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Les Notes de l’Institut Diderot PASCAL NOUVEL Le futur de la procréation www.institutdiderot.fr

Le Futur de la Procreation

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La maîtrise des conditions des cellules souche permet d'envisager d'importants changements dans la procréation humaine...

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  • Les Notes de lInstitut Diderot

    PASCAL NOUVEL

    Le futur de la procration

    www.institutdiderot.fr

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    PASCAL NOUVEL

    Le futur de la procration

    Les Notes de lInstitut Diderot

  • SOMMAIRE

    AVANT-PROPOS p. 5Dominique Lecourt

    LE FUTUR DE LA PROCRATION P. 7Pascal Nouvel

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  • 5AVANT-PROPOS

    Trop souvent les questions philosophiques ractives par lesprogrs des sciences du vivant le domaine de ce quon appellela biothique ne font lobjet dune prise de conscience quedans laprs-coupdune ralisation technique imprvue.Le clonagede la brebis Dolly en 1996 en est un exemple mmorable parlampleur des ractions incrdules,hostiles ou enthousiastes quila suscites.Pascal Nouvel,biologiste de formation et professeur de philosophie lUniversit Paul Valry de Montpellier, nous incite prendreles devants pour ne pas cder la panique le moment venu surlun des fronts les plus actifs de la recherche actuelle, celui de laprocration.Comment nous prparer lapparition trs probable de nouvellestechniques de procration par fcondation in vitro reposant surla productionde cellules sexuelles (gamtes) artificielles ? Imaginez,par exemple, quun simple prlvement de peau suffirait !Ces techniques non classiques de procration vont bousculerlide que nous nous faisons de notre filiation. Faire natre desenfants partir de gamtes provenant de deux individus demmesexe (fminin ou masculin) enfreindrait la rgle universelle dela procration humaine jusqu ce jour .La logique de Pascal Nouvel nous invite penser aux extrmeset faire une exprience de pense indispensable la matriseintellectuelle,demain,dunprocessusqui apparat aujourdhuidoreset dj engag.

    Pr. Dominique LecourtDirecteur gnral de lInstitut Diderot

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  • 7LE FUTUR DE LAPROCRATION

    Lanne 2010 a t marque par lattribution du prix Nobel dephysiologie ou mdecine au biologiste Robert Edwards qui estle premier, avec son collgue gyncologue Patrick Steptoe (morten 1988), avoir ralis une fcondation in vitro chez lhommeavec succs. Ce prix constitue une conscration pour unetechnique introduite il y a maintenant environ 30 ans etabondamment dcrie lors de son introduction elle reste toujoursdcrie dailleurs par certains,comme lamontr la condamnationpar leVatican de ce prix Nobel.En dpit de ces diverses critiques,cette technique est devenue relativement courante puisquelleest aujourdhui lorigine dun peu plus de deux naissances surcent en France : 20 000 sur 800 000 environ en 2009. Lors delannonce du laurat du prix, le comit Nobel a motiv son choixen prcisant que Robert Edwards avait contribu dfinir unnouveau champ de la mdecine : la mdecine de linfcondit.Cette pathologie concerne environ 10%des couples htrosexuels(et, mais cela le comit ne le prcise pas, 100 % des coupleshomosexuels : on verra plus loin pourquoi nous soulignons cepoint qui constitue, en fait, le cur du prsent article).Le comitNobel indique aussi que depuis la naissance de Louise Brown,le 25 juillet 1978,premier bb-prouvette , environ 4 millionsdenfants sont ns grce cette technique, soit peu prs lapopulation actuelle dun pays comme lIrlande.

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  • TRAVAUX DEDWARDS PRCDSPAR DES TRAVAUX CHEZ LANIMALLes travaux deRobert Edwards et Patrick Steptoe, rendus publicsen 1978 par un article paru dans la revue The Lancet 1, ont tprcds par des essais de fcondation in vitro avec transfertembryonnaire raliss chez le lapin par Min Chueh Chang. Cestravaux ont t publis dans la revue Nature en 1959 2. Ainsi,conformment lamthode prconise par ClaudeBernard,dansce domaine comme dans beaucoup dautres en mdecine,lexprimentation animale avait prcd les interventions surlhomme 3. Ce nest donc pas un exploit technique qui a trcompens par le comit Nobel (qui na pas distingu, jusquici,les premiers promoteurs de la fcondation in vitro chez lanimal),mais bien sa transposition chez lhomme 4.Cequont fait Edwards et Steptoe cest doncde considrer la plaintede patients qui ne souffraient daucune maladie comme relevantde la mdecine. Car des personnes infertiles ne sont pas proprement parler malades .Elles sont seulement demandeusesde quelque chose que leur organisme leur refuse. Or, beaucoupdindividus sont dans cette situation.Le sportif qui voudrait gagnerune course et qui ny parvient pas nest-il pas, lui aussi,demandeurde quelque chose que son organisme lui refuse ? Sensuit-il quele mdecin doive accompagner la plainte de cette personne enlaidant se doper ?On rpondhabituellementnon cette question,mme si cette rponse est moins transparente et simple quon nele laisse gnralement penser. Mais si le mdecin rpond non au sportif qui vient chercher auprs de lui un moyen de sedoper, quel titre devrait-on considrer comme allant de soi quilrponde oui lorsquil sagit dune incapacit de produire desdescendants ? On a considr comme relevant naturellement

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    1. Patrick Steptoe, Robert Edwards, Birth after the reimplantation of ahuman embryo,The Lancet 312 (8085) : 366, 1978.2. MinChuehChang,Fertilizationof rabbit ova in vitro,Nature184:466-67, 1959.3. Claude Bernard a systmatis lusage, en mdecine, du dtour parlexprimentation animale. Il expose cette mthode notamment dans sonouvrage le plus clbre : Introduction ltude de la mdecine exprimentale,paru en 1865.4. Pour une histoire des fcondations in vitro, voir : Jean Cohen et al., Theearly days of IVF outside the UK, inHuman reproduction, 5, 439-459 (2005).

  • de la mdecine la demande de patients souhaitant rsoudre unproblme dinfertilit alors quon considre comme relevant problmatiquement de la mdecine une demande visantlamlioration des performances du corps. Sur ce genre deparadoxe la biothique se propose traditionnellement de fournirlclairage de la rflexion philosophique et historique.

    LA BIOTHIQUEMais on sest parfois mu de constater que les rflexions biothiques , au lieu de prcder les avances les plus dcisivesde la mdecine, taient plutt suscites par elles.Ainsi, lthique,comme la cavalerie Waterloo, arrive en retard. Ce sont lesfcondations invitroquiont fait prendreconsciencedecette situation.Avec la naissance de Louise Brown, on a compris que le degr dematrise qui avait t atteint par la technique mdicale aurait dinciter une rflexion thique pralable. Les travaux de Changraliss chez le lapin auraient pu, eux seuls, dclencher cetterflexion : ce qui se faisait chez ce mammifre domestique avaitdes chances de pouvoir se faire chez lhomme. Ds lors, un bonmoyen de reprer les problmes que susciteront, dans lavenir, lesprogrs des sciences mdicales consiste suivre les progrs lesplus notables raliss dans lexprimentation animale. Pour labiomdecine, lanimal est lhorizon de lhumain. Ainsi, regarderce qui est aujourdhui dans le tubeEppendorf des biologistes,cestregarder ce qui sera demain dans lprouvette des mdecins.

    LE FUTUR DES FCONDATIONS IN VITROOr certainesmanipulations ralises actuellement chez la souris,si elles taient transposes lhomme, feraient natre unesituation nouvelle qui na pratiquement encore jamais taborde dans les discussions thiques souleves par les progrsdes sciences du vivant. Mises en application chez lhomme, cestechniques bouleverseraient de faon radicale nos conceptionsde la procration et de la filiation. Dans son livre Lavenir dela nature humaine, Jrgen Habermas crit : Dores et dj, laprocration mdicalement assiste a conduit des pratiquesqui empitent de manire importante sur les relations

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  • intergnrationnelles et sur le rapport usuel entre la parent socialeet la parent biologique. 5 Il ne tient pourtant compte que dece que nous appellerons plus loin les fcondations in vitro classiques (celles qui sont pratiques aujourdhui). Il nammepas ide, apparemment,de celles qui se prparent.Ces nouvellestechniques appliques la procration humaine pourraient fairejaillir, outre des problmes thiques, anthropologiques et sociaux,des contradictions entre les dispositifs lgislatifs existants,comme nous allons le voir.

    LES NOUVELLES TECHNIQUESDE FCONDATION IN VITRO

    Quelles sont ces nouvelles techniques ? Pour les prsenter, jevoudrais partir dune anecdote. Lorsque je faisais ma thse debiologie lInstitut Pasteur, jeme souviens quun jour jtais dansle laboratoire de Charles Babinet o je ralisais des expriencesde fcondation in vitro chez la souris.Et Charles me parlait dunepersonne qui aurait voulu voir le rsultat de la prsencesimultane de deuxmutations, lesquelles taient portes par deuxmles diffrents et, de plus, striles. Cette personne demandaitsil serait possible de croiser les deux mles. Et je me souviensque Charles partit, un certain moment, dans un grand clat derire et dit : Certes, je suis trs fort, mais croiser un mle avecun autre mle, a je ne sais pas faire ! Et je ne suis pas sr quonpuisse jamais le faire. Il tait prudent, il disait je ne suis pas sr . Et il avait raisondtre prudent, car aujourdhui, une quinzaine dannes aprs,croiser un mle avec un autre mle est devenu une chose, nonpas peut-tre courante,mais dumoins envisageable.Depuis cinqou six ans dj une srie de publications font en effet tat de lacration de cellules germinales par diffrenciation in vitro partirde cellules somatiques adultes6. Ce qui signifie quil est possible

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    5. Jrgen Habermas, Lavenir de la nature humaine, vers un eugnisme libral ?,Gallimard, Paris, 2001.6. Pour une revue sur ces travaux, voir : Samir Hamamah, Spermatozodessans testicules ou ovocytes sans ovaires, est-ce possible ? inAndrology, 19,189-190, 2009.

  • dobtenir des gamtesmles et femelles (spermatozodes et ovules) partir de cellules somatiques (des cellules de peau,par exemple).On les appelle des gamtes artificiels.Les techniques dobtention de gamtes artificiels prsentent unindniable intrt. Elles permettent de pallier la principalelimitation que rencontrent actuellement les fcondations in vitro :la difficult dobtenir, en nombre suffisant, des ovocytes pour lafcondation. Les gamtes femelles (ovocytes), issues dunematuration dans les organes sexuels fminins que sont lesovaires, ne peuvent, en effet, tre obtenus quen quantit limite.Cette restriction a une double consquence. Dabord, elle incite rechercher des moyens de stimuler la production de cellulessexuelles chez la femme. Ces moyens existent mais ils sontcontraignants.Ensuite,mme quand on fait usage de cesmoyens,les ovocytes restent en nombre restreint (une dizaine, souventmoins). Il sagit l de la principale limitation aux fcondations invitro. Elle peut tre surmonte par lobtention dovocytesartificiels.Les productions de gamtes artificiels seront donc, selon toutevraisemblance, dveloppes dans les annes qui viennent,soutenues quelles seront par une demande mdicale elle-mmejustifie par le louable souhait dviter dexposer des femmes des traitements de stimulation ovarienne lourds et contraignants.Nous ne nous tendrons pas sur laspect technique de ces progrs.Le lecteur intress par ce ct du problme pourra se reporter quelques-uns des articles cits en note 7.Nous nous intresseronsaux problmes thiques qui sannoncent en relation avec cesinnovations que nous considrerons donc comme virtuellementacquises.

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    7. Les trois publications sminales sur le sujet sont : 1) Hbner K, FuhrmannG, Christenson LK, et al. (2003) Derivation of oocytes from mouseembryonic stem cells, Science (NewYork, NY) 300:12516, 2) Geijsen N,Horoschak M, Kim K, et al. (2004) Derivation of embryonic germ cells andmale gametes from embryonic stem cells, Nature 427:14854, 3) ToyookaY,Tsunekawa N,Akasu R, et al. (2003) Embryonic stem cells can form germcells in vitro, Proc Natl Acad Sci USA, 100:1145762. On peut y ajouter, plusrcemment : Generation of viable male and female mice from two fathers,Jian Min Deng, Biology of reproduction, 83, 2010.

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    PROBLMATIQUE THIQUELe mouvement qui a vu se mettre en place la fcondation in vitro la fin des annes 1970 sest poursuivi avec divers raffinements(linjection intra-cytoplasmique de spermatozode, par exemple,ou le diagnostic primplantatoire) et il semble devoir se poursuivreencore.Or, lun de ces raffinements va certainement susciter descontroverses thiques en raison de la charge symbolique quilporte avec lui : cest la possibilit denvisager des procrations partir dindividus demme sexe.En effet,ds lors quil est possibledobtenir des gamtes in vitro, il est galement possible denvisagerdes croisements fconds entre des individus du mme sexe. Enappliquant les techniques de production de gamtes artificiels,deux femmes ou deux hommes pourront avoir ensemble un enfantviable et fcond. Il sagira dune forme particulire de fcondationin vitro : une fcondation in vitro ralise partir de gamteseux-mmes obtenus in vitro. Une fcondation in vitro au carr,en quelque sorte.Monique Canto-Sperber et Ren Frydman, dans un livre rcent(2008), intitul Naissance et libert : la procration, quelles limites ? 8,ne mentionnent quen passant les questions que soulvent lespossibles naissances denfants conus par des individus demme sexe. Ils ne consacrent ce sujet aucune analyse spcifique.Leur livre comporte pourtant un chapitre consacr aux gamtesartificiels. Les auteurs y voient la fin des problmes moraux .Ils conoivent cette technique comme un moyen daffranchir lesfcondations in vitro de la limite que constitue le recours desovocytes prlevs chez des femmes. Cest son principal intrtmdical, comme nous lavons vu.Mais ils omettent un ensemblede problmes de grande porte (retenus, peut-tre, par leurampleur) qui touchent quelques-unes des racines les plusprofondes de lthique : la nature du dsir humain, la nature desdiffrences entre les sexes et la nature des reprsentationsimaginaires qui y sont associes. La fin des problmes morauxquils voquent est aussi le point de dpart de toute une sriedautres problmes non moins moraux. Ce sont ces problmesque nous voudrions aborder ici.

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    8. Monique Canto-Sperber, Ren Frydman, Naissance et libert, la procration,quelles limites ?, Plon, Paris , 2008.

  • UNE DFINITION DE LHOMOPROCRATIONIl nest ni besoin dtre clair par des intuitions prophtiquesni ncessaire dtre guid par un fatalisme progressiste (ide selonlaquelle on narrte pas le progrs ) pour penser que sil devientpossible dobtenir des gamtes in vitro, alors la demande de pouvoiren bnficier dans un but de procration par des coupleshomosexuels se prsentera certainement.Cette demande sinscriten effet dans la logique des revendications dhomoparentalit.La demande touchera alors non pas seulement la possibilit,pourun couple homosexuel, dlever des enfants, mais celle deprocrer, linstar dun couple htrosexuel. De mme que lonparle dhomoparentalit pour dsigner des couples forms de deuxparents de mme sexe, nous proposons de nommer homoprocration le procd qui consisterait faire natre desenfants partir de gamtes provenant de deux individus demmesexe.Nous nommerons htroprocration les procrations quisont issues de la rencontre de gamtes dindividus de sexe diffrent :rgle universelle de la procration humaine jusqu aujourdhui.Comme nous le rappelions un peu plus haut, le comit Nobel adistingu en Robert Edwards le fondateur dune nouvelle formede mdecine, la mdecine de linfcondit.Mais ny a-t-il pas desinfcondits quon na pas song, jusquici, corriger ? Quenest-il de linfcondit des couples homosexuels ? Il est manifestequon na pas song la corriger parce quelle tait juge naturelle , donc normale. De mme quon ne plaint pas unhomme de navoir pas trois bras mais quon a piti de celui quinen a quun, il ne semblait pas quil y eut motif dplorer lastrilit de couples homosexuels :elle tait,pensait-on,dans lordredes choses. Elle apparait mme, pour certains, comme le signele plus vident que les relations homosexuelles sont contre-nature.Mais la science prsente cette particularit que ce qui, un jour,apparat contraire aux processus spontans de la nature peut,unefois ces processusmieux compris,apparatre conforme cesmmesprocessus. En dautres termes, la science fait de la nature unenorme seulement provisoire : la nature nest une limite quaussilongtemps quelle reste incomprise.

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    LES ENJEUX DU DSIR DENFANTAvant den venir lexamen de la nouvelle situation qui pourraittre cre par les progrs que nous voquons, examinons ce quiest en jeu dans une demande denfant.Les procrations humainessont agences de faon si peu conforme aux conceptions de lavie que se font les humains que certains ont des enfants alorsquils nen voudraient pas ils sont mme disposs, parfois, lesabandonner, voire les liminer tandis que dautres ne peuventen avoir alors quils en voudraient.Dans un tat qui saurait tirerhabilement parti des imperfections de la nature, les inconvnientsdcoulant de cette situation pourraient tre facilement corrigs :les enfants produits par les couples qui nen veulent pas seraientconfis ceux qui en veulent, en esprant quun quilibre se fasseici entre, si lon ose dire, loffre et la demande.Et cest bien vers ce genre dquilibre que tendent les pratiquesdadoption (mme si elles sont bien loin dy parvenir). Ellessappuient sur le fait que le dsir denfant prend parfois la formedu dsir dadopter un enfant. Il est peu de scnes dans lesquellesleffusion affective soit plus manifeste que celles dans lesquellesdes parents entrent en possession,pour la premire fois,denfantsquils ont adopts.Les parents adoptifs se disent alors heureux , combls , etc. A les entendre, cest le plus beau jour de leurvie. Il est possible que les difficults administratives que les socitscontemporaines opposent gnralement ladoption les incitent mettre en scne avec un peu demphase laffection quilsprouvent : il sagit demontrer quils ne sont pas avares de signesdattachements envers lenfant tant convoit et de signaler parl quils ont mrit ce dernier. Il se peut aussi que les difficultsmises la satisfactionde leur dsir aient,par elles-mmes,augmentce dsir au point quil leur soit devenu impossible den matriserles manifestations. Mais, quoiquil en soit, il est vident queladoption parat combler le dsir denfant de certains parents.Alors, pourquoi ne pas y recourir plus systmatiquement ?Cest un fait que, le plus souvent, ladoption nest pas ce quesouhaitent les couples.Ou, sils la souhaitent, cest seulement ensecond lieu. La plupart des couples veulent, en premireintention, des enfants qui soient les leurs. Ils tiennent ce queleurs enfants soient non seulement ceux quils lvent et qui sontlgalement et socialement reconnus comme les leurs mais aussi ce que ces enfants soient leurs crations biologiques, ralises

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  • partir de leur propre nature. Il est rare, cependant, quilssinterrogent sur la structure de ce dsir.Pourquoi les couples souhaitent-ils gnralement que leursenfants soient aussi leur descendance gntique ? Peut-tre parcequils veulent retrouver leur nature dans celle de leur progniture.Sans doute est-il agrable lhomme de retrouver un peu delui-mme dans la faon de marcher, de penser, de rire, de seplaindre, de se mettre en colre dun enfant. Et il nest pas fauxque ces caractres sont parfois associs la transmission des gnes.Mais ce plaisir est-il vraiment dun prix tel quil vaille la peinede le placer au-del de tout autre ? (sans compter les alas quisont associs cette attente, car il arrive que les parentsmaudissent leurs enfants, parfois justement parce quils leurressemblent trop).Si on veut que lenfant soit son enfant (au sens gntique),cela signifie que lon accorde une certaine valeur,pour une raisonou pour une autre, au fait que lenfant soit issu pour partie deses propres cellules germinales. On peut proclamer que cela nedevrait pas avoir dimportance, que les gniteurs, au sensbiologique du terme, ne sont que des fictions, que seule comptelhospitalit utrine dune part, lenvironnement offrant des prisesaux instincts dattachement de lenfant aprs sa naissance,dautre part. Mais si on reconnat la trs grande importance deces deux facteurs, il apparat difficile de ngliger le seul facteurgntique.Et donc, bien que la demande denfant des couples infertiles nesoit pas entirement limpide, elle a t reconnue comme dignedtre prise en charge par la mdecine. Cest en tout cas cettedemande que la fcondation in vitro fait droit. Car ce quepropose la fcondation in vitro, cest de transformer un dsir enenfant l o la nature ne remplit pas cet office. Et cest ainsi quelamdecine prend son compte lide selon laquelle limpossibilitdavoir un enfant pour un couple htrosexuel est une pathologiesur laquelle elle se doit de proposer les interventions que samatrisetechnique du vivant lui permet dlaborer.

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    EMPATHIE MDICALEEn apportant son savoir-faire la demande denfant dun coupleinfcond, lemdecin semble se comporter dune faon on ne peutplus humaine puisque son intervention est fonde sur lempathie.Il ressent ou, au moins, comprend lui-mme la douleur de cescouples qui ne peuvent avoir denfants.Le leitmotiv du spcialistede la fcondation in vitro est invariable : il faut comprendre lasouffrance des couples infconds. 9 Le nouveau champ de lamdecine dont parle le comit Nobel est donc principalement lersultat de cette empathie qui fait que le mdecin comprendla douleur et singulirement celle des couples infconds (etpeut-tre fut-il aussi, au moins pour ses premires ralisations,le rsultat dun autre facteur, plus insidieux et moins avouable :le sens de lexploit, mais nous nen parlerons pas ici).Cest lempathie du mdecin qui permet que le dsir procratifsoit reconnu comme lgitime et que soit considr commepathologique ltat qui empche le dsir dun couple de pouvoiraboutir une naissance.Ce dsir peut se prvaloir dun caractrede normalit par rfrence aumodle qui est fourni par la fconditde lamajorit des couples htrosexuels.Et ainsi, lemdecin peuttrouver logique doffrir ses comptences aux sollicitations qui luisont adresses. En irait-il de mme si les demandes venaient decouples homosexuels ? Du point de vue formel, la demande auraitlemme aspect,elle serait adresse lammepersonne (lemdecin)et solliciterait la mme empathie pour obtenir le mme rsultat.Mais obtiendrait-elle lamme rponse ?Sans doute pas.Ne serait-ceque parce que lemdecin semettrait alors en infraction par rapport la loi, aumoins en France ? La loi de biothique de 2004 prciseen effet : est interdite toute intervention ayant pour but de fairenatre un enfant, ou se dvelopper un embryon humain, qui neserait pas directement issus des gamtes dun homme et dunefemme . Le mdecin suggrera ventuellement un couplehomosexuel de faire une demande dadoption. Mais, la logiquede lgalit des formes de couples aidant, on remarquera que siun couple htrosexuel parat faire une diffrence entre un enfantissu de lui et un enfant adopt, il ny a gure de raison quuncouple homosexuel ne fasse pas cette diffrence.

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    9. M Canto-Sperber, R Frydman, op. cit.p. 343.

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    Et cest alors quon se tournera vers la loi pour interroger lesmotifsdes interdits quelle dicte. Plaons-nous un instant au point devue des revendications les plus librales. Il est manifeste que leslimitations fixes par la loi de biothique (notamment celle quivient dtre rappele touchant les interventions ayant pour butde faire se dvelopper un embryon) ne sont pas adaptes ltatdu savoir-fairemdical qui sannonce.En effet, partir dumomento on admet que le dsir de procration des individus constitueune raison suffisante pour justifier quon lui fournisse uneassistance mdicale, il est difficile dopposer un motif thoriquesrieux lide dune homoprocration (nous examineronscependant un certain nombre dobjections un peu plus loin,maisnous nous plaons ici du point de vue des revendications quenous voyons se profiler). La situation nouvelle qui se dessineimposera certainement une rflexion sur les fondements deslgislations qui ont dj t labores. Elle demandera ou bienque la loi supprime un certain nombre des prohibitions quelleinstaure,ou bien quelle leur fournisse une justification plus solideet qui tienne compte des nouvelles possibilits ouvertes par lesprogrs de la recherche. En tout tat de cause, elle appellera une analyse philosophique de la notion de procration. Pourengager cette analyse, examinons dabord la nature de cesprocrations dun nouveau genre (homoprocrations) compare celles que nous connaissons (htroprocrations).

    DISTINCTION ENTRE DEUX TYPESDE FCONDATIONS IN VITRO

    Dans la nature, les individus produisent des gamtes selon leursexe : les mles produisent des spermatozodes et les femellesproduisent des ovocytes.Cest la rencontre de cellules de chacunde ces deux types qui constituera la premire cellule de lembryon.Dans tout le rgne animal, lexception de quelques cas departhnognse rares,en gnral chez les insectes (quelques lzardset quelques poissons aussi,aucunmammifres), lhtroprocrationest en effet la rgle.Cest le cas, bien sr, chez lhomme.Tout trehumain ayant jusquici vcu surTerre provient, biologiquement,dune cellule fournie par un homme et dune cellule fournie parune femme. Ainsi, chaque sexe est associ un type de gamte

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  • et un seul.Cette loi ne connat pas dexception et elle est respectedans les fcondations in vitro actuelles. Ces dernires sont desformes dhtroprocration,cest--dire des procrations partirde gamtes qui proviennent dindividus de chacun des deuxsexes. Il convient donc de distinguer deux types de fcondationsin vitro : les fcondations in vitro classiques (lacclration desdcouvertes et des inventions dans ce domaine fait que trenteannes suffisent faire dune innovation radicale, une pratiqueclassique) ralises partir de cellules germinales prleves chezune personne de chacun des deux sexes et les fcondations invitro du deuxime genre ou de seconde gnration dans lesquellesles cellules germinales seront elles-mmes produites in vitro partirde cellules somatiques (par exemple des cellules de peau misesen culture).A partir dun extrait de cellules de peau prlev chez un homme,on pourra obtenir des gamtes femelles (des ovocytes) commedes gamtes mles (des spermatozodes). Il suffira de changer lesconditions de culture des cellules pour obtenir lun ou lautredes deux types cellulaires.En prsence de tel produit, on obtientdes spermatozodes, l o, en prsence de tel autre produit, onobtient des ovocytes.Ainsi des individus issus de lun ou lautresexe pourront tre lorigine des deux types de gamtes et pourronttre croiss en saffranchissant de la contrainte que constituaitlobligatoire rencontre de gamtes issus dindividus des deux sexes chaque gnration, drogeant ainsi la norme naturelle delhtroprocration.

    PROCRATION ET SYMBOLECeque font apercevoir ces nouvelles techniques,cest quenmatirede procration, les fcondations in vitro nont, jusquici, pasfondamentalement innov puisquelles se bornent reproduirece que la nature fait dj. On peut donc les qualifier de classiques en un deuxime sens. Non pas seulement en cequelles disposent dsormais dun statut reconnu dans lessocits occidentales,mais en ce quelles consacrent la structurenaturelle de la parent : tous les enfants issus de la fcondationin vitro ont un pre et unemre biologique.Certes, les fcondationsin vitro classiques innovent en permettant que des couples aientune descendance qui, au lieu dtre la consquence de rapports

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  • sexuels,est la consquence dunemanipulation effectue sur leurscellules germinales. Mais cependant elles demeurent classiquesen ce quelles empruntent ces cellules au corps humain : les gamtesfemelles des femmes, les gamtes mles des hommes. Ellesorganisent seulement le rapprochement de ces gamtes dans unmilieu artificiel.On ne peut pas en dire autant des fcondations in vitro partirde gamtes artificiels , elles-mmes issues dune maturationin vitro. Ces nouvelles techniques, si elles taient utilises dansun but procratif, aboliraient le caractre universel delhtroprocration. Mme si cette forme de procration neconcernait que quelques rares individus, la mise en uvre deces techniques provoquerait un remaniement symbolique telque mme les socits occidentales, accoutumes pourtant audpassement de normes de toute sorte, ne pourraient, cetteoccasion, faire lconomie dun rexamen critique (etvraisemblablement polmique) de quelques-unes des notions lesplus fondamentales sur lesquelles elles sont construites.

    NORME NATURELLE DE LHTROPROCRATIONOn rappelait plus haut largument classique par lequel oncondamne ou dprcie frquemment les formes homosexuellesde relations : celles-ci seraient contre-nature. La nature auraitfourni elle-mme son verdict ces unions et la strilit serait lesigne par lequel elle les dsapprouverait. Ce qui est fcond estce qui est vivant, gratifi par la vie, couronn, approuv par elle.Cest dailleurs la raison pour laquelle on estime injuste quuncouple htrosexuel qui dsire avoir un enfant ne puisse procrer.Il y a injustice parce quil semble y avoir quelque chosedarbitraire dans le fait que tel couple soit strile et tel autre non.A linverse, dans le cas des couples homosexuels, il ny a pasdarbitraire sous le rapport de la fcondit : le couple estinvariablement strile. Une relation entre deux femmes ou entredeux hommes est donc juge par la nature avant dtre juge parles hommes : elle ne permet pas de conduire des descendants.Elle est sans signification au point de vue de lavenir de lespce.Si on oppose cela lexistence de couples homosexuels, donc desentiments entre des personnes du mme sexe, on rpond quece sont ces sentiments qui sont contre-nature, etc.

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    Ainsi, cette rgle naturelle qui veut quun homme ne puisse avoirdenfant quavec une femme est devenue le fondement dujugement de condamnation pos sur lhomosexualit. Et tandisque linfcondit des couples htrosexuels apparaissait commeune calamit bien digne dtre prise en charge par tout ce quela mdecine avait offrir de plus bienveillant et de pluscomprhensif des plaintes trop faciles comprendre pour quonsonge les analyser, la strilit (il faut ici parler de strilit et nondinfcondit puisque la strilit se dfinit commeune infconditdfinitive) des couples homosexuels ntait pasmme interroge.Dailleurs, les couples homosexuels nlevaient, ce sujet aucuneprotestation.Ayant reconnu par eux-mmes que la nature navaitpas t assez gnreuse pour attacher leurs dsirs des effetsprocratifs et alors mme quils contestaient lhgmonie desnormes de lhtrosexualit, ils admettaient que la consquenceen fut quun dsir denfant de leur part eut t dplac. Il leurparaissait dj suffisamment subversif de rclamer la possibilitde pouvoir adopter des enfants, sans quil leur vnt lide de seplacer au mme point de vue que les couples htrosexuels qui,eux, nenvisagent ladoption quune fois que les essais deprocration mdicalement assiste se sont avrs infructueux.Mais les normes,dans tous les domaines,doivent tre compatiblesavec ce que la technique, un certainmoment,permet de raliser.Si les techniques de procration voluent, ce qui parat treaujourdhui une norme naturelle pourrait devenir une simpleconvention que les lgislations des tats auraient dfinir.Lhomoprocration pourrait devenir lhomoparentalit ce quela fcondation in vitro est aujourdhui aux couples infconds,contraignant ainsi les tats laborer (ou rlaborer) desdispositions lgislatives encadrant ces nouvelles pratiques. Onpeut sattendre ce que ces lgislations diffrent quelque peuselon les pays : certains tats autoriseront cette pratique tandisque dautres linterdiront, gnrant ainsi des situations propicesau dplacement de personnes uniquement lies au souhait debnficier de la lgislation la plus adapte leurs dsirs (ce quona parfois appel tourismeprocratif et qui a dj pu tre constaten relation avec des diffrences portant sur la lgislation de lagestation pour autrui, par exemple).

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    SEXE ET BIOLOGIE

    Mais jusqu quel point peut-on produire des lgislations sur unsujet aussi consubstantiel la vie que la sexualit ? Quelle margepeut-on autoriser, dans ce domaine, par rapport aux processusnaturels ? Et pour quelle raison faudrait-il le faire ? Laissons iciparler le biologiste10. Il sait, lui, le rle essentiel qua pu jouer lasexualit dans lhistoire de la vie. Dans la sexualit, il ne voitdailleurs pas le foyer o salimente tout dsir humain, commele font les psychanalystes,mais simplement lemcanisme qui sestavr le plus efficace le plus rpandu aussi, par consquent pour assurer des changes de gnes entre les individus duneespce.La sexualit est une invention biologique avant (bien avant) dtreune invention culturelle et humaine.Or la biologie semoque desindividus. Elle ne sintresse, en eux, quaux rapports quilsentretiennent avec lespce laquelle ils appartiennent.Du pointde vue de lespce, il est indiffrent de savoir quel individu changeses gnes avec quel autre. En revanche, il nest pas indiffrent,parce quil est trs avantageux, toujours au point de vue de lespce,quun brassage gntique soit rendu obligatoire chaquegnration. Pareil brassage implique un receveur et un donneurquon qualifiera, conventionnellement, respectivement de femelleet de mle (femme et homme sil sagit dhumains).Sil existe une norme naturelle de la sexualit, cest donc celledu brassage des informations gntiques entre les individus chaque gnration. Le mle et la femelle ne sont que les formesphnotypiques par lesquelles sinstituent, dans cet change, undonneur et un receveur.Elle na pas dautre signification (au pointde vue biologique), mme si, au cours du temps, ces formesphnotypiques que sont le mle et la femelle se sont, danspratiquement toutes les espces, singularises par des caractresphysiques et comportementaux typiques et reconnaissables et aussipar des formes de dsirs spcifiques de lun et lautre sexe pourleur mutuelle possession.

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    10. Voir Pierre-Henri Gouyon, Aux origines de la sexualit, Fayard, Paris, 2009.

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    SYMBOLESMais lhommenest pas fait de chair seulement. Il nest pas un trepurement biologique.Il vit aussi de symboles.Ainsi, les fondementsconstitutifs de lespce (et notamment sa division en deux sexeset leur obligatoire rapprochement dans la reproduction) ont prisplace dans le rseau des symboles qui structurent limaginairehumain. Les anthropologues insistent sur le rle que peut avoirlide dumlange des contraires dans la filiation,cest--dire,dansce qui dcoule de la procration 11. Ils soulignent volontiers quelhtroprocration nest pas seulement une loi biologique maisaussi une loi symbolique.Modifier ce code symbolique (ce qui seraitla consquencede lintroductionde lhomoprocrationcommemodede reproduction chez lhomme), pourrait avoir des consquencesimportantes et cependant dautant plus difficiles anticiper quenous ne pouvons en avoir aucune exprience pralable.Lhomme na-t-il pas abondamment fantasm et il fantasme etfantasmera encore,assurment sur cette conditionqui est la siennedappartenir biologiquement lun ou lautre sexe ?Or,expliquentles anthropologues, il appartient lhritage symbolique delhomme de faire porter sur la procration des constructionsimaginaires qui lui donnent un sens.Telle est la loi de la culture.Une loi que,dans leur diversit, toutes les cultures expriment dunemanire oudune autre en instituant des systmesde filiation.Cetteloi porte avec elle une sorte de sagesse latente quil serait prilleuxde transgresser. Lhumain est femme ou homme, mais quil soitlun ou lautre, toujours il est issu de la rencontre dun individude chacun des deux sexes.Certaines cultures ont mme rig la distinction du fminin et dumasculin au rang de principe fondateur de lunivers. Cest ainsique le yin (fminin) et le yang (masculin) se partagent quitablementlunivers selon la cosmologie chinoise traditionnelle. Rien nestharmonieuxquineproviennede lalliage troit de cesdeuxprincipesqui, du mme coup, sont vus partout : tant dans lopposition delombreetde la lumire (dans laquelle il faudrait dceleruneallgoriede la femmeombre et de lhomme lumire) quedans les allurespsychologiques des individus.Tout, depuis lorigine de lunivers

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    11. Franoise Hritier,Masculin/fminin. La pense de la diffrence, Odile Jacob,Paris, 1996.

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    jusqu la plusmodeste ractiondun individu face unvnement,aurait tre interprt selon le principe de la rencontre du yin etdu yang.Et dailleurs, toute vie ne provient-elle pas de la rencontredu fminin et dumasculin ?Ainsi, largument biologique,dont ona vuque les gnticiens le comprenaient commeunavantage slectifli la possibilit quil offre de brasser des informations gntiques chaque gnration vient-il couronner une interprtation qui,elle-mme,porte la distinction du masculin et du fminin au rangdun principe cosmique. Ces doctrines fournissent sans doute lemeilleur exemple dun passage de lordre naturel lordresymbolique,tablissant une sorte de cercle de la preuve : le systmesymbolique trouve dans le fonctionnement de la nature son critreprincipal de validit.

    GENDER STUDIES

    Cesnormes culturelles qui tendent naturaliser lopposition entreles sexes ont abondamment t critiques,notammentpar les tudesdites de genre qui ont entrepris de montrer le caractreprincipalement culturel et social de ces dterminations12. Sicourageux et si astucieux que soient ces travaux destins souligner le caractre conventionnel de lidentit sexuelle chezlhomme, il est peu probable que les critiques quon en peut tirerparviennent dissuader durablement de diffrencier le fminindu masculin. Ne serait-ce que parce que ces diffrentiations, siimaginaires quelles puissent apparatre lanalyse, sont la sourcede puissantes motions rotiques. Or, lhomme na pas tellementlhabitude de remplacer ses faons de comprendre les plusinstinctives par des jugements issus danalyses prcises etrigoureuses (sur ce sujet, voir Spinoza, Ethique, Partie 4, sur laservitude de lhomme).Surtout lorsque ces faons de comprendrepossdent,en elles-mmes,une valeur rotique.Onpeut regretterce fait et estimer quil condamne lhomme une ternelleservitude.Mais si on le nglige parce quon le dsapprouve, on secondamne plutt ne rien dire de consistant sur la question.

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    12. Judith Butler,Gender trouble : feminism and the subversion of identity,Routledge, NewYork, 1990.

  • DIFFRENCE DE SITUATION DE LHOMMEET DE LA FEMMERsumons. Lhumanit tant divise en deux sexes, on peutenvisager trois types de couples :homme/femme,couple dhommesou couple de femmes.Pour lemoment, seul le premier de ces troisgroupes peut tre fcond. Les deux autres groupes sont striles.Dans la nouvelle situation introduite par le dveloppement desmaturations de gamtes in vitro, tous les couples (homme/femme,femme/femme, homme/homme) pourraient procrer. Cependant,leurs situations respectives ne seraient pas totalement identiques.Ceci pour au moins deux raisons.Lapremire raison est que,commeon sait, la reproductionhumainencessite non seulement la rencontre de deux cellules germinales,mais aussi limplantation du rsultat de cette rencontre (lovocytefcond) dans un utrus humain.Or, seules les femmes possdentcet organe. Les couples de femmes pourront recourir lorganequelles possderont en deux exemplaires. Mais les couplesdhommes,eux,devront recourir unutrusdont ils nepossderontaucun exemplaire.Onvoit ici que lhomoprocration chez lhommerecoupe le problme de la gestation pour autrui ou, plus longterme,peut-tre,celui de lutrus artificiel (certains,commeHenriAtlan, estiment que dans un dlai de cinquante cent ans, latechnologie de lutrus artificiel sera accessible 13).La seconde raison provient dune limitation qui touche, cette fois,les couples de femmes.En effet, les femmes sont porteuses de deuxchromosomes sexuels de typeX (XX). Il en rsulte que les gamtesartificiels obtenus partir de femmes seront tous porteurs duchromosome X et que leur rencontre ne pourra donner que descellules porteuses de deux chromosomesX (doncXX).Endautrestermes, les descendants dun couple de femme ne pourront treque du sexe fminin. Un couple de femme qui souhaiteraitabsolument lever un garonpourrait y voir un inconvnient.Cettelimitation ne sappliquera pas aux couples dhommes qui,porteurchacundes chromosomes sexuelsXetY,pourront envisager davoir,par homoprocration, ou des filles ou des garons.

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    13. Henri Atlan,Utrus artificiel, Seuil, Paris, 2005.

  • HOMOPROCRATION ET NORMES CULTURELLESLes socits occidentales prsentent la particularit, unique aumilieu de la diversit des cultures humaines, de stre engagesdans une investigation des normes naturelles aumoyen dun usagesystmatique de lesprit critique.Ce cheminement a tout dabordconduit la contestation de certaines normes traditionnelles, enparticulier celles qui dcoulaient des religions institues dans lamme sphre culturelle (qui se trouvaient tremonothistes).Maisil va au-del. Il va jusqu contester les normes naturelleselles-mmes. Cest l que se situe la singularit de la culturescientifique :en comprenant lemcanismede la nature elle contestele caractre naturel de ses lois.On pourrait nommer promthenne cette comprhension dumonde qui conduit une contestation des normes de la naturesi cet adjectif ne comportait pas une dimension de critique. Estpromthen ce quoi on promet un chtiment.Mais si lessencede la culture occidentale consiste se jouer de cet avertissement, le subvertir,alors,nous pouvonsnous attendre voir se dvelopperces techniques dune manire qui fera entirement changer lerapport que nous pouvons avoir la procration.Cest donc uneopration philosophique qui pourrait tre accomplie par un telprogrs technique. En effet, il ne sagirait plus ici dune simplematrise supplmentaire des mcanismes de la nature,mais dunchangement dattribution dans ce qui, dans ces mcanismes, estau pouvoir des lois de la nature par rapport ce qui est au pouvoirdu dsir de lhomme,au bnfice de ce dernier.A ce changementdattribution correspond un changement des normes naturelles.Lhomoprocration constituerait certainement une desmodifications les plus spectaculaires de ces normes.EtHabermasaurait encore davantage de raisons daffirmer que la procrationmdicalement assiste conduit des pratiques qui empitent demanire importante sur les formes usuelles de parent.Il peut pourtant exister au moins deux raisons de promouvoirune volution allant dans le sens de ces nouvelles pratiques. Onpeut tre directement intress par leur application.Onpeut aussiconsidrer que les normes qui prvalent une poque donnedoivent par elles-mmes et ds lors quon en a dcouvertlarbitraire,tre dpasses.Plus la connaissance du fonctionnementde la nature sapprofondit plus les normes naturelles deviennentdes normes culturelles. Il appartient alors la culture de

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    sapproprier pleinement son nouveau domaine dexercice. Cettat desprit correspond lessence aventureuse de la cultureoccidentale.Lavenir de la procration,dans le contexte de la cultureoccidentale, avec les traits que nous lui connaissons, parat donctre lomniprocration (htroprocration + homoprocration).

    DU CLONAGE LA REPRODUCTION AVEC SOI-MMEOutre les questions philosophiques que nous venons dvoquer,se posera galement unproblmede cohrence juridique.En effet,ds que nous nous plaons dans la perspective dune possibilitdhomoprocration, nous voyons surgir une contradiction avecles lgislations interdisant le clonage reproductif humain.On se souvient de lmoi quavait suscit la dcouverte de lapossibilit de raliser des oprations de clonage chez la brebis :la premire brebis fut clone en 1996 la publication du rsultatdate de 1997 14.Trs vite on envisagea que ce qui pouvait se fairechez la brebis pourrait se faire sans tarder aussi chez lhomme.Les comits dthique se mirent au travail. La conclusion de cestravaux fut remarquablement homogne, mme si elle taitjustifie par des motifs qui, eux, ltaient beaucoup moins. Cesmotifs allaient de linvocation dun interdit religieux la mise enavant des dangers inhrents la technique. Mais la conclusiontait toujours quil fallait interdire vigoureusement le clonagereproductif, voire le criminaliser, comme ce fut fait en France ole clonage reproductif est maintenant qualifi de crime contrelespce humaine et o il est passible de 30 ans de rclusioncriminelle et de 7,5 millions euros damende. Il faut supposer uncertain tat dchauffement normatif (pour ne pas dire une fivreprohibitionniste),pour comprendrequon ait puqualifier le clonagede crime contre lespce humaine (une catgorie juridiqueinvente pour loccasion et distincte du crime contre lhumanit)dans le seul but dy installer un nouveau commandement qui estde la forme : tu ne procreras pas de cette faon ! .Si dailleurs une affaire du genre de celles que cherche prohibercette loi se prsentait un jour devant un tribunal, il nest pas certain

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    14. IanWilmut et al., Viable offspring derived from fetal and adultmammalian cells, Nature, 385 (6619):810-3, 1997.

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    que ce nouvel interdit napparaisse pas quelque peu insolite.Imaginons, en effet, la situation du procureur qui aurait requrir,dans une cour dassise,une peine contre un hommedontle crime serait davoir fait natre tel enfant qui braillerait dansle fond de la salle daudience pour quon lui donne dulait : que cet enfant ait t conu pour redonner sa mre un filsquelle aurait (supposons) perdu dans un accident, ou quilsagisse dun clone de lexprimentateur lui-mme ralis dansun moment dextrme narcissisme, ira-t-on srieusement, si onsuppose cet enfant en bonne sant, mettre lhomme qui la faitnatre en prison pour trente annes ?Quel que soit le mode de procration (clone ou non) dun enfant,leDasein de ce dernier en sera-t-il affect ? Il ny a aucune raisonde le penser. A moins, bien sr, que le mode de procration enquestion prsente des risques spcifiques. Cest le cas pour leclonage dans ltat actuel des connaissances. Et cest la raison laplus convaincante qui ait t donne pour son interdiction. Lesautres raisons apparaissent largement arbitraires. Quun trehumain, par lui-mme, dans son Dasein, son tre-l, ne soit pasaltr, cela devrait suffire rendre suspecte toute forme decriminalisation portant sur la possibilit de le faire exister. Carfaire exister du Dasein est la nature la plus profonde du dsirprocratif.Et il est difficile de comprendre comment un tel faireexister peut tre considr comme un crime alors que tous lesautres crimes, sans exception, ont la forme dun supprimerlexistence .Telle est,cependant,aujourdhui la lgislation enFrance.Mais voici le problme sur lequel je voulais attirer lattention enrappelant cette lgislation.Chaque individu est dumme sexe quelui-mme. Si donc on autorise lhomoprocration, quest-ce quipeut interdire quun individu se reproduise avec lui-mme ? Orquelle diffrence y a-t-il entre un clonage et une reproductionavec soi-mme ? Une diffrence faible assurment mme si lesdeux rsultats ne seraient pas exactement identiques puisquencas de reproduction avec soi-mme un certain degr de brassagegntique est tout demme assur par la gamtogense.Peut-treverra-t-on paratre des formes de familles encore indites,monoparentales suite une autofcondation (comme on le voitchez les escargots qui, hermaphrodites, peuvent se fcondereux-mmes).

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    UNE INNOVATION QUHUXLEY NAVAIT PAS PRVUELorsquil est question des progrs de la biologie et de leursapplications mdicales et sociales, il est dusage de faire mentiondu livre de Aldous Huxley, Brave new world, publi en 193215. Cetexte se prsente en effet, sinon toujours comme une anticipationclairvoyante, du moins souvent comme une problmatisationpertinente de thmes qui ont montrs depuis leur importance.Commeon le sait,dans la socitquedpeintHuxley,la reproductionhumaine a t entirement repense . Elle a t rationalise.On peut rflchir (et on le fait souvent) sur les modificationspsycho-sociales auxquelles Huxley avait pens. Mais il nest pasmoins intressant de sinterroger sur lesmodifications auxquellesil navait pas pens. Lhomoprocration appartient cettedernire catgorie :Huxley ne lavait pas prvue. Ce nest pas unhasard : le ressort de la fiction dHuxley consiste mettre en scneun futur conu comme rationalisation des dsirs humains. Ellenenvisage pas que les progrs de la connaissance desmcanismesde la nature puissent conduire autre chose qu davantage derationalit.Mais ce que nous voyons se dessiner est un tout autregenre de progrs.Au lieu quil sagisse dun faonnage de la naturehumaine effectu dans un but de rationalisation,on voit apparatreun faonnage de la nature effectu dans le but de la rendre plusconforme aux dsirs de lhomme. La technique ajuste la natureau dsir humain alors que dans la conception du progrs quedveloppe Huxley, cest le dsir humain qui sajuste la naturepour tre rationalis.Il ny aurait videmment rien de rationnel dans le fait dinstaurerlhomoprocration comme mode de procration possible.AlorsquHuxleymet en scne une conception du progrs conu commetriomphe de ce quil y a de rationnel dans le dsir humain,lhomoprocration constituerait plutt le triomphe de ce quil ya dirrationnel dans le dsir humain. En ce sens, il sagirait dunprogrs trs singulier.

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    15. Aldous Huxley, Brave new world, Chatto &Windus, London, 1932.

  • SCHOPENHAUER DUCATEUREn revanche, on pourrait voir dans lhomoprocration un desaspects dune concrtisation de lintuition quavait eueSchopenhauer sur la nature du dsir humain. Schopenhauerestimait, en effet, que le dsir dun individu pour un autre,spcialement dans sa forme sexuelle, est une expression de lavolont de vivre non pas des individus qui prouvent le dsireux-mmes, mais de ceux qui pourraient natre de leur union16.Comme si, avant dexister physiquement, lenfant existaitvirtuellement dans le dsir que les amants prouvent lun pourlautre. Si sduisante quelle fut, la thorie de Schopenhauer seheurtait deux srieuses objections :dune part, certains couplesavaient des enfants alors quils ne souhaitaient pas en avoir. Ilsemblait donc curieux de soutenir que tout dsir sexuel tait ledsir dun enfant.Dautre part, certains couples (et Schopenhauerprenait lexemple des couples homosexuels), ne pouvaient pasavoir denfants bien que les individus prouvassent du dsir lunpour lautre, ce qui, l encore, semblait constituer une anomalierelativement la thorie du dsir sexuel comme vouloir-vivre dela descendance.Moins de deux sicles aprs que cette thorie ait t prsentepar le misanthrope de Francfort, il semble que les progrs de labiologie et de la mdecine raliss dans lintervalle ou qui seprofilent lhorizon aient rapproch le dsir humain dans sa formesexuelle et procratrice de la nature que Schopenhauer lui avaitsuppose puisque les moyens dviter davoir des enfants nondsirs se sont multiplis de mme que les moyens davoir desenfants dsirs.Ainsi, la mdecine,dans les aides quelle apporte la contraception, linterruption volontaire de grossesse, lassistance mdicale la procration, parat donner au dsir ladimension de reproduction quil contient parfois et contribue retrancher cette dimension dans les cas o elle est nest passouhaite.Si, de plus, elle fournissait des couples homosexuelsle moyen de combler un ventuel dsir denfant, les progrs dela biologie nous feraient pntrer dans un monde de dsirs quiressemblerait encore un peu plus celui que supposait

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    16. Arthur Schopenhauer, Le monde comme volont et comme reprsentation,appendice, chap. 44, Mtaphysique de lamour, 1819.

  • Schopenhauer : le dsir quprouvent des individus les uns lgarddes autres y constituerait la prfiguration de lhumanit venir.Des progrs qui pourraient nous rapprocher dun tel monde(auxquels il faudrait peut-tre trouver un autre nom que celui de progrs tant ils diffrent en nature de ce quon entend par progrs au sens technique de ce mot) on peut dire quilsd-normalisent la nature : la nature, avec son fonctionnementspontan, parat ne plus devoir servir que comme un mode deprocration parmi dautres. Elle ne peut plus tre prise commela norme. Elle contraint lhomme, du mme coup, dfinirlui-mme ses propres normes.Tche minemment difficile tanton peut prvoir que les sensibilits individuelles entretiendrontde dsaccords quant aux normes quil convient de retenir et cellesquil convient de bannir.Linvocation du naturel constitue le principal recours de ceuxqui soulvent des objections lendroit de ces possibles futurespratiques. Lobjection est dune porte limite, cependant. Carde nombreuses pratiques humaines devenues coutumires ne sontpas plus naturelles. Mais, objection plus redoutable, faut-il, duseul fait quelles sont techniquement accessibles, autoriser toutesles nouvelles pratiques auxquelles les progrs des sciencespermettent daccder ? Ne doit-on pas se garder de drivespossibles ? Lesquelles prcisment ? A partir de quel momentune aide qui parat avoir un caractre thrapeutique doit-elle treprohibe et pour quelles raisons ? Comment dfinir ce qui esthumainement acceptable et ce qui ne lest pas ? Et de quel ctde la ligne qui spare le permis de linterdit doivent tomber leshomoprocrations ? On le voit, en sengageant dans la voie desfcondations in vitro, Robert Edwards, bien quil ft conscientde lampleur de la nouveaut quil proposait, a ouvert beaucoupplus de questions quil ne pouvait mme limaginer : questionsque nous commenons peine entrevoir depuis que dautrestechniques sont venues leur offrir un prolongement inattendu.

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  • AMBIGUT PHILOSOPHIQUE DE LIDEDOMNIPROCRATION

    Pourtant si, premire vue, le nouveau mode de reproductionque reprsenterait lhomoprocration peut apparatre comme unaffranchissement supplmentaire lgard des lois de la nature,il comporte une contrepartie ambige. En effet, ce qui setrouverait promu par ce genre dintervention, cest une normede procration qui accorde la primaut aux gnes.Dans lemomentmmeonous reprons la valeur philosophiquedune interventiontechnique qui se prsenterait comme un affranchissement parrapport aux lois de la nature, nous remarquons que cetaffranchissement parat conduire lhomme, paradoxalement, invoquer la nature pour justifier le fait quil veuille un enfant issude ses propres gnes et non de ceux dun autre.Cette prfrencepour ses propres gnes constitue un privilge implicite accordaux normes naturelles.Ainsi, aumoment o lhomme se voit dotdun pouvoir qui laffranchit des contraintes de la nature, nousle voyons en faire usage pour justifier des ides qui sontelles-mmes calques sur le fonctionnement de la nature. Il y al un profond paradoxe qui reflte le caractre intrinsquementambivalent du dsir de lhomme.Ce dsir sestime toujours limitpar la puissance dont la nature la dot (quil veut sans cesseaugmenter),mais il nimagine cette augmentation que pour allerdans le sens de ce qui tait dj donn par la nature.Toutefois,ce paradoxe relve dundomaine dediscussionqui excde le proposde cette prsentation.

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  • LES PUBLICATIONS DE LINSTITUT DIDEROT

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    Les nanotechnologies & lavenir de lhommeEtienne Klein

    Lavenir de la croissanceBernard Stiegler

    Lavenir de la rgnration crbraleAlain Prochiantz

    Lavenir de lEuropeFranck Debi

    Lavenir de la cyberscuritNicolas Arpagian

    Lavenir de la population franaiseFranois Hran

    Lavenir de la cancrologieFranois Goldwasser

    Lavenir de la prdictionHenri Atlan

    Lavenir de lamnagement des territoiresJrme Monod

    Lavenir de la dmocratieDominique Schnapper

    Lavenir du capitalismeBernard Maris

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  • Les Dners de lInstitut DiderotLa Prospective, de demain aujourdhuiNathalie Kosciusko-Morizet

    Retrouvez lactualit de lInstitut Diderot surwww.institutdiderot.fr

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    FONDS DE DOTATION POUR LE DEVELOPPEMENT DE LECONOMIE SOCIALE REGI PAR LA LOI N2008-776 DU 4 AOUT 2008 SIRET N 513 746 651 00019

    11, place des 5 martyrs du lyce Buffon 75014 Paris / T. +33 (0)1 53 10 65 60 / F. +33 (0)1 53 10 65 [email protected] / www.institutdiderot.fr

    LE FUTUR DE LA PROCREATIONAprs une thse de biologie ralise lInstitut Pasteurdans le laboratoire de Franois Jacob, Pascal Nouvelentreprend une thse de philosophie consacre au rle delimagination dans la cration scientifique. Professeur dephilosophie luniversit Paul Valry de Montpellier, il estlauteur de sept ouvrages dont Enqute sur le concept demodle (PUF) et lHistoire des amphtamines (PUF).

    Pascal Nouvel

    Trop souvent les questions philosophiques ractives par les progrs des sciences du vivant ledomaine de ce quon appelle la biothique ne font lobjet dune prise de conscience que danslaprs-coup dune ralisation technique imprvue. Le clonage de la brebis Dolly en 1996 en est unexemple mmorable par lampleur des ractions incrdules, hostiles ou enthousiastes quil asuscites.

    Pascal Nouvel, biologiste de formation et professeur de philosophie lUniversit Paul Valry deMontpellier, nous incite prendre les devants pour ne pas cder la panique le moment venu surlun des fronts les plus actifs de la recherche actuelle, celui de la procration.Comment nous prparer lapparition trs probable de nouvelles techniques de procration parfcondation in vitro reposant sur la production de cellules sexuelles (gamtes) artificielles ?Imaginez, par exemple, quun simple prlvement de peau suffirait !

    Ces techniques non classiques de procration vont bousculer lide que nous nous faisons denotre filiation. Faire natre des enfants partir de gamtes provenant de deux individus de mmesexe (fminin ou masculin) enfreindrait la rgle universelle de la procration humaine jusqu cejour .

    La logique de Pascal Nouvel nous invite penser aux extrmes et faire une exprience de penseindispensable la matrise intellectuelle, demain, dun processus qui apparat aujourdhui dores etdj engag.

    Pr. Dominique LecourtDirecteur gnral de lInstitut Diderot