Leopold Sedar Senghor l'Art Africain Comme Phi Lo Sophie

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Souleymane Bachir Diagne Lopold Sdar Senghor: L artafricaincomme philosophie ~ v e n e u v e ,~ttlitions ISBN978-2-914214-18-6 Riveneuve ditions,2007 75,rue Gergovie 75014Paris [email protected] Pour Mariame ... vousparlezdemon ambigutsurlaNgritude.Ilenestde l'ambigutcommedelacontradiction.Au dbutdel'laborationd'unethorie,dans l'abondanceet lasurabondancedela jeunesse, on rassemble toujours,avec passion,des lments contradictoires.Il fout attendre l'gemr pour queceux-cisedcantentets'ordonnenten symbiose. Uopold Sdar Senghor (dans une lettre Janet Vaillant) INTRODUCTION Lintuition philosophique premire . . . .je suis convaincu que l'art est la tche suprme et l'activit vritablement mtaphysique de cette vie. E NIETZSCHE HenriBergsonnousenseignecommentilfaut lirelesphilosophes.Ilfautseplacerd'abord enfacedeleurpensepourenremonterles sources,peser lesinfluences qui se sont exerces,reprer d'unmot dequellesidesladoctrineestune synthse. Maislevritablefruitdecepremiereffort,indique Bergson, se cueille au moment o on accde l'intuition premiredontladoctrineestundploiement,oon voitlespartiesquilacomposent entrer lesunesdans lesautres et o tout se ramasse en un point unique. Alors,en ce point, crit l'auteur deL'volutioncratrice, on dcouvre quelque chose d'infiniment, simple,de si extraordinairement simple quelephilosophen'a jamais russi le dire. De thseenthse il n'aura jamais cess de chercher exprimer cette intuition premire. 1 1. Voir H. BERGSON,La pense et le mouvant,-l'intuition philosophi-que , pp.1345-1365 inuvres (Edition ducmtenaire),Paris, Presses universitairesdeFrance,1970.VoicicequeBergsoncrit:... mesure que nous cherchons davantage nous installer dans la pense 5 Lorsqu'onremontelessources,qu'onpselesin-fluencespour reprerlesidesdont elleest la synthse, on dcouvrebien sr d'abord que lapense deLopold Sdar Senghor,saphilosophie del'Africanit,c'est aussi les philosophies au milieu desquelles il a vcu et pens et que J.L.Hymans a pass en revue dans cequi reste, ce jour, la meilleure, c'est--dire la plus fouilledesbiogra-phiesintellectuellesdupotesngalais.2 Langritude, ainsi que Senghor a baptis sa philosophie, c'est l'Afrique et sa diaspora,c'est lemouvement de la Harlem Renais-sance,c'est aussiSartre,c'estBergson,c'est Lvy-Bruhl, c'est Marx et Engels,c'estFrobenius,c'estPicasso,c'est TeilharddeChardinetd'autres.C'est,d'unmot,une maniredefaire(thoriquement)flchedetoutbois.3 D'ailleursSenghor lui-mmenecessederpter quece qui a permis l'entreprise multiforme de mettre jour un penser africainautre c'est la rvolution intellectuelle que marquelepremier ouvragedeBergsonpublien1889 et qui arvluneautre maniredevoir,une direction duphilosopheaulieud'enfaireletour,nousvoyonssadoctrinese transfigurer. D'abord la complication diminue. Puis les parties entrent lesunesdanslesautres.Enfintoutseramasseenunpointunique, dont nous sentons qu'on pourrait se rapprocher de plus en plus quoi-qu'ilfailledsesprer d'y atteindre.En cepoint est quelque chose de simple,d'infinimentsimple,desiextraordinairementsimplequele philosophe n'a jamais russi le dire.Et c'est pourquoi ila parl toute sa vie. (pp.1346-1347) 2. Jacques loUIS HYMANS,Lopold Sdar Senghor.An intellet:tual Bio-graphy,Edinburgh, Edinburgh University Press,1971. 3.ArmandGuibenparlefortjustementd'unedoctrineparseen cent et cent manifestes,anicles,rappons,essais,discours,adresseset autres crirsde circonstance. Armand GUIBERT&NIMROD,Lopold Sd4r Senghor,Paris, Seghers, 2006 ; p. 38. 6 pour laphilosophie radicalement autre que celle o jus-qu'alors, pour sauver la raison des sophismes des lates, Aristote surtout l'avait engage. Maisaufoyerdetoutescesdirectionsoversela pense,l'intuitionpremire,quelleest-elle?C'est, d'unmot,qu'ilyaunevritdel'artafricainetqui est philosophie.LopoldS.Senghorestunphilosophe Nietzschen: comme l'auteur du Zarathoustra il dclare, et c'est toute la matrice de sa pense, que nous avons l'art pour ne pas mourir de la vrit.Plusprcisment: nous avonslavritdel'art africain,decequel'onaappel l'artngre ,pournepasmourird'unrationalisme troit et rducteur.Mais d'abord pour ne pasmourir de langationcoloniale.Queceftllecommencement delaphilosophiesenghorienneestnormallorsqu'ony rflchit.Carqu'estcequi,dsledbutdu vingtime sicle,chez lesgrands artistes et potes et mme chez un penseur raciste comme Gobineau, a t reconnu comme une contribution essentielle du monde africainnoir la civilisationmondiale?Lartngre.Iltaitdoncnaturel qu'un sujet colonialcommel'tait Senghor,quirefusait dssonplusjeunege,lorsqu'iltenaitttesesma-tresdel'colemissionnaireaffirmantlecontraire,que l'Mrique ft une table rase culturelle, s'engaget dans ses premiresrflexionssurl'africanitenfaisantfondsur l'art du continent.4 4.En1932, laRevue du MondeNoir,danssonnumro5 du moisde Mars,publieunarticled'untudiantsngalaisoriginairedeSaint-Louis,Baye-Salzman.Danscetarticlelecritiqued'artnumreles artistesfranaisquiont subil'influencedel'artafricain:lespeintres Picasso, Derain, Matisse, segonzac, Vlaminck, Modigliani; les crivains 7 Au-deldel'affirmationdesvertusdel'esthtique qui servlait dans lesobjets d'art crs par les Mricains Senghor a voulu insister sur la mtaphysique qu'ils don-naient penser: avec l'art qui en tait l'criture, il s'agis-saitpourluidesauveraussiunevisiondumonde,un sentiretunpenserquifussentaussidescontributions l'humanismededemaindel'tre-au-mondeafricain commeSartre,danslelangagedeHeidegger,appel-leralangritude.Onopposesouventladmarchede Senghor celled'Aim Csaire.Lesecond serarestun pote de part enpart danssa proclamation sansrpit et toujoursrecommence delangritudeSquand Senghor s'estaventur(etfourvoydisentceuxquilecritiquent demaniremassiveetradicale,sanssoucidudtail) lui chercher aussi une expression mtaphysique. Senghor nepouvait enresterau grandcringredelarvolte potique.Ilfallaitqu'ilphilosophtpourexprimerce Valdemer-George,PaulGuillaume,ThomasMunro,AndrBreton, AndrSalmon;lespotesApollinaire,Cocteau,BlaiseCendrarset PaulEluard.Decequecesartistesn'ontpascraintd'exalterdans leurs uvres les vertus de l'esthtique noire et d'y trouver renouveler et approfondirleurinspiration,l'auteur del'articleconclut que la rvlation de l'art africain est arrive a point nomm [car]il rpond la donne la plus expressive et la plus propre satisfaire la grande in-quitude contemporaine. P.BAYE-SALZMANN, I.:art ngre,son inspi-ration, ses apports l'Occident in La &vue du Monde noir,the Review ofthe Bku:k World 1931-1932 Collection complte N>1 6,Paris,La Revue du Monde Noir, Jean-Michel PLACE,1992, p.302. 5.Ngre je suis,ngre je resterai,proclamet-i1souscedue dansson dernier livred'entretiensavecFranoise Vergs(AimCsaire,N'egre jesuis,ngre jer e s ~ r a i .EntretiensavecFranoiseVelXs.Paris.Albin Michel.2005)manifestantainsi,nouveausamfiancedevantdes logesde la crolit qui pourraient avoirpour effet,sousprtexte de multiplier leshritages, d'enterrer celui africain. 8 qu'il y a derrire l'art africain.Sescritiques qui en gn-ralpargnent Csairedisentqu'ils'esttrompplusque cedernier.S'ils ont raison c'est parce qu'il aura pris, lui, le risque de la mtaphysique. Cette intuition premire que l'art africain est une phi-losophieet unephilosophiehumaniste,Senghorn'a ja-mais cess de l'exprimer toute sa vie dans sestextes tho-riques.Laplupartdutempsavecrussite,parfoisdans desdirectionsquisesont avresdesimpassesou dans desformulations qui ont t pour lemoins maladroites. Senghoracherchexprimerquellephilosophieselit danslesartsplastiques,leschantsetdansesafricains. C'estcetteattitude,d'abordhermneutique,ded-chiffrage,qui est la vritdesaphilosophie.De l'uvre d'Aim Csaire Patrick Chamoiseau et Raphael Confiant ont crit que l'on allait apprendre la lire sans chausser les lunettes de la Ngritude.6Cela est tout aussi vrai de Senghor: ilne faut pas se donner la Ngritude trop vite, affronter tout de suite lesformulestropbienconnues quoi on la rsume. Ainsi on segardera ausside critiquer troprapidement,en pamphltaire,et tropmassivement l'essentialisme,leracialisme,etc.Ilfautsavoird'abord retrouverl'attitude premire,laposturehermneutique queSenghoraadoptedssespremierscritspourr-pondre laquestion(qui,on leverra futaussicellede Picasso)queveulentdirelesmasquesafricains?Que disent cesobjetsquel'onaappelsdesfticheslorsque lesdieuxensontpartis?Partantdecettequestion, 6.Patrick CHAMOISEAUet RaphaelCONFIANT,Lettrescroles.Traces antillaisesetcontinentalesdelalittrature.Hati,Martinique,Guade-loupe,Guyane 1635-1975, Paris,Gallimard,1999, p.171. 9 Senghor,avecbeaucoupdebonheur,amisjourune ontologie pour laquelle l'tre est rythme et qui setrouve au fondement des religions africaines anciennes. De cette ontologie ila montr que lesartsafricainsconstituaient lelangage.Lesecond chapitredu prsent ouvrage,inti-tulRythmes,estconsacr uneexpositiondelapense senghorienne comme hermneutique de l'art africain. Lechapitre quileprcde,Exi4lepremier donc,est unprambule.Parceque langritude ,lemotetle mouvementlancsparAimCsaire,Lon-Gontran Damas et Lopold Sdar Senghor a eu en l'Anthologie de laposiengreetmalgached'expressionfranaisepublie aprsguerreparSenghor,sonmanifeste,lorsque Jean-Paul Sartre lui a donnOrphe noir pour prface,lepre-mier chapitre de ce livrerevient sur le sensde ce soutien du philosophe existentialiste.Ilrappelle sur quel malen-tendu cetteprfacerepose.Sartredit,enrsum,pour-quoiilfautsaluer laNgritude commeuneformidable force de libration mais galement comme une invention potique faitede mots de feuet voue disparatre dans sonpropreincendie.Nullesubstancen'existeenralit derrirel'incandescencepotiqueenquoi,auboutdu compte,elles'puise.Senghorbienentendu pensetout autrement, que derrire lesmots il y a de l'tre, qavant l'exil il yale royaume. Encore une fois il y a l'art, il y a les objets qui sont l prsents et qui disent un contenu philo-sophique dont ilfaut rendre raison. Aprs l'Anthologie et aprsOrphe noir,cebaiser sartrien de la mort, Senghor ne cessera d'explorer cecontenu. Lart est une certaine approche du rel.Comme la con-naissancescientifiqueenestuneautre.De lathoriede 10 l'anafricainlathoriedelaconnaissanceSenghoref-fectuelepassagequiconstitue l'aspect de sonuvrequi a provoqu le plus de controverses. Dans son Essai d'auto-critique de1886 Nietzsche tait revenu sur son uvre de jeunesse, La Naissance de laTragdie,cette premire explo-ration du rapport, qui est au cur de sa pense,de l'art lavrit,pour dfinir leproblmeauquels'estattaqu pour lapremirefoiscelivreaudacieuxen cestermes : examinerlasciencelalumiredel'art,maisl'an la lumire de la vie ... 7C'est en quelque sorte d'une audace semblable que relve l'entreprise senghorienne de fairede l'anafricainunconnatreafricain,uneintelligenceafri-caine de la ralit.De cette audace il trouvera justification auprs des ethnologues mais galement dans sa lecture du bergsonisme.La dmarche qui en rsulte est tudie dans le troisime chapitre (Con-naissance)du prsent essai. C'est encore l'an qui est au fondement de la philosophie politique de Lopold Senghor qu'explore le quatrime cha-pitre (Convergences)de ce livre.Bien souvent, au cours de sa vied'homme politique,Senghor aparl,non sansmpris, de la vanit de la politique politicienne pour lui opposer la vraiepolitique.C'est l,bienentendu,unthmecom-mun touslespolitiques quisedfendent invariablement defoiredelapolitiqueetprtendenttremusunique-ment par desIdes.Maiscethme correspond aussi,chez Senghor,c'est--dire dans sescrits, sa volont de penser l'action mener,surtout pour ceux quilaresponsabilit politiqueatconfie,danslacontinuationorganique 7.F.NIETZSCHE,La Naissance de laTragdie,Paris,Gallimard,1949, p.170. 11 - - - - - _ . _ ~ - - _ . -d'une cosmologiequis'inspirede laphilosophie dePierre Teilhard de Chardin. Ainsi l'action positive est-elle pour le pote-prsident (comme ilaimait tre dsign)qui a choisi pour titre des volumes qui runissent l'essentiel des ses textes thoriques le simple mot de Libert, le choix d'accompagner lesforcescosmologiques - ou plutt, pour parler comme le Pre Teilhard,de suivrelesgnratricescosmogntiques-de convergence versun panhurnanisme.Une politique qui ne soit pas politicienne c'est alors, par exemple, celle fonde sur l'art d'accommoder lesdiffrencespar ledialogue pour larencontre descultures.Lepanhurnanisme qil s'agit de fonder sur le dialogue des civilisations est aussi l'avnement del'hommenouveau,quiest,commechezNietzsche,et comme chez le jeune Marx (qui est, pour Senghor, com-me on le redira, le vrai Marx ): un artiste. Ils'agitdoncicid'unelecturequiramnel'intui-tionpremiredont ellessont issues,lesthsesposeset dfenduesparLopoldS.Senghortoutaulongd'une viequemme lesresponsabilitsdeparlementaire aprs lasecondeguerrepuisdechef del'tat du Sngal(de 19601980)n'ont pasempched'trepotiquement et intellectuellement productive.Depuis l'un de sestout premierstextes,publien1939etintitul Ceque l'hommenoirapporte jusqu'l'undestoutderniers, sonCe que je crois,cette intuition que l'art ngreest phi-losophie reste le cur de sa pense. Les pages qui suivent analyseront ledploiement de cette intuition dans diff-rentesdirections en secantonnant aux textesthoriques deSenghor.Jen'ignorebiensrpasquelui-mmea dclarque siseulun volet de son uvre,potique,po-litique et philosophique devait demeurer,ilaimerait que 12 restt,seule,sa posie.Ilest vrai aussi que l'on peut sans doute lire saposiecomme expression de sa pense phi-losophique:beaucoup lefont.Mais je n'ai pasvoulu me mettre solliciter sa posie quand lui-mme n'a pas crit, ladiffrence,par exemple,d'unautrepote,philoso-pheethommed'tatduTiersMondeauquelilat compar, l'indien Mohamed Iqbal,de vritables pomes philosophiques. Jem'en suispar consquent tenu peu prsstrictementsesseulscritsenproseoseliten touteclartledialogueentretenuparSenghoravecles principaux auteurs qui l'ont aid penser lesdveloppe-ments et implications de son intuition originelle. Lechapitre portant lesous-titredemtissage conclut sur la question de l'essentialisme senghorien et donc aussi sur celle de. l' actualit de sa pense une poque comme la ntre, gnralement anti-essentialiste car domine par lapenseditepostcoloniale.Ce chapitredeconclusion revient sur l'importance chez l'auteur de Ngritude et Ci-vilisationdel'universel du mtissage.Ilestimportant en effet,de rappeler que ce concept, lorsqu'on lui reconnat toutelaplaceettout lepoidsqu'iladanssarflexion, interdit de penser la philosophie de Senghor comme une simplemtaphysiqued'essencesfigesdansleur spara-tion ainsi qu'on la caricature souvent pour en faire le type mme du discours dont notre situation postcoloniale se-raitladconstruction.Cechapitrerevientsurun point quiestrcurrent danscet ouvrage et quiest que sousce qu'onpourraitappelerun essentialismestratgique ,,8 8.estdeGayatriChakravorty Spivak quidclareque si l'on doit s'opposer aux discours de l'essentialisme et de l'universalisme 13 de Senghor, le discours de l'hybridit est toujours l'u-vre pour venir fluidifier les identits affiches. Ce qui est, dans le fond,encore un effet de l'art. On l'aura remarqu donc: lestitres desdiffrents chapitres sont chacun l'un desplusimportantsmots-clefsexprimantlapensede Senghor: rythmes, con-naissance (selon une criture que SenghoradoptedupotePaulClaudelpourexprimer lanotiond'unconnahrequiconsistenatreet avec cequiestainsiconnu),convergence,mtissage;plutt qu' exilc'estaucontraire royaumequiseraitici un mot-clef senghorien.Maisc'est justement Sartre qui parle icipour dire que la ngritude est exil quand tout le propos senghorien sera de la dclarer royaume .9 parce qu'ilsont partie lieavecla domination, l'on ne peut,stratgi-quement, s'en dispenser totalement.Parfois,et cela au nom mme de la lutte contre la domination, ilfaut fairele choix d'une essentialisme qui sera donc stratgique .Voir G.c. SPNAK,The postcolonial cri/ic. Interviews,Strategies,Dialogues,textes runis par Sarah Harasym, New York et Londres,Rourledge,1990 ; pp.11-12. 9.I:entreprisedelireSenghorcommephilosopheatencou-rageparJean-JosephGouxdel'universitdeRiceetIreleAbiola del'universitdeHarvard.LeCentre AliceBerlineKaplanpour les Humanitsdel'universitdeNorthwesternm'aoffertlapossibilit, en m'accueillantparmi sespensionnaires,de consacrerunepartiede l'anneacadmique2005-2006lardactiondeschapitresquisui-vent, souvent partir de confrences que j'avais donnes sur la pense deSenghor.JeremerciesesdirecteursRobertGooding-Williamset Elzbieta Foeller-Pittuchpour cette hospitalit. Jeremerciepour leurs remarquesAmadyAliDieng,NasrinQader,BillMurphy,Babacar Mbengue,PhilippeGouet,HadyBetFranoiseBlum.J'exprime enfinmagratitudeauxtudiantsdeNorthwesternquiontsuivile sminairequej'aiconsacr,auprintemps2006,laphilosophiede Senghor pour ce que ce livre doit notre dialogue. 14 Exil Jene place pas ce Royaume seulement au dbut dema vie. Je le place aussi la Jin.En gnralisant, je dirai que c'est le but ultime des activits del'homme que derecrer le Royaume d'enfance. L.S.Senghor(La posie de l'action) Le langage seul m'apprendra ce que je suis. Jean-Paul Sartre(L'tre et le nant) EnJuin1949paratdansLa NouvelleCritique, unerevueduParticommunistefranais,un articlesignGabrield'Arboussieretintitul Une dangereuse mystification: la thorie de la ngri-tude .Sur leton du propos fameuxlesplatoniciens sontmesamismaisplusencorelavrit,l'auteur, alorsun desresponsablesdu parti du Rassemblement dmocratique africain(RDA),conclut sonarticle sur cesmots quelsque soientnosliensd'amiti - et je dirai mme cause decesliens - nous ne cesserons de poursuivre notre travaild'claircissement et de d-masquertouslesfauxprophtesdel'existentialisme ractionnaireetadversairecamoufl,maisrsolu,de toute rvolutionqu'elle soit noire ou blanche. Cetteconclusionindiquebienquelestlecontenude l'article: il s'agit d'une critique, ou plutt d'une dnoncia-tionradicaled'unepenseprsentecommefondamen-15 talement ractionnaire, rsolument contre-rvolutionnaire etd'autantplusdangereusequ'ellesecamouflesousles apparences gnreuses et progressistes d'une lutte d'man-cipation despeuplesnoirsdomins.Aveccet article,c'est la lignedu Parti communiste qui s'est exprime surL'an-thologie dela posiengreet malgache d'expression franaise que vientalorsdepublierLopoldSdarSenghoret sur Orphe noir,la prface que lui a donne Jean-Paul Sartre.1 PourGabrield'ArbousierlepoteSenghor(ilapubli alorsChants d'ombre,Hosties noires et Ethiopiques)comme le philosophe Jean-Paul Sartre ainsi que la revue et maison d'dition Prsence africaine- qui, avec son directeur Alioune Diop, accompagne le mouvement de la ngritude ,par-ticipent d'une mystification visant divertir de la vraie lutte et desvraisenjeux.S'opposer sur desbasesidologi-ques une anthologie de posie est a priori absurde, sauf mettre l'accent sur la Prface en affirmant qu'elle dit le sens etlasubstance mta-potiques du choixderunirles pomes qui la composent et ainsi concentrer sur elle le feu de la critique.C'est bien ceque faitG.d'Arboussier dont la dnonciation repose sur deux grands points. Lepremierestqu'Orphenoirestbienplusqu'une prfaceun florilgepotique;enfaitilleprsenteto-talementdanssavritprofondepourcequ'ilest:un 1.Hymans souligne justement que ce n'est pas hasard sila critique de D'Arboussier adopte lestermes qui furent ceux de la critique de Polit-zer contre Bergson que firent paratre LesEditions Sociales en1947 Le bergsonisme,une mystification philosophique.O.L.HYMANs,Lopold Sdar Senghor.An intellectual Biography,Edinburgh,University Press, 1971; p.125). 2.I.:articleinsinue (p.40) que l'imprialisme l'a subventionne. 16 chapitre de la philosophie existentialiste applique la questionnoire; commeellepourra l'tre laques-tionjuiveou au deuximesexe.Ainsil'attaquede d'Arbousierditbienqued'authentiques potesrvo-lutionnaires africainsnesont passlectionnsmaisce proposrestetrsmarginaldanslacritique:cespotes n'ont pas vraiment la stature de ceux de l'Anthologie les-quelsnesontpasnonpluslesconservateursetautres contre-rvolutionnairesquesupposeraituntelpropos. Enralitl'attaquevisel'existentialismelui-mmeen cequ'il semble engag,avecOrphenoir et langritude commesonavatarpotique,dansl'entreprised'intro-duire le leurre et la confusion de la race dans l'arne de la lutte contre la domination capitaliste et imprialiste. Lesecond point de l'attaque,li au premier consiste direquecetteentrepriseelle-mmeestlirecomme une insurrection mal venue et brouillonne du particula-risme l o ils'agit de l'universalit de la lutte desclasses commemoteurdel'Histoire.Cetteentrepriseestune mystificationthoriquecar elle prtend tre plusque ce qu'elleestenralit:unaccidentduSujetporteurde l'universel et qui est le proltariat. Accident, cela veut dire que lorsque le domin se trouve tre noir il n'y a vraiment pasmatire,danscettecontingence,thorie existenti-aliste puisque la pense de la librationqui l'englobe est dj l prsente, dans le marxisme (et son incarnation so-vitique).Elleestunemystificationpratique lorsqu'elle crelesconditions objectivesd'une divisionet d'un d-tournement de l'nergie pour la libration.3 Considrons 3. Le texte dnonce ainsi (p. 40) l'irruption de l'lment ethnique sous la formedespanngrisme,panslavismeou du sionisme.On retrouve 17 donc lespoints delacritique ded'Arbousier qui consti-tue la matrice dela plupart de celles qui suivront contre la philosophie senghorienne. Lorsqu'en1948 Alioune Diop et L.S.Senghor deman-dent Jean-Paul Sartre d'apporter leprestige d'une pr-facede sa main ce qui devint alors, par sa nature et du faitde cette prfaceaussi,un Manifeste potico-politi-que de la Ngritude, l'auteur de La Nause a publi cinq ansplusttsongrandtraitphilosophiquedel'exis-tentialisme:L'treet lenant.4 Noussommesd'emble libres,ycrit-il,lalibertn'est paslibredenepastre libre,ellen'estpaslibredenepasexister.Parcons-quent,aucunesituationdonnenesauraitempcher ma libert car c'est toujours elle qui dcide du sens que cette situation a pour moi.Lerocher nem'oppose son adversit,dit ainsi Sartre, que quand j'ai form le projet del'escaladerpluttquedelecontourner.Ilestvrai pourtant,faut-ilcependant constater,que l'existence de l'Autre apporte une limite de fait ma libert.5Et, aveccet Autre,apparat enparticulier cettenotion que larace laquelle j'appartiens est aussila situation o il metientprisonnierdesonregard.C'estqu'eneffet, parlesurgissementdel'Autreapparaissentcertaines dterminationsquejesuissanslesavoirchoisies.Me ici l'argumentation classique contre l'alli objectif des forcesimp-rialistes : sielles peuvent t'utiliser, d'une manire ou d'une autre, alors tu es,objectivement,de leur ct. 4. Jean-Paul SARTRE,L'tre et le nant.Essai d'ontologie phnomnologi-que,Paris,Gallimard,1943. 5.SARTRE,op.cit.p.606. 18 voici,eneffet,Juif ou Aryen,beauoulaid,manchot, etc. Tout cela je lesuis pour l'Autre sans espoir d'appr-hender cesensque j'aidehorsni plusforteraisonde lemodifier C. )6Avec la dcouverte donc de ma race, dont j'apprends quejeluiappartiens dansetparles relations que j'entretiens avec les autres C... ), je rencon-treicitout coup l'alinationtotaledemapersonne: je suis quelque chose que je n'ai pas choisi d'tre: qu'en va-t-ilrsulterpour la situation? 7Sartre adonc ren-contr philosophiquement la question des races lorsque sesthsesaffirmantdela situationqu'ilm'esttou-joursdonn de laconstituer et dela dpasser par mon projet, ont sembl rencontrer l un cueil.Que devient mon projet par rapport aux dterminations raciales? Eh bien,affirmeSartre,ceslmentsdemasituationeux aussin'apparaissent qu'avec un sens que ma libert leur confre.Ilestvraiqu'ilsexistentaux-yeuxdel'Autre quimeprendpourunobjetetainsimanifeste une transcendancequimetranscende,selonl'expression qu'il emploie pour dcrire cette situation de face face. Maisilsnesauraient empcher queje soistoujoursun tre-libre-pour ... Sartre a crit ainsi, par exemple, qu'un juif n'est pasd'abord un juif pour tre ensuite honteux oufier;c'estsafiertd'trejuif,sahonteousonin-diffrence qui luirvlent son tre-juif; et cet tre-juif n'existe que par sa manire libre de l'adopter. 6.Idem. 7.Ibid.p.607. 19 Quand il crit alorsOrphe noir,il est comprhensible que Sartre y poursuive le mme type d'analyse de ce que cela veut dire tre noir et fairefaceun monde raciste ; qil continue de lire dans toutes ces voix de potes noirs quidisent larvoltecontre l'alinationenmme temps quel'affirmationdesoisespropresanalysesexistentia-listes.Onnoteraquedansl'histoiredelapenseocci-dentale,quandunphilosophevenait voquerlarace (celle desautres,bien sr),c'tait toujoursdu dehorset souvent pour dire des horreurs indigne d'une me prin-cipale ,pour parlercomme Montaigne.Parcequeson analyseest existentielle et qu'elle s'inscrit dans lecouple conceptuel situation/projet, Sartre parle de la race du de-dans en demandant: que signifie ma libert quand je suis d'une race autre ? C'est la question qu'il posera dans Orphe noir. LesprfacesdeSartre,onlesait,nesontjamaisde simples invitations dcouvrir lespagesqu'ellesprsen-tent. Au contraire,lorsqu'il s'empare ainsid'une uvre, c'est pour secoucher de tout sonlong sur elle,pour re-prendreunedesesimages,etsel'approprier enendi-sant la vrit ultime, celle qui la dfinit toute, son insu mme.OnpeutcomparerdecepointdevueOrphe noir Saint Genet comdien et martyrs, le livre-prface o 8. Jean-Paul SARTRE,Saint Genet comdien et martyr.Paris,Gallimard, 1952.LilianKestelootparlantdelamaniredontSartres'estem-par du mouvement qui s'exprimait dans l'Anthologie crit: Aprs sa brillante analyse -qui est elle-mme un desmorceaux de littrature les plus beauxque Sartre ait jamais crits- tout lemonde s'est mis dis-serter sur la ngritude, mais travers les dfinitions que Sartre en avait proposes; on a davantage rflchi et discut sur ce que Sartre crivait delangritudequesurcequ'endisaientlesNgreseux-mmes,les 20 Sartre aprsent cequitait alorslesuvrescompltes de Jean Genet. De cet ouvrage de Sartre Edmund White, dans sa biographie de Genet9,a crit qu'il s'agissait d'une psychanalyseexistentielledel'auteur.Ilaainsirap-pell la raction de ce dernier aprs que Sartre se fut ainsi couch de tout son long sur lui: Je suis l'illustration de sesthoriesconcernant la libert adclar Genet propos du livrequeSartreluiaconsacr.Ils'estplaint aussi JeanCocteau: ToietSartre,vousm'avezsta-tufi.Jesuisun autre.Ilfautque cet autretrouve quel-que chose dire.10La mme chose,toutes proportions gardes,arrivera Senghor,qui devra trouver quelque chose dire aprsOrphe Noir.Sur l'Anthologie sengho-rienne des potes noirs, manifeste d'une ngritude qu'il a baptise Eurydice ,Sartre aura plaqu le mme baiser de la mort que sur l'uvre de Jean Genet. Aucommencement,selonSartre,estl'exiletc'est ll'expriencedontlangritudeestfille.Qu'onsoit comme Csaire de la diaspora,ou comme Senghor d'un villagesererduSngal,onn'apasdechezsoiquand on est noir.On vit exil ontologiquement, dans son tre mme,carl'onvitdansunmondequi,depuis trois milleansditSartre,estunmondeo l ' ~ t r eestblanc etparleblanc.LeRoyaumed'enfancedontsesouvient Senghor ou l'Mrique qu'imaginent lespotesde la dias-Csaire,Senghor,A.Diop,etc.quienavaientsurtout parlcomme d'une exprience!(LilianKESTEwOT,I:aprs guerre,l'anthologie de Senghor et la prface deSartre ,Ethiopiques,revuengro-africaine de littrature et de philosophie,Dakar, No 612' semestre1998). 9. E. WHITE,Genet.A Biography,New York,Knopf,1993. 10. Cit dans E.WHITE,op.cit.Pp.381et 675. 21 pora ne sont pasdeslieux diffrents maislemmetopos potique, la mme fabrication nostalgique d'un sjour par celui dont l'exprience,avec la prise de conscience de sa situation, est d'tre toujours sans foyer,hors de soi,hors tre, hors langage.Quand lespotes noirs se rencontrent dans l'Anthologie ce n'est pas l'africanit continentale qui accueille ses enfants partis ailleurs, c'est la dispersion pri-mordiale de tous dans les tnbres extrieures l ' ~ t r equi veut sesurmonter.Ce qui permet de surmonter ainsila diasporisation, c'est l'usage potique du langage qui seul peut effectuer leretournement de l'tre.Et pour que ce retournement ait lieu,il est impratif que ce langage soit celui que l'tre lui-mme est dclar habiter.Lirlandais, dit Sartre,s'affirmeracontrel'oppressionet l'alination enrevendiquantlalangueirlandaise.:rafricanit,parce qu'elle est exile de soi et disperse, se constituera dans la francophone en exigeant ainsi que la langue qui parle na-turellement l'universel la reoive.En consquence,cette rencontrede l'africanit et de la langue franaisesera-liseracommeimpossibilitet s'effectuera du faitmme de son impossibilit. Ce que mesurent en effet les potes de l'Anthologie lorsqu'ils chantent en franais,c'est l'cart que la langue creuse sous leurs mots et entre ceux-ci,d-faisant lesliens habituels qui lesattachent ensemble, ap-privoiss. La posie noire s'effectuera dans l'impossibilit delasyntaxe,sousla figuredonc de la parataxe,faisant dechaqueimageunisolat,rendant chaquemot mona-dique, totalet comme trangerla langue ,pour parler comme Mallarm. Mallarm justement est voqu par Sartre et avec lui Bataille,pour avoir dit avec plus de justesseet deprcisionque quiconque que l':tresed-22 , robe dans le langage qui cherche le dire et que c'est en renchrissantsursonimpuissanceverbale,enrendant lesmotsfousque lepotenous[le]faitsouponner par del ce tohu-bohu qui s'annule de lui-mme ( ... ) 11. e'estdoncladistance,lcart quifaitlaposiec'est--direquiindique silencieusementl'tre,et c'est celaqui deMallarm aux Surralistess'est cherch dansl'en-treprise demettre le langage en question.12 Justement:quel'tresoitlagrandeaffairedela posie,celalespotesdel'africanitsontbiendplacs pourlesavoir.Et lavolontdedtruirel'oppressionet l'alinationseraaussichezeux,naturellement,volont de faire dgorger la langue sa charge d'exclusion,ce qui se traduira dans l'art de concasser les mots, de rom-preleursassociationscoutumires ,deles accoupler par la violence .13Quand lespotes noirsembrassent la languefranaisec'estaussipourladtruire,ditSartre. Etcelatombebien,carilsrencontrentetremplissent ainsilebut profonddelaposiefranaise( ... )cette autodestruction du langage.14C'est pourquoi ceux que Senghor dclaretredesmatresnaturelsdelaparataxe serontpour Sartreceuxquiont achevcetterecherche potique et ralis pleinement pour notre temps ce dont lesurralismetaitlepressentiment:lareconnaissance que Breton accordera auCahier d'un retour au pays natal Il.Orphenoir p.xx; inL.S.SENGHOR,Anthologiedelanouvelle posie ngre et malgache de langue franaise,Paris,Presses universitaires de France,1969 (2,m,d.). 12.Ibid. 13.Idem,p.xx. 14.Ibid. 23 d'AimCsairen'ariendoncd'unereconnaissancede paternit; elle est plutt celle,blouie,de l'enjeu vrai, dcouvert ici, derrire les jeux de mots surralistes. Com-me crit Sartrela posie noire de langue franaiseest, de nos jours, la seule grande posie rvolutionnaire. 15 Baiserdelamort:OrpheNoirsecaractriseds lespremiersmotsparuneviolencedu tonquiestune marquedel'crituresartriennepoursaluerl'rection dupeuplenoircontrel'oppression,leracismeetla ngation;mais,galement,parunesingulireposie pour dire que la ngritude, idole formidablenedu seul chant despotes telleEurydice arrache du nant par la puissance d'vocation d'Orphe, est voue disparatre: parceque,danslefond,l'africanitn'ajamaisexist horsdesaseulevocation.Toutentiredansleverbe potique,elleestpromise,abinitio,s'vanouirdans la vibrationdesmotsdont elleestfaite.Celarevient dire aussi, finalement,que lespeuples noirs n'ont jamais t vritablement un acteur,un facteur d'histoire, mme dansleurrvolte.Sartredcrteque la ngritude,parce qu'elle est ngation de la plus radicale ngation a produit la seule posie authentiquement rvolutionnaire de notre tempsetportincandescencelapuissancedervolte du surralisme.Ildemeure que le racismeantiraciste 15. Id.p. XII.Sartre oppose ainsi l'authenticit rvolutionnaire de ceux quiviventdansl'exildel'treetdansl'cartpotiqueuneposie cense tre celle de la rvolution future "mais qui" est reste entre les mainsdejeunesbourgeoisbienintentionnsquipuisaientleurins-pirationdansleutscontradictionspsychologiques,dansl'antinomie deleuridaletdeleurclasse,dansl'incertitudedelavieillelangue bourgeoise.(p.XIII). 24 qu'ellereprsente(uneformulesartriennedontlan-gritude aura ensuite sedptrer)estunsimpleaspect potique du vrai acteur, du vrai 'peuple' qu'est le prolta-riat. ceproltariat Sartre a t la capacit potique de transfigurer lemonde pour la donner au peuple noir ; il lui a gard la capacit de vritablement le transformer. La ngritude dont il faitun moment d'une dialectique qui verrasersorberlesdiffrencesracialesdansl'universel n'est mme pas un vrai momentc'est plutt dirons-nous,unmomentdansunmoment.Danslefond,la critique de d'Arboussier estinjuste,de son point de vue mme, l'endroit du texte d'Orphe noir car ellen'a pas accordtoute l'attentionqu'ellemritait l'escamotage dialectique de la ngritude qu'effectue aussi la prface de Sartre. Quel effet cela fait de se savoir ainsi voue disparatre pour une identit revendique contre sa propre ngation? Frantz Fanon le dira mieux que tout lemonde: Quand je lus cette page[d'Orphe noir],je sentis qu'on me volait madernirechance.Jedclaraimesamis:La gn-rationdesjeunespotesnoirsvient derecevoiruncoup quinepardonne pas .On avaitfaitappelun amides peuples de couleur, et cet ami n'avait rien trouv de mieux quedemontrer larelativitde leur action, ...J.-P.Sartre, dans cette tude, a dtruit l'enthousiasme noir.16 LespotesdelaNgrituderefuserontdediverses manires le verdict sartrien et que leur enfant, en cons-quence de ce verdict, tilt mort-n. C'est le sens que l'on 16.FrantzFANON,Peaunoire.masquesblancs.Paris.Seuil.1952, pp.135-136. 25 peutdonner laLettre MauriceThorez o,en1956, AimCsairefitdesadmissionduParticommuniste franais,outre uneprotestationcontrel'alignement du PCF sur l'Union sovitique, le geste d'affirmer la ralit d'unparticulierdontledestinn'estpasdesefondre dans l'universelmais de s'y retrouver,dans touslessens decetteexpression.DanssalettreCsairecommence pardirelesgriefsquel'onpeutavoircontreunparti quin'apassuaffirmersonindpendancevis--visde laRussieavantd'enarrivercequ'ilprsentecomme les considrations serapportant sa qualit d'homme decouleur .17C'est alorsl'exaltationde la singularit: celle d'une situation dans lemonde qui ne seconfond avecnulle autre,( ... ) de problmes qui ne seramnent nulautreproblme,( ... )d'unehistoirecoupede terriblesavatarsquin'appartiennentqu'elle ... 18 Vientensuitel'vocationdes peuplesnoirs"auplu-riel,ainsiquel'exigencequ'ilsaient leursorganisations propres,faitespoureux;faitespareuxetadaptes desfinsqu'euxseulspeuventdterminer .19Carle fraternalisme stalinienet sonusagedelanotiondu peupleavancquialedevoird'aider lespeuples attardsneditpasautrechose,insisteCsaire,que lepaternalismecolonialiste.Danslefond,ceque veutCsaire,derrirelesformulesquelquepeu creuses dugenre quelemarxismeetlecommunismesoient 17.A.CSAIRE,LettreMauriceThorez.inGeorgeN GAL,Lirele Discours sur le colonialisme d'Aim Csaire ,Paris,Prsence africaine, 1994, p.136. 18.Id.,p137. 19.Id.,p.138. 26 auservicedespeuplesnoirs et non lespeuples noirsau service de la doctrine ,c'est dfinir la notion de peuple par le culturel et non par le politique. Quand il parle de la varitafricainedu communisme ,comme quand Senghorinsisterasurunsocialismeafricainnd'une relecturengro-africainedeMarx,c'est deculturequ'il s'agit bien plus que de doctrine politique.D'un mot, s'il yabienuneunitau-deldelapluralit- etCsaire s'crie: Voyezdonc legrand souffled'unitquipasse sur tous les pays noirs20 -, cette unit est dans un mou-vement plutt qu'ellen'est une essencedonne.Dire ce mouvement culturel,cen'est pasl'opposer au politique ou au peuple comme proltariat,c'est dire que sasigni-ficationvapluslargeetplusprofondquelepolitique qu'elledpasseet englobe.Ils'agitdonc d'unerponse existentielleunproblmeluiaussiexistentieletc'est cette rponse qui pour Csaire constitue un peuple. Ille rediraencore,en1987,dansuneconfrencedonne Miami,enrappelantquelemot Ngritude estunmot problmepourunproblme,etqu'ilestcertainement d'un emploi et d'un maniement difficiles La Ngritude mesyeuxn'est pasune philosophie. La Ngritude n'est pasune mtaphysique.La Ngritude n'est pasune prtentieuse conception del'univers.C'est une manire de vivrel'histoire dansl'histoire: l'histoire d'une communaut dont l'exprience apparat( ... ) sin-gulire avec sesdportations de population, ses transferts d'hommesd'uncontinentl'autre,lessouvenirsde croyanceslointaines.sesdbrisdeculturesassassines. 20. Ibid. 27 Comment ne pas croire que tout cela qui a sa cohrence constitue un patrimoine? 21 On a dit du trio Lon Gontran Damas, Aim Csaire, LopoldSdarSenghorqueledernierestplus tho-ricienquesescompagnons,etqu'ladiffrencede Csaire ilreprend justement son compte tout ce que ce dernier ne veut pasque la Ngritude soit:une mtaphy-sique ou une conception de l'univers.Pour Senghor ily a en effetune africanit aussirelleque lesobjets mat-rielsqu'elle a produits et qui sont avanttout sesuvres d'art.Cesobjetsparlent une langue qu'il fautdchiffrer et ilsmanifestent une ontologie consubstantielle auxre-ligionsdesterroirs.De cette langue,decetteontologie, delareligionanciennedesonterroirsererSenghordit avoireul'exprienceetilenparleenpotecommedu Royaume d'enfance.Celui-cin'est donc pasun sim-pletopospotiquequinetiendraitsaralitqued'tre l'vocationnostalgique,depuisl'exil,d'unailleursqui serait un chez soi mythique. Ce royaume est, si l'on veut, l'Ide platonicienne bien plusrelle que la ralit mme et qui se rvle l'occasion de certaines rencontres.Pour Senghor l'africanit est donc ncessairement autre chose qu'une figurede la dialectique -la ngation de la nga-tion - autre chose qu'un moment vou disparatre dans la Synthse prochaine. D'ailleurs,lorsqu'onyregardedeprs,l'essentielde cequeditSartredansOrphenoir,etjusquedansses 21.CSAIRE,Discours sur laNgritude,prononc le Jeudi26 Fvrier 1987 l'Universit internationale de Floride Miami; ce discours est publi lasuiteduDiscourssurlecolonialisme,Paris,Prsenceafri-caine, dition de 2004. La citation est p.82 de cet ouvrage. 28 citationsdestextesdel'Anthologie estcritproposde Csaire.22 r.:idecentrale que langritude est avant tout et surtout subjective ,qu'elleestdescenteensoi,vise principalement la vritdu verbecsairien.Du ctde la ralit objective de la ngritude se trouvent les po-tesdu continent ' qui eux veulent aussiexprimer les murs,lesarts,leschantset lesdansesdespopulations africaines.23Et parmi euxilfautdistinguer tout parti-culirementlesngalaisBiragoDiopdontSartrecrit que la posie seule est en repos parce qu'elle sort directe-ment desrcits de griots et de latradition orale.24 Lepropos deSartre sur la vraie signification de cequi runit les potes de l'Anthologie ne vaut gure pour Birago Diop et c'est ce que reconnat l'auteur d'Orphe noir lors-qu'ilvoquecetteexceptionque constituelepote-con-teur sngalais quand ilcrit une posie en repos.En-tendons donc quecelle-cin'est pasenmouvement pour combler l'insurmontable cart qui faitl'exprience parta-ge de ceux qui chantent leur ngritude en franais.Mais encecasquefairedel'exceptionqueconstitueDiop? Une confirmation de la rgle? Le signe que BiragoDiop 22.Ce constat est l'oppos de ce que dit Marcien Towa qui dclare que c'est sans doure, en panie, sous l'influence de Senghor que Sanre a si facilement assimil la ngritude la qute de "l'me noire" et un "racisme anti-raciste". Le raisonnement est le suivant: Towa oppose ce qui est pour lui une ngritude senghorienne essentialiste et empreinte de:rc:ligiosit une ngritude plus rvolutionnaire qu'il voit chez C-saire. Si donc Sartre parle d'me noire, c'est qu'il est sous"l'influence" de Senghor .(Marcien TOWA,Posie de langritude,approche structu-raliste,Sherbrooke, Naaman, 1983. La citation est p. 266. 23.Orphe noir, p. XXIV. 24.Ibidem.Birago Diop, n en 1906, la mme anne que Senghor, Dakar est mort en 1989. 29 ri auraitpasd setrouverl ? Pasassezpote?Ou trop diffremment de Csaire?Ilest vraid'abord que pour le seulcasdeB.Diop,Senghor a retenuun conte,en plus dedeux pomes,pour lesfairefigurerdansl'Anthologie. Pour justifier laprsence de ceconte,intitullesmamel-les,dans une anthologie potique, Senghor explique, dans une noticeintroductive,cequ'est l'art deB.Diop.Cer-tes,crit-il, ilest surtout connu comme conteur.Mais, enMriqueNoire,ladiffrenceentreproseetposieest surtout detechnique,et combien mince ... 25Plusloin, danslammenotice,Senghorajoute cetteprcision: Birago Diop nous dit modestement qu'il n'invente rien, maissecontentedetraduireenfranaislescontesdu griotdesamaison.Amadou,filsdeKoumba.Nenous y laissonspasprendre.Ilfaitcommetouslesbonscon-teurs de chez nous: sur un thme ancien,ilcompose un nouveaupome.Et lelecteurtourdicroitfacilement unetraduction,tant leconteur,quiallielafinessefran-aise la verte sobritwolove,sait rendre la vie du conte ngro-africainavecsaphilosophie,sonimagerieetson rythmepropres.26Plustard,lorsqu'ilcriralaprfa-ceauxNouveauxcontesd'AmadouKoumbapublispar Birago Diop en 1958, Senghor reviendra plus longuement sur la traduction qu'effectue le conteur-pote lorsqu'il prtend prter sa voix francophone lavoixd'Amadou, filsde Koumba.Les contes que recre B.Diop sont pour 25. Anthologie,p.135. 26.Idem.On aura remarqu l'opposition qu'tablit ici Senghor entre finesse franaise et verte sobrit wolove .Cusage est aujourd'hui de ne pas accorder, ni en gente, ni en nombre, le mot wolofqui dsigne la langue du peuple wolof. 30 luiunemanifestationd'uneontologieolestressont forcessusceptiblesd'accroissementetdediminution, d'tre({ren-forces" ou au contraire d-forcesselon lenologisme dont iluseP Par ailleurs,ilssont domins par lerythmeomniprsent danslesdialogueset dansla structurenarrativeavec,trssouvent, leretourprio-dique d'un chant-pome pour souligner laprogression dramatique. Enfin -et ce point est important pour expli-quer l'exceptionqueconstitueB.Diop pour lathsede Sartre- ({avec une aisance souveraine,[celui-ci]mle texte ettraduction,ilentrechoquewolof et franais.Mieux,il tire,de la simple traduction, des effets saisissants.,,28 Voill'explication,eneffet:l'esthtiquedeBirago Diopn'estpasune esthtique de l'cart maisdel'entre-choc.En d'autrestermes,saposieprsente l'apparence d'treen repos parce qu'elle seconstruit dansun en-tre-deux langues -le wolof et le franais- dont elle joue.29 27.BiragoDIOP,Lesnouveaux contesd'AmadouKoumba,Paris,Pr-senceafricaine,1958.Senghor dcritainsicette ontologie desforces vitalessurlaquelleonreviendra: Toutl'universvisibleetinvisible - depuisDieujusqu'augraindesable,enpassantparlesgnies,les anctres, lesanimaux, lesplantes, les minraux- est compos de "vases communicants",deforcesvitalessolidaires,quimanenttoutesde Dieu.I:homme vivant,parcequeforcedouedelibert,estcapable de renforcer sa force vitale ou, par ngligence, de la .. dforcer',mais il ne lepeut qu'en faisant agir lesautres forcesou en se laissant agir par elles. (inPrface,pp.15-16). 28.Les nouveaux contes,Prface p.21. 29.On trouvemaints exemplesdecejeu quin'est pasdesimple traduction dans les textes de Birago Diop, ce matre d'une criture qui soit ce que l'on a appel de l'oralit feinte: il a su en user avec sub-tilit la diffrence d'auteurs qui en ont fait une technique mcanique d'criture(parleruneautrelangueenfranais)quifinitparlasser: quand tout est cart,il n' y a plus d'cart. 31 Sans qu'il pt vritablement mettre le doigt dessus, Sartre abiensentiquelavaleurpotiquedutextedeBirago Diop en franaistenait aussi la prsence, en de de lui, dequelquechose(uneautrelangue,uneautrevoix,un art ancien de dire),un je-ne-sais-quoi mais bien relqui fait de sonchant l'vocation d'une Eurydice quine soit pas seulement un fantme vou disparatre. Cetteesthtiquedel'entre-deux,Senghorlarecon-natcommetantgalementlasienne.Ilfautlecroire sur parole lorsqu'il dclare avoir jet au feusespremiers pomesaprsqu'il eut dcouvert,danssesretrouvailles avecleschantsgymniquesdesacultureserer,lapuis-sance potique de l'art africain:ils'tait alorsdcouvert simple faiseur de versau lieu d'un pote et avait compris qu'ildevait serecrercetteforce.Jouer aveclefeude cequ'ilappellera,proposdeBiragoDiopjustement, lapuissancefabulatricedecetart,enmmetempsque dela languefranaise,voilquelsera,pour Senghor,le chemin potique.Ilnes'agit passeulement deproduire une posie de l'exil et de l'impossibilit de faire tre l'ab-sent,maisd'affirmerquedansl'exilaussileroyaume d'enfancedemeuteprsenttelleunematricecontin-ment cratricequiinvitelepote serenforcer Ilsa puissance de dire. Singulireetparadoxaleprfacequ'Orphenoir.Elle accomplitcequelesinitiateursetlespromoteursdu mouvement de la Ngritude pouvaient esprer de mieux: qu'unevoixamieetquiportefitdel'Anthologiedela posiengreetmalgachedelangue franaiselemanifeste d'une protestation destine secouer jusqaux ((assises du monde li.On peut en effet compter sur l'incompara-32 blecriture de combat de Jean-Paul Sartre pour ce faire. MaisOrphenoir raliseaussi,enmmetemps,laplus radicalecritique,ladconstructionlaplusacheve,de cedont ilest lehraut.De l'Mrique dont lespotesde l'Anth%gieont fait le cur de leur chant, Sartre affirme qu'elleest imaginaire ,invente;del'entrepriseelle-mmedeproclamer l'ensembledesvaleursculturelles dumondenoir ,ilindiquequ'elleest,ensavrit dernire,un racisme anti-raciste ,une ngation de n-gationquijamaisneserauneauthentique affirmation; pour ce qui est de sa finalit,iln'yen a gure: tout bien rflchi,cetteprotestationnefaitqu'agirmagiquement sur leschoses,par latransmutationpotiquedesmots, ces armesmiraculeusesquine sauraient sesubstituer la critique des armes.Il est donc dans l'ordre des choses que la protestation exprime par ceux qui s'en sont faits les porte-parole ne soit dslorsqu'un moment appel se dissiper au soleil des vraies luttes de libration menes parleseulvritableacteurquiapourluil'histoire:le proltariat. AucunecritiqueultrieuredelaNgritude,aucun pamphlet contre la pense de Senghor ne dira finalement rien que Sartre n'ait dj dit dans saprface.Que l'Mri-quesoitl'inventiond'undiscoursnativiste,quel'ide d'unephilosophieafricaineseramneunracialisme esscntialistequiprocdepar inversion(delablancheur de l'tre sa ngritude, de la raison !'motion, etc.) tout cela estassezclairement lisibledansOrphenoir.Mme cettecritiquequeSenghorlui-mmeet sapensesont si ... franais(quel'onlirabeaucoupsouslaplume d'intellectuelsafricainsanglophones et detousceux qui 33 reprocheront au pote son engagement et son rle histo-rique dans la constitution de la francophonie),setrouve dans la prface de Sartre. LapensedeSenghor s'crira aussicontrecequedit Orphe noir de la Ngritude. Et d'abord contre l'affirma-tion qu'elle est un racisme. Mme anti-raciste, le racisme rpugneabsolumentunephilosophienourrie,onle redira,desthsesdu PrePierre TeilharddeChardin et qui sedclareoriente verslaconstruction de((l'huma-nisme du vingtime sicle ainsi que versceque le Pre jsuite a appel la((civilisationde l'universel .Lopold S.Senghor et son ami Aim Csaire confesseront, durant lesdbutsdumouvementqu'ilsfondrentavecLon Damas, certaine tentation et vellit de racisme par rac-tionceluidontilstaient alorsvictimes.Mais,crira Senghor, le spectacle de ce que la barbarie nazie a provo-qudemeurtresetdedestructionaura viteconvaincu, s'il avait besoin de l'tre, le prisonnier de guerre qu'il fut en1940,pendant deux ans,queleracismetait lemal absoluque seulpouvaitdfaireun anti-racismequift, de part en part, l'affirmation de ((l'humanisme intgral dont a parl Jacques Maritain.30 30. Revenant sur les dbuts du mouvement, Senghor dclare dans une confrencedonneen1976etportam commetitreLangritude, comme culture des peuples noirs,ne saurait tre dpasse ... dans les premires annes du mouvement, au Quartier latin, la Ngritude a t,volontairement je lereconnais,une sorte de ghetto moral,ghetto teintderacismedanslamesureprciseo,dansl'enthousiasme du retourauxsourcesetdeladcouverteduGraalnoir,pourparler commeSartre,noustrouvionsinsipideslesvaleursalbo-europen-nes( ... )Cependantnousnefmespaslongssortirdeceghetto. J'aiditailleurs,etplusd'unefois,monexpriencepersonnelle.Et 34 Senghorcriraaussicontrel'ided'unedisparition prochained'uneNgritudetailletoutedansl'toffe delaposieetderrirelaquelleiln'yauraitpasd'tre vritable.Derrire, il ya la ralit d'un art et la puissance fabulatricequ'ellemanifeste.Dansla noticequ'il consacreBiragoDiopdansl'Anthologie,Senghor,de manire quelque peu elliptique,indique que le conte est posieparcequ'ilestmprisdurelet visiondu surrel par-del les apparences afin de nous faire saisir lesensdelavieprofondedu monde .31Enralit,en voquantencestermesladistorsiondurellaquelle procde l'art deBiragoDiop pour mieux ouvrir au sens de la vie profonde du monde, Senghor a prsent l'esprit ce qu'il crivait sur la sculpture africaine quelques annes plustt,dans cequel'hommenoirapporte .32D-couvrircetapport,encomprenantpleinementcedont tmoignent lesformesqu'ilsculpte,lorsqu'ilestartiste, danslapierre,lebois,lebronzeou lesmots,c'estaller alorslarecherched'unvraimondequiexisteetnon s'eninventerpotiquementun,contrairement ceque dit Sartre. C'est sur cette voie que Senghor invite entrer dansununiverstissderythmesdont ildit qu'ilestce que dcouvre la vision de l'artiste africain. commentunemditationdedeuxansdanslesFrontstalags.comme prisonnier de guerre,m'en avait sorti: m'avait guri du ghettonoir. Libert V.p.107. 31. SENGHOR,Anthologie,p.135. 32.Cet article,publi en 1939 est reprisdansLibert l,pp. 22-38. 35 Rythmes Dansaient /es forcesque rythmaient, qui rythmait laForce des forces: la Justice accorde, qui est Beaut Bont. L.S.SENGHOR(Elgie pour Martin Luther King, EUgiesmajeures). Du Muse du Trocadro au Muse imaginaire "-}J.afindel'anne1906,aumoment delanais-sancedeLopoldSdarSenghor,PabloPicasso vingt-cinqans.Ilestdjreconnuetnom-breuxont ceuxquiadmirentsapeinture,sesdessins, sessculptures.sapriodedite bleue ,de1901 1904, a succd celle rose des arlequins et acrobates. Son ami le pote et critique d'art Max Jacob sait la pro-fondeurdeson gnie.Guillaume Apollinaire,luiaussi sonami,luia consacren1905unPicassoPeintre et Dessinateur quiclbresagloireprsenteetfuture.Il semblemmealorsquelaviedebohmeetdepau-vretdoiveprendrefinquanddesconnaisseurs,riches desurcrot,commencentmettreleprixquemrite l'insurpassablegrandeurvisitantsonstudiolesam-ricainsLeoetGertrudeSteindonnent800francsen 37 change de quelques peintures qu'ils emportent et cette anne-l,1906,lemarchandd'artAmbroiseVollard paie,enunefois,deuxmillefrancsorpour l'acquisi-tion de plusieurs toiles.L'amricaine verra son portrait, commenc en1905, fini l'anne suivante.Le Portrait de GertrudeSteindit quelquechose de grave.Maisquoi? Picasso,continuellement insatisfait du visageavaitfini par l'effacer pour mettre sa placeune tte pour l'ter-nitlefrontestlisseetlargeleslignessont imper-sonnelles,schmatiqueset rgulires1;plutt qu'une tte,c'estunmasquequiregardeverssoninsondable mystre.L'autoportrait de Picasso,toujours de la mme anneadmirable1906,faitl'artiste aussiunettede masque.Letrait est cru,la formepure, qui voque une sculpture. Picassoapeint sonpropre visagecomme si c'tait un masque Il crivent Marie-Laure Bernadac et PauleduBouchetquiajoutent:presquecommes'il appartenait quelqu'un d'autre. L'intensit, l'archasme quasi sauvage de cet autoportrait montre la progression effectueparPicassopendant plusieursannes,mme pendant lesquelques mois qui ont prcd.2Progres-sion versquoi? Desvisagesquisemtamorphosentenmasques? Justement,Picassoaunerichecollectiondemasques etautresstatuettes.Onsait,parexemple,quefigure parmi lesobjets d'art primitif qu'il possde,un ma-gnifique masque Grebo en bois et fibres vgtales,tout 1.Marie-LaureBERNADAC,PauleDUBOUCHET,PicassoMasterof the New Idea,London, Discoveries,H. Abrams,1993, p.41. 2.Idem,p.42. 38 enlignesgomtriquesdeuxprotubrancescylindri-quespour lesyeux,unerectangulairepour labouche, untrianglepourlenez ...Ceseraitbienlediablesi quelquechosedecesftiches,subrepticement,ne passaitdanssonart.Maispour qu'illesregardevrai-ment,cesobjets,etquefonctionneleurmagie,il faut qu'ils acquirent une vidence nouvelle, forte,que quelque choselesluifassevoir.Ce quelque chose sera lavisitequ'ileffectue durant l't de1907,en Juillet, auMusedu Trocadro,placeduTrocadro,Paris. Lesmusesethnographiquessontunengationde l'art car ilsempchent lesobjets qui y sont expossde vraiment nous regarder.Parcequel'ethnographie s'est constitue,sonoriginecoloniale,commelascience dutoutautre,ilestdanssanaturedefabriquerde l'trange,del'autre,duspar.L'objet,dansunmu-seethnographiqueesttenudistance,empchde noustoucher car ptrifiilne peut effectuer lemou-vementdecequeAndrMalrauxaappelsam-tamorphose .C'est--dire deveniruvre sparede safonction.Lamtamorphoselaplusprofonde , critainsiAndrMalraux,commenalorsquel'art n'eutplusd'autrefinque lui-mme.Danslemuse ethnographique,l'onprtendmaintenir ladimension delafonctionreligieusemaison leprtend seulement carl'objetenestirrmdiablementcoupet lesdieux s'en sont retirs.Empch du ct de sa face artistique de deveniruvre,cequi futcrpour rendreprsent le divinseretrouve galement avoir perdu l'autre face, quiregardaitledieulevoildonc l,exposcomme une dpouille et doublement abandonn. 39 LarformedumuseduTrocadros'impose,a critlepoteGuillaumeApollinaire,dplorantquele beau s'y trouvt enseveli dans un lieu livr la curiosit ethniquederaresvisiteursplutt qu'offertau senti-ment esthtique ,etexpliquantqu'il faudraitsparer de l'ethnographie lesobjets dont lecaractre est surtout artistique et qui devraient tre mis dans un autre muse. En fait,pour lui,c'est leLouvre[qui]devrait recueillir certainschefs-d' uvreexotiquesdont l'aspectn'estpas moinsmouvantqueceluidesbeauxspcimensdela statuaire occidentale .Parceque PabloPicasso,comme son ami Apollinaire,est pote qui sait voir :l,u-del de la clture ethnographique, il a su, lors de sa visite du Muse du Trocadro,posersurlesobjetsleregardquirendla vie aux choses et dchane la force du sortilge. De ce qui s'est pass il s'est ouvert Malraux qui rapporte sesparo-les dans La Tte d'obsidienne et galement dans la prface qu'ilacriteen Aot1974pour l'albumChefi-d'uvre del'art primitif. Voicilercit plein d'humour que lui fit Picasso, autempsoilachevaitGuernica,en1937 donc, de sa premire visite au Trocadro Onparletoujoursdel'influencedesNgres surmoi.Commentfaire?Tous,nousaimonsles ftiches.VanGoghdit:l'artjaponais,onavait tousaencommun.Nous,c'est lesNgres.Leurs formesn'ontpaseuplusd'influencesurmoique surMatisse.OusurDerain.Maispoureux,les masquestaientdessculpturescommelesautres. Quand Matisse m'a montr sa premire tte ngre, ilm'aparld'artgyptien.Quandjesuisallau Trocadro, c'tait dgotant.Le march aux puces. 40 I.:odeur.J'taistoutseul.Jevoulaism'enaller.Je ne partais pas. Je restais. Jerestais. J'ai compris que c'tait trsimportant:ilm'arrivaitquelquechose, non?Lesmasques,ilsn'taientpasdessculptures comme lesautres.Pasdu tout.Ilstaient descho-sesmagiques.Etpourquoipaslesgyptiens,les Chaldens?Nousnenousentionspasaperus. Desprimitifs,maispasdesmagiques.LesNgres, ilstaient desintercesseurs,je saislemot enfran-aisdepuiscetemps-l.Contretout;contredes espritsinconnus,menaants.( ... )Moiaussije pense que tout,c'est inconnu, c'est ennemi. Tout! paslesdtails:lesfemmes,lesenfants,lesbtes, letabac,jouer ... maisletout! J'aicomprisquoi elleservait,leursculpture,auxNgres.Pourquoi sculptercommea,etpasautrement.Ilstaient pas cubistes,tout de mme! Puisque lecubisme, il n'existaitpas.Srement,destypesavaientinvent lesmodles,et destypeslesavaientimits,latra-dition,non?Maistouslesftiches,ilsservaient la mme chose.Ils taient des armes.Pour aider les gensneplustrelessujetsdesesprits, devenir indpendants.Desoutils.Sinousdonnonsune formeauxesprits,nousdevenonsindpendants. Lesesprits, l'inconscient (on n'en parlait pas enco-rebeaucoup),l'motion,c'est lammechose.J'ai comprispourquoij'taispeintre.( ... )LesDemoi-sellesd'Avignonont darrivercejour-l,maispas dutoutcausedesformes:parcequec'taitma premire toiled'exorcisme,oui! C'est pour a que plus tard j'ai peint aussi destableaux comme avant, 41 lePortrait d'Olga,les portraits! On n'est pas sorcier toute la journe! Comment on pourrait vivre?,,3 Pourquoi? demande donc Picasso.cette ques-tion,ily aune rponse la foisparesseuse,eurocentri-que et paternaliste, qui esttoute entire contenue dans l'expression d'art primitif :parce que l'art africain est une desmanifestations de l'art primitif, de l'enfance de l'art donc,ilestnaturelque l'on y peigneou y sculpte commea ,commel'humanitensonenfancea seulecapacitdepeindreoudesculpter.Cetartest donc premier dans le sensque voil.Il y a une autre rponsepour quiiln'y a lrien d'enfantin et qui com-mence par faireattention au fait que Picasso a demand pourquoisculptercommeaetpasautrement;qu'il cherchecomprendred'ovientquesculptercomme adonneuneformeauxesprits,fasseparlerl'incons-cient ou provoque une trange motion.Et l'on notera qu'motion est aussilemot quiapparat souslaplume d'Apollinairelorsqu'ilcritquelersultatproduit parcetartestunepuissanteralit. Cetteprcis-mentl'nigmedecetteralitrenforce,dont l'artiste 3.uvrescompltesIII,pp.696-697.DansCeque jecrois(Paris, Grasset,1988), Senghor parle de sesrencontres, dans les annes1930, avec lesartistes de l'coledeParisou, sil'on prfre,duCubisme quand ilsavaient leur sigeau Caf de Flore. Parfois ,racontet-il, l'und'euxproposait:"Et sionmontaitchezPicasso? . "Celui-ci hahitait tout prs, deux ou trois rues de l. Je me rappelle encore Pa-bloPicassome conduisant amicalement laporte,comme je prenais cong de lui,et me disant, lesyeux dans lesyeux:"Il nous faut rester des sauvages." Et moi de rpondre: "Il nous faut rester des ngres."Et ilclate derire. (p.llI). 42 peroitbien,lui,qu'onnesauraitladomestiqueren enfaisantune simplecuriosit,que viselaquestionde Picasso.lafindelaprfaceChefi-d'uvredel'art primitifMalraux parle de la volont de cration chez les artistes sauvages4 que l'on ne dit magique que par paresse et qui assure leurs sculptures de l'nigmatique unit qui cimente l'uvre, mme aubord du hasard .5 Et il conclut, en saluant l'entre des sculptures sauvages aumused'oellesavaienttcartesquecetart capitalet sansge,sitrangement apparentauntre, est celui de notre prochaine recherche : la facenocturne del'homme .6Apollinaire,Picasso,Malraux,d'autres encores'accordentl-dessusderrirelesmasqueset sculptures africaines qui viennent ainsi prendre part la conversation desuvres runies au sein del'immense ventail desformesinventes comme Malraux dfinit le Museimaginaire ,seprofilel'nigmed'unema-nire de voir,de penser et de sentir dont ces objets d'art sontl'criture.LangritudedeSenghors'envoudra prcismentledchiffrement,etsoncontenuleplus naturel sera donc de donner rponse aux questions que pose l'art africain.Montrer quelesformesartistiques africaines,considrescommeesthtiques( ... )peu-ventgalements'interprtercommedesobservations 4.Ce mot, sauvage ",proche d'indompt et non deprimitif.est comprendre comme ce qui dcouvre l'artiste ce droit dont Malraux a crit que Picasso le lut dans les formes africaines: le droit l'arbitraire et ledroit lalibert.InPrface Cheft-d'rruvre del'art primitif, uvres compltes,V,Paris,Gallimard; p.121 s. S.uvres compltes V,p.1217. 6.Ibid. 43 philosophiques proposde la nature du monde 7sera un aspectmajeurdu projet senghorien.Bienloinde se ramenerl'expressiond'uneattitudeexistentiellesans relcontenu,celui-ciest,dansl'espritdeSenghor,la philosophieafricainemme,c'est--direcevoir,penser et sentir qui intgre comme leur raisond'tre et comme ladpourvritablementlesconnatre,desrgionsde l'activithumaineaussidiffrentesquelamdecine,la loi,lareligion,lalogiqueoulasagesse.Parmicesr-gions,l'activitartistiqueestpremire,avantmmela religion,carelleestl'criture,lol'oralitrgne,qui donne lire la mtaphysique qu'elle transcrit.8 La preuve de laphilosophie africaine c'est l'art et,inversement,on n'accdelapleineintelligencedesartsafricainsqu'en comprenant la mtaphysique dont elles procdent. Cette mtaphysique,pour laprsenterd'unmot,estcelledu rythme au centre de la pense et de l'exprience africaines selon Senghor. 7.DouglasFraser prsentantuneexpositionde photogtaphiesd'ob-jets d'an africains organise par le Dpartement d'Histoire de l'Art et d'Archologie de l'Universit de Columbia; in D. FRASER,African Art as philosophy.New York,Interbook,1974. p.1). B.Leo Apostel dont lelivre African Philosophy My thor &ality,Gent, Story-Scientia,19B 1estunedmarcheanalytique,prcise,pour prouverqu'aubout ducomptePlacide Tempelsaeuraisonde voir dans un nergtisme pluraliste le trait caractristique de l'ontologie africaine,etavecluiceuxquiontpensdanslacontinuitdeson livre La philosophie bantoue (Paris,Prsence africaine,1947), coite W.E. Abrahamparlant du peuple Akan(p.390)Les Akansne sachant pascrireontexprimleursidesphilosophico-religieusestravers l'art,traverslapuissanceintemporelle,immmoriale,silencieuse etlmentairesicaractristiquedel'antraditionnelafricain. (The Mind ofAfrica, London, Weidenfeld and Nico/son,1962; p.111). 44 Lire la sculpture a&icaine Ds son article de1939,Ce que l'hommenoir apporte,il parled'attituderythmique,soulignant lui-mme lemot et demandant((qu'onleretienne .9Ilnecesseraplus, longueurdepages,d'yrevenir.Lorsqu'ilcritcette phrase qui,sousdiffrentesformes,seraleleitmotiv de sapense:((laforceordinatricequifaitlestylengre est lerythme10il indique dansune note de basde page quecetteaffirmationestaussisoutenuedansLa sculp-turengre primitive,unouvragedePaulGuillaumeet Thomas Munro publi en franaisune dizained'annes auparavant.ll Il y a l plusqu'unerfrenceenpassant: lorsqu'onsepenche sur l'ouvrage auquelilestainsifait rfrence,on dcouvre en effet quelpoint Senghor l'a lu avecattention et surtout quelpoint saphilosophie del'artnecesseraplusjamaisd'tre,la suitedecette lecture, une rflexion continue sur (et de)ce livre. Qu'il faut donc, pour cette raison,prsenter. La sculpturengre primitive comportetroisparties. 12 Celle, d'abord, o lesauteurs posent la question de ((ses 9.Libert 1, p.24. 10.Ibid.rythme est soulign par l'auteur. Il. Paul GUILLAUME et Thomas MUNRO,La sculpture ngre primitive, Paris, Ed. G. Crs &Cie,1929. La premire dition de l'ouvrage tait parue enanglais,auxtats-Unis,sousletitrePrimitive NegroSculp-ture,New York,Harcourt, Brace &company,1926. 12 Lorsqu'ilavait t publi en anglais,le livre comportait un chapi-trefinalsupplmentaire de conclusionsur larelationdela sculpture ngreprimitivel'artcontemporain;danscetteconclusion,aprs avoir cit denombreux modernes dont l'uvredevait quelque chose l'art ngre,lesauteurscrivent:Ces[modernes]sont un exemple du pouvoir que lesartistes anonymes de la jungle exercent sur l'esprit 45 relations avec la vie africaine , celle ensuite o ils mnent uneanalyseprcisede sesqualitsartistiques ,enfin la prsentation d'imagesphotographiques de quarante trois sculptures ngres .Celles-ci et les uvres du conti-nent noir en gnral tel que les ethnologues et les artistes europensladcouvraientalorssont-ellesl'expression de lavieafricaine?LarponsedeGuillaume et Munro est sans appelnon. La situation qui estdsormaiscelle des Mricains sur le continent et dans la diaspora n'a pas grand-chose voir avec la ralit matrielle et spirituelle del'Mriquedel'Afriqueanciennedontonauraitpu penserqu'elleestrefltedanslesuvresd'artquit-moignent, leur nigmatique manire,de ce qu'elle fut. Surlecontinentilfautpartirdelasituationcoloniale eten Amriquedecelledu monded'aprsl'esclavage: l'une et l'autre ont crd'autres Africains encoursde civilisation et ilest inutile de chercher retrouver chez ces volus ,comme l'on disait aussi, l'tat d'esprit des artistes qui crrent les uvres que l'on peut aujourd'hui admirer.Onsetrompesil'oncroitpouvoirpenserla transformation du monde africain comme rsultant d'un simple apport extrieur un substrat qu'il serait possible dedgageretdelire.Poursuivrelaquestiondelarela-tion entre l'art et l'identit africains est interroger un mi-roirmuet.Iln'y apasune essence versquoi masqueset d'une race qui leur est largement trangre, par le sang, la civilisation, la gographie et letemps.Lesuvres modernes ne sont pas,bien vi-demment,une base sur laquelle juger de la valeur des sources ancien-neselles-mmes.Lan ngreprimitif,commelaplupart desgrandes crations,est essentiellement inimitable et quelque chose de son pou-voir peut se perdre dans ses versions modernes. (op.dt.,p.133). 46 sculptures feraient signe, aucune africanit retrouver et lire sous sesavatars sur lecontinent et dans lesdiaspo-ras.Laconsquencede ceconstat estelleaussiaffirme sans ambages par Munto et Guillaume: en dtruisant les dieuxdel'Mriqueancienne,la civilisation ~ ~adtruit son art lui-mme et dsormaisles Mricains ont perdu leur gnie de laformeplastique.13eartiste,celuiqui a invent cesformes,a disparu avec le secret de ce que cela voulaitdirealorssculptercommea,etcherchertout prix tablir une continuit avec aujourd'hui c'est,pour Munroetlecollectionneurd'artafricainqu'taitPaul-Guillaume,ouvrirlavoieauxfaussairesetauxpauvres imitations d'artisansdehasard,sansinspiration,tra-vaillant le bois ou l'ivoire en de raides images dpourvues de caractre, et destines au commerce tranger.14 Voil quicaractrisecequel'onappelleraitaujourd'huil'art des aroports,produit par ceux qui n'inventent plus rien et se condamnent l'imitation, indfiniment poursuivie, de leur propre tradition devenue opaque et silencieuse.15 13. Ouvrage cit, p.22. 14. P.28. Dans le mme sens, dans un entretien ralis en1967 et pu-bli en1994, Michel Leiris dclare que le souci de faire africain,pour l'artiste,n'aboutitqu' des chosesartificielleset il ajoute: Que faire? Jenepeux plus fairedesmasques ou des statues qui serfrent auxchosesauxquellesjenecroisplusou quimesont trslointaines C.. )Des peintres africains qui sans penser un seul instant tre afri-cains creront des uvres devant lesquelles on se dira qu'il n y a qu'un Mricainquipeutavoirfaitcela.Ilsaurontretrouvunafricanisme del'artsanslevouloir.Maislechercherdlibrment,c'estcomme leralismesocialiste ... .InMichelLEIRIS,Au-deld'unregard Entretien sur l'art africain par Paul Lebeer,Lausanne,LaBibliothque des Arts,1994. p.91. 15.Jean-GodefroyBidimaexpliquel'trangerenversementeffectu 47 Si l'on ne peut donc plus demander ce que cela voulait dire,ilrestequ'onpeuttoujoursposerlaquestionde cequecelaveut dire,pournous,aujourd'hui,sculpter comme a.Et c'est la seule vraiequestion.Lebon ct, pour Munro et Guillaume,que comporte la solution de continuit entre l'artiste qui a cr les grandes uvres de lasculpturengreetlemondeafricainaujourd'huiest justement que cette coupure libre du souci de reconsti-tuer l'africanit suppose donner la cl pour comprendre son art. Nous pouvons et nous devons oublier ceux qui l'ontcretleregardersansidesprconues.16De tellesidesviennentdedeuxgroupesdiffrents.Ilya d'abord celui des ethnologues attachs,disent les auteurs deLasculpturengre primitive produire d'abstraites constructions mtaphysiquescenses expliquer la men-talitafricaineetquiinterposerontentrel'uvred'art etnousunensembledeconsidrations- descriptions degroupesethniques,derituels,etc.- quinel'clairent gureet l'offusquent aucontraire.Ily a aussilegroupe desartisteseuropensdontonauraitpupenserque pour avoir reconnu lespremiers que cette formed'art se trouvait labasedestendancesmodernes,ilstaient les mieux mme d'en parler.Ce que l'on constate au con-traire c'est que le discours de ce groupe ne va pas au-del d'logesextravagants ,quelesartistesseretrouvent par la logique du marchqui voit leconsommateur extrieur dfinir cequ'estl'artafricainetceuxquilefabriquentdfinir,enconfor-mit avec cette attente, leur propre identit. Cart africain? , crit-il, c'est l'art des Africains, revu, corrig, vendu et dit par les Blancs! (L'art ngro-africain,Paris,PUE 1997, p.6). 16.Op.cit.p.25. 48 comme frappsd'impuissance devant la forteralitdes uvres, sentant intuitivement leur qualit mais sans arri-ver extrioriser leur sensations et ne produisant fina-lement leur propos que de vagues rhapsodies fleuries, confuses et incohrentes .17On peut ajouter cesdeux typesdediscoursceluiducritiqued'artprofessionnel dont les bavardages jargonnants ne manifestent trs sou-vent que sespropres prfrences et manquent, eux aussi, denousexpliquerlanaturedessatisfactionsquisont celles que nous procurent lesuvres de l'art africain. l'oppos de tous cesdiscours,ilfautprendre appui sur ce qui est dans l'uvre elle-mme,ici et maintenant, danslemomentprsentoelles'offrenous,etnon pas sur ce dont on pense qu'il lui est contexte ncessaire. En congdiant ainsilesoucidu contexte pour revenir la choseartistiquemme et partir d'elle,Munro et Paul Guillaumedemandentquel'onsachelirel'artafricain en oubliant cequi n'est pas lui, directement, ce qui n'est pas ses qualits artistiques elles-mmes. Ils adoptent ainsi une dmarchedeconcentration consistant enrester l'objetd'arttelqu'ilsedonne,ledcrireenmettant entreparenthsesceuxquil'ontcretsansidespr-conues.Cette dmarche est ainsi dfinie : elles'efforced'viterlesrveriessubjectives et les gnralisations invrifiables pour essayer syst-matiquement depercevoiraussiclairement et aussi objectivementquepossiblelesqualitsvisiblesdes uvresd'art elles-mmesetleurrelationaveccelui qui lesobserve.On s'efforce d'envisager lesqualits 17.Id.p.15. 49 plastiquesdessculptures-leurseffetsdeligne,de plan,demasses,decouleurs- endehorsdetout fait extrieur.18 Danscetteapprocheonretrouveleformalismedu philosophedel'art CliveBelldont l'influenceestsensi-ble ici. C'est lui, en effet, qui a le plus insist sur la nces-sit de s'en tenir,pour lirel'objet d'art, la seuleforme dgagedetoutesignificationquisesitueraitau-del d'elle.Car ilfautpouvoirlepercevoiravecl'ilmme del'artisteetalors, l'ayantvucommeformepure, l'ayant librdetout intrt accidentelet adventice,de tout cequ'il a pu retirer de son commerce aveclestres humains,detoute sasignificationcomme moyen ,on pourraressentir sasignificationcommefinen soi .19 C'est lorsquel'onaainsiaffaireununiversdesseules formes que l'on peur rpondre la question: Pourquoi sommes-nous siprofondment mus par certaines com-binaisonsdelignesetdecouleurs ? Etlarponseest alorscelle-ci: Parceque lesartistessavent exprimer en descombinaisonsde lignesetdecouleursunemotion prouvepourlaralitquiservletraversligneet couleur.20Et ainsinat la forme significative[qui]est la forme celle derrire laquelle nous saisissons un sens de la ralit ultime .21 l8.Id.p.l? 19.CliveBELL,Art;NewYork,FriderichAStokesCompany Publishers,1913; p.53. 20.Ibid.p.54. 21.Id. 50 Ilest ncessaire,pour tenir dehorstout faitextrieur, de congdier le contexte mais galement, du ct du sujet qui regarde,certaines attentes creschez luipar sa pro-pre histoire et son got telqu'il s'est constitu dans cette histoire.Ilfautainsi,d'abord,quelesujetsoit prvenu decequin'est pas dansl'uvreetqu'inconsciemment, parcequ'ilaappristirerjoiedelaVnusdeMiloou del'ApollonduBelvdre,ils'attendyretrouver.Pour duquer l'art africainnon aplatisur sa seulevaleur de tmoignage pour l'africanit, Munto et Guillaume com-mencent donc par l'opposer lasculpture classique . Pourmieuxapprendregoterdesqualitsplastiques delasculptuteafricaine,ilfautd'abord comprendrela nature du plaisir que nous procure la statuaire grco-ro-maine,puisquec'estellequiestlarfrencepour l'art europen.Laquestiondevientalorscelledel'rotique danslastatuairegrecqueetdanslasculptureafricaine. C'est ce qui explique le choix des uvres canoniques que sont lesreprsentations deVnus-Aphrodite,dessede la beaut,et d'Apollon,son quivalent masculin.Ladesse et le dieu dans lesreprsentations que leur donne la sta-tuaire grco-romaine expriment l'idal mme de la forme humaine,saperfection.Lrotiqueiciseditalorsdans lacatgoriede l'agrableregarderquielle-mme setraduit encequoion dsireressemblerou ceque l'on dsire possder amoureusement. La joie que procure l'uvred'artprovientdelacaresseduregardetpeut-tre de la main quand le corps se met mentalement dans la posture d'imiter ou d'treindre.D'autres uvres, sans avoir aussi explicitement un lien l'amour ou l'idal de beautphysiquen'enrelventpasmoinsdecettecat-51 gorie du plaisir mimtique: nous sourions mentalement du sourire finetnigmatique deVoltaireauspecta-cle du buste du philosophe telque l'artiste noclassique Jean-Antoine Houdon (1741-1828) l'a sculpt en 1778 ; de mme,nousnousarrachonsverslalibertavecl'Es-clave rebelle de Michel-Ange en sentant dans notre corps, sifrlesoit-il en comparaison, toute l'nergie de sa puis-sante musculature. 22 Aborderlasculptureafricainesansideprconue c'est ne pass'attendre voirfonctionnercette catgorie du mimtisme, apprendre, en s'ouvrant elle, voir s'ac-tiver un registre rotique autre.Lespectateur africain a-t-illui aussienvie d'embrasser la Vnus? Par Dieu, oui! A-t-ilenvie d'treindre l'idole 'difforme'dela maternit venue de Guine? Dieu merci, non! Rapporte la cat-gorie del'agrable regardercette uvre et d'autres olaformenaturelleducorpshumainestdforme, dis-loque estpour n'importe quelsujet une effroyable monstruosit.23Sousune tellecatgorie cesuvresne servleraientplusalorsquecomme manque d'treou inversion dmoniaque, ce que du reste n'ont pas manqu d'affirmerlesmissionnairesdesmonothismesrvls ens'attaquantauxftiches.Parquellesvoiesdonc sommes-nousmusparcetteformed'art?D'o vient qu'avecl'exprienceetlorsquel'esprits'estdlibr-ment ouvert de nouvellessensations 24nous trouvons labeautqueporte lastatueafricaine?On pourraitse 22.Cf Id.p.49. 23.Ibid. 24.Id.p.53. 52 contenter ici d'en rester cette explication par l'habitude quifaitque deschosesquitoutd'abordnousparais-saient laides nous deviennent agrables avec le temps 25, unpeu commeon s'habitue manger pic.Maisilest une manire diffrente,pluspositive,d'entendre ceque disent ainsi Guillaume et Munto : ce ri est pas l'habitude qui conduit progressivement la vrit de l'art; au con-traire cette vrit est saisie dans l'exprience premire de larduction eidtique o il est peru que cequi sedon-nait en premire approximation commeune copie d-forme d'un corps humain est en ralit une nouvelle cration en elle-mme.26C'est alors cette vrit initiale qui va ensuite semanifester clairement enhabitude. cepropos,on notera avecBenoist del'Estoile que l'entre-deux guerres et la priode o Senghor commen-cecrire,danslesannestrente,estlemomento au-deldesavant-gardes,commencechangerradi-calementlaperceptiondesobjetsprimitifsdsormais constitus en art.27Quelle est donc cette vrit de l'art africain pourMuntoetGuillaume?Quelleestlana-tureduplaisirnonmimtiquequenoustironsd'une sculpture ngre primitive ? 25.Ibid. 26.Id.p.52. 27. B.de l'Estoile,Le goflt des autres.De l'exposition coloniale aux arts premiers,Paris,Flammarion, 2007 ; p.68.I:auur, qui cite le cons-tat faiten1931par MarcelMaussque lesjeunes coloniauxet les jeunes Franais sont dsormais en mesure desentir cesbeauts , indiquequel'Expositionuniversellequiaeulieulammedate, metenavant,pour lapremirefois,cettenouvelleapproche,cette nouvelle sensibilit . 53 ellepeuttreincomprhensibleoudpour-vued'agrmentpourdesgenscivilissjmaisdans les formes,dansla ligne et danslamasse,elle arrive une varitd'effetspuissants quebienpeu,sinon aucundesautrestypesdesculptureont gal.Ces effetsseraientimpossiblesdansunereprsentation delafigurehumaine,silesproportionsnaturelles taientstrictementrespectes.Ilsseraientimpossi-blesdansunefigureidale,conuecomme lessta-tuesgrecques,sur labasedecequiserait humaine-ment dsirable en chair et en os.28 De nouveau seretrouve ceregistre de la puissance des effetsnedela d-mesure,l'absencedeproportionsau nom d'uneautrelogiqueinterne l'uvre,quinevise pasunplaisirde labelleralit homognenotre facult habituelle de dsirer ce qui est en chair et en os maislechocqueprocureun librejeudessentiments impulsifs lui-mme l'image de la figure dissocie en sesparties,considrecommeunagrgatd'unitsdis-tinctes.29La joie vient d'une exprience de la limite, de la transmutation de la peur de voir perdre l'unit, de voir la masse entire tomber d'un ct et manquer de coor-dination enlasurprisedesentir quel'uvreatrouv les moyensde souder lesthmes opposspar une note qui leur soit commune.30 C'est par une musique com-poservolont,disentlesauteursde La sculpturengre primitive, que l'on se trouve possd lorsqu'on fait le tour 28.Id.p.SI. 29.Id.p.56. 30.Id.p.59. 54 d'une statue africaine,quand seslignes et sesmasses se rejoignent constamment et indfiniment en de nouveaux dessins et enun quilibre sanshiatusniintervalle.31La musiqueestdavantagequ'unemtaphoreici.Luvre plastiquen'estpascommeunemusique:elleestune musique visuelle complte o [des]rythmesoppossimpressionnentl'ilet l'esprit commeune sriedechocspuissants ritrs sousformedelignes,desillons,decreuxgrossiers, alternantavecdesintervallesadoucis,commedes clatsdetamboursetdecuivresenmusique.Dis-tribue, espace, oppose fortement ou incorpore une autre par la rptition du thme,chaque forme donne son effet esthtique total,lepouvoir del'en-semble estrenducumulatif et constitue commeun foyer en vertu de l'unit du plan.32 Au total, l'approche formaliste de Munro et Guillaume nous invite, pour bien saisir la nature du monde o nous faitentrerlasculptureafricaineetcelledel'motion qu'elleprocure,effetdestimulantsrudesetviolents, nous placer dansune ontologiedesrythmes,la cration consistant composer des rythmes, construire un ryth-me partir d'units qui sont elles-mmes des rythmes en lesritrant sans lesrpter exactement,et en lesfaisant se rpondre sous la figure du contraste, de l'inversion ... 33 31.Id.p.58. 32.Id.p.76. 33. Dcrivant un masque ils crivent ainsi (p.75): Les yeux sont des cerclesgrossiers,irrguliers,nettementsouligns,lalvresuprieure normeen formededemi-cerclelesrelielabouche et enfaitune 55 C'estbiencequeferaLopoldS.Senghorchezquice textecontinueratoujoursdetransparatresurtoutlors-qu'ilcrit sur l'art africainpour soutenir qu'ilestfond sur le rythme, la force vitale ou bien encore cet oxymore qu'il a cr pour exprimer ce qui en fait le trait distinctif: le paralllisme asymtrique. Ontologie des rythmes C'est dansCe que l'homme noir apporte que Senghor crit cette formule quoi trs souvent on rduit sa pense, en gnralpour larcuserd'un seulgeste,enbloc:l'mo-tionestngrecommelaraisonhellne.34 On n'apasfait assezattention danslesnombreux commentaires qu'elle asuscitescertainslmentsimportants.Lepremier estlechoixdesmots,comme hellnepluttque grecqueou encore europenne comme il dira par la suite.35 Coquetterie dekhgneux agrgde grammaire srierythmique quiestcontinue jusqu'au-dessusdesyeux.Lalvre infrieure,droite,horiwntale, formeun contraste et relie la bouche labasedu nezet auxligneshorizontalesdu front,ouvrant ainsiune nouvelle srie de rythmes . 34.Libert I, p.24. Plus tard il menra son choix de cene formule pour lemoins provocatrice sur lecompte de la jeunesse il y aune trentained'annes,schmatisantaveclapassionintransigeante dela jeunesse,j'crivais: "l'motion est ngre,comme laraison,hellne" a-t-ilainsidclaren1967 Dakar,dansundiscoursla deuxime sessionduCongrsinternationaldesAfricanistesquis'esttenuen Dcembredecetteanne-ldanslacapitalesngalaise.InLibert Ill, p.168. 35.Parexemplecette formulationque l'ontrouvedansletextequ'il consacre Lesthtiquengro-africaineetqu'ilfaitparatredans larevueDiogne en Octobre1956 : Laraisoneuropenneestana-lytiqueparutilisation,laraisonngreintuitiveparparticipation. 56 et donc nourri aux Lettres classiques? Choix de pote qui aimelerythmede l'alexandrin,carilest vraique sur le plandel'euphoniehellne s'avre,l'oreille,videntet ncessaire?Sansdoute y at-iltout celadans la formule maisellefaitaussirfrencel'opposition,surlaquelle lesauteurs de La sculpture ngre primitive ont faitreposer leur analyse de la diffrence desplaisirs esthtiques, entre la statuaire grecque et l'art plastique africain.36 Le second lmentimportantestjustementceluiducontexte:ce textedeSenghorestvritablementorientverssader-(Libert 1,p.203)Cettereprisen'estpasunesimplevariantedela formule de1939 qui reste une analogie. 36.Unepreuvedelaprgnancedecetextedanslesrflexionses-thtiquesdeSenghorestdonnedanscepassaged'undiscoursqu'il donne en1969 oreparat l'oppositiontablie par lesauteursdeLa sculpturengreprimitiveentrelaformedsirableetl'accumulateur d'nergiecommeonpourraitl'appeler:EnregardantlaVnus deMilo,lesGrecsdevaientavoiruneractionmatrialiste,jene dispassensuelle,uneractionintellectualiste,enrvantd'avoirune tellefemme:grande,lesmuscleslongs,finementgalbe,etblonde parsurcrot.Contemplez,maintenant,laVnusdeLespugue.Au premiercoupd' il,cen'estpasunefemme,cesontdesformes: sphrodes,ovodes,cylindriques,quiserpondentsansserpter ( ... )LaVnusdeLespugue,c'estuneimage,maiscesont,d'abord, des rythmes. Aucune envie,mme chez les Ngres, d'avoir une femme ainsiforme.Maislerythme,lesrythmesdel'imagevoussaisissent. C'est comme une fulguration soudaine: uncoup de poing au basdu ventre,quipeut provoquerune sorted'lansensuel,mystique.Nous voil,n'est-cepas,bien loindel'rotisme abstrait et strile. (Libert V,p.22)Plustt,danslemmediscoursil avaitdit delaVnusde MiloIl s'agitici,d'une femmedanslemonde,enchairetenos ellene reprsente riendeplusqu'elle-mme. Jamais l'expression" en chair et enos"n'a t pluspertinente."Comment ne pasvoiriciun cho de ce qu'crivaient Munro et Guillaume propos de ce qui serait "humainement dsirable en chair et en os"? 57 nirepartieconsacrecequifaitselonluil'apport majeurdesMricainsaumondedu xxe sicle:l'art.Et d'ailleurs,dansleslignesquisuiventimmdiatement laformule,Senghor expliqueleconceptd'motionpar celuid'attituderythmiquequiannoncesonpropossur l'art. r.:motionestngrecommelabeauthellne , cela pourra donc s'entendre, dans le contexte o apparat cette formule,de la manire suivante: l'motion est aux uvresd'art africainscequelaraisonestlastatuaire hellne; et on pourra soutenir, comme je le fais,que c'est danslesrflexionsesthtiques senghoriennes que cequi est d'abord et avant tout une analogie a trouv sens avant d'tretransfr,avecmoinsdebonheurcertainement, dansledomainedel'pistmologie.Parcequeseslec-turessur l'art africain et en particulier celle del'ouvrage de Munro et de Guillaume avaient plac l'approche dans uneoppositionentrestatuairedetraditionhellneet sculptureafricaine,Senghors'installeraluiaussicl' em-ble dans cette polarit. Quand il s'agit pour lui d'tablir ceque l'homme noir apporte,Senghor ne saurait bien videmment souscrire la manire dont le livre de Munro et Guillaume invite oublierlesMricainspourmieuxcomprendreet goterl'artqu'adonnaumondeleurcontinent.On peutimaginerfacilementqu'ilcritaussienraction contreleracismetranquilleetnormalensituation colonialedesauteursquidclarent qu'endehorsde quelques traditionscommecellequiprtend que florissaitl'ouestduSoudandsleIIIe sicle avantJsus-Christl'empireGhanadont oncroit avoirdcouvertrcemmentlesruinessupposesdela 58 capitale , lesngressontunpeuplesanshistoire , dont on netrouvedanslepassqu'un mlangecon-fusderaces.37Cetteractiontrouveunsoutiende poidsdanscequeSenghorprsentecommelalecture laplusimportantequ'ilsaientfaite,sescompagnons dengritudeetlui-mme,quelquetroisannesavant lapublicationdeceque l'hommenoir apporte:cellede LoFrobnius(1873-1938).38Senghoravaitbesoin deramenerl'africanitdansl'artngred'oMuntoet Guillaumel'avaientenquelquemanirevacue;ses tudesdumoment,cellesdesafricanistesl'Institut 37.La sculpture ngre primitive, p.3!. 38.Voicienquelstermesil dateet prsentelesensdelarencontre avec leslivresdeFrobnius, parmi leslivressacrsde touteune g-nration d'tudiants noirs(Libert II/,p.13): Je ne saurais mieux fuireque dedire,ici,lesleons que nous avonstires de la lecture de l'uvre deFrobenius,et surtout de sesdeux ouvrages fondamentaux, uaduits en franaisHistoire dela civilisation africaine etleDestin des civilisatiom.Quand jedis"nous",il s'agitdelapoigned'tudiants noirsqui,danslesannes1930, au Quartier latin, Paris,lancrent, avec AimCsaire,l'Antillais,etLonDamas,leGuyanais,lemou-vementdelaNgritude.J'aiencoredevantmoi,enmapossession, l'exemplaired' Histoiredelacivilisationafricainelatroisimepage de laquelle,aprslacouverture,Csaireainscrit:"dcembre1936" Unanauparavant,alorsquej'enseignaisaulycedeTourstouten prparant un doctorat d'tat sur "Les formes verbales dans les langues dugroupesngaIo-guinen"( ... )j'avaiscommencdesuivredes cours l'Institut d'ethnologie deParis et l'cole pratique des hautes tudes. Je vivaisdonc dans la fmiliaritintellectuelle desplus grands Mricanistes,et d'abord desethnologues et linguistes.Maisquel coup detonnerre,soudain,queceluideFrobenius!. ..Toutel'histoireet toutelaprhistoiredel'Mriqueenfurentillumines- jusquedans leursprofondeurs.Et nousportonsencore,dansnotreespritet dans noue me,lesmarques du matre,comme destatouages excuts aux crmonies d'initiation dans lebois sacr.(Libert II/,p.398) 59 d'ethnologiedeParisetl'colepratiquedeshautes tudesleprparaient rtablir le lienentre la sculpture et l'ethnos africains,r-ethnologiser l'art.Ille ferasur-toutensuivantlamditationdeLoFrobeniussurla civilisation africaine, mais sans renoncer l'approche des auteurs de la sculpture ngre primitive consistant centrer l'attention sur les qualits plastiques elles-mmes. Chez LoFrobenius,Senghor trouvera appuyer son ideque l'art africainditun espritafricainet,peut-tre,un tre-africain .On devinequelpointilest d'accordavecceslignesdel'ethnologueallemandlors-qu'illes lit dans son Histoire de lacivilisation africaine: Etpartoutonouspouvonsencorevoquer cettevieillecivilisation[africaine],elleportela mmefrappe.Quandnoustraversonslesgrands musesd'Europe,le Trocadro,leBritishMuseum, lesmusesdeBelgique,d'Italie,deHollandeet d'Allemagne, partout nous reconnaissons un 'esprit', uncaractre,uneessencesemblables.Dequelque point dececontinent quelesobjetsparsprovien-nent,ilss'unissent pour parler la mme langue.39 Et plus loin, dans le mme texte: Voillecaractredustyleafricain.Quiconque s'approchedeluiaupoint delecomprendretout faitreconnatbienttqu'ildominetoutel'Afrique, comme l'expression mme de son tre. Il se manifeste danslesgestesdetouslespeuplesngresautant que 39.L.FROBENIUS.Histoiredelacivilisationafricaine.traduit par Dr. H.Back et D. Ermont. Paris.Gallimard,1936 (4'm'd.).p.16. 60 dans leur plastique, il parle dans leurs danses comme dansleursmasques,dansleur sensreligieuxcomme dansleurmodesd'existence,leursformesd'tatet leursdestinsdepeuple.Ilvit dansleursfables,leurs contes de fe,leurs lgendes, leurs mythes.,,40 Qu'il y ait un style africain qui fassel'unit du conti-nent et qu'en lui s'exprime l'tre, cet esprit qui traverse les ges, et cette langue" qui continue d'tre parle dans les aspectset gestesde la vie africaine,voil ce que Senghor veut,lui aussi,affirmer contre Munro et Guillaume.S'il nefautpaspartir dessavoirsethnographiquespour lire l'art car on ne ferait qu'offusquer l'intelligence que nous pouvons en avoir,il reste que cette intelligence doit nous ramener la manire de voir africaine et la vie africaine en gnral.Il est vrai que les auteurs deLa sculpture ngre primitive admettaientqueleurart,ou plutt celuicr par lesartistesdu continent du tempsde leursanctres, pouvaientconstituerunesource,laplusrvlatrice que l'on puissetrouver pour comprendre lamentalit des ngres primitifs. Mais ce qui intresse Senghor c'est aussitablir la continuit organique avec la vieafricaine aujourd'hui,quelquealtrequ'ellesoit,etaveclavie dans la diaspora noire quelque alinequ'elle soit.C'est pour cette continuit qu'il met l'ethnologie au centre de saphilosophie,afinde rendre les Africains visiblesaprs queleur art l'est devenu.Lessortir de leur invisibilit et lesfaireapparatre comme de vritables antagonistes , c'estdiredesinterlocuteurs,c'estaussiceques'tait 40.Id.pp.17-18. Lexpression souligne l'est par l'auteur. 61 propos celui que Senghor,toujours,appellera son ma-tre : Lo Frobenius,41 Sic'est cematrequeSenghor s'adressepourrta-blir le lien entre la vie africaine et la sculpture laquelle elleadonnnaissance,il demeurequec'estl'approche strictementformalistedeMunroetGuillaumequiest dterminante pour sa philosophie de 1'art africain. D'abord, concernant la manire dont il labore sa no-tion de rythme.Voici comment il en parle dans son texte de1939, Ce que l'homme noir apporte [La]forceordinatrice quifaitlestylengreest lerythme.C'est la chose la plus sensible et la moins matrielle.C'est l'lment vital par excellence.Il est lacondition premire et le signe de l'art,comme la respirationdela vie; larespirationqui seprcipite ou ralentit,devientrgulireou spasmodique,sui-vantlatensiondel'tre,ledegretlaqualitde l'motion.Telestlerythmeprimitivement,dans sapuret,telil estdansleschefs-d' uvredel'art ngre,particulirementdelasculpture.Ilestfait d'un thme - forme sculpturale - qui s'oppose un 41.AlorsquelesGrecsd'Homre,crit-il,savaientregarderlavie des thiopiens(pour Frobenius, comme pour les Anciens c'est l une synecdoquepourMricains.)ladistinctionentre Romains.et Barbares. va tablir l'habitude europenne d'vacuer de la reprsen-tation lestrangers:lepartage entre Chrtiens et Piiens puis civiliss et sauvages renforcera cette habitude. Il fallait que ces tres humains eussenttd'abordcompltementliminsdenosproccupations europennes pour jaillir nouveau devant notre regard,sortant tout coup de leur invisibilit, et nous apparatre comme nos antagonistes. (Histoire delacivilisation africaine,p.29). 62 thmefrre,commel'inspirationl'expiration,et qui se reprend. Ce n'est pas la symtrie qui engendre la monotonie; lerythme est vivant,ilest libre.Car repriseri estpasredite,nirptition.Lethmeest repris une autre place, sur un autre plan,dansune autrecombinaison,dansune variation ; et ildonne uneautreintonation,unautretimbre,unautre accent.Etl'effetd'ensembleenestintensifi,non sansnuances.C'est ainsiquelerythmeagitsurce qu'il y a de moins intellectuelennous,despotique-ment, pour nous fairepntrer dans la spiritualit de l'objet;et cette attitude d'abandon quiest ntre est elle-mme rythmique .42 cetterflexionsur lerythmeferontcho,dixsept ans plus tard, leslignes suivantes QJtest-ceque lerythme? C'estl'architecturede l'tre,ledynamismeinternequiluidonneforme, lesystmed'ondesqu'ilmet l'adressedesAutres, l'expressionpure dela Force vitale.Lerythme,c'est le choc vibratoire, la force qui, travers les sens, nous saisit laracine de l'tre.Il s'exprime par lesmoyens lesplusmatriels,lesplussensuelslignes,surfaces, couleurs, volumesen architecture,sculpture et pein-ture;accentsenposieetmusique;mouvements dansladanse.Mais,cefaisant,ilordo