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L'émergence du design chinois

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Élève : Juan LIN La Chine du XXIe est dominée par le capitalisme. Les Chinois sont devenus dépendants de l'Occident, au point que pour certains, leur identité est malmenée d'autant plus que la Chine a connu une profonde rupture avec la Révolution culturelle. Pourtant, cette culture avait fait toute la puissance de la Chine durant l'Antiquité et le Moyen Âge. Quelle est la particularité de l'intelligence chinoise ? Pourquoi la Chine est-elle en rupture avec son passé et face aux nouveaux défis mondiaux, parviendra-t-elle à renouer avec ce passé ? Le design, plus qu'un simple support d'expression, ne peut-il pas apporter une contribution au débat qui vise à définir la société chinoise contemporaine ?

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juan linmémoire suivi par marie-haude caraës

paris-avril 2009

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introduction

I. la tradition scientifique chinoise

1. le problème de needham

2. pourquoi la chine fut-elle un terrain propice aux découvertes scientifiques ?

3. pourquoi la chine n’accéda-t-elle pas aux sciences modernes ?

II. chine et modernité

1. l’échec de la modernité chinoise (fin du xixe siècle à 1949)

2. l’impasse maoïste (1949-1976)

3. une nouvelle modernité

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III. l’avenir de la création en chine

1. la chine est-t-elle vouée à la copie ?

2. à quoi sert la copie ? l’exemple japonais

3. un contexte favorable à l’épanouissement du design

4. un passé à reconsidérer

conclusion

bibliographie

remerciements

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introduction

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L a Chine du XXIe siècle domine la scène économique mondiale : grâce à sa croissance expo-nentielle, la société chinoise est aujourd’hui le moteur des échanges internationaux. Mais en même temps qu’elle s’ouvre au capitalisme, elle est aussi de plus en plus dominée par cette raison économique. Avec la mondialisation, les Chinois sont devenus dépendants de l’Occident, de sa technique et de son savoir-faire, au point que, pour certains, leur iden-tité est malmenée. Cette destabilisation de l’iden-tité chinoise est d’autant plus problématique que la Chine a connu la Révolution culturelle (1966-1976) durant laquelle les pratiques, les objets et les textes traditionnels furent interdits et détruits par le com-munisme maoïste. La rupture de la nouvelle société chinoise avec son passé est profonde et facilite l’emprise de la mondialisation sur un peuple qui n’a plus la mémoire de sa culture.

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introduction

En Occident, à partir de la fin du XVIIIe siècle, c’est une révolution d’une autre nature qui prit sa place : la Révolution industrielle. Le développement de l’industrie donne aux découvertes scientifiques un véritable essor technologique. Le perfection- nement de la machine à vapeur devient le moteur de cette révolution qui bouleverse définitivement le cours de l’histoire. La transformation du minerai de fer en métal permet l’ascension du rail (construc-tion de locomotives et de centaines de kilomètres de chemin de fer) et transforme l’architecture (réalisation de grands ouvrages dans le bâtiment et les ponts). Aux États-Unis comme en Europe, la révolution industrielle a transfiguré l’image de la société, bouleversant les modes de vie tradi-tionnelle, les usages et les systèmes de valeurs. Le design est alors apparu comme un moyen de faire la synthèse entre le domaine de la technique et celui de la culture, offrant un nouveau pacte sur la valeur d’échange des objets de consommation courante. L’Occident a donc su trouver de nouvelles règles pour ajouter de la valeur aux objets quand celle-ci s’était appauvrie par la reproductibilité technique. Cependant, ces solutions suivaient une logique capitaliste. Pour un pays communiste comme la Chine qui a subi une violente crise culturelle, le pas-sage d’une société traditionnelle à la modernité est d’autant plus complexe. Quand l’Occident avait ouvert la voie de la modernité, il l’avait fait dans un élan universaliste et international. Il semble que pour la Chine du XXIe siècle le problème soit inversée.

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introduction

À l’époque de la mondialisation et de l’uniformi- sation ambiante, la Chine peine à trouver son iden- tité qui avait fait toute sa puissance durant l’Anti-quité et le Moyen Âge. Quelle est la particularité de l’intelligence chinoise ? Pourquoi la Chine est-elle en rupture avec son passé ? Et face aux nouveaux défis mondiaux, parviendra-t-elle à renouer avec ce passé ? Le design, plus qu’un simple support d’expression, ne peut-il pas apporter une contribution au débat qui vise à définir la société chinoise contemporaine ?

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la tradition scientifique chinoise

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L’Occident a longtemps oublié que, durant deux mille ans, la Chine était un moteur d’innovation. L’intelligence chinoise a produit de multiples inven-tions que l’Europe a emprunté. Il faudra attendre le XXe siècle pour que cet oubli soit réparé avec les travaux de Joseph Needham (1900-1995). D’origine britannique, Joseph Needham fut d’abord un bio-chimiste reconnu. Puis devenu membre de la Royal Society de Londres, il dirigea le Bureau de Coopéra-tion scientifique sino-britannique où il collabora avec de nombreux intellectuels chinois. Ceux-ci l’aideront durant quarante années à l’étude des sciences et des techniques de la Chine ancienne, étude réunie dans une monumentale œuvre encyclopédique, Science and Civilization in China1. Cette importante recherche contribuera non seulement à la reconnaissance mon-diale du passé scientifique de la Chine, mais apporte aussi une analyse précise sur la pensée chinoise des sciences et des techniques.

1. Joseph Needham, Science and Civilization in China, 7 volumes, Cambridge University Press, de 1954 à 2004.

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la tradition scientifique chinoise

1. le problème de needham

L a science chinoise fait partie des sciences antique et médiévale qui se distinguent de la science moderne, née au XIXe siècle en Occident. Tandis que la première est empirique et mystique, la seconde ne se contente plus d’observer la nature, elle l’instrumentalise pour façonner le monde. Elle se développe grâce à l’application des hypothèses mathématiques à la nature, la géométrisation de l’espace et la généralisation du modèle mécanique de la réalité. La science moderne n’apparaît qu’en Europe et mènera celle-ci – et uniquement celle-ci – à l’ère de la révolution industrielle. Nombreux sont ceux que le phénomène intéresse et continue de passionner. Au XVIIe siècle, en Occident, certains décla-rent ignorer les origines des découvertes scien-tifiques qui menèrent à la science moderne. Ainsi, Francis Bacon (1561-1626) s’exprimait : « Il est utile d’observer la force, l’avantage et les conséquences des découvertes. Tout cela ne se montrera nulle part mieux que pour trois d’entre elles, qui étaient inconnues des anciens, et dont l’origine, quoique récente, est obscure et basse : ce sont l’imprimerie, la poudre à canon et l’aimant. Ces trois inventions ont totalement changé la face du monde et l’état de choses existant : la première, dans la littérature ; la seconde, dans la guerre ; la troisième, dans la navigation ; à partir de quoi se produisirent des

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le problème de needham

changements innombrables, à tel point qu’aucun empire, aucune secte, aucune étoile ne semble avoir exercé un plus grand pouvoir ni influencé les affaires humaines autant que ces découvertes mécaniques. »2 D’autres éminents scientifiques du XXe siècle ont pensé que la science moderne ne pouvait être que le fruit de l’Occident, apparue à tra-vers les travaux de Galilée à la fin de la Renaissance, puis à travers les lois de Kepler et la théorie newto-nienne de la gravitation au XVIIe siècle. Derek J. de Solla Price (1922-1983) déclarait : « Où trouve son origine le fondement scientifique si propre à notre civilisation ? De tous les domaines particuliers, celui qui fut de loin le plus hautement développé, le plus nettement moderne, celui d’ailleurs qui reste encore la province la plus constante de la connaissance scientifique, c’est l’astronomie mathématique. (…) Notre civilisation n’a pas seulement produit une haute maîtrise intellectuelle de la science, mais aussi une technologie à caractère hautement scientifique. Ceci est bien différent du bruit de fond de la basse technologie, que toutes les civilisations et toutes les sociétés ont développé comme simple élément de leur vie quotidienne. Les métiers les plus variés, des chimistes de l’industrie primitive aux métallur-gistes, aux médecins, aux agriculteurs – tous ont bien pu se développer considérablement sans pour

2. Francis Bacon, Novum Organum, Livre I, Aphorisme 129, 1960, cité par Joseph Needham, La Science chinoise et l’Occident (le grand titrage), traduit de l’anglais par Eugène Simion, Paris, Le Seuil, 1977, p. 59.

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autant annoncer une révolution scientifique ou industrielle, comme celle que nous avons connue au cours des trois ou quatre derniers siècles. »3 Au sujet de la Chine, John Desmond Bernal (1901-1971) comparait : « La principale faiblesse de la science, en Chine, vient précisément du domaine qui intéressa le plus les Chinois, à savoir l’astrono-mie, parce qu’ils n’ont jamais développé la géomé-trie grecque ni – ce qui est peut-être plus important encore – la perception géométrique des choses telles que les Grecs la pratiquaient : méthode qui a fourni à la Renaissance les principales armes intellectuelles pour accomplir la rupture. Ils n’avaient à la place que les très précises méthodes de récur-rence provenant de l’astronomie babylonienne ; et celles-ci, en raison même de leur exactitude, leur donnaient l’impression factice de comprendre les phénomènes astronomiques. »4 Même Albert Einstein (1879-1955) écrivit : « Le développement de la science occidentale a eu pour base deux grandes réalisations, l’invention d’un système logico-formel (dans la géométrie euclidienne) par les philo-sophes grecs, et la découverte qu’il est possible de trouver des relations causales par une expérience systématique (à la Renaissance). À mon avis il n’y

3. Derek J. de Solla Price, Science Since Babylon, Connecticut, New Haven, 1961, cité par Joseph Needham, La Science chinoise et l’Occident (le grand titrage), traduit de l’anglais par Eugène Simion, Paris, Le Seuil, 1977, pp. 42-43.

4. John Desmond Bernal, Science in History, 1954, cité par Joseph Needham, La Science chinoise et l’Occident (le grand titrage), traduit de l’anglais par Eugène Simion, Paris, Le Seuil, 1977, p. 43.

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le problème de needham

a pas à s’étonner que les sages Chinois n’aient pas accompli les mêmes pas. Ce qui est étonnant, c’est simplement que ces découvertes aient été faites. »5 Joseph Needham, contrairement à ses con-frères de son époque, considère que l’on ne peut attribuer la naissance de la science moderne à l’Europe seule car même si cette science a pris sa forme moderne en Europe, l’histoire ne peut occulter l’apport de la Chine et des autres civili-sations. Le biochimiste insiste même sur l’intérêt propre de ces savoirs. « Il n’est pas légitime d’exi-ger de chacune des activités scientifiques ou tech-niques qu’elle ait contribué au progrès de la seule culture européenne. Ce qui s’est produit dans les autres civilisations mérite d’être étudié pour lui-même. L’histoire de la science doit-elle être conçue comme celle d’un seul courant continu d’influences liées ? N’y a-t-il pas plutôt une histoire idéale de la pensée humaine et de la connaissance de la nature, dans laquelle chaque effort peut trouver sa place, sans qu’on ait à tenir compte des influences reçues ou transmises ? La science moderne universelle, l’histoire et la philosophie de la science universelle devront finalement tout embrasser. »6 Ainsi, lors de ses recherches, parmi une masse documentaire de

5. Albert Einstein, lettre envoyé à J.E. Switer, de San Mateo, Californie, 1953, cité par Joseph Needham, La Science chinoise et l’Occident (le grand titrage), traduit de l’anglais par Eugène Simion, Paris, Le Seuil, 1977, p. 44.

6. Joseph Needham, La Science chinoise et l’Occident (le grand ti-trage), traduit de l’anglais par Eugène Simion, Paris, Le Seuil, 1977, p. 53.

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la tradition scientifique chinoise

textes, supports graphiques et objets, le biochimiste s’est attaché à recenser les différentes inventions que les Chinois détenaient longtemps avant l’Occi-dent – dont l’imprimerie, la poudre à canon et la boussole – dans Science and Civilization in China. Son travail soulève également une importante question paradoxale au sujet de l’apparition en Europe seu-lement de la science dite « moderne », au regard de l’avancement de la Chine. Si la Chine a réussi à conquérir un avantage scientifique et technologique important durant l’Antiquité et le Moyen Âge sur les autres civilisations et que cet avantage a nourri l’idée de la science moderne, pourquoi celle-ci est-elle apparue uniquement en Europe ? Pourquoi les inventions chinoises ont-elles participé à l’ère de la révolution scientifique et industrielle dès leur appa-rition en Europe, alors que ces mêmes inventions se diluèrent dans la société chinoise antique pen-dant des siècles sans provoquer aucun changement profond ? Telle est la problématique7 que Joseph

7. Cette même question a été soulevée s’agissant de la science arabe et de la science indienne. L’Inde et la Chine ont subi des influences réciproques dans le domaine scientifique et aussi reli-gieux. La science arabe, elle, serait plus proche de la science euro-péenne car non seulement ces deux peuples étaient en contact permanent, mais aussi parce que la langue arabe a été le véhicule qui a porté à l’Europe du Moyen Âge les œuvres scientifiques de la Grèce antique. La plupart de ces œuvres ont ensuite été traduites en latin. La science arabe n’a, cependant, pas été unique-ment « une courroie de transmission » entre la science grecque et la science moderne, elle a aussi inventé des notions essentielles dont on se sert encore aujourd’hui. Bien évidemment, le monde arabe côtoyait les sciences chinoises et indiennes, mais, curieuse-ment, très peu d’œuvres de ces deux sciences ont été choisies pour être traduites en latin. Ce seront les jésuites, envoyés en mission à partir du XVIIe siècle en Chine, qui établiront défini-tivement un pont entre les sciences chinoises et européennes.

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le problème de needham

Needham persista à éclaircir tout au long de sa recherche, permettant, par la même occasion, de comprendre pourquoi, alors que la Chine était un terrain propice aux découvertes scientifiques, elle fut également un frein à l’apparition de la science moderne.

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la tradition scientifique chinoise

2. pourquoi la chine fut-elle un terrain propice aux découvertes scientifiques ?

Tout d’abord, pour Joseph Needham, la Chine de l’Antiquité et du Moyen Âge n’a pas connu la pratique de l’esclavage intensive telle qu’elle fut exercée en Europe, dans la Grèce antique, par exem-ple. Le monde chinois croyait au confucianisme, « une doctrine de la vie en société sur cette Terre, qui tend à un maximum de justice sociale pos- sible. (…) Confucius prêchait la paix et le respect des individus : “En public, comporte-toi avec cha-cun comme si tu recevais un hôte de marque ; traite le peuple comme si tu assistais à un grand sacrifice ; ne fais pas à autrui ce que tu ne vou-drais pas qu’on te fasse, et ne provoque aucun ressentiment contre toi, dans le pays ou dans ta famille.” »8 Dans ce souci de justice sociale, il fallait mieux user de persuasion plutôt que de force pour convaincre le peuple de travailler et de se battre. De plus, le statut social de la servitude et de la semi-servitude, qui existait dans la civilisation chi- noise, eut de tout temps un caractère essentielle-ment domestique, « on recrutait la classe servile par procédure pénale : ceux qu’on condamnait

8. Joseph Needham, Science et Civilisation en Chine, une introduc-tion, édition abrégée établie par Colin A. Ronan, traduit de l’anglais par Frédéric Obringer, Arles, Philippe Picquier, 1995, p. 102.

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« Les trois principaux types de harnais : a) Le harnais de l’Antiquité classique, qui étouffait le cheval. b) Le harnais à traits, avec sa lanière autour du poitrail, qui se répand en Chine à partir du IVe siècle avant J.-C. Avec ce harnais, le cheval peut donner le meilleur de lui-même car la pression s’exerce sur le sternum et non plus sur la gorge - la charge s’appuie sur le squelette de l’animal plutôt que sur la tra-chée. c) Le harnais à collier. Là aussi, la charge porte sur le squelette ; le collier est rembourré pour éviter d’irriter la peau du cheval. Les Chinois ont bénéficié de ce progrès déci-sif dès le IIIe siècle avec J.-C. » Source : Robert Temple, Le Génie de la Chine, trois mille ans de découvertes et d’inventions, Arles, Philippe Picquier, 2007, p. 20.

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étaient “asservis à l’État”, pour un certain nombre d’années ou pour la vie ; après quoi ces prisonniers se voyaient affectés soit à la maison d’un fonction-naire important, soit aux ateliers impériaux, soit aux usines d’État. »9 Ainsi, en Chine, il y avait bien une main-d’œuvre importante de techniciens, d’artisans et de paysans, mais ils n’ont jamais été soumis à un esclavage intensif. Ils n’ont donc pas été forcés aux tâches de halage et de traîne par terre. Au contraire, ils ont toujours essayé d’éviter leur labeur en créant des machines pour épargner le travail, ce qui a favo-risé l’apparition de découvertes. En Europe, la force de travail était basée sur l’esclavage, et de peur de ne pas fournir assez de travail pour tout le monde, on a préféré utiliser la force humaine et limiter les innovations10. C’est pourquoi, la brouette et le har-nais à cheval de collier qui permettaient aux pay-sans chinois de se décharger n’ont été transmis en Europe que bien des siècles plus tard. Ensuite, Joseph Needham démontre que le caractère fondamentalement différent de la struc-ture économique et sociale de la Chine par rapport à l’Europe durant l’Antiquité et le Moyen Âge a joué un rôle important dans les découvertes scientifiques chinoises. En effet, la féodalité chinoise n’était pas

9. Joseph Needham, La Science chinoise et l’Occident (le grand ti-trage), traduit de l’anglais par Eugène Simion, Paris, Le Seuil, 1977, p. 19.

10. Dans la Rome impériale, par exemple, on refusa d’utiliser une machine pour déplacer des colonnes de temples sur le sol, de peur de mettre en chômage les porteurs.

« Brouette permettant le transport de très lourdes charges, utilisée dans la Chine du sud au XVIIe siècle et toujours en usage aujourd’hui. L’illustration est tirée d’un ouvrage inti-tulée Les créations de la nature et de l’homme (Tiangong kaiwu). »Source : Ibid., p. 95.

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la tradition scientifique chinoise

basée sur un système militaire et aristocratique, mais bureaucratique11. Au sein de cette dernière, l’appareil d’État est dirigé par une élite non héré-ditaire et recouvrant un grand nombre de commu-nautés paysannes relativement autonomes. La forme essentielle d’exploitation consiste en la collecte de taxes destinées à l’État centralisé, c’est-à-dire à la cour impériale et à ses fonctionnaires bureaucrates. L’État organise principalement la construction et l’entretien d’ouvrages publics, mais aussi la défense de l’ensemble du pays. Dans ce type de société, l’État-Cité n’existe pas, chaque ville est créée pour servir de nœud dans un réseau administratif. La ville est fortifiée et dirigée par un gouverneur au nom de l’empereur. Le pouvoir impérial s’exerce donc par un service civil appelé « mandarinat », et non par une hiérarchie de barons inféodés. Ce service civil recrute chaque année de nouveaux fonction-naires qui doivent passer un concours12 difficile et

11. « D’autre part, s’il est évident que l’histoire de la structure sociale en Chine n’est nullement identique à celle de l’Occident, les ressemblances ne font cependant pas défaut. (…) Bien que les savants diffèrent dans leurs interprétations, je me contente parfaitement du principe général, à savoir que la Chine au cours des deux derniers millénaires – généralement parlant – n’a pas eu de féodalité au sens aristocratique et militaire de l’Occident. Que l’on désigne le système chinois sous le nom de système de rendement asiatique, comme l’appelaient les fondateurs du marxisme, ou “bureaucratie asiatique”, ou “bureaucratie féodale”, ou encore, comme les Chinois le dénomment souvent, “féoda-lité bureaucratique”, ou quel que soit le terme que l’on adopte, il s’agit certainement de quelque chose de tout différent de ce que l’Europe a jamais connu. » Joseph Needham, La Tradition scien-tifique chinoise, Paris, Hermann, 1974, pp. 239-240.

12. Le système de concours chinois, apparu très tôt en Chine pour sélectionner les fonctionnaires d’État, influencera le système de concours français.

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sélectif. Seuls les meilleurs cerveaux sont reçus, de sorte que le système est basé sur un principe de mérite et non sur un principe de succession, sys-tème fonctionnant selon l’enseignement de Confu-cius qui « pensait que les positions diplomatiques et administratives devaient aller aux personnes les plus qualifiées intellectuellement et non pas socia-lement. »13 L’ensemble des fonctionnaires constitue le groupe des « lettrés » dont le statut est supérieur à celui des militaires, contrairement au système féodal européen. Le charisme impérial de la bureaucratie, le respect pour le savoir et la puissance de la force morale surpassant la force physique, étaient si pré-sents dans la société chinoise que les militaires eux-mêmes admettaient nettement leur infériorité par rapport aux bureaucrates-lettrés. Les commandes du pays étaient donc tenues par des savants14 et non par des chefs militaires. Si la société bureaucratique chinoise a pu autant encourager la découverte de la nature, c’est parce que la science y était pratiquée de manière « officielle » : les scientifiques étaient des fonction-naires d’État. Les sciences étaient donc très tôt considérées comme un savoir essentiel qu’il fallait développer. Les chercheurs étaient d’ailleurs par-

13. Joseph Needham, Science et Civilisation en Chine, une introduc-tion, édition abrégée établie par Colin A. Ronan, traduit de l’anglais par Frédéric Obringer, Arles, Philippe Picquier, 1995, p. 102.

14. Le clan des lettrés et les bureaucrates lettrés constituaient une opinion publique étendue et puissante, si bien qu’il y eut des périodes où l’empereur aurait pu donner des ordres sans que la bureaucratie lui obéisse.

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fois logés au palais impérial et appartenaient à un bureau qui faisait partie intégrante du service civil. Les artisans et les ingénieurs participaient éga-lement à la bureaucratie parce qu’il y avait, sous presque toutes les dynasties, des ateliers impériaux organisés et parce que, à certaines périodes, les métiers aux techniques les plus avancées (comme le service du fer et du sel par exemple) étaient étatisés. On peut se rendre compte que la bureaucratie chinoise a compris rapidement l’importance de la technique pour le développement de la société et a soutenu les hommes de science afin que les dif-férentes découvertes puissent servir à l’État dans la prévision du temps, par exemple (sismographe, pluviomètre, nivomètre), ou pour entreprendre plus facilement les différents travaux publics (construc-tions de ponts, constructions hydrauliques, etc.). En Europe, au contraire, l’étude scientifique fut plutôt une entreprise privée qui piétina bons nombres de siècles avant de se libérer. Un autre élément développé par Joseph Needham permet d’expliquer la supériorité précoce de la science et de la technique en Chine. La bureau-cratie chinoise comptait beaucoup sur le fonction-nement autonome des communautés villageoises et tendait à réduire au maximum son intervention dans leur vie. Cette conception non-intervention-niste vient du modèle taoïste qui a toujours prôné le wu wei (无为) plutôt que le wei (为). « Le terme wei signifie l’application de la force, du pouvoir de la volonté, l’indication selon laquelle les choses, les ani-maux ou mêmes les humains doivent faire ce qu’on

« Reconstitution moderne du sismographe de Zhang Heng (132 après J.-C.). Une bille de bronze tombant de la gueule d’un crapaud du même métal signale par un bruit reten-tissant l’occurence d’un séisme, même très lointain. En regardant quelle bille avait été lachée, on pouvait estimer la direction de l’épicentre de la secousse. (Science Museum, Londres) »Source : Ibid., p. 178.

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leur ordonne de faire. Au contraire, le terme wu wei signifie qu’il faut laisser les choses à elles-mêmes, permettre à la nature de suivre son cours, trouver avantage à suivre le cours des choses plutôt qu’à aller à leur encontre, et savoir ne pas intervenir. »15 Le wu wei s’appliquait aux villages de fermiers et de paysans chinois qui devaient développer une faculté d’autogestion. En pratique, cela consistait à tenter de toujours résoudre les affaires de famille entre concernés et non de faire appel à la cour, et de se mêler le moins possible des histoires de la société. Une telle conception du monde ne pouvait qu’être favorable à la découverte des sciences car les Chinois ont très naturellement observé la nature et se sont toujours efforcés autant que possible de comprendre les mécanismes qu’elle contenait, tout en intervenant le moins possible, en utilisant l’action à distance, l’agir par le non-agir. « La pratique du wu wei nécessite d’apprendre de la nature – pour la suivre –, et ceci grâce à l’observation. Nous voici désormais en face d’une approche scientifique qui, peu à peu, conduisit les taoïstes à l’expérimentation, fait capital pour le développement de la science et des techniques en Chine. »16 Un chengyu17 chinois

15. Joseph Needham, La Science chinoise et l’Occident (le grand titrage), traduit de l’anglais par Eugène Simion, Paris, Le Seuil, 1977, p. 148.

16. Joseph Needham, Science et Civilisation en Chine, une introduc-tion, édition abrégée établie par Colin A. Ronan, traduit de l’anglais par Frédéric Obringer, Arles, Philippe Picquier, 1995, p. 122.

17. Les chengyu (成语) sont des expressions proverbiales chinoises qui sont toujours sous forme de quatre caractères. Ils

« Photographie, jusqu’ici inédite, du fameux pont d’Anlan à Guanxian (Sichuan). Elle a été prise par Ernst Boerschmann vers 1900. Composé de huit travées successives, ce pont sus-pendu caténaire a une longueur de 320 mètres. Son platelage est en planches et la suspension est assurée par des cordes. »Source : Ibid., p. 68.

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dit ceci : « Tirer sur les radis pour les faire pousser n’apporte pas de résultats convaincants. » Les Chi-nois ont donc pris le temps d’attendre les fruits de la nature et c’est grâce à cette philosophie qu’ils ont pu découvrir, avant l’Occident, certains phénomènes comme les marées, le magnétisme ou encore les ondes. De cette observation de la nature, le taoïsme se distinguait du confucianisme. En effet, ce dernier ne fit pas obstacle à la démarche scientifique, mais il ne s’y intéressa pas non plus, préférant se consa-crer à la société humaine, alors que, le taoïsme, lui, se montrait critique par rapport au système féodal définit par Confucius. Le taoïsme avait une approche plus naturaliste qui mettait l’accent sur l’« unité et la spontanéité des opérations de la nature »18. La nature n’était pas seulement, selon la vision taoïste, unifiée et indépendante des standards humains, elle était aussi autonome et non créée. Les taoïstes n’excluaient aucun domaine, ils s’intéressèrent aux minéraux, aux plantes sauvages ou aux produits

sont écrits en wenyan, c’est-à-dire en langue chinoise littéraire et classique principalement utilisée pour le chinois écrit depuis l’Antiquité jusqu’en 1919. Parce qu’ils sont composés de quatre caractères, les chengyu sont très compacts dans leur forme et dans leur sens. Ils ne respectent aucune grammaire ni aucune syntaxe du chinois parlé actuel si bien qu’ils peuvent même être illisibles pour un Chinois n’ayant pas étudié la langue classique. Souvent, les chengyu se réfèrent à un épisode mythologique ou historique précis qu’il faut connaître pour déchiffrer. Dans ce cas, les quatre mots peuvent juste être une liste de mots-clés qui résume l’histoire.

18. Joseph Needham, Science et Civilisation en Chine, une introduc-tion, édition abrégée établie par Colin A. Ronan, traduit de l’anglais par Frédéric Obringer, Arles, Philippe Picquier, 1995, p. 112.

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d’origine humaine ou animale, substances toutes dédaignées par les confucéens au regard plus sélectif et méfiant. Les taoïstes pensaient, au contraire, que la science était neutre et que l’homme ne pouvait être à la mesure de toute chose.

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3. pourquoi la chine n’accéda-t-elle pas aux sciences modernes ?

Si la Chine a connu une telle avancée tech-nique, pourquoi fut-elle incapable de découvrir la science moderne et d’entrer dans l’ère de la révo-lution industrielle ? Tout d’abord, la conception non-interventionniste, qui a permis à la Chine ancienne de développer les sciences de la nature, a empêché ensuite l’apparition de la science moderne dans le pays : ce qui avait fait longtemps la force de la Chine, devient sa faiblesse. Alors que bon nombre de découvertes secouèrent la société occidentale comme un tremblement de terre, la société chinoise, elle, montra une étrange capacité à les intégrer sans en être ébranlée. L’imprimerie, par exemple, chez les Chinois, « n’avait pas pour fonction de produire en série des marchandises uniformes pour une écono-mie de marché et un système de prix. L’imprimerie était une version nouvelle des moulins à prières, une façon visuelle de multiplier les incantations, comme aujourd’hui la publicité »19, écrit Marshall McLuhan en réponse à Kenneth Scott Latourette s’étonnant de constater qu’un peuple si industrieux et inven-tif, n’ait pas réussi le premier à créer les machines

19. Marshall McLuhan, La Galaxie Gutenberg I. La Genèse de l’homme typographique, traduit de l’anglais par Jean Paré, Paris, Gallimard, 1977, p. 78.

« Reproduction moderne des caractères mobiles inventés par Bi Sheng entre 1041 et 1048. À côté, la page imprimée. (...) Cette reconstitution a été faite d’après une description de Shen Gua écrite en 1086. » Shen Gua (1031 - 1095) était un scientifique polymathe chinois et un fonctionnaire gouver-nemental sous la dynastie Song (960-1279).Source : Ibid., p. 127.

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révolutionnaires du XVIIIe et du XIXe siècles. L’apparition de l’imprimerie fit aussi augmenter le recrutement du mandarinat grâce à une plus grande diffusion des œuvres classiques, mais sans jamais bouleverser la structure de base du service civil. Pour ce qui est de la poudre à canon, ce sont les moines taoïstes qui firent sa découverte par hasard, en tentant de trouver la potion de l’immor-talité, tant recherchée par les empereurs. Contrai-rement aux lieux communs, la Chine n’a pas utilisé la poudre à canon uniquement pour faire des feux d’artifice. Elle s’en est aussi servi comme arme de guerre à travers les lance-flammes (919 ap. J.-C.), les bombes et les grenades (1000 ap. J.-C.), et les fusils à canon (1120 ap. J.-C). Mais en Chine, l’appa-rition de ces armes n’a pas eu les mêmes effets révolutionnaires qu’en Europe car la structure de base héritée de la féodalité bureaucratique chinoise (XVIe – IIe siècles av. J.-C.) était capable d’absorber ces nouveaux éléments. Comme il n’y avait pas de cavalerie lourde, ni de caste aristocratique, ni même de caste seigneuriale, les Chinois n’avaient pas besoin de ces armes à feu pour transformer la société. Ces inventions vinrent simplement s’ajou-ter aux précédentes. Les appareils bureaucratique, civil et militaire n’ont eu chacun qu’à intégrer ces nouvelles découvertes et à les utiliser à leur profit le moment venu. Quant à la troisième grande invention citée par Francis Bacon, celle qui permit aux capitaines européens de découvrir l’Afrique et l’Amérique entre le XIIIe et le XVe siècles, la boussole, elle est

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« Illustration d’un lance-flammes chinois publiée en 1601 et reprise d’une encyclopédie de 1044. Les Chinois ont inventé le lance-flammes à jet continu au Xe siècle, après avoir eu connaissance, via l’Asie centrale, du feu grégeois, l’engin à giclées de flammes mis au point au VIIe siècle par les Byzan-tins. On voit ici le réservoir reposant sur quatre pieds, avec la pompe et l’éjecteur au-dessus. Grâce au soufflet à piston à double action (autre invention chinoise), l’engin pouvait émettre un jet continu de flammes. Le métal employé est un laiton d’une qualité égale à celui dont on fait les douilles. »Source : Ibid., p. 256.

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née du non-interventionnisme taoïste, de l’obser- vation de la nature tout en agissant à distance. L’observation du magnétisme a certainement entraîné l’apparition de la navigation en Chine. Celle-ci possédait bien avant l’Occident une flotte conséquente et une technique très avancée dans le domaine. Mais contrairement à l’Europe divisée en plusieurs États rivaux qui cherchaient chacun à obtenir le monopole politique et économique, la Chine était un empire unifié qui a toujours pensé qu’elle n’avait pas de rivale, ce qui était vrai à l’époque. D’ailleurs, elle se prétendait bien être « l’Empire du Milieu », comme son nom l’indique. Elle ne cher-cha donc jamais à conquérir les terres voisines. Les explorations maritimes furent relativement marginales, d’autant plus que le commerce qu’elle y gagnait était moindre par rapport à sa vie écono-mique au sein de l’Empire. L’invention de la boussole, tout comme les précédentes, n’ébranla en rien le pays et vint juste s’ajouter aux autres découvertes scientifiques. Il en fut ainsi pour de nombreuses autres inventions, la Chine leur a donné naissance puis s’en est servi dans la vie quotidienne sans jamais penser à leur valeur marchande. Ce fut le cas pour le harnais à cheval de collier, la brouette, l’horloge, la fonte de l’acier. Le non-interventionnisme était synonyme de non-marchandisation. En revanche, l’esprit interventionniste de la société occidentale l’a conduit à opérer une syn-thèse entre les techniques de l’artisanat de pointe et les méthodes du raisonnement logique et mathé-matique. Les Occidentaux tentèrent de maîtriser la

Le cadran et les instruments à aiguille sont nés en Chine vers le IIIe siècle après J.-C. Il s’agissait de boussole de géo-manciens, que ces derniers consultaient, par exemple, pour trouver le lieu propice à l’implantation d’une maison ou d’une ville. Ces pratiques comportaient, bien entendu, une bonne part de superstition, mais elles n’en étaient pas moins fondées sur l’alignement nord-sud d’une aiguille aimantée. Source : Internet.

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nature et de l’instrumentaliser, si bien qu’à la suite des découvertes de l’époque galiléenne, les sciences et les techniques occidentales ne cessèrent de croître de manière exponentielle, dépassant la Chine et conduisant le continent droit vers une société capitaliste20. En Chine, aucun changement écono-

20. « La réduction de toute qualité à des quantités, l’affirmation d’une réalité mathématique derrière toutes les apparences, la proclamation d’un espace et d’un temps uniformes dans tout l’uni- vers : n’était-ce pas analogue à l’étalon de valeur du marchand ? Il n’existait pas de denrée ou de marchandises, de joyaux ou d’espèces monétaires qui ne pussent être estimés ou échangés en nombre ou en mesure. » Joseph Needham, La Tradition scientifique chinoise, Paris, Hermann, 1974, p. 50.« Le premier moment se produit à la Renaissance. (…) Les mar-chands se mettent à envisager la société et le monde du point de vue de leur rapport particulier aux choses, c’est-à-dire du rapport abstrait, quantifié, calculé en même temps qu’expéri-mentateur qu’ils entretiennent avec leurs marchandises. Cette nouvelle forme de raison, positive et entreprenante, s’affirme en Italie d’abord, puis dans d’autres parties de l’Europe. Elle va de pair avec le développement du commerce, la généralisation de la monnaie, l’enrichissement des marchands. Nous la voyons s’étendre progressivement aux domaines des techniques, des sciences et des arts. (…) le deuxième moment, qui occupe les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, est celui du développement autonome de cette raison. En se développant, l’activité des marchands se transforme. Ils ne se contentent plus d’acheter et de vendre des produits. De plus en plus, grâce aux pouvoirs que leur confèrent leurs capitaux, leur mobilité, leur information, ils se mettent à organiser le travail des autres, à leur faire produire des marchan-dises selon de nouvelles méthode de division du travail, de coo-pération à distance, d’investissement et de contrôle financier, de prévisions des marchés, d’acheminement des matières premières et des produits finis. Le développement quantitatif du commerce s’accompagne d’une lente transformation qualitative de l’activité, donc de l’esprit. Nous assistons à l’essor des sciences expérimen-tales et quantifiées… (…) Le troisième moment se produit au début du XIXe siècle. Jusque-là, la raison marchande gouvernait certains domaines circonscrits tels que le commerce et la finance ou, dans sa forme plus abstraite, les techniques, les sciences de la nature et quelques autres parties du savoir. Elle entreprend maintenant de soumettre la réalité sociale dans son ensemble. À partir d’un certain moment, pour continuer à progresser

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mique et social n’a été semblable car la société chinoise n’a jamais été marchande et les marchands n’ont jamais eu une place prédominante au sein du système. Le capitalisme interventionniste, apparu en premier en Europe, fut le facteur indispensable à l’évolution d’une science empirique vers une science moderne expérimentale. La Chine, à aucun moment de son histoire, n’a pu être un terrain favorable à l’apparition du commerce car, pour maintenir l’équi-libre social, les gouvernements chinois ont toujours séparé la classe des marchands de la classe des di-rigeants21. Il existe une expression chinoise qui dé-crit clairement l’idée que les Chinois se font de l’organisation de la société : shi nong gong shang (士农工商, littéralement lettré, paysan, artisan,

selon sa logique propre, la raison marchande exige en effet que ce ne soient plus seulement les matières premières et les produits finis qui puissent être achetés et vendus, mais tous les éléments du processus de production. Elle décide de considérer le travail lui-même comme une marchandise qui sera achetée et vendue. Il en résulte une inversion qui n’a pas de précédent historique et qui, depuis lors, détermine le cours de l’histoire dans sa totalité. Jusque-là, dans toutes les sociétés, les pratiques économiques étaient restées intégrées dans un ensemble plus large de pra-tiques sociales, religieuses, politiques. L’économique était subor-donné au social. Dorénavant, l’économique se soumet le social et lui dicte sa loi. » Jean-François Billeter, Chine trois fois muette, Paris, Allia, 2007, pp. 16-21.

21. Aujourd’hui encore, même si les Chinois accordent plus de valeur à l’argent et aux biens matériels, et que les commerçants ont un pouvoir plus important, les structures sociales sont restées identiques. La classe de l’intelligentsia chinoise se distingue de la classe des marchands, comme si le gouvernement et le peuple avait passer un accord : tant que le Parti laisse la possibilité de s’enrichir, la population ne se préoccupe pas du pouvoir en place. Chacun fonctionne individuellement.

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marchand)22. Ce classement reflète la société bureaucratique-agraire chinoise, une société qui pri-vilégie les lettrés, suivis des fermiers, des artisans et en dernier lieu, au bas de l’échelle, vient la classe des marchands. Confucius disait : « L’homme supé-rieur comprend ce qui est bien, l’homme inférieur comprend ce qui est profitable. L’homme supérieur aime son âme, l’homme inférieur ses biens. L’homme supérieur s’occupe des choses spirituelles et ne se met pas en souci pour sa vie. S’il devait cultiver un domaine, il y mourrait de faim, mais si on le laisse poursuivre ses études, il y trouvera des richesses. L’homme supérieur ne s’inquiète pas de sa pauvreté, il s’inquiète des choses spirituelles. »23 La sagesse est donc une nourriture immatérielle indispensable à l’homme plus que tout autre bien. Atteindre la sagesse, c’est atteindre le plus haut degré de la morale, tout ce que la force ou la richesse ne peuvent pas réaliser. « L’idéal correspondant pour l’individu consistait à façonner son moi en une personnalité en tous points équilibrée, harmo-nieuse, en un microcosme, dans ce sens. L’“élé-gance et la dignité” caractérisant le confucéen idéal (le gentleman) s’exprimaient dans l’accomplissement des devoirs traditionnels. Le respect, dans toutes les circonstances de la vie, des convenances cérémo-

22. Cette expression proverbiale a été transmise depuis la fin de l’époque féodale et de l’Empire unifié, au IIIe siècle avant notre ère.

23. Li Yutang, La Sagesse de Confucius, traduit de l’anglais par Th. Bridel-Wasem, Arles, Philippe Picquier, 2006, pp. 177-178.

Illustration montrant un lettré chinois contemplant la nature, sa source d’inspiration.Source : Nancy Berliner, Beyond the Screen, Chinese Furni-ture of the 16th and 17th Centuries, Boston, Museum of Fine Arts, 1996, p. 84.

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nielles et rituelles, telle était donc la vertu cardinale assignée comme but au perfectionnement de soi ; un contrôle de soi vigilant et rationnel, et une répres-sion des passions irrationnelles, quelles qu’elles fussent, susceptibles d’ébranler l’équilibre, tel était le moyen approprié pour y parvenir. »24 La sagesse est donc une longue recherche de soi, une maîtrise réfléchie des actes et des paroles. Seuls les plus grands sages, après de longues années de méditation peuvent pénétrer la loi morale universelle. Et pour devenir sage, l’édu-cation par le wen est primordiale. Wen (文), dans une traduction imparfaite, signifie « culture ». C’est surtout la marque propre de la civilisation chinoise puisqu’il en est venu à désigner « la trace humaine par excellence qu’est l’écriture aux yeux des Chinois, ainsi que l’ensemble de ce qui est écrit : vers, proses, chroniques, poèmes, peinture, calligraphie et même la musique, qui peut d’ailleurs elle aussi être écrite sous forme de partition. »25 Contrairement à ce que l’on pourrait pensé, l’art d’écrire, de maîtriser le pinceau, n’est pas considéré par les Chinois comme un passe-temps ou un supplément de culture pour une classe d’élite. Il s’agit plutôt de se réaliser, de devenir un homme accompli, car le wen est un domaine fondamental de l’activité humaine. Sans lui, il n’y aurait ni civilisation, ni culture, ni gouverne-

24. Max Weber, Confucianisme et taoïsme, Paris, Gallimard, 2000, pp. 312-313.

25. Ivan P. Kamenarovic, Itinéraire d’un lettré chinois. L’Arc et le pinceau, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 138.

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ment. On peut comprendre alors pourquoi la classe des lettrés était si prestigieuse : le savoir, la culture font d’eux des hommes par excellence, des hommes plus proches de la sagesse. C’est pourquoi, dans toute la civilisation chinoise, les hommes de pouvoir devaient être cultivés et la sélection d’un élite pour le gouvernement s’est toujours maintenue. À l’inverse, les marchands, considérés comme les opposants à la sagesse confucéenne, ont toujours été exclus de la vie politique. « Le régime du man-darinat réussissait si bien qu’il empêchait les mar-chands d’accéder au pouvoir, cernait leurs guildes et les limitait au rôle d’amicales et de sociétés de bienfaisance, tuait dans l’œuf l’accumulation capi-taliste, était toujours prêt à frapper d’impôts les entreprises minières jusqu’à les faire disparaître, et comme ce fut le cas au XVe siècle, après la mort de Zheng He26, à briser tous les efforts des marins visant à l’expansion du commerce mari- time ; et, finalement, ce qui n’est pas le moins signi-ficatif, pendant deux mille ans, le régime écréma au bénéfice de son propre service tous les cerveaux de la société en faisant appel à tous les talents. Cette dernière mesure pourrait bien, à elle seule, servir d’explication séduisante, et démontrer pourquoi il

26. Zheng He (1371-1433) était un eunuque chinois et un explorateur maritime célèbre. Sous les règnes des empereurs Yongle (1360-1424) et Xuande (1398-1435) de la dynastie Ming (1368-1644), il effectuera de nombreuses expéditions maritimes qui le menèrent sur les côtes d’Asie du sud-est, dans les îles de l’Océan Indien et aussi en Égypte et en Afrique.

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fut possible au régime social occidental d’ouvrir les portes au capitalisme, tandis que la bureaucratie féo-dale poursuivait tranquillement sa voie. Le principe héréditaire de l’aristocratie n’a pas été fondée en vue de mettre les meilleurs talents au service du plus grand pouvoir, et dès que les intelligences les plus brillantes se trouvèrent dans le commerce ou chez les conseillers royaux plutôt que d’être court-circuités dans la hiérarchie de l’Église, les jours de la féodalité occidentale furent comptés. »27 Dans la Chine des lettrés, les marchands et les militaires reconnaissaient eux-mêmes leur infériorité. La seule ambition des fils de marchands riches était d’entrer dans la bureaucratie officielle. Le prestige de la caste des lettrés était tel, d’ailleurs, que chaque jeune homme désirait y accéder. Toute initiative privée en une création de richesses était dévalorisée. Certainement, à un moment donné de l’his-toire, la science chinoise et la science européenne ont fini par arriver au même niveau. Les historiens pensent que c’est à l’époque de la dynastie des Ming (1368-1644) que la courbe des sciences occidentales a rejoint celle des sciences chinoises. Tous les scien-tifiques, d’est en ouest, qui s’occupèrent activement de comprendre les phénomènes de la nature, ont fourni des données expérimentales très avancées et prêtes à faire la jonction entre le savoir-faire empi-

27. Joseph Needham, La Tradition scientifique chinoise, Paris, Her-mann, 1974, pp. 241-242.

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rique et l’hypothèse mathématique28. Mais cela ne se produisit qu’en Europe et uniquement en Europe. Survint alors une série stupéfiante de nouveautés : de l’invention des logarithmes par Napier (1614) à l’établissement de la géométrie coordonnée et analytique par Descartes (1637), en passant par la première machine à additionner de Pascal (1642) et la réalisation du calcul infinitésimal par Newton

28. « Pledge voit juste quand il oppose Galilée (1564-1642), qui doit être considéré comme la figure centrale de la mathématisa-tion des sciences de la nature, à Léonard de Vinci (1452-1519), en disant que malgré la pénétration des vues de Léonard sur la nature et malgré le caractère brillant de son expérimentation, aucun autre développement ne suivit, parce qu’il manquait de mathématiques. Or Léonard n’était pas le génie isolé que beau-coup ont été entraîné à voir en lui ; il fut, comme l’ont montré Zilsel, Gille et d’autres, le plus remarquable d’une longue série de praticiens des XVe et XVIe siècles : artistes-ingénieurs et archi-tectes comme Brunelleschi (1377-1446) ; artistes-métallurgistes comme Cellini (1500-1571) ; artilleurs comme Tartaglia (1500-1557) ; chirurgiens comme Ambroise Paré (1510-1590) ; mineurs qui parlent par la voix d’Agricola (1490-1555) ; constructeurs de navires comme ceux de l’Arsenal de Venise, qui servit de cadre au Discours de Galilée de 1638 ; fabricants de poudre à canon et autres techniciens chimistes, que représente Biringuccio (mort en 1538) ; et fabricants d’instruments comme Robert Norman (vers 1590), dont le Newe Attractive de 1581 stimula beaucoup le tra-vail de William Gilbert sur l’aimant. (…) En gros, ils avaient leurs homologues chinois : ainsi Song Ying-xing (vers 1637), auteur du Tian gong kai wu (L’exploitation des œuvres de la nature) qu’on peut bien appeler l’Agricola chinois ; ou un architecte comme Li Jie (mort en 1110), auteur de Ying zao fa shi (Traité de technique architecturale, 1097) ; ou le prince des pharmaciens Li Shi-zhen (1518-1593), auteur de Ben cao gang mu (La Grande Pharmaco-pée, 1596) ; ou l’horticulteur Zhen Hao-zi (vers 1688), auteur du Hua jing (Manuel d’horticulture) ; ou l’artilleur Jiao Yu (vers 1412), auteur du Huo long jing (Manuel des armes à feu). Quelques domaines que l’on choisisse, on y trouvera des parallèles ; ainsi dans la mécanique d’horlogerie, compte tenu de la différence de siècle, un de Dondi (1318-1389) peut être mis en parallèle avec un Su Song (1020-1101), auteur de Xin yi xian fa yao (Nouveau projet d’horloge astronomique, 1090). » Joseph Needham, La Tra-dition scientifique chinoise, Paris, Hermann, 1974, pp. 33-34.

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(1665) et Leibniz (1684). Personne n’a encore plei-nement compris le mécanisme de ce changement soudain. Il semblerait que les différences écono-miques et sociales de la société européenne et de la société chinoise ont joué un rôle important dans l’évolution contrastée des deux continents. Au sein de la première, absorbée par l’émergence du capita-lisme, la science moderne trouva facilement sa place se portant au service de l’innovation technique et des gains de productivité. Quant à la seconde, bien que son système bureaucratique lui ait permis de conquérir un avantage scientifique sur les autres civilisations durant l’Antiquité et le Moyen Âge, le rapport empirique et pratique que la Chine entretenait avec les sciences et les techniques, ainsi que sa vision du monde et de l’organisation de sa société, l’empêchera non seulement d’accéder à la révolution scientifique, mais surtout à la révolution industrielle.

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Au XIXe et XXe siècles, règne une idéolo-gie commune tant en Occident qu’en Orient. Cette idéologie est le productivisme. Tandis que le projet de modernité de l’Europe sera celui du capitalisme, la Chine choisira une autre direction, celle du com-munisme. Pour le premier, le formidable dévelop-pement de la production mènera l’Europe à l’ère industrielle et donnera naissance au design. Pour le second, le modèle économique et social communiste fait reculer la Chine jusqu’à un ultime déclin après la Révolution culturelle (1966-1976). Que se passe-t-il en Chine au moment de la révolution industrielle en Occident ? Pourquoi la Chine choisit-elle un autre modèle d’industrialisation ? Et pourquoi ce modèle à l’idéologie économique et social communiste connaîtra une période désastreuse sous le règne de Mao Zedong (1949-1976) ?

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1. l’échec de la modernité chinoise (fin du xixe siècle à 1949)

Pendant que l’Occident connaît un essor industriel au XIXe siècle, la Chine s’affaiblit. D’une part, l’économie chinoise s’essouffle en même temps que la démographie continue d’augmenter. Le gouvernement vit au-dessus de ses moyens. Le système politique et administratif, les techniques de production et les pratiques commerciales ne peuvent plus répondre aux besoins d’un pays plus étendu et plus peuplé qu’au siècle passé. La pauvreté s’empare de la population, qui se soulève : des nom-breuses insurrections menées par différentes sectes (le Lotus Blanc ou l’Ordre céleste) éclatent. D’autre part, la Chine va mener une guerre à laquelle elle n’était pas préparée. En effet, l’introduction par les flottes anglaises de l’opium en Chine provoque un déséquilibre de la balance commerciale extérieure qui devient déficitaire : l’importation de l’opium devient plus importante que les exportations de produits chinois car la population est de plus en plus assujettie à cette drogue. Face à cet appauvris-sement de l’État, le gouvernement chinois engage la Première Guerre de l’opium, en 1839, en frap-pant d’une lourde taxe les entrées d’opium et en obligeant les importateurs à acheter, en échange, des marchandises chinoises. À ces mesures extrê- mes, les Anglais ripostent par des attaques de piraterie dans les différents ports chinois (Tianjin,

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Zhujiang, Xiamen, Ningbo, etc.). Le manque de combativité et l’indiscipline des troupes impériales, le malaise politique et social, la corruption, l’impuis-sance d’une administration qui souffre d’un excès de réglementation, la centralisation excessive de l’Empire créant des difficultés de coordination à cause des trop grandes distances, causent une défaite inévitable pour le régime chinois. Celui-ci capitule en 1842 et signe les accords de Nanjing, abandonnant Hong Kong aux Britanniques. Il doit aussi verser vingt-et-un millions de dollars d’argent à la Grande-Bretagne et ouvrir quatre ports au com- merce extérieur. La France, les Etats-Unis et la Rus-sie voudront aussi occuper la Chine qui, affaiblie, n’aura ni le temps, ni les moyens, ni l’autonomie nécessaires pour lutter. La Seconde Guerre de l’opium (1856-1860) sera donc aussi une défaite, conduisant la Chine à céder, cette fois-ci, de nouvelles conditions : le traité de Tianjin signé en juin 1858 la contraint à autoriser les délégations étrangères dans la Cité interdite, à ouvrir onze nouveaux ports et à verser deux millions de tael d’argent à l’Angleterre et à la France. Pour la Chine, les défaites successives sont vécues comme des humiliations et créent un com-plexe d’infériorité. La Chine « a été de nombreuses fois envahie et dominée par des peuples non chinois, en partie ou dans sa totalité. Mais ces peuples venaient de ses confins, ils étaient sinisés à divers degrés et, quand ils l’ont dominée, ils l’ont tous fait, en fin de compte selon les principes chinois. Quand les puissances européennes ont attaqué la Chine et commencé à empiéter sur sa souveraineté, au XIXe

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siècle, elles lui ont lancé un défi d’une autre nature. Ce n’était pas seulement à cause de leur armement supérieur, de leur agressivité et du marasme qui affaiblissait alors la Chine. Elles imposaient une autre conception des rapports entre les nations, de nou-velles pratiques économiques, des techniques et des savoirs nouveaux. »29 La Chine prend conscience de sa faiblesse par rapport à l’Occident. Elle réalise qu’elle doit rapidement se moderniser à l’image de celui-ci. Cette modernisation s’effectuera en deux étapes qui seront, pour chacune d’elle, un échec. La première tentative d’industrialisation chi- noise a lieu à la fin du XIXe siècle, à la suite des guerres de l’opium. Comme la Chine ne manque pas de tradition scientifique, elle réussit à assimiler rapidement les nouveaux principes de la science moderne. Les premières industries chinoises sont donc des industries d’armement : la Chine espère posséder les mêmes armes que l’ennemi pour se défendre. Puis, d’autres secteurs industriels se déve-loppent, avec des équipements à la hauteur de ceux de la Grande-Bretagne : les arsenaux et les chantiers navals de Shanghai sont des plus modernes entre 1865 et 1867, apparaissent également la Compagnie chinoise des bateaux à vapeur en 1872, la Société des mines de Kaiping en 1878, une compagnie de télégraphe à Tianjin en 1880, ou encore des usines de tissage à Shanghai entre 1889 et 1893. Mais ces

29. Jean-François Billeter, Chine trois fois muette : essai sur l’histoire contemporaine et la Chine, Paris, Allia, 2006, p. 121.

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débuts de réussite ne dureront pas. Tandis que la Chine essaie de se moderniser, elle reste accablée par les indemnités de guerre et les humiliations qui font naître un sentiment nationaliste devenant un frein à la modernisation. Non seulement le gou-vernement chinois s’oppose aux nouveautés, mais aussi aux partisans de la modernisation, considérés comme des traîtres de l’État. De plus, le répit qui aurait permis à la Chine de se renforcer afin de réussir son développement industriel n’est que de courte durée. Peu après la signature du traité de Tianjin, les forces étrangères reprennent leurs attaques sur la Chine et les pays d’influence chinoise, principalement Taiwan et la Corée. À partir de 1894, avec la guerre sino-japonaise, s’ouvre alors une nouvelle étape de la désagrégation politique, éco-nomique et sociale de la Chine. La défaite face au Japon lui impose de signer le traité de Shimo-noseki en 1895 avec une indemnité de guerre de deux cents millions de liang – trois fois les revenus annuels du gouvernement impérial. Le Japon annexe aussi Taiwan et les îles Penghu (les Pescadores), et obtient une position dominante dans le nord-est de la Chine, en Mandchourie. Ces ambitions territoriales incitent les puissances occidentales à procéder à leur tour à des annexions du territoire chinois et à se partager la Chine30. À chaque nation,

30. L’Allemagne s’empare en 1897 de Qingdao et Jiaozhou, la Grande-Bretagne de Weihai et du Shandong en 1898, la Russie de Dalian et de Lüshun (Port Arthur), la France de la région du Zhangjiang en 1899.

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Célèbre caricature politique montrant le partage de la Chine, représentée par un gâteau, entre les puissances étrangères. Cette image date de la fin des années 1880.Source : Wikipédia.

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la Chine doit en plus verser de nouvelles indemnités de guerre. Mais face à l’effondrement de son éco-nomie, elle ne peut payer de telles sommes, elle est contrainte d’emprunter de l’argent aux envahisseurs et d’accepter l’entrée des capitaux étrangers. Pour l’Occident, cette ouverture financière est une opportunité de profiter de la main d’œuvre bon marché et abondante de la Chine afin de développer ses propres industries. Pour la Chine, de 1895 à 1949, commence une nouvelle chance de modernisation. Les villes où s’installent les étrangers sont en plein essor, Shanghai surtout. La population retrouve du travail. Les grandes villes deviennent des milieux favorables au développement de petits commerces. Pourtant, cette prospérité est artifi-cielle car, en réalité, les capitaux étrangers aggravent le déséquilibre entre les villes industrialisées situées sur les côtes et un immense arrière-pays où les conditions de vie ne cessent de se détériorer. De plus, l’économie chinoise se trouve dépendante des banques étrangères établies à Shanghai, Hong Kong, Qingdao ou Hankou. « Les aspects “modernes” de la Chine des années 1895-1949, loin de représenter un progrès et l’amorce d’une évolution pleine de promesses, pourraient être considérés à beaucoup plus juste titre comme les signes évidents de son aliénation et de la décomposition de la société chi- noise. »31 À la fin du XIXe siècle, les Occidentaux

31. Jacques Gernet, Le Monde chinois, tome 3 : L’Époque contem-poraine, Paris, Armand Colin, 2005, pp. 20-21.

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se rendent compte que la Chine n’est pas l’eldorado qu’ils espéraient. Cela aurait pu être possible si la Chine s’était développée, mais son appauvrissement l’en a empêché. Les échanges avec les nations étran-gères diminuent au fur à mesure, si bien que les Occidentaux n’ont plus d’intérêt à tirer de la Chine, d’autant plus qu’ils sont eux-mêmes engagés dans les difficultés de la Première Guerre mondiale (1914-1918). Le monde chinois est détruit. Les terribles catastrophes naturelles et l’occupation japonaise ainsi que l’instabilité politique anéantiront complè-tement la Chine jusqu’à sa libération en 1949. La société chinoise a donc tenté de se moder-niser à l’image de l’Occident durant le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle sous l’occupation de celui-ci. Mais ce fut un échec car les nations étran-gères voulaient industrialiser la Chine pour leurs propres intérêts tout en craignant qu’elle ne les dépasse. S’ajoute à ce jeu de contradiction l’affaiblis-sement des pouvoirs politiques et la dette écrasante des indemnités de guerre qui ne laisseront jamais à la Chine l’occasion de se relever. « Dans d’autres cir-constances, la Chine aurait pu s’adapter à la grande mutation de l’âge industriel : elle ne manquait pas d’hommes qui avaient le sens de l’organisation, ni de traditions scientifiques et technologiques. Les gas-pillages et l’inconscience de la Cour, la corruption, l’attachement au passé et la réaction antimoderniste étaient beaucoup plus le produit des circonstances

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que des données inhérentes au monde chinois. »32 Devant tant de difficultés, la Chine ne réussira pas à se développer. La deuxième moitié du XXe siècle sera alors l’occasion de choisir une autre voie de modernisation basée sur les fondements du com-munisme.

32. Jacques Gernet, Le Monde chinois, tome 2 : L’Époque moderne, Paris, Armand Colin, 2005, p. 359.

l’échec de la modernité chinoise(fin du xix

e siècle à 1949)

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2. l’impasse maoïste (1949-1976)

L e quart de siècle qui commence avec la proclamation de la République populaire de Chine le 1er octobre 1949 à Beijing et se termine avec la mort de son fondateur et inspirateur, Mao Zedong, en septembre 1976, marque une période exceptionnelle de l’histoire chinoise. Exceptionnelle, car dans le projet d’une modernité par le commu-nisme révolutionnaire, Mao Zedong tentera d’accé-lérer le processus, afin d’atteindre plus rapidement le socialisme. Mais au lieu d’une réussite, les réformes intensives de modernisation par la collectivisation mèneront le pays à des crises profondes, des boule-versements dramatiques et de graves famines. Pour-quoi la Chine s’engage-t-elle dans une modernité fondée sur les principes du communisme ? Pourquoi la vision maoïste de la modernité sera-t-elle aussi un échec ? L’intérêt pour le communisme se fait sentir dès la première moitié du XXe siècle. En effet, comme la Chine est sous l’occupation des nations étran-gères, toute l’histoire des idées chinoises de cette période est dominée par les apports de l’Occident. Dans le désarroi ambiant, les intellectuels chinois sont attirés par les théories étrangères. À partir de 1912, avec la chute de la dernière dynastie, disparaît peu à peu l’ancienne classe des lettrés, pour laisser place à une nouvelle intelligentsia chinoise formée à l’étranger. « Les Chinois de plus en plus nombreux

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l’impasse maoïste (1949-1976)

qui ont fait leurs études au Japon, en Europe et aux États-Unis éprouvent à l’égard de leur propre pays et de ses traditions un profond sentiment de honte. Dans l’état de déchéance où est tombée la Chine, les mœurs traditionnelles, les coutumes, les lettres et les arts du lettré, tout ce qui subsiste de l’ancienne Chine leur apparaît comme une odieuse carica- ture. »33 De retour au pays, la jeunesse des écoles en viendra à penser « que le salut de la Chine est dans le rejet total de toutes ses traditions et dans l’imitation systématique de l’Occident. De là, une grande fièvre de savoir et un bouillonnement anarchique des idées et des théories. Ce qui arrive de l’Occident en vrac, au hasard des circonstances et dans la plus grande confusion, est accueilli avec enthousiasme. »34 Parmi tous les courants intellectuels qui ne furent, pour la plupart, qu’éphémères, seules les influences du Japon de l’ère Meiji et du marxisme furent déterminantes. La proximité et une structure sociale semblable avec celle du Japon, font espérer à la Chine une évolution similaire : un compromis entre tradition et modernisation. Mais, la Chine ne pouvait pas admettre les idées de compétition du capita-lisme que le Japon a accepté, lui, en se rapprochant de l’Occident. En revanche, le marxisme est sans doute la philosophie occidentale la moins éloignée des orientations générales de la pensée chinoise.

33. Ibid., p. 70.

34. Jacques Gernet, Le Monde chinois, ome 3 : L’Époque contempo-raine, Paris, Armand Colin, 2005, p. 66.

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La propagation rapide du marxisme s’explique cer-tainement par ces similitudes. En effet, Confucius enseignait la Grande Égalité, qu’il considérait comme le troisième stade et le stade final de l’évolution humaine : « Dans le premier stade, celui du désor-dre, la civilisation est à peine sortie du chaos et l’esprit social existe à peine. On fait la distinction radicale entre son propre pays et l’étranger. Cela ne va pas sans xénophobie. Les grandes puissances se font craindre, et les petits États sont méprisés. Dans le deuxième stade, dit de paix progressive, on ne fait plus de distinction radicale qu’entre pays civili-sés et peuples barbares. Les limites de la civilisation s’étendent et l’amitié entre les nations grandit. Les petits États, jouissant de droits égaux, envoient des représentants auprès des grands. Mais le troisième stade, celui de la paix suprême, appelé T’aï T’ong (Grande Egalité), il n’existe plus de distinctions. Les barbares se sont civilisés et ont obtenu des droits égaux à ceux des autres peuples. Bien que composé de nations éloignées ou proches les unes des autres, petites ou grandes, le monde forme une Unité et l’humanité a atteint son développement ultime. »35 Cette notion d’unité a permis à Joseph Needham d’affirmer que la Chine avait été en quelque sorte « marxiste » avant la lettre. La lutte des classes est déjà une idée présente dans le confucianisme.

35. H. van Praag, Sagesse de la Chine. Les grandes valeurs d’une culture millénaire, traduit du néerlandais par Annie Mesritz et adapté par Léon Thoorens, Paris, Marabout, 1966, p. 126.

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l’impasse maoïste (1949-1976)

Le modèle de société confucéen glissera progres-sivement vers le modèle marxiste, qui deviendra la doctrine officielle de la Chine dans la deuxième moi-tié du XXe siècle. Durant les années 1949-1976, la République populaire de Chine met effectivement en pratique les théories marxistes dans le but de servir une moder- nisation accélérée destinée à rattraper les nations capitalistes. Pour Jean-François Billeter, « avec le recul, il devient évident que le but des dirigeants est de créer coûte que coûte et vite une puissance industrielle capable de se mesurer à celle de l’Angleterre et des États-Unis. La propagande le proclame d’ailleurs tous les jours sur le ton du défi. L’imaginaire révolutionnaire est un imaginaire industriel. »36 Mais cette fois encore, la modernisation chinoise sera un échec. Deux erreurs fondamentales en sont la cause : le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle. Alors qu’au début de son évolution, la Républi- que populaire de Chine avait suivi fidèlement le modèle soviétique en développant des « coopéra- tives de production » similaires aux kolkhozes et une industrie lourde, s’opère, à partir de 1958, une rup-ture soudaine avec l’URSS. Mao Zedong décide de mettre en place une nouvelle politique ayant pour but de stimuler en un temps record la production par la collectivisation agricole. Le Grand Bond en avant (1958-1960), lancé par le chef révolutionnaire,

36. Jean-François Billeter, Chine trois fois muette : essai sur l’histoire contemporaine et la Chine, Paris, Allia, 2006, p. 48.

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est un formidable effort collectif, un essai utopique pour refondre complètement les communes rurales et urbaines. Pour cela, toutes les terres sont collec-tivisées et redistribuées aux communes populaires. Chacune de ces dernières regroupe deux mille à vingt mille familles qui doivent s’administrer elles-mêmes et régler seules toutes les questions qui les concer-nent aussi bien pour l’agriculture que pour l’indus-trie, le commerce, les affaires sociales ou encore la défense. Toute propriété individuelle est abolie. La vie de famille disparaît au profit de la vie en collecti-vité. Afin de supprimer tout ce qui distingue la ville de la campagne, un grand effort d’industrialisation des campagnes est mis en place par la construction de petits hauts fourneaux. Mao Zedong veut accom-plir en deux ans la société socialiste qu’il souhaite pour la Chine, une société où les moyens de produc-tion seraient une propriété collective. Cette volonté de moderniser le pays rapidement par la collectivi-sation aura des conséquences catastrophiques pour la société chinoise. Bien que les récoltes de la pre-mière année (1958) soient excellentes et semblent confirmer tous les espoirs, la récolte de 1959 est médiocre. Et les deux années suivantes sont encore pires. La sécheresse exceptionnelle que connaît la Chine réduit les récoltes de 1960 et 1961 à néant. La famine s’empare de la population : trente millions de Chinois meurent de faim. Un autre facteur contri-bue à approfondir la crise : l’Union soviétique, irrité par les actions d’indépendance de la Chine, rompt son aide et ses contrats de coopération technique

Slogan de l’affiche : « Ouvriers et paysans luttent main dans la main pour avoir une bonne récolte » (1976)Source : Anchee Min, Duo Duo and Stefan R. Landsberger, Chinese propaganda posters, from the collection of Michael Wolf, Köln, Taschen, 2003, p. 176.

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et scientifique. La Chine entre alors dans une longue période d’isolement international. Face à cet échec, les dirigeants reviennent sur les erreurs et changent d’orientation : on réduit la taille des communes et on autorise à nouveau l’exis-tence d’un marché libre. Mao, critiqué implicitement pour sa politique aventuriste, est également écarté du pouvoir et remplacé par Liu Shaoqi, nouveau pré-sident de la République. « Le Grand Bond en avant a été un énorme gaspillage de biens et d’énergie, un désastre pour l’agriculture et l’industrie. Partout on a improvisé dans l’anarchie la plus complète, imposé de nouveaux modes de culture au mépris de l’expérience paysanne, bouleversé en vain la vie des campagnes. »37 Durant l’intermède de 1960-1965, les dirigeants prennent soin de revaloriser l’agriculture : implantation d’industries des engrais, d’industries légères et mécanisation de l’agriculture. Peu à peu, la Chine sort de la disette et le niveau de vie s’améliore légèrement. La première politique de limitation des naissances de 1962 vient ralentir la démographie. Mais cette période de répit sera, encore une fois, de courte durée. Mao Zedong veut revenir au pouvoir et écarter ses ennemis. Il a gardé un immense prestige et un contrôle sur l’armée. Son influence sur la masse étudiante est restée forte. Il lance alors un appel à la jeunesse endoc-trinée, à sa passion et à son enthousiasme pour

37. Jacques Gernet, Le Monde chinois, Tome 3 : L’Époque contem-poraine, Paris, Armand Colin, 2005, p. 92.

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l’impasse maoïste (1949-1976)

défendre les valeurs du communisme. Il met en place une révolution qui démarre à l’été 1966. Celle-ci prendra le nom de Révolution culturelle et per-met à Mao Zedong de chasser tous ses adversaires pour reprendre le pouvoir jusqu’à sa mort en 1976. Durant ces années, les étudiants, constitués en Gardes rouges, se sentent chargés du destin de la révolution, du pays entier. Emplis d’un élan patrio-tique sans limite, ils traquent, harcèlent, humilient, brutalisent ou poussent au suicide les contre- révolutionnaires désignés comme tels, confondant parfois victimes innocentes et véritables opposants au régime. Ils détruisent les livres anciens et les œuvres d’art. Leur dévouement à Mao est total. À la mort du Grand Timonier en 1976, la Révo-lution culturelle a détruit les efforts économiques après le Grand Bond en avant. Le pays est une fois de plus à bout de souffle. Au lieu d’une modernisa-tion, le programme maoïste a fait reculer le pays par rapport aux puissances étrangères. La Chine, restée si longtemps isolée du monde, se rend soudaine-ment compte de son retard. L’arrivée au pouvoir en 1979 de Deng Xiaoping marque alors le début d’une nouvelle ère : il s’agit de reconstruire le pays et d’entreprendre une nouvelle modernisation.

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une nouvelle modernité

3. une nouvelle modernité

A la mort de Mao Zedong en 1976, le Parti communiste chinois fait le bilan de la Révolution culturelle. « La crise sociale et politique avait été d’une extrême gravité et elle a marqué tous les esprits. La répression qui s’est abattue sur les jeunes et les plus convaincus a laissé beaucoup d’amer-tume. Lassitude et désaffection à l’égard du régime se sont étendues. La délinquance et la criminalité, la fraude et la corruption, le marché noir et l’indis-cipline se sont installés de façon durable. »38 Le pays est devenu plus pauvre encore que le siècle passé et surtout plus arriéré. Le discrédit du régime com-muniste s’est installé dans la population chinoise. Dans le domaine de l’enseignement, des arts et des lettres, l’épuration a été radicale. Tout ce qui sortait du cadre de la propagande officielle a été interdit et détruit. Les écoles et les universités furent fermées, les étudiants et les enseignants envoyés aux champs pour se réformer par le travail manuel. Les traditions et les savoir-faire on été interdits par le Parti. La Révolution culturelle fut catastrophique pour la so-ciété chinoise. Face à une nation détruite, le nouveau gouvernement tente de redresser le pays avec l’arri-vée au pouvoir de Deng Xiaoping en 1979. Celui-ci

38. Ibid., p. 99.

Slogan de l’affiche : « Libérons-nous des domaines de la littérature et de l’art et familiarisons-nous avec la vie des ouvriers, des paysans et des soldats » (1974)Source : Ibid., p. 236.

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lance le début de la démaoïsation : le retour progres-sif à l’exploitation familiale dans les campagnes, l’auto- risation de création de petites entreprises privées, le renouveau de la spécialisation des cultures à des fins commerciales, les appels aux techniques et aux capitaux étrangers pour relancer l’économie du pays. La liberté de gestion et d’initiative est rendue aux entreprises qui deviennent autonomes et concur-rentielles. La moitié des prix sont libérés. Des zones économiques spéciales sont créées au Guangdong, au Fujian et dans le Bas-Yangzi, et quatorze villes côtières sont ouvertes aux investissements étran-gers en 1981. Ces réformes se traduisent dès l’année suivante par un progrès spectaculaire des industries légères et de la production des biens de consommation. Cependant, cette ouverture sur le monde capitaliste ne s’accompagne pas d’une trans-formation réelle du régime. Deng Xiaoping légitime la quête de biens matériels comme étant une phase transitoire avant le communisme. Il propose l’idée d’« un pays, deux systèmes » (socialiste et capitaliste) comme pouvant parfaitement coexister : c’est le « socialisme de marché ». En 2001, la Chine adhère à l’Organisation mondial du commerce. La croissance chinoise est exceptionnelle, elle dépasse les 10 % chaque année. La Chine est devenue aujourd’hui la troisième puissance économique mondiale, derrière les Etats-Unis et le Japon. Autres conséquences de la Révolution cultu-relle : « Jusqu’alors à peu près ignorants du monde extérieur, les Chinois sont devenus plus sensibles au très grave retard de leur pays. De là, un profond sen-

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timent de frustration. Pour beaucoup, la recherche égoïste du bien-être par tous les moyens est devenue le seul but de l’existence. »39 On observe alors une montée de l’individualisme, contraire aux préceptes de collectivisme confucéens qui ont fondé la société chinoise. En effet, Confucius avait défini les Cinq Relations essentielles (Wulun 五伦) : souverain/ministre, père/fils, époux/épouse, frère aîné/frère cadet, ami/ami. Chaque personne vit selon ces relations, si bien qu’il ne pouvait exister de notion individuelle. L’individu doit toujours agir au sein d’un groupe en respectant le xiao (孝), la piété filiale, le respect des supérieurs et des anciens, l’obéissance aux autorités familiales et éta-tiques. Lorsqu’à la fin du XVIIIe siècle, les influences étrangères arrivèrent en Chine, elles bouleversè-rent les deux mille ans de stabilité maintenue par l’ordre confucéen. À partir de ce moment, le confu-cianisme ne cessera de perdre en crédibilité tandis que la notion d’individualisme capitaliste sera tantôt élevée en modèle, tantôt bannie par le nationa-lisme. Depuis l’ouverture économique, l’adoption du modèle capitaliste en Chine a assis un système qui satisfait une population lassée de la révolution. La société chinoise tend à ressembler de plus en plus à l’Occident, avec un engouement exacerbé pour la consommation.

39 Ibid., p. 103.

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Par ailleurs, les années de révolution ont aggravé la crise identitaire. Pour Jean-François Billeter, cette crise s’explique par une prise de conscience, au moment de la chute du système dynastique (1912), de la manipulation exercée par celui-ci sur la population. En effet, selon le sinologue, le véritable secret de la réussite du système bureaucratique chinois reposait sur une instrumentalisation de la culture au point de la refondre pour en faire un ordre nouveau. « Pour faire oublier la violence et l’arbitraire dont l’empire40 était né, et par lesquels il se soutenait, il devait paraître conforme à l’ordre des choses. Tout fut recentré sur l’idée que l’ordre impérial était conforme aux lois de l’univers, depuis l’origine et pour tous les temps. Tous les domaines du savoir, toute la pensée, le langage, les représen-tations devaient concourir à persuader les esprits que cet ordre était, dans son essence, naturel. C’était le moyen le plus efficace d’assurer la pérennité du régime impérial, de ses hiérarchies, des formes de domination qu’il imposait, de la soumission qu’elles exigeaient. De cette refonte générale est née ce que les Chinois eux-mêmes ont considéré depuis lors, et que l’on considère aujourd’hui encore, en Chine comme ailleurs, comme la civilisation chinoise. »41 Pour justifier le pouvoir de l’Empe-

40. Bien que la féodalité bureaucratique maintint deux mille ans de stabilité en Chine, les empereurs n’ont pas toujours été justes et loyaux, comme l’encourageait le confucianisme. Ils ont aussi fait preuve de cruauté et de tyrannie.

41. Jean-François Billeter, Contre François Jullien, Paris, Allia, 2007, p. 18.

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reur, ses érudits ont composé des écrits qui furent rendus canoniques et attribués à Confucius. C’est ainsi que le confucianisme aurait été au fondement de l’impérialisme chinois, un confucianisme « cano- nisé »42. Selon ces écrits, chaque personne de la société appartient à un groupe, définit selon la hiérarchie de la piété filiale. Au sommet, se trouve l’empereur, et le peuple lui doit obéissance. Cet ordre naturel que le pouvoir impérial s’est constitué pour parvenir à une société harmonieuse, a aussi conforté la Chine dans son illusion de supériorité sur le reste du monde. Mais lorsque la Chine fut envahie par les nations occidentales, les Chinois réalisèrent la faiblesse de cet impérialisme. Ils se retournèrent donc contre lui et contre les valeurs traditionnelles, accusant Confucius et son enseignement désuet, accusant l’incapacité de l’ancien régime face aux forces étrangères. La révolution de Mao marqua alors la volonté du peuple chinois d’oublier défini-tivement ce passé, de le détruire pour reconstruire un nouvel idéal, une société sans pouvoir unique, sans classe. Aujourd’hui, les Chinois se rendent compte des erreurs de la Révolution culturelle. Ils veulent retrouver les valeurs traditionnelles et se recons-truire une identité. Mais la coupure avec le passé est profonde. « Dans les villes, dans les bourgs mêmes, il ne restera bientôt plus rien du cadre de vie

42. Ibid., p. 28.

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ancien. La famille, qui était l’institution centrale en Chine plus que partout ailleurs, a perdu sa struc-ture hiérarchique du fait de l’enfant unique. Avec la destruction de la vie associative traditionnelle ont disparu les rites et les fêtes. À quelques excep-tions près dans le sud, il n’en survit que des débris. Il ne subsiste plus grand-chose de l’artisanat, de l’art des conteurs, des opéras populaires. L’instruction est défaillante. Très rares sont les jeunes gens qui ont de sérieuses notions d’histoire chinoise et qui lisent le chinois classique, langue de la culture et des idées jusqu’au bout du XXe siècle. La Chine rêve de son passé, mais elle est devenue un pays sans mémoire. »43 De plus, la société chinoise est désor-mais soumise aux mêmes lois économiques que les pays capitalistes. La mondialisation a pris le dessus. « Depuis la disparition de l’Union soviétique, les États-Unis occupent une position dominante. Ils disposent d’une puissance dont aucune nation n’a disposé dans le passé. Cette puissance est le fait d’un État, elle est plus encore le fait du plus grand pouvoir économique qui se soit jamais formé. La société américaine domine parce qu’elle est elle-même dominée plus qu’aucune autre ne l’a jamais été par la raison économique. (…) Nous voyons ce processus s’étendre au monde entier et provoquer l’uniformisation universelle de la vie quotidienne. Partout, les modes, les comportements, le langage

43. Ibid., p. 77.

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s’américanisent. Mais plus que d’américanisation, il s’agit d’une soumission de plus en plus complète à la raison économique. Tel est le moment présent. »44 La Chine n’échappe à cette règle. À partir des années quatre-vingt-dix, la politique de Deng Xiao-ping qui avait concédé au peuple chinois la liberté d’entreprendre et de faire des affaires – « Enri-chissez-vous ! », déclarait-il – changea l’économie chinoise. Les entrepreneurs chinois développèrent une étonnante capacité aux affaires et attirèrent les capitaux du monde entier. L’alignement sur le modèle de marché a ainsi donné à la Chine une nou-velle occasion de se moderniser. Le design apparaît alors dans un contexte paradoxal où l’enjeu consiste à moderniser le pays à l’image des nations occiden-tales tout en permettant à celui-ci de reconstruire son identité national.

44. Jean-François Billeter, Chine trois fois muette : essai sur l’histoire contemporaine et la Chine, Paris, Allia, 2006, pp. 38-40.

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transition

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Pour comprendre la place que peut occu- per le design dans un pays comme la Chine, j’ai décidé, au cours de la rédaction de ce mémoire, de me rendre sur place dans le but d’explorer les différentes manifestations de créativité et d’innova-tion déjà présentes dans ce pays. Au fil de ce voyage, qui durera un mois et demi, j’ai découvert, dans des domaines aussi variés que l’art, l’industrie, l’urba-nisme ou de toute autre secteur associée à cette dis-cipline, les traces d’une activité en émergence. Dans les villes moteurs, comme Beijing, Shanghai, Hong Kong, Shenzhen, Guangzhou, j’ai rencontré et inter- viewé des designers, des fabricants, des ingénieurs et des enseignants, tous étant acteur du développe- ment du design. La suite de ce mémoire restitue le fruit de ces observations, réflexions et rencontres, et aidera à aborder la question complexe de l’émer-

gence du design en Chine.

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présentation des personnes interviewées

benny ding leongProfesseur de design à Hong Kong Polytechnic University School of Design.Diplômé de Hong Kong Polytechnic University School of Design et du Royal College of Art, dans les années 1980.

Benny Leong a d’abord mené une carrière de desi-gner industriel en Asie et en Europe. Il a conçu des produits pour Philips, Hewlett-Packard, Alessi et de nombreuses autres entreprises. Il a aussi remporté de nombreux prix de design. En 1994, il décide de retourner à Hong Kong, sa ville natale, pour ensei-gner et y créer le centre de recherche Asian Lifestyle Design Research Lab. Il est également le fondateur de Chinese Network on Design for Sustainabi-lity in China et a publié de nombreux articles dont « Design Vision : a Sustainable way of Living in China ».

bruce chi kwong wanProfesseur de design à Hong Kong Polytechnic University School of Design.Diplômé de l’ENSCI en 1999.

Après une expérience à Paris, Bruce Wan retourne à Hong Kong pour devenir enseignant et pour y créer son propre studio de design Refink.net, dédié au design interactif et multimedia.

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kim helmboldSenior designer manager chez Philips à Hong Kong.Diplômé de l’ENSCI en 1994.

alex fungChef du département design à Hong Kong Institute of Vocational Education.

Alex Fung a aussi enseigné pendant vingt ans à Hong Kong Polytechnic University School of Design sur les méthodologies de pensées créatives et stratégiques en design. En 1992, il est reconnu comme spécialiste en design par le Hong Kong Council for Academic Accreditation. Alex Fung publie en 2005 Creative Tools, un livre de méthodologies sur la création.

zhou yiDirecteur de S. Point Design, agence de design produit à Shanghai.

Zhou Yi fait parti des premiers designers formés en Chine dans les années 1990. Il fonde S. Point Design en 1997 qui est aujourd’hui la plus ancienne agence de design de Chine et la première agence de Shan-ghai. Riche d’une expérience de dix ans, la société travaille aujourd’hui avec des groupes industriels du monde entier, dont Siemens, Nike ou Panasonic,

mais aussi des marques locales comme Lenovo.

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liu yangDirecteur de Ideas, agence de design produit à Beijing.Chef du département design à Qinghua University de Beijing.Diplômé de Qinghua University de Beijing en 1997, en design industriel.

Liu Yang est le fondateur de Ideas en 2004, agence de design produit situé dans le parc technologique de Zhongguancun, la nouvelle Silicon Valley chinoise. La société s’est spécialisée aujourd’hui dans le télé-phone mobile et les objets électroniques, et travaille principalement pour des marques chinoises.

eric hourdeauxDirecteur de HEDS, agence de design produit à Hong Kong.Diplômé de l’ENSCI en 1990.

Eric Hourdeaux collabore avec Marc Berthier avant de rejoindre l’équipe de Philippe Starck en 1990. En 1992, il travaille en indépendant et crée finale-ment sa propre agence de design en 1996 qui s’est établie depuis quelques années à Hong Kong.

siegfried chen Designer à Shanghai pour une entreprise française.Diplômé de Jiangnan University en 2002.

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ning xie Designer à Shanghai chez Electrolux.Diplômé de Jiangnan University en 2002.

nicolas cinguinoDesigner indépendant à Shanghai.Ancien designer chez S. Point Design à Shanghai.Diplômé de l’Institut Supérieur de Design de Valen-ciennes en 2005.

sebastian hoekDesigner chez XL+DESIGN à Shanghai.Diplômé de la Bergische Universität Wuppertal en 2008.

romain duguéIngénieur mécanique et Directeur d’usine à Shen-zhen et Hong Kong pour Mastering Investment Ltd.Diplômé de l’ICAM de Lille en 2005.

m. xDirecteur d’une usine de reproduction de mobilier à Guangzhou.Pour des raisons de confidentialité, le nom et l’adresse de l’usine ne seront pas mentionnés dans ce mémoire.

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Avec l’ouverture de la Chine au capitalisme, les industriels chinois se sont peu à peu tournés vers le design. Mais cette discipline est encore jeune en Chine, elle n’a que vingt ans. Les Chinois ont alors dû se référer à l’Occident en l’imitant. Ils ont ainsi développé un incroyable talent de faussaire pour les produits industriels, si bien qu’aujourd’hui, aux yeux des Occidentaux, la Chine semble être vouée à la copie. Pourtant, on constate depuis quelques années, des manifestations significatives démontrant une volonté nationale de parvenir à la création originale. Aussi bien au niveau des dirigeants politiques qu’au niveau des industriels et des créateurs, une prise de conscience apparaît. La Chine est-elle condamnée à reproduire les modèles occidentaux ? Quelle est la place de la copie dans l’industre chinoise ? Quels sont les signes annonciateurs d’un design ? Et com-ment la Chine parviendra-t-elle à un esprit propre pour son design ?

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1. la chine est-elle vouée à la copie ?

Si la Chine imite l’Occident, c’est qu’à pre-mière vue, les Chinois ont envie de reproduire le même mode de vie dans leur propre pays. Le pay-sage urbain, par exemple, est en perpétuel chan-gement : la Chine s’est reconstruite à l’image des mégalopoles occidentales. Ainsi, les avenues des vil-les, en se transformant, deviennent des propagandes pour marques étrangères en tous genres. Les petites échoppes traditionnelles font place aux supermar-chés à plusieurs étages. Les centres commerciaux parsèment les coins de rues et les fast-food décorent les pieds d’immeubles. La mondialisation s’est impo- sée à tel point qu’on se sait plus dans quel pays on se trouve, si ce n’est grâce aux idéogrammes. En quelques années, le paysage chinois s’est calqué sur le reste du monde capitaliste. Il est saisissant de voir que ce qui n’avait jamais pu exister en Chine pendant des siècles finisse par la conquérir en si peu de temps, comme si cela avait toujours été là. Par ailleurs, les nouveaux consommateurs chinois, et certainement les futurs, se décomplexent par rapport à l’argent en même temps que par rap-port à la sexualité et la liberté de penser45. Ils jouis-

45. Même si on ne peut pas parler d’une véritable liberté de penser et d’expression en Chine, le gouvernement chinois a accordé quelques libertés individuelles depuis l’ouverture du pays, ce qui donne à la population la sensation d’être plus libre, en comparaison avec le passé.

Wang Qingsong, Requesting Buddha Series No. 1, 1999.Source : Uta Grosenick, Caspar H. Schübbe, China Artbook, Köln, DuMont Buchverlag, 2007, p. 432.

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sent de la croissance économique, de la possibilité d’une vie meilleure, plus confortable et matérielle. Ils ont aujourd’hui accès aux mêmes produits et aux mêmes services que l’Occident, avec le même désir de posséder. Les Chinois découvrent donc la consommation de masse. Cependant, ils ne sont pas encore habitués à consommer. En effet, si les Occi-dentaux sont plus sensibles aux images de marque, les consommateurs chinois sont novices dans ce domaine selon les marqueteurs : ils ne compren-nent que des messages simples mais ne peuvent pas encore percevoir les valeurs. De plus, les marques étrangères ont été conçues pour une culture dif-férente de la culture chinoise. Il faut donc aussi un temps d’adaptation et de compréhension. Quoi qu’il en soit, ce problème est un obstacle pour l’ensemble de la chaîne de production en Chine car le client ne fait pas la différence entre le produit original et sa contrefaçon, ce qui encourage le marché de la copie. En Chine, la copie ne doit pas s’entendre uniquement comme le phénomène de copie d’un produit identique. La copie chinoise est devenue aujourd’hui un système organisé qui s’étend à l’imi-tation de stratégies industrielles comprenant aussi bien la copie de process, la maîtrise d’un tour de main, la copie de matières, la copie de marketing et des réseaux de distribution. Dans un premier temps, comme tous les pays en développement, la Chine a essentiellement produit des contre-façons de qualité médiocre, fabriquées grossiè-rement et dans tous les domaines : luxe, alimen-taire, médicament, équipement automobile, etc.

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la chine est-elle vouée à la copie ?

Le consommateur, peu averti, n’y voit que son inté-rêt propre, celui de se procurer une marchandise à moindre prix. Parce qu’elles s’adressent à des con- sommateurs ignorants et peu argentés, les marques copieuses se réapproprient les noms des marques copiées de manière approximative, voire maladroite. Yves Saint Laurent devient Yves Saint Florent, et Louis Vuitton devient Léon Vuitton. Mais aujourd’hui, la Chine est aussi capable de produire des « copies parfaites » : « on assiste à un processus de pro-duction parfaitement maîtrisé et la copie égale le produit, voire peut même le dépasser. »46 Ainsi, la classe moyenne chinoise des villes, habituée de plus en plus à consommer et ayant un pouvoir d’achat grandissant, demande des produits de meilleure qua-lité, même s’ils sont contrefaits. En outre, l’arrivée massive des produits étrangers nourrit la progres-sion de la copie en Chine. La distribution devient alors de mieux en mieux organisée : les marchés de grossistes se développent, comme le gigantesque marché de Yiwu qui se trouve dans la province du Zhejiang, et des centres commerciaux destinés uniquement à la copie de produits en tout genre apparaissent dans de nombreuses villes chinoises. Plus récemment, au-delà du produit lui-même, ce sont les concept stores qui sont copiés. L’exemple le plus flagrant est certainement celui de Xin Bake,

46. Marie-Pierre Gendarme, « Panorama de la propriété in-tellectuelle en Chine », in Mode de recherche n°5, Centre de recherche de l’Institut français de la mode, janvier 2006.

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l’imitation chinoise de Starbucks. Dans ce cas précis, les restaurants de la chaîne américaine ont été reproduits à l’identique. La Chine a développé un savoir-faire de copiste en production mais aussi en commercialisation. À Shenzhen, dans la province du Guangdong, on trouve aussi une autre industrie mon-diale de la contrefaçon, celle de la peinture à l’huile. Dans le village de Dafen, des artistes chinois repro-duisent à la chaîne des tableaux des grands maîtres : de Vinci, Van Gogh, Manet, Picasso, etc. On constate ainsi que parallèlement à la « copie basique », s’est développé aussi une « copie parfaite » des produits. Ceci s’explique par les inégalités des niveaux de vie selon les régions qui font naître différentes sociétés de consommation chinoises. Les stades d’évolution de la contrefaçon sont aussi, par conséquent, diffé-rents d’un point à un autre de la Chine. De plus, alors qu’en France, les lois sur les droits d’auteur existe depuis 1793 grâce à Caron de Beaumarchais (1732-1799), la Chine n’a pas de culture de la propriété intellectuelle. Celle-ci n’est reconnue que depuis 1979 par le gouverne-ment chinois. Auparavant, tout appartenait à l’État, tout était propriété collective. Mais avec l’entrée à l’OMC, la Chine a dû s’aligner sur les exigences du commerce international. Depuis que la pro- priété intellectuelle est établie en Chine, il existe une volonté de lutter contre les copies. Des campagnes de sensibilisation tentent d’éduquer le consomma-teur et de nouvelles lois sont apparues. Mais les actions du gouvernement connaissent des défail-lances. L’amende de la contrefaçon, par exemple, est

Page 99 : Dafen Village à Shenzhen. Source : Catalogue d’exposition China Design Now, Londres, Victoria & Albert Museum, 2008, pp. 71-72.

Pages 100-101 : Dafen Village à Shenzhen. Source : Crédits photos Juan Lin, juillet 2008.

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Pages 103-109 : Usine de reproduction de mobiler classique à Guangzhou.Source : Crédits photos Juan Lin, août 2008.

liée au prix du produit contrefait et non à celui du produit original, ce qui ne dissuade pas les faussaires. L’auteur du produit copié ne bénéficie d’aucun dédommagement. Les textes de lois sur la propriété intellectuelle sont mal connus des magistrats et les saisies sont souvent difficiles. La forte corruption des bureaucrates locaux est aussi un obstacle à la protection des créations. Le système de défense du droit d’auteur chinois est donc de mauvaise qualité et inexpérimenté. Dans ce contexte, il est difficile de lutter contre la copie et les contrefacteurs conti-nuent à exercer. Enfin, si la Chine semble enlisée dans la copie, c’est aussi parce qu’elle a conservé une forte tradi-tion de copiste héritée de l’enseignement de Confu-cius. La pensée confucéenne prône l’idée d’une transmission des savoirs du maître à son apprenti par imitation. D’ailleurs, dans la langue chinoise, il existe un même mot pour signifier « apprendre » et « copier » : 学 xue. Il n’y a pas de distinction entre l’imitation et l’apprentissage, les deux étant insépa-rables. La copie est donc une manière d’apprendre et elle a gardée cette fonction aujourd’hui encore dans les écoles chinoises. C’est à travers l’art chinois de l’écriture47 que l’on observe le mieux cet ensei-

47. C’est ainsi que Jean-François Billeter qualifie l’écriture chinoise. « L’art de l’écriture est traditionnellement considéré en Chine comme l’un des beaux-arts. Il est mis sur le même pied que la musique, la poésie, la peinture et parfois même au-dessus d’elles. “Calligraphie” s’est imposé quand il s’est agi de lui trouver un nom dans nos langues, mais cette désignation présente l’incon-vénient de confondre sous un même vocable deux phénomènes

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gnement par la copie. En effet, il serait difficile de concevoir une autre manière d’étudier le chinois que par imitation. La principale raison est que la langue chinoise prévoit un signe différent pour chaque mot, un signe qui est une entité propre et indépendante. Ceci est différent des écritures d’origine latine, grecque, cyrillique, arabe ou hébraïque qui utilisent un alphabet phonétique. Dans le cas de l’alphabet, l’apprentissage d’un ensemble de jeu de lettres per-met de noter les sons des mots sans tenir compte de leur sens. Il est donc possible de lire et d’écrire des mots que l’on ne connaît pas. En revanche, « l’écri-ture chinoise se compose de milliers de caractères qui correspondent chacun à un mot. La prononcia-tion du mot varie selon les lieux et les époques, ses acceptations peuvent évoluer ou se diversifier mais le caractère ne change pas : il garantit l’identité du mot, il en est l’emblème invariable. »48 Un Chinois

de nature très différente. La calligraphie chinoise n’a en effet pas grand-chose à voir avec ce qu’on appelle “calligraphie” en Europe : soit une écriture stylisée, appliquée, particulièrement régulière, soit une écriture enjolivée de paraphes ou d’autres ornements superfétatoires, soit encore certains jeux typographiques du genre des Calligrammes d’Apollinaire. (…) La calligraphie chinoise n’est ni une écriture appliquée, ni une écriture enjolivée. Elle ban-nit la stylisation arbitraire des formes et plus encore le rajout décoratif. L’unique préoccupation du calligraphe chinois est de donner vie aux caractères, de les animer sans les forcer en rien. Il met sa sensibilité au service de l’écriture puis en vient, par un renversement subtil, à se servir de l’écriture pour exprimer sa sensibilité personnelle. C’est à la faveur de ce renversement que l’écriture chinoise devient un moyen d’expression d’une richesse et d’une finesse extrêmes. (…) » Jean-François Billeter, L’Art chinois de l’écriture, Genève, Skira, 1989, p. 11.

48. Ibid., p. 13.

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serait alors dans l’incapacité de lire ou d’écrire un caractère nouveau sans l’avoir appris au préalable. Comme il existe autant de signes que d’idées dans la langue chinoise, un travail de mémorisation est indispensable. Cette apprentissage par la mémori-sation s’effectue de manière répétitive en recopiant les signes. Pour cela, les élèves disposent de modèles qu’ils doivent reproduire à la perfection. Ce travail de copie sert aussi à écrire un mot en comprenant son sens d’écriture et l’organisation de chaque trait par rapport à son ensemble, afin de réussir à animer le caractère, à lui donner une particularité et une autonomie.

a)49

b)49

Dans cet exemple, 三 san (trois), 昌 chang (prospère, abondant), 品 pin (objet, produit), 林 lin (bois, forêt) et 竹 zhu (bambou), l’alignement stricte des éléments (a) rigidifie les idéogrammes, les empê- chant d’être indépendants, mais suggère un système ouvert où les différents éléments seraient des motifs qui se juxtaposeraient les uns aux autres. Pour y remédier, on varie la forme de l’élément

49. Ibid., p. 31.

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répété, on introduit une ou plusieurs dissymétries (b), ce qui permet de donner plus de personnalité aux caractères. Ceci ne peut être compris par un élève dès le début. Il faut donc une référence sur laquelle il peut calquer les mots avant de pouvoir trouver sa propre manière d’écrire. Nombreux sont les apprentis calligraphes qui s’exercent en reco-piant de grands maîtres chinois avant de trouver leur propre style. Ce rapport à la copie est resté similaire à celui de l’Europe de la Renaissance où les disciples apprenaient à peindre en imitant la manière et les procédés de leur maître. Si cet enseignement convient à l’apprentis-sage de l’écriture chinoise, il pose aujourd’hui un problème dans les écoles de design. La position du professeur comme modèle freine la créati-vité des étudiants chinois. Toute initiative person-nelle est inexistante, les élèves ne cherchent pas à développer une approche personnelle. À l’inverse, ils se satisfont de copies fidèles des dessins soit du maître lui-même, soit d’autres auteurs. Les étu-diants reproduisent à l’identique les dessins pour essayer d’en comprendre le fondement. Ils imitent le moindre détail, tentent de réaliser une copie parfaite. Alex Fung et Alice Lo50, professeurs à la Hong Kong Polytechnic University School of Design, ont constaté que les élèves, au début de leur par-

50. Alex Fung et Alice Lo, « Design Education in China : New proposals to adress endemic problems », in Journal of Art and Design Education, volume 20, pp. 171-179, Wiltshire, The National Society for Eudcation in Art and Design, 2002.

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cours à l’école, sont capables d’être créatifs, mais qu’au fil des années, ils perdent cet esprit critique et se conforment à un enseignement traditionnel. Ils ont aussi noté que le recrutement des profes-seurs de design en Chine fonctionne en circuit fermé, c’est-à-dire que les jeunes diplômés devien-nent immédiatement enseignants sans avoir connu d’expérience professionnelle. Comme le nombre d’écoles de design augmente, la Chine est obligée de recruter parmi les jeunes diplômés pour palier le manque d’enseignants. Le contexte de vie ne favo- rise pas non plus la créativité des étudiants en de-sign. Les villes chinoises sont peu culturelles51. Les musées restent rares et concentrés principalement à Beijing et Shanghai. Pour le design industriel, il est, par conséquent, encore plus difficile de trouver un point de référence. Il arrive donc souvent qu’un étu-diant en design n’ait jamais vu une pièce historique réelle. L’unique approche avec l’histoire du design se fait en image, ce qui crée une distance, non seule-ment physique, mais aussi une difficulté de compré-hension. Cette absence de stimulation ne favorise pas l’inspiration créative ni la curiosité. Par de nombreux aspects, la société chinoise ne semble pas vouloir se défaire de la copie. Elle

51. D’après le répertoire des musées français, constitué par la direction des musées de France du Ministère de la Culture et la Communication, il y a environ mille trois cents musées recensés, soit environ un pour cinquante mille habitants. En Chine, les sta-tistiques indiquent qu’il y aurait plus de deux milles musées, soit environ un pour six cent quatre-vingt mille habitants.

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n’a jamais conçu l’apprentissage d’une autre manière qu’en imitant un modèle. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle sera incapable d’être créative et de trouver une identité propre à son design.

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2. à quoi sert la copie ? l’exemple japonais

Aujourd’hui, les ambitions des dirigeants chinois sont tournées vers l’exemple japonais dont les similitudes sont importantes avec la Chine. D’abord, le Japon a connu une reconstruction éco-nomique. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Japon est un pays ruiné. Les deux bombes ato-miques successives ont détruit l’archipel qui se trouve à la merci des États-Unis. Ces derniers en profitent pour occuper le territoire et décident d’œuvrer au redressement économique et politique du pays vaincu. Ainsi, entre 1945 et 1960, « grâce à leur suprématie incontestée, les Américains ont pu faire office de tuteurs bienfaisants ; curieuse-ment, ils ont été servis dans la réalisation de leur programme par la désillusion des Japonais. En 1945, ces derniers désavouaient en bloc leur passé et, dans leur soif de changement, semblaient disposés à accepter toute directive extérieure. »52 Peu à peu, le Japon se rétablit et désire retrouver une place dans la communauté internationale. Le nouveau Pre-mier ministre Ikeda qui arrive au pouvoir le 15 juillet 1960, annonce son intention de « doubler le revenu

52. Edwin O. Reischauer, Histoire du Japon et des Japonais, tome 2 : De 1945 à nos jours, nouvelle édition mise à jour et complétée par Richard Dubreuil, traduit de l’américain et annoté par Richard Dubreuil, Paris, Seuil, 2001, p. 37.

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national japonais en dix ans ». Les ambitions d’Ikeda ne seront pas déçues. La croissance du PNB japonais augmente à un rythme vertigineux et progresse de 10 % à 14 % par an. Avant la fin des années 1960, le Japon rattrape l’Allemagne, alors troisième puis-sance économique derrière les États-Unis et l’Union soviétique. Cette réussite de l’économie japonaise résulte, d’une part, de l’expansion et du progrès industriel permis par le renouvellement des équipements d’après-guerre avec l’aide américaine, et d’autre part, de l’incroyable capacité d’imitation des Japo-nais qui leur permet d’apprendre rapidement en se calquant les états-Unis. « Pour tous ceux qui vont être pris dans la formidable aventure de l’industrie japonaise, cela correspond au temps d’un fructueux apprentissage. (…) Les firmes Mitsubishi et Toshiba, en particulier, vont se trouver chargées de réaliser les appareils électroménagers. Obligées de produire pour l’envahisseur, ces entreprises trouvent là une formidable occasion d’assimiler son expérience industrielle et son mode de vie. »53 Les produits Made in Japan sont alors les équivalents des pro-duits bas de gamme fabriqués en Chine aujourd’hui, assimilés à de la contrefaçon. Mais rapidement, le Japon trouve les moyens de passer le stade de l’imitation pour imposer sa propre loi sur le marché international. Le Japon investit dans les innovations

53. Raymond Guidot, Histoire du design 1940-2000, Paris, Hazan, 2000, p. 143.

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et sera à l’origine de la miniaturisation des compo-sants électroniques ou de la robotisation, ainsi que du toyotisme. Le design japonais s’inspirera du fonc-tionnalisme et du rationalisme qui se sont dévelop-pés autour de l’École d’Ulm. « En effet, la réduction du design d’un produit Braun à l’évidence d’un signe rejoint dans un idéal de pureté les idéogrammes d’inspiration zen et les objets traditionnels du Japon. »54 Dans les années 1960, ce n’est déjà plus le Japon qui copie l’Occident, mais l’Occident qui est conquis par le Japon. La culture japonaise véhi- culée au travers des arts appliqués, du design, du cinéma, des disciplines mentales (le zen) ou phy-siques (le judo ou le karaté), attirent des adeptes de tous les pays. Avec la croissance et le retour de la prospérité, les Japonais retrouvent le chemin de la paix sociale et reprennent confiance. La généra-lisation du bien-être favorise une réhabilitation des valeurs traditionnelles. Aujourd’hui, le Japon est la deuxième puis-sance mondiale et un formidable exemple de pays sous influence occidentale qui a su se développer en préservant sa propre culture. La Chine souhaite parvenir à ce modèle d’autant plus que la croissance chinoise est comparable à celle du Japon dans les années soixante, et que les deux pays partagent une même culture confucéenne et l’apprentissage par la copie. La Chine, à l’instar du Japon, est critiquée pour

54. Ibid., p. 144.

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ses produits contrefaits, mais elle n’est pas condam-née à copier. Les Chinois s’orientent vers l’indépen-dance. Les Jeux olympiques de Pékin 2008 semblent marquer définitivement le début d’un changement, tout comme les Jeux olympiques de Tokyo en 1964 qui furent le moteur d’une nouvelle ère japonaise. La Chine franchira certainement le cap de la créa-tion. On en observe déjà les balbutiements.

De haut en bas : 1. Récepteur de radio transistorisé TR-610, Sony, Tokyo, 1958.2. Récepteur de télévision transistorisé TV8-301, Sony, Tokyo, 1960.3. Récepteur de micro-télévision TV5-303, Sony, Tokyo, 1962.Source : Raymond Guidot, Histoire du design 1940-2000, Paris, Hazan, 2000, p. 145.

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Page 121 : Suitcase House, Beijing, 2000-2001. Source : Philip Jodidio, Architecture in China, Köln, Taschen, 2007, pp. 57-59.

Page 122 : CCTV Headquarters, Beijing, 2004-2008.Source : Internet.

Page 123 : Nid d’oiseaux, Beijing, 2003-2008. Source : Catalogue d’exposition China Design Now, Londres, Victoria & Albert Museum, 2008, p. 127.

Page 124 : Weng Fen, In Fashion, Good health, White collar, Academic degree, Good marriage, Patriotism, 2000. Page 125 de haut en bas : Zhang Xiaogang, A Big Family, 1995. Qiu Zhijie, Tattoo II, 1994.Source : Uta Grosenick, Caspar H. Schübbe, China Artbook, Köln, DuMont Buchverlag, 2007, pp. 452-453, 613 et 312.

3. un contexte favorable à l’épanouissement du design en chine

Depuis quelques années, de nombreux signes annoncent un changement dans la nature de la production chinoise. Non seulement la Chine com-mence à lutter contre la contrefaçon, mais le gouver-nement agit aussi pour encourager la création origi-nale. Même si le problème de la créativité chinoise ne peut pas être résolu qu’à travers des décisions politiques, cela témoigne, cependant, d’une volonté d’ouverture en ce sens. Ainsi, les secteurs artistiques ont bénéficié d’un soutien de l’État. La Chine accueille aujourd’hui des architectes reconnus du monde entier et encourage les projets les plus créatifs et démesurés tels le Nid d’oiseaux (stade olympique de Pékin 2008) de Herzog et de Meuron, ou le CCTV Headquarters (siège de la Télévision centrale de Chine) de Rem Koolhaas. Les architectes chinois par- ticipent également à cet élan créatif. Le Digital Bei-jing (centre de contrôle des Jeux olympiques de Pékin 2008) réalisé par Pei Zhu est un exemple,

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tout comme la Suitcase House (Maison-valise) de Gary Chang, intégrée projet de la Commune près de la Grande Muraille. L’art contemporain chinois s’est aussi développé à partir de la fin du XXe siècle. De nouveaux mouvements naissent comme le Xiamen Dada et le Political Pop Art dans un esprit révolutionnaire contre l’art officiel des an-nées Mao. Soutenu par les marchés asiatique, amé-ricain et européen, l’art contemporain chinois est devenu un acteur majeur du marché international. Onze des vingt premiers artistes dont les œuvres sont les plus vendues au monde, sont chinois55. En cinq ans, les prix des œuvres ont aussi augmentés avec une progression de 440 %. Parmi ces artistes, on retrouve Zhang Xiaogang, Wang Guanyi, Feng Zhengjie, Qi Zhilong ou encore Mao Xuhui. Avec le succès du secteur artistique, le gouvernement chinois investit de plus en plus dans la construc-tion de musées et promeut les galeries et les expositions. Des centres artistiques regroupant les artistes, photographes, stylistes, graphistes, designers et architectes apparaissent dans les principales villes. On trouve ainsi le 798 Space à Pékin ou le M50 à Shanghai. Au niveau de l’industrie, on constate éga-lement une importante évolution. Au début des réformes de Deng Xiaoping dans les années quatre-

55. Classement réalisé selon les statistiques de Artprice (site spécialisé dans les études des enchères) entre juillet 2007 et juin 2008.

Pages 126-127 : 798 Space, Beijing. Pages 128-129 : M50, Shanghai.Pages 131-133 : Usine de fabrication de Mastering Invest-ments Ltd, (pakaging, jouets, sacs, objets publicitaires, etc.), zone industrielle de Pinhu, Shenzhen.Source : Crédits photos Juan Lin, août 2008.

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vingt, le secteur industriel chinois s’est structuré autour de deux pôles : une industrie lourde héri-tée de l’époque maoïste et une industrie légère en développement, d’une bien plus grande ampleur, tournée vers la production de masse de biens de consommation. Plus tardif, les secteurs électro-nique et automobile sont venus renforcer l’indus-trie chinoise. Grâce à sa main-d’œuvre abondante et bon marché, la Chine a attiré les industriels du monde entier. La délocalisation de ces industries a créé un transfert de savoir-faire vers la Chine. De nombreuses usines chinoises possèdent ainsi les mêmes équipements que leurs homologues occidentaux, bénéficient des mêmes technologies de pointe, des mêmes matériaux de base et du même personnel compétent. La zone industrielle de Dong-guan dans la province du Guangdong, région sacrifiée pour la production mondiale, témoigne d’une Chine experte, différente de l’image de mauvaise qualité qui lui ait attribué. Les plus grandes marques font fabri-quer en Chine. Tous les produits, même ceux qui exi-gent un important savoir-faire et un contrôle qualité draconien, sont désormais issus des usines chinoises. Si la contrefaçon est encore très présente dans le secteur industriel, motivée par la demande du marché, de nombreuses entreprises se posent aujourd’hui la question de la qualité et de l’origi-nalité des produits. Il s’agit d’abord de répondre à l’apparition d’une demande plus exigeante de nou-veaux consommateurs chinois. En effet, la récente classe moyenne chinoise commence à mieux distin-guer la qualité des produits car elle en est, à son

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deuxième ou troisième achat. L’expérience accumu-lée lui permet d’avoir de nouveaux critères de sélec-tion. Ensuite, dans le contexte de la crise mondiale actuelle, la production chinoise est en mutation. Alors qu’elle était au départ destinée au marché intérieur, elle s’est tournée progressivement vers l’exportation. Mais depuis la crise économique, le prix à l’export des produits chinois devraient aug-menter de 10 % les prochaines années, selon les ana-lystes. En cause, la hausse des matières premières et des énergies, mais aussi les règlements plus stricts de fabrication et d’emploi de la main-d’œuvre chinoise. En janvier 2008, le régime chinois a uniformisé les salaires par province grâce à un nouveau contrat de travail certifié. Depuis cette date, dans les régions les plus riches de Chine, les salaires ne cessent de grim-per. Dans certaines usines, les salaires ont augmenté de 50 % en six mois. S’ajoute aussi à cela la baisse continue du dollar par rapport au yuan qui crée un déséquilibre commercial et donc, une augmentation du prix de la production chinoise. À court terme, de plus en plus d’usines du sud vont fermer et se délocaliser vers les provinces vierges de la Chine intérieure ou dans les autres pays émergents. À long terme, la crise économique permettra de faire un choix sélectif entre les différentes usines et pous-sera le pays à se spécialiser dans certains secteurs. Le gouvernement chinois cherche déjà à constituer des champions nationaux, capables de s’imposer sur les marchés étrangers. Le matériel téléphonique offre un exemple frappant : le développement fulgurant

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du téléphone fixe (nombre d’abonnés multiplié par trois entre 1997 et 2001) et mobile (nombre d’abonnés multiplié par dix entre 1997 et 2001) a permis à la Chine de devenir le premier mar-ché du monde au moment où le marché mondial s’effondrait. Tous les grands producteurs d’équipe-ments ont donc rapidement développé leur capa-cité de production en Chine. Mais à partir de 2002, alors que les entreprises étrangères fournissaient encore les trois quarts du marché chinois, de grands groupes locaux renforcent la concurrence : Lenovo (spécialiste de l’électronique) et TCL (spécialiste de l’électroménager). Ceux-ci sont aujourd’hui les plus grandes industries chinoises avec Haier, devenu le troisième plus grand producteur d’électroménager au monde et la fierté de l’industrie chinoise. Les dirigeants chinois espèrent que ces réus-sites serviront de modèles aux autres entreprises locales. C’est pourquoi, le régime investit massive-ment dans la R&D. Même si aujourd’hui, 50 % des technologies en Chine sont issues des pays avancés et que seuls 10 % des marques chinoises s’expor-tent à l’étranger, la situation est en train de chan-ger avec l’aide gouvernementale. D’après le rapport de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) de 2006, Science, tech-nology and industry outlook, la Chine est devenue le deuxième pays, après les États-Unis, à investir dans la R&D, dépassant le Japon. En 2008, des Pôles de

Page 137 : Agence de design Ideas, Beijing. Pages 138-139 : Agence de design S. Point Design, Shanghai.Source : Crédits photos Juan Lin, août 2008.

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créativité industrielle56 ont aussi été créés dans dif-férentes villes (Pékin, Shanghai, Shenzhen, Nanjing, Shandong, Qingdao, Guangzhou, Hangzhou, Xian et Chengdu) pour soutenir les entreprises créatives en design, architecture, art contemporain, etc. Depuis les années quatre-vingt, la technopôle de Zhong-guancun, située dans le district de Haidian de Pékin, a pour ambition de devenir la Silicon Valley chinoise. Elle regroupe quarante et un instituts de recherches dont l’Académie des sciences de Chine ainsi qu’une dizaine d’universités dont les plus prestigieuses (Bei-jing et Qinghua) reliées aux universités américaines et européennes. Aujourd’hui, on compte dix-neuf mille entreprises dédiées aux nouvelles technologies (NTIC) implantées dans les différents parcs tech-nologiques de Zhongguancun et les plus grandes multinationales y ont implanté leur centre de R&D, dont Sony, Samsung, IBM, Nokia, Apple, Microsoft ou Motorola. En 1999, dans le cadre de la stratégie du redressement du pays par les sciences et l’éduca-tion, le premier quartier d’exploitation industrielle de hautes et nouvelles technologies chinois a été fondé à Zhongguancun. Pour le design, on constate aujourd’hui deux niveaux différents à cause de la grande disparité des villes chinoises. Dans le sud, Guangzhou, Shenzhen et Hong Kong sont des villes proches de Dongguan, l’« usine du monde ». Le rythme de vie y est

56. Anna Bernagozzi, « Du “made in China” au “designed in China” », in Intramuros, n°140, Paris, janvier/février 2009, p. 47.

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extrêmement rapide. Shenzhen, en particulier, est devenue un immense centre d’affaires. Simple vil-lage de pêcheurs comptant trente mille habitants dans les années soixante-dix, Shenzhen en compte dix millions aujourd’hui avec une moyenne d’âge de vingt-sept ans. En devenant la première zone écono-mique spéciale en 1980, cette ville a bénéficié d’un développement privilégié qui attire des travailleurs immigrés des quatre coins de la Chine. Parce que Shenzhen est proche de la production mondiale qui doit toujours répondre des délais de fabrication, le temps de conception des produits est très court. Le designer exerce dans l’urgence, réduisant consi-dérablement le temps de recherche. En revanche, concentrées dans les régions de Shanghai et Beijing, on trouve aujourd’hui des agences chinoises de design proposant un service de qualité aux entreprises. Situées au cœur des deux grandes villes culturelles et modernes de Chine, ces agences chinoises bénéficient d’un meilleur cadre de travail. Les délais de conception sont plus longs et le coût du design est plus élevé, en rapport avec le niveau de vie, plus élevé aussi qu’à Shenzhen. Au sein de ces agences, la nouvelle génération de designers chinois s’associent aux designers étran-gers, et conçoivent des projets pour les plus grands groupes industriels du monde. On constate aussi que ces mêmes industriels créent dorénavant leur propre centre de design en Chine en recrutant des designers locaux. Pour conquérir le marché chinois, les marques étrangères ont, en effet, besoin de créer des produits adaptés au goût et aux habitudes

un contexte favorable à l’épanouissement du design en chine

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locales. Outre la production qui se délocalise, c’est aussi le design, aujourd’hui, qui se déplace peu à peu vers le pays, d’autant plus que le faible coût de la conception chinoise est attractif. L’ouverture des secteurs artistiques, l’investis-sement massif du gouvernement dans la recherche et le développement, l’apparition d’une nouvelle génération de designers compétitifs, sont donc des signes démontrant des changements de la société chinoise. Mais outre ces efforts, il semble que la Chine doit aussi œuvrer à reconsidérer son passé, celui qui lui permettra de définir une identité pour le design industriel.

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un passé à reconsidérer

4. un passé à reconsidérer

Si on observe aujourd’hui une montée en qualité du design, trouver un langage propre adap-té à l’industrie manufacturière n’est pas une tâche facile pour les designers chinois. En Occident, par exemple, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, l’industrie imite les objets anciens. « La fabrica-tion mécanique modifie donc le mode de réalisa-tion des objets mais non leur forme. »57 Certains s’interrogeront alors sur un langage propre au modèle industriel, comme l’association fondée par Herman Muthesius, le Deutscher Werkbund (1907-1934) qui s’appuiera sur le fonctionnalisme et la standardisation. Pour la Chine, ce cap à franchir sera d’autant plus complexe qu’elle doit adapter son intelligence à des technologies qui ne sont pas issues de sa culture. Pour y parvenir, elle a besoin de mener une relecture des textes et des idées, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. En effet, « depuis un siècle, la Chine s’est constamment définie par rapport à l’Occident sur le plan des idées, pour ou contre. (…) Depuis une centaine d’années, les intellectuels chinois ont fait plus. Ils ont réinterprété tout le passé chinois selon des catégories occidentales afin de le rendre “homologable”, pour ainsi dire. Ils l’ont

57. Pierrette Grondin, Cyberculture et Objets de design industriels, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 5.

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fait au moyen d’un vocabulaire emprunté à l’Europe. La plus grande partie des termes utilisés aujourd’hui en matière économique, sociale, politique, en philo-sophie et dans les sciences humaines sont des néo-logismes calqués sur des termes européens. Qu’ils le veuillent ou non, les Chinois raisonnent aujourd’hui sur leur histoire et sur leur civilisation au moyen de notions venues d’ailleurs. Parce que ces néolo-gismes sont parfaitement chinois dans leur forme et font désormais partie du langage courant, ils consti-tuent un obstacle invisible à l’intelligence du passé. Il en résulte un curieux mélange de familiarité et d’incompréhension. Le passé semble à portée de main, mais ne répond plus. »58 La Chine commence à réaliser ces lacunes. Elle cherche à reconsidérer ce passé pour comprendre ses origines59. Parmi les fondamentaux à interroger, il semble que la notion d’esthétique est primordiale, la Chine doit trouver sa propre définition du beau sur les objets indus-triels. Elle doit retrouver l’essence de son esthé-tique, ne pas s’attacher à la conception occidentale de la beauté, éloignée de la sienne. Pour l’Occident, la beauté est harmonie, mais harmonie selon la géométrie. « La conceptualisation euclidienne de l’espace a déterminé aussi bien nos

58. Jean-François Billeter, Chine trois fois muette : essai sur l’histoire contemporaine et la Chine, Paris, Allia, 2006, pp. 78-79..

59. Pendant la Renaissance, l’Europe s’était basé sur les textes antiques dans le but de créer un monde nouveau. Dans les arts plastiques, peintres et sculpteurs traitaient des sujets mytholo-giques de l’Antiquité. Les architectes, quant à eux, restituaient les colonnes, les coupoles, les frontons, etc.

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conceptions esthétiques que notre classification des beaux-arts, voire nos techniques. »60 Cela a séparé le dessin, art du trait pratiqué avec des outils tels une plume ou un crayon, et la peinture, art de la sur-face pratiqué avec le pinceau, la brosse ou la truelle. Le tracé n’a pas de qualité sensible « parce qu’il est de nature abstraite, intellectuelle, rationnelle : son rôle est de séparer, de définir, d’ordonner, de mesurer, d’exprimer le nombre et la proportion. La surface est au contraire le domaine des qualités sensibles – couleur, texture, grain, patine, etc. – qui ne sont pas mesurables mais qui rendent l’objet présent à nos sens. »61 Ce paradoxe oblige à réunir deux oppositions de la pensée. Les grands maîtres de la Renaissance ont accompli cette synthèse en prenant pour point de départ le dessin plutôt que la peinture, les lignes plutôt que les couleurs. En commençant par construire les lignes suivant les règles de la perspective et de la géométrisation de volumes, ils partent d’un espace antérieur à tout objet et à toute sensation. La peinture de la Renais-sance instrumentalise la nature pour représenter les sujets. Dans le cas de l’esthétique chinoise, c’est le contraire qui s’opère. Elle met en avant les sensa-tions de la nature plutôt qu’une instrumentalisation de celle-ci. « Les Chinois sont moins intéressés par

60. Jean-François Billeter, L’Art chinois de l’écriture, Genève, Skira, 1989, p. 47.

61. Ibid.

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un passé à reconsidérer

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la nature que par la nature de la nature, en d’autres termes par son principe interne. »62 Cette volonté de saisir l’insaisissable, l’action en mouvement ou l’instant, inspirera les peintres impressionnistes de la seconde moitié du XIXe siècle en Europe. Si la nature est au fondement de l’art chinois, c’est parce qu’elle porte en elle toutes les forces de ce monde, aussi bien les énergies positives que les énergies négatives, dans la synthèse d’un ensemble harmo-nique, d’un équilibre parfait. C’est en s’inspirant de la théorie taoïste du Yin et du Yang, deux polarités impalpables, que l’art chinois trouve son essence. Avant de devenir les notions abstraites que l’on connaît, le Yin et le Yang, expression de la dualité complémentaire, désignaient les phénomènes natu-rels contraires : le froid, l’humidité, l’obscurité pour le Yin, la chaleur, la sécheresse, la lumière pour le Yang. À partir des Royaumes combattants (IVe-IIIe siècles av. J.-C.), les deux forces opposées ont peu à peu recouvert toute dualité. Dans la calligraphie et la peinture chinoises, le Yin et le Yang sont utili-sés pour équilibrer les rythmes. À la différence de l’Occident où les rythmes sont définies grâce à un ensemble bien organisé par la géométrie, la ryth-mique en Asie se conçoit à partir des puissances contraires. Il ne s’agit pas seulement de compo-sition, mais aussi d’opposer les énergies. Aussi, le calligraphe, « est-il entraîné à apprécier, en ce qui

62. Florence Hu-Sterk, La Beauté autrement, Paris, You Feng, 2004, p. 34.

Guo Xi, Song du Nord, Début du printemps, rouleau vertical, encre et couleurs sur soie, 1072, Taipei, Musée national du Palais. Source : Florence Hu-Sterk, La Beauté autrement, Paris, You Feng, 2004, p. 37.

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Dans le symbole du Yin et du Yang, on note la présence d’une ligne courbe en forme de « S » séparant les deux parties. Cette ligne courbe permet au Yin de pénétrer dans le Yang et vice versa. Ce trait permet donc à la fois de délimiter deux espaces et de les faire s’interpénétrer dans une dynamique constante. Dans l’art pictural chinois, on retrouve également le principe du « S », notamment dans les paysages montagneux. « En adoptant cette com-position sinueuse, les peintres évoquent une nature en perpétuel changement. Cercle ouvert sans début ni fin, il incarne le rythme infini des saisons, les dix-mille formes naissent et se développent en métamorphoses infinies. » Source : Ibid.

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a)

b)

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« La représentation de la perspective en Orient est une attitude élargissant l’espace. Le point de vue du dessinateur n’est pas imposé. L’espace est aggrandi par l’axonométrie qui permet au vide intérieur d’apparaître. En Chine (b), la ligne d’horizon, à l’inverse de la perspective occidentale (a) sacralisée à la Renaissance, est placée derrière le specta- teur. » Source : Danielle Quarante, Élements de design industriel, Paris, Polytechnica, 2001, p. 166.

concerne les lignes, des qualités telles que puissance, souplesse, force endiguée, délicatesse exquise, délié, soin, le massif, l’âpreté, la réserve ou le laisser-aller ; en ce qui concerne les formes, il apprend à goûter l’harmonie, la proportion, le contraste, l’équi-libre, le long, le compact, et parfois même la beauté dans le négligé ou l’irrégularité. C’est ainsi que l’art de la calligraphie fournit une série complète de modèles du discernement artistique, que nous pouvons considérer comme les bases des notions chinoises de la beauté. »63 Ce sont autant de notions qui se distinguent de l’esprit rationnel occidental. La peinture chinoise a hérité de ces notions. Le vide et le plein, le détail et le suggéré et même l’emploi de la monochromie sont les équivalents de la cal-ligraphie. L’absence de perspective à point de fuite est aussi une caractéristique de la peinture chinoise. En effet, dans la peinture occidentale, le regard de l’artiste par rapport à la nature se situe à l’extérieur, c’est-à-dire, que son regard englobe le monde. Pour les peintres chinois, le regard de l’artiste fait parti du monde, le monde le contient. L’artiste se place en simple spectateur contemplatif qui retranscrit les forces de la nature. « Il semblerait que l’art occidental soit d’une inspiration plus passionnée, plus sensuelle, plus emplie du “moi” de l’artiste, alors que l’inspiration de l’art chinois est plus châtiée, plus sobre, plus en accord parfait avec la nature. »64

63. Lin Yutang, La Chine et les Chinois, Paris, Payot, 2003, p. 382.

64. Ibid., pp. 379-380.

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Page 150 : Table longue et étroite en santal rouge.Page 151 : Fauteuil en fleur jaune de fleur de poirier avec appui tête en forme de coiffe de mandarin.Source : Zhu Jia jin, Le Mobilier chinois, Époque Ming (1368-1644), Paris, Charles Moreau, 2006, pp. 41 et 152-153.

La conception du rôle de l’artiste étant différent entre l’Occident et la Chine, les valeurs esthétiques sont tout aussi distinctes. La spécificité de la beauté chinoise doit devenir une force qui permettra à la Chine de trouver la particularité nécessaire pour ses innovations futures et pour son design. La Chine doit aussi se réconcilier avec sa propre intelligence qui la caractérisait durant l’Antiquité et le Moyen Âge. Les inventions qu’elle a engendré sont les témoignages d’un esprit ingénieux et créatif. Elles sont le reflet d’un peuple curieux, qui aime les plai-sirs de la vie et qui, par conséquent, a développé sa technique pour se simplifier les tâches quotidiennes harassantes tout en allant à l’efficacité. Il ne s’agit pas d’être ingénieux pour augmenter la production, mais pour se soulager du labeur. Que ce soit la brouette, le harnais à cheval, la manivelle ou la transmission par courroie, il y a, parmi les découvertes chinoises, quantité d’éléments destinés à l’efficience, à l’éco-nomie de temps et d’énergie. Cet esprit astucieux et rusé est allié à une dextérité manuelle formant un ensemble que le chinois détermine par le mot 巧 qiao. Celui-ci englobe dans sa signification à la fois la notion d’adresse de la main et de l’esprit. Les Chinois ont toujours voué une admiration au travail manuel où l’intelligence de la main rencontre celle de l’esprit. On le perçoit dans les papiers découpés, les pliages ou les nœuds chinois. Au delà de simples décors et motifs, d’éléments festifs et folkloriques, ces traditions véhiculent surtout un esprit et un savoir-faire, une compréhension de la matière et de ses réactions, une perception des pleins et

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un passé à reconsidérer

des vides. Ce sont aussi les preuves d’un rapport empirique à la matière. Il ne s’agit pas de compter, de mesurer, ou de tracer un plan exact en prévision du résultat final. C’est au contraire, une expérience de la main avec le matériau, la conséquence d’un seul geste continu, d’un corps qui prend forme par une intervention minime, un pli, dessus-dessous, enlever, coincer, retourner. Le résultat est imaginé, changé en cours d’exécution, inattendu, réalisé en un mini-mum de moyen. La matière est mise en valeur par elle-même. Cet esprit de valorisation des matériaux s’observe aussi dans le mobilier de l’époque Ming (1368-1644). Destiné aux lettrés, les meubles Ming sont une transposition taoïste de la nature. En bois assemblé sans clou ni colle, d’une esthétique épu-rée suggérant la beauté du vide, ils magnifient la nature, laissent s’exprimer le matériau seul, instau-rent le calme et la sérénité indispensable au lettré. Ces meubles s’inscrivent à la fois dans une pensée technique ingénieuse et une pensée philosophique de la vie. Ils sont une parfaite représentation de l’intelligence chinoise, de son esprit et de son rap-port au monde. Aujourd’hui, le design chinois semble voué à la copie, d’un côté à cause du manque d’expé-rience des Chinois à la consommation, de l’autre à cause d’une tradition de la copie bien ancrée dans la société chinoise. Mais pour cette dernière, la copie n’est qu’une étape d’évolution, comme cela l’avait été auparavant pour l’industrie japonaise. Dès lors, il semble évident que la Chine sera capa- ble de dépasser le stade la copie pour parvenir à un

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autre âge, celui où elle « sera en mesure, outre ses capacités de production et de commercialisation, de développer de la création de valeur pour ses propres produits (conception/innovation/recherche). »65 On observe déjà les premiers pas vers cette indépen-dance dans une volonté gouvernementale d’ouvrir le domaine artistique et de soutenir la recherche en même temps qu’elle encourage le design à mon-ter en qualité. Le travail supplémentaire de la Chine consistera à faire un retour critique sur elle-même, sur son passé, afin d’en tirer, non pas des brides d’information pour déguiser les produits industriels, mais une véritable compréhension des savoir-faire perdus, du rapport au monde et à la matière, de l’élégance du geste et de la finesse d’esprit.

65. Marie-Pierre Gendarme, « Panorama de la propriété intellectuelle en Chine », in Mode de recherche, n°5, Centre de recherche de l’Institut français de la mode, janvier 2006.

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Durant l’Antiquité et le Moyen Âge, la civi- lisation chinoise a connu une période de stabilité grâce à son système bureaucratique. Celui-ci, fondé sur les lois confucéenne et taoïste, a permis à la Chine d’acquérir un savoir conséquent dans les sciences de la nature et de faire de nombreuses décou-vertes. Mais alors que ces inventions n’eurent aucun effet sur la structure de base de la société chinoise bureaucratique, à partir du XVIIe siècle, dès leur transmission en Europe, elles participèrent au bou-leversement du système occidental. Le développe-ment du capitalisme marchand s’empressa de faire fructifier les découvertes chinoises à son avantage et donna naissance à une nouvelle science, la science moderne, qui mènera l’Europe à la révolution indus- trielle. Dès lors, un écart continu ne cessera de se creuser entre l’Occident et la Chine : à mesure que

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l’un conquiert le monde, l’autre décline. En effet, forte de son nouveau pouvoir, l’Europe inflige des défaites consécutives au monde chinois, ne lui laissant aucune opportunité de se relever. Toutes les tenta-tives de modernisation sous occupations étrangères sont un échec. Face à l’humiliation, les Chinois se retournent contre le système qui les a toujours gouvernés. Le rejet du passé et de ses traditions s’accentuera jusqu’à provoquer la fin de l’empire en 1912 avec la chute du dernier empereur de la dynastie Qing, Aixinjueluo Puyi. Les communistes prennent alors le pouvoir avec à leur tête, leur chef idéologique Mao Zedong. La proclamation de la République populaire de Chine le 1er octobre 1949, annonce un nouveau moment dans l’histoire chinoise. Durant le régime maoïste, au lieu de la modernisa-tion espérée par le projet du Grand Bond en avant, la collectivisation agricole est un échec grave pour la société chinoise. La Révolution culturelle est un ultime déclin qui anéantit tous les vestiges du passé. À la mort de Mao, la Chine a connu un quart de siècle d’isolement. Elle a besoin de se reconstruire et les nouvelles réformes de Deng Xiaoping, suc-cesseur au pouvoir en 1979, vont dans ce sens. Il ouvre le pays au capitalisme tout en conservant les idéologies communistes, il instaure un nouveau système : le socialisme de marché. Depuis les années quatre-vingt, cette ouverture économique permet enfin à la Chine de connaître une modernisation. Chaque année, la croissance chinoise dépasse les 10 % grâce au développement du secteur industriel. La Chine est aujourd’hui le premier producteur au

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monde, on l’appelle même communément « l’usine du monde ». La Chine s’ouvre donc au marché mondial et prend une place dans le jeu international de la concurrence et de la loi du « tout économique ». Cependant, pour un pays qui n’a aucune tradition capitaliste, seule sa capacité à produire à faible coût fait d’elle un adversaire de premier plan. Pour l’Occident, la force concurrentielle est comprise également comme une recherche de valeur ajou-tée, et le design y a, pour cela, beaucoup participé. Quand l’augmentation des salaires et l’améliora-tion des conditions de travail ne feront plus de la Chine un rival aussi compétitif, la question d’un design chinois se posera inéluctablement. Dès lors, le design sera le moyen d’affirmer une identité chinoise dans le monde contemporain. La Chine ne sera alors plus restreinte à la question du dépasse-ment de la copie, mais à celle de trouver une ori-gine sur laquelle fondée une créativité. Aujourd’hui, la volonté politique soutient la création et met en place un contexte favorable à l’épanouissement du design : investissement dans l’enseignement, dans la recherche et le développement, ouverture progres-sive des secteurs artistiques et appel aux créatifs étrangers. Mais la création peut-elle se décider ou se décréter politiquement ? L’exemple du Japon démontre que le design est la cristallisation des caractères d’une culture. Ces caractéristiques peuvent être conflictuelles, paradoxales. L’histoire du design témoigne de cela. Pays contrefacteur dans les années cinquante,

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le Japon a su dépassé le stade de la copie et affir-mer une identité dans le monde contemporain grâce à la préservation de sa culture. La Chine, à l’inverse, a connu la Révolution culturelle, elle a vécu une rupture avec son passé. Elle est éloignée de sa culture qui existe mais qui est devenue pas-sive. Les designers chinois sont tenus à distance de la matière nécessaire à la création de leur projet. Le design met donc en lumière le mal-être de la société chinoise et de ses contradictions dans sa mondialisation. C’est pourquoi, son développement doit aussi être fondé sur la redécouverte de la richesse culturelle de la Chine et le retour sur un passé oublié après les années difficiles du XXe siècle. Avant que ce pays ne soit entièrement englouti par la société de consommation et le modèle occidental, il doit reconsidérer son passé et se le réapproprier. Une recherche des savoir-faire ancestraux pour-rait enrichir le design et participer à la définition d’une identité chinoise. En effet, de nombreuses caractéristiques de la culture chinoise diffère de façon « radicale » de l’Occident. Qu’il s’agisse de son approche de l’esthétisme centrée sur une recherche d’harmonie et d’équilibre inspirée des lois taoïstes, ou de sa vision particulière des tech-niques basées sur l’observation de la nature, ces principes ont accompagné le développement des sciences et de la culture chinoise. Ils peuvent être employés aujourd’hui pour conduire la Chine dans une dynamique d’innovation et de création. Même si des pans entiers de sa culture ont pu être détruits au fil des crises et des révolutions, l’esprit chinois

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est resté intact. Il est difficile à définir car les sup-ports d’expression ont disparu ou ont été substitué par d’autres cultures, il est resté longtemps « muet ». Le design, cette discipline servant à modeler les figures des sociétés en devenir, pourrait donc contri-buer au réveil de la Chine.

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bibliographie

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Merci à Marie-Haude de m’avoir suivi dans cet apprentissage avec rigueur et exigence.

Merci aux personnes interviewées de m’avoraccordé leur précieux temps.

Merci à Benny pour son enseignement à PolyU et pour tous ses conseils avisés.

Merci à Dgédgé et Cyrilou pour le goûter aux chiens chauds et leur implication dans la correction de ce mémoire.

Merci à Mai et Yunshan pour nos échanges et pour leur aide à Pékin et Shanghai.

Merci à Jan et Patrick pour le joli gâteau, pour leur générosité et pour toute la gentillesse de leur accueil à Hong Kong.

Merci à mes amis Flavia, Mathieu, Alice, Pierre-Louis, Sébastien, Elise, Odilon et Camille de m’avoir souvent écouté et soutenu.

Merci à Laoye (姥爷), Laolao (姥姥), Jiujiu (舅舅), Jiuma (舅妈), Yifu (姨夫) et Dayi (大姨) de m’avoir élevé et de toujours s’occuper de moi.

Merci à mes supers cousins d’être toujours mes fidèles frères, Gege (哥哥) et Zixuan (子轩).

Merci à ma super maman d’être ma super maman.

Et merci à wodechouxiaozi XiaoV... 5211314.

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