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Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2007 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 06/18/2022 5:52 a.m. Téoros Revue de recherche en tourisme Le tourisme dans l’espace caribéen Logiques des flux et enjeux de développement Olivier Dehoorne Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement Volume 26, Number 1, Spring 2007 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1070989ar DOI: https://doi.org/10.7202/1070989ar See table of contents Publisher(s) Université du Québec à Montréal ISSN 0712-8657 (print) 1923-2705 (digital) Explore this journal Cite this article Dehoorne, O. (2007). Le tourisme dans l’espace caribéen : logiques des flux et enjeux de développement. Téoros, 26(1), 6–14. https://doi.org/10.7202/1070989ar

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TéorosRevue de recherche en tourisme

Le tourisme dans l’espace caribéenLogiques des flux et enjeux de développementOlivier Dehoorne

Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives dedéveloppementVolume 26, Number 1, Spring 2007

URI: https://id.erudit.org/iderudit/1070989arDOI: https://doi.org/10.7202/1070989ar

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Publisher(s)Université du Québec à Montréal

ISSN0712-8657 (print)1923-2705 (digital)

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Cite this articleDehoorne, O. (2007). Le tourisme dans l’espace caribéen : logiques des flux etenjeux de développement. Téoros, 26(1), 6–14.https://doi.org/10.7202/1070989ar

Page 2: Le tourisme dans l’espace caribéen : logiques des flux et

Téoros Printemps 20076

Olivier Dehoorne

Les îles et les rivages de la Caraïbe, desti-nations exotiques longtemps réservées àquelques élites, s’ouvrent largement au tou-risme de masse. Les premiers déplace-ments touristiques étaient le fait d’industriels,de banquiers et d’hommes d’affaires en gé-néral qui, dès le XIXe siècle, rejoignaient l’ar-chipel des Bahamas (et Hot Island) à partir deliaisons maritimes au départ de New York(Burac, 1999). Le déploiement des transportsaériens organisés à partir des grandes mé-tropoles nord-américaines et européennesaccompagne désormais la diffusion des fluxtouristiques. Les premières liaisons aériennesdans la Caraïbe remontent au début du XXe

siècle avec l’ouverture des lignes de la PanAmerican Airways entre La Havane et lesÉtats-Unis. Ensuite, au lendemain de laSeconde Guerre mondiale, un premier réseauaérien consacre les principales destinationsdu moment. La démocratisation s’annoncedans les années 1960 avec le début des volscharters et des gros-porteurs du type Boeing747 et DC-10. Mais ce n’est qu’au cours desvingt dernières années que la région connaîtdes arrivées touristiques significatives grâceà la libéralisation des transports aériens et àla multiplication des vols charters. Ces volsétaient d’abord centrés sur les aéroports ma-jeurs des villes capitales et bien des îles de-meuraient d’accès difficile, nécessitant d’ul-times transports locaux, relativement longs.Dorénavant, les vols internationaux relient di-rectement les métropoles émettrices aucœur des zones de séjour, comme CayoLargo (Cuba), Porlamar (île de Margarita,Venezuela) ou Roatan (Honduras).

La quantification des flux touristiques restedélicate dans l’espace caribéen qui s’estconstruit à travers des mobilités variées.Tout d’abord le qualificatif de touriste est lar-

gement accordé à des personnes dont lesdéplacements relèvent de motifs divers,comme les expatriés des communautés ca-ribéennes qui, lors de leur retour au pays,sont comptabilisés comme des touristesinternationaux. Les flux sont particulière-ment significatifs dans des pays comme laJamaïque, Trinidad ou la République domi-nicaine, voire Haïti, avec officiellement100 000 touristes. En 1998, les séjours tem-poraires de ces expatriés ont concerné de800 000 à un million de personnes à PortoRico (Cameron, 2000) ; or, les motivations deces visiteurs relèvent plus des retrouvailles fa-miliales que d’un voyage de plaisir pourjouir des plages et du soleil.

Derrière ces visiteurs internationaux se dis-simulent aussi nombre d’émigrés potentielsdont le déplacement dit « touristique» est l’ali-bi indispensable pour quitter leur pays. Ces« faux touristes » peuvent alors travailler clan-destinement dans les lieux touristiques ou ef-fectuer des escales stratégiques pour tenterde rejoindre les métropoles d’Amérique duNord et d’Europe (Audebert, 2000). Enfin, lerecensement des flux touristiques trans-frontaliers, de voisinage, pose égalementdes problèmes, tant sur la partie continentalequ’insulaire de la Caraïbe. En dépit de ces li-mites incontournables (surestimation à l’é-chelle internationale et sous-estimation sur leplan intra-régional), la fréquentation de l’espa-ce caribéen peut désormais être estimée àquelque 25 millions de touristes internatio-naux et régionaux dans la partie insulaire età 45 millions sur l’ensemble des territoires dela Grande Caraïbe (Dehoorne, 2006).

Enfin, il convient d’insister sur le fait que l’ac-tivité touristique se caractérise par le dépla-cement de consommateurs (les touristes)vers les lieux de production (les pays d’ac-cueil) ; les consommations sont attachées àdes ressources territorialisées (Williams et

Hall, 2000). Et si celles-ci s’intéressent par-ticulièrement à la dimension immatérielledes territoires d’accueil (la photographied’une plage au soleil couchant), elles n’en re-posent pas moins sur des ressources ma-térielles essentielles (comme l’eau potable, lelagon) déjà intégrées localement à des lo-giques de consommation. Les consomma-tions touristiques contribuent donc à ac-centuer les pressions anthropiques autourdes ressources du lieu.

Dans le contexte de cette étude, nous pro-posons de mettre en évidence l’importanceet les logiques spatiales des flux qui per-mettent désormais de qualifier ce phéno-mène touristique de massif et ensuite d’ou-vrir quelques pistes de réflexion sur lesenjeux d’ordres économique et de dévelop-pement plus généralement.

Des pratiques élitistes autourisme de masse, vers uneréorganisation de l’espacetouristique caribéen

Les flux dans l’espace caribéen

Incontestablement, au regard de l’impor-tance des arrivées qui caractérisent les prin-cipales destinations insulaires, une nouvellefrontière touristique s’est ouverte à la findes années 1980 : les rivages caribéenssont entrés dans l’ère du tourisme de masse,portés par l’affirmation de quelques grandesdestinations reconnues (Cancun, Porto Rico,Cuba, République dominicaine). Si globale-ment le volume d’activités apparaît relative-ment modeste à l’échelle mondiale (loin desniveaux de fréquentation des rivages de laMéditerranée), celui-ci doit être reconsidéréau regard des spécificités des territoiresd’accueil (exiguïté, niveau de peuplement etde richesse) et de l’importante polarisation

Dossier Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement

Le tourisme dans l’espace caribéenLogiques des flux et enjeux de développement

Page 3: Le tourisme dans l’espace caribéen : logiques des flux et

Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement Dossier

sur quelques secteurs d’accueil privilégiés.Ainsi, l’ensemble de la Caraïbe insulairecompte un touriste pour cinq habitants. Leratio s’élève localement à un pour neuf dansles îles Turks et Caicos et atteint un pour 14dans les îles Vierges britanniques.

L’espace caribéen est inégalement tou-ristique. De fortes concentrations ponc-tuelles s’opposent à des territoires négli-gés à l’image du contraste manifesteentre les deux entités politiques qui se par-tagent l’île d’Hispaniola : la Républiquedominicaine avec plus de 3,5 millions detouristes et Haïti avec moins de 100 000en 2004 (carte 1).

Très sensibles aux conditions de sécurité,les niveaux d’activité fluctuent rapidement,comme le démontrent les fluctuations deces niveaux sur les rivages sud-améri-cains de la Caraïbe, considérablement fra-gilisés durant la dernière décennie parl’instabilité et les tensions sociales. Aprèsplusieurs années de recul, la Colombievient de retrouver en 2004 un volumed’activité proche de celui de 1990 (environ

800 000 touristes), grâce à une croissanceannuelle moyenne de 9,2 % depuis 2000.Toujours en 2004, le voisin vénézuélien,après huit années successives de déclin, re-gagne quelque 150 000 visiteurs qui lui per-mettent d’approcher le cap du demi-million.

Les grandes îles de la Caraïbe optent doncpour des stratégies de masse. Elles s’or-ganisent autour d’importants complexesbalnéaires à partir desquels sont proposésdes séjours à des coûts relativement faibles.L’exemple de Cuba s’avère significatif : au

7Printemps 2007 Téoros

Tableau 1

Les dix premières destinations touristiques de la Caraïbe insulaire.

Caraïbe insulaire 1990 1995 2000 2004 *

Porto Rico 2 560 000 3 131 000 3 341 000 3 541 000

République dominicaine 1 305 000 1 776 000 2 978 000 3 450 000

Cuba 327 000 742 000 1 741 000 2 017 000

Bahamas 1 562 000 1 598 000 1 544 000 1 561 000

Jamaïque 989 000 1 147 000 1 323 000 1 415 000

Aruba 433 000 619 000 721 000 728 000

Barbade 432 000 442 000 545 000 552 000

Îles Vierges É-U 463 000 454 000 446 000 544 000

Saint-Martin 545 000 449 000 432 000 475 000

Martinique 282 000 457 000 526 000 471 000

* Estimations.Source : Organisation mondiale du tourisme, Aperçu mondial et actualité touristique, Madrid (statistiques pour chaque année analysée).

Antilles néerlandaises

100km00 400km

N

Colombie

Venezuela

Guyana

Floride

Cuba Rép.Dominicaine

Jamaïque

Haïti

PuertoRico Guadeloupe

MartiniqueSte Lucie

O C É A N

P A C I F I Q U E

O C É A N

A T L A N T I Q U E

Me

rC a r a ï b e

Mexique

Belize

Honduras

Guat

emala

Nicaragua

Panama

Salvador

ETATS-UNIS

St VincentBarbade

Grenade

Trinidad

IlesVierges

Turckset Caïcos

Bahamas

Aruba

CuraçaoBonaire

Dominique

Costa-

Rica

Brésil

Surinam

Guyane

Cozumel

BARBADE

DOMINIQUE

STE. LUCIE

GUADELOUPE

MARTINIQUE

Marie-GalanteLes Saintes

ST-VINCENT

BarbudaSTE-CROIX

GRENADE

O c é a n A t l a n t i q u e

I l es

G r e n a di n

e s

Me

rC

ar

be

La Désirade

Nevis

ST THOMASST JOHN

ANGUILLA

MONSERRAT

ST MARTIN

St Barthélémy

SABA

ST KITTS

ST-EUSTACHE

Vieques

Culebra

Anégada

Virgin Gorda

Bequia

Canouan

Cariacou

Redonda

TORTOLA

Iles Caïmans

ANTIGUA

Tobago

Iles ViergesBritaniques

Iles ViergesAméricaines

GÉODECaraïbe,UAG

Nombre de touristes internationauxen millions

0,01

0,136

21

Sources : Organisation mondialedu tourisme

@O.Dehoorne -UAG.

Carte 1

Les touristes internationaux dans l’espace caribéen en 2003

Source : Carribean Tourism Organization.

Page 4: Le tourisme dans l’espace caribéen : logiques des flux et

début des années 1990, l’île a retrouvé leniveau d’activité de 1957, qu’elle avaitperdu à la suite de la révolution socialiste ;le seuil des deux millions de touristes estfranchi en 2004. Certaines destinations seconsacrent au tourisme de luxe, à domi-nante américaine, comme les îles Caïmans,Turks et Caicos, Tobago et Saint-Barthé-lemy. Ces îles restent en quelque sorte des« paradis » préservés, isolés du reste dumonde. Le volume des capacités des hé-bergements marchands y est volontaire-ment réduit. D’autres territoires présen-tent des formules mixtes où se côtoient desstructures hôtelières de qualité (classessupérieures) et quelques formules d’hé-bergement à des prix modérés commeles chambres d’hôte de la Barbade et dePorto Rico.

L’avènement du tourisme de masse s’ac-compagne d’un redéploiement des fonc-tions touristiques dans l’espace caribéen.Les élites se préservent quelques lieux an-ciennement mis en tourisme et s’invententde nouveaux refuges paradisiaques « épar-gnés » par les vols charters, comme dansles îles côtières du golfe du Honduras. Lapréservation de lieux réservés aux élitess’effectue par le biais de critères financiers(Saint-Barthélemy, Moustique).

Des nouveaux complexes balnéaires, spa-cieux et enclavés, à l’écart des espaces ur-banisés, accueillent les classes moyennesoccidentales qui séjournent dans laCaraïbe (Isabela à Porto Rico, Punta Canaà Saint-Domingue). À l’inverse, d’autresstations plus anciennement touristiquesperdent de leur valeur, notamment sousl’effet d’une urbanisation peu maîtrisée,source de nuisances multiples et variées(embouteillages, pollution, petite crimina-lité). Ces dernières s’ouvrent alors auxclientèles nationales qui réinvestissent cesanciens « hauts lieux » du tourisme inter-national (par ex. : Porto Rico, Barbade,Antilles françaises).

Les logiques touristiques antagonistes (pra-tiques élitistes et tourisme de masse) sefondent alors dans la complexité des so-ciétés d’accueil ; de nouvelles associa-tions d’intérêts se dessinent et les différentsprotagonistes usent régulièrement des ar-guments d’ordre écologique pour défendreleurs intérêts.

L’affirmation du tourismeintra-régional et nationalPeu étudiées à ce jour, les pratiques tou-ristiques intérieures et intra-régionales ap-portent une nouvelle dimension au tourismecaribéen ; au-delà de la Caraïbe, ces réali-tés concernent aujourd’hui l’ensemble despays en développement en général. Ilconvient donc de prendre la mesure d’uneCaraïbe qui est également une région émet-trice de touristes. L’exemple du Mexique estparticulièrement significatif : en 2002 lesMexicains ont totalisé 57,475 millions denuitées touristiques dans leur pays contremoins de 30 millions de nuitées par les tou-ristes internationaux. Le Mexique a égale-ment émis plus de 12 millions de touristesà travers le monde et principalement dansson espace régional (OMT, 2003). Commeautres exemples, citons le Honduras, où lesnationaux ont effectué presque 30 % desnuitées touristiques de leur pays et Belize oùla part des nuitées relevant des nationauxest de 11 % (soit plus de 60 000 nuitées).L’origine géographique des touristes dansce dernier pays (tableau 2) atteste du rôledes clientèles régionales dans la croissan-ce de l’activité.

Les observations similaires peuvent être re-levées dans les îles comme la Barbade où22 % des 531 000 touristes internationauxreçus en 2002 résidaient dans la Caraïbe. Lapart des touristes régionaux s’élève même à27 % du total des touristes internationaux àCuraçao et elle atteint 40 % dans l’archipelde Saint-Vincent et les Grenadines.

Au regard des pratiques de ces nouvelles ca-tégories de touristes, deux types de com-portements peuvent être observés :

- Dans le cadre de ce tourisme naissant, denouvelles catégories de populations, plu-tôt jeunes et modestes, s’initient aux loisirsen recourant à des logistiques peu oné-reuses, avec des hébergements de moin-dre qualité, hors des circuits commerciauxinternationaux. Ce sont tout d’abord desexcursions à la plage, en famille, avec lacommunauté villageoise ou de quartier, etdes séjours de quelques jours à partir d’unpetit campement plus ou moins informel oude location chez l’habitant. Pour l’heure, cesvisiteurs fréquentent peu les plages inter-nationales de leur pays, parfois privées oud’accès contrôlé, et se concentrent davan-tage sur quelques secteurs littoraux, moinsréputés et faiblement aménagés.

- Les touristes issus des classes supérieurs– anciennes et émergentes –, dont la repré-sentation est proportionnelle à la pyramidesociale du pays, sachant que les disparitésde revenus sont très fortes au sein de cespays où les classes moyennes sont faible-ment représentées. Ils se déplacent prin-cipalement en avion, se mêlent aux tou-ristes occidentaux et s’affichent dans leslieux touristiques réputés de la région.

Les logiques du bassin touristique caribéen Plusieurs enseignements peuvent être déga-gés à partir de l’analyse spatiale des flux dansl’espace caribéen. En premier lieu, la diffusions’effectue suivant un modèle centre / péri-phérie caractérisé par la domination desmétropoles émettrices qui contrôlent l’es-sentiel des flux à destination de la périphé-rie. La Caraïbe, périphérie touristique, dépenddonc de la proximité d’importants foyers derichesse nord-américains, qui constituentson stock de touristes potentiels. Ce sontd’abord les régions urbaines nord-américai-nes qui animent le marché touristique cari-béen où elles émettent plus de 70 % des tou-ristes (OMT, 2003). Même s’il existe des lienstransatlantiques privilégiés entre certainesdestinations caribéennes et quelques mé-tropoles européennes (comme Paris, Lon-dres, Amsterdam, voire Madrid), il n’en de-meure pas moins que les dynamiquesrégionales sont d’abord impulsées par lenord du continent. L’exemple de l’Alle-magne illustre cette logique : si les Alle-mands effectuent les deux tiers de leurs sé-jours touristiques à l’étranger (soit 789millions de nuitées), plus de 40 % sont ef-

Téoros Printemps 20078

Dossier Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement

Tableau 2

L’origine géographique des touristesséjournant au Belize

Origine 1998 2000 2002 Parts en 2002(en %)

États-Unis 87 991 104 717 104 603 52,4

Europe 25 638 27 674 29 115 14,6

Canada 9 416 9 205 9 185 4,6

Expatriés 13 104 14 106 11 896 6béliziens

Guatemala 9 631 17 313 21 184 10,6

Mexique 8 877 8 688 8 413 4,2

Autres 21 397 14 063 15 126 7,6

Total 176 054 195 766 199 521 100

Source : Immigration Department, Belize, 2003.

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Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement Dossier

fectués dans un pays limitrophe et 88 % enEurope (OMT, 1999) et seulement 1 % deces séjours concernent la Caraïbe, pour unvolume équivalent à 8 millions de nuitées.

Les flux de proximité (nord-sud) sont ren-forcés par d’autres flux qui s’inscrivent dansun schéma transocéanique. Ces dernierssont secondaires à l’échelle de la région,mais, ponctuellement, ils peuvent dominercertaines petites destinations comme les îlessous dépendance française (Guadeloupe,Martinique, une partie de Saint-Martin), bri-tannique (Anguilla, Cayman, Montserrat…)ou néerlandaise (Curaçao, Aruba, Saba, laseconde partie de Saint-Martin). L’existencede liens privilégiés d’ordres historique, cul-turel, linguistique et politique favorise lemaintien de ces réseaux, parfois confortéspar des associations économiques ou po-litiques, comme dans le cas des membresdu Commonwealth britannique (Sainte-Lucie, Turks et Caicos, Barbade). Des lo-giques réticulaires troublent ainsi la dyna-mique centre / périphérie, qui correspondaussi à un contact nord-sud.

Ce bassin touristique juxtapose des paysaux niveaux de vie extrêmement contrastés.En matière de délocalisation industrielle,les avantages économiques et sociaux misen avant par les différents États favorisent unglissement vers de nouveaux territoires« plus au sud » qui cumulent des avantagessociaux et fiscaux. Dans la mesure où lespays d’accueil sont à même de donner lesgaranties nécessaires sur les plans logis-tique, sanitaire et sécuritaire, tout en de-meurant dans un périmètre aérien n’excé-dant pas quatre heures au départ desfoyers émetteurs, le différentiel économiqueconstitue un argument de poids dans cecontexte régional très concurrentiel.

Enfin, ces flux de direction nord-sud répon-dent aussi à un tropisme des suds, un attraitpour des régions tropicales et subtropicales,« ce monde sans hiver ».

Les liens spécifiques établis entre les foyersémetteurs majeurs et certaines destina-tions conduisent à un partage de cet espa-ce caribéen qui contribue à renforcer l’em-prise de clientèles nationales et decatégories monolithiques – correspondantaux fameuses niches de consommateurs –sur les territoires d’accueil. Les offres s’uni-formisent et chaque entité cible quelquesmarchés émetteurs privilégiés. Plus que

jamais, ce marché régional apparaît frag-menté, sous contrôle, comme le démon-trent les logiques spatiales des différentstransporteurs aériens qui se partagent cetespace. Ces réalités se traduisent par lacommercialisation de produits touristiquespeu originaux, se différenciant seulement lesuns des autres par leur niveau de presta-tions et donc les prix affichés, selon les ca-tégories de clientèles ciblées. L’espacetouristique caribéen est marqué par des dis-continuités ; de véritables frontières (éco-nomique, politique) protègent des îles ré-servées (où l’accessibilité se limite parfois àdes pistes d’atterrissage privées) et isolentles « îles cul-de-sac » (territoire non touris-tique), tandis que des échanges s’établis-sent entre les territoires de niveau de dé-veloppement sensiblement identique.

L’insoutenable concurrencerégionale : lorsque la crisetouristique s’installe dans lesAntilles françaises

Longtemps protégées par leur position pri-vilégiée sur le marché français, les Antillesfrançaises ont été surprises par l’essor dumarché régional ; rappelons que, au cours dela période 1990-2002, les taux de croissan-ce touristique annuels ont été respectivementde 9,4 % et de 14,3 % pour la Républiquedominicaine et Cuba. Loin d’imaginer lacrise touristique qui pouvait sévir sous les tro-piques, les propos des responsables de l’é-poque étaient très optimistes : les Antillesfrançaises semblaient « bien équipées pouraffronter la vive concurrence du marché ca-ribéen ». Le tourisme était alors le premiersecteur économique de la Martinique avecplus de 10 000 salariés, soit plus de 10 % dela population active à la fin des années1990. Mais, alors que le rythme de la crois-sance commençait à marquer le pas et que

les autres îles des Antilles envisageaient unediversification de leurs clientèles tout en sepositionnant davantage sur les marchés deproximité nord-américains (comme lesAntilles néerlandaises), les Antilles françaisesconsolidaient leur relation privilégiée avec lemarché français.

La Martinique n’a cessé de perdre des visi-teurs depuis 1998. Le secteur de la croisiè-re est le plus lourdement touché par la crise,avec moins de 100 000 croisiéristes (répar-tis sur 151navires) qui ont fait escale dans l’îleen 2005 ! Il est loin le temps où l’île accueillaitannuellement plus de 500 bateaux de croi-sière (506 en 1992 et 678 en 1991).

L’évolution de l’origine géographique destouristes illustre cette récession de l’activité.Alors qu’en 1987 les visiteurs venaient deFrance et d’Europe (avec respectivement58,8 % et 6,3 % des parts), mais aussid’Amérique du Nord (22,7 %) et de l’espacecaribéen (11,2 %), la croissance des années1990 reposait d’abord sur les clientèles fran-çaises (70,8 %) et deuxièmement européen-nes, tandis que la présence des Nord-Amé-ricains régressait (12,5 %). La part de cesderniers n’était plus que de 3,8 % en 1998contre 80,1 % pour les Français ; et sur les 3millions de nuitées enregistrées en 2005, lapart des Étatsuniens n’était plus que de0,8 %, celle des Canadiens de 1,1 % et celledes Européens de 3,1 % ! Les Français re-présentaient désormais 87,5 % des touristes.

Le déclin des clientèles nord-américaines,dissimulé sur le plan comptable par l’essordu marché français, était annonciateur de laréorientation de l’activité touristique desAntilles françaises : ces îles ne constituaientplus des destinations réservées, élitistes.Les îles passaient d’un tourisme haut degamme à un tourisme de masse, « plus dé-

9Printemps 2007 Téoros

Tableau 3

La fréquentation touristique de la Martinique, de 1985 à 2005

1985 1990 1995 1998 2000 2005

Touristes de séjour 183 783 281 517 457 226 548 766 526 290 513 886

Croisiéristes 152 989 421 259 428 032 414 588 290 097 93 063

Plaisanciers 24 854 28 058 43 712 44 097 44 825 29 759

Autres excursionnistes* - 2 524 9 150 32 310 67 525 32 111

TOTAL 361 626 733 358 938 120 1 039 761 928 737 668 819

* Les autres excursionnistes sont des visiteurs qui relèvent du trafic inter-île (aérien ou maritime). Source : Comité martiniquais du Tourisme.

Page 6: Le tourisme dans l’espace caribéen : logiques des flux et

sulaire (OMT, 2005), mais leur diffusion reste elleaussi très sélective. Les emplois touristiques,estimés à 400000 en 1990 (Gayle et Goodrich,1993), sont désormais de l’ordre de 2,5 mil-lions USD (World Travel and Tourism Council,2001). Ce secteur soutient donc directementet indirectement 15,5 % des emplois de la ré-gion, contre 6,3% des emplois à l’échelle mon-diale. Dans certains cas, le tourisme procureles deux tiers des emplois (îles Vierges améri-caines) et ses revenus peuvent approcher les20 000 USD par habitant (îles Caïmans).

Le tourisme s’affirme comme une activité pri-mordiale pour la plupart des économies dela région ; ses recettes peuvent facilementcouvrir plus de la moitié du PNB (produit na-tional brut), comme à Sainte-Lucie (64 %),Antigua et Barbuda (74 %), les îles Viergesbritanniques (82 %) ; le record appartientaux îles Turks et Caicos, avec 91 % du PNB.

jours le sentiment d’être les bienvenus. Les ef-fets de la crise sont contenus par l’importancedes consommations touristiques intérieures,qui associent de véritables séjours touristiquesdans des structures marchandes, des pra-tiques récréatives et des loisirs de proximité.

Les enjeux économiques du tourisme

L’importance des revenustouristiques La jeune économie touristique de la Caraïbea commencé à suppléer les revenus issus destraditionnelles économies de plantation à par-tir de la fin des années 1980. Sa prédomi-nance n’a cessé de s’affirmer et le secteur estdésormais le principal pourvoyeur de devises.Le tourisme international procure quelques 19milliards USD aux économies de la Caraïbe in-

mocratisé », avec de nouvelles pratiques etde nouvelles consommations ; arrivaientalors les fameux « touristes fwansèz1 », moinsaisés, qualifiés localement de « touristes sacà dos qui envahissent les plages ».

Depuis le milieu des années 1990, la fidélitédes touristes français s’érode. Lorsque le Sudcôtoie le Nord sous le soleil des tropiques, lestouristes diversifient davantage leurs expé-riences en tirant profit des effets de la concur-rence et donc des meilleures offres du mo-ment. La question des transports aériens etde l’ouverture de nouvelles dessertes avecl’Amérique du Nord est cruciale pour l’avenirdes Antilles françaises. Mais, pour l’heure, lesétablissements hôteliers vieillissent, faute d’in-vestissement significatif pour renouveler uneoffre qui perd de sa lisibilité entre la nostalgiedes élites d’hier et la présence des touristesfrançais, plus populaires, qui n’ont pas tou-

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Les dépenses des touristes internationaux dans l’espace caribéen en 2003

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Dossier Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement

Dépenses par touristes (en $US) Dépenses par touristes selon le PIB (%)

Source : Caribbean Tourism Organization.

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Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement Dossier

Les progressions sont significatives dansles nouvelles destinations comme Cuba(1915 millions USD en 2005 contre 243millions en 1990) ou la République domini-caine (3180 millions USD en 2004 contre 900millions en 1990) et l’impact est considéra-ble pour les économies plus défavoriséescomme celles de Panama (685 millions USDen 2004), du Nicaragua (187 millions USD en2004 et 129 millions en 2000) ou encore duHonduras (29 millions USD en 1990, 260millions en 2000, puis 396 millions en 2004).

L’économie de la région, depuis ses origines,s’inscrit dans un long processus de domi-nations d’externalités, du système des plan-tations à la conversion en faveur du tourisme.L’agriculture (canne à sucre, banane, ananas)et les produits dérivés (rhum) continuentd’être ponctuellement une importante sour-ce de revenus, mais leur part régresse cons-tamment face aux concurrences internatio-nale et intra-régionale, avec le poids dequelques multinationales qui contrôlent l’en-semble de la filière (des lieux de productionsaux consommateurs).

Le tourisme vient donc à la rescousse de ceséconomies de plantation en difficulté, parexemple dans l’île de Sainte-Lucie où les re-venus de la banane ont représenté jusqu’à85 % de la valeur des exportations du pays.Et c’est aussi le cas de Cuba qui a effectuéjusqu’aux trois quarts de ses échanges – es-sentiellement des produits agricoles – avecles pays socialistes ; le tourisme est désor-mais la première source de devises pour l’îlequi compte 40 000 chambres d’hôtels.

Ces économies extraverties, sous domination,passent d’un cycle de production à un autre.En effet, les mécanismes de développementen faveur du tout tourisme s’inscrivent dansle prolongement du cycle des plantations :économies extraverties, contrôle des marchéspar des groupes transnationaux et concur-rence exacerbée autour d’une monopro-duction. Les logiques à court terme ne jouentpas en faveur d’une diversification raisonnée.

De la nécessité de reconsidérer les revenus touristiques En dépit de l’importance des flux financiersqui circulent dans cet espace, la part des re-venus qui contribue véritablement au déve-loppement de ces nations peut être consi-dérée comme insuffisante. Plusieurs raisonsexpliquent la faiblesse de l’effet d’entraîne-

ment attendu : tout d’abord l’importancedu séjour tout compris, principalement conçuet acheté dans le pays d’origine du consom-mateur ; la part la plus confortable des re-venus appartient alors à ceux qui contrôlentle marché (l’accès direct aux consommateurspotentiels, les transports aériens, parfoisjusqu’aux structures d’accueil). Ces for-mules sont très répandues dans la région.

Il faut également souligner l’importance descapitaux étrangers dans la région où plus de60 % des structures hôtelières appartiennentà des ressortissants étrangers (Pattullo,1996). Les premiers bénéficiaires sont alorsles investisseurs internationaux (nord-amé-ricains, européens et sud-africains) qui pro-fitent de séduisantes fiscalités qui autorisentune grande mobilité des profits sans contre-partie de réinvestissement. Ces dispositifsprofitent également à quelques fortunes lo-cales au capital transnational « flottant ».

Les enjeux autour de la logistique et del’approvisionnement des lieux touristiquessont également considérables. Les choixstratégiques en la matière relèvent des ser-vices spécialisés des grandes firmes enquestion ; loin des réalités de chaque paysd’accueil, ils privilégient des logiques inter-nationales, globales, qui permettent de sa-tisfaire au meilleur coût l’ensemble de leursunités touristiques. Wilkinson (2004) souligneque moins de 15 % de la nourriture consom-mée dans les hôtels de Sainte-Lucie estd’origine locale, notamment en raison dusouci de régularité des approvisionnements,des contrôles sanitaires et des goûts des tou-ristes. Les apports nets du tourisme doiventdonc être envisagés après déduction detoutes les importations (entre autres alimen-taires). Les études conduites à partir de l’îlede Sainte-Lucie laissent apparaître des per-tes financières équivalentes à 50 % des re-venus touristiques déclarés (Poon et al.,1990 ; Wilkinson, 2004). Les possibilités departicipation des populations locales au pro-cessus touristique sont alors limitées.

Ces remarques permettent de distinguer lesrevenus réels du tourisme et de mieux com-prendre les difficultés économiques de cer-taines îles au cœur des dynamiques touris-tiques. En filigrane, la question fondamentalequi se pose est celle du prix de revient du pro-duit touristique au regard des ressourcesconsommées localement et des investisse-ments, notamment en termes d’infrastruc-tures, financés par les autorités locales ; plus

précisément se pose la question du partagedes revenus. Actuellement, la priorité de cesjeunes États est plutôt celle de l’emploi.Dans ce contexte on peut cerner davantageles difficultés des Antilles françaises qui, endépit des quelques avantages fiscaux réels,sont loin de pouvoir rivaliser avec les autresîles de la région. Les avantages comparatifsdes îles moins développées sont plus at-tractifs que ceux de territoires plus riches,dotés de structures juridiques et socialesefficaces, qui garantissent les droits des so-ciétés locales, par exemple des salaires mi-nimums avec un code du travail, des lois inter-disant la privatisation des plages.

Ces îles fonctionnent davantage comme desimples supports d’accueil qui s’inscriventdans une logique internationale où les per-spectives de participation locale sont rédui-tes (faute de capitaux et d’accès aux mar-chés émetteurs). Le développement dusecteur touristique résulte de mécanismescomplexes dont la maîtrise échappe à despopulations locales partagées entre ran-cœur et sentiment d’impuissance, inflation etdollarisation des économies locales, ferme-ture de portions de rivages, coût du tourismepour le milieu et les hommes.

C’est dans un tel contexte (où l’importancedes flux touristiques et des ressources des îlescontraste avec la faiblesse des revenus) ques’impose la réflexion sur la recherche de nou-velles solutions de rechange, mieux ancréesdans les territoires et les sociétés d’accueil,pour un véritable projet de développementtouristique durable. L’écotourisme est alors aucœur des nouvelles propositions (Breton,2001). Il s’agit de soutenir des programmesdont l’une des ambitions est de contribuer da-vantage au bien-être des communautés lo-cales et d’aider à financer des aires protégées.Ainsi, le gouvernement du Venezuela, avec

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Plage à Punta Cana en République dominicaine. Photo : www.residence-alizea.com

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son programme Turismo y Revolución2, en-tend bien utiliser le tourisme comme outil auservice du développement endogène du payspar le soutien de projets écotouristiquescomme ceux coordonnés par la fondationPrograma Andes Tropicales (institution véné-zuélienne sans but lucratif) dans la région an-dine de Mérida (Lesfants et Molinillo, 2004).S’organisant à partir de flux diffus et modes-tes, les retombées économiques de l’éco-tourisme restent mesurées. Cependant ladiffusion de ces revenus dans des territoiresisolés, confrontés à une grande pauvreté,peut effectivement avoir un effet appréciablesur le bien-être des populations. L’écotourismeparticipe à la création d’emplois spécifiques(guide, artisanat) au sein des communautés lo-cales, à l’amélioration de l’habitat avec des pe-tites unités d’hébergement chez l’habitant etune revalorisation de la place des femmes. Lespratiques écotouristiques introduisent desrevenus complémentaires qui circulent ausein de la communauté et qui soutiennent desprojets communautaires éducatifs (en sup-portant l’école du village) et médicaux (cons-truction et animation de dispensaire). La ré-flexion autour de l’écotourisme prend alors toutson sens. Il s’avère indispensable d’envisagerde nouvelles approches touristiques, com-plémentaires et originales, mieux intégrées auxmilieux et aux sociétés d’accueil, susceptiblesd’introduire des solutions de rechange auclassique tourisme balnéaire de masse et des’inscrire dans une perspective de dévelop-pement durable.

Tourisme et développement, leslimites des logiques actuelles

Retranchement sécuritaire et« bulles touristiques »

Contrairement à l’idée reçue qui suggèreque les enclaves touristiques construites exnihilo (les fameux comptoirs qui concen-trent des hébergements et des servicesspécialisés dans des lieux où la présencede la population locale se limite à quelquescatégories d’emplois, celle-ci habitant àl’extérieur du lieu ; Équipe MIT, 2002) de-vraient naturellement évoluer au profitd’une ouverture sur les territoires et les so-ciétés d’accueil – en quelque sorte sur labase des modèles touristiques observéssur les littoraux européens –, les lieux tou-ristiques de la Caraïbe demeurent large-ment fermés et les nouvelles construc-tions mettent l’accent sur les dispositifs de

retranchement vis-à-vis des territoiresd’accueil. La prise en compte des risquessociaux et géopolitiques en général, dansun contexte régional complexe, fortementinégalitaire, conduit les investisseurs àprivilégier des modèles de lieux fermés etsécurisés. De dimensions variables, les en-claves peuvent s’étendre sur l’ensembled’un territoire micro-insulaire ou s’appro-prier quelques rivages avec une attentionparticulière pour les secteurs coralliens etun certain goût pour les sites de pres-qu’îles. Ces dynamiques ségrégatives – àl’image des réalités qui prévalent dans lesmétropoles de la région – ont renforcé lesprocessus d’enclavement depuis unequinzaine d’années. Loin de s’ouvrir, lescomptoirs se ferment davantage et la sé-curité est une condition indispensablepour leur succès commercial (comme lapresqu’île de Varadero, Cuba). Il en résulteun processus d’insularisation des lieuxtouristiques – réservés, coupés du territoired’accueil, avec leurs propres dessertes,parfois privées – qui se ferment au reste duterritoire d’accueil. Les populations loca-les indésirables se regroupent dans lesbanlieues urbaines et les autres bidonvilles,invisibles, ignorées de tous. Ces enclavesentretiennent les frustrations et les discri-minations au sein de ces sociétés éco-nomiquement « sous influence », où les ré-actions imprévisibles peuvent être brutales(par exemple à l’encontre d’un individu quis’égarerait hors des sentiers touristiquesbalisés).

Les événements des dernières annéesont souligné l’importance des conditionsgéopolitiques sur le tourisme internationalet les inquiétudes suscitées par les atten-tats du 11 septembre 2001 semblent avoirprécipité la réorganisation du marché : si laCaraïbe jouit d’une image de « paradissécurisé », de destination où les risquessont parmi les plus faibles pour les touris-tes, c’est en grande partie grâce au largeregroupement des touristes dans deszones enclavées. La région doit en effetsupporter d’importantes tensions sociales,des poches de pauvreté et des territoiresnon contrôlés aux mains de la criminalitéorganisée, des gangs et des cartels de ladrogue (qui ont aussi leurs entrées danscertaines stations comme Acapulco etNegril ; De Albuquerque et McElroy, 1999).Dans les villes touristiques, comme LaHavane ou San Juan, sont définis des« carrés touristiques », périmètres haute-

ment sécurisés dans un espace patrimo-nialisé, où le visiteur évolue en toute quié-tude sous la discrète vigilance des forces depolice consacrées au touriste.

Sécurisation des lieux et simplification dela vision de cet ailleurs désiré aboutissentà la logique des « bulles touristiques ».Comme le souligne Knafou (1992), « l’ex-plosion du tourisme de masse a produitune uniformisation croissante des carac-téristiques des lieux », soutenue par « l’exi-gence de standardisation, condition à unecommercialisation internationale des pro-duits touristiques ». La perte d’originalitédes produits touristiques aboutit « à ungommage complet de la spécificité deslieux » où les références au territoire natio-nal d’appartenance semblent bien secon-daires. On vend le soleil de la Caraïbe, la« plage de rêve » et l’« ‘authentique’ de‘pacotille’ triomphent, dans la mise endécor de nos vacances » (idem). Les tou-ristes n’ont aucun besoin de sortir de leurbulle touristique : ils ont acheté une part de« paradis » dans leur forfait. Tout le fonc-tionnement est conçu pour minimiser lescontacts entre les touristes et la société lo-cale. L’enclave se referme sur « sa » plageet le client reste dans ses repères deconsommation habituelle, son quotidien. Ilest dans un espace non étranger. Le dé-corum lui inspire cet ailleurs, mais tout lefonctionnement des lieux est calqué surson quotidien. C’est la tentation d’unailleurs contemplé de la terrasse d’un bar,d’une piscine ; la satisfaction d’un désird’exotisme tout en étant protégé de l’al-térité. Le touriste n’abandonne pas son en-vironnement familier pour un nouvel envi-ronnement totalement étranger.

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Dossier Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement

L’enclave du Village Pierre et Vacances àSainte-Lucie (Martinique). Photo : Olivier Dehoorne

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Tourisme dans la Caraïbe : logiques régionales et perspectives de développement Dossier

Le véritable défi serait que ces séjours en« bulle touristique » ne soient qu’une premièreétape, une prise de contact avec un milieulointain, désiré et redouté, pour un premierapprentissage qui guiderait le touriste versd’autres pratiques davantage intégrées auxsociétés d’accueil. Or, dans les logiquesactuelles du marché, la mise en scène de laTropicalité, de son exotisme, semble bien êtreune fin en soi. Le défi pour les sociétés lo-cales est de parvenir à proposer d’autres so-lutions, de « déconstuire » les représentationsdominantes pour se réapproprier leurs pro-pres images et d’imaginer d’autres per-spectives.

Les enjeux environnementaux enquestionL’accroissement rapide des flux sur des pe-tites îles, parfois sur des portions exiguës delittoral, pose de réels problèmes environne-mentaux qui nécessitent une réflexion sur leschoix de développement. Sur les littoraux tro-picaux, et surtout sur les territoires insulaires,les effets directs des modes de consomma-tion touristique actuels occasionnent de nou-velles dégradations qui s’ajoutent à celles pro-voquées par l’urbanisation et les pressionsdémographiques des lieux. Les processus quiaboutissent à la raréfaction de ressources etla pollution avancée sont identifiés (IslandResources Foundation, 1996 ; Saffache,2000), mais les prises de décision relèvent dudomaine politique. Il convient de s’interrogersur la cohérence des modes de gestion misen place, par exemple dans le cas des croi-sières, où plusieurs navires (avec plus de 3000passagers chacun) se concentrent dans unemême petite baie (comme la pointe Séraphineà Sainte-Lucie ou Havensite Mall dans les îlesVierges américaines). C’est aussi la situationcritique de l’île d’Aruba (113 000 habitants sur192 kilomètres carrés) qui reçoit plus de720 000 touristes de séjour (pour une duréemoyenne de huit nuits) et quelque 230 000croisiéristes. Les volumes de consommationqui accompagnent ces flux posent inélucta-blement des problèmes en matière de gestiondes déchets et de recyclage des eaux usées,avec des complexes hôteliers très souventdépourvus de système de traitement adé-quat. Une réflexion sur les effets de ce tou-risme de masse s’impose dans ces milieuxmarins fragiles, qu’il s’agisse de l’impact descroisières (Wilkinson, 1999), du mouillagedes plaisanciers ou des plongées et deschasses sous-marines dans les milieux co-ralliens affaiblis.

De telles situations conduisent à la fameu-se « spirale de la mort » (McElroy et De Al-buquerque, 1998), où l’urbanisation littoralestimulée par les flux touristiques provoqueune accumulation de pollutions domes-tiques qui conduit à la dégradation irré-versible de certains lieux très fréquentés,comme les plages de Miami Beach depuisles années 1960 et de Condado (SanJuan) depuis les années 1980. Et le cyclese reproduit implacablement ; les nouvellesdimensions de ce tourisme de masse,avec des densités particulièrement fortes,sont à prendre en considération. Des sec-teurs littoraux se détériorent rapidementdans ces petites îles aux ressources limi-tées et dont le milieu biophysique constituela principale richesse. Le non-renouvelle-ment des ressources pose le problèmedes choix de développement qui, pour l’-heure, relèvent des seules exigences decroissance économique (Daly, 1990 ;Goodland, 1992).

Face à l’affirmation d’un tourisme de massedans la Caraïbe, et son corollaire qu’est ladégradation avancée des ressources (no-tamment littorales), des stratégies éco-touristiques sont aussi déployées pourgérer différemment les lieux dotés des res-sources les plus prisées (les petites îles etîlots et leurs lagons). Compte tenu de lagrande vulnérabilité de ces ressources etdu risque de dégradation fatal que repré-senterait une ouverture incontrôlée augrand public, l’argument écotouristique,et plus largement écologique, est alorsfondamental. L’accessibilité réduite de ceslieux protégés, souvent dépourvus de liai-sons aériennes régulières, permet de conte-nir la fréquentation au profit de quelques éli-tes financières internationales. Préservation

des ressources et faible ouverture au pro-fit d’un tourisme haut de gamme vontalors de pair, comme dans les petites îlesde l’archipel de Saint-Vincent et lesGrenadines ou encore dans les archipelscôtiers du golfe du Honduras (Stonich,2000). L’affichage écotouristique, soutenupar l’intervention de quelques organisationsnon gouvernementales (ONG), se traduitdans l’espace par une fermeture des lieux,avec des tarifs prohibitifs qui permettent demieux se prémunir contre des « risques » dutourisme de masse.

L’environnement, l’accès aux ressources etleur gestion sont au cœur de conflits d’usa-ge qui relèvent de décisions politiques,comme dans le cas des réserves marinesdont les réglementations conduisent à ladisparition des pratiques traditionnelles. Denouveaux résidents internationaux s’installentdans ces « derniers paradis », tandis que lespopulations des îles investies, incapables desurvivre dans le nouveau cadre juridiqueimposé, dépourvues de ressources et dé-possédées de leurs terres communautaires,quittent les îles côtières pour le continent pro-che (comme dans le golfe du Honduras) ouse concentrent dans des bidonvilles urbains(Stonich, 2000).

Conclusion Le tourisme pose ici la question de l’inté-gration des communautés locales dansces pays où les différences politiques, ra-ciales et culturelles alimentent les conflits la-tents. Les alliances entre des groupes do-minants locaux – qui accaparent la plusgrande part des revenus – et des pouvoirsexogènes sont sources de tensions. Leschoix de développement en matière d’in-frastructures sont parfois contestables etcertaines communautés se sentent négli-gées, voire exclues. Par ailleurs, les dérivesdes pratiques dans certains lieux touris-tiques ne sont pas sans perturber des so-ciétés locales qui se replient sur des cultu-res traditionnelles. Ces stations touristiquessont parfois le théâtre de grands défouloirsoù des touristes s’autorisent, dans l’ano-nymat temporaire de ces « ailleurs », des dé-bordements impossibles dans leur sociétéd'origine, comme en matière de prostitutionet de pédophilie (Kempadoo, 1999). Lesanalyses axées sur les enjeux économiquestendent à négliger l’absence flagrante d’é-quité qui exacerbe les réalités de sociétéstrès inégalitaires. Inflation, sentiments de

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Les petits vendeurs se regroupent sur les circuitstouristiques qui relient les principales curiositésde l’île (Sainte-Lucie). Photo : Olivier Dehoorne

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manipulation, de spoliation, nourrissent desressentiments susceptibles de surprendre letouriste qui se promène au milieu de sescartes postales à mille lieux des réalités lo-cales.

Les rapports de force asymétriques et lesprofondes divisions attisent les tensionsautour des décisions prises en matière d’a-ménagement touristique et de gestion desressources naturelles. L’État, parfois partial,aux moyens limités, n’est pas toujours enmesure de contrôler l’évolution des projetsimpulsés par certaines élites locales aux in-térêts transnationaux. En ce sens, Edie(1991, cité par Daniel, 1996) insiste sur« l’unité dialectique entre clientélisme inter-ne et dépendance externe », où « dépen-dance et clientélisme peuvent être mieuxcompris s’ils sont appréhendés commeles différentes facettes d’une même réalité ;ils reposent sur le même modèle d’échan-ges asymétriques entre dominants et do-minés ».

Parmi les clés pour l’avenir, il convient demieux prendre en compte des réalités en-vironnementales humaines et biophysiquesdes espaces considérés, de s’interroger surle contrôle des terres et les processus deprivatisation des ressources convoitées.La recherche de solutions impliquant lescommunautés locales, tant sur les formesde consommation touristique que dans lerenouvellement des sources de revenus,s’impose pour s’écarter d’un développe-ment monolithique extraverti. Cela peuts’opérer par l’intermédiaire de projets d’é-cotourisme qui privilégient des pratiques ap-propriées, plus viables au regard du fonc-tionnement global de ces sociétés, tantéconomique qu’écologique ou politique(Hall et Lew, 1998). Mais le recours à l’ar-gumentation écologique doit aussi interpellerquant à son intentionnalité réelle. Le contrô-le des ressources est essentiel pour asseoirsa suprématie sur le territoire investi et lesacteurs dominants n’hésitent pas à déve-lopper des argumentaires écologiques quilégitiment leur appropriation des ressourcesen se donnant les moyens de contrôler lesmobilités touristiques autour des derniers« édens tropicaux ».

Olivier Dehoorne est maître de conférences

à l’Université des Antilles et de la Guyane

(Martinique).

Notes

1 Touristes français.

2 « Todos podemos contribuir con un granitode arena para el desarollo sustentable de laactividad turística en nuestro país. Eldesarollo es endógeno cunado nace desdeadentro, desde cada comunidad, desdecada casa, desde lo profundo de cadaciudadano y ciudadana. » (Nous pouvonstous contribuer ne serait-ce qu’un grain desable au développement durable de l’acti-vité des touristes dans notre pays. Le déve-loppement est endogène quand il prendnaissance de l’intérieur, de chaque com-munauté, de chaque foyer, de la consciencemême de chaque citoyen et chaque ci-toyenne. (Ministère du Tourisme, Venezuela.)[Traduction libre]

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