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Monsieur Éric Maigret Les trois héritages de Michel de Certeau. Un projet éclaté d'analyse de la modernité In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e année, N. 3, 2000. pp. 511-549. Citer ce document / Cite this document : Maigret Éric. Les trois héritages de Michel de Certeau. Un projet éclaté d'analyse de la modernité. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e année, N. 3, 2000. pp. 511-549. doi : 10.3406/ahess.2000.279861 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2000_num_55_3_279861

Le Trois Heritages de MIchel de Certeau

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Monsieur Éric Maigret

Les trois héritages de Michel de Certeau. Un projet éclatéd'analyse de la modernitéIn: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e année, N. 3, 2000. pp. 511-549.

Citer ce document / Cite this document :

Maigret Éric. Les trois héritages de Michel de Certeau. Un projet éclaté d'analyse de la modernité. In: Annales. Histoire,Sciences Sociales. 55e année, N. 3, 2000. pp. 511-549.

doi : 10.3406/ahess.2000.279861

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2000_num_55_3_279861

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AbstractThe three heritages of Michel de Certeau. The divided project of a theory of modernity.

The heritage of Michel de Certeau has been so much scattered in different fields of research, in socialsciences and in various countries that it is nearly impossible to think of an unity of his work. The historyof mystics, the epistemology of history, the socio-anthropology of religion, the sociology of culture, theCultural Studies, the research on media technologies, are now all impregnated with this concepts andresults but usually do not connect them together. This paper tries to reevaluate the multiple writings ofMichel de Certeau and some of their receptions in order to establish that there was no general theory ofmodernity in them but the methodological project of producing such a theory. This project began withthe study of mystics as a part of secularisation and with the study of secularisation as the invention of anindependant sphere of cultural practices. It postulated that epistemology could not at all be segmentedfrom empirical study, especially when the focus is on the popular (who talks when you talk about the"popular"?). It then introduced a new theory of beliefs and practices, and of the links between then,which could explain the different changes brought in modernity.

RésuméLes trois héritages de Michel de Certeau. Un projet éclaté d'analyse de la modernité (É. Maigret).

L'héritage de Michel de Certeau est à ce point dispersé dans des champs de recherche, des disciplineset des pays différents qu'il semble impossible de conférer une unité à son œuvre. L'histoire de lamystique, l'épistémologie de l'histoire, la socio-anthropologie des religions, la sociologie de la culture,les Cultural Studies, la recherche sur les nouvelles technologies, sont imprégnées de ses concepts etde ses résultats mais ne les relient pas entre eux. Cet article passe en revue les multiples écrits deMichel de Certeau et certaines de leurs réceptions afin de montrer qu'un projet d'analyse de lamodernité se dégageait d'eux. Ce projet débute avec l'étude de la mystique comme manifestation de lasécularisation et avec l'étude de la sécularisation comme invention d'un espace autonome de pratiquesculturelles. Il souligne que la dimension épistémologique ne peut être séparée de l'étude empirique,surtout dans le cas du « populaire » (qui décrète ce qu'est le « populaire » ?). Une nouvelle théorie descroyances et des pratiques, et des liens qui les unissent, complète un projet qui tente de cerner leschangements apportés par la modernité.

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LECTURES ET RECEPTIONS

D'UNE ŒUVRE

LES TROIS HERITAGES DE MICHEL DE CERTEAU

Un projet éclaté d'analyse de la modernité

Eric Maigret

L'œuvre de Michel de Certeau ne s'est pas imposée sans difficulté ni incompréhensions dans les sciences humaines*. Sa complexité méthodologique et sa très forte diversité apparente, en termes d'époques et de terrains étudiés, ont d'abord pu rebuter autant que les partis pris épistémologiques d'un auteur qui nourrissait constamment son travail d'une interrogation sur les limites de la modélisation au moment où, dans les années 1970, les pensées structurales dominaient l'espace scientifique. Son rayonnement s'est pourtant considérablement accru au cours des années 1980 et après la disparition de son auteur en 1986, avec la mise en place de dispositifs éditoriaux de plus en plus complets dans de nombreux pays et le développement d'une critique abondante couvrant ses divers objets. Cette critique se distingue elle-même par sa richesse et sa diversité, par sa dispersion aussi puisqu'elle aborde, entre autres domaines, Г epistemologie des sciences sociales, l'histoire des croyances, la mystique, le livre, les pratiques culturelles contemporaines, les médias populaires, les nouvelles technologies de l'information, la cognition. Elle dessine le portrait d'un auteur désormais reconnu mais éclaté — voire écartelé — entre de nombreux champs et orientations scientifiques. C'est le destin de toute œuvre importante que de produire sa propre dissémination, son propre épuisement dans les régions du savoir, les mêmes thèmes et concepts clés pouvant au final circuler de façons proches dans des milieux différents. Si l'influence des textes certa- liens s'est ainsi exercée différemment dans les multiples champs de recherche, provoquant des distorsions de lectures, elle a pu aussi aboutir à ce que soient posées encore et toujours les mêmes questions centrales, ce qu'un examen de ces lectures peut démontrer.

* Je remercie Luce Giard, Françoise Champion, Patrick Michel, Dominique Pasquier, Jacques Revel et tous les membres du laboratoire Communication et Politique pour leurs lectures critiques des différentes versions de cet article.

511 Annales HSS, mai-juin 2000, n° 3, pp. 511-549.

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LECTURES ET RECEPTIONS D'UNE ŒUVRE

Pourtant le processus de dissémination peut s'avérer particulièrement préjudiciable à une œuvre tant que son ambition d'ensemble n'a pas été jaugée et jugée en tant que telle. Or, cette ambition longtemps écartée pour cet auteur, parfois présumé volage et inconstant, existe bien. Pour un chercheur appartenant à une génération qui n'a pas connu Michel de Certeau et qui a choisi d'interroger son œuvre à partir des seules sciences sociales, elle se lit dans les derniers articles et ouvrages publiés, notamment dans les pages de L'invention du quotidien (publiée en 1980) qui constitue de ce point de vue (de ce point de vue seulement) l'œuvre la plus aboutie. Elle ne se réduit pas à l'affirmation d'une ou de plusieurs thèses mais à une volonté clairement affichée et ordonnée de se donner les moyens d'étudier la modernité dans sa pluralité comme nouvelle articulation historique de croires et de faires, uniquement saisissable dans une méthodologie respectueuse des pratiques quotidiennes. Les voyages d'espaces de recherche en espaces de recherche ne se sont pas faits aléatoirement sans qu'une unité de pensée ne soit progressivement visée. L'éclatement actuel de son héritage en trois grandes directions — Г epistemologie historique, la socio- anthropologie des religions, les théories de l'action et de la réception — éclaire une démarche qui tentait de les réunir de façon rigoureuse. Suivre ces trois directions, c'est tenter de renouer les fils qui se sont dénoués. Revenir ainsi sur une multiplicité de commentaires ne signifie pas chercher à présenter de façon exhaustive l'œuvre de Michel de Certeau et sa réception dans les sciences sociales (encore moins dans le champ de la théologie), mais analyser un projet inscrit dans cette œuvre et certaines des lectures les plus marquantes du point de vue de ce projet.

L'activité scientifique comme rapport à Valtérité

Comment est-il possible de s'intéresser en même temps à Ignace de Loyola, aux fondements théoriques de l'historiographie et aux lectrices de Nous Deux ? L'extraordinaire diversité des engagements théoriques et empiriques de Michel de Certeau déconcerte encore. Elle ne peut certainement se comprendre sans que soient évoqués la curiosité et le besoin de totalisation qui caractérisent les auteurs des grandes entreprises intellectuelles (dans ce cas totalisation n'est pas synonyme de systématisation mais d'universalité). Mais elle ne peut vraiment s'expliquer sans cet engagement premier dans une foi qui le conduit à entrer dans la Compagnie de Jésus, à fréquenter les textes de mystiques classiques (Jean- Joseph Surin, Pierre Favre) avant de leur consacrer plusieurs décennies de son existence dans un travail d'édition, de traduction et de commentaire. Cette expérience religieuse forgée au contact des mystiques peut mener au recueillement, à la contemplation, à la fidélité au corps et au discours de l'Église, à l'éloignement du travail scientifique également, mais elle peut être, à l'instar d'autres expériences sociales et morales intenses, la source d'un mouvement, d'une découverte massive de la singularité et de l'altérité, d'un refus des certitudes — comme elle en est, inextricablement, la manifestation. La

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croyance pour de Certeau était d'abord rejet d'une inscription dans un lieu particulier, y compris celui du jésuite ; elle se voulait aussi quête individuelle de l'autre qui ne peut se satisfaire longtemps de l'appartenance à une institution, à une Eglise, même si elle se disait toujours religieuse1. Le sentiment de distance à l'égard d'une institution qui fournit pourtant le vocabulaire de référence s'est trouvé renforcé par le constat de son déclin contemporain. Confronté à la difficulté de croire à une époque où le christianisme perd de son évidence, où les religions se révèlent simples de croyances, de Certeau a choisi d'associer à la sienne une réflexion permanente sur ce qui la constitue, une elucidation de ses conditions d'apparition et, dans une certaine mesure, de disparition. L'entrée dans l'exégèse, dans l'histoire de la mystique et dans l'histoire tout court, l'ouverture à la sociologie, à l'anthropologie, à la sémiotique et à la psychanalyse, sont la manifestation d'une perpétuelle remise en question devenue démarche scientifique. L'attention aiguë à la différence, à partir du moment où elle s'est appliquée au monde, s'est révélée être en affinité avec les exigences des sciences humaines, débouchant sur une exploration des processus sociaux de construction de l'autre et sur une déconstruction de la position du chercheur, de son implication dans l'objet qu'il étudie.

Après s'être mise au service des écrits et correspondances des mystiques, dans un minutieux effort de documentation et de contextualisation aujourd'hui salué (voir les recherches réunies par Luce Giard et Louis de Vaucelles (1995, 1996) sur l'histoire des jésuites, ou celles de Pierre-Antoine Fabre (1992) sur les Exercices spirituels de Ignace de Loyola), l'œuvre de Michel de Certeau se réclame en effet clairement du métier d'historien et aborde de front le problème de la production du savoir avec les textes réunis dans L'écriture de l'histoire (1975). Ceux-ci rappellent vigoureusement que l'acte interprétatif gît au cœur de l'activité scientifique puisque le travail de l'historien consiste à convoquer des absents par le biais de matériaux divers — archives et autres traces matérielles — qui fournissent l'illusion d'une immédiateté du passé mais non sa saisie. Ce que traduit d'abord le chercheur dans sa lecture des faits, c'est sa propre présence dans les objets qu'il utilise pour rendre compte du passé, ce que l'on nomme usuellement ses présupposés ou sa subjectivité, eux-mêmes liés à son positionnement social et institutionnel. Il n'y a pas de transparence du document, seulement une idéologie positiviste de cette transparence, et son emploi nécessite la mise en œuvre d'une méthodologie exigeante, d'une hygiène de la recherche, si l'on veut éviter la confluence des époques et des positions. Une « sociologie

1. Luce Giard (m J. Ahearne et alii, 1996, p. 151) rappelle que les textes mystiques qui avaient les faveurs de Michel de Certeau étaient ceux de « blessés », tenus en leur temps en marge de l'Église. De Certeau a souligné les incertitudes de sa foi, par exemple au cours de son entretien avec Jean-Marie Doménách (Certeau et Doménách, 1974, pp. 56 et 58) : « J'ose parler, je voudrais parler comme croyant, tout en sachant et en avouant l'infirmité de ma croyance ; [...] une intime gratitude nous attache à l'institution de qui nous avons reçu cette nouvelle, même si l'expérience de la foi, toujours mal vécue, décèle, dénonce et voudrait arracher tout ce qui, dans cette institution, cache le fragile et précieux message dont elle est porteuse. » Voir aussi La faiblesse de croire (1987).

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de l'historiographie2 » doit être pratiquée en permanence, comme une reflexivitě indispensable à renonciation d'un discours sur les individus et les sociétés.

Le terrain privilégié des mystiques et des croyances déviantes a tracé la voie d'un tel constat devenu aujourd'hui courant. Les « sorciers », les « possédés » ou ceux qui ont fait preuve d'un ascétisme sans faille ont généralement été au centre de tous les réductionnismes, accusés de toutes les pathologies mentales et sociales : leur vérité se trouve toujours ailleurs, dans quelque névrose ou psychose, ou dans l'effet d'une structure sociale. La méthodologie pratiquée dans La possession de Loudun (1970) et dans les premières publications sur l'histoire de la mystique à l'âge classique qui aboutiront à La fable mystique (1982) se donne pour but de dissiper ces postulats normatifs conditionnant la lecture de l'objet. L'« opération historiographique3 » est d'abord modestie, retenue4, c'est-à-dire écoute de toutes les paroles (dans ce cas celles des « possédés » ou des « ermites » à côté des paroles « officielles »), sans disqualification ni exclusivisme. Elle enregistre de plus l'inégalité entre ces paroles puisque certaines d'entre elles, celles des élites, s'imposent massivement dans le décodage des événements et des situations : ceux qui jugent, ceux qui classent, ceux qui écrivent sur les autres sont en position de supériorité en imposant leurs catégories d'analyse voire, souvent, le silence aux autres paroles. Dans le champ de l'action politique, de Certeau montre que la violence symbolique des classements sociaux peut non seulement obscurcir la vision du monde mais aussi servir la violence institutionnelle. La destruction des patois sous la Révolution française trouve ainsi sa justification dans la représentation dégradante d'un « peuple », d'une culture paysanne supposée primitive, immobile, immuable (Certeau, Julia et Revel, 1975). La position ethno- centrique des élites, y compris de ces élites particulières que forment les chercheurs, est également cernée et dénoncée avec les contradictions du concept de culture populaire, tel qu'il pouvait être utilisé notamment dans les travaux pionniers d'histoire de la lecture de Robert Mandrou, au cours des années 1960-1970. L'exhumation du passé des lecteurs populaires comme des sorciers mène souvent le chercheur à l'exhortation : la description d'un monde naïf, encensé ou victimise, paré de « la beauté du mort5 ». Le « populaire » est avant tout une catégorie instable, au service de ceux qui le fêtent ou le déplorent dans un mouvement alternativement populiste et misérabiliste, et non une réalité empirique.

Le statut même de l'enquête scientifique est en jeu dans ces études qui soulignent toute l'ambiguïté des techniques d'investigation, la difficulté de prendre en compte l'altérité et, finalement, le problème de l'écriture de

2. La formule est de Paul Ricœur, 1985, p. 216. 3. Selon le titre de la contribution à Faire de l'histoire (1974), reprise et modifiée dans

L'écriture de l'histoire. 4. Pour reprendre le terme de Philippe Boutry, 1988. 5. Article de 1970 écrit avec Dominique Julia et Jacques Revel, repris dans La culture au

pluriel en 1974 ; sur ce point, voir aussi La prise de parole, 1968, et L'absent de l'histoire, 1973.

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l'histoire. Puisque l'appréhension des faits et leur construction même comme faits sont de part en part guidées par les sources et les distances culturelles, la réponse du chercheur prend non seulement la forme d'une retenue ou d'une clarification des lieux d'où il parle et d'où les autres parlent ; elle passe aussi par la mise en œuvre d'une écriture. La production de l'historien s'appuie sur des régularités et des démonstrations, mais elle est de manière inséparable narration et représentation du passé par des moyens littéraires. Il est nécessaire de connaître les effets de la rhétorique car cette dernière peut piéger le savant comme ses lecteurs : la citation confère parfois un sceau artificiel d'authenticité, les figures de style masquent des engagements conceptuels... Pourtant, si le récit s'appuie sur des «effets de réel» (au sens de Barthes) qu'il faut prendre garde à ne pas confondre avec le réel, il ne peut être envisagé de façon purement négative, comme une déformation que les sciences exactes ignoreraient de leur côté. Il est le mode d'une expression temporaire de l'histoire : rien ne redonne les événements ou les moments en tant que tels, mais un processus continu de description et de narration par rectifications régulières, endogènes, permet de viser une réelle scientificité. La modélisation est au cœur de l'activité du savant qui travaille à la limite, par ajustements. Le récit, ajoute de Certeau, fournit aussi les moyens de contrecarrer ses excès, de désamorcer les points de vue qui le font pencher en faveur des élites. Une véritable politique des figures de style, des tropes, sert à déplacer en permanence l'objet de l'enquête, en évitant la substantialisation, en même temps qu'elle permet d'assumer l'inévitable dimension esthétique du discours.

En mettant l'accent sur l'acte de compréhension dans l'activité scientifique et en défendant une vision discursive de la discipline, de Certeau s'est immédiatement heurté aux traditions quantitatives qui dominaient la recherche historique au début des années 1970, ce qui explique une percée tardive de ses travaux dans ce champ. La recension de La possession de Loudun effectuée par Emmanuel Le Roy Ladurie (1973) est emblématique d'un tel rejet6. Dans un contexte où le structuralisme, dans sa diversité, servait de point d'ancrage à l'histoire sociale positive défendue par un Fernand Braudel, les mises en garde méthodologiques de Michel de Certeau avaient peu de résonance et pouvaient passer pour un «jargon » mal maîtrisé. L'influence de son travail historiographique s'est accrue avec l'éclipsé progressive de ce courant, comme le remarquent Dominique Julia7 ou Jacques Revel (1995). La complexité de son positionnement épistémolo- gique a alors été reconnue et a nourri progressivement les interrogations sur une discipline que d'autres penseurs ont bousculée à partir des années 1970 : Hay den White, Paul Veyne, Paul Ricœur, Carlo Ginzburg, Lawrence

6. Sur la réception initiale de de Certeau dans les milieux historiques, voir Martin, 1991. 7. Pour Dominique Julia, de Certeau s'inscrit au tournant du siècle « au cœur de nos

interrogations » {in Ahearne et alii, 1996). Voir aussi Julia, 1988, et le collectif dirigé par Boutier et Julia, 1995.

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Stone... L'importance accordée à la théorie de l'écriture8 est désormais indubitable, même si elle apparaît pour certains disproportionnée par rapport aux questions pratiques que doivent résoudre les historiens (Noiriel, 19969), ou si elle semble s'apparenter à un renoncement trop rapide à une histoire totale (Gauchet, 1999).

La place et le sens accordés au récit dans la restitution du passé sont parfois des indicateurs puissants de l'adoption de points de vue métaphysiques sur le réel, que la tension entre relativistes et réalistes décrit bien. Si le réalisme est la première victime des attaques contre le positivisme, l'attachement particulier de Michel de Certeau à l'objectif de scientificité10 l'a éloigné de la tentation du relativisme historique qui s'exprime clairement chez Paul Veyne11. Une telle tentation présente des dangers que la discussion des thèses révisionnistes illustre le plus crûment, le débat sur la construction de l'histoire pouvant être récupéré par ceux qui défendent les convictions les plus extrêmes en niant toute procédure de validation scientifique. Dans ce domaine, Pierre Vidal-Naquet (1987) a rappelé que l'on pouvait à la fois accepter l'idée d'une discursivité de l'histoire avec de Certeau et l'idée de procédures de vérification largement contrôlables. Face au problème du contact avec le réel, les solutions apportées par les uns et par les autres diffèrent : Hay den White, après avoir réduit l'histoire à une simple rhétorique, a proposé ensuite une dissociation entre un régime narratif, non positif mais indispensable, et un régime de faits indépendant du discours. Cette dissociation, étudiée par Roger Chartier (1998), n'existe pas chez de Certeau qui voit dans le discours un moyen de mettre en ordre le réel par approximations successives, par réduction des écarts entre les productions savantes et les faits (eux-mêmes construits). La science, dénoncée lorsqu'elle s'érige en vérité ou en «réel», est vue comme une activité de modélisation dont on testerait régulièrement la robustesse et le pouvoir explicatif par la réfutabilité ou la falsification. C'est bien le critère poppérien qui est évoqué, sans que cela manifeste une adhésion à la théorie d'ensemble d'un Popper jugé trop conquérant12. Ce dosage très particulier de confiance et de défiance envers la modélisation a valu à Michel de Certeau de s'attirer des reproches contradictoires. Paul Ricœur (1985, p. 216) s'est différencié d'une histoire jugée trop linéaire, trop mécanique, c'est-à-dire trop arrimée à des modèles sociologiques ne fournissant qu'une « ontologie négative du

8. La réhabilitation du récit comme « outil cognitif » est retracée dans le contexte français par Philippe Carrard, 1998.

9. Voir aussi l'entretien entre Roger Chartier et Gérard Noiriel, 1998. 10. « Le terme de scientifique, assez suspect dans l'ensemble des " sciences humaines " (où

il est remplacé par le terme d'analysé), ne l'est pas moins dans le champ des " sciences exactes " dans la mesure où il renverrait à des lois. On peut cependant définir par ce terme la possibilité d'établir un ensemble de règles permettant de "contrôler" des opérations proportionnées à la production d'objets déterminés. » (Certeau, 1984, p. 64).

11. Les textes historiographiques du début des années 1970 sont des réponses directes à Paul Veyne (comme la recension du livre publié par ce dernier en 1971, Comment on écrit l'histoire ; cf. Certeau, 1972).

12. Giard, 1990, p. xix. Voir aussi Ahearne (1995, pp. 34-37).

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passé » — à l'opposé selon lui d'une philosophie plus positive — , tout en décelant dans celle-ci une tendance à la survalorisation de l'altérité : la pratique de l'histoire s'appuie sur une pensée de la différence, en soi salutaire, mais qui tend à une « apologie de la différence ». De nombreux auteurs13 ont au contraire pris au pied de la lettre les passages très romancés de L'écriture de l'histoire assimilant l'historien à un « rôdeur14 », traduisant un attrait pour la marge, pour l'éparpillement, et semblant annoncer le déclin d'une histoire dénuée d'ambition d'ensemble, voire de rationalité. Le lent travail de construction et d'articulation de modèles peut évidemment passer pour un retrait, même s'il traduit un double mouvement très complexe pour une recherche à la fois plus humble et plus ambitieuse. L'appel à un examen permanent des instruments et des jeux d'échelles engagés dans l'enquête, revendiqué depuis le début des années 1990 par le courant français de la Nouvelle Histoire15, n'est que l'envers d'une volonté d'ouvrir et d'élargir par étapes l'espace de la rationalité. L'introduction de la réflexivité implique par exemple un déplacement du problème trop global du récit vers celui des usages de celui-ci. Retraçant le débat de l'Antiquité grecque jusqu'aux querelles récentes, Jacques Revel (1995 et 1996) observe que toutes les écoles historiques ont eu recours à des formes de narration, y compris à des formes masquées ou non revendiquées, pour ce qui est des écoles positives et des traditions quantitatives : rhétorique et genres rhétoriques, chronique, récit prétendument neutre de l'histoire positive, poétique du chiffre, biographie, enquête policière, histoire nationale... Il enregistre ainsi la pluralité des modes narratifs, y compris de ce mode scientifiquement très controversé qu'est la biographie16, comme autant de registres à la disposition de l'historien qui peut en expérimenter les apports et les limites17.

L'originalité des arguments mobilisés dans L'écriture de l'histoire ressort pleinement de leur opposition avec les réflexions épistémologiques de Michel Foucault (lui-même inspirateur des thèses de Paul Veyne). Les deux auteurs peuvent être cependant rapprochés, à une époque où la parole universitaire revendique largement un rôle subversif, « critique du savoir et du pouvoir, volonté de rendre la parole à l'exclu ou à l'autre, refus de la " tautologie du même " », comme le note Philippe Boutry (1988, p. 95).

13. La place de déconstructeur que lui accorde François Dosse dans son ouvrage de synthèse consacré au paysage intellectuel français des années 1970 est assez emblématique (Dosse, 1992).

14. Sur ces passages, voir Ahearne, 1995, p. 36. 15. Le « tournant critique » opéré dans Les Annales en 1988 et 1989 et dans des ouvrages

comme celui dirigé par Bernard Lepetit (1995) signifie un élargissement de l'histoire aux modèles économétriques, sociolinguistiques, littéraires, etc.

16. Sur ce point voir aussi Levi, 1989. 17. « Ce qui est en cause dans ces expérimentations — et dans bien d'autres aujour

d'hui — , ce n'est pas seulement, on le voit, la possibilité de rajeunir de vieilles formules historiographiques. C'est bien plutôt une reprise du récit comme ressource. Il y est conçu comme l'une des manières possibles de contribuer à construire et à éprouver une intelligibilité des objets que se donne l'historien, à nouveau inséparable de l'élaboration critique d'une interprétation » (Revel, 1995, p. 70).

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De ce point de vue, L'histoire de la folie (1961) et L'archéologie du savoir (1969) guident l'analyse à la fois dans la méfiance à l'égard des institutions panoptiques et dans l'idée que le savant n'a pas de prise ultime, «totalitaire », sur le réel. Mais il faut faire la part d'une époque et voir que là où Foucault raisonne en terme ďépistéme, de « système et condition anhisto- rique de l'histoire » (Boutry, 1988, p. 94) qui laisse peu de place aux actions et aux procédures empiriques face aux catégories abruptes dégagées par le philosophe, de Certeau raisonne de façon plus souple et heuristique en termes d'articulations, d'emplois et de réemplois de contenus et de faires. Il saisit ce qu'il nomme les « formalités » comme des configurations historiques de croyances et de pratiques qui se révèlent être chez lui les véritables unités d'analyse. Des croyances identiques, c'est-à-dire des contenus, n'ont pas nécessairement le même sens dans le temps (par exemple la conception du Dieu chrétien) parce qu'elles ne s'inscrivent plus dans les mêmes systèmes de croyances et/ou de pratiques ; des croyances nouvelles peuvent surgir à l'intérieur d'un système qui conserve toutes les apparences de l'immobilité. Par formalités, Michel de Certeau entend donc : « 1) Des processus de transition et des types de mobilité " cachés " à l'intérieur d'un système (ici religieux) qui pourtant se maintient objectivement ; 2) une articulation possible entre les principes investis dans la pratique et les théories qui s'élaborent dans la production "philosophique " ; 3) enfin, d'une manière plus générale, des relations entre des systèmes (momentanément ou pour longtemps) coexistants, non réductibles l'un à l'autre18. » Le concept de configuration19 annonce un certain ancrage systémique de l'analyse, alors que son utilisation signifie paradoxalement le passage progressif à une vision interactionniste de l'univers social et le rejet du flou d'une histoire des mentalités collectives. Le terme d'interactionnisme utilisé par la suite n'est pas revendiqué par Michel de Certeau qui exprime aussi une distance à l'égard des théories de l'individualisme méthodologique20, refusant toute vision atomistique du social et payant sa dette à l'égard d'un structuralisme alors dominant. Mais ses travaux s'appuient sur une vision accordant aux individus des rationalités complexes, parfois contradictoires, dans le cadre de relations de pouvoir ; ils supposent que le changement social autant que la permanence sont au fondement des activités humaines : les hommes, tous les hommes, s'affairent à la reproduction des structures et à leur subversion, il n'y a jamais unité d'une période. Le déplacement du regard de l'historien vers ces objets primaires que sont les croyances et les pratiques a une conséquence de taille : l'histoire ne peut se penser sans recours ou fusion avec les autres sciences sociales puisqu'elle doit s'appuyer sur une anthropologie du croire et sur une anthropologie du faire encore à

18. Certeau, 1984, p. 154. 19. Pour Roger Chartier, ce concept est à rapprocher des constructions méthodologiques de

certains sociologues, Norbert Elias par exemple. 20. Voir Certeau, 1990, pp. xxxv-xxxvi. Le terme d'interactionnisme est utilisé dans

L'invention du quotidien en même temps que sont citées comme références l'ethnométhodologie et la sociolinguistique (Certeau, 1990, p. xlii).

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développer — au sens d'une description méthodique des capacités humaines exprimées dans l'histoire. À ce double objectif ont répondu des travaux pluridisciplinaires, couvrant des terrains et des époques très variés.

Les transformations historiques du croire

L'anthropologie du croire voulue par Michel de Certeau, quoiqu' engagée bien avant son anthropologie du faire, est demeurée fragmentaire et toujours en projet — faute de temps dans l'élaboration d'une œuvre tardivement formulée21 et signe, peut-être, d'une difficulté à clarifier jusqu'au bout son propre positionnement, son lieu d'origine. Son développement répond à une nécessité entrevue progressivement au cours du travail de recherche sur l'époque moderne, au moment où de Certeau parvient à la conclusion que l'histoire récente du religieux^ en Occident est celle d'un processus quasi continu de désagrégation des Églises, de déclin de leur puissance matérielle et, surtout, de leur pouvoir de dire le monde pour les fidèles. Le xvne siècle est vu dans deux textes importants repris dans L'écriture de l'histoire (chapitre ni et chapitre iv), comme la période charnière durant laquelle des divorces fondamentaux, bien connus des sociologues et des historiens, se produisent entre morale, politique, économie et religion. Le passage d'une organisation religieuse à une éthique politique ou économique signale un désenchâssement, pour reprendre le terme de Polanyi, du monde de l'intérêt et du pouvoir institutionnel, une autonomisation de systèmes autrefois tissés ensemble. Si le discours religieux couvrait jusque-là l'univers des croyances et des comportements en ordonnant leurs rapports, y compris les plus conflictuels, il ne gère plus l'altérité par ses contradictions (1984, p. 157) : la théologie n'enferme plus le monde. Michel de Certeau (1984, p. 131) choisit, par tropisme, de retracer ce processus à partir de l'histoire religieuse, elle-même « envisagée d'abord à partir de ce qu'on appelle la " vie spirituelle " ». Il montre que la déchristianisation, avant de prendre ses formes récentes (crise de la fonction sacerdotale et chute de la fréquentation des Églises), s'accomplit au sein de l'espace religieux dans les figures solidaires de l'athéisme (rejet actif de la croyance), de la sorcellerie (affirmation d'une croyance déviante) et de la mystique (refus quasi désespéré de destruction de l'ancien cosmos sacré), qui signifient toutes une sortie de l'ordre ancien. << Ces trois phénomènes synchrones traduisent également le fait que les Églises deviennent inaptes à pourvoir de références intégratives la vie sociale. Divisées entre elles et en elles-mêmes, elles se localisent» (1984, p. 161). Ici encore, c'est la fable mystique qui est au centre de la démonstration la plus longue. Dans l'ouvrage du même titre, Michel de Certeau tente d'établir les conditions sociales d'émergence d'un mouvement qu'il voit

21. De Certeau est historien de formation, son œuvre a certainement connu le même déroulement que tous ceux de sa génération (comme me le précise Luce Giard, son travail sur Surin peut être considéré comme sa thèse). Mais son œuvre sociologique et anthropologique n'a vraiment été formulée qu'à la cinquantaine.

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s'épanouir entre le XIIe et le xvnf siècle. Sa thèse est que cette mystique doit être pensée comme « formation historique », c'est-à-dire non comme l'expression d'une expérience émotionnelle invariable mais comme un certain type de réponse, dans un contexte précis, à une situation de désarroi de la croyance. Elle surgit dans le vide de la récession religieuse en lui opposant une quête de l'Un. Le langage de ces marginaux de l'Église que sont à l'époque les mystiques est historiquement réactif et s'appuie sur des techniques visant la capture de l'altérité des sentiments et des objets du monde par des techniques stylistiques (Г oxymoron ou le barbarisme) et par leur réintégration dans une essence qui n'est finalement plus théologique mais poétique. Il est sans avenir car sans approbation des clercs et sans affinité avec la modernité qui se met en place. Bientôt étouffé par la parole et surtout par les écrits des professionnels de la croyance qui rigidifient les dogmes et les cultes après le concile de Latran, afin de bloquer toute dérive du christianisme, il ne peut par ailleurs trouver sa place dans les sociétés contemporaines qui expulsent les quêtes ontologiques. Pourtant, sa grandeur est aussi de surgir comme une « figure épistémologique », comme un type de récit que seule la psychanalyse serait capable de retrouver aujourd'hui, ouvrant sur une vérité à son insu, contrairement aux autres récits qui ne s'expliquent pas eux-mêmes22.

Le lien s'est définitivement défait entre institutions, croyances et pratiques — un lien qui était toujours accommodement et tension — et une pluralisation des types de croires s'effectue sans que le croire soit expulsé du monde. Les tentatives de reconquête de la société par les Églises ne manquent pas mais ne freinent pas le processus : elles l'expriment dans sa nudité. La multiplication des actes de vantardise, les représentations iconographiques « propagandistes » de plus en plus nombreuses et la politique du culte menée à partir du xvne siècle, chargée de redonner de la cohérence à la foi en l'ancrant dans les pratiques, trahissent en fait le manque d'assurance des Églises et leur rabaissement à un ordre partiel luttant pour sa survie. Politisation et folklorisation des pratiques religieuses semblent l'issue d'une évolution défavorable aux organisations qui revendiquent leur gestion. Du point de vue des hiérarchies sociales, il apparaît de plus en plus clair que les masses sont en mesure de revendiquer une plus grande autonomie de leurs croyances et de leurs comportements face aux élites, alors que ces dernières se divisent dans leurs rapports au croyable. Cette rupture fondamentale, fondatrice des sociétés démocratiques, explique qu'il est nécessaire de rechercher dans des instances nouvelles les espaces d'expression du symbolique. Un jeu de transfert du croire religieux au pôle politique, puis au pôle des loisirs, s'est mis en place au cours du temps. L'État et les idéologies partisanes semblent prendre tout d'abord le relais des théologies avant que le monde du divertissement ne s'octroie ce privilège. Ce constat est confirmé dans L'invention du quotidien (« le croire s'épuise. Ou

22. Le récit savant se contente de « performer » et n'atteint pas la vérité, même s'il apporte le savoir, alors que la fable joue avec la vérité dont elle est porteuse (cf. les explications données dans Quéré et Certeau, 1983).

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bien il se réfugie du côté des médias et des loisirs » (1990, p. 263) et, bien avant, dans Le christianisme éclaté (1974)23. Dans ce dialogue fameux avec Jean-Marie Doménách, Michel de Certeau prend position comme chrétien mais continue de raisonner avant tout en historien en se proposant d'analyser la trajectoire récente du christianisme. La croyance n'est plus profondément ancrée aujourd'hui dans des groupes et dans des comportements, spécifiques, elle se décolle à la fois de la vieille maison, « désaffectée », et des conduites familiales, sexuelles, politiques, morales. En retour, des mouvements de réemploi du fonds chrétien se multiplient sur le mode culturel ou ludique. « Chez les croyants, le langage religieux se raréfie, alors qu'il prolifère ailleurs. Les croyants parlent de justice ou de libération, alors que la référence au diable, à Jésus ou au pape reparaît de toutes parts dans la vie publique et sur le théâtre des mass media, mais sans adhésion au christianisme » (Certeau et Doménách, 1974, p. 10).

Les formes et l'intensité de la croyance varient donc à une époque donnée et au cours du temps, elles s'appliquent à des objets parfois identiques, parfois différents. Le glissement du substantif au verbe (de la croyance au croire) est chargé de souligner l'abandon d'une modélisation au profit de la seule référence chrétienne, qui pourrait obérer la réflexion en universalisant un donné historique, ainsi que de la distinction entre religieux et non-religieux. Car le propre de l'époque contemporaine est de produire du croire sans institutionnalisation religieuse (sans Eglise) et sans correspondance systématique avec des pratiques. Le but n'est pas de plonger dans un grand ensemble indistinct ces croires et ces faires mais de souligner qu'une anthropologie se doit d'étudier ces phénomènes de la même façon, avec la même attention. S'il émet plusieurs hypothèses assez vagues sur l'avenir du religieux24, Michel de Certeau exprime une théorie cohérente du phénomène. Le religieux n'était pas dans les croires (modes de croyance), ni dans les crus (contenus des croyances), mais dans les articulations entre les deux, dans les formalités qui les produisaient ensemble en les reliant en outre aux conduites. La déchristianisation n'est donc pas nécessairement épuisement du croire mais elle est bien sortie du religieux. Le phénomène invite à étudier les nouvelles manifestations du croire et la logique actuelle des pratiques, notamment populaires, aujourd'hui largement autonomisées, sans les amalgamer au religieux ou à un ersatz du religieux.

Les Églises, voire les religions, seraient non des unités référentielles, mais des variantes sociales dans les rapports possibles entre du croire et

23. Pour les autres éléments d'une anthropologie historique du croire, voir notamment Certeau, 1983 et 1993. Sur ce point, voir Panier, 1991.

24. Sont tour à tour passées en revue l'hypothèse de la reformation de petites communautés émotionnelles face à « l'uniformisation bureaucratique » (Certeau et Doménách, 1974, p. 30), celle de la disparition du religieux (« il se peut que le christianisme ou, plus généralement, la religion soit seulement une figure historique des grands problèmes de l'homme en société, et que d'autres lui succèdent aujourd'hui », Certeau et Doménách, 1974, p. 74) et celle du moine itinérant. Mais de Certeau souligne bien que «rien jusqu'ici ne [lui] a paru pouvoir remplacer ce qu'[il] a découvert grâce à l'Évangile » (Certeau et Doménách, 1974, p. 77).

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du cru ; elles auraient été des configurations (et manipulations) historiques particulières des relations que peuvent entretenir les modalités (formelles) du croire et du savoir avec les séries (quasi lexicales) des contenus disponibles. Aujourd'hui, le croire et le savoir se distribuent autrement que dans les religions de jadis ; le croire ne modalise plus le cru selon les mêmes règles ; enfin les objets à croire ou à savoir, leur mode de définition, leur statut et leur stock se sont en grande partie renouvelés. Aussi ne peut-on isoler et inscrire dans une continuité deux constellations de « croyances » en retenant seulement, de l'une et de l'autre, le fait commun d'un Belief, élément supposé invariable25.

L'appartenance à une institution religieuse n'est pas incompatible avec une recherche scientifique mais elle expose à des réinterprétations en fonction d'elle. La réflexion sur les rapports entre la mystique et la modernité a reçu un accueil favorable des spécialistes (voir par exemple Daniel Vidal, 1984) et des revues universitaires religieuses (ainsi dans la revue Études l'article de Petitdemange, 1986). Des travaux portant sur la biographie du croyant ont éclairé son parcours religieux (voir le collectif dirigé par Luce Giard, 1988) en revendiquant parfois son statut de penseur chrétien (le collectif dirigé par le théologien dominicain Claude Geffré, 1997). Mais cette réflexion a pu faire l'objet, avec la réflexion sur le christianisme contemporain, de critiques laïques ou religieuses soupçonnant l'inféodation au jésuitisme et la visée apologétique26. D'autres à l'inverse, notamment des critiques romaines, ont pu se révéler assez peu satisfaites du constat de déclin frappant l'Église27. Les distorsions de lectures ont pour partie leur source dans les textes. Dans un compte rendu de La fable mystique, Françoise Champion a bien souligné les ambiguïtés d'un livre écartelé entre une analyse scientifique et une aspiration spirituelle. Michel de Certeau développe une impressionnante mise en perspective historique de la mystique classique sans toujours cacher son admiration pour elle. Utilisant largement la technique du récit et une écriture inspirée des acteurs qu'il étudie (ainsi que d'une psychanalyse confondue avec une activité de pure énonciation28), pour rendre la parole à ces derniers, l'historien manifeste une franche sympathie pour cette mystique érigée en « formation historique » mais confondue parfois avec une position existentielle jugée supérieure :

Par son style d'une grande séduction, et par son recours au genre littéraire M. de Certeau nous fait sentir le mouvement de cette quête qui

25. Certeau, 1990, p. 269. Voir sur ce point les précisions déjà apportées dans L'écriture de l'histoire (Certeau, 1984, pp. 128-129 et pp. 171-172).

26. Au cours même de son dialogue avec Jean-Marie Doménách, Michel de Certeau s'attire les remarques de son contradicteur lui reprochant son obsession du concept de différence dans la définition du christianisme.

27. Dominique Julia explique ainsi le faible impact de cet auteur en Italie (in Ahearne et alii, 1996, pp. 134-135).

28. Le rapport à la psychanalyse serait à reconsidérer à partir de Histoire et psychanalyse entre science et fiction (Certeau, 1987). Le lien mystique/psychanalyse est une importante piste de réception de Michel de Certeau en France (voir Cravetto, 1999).

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mène toujours ailleurs. À ce mouvement qui, à la fois, l'enivre et l'amarre, il donne une valeur absolue. Il est évident que pour lui la mystique n'est pas simplement « figure » susceptible d'accompagner le réexamen de la modernité mais qu'elle est l'inspiratrice du meilleur de notre monde actuel29.

Françoise Champion observe que la transformation de la psychanalyse en activité d'énonciation est abusive puisque cette discipline n'a pas seulement une vocation quasi ontologique à dire le moi mais qu'elle sert aussi un exercice pédagogique, positif. Elle relève par ailleurs l'existence de présupposés anti-modernistes dans certains textes — la dénonciation du productivisme, de l'appareil étatique, de l'individualisme — aux résonances marxistes et foucaldiennes. Or, si notre époque apparaît peu favorable à la constitution de grands récits religieux, nous dit-elle, elle n'en reste pas moins riche de quêtes du sens. Sur ce point, il est d'ailleurs nécessaire de préciser que L'invention du quotidien apporte une rectification d'importance.

L'analyse de la transformation historique du croire a servi de support en France à l'épanouissement d'une recherche dans ce secteur, à côté et en relation avec les efforts entrepris au sein du Groupe de sociologie des religions du CNRS. Elle rejoint au fond le courant des théories de la sécularisation mais elle est abordée par l'entrée peu choisie de la mystique, sans référence régulière à la sociologie anglo-saxonne pourtant connue (celle de Wilson, Martin, Berger, Bellah...) et sans recourir à Max Weber (à l'égard duquel une distance est exprimée — Certeau, 1984, p. 193). Son influence se mesure au défi que peut représenter pour les historiens et les sociologues des religions, dans un secteur de recherche décléricalisé mais encore peu déconfessionnalisé30, le constat d'une disparition de leur objet d'étude ou de sa transformation en patrimoine31, constat exprimé de surcroît par un croyant peu enclin à verser dans une thèse naïve de la sécularisation (sécularisation signifie fin des croyances) ou dans un rejet d'une modernité vide de sens (sauf dans certains textes). Dans un contexte historique de plus en plus marqué depuis la fin des années 1970 par un apparent « retour du religieux », elle se mesure également au défi de penser les courants intégralistes à la recherche d'une nouvelle alliance politique-religion et de qualifier les insaisissables nouveaux croires. De nombreuses enquêtes quantitatives et qualitatives ont affiné la connaissance des imaginaires contemporains, faisant apparaître la décomposition des systèmes religieux institutionnels, la concurrence de nouvelles formes de croyances et les essais de combinaisons avec les croyances traditionnelles. Ces études sont encore peu reliées aux travaux sur les modalités du croire comme compétences ou activités rationnelles32, connexion qui permettrait que se mette en place une socio-histoire des entrelacements du croire et de la distance, de

29. Champion, 1984, p. 202. 30. Selon la remarque de Jean Delumeau (1996) qui observe aussi malicieusement que la

déchristianisation s'est accompagnée d'une démultiplication et non d'une diminution des effectifs des chercheurs dans ce champ.

31. Voir Bœspflug, Dunand et Willaime, 1996. 32. Voir Boureau, 1991.

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la reflexivitě dans l'implication au travers de contenus toujours changeants, prolongeant les écrits pionniers de Paul Veyne (1983)33. Elles fournissent néanmoins des résultats importants car elles concluent pour la plupart à la montée du probabilisme, du pluralisme et du relativisme dans les croyances ainsi qu'au développement de valeurs individualistes prédatrices de l'idée d'autorité, confirmant largement les intuitions de Michel de Certeau. La sociologie des sectes et des nouveaux courants mystiques et ésotériques montre que ce que l'on nomme « nouveaux mouvements religieux » n'échappe pas à la logique d'individualisation des croyances et ne constitue souvent qu'un pas supplémentaire dans la décomposition du religieux (Champion, 1993). La situation ainsi décrite ne condamne pas les croyances ancrées dans les Eglises car « des institutions peuvent fonctionner au pluralisme et se nourrir du relatif pour définir un nouvel espace du croyable » (Willaime, 1993, p. 15), comme le prouvent la montée des radicalismes islamiques, catholiques, juifs, ou le dynamisme religieux des pays européens de l'Est durant les années 1980, traduisant des volontés d'instrumentaliser un politique défaillant ou contesté dans des sociétés qui ne sont pas nécessairement de plus en plus religieuses.

Le débat sur le caractère historique du religieux et sur son avenir, alimenté en particulier par Le désenchantement du monde de Marcel Gauchet (1985), a été retraduit en termes certaliens par Daniele Hervieu-Léger (1985) dans La religion pour mémoire (1993)34. Revenant sur le problème de la définition du religieux, retour rendu indispensable par l'idée d'une dissémination des croires contemporains dans les multiples sphères d'existence, cet ouvrage veut se différencier des analyses substantives ou fonctionnelles du religieux en le concevant comme une modalité du croire parmi de nombreuses autres. Un indicateur, ou plutôt un témoin, doit permettre de dégager une large gamme de comportements religieux usuellement qualifiés de profanes : la tradition, le mot signifiant ici référence à une « mémoire autorisée », appelle à une légitimité fondatrice. Il reste du religieux dans les sociétés occidentales après l'éclatement du christianisme contemporain, au-delà des radicalismes et des sectes qui, à partir de la fin des années 1980, ont pu laisser penser de façon illusoire à un massif « retour du religieux » contredisant la thèse du déclin. Il inclut non seulement les éléments morcelés des religions instituées mais aussi les nouvelles et incessantes productions de la modernité s 'inscrivant dans des traditions : lignées politiques, sportives, etc. Ce faisant, l'ouvrage inverse partiellement le raisonnement certalien en acceptant l'idée d'une recomposition du croire mais pas celle d'une perte du religieux, ce qui implique une réévaluation de l'idée même de sécularisation et l'assimilation du religieux à un élément transversal du social.

Interrogeant lui aussi la « nouvelle économie du croire » mais à partir des bouleversements intervenus dans les pays de l'Europe de l'Est, en

33. Voir cependant le collectif dirigé par Jean-Paul Willaime (1993) sur ces points, et id., le résumé (1995).

34. Voir aussi Hervieu-Léger, 1987 et 1999.

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particulier en Pologne, Patrick Michel (1993 et 1994) parvient à des conclusions plus proches des écrits sur les « transits du croire35 », qui soulignent les échanges historiques entre les crédibilités religieuses et politiques dans une dynamique d'individualisation des croyances (à terme fatale à la production religieuse). Les va-et-vient de sens entre les pôles religieux et politique illustrent la logique d'un effondrement progressif des grandes institutions face aux exigences des individus. Le conflit entre l'État, instance laïque ayant mobilisé l'idée de sacré après avoir proclamé la fin du religieux, et l'Église, instance religieuse qui a servi de refuge aux oppositions spirituelles et politiques, a pu faire croire à une relance d'un processus religieux mais il a finalement créé à l'Est une situation proche de celle de l'Ouest. L'effondrement du communisme, autrement dit la victoire de l'Église, a produit un désenchantement du politique dans un pays où l'idéologie d'État semblait faire office de religion, sans entraîner un renouveau du religieux. Ce dernier a vu son effacement retardé par un marxisme sacralisé, redonnant des armes à l'ennemi qu'il cherchait à éradiquer sur son terrain. Une fois la Pologne désoviétisée, l'Église catholique s'est heurtée aux contradictions que connaissent les Églises occidentales : la difficulté de « répondre à une demande de sens autrement que par la production de normes, ce qui va à l'encontre de ce pourquoi on la requiert36 ». Michel inscrit cette problématique socio-politique dans une problématique plus large, celle de la description d'un monde structurellement séculier : le propre des sociétés modernes est le développement d'un individualisme hostile aux normes mais sans cesse en quête de sens dans les différents espaces qui s'offrent aux conduites et aux pensées. Cette question du rapport entre désagrégation des institutions « totales », autonomisation des pratiques et itinéraires laïques de sens, abordée par Michel de Certeau, est en fait celle du « quotidien » dans nos sociétés.

Les pratiques comme arts de faire

Une polémologie du faible

L'invention du quotidien est un essai à multiples entrées mais clairement articulé autour de la question de ce que Michel de Certeau nomme — entre autres synonymes — les « opérations des usagers, usages, manières ou arts de faire » et que d'autres désignent simplement du terme de « pratiques ». Sa lente et, par certains côtés, surprenante genèse chez un historien jésuite d'abord préoccupé par l'étude de la mystique à l'âge classique, peut être trouvée, on l'a vu, dans une volonté de comprendre l'époque contemporaine et les pratiques dont elle est le cadre, après avoir observé la mutation et le déclin du religieux au sein de sociétés occidentales de plus en plus tournées vers les loisirs et la consommation (l'effervescence de mai 1968 joua ici

35. Notamment le chapitre хш de L'invention du quotidien : « Crédibilités politiques ». 36. Michel, 1993, p. 229.

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comme un révélateur). Elle se repère dans la critique antérieure du concept de culture populaire, concept accusé de véhiculer les préjugés ethnocen- triques de ceux qui le constituent (savants, politiques), dans la lecture des travaux sur la vie quotidienne de Henry Lefebvre et, surtout, dans celle de La culture du pauvre de Richard Hoggart37, ouvrage appliquant aux mondes ouvriers contemporains le regard généreux de l'ethnologie dès les années 1950 (notamment sur le problème du rapport à la « culture de masse » véhiculée par les magazines). Les articles réunis dans La culture au pluriel (197 r4) faisaient déjà le constat de la grande variété sociale des expériences culturelles, sans souci de hiérarchisation des pratiques (ces contributions ont inspiré la méthodologie des premières enquêtes sur les pratiques des Français effectuées par le ministère de la Culture au cours des années 197038). L'ambition de Michel de Certeau, au-delà d'un désir de documentation très fine des nouvelles formes de comportement, est d'instaurer une rupture fondatrice par rapport aux pensées déterministes qui expliquent les actions des individus par les structures qui les produisent, et par rapport aux pensées de l'aliénation qui les expliquent par les structures qui les répriment. Le livre prend souvent la forme d'une charge passionnée, écrite dans un style virevoltant, parsemée d'intuitions, de métaphores et de raccourcis qui peuvent en obscurcir la compréhension. En se donnant un tel objectif il ne peut manquer de confronter sa conception des pratiques à celles de Bourdieu et de Foucault. Au philosophe, qui l'a clairement impressionné et influencé, il est désormais reproché l'idée que les individus et leurs actions demeurent sous la coupe d'institutions « panoptiques », « carcérales », les contrôlant et les disciplinant comme la prison est supposée le faire des prisonniers, institutions auxquelles on ne pourrait opposer qu'une résistance dérisoire, interstitielle, dont Foucault, dans un remords, ne concédait l'existence que dans ses derniers travaux sur les « technologies disséminées » et que de Certeau pour sa part valorise. Au sociologue, pourtant crédité d'un projet ambitieux et convaincant de théorisation des comportements, il est reproché une « docte ignorance » des pratiques intelligentes des acteurs sociaux et un refus volontaire de constater la plus grande variété des situations et des actes. Le temps et l'apprentissage sont certes introduits dans l'analyse afin de rendre compte de la genèse des pratiques et de la relation entre ces dernières et les structures, ce qui interdit d'assimiler la théorie de l'habitas à un déterminisme vulgaire. Mais la machine « habitas » écrase les « particularités ethnographiques » et se transforme en une « réalité mystique » (Certeau, 1990, pp. 85 et 94), réalité supposée et circulaire : aux structures dégagées par l'analyse correspond un principe de production des pratiques (l'habitas), qui ramènent finalement par leur accomplissement aux structures39.

37. L'ouvrage de 1957 a été traduit en 1970 en France avec une préface fameuse de Jean- Claude Passeron dégageant les catégories de « consommation nonchalante » et de « lecture oblique », certainement très suggestives pour celles de « ruses » et de « tactiques ».

38. Suivant le constat exprimé par Mayol, in Ahearne et alii, 1996, p. 140. 39. Cette remarque sur la circularité de la réflexion de Bourdieu se rapproche de celle

effectuée par Jon Elster à peu près au même moment (Elster, 1986).

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Si l'on veut comprendre comment les individus vivent dans les sociétés marchandes, ouvertes à la consommation matérielle et symbolique généralisée grâce aux médias, il faut se détacher d'une vision appauvrissante des consommateurs de biens et de sens, « supposés voués à la passivité et à la discipline40 », et réhabiliter leurs pratiques que l'on amalgame souvent dans une « culture populaire », avec tout ce que cette expression peut avoir de dégradant pour ceux qui en sont les pratiquants supposés. La description des pratiques quotidiennes (habiter, circuler, parler, lire, faire le marché ou la cuisine41) qui sont aussi souvent celles des « faibles », des « dominés », c'est-à-dire de ceux qui ne sont pas auteurs ou producteurs, doit permettre d'inventorier les décalages entre les productions d'images et leurs usages — qui sont eux-mêmes de nouvelles productions. Pour l'ouvrier en usine, pour le marcheur en ville ou pour le lecteur, il n'existe pas d'imposition par le haut d'une logique totalitaire des pratiques à laquelle se conformer, celle d'un « lieu » : l'organisation industrielle, l'architecture ou le texte. Il n'existe pas non plus de « loi du milieu » (social) qui explique simplement les comportements ou permette de les déduire comme Г habitas serait susceptible de le faire. À chaque fois, des ruses, des coups, des figures, des tours, qui sont autant de retournements de sens opérés par les individus, viennent rappeler que le sens littéral, imposé, n'est pas le sens reçu, retravaillé, et qu'il n'implique pas une mise en conformité avec un devoir ou un acquis. La « polémologie du faible » que Michel de Certeau (1990, p. 63) s'efforce de caractériser consiste en une succession d'actes de résistance, de détournement et de transformation dont les figures emblématiques sont pour cet auteur la perruque en usine, la marche dans la ville et l'errance du lecteur dans les textes qu'il n'a pas écrits. Elle est directement inspirée de la théorie freudienne des mots d'esprit, de la métis grecque décrite par Vernant et Détienne, de la philosophie wittgensteinienne du langage ordinaire (Giard, 1990). Le point de départ de la réflexion certalienne est donc une réflexion anhistorique sur la créativité des pratiques, sur les « immémoriales intelligences » des hommes, de tous les hommes, sur leurs capacités à déjouer ou à tourner un pouvoir, qui trouveraient peut-être leur origine dans les premiers instincts animaux (Certeau, 1990, p. xlvii). Mais cette réflexion se double d'une seconde, historique cette fois, sur le caractère de plus en plus conflictuel de la relation entre producteurs et consommateurs de sens dans les sociétés occidentales depuis l'affaiblissement des autorités religieuses : la disjonction serait de plus en plus accentuée entre les autorités et ceux qui les subissent, la marge d'interprétation de plus en plus importante.

Dans ce processus, les médias joueraient un rôle essentiel ; ils seraient des lieux à partir desquels chacun se penserait sans être seulement pensé. L'exemple de la lecture, entendue en son sens le plus large42, est central ;

40. Certeau, 1990, p. xxxv. 41. Page 65. Sur les cultures culinaires et spatiales voir le deuxième tome de L'invention

du quotidien, rédigé surtout par Luce Giard et Pierre Mayol (Certeau, Giard et Mayol, 1980). 42. « Un point de départ s'imposait parce qu'il est le foyer exorbité de la culture contemporaine et de sa consommation : la lecture. De la télé au journal, de la publicité à toutes les

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un chapitre entier lui est consacré (« Lire : un braconnage ») qui est l'occasion pour Michel de Certeau d'affirmer, contre ce qu'il nomme l'« idéologie de l'information par le livre », c'est-à-dire l'idée d'une influence positive ou négative par le texte, l'« impertinente absence » de l'individu. Les médias ne produisent pas la société, ils ne la modèlent pas. À l'image du lecteur passif, assimilant les textes, devenant semblables à eux, de Certeau oppose celle d'un lecteur actif, s 'appropriant ou se réappropriant le sens. Il utilise un jeu de métaphores chargées de faire comprendre la complexité des relations entretenues avec les textes. Les lecteurs sont des « braconniers » qui chassent sur les terres idéologiques de propriétaires — les auteurs, les institutions scolaires — qui leur sont hiérarchiquement supérieurs. Ils esquivent par leur braconnage la loi des « lieux » comme celle du milieu social auquel ils demeurent pourtant attachés (Certeau, 1990, p. 252). Une dichotomie entre stratégies et tactiques, reprise en partie de Clausewitz43, est élaborée pour distinguer les actions des producteurs et des consommateurs. Les stratégies sont les opérations effectuées par les puissants, comptant sur l'imposition d'une lecture littérale, les tactiques, celles mises en œuvre par les dépossédés, toujours mobiles et incapables de former une base permanente de culture.

Les stratégies sont donc des actions qui, grâce au postulat d'un lieu de pouvoir (la propriété d'un propre), élaborent des lieux théoriques (systèmes et discours totalisants) capables d'articuler un ensemble de lieux physiques où les forces sont réparties. [...] Les tactiques sont des procédures qui valent par la pertinence qu'elles donnent au temps — aux circonstances que l'instant précis d'une intervention transforme en situation favorable, à la rapidité des mouvements qui changent l'organisation de l'espace, aux relations entre moments successifs d'un « coup ». [...] Les stratégies misent sur la résistance que l'établissement d'un lieu offre à l'usure du temps ; les tactiques misent sur une habile utilisation du temps, des occasions qu'il présente et aussi des jeux qu'il introduit dans les fondations d'un pouvoir44.

Les braconniers sont aussi des « nomades », ils ont accès à des registres divers de compétences et à des lieux différents, ils vont de textes en textes, on ne peut les ramener, les constituer à partir de certains de leurs choix, même s'ils ont des préférences. Ils se laissent piéger par les idéologies dans lesquelles ils transitent et dont ils tirent plaisir, mais ils réussissent des « coups », ravissent « les biens d'Egypte pour en jouir » (Certeau, 1990, p. 251). Par ces actes de résistance poétique, ces arts de faire avec, « chacun fait son produit à lui, différent, incohérent, superbe45 ». Cette théorie, en résumé, n'est pas une théorie de la lecture inadaptée, qui supposerait un

epiphanies marchandes, notre société cancérise la vue, mesure toute réalité à sa capacité de montrer ou de se montrer et mue les communications en voyages de l'œil » (Certeau, 1990, p. XLin).

43. L'opposition stratégies-tactiques est déjà explicitée dans La culture au pluriel (cf. Giard, 1993).

44. Certeau, 1990, pp. 62-63. 45. Certeau, 1979, p. 26. Texte préparant L'invention du quotidien.

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sens en soi des textes mais une théorie de l'appropriation. L'interprétation déviante, reprochée par exemple par les institutions scolaires ou par une élite qui n'acceptent pas les idiosyncrasies et les hérésies, est simplement un itinéraire rendu possible par la polysémie des textes : « Le lecteur est le producteur de jardins qui miniaturisent et collationnent un monde. [...] Barthes lit Proust dans le texte de Stendhal ; le téléspectateur lit le paysage de son enfance dans le reportage d'actualité46. »

La réception d'un essai

L'invention du quotidien a eu un impact considérable sur l'ensemble des sciences humaines en offrant, avec d'autres ouvrages majeurs des années 1980, une alternative au marxisme, au structuralisme et à leurs croisements, sans toujours s'inscrire en rupture avec leurs apports. Elle a exercé une influence directe sur l'analyse du croire contemporain, sur l'histoire empirique française — ainsi celle du monde ouvrier étudiée par Michelle Perrot (1988) — et, de plus en plus, anglo-saxonne et brésilienne, dans le champ des études dites « post-colonialistes47 ». Il n'est guère surprenant de constater son emploi dans les travaux sur la théorie de l'action ou dans ceux sur les processus cognitifs. Si la référence au marxisme a gêné son appropriation par l'individualisme méthodologique, la critique de l'habitus n'a pas empêché son utilisation par des auteurs attachés au dialogue avec l'œuvre de Bourdieu (Lahire, 1998) et, surtout, par tous les auteurs étudiant les « raisons pratiques » dans un échange entre philosophie analytique et sociologie empirique. Les tactiques de la vie quotidienne enrichissent la querelle sur les logiques de l'action parce qu'elles peuvent être présentées comme une description non utilitariste des interactions sociales, à l'instar des modélisations de Goffman ou de Garfinkel (Cefaï, 1996). Elles s'offrent comme un registre d'intentions auxquelles est conférée une valeur politique mais sans qu'un projet conscient ou unitaire ne soit reconnu. Dès lors, elles apparaissent éclairantes sur certaines procédures de la vie quotidienne ne nécessitant pas un savoir objectif48, tout en négligeant les visées et les capacités critiques des acteurs qui peuvent développer de réelles stratégies dans le quotidien49. Dans un échange pénétrant avec Michel de Certeau, Louis Quéré avait déjà souligné le tournant que sa pensée faisait prendre à la réflexion sur le social tout en critiquant « une vision quelque peu atomistique et une conception assez militaire de la rationalité de la science et du pouvoir »50 : pourquoi faudrait-il nier que « la ruse relève encore de

46. Certeau, 1990, pp. 250-251. 47. Parmi les premières recherches mentionnant de Certeau, voir celles publiées dans la

revue Representations, 3, hiver 1991. 48. Ainsi la relation avec les automates de la SNCF, selon l'exemple étudié par Marc

Breviglieri, 1997. 49. Nicolas Auray montre que les hackers en informatique sont capables de militantisme

d'usagers (Auray, 1997). 50. Quéré et Certeau, 1983, p. 80. Voir aussi les remarques sur l'agir dans Quéré, 1990.

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l'action stratégique, au sens wébérien d'action rationnelle par rapport à une fin » ?

Pourtant, c'est certainement dans le domaine de la recherche en communication que ce livre a eu pour le moment le plus grand retentissement, domaine que son auteur avouait avec modestie ne pas maîtriser. Cette remarque, émise dans L'ordinaire de la communication (1983), n'est bien sûr que très partiellement vraie. Michel de Certeau connaissait certains secteurs de la communication qu'il a d'ailleurs contribué à minorer, les théories sémiotiques51 ou les analyses systémiques dont il avait décelé la tendance à réduire les individus aux discours ou aux systèmes. Il était moins informé des développements spécifiques sur les médias, mises à part les recherches sur la lecture qu'il a bouleversées. La description des lecteurs dans les Arts de faire s'inspire pour partie des travaux de Barthes, de l'école de Constance (Jauss), de l'histoire et de la théorie de la lecture (Furet et Ozouf, Charle), des statistiques sur les pratiques culturelles, mais en soulignant les logiques individuelles impliquées dans l'acte de lire. Elle a rencontré une recherche pluridisciplinaire qui s'éloignait des cadres sémiotiques, de la sociocri tique, de la lecture littéraire centrée sur le texte (Michel Picard, Jacques Leenhardt), de l'étude de l'illettrisme et d'une appréciation quantitative des lecteurs (Jean-Claude Passeron), c'est-à-dire de toutes les formes rappelant la dépendance directe ou scientifique des publics aux institutions (école, État, littérature consacrée, appareil statistique), pour se tourner vers les usages empiriques, abordés au moyen d'études qualitatives52. Dans le secteur des médias électroniques, de Certeau se référait à des auteurs qui n'avaient pas nécessairement sa vision des publics. Son positionnement original et sa fréquentation des chercheurs marxistes ont favorisé en retour la mue d'une recherche française longtemps très critique (au sens adornien du terme), comme en attestent les références positives opérées par Armand et Michèle Mattelard (1995) ou le livre de Louis Quéré (1982) qui a joué un rôle majeur dans ce processus au début des années 1980.

La publication des Arts de faire en France, puis aux États-Unis dès 198453, a coïncidé avec le renouveau des recherches portant sur les publics dits populaires et sur les publics des médias dits de masse. Certaines de ses conclusions rejoignent celles de nombreux travaux empiriques menés avant ou depuis cette époque54. Pour beaucoup, Michel de Certeau a su redessiner ce que l'on pourrait nommer le triangle du processus de réception. Au premier côté de ce triangle, on trouve l'idée que la réception des

51. De Certeau fréquentait les séminaires d'Urbino et ceux de Greimas, comme le rappelle Luce Giard, 1990, p. iv.

52. Cf. le collectif dirigé par Martine Poulain, 1988, ou celui dirigé par Bernadette Sei- bel, 1995.

53. The Practice of Everyday Life (traduction Steven Randall), Berkeley-Londres, University of California Press, 1984. Des textes circulaient déjà aux États-Unis quelques années auparavant (« On the Oppositional Practices of Everyday Life », Social Text, 3, 1980, pp. 3-43).

54. Voir le numéro de la revue Hermès (Dayan, 1992) consacré à la notion de public.

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contenus médiatiques est généralement fragmentée et assez inattendue. Les médias ne produisent pas de messages univoques ; s 'imposant uniformément ils sont repris, interprétés et réinsérés dans des contextes sociaux : rien ne permet de déterminer a priori les usages et les interprétations des textes. Ainsi, dans le domaine de la télévision, de nombreuses enquêtes ont-elles montré que la série télévisée Dallas était « lue » à chaque fois différemment en Algérie, en Israël, aux Pays-Bas, en Allemagne ou aux États-Unis55. Mais, et c'est le second côté du triangle, si les interprétations des textes changent avec les groupes et les individus, elles ne sont pas sans rapport avec les parcours sociaux de ces mêmes groupes et individus, et ne sont ni aléatoires ni inconsistantes logiquement. Les rapports aux médias sont structurés par les appartenances des individus, qui ne cherchent à faire sens avec eux qu'à partir de leurs propres expériences. Les individus ne s'éloignent pas de leurs inscriptions sociales, ils ne sont pas délogés des traditions qui les constituent et qu'ils constituent. Dallas renvoie pour des groupes arabes ou juifs marocains à une certaine image d'eux-mêmes, ou de ce qu'ils pensent être ou avoir été leur modèle familial, centré sur un patriarche et régi par des coutumes traditionnelles, alors que ce feuilleton évoque une image différente pour les téléspectateurs allemands, hollandais, américains, japonais, à comprendre chaque fois en fonction des ressources culturelles dont disposent ces groupes pour déchiffrer, aménager et confirmer leur propre identité. Pourtant, les goûts, les consommations, les usages et les réceptions ne s'impliquent pas mécaniquement, c'est le troisième côté du triangle. On ne gagne rien à remplacer la détermination directe des lectures par une idéologie dominante par une autre détermination imposée par les allégeances sociales, sexuelles, religieuses, territoriales, etc. Les individus consomment de nombreux médias, y compris, pour les enfants, ceux qu'ils sont censés ne pas connaître56, qui ne correspondent pas obligatoirement à leurs goûts supposés. Les attentes et les hasards des rencontres sont à ce point divers que des textes identiques circulent dans des milieux sociaux différents et font l'objet d'usages variés. Shakespeare est très présent dans les théâtres populaires américains au XIXe siècle57, le programme télévisé le plus regardé par les enfants est très souvent le journal télévisé, les gros lecteurs de romans font aussi partie des téléspectateurs les plus assidus. Rien n'assigne définitivement le lecteur à ses lectures, celui-ci navigue d'un média à l'autre, d'un texte à l'autre. Les contenus des médias sont en partie contradictoires et les réponses des publics aussi.

55. Voir Ang, 1989 ; Liebes et Katz, 1990 et 1992. 56. Pour Joshua Meyrowitz, l'une des particularités de notre époque est que les univers

d'expérience ne cloisonnent plus les identités de manière aussi forte que par le passé. La télévision offre aux femmes, aux enfants, aux personnes de couleur, un regard extérieur sur leur propre condition sans interrompre les routines quotidiennes comme le repassage, le travail, etc. Ce faisant, elle contribue à leur affirmation : les enfants sont sans cesse confrontés à des questions d'adultes, ils vont dans les coulisses des rôles qu'ils peuvent mieux comprendre et contester (Meyrowitz, 1985).

57. Voir l'étude classique de Levine, 1988.

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Appropriation, braconnage et nomadisme dans les sociétés médiatiques

L'invention du quotidien est devenue elle-même un bon exemple de texte polysémique, interprété selon des traditions divergentes dans l'analyse des comportements des lecteurs et téléspectateurs — comportements sur lesquels nous allons nous arrêter parce qu'ils peuvent illustrer les problèmes de cognition, d'interprétation et d'action dans des sociétés complexes et culturellement hiérarchisées. Les notions d'appropriation/braconnage, de lieu, de nomadisme, renvoyant aux trois points étudiés ci-dessus : respectivement l'absence d'effet hégémonique centralisé et unifié des textes, le maintien des idéologies et des appartenances et l'impossibilité de déduire directement les lecteurs de leurs lectures, ont été reliées à des positions théoriques spécifiques. Il faut distinguer en premier lieu les Cultural Studies américaines, en raison de l'usage massif qu'elles ont fait de ce livre et qui, avec John Fiske et Iain Chambers58, ont retenu en priorité pour les lecteurs les connotations nomadiques, actives, résistantes, d'un essai qui ne veut pas assimiler les tactiques à des simulacres culturels de dépossédés. Dans le paysage universitaire de la fin des années 1980, la défense certalienne du quotidien est en fait devenue une référence centrale pour une nouvelle génération de chercheurs spécialistes de littérature ou d'art mais familiers des grands médias audiovisuels depuis leur enfance, influencés par le marxisme mais sensibles au reflux des thèses sur l'aliénation des récepteurs59. Fiske a mis à leur disposition le vocabulaire héroïque de l'historien français dans une série de travaux qui soulignent à la fois les contraintes de goûts et d'usages que subissent les consommateurs et leurs multiples capacités d'utilisation et de réutilisation des contenus, leur « créativité », en rappelant que des programmes télévisés, des textes, des chansons peuvent faire l'objet d'appropriations très différentes : Madonna répond aux critères de la pin- up pour garçons lecteurs de Playboy, mais elle est aussi, pour les jeunes filles, celle qui sait manipuler les garçons, donc leur redonner une prééminence ; la country music sert à la fois des valeurs patriarcales, réactionnaires, et un souci de reconnaissance du local ; la série télévisée L'Agence tous risques, considérée par les adultes comme violente, apparaît inoffensive aux enfants de 7-8 ans qui craignent au contraire le réalisme des informations télévisées... Ce qui intéresse avant tout Fiske, c'est de montrer que la culture populaire se caractérise par sa fluidité et sa diversité, qu'elle peut se constituer en résistance à l'égard des pouvoirs centraux (les femmes face au pouvoir patriarcal, le local face au national, les enfants face aux adultes), et qu'elle peut opérer une stylisation, une esthétisation de l'existence. Braconner dans le quotidien c'est faire avec ce dont on dispose, comme le note Michel de Certeau, construire du sens à partir d'éléments très disparates tressés en un seul tissu : une radio, des programmes télévisés, des magazines,

58. Les références directes à de Certeau peuvent être trouvées dans Fiske, 1989 (a et b), 1992 et 1993. Voir également Fiske, 1987 et 1991 ; Chambers, 1986.

59. Sur l'histoire des diverses branches des Cultural Studies et leurs rapports aux thématiques marxistes, voir notamment Brantlinger, 1990, Harris, 1992 et Davies, 1995.

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des photographies encadrées, des fleurs artificielles composent un intérieur modeste. Braconner dans les contenus des médias, c'est développer de minuscules tactiques — préférer tel ou tel personnage, aimer avant tout les productions nationales ou étrangères, lire à partir de sa communauté d'appartenance, féminine, masculine ou gay — ou révéler de réelles aptitudes à contrer certaines des significations délivrées par les médias — lire à rebrousse-poil, inverser la morale de l'histoire comme les jeunes admiratrices de Madonna. Le nomadisme renvoie pour sa part à cette aptitude qu'ont les individus de se nourrir de textes hétérogènes, contradictoires, et, réciproquement, à cette faculté qu'ont les textes de générer des communautés d'interprétations différentes.

Dans le droit fil des travaux de Fiske, ceux de Henry Jenkins appliquent la métaphore du braconnage (dans Textual Poachers que l'on pourrait traduire par Les braconniers du sens) à des minorités actives de fans, notamment à des communautés féminines adeptes de science-fiction. Ces femmes sont passionnées par la série télévisée Star Trek et effectuent un usage très surprenant des contenus proposés par les séries : elles rédigent des romans pornographiques à usage interne à la communauté, présentant les personnages masculins de la série comme homosexuels. Leurs activités démontrent tout d'abord que la ligne de démarcation établie par Michel de Certeau entre consommateurs et producteurs de sens peut souvent être gommée, de même que celle entre tactique et stratégie. Elles soulignent d'autre part le pouvoir des récepteurs et leur besoin d'adapter les contenus à leurs exigences. Loin d'être lesbiennes, ces fans réintroduisent dans une série codée « masculine », centrée sur des héros virils, des éléments féminins puisque les personnages ont une relation homosexuelle fondée sur la douceur, la tendresse60. Ce type d'effet de retournement avait clairement été mis en évidence dans un ouvrage fameux de Janice Radway (1984), antérieur aux recherches de Fiske et Jenkins, dans lequel cette dernière montrait que des lectrices de romans Harlequin, issues de milieux moyens, pouvaient exprimer une révolte sociale en concentrant leur attention sur la féminisation du personnage masculin qui, au départ, avait tous les traits d'un homme machiste, dur, insensible.

La valorisation unilatérale des consommations « populaires » — Fiske revendique son statut d'amateur de médias populaires, Jenkins sa propre implication dans la communauté de fans de Star Trek61 — a représenté un basculement d'une position misérabiliste et holiste (les consommations révèlent la pauvreté et la passivité des pratiques populaires) à une position populiste et individualiste (les tactiques sont des actes poétiques de résistance). Avant le déferlement de la vague culturaliste américaine, Janice Radway, comme tant d'autres spécialistes de la culture pour lesquels communication de masse signifie aliénation, voit dans les pratiques de résistance de ses lectrices un effet de la domination qu'elles subissent, une

60. Sur cette communauté, voir aussi les travaux de Penley, 1991 et 1992, et Bacon- smith, 1992.

61. Avant de revendiquer par la suite sa propre bisexualité (Jenkins, 1996).

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évasion illusoire. Dans une nouvelle préface à son ouvrage, et dans un article consacré à Michel de Certeau, elle parle de charge utopique, de changement social, d'impossibilité de cerner les publics, de nomadisme généralisé62. Les lectrices font plus que reproduire les structures sociales en s 'évadant par le roman, elles explorent des possibles. Appliquées au terrain des médias audiovisuels contemporains, les remarques de Michel de Certeau ont conforté dans les pays anglo-saxons (ainsi que nord-européens) une recherche qualitative menée par entretiens et observations participantes, fournissant une information remarquable de richesse et de pertinence sur le quotidien de millions d'hommes et de femmes ainsi que sur les pratiques de minorités culturelles63. Mais elles ont petit à petit conforté chez certains un parti pris essayiste et une esthétique « pop » ou « postmoderne » — habit neuf de l'esthétisme littéraire traditionnel — où il n'est plus question que de liberté individuelle, de subversion par la culture populaire. Dans ce contexte le braconnage est devenu un simple fétiche, un synonyme de contestation pour des élites universitaires récemment converties aux médias de masse, confondant socialisme, féminisme, anticolonialisme et vie quotidienne des publics, autrement dit leurs intérêts, leurs goûts et ceux du « peuple ».

Les membres des Cultural Studies britanniques qui, au cours des années 1970-1980, ont largement contribué à relancer la réflexion sur la réception et qui ont influencé la formation du mouvement américain, n'ont pas été insensibles aux charmes de la vision certalienne du quotidien. Par bien des côtés la description des phénomènes d'appropriation est similaire à celle des phénomènes de négociation des messages effectuée par un Stuart Hall (1994) ou un David Morley (1992) qui enrichit elle-même la théorie lazarsfeldienne des filtres cognitifs et la psychologie, en ajoutant la dimension de pouvoir qui lui faisait défaut et en en soustrayant le psychologisme sous-jacent64. David Morley n'hésite pas à citer Michel de Certeau dans les recherches qu'il effectue avec Roger Silverstone (1990) sur l'usage de la télévision dans l'espace domestique, ce dernier étant de plus l'auteur d'un article élogieux sur L'invention du quotidien. La notion même de «résistance » est employée dans les travaux britanniques depuis les années 1970 et les études sur les cultures musicales et vestimentaires adolescentes65. La plupart des auteurs britanniques ne partagent cependant pas l'optimisme

62. Radway, 1988 et 1992. Dans le même domaine de recherche, celui de la littérature féminine à l'eau de rose, les travaux de Tania Modleski sont parmi les plus proches de la thèse adornienne de la dépossession par la culture industrielle (Modleski, 1982).

63. La recherche post-colonialiste pose pour partie les mêmes problèmes que celle produite par les Cultural Studies, en présentant la tendance à verser dans un populisme peu contrôlé. Mais elle bénéficie elle aussi des effets d'une libération par rapport aux perspectives trop critiques (ici les courants historiques européocentristes).

64. De Certeau rapproche lui-même les « arts de faire " des procédures d'interactions quotidiennes relatives à des structures ď expectation, de négociation et d'improvisation propres au langage ordinaire " » présentées par l'ethnométhodologie et la sociolinguistique (Certeau, 1990, p. xlii).

65. Voir en particulier Hall et Jefferson, 1976, et Hebdige, 1979.

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d'un Fiske ou d'un Chambers et demeurent attachés à l'idée que le texte et l'appartenance sociale — les lieux et milieux certaliens — modèlent les réponses aux médias, la résistance aux contenus étant rare et une dimension même de l'identité sociale des récepteurs66. Condamnant à la fois les courants déterministes qu'ils ont contribué à réduire et les nouveaux courants indéterministes qui se sont nourris d'eux, ces auteurs développent depuis lors un discours qui peut être lu dans les deux sens. David Morley (1992) considère finalement que Michel de Certeau, en évoquant la hiérarchie des propriétaires de terres et des braconniers, a d'abord voulu parler de l'inégale distribution des ressources culturelles et symboliques dans les sociétés et se demande si un retour à Bourdieu ne s'impose pas. Stuart Hall (1992), qui reproche aux culturalistes américains leur manque de rigueur intellectuelle et leur esthétisme, est aussi celui qui, dans une courte préface d'un ouvrage de David Morley, a rédigé ces phrases sur la complexité du phénomène « réception », aujourd'hui largement reprises et entonnées :

Nous sommes tous dans nos têtes plusieurs publics à la fois, et nous pouvons être constitués comme tels par différents programmes. Nous avons la capacité de déployer différents niveaux et modes d'attention, de mobiliser différentes compétences lorsque nous regardons la télévision67.

Ces remarques ne vont pas en fait au-delà d'un pur constat empirique mais elles sont facilement réappropriables par une idéologie de la fluidité, de l'inconsistance. Si nous sommes à ce point multiples, que dire de pertinent sur nous-mêmes qui ne se perde dans le brouhaha d'un discours sur la complexité ?

La sociologie française des cultures populaires et de la réception, avec Claude Grignon et Jean-Claude Passeron (1989), a repris le constat d'une intelligence des pratiques paysannes et ouvrières qu'elle a opposé à la vision dégradante de ces derniers dans la sociologie de l'habitus, mais elle s'est méfiée d'une certaine « empoétisation de la vie ordinaire » {ibid., p. 185) que le livre de Michel de Certeau véhicule, dérivant vers une sorte de populisme esthétique68. Pour Grignon et Passeron, surtout attachés à la mise en œuvre d'une epistemologie qui permette de définir l'attitude du chercheur face à des objets aussi dévalués que les consommations alimentaires, les cultures adolescentes ou de métier69, il faut rappeler en permanence

66. Morley et Hall demeurent attachés non seulement à l'idée de détermination sociale des lectures mais aussi à celle de lecture « préférentielle » ou « hégémonique » imposée par le texte.

67. Hall, 1986, p. 10. 68. Cette critique est fondée mais se révèle assez injuste à l'égard de Michel de Certeau

puisqu'elle ne prend pas en compte l'historique même des efforts déployés par ce dernier pour établir une epistemologie face au problème de la compréhension du « populaire ». L'ouvrage sur la destruction des patois est cité et donné en exemple par Grignon et Passeron dans leur propre quête d'une telle epistemologie, mais les recherches menant à L'invention du quotidien sont trop rapidement classées dans la catégorie « populisme », alors qu'elles sont aussi dans la continuité de La beauté du mort et de La Révolution française et les patois.

69. Il est à noter que ces auteurs ne parlent pas des utilisateurs des médias audiovisuels dans leur ouvrage parce qu'ils ne considèrent pas comme « populaire » la culture qui s'y rattache (il faudrait dire les cultures).

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que les pratiques populaires se définissent en creux, par la dépossession qu'elles manifestent, même si elles demeurent bien « culturelles », rappeler aussi que la résistance active à un message représente un cas de figure peu fréquent : « Les terrains de l'insoumission sont plus vastes que ceux de la révolte70. » Cette critique épistémologique émane également de membres des Cultural Studies australiennes qui ont dénoncé les déformations que les auteurs américains ont fait subir au texte de Michel de Certeau. Meaghan Morris (1990 et 1992) parle de la banalité des conclusions tirées de sa lecture : affirmer que les gens et les textes qu'ils utilisent sont complexes et contradictoires relève de la pure tautologie. Elle reproche aussi à de Certeau des présupposés très masculins sur la définition de l'Autre, catégorie réunissant pêle-mêle Noirs, primitifs, femmes, enfants, peuple, et les dichotomies exagérées qui circulent dans L'invention du quotidien entre les pratiques de l'élite et celles du peuple. John Frow (1987, 1991 et 1995) systématise cette critique en montrant que de Certeau demeure très dépendant de la vision foucaldienne du pouvoir, son modèle de domination étant bipolaire et monolithique : on a le pouvoir ou on ne Га pas, on fait partie d'une élite ou d'une masse opprimée. Les figures de résistance détectées par Michel de Certeau sont extrapolées de luttes politiques menées par la « plèbe » paysanne ou par l'ouvrier en usine, exemples chers à cet auteur. Les appliquer aux utilisateurs de médias contemporains, qui appartiennent aux fractions populaires, intermédiaires et supérieures de la société, est abusif. De Certeau aurait ainsi tendance à se contenter de procéder par métaphores et équivalences sans produire de véritable modèle des pratiques. Dans son propre tableau des pratiques contemporaines, Frow est pour sa part très hésitant. Bien que très opposé à la vision mécaniste de l'habitus, il ne peut s'empêcher de constater que les goûts renforcent les stratifications sociales, que « la distinction est l'affaire première de la culture71 » tout en soutenant que la culture est aujourd'hui polycentrique, que les hiérarchies ne sont plus stables et que la corrélation entre les positions sociales et les pratiques culturelles sont lâches. Double constat qui est encore celui de l'école historique française qui, avec les analyses de Roger Chartier (1988, 1989 et 1996) sur les pratiques de lecture, a fourni des illustrations surprenantes de la circulation dans des milieux sociaux différents de textes identiques (ceux publiés dans le cadre de la Bibliothèque Bleue, « le plus puissant des instruments de l'acculturation écrite dans la France de l'Ancien Régime72 »). Disposant d'une preuve intéressante de la plasticité des goûts et des dispositifs sociaux et éditoriaux, qui ne remonte pas aux années 1970-1990 comme de nombreux auteurs semblent le penser, Chartier n'a pas pour autant choisi de valoriser l'idée d'indétermination. Il s'est efforcé très rapidement de réinscrire celle d'appropriation dans la théorie de l'habitus, de renvoyer l'acte de braconnage non pas à l'expression d'une puissance indépendante, constituée en contre-pouvoir face à un pouvoir totalitaire,

70. Passeron, in Grignon et Passeron, 1989, pp. 80-81. 71. Frow, 1995, p. 85. 72. Chartier, 1996, p. 144.

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mais à un positionnement social : « L'appropriation telle que nous l'entendons vise une histoire sociale des usages et des interprétations, rapportés à leurs déterminations fondamentales et inscrits dans les pratiques spécifiques qui les produisent73. » Une convergence se dessine donc entre ces dernières approches qui plaident toutes en faveur d'une resociologisation de la réception. Il est à noter, pour ne pas exagérer les oppositions, que John Fiske, qui apparaît être le plus proche d'un anarchisme théorique, revendique pourtant une filiation à Bourdieu dans certains travaux et un désir de concilier les apports de cet auteur (l'idée d'intérêt et de positionnement social des goûts) et ceux de Michel de Certeau74. On le voit, les faits de réception doivent être désormais décomposés et agencés dans une théorie qui explique à la fois le poids des appartenances sociales et la complexité empirique des pratiques, la constellation des goûts et les bary centres spécifiques, la multiplicité des capacités cognitives critiques et leur inscription sociale, le nomadisme comme éclectisme ou comme effet de contrainte... Le besoin d'une telle théorie augmente à mesure que se rejoue la pièce des faiblesses et des pouvoirs des utilisateurs avec la diffusion des machines à communiquer. Le développement de la recherche sur les « nouveaux » médias électroniques (en particulier internet) est l'occasion d'une redécouverte de Michel de Certeau (ainsi la socio-politique des usages défendue par Vitalis, 1994) qui, à l'instar de celle sur les médias traditionnels, a souvent tendance à faire des technologies un objet homogène, compact, et des industries qui les produisent de nouvelles entités démoniaques, enfantant les pratiques (ce qui explique un nouvel éloge naïf de la résistance et du nomadisme des « usagers »75).

Modélisation, indétermination et changement social

La multiplicité des objectifs que se fixe Michel de Certeau dans L'invention du quotidien explique un décodage possible de son essai à un seul niveau, décodage partiel donc injuste. L'ouvrage condense la plupart des interrogations qui traversent son œuvre et révèle au mieux ses hypothèses explicites ou implicites sur la modélisation scientifique, sur le pouvoir et sur la culture. On peut y déplorer l'absence réelle de théorie des pratiques à condition de voir que cette absence est préméditée, comme le souligne Tony Schirato76. Selon de Certeau, le populaire n'existe que par la violence qui le constitue comme « autre », dans un espace auquel il est assigné. En rendre compte en le théorisant, c'est nécessairement le placer dans un espace et donc le déformer. Michel de Certeau aurait choisi une écriture « sans lieu », sans théorie des pratiques, fondée sur le récit et la métaphore,

73. Ibid., 1996, p. 214. Voir aussi l'entretien entre Pierre Bourdieu et cet auteur (Bourdieu, 1993).

74. Voir Fiske, 1992. 75. Par exemple les réflexions de Bertini, 1998. 76. Dans un article écrit en réaction au texte de Frow (Schirato, 1993).

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afin de pouvoir remplir son objectif descriptif. Le livre serait une illustration en acte d'une pratique qui se veut hors pouvoir. Cette hypothèse n'est pas infondée quand on connaît ses efforts pour développer une epistemologie de l'histoire et une écriture qui lui corresponde. L'optimisme et l'empoéti- sation qui lui sont reprochés résultent ainsi d'un choix délibéré, méthodologique. De Certeau (1990, p. 67) parle de « thérapeutique », de besoin d'assurer la présence des phénomènes populaires « à titre de revenants », tout en ayant conscience des limites de cette thérapeutique : « À faire l'apologie de l'impertinence du lecteur, je néglige bien des aspects77. » La politique d'écriture choisie n'est pas en soi critiquable, seule peut l'être l'absence de précisions sur ce choix d'une proximité louangeuse, fruit d'une attitude comprehensive, qui aurait pu être dans un contexte différent celui d'une distance critique, fondée sur l'explication et la réduction.

Les lectures fiskiennes constituent-elles alors des braconnages, des utilisations détournées voire forcées ? La tendance à voir dans les pratiques de réception des actes de résistance et dans la résistance l'indice d'une impossibilité de théoriser les pratiques n'est-elle pas présente chez Michel de Certeau lui-même ? La réponse à cette deuxième question est clairement positive. De nombreux passages de L'invention du quotidien peuvent être cités qui tous soulignent le refus de son auteur de s'inscrire dans les cadres théoriques disponibles et même de penser qu'un cadre théorique puisse être dégagé. Au début de son ouvrage, de Certeau (1990, p. xl) vise une « formalité », ou logique des pratiques, en supposant que « ces opérations multiformes et fragmentaires, relatives à des occasions et à des détails [...] obéissent à des règles ». Mais il parle également (pp. 65 et 95) de « pullulement » des faits devant lequel les théories ne résisteraient pas, de « mouvement brownien » des pratiques78. Il évoque régulièrement l'existence de « modèles » — ainsi, à propos de la lecture (p. 252), la pensée sauvage lévi-straussienne, l'esthétique allemande de la réception et l'art médiéval de l'écriture — mais évite soigneusement de prendre parti comme il refuse de choisir entre les trois champs scientifiques qu'il distingue (sociologie/histoire, ethnométhodologie, sémiotique — pp. xli et xui). Un parallèle avec le principe d'indétermination en sciences exactes et la mention de la théorie des catastrophes de René Thom sont là pour rappeler (pp. 95 et 294) que les prétentions explicatives des savants se heurtent à des limites, l'ouvrage se concluant d'ailleurs par un chapitre au titre évocateur (« Indéterminées »)79. Au fond, Michel de Certeau s'oppose à la fois à l'idée

77. Certeau, 1990, p. 254. 78. Certeau, 1990, p. xlvii ; Certeau, 1993, p. 12. 79. Lois McNay (1996) se différencie des travaux trop dualistes d'un Fiske en prenant appui

sur les dernières pages de L'invention du quotidien pour valoriser l'idée d'indétermination. De Certeau aiderait à concevoir le changement social, par exemple la percée du discours féministe, en montrant le «jeu» dans les déterminations multiples de pouvoir, la place d'une action possible où l'opposition pourrait s'exprimer. Elle verse à son tour dans un romantisme scientifique au nom d'une utopie féministe. En effet, dire que l'action humaine renvoie à plusieurs logiques ce n'est pas prouver la liberté face à une théorie qui prouverait le déterminisme, c'est seulement rendre plus complexe la théorie de l'action.

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que les sciences de l'homme s'exerceraient dans un espace différent de celui des sciences exactes et à l'idée que les modèles maîtriseraient définitivement les faits. Son œuvre affiche une ambition universelle, celle d'un intellectuel de grande envergure : un projet d'ensemble et une langue philosophique héritée de Hegel80 (penser toutes les variations, faire jouer des catégories très générales comme l'Autre et l'Universel) qui se déploient de fait dans la connaissance des diverses sciences de l'homme. Elle repose pourtant sur un présupposé très (trop ?) instrumentaliste, soulignant l'importance du récit dans la construction de la connaissance historique et l'impossibilité de dégager des lois générales. Présupposé qui, à son tour, n'est pas sans rapport avec un parcours personnel et la lecture des mystiques : la découverte très tôt de l'expérience de Dieu, vu comme Г «étranger», Г «Autre», celui qui vous fait quitter votre communauté, celui qui vous arrache au « lieu » pour vous faire voyager et vous ouvrir à la différence... Connaissance de la finitude, de la mort, de Г Impossible en langage lacanien, et obsession de n'être d'aucun «lieu» qui explique aussi l'impertinente absence d'un auteur et d'une recherche dont, remarque Jacques Revel (1991, p. 125), « l'expérience mystique était le modèle, peut-être la matrice ». Face aux pouvoirs, qu'il voyait surtout par le biais des institutions, des sentiments d'enfermement et de répression, de Certeau opposait implicitement une vision romantique de l'action individuelle et du dépaysement par le voyage. Mais sa pratique scientifique l'incitait à reconnaître avant tout la prégnance des pouvoirs. De fait, la dichotomie qu'il propose entre stratégies et tactiques est formulée en termes foucaldiens : c'est la notion d'espace et de contrôle de l'espace par la vue qui est importante, la stratégie consistant en un balayage des lieux par le pouvoir, la tactique en une gestion du temps par à-coups éphémères, en une résistance irrégulière. Il n'y a pas de possibilité pour les faibles de fonder une « base permanente de culture ». C'est pourquoi le travail d'appropriation est aussi comparé à un bricolage, au sens lévi- straussien, qui ne forme pas un ensemble mais une « mythologie dispersée81 ». Il y a bien sûr du misérabilisme dans ce grand partage, comme dans celui véhiculé par le texte de Lévi-Strauss. Il est le résultat d'une réflexion sur le fil du rasoir, exagérant la puissance des puissants par un holisme trop affirmé, et ne laissant aux dépossédés qu'une liberté précaire, vue pourtant comme triomphante dans un autre excès, d'individualisme cette fois82.

Ce penchant reconnu, rien n'interdit d'observer que la métaphore du voyage, omniprésente chez Michel de Certeau et si intimement liée à sa propre expérience de l'existence, est aussi interrogée et clairement utilisée

80. Cf. Giard, 1991. 81. Certeau, 1990, p. 252. 82. Cet article partage de nombreux constats avec celui de Serge Proulx (1995) consacré

à L'invention du quotidien. Il s'en démarque essentiellement sur deux points. Ce qui fait à mon sens toute la spécificité de Michel de Certeau — et son ambiguïté — est son hésitation à produire une « théorie » des pratiques. Proulx oppose de plus trop fortement Foucault et de Certeau (en choisissant finalement de réhabiliter Foucault), sans considérer d'abord ce qui les rapproche : l'idée d'une bipolarité trop simple entre dominants et dominés.

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comme une représentation du processus d'apprentissage servant à penser ensemble structure et action individuelle. Si la pluridétermination ou la polyphonie des rationalités individuelles sont trop riches pour que l'action soit ramenée au système, si elles l'excèdent, un modèle micro-sociologique ou micro-psychologique du changement social doit pouvoir être dégagé et appliqué à l'individu (et extrapolé aux changements collectifs, politiques ou religieux83). Dans ses principaux ouvrages, de Certeau piste cette figure de l'altérité venant fissurer l'homogénéité du sujet, la relation du même au même, d'abord sur un mode intuitif puis sur un mode plus analytique. Dans quelques analyses pénétrantes, encore peu reprises et commentées, il postule que le changement social est possible à partir d'une visée utopique, même minuscule, et que ce changement n'est pas seulement la résultante d'éléments exogènes aux individus, d'une transformation des structures. Certaines pages de L'invention du quotidien sont ici très explicites84, celles où sont déplorées l'absence de « mouvement propre » dans la notion d'habitus et l'immobilité de la mémoire selon Bourdieu, auxquelles répondent les passages sur « l'art de la mémoire et l'occasion » inspirés de la lecture de Détienne et Vernant. Michel de Certeau y recherche les raisons de Г autoaltération de la mémoire et en décèle le fondement dans le « détail » : « Tout semble pareil dans la structure où s'introduit le détail qui en change pourtant le fonctionnement et l'équilibre85. » Mais c'est peut-être dans la présentation d'un livre de Jules Verne sur les grands explorateurs, qu'il a écrite en 1977, que ce détail est le mieux baptisé : fiction. Le simple désir que quelque chose change dans l'existence ou le fait de côtoyer l'Autre, d'en être affecté, peuvent suffire à l'éclosion de récits de mondes alternatifs. De Certeau compare le navigateur parti au loin et revenu chez lui à une « montre qui voyage sans jamais quitter le point de départ et sans être jamais altérée86 ». Rien ne ramène plus sûrement à soi que le fait de devoir s'éloigner de son propre ancrage. Pourtant, les terres explorées deviennent petit à petit des terres rêvées, utopiques, qui ancrent les voyageurs dans une mémoire renouvelée. « Le cercle n'est pas parfait. Son mécanisme est traversé par la fiction. L'exode mué en " circulation " reste ouvert aux "broderies" et aux enlacements de l'autre87.» Dans cette réflexion sur l'utopie, malheureusement inachevée, l'autonomie relative de l'imaginaire (donc du politique, du religieux) est prise au sérieux, comme cette part qui ne se réduit pas directement au reflet des structures, sans que l'on sache si elle est résiduelle, chaotique, indicible.

83. Les expériences de mai 68 ou de la déchristianisation viennent ici à l'esprit (dans La prise de parole, il s'agit ainsi de capter le moment où un système bascule vers autre chose).

84. Certeau, 1990, pp. 91-93 et pp. 125-135. Comme « applications » macro-sociologiques, voir les transformations du système religieux dans L'écriture de l'histoire (1975) et dans La fable mystique (1982), celle du système social (avec mai 68) dans La prise de parole (1994).

85. Certeau, 1990, p. 134. 86. Certeau, 1977, pp. xvi-xvir. 87. Ibid., p. xvnr.

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Un projet d'analyse de /a modernité

Du cheminement complexe ici présenté, indirectement reconstitué aussi au moyen des éclairages fournis par les diverses lectures critiques, certains ne retiennent que quelques formules ou clichés (la folklorisation du christianisme, la liberté des usagers), d'un rejet du déterminisme une valorisation unilatérale de l'interprétation et d'un éclectisme fondé, constructif, une versatilité stérile. Il y a une trajectoire dans l'œuvre de Michel de Certeau qui interdit d'y voir un parcours erratique et superficiel, celui d'un rôdeur, à travers le temps et les instruments des diverses sciences humaines. La vision d'une dynamique historique décrite incidemment puis dégagée méthodiquement, de l'époque moderne aux « légendes » contemporaines, guide la réflexion et l'usage des concepts, eux-mêmes patiemment construits des premiers travaux sur la possession à ceux sur les cultures ordinaires. Son élaboration est la preuve d'une capacité de dépaysement et d'un humanisme peu communs. Malgré son attrait intense pour la mystique, Michel de Certeau a su adopter l'idéal de scientificité et il est parvenu à se tourner vers les univers les plus contemporains sans les dévaloriser. Selon Jeremy Ahearne (1995)88, auteur d'une étude d'ensemble sur l'œuvre de Michel de Certeau, la problématique de l'altérité, donc de l'interprétation et du changement social, constitue le cœur de la pensée certalienne puisqu'elle traverse tous les thèmes et toutes les époques abordés. Luce Giard, qui a suivi de près l'élaboration des textes, considère que de Certeau était à la fin de sa vie sur le point d'unifier sa réflexion « dans une architecture conceptuelle89 ». Cet article incite à parler d'un projet scientifique d'analyse de la modernité soigneusement développé, projet qui n'est pas sans ambivalence à l'égard de cette modernité mais dont les articulations sont heuristiques : elles forment elles-mêmes ce projet. Une triple interrogation soutient l'œuvre entière qui porte sur les régimes de valeurs (comment s'opèrent les partages politiques entre le « peuple » et ceux qui le produisent symboliquement), les régimes de pratiques (les usages différenciés), les régimes de croire (avec des investissements plus ou moins massifs des individus et des sociétés dans leurs croyances) et leurs transformations historiques. Le programme certalien est résumé dans Г avant-propos de La culture au pluriel, réflexion sur les régimes de valeurs, comme L'invention du quotidien est une réflexion sur les régimes de pratiques (la réflexion sur les régimes de croyances étant répartie dans de multiples textes) :

Ce volume traite surtout des institutions culturelles, qui forment seulement l'une des instances de l'activité au « travail » dans une hiérarchisation sociale. Mais il est déjà encadré par l'examen de deux autres instances :

88. La conclusion de cet ouvrage va dans le sens d'une modélisation du phénomène de changement.

89. « Le socle qui a fait la force et l'originalité de L'invention du quotidien, ce serait la réflexion sur le croire, au-delà des institutions ecclésiales de tout bord. La mise au jour de la vie ordinaire comme " mystique ", au sens propre comme au sens figuré, a inspiré l'analyse des pratiques » (Giard, in Ahearne et alii, 1996, p. 152).

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l'une ressortirait à une anthropologie de la crédibilité, de ses déplacements et métamorphoses depuis les soi-disant « superstitions » jusqu'aux sciences ou aux media ; l'autre serait à envisager dans une science tactique (ou « logique ») des manières de faire, bons coups, tours de main et ruses journalières90.

Michel de Certeau pose le fait central de la dissociation du sens individuel et du sens institutionnel, tout en soulignant la difficulté d'en saisir la portée sans une epistemologie des pratiques dites populaires. Les institutions ne détiennent plus le croire et le sens comme un monopole ou un quasi- monopole, même si elles en gèrent toujours une large partie de la production. Les pratiques quotidiennes, dont relève la consommation des médias, ont acquis leur indépendance et s'enracinent dans des croires en conflit et en affinité avec les croires politiques et religieux, eux-mêmes en relation de conflit et d'affinité. Pour le comprendre, il est nécessaire de chausser les lunettes d'une analyse socio-politique des usages, rendant justice à leur complexité. La critique de l'élitisme est indispensable parce que ce dernier déforme le réel et prive de la découverte d'un univers nouveau, issu de la mutation des croires et des pratiques, un univers fonctionnant en marge des institutions mais en relation avec elles comme une composante de ce que l'on nomme aujourd'hui l'espace public. Cette composante, fondée sur la narration, l'appropriation et la contestation identitaires, reçoit un éclairage décisif à partir de l'analyse du processus de sécularisation, processus généralement négligé dans les recherches sur l'espace public, comme est négligée la dimension du croire dans sa complexité.

Les différentes lectures scientifiques de Michel de Certeau relèvent elles-mêmes de l'expérience d'appropriation : sélectionner pour de bonnes raisons (par intérêt bien compris) et pour des usages différenciés un sous- ensemble de significations dans un ensemble très vaste91, pour les faire siennes. Dans les diverses traditions de recherche qui se sont partagé l'héritage certalien, la réception s'est faite en fonction des enjeux et des conflits locaux. Elle s'est aussi retrouvée autour de thèmes communs : la reconnaissance des apports méthodologiques et empiriques d'une théorie de l'interprétation, l'attention aux changements structurels produits dans la modernité, le problème de la relation contradictoire à la pensée foucaldienne et aux notions d'institution et de pouvoir, la valorisation ou la critique d'une politique du récit et de la métaphore parfois excessive... Mais la triple interrogation n'a pas été reprise comme telle. L'héritage de cette pensée a d'abord été disjoint entre trois champs scientifiques au moins, celui de l'histoire, celui des religions et celui de la communication, et également entre deux espaces, la France, où l'historien, le spécialiste de la mystique et le sociologue de la culture ont été tour à tour évoqués, et les pays anglo-saxons, où la figure du spécialiste des pratiques culturelles

90. Certeau, 1993, p. 12. 91. Voire infini, si l'infini de la polysémie des textes avait un sens pour des récepteurs qui

sont toujours limités dans leurs possibilités d'interprétation.

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contemporaines a longtemps prédominé. Ce décalage thématique s'explique en partie par le calendrier des publications. Les traductions américaines des ouvrages historiques, contrairement à ceux consacrés aux pratiques quotidiennes, n'ont débuté qu'en 1986 avant de s'accélérer dans les années 199092. Dans le champ de la culture et de la communication, à l'inverse, si l'influence certalienne était déjà manifeste en France dans les années 1980, notamment dans le domaine de la lecture et de la cognition, elle s'est aussi accrue avec le retour anglo-saxon de la recherche sur les médias audiovisuels. Les conséquences de cet éclatement sont importantes. Les points de vue de spécialistes des médias sur le rapport des individus au croire et sur le rapport de ce croire aux institutions demeurent minoritaires : les observations de Roger Chartier (1996) sur les modifications des relations au pouvoir provoquées par la circulation de l'écrit imprimé, les notes de Jean Hébrard et Anne-Marie Chartier (1988) sur l'apparition du lecteur tacticien, ou les tentatives plus systématiques de Roger Silverstone (1994) de relier la sociologie des religions à une théorie de la communication via Michel de Certeau. Il faut chercher du côté de la sociologie et de l'histoire françaises des religions des explorations sur le croire contemporain et des analyses critiques de la notion de croyance qui revendiquent leur filiation à de Certeau. La prise en compte de l'ethnocentrisme culturel comme obstacle scientifique, le problème de l'interprétation et des usages du récit sont des acquis dans plusieurs courants historiques et sociologiques. Mais ces deux branches n'ont pas pour autant vraiment abordé l'analyse de l'espace public narratif et identitaire, notamment de l'univers des médias, sous l'angle certalien. De ce point de vue, si certaines formes des Cultural Studies qui se sont réclamées de Michel de Certeau ont pu être stigmatisées pour leurs dérives populistes, elles ont su aborder, avec d'autres courants de recherche, l'étude empirique de la modernité dans ce qu'elle semble avoir à la fois de plus prosaïque et de plus massif : les médias représentent une bonne part du quotidien symbolique de l'écrasante majorité des individus. En opérant l'articulation entre analyse des pratiques populaires et analyse de la légitimité de ces pratiques, elles ont géré l'héritage de Richard Hoggart (qui avait aussi influencé de Certeau) et celui de Raymond Williams (1975), appliquant à un «populaire» contemporain, qui n'a souvent de populaire que le nom, un regard que les historiens avaient jeté, toutes choses étant égales par ailleurs, sur les univers matériels et la lecture des siècles précédents.

De nombreux indices laissent à penser qu'aujourd'hui la réception de Michel de Certeau se complique encore et évolue vers une plus grande

92. Un numéro de la revue américaine Diacritics est venu ponctuer la découverte d'un de Certeau historien et épistémologue aux États-Unis {Diacritics, 1992, avec des contributions notamment de Tom Conley, Richard Terdiman, Marsanne Brammer, Steven Ungar, Samuel Kinser). Les ouvrages traduits après 1986 s'échelonnent ainsi : Heterologies. Discourses on the Other, 1986 ; The Writing of History', 1992 ; The Mystic Fable: The Sixteenth and Seventeenth Centuries, 1992 ; The Capture of Speech and Other Political Writings, 1998 ; Culture in the Plural, 1998.

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connaissance des différentes strates des textes93, sans qu'aucune garantie sur son utilisation dans les courants postmodernistes ne soit bien sûr disponible. Le projet ordonné et réflexif d'une enquête sur les univers contemporains reste en construction, centré sur la relation au sens. Dans des démocraties politiques où il n'y a pas nécessairement disparition des institutions et des groupements religieux, encore moins suppression de cette dimension humaine fondamentale qu'est le pouvoir, mais où les individus se conçoivent très majoritairement comme auteurs de leur parcours, reliés entre eux par des récits médiatiques formellement non contraignants, de plus en plus distanciés de leurs propres croyances, c'est désormais le problème de la démocratisation de ce sens qui se pose de façon aiguë. Pour l'affronter, plusieurs perspectives doivent être mobilisées et articulées. La question du statut épistémologique des sciences humaines et de la justice descriptive est encore en devenir, l'anthropologie du croire demeure inachevée, l'anthropologie des pratiques doit faire l'objet d'une clarification sous les auspices des théories de l'action et de la réception, mais l'impulsion certalienne est bien là qui nous enjoint de nous tourner vers les univers contemporains et d'en élaborer une histoire authentique.

Éric Maigret Université de Nancy 2-CNRS

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