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14 octobre 2014 * Les auteurs adhèrent à la charte de déontologie du LIEPP, disponible en ligne, et n'ont déclaré aucun conflit d'intérêt potentiel. [email protected] Clément Bosquet est ancien élève de l'ENS Cachan et de l'ENSAE, docteur en sciences économiques d'Aix-Marseille Université, actuellement post- doctorant à la London School of Economics. [email protected] Pierre-Philippe Combes est Directeur de Recherche au Cnrs, membre de l'École d'Économie d'Aix- Marseille, Professeur à temps partiel au département d'économie de Sciences Po et membre du CEPR. [email protected] Cecilia García-Peñalosa est Directrice de Recherche au Cnrs et membre de l’École d’Économie d’Aix-Marseille. Elle est membre du Conseil d’Analyse Economique et chercheur associé du CESifo (Munich).

Les effets macroéconomiques du contrat unique d’insertion · 2017-08-14 · Les écarts entre hommes et femmes sur le marché du travail, en termes de taux d'emploi et de salaires

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Page 1: Les effets macroéconomiques du contrat unique d’insertion · 2017-08-14 · Les écarts entre hommes et femmes sur le marché du travail, en termes de taux d'emploi et de salaires

RÉSUMÉpar Clément Bosquet

14octobre 2014

#

Pourquoi les femmes occupent-elles moins de postes àresponsabilité ?Une analyse des promotions universitaires

en économie

Gender gaps in employment and wages have decreased over the past decades,

especial ly once we control for observable characteristics. However, women are stil l

underrepresented in high paid jobs, and this is largely the result of lower promotion

rates. Our study on French academic economists, whose promotion to senior positions

occurs through a national contest, finds that women are not subject to discrimination

during the promotion contests. Instead, female academics are between 30 and 40% less

likely than men to enter these contests. We also find that this application gap is not due

to a higher cost of promotion for women nor to women having a different trade-off

between wages and department prestige than men, which leaves the expectation of

discrimination and a disl ike for entering competitions as the sole possible explanations.

Long-term public policy can aim at encouraging self-confidence in girls so as to

eventual ly make women as competitive as men. In the short term, making the

application gap public knowledge so as to change women’s expectations of discrimination

or making candidatures automatic, substituting the opting-in by an opting-out system,

could reduce the gender gap in promotions.

* Les auteurs adhèrent àla charte de déontologie du LIEPP,disponible en ligne, et n'ont déclaré

aucun conflit d'intérêt potentiel.

[email protected]

Clément Bosquet est ancienélève de l'ENS Cachan et de

l'ENSAE, docteur en scienceséconomiques d'Aix-Marseille

Université, actuellement post-doctorant à la London School of

Economics.

Si les écarts entre les hommes et les femmes de taux d'emploi global et de salaires, à

caractéristiques observables données, dont le type d'emploi, sont devenus très faibles, i l

n'en reste pas moins que les femmes occupent moins fréquemment des postes à haute

responsabil ité, mieux rémunérés. Notre étude sur le monde académique français en

sciences économiques montre que les femmes ne sont pas discriminées lors des

concours de promotion mais qu'el les postulent de 30 à 40% moins que les hommes à

ces concours. Nous montrons également que cette différence n'est pas due à un coût à

passer les concours plus élevé pour el les ou à une plus grande réticence à quitter des

universités prestigieuses pour être promues. Les femmes postuleraient moins soit par

anticipation d'une discrimination, soit par manque de confiance. Au-delà d'actions de

long-terme, dès l'enfance, sur la confiance en soi visant à rendre les femmes plus

enclines à "entrer en compétition'', rendre publics ces écarts de candidatures et de

promotion (pour changer les anticipations de discrimination) et rendre automatiques les

candidatures pourraient constituer des solutions pour réduire les écarts entre les

hommes et les femmes de candidature à la promotion.

ABSTRACT

Pierre-Philippe Combes

Cecilia Garcia-Peñalosa

[email protected]

Pierre-Philippe Combes estDirecteur de Recherche au Cnrs,

membre de l'École d'Économie d'Aix-Marseille, Professeur à temps partiel

au département d'économie deSciences Po et membre du CEPR.

[email protected]

Cecilia García-Peñalosa estDirectrice de Recherche au Cnrs et

membre de l’École d’Économied’Aix-Marseille. Elle est membre du

Conseil d’Analyse Economique etchercheur associé du CESifo

(Munich).

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Pourquoilesfemmesoccupent-ellesmoinsdepostesàresponsabilité? 1. Les principaux enjeux

Les écarts entre hommes et femmes sur lemarché du travail, en termes de taux d'emploi et desalaires à poste donné, ont beaucoup diminué aucours des dernières décennies. A contrario,beaucoup reste à faire en ce qui concerne les écartsde postes atteints. Cette note a pour objet d'éclairerle débat relatif aux sources de ces écarts et auxsolutions qui pourraient les réduire.

Les progrès des femmes sur le marché dutravail ont aussi bien concerné leur taux d'emploi,qui a augmenté de 59 % en 1975 à 84 % en 2012pour les 25-50 ans [1], que les écarts de salaire.Certes, les femmes étaient toujours payées enmoyenne brute 25% de moins que les hommes en2012, soit le même écart que dans les années 1990.Mais ces différences sont expliquées dans unegrande mesure par les différences decaractéristiques observables des individus : âge (lesfemmes employées sont plus jeunes et les salairescroissent avec l'âge), niveau et surtout filièresd'éducation (les femmes choisissent des filièresmoins rémunératrices que celles choisies par leshommes). A caractéristiques identiques, l'écartsalarial est bien plus faible, de 7%, soit environ unquart de l'écart brut (voir Meurs et Ponthieux,2006, calcul actualisé par les auteurs à partir del’enquête emploi 2012). Une explication possiblepour cet écart "non expliqué" est que les donnéesne capturent pas les différences de type de posteoccupé de façon suffisamment précise. Si au seind’un secteur et d’une occupation les femmes sontpromues moins souvent que les hommes, cesderniers auront aussi des salaires plus élevés. Detelles différences de taux de promotions sont eneffet bien documentées  : Bertrand et Hallock(2001) montrent par exemple que les femmesn’occupaient que 2,5% des postes de hautsdirigeants dans les entreprises américaines pendantles années 1990. En ce qui concerne la France,Gobillon, Meurs et Roux (à paraître, 2015)estiment que pour les cadres, l'écart entre leshommes et les femmes de probabilité d'obtenir unemploi s'accroît tout au long de l'échelle de salaires,passant de 9% à 50%. Pourquoi donc les femmesatteignent-elles si difficilement les postes les plusélevés, même à âge, niveau et filière d'éducationdonnés ?

Deux explications -  discrimination ouattitude différente face à la recherche depromotion - se présentent pour expliquer les écartsde carrière entre hommes et femmes. Au-delà de laprésence de discrimination lors des promotions, ilest possible que les femmes choisissent moinssouvent que les hommes de postuler à des posteshiérarchiquement très élevés parce que ces derniersimpliquent des temps de travail longs, desdéplacements plus nombreux, et sont donc plusdifficiles à concilier avec une vie de famille,souvent plus à la charge des femmes. Uneexplication alternative récemment mis en évidence

par l’économie expérimentale suggère que leshommes et les femmes pourraient aussi avoir desattitudes différentes dans les contextes de forteconcurrence, comme ils sont à l’œuvre dans lesprocessus de promotion au sein des entreprises(voir Azmat et Petrongolo, 2014).

Ainsi, à niveau de compétences pourl'emploi égal, les femmes pourraient obtenir desfonctions moins élevées pour trois raisons  : soitelles seraient discriminées lors de la procédure derecrutement/promotion, soit elles seraient moinsperformantes lors de celle-ci ; soit ellesdécideraient en amont de candidater moinssouvent que les hommes, cette auto-sélectionpouvant avoir différentes causes que nousdétaillons plus loin. Connaître laquelle de cesexplications des différentiels de postes atteints parles hommes et les femmes sur le marché du travailest principalement à l'œuvre est important dans lamesure où les politiques pour y remédier ne serontpas les mêmes si les femmes sont victimes dediscrimination ou si elles ne candidatent pas parmanque de confiance par exemple.

2. Les promotions académiquescomme laboratoire des différencesde comportements sur le marché dutravail

2.1. Disposer de données adéquates

Les raisons effectives des différentiels depostes atteints entre hommes et femmes sontdifficiles à étudier en pratique dans la mesure oùles comportements des uns et des autres sont trèsrarement observables dans les données. Enparticulier, s’il est éventuellement possibled’observer dans les données usuelles lesdifférences de promotions (même si l’informationrelative à la hiérarchie du poste est déjà parfoisdifficile à connaître), on n’observe quasimentjamais les tentatives et les candidatures ratées auxpromotions des employés. Ainsi, il estempiriquement très difficile de distinguer lesexplications des écarts entre les hommes et lesfemmes de postes atteints liées à la discriminationde celles liées à une possible auto-sélection desfemmes (quelle qu’en soit la raison). Les femmespourraient ainsi ne pas occuper de postes de hautniveau en partie simplement parce qu'elles n'ypostulent pas.

Un des rares contextes dans lequel il estpossible d’observer toutes les tentatives depromotion est celui de certains concours nationauxde la fonction publique française. L’informationconcernant les candidats et les lauréats est alorscensée être publique (en étant par exemple inscrite

[1] Source  : INSEE, http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=irsocmartra13.

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LIEPPpolicybrief#14-octobre

2014

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www.sciencespo.fr/lie

pp

au Journal Officiel) même si elle peut être difficileà obtenir dans la pratique. Cela dit, même avec laliste des candidats, il est compliqué pour la plupartde ces concours d’obtenir en outre desinformations sur les compétences des candidats,information cruciale dans la mesure où unepromotion devrait logiquement être donnée auxcandidats les plus aptes. Un deuxième problèmeest que pour mesurer correctement le fait que lesfemmes postulent moins que les hommes, il estessentiel de connaitre la proportion de femmespotentiellement candidates à la promotion,information rarement disponible.

Le cas des promotions dans le milieuacadémique français, plus particulièrement dans ledomaine de l'économie, a retenu notre attention.Tout d'abord, il y est en effet possible d’obtenir,au-delà des candidatures et lauréats des concoursde promotion, la liste de chercheurs qui en seraientles candidats potentiels. Ensuite, un certainnombre de mesures individuelles de compétences(malheureusement uniquement sur leur activité derecherche) existent.

En effet, en ce qui concerne les enseignantschercheurs à l’Université de la section 5 (scienceséconomiques) du CNU (Conseil National desUniversités) et pour les chercheurs de la section 37(économie et gestion) du CNRS (Centre Nationalde la Recherche Scientifique), les promotions ontlieu à travers des concours nationaux. La section 5du CNU est une des six sections pour lesquelles ilexiste un concours d’Agrégation du Supérieur [2],principale voie pour devenir Professeur desUniversités lorsque l'on est Maître de Conférences(même s'il existe d’autres voies, qui représententcependant un nombre de postes réduits etnécessitent des conditions spéciales pour êtrecandidats, d’âge notamment). Au CNRS, lesChargés de Recherche doivent de même postuler àun concours national de Directeur de Recherche.Dans ce dernier cas, les candidats doiventsimplement envoyer un CV et un projet derecherche au jury. S'ils sont promus, ils peuventrester en poste dans l’Université où ils se trouvent.Dans le cas de l’Agrégation du Supérieur, aucontraire, la procédure est bien plus couteuse. Lescandidats doivent tout d'abord passer plusieursépreuves orales (une présentation des travaux derecherche suivie de deux leçons sur des sujets tirésau hasard, un dans un champ de spécialitéprédéfini par le candidat, l’autre dans n’importequel champ de l’économie). Les lauréats ontensuite de grandes chances de devoir changerd’université (et donc sûrement déménager)puisqu’ils choisissent par ordre de réussite auconcours leur poste parmi ceux proposés par lesUniversités.

2.2. La prise en compte des compétences

Le monde académique en économie estdevenu familier de l'usage d'un grand nombre demesures statistiques de production scientifique.Celles-ci permettent d’avoir une évaluationindividuelle des compétences pour la recherche desenseignants-chercheurs, ces compétences étantcensées être un des facteurs importants depromotion. Il existe par exemple de nombreuxclassements nationaux et internationaux des revueset journaux scientifiques spécialisés en économie(fondés principalement sur des indices de citations)qui permettent à la fois de produire desclassements des centres de recherche et universitésen économie et de conduire à des mesuresindividuelles de l'activité de publication dans lesrevues à comité de lecture (voir Bosquet etCombes, 2013). Naturellement, ces mesures nesont certainement pas suffisantes pour apprécierles différences de compétences entre candidats,même sur la dimension recherche car ne prenantpas en compte les citations reçues par chaquetravail ou les publications autres que dans lesrevues de recherche par exemple. Les qualitésd'enseignant, elles aussi évaluées lors des concourspour devenir Professeur des Universités parexemple, ne sont pas non plus prises en compte.

Néanmoins, il est possible, d'une part, que cescompétences alternatives soient corrélées auxmesures de publications, et, d'autre part, que cesdernières permettent de prendre en compte aumoins en partie les différences entre candidats.Cela est en général beaucoup plus difficile dans lemonde non-académique, au-delà des élémentsapparaissant sur les CV (type de postes passés etprogression de la carrière), éléments qui ne sont engénéral pas accessibles de façon précise dans lesenquêtes statistiques de grande ampleur.

Afin d’étudier les causes des différentiels depromotion entre hommes et femmes sur le marchédu travail particulier que constitue le mondeacadémique, notre étude (Bosquet, Combes etGarcia-Peñalosa, 2014) a tout d'abord consisté àrapprocher les listes des enseignants chercheurs dela section 5 du CNU et des chercheurs de lasection 37 du CNRS entre 1991 et 2008 des listesdes candidats et des lauréats aux concours del’Agrégation du Supérieur en scienceséconomiques entre 1992 et 2008 et aux concoursde Directeur de Recherche au CNRS de la section

3

[2] Les autres sections concernées sont  : droit privé, droitpublic, histoire du droit, science politique et sciences degestion.

Les femmes ne sont pasdiscriminées lors des

concours de promotionmais elles y postulent

nettement moins que leshommes

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37 entre 1996 et 2008. En utilisant la base dedonnées EconLit, nous avons construit des indicesde publications scientifiques pour tous lescandidats potentiels (en considérant que tous lesMaîtres de Conférences et Chargés de RechercheCNRS en économie en faisaient partie mais enexcluant à l'inverse des candidats venantpotentiellement d'autres horizons). EconLitrassemble plus de 560  000 articles publiés dansenviron 1200 revues scientifiques en économieentre 1969 et 2008. Les indices de publication d'uncandidat sont son nombre de publications et laqualité moyenne de ces publications. Cette dernièrecorrespond à la qualité moyenne des revues danslesquelles les articles ont été publiés, sur la based'indices de citations permettant de comparer cesrevues.

Ainsi, les probabilités, premièrement, debénéficier d'un poste hiérarchiquement plus élevé,deuxièmement, de réussir au concours en sachantqu'on y a postulé, et, troisièmement, de postuler auconcours, vont pouvoir être comparées entrehommes et femmes, à caractéristiques observablesdonnées, à savoir âge mais aussi compétences enrecherche. Nous pouvons également comparer lespromotions à l'Université et au CNRS pourlesquels les coûts de promotion pour les lauréats(de passage du concours et d'éventuelle mutation)diffèrent, ce qui nous permet d'entrer dans laproblématique des causes des différences mises enlumière.

3. Pas de discrimination mais unemoindre propension à postuler desfemmes

3.1 Moins de femmes Professeures desUniversités et Directrices de Recherche

En 2008 (dernière année de notre base), lesfemmes ne représentaient que 29% desenseignants-chercheurs en sciences économiques(CNU section 5) et 24% des chercheurs au CNRS(section 37). [3]

Pour l’ensemble de notre échantillon (1992-2008), la probabilité qu’un homme occupe unposte de Professeur lorsqu’il est enseignantchercheur à l’Université est de 39,9%. Cetteprobabilité est de seulement 17,6% pour lesfemmes, soit un écart de 22,3 points depourcentage. Ce résultat, 0,223 en termes deprobabilité, est reporté dans la ligne 'Ecart total' enpremière colonne du Tableau  1 ci-dessus. AuCNRS, la probabilité qu’un homme occupe unposte de Directeur de Recherche sur la période1996-2008 est de 44,8% alors que cette probabilitéest de seulement 17,9% pour les femmes, soit unécart de 26,9 points de pourcentage, résultatreporté dans la colonne (5).

Ces différences s’expliquent en partie par lefait qu’en moyenne, les femmes sont plus jeunes(alors qu’être promu(e) requiert du temps) etqu'elles publient moins. Ces facteurs ne sontcependant pas suffisants pour expliquer ledifférentiel entre les hommes et les femmes deposte atteint. Les lignes suivantes du Tableau  1présentent ainsi une décomposition Oaxaca-Blinder des déterminants de ces écarts àl’Université (colonnes 1 et 2) et au CNRS(colonnes 5 et 6), la première colonne donnant àchaque fois l'écart en termes absolus et ladeuxième l'écart relatif. Par exemple à l'Université,l'écart entre les hommes et les femmes de 0,223résulte des différences de caractéristiques entre leshommes et les femmes à hauteur de 0,178, soit80%. Il reste cependant bien une moindreprobabilité d'occuper un poste élevé pour lesfemmes, à caractéristiques données cette fois-ci, de0,045, soit 20% de l'écart brut.

Les lignes suivantes donnent lescontributions des différentes caractéristiquesconsidérées aux écarts entre les hommes et lesfemmes totaux. Ainsi, si entre 70 et 80% des écartsde poste occupé entre hommes et femmes est dûaux différences de caractéristiques, environ unemoitié de ces différences expliquées est due à l’âge

4

Pourquoilesfemmesoccupent-ellesmoinsdepostesàresponsabilité?

[3] Cela représente déjà en soit une sous-représentation quenous ne pouvons malheureusement pas tenter d’expliqueravec les données dont nous disposons.

Tableau 1 : Décompositions Oaxaca-Blinder du différentiel de postes atteints et de la probabilité de candidater à une promotionentre hommes et femmes.

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www.sciencespo.fr/lie

pp

5moins élevé des femmes et une autre moitié à leursplus faibles scores de publication. Le reste, à savoir20% pour l'Université et 30% pour le CNRS, est liéau simple fait d’être une femme.

Nous avons ensuite cherché à savoir si cettedernière partie non expliquée par lescaractéristiques observables des écarts de postesatteints était due à un moindre succès des femmesaux concours de promotion ou à leur moindrepropension à postuler à ceux-ci.

3.2 Pas de différence de réussite auxconcours

En analysant les résultats aux concoursd’Agrégation du Supérieur en scienceséconomiques entre 1992 et 2008 et aux concoursde Directeur de Recherche au CNRS entre 1996 et2008, nous avons mis en évidence que les femmesn’avaient pas une probabilité de réussite plus faibleque les hommes. La variable 'genre' dans lesrégressions expliquant la probabilité de réussiteaux concours n'est pas significativement différentede 0. Cela est vérifié tant à caractéristiquesobservables équivalentes qu'en ce qui concerne laprobabilité brute de succès, et ce à la fois au CNRSet à l'Université. Le résultat persiste même lorsquel’on restreint l’échantillon aux candidats ayantfranchi les premières étapes de l'Agrégation duSupérieur pour l'Université.

Ces résultats sont ainsi difficilementréconciliables avec une discrimination à l’encontredes femmes pendant les concours ou à unemoindre performance de ces dernières lors desleçons d’Agrégation. Conditionnellement au fait decandidater, il semble donc que les femmes nesoient pas moins promues que les hommes. Maiscandidatent-elles autant que ces derniers ?

3.3 Une moindre propension à postuler

Notre travail met également en évidenceque si les femmes sont moins promues que leshommes dans le monde universitaire français, c’estavant toute chose qu’elles sont moins souventcandidates, même à caractéristiques observables, etnotamment publications, identiques. Le Tableau  1présente aussi la décomposition Oaxaca-Blinder dudifférentiel de candidatures entre hommes etfemmes à l’Université (colonnes 3 et 4) et auCNRS (colonnes 7 et 8).

La probabilité qu’un homme soit candidat àl’Agrégation est de 12,5%. Pour une femme elle estplus faible de 4,6 points, soit une probabilité decandidater 37% inférieure à celle des hommes.Pour le CNRS, la probabilité d’être candidate pourles femmes est inférieure de 45% à celle deshommes.

Le tableau indique qu’une fois candidates,les femmes ont des caractéristiques très proches de

celles des hommes. Ces caractéristiquesn'expliquent ainsi que très peu les différences decandidatures entre hommes et femmes. A l'inverse,86% du différentiel de candidatures est expliquépar le genre, à autres caractéristiques données, tantà l'Université qu'au CNRS. Ainsi, à caractéristiquesidentiques à celles des hommes, les femmes ontune probabilité de candidater moins élevée de 30 à40%.

3.4 Les causes possibles d'une tel le auto-sélection

Les raisons qui poussent les femmes àcandidater moins souvent que les hommes sontdifficiles à appréhender. Nous avons essayé detester certaines hypothèses sur ce sujet.

D’abord, les coûts de candidature et depromotion éventuelle pourraient être plus grandspour les femmes que pour les hommes, enparticulier à l'Université. Dans un ménage, lesalaire de la femme étant en moyenne plus faibleque celui de l'homme, un déménagement faisantsuite à l'obtention de l'Agrégation du Supérieur etremettant potentiellement en cause l'emploi duconjoint pourrait être plus coûteux pour lesfemmes. Cette explication n’a cependant pas étévalidée par nos données dans la mesure où lesfemmes candidatent encore moins que les hommesau concours du CNRS qu'à l'Université, bienqu'alors aucun déménagement ne soit imposé.

Ensuite, nous avons cherché à savoir si lesfemmes faisaient un arbitrage différent de celui deshommes entre salaire et prestige de l'Universitédans laquelle elles travaillent. Toujours dansl'hypothèse où elles constituent plus souvent ledeuxième revenu du ménage, les femmespourraient avoir en effet une utilité marginale àleur revenu plus faible que les hommes et préférerne pas risquer de devoir quitter une universitéprestigieuse pour augmenter leur salaire. Là encore,les données n’ont pas validé cette hypothèsepuisque les femmes dans les meilleures universitéscandidatent relativement plus à l’Agrégation duSupérieur.

Rendre les candidatures àla promotion automatiques

et diffuser publiquementles taux de candidature et

d'obtention des promotionspourraient réduire ces

écarts

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4. Des implications pour despolitiques de réduction des écartsde statut entre les hommes et lesfemmes

Nous avons donc mis en évidence que si lesfemmes étaient moins souvent promues que leshommes à l’Université française (en scienceséconomiques), c’est qu’elles candidataient moinssouvent aux concours de promotion, toutes choseségales par ailleurs. Notons que la moindrepropension des femmes à postuler a également étéobservée chez Google où des séminaires sontdésormais organisés pour encourager les femmes àle faire. [4] L'écart de taux de candidature dans lemonde académique français en économie nesemble pas être dû à une question de coûts à lapromotion ou de préférences différentes dansl’arbitrage salaire/prestige de l'Université.

Les explications qui restent sont, d'une part,l’anticipation d'une discrimination qui pousseraitles femmes à moins postuler, même si aucunediscrimination effective n'apparaît pour le moment,ou, d'autre part, un moindre goût des femmespour la compétition, comme suggéré par certainesétudes expérimentales. Un manque de confiancedes femmes en elles-mêmes est également souventavancé pour expliquer leurs attitudes dans lemonde du travail. Malheureusement, nos donnéesne permettent pas de confronter ces explicationsde façon convaincantes. [5]

Si travailler sur la confiance en soi ne peutavoir des effets qu’à long terme dans la mesure oùun tel processus commence probablement dèsl’enfance, voie que les décideurs pourraientcependant sans aucun doute explorer pour réduireles écarts entre les hommes et les femmes decandidature aux postes de haut niveau, il estégalement possible, à plus court terme, de changerla façon dont est décidée l’entrée dans le processusde promotion/compétition. On pourrait imaginerpar exemple dans la fonction publique un systèmeoù chaque employé(e), les Maîtres de Conférenceset Chargés de Recherche à l'Université ou auCNRS, aurait un mentor qui le proposerait commecandidat(e) aux promotions. A compétences égales,ces mentors, qui ne devraient pas être influencéspar le contexte concurrentiel puisque nondirectement concernés, devraient encourager lesfemmes à postuler tout autant que les hommes.Alternativement, un système dans lequel lesemployés sont automatiquement considéréscomme candidats après un certain nombred'années et dans lequel ils peuvent éventuellementchoisir de ne pas l’être (au lieu de devoir faire ladémarche opposée plus proactive) pourraitégalement réduire l’écart de candidatures entrehommes et femmes.

Finalement, notre étude ne portemalheureusement que sur un type d'activitérelativement particulier. En ce qui concerne lesecteur non-académique, les politiques à mettre en

place sont moins évidentes. Il semble cependantrelativement clair qu'une absence totale dediscrimination au moment du choix de la personnepromue parmi les candidats ne suffirait pas àaugmenter largement le taux de promotion desfemmes. Une politique plus volontaire pourraitconsister à demander aux entreprises de rendrepublique la proportion de femmes candidates auxpromotions proposées et à comparer ces chiffresau pourcentage de femmes de rang inferieur dansl’entreprise ou le secteur. Rendre publics ceschiffres pourrait encourager les femmes à prendreplus d’initiatives afin d'être promues, et à leurssupérieurs d'être conscients de l’importanced'encourager leurs candidatures.

6

Pourquoilesfemmesoccupent-ellesmoinsdepostesàresponsabilité?

[4] New York Times en ligne, 22 août 2012  : http://www.nytimes.com/2012/08/23/technology/in-googles-inner-circle-a-falling-number-of-women.html?pagewanted=all&_r=1&. .

[5] Voir sur ce point l’article « The Confidence Gap » de KattyKay and Claire Shipman, The Atlantic  :http://www.theatlantic.com/features/archive/2014/04/the-confidence-gap/359815/.

Azmat, G. et Petrongolo, B. (2014), ‘Gender and the LaborMarket: What have we learned from field and labexperiments?’, Labour Economics, à paraitre.

Bertrand, M. et Hallock, K. F. (2001), ‘The Gender Gap in topcorporate jobs’, Industrial and Labor Relations Review, 55(1),3-21.

Bosquet, C. et Combes, P.-P. (2013), ‘Are academics whopublish more also more cited? Individual determinants ofpublication and citation records’, Scientometrics, 97,831–857.

Bosquet, C., Combes, P.-P. et Garcia-Peñalosa, C. (2014),`Gender and promotions: evidence from academiceconomists in France', LIEPP Working Paper nº 29.

Gobillon L., Meurs D. et Roux S. (2015), ‘Estimating GenderDifferences in access to jobs: Females trapped at thebottom of the ladder', Journal of Labor Economics, à paraitre.

Meurs, D. et Ponthieux, S. (2006), ‘L’écart de salaires entre leshommes et les femmes peut-il encore baisser ?’, Economieet Statistique, 398(1), 99-129.

Références

Le Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation despolitiques publiques (LIEPP) est un laboratoired'excellence (labex) financé par l'ANR.

(ANR-11-LABX-0091, ANR-11-IDEX-0005-02)

27 rue St Guillaume, 75007 Paris+33(0)1.45.49.83.61 - [email protected]/liepp© LIEPP 2014

Dir. de publication : B. Palier & E. Wasmer

Maquette : A. Biotteau and M. Abbott

© LIEPP 2014