transformer la clairiĂšre en terrain de football et lâaprĂšs-piquenique en
match amical, en puisant dans leurs habitudes dâaction.
Comme on le voit dans cet exemple, lâactivitĂ© collective nâexige pas de sujet surplombant
qui la dĂ©cide et/ou la conçoive. Par contre, elle fait toujours appel Ă des artefacts mĂ©diateurs, Ă
commencer par les différentes formes de langage. Activité et pensée sont médiatisées par des
instruments.
Parmi les divers types dâinstruments prĂ©sents dans les organisations, les ERPs sont en
quelque sorte des instruments de « haut niveau », des « méta-instruments ». Ils ne sont pas
seulement directement engagĂ©s dans lâactivitĂ©, comme les applicatifs ordinaires, mais ils
contribuent aussi Ă configurer dâautres instruments tels que la comptabilitĂ©, la gestion
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technique de la maintenance, la gestion budgĂ©taire⊠Les schĂ©mas dâutilisation des ERP
combinent des schĂ©mas dâutilisation de diffĂ©rents niveaux :
des schémas de niveau transactionnel : focalisés sur les transactions élémentaires
concernant le poste de travail individuel, rĂ©pondant Ă des questions dâusage direct :
« comment puis-je faire ceci ou cela avec le logiciel SAP ? »,
des schémas de niveau organisationnel : ils rÚglent les processus inter-fonctionnels et
dĂ©finissent les liens de coordination exigĂ©s par lâutilisation de lâinstrument, de maniĂšre
gĂ©nĂ©rique : les choix de lâentreprise Produiflux concernant le processus « acheter-
approvisionner » dans SAP (ex. fusion des validations technique et budgétaire du
cahier des charges, fusion des réceptions technique et administrative, etc.) relÚvent de
ce niveau ;
des schĂ©mas de niveau niveau managĂ©rial : il sâagit de mettre en correspondance
lâorganisation gĂ©nĂ©rique Ă©voquĂ©e ci-dessus avec les acteurs rĂ©ellement prĂ©sents dans
lâorganisation, « en chair et en os », en dĂ©finissant « qui fait quoi ».
II. C. Premier niveau, dit « transactionnel »
Ce quâun logiciel comme SAP spĂ©cifie directement pour lâorganisation, ce sont des
« transactions ».
Définition : nous appelons ici « transaction » la production ou la transformation de
données saisies dans un systÚme dans un cadre de rÚgles, de normes et de découpages
temporels défini.
Evidemment, le logiciel « ne nous dit rien » sur qui doit effectuer ces transactions, en
sâappuyant sur qui, selon quelles pratiques concrĂštes.
La transaction est un Ă©change ponctuel entre le systĂšme et ses utilisateurs individuels et
collectifs. La transaction pointe sur un contenu dâactivitĂ© (comment « se fait » la transaction :
comment on construit un cahier des charges dans SAP, par exemple) et donc de compétence
(que faut-il savoir faire pour effectuer la transaction dans des conditions satisfaisantes de
compréhension et de fiabilité) plus ou moins précis. Par exemple, la validation technique de la
demande dâachat exige une compĂ©tence technique, mais celle-ci peut ĂȘtre dĂ©tenue par lâacteur
responsable de la validation dans lâoutil (donc celui qui effectue la transaction) ou peut ĂȘtre
glanĂ©e par celui-ci auprĂšs dâautres agents de son service.
Lâoutil ne dĂ©termine donc pas une organisation, mais il spĂ©cifie une sĂ©rie de transactions
compatibles avec divers schémas de division du travail et délimite des cadres spatiaux et
temporels (premier niveau dit « transactionnel »). Ainsi les transactions potentiellement
spĂ©cifiĂ©es - ou « sous-entendues », exigĂ©es de facto mĂȘme si elles ne sont pas formalisĂ©es
dans lâoutil - par SAP sur le processus acheter / approvisionner sont notamment :
définir un cahier des charges,
faire une demande dâachat pointant sur un contrat cadre ou sur un article hors marchĂ©,
Ă©tablir un contrat-cadre,
valider la demande dâachat dâun point de vue technique,
valider la demande dâachat dâun point de vue budgĂ©taire,
établir une commande sur un marché-cadre,
établir une commande hors marché,
effectuer la réception technique,
effectuer la réception administrative (bon à payer),
contrĂŽler la facture,
comptabiliser la charge,
payer le fournisseur.
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Chacune de ces transactions est bien sĂ»r assortie dâune sĂ©rie de rĂšgles.
En ce qui concerne les cadres temporels et spatiaux fixés par SAP, il demeure là encore
des marges de manĆuvre non nĂ©gligeables. Par exemple, la commande doit ĂȘtre structurĂ©e en
postes de livraison échéancés, mais le degré de décomposition du marché en postes et donc le
nombre de factures et les Ă©tapes dâengagement budgĂ©taire sont ouverts.
II. D. DeuxiÚme niveau, dit « organisationnel »
Aux divers niveaux de dĂ©cision de lâorganisation, des choix doivent ĂȘtre faits sur les
configurations de transactions qui sont retenues pour définir une vraie structure de rÎles et une
organisation type. Il faut décider comment on regroupe et on articule les transactions entre
différents acteurs types (techniciens de maintenance, acheteurs, managers de divers niveaux,
comptables, etc.). Par exemple, il peut ĂȘtre dĂ©cidĂ© que :
la validation technique et la validation budgĂ©taire sont rĂ©alisĂ©es par le mĂȘme acteur,
la rĂ©ception et la validation doivent ĂȘtre rĂ©alisĂ©es par des acteurs diffĂ©rents,
la demande dâachat et la rĂ©ception sont en principe confiĂ©es au mĂȘme acteur,
la rĂ©ception technique et la rĂ©ception budgĂ©taire sont rĂ©alisĂ©es par le mĂȘme acteur,
les demandes de fournitures administratives sont réalisées par les agents concernés
eux-mĂȘmes ou regroupĂ©es sur une cellule centrale de lâunitĂ©âŠ
Ceci dessine :
dâune part, en termes de suivi informationnel, des flux de donnĂ©es, et, en termes de
responsabilisation / décision, des procédures, avec des schémas formels de circuits
décisionnels (signatures, engagements, etc.),
dâautre part, en termes organisationnels, une rĂ©partition des rĂŽles, une division du
travail et donc des organisations types, qui esquissent des profils fonctionnels
dâacteurs. Par exemple, le rĂŽle dâ« utilisateur » peut ĂȘtre sommairement dĂ©fini par trois
activitĂ©s : (1) lâĂ©laboration du cahier des charges, (2) la formulation dâune demande
dâachat et (3) la rĂ©alisation dâune rĂ©ception unique. Le rĂŽle dâ« acheteur » peut ĂȘtre
défini par les activités consistant à (1) modéliser les marchés-cadres, (2) négocier les
marchés-cadres, (3) passer les grosses commandes centralisées, (4) former et coacher
les acteurs opĂ©rationnels sur la politique achats, etc. Le rĂŽle de « comptable » peut ĂȘtre
défini par les activités (1) vérifier les factures, (2) payer les fournisseurs, (3) relancer
sur les réceptions en retard, etc.
Ce niveau correspond Ă ce que lâon appelle communĂ©ment le rĂ©-engineering de processus,
lâintroduction de SAP pouvant offrir lâoccasion dâun tel rĂ©-engineering : regroupement dans
une mĂȘme main ou suppression de transactions, pour simplifier et accĂ©lĂ©rer le processus,
dĂ©placement de transactions dâun type dâacteur Ă un autre pour faciliter les coordinationsâŠ
Ce re-engineering porte sur une organisation-type au sein de lâentreprise, et ne traite pas des
questions de mise en Ćuvre concrĂštes et spĂ©cifiques dans des environnements humains,
physiques et opérationnels déterminés (telle équipe, telle personne, tels lieux).
II. E. TroisiÚme niveau, dit « managérial »
Il sâagit enfin de mettre lâorganisation-type ainsi dĂ©finie en face des ressources humaines
en place : quels sont les profils dâacteurs disponibles, quels sont les mĂ©tiers en place, avec
leur histoire, leur identité professionnelle, leurs contenus fonctionnels et leur structuration,
voire, au niveau le plus fin, quelles sont les personnes concernées, avec leurs profils
dâexpĂ©rience et dâaptitude, leurs motivations, etc. Il sâagit en quelque sorte de « mettre en
scĂšne » (de « mettre en acte », dâ « enacter ») lâorganisation-type avec des acteurs de chair et
dâos, dans leur contexte professionnel, social et culturel. Ce niveau essentiel relĂšve
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typiquement, en planification de projet et gestion prévisionnelle du changement, des études
managériales préalables par sites, par métiers ou par processus.
Il ne peut ĂȘtre vraiment abordĂ© quâen prenant en compte une vĂ©ritable vision managĂ©riale
par processus, qui ne se limite pas aux visions « information » et « procédures/ rÎles types »
des niveaux 1 et 2, orientée vers des descriptions purement informationnelle ou fonctionnelle
des opĂ©rations dâachat et dâapprovisionnement. Dans lâexemple des flux
dâapprovisionnements Ă©tudiĂ©s, on voit que les processus virtuellement en cause sont
multiples : processus « approvisionner », processus « acheter » (y compris gestion du
portefeuille de fournisseurs, gestion du référentiel des articles achetés), processus « entretenir
lâappareil productif », processus « gĂ©rer le budget », processus « tenir les comptes ». Ces
processus soulÚvent des problÚmes de coopération / coordination entre métiers et acteurs
concrets (exemple : comment, pour la gestion budgétaire, se coordonnent les engagements de
sites différents à travers le temps sur un marché cadre multi-sites et pluriannuel, quelles
concertations concrĂštes cela exige-t-il ?) et des questions dâĂ©volution des mĂ©tiers (ex. pour le
processus « entretenir lâappareil productif », rĂ©flexion sur le devenir du mĂ©tier de technicien
de maintenance). Ces problĂšmes, bien sĂ»r, dĂ©passent de loin lâenjeu SAP, mais peuvent ĂȘtre
soulevés à cette occasion.
II. F. Des imbrications interactives entre les trois niveaux, et non des enchaĂźnements
séquentiels
La relation entre les trois niveaux nâest pas un enchaĂźnement sĂ©quentiel « transactionnel
organisationnel managĂ©rial », mais une sĂ©rie dâinteractions et dâinfluences mutuelles
avec des boucles de retour « transactionnel organisationnel managérial ».
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SCHEMA DU MODELE A TROIS NIVEAUX
Les interactions entre niveaux sont fondamentales :
interaction niveau transactionnel / niveau organisationnel : quelle est la part de re-
engineering organisationnel et la part dâadaptation du logiciel (les deux jouant
Ă©videmment en sens inverse) ;
interaction niveau organisationnel / niveau managérial : pilotage du changement,
rĂ©ajustements du projet de re-engineering (en amont : Ă©tudes dâimpact, en amont et
en aval : groupes de pilotage du changement par processus, groupes de pilotage du
changement par métiers, pilotage du changement par unités) ;
interaction directe niveau transactionnel / niveau managĂ©rial : câest la plus
communĂ©ment prise en compte, elle porte sur lâappropriation du logiciel par les
divers types dâutilisateurs, la formation au logiciel, lâergonomie.
SAP
systĂšmes
de
gestion
intégrés
transaction 1
transaction 2
transaction 3
transaction 4
transaction 5
spécifie
rĂŽle-type A
rĂŽle-type B
rĂŽle-type C
acteurs en place :
profils types
hérités du passé
(ex. techniciens,
acheteurs,
comptables)
dimension
managériale des
processus
prospective
métiers
niveau
organisationnel
(re-engineering)
niveau
managérial
niveau
transactionnel
(schéma de mise en
Ćuvre du logiciel
re-engineering
versus adaptation
fonctionnelle de
lâapplication
management du
changement /processus,
/métiers, adaptations
du re-engineering
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II. G. LâERP comme contrainte forte de coordination « processuelle » : coopĂ©rativitĂ©
et réflexivité
Comme on lâa vu prĂ©cĂ©demment, les ERP sont construits sur des architectures de
processus, cohĂ©rentes avec le principe de la base de donnĂ©es unique : si lâon veut Ă©viter des
ressaisies et la multiplicité des bases de données, il faut organiser le fonctionnement de
lâorganisation sur la base des processus dont les activitĂ©s font usage dâune base de donnĂ©es
partagĂ©e et au long desquels les mĂȘmes donnĂ©es sont saisies une fois puis mises Ă jour.
Cette contrainte « processuelle » a quatre conséquences importantes :
lâactivitĂ© de chacun des acteurs revĂȘt pour toute lâorganisation une visibilitĂ© quâelle
nâavait pas dans une architecture dâapplicatifs sĂ©parĂ©s ; par exemple, si le
technicien de maintenance dĂ©finit son besoin dâachat en traitant les problĂšmes
dâimputation de maniĂšre dĂ©sinvolte, le comptable en fin de chaĂźne, puis tous les
managers du processus le verront dâautant plus clairement que les erreurs initiales
sont bloquantes pour le systĂšme ;
cette visibilité est le corollaire logique de la forte interdépendance qui lie
désormais les diverses fonctions impliquées dans le processus ;
le bon fonctionnement du processus, instrumenté par SAP, exige donc une
coopérativité élevée entre les acteurs, avec ses deux dimensions de compétence
(capacité de coopérer) et de motivation (désir de coopérer) ;
lâextrĂȘme complexitĂ© du dispositif rend illusoire lâespoir de « faire bien du premier
coup » ; en pĂ©riode dâapprentissage et de changement, lâactivitĂ© opĂ©ratoire
normale devra se doubler dâune activitĂ© intense de rĂ©solution de problĂšmes ; la
résolution de problÚmes ne sera possible que si la cooopérativité mentionnée ci-
dessus est assurée : chacun détient une piÚce du puzzle ; il devra donc y avoir un
retour réflexif collectif sur les conditions de réalisation du processus.
II. H. LâintelligibilitĂ© dialogique du processus
La coopĂ©rativitĂ© et la rĂ©flexivitĂ© collective exigĂ©es ne seront accessibles que sâil y a
capacitĂ© de faire sens ensemble des situations dâaction rencontrĂ©es, dysfonctionnelles ou pas.
Cela exige évidemment, a minima, une capacité de se comprendre et de communiquer dans
les interactions deux Ă deux, une intelligibilitĂ© mutuelle. Ce nâest pas suffisant, comme le petit
exemple de la vanne dĂ©crit plus haut le montre : il faut que lâensemble du groupe de
processus, avec la multiplicité des acteurs concernés et la diversité des métiers et des
compétences en jeu, soit capable de construire des significations que chaque acteur isolé ou
chaque duo dâacteurs interagissant ne seraient pas en mesure de construire. Le fonctionnement
rĂ©flexif du processus est trĂšs proche dâun modĂšle conversationnel, dans lequel les Ă©changes
BASE DE DONNEES PARTAGEE
activité W
activité X activité L activité A
activité Y
activité K activité Z
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entre les locuteurs, plus ou moins ordonnés ou foisonnants, permettent de faire émerger
progressivement un sens, de maniĂšre dialogique : un discours (logos) traversant (dia) le
groupe comme une construction collective et coopérative.
Lâenjeu nâest pas mince : le processus dessine, en creux, une « communautĂ© objective »,
inscrite dans les impératifs techniques de coordination et donc, bon gré, mal gré,
consciemment ou non, des faits de coordination. Exemple : lâacteur qui fait la rĂ©ception et
lâacteur qui contrĂŽle la facture doivent, de facto, communiquer et se coordonner (selon une
expression souvent entendue, « SAP les oblige Ă travailler ensemble »). LâactivitĂ© collective
« processuelle » existe « en soi », comme une donnĂ©e de fait. Câest une obligation objective,
qui peut ĂȘtre vĂ©cue comme une contrainte, plus ou moins anticipĂ©e. Mais la capacitĂ© des
acteurs de faire retour ensemble sur les conditions de cette activité collective permet de la
transformer dâune donnĂ©e de fait, subie sous forme de contraintes, en lâobjet dâun dĂ©bat et
dâun effort dâinterprĂ©tation collective, et mĂȘme, au-delĂ , en lâobjet dâun effort actif de
transformation, soit par résolution de problÚmes, soit par innovation visant à des gains de
performance. DĂšs lors, lâactivitĂ© collective, dâexistence objective « en soi », se mue en
pratique dĂ©libĂ©rĂ©e dâune communautĂ©, « pour soi ». Un enjeu-clĂ© du troisiĂšme niveau dit
« managérial » décrit ci-dessus est de transformer des collectifs « obligés et subis » en
collectifs de travail « dĂ©libĂ©rĂ©s » : on passe dâun impĂ©ratif de coordination, en quelque sorte,
Ă un copilotage de lâapplication de gestion dans le cadre dâune coopĂ©ration ouverte et
continue. Les acteurs se connaissent, ont une certaine connaissance de leurs contraintes et de
leurs objectifs respectifs, se rencontrent pĂ©riodiquement, ont des canaux dâĂ©change efficaces
et construisent ensemble lâusage partagĂ© de SAP et ses Ă©volutions plutĂŽt que de subir les
impĂ©ratifs de coordination au fur et Ă mesure de la mise en Ćuvre comme des contraintes de
fonctionnement.
Un tel fonctionnement du processus, réflexif et dialogique, ne semble guÚre faisable si les
acteurs ne disposent pas dâun rĂ©pertoire partagĂ© minimum de rĂ©fĂ©rences interprĂ©tatives, un
arriÚre-plan que peuvent leur donner leur culture, leur histoire, leur expérience. La difficulté
majeure, dans ce contexte, vient de lâhĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© professionnelle et culturelle des acteurs du
processus. Autant le fonctionnement en communautĂ© de pratique des acteurs disposant dâune
pratique commune peut sâappuyer sur lâintelligibilitĂ© mutuelle liĂ©e Ă cette pratique, par
exemple la pratique Ă©tablie dâun mĂ©tier, autant le fonctionnement en communautĂ© dâenquĂȘte
dans le cadre dâun processus transverse pose le problĂšme de lâintelligibilitĂ© et de lâempathie
dâacteurs dont les rĂ©fĂ©rences professionnelles peuvent ĂȘtre trĂšs diverses, voire dans certains
cas antagoniques.
II. I. Lâhybridation des compĂ©tences
A dĂ©faut de disposer dâune pratique commune, les acteurs du processus doivent donc
disposer de schémas interprétatifs communs. Leur capacité de faire sens ensemble des
situations leur permettra de construire une pratique commune, mais de niveau supĂ©rieur Ă
lâactivitĂ© immĂ©diatement perceptible par chacun : au niveau collectif et complexe du
processus ; les acteurs ne « font pas la mĂȘme chose », mais ils contribuent à « une Ćuvre
commune ». Les observations dans le cas « introduction de SAP chez Produiflux » décrit ci-
dessus convergent avec celles de Ariela Caglio (Caglio) dans son étude du cas « introduction
de SAP chez Pharmacom » : lâexistence dâun rĂ©pertoire de schĂ©mas interprĂ©tatifs communs
pour faire sens du processus passe par une redéfinition des métiers, qui assure un
Ă©largissement de leur zone de compĂ©tence, avec des recouvrements partiels significatifs dâun
mĂ©tier Ă lâautre. Pour analyser cet Ă©largissement, Caglio fait appel Ă la notion dâhybridation
des compétences, introduite initialement par KurunmÀki (KurunmÀki) à propos de
lâacquisition de compĂ©tences de comptabilitĂ© de gestion par les professions mĂ©dicales.
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KurunmĂ€ki dĂ©finit lâhybridation comme « Ă©largissement de lâensemble des pratiques et des
compĂ©tences lĂ©gitimes qui constituent un domaine dâexpertise spĂ©cifique ». Dans le cas
Pharmacom, Caglio constate que « (lâhybridation) est une consĂ©quence des sytĂšmes ERP, qui
permettent de codifier beaucoup de pratiques comptables, permettant ainsi le déploiement des
savoirs et de lâexpertise comptables dans toute lâorganisation, de telle sorte que beaucoup
parmi les activitĂ©s traditionnelles des dĂ©partements comptables peuvent ĂȘtre dĂ©placĂ©es vers le
domaine des technologies de lâinformation ou vers les missions opĂ©rationnelles. En mĂȘme
temps, du fait que les ERP libĂšrent beaucoup de lâĂ©nergie et du temps des dĂ©partements
comptables, les comptables eux-mĂȘmes peuvent sâengager de plus en plus activement dans la
gestion opĂ©rationnelle et dans la conception et la gestion des systĂšmes dâinformation »
(Caglio).
Si lâon en juge cependant par le cas « Produiflux », len enjeux liĂ©s Ă lâhybridation des
compétences sont plus profonds que Caglio ne le laisse entendre, et les évolutions
correspondantes sont de ce fait peut-ĂȘtre plus difficiles que son optimisme relatif ne le ferait
espĂ©rer. La formalisation des pratiques dâun mĂ©tier, ici la comptabiolitĂ©, par lâoutil nâimplique
pas ipso facto quâelles puissent ĂȘtre maĂźtrisĂ©es par les autres acteurs. Surtout, lâacquisition de
nouvelles compétences par les comptables « en recouvrement des autres métiers » ne répond
pas simplement Ă la libĂ©ration de temps et dâĂ©nergie par lâoutil et donc Ă lâopportunitĂ© de
remplir un vide. Sâil sâagit simplement de rĂ©pondre Ă cet enjeu, la probabilitĂ© nâest pas
négligeable que les dirigeants raisonnent plutÎt en termes de « productivité tertiaire », de
réduction de coûts et donc de diminution des effectifs, gains accessibles à court temre et ne
nécessitant pas des efforts particuliers de formation, de redéfinition des missions et des
parcours dâexpĂ©rience.
Lâenjeu plus fondamental se situe dans lâexigence de coopĂ©rativitĂ© entre les mĂ©tiers posĂ©e
par le processus. Il ne sâagit pas simplement quâun mĂ©tier profite de SAP « pour trouver le
temps de faire autre chose dans son coin » et sâĂ©tendre Ă des domaines connexes, mais plutĂŽt,
de maniĂšre plus complexe, il sâagit que la transformation des compĂ©tences de tous les mĂ©tiers
concernĂ©s permettent de remplir ensemble les missions de lâentreprise de maniĂšre
radicalement différente en termes de division du travail et de modes opératoires.
LâĂ©largissement des compĂ©tences dĂ©signĂ© par le terme « hybridation » renvoie en fait Ă une
remise en cause de la notion traditionnelle de division du travail. Dans les visions rationalistes
de lâorganisation, la division du travail sert de base Ă la coordination hiĂ©rarchique et
fonctionnelle. Lâhybridation permet de transsformer la division du travail en un repĂšre
heuristique, un support interprĂ©table dans chaque situation, dans le cadre dâune coopĂ©ration
ouverte. Les difficultés rencontrées par Produiflux tiennent sans doute à ce que le choix
organisationnel fait par lâentreprise a mĂȘlĂ© les deux visions de maniĂšre peu cohĂ©rente. Dâune
part, le re-engineering assez radical du processus impliquait une redéfinition profonde des
compĂ©tences et des mĂ©tiers, avec une dimension importante dâhybridation, comme on lâa vu
dans les cas du technicien de maintenance et du comptable. Cette redéfinition exigeait elle-
mĂȘme, dans un premier temps au moins, du slack organisationnel pour permettre de la
formation, du coaching, des pratiques intenses de concertation. Dâautre part, lâobjectif de
productivité tertiaire impliquait de privilégier immédiatement les gains de productivité et « la
libĂ©ration de temps et dâĂ©nergie ». Il aurait sans doute Ă©tĂ© plus cohĂ©rent de sĂ©quencer les
objectifs dans le temps, la poursuite simultanée de la redéfinition « hybridée » des métiers et
de la productivitĂ© tertiaire sâavĂ©rant difficile, non seulement en termes de compĂ©tences, mais
aussi en termes de motivation : ne demandait-on pas de fait aux comptables de se prĂȘter par
leur bonne volontĂ©, en assumant des missions dâassistance et de formation, Ă une entreprise
autosacificielle ?
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II. J. Lâexemple de lâhybridation des compĂ©tences comptables
Dans un processus reconfigurĂ©, oĂč les opĂ©rationnels assurent eux-mĂȘmes les tĂąches de
saisie dans lâoutil et les choix Ă©lĂ©mentaires dâimputation, le travail relativement simple et
rĂ©pĂ©titif du comptable qui consistait Ă transposer des opĂ©rations dâachats dans le langage
comptable sâen trouve fortement allĂ©gĂ©. Mais cette Ă©volution, envisagĂ©e en thĂ©orie, nâest
possible et ne commence Ă sâengager pratiquement que lorsque les techniciens sont capables
dâassumer leur nouveau rĂŽle de chefs de projet et de gestionnaires. Pour ĂȘtre en cohĂ©rence
avec ces mutations, les comptables doivent prendre un recul réflexif sur leur propre métier et
leur propre compétence traditionnelle, pour assumer des rÎles de :
formateurs, soutiens et conseils auprÚs des opérationnels, ce qui suppose de leur
part lâacquisition dâune connaissance Ă©lĂ©mentaire des mĂ©tiers et des contraintes de
la maintenance industrielle ;
experts en mĂ©thodes â prĂȘts Ă faire Ă©voluer les procĂ©dures et les mĂ©thodes pour
mieux les adapter aux nouvelles formes dâorganisation, en ce qui concerne
notamment le plan de comptes et le rĂ©fĂ©rentiel comptable de SAP, qui doit ĂȘtre
structuré et libellé de maniÚre à faciliter son utilisation par les techniciens pour
Ă©laborer leur demande dâachat ; ceci suppose une certaine comprĂ©hension des
problÚmes opérationnels par les comptables ;
spĂ©cificateurs dans le systĂšme dâinformation SAP, ce qui suppose de leur part
lâacquisition dâun bon niveau de compĂ©tence dans lâoutil et dâune culture gĂ©nĂ©rale
solide en systĂšmes dâinformation ;
conseils auprÚs des acheteurs, pour les aider à modéliser des marchés cadres qui
rĂ©pondent aux besoins dâutilisation des techniciens de maintenance et facilitent les
réceptions puis le contrÎle de factures, ce qui suppose que les comptables aient une
bonne comprĂ©hension de la politique dâachat et sachent formuler leurs besoins
auprĂšs des acheteurs.
Câest pourquoi, sur le plus long terme, le profil du comptable devrait Ă©voluer vers une
diminution significative des tùches répétitives et un renforcement des exigences en aptitudes
relationnelles et pédagogiques, en connaissance des métiers opérationnels et en expertise
comptable proprement dite.
Conclusion
La gestion dĂ©libĂ©rĂ©e du changement organisationnel liĂ© Ă lâintroduction dâun ERP relĂšve
dâune dĂ©marche de projet, avec des cibles organisationnelles explicites, discutĂ©es et
Ă©volutives. La prise en compte raisonnĂ©e de la dimension transversale processus, dâune part,
la mise en Ćuvre dâune dĂ©marche systĂ©matique dâhybridation des compĂ©tences (Ă travers la
formation, les parcours de carriĂšre, le compagnonnage, le recrutement), dâautre part, peuvent
Ă©viter de subir les transformations sans les vouloir et sans les maĂźtriser. En lâabsence de ce
type de démarche, les adaptations sont abandonnées au niveau individuel, à la bonne volonté
et Ă lâadaptabilitĂ© des personnes. Le cas de Produiflux laisse penser que, dans ce scĂ©nario, le
taux dâĂ©checs est considĂ©rable : parmi les utilisateurs techniciens rencontrĂ©s, on peut estimer
quâenviron 50% avaient rĂ©ussi Ă se repositionner dans une perspective de mĂ©tier Ă©largie, mais
50% se considĂ©raient en situation dâĂ©chec partiel ou total. Les proportions sont sans doute
comparables du cĂŽtĂ© des comptables. A lâinverse, le dĂ©veloppement dâune action collective
volontaire sur les deux axes (dimension processus des fonctionnements, hybridation des
compétences), permet sans doute, non seulement de « limiter les dégats », mais de faire de ce
changement lâoccasion dâinnovations organisationnelles majeures et Ă terme dâavantges
comparatifs sur le marché. Le « choc » du « frottement » avec les compétences des autres
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mĂ©tiers, tant dans le fonctionnement en processus que dans la dĂ©marche dâhybridation, peut
engendrer des prises de recul sur les habitudes professionnelles les plus ancrées et une réelle
capacité créative.
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