144
Mémoire de recherche, Fonderie de l'Image, Fanny Breton, 2015 Chris Anderson « Makers, la nouvelle révolution industrielle », [trad.] Michel le Séac’h, éd. Pearson, 2012. Fred Turner « Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence » Gilbert Simondon « Du mode d'existence des objets techniques » Jean-Hugues Barthélémy « Design sociale : une analyse critique », John Maeda « Maeda & Media, journal d'un explorateur numérique », éd. Thames et Hudson, Massachusetts, juillet 2010. Josef Müller–Brockmann « La philosophie de la grille », [1981] Le graphisme en textes, Pyramid, Paris, 2011 Làszlô Moholy-Nagy « Le design pour la vie », dans Peinture Photographie Film Lev Manovich « Le Langage des Nouveaux Médias » Marshall Mc Luhan « Pour comprendre les médias », Nicolas Bourriaud « L'esthétique relationnelle » Pierre-Damien Huyghe « Design, moeurs et morale » Pierre Delprat et al. « Systèmes DIY » Rick Poynor « La loi du plus fort. La société de l'image » Vilém Flusser « Petit philo du design » Mémoires et thèse Anthony Masure « Le design des programmes, des façons de faire du numérique » Louise Drulhe « Design fluide » Xavier Klein « Libérons l’informatique ! » Revues Après/Avant #2 revue Les Rencontres de Lure, mai 2014. Design Quarterly n°142 Etapes n°215 n° 220 Graphisme en France 2014 Médium site officiel, [En ligne] https://medium.com/ Owni site officiel [En ligne] http://owni.fr/ Slate site officiel [En ligne] http://www.slate.fr/ Strabic blog [En ligne] http://strabic.fr/ LE DESIGN DU PARTAGE

Le Design du Partage

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L'utilité publique de l'outil partagé - Mémoire 2015 - Fanny Breton

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Page 1: Le Design du Partage

1

Mémoirede

recherche,

Fonderie

del'Image,

FannyBreton,2015

ChrisAnderson«Makers,lanouvellerévolutionindustrielle»,[trad.]MichelleSéac’h,éd.Pearson,2012.

FredTurner«Auxsourcesdel’utopienumérique.Delacontre-cultureàlacyberculture.StewartBrand,unhommed’influence»

GilbertSimondon«Dumoded'existencedesobjetstechniques»

Jean-HuguesBarthélémy«Designsociale:uneanalysecritique»,

JohnMaeda«Maeda&Media,journald'unexplorateurnumérique»,éd.ThamesetHudson,Massachusetts,juillet2010.

JosefMüller–Brockmann«Laphilosophiedelagrille»,[1981]Legraphismeentextes,Pyramid,Paris,2011

LàszlôMoholy-Nagy«Ledesignpourlavie»,dansPeinturePhotographieFilm

LevManovich«LeLangagedesNouveauxMédias»

MarshallMcLuhan«Pourcomprendrelesmédias»,

NicolasBourriaud«L'esthétiquerelationnelle»

Pierre-DamienHuyghe«Design,moeursetmorale»

PierreDelpratetal.«SystèmesDIY»

RickPoynor«Laloiduplusfort.Lasociétédel'image »

VilémFlusser«Petitphilodudesign»

Mémoiresetthèse

AnthonyMasure«Ledesigndesprogrammes,desfaçonsdefairedunumérique»

LouiseDrulhe«Designfluide»

XavierKlein«Libéronsl’informatique!»

Revues

Après/Avant#2revueLesRencontresdeLure,mai2014.

DesignQuarterlyn°142

Etapesn°215n°220

GraphismeenFrance2014

Médiumsiteofficiel,[Enligne]https://medium.com/

Ownisiteofficiel[Enligne]http://owni.fr/

Slatesiteofficiel[Enligne]http://www.slate.fr/

Strabicblog[Enligne]http://strabic.fr/

L ' u t i l i t é p u b l i q u e d e l ' o u t i l p a rt a g é

LE DESIGNDU PARTAGE

Page 2: Le Design du Partage

2

1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Nouvelle typographie un héritage conceptuelle

Bauhaus moralité, générosité de la franchise

b - La conception de site web

Du maquettage pré-défini

Mémo i re d e ma s t e r

e n d e s i g n g ra p h i q u e

à la Fonderie de l' Image, 2015,

tutoré par Anthony Masure.

Page 3: Le Design du Partage

3

1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Nouvelle typographie un héritage conceptuelle

Bauhaus moralité, générosité de la franchise

b - La conception de site web

Du maquettage pré-défini

« La neutralité n’ existe pas, pas plus

que la transparence des systèmes de

signes. C’ est d’ ailleurs aussi pourquoi

les solutions de communication de masse

sont le plus souvent inadéquates et

quelque peu fascinantes. En prétendant

s’ adresser à tous, elles s’ adressent de

moins en moins à chacun. Simplifications

et normalisations souriantes, elles

agissent comme un rouleau compresseur sur

nos échanges possibles, imaginables ou

rêvés [1] . »

l ' o u t i l p a r-

t a g é

de

[1] Pierre Bernard, retranscription de conférence à la Fonderie de l'Image, 18 février 2015.

Dans de nombreux pays du monde, il n’existe pas de mot pour traduire le terme «

innovation », si populaire en Occident. Au contraire, presque toutes les cultures ont

un terme pour désigner l’ingéniosité humaine. Pour paraphraser René Descartes,

l’ingéniosité autant que le bon sens sont les choses les mieux partagées. Non seulement

l’ingéniosité est une qualité universelle mais elle est essentielle à l’accomplissement de

chacun. Une ingéniosité commune nous rassemble donc au sein de communautés. La «

cité », pour Aristote[1], est un fait de nature humaine ; ainsi la politique, issue du grec

polis[2], consiste à la gestion de ces communautés en vue de réaliser le bien commun.

Créée par l’Homme et pour lui-même, la gestion de la cité en est nécessairement la

sienne. Ainsi, les valeurs de partage et de complémentarité, sous-entendues, lui

permettent de se réaliser en tant qu’être humain. Par essence, nous serions des êtres

politiques ingénieux.

Au XXe siècle, les structures et processus industriels de l’après-guerre (production de

masse et budgets colossaux) ont graduellement occulté l’ingéniosité humaine au profit

d’un système d’innovation visant à industrialiser le processus de création. Par «

industrialisation », nous entendrons un processus complexe qui vise à la

rationalisation et la hausse de la productivité des entreprises. La mise en place de

marchés innovants et productifs, avant d’être qualitatifs ou inventifs, contribue sans

doute au déclin généralisé de l’ingéniosité dont nous sommes dotés. Appuyé sur les

écrits de Walter Benjamin[3], Anthony Masure[4] nous présente l’invention, telle que «

la création par un ou plusieurs individus d’une technique ou d’un procédé technique

qui n’existait pas auparavant ; ainsi de la photographie ou d’Internet.

L'invention est rarement financée par du capital (de l’argent investi) car elle est le fait

d’un petit nombre de personnes qui ne savent pas ce qu’il y a à faire avec. Son

caractère inattendu s’oppose à l’investissement. L’invention, en tant qu’idée singulière,

n’est pas pensée dans le cadre d’un marché économique ou d’un progrès[5]. » Incitant à

la surconsommation, la pensée du modèle capitaliste dans lequel nous évoluons nous a

conduit au gaspillage[6], à la dégradation de notre environnement et a généré un

accroissement des inégalités socio-économiques[7].

Le Designdu partage

PierreBernard, conférence à la Fonderie

de l'image, fé

vrier 2015.

1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Nouvelle typographie un héritage conceptuelle

Bauhaus moralité, générosité de la franchise

b - La conception de site web

Du maquettage pré-défini

L' utilité publique

Page 4: Le Design du Partage

4

I – L’économie du partage,de l’industrie innovante à la fabrication inventive

1 - Apologie critique des industries innovantes

2 - Quel(s) partage(s) ?

3 - Vers une pensée des biens communs

II – L'Internet et le Web,quelles perspectives citoyennes ?

1 - Aux origines d'Internet, que reste t-il des utopies ?

2 - Le Web depuis 10 ans, l'émancipatin du libre

3 - Design du Web, contribuer à un système ouvert

P. 84

P. 6

P. 11

P. 14P. 21

P. 27

P. 38

P. 39P. 46

P. 58

P. 71

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P. 73

P. 77

P. 77P. 79

P. 82

1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Nouvelle typographie un héritage conceptuelle

Bauhaus moralité, générosité de la franchise

b - La conception de site web

Du maquettage pré-défini

III – Mettre en forme le partage,être designer graphique dans une société numérique

1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

0 – Introduction

I – L’économie du partage,de l’industrie innovante à la fabrication inventive

1 - Apologie critique des industries innovantes

2 - Quel(s) partage(s) ?

3 - Vers une pensée des biens communs

4 - Figures

II – L'Internet et le Web,quelles perspectives citoyennes ?

1 - Aux origines d'Internet, que reste t-il des utopies ?

2 - Le Web depuis 10 ans, l'émancipatin du libre

3 - Design du Web, contribuer à un système ouvert

4 - Figures

III – Mettre en forme le partage,être designer graphique dans une société numérique

1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

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Page 5: Le Design du Partage

5

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P. 90

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P. 97

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P. 119

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1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Nouvelle typographie un héritage conceptuelle

Bauhaus moralité, générosité de la franchise

b - La conception de site web

Du maquettage pré-défini 2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Nouvelle typographie un héritage conceptuelle

Bauhaus moralité, générosité de la franchise

b - La conception de site web

Du maquettage pré-défini

Google par défaut ?

Design social, design actif

IV – Conclusion

V – Annexes

Figures

Entretrien avec Pauline Thomas

Retranscription d'entretien Ne Rougissez pas

VI – Bibliographies

VII – Remerciements

P. 109

P. 123

P. 141

1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Nouvelle typographie un héritage conceptuelle

Bauhaus moralité, générosité de la franchise

b - La conception de site web

Du maquettage pré-défini

2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Nouvelle typographie un héritage conceptuelle

Bauhaus moralité, générosité de la franchise

b - La conception de site web

Du maquettage pré-défini

Google par défaut ?

c - Design social, design actif

3 - Figures

IV – Conclusion

V – Annexes

Figures

Entretrien avec Pauline Thomas

Retranscription d'entretien Ne Rougissez pas

VI – Bibliographies

VII – Remerciements

Page 6: Le Design du Partage

6

Introduction

Dans de nombreux pays du monde, il n’existe pas de mot pour traduire le terme

« innovation », si populaire en Occident. Au contraire, presque toutes les cultures

ont un terme pour désigner l’ingéniosité humaine. Pour paraphraser René Descartes,

l’ingéniosité autant que le bon sens sont les choses les mieux partagées. Non seulement

l’ingéniosité est une qualité universelle mais elle est essentielle à l’accomplissement

de chacun. Une ingéniosité commune nous rassemble donc au sein de communautés.

La « cité », pour Aristote [1], est un fait de nature humaine ; ainsi la politique, issue

du grec polis [2], consiste à la gestion de ces communautés en vue de réaliser le bien

commun. Créée par l’Homme et pour lui-même, la gestion de la cité en est

nécessairement la sienne. Ainsi, les valeurs de partage et de complémentarité, sous-

entendues, lui permettent de se réaliser en tant qu’être humain. Par essence, nous

serions des êtres politiques ingénieux.

Au XXe siècle, les structures et processus industriels de l’après-guerre (production de

masse et budgets colossaux) ont graduellement occulté l’ingéniosité humaine au profit

d’un système d’innovation visant à industrialiser le processus de création.

Par « industrialisation », nous entendrons un processus complexe qui vise à la

rationalisation et la hausse de la productivité des entreprises. La mise en place de

marchés innovants et productifs, avant d’être qualitatifs ou inventifs, contribue sans

doute au déclin généralisé de l’ingéniosité dont nous sommes dotés. Appuyé sur les

écrits de Walter Benjamin [3], Anthony Masure [4] nous présente l’invention, telle que

« la création par un ou plusieurs individus d’une technique ou d’un procédé technique

qui n’existait pas auparavant ; ainsi de la photographie ou d’Internet. L’invention est

[1] Aristote [trad.] Pierre Pellegrin, « Les Politiques », Paris, C.F Flammarion, 1999.

[2] « Polis », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Polis [9]

[3] Philosophe, historien d'art, traducteur, critique littéraire et artistique allemand du XXe siècle, biographie,

[En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Walter_Benjamin

[4] Doctorant en Esthétique et Sciences de l’Art, spécialité Design, 2014.

[5] Walter Benjamin, « Authenticités : inauthenticités de l’innovation », Anthony Masure, Le design des programmes,

thèse [En ligne] http://www.softphd.com/these/walter-benjamin-authenticites/inauthenticites-innovation, Université Paris 1 Panthéon-

Sorbonne, 2014.

III – Mettre en forme le partage,être designer graphique dans une société numérique

1 - L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d'avant-garde

b - Quels outils numériques ?

Git, du développeur au designer

Adobe, les outils du monopole

Modélisation créative

Glitch art ou l'artefact de l'erreur

Page 7: Le Design du Partage

7

rarement financée par du capital (de l’argent investi) car elle est le fait d’un petit

nombre de personnes qui ne savent pas ce qu’il y a à faire avec. Son caractère

inattendu s’oppose à l’investissement. L’invention, en tant qu’idée singulière,

n’est pas pensée dans le cadre d’un marché économique ou d’un progrès [5]. »

Incitant à la surconsommation, la pensée du modèle capitaliste dans lequel nous

évoluons nous a conduit au gaspillage [6], à la dégradation de notre environnement

et a généré un accroissement des inégalités socio-économiques [7]. Après avoir contribué

à l’essor économique de l’Occident, les organisations industrielles sont aujourd’hui en

panne puisque trop coûteuses en ressources financières et naturelles. Confrontés à

d’énormes défis socio-écologiques, il est urgent de proposer une nouvelle forme

d’ingéniosité collective problématisée autour d’une réelle économie démocratique.

Au contraire de la ramification du capital où l’invention rime avec « innovation »

et où les décisions ne sont prises que par une chaîne de valeurs pyramidales, nous

étudierons l’émergence d’une économie « horizontale ». À l’opposé des chaînes de

valeurs contrôlées par quelques grands groupes [8], cette nouvelle conception de

l’économie aurait vocation à introduire des comportements créatifs au travail.

Elle s’appuierait sur des écosystèmes en réseaux orchestrés par des consommateurs

ingénieux co-créant de la valeur. Les « fablabs » participent déjà à cet essor [9].

Particulièrement actifs en Espagne [10], ils questionnent par leurs pratiques des enjeux

technologiques, politiques et artistiques. Nés de l'impulsion du Center for Bits and

[6] Jorge Furtado, « L’île aux fleurs », vidéo [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=cVDxctavOEo, 1989.

Le court-métrage a reçu l’Ours d’argent au festival de Berlin en 1990 et, le prix de la presse et prix du public lors du Festival international

du court-métrage de Clermont-Ferrand en 1991.

[7] Branko Milanovic et Christoph Lakner, « Global income distribution, from the fall of the Berlin wall to the great recession »,

courbe des évolutions de revenus mondiaux entre 1988 et 2008, p.31 [En ligne] http://elibrary.worldbank.org/doi/pdf/10.1596/1813-9450-6719

[8] Symbolisé par les grands groupes de la Silicon Valley, article de Reynald Fléchaux, Silicon, « Google, Apple, Facebook et Amazon,

10 choses à savoir sur les GAFA », [En ligne] http://bit.ly/1FNLiQE , décembre 2014.

[9] Wiki Fab, « Portal:Lab », présentation d’une carte du monde des fablabs [En ligne] http://wiki.fablab.is/wiki/Portal:Labs

[10] IAAC Barcelona, [En ligne] http://www.iaac.net/fab-lab/intro

[11] FacLab, « Les FabLabs, un concept né au MIT », Université de Cergy-Pontoise, cours [En ligne] http://bit.ly/1ET0tZu

[12] MIT, « The Fab charter », site officiel [En ligne] http://fab.cba.mit.edu/about/charter/, octobre 2012.

[13] Fred Turner, [trad.] Laurent Vannini, « Aux sources de l’utopie numérique », Caen, éd. C&F , 2012.

[14] Wikipédia, « Culture libre », définition [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_libre

[15] Programmeur militant du logiciel libre, « Richard Stallman », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman

[16] FIDH, Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme, « Stallman : logiciels libres, droits de l’Homme »,

[En ligne] http://bit.ly/1HwOsZv

Page 8: Le Design du Partage

8

Atoms du MIT à la fin des années 1990 [11], ces laboratoires de fabrication numérique[12] défendent, par leur existence, des valeurs révolutionnaires aux sources des utopies

d’Internet [13]. Militant de la culture libre [14], Richard Stallman [15] considère par

exemple qu’avoir le contrôle de son matériel informatique est un droit humain [16].

Depuis une dizaine d’année, les structures dites “participatives“ explosent en Europe[17]. Avec la pratique « d’outils libres », elles témoigneraient d’une envie d’intégrer un

nouveau système de valeurs plus adapté à nos échanges numériques. Avec une culture

du libre essentiellement basée sur des contributions de passionnés, comment pouvons-

nous développer un système d’échanges démocratiques à l’image des valeurs défendues

par Stallman ? L’utopie participative, dont nous faisons référence, semble s’inspirer

des idéaux Marxistes du XIXe siècle. Ainsi l’équité des échanges [18] et l’utopie de la

lutte des classes [19] sont rendues possible grâce au tissage mondial de la toile

connectée. Agora moderne, défendue pour le rester, le World Wide Web devrait être

un espace public de libre expression.

Sur ce terrain technique sans précédent où se croisent une multiplicité de classes

sociales, comment l’information circule-t-elle ? Comment la percevons-nous ?

Et par quels moyens est-elle rendue visible et accessible ? Le designer graphique est

justement le metteur en scène formel et organisationnel de ces informations [20]. Dans

ces circonstances, quelle place y a-t-il pour les designers graphiques dans une société

basée sur le partage ? Àcteur et critique de l’image, le designer graphique peut-il ou

non s’accommoder d’un choix moral dans sa création ? Se limite-t-il à une commande

ou peut-il lui aussi devenir un acteur de la société ? De quoi son métier est-il devenu

l’objet ?

[17] Michel Bauwens, « En route vers de nouveaux territoires économiques »,

vidéo [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=XAZnv4IEo9g

[18] Karl Marx, « Le Capital », [En ligne] http://digamo.free.fr/capital63.pdf

[19] Pierre Dardot et Christian Laval, « Je lutte des classes ! », [En ligne] http://institut.fsu.fr/Je-lutte-des-classes-par-Pierre.html

[20] Infographie et statistiques des comportements utilisateurs sur le web,

[En ligne] http://www.13pixels.be/blog/article/12-statistiques-sur-le-webdesign

[21] Vilème Flusser, « Petit philo du design », éd. Circé, p. 7 à 13, 2002.

Page 9: Le Design du Partage

9

De manière générale, le design se rapporte aux signes, c’est à dire à tout ce qui

indique, se reconnaît et s’envisage. Dans un contexte social donné, il est vecteur de

sens et de repère culturel, il met en forme l’artificiel c’est à dire tout ce qui est fait

par l'être humain. Si le mot design a pris une place essentiel dans le discours commun

aujourd’hui, c’est que nous commençons à prendre conscience qu’être humain est en

soi une prédestination contre nature [21].

Bouleversant les schémas de pensées établis depuis le début de l’ère industrielle, les

nouvelles technologies permettent de concrétiser des utopies sociales. Défendus par les

hippies dans les années 1960 et 1970, le partage, l’authenticité, la connexion des êtres

et la transparence font de la technique « Internet » la représentation (et le moyen) de

toute une révolution de pensée. En quelques dizaines d’années, Internet est devenu un

espace de communication inédit où se croisent un nouveau langage (binaire) et un

réseau de « transmission horizontale ».

Au travers de ce mémoire de recherche, nous essayerons d’apporter quelques éclai-

rages historiques, économiques et politiques d’une « société de partage » en pleine

mutation. Nous justifierons l’utilité du design au sein d’une société contributive en

construction. En particulier nous insisterons sur la nécessaire maîtrise des outils mis

à disposition du designer graphique (logiciels, langages, diffusions et réceptions) avec

la présentation de quelques productions graphiques. Pour cela, nous devons d’abord

penser l’écosystème des pratiques. Pour assurer leurs développements, ils doivent

s’accompagner d’un climat économique adapté. Du fondateur Nicholas Negroponte,

au MIT Media Lab aujourd’hui représenté par le MIT Center bits and atoms,

est née la distinction entre le « logiciel » et le « matériel », entre les technologies de

l’information et le reste du monde constitué du système d’organisation des atomes.

Ici débute une transformation des manières de penser ce qui nous entoure. Cette

distinction nous permet d’affirmer que nous ne sommes qu’au début d’une mise en

Page 10: Le Design du Partage

10

connexion de nos rapports humains. D’abord les machines puis les téléphones, les

montres et les lunettes, les objets personnels se sont progressivement équipés de

contenus électroniques. Toujours plus connectés se dessinent maintenant ce que l’on

pourrait appeler un « Internet des objets », celui qui collectent des données sur nos

vies privées. En quoi cette perspective bouleverse le moteur de l’économie

(industrielle) mondiale ? Et comment a pu émerger une économie collaborative ?

Surtout comment se comporte t-elle ?

Page 11: Le Design du Partage

11

I – L’économie du partage,de l’industrie innovante à la fabrication inventive

« Fabriquer des choses », l’Homme serait né pour faire d’après Chris Anderson. De

l'enfance à l'âge adulte, nous fabriquons des choses. Des jouets aux objets, nous

rassassions notre soif d'invention et de bricolage au travers l'auto-fabrication. Adulte,

nous sommes inventifs lors de nos passe-temps, et créons des choses avec passion.

Après ses journées de travail, ma mère, par exemple, a ressenti ce besoin et a trouvé

une occupation créative. Elle a d’abord appris les techniques associées à l'encadre-

ment, puis a proposé ses propres inventions. Mon père, aussi, bricole la mécanique,

jardine et développe des solutions pour avoir des légumes de meilleur qualité chaque

année. Il déteste l’avouer mais il adore ça, car il se réalise et développe sa créativité.

Jardiner, cuisiner, bricoler, ce sont des idées et des rêves de milliers de gens !

Chacun à notre manière nous inventons selon nos envies et nos besoins et connectées

au réseau Internet, ces petites fabrications personnelles multiplient leur visibilité et in

fine leur utilité collective. Ainsi quand on partage nos idées, elles se répandent et

grandissent. Les idées deviennent des inspirations pour d’autres et des opportunités

de collaboration. La technique a évolué, et nos réseaux d’échanges se sont multipliés.

Ainsi les nombreux créateurs d’entreprise, formant le « mouvement maker » décrit

par Chris Anderson, sont en train d’industrialiser l’esprit du bricolage et du Do it

yourself [22]. En novembre 2013, une étude du TNS Sofres [23] a démontré que 48% des

français ont une pratique régulière de consommation dite "collaborative". Est-ce une

tendance anodine ou un engagement plus intime ? Les premiers Systèmes d’Échanges

Locaux [24] (SEL) naissent en 1990, sous la forme de réseaux physiques locaux.

Échangeant biens et services, ces systèmes ont progressé jusqu'à la naissance de la

plateforme web eBay en 1995, qui popularisera les systèmes d’échanges entre

particuliers par le monde.

[22] Chris Anderson, [trad.] Michel le Séac’h, « Makers, la nouvelle révolution industrielle », éd. Pearson, p.10, 2012.

[23] « Les français et la consommation collaborative », observatoire de la confiance de La Poste [En ligne] http://www.tns-sofres.com/etudes-et-

points-de-vue/observatoire-de-la-confiance-de-la-poste-nov-2013-les-francais-et#

[24] « SEL », http://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_d%27%C3%A9change_local

Page 12: Le Design du Partage

12

Lors d'un voyage en Islande en 1999, l’étudiant Casey Fenton [25] contacte 1500

étudiants de l'université de Reykjavik via une liste de diffusion. Il lance une demande

d’hébergement à titre gracieux afin de rencontrer les habitants de la région. Il reçoit

une centaine de réponses positives. Convaincu qu'il existe toute une communauté

méconnu de personnes pensant un voyage plus humain, il cofonde en 2004

l'association Couchsurfing avec Daniel Hoffer, Sebastian Le Tuan et Leonardo

Bassani da Silveira. Il y insère des fonctionnalités particulières assurant un minimum

d’honnêteté des utilisateurs via un système de notation et de réputation. S’en suit de

la création du premier site de partage de voitures Zipcar, en 2000, à Boston aux

États-Unis. Depuis la naissance du couchsurfing, le style de vies collaboratifs n’est

plus à la marge de la consommation moyenne. Il est devenu un vrai marché des

échanges (puisque la demande augmente). Le diminutif « co », de collaboratif,

s’accorde à de multiples activités telles que le Coworking, le Colunching, le Co-

hébergement, le Costockage, etc. En 2004 Covoiturage.fr, le premier site de

ridesharing français proposent la location de places en voiture pour des trajets

donnés de particulier à particulier. En 2008, les États-Unis et l’Europe sont frappés

d’une crise économique redoutable. Les consommateurs sont devenus méfiants face aux

grandes entreprises et au système économique. La crise donne un second grand souffle

à la consommation collaborative, et entraîne les consommateurs à optimiser les

ressources, à les monétiser lorsqu’elles sont inutilisées. Poursuivit par la création de la

plateforme Airbnb, cofondée par trois jeunes étudiants d’Harvard ou de l’École de

Design de Rhole Island, Nathan Blecharczyk, Brian Chesky et Joe Gebbia [26]. Le site

de location d’hébergement chez l’habitant connaîtra un essor fulgurant par le monde,

puis suivra TaskRabbit, une plateforme de services à la maison aux États-Unis. En

2011, le succès des sites lié à l’économie collaborative commence à intéresser les

investisseurs. On assiste alors à plusieurs levées de fonds dans le secteur avec plus de 90

millions de dollars [27] pour Wimdu, le clone français d’Airbnb...

[25] « Casey Fenton », http://fr.wikipedia.org/wiki/Casey_Fenton

[26] Site officiel, « Airbnb », [En ligne] https://www.airbnb.fr/about/founders

Page 13: Le Design du Partage

13

Fonctionnant sur la contribution, l’économie du partage désigne un modèle

économique où l'usage prédomine sur la propriété [28]. Cette optimisation de l'usage est

une réaction à la sous-utilisation supposée des biens, des services et des privilèges.

Elle fonctionne au travers le partage, l'échange, le troc, la re-vente ou la location.

Système par lequel Internet et son essor depuis les années 2000 a permi l'échange

d'informations connectées en direct. D’immenses places de marché publiques ont vu le

jour, telles que des services de location entre particuliers (eBay, Leboncoin),

d'hébergement (Airbnb, Couchsurfing et WWOOF), de prêt entre particuliers

(Kisskissbankbank, Ulule), d'auto-partage (Blablacar, Uber) et d'échanges de savoirs

entre particuliers (Wikipédia). Par la remise en cause des comportements d’achat,

l’émergence de la « consommation collaborative [29] » (nouveau secteur d’industria-

lisation dite "innovante") bouscule le modèle économique dominant sans néces-

sairement prendre racine en une source d’invention nouvelle.

« L’invention désigne la création par un ou plusieurs individus d’une technique ou d’un procédé

technique qui n’existait pas auparavant ; ainsi de la photographie ou d’Internet. L’invention est

rarement financée par du capital (de l’argent investi) car elle est le fait d’un petit nombre de

personnes qui ne savent pas ce qu’il y a à faire avec. Son caractère inattendu s’oppose à

l’investissement. L’invention, en tant qu’ idée singulière, n’est pas pensée dans le cadre d’un

marché économique ou d’un progrès [30] »

[27] Christopher Fargere, « Wimdu, profil de société », [En ligne] http://fr.slideshare.net/cfargere/wimdu-profil-de-socit, septembre 2012.

[28] « Propriété privée », définition [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Propri%C3%A9t%C3%A9_priv%C3%A9e

[29] Antonin Léonard, « La consommation collaborative en 10 infographies »,

article [En ligne] http://consocollaborative.com/2044-consommation-collaborative-10-infographies.html, janvier 2012.

[30] Anthony Masure, « Walter Benjamin authenticités. Inauthenticités de l’innovation », Le design des programmes,

des façons de faire du numérique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, [En ligne] http://bit.ly/1NG0Laj, 2014.

Page 14: Le Design du Partage

14

Le modèle collaboratif semble donc se séparer en deux directions : un démocratie

représentative où règne une élite entrepreunariale consciente des volontés d'un

nouveau marché florissant, et une démocratie participative revalorisant la

participation comme bien d'échange. Directrice du centre de loi d'économies durables

en Californie, Janelle Orsi défend la nécessité de créer un nouveau système d’affaires

afin de résoudre le déséquilibre des richesses que pointe l’économie du partage.

« Vous ne pouvez pas vraiment remédier aux problèmes économiques d’aujourd’hui

en utilisant les mêmes structures d’entreprises qui ont créé les problèmes économiques

que l’on connaît. [31] ». Désormais, la capitalisation du monde des industries semble

laisser de plus en plus de place aux échanges collaboratifs, ceux-là qui nous proposent

d'autres organisations que celle du capital.

1 - Apologie critique des industries innovantes

« Quand une industrie s'arroge le droit de satisfaire, seule, un besoin élémentaire, jusque là

l'objet d'une réponse individuelle, elle produit un tel monopole. La consommation obligatoire

d'un bien qui consomme beaucoup d'énergie (le transport motorisé) restreint les conditions de

jouissance d'une valeur d'usage surabondante (la capacité innée de transit) [32]. »

Là où il y a monopole, nous dit Ivan Illich, il y a restriction. Au coeur de la jeunesse

entrepreunariale, la capitalisation des systèmes d’échanges partagés démontre d'abord

la volonté d'une économie collaborative, mais comment s'applique t-elle ? Uber [33]

pour le co-voiturage, Airbnb pour la co-location et Google Drive pour le stockage en

ligne, quelques grandes structures semblent monopoliser cette économie en devenir,

quelles sont leurs motivations ?

31] Janelle Orsi, « The sharing economy just got real », article [En ligne]

http://www.shareable.net/blog/the-sharing-economy-just-got-real, Oakland, Etats-Unis, septembre 2013

[32] Ivan Illich, « Énergie et équité [1975] », infokiosques, éd. Marée Noire, [En ligne]

https://infokiosques.net/IMG/pdf/Ivan_Illich_Energie_et_equite.pdf, Nancy, avril 2005.

[33] Amanda B. Johnson, « Uber, la preuve d’un mouvement décentralisé dévoilée »,

[En ligne] http://cointelegraph.com/news/112758/lazooz-the-decentralized-proof-of-movement-uber-unveiled, octobre 2014.

Page 15: Le Design du Partage

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Comme le compare Antonio Casilli [34] lors d’une entrevue avec Ania Nussbaum etFlorian Reynaud :

« L’"Uberisme" est un "thatchérisme" [35]. Les entreprises comme Uber font exactement les

mêmes promesses que les ultralibéraux dans les années 1980 : être plus efficace, être moins cher

pour le consommateur et relancer la croissance économique. Le "thatchérisme" en angleterre n’a

tenu aucune de ces promesses. Comme [Margaret] Thatcher, Uber prétend s’attaquer au corpo-

ratisme, celui des taxis. Mais il s’attaque en réalité aux emplois. Le secteur des taxis n’est pas

parfait – mais les chauffeurs jouissent d’une protection sociale qu’Uber est en train de détruire

[...] finalement, bosser pour Uber et avoir un petit complément de revenus devient intéressant.

Mais personne ne pose la question : pourquoi avons-nous besoin d’un complément de revenus ?

Pourquoi notre salaire ne suffit-il plus ? [36] »

Sûrement par aveuglement ou désintérêt de l’emploi sollicité à son usage personnel,

de nombreux utilisateurs apprécient la flexibilité de ce type de service pair-à-pair [37].

« La flexibilité est le mensonge ultime. Sans protection syndicale, sans minimum salarial, sans

assurance. Qui paie en cas d’accident ? Que se passe-t-il si un tasker de TaskRabbit vient

installer chez moi une crémaillère et détruit mon mur ? Qui va payer ? Les entreprises se dé-

responsabilisent en disant qu’elles ne font que mettre en relation des personnes ».

Ainsi, Casilli dénote l’omission politique de cette nouvelle vague de services dits

"collaboratifs". Par une fidélisation fulgurante du nombre d’adhérents aux États-Unis

et en Europe, ces services officialisent une révolution sociale, en marche, liée à l’usage

des nouveaux moyens d’échange d’informations, particulièrement visible en Occident.

Comment pouvons-nous mesurer cette soif collaborative ? De quoi sont-ils

l’ouverture ? Ou plutôt, à quelle opposition font-ils l’objet ? Est-ce une résistance

de forme ou représentent-ils une réelle révolution des systèmes d’échanges ?

[34] Maître de conférences en sociologie à Télécom Paris-Tech et auteur des « Liaisons Numériques, vers une nouvelle socialité ? »,

[En ligne] http://www.liaisonsnumeriques.fr/, 2010.

[35] Référence à la politique économique et sociale de Margaret Tatcher, premier ministre du Royaume-Uni entre 1979 et 1990,

qui fut attachée de conservatisme politique, de libéralisme économique et de traditionalisme sociale.

[36] Antonio Casilli, interview par Florian Reynaud, Kaléidoscope Le mag,

[En ligne] http://www.kaleidoscopemag.fr/luberisme-est-un-thatcherisme/, janvier 2015.

[37] Wikipedia, « pair-à-pair », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Pair_%C3%A0_pair

Page 16: Le Design du Partage

16

Conscient d’une nécessaire proximité du consommateur pour leur réussite, les services,

cités ci-dessus, s’intruisent des besoins soulevés par une majorité (citoyenne) afin de

développer de nouveaux marchés financiers. « Cette capitalisation d’un secteur repéré

a pour conséquence de retirer du domaine public ce qui était auparavant disponible

gratuitement ou à moindre coût. Il en est ainsi, par exemple, des sociétés dites “de

services”, qui investissent progressivement toutes les bribes de l’espace social [38]. » Là

où Anthony Masure nous éclaire, il dénonce l’exploitation financière du déficit social

par des services dit “collaboratifs“. Les termes « économie collaborative » semblent

d’autant plus utilisés que leurs usages erronés. Cette économie ressemble davantage à

un marché de location qu’à un réel système d’échanges de contributeur à contributeur.

Mis en exergue par David Lartet, Fred Wilson soutient ceci « L'économie de location

a remplacé l'économie du partage. Personne ne partage rien. Les gens font de l'argent,

purement et simplement. La technologie a simplifié l'acte de location (même en temps

réel), de la même manière que l'achat il y a une décennie. [39] » Loin de remettre en

cause l’objet du partage, ce nouveau marché économique est seulement en train de

modifier notre façon d’acheter. Oubliant l’essence même des termes proposés, il en

résulte des projets sociaux creux mais « innovants ». Lors de la conférence

« Innovation, maître mot » à l’ENSCI, Pierre Damien Huyghe soulève le problème lié

au concept d’innovation brandit à toute cause et pour tout faire. À ce titre, il cite

« l’Encyclopédie raisonné des sciences, des arts et des métiers » de Jean Le Rond

d’Alembert et Denis Diderot pour traité de l’invalidité du mot « innovation ».

« Innovation, nouveauté ou changement importants qu’on fait dans le gouvernement politique

d’un État contre l’usage et les règles de sa constitution, ces sortes d’innovations sont toujours

des difformités dans l’ordre politique. Des lois, des coutumes bien affermies et conformes aux

génies d’une nation sont à leur place dans l’enchaînement des choses. Tout est si bien lié qu’une

nouveauté qui a des avantages et des désavantages et que l’on substitue sans une mûre

considération aux abus courants ne tiendra jamais à la tissure d’une partie usée [40]. »

[38] Anthony Masure, « Walter Benjamin, authenticités. Inauthenticités de l’innovation », Le design des programmes, des façons

de faire du numérique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, [En ligne] http://bit.ly/1NG0Laj, 2014.

[39] David Larlet, « What just happened », « The “sharing economy” was outed as the “rental economy.” nobody is

sharing anything. people are making money, plain and simple. technology has made renting things (even in real time)

as simple as it made buying things a decade ago. » [En ligne] https://larlet.fr/david/stream/2015/01/02/, décembre 2014

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À remarquer qu’au milieu du XVIIIe siècle, le terme « innovation » s’intégrait à des

problémes politiques, et non techniques ou économiques. Dans le cadre de la société

industrielle depuis les Lumières, cette mutation de champ s’est opérée telle un

prétexte pour commercialiser la notion d’invention. Faisant acte d’une notion positive

dans la société actuelle, elle s’apparente à une autorité de foi. Avec l’interprétation de

Huyghe sur la philosophie de Spinoza, l’innovation comme « maître mot » comblerait

les défaillances de la pensée, puisque la composition du terme n’est plus interrogée

juste appliquée. L’injonction est acceptée sans réflexion particulière. La croyance

engage des pratiques innovantes. De son étymologie in et novation, respectivement

« à l’intérieur de » et « nouveau », l’objet de l’innovation serait donc de « mettre du

neuf dans ». Majoritairement appliquée à la chaîne de production industrielle, l’in-

novation expliquerait une quête a priori sans limites vers le « progrès financier » et

l’enrichissement personnel à défaut d'explorer un nouveau système d'invention

problématisé autour des causes sociales et économiques.

« Pour le journaliste Annand Giriharadas du New York Times [41], les entreprises de l’économie

du partage, comme Uber ou Lyft, Airbnb ou Task Rabbit sont des entreprises « dans le déni

d’être ». Des entreprises qui refusent d’être des entreprises. Elles se projettent comme des

plateformes de partage, des communautés, de simples répertoires… Leurs employés non salariés

sont des indépendants qui doivent pourtant suivre à la lettre les règles qu’elles édictent. Des

positions qui leur permettent de contourner la législation du travail, la réglementation, les

licences, les impôts [42]... »

[40] Pierre Damien Huyghes, conférence [En ligne]http://bit.ly/1C7To8v, Paris, octobre 2013

[41] Annand Giriharadas, « The pros and cons of sharing, start-ups like Lyft and Airbnb raise questions about markets and regulation »,

New-York Times, [En ligne] http://www.nytimes.com/2014/06/24/technology/start-ups-like-lyft-and-airbnb-raise-questions-about-markets-

and-regulation.html?_r=0, juin 2014.

[42] Hubert Guillaud, « Qu’est-ce que l’économie du partage, la régulation en question », [En ligne] http://bit.ly/1k5e3fp, juillet 2014.

Page 18: Le Design du Partage

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Canards gavés sans consentement, la population est supposée accepter ce nouvelle

échelonnage du consommable. Et c'est au travers une dogmatisation du bonheur

comme le souligne Gilles Lipovetsky, qu'elle réussit son tour de magie :

« Sous-tendu par la nouvelle religion de l'amélioration continuelle

des conditions de vie, le mieux-vivre est devenu une passion

de masse [43] ». Sous le dictate économique, ces envies communes

réprésentent une « doctrine de l’hyper-consommable ». L'exploita-

tion des travailleurs est guidée, sans nulle cachotterie pour qui

cherche (fig1), à des fins commerciales et financières. La pertinence

de ces entreprises aux « services innovants » reposent sur des analyses

comportementales des utilisateurs d'Internet. Antonio Casilli et

Yann Moulier-Boutang évoquent, d’ailleurs, un consensus social qu'ils

nomment Digital Labor [44]. Sans équivalent français, le terme « Digital Labor »

désigne un simple travail de recherche sur Google, ou de billets, postes mis en ligne

sur Twitter ou Facebook, d’évaluation ou de commentaire sur un produit Amazon

par exemple. Ces comportements utilisateurs archivés sous la forme de mégadonnées

sont devenus la propriété des entreprises qui en font le commerce et ce, sans le

consentement des internautes si ce n'est par leur inscription ou

utilisation de service dit "gratuit" [45]. La production de valeur

telle qu’elle s’envisage sur ces réseaux d’activités peut donc

s’assimiler à du travail, sans contrainte a priori que du bénéfice

à qui la possède et la manipule. En terme d’études numériques,

cette formidable main d’oeuvre permet l'analyse d'une quantité

colossale de comportements, et ce dans toutes les brives de l'espace sociale.

Celle-là même qui est exploitée par quelques grandes entreprises, lesdits "GAFAM" [46],

cultivent sans maux dires des plateformes d’externalisation massives du travail, par la

[43] « Le bonheur paradoxal », Paris, éd. Gallimard, 2006

[44] Pour en savoir plus sur l’émergence du terme Digital Labor lire Trevor Scholz,

« Digital Labor, the Internet as playground and factory », éd. Broché, octobre 2012.

[45] Antonio Casilli et Yann Moulier-Boutang, « Digital Labor : portrait de l’internaute en travailleur exploité », France Culture, émission radio

mené par Xavier de la Porte, [En ligne] http://bit.ly/189vZWw, décembre 2012.

[46] Microsoft a récemment été intégré au quatuor Google, Apple, Facebook et Amazon.

fig1, couverture du magazineForbes, janvier 2013.

fig2, Amazon MechanicalTurk, capture, février 2015.

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19

prolétarisation participative [47]) telle qu'Amazon Mechanical Turk [48] (fig2) nous le

propose déjà. Antonio Casilli se positionne comme un chercheur numérique et inter-

roge notre position citoyenne dans cet espace, qui peine à s'assumer démocrate :

« Comment ce "travail numérique" réinterroge la notion même du travail et de la

(co)production de la valeur ? Peut-on vraiment parler d’exploitation ? Nos vieux cadres

d’analyse nous permettent-ils de penser, voire de définir les contours d’un "capitalisme

cognitif" [49] ? »

Pour répondre à ces questions, les propos recueillis par la rédaction de « Silicon.fr »

semblent défendre à juste titre les enjeux économiques liés à la gestion des données

numériques :

« Le Big Data est un outil extraordinaire pour découvrir, mais non pour inventer. La naissance

des idées est de l’ordre du concept et non du chiffre. Tout le problème aujourd’hui, c’est que

l’on manque de concepts. [...] Une machine ne peut pas conceptualiser, elle ne peut pas oublier

sa propre mémoire ou alors elle est programmée pour le faire : elle ne peut pas créer son propre

programme [...] il faut sortir de la question de savoir si le Big Data est bien ou mauvais, c’est

bien et mauvais. C’est à l’utilisateur de se positionner [50]. »

De Brahandère ébauche une première réaction contre ce fichage comportementale.

Selon lui, c’est d’abord par le consommateur, le citoyen, l'internaute que les choses,

si elles doivent changer, changeront. Puisque l’émergence d’une « consommation

collaborative » semble être le résultat d’une analyse cognitive approfondie. Elle

continuera à proposer des solutions innovantes et restrictives toujours plus proche (des

créations) de besoins consommables. Là ou l’utilisateur mécontent (aussi et surtout

consommateur) émet des données critiques sur sa consommation et ses possibilités,

il contribue à un nouveau marché saisi par de jeunes entreprises en proie à la réussite

[47] Wikipédia, « crowdsourcing », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Crowdsourcing#cite_note-2

[48] Amazon Mechanical Turk, site officiel, [En ligne] https://www.mturk.com/mturk/welcome

[49] Antonio Casilli, « Qu’est-ce que le digital labor ? »,

[En ligne] http://www.bodyspacesociety.eu/2013/03/26/slides-quest-ce-que-le-digital-labor/

[50] Luc De Brahandère, mathématicien et philosophe économique, interview par Silicon, [En ligne]

http://www.silicon.fr/luc-brabandere-big-data-outil-decouverte-pas-dinvention-95129.html#va4PtHrgg2cKaHKU.99, juin 2014.

Page 20: Le Design du Partage

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économique. Mais la consommation collaborative c’est encore de la consommation !

Elle est une nouvelle étape de la marchandisation des rapports humains, elle-même

facilitée par le résea Internet et l’archivage d’informations personnelles en ligne.

Quand on vend une part de repas, sur les sites Super-marmite, ou Gobble son

équivalent américain, on vend la part du pauvre. Ces nouveaux modèles collaboratifs

ne changent strictement rien aux rapports sociaux établies depuis quelques siècles. Du

prêt de canapé des couchsurfers, il n’y a qu’un pas pour glisser à la commercialisa-

tion de la chambre Airbnb. Les auto-stoppeurs deviennent des co-voitureurs payant

leur écot pour voyager. En réalité, le marché du capital a horreur du commun.

Le marché a besoin de biens ou de services onéreux pour se maintenir en vie, puisque

seule la rareté prend de la valeur financière. Le système de production entre

particuliers est récupérée par des groupes qui ont pour unique motivation l'argent, le

capital. Facebook sera notre premier exemple. Il est une plateforme qui n’aurait

aucune valeur sans l'interaction régulière de ses membres. Ce sont précisément ces

interactions qui lui permettent de générer des revenus. Sur un modèle d'échanges pair-

à-pair, l’objet de son contenu demeure commercial, centralisé et contrôlé à des fins

souvent indésirables par l'internaute. Cette capture de la valeur est la grande

problématique de l’émergence du P2P au sein d'un capitalisme financier. Elle

détourne à grande échelle les enjeux sociaux d'une telle pratique. Malgré cette

assignation factice bien rôdée, les entreprises pair-à-pair n’ont pas le beau rôle dans

toutes les villes. À New-York et à San Franscico, les locations Airbnb sont illégales

moyennant une location inférieure à trente jours [51]. Réaction protectionniste des

industries déstabilisées par ces nouveaux marchés, cette interdiction profite davantage

aux structures en place (hôtels) qu’aux usagers (locataires). Et ça continue, Uber,

[51] Hubert Guillaud, « La régulation de l'économie collaborative en question », [En ligne]

http://internetactu.net/2013/01/31la-regulation-de-leconomie-collaborative-en-question/, janvier 2013.

[52] Antonin Léonard, « Le blog de la consommation collaborative », site officiel [En ligne] http://consocollaborative.com/

[53] Aurélien Viers, « Oubliez Airbnb : l’économie du partage va s’étendre bien au delà », NouvelObs [En ligne]

http://bit.ly/1wXM0JS, décembre 2014

[54] « pair-à-pair », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Pair_%C3%A0_pair

[55] Catherine Bracy, « Silicon valley’s problem », article [En ligne] http://bit.ly/18cDZ9c, San Franscico, décembre 2012

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avec sa morale arrachée à la volée et son escalade foudroyante des prix, s’enrichit

même des catastrophes climatiques. Elle a bon dos « l’économie collaborative » quand

les ravages de l’ouragan Sandy usurpent les biens et les services collaboratifs ! Mais

ces entreprises nous ont aussi ouvert les yeux sur l’attitude capitaliste que symbolise

l’entrepreunariat collaboratif. Uber et Airbnb ne sont que des exemples à grande

échelle d’une vague de services visant à rapprocher les acheteurs et les vendeurs. Les

plateformes de consommation collaboratives [52] se démultiplient par le monde,

s’immiscant dans tous les secteurs possibles [53]. Le problème est qu’ « aucune de ces

entreprises P2P [54] n’a commencé par s’attaquer à un problème social bien établi et

n’a travaillé à rebours à partir de là [55] », souligne Catherine Bracy dans un billet au

vitriol sur l’incapacité des entreprises de la Silicon Valley à comprendre les problèmes

politiques. Ainsi ces entreprises dudit "partage" ressemblent davantage à un

capitalisme de catastrophe qu’à une réelle révolution des rapports d’échanges, si bien

défendus dans leur approche théorique. Nous apercevrons alors l’autre pan du mur,

celui qui parle d'authenticité, celui sur lequel la collaboration inventive s’instruit d’un

partage réel.

2 - Quel(s) partage(s) ?

« Partager n’est pas voler » pourrait être une exclamation courante de Richard

Stallman. Programmeur militant du logiciel libre, il dénonce, depuis sa démission au

MIT dans les années 1980, la dictature des marchés par le copyright.

Un ordinateur ne pas lire sans copier un fichier localement. Lire c’est copier, vouloir

empêcher la copie d’un code source, et au sens large le partage de ce dernier, revient à

interdire le droit de lecture. Amorcée par Stallman fin des années 1980, une guerre

sourde s’accorde à privilégier la « propriété » ou la « liberté ». L’information [56] issue

[56] CNRTL, « information », [En ligne] http://www.cnrtl.fr/definition/information

[57] CNRTL, « forme », [En ligne] http://www.cnrtl.fr/lexicographie/forme [56], partie I. « Ensemble de traits caractéristiques qui

permettent à une réalité concrète ou abstraite d'être reconnue »

[58] Jimmy Wales, fondateur de Wikipedia, « Imagine a world in which every single person on the planet is given free access

to the sum of all human knowledge », citation [En ligne] http://fr.wikiquote.org/wiki/Jimmy_Wales, juillet 2004.

[59] Wikipedia, « [Nouvelles] technologies de l’information et la communication », [En ligne] http://bit.ly/1fIS3Zg

[60] Ars industrialis, association à but non-lucratif, site officiel [en ligne] http://www.arsindustrialis.org/les-pages-de-bernard-stiegler

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du mot « informer » est l’action de donner ou de recevoir une forme [57]. Dans une

approche holistique de l’accessibilité sur Internet « Imaginez un monde dans lequel

chaque personne, où qu’elle soit dispose d’un libre accès à la somme de tout savoir

humain [58] » semble tout à fait probable au regard du nombre d’usagers sur

Wikipédia. L'information semble être devenue la nouvelle richesse du XXIe siècle,

celle-là qui laisse entrevoir une société de la connaissance. Ainsi, le « libre » est

défendu comme une valeur essentielle à l'avènement de la micro-informatique, telle

qu’elle est naturelle et devrait profiter à tout le monde. Qu’en est-il aujourd’hui de la

perception des secteurs dérivés ? De quel partage (d‘informations) pouvons-nous

parler en économie et en politique ?

Porté par des mutations de société et, particulièrement, les développements techno-

logiques (TIC et NTIC [59]), Bernard Stiegler philosophe en lutte, dénonce depuis 2005

un capitalisme consumériste pulsionnel et addictif aspirant le sens de nos existences.

En réponse à ce « capitalisme malade », l’association Ars Industrialis [60], dont il fait

partie, propose une économie de la contribution inspirée par des comportements liés

à l’ère numérique, et en particulier à celui du logiciel libre [61]. Acté par la Commission

européenne en 2012, le libre accès aux données, aux matériels et aux logiciels (libres),

au moins dans le domaine de la recherche scientifique, ne seront plus des pratiques

marginales mais au contraire des expériences numériques dominantes [62].

Cette déclaration a pour but d'établir un environnement de recherche ouvert et

collaboratif basé sur la réciprocité des échanges. Stiegler contextualise et généralise

cet état de fait :

« Le logiciel libre est en train de gagner la guerre du logiciel, affirme la Commission

européenne. Mais pourquoi ça marche ? Parce que c’est un modèle industriel déprolétarisant

(écrire du code, c’est éminemment industriel). Les processus de travail à l’intérieur du libre

[61] Geek politics, « Bernard Stiegler : Le temps est venu de passer d’un consumérisme toxique à une économie de la contribution »,

article et vidéo [En ligne] http://bit.ly/1aHo3H0

[62] Commission européenne, « Recommandation de la Commission relative à l’accès aux informations scientifiques et à leur conservation »,

article 13 et 14, pdf [En ligne] http://bit.ly/1ahEDgG, p. 4, juillet 2012.

[63] Op. cit., Bernard Stiegler.

[64] Wikipédia, « Ivan Illich », [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivan_Illich#cite_note-12

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permettent de reconstituer ce que j’appelle de l’individuation, c’est-à-dire la capacité à se

transformer par soi-même, à se remettre en question, à être responsable de ce que l’on fait et à

échanger avec les autres. Cela fait longtemps, par exemple, que les hackers s’approprient les

objets techniques selon des normes qui ne sont pas celles prescrites par le marketing [63]. »

Ainsi les processus de travail en programmation pourraient nous servir de modèles,

plus équitables, plus inventifs. À noter que le terme « hacker » désignait au départ

celui qui est apte à faire fonctionner différement un mécanisme pour lequel il a été

conçu [64]. Ces dernières décennies, le développement d’infrastructures contributives sur

Internet s'est quasi-entièrement reposé sur la participation des utilisateurs. Il a

notamment permis la naissance de Wikipédia et, plus largement de substituer la

dualité producteur, consommateur pour un ensemble de contributeurs actifs. Ceux-là

même qui créent et échangent leurs savoirs en ligne, développent des « milieux

associés » où se façonnent un réel jugement personnel. Pour Stiegler, cette capacité

nouvelle à penser par soi-même est constitutive d’un fonctionnement démocratique. Il

dénote ainsi une perte des savoir-faire professionnels induite par un capitalisme

productiviste (prolétarisation progressive du début du XXe siècle) et dans un second

temps l’égarement de notre savoir-vivre par un capitalisme consumériste (marketing et

publicité). Fondateur et président du groupe de réflexion philosophique Ars

Industrialis, Stiegler dirige également depuis avril 2006 l'Institut de Recherche et

d'Innovation [65] (IRI) au centre Georges-Pompidou. Dans le but d’adresser des

appareils et des espaces critiques pour le public (amateurs), il y développe un domaine

de recherche des technologies culturelles et cognitives afin d’émanciper le citoyen,

l’internaute vers un espace de réflexion et de construction démocratique. En ce sens

plusieurs designers ont d’ailleurs commencés à développer des outils faisant l’objet

d’une pratique engagée. Parmi eux, Elliot Lepers [66], designer activiste qui se dit

avocat de l‘open source [67], développe depuis son entrée à l’Ensad en 2009 un design

[65] Wikipédia, « IRI, Institut de recherche et d’innovation », définition [En ligne] http://bit.ly/1C2NZ0Z

[66] Portfolio, [En ligne] http://getelliot.com/

[67] Youtube, « What is Open Source explained in Lego », vidéo [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=a8fHgx9mE5U

[68] Elliot Lepers, « La fabrique de l’engagement », article sur Médium, décembre 2014, [En ligne] http://bit.ly/1IguuAZ

[69] Extension téléchargeable sur Chrome [En ligne] http://bit.ly/1B21EzQ

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d’outils connectés et socialisés. Voici sa vision du monde politique :

« Il ne fait plus de doutes qu’une crise profonde est installée. Ce qui est moins clair, c’est ce que

nous, citoyens, nous pouvons faire. Même si je reste persuadé qu’il y a d’abord un premier

travail de pédagogie à effectuer pour faire évoluer la perception que l’on a du confort (la

demande), il y a également un important travail à fournir pour être en mesure de donner les

outils de la transition concrète (l’offre). Dans tous les domaines, l’usage de la citoyenneté reste à

concevoir, et c’est un chantier essentiel du design pour les années à venir : le XXe siècle a été

celui de la prise de conscience, le XXIe doit être celui de la mise en pratique. Et c’est à notre

génération de porter la transition. Amazon Killer est un exemple d’extension concret qui

facilite l’entrée en transition de centaines de citoyens. Et si nous sommes convaincus que la

solution ne viendra pas des partis [politiques], il nous incombe de montrer le chemin de la

transition concrète [68] ».

Là où Elliot Lepers est juste, il nous froisse. La transition vers une économie du

partage, si tant est la volonté de la majorité, devra s’effectuer par et pour nous,

actuels consommateurs. L’émancipation des technologies numériques offre des

opportunités d’échanges horizontaux plus aisés qu’à l’époque

de Karl Marx. À son échelle, Amazon Killer [69] tend à répondre

à une meilleure visibilité des possibilités d’achats. Incorporée

directement sur le site Amazon (fig3), l’extension permet de

court-circuiter l’achat en ligne au profit des librairies locales

(issu du réseau de la Place des libraires [70]). La dé-localisation

des productions industrielles et la mondialisation des échanges

ont contribué au soulèvement d’un mécontentement généralisé

des consommateurs. Déplorant une non-visibilité des conditions de

production et de livraison, les consommateurs ne connaissent plus l’origine

des produits consommés. Face à cette méconnaissance du consommable, des

[70] site officiel [En ligne] http://www.placedeslibraires.fr/

[71] « La monnaie », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Monnaie

fig3, Amazon Killer,

capture du site, février 2015

Page 25: Le Design du Partage

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coopératives, naissantes en France, envisagent une nouvelle approche monétaire et par

là même une meilleur visibilité de leur achat par une re-localisation de la richesse.

Pour en saisir les enjeux, tournons-nous vers une définition :

« La monnaie est un instrument de paiement spécialisé accepté de façon générale par les

membres d’une communauté en règlement d’un achat, d’une prestation ou d’une dette. [...] Une

monnaie se caractérise par la confiance qu’ont ses utilisateurs dans la persistance de sa valeur et

de sa capacité à servir de moyen d'échange. Elle a donc des dimensions sociales, politiques,

psychologiques, juridiques et économiques [71] ».

La méfiance généralisée du processus monétaire actuel, liée davantage à ses ambitions

"adémocratiques [72]" qu’à sa stabilité, de nombreuses monnaies ont vu le jour ces

dernières années. Malgré l'unification de monnaies historiques dans des processus tels

que l'Euro [73] en 1999, la monnaie semble converger vers une logique de

multiplication. « De quelques monnaies jusqu’en 1984, nous en

sommes à plus de 5 000 en 2009 [74]. »Justement en 2009 naît

le bitcoin [75]. Une monnaie numérique (fig3), sans précédent

cryptée et décentralisée, sonne le glas d'un système économique

vieux de plusieurs siècles. Défiant les logiques monétaires en place,

une crypto-monnaie est « une monnaie électronique pair-à-pair et

décentralisée dont l’implémentation se base sur les principes de la

cryptographie pour valider les transactions et la génération de la

monnaie elle-même ». La gestion de ses transactions et la création

de bitcoins est prise en charge collectivement par le réseau qui se veut libre

et ouvert. Public, personne ne possède ni ne contrôle Bitcoin et tous peuvent s'y

joindre. En d’autres termes, c’est une monnaie numérique que tout le monde peut

créer pour faire des transactions, ensuite validées par un système de cryptage. Ce

[72] Thierry Burgevin, « La dimension adémocratique du pouvoir des élites économiques et politiques »,

fichier [En ligne] http://bit.ly/1B28TaV, Paris, 2010.

[73] Wikipédia, « Euro », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Euro

[74] Jean-Michel Cornu, « L’innovation monétaire », article InternetActu [En ligne] http://bit.ly/1Mrf9BH, novembre 2010.

[75] Frederic Cavazza, « Bitcoin, la première étape d’une révolution monétaire et économique », mars 2014, article [En ligne]

http://www.fredcavazza.net/2014/03/26/les-bitcoin-ne-sont-que-la-premiere-etape-dune-revolution-monetaire-et-economique/

[76] Owni, « Bitcoin : de la révolution monétaire au ponzi 2.0 », article, juin 2011 [En ligne]

[77] Clubic, « Deux sénateurs américains veulent interdire la monnaie virtuelle : le bitcoin », juin 2011, [En ligne] http://bit.ly/1BoTjew

fig4, Bitcoin,

capture du site, février 2015

Page 26: Le Design du Partage

26

système a l’avantage de ne pas être réglementé par une banque centrale. À la fois une

force et une faiblesse, l’anonymat du système laisse la porte ouverte aux échanges non-

déclarés. Le site illégale de vente en ligne Silk Road a justement adopté le bitcoin

comme unique moyen de paiement [76], en font un prétexte évident en vue de son inter-

diction [77]. Ce problème purement législatif n’est pas sans inconvénient pour un utili-

sateur lambda. Une fois l’argent transféré, il est impossible de remonter à la source du

compte. Certes il tend à responsabiliser les opérations de transaction, mais il devient

contraignant dans les cas de piratage de données. Pour un volume d’environ 130

millions de dollars d’échanges [78] en 2011, le système demeure intéressant pour des

échanges électroniques ou des achats en ligne, mais il est encore très loin de présenter une

valeur de confiance. Né en 2009, il est un premier système d’échanges décentralisés [79]

à grande échelle effrayant banques et gouvernements. Cependant, cet exemple

complexe ne doit pas occulter d'autres changements radicaux déjà parmi nous ;

tels que PayPal (intermédiaire entre un vendeur et une banque), les micro-

transactions (Allopass, Rentabiliweb), les banques en ligne (Simple.com, Bankin),

le financement participatif (plateformes de crowdfunfing comme Kickstarter ou

Ulule), les prêts entre particuliers, la mise en place de monnaies complémentaires

(Sonantes, Sol-Violette), etc. En 2014, lors d’un workshop sur les monnaies

complémentaires à la Fonderie de l’Image, notre groupe s’est ouvert à une colla-

boration d’intention graphique avec le fondateur d’une nouvelle monnaie pour

la région île de France. Etienne Hayem nous a présenté sa vision de la monnaie,

matérialisée par le projet Symba :

« Convaincus que les citoyens et les entreprises ont leur rôle à jouer dans le développement et

l’avenir de leur territoire, nous créons une société coopérative pour permettre aux humains de

reprendre le contrôle sur le pouvoir de l’argent et de décider collectivement de leur avenir [80]. »

À échelle humaine, et donc à forte pertinence sociale, cette création monétaire

[78] Ibid, Frederic Cavazza.

[79] Wikipédia,« Bitcoin », créé anonymement en 2009, [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Bitcoin

[80] Site officiel, [En ligne] https://www.symba.co/

Page 27: Le Design du Partage

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nécessite une prise de conscience de l’acte de contribution. Des échanges pair-à-pair

frôlent désormais une économie locale et citoyenne fondée sur une valorisation de la

démocratie. Aux abords d’une reconstruction monétaire, les initiatives à l’oeuvre

manquent encore cruellement de visibilité, et ne permettent pas encore de développer

un schéma de confiance considérable à l’échelle nationale, même si elles le sont parfois

à l’échelle communale. À quel procédé oublions-nous presque systématiquement de

faire référence quand il s’agit d’un retour à l’authentique ? Que manque t-il à

l’invention pour qu’elle soit transmise et acceptée sans être capitalisée ? Anthony

Masure semble en mesure de nous éclairer à ce propos « Les discours visant à

« retrouver de l’authentique » dans les dispositifs numériques nous semblent inadaptés

car ils échouent à penser ce qui, dans la technique, diffère de la « transmission et

l’acceptation de méthodes achevées de travail ». Dans cette logique, le design serait

alors compris comme une opération seconde visant à « découvrir » l’invention en tant

qu’invention, « ce besoin de trouver l’endroit invisible où […] niche aujourd’hui encore

l’avenir, et si éloquemment que, regardant en arrière, nous pouvons le découvrir ».

Cet avenir qui reste à découvrir est une façon de faire du numérique que le designer

peut se donner comme tâche de travailler [81]. » Ce qui est soulevé ci-dessus nous révèle

qu’au delà des prouesses techniques, pour qu’une invention, toute qualité gardée,

puisse s’accorder à la connaissance d’une majorité elle ne doit pas négligée le pro-

cessus de transmission qui permettra son consentement. Nous pensons que ce

processus est la tâche principale du designer. Ainsi la monnaie, en complète trans-

formation, semble un champ de réflexion nouveau à mener par ces derniers.

Développé par Stiegler, le « partage » par essence s’oppose au système capitaliste

productiviste et consumériste. La prolétarisation généralisée et l’uniformisation par le

marketing et la publicité empêche le développement de l’individu dans ce qu’il a

d’ingénieux. Basé sur la réciprocité des échanges, une société de la connaissance telle

un environnement de recherche mutualisé (ouvert et collaboratif) permettrait un réel

développement communautaire démocratique (juste et équitable).

[81] Op. cit, Anthony Masure, thèse.

Page 28: Le Design du Partage

28

3 - Vers une pensée des biens communs

Comme nous avons commencé à l’aborder, le champ des organisations collaboratives

est vaste. Entre les systèmes de consommation participative, les hébergements

collaboratifs, les espaces de travail partagés, le covoiturage, les modes de vie

collaboratifs, le financement participatif, les monnaies cryptées ou complémentaires, le

Do-It-Yourself, la culture libre et les fablabs, tous convergent selon une même pensée

collective mais dans quel but ? Qu’apporte la mutualisation des savoirs et des

compétences à la société ?

Fondée sur la participation, les citoyens s'organisent en réseau ou en communauté.

Grâce à une mutualisation des espaces et des outils, ils prennent des décisions par

consentement mutuel, et ce de manière « horizontale ». Cette forme d’organisation

favorise les échanges transversaux : « Il n’y a plus dissociation des producteurs et des

consommateurs, mais association des destinataires et des destinateurs produisant une

nouvelle forme de socialité et un nouvel esprit du capitalisme [82] » Les économies

horizontales présenteraient trois qualités majeures : la pérennité s'appuyant sur une

économie du partage et une réutilisation opérante des ressources [83]; l’ouverture

impliquant toute la population dans la co-création de valeur ; et enfin l’agilité

satisfaisant les besoins locaux avec pertinence et rapidité. En co-créant de la valeur

(issus de biens et services), les laboratoires de fabrication numérique s’ouvrent un

champ d’action inventif quasi-infini. D’abord parce qu’ils multiplient les échanges de

compétences et de matériels, ensuite parce qu’ils adoptent, pour la plupart, une

démarche citoyenne contributive. Le kit Smart Citizen [84] pour la ville de Barcelone

[82] Bernard Stiegler, « Ars industrialis », association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit,

« Individuation », [En ligne] http://arsindustrialis.org/individuation

[83] Pierre Delprat, « Systèmes DIY », éd. Alternatives, 2013

[84] Site officiel, [En ligne] https://www.smartcitizen.me/

[85] « Arduino », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Arduino

[86] Code source, https://github.com/fablabbcn/Smart-Citizen-Kit

[87] « Logiciel de gestion de versions », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Logiciel_de_gestion_de_versions

[88] « Git », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Git

Page 29: Le Design du Partage

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en est un bon exemple et des plus aboutis. En connectant les données aux personnes

et à la connaissance, les outils distribués servent à la réappropriation

collective de la ville par et pour ses habitants (fig5). Système monté

d’une carte Arduino [85] et équipé de capteurs (son, pollution, humi-

dité, température), chaque citoyen détenteur peut capter et confronter

les données enregistrées dans son quartier. Ainsi les habitants parti-

cipent activement au développement de la ville. Fonctionnel, mais

encore à l’état de test, son code source est ouvert et disponible gratui-

tement sur GitHub [86] (service d'hébergement et de gestion de développement de

logiciels, utilisant le logiciel de gestion de versions [87] Git [88]). Au fablab IAAC

Barcelona, conception numérique et travail collectif cohabitent en vue de produire

localement tout ce dont une ville aurait besoin à son évolution. Une fabcity en somme

où plusieurs petits pôles de fabrication sont déjà installés dans les quartiers de la ville[89]. Michel Bauwens nous précise lors d’un interview mené par le magazine en ligne

WeDemain

« Au XIXe siècle, les paysans, chassés de leur terre, se retrouvent exploités dans les villes. Ils

développent alors mutuelles et coopératives, s’engagent dans des syndicats et partis politiques

avec une idéologie collectiviste. Aujourd’hui nous assistons à un mouvement inverse de dépro-

létarisation. De plus en plus de jeunes sont exclus du salariat et deviennent freelance. Ce sera

le cas, selon le Bureau International du Travail [90], de la moitié d’entre eux d’ici 2020.

Face au chômage et à la multiplication des contrats de travail précaires, les anciens systèmes de

solidarité ne fonctionnent plus vraiment. On observe donc une mutualisation des lieux de travail[91], avec les espaces de coworking, les hackerspaces et les makerspaces, mais aussi du travail

lui-même, avec les projets open source [92]. Ce travail en réseau est un antidote à l’indivi-

dualisme dont souffrent les sociétés capitalistes. On est passés d’un mode d’organisation trop

[89] Camille Bosqué, « Etapes, co-design », éd. Pyramyd, juillet et août 2014, p. 78-79.

[90] Site officiel, [En ligne] http://www.ilo.org/global/about-the-ilo/who-we-are/international-labour-office/lang--fr/index.htm

[91] Wedemain, « Sans bureaux fixes à Paris ? La carte des incontournables », [En ligne]

http://www.wedemain.fr/Sans-bureau-fixe-a-Paris-La-carte-des-lieux-incontournables_a299.html [87], août 2013.

[92] Wikipédia, « Open source », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Open_source

[93] Wikipédia, [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Pair_%C3%A0_pair

[94] Michel Bauwens, interview par Wedemain, [En ligne] http://bit.ly/18yVfpa, novembre 2013.

[95] site officiel [En ligne] http://www.electrolab.fr/2013/06/30/fablab-or-hackerspace/

fig5, Smart Citizen,

capture du site, février 2015.

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collectif et holistique, à un autre trop atomisé. Comme le socialisme fut l’idéologie des

travailleurs ouvriers, le P2P [93] est l’idéologie des travailleurs de la connaissance [94]. »

Les hackerspaces, quasi réservés aux initiés, travaillent principalement sur des projets

informatiques et développent des logiciels libres. Le « hacking » est une pratique de

détournement de matériel ou de logiciel. La modification du code source lui apporte

des fonctionnalités imprévues dans le design d'origine. [95] Les laboratoires de

fabrication numérique, quant à eux, sont des lieux ouverts au public. Inspirés des

hackerspaces, ils ont développé un champ plus ouvert de mise en partage de moyens :

espaces, machines, projets et savoir-faire.

« Alors que les hackerspaces existent depuis plus de trente ans, le phénomène des fablabs

prend de l’ampleur à l’échelle internationale depuis une dizaine d’années. Nous pouvons

compter 300 fablabs sur la planète. Souvent présentés comme le lieu de l’amateur plus que du

designer, ces ateliers se développent de manière protéiforme. On peut ainsi trouver des fablabs

adossés à des universités, des bibliothèques, des cafés, des entreprises. Ces espaces sont ouverts

à tous et pour tout faire. Ils mettent en avant une forme d’interdisciplinarité, chaque

participant apportant son expertise au service des autres. Faire ensemble ou faire côte à côte

permet d’avancer plus rapidement et de nourrir de nouvelles idées [...] la possibilité de

reproduire, d’exporter, d’adapter les projets réalisés à un coin de la planète pour le refaire

ailleurs, la force de l’open source facilitant la diffusion des plans et concepts [96] ».

Une nouvelle forme de fabrication inventive se multiplie donc à travers la

démocratisation des technologies numériques, de l’interdisciplinarité, de la diffusion

des savoirs et des pratiques. Un flot généralisé de tiers lieux de laboratoire de

[96] Ibid, Camille Bosqué, Etapes n° 220, p. 77.

[97] « Fablab inventory », carte non-exhaustive des fablabs en France, [En ligne]

https://www.google.com/maps/d/edit?mid=zrIrBNsQ7Ugs.kWZr0Y_i6DyU&msa=0

[98] « Bien commun », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Biens_communs#cite_note-2

[99] « Licence libre », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Licence_libre et Aful, « Licence libre », [En ligne]

https://aful.org/ressources/licences-libres

[100] Schéma de classification des licences, voir annexe.

[101] Site officiel, [En ligne] https://wiki.creativecommons.org/4.0

Page 31: Le Design du Partage

31

fabrication numérique se développe ainsi en France [97] et dans le monde ; une quête

collective semble engagée vers ce qu’on peut désormais appeler le bien commun [98].

Mais alors comment pouvons-nous diffuser des projets ouverts, légaux et gratuits ?

Pour qu’un code source soit diffusé librement et légalement, il doit s’identifier à une

« licence libre [99] ». Initié par la notion de copyleft et opposé au copyright, les sys-

tèmes juridiques ouverts à la mise en partage sont multiples [100]. Ils concernent les

plans d’objets autant que les créations techniques aux langages divers (HTML, CSS,

Javascript, vectoriels, etc.). Il existe de nombreuses licences pour la libre diffusion,

elles se sont multipliées en trois branches principales : Creative commons [101], Peer

production licence [102] et les licences réciproques [103]. Leurs singularités n’ont pas

permis un accord unique sur la libre diffusion des créations, toutefois, elles s’accordent

sur la remise en cause de la propriété. Sous licence creative commons, Wikipédia est

l'une des création les plus réussies sous le concept du copyleft. Créé par Jimmy Wales

et Larry Sanger en janvier 2011, l'encyclopédie multilingue s'enrichit des savoirs des

contributeurs et de l'interaction de ses hôtes ; pour qui a un compte il est très simple

de modifier la quasi-totalité des articles. Wikipédia est le sixième site le plus fré-

quenté sur Internet, il constitue le plus grand et le plus populaire des ouvrages de

références générales, véritable espace de connaissances communes. En février 2014,

il y comptait presque 500 millions de visiteurs par mois pour près de cinq millions

d'articles en anglais. Si le XIXe siècle a permis la démocratisation de l’État, la démo-

cratisation de la valeur sera le grand chantier du XXIe siècle. Les nouvelles formes de

production et d'organisation « en réseau » ont cette capacité à révolu-tionner nos

rapports d'échanges, elles ouvrent des portes vers une justice sociale plus équitable.

Cependant les récupérations immorales de ces médiums par les politiques et le com-

[102] P2P foundation, « License », [En ligne] http://p2pfoundation.net/Peer_Production_License

[103] Hypothèses, Sciences communes,« Rendre aux communs le produit des communs : la quête d’une licence réciproque »,

[En ligne] http://scoms.hypotheses.org/category/licence-reciproque [98], septembre 2014.

[104] Wedemain, « Le peer-to-peer est l’idéologie des travailleurs de la connaissance », [En ligne] http://www.wedemain.fr/Michel-Bauwens-le-

peer-to-peer-est-l-ideologie-des-travailleurs-de-la-connaissance_a366.html

Page 32: Le Design du Partage

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merce visent à détourner cette liberté. Détournant l’investissement public sous l’effigie

du financement participatif, d’après Michel Bauwens, l’État pourrait aussi se réduire à

des fonctions régaliennes :

« Plus de bibliothèque ? Les citoyens actifs n’ont qu’à s’organiser pour réunir leurs livres. Plus

de piscine ? Les parents n’ont qu’à financer sa rénovation par un financement participatif. C’est

de la rigueur déguisée, il faut se méfier de l’horizontalisme absolu qui cache parfois un anarcho-

libéralisme. Une transition politique P2P nécessite un État partenaire et de vraies politiques

publiques [104]. »

Selon Bauwens, il faudrait une véritable révolution des institutions publiques pour que

qu’une réelle économie collaborative se mettent en place. Dans ce cas, pourquoi le

pair-à-pair est-il une solution adaptée aux économies futures [105] ? Le pair-à-pair

informatique, de son origine, désigne la capacité des ordinateurs à être en contact les

uns avec les autres, sans autorité régulatrice centrale. Par extension, la dynamique

sociale P2P permet à des gens du monde entier de s’auto-organiser en réseau pour

produire de la valeur en commun. Cette contribution volontaire porte en elle une

demande d’universalité par l’engagement à produire, par exemple, un logiciel

disponible pour tous. L’émergence d’un système de travail contributif s’oppose, quasi

dans sa totalité, à la forme de travail telle qu’on n’a pu la concevoir jusqu’ici maté-

rialisé par l’emploi. Le problème est le suivant « Dans vingt ans, l’emploi aura dis-

paru [106] ». L’investigation du modèle économique et politique

actuel tel qu’établi par Roosevelt [107] dans les années 1930 aux

États-Unis (concilié par Keynse) et reposant sur le partage des

fruits de la croissance représenté par le pouvoir d’achat et

redistribué sous forme de salaire serait terminée.

[105] Fransceca Musani, « Peer-to-peer, la clef de voûte pour les économies futures ? »,

[En ligne] http://adam.hypotheses.org/1143, décembre 2011.

[106] Bernard Stiegler, « L’emploi est mort, vive le travail », podcast [En ligne] http://bit.ly/1pWTgwJ, avril 2014.

[107] « New Deal », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/New_Deal

[108] Ibid, Bernard Stiegler.

[109] Site officiel, [En ligne] http://www.linuxfoundation.org/

[110] Wiki, Media foundation, [En ligne] http://wikimediafoundation.org/wiki/Accueil et CNRTL, « travail »

fig6, Linux Foundation,

capture du site, février 2015.

Page 33: Le Design du Partage

33

« L’automatisation va se généraliser et mettre fin à

la notion d’emploi […] mais c’est le début du travail [108] ! »

À titre d’exemples, les fondations Linux [109] (fig6) ou

Wikimédia [110] (fig7) et les projets open source réalisés ou

en cours de réalisation (avec par exemple la voiture Wikispeed

ou la maison Wikihouse) entrent en rupture avec la distribution

traditionnelle du travail. C’est à dire qu’il n’y a plus d’emploi

à pourvoir mais des tâches à effectuer selon les affinités et les

compétences de chacun. Dans cette démarche, les hiérarchies

de commandement a priori n’existeraient plus que pour laisser place à la distribution

des pouvoirs unis par le « travail [111] ».

La crise des Subprimes en 2008 a démontré l’insolvabilité du modèle actuel. Reposant

sur les gains de productivité tayloriens, le modèle consu-mériste d’aujourd’hui n’est

plus adapté à nos ressources et à nos besoins. Le renver-sement des systèmes de pro-

ductions par l’automatisation et la robotisation doit imaginer une nouvelle manière de

produire de la valeur et de redistribuer les gains de productivité. N’étant plus redistri-

buable sous forme de salaire puisque l’emploi est remplacé par le robot et l’algorithme

(qui lui ne consomme pas), cette nouvelle productivité doit s’accom-pagner d’un

revenu contributif [112]. Sur une base forfaitaire allouée à tout le monde, il permettrait

de vivre correctement (manger à sa faim et dormir sous un toit, avoir une vie sociale,

etc.), de s’éduquer et de développer des formes de savoirs ou de « capacités [113] ».

[111] CNRTL, « travail » [En ligne] http://www.cnrtl.fr/lexicographie/travail, concerne la partie II. A-1,

« travail : l'acte par lequel l'homme se produit lui-même. » Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 32.

[112] Ibid, Bernard Stiegler, podcast.

[113] Amartya Sen, « Capabilité », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Capabilit%C3%A9t

[114] « FLOK Society Project », [En ligne] http://p2pfoundation.net/FLOK_Society_Project, juin 2014.

[115] « Formation en ligne ouverte à tous », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Cours_en_ligne_ouvert_et_massif

[116] « Open data », [En ligne] http://en.wikipedia.org/wiki/Open_data#Open_data_in_government

fig7, Wikimédia France,

capture du site, février 2015.

Page 34: Le Design du Partage

34

En ce sens, Michel Bauwens a proposé un nouveau cadre législatif national basé sur

le bien commun en Équateur : le « FLOK [114] ». Afin d'imaginer un pays animé par la

connaissance ouverte, cette politique P2P se constituerai sur la base de connais-sances

mutualisées (techniques et savoirs) disponible pour tous grâce à des outils open

source pour : l’éducation avec l’Open course MOOC [115] et la gouver-nance avec

l’Opengovernement data [116]. Qu’il soit viable en l’état ou en recherche, une nouvelle

structure de société est en train de se former.

L’économie du partage dominante s’est construite sur l’opportunité d’un nouveau

capital des besoins. Justifiée par la simple mise en relation des personnes, l'élite

entrepreunariale, avant d’être collaborative, est avant tout capitaliste. Les entreprises

se dé-responsabilisent ainsi naturellement des enjeux socio-politiques de leurs services

là où elles pourraient développer un nouveau modèle de société.

Au contraire, elles ont pour conséquence la restriction des libertés acquises en ôtant

du domaine public ce qui était disponible gratuitement ou à moindre coût. Quant à

elle, la réelle logique de démocratie participative, revalorisant l’échange et le partage

des savoirs comme biens communs, est en train de s'outiller en numérique.

Envisageable avec Internet et le Web, elle est un système nouveau où la liberté

prédomine sur la propriété.

Page 35: Le Design du Partage

35

fig1, couverture du magazine Forbes,janvier 2013.

4 - Figures

fig2, Amazon Mechanical Turk, capture, février 2015.

Page 36: Le Design du Partage

36

fig6, Linux Foundation, capture du site, février 2015.

fig7, Wikimédia France, capture du site, février 2015.

Page 37: Le Design du Partage

37

fig4, Bitcoin, capture du site, février 2015.

fig5, Smart Citizen, capture du site, février 2015.

Page 38: Le Design du Partage

38

fig3, « Acheter en librairie »,Amazon Killer, capture du site Amazon, février 2015.

fig bis, capture du site Amazon killer, février 2015.

Page 39: Le Design du Partage

39

II – L'Internet et le Web,quelles perspectives citoyennes ?

Au début des années 1960, les premiers réseaux informatiques naissaient au sein du

MIT [117], ils n’avaient à l’époque qu’une portée limitée pour mettre en communication

des micro-ordinateurs, périphériques ou instruments de mesure. Décentralisés, les

réseaux informatiques [118] ne sont apparus qu’une dizaine d’années après, on suivit

l’invention du World Wide Web [119] par Tim Berners-Lee et Robert Cailliau. Ce

dernier système a, notamment, contribué à son émancipation grand public. En

facilitant la navigation par un système hypertexte matérialisé avec des pages web

elles-mêmes reliées d’hyperliens. Le web a rendu accessible la lecture des protocoles

de transfert de données jusqu’ici manipulés par une poignée d’initiés.

Contrairement à ce que peuvent prétendre des organismes engagés et mal référencés

tel que l’Open Internet coalition [120], la première publication technique d’Internet

de 1981 [121] ne mentionnait pas de notion « d'ouverture du réseau ». Rédigé par

l’Internet Architecture Board [122] (organisme indépendant du gouvernement

américain) en mars 1992, le concept d’ouverture s’officialise avec le document

The Internet Standards Process [123] y décrivant un ensemble d’attributs d’Internet.

« Vingt ans après la conception des fondements techniques d’Internet par Vinton

Gray Cerf et Robert E. Kahn, Lyman Chapin (président de l’IAB) fut le premier

à lier explicitement les technologies d’Internet aux valeurs culturelles et procédurales

de l’ouverture [124]. »

[117] Massachusetts Institute of Technologies, [En ligne] http://web.mit.edu/

[118] « Réseau informatique », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_informatique

[119] « World Wide Web », littéralement « la toile (d’araignée) mondiale », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/World_Wide_Web

[120] « the Open Internet », compte Twitter de l’organisation, [En ligne] https://twitter.com/theOpenInternet

[121] « Internet protocol », [En ligne] https://www.ietf.org/rfc/rfc791.txt, septembre 1981.

[122] Actuel comité de surveillance et de développement de l’Internet, désigné par l’ISoc, Internet Society, pour plus d’informations

voir [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Internet_Architecture_Board

[123] « The Internet standard process », [En ligne] http://www.ietf.org/rfc/rfc2026.txt, octobre 1996.

[124] Andrew L. Russell, [rad.] Yann Champion, « L’Histoire d’Internet n’est pas aussi ouverte que vous l’imaginez »,

Slate, [En ligne] http://www.slate.fr/economie/87721/histoire-internet-ouverture, juin 2014.

Page 40: Le Design du Partage

40

Durant les années 1990 lors de l'avènement grand public de l’Internet et des systèmes

ouverts GNU ou UNIX, les références devinrent fréquentes. En 1994 apparaît les pre-

mières critiques journalistiques de la technologique, le quotidien Newsday pointait un

« Internet grand-ouvert » (Wide open Internet) peu sécurisé laissant place aux pira-

tages de données personnelles (vols de mots de passe). Rapidement, les membres de la

Federal Communications Commission [125] réalisèrent que la rhétorique de l’ouver-

ture permettrait le détournement des demandes en faveur de puissants groupes

d’intérêts privés.

« Dans les années 2010, des campagnes visant à protéger « l’Internet ouvert » contre les

monopoles, la censure ou l’espionnage sont devenus monnaie courante et en 2014 la FCC

[Federal Communications Comission, gouverment américain] fait face à des pressions sans

précédent lui demandant d’agir avec fermeté [126]. »

Si l’ouverture d’Internet n’est pas réellement dessinée, les tensions entre les

réseaux demeurent. Et toute une génération de hackers idéalistes semble déterminée

à construire de nouveaux outils de gestion des réseaux qui feront progresser les droits

humains et la justice sociale.

1 - Aux origines d’Internet, que reste t-il des utopies ?

« Au milieu des années 1990, quand l’Internet et le World Wide Web ont émergé dans la

sphère publique, on a vu fleurir le mot révolution dans toutes les conversations [...] tout

semblait frémir des prémices d’une mutation imminente. [...] l’Internet s’apprêtait à « aplanir

les organisations, mondialiser la société, décentraliser l’autorité et favoriser l’harmonie entre les

humains » [...] écrivaient Negroponte et des dizaines d’observateurs avec lui, l’Internet

entraînerait l’avènement d’une « génération numérique » nouvelle (enjouée, autosuffisante,

dotée d’un psyché propre) qui s’organiserait, à l’image du réseau lui-même, en réseaux

collaboratifs de pairs indépendants [127]. »

[125] La « Commission fédérale des communications » est une agence indépendante du gouvernement des États-Unis,

créée par le Congrès américain en 1934. Elle est chargée de réguler les télécommunications ainsi que les contenus

des émissions de radio, télévisée et Internet. La plupart de ses commissaires sont nommés par le président des États-Unis.

[126] Ibid, Andrew L. Russell.

[127] Fred Turner, « Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture. Stewart Brand, un homme d’influence » [2006],

[trad.] de l’anglais par Laurent Vannini, Paris, C&F, 2012, p. 35.

Page 41: Le Design du Partage

41

Le réseau Internet n’en est pas moins une prouesse technique qu’il ne fût pas suffisant

à une appropriation généralisée de l'ordinateur personnel. Malgré ses finesses

techniques, en 1965 la population américaine était loin d’imaginer qu’il permettrait la

réunion de personnalités si distinctes dans leurs pratiques et leurs idéaux.

« Aux yeux des membres du Free Speech Movement [128], comme pour beaucoup de

leurs concitoyens tout au long de la décennie, les ordinateurs incarnaient la menace

des technologies de déshumanisation, l’existence d’une bureaucratie centralisée

rationalisant la vie en société et in fine, la guerre au Vietnam. Pourtant dans les

années 1990, ces mêmes machines qui avaient été les fers de lances de la technocratie

de la guerre froide devinrent des symboles même de sa métamorphose. Vingt ans après

la fin du conflit dans le sud-est asiatique et la dissipation du mouvement de contre-

culture aux États-Unis, étonnamment, les ordinateurs semblaient devenus capables de

donner vie au rêve contre-culturel d’un individualisme créateur, d’une communauté

coopérante et d’une communion spirituelle. Comment la perception culturelle des

technologies de l’information a-t-elle pu basculer aussi radicalement [129] ? »

Là où la révolution technique n’a pas suffit à rassembler les utopies d’une révolution

sociale, Stewart Brand aura jouer un rôle essentiel. Par la construction d’un réseau

hétéroclite, il fût à l’initiative d’une série de rencontres entre les milieux bohèmes de

San Francisco et technologiques de la Silicon Valley, matérialisée par un ouvrage de

référence : le Whole Earth Catalog (fig1). En 1968, le catalogue est considéré comme

un dispositif d’évaluation et d’accès à l'information. L’utilisateur peut estimer ce qui

lui semble nécessaire d’acquérir et comment l’obtenir. Se pose ici le problème de

l’inclusion des objets intégrés dans le recueil, comment sont-ils évalué ? Cinq critères

ont été déterminés : l’utilité de l’outil, la pertinence dans le processus d’auto-

apprentissage, la haute qualité ou le bas prix, la méconnaissance du grand public,

et la livraison par colis. L’expérience et les suggestions des utilisateurs ont permis

l’actualisation continu des informations présentées [130].

[128] Mouvement pour la liberté d’expressions défendu par les étudiants à l’université de Berkeley entre 1964 et 1965.

[129] Op. cit, Fred Turner, p. 48.

[130] Op. cit, Fred Turner, p. 158.

Page 42: Le Design du Partage

42

Sept ans plus tard, ce recueil encyclopédique migre sur Internet. Ils permettent

l’extension du dispositif en ligne avec un système de conférence

électronique en temps réel : le WELL (Whole Earth ‘Lectronic

Link’). Apprivoisant les défaites politiques du changement

utopique, un héritage complexe fusionne dès lors autour d’un outil

révolutionnaire qui ne fera qu’ouvrir des possibilités. Appuyé

par les personnalités telles que Kevin Kelly, Howard Rheinglod,

Esther Dyson, et John Perry Barlow, la création du magazine Wired

en 1993 donne à voir les traces d’une vision contre-culturelle de

l’Internet, si bien dévoilée par Fred Turner [131]. Il rassemblait

des citoyens tous profondément attaché à la communauté du

Whole Earth mais également des industriels, républicains, conser-

vateurs ou libertaires, comme le souligne Turner :

« Stewart Brand et le réseau Whole Earth continuèrent à élaborer les contextes intellectuels

et pratiques au sein desquels les « habitants » des deux mondes pourraient se retrouver et se

légitimer mutuellement. [...] Les ordinateurs, la communication informatisée, et les idéaux d’une

société égalitaire au sein de la contre-culture sont devenus des traits essentiels d’un mode de

vie, de travail et d’individuation sociale et culturelle, toujours plus connecté [132]. »

Aspirés par la croissance du capitalisme [133], les idéaux révolutionnaires de la

génération d’après guerre semblaient avoir servis à leur détournement, notamment

avec la propagande publicitaire des grandes industries guidant vers une culture de

la consommation. Avec les écrits de Norbert Wiener ou de Marshall McLuhan con-

sidérant la réalité matérielle comme un système d’informations interconnectées, les

jeunes américains découvrirent une vie cybernétique appréciable où l’harmonie globa-

lisée pouvait s’envisager de manière très concrète. Cette génération qui avait grandi

dans un monde en proie aux affrontements militaires et à la menace de l’holocauste

fig1, couverture du WholeEarth Catalog, 1968.

[131] Op. cit, Fred Turner, p. 39.

[132] Op. cit, Fred Turner, p. 44-45.

[133] Ken Knabb, « Secrets publics », éd. Sulliver, extraits « De la misère en milieu hippie », [En ligne]

http://www.bopsecrets.org/French/hippies.htm, octobre 2007. Pour débattre avec un exemple voir la situation d’Auroville,

une ville indienne aux organisations expérimentales. Julien Boyer, « Capitalisme vs utopie hippie »,

article [En ligne] http://fr.bibiontheroad.net/capitalisme-vs-utopie-hippie/, janvier 2014.

Page 43: Le Design du Partage

43

nucléaire, les politiques contestataires et le développement personnel crié par les

révolutionnaires hippies ne se sont pas dissoutes si simplement, au contraire elles

migrèrent au sein d’un « monde numérique ». En septembre 1939, quand l’Àllemagne

envahit la Pologne, les organisations scientifiques et d’ingénieries, semi-indépendantes

au pouvoir politique et jusqu’ici financées par des universités ou des industries, furent

projetées au sein de collaborations interdisciplinaires et inter-institutionnelles.

Rassemblant universitaires, industriels et militaires aux États-Unis, l’année 1940 voit

la naissance du National Defense Research Committee [134] rebaptisé Office of

Scientific Research and Development [135] l’année suivante. Les « têtes chercheuses »

du pays collaborèrent pour donner naissance à l’arme nucléaire et aux ordinateurs.

Par diligence, ce fourmillement créatif d’intellects a révélé une nouvelle forme de

travail défiant toute efficacité. Symbolisée par la « collaboration », préconisant

l’audace, l’interdisciplinarité et l’absence de contraintes, il est un processus ouvert

prévalant de nombreux autres. Preuve en est d’un climat de recherches et de

développement de matériels non-hierarchisé à l’opposé d’une autorité de com-

mandement central des ressources de gestion bureaucratique. Là se dessine deux

branches organisationnelles qui seront le fondement des césures de notre temps.

Cette opposition fonctionnelle (échanges verticaux versus échanges horizontaux)

repose sur la considération des organismes de recherches américains pendant les

guerres du milieu du XXe siècle. Dans les années 1970, les codes sources développés

par les ingénieurs étaient communément libres d’accès pour les différents laboratoires

de recherche. En 1980 naît une anecdote qui sera le fondement d’un positionnement

politique progressiste. Le département de recherches sur les Intelligences Artificielles

reçoit gratuitement la dernière imprimante laser de la marque Xerox, mais le pilote

(driver) de la machine fonctionne mal. À l’époque, il suffisait d’ouvrir le code source

et de l’améliorer mais l’entreprise ne l’avait pas fourni [136]. Plus tard, Richard

Stallman (fig2), brillant hacker du MIT, apprend qu’à l’université

[134] A l’initiative de Vannevar Bush, Roosevelt créa un Comité National de Recherche pour la Défense (NDRC). Op. cit, Fred Turner, p. 56.

[135] Bureau de recherche et de Développement Scientifique, OSRD.

[136] Conférence de Richard M. Stallman, Université Paris 8, retranscription Frédéric Couchet et Sébastien Blondel, [En ligne]

http://www.linux-france.org/article/these/conf/stallman_199811.html, 1998.

Page 44: Le Design du Partage

44

de Carnegie Mellon à Pittsburgh aux États-Unis un programmeur

possède le code source de l’imprimante. Stallman se déplace pour

récupérer le code source, le programmeur refuse. Il aurait passé

un accord de non-diffusion avec Xerox lui interdisant la libre dif-

fusion du code source. Véritable trahison, Stallman se rend compte

que les choses changent. Les chercheurs entament la « monétisation »

de leurs services aux entreprises de logiciel, s’en suit la mise en place

de brevets propriétaires. La réduction d’un code source à l’exclusivité

marchande est une démarche contre-productive pour Stallman, preuve en est de

l'obsolescence programmée des productions industrielles. L’avantage du code était

initialement perçu comme un langage de développement technique ouvert à la réinven-

tion et l’amélioration. Enfermant la pratique et le développement des logiciels à la

volonté des quelques ayants droit, les brevets ont verrouillés l’accès, du moins la

rediffusion des programmes, et par là même l’intérêt public associé. En privilégiant

leur attrait personnel à court terme, les informaticiens vendant leurs codes sources

sont remarqués par Stallman comme des ennemis de l’humanité retardant les avancées

technologiques. Il les considère comme des « privateurs » de liberté. Il décide de

réagir, démissionne de son poste au MIT et fonde la Free Software Foundation [137]

en 1985. La notion de logiciel libre est officialisée par la fondation et respecte quatre

libertés fondamentales :

La libre d’exécution d’un programme informatique

Le logiciel peut-être acquis facilement, les développeurs font en sorte qu’il soit

utilisable sur le maximum de systèmes d’exploitations différents (Windows, Mac Os,

GNU/Linux) de versions différentes. Il n’y a aucune restriction du nombre de copies

ou du nombre d’utilisation. Le logiciel peut-être une solution payante, le problème se

pose essentiellement sur la facilité et la rapidité d’accès aux logiciels par l’utilisateur.

[137] Site officiel, [En ligne] http://www.fsf.org/about/

Liberté 0

Liberté 3

Liberté 2

fig2, portrait RichardStallman, site officiel.

Liberté 1

Page 45: Le Design du Partage

45

La libre modification du code d’un programme informatique.

L’étude d’un code source par des tiers est facilité car il est accessible, lisible et

modifiable. Pour les initiés, elle permet des retours d’expérience rapides et précis sur

des problèmes de fonctionnalités. Pour les non-spécialistes, le code peut être étudier et

modifier pour l’apprentissage ou pour un simple état des lieux fonctionnels.

La libre redistribution des copies d’un programme. Sans contrainte de diffusion du

logiciel, chaque utilisateur devient une plateforme de distribution. Plébiscités par les

usagers, les logiciels connus sont nécessairement réussis.

La libre modification et redistribution de ses propres versions d’un programme.

Le premier exemple estimable d’appropriation d’un programme libre est le célèbre

système d’exploitation GNU [138] développé par Stallman en 1983. Lui-même reprend

le code source UNIX, un système d’exploitation multi-tâche et multi-utilisateur créé

en 1969 par Kenneth Thompson. Répandu dans les milieux académiques au début

des années 1980, alors dépourvu de toute notion de propriété, ce code fut utilisé par

plusieurs jeunes start-ups. Ces multiples appropriations ont donné naissance à la

« famille UNIX » avec par exemple les systèmes Android, iOS, OS X et GNU/Linux.

Ce dernier est le résultat d’un premier couplage réussi entre les noyaux GNU et UNIX.

Dans les années 1990, l’étudiant Linus Torvalds récupère le code source du système

GNU pour en développer une amélioration personnalisée. Il le nommera d’abord

Linux, puis GNU/Linux (pour la visibilité du fork [139] réclamé par Stallman) et sera

distribué sous la GNU Public Licence [140] (GPL). Initialement conçues pour légaliser

la pratique du hacking (bidouillage, bricolage) de logiciels, les valeurs du libre telles

que défendues par Stallman ont permis le rassemblement d’une communauté ouverte

à la contribution. Depuis la création de la FSF, de multiples définitions dérivées du

libre se sont développées. On y retrouve notamment une ambiguïté entre les notions

du free et de l’open source. Problématique que nous avons déjà soulevé aux abords

[138] GNU signifie en anglais « GNU’s Not UNIX », soit en français « GNU n’est pas UNIX », pour en savoir plus

https://www.gnu.org/gnu/about-gnu.html

[139] Wikipédia, « fork », définition [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Fork_(d%C3%A9veloppement_logiciel)

[140] « GNU/GPL », termes et conditions [En ligne] http://www.gnu.org/copyleft/gpl.html]

Liberté 3

Liberté 2

Liberté 1

Page 46: Le Design du Partage

46

[141] Gilles Lipovetsky et Jean Serroy, « L'écran Global », éd. du Seuil, 1997, p. 287.

fig3, copyleft ou copyright,[En ligne] http://bit.ly/1BuLfri.

d’une économie collaborative, quand l’un déploie un système d’orga-

nisation sociale l’autre se limite à la pratique. En somme avec le

développement du système d’exploitation GNU, Stallman aura

permis la création d’un système libre, GNU/Linux, du concept

copyleft (fig3) et d’une licence ouverte GNU/GPL. Là où il ouvre

une brèche de discussion des pratiques sociales d’autres en géné-

ralisent les ambitions :

« Les avancées technologiques et les aspirations individualistes à l'expression ont enchaîné

l'avènement d'un nouveau type de communication décentralisée, axée sur l'interopérativité et

l'utilisation en réseau. Non plus la dépossession de soi par l'écran-spectacle mais une volonté

de réappropriation, par les sujets des écrans et des instruments de communication [141]. »

Avec ces mots, il est aisé d’imaginer que la culture du libre ne se suffira pas à la

conception de logiciels dans les décennies à venir. Répertoriés dans le Whole Earth

Catalog, la promotion de la micro-informatique intégrée aux solutions de vie en

communauté auront permis la mutation d’un idéal participatif. Le WELL fut l’un des

premiers espaces Web où conversèrent pour la première fois développeurs, ingénieurs

et marginaux (hippies). Grâce aux initiatives de Steward Brand, les nouvelles

technologies et le concept de Do It Yourself fusionnèrent en un médium commun.

Parallèlement au sein des recherches militaro-industrielles américaines du XXe siècle

naîtront le concept d’une contribution transversale. Dans les années 1980, une césure

s’établit alors entre les pratiques de développement « libre » (copyleft) et les

pratiques propriétaires (copyright). Dans l’optique de faire progresser les droits

humains et la justice sociale, la génération de hackers idéalistes, initié par les actions

de Stallman, développe des outils libres de développement et de gestion en réseaux,

ceux-là qui favorisent les échanges transversaux et le partage des savoirs.

Page 47: Le Design du Partage

47

2 - Le Web depuis 10 ans, l’émancipation du libre

Tant du point de vue des standards que des protocoles employés, l’espace technique,

théorique et pratique d’Internet renverse les concepts des droits humains acquis ;

liberté et gratuité jusqu’alors préconisés par l’État. La quasi-absence de contrôle

des gouvernements, liée à leur méconnaissance d’Internet justifie leur redoutable

(et inquiétante) autorité dans la gestion des droits des internautes. D’abord parce

qu’Internet a contribué à l’essor d’une pensée libriste, celle-là même défendue par les

hippies et par la communauté du logiciel libre à son avènement, ensuite parce qu’il a

permis une remise en cause du pouvoir vertical. Les gouvernements sont anxieux et

dépourvus de solutions globales, il en résulte des comportements liberticides, hypo-

crites et approximatifs. Les restrictions à la liberté ne sont a priori pas les prérogatives

des pays en voie de développement. Là où les droits humains semblaient être les com-

posants essentiels des sociétés démocratiques depuis (au moins) la révolution française

de 1789 et la Déclaration d’Indépendance des États-Unis en 1776, nous verrons ici que

ce qui semblait acquis est encore loin d’être appliqué.

Comme le prouve l’affaire WikiLeaks [142] en 2011, l’organisme s’apprêtait à dévoiler

environ 250 000 télégrammes confidentiels de la diplomatie américaine [143] quand

les comptes bancaires du groupe ont été endigués de toutes transactions, doublés par

une attaque en justice du fondateur du site Julian Assange [144]. Faisant suite à une

diffusion en octobre 2010 de nombreux documents secrets sur la guerre en Irak et en

Afghanistan (400 000 dépêches militaires fournies par Chelsea Manning [145]), les pres-

sions bancaires des entreprises (et du gouvernement ?) n’ont pas suffit à l’arrêt des

publications. Malgré l’arrestation d’Assange (accusé d’agressions sexuelles en Suède),

les « câbles diplomatiques » ont été publiés en septembre 2011 sur WikiLeaks [146].

[142] Depuis 2006, WikiLeaks a publié des dossiers détaillés des conditions de détention de Guantanamo, des informations sur

plus de 2000 comptes en banque domiciliés dans des paradis fiscaux, publié 250 000 télégrammes diplomatiques, « Wikileaks »,

[En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/WikiLeaks#cite_note-120

[143] « Wikileaks Cablegate », [En ligne]

[144] Informaticien, cybermilitant australien et cofondateur des WikiLeaks.

[145] Ancien analyste militaire de l’armée des États-Unis qui a participé à la guerre en Irak de 2009 à 2013,

et condamné à 35 ans de prison. Un comité de soutien a été créé pour sa défense civile, [En ligne] http://www.chelseamanning.org/

Page 48: Le Design du Partage

48

Ils seront filtrés et relayés par cinq principaux organismes de presse en Europe et

aux États-Unis (The Guardian, The New-York Times, Dier Spiegel, Le Monde,

El Paìs). Le filtrage par les médias confère aux révélations un style journalistique plus

facile à appréhender, et occulte d'éventuelles mentions dangereuses pour les citadins.

Sont ainsi révélés des rapports de terrain sanglants ; plus de 100 0000 victimes en

Irak, la plupart sont des civils contre seulement 3% issu de l’alliance américaine.

Les conditions de détentions à Guantanamo sont officialisées. Elles dénoncent un

traitement des détenus bafouant les droits humains, et bien d’autres événements

justifiant débats et jugements judiciaires jusqu’alors étouffés. L’ensemble de ces

publications révèle de nombreuses injustices menées par le gouvernement améri-cain,

et pour la plupart méconnues des citoyens du monde. Le droit à la connaissance des

faits est proclamé comme un droit universel. Malgré la disponibilité de ses informa-

tions, l’information telle qu'elle est présentée sur WikiLeaks est brute

(fig3) et difficile à digérer en l'état. C'est aussi pourquoi la revue

s'est entouré de plusieurs autres médias pour diffuser et interpréter

l'information dérobée. Par là nous entendons la nécessité d'un design

simplifiant la lecture des informations de manière à la rendre visible

et lisible par tous Engagé, le collectif néerlandais Metahaven [147] né

en 1997 use justement de leur savoir-faire professionnelle pour mettre

en forme des informations politiques. Les co-fondateurs, Vinca Kruk

et Daniel Van der Velden, pratiquent un design graphique politisé.

À l’image des combats menés par la génération précédente, celle-là

même qui a vécu la révolution de mai 1968, Pierre Bernard [148] résume

la pratique du graphiste comme un acte nécessairement politique

fig4, capture du site« WikiLeaks », février 2015

[146] Site officiel, [En ligne] https://wikileaks.org/

[147] Site officiel, [En ligne] http://www.metahaven.net/Site/Metahaven.html

[148] Ambassade de France, « Pierre Bernard, graphiste français, lauréat du prix Erasme 2006 »,

[En ligne] http://www.ambafrance-nl.org/Pierre-Bernard-graphiste-francais

Page 49: Le Design du Partage

49

« En 1968, pendant la révolte étudiante en France, un slogan m’avait alerté : "Tout est

politique" ! En conséquence, se dire « apolitique » c’était devenir objet de la politique et de

fait, la laisser s’occuper de votre vie et de tout le reste [...] Presque cinquante années plus tard,

ces idées ne m’ont pas quitté. Tout acte socialisé reste pour moi porteur de « politique » et

j’ajoute volontiers avec certitude, que pour s’opposer au courant dominant, nos munitions de

graphiste sont essentiellement culturelles et parfois même artistiques. Qu’on le veuille ou non,

nos images participent à l’émancipation ou à l’aliénation de nos concitoyens [149]. »

Fondé il y a huit ans avec l’intention d’associer au design la recherche et non pas une

réponse stricte à une commande, Metahaven défend ce que Pierre Bernard dessine

dans son positionnement professionnel. Partageant l’intérêt aux questions géo-

politiques et au nouveau outil technologique (Internet), le collectif s’est proposé

de gérer le surcroît d’informations publié sur WikiLeaks afin de la

rendre visible, intelligible et accessible à tous. Le collectif a

publié le site Nulpunt [150] (fig5) avec pour slogan « La démo-

cratie sans les secrets » (Democracy without secrets).

La consultation des documents facilitée par une mise en forme

adéquate a permis leur partage et leur discussion via des

annotations (à l’image du site Medium [151]). En Novembre 2010,

WikiLeaks a présenté ses activités de la façon suivante :

« Les principes généraux sur lesquels notre travail s'appuie sont la protection

de la liberté d'expression et de sa diffusion par les médias, l'amélioration de notre

histoire commune et le droit de chaque personne à créer l'histoire [152]. »

[149] Pierre Bernard, conférence, Fonderie de l’Image, Bagnolet, février 2015. voir [En ligne] http://bit.ly/1KSnS2p

[150] Site officiel, [En ligne] https://nulpunt.nu

[151] Médium, article en exemple de contribution de l’internaute [En ligne]

[152] « The broader principles on which our work is based are the defence of freedom of speech and media publishing, the impro-

vement of our common historical record and the support of the rights of all people to create new history. We derive these principles

from the Universal Declaration of Human Rights. », « About Wikileaks », [En ligne] http://www.wikileaks.nl/about.html, consulté le 6

décembre 2010.

fig5, « Nulpunt », capture,

Metahaven, février 2015.

Page 50: Le Design du Partage

50

Depuis 1948, ces principes s’appuient sur un héritage commun celui de la Déclaration

universelle des droits de l'Homme [153]. Au regard du travail de la revue, l’article 19 de

la déclaration défend que :

« Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas

être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considé-

rations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce

soit [154]. »

En octobre 2011 soumis à des problèmes techniques et financiers, le site suspend ses

activités éditoriales afin de mobiliser ses ressources contre le blocus financier orchestré

à son encontre depuis décembre 2010 (VISA, Mastercard, Bank of America, PayPal

et Western Union). Ce blocus aurait détruit 95 % des revenus de l’organisme [155]. La

parade WikiLeaks aurait été d’accepter les dons anonymes et intraçables en monnaie

électronique bitcoin. Soutenus par de nombreux organismes indépendants, à partir

d’août 2010, WikiLeaks est hébergé [156] gracieusement par le Parti pirate suédois [157].

Ainsi en 2012, WikiLeaks reprend la diffusion d'informations sensibles avec notam-

ment les « fichiers de la Syrie [158] » et les « Politiques des détentions [159] » des États-

Unis. L’objet des révélations sur l’Irak, par exemple, n’était pas de fournir des

éléments constitutifs contre l’armée américaine pour les terroristes

mais plutôt de mener l’ébauche d’une révolution du droit à l’infor-

mation et à la négociation. En révélant des meurtres à l’aveu-

glette d’une douzaine de personnes (journalistes anglais et civils ira-

kiens) dans la banlieue du Nouveau Bagdad, la vidéo classifiée

« Meurtre collatéral [160] » (fig6) démontre des injustices meurtrières

menées par l’armée américaine dans cette guerre.

[153] Wikipédia « Déclaration des droits de l’Homme », [En ligne] http://bit.ly/1gkXD4X

[154] Nations Unies, site officiel, [En ligne] http://www.un.org/fr/documents/udhr/#a19

[155] The Guardian, « WikiLeaks suspends publishing », [En ligne] http://bit.ly/1HwfCzD, octobre 2011.

[156] MacWorld, Mikael Ricknäs, « Swedish Pirate Party to host Wikileaks servers », [En ligne] http://bit.ly/188UiEc, août 2010.

[157] « Pirat partiet », site officiel [En ligne] http://www.piratpartiet.se/, pour plus d’informations voir la définition Wikipédia.

[158] « Syria files », [En ligne] https://wikileaks.org/syria-files/, juillet 2012.

[159] « Detainee Policies », [En ligne] https://wikileaks.org/detaineepolicies/, juillet 2012.

[160] « Collateral Murder - WikiLeaks - Iraq », [En ligne] http://collateralmurder.com/, avril 2010.

fig6, « Meutre Collatéral »,

diffusion WikiLeaks

Page 51: Le Design du Partage

51

À l’occasion d’une émission Arte diffusée en 2012, Daniel Domscheit-Berg,

porte-parole de WikiLeaks, défend la légitimité de ces diffusions :

« Nous avons besoin d’être informer de ce type d’incidents pour pouvoir nous faire une opinion

sur ce genre de conflit. Il ne s’agit pas simplement de savoir si nous approuvons cette guerre ou

pas. Il s’agit simplement de comprendre que deviennent les hommes qui ont été engagés trop

longtemps dans une guerre [161] . »

Le débat est lancé : doit-on exiger une transparence totale de l’état ? Assange défend

ce questionnement comme suit : « La censure, si elle est condamnable, est aussi un

motif d’optimisme. La censure trahit la peur des réformes via les connaissances [162]. »

Cloîtré à l’ambassade d’Équateur à Londres depuis deux ans, Assange est aujourd’hui

enfermé dans un tourbillon politique entre l’Angleterre, la Suède et l’Équateur. Plus

convaincu que jamais de la légitimité de ses actes médiatiques, Julian Assange

présente son interprétation sur la pratique du journalisme. Pour ne pas risquer un

journalisme de propagande, il faudrait qu’il devienne une pratique scientifique. Afin

de laisser au lecteur la liberté de les interpréter et de construire son propre opinion,

le journalisme devrait être une pratique référencée. D’une certaine façon, la censure

politique de cess pays s’applique de manière tout aussi autoritaire que dans les pays

totalitaires [163]. Plus il y a d'informations sensibles dissimulées (souvent immorales),

plus les États censurent et condamnent. « Il ne peut y avoir Révolution que là où il y

a conscience » disait Jean Jaurès dans les Études socialistes de 1901 [164]. Dans cette

optique, la « neutralité » d’Internet comme un espace de libre circulation du savoir

est défendue comme une valeur nécessaire à la prise de conscience élémentaire de nos

droits humains. La neutralité garantit l'égalité de traitement de tous les flux de

données [165] sur Internet. Àinsi il exclut toute discrimination à l'égard des sources,

[161] Arte, « WikiLeaks secrets et mensonges », [En ligne] http://www.youtube.com/watch?v=c92ryYyp35E, Angleterre, février 2012.

[162] Op. cit, Julian Assange.

[163] Justine Lau, « A history of Google in China », [En ligne]

http://www.ft.com/cms/s/0/faf86fbc-0009-11df-8626-00144feabdc0.html [145], juillet 2010.

[164] Wikisource, « Études socialistes. Grève générale et révolution », [En ligne] http://bit.ly/1GopLNO, 1901.

[165] « Flux de données », article [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Flux_de_paquets_(r%C3%A9seau_informatique)

Page 52: Le Design du Partage

52

de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau.

Les négociations pour un « accord sur les commerces de services [166] » sur Internet ont

notamment été mises en lumière par une publication WikiLeaks en avril 2014.

Considérant les plus importants échanges commerciaux du globe (soit cinq pays pour

environ 70% du marché des services [167]), l’accord Trade In Services Àgreement [168]

(TISA) est en négociation depuis 2012 par l’Organisation Mondiale du Commerce

(OMC). Aussi flou qu’indéterminé, en 2009 le projet consistait à remettre en cause le

« maintien du caractère ouvert et neutre de l'Internet, en tenant pleinement compte

de la volonté des co-législateurs de consacrer désormais la neutralité de l'Internet et

d'en faire un objectif politique et un principe réglementaire que les autorités

réglementaires nationales devront promouvoir [169] ». Internet semble être devenu le

terrain de jeu d’une « guerre froide » entre les gouvernements en proie à un contrôle

exacerbé par le numérique et un peuple défendant une neutralité des

échanges, lui-même issu du fonctionnement technique d’Internet.

Dépourvu en principe d’un centre régulateur, le fonctionnement

de la technologie Internet s’oppose au mécanisme fonctionnel

des gouvernements en place, qui consiste à réintroduire une alté-

ration, un contrôle des données échangées de manière verticale

et unilatérale. Benjamin Bayart [170] renomme cette approche

« Minitel 2.0 [171] ». Outil commercialisé en France entre 1980

et 2012, la technologie Minitel [172] (Médium Interactif par Numé-

risation d'Information TELéphonique) fonctionnait sur un déploiement

de données centralisées autour d’un serveur unique. Pour Bayart, elle est le reflet

d’un nouveau système technique (Internet) s’efforçant à récupérer l’ancien (Minitel) (fig7 [173]).

fig7, « Réseaux Minitel

et Internet »

[166] « Accord sur les commerces de services », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_sur_le_commerce_des_services

[167] Data gueule, « Neutralité du net », vidéo [En ligne] http://www.youtube.com/watch?v=hZnq3xg-PRM, janvier 2015.

[168] Le conseil des canadiens, « TISA leak reveals US demands would impact net neutrality, data protection »,

article [En ligne] http://canadians.org/blog/tisa-leak-reveals-us-demands-would-impact-net-neutrality-data-protection, décembre 2014.

[169] Eur-Lex, Communication de la commission au parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des

régions « L'Internet ouvert et la neutralité d'Internet en Europe », [En ligne] http://bit.ly/1AdTnd3, 2009

[170] Benjamin Bayart a présidé pendant 15 ans la French Data Network, FDN, premier opérateur des télécommunications françaises,

site officiel, [En ligne] http://www.fdn.fr/

[171] FDN, « Internet libre ou minitel 2.0 ? », [En ligne] http://www.fdn.fr/internet-libre-ou-minitel-2.html

[172] INA global, « Du Minitel à l’Internet », article [En ligne] http://www.inaglobal.fr/telecoms/article/du-minitel-linternet, mars 2012.

[173] « Réseaux Minitel et Internet », inspiré du graphique de Xavier Klein, « Libérons l’informatique ! », mémoire DSAA, p. 18, 2013.

Page 53: Le Design du Partage

53

Progressivement absorbés par le monopole de quelques fournisseurs d'accès, il

condamne les tendances d'un nouveau marché régi par des distributeurs de services.

En l’absence d’autorité régulatrice, le fonctionnement du réseau Internet, tel qu’il est

conçu techniquement, permet une neutralité des diffusions et des échanges (espaces

d’expression individuel équitable et diffusion du savoir illimité puisque sans but

lucratif). « Si on libère le code, on libère l'informaticien, si on libère la donnée, on

libère l'utilisateur [174]. » Et si on libère l’utilisateur, on libère l’espace social si cher

aux institutions du pouvoir.

En France, le débat d’un internet neutre aura été mis en exergue avec la loi HADOPI [175].

Révélé par la Quadrature du Net [176] en mars 2010, le décret 2010-236 [177], déposé par

la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur

internet, a omis le consentement de ses collaborateurs, ARCEP [178] et la CNIL [179],

avant l’application du décret conformément à l'article L.36-5 du Code des postes et

communications électroniques. Benjamin Bayart, ancien président du FDN (French

Data Network), dépose un recours pour « vice de forme [180] » en mai 2010 auprès du

Conseil d'État concernant le décret pour manquement à ses obligations de

consultation qui aurait pu exercer une influence sur la décision [181]. Le Conseil d'État

rejette en octobre 2011 l'intégralité de ses recours [182]. Le fichier HADOPI permet de

relever les adresses IP de pirates présumés transmis à la Haute Autorité par les ayants

[174] « Benjamin Bayart, logiciel libérateur », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Benjamin_Bayart

[175] « Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet », définition [En ligne] http://bit.ly/199z8Ha

[176] « Hadopi », [En ligne] http://www.laquadrature.net/HADOPI

[177] Legifrance, « décret 2010-236 », relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29

du code de la propriété intellectuelle dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur internet » [En ligne]

http://bit.ly/1BtIKpd, 5 mars 2010.

[178] Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, autorité administrative indépendante du gouvernement,

site officiel [En ligne] http://www.arcep.fr/

[179] Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, institution publique, site officiel [En ligne] http://www.cnil.fr/

et voir Numerama, « HADOPI, la CNIL ne s’oppose à la loi mais... », article [En ligne] http://bit.ly/1b0cC4b

[180] Guillaume Champeau, « Hadopi : un vice de forme attaqué devant le Conseil d'Etat ! », article [En ligne]

http://www.numerama.com/magazine/15679-hadopi-un-vice-de-forme-attaque-devant-le-conseil-d-etat-maj.html, mai 2010.

[181] Blog FDN, Recours devant le conseil d’État contre le décret 2010-236, [En ligne] http://bit.ly/1wqslCN

[182] Conseil d'État, « Le Conseil d’Etat rejette les requêtes des sociétés Apple Inc. et French Data Network contre les décrets Hadopi »,

site officiel [En ligne] http://bit.ly/1E3H7Nn, octobre 2011, Wikiwix [archive] http://bit.ly/1Hwaj3s.

Page 54: Le Design du Partage

54

droit et les données de connexion des fournisseurs d'accès à Internet. Le fichier doit

ainsi permettre la sauvegarde d’un historique des infractions présumées pour constater

la récidive, et ainsi obtenir l'identité des abonnés suspectés en vue de leur transmettre

des messages d'avertissements. Les réseaux P2P, jusqu’alors seuls espaces neutres sur

internet, sont désormais soumis aux lois strictes et spécifiques de la propriété intel-

lectuelle (opposé au concept du copyleft défendu dans les parties précédentes). Là où

nos libertés en ligne s’amoindrissent la politique française contribue à mettre en place

illégalement des lois liberticides.

En 2010 le porte-parole du gouvernement français, François Baroin a considéré les

publications du site WikiLeaks comme une menace envers les gouvernements. Il a

ainsi déclaré que la France est « très solidaire de l'administration américaine [183] ».

Cela même qui a été confirmé par la diffusion dans les télégrammes de correspon-

dances diplomatiques, et atteste la politique de Sarkozy en accord avec celle des États-

Unis [184]. L’ancien président français aurait envisagé une coalition militaire en Irak [185].

En mars 2012 lors de sa campagne de réélection, Sarkozy proposait la mise en place

d’un projet de loi sanctionnant la « lecture régulière de sites terroristes » :

« Désormais, toute personne qui consultera de manière habituelle des sites Internet qui font

l’apologie du terrorisme ou qui appellent à la haine et à la violence, sera punie pénalement [...]

Il faut combattre les manifestations criminelles de cette idéologie de haine par le renseignement,

la surveillance des réseaux, la coopération policière internationale. Mais il faut aussi la

combattre à sa racine intellectuelle, dans les prisons, dans les prêches de certains prédicateurs

extrémistes, ou encore sur les sites Internet [186]. »

Qu’est-ce qu’un site terroriste ? Au bout de combien de lectures sommes-nous

susceptibles d’être hors la loi ? Une liste d’interdiction de site sera t-elle créée ?

Loin d’être un cas simplement isolé, il s’applique déjà. Et voilà que dans mon

quotidien nous en faisons l’expérience. Après une récidive de téléchargement

[183] Libération, « Wikileaks : Juppé dénonce un procès irresponsable et scandaleux », article [En ligne] http://bit.ly/1E9tr60.

[184] « Politique française », Wikileaks Cablegate [En ligne] http://bit.ly/1E3GP9t

[185] Le Monde, « Wikileaks : Nicolas Sarkozy, l’Américain », article [En ligne] http://bit.ly/188SuLg.

[186] Owni, Pierre Alonso, « La loi contre les web terroristes », [En ligne] http://bit.ly/1B1nPGt, avril 2012.

Page 55: Le Design du Partage

55

en P2P (anonyme donc pas d’étudiant coupable en particulier),

un pare-feu a été installé sur la connexion de l’entreprise enfin de

mon école, celle où j’étudie le graphisme. Le pare-feu Sophos (fig7)

a censuré l’accès d’un peu plus du tiers des sites sur lesquels nous

faisons nos recherches d’études, c’est à dire l’interdiction d’accèder

aux ressources (souvent) indispensables à nos recherche. Une remise

en cause donc du droit de lecture sur Internet un peu rapide, un

peu flou, surtout très mal justifié semble orienter une politique

française vers la restriction de libertés individuelles. D’autant plus

importants qu’après les événements de Charlie Hebdo, la peur

généralisée s’alimente d’une apologie critique du terrorisme, celle-là

même assouvit par la censure de nos droits. À l’image des rigidités opérées

dans les médias des années 1950 et 1960 se (re)dessine une société autoritaire,

pour ne pas dire totalitaire :

« Les underground comix sont apparus d’abord en réaction à la rigidité

de la société, aux États-Unis, dans les années 60 ! Sans oublier l’influence

de Krazy Kat, voire de Little Nemo. J’aime à penser que les comix

underground sont apparus en réaction à la création du comic code en 1954.

Du jour au lendemain, les mots horror ou terror furent bannis des titre.

Furent ainsi interdits des thèmes comme le cannibalisme, le vampirisme, le

satanisme, la sexualité et la violence (...) La conséquence en fut tout d’abord

un déclin de la création aussi bien scénaristique que graphique. La censure

en bonne et due forme [187] ! (fig8) »

[174] « Benjamin Bayart, logiciel libérateur », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Benjamin_Bayart

[175] « Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet », définition [En ligne] http://bit.ly/199z8Ha

[176] « Hadopi », [En ligne] http://www.laquadrature.net/HADOPI

[177] Legifrance, « décret 2010-236 », relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29

du code de la propriété intellectuelle dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des œuvres sur internet » [En ligne]

http://bit.ly/1BtIKpd, 5 mars 2010.

[178] Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, autorité administrative indépendante du gouvernement,

site officiel [En ligne] http://www.arcep.fr/

[179] Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, institution publique, site officiel [En ligne] http://www.cnil.fr/

et voir Numerama, « HADOPI, la CNIL ne s’oppose à la loi mais... », article [En ligne] http://bit.ly/1b0cC4b

[180] Guillaume Champeau, « Hadopi : un vice de forme attaqué devant le Conseil d'Etat ! », article [En ligne]

http://www.numerama.com/magazine/15679-hadopi-un-vice-de-forme-attaque-devant-le-conseil-d-etat-maj.html, mai 2010.

[181] Blog FDN, Recours devant le conseil d’État contre le décret 2010-236, [En ligne] http://bit.ly/1wqslCN

[182] Conseil d'État, « Le Conseil d’Etat rejette les requêtes des sociétés Apple Inc. et French Data Network contre les décrets Hadopi »,

site officiel [En ligne] http://bit.ly/1E3H7Nn, octobre 2011, Wikiwix [archive] http://bit.ly/1Hwaj3s.

fig7, « Sophos », captation

d'une censure de site de

téléchargement (légal) de

typographie libre de droit,

Campus de la Fonderie de

l’Image, février 2015

fig8, « Fête du Graphisme 2 »,

photographie de l’exposition

au Centre International des

Arts, Paris, février 2015.

[187] Frédéric de Broutelles, « Fête du graphisme 2 », extrait d’entretiens, éd. du Limonaire, Paris, 2014

et voir (fig7), photographie de l’exposition « Fête du Graphisme 2 » au Centre International des Arts, Paris,

février 2015.

Page 56: Le Design du Partage

56

La cerise sur la gâteau : l’histoire d’un des plus brillant hacker du début XXIe siècle,

Aaron Hillel Swartz [188] m’aura fait bondir de dégoût. Dans le documentaire bio-

graphique The Internet’s Own Boy [189] publié début 2015, Swartz est présenté

comme le bouc émissaire ingénieux de l’administration américaine pour avoir rendu

public ce qui l’était déjà :

« Petit génie de l’informatique pris à l’adolescence sous l’aile de l’inventeur du World Wide

Web, la liste des contributions d’Aaron Swartz à l’accès libre sur le net est impressionnante :

il a co-créé le flux RSS, le site de partage Reddit, l’organisation Creative Commons (sans qui

le copyright des œuvres sur le net ne serait pas le même) [avec Lawrence Lessig [190]], la première

grande librairie virtuelle gratuite et Demand Progress, réseau social activiste qui regroupe 1,5

millions de militants. C’est avec ce réseau qu’il a pris la tête du combat contre la loi antipira-

tage aux Etats-Unis, l’équivalent de la loi Hadopi en France. Il a contribué à faire passer ce

projet de loi liberticide à la poubelle tout en dénonçant à tour de bras la surveillance du net,

avant les révélations d’Edward Snowden [191] sur les écoutes de la NSA [nous y reviendrons plus

tard]. Charismatique et médiatisé, il rentre dans le collimateur de l’administration américaine

qui veut en faire un exemple et requiert à son encontre des charges totalement

disproportionnées [192]. »

En janvier 2013 pris dans une spirale judiciaire interminable (encourant jusqu’à 35 ans

de prison), Swartz se suicide dans son appartement à New-York à l’âge de 26 ans.

Il fut mené en justice pour avoir hacké le serveur d’une des plus prestigieuse univer-

sité scientifique américaine [193] afin de rendre accessibles toutes les publications

universitaires. Initialement, les documents appartiennent au domaine public, mais

dont l’accès en ligne est payant aux États-Unis. La question d’un Internet démo-

cratique, donc ouvert, est au centre des débats. Swartz reste une figure emblématique

[188] Informaticien américaine, écrivain politique et militant d’Internet, biographie [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Aaron_Swartz

[189] « The Internet’s own boy », [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=7ZBe1VFy0gc, juillet 2014.

[190] Co-fondateur de l’organisation Creative Commons, « Lawrence Lessig », biographie [En ligne]

https://www.youtube.com/watch?v=7ZBe1VFy0gc

[191] Biographie, « Edward Snowden », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Snowden

[192] Arte tracks, « Hacker d’alerte », [En ligne] http://tracks.arte.tv/fr/hacker-dalerte, janvier 2015.

[193] Massachussets Institute of Technology

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57

du droit à l’information et de la protection des libertés civiles. Peu de temps avant sa

mort, il posera la synthèse du combat qui aura orienté toute sa vie, et qui devrait

orienté toutes les nôtres :

« D’un côté, internet c’est une liberté formidable et de l’autre, une atteinte catastrophique à

notre vie privée, un moyen de nous espionner de contrôler ce que nous disons. Je pense que les

deux aspects sont réels. Internet c’est tout ça et c’est dingue. Anous de décider lequel des deux

aspects va l’emporter sur l’autre à long terme [194]. »

Aux abords d’une société où l’information est en passe d’être mutualisée, l’humanité

frôle une surveillance exacerbée par l’« exploration des données » (datamining).

Ainsi la peur et le sentiment d’insécurité servent de catalyseurs politiques justifiant

surveillance et contrôle en tout lieu. Ancien employé de la Central Intelligence

Agency (CIA) et de la National Security Agency (NSA), l’informaticien Edward

Snowden a révélé en juin 2013 plusieurs programmes de surveillance de masse

britanniques et américains. Parmi eux, le système informatique Boundless Informant[195] de la NSA permet de connaître en temps réel le niveau de surveillance appliqué à

chaque pays du monde. Réfugié politique en Russie, il est un autre défenseur de droits

humains, lui aussi en cavale. Par commodité, si nous n’agissons pas chacun à notre

échelle, chacun avec nos compétences, la surveillance et le contrôle détenus par

quelques uns s'accroîtront. Et nombreux sont ceux qui appréhendent les narrations

science-fictives de George Orwell (« 1984 »), Ray Bradbury (« Farhenheit 451 ») et

Aldous Huxley (« Le meilleur des mondes ») pas seulement comme des avertissements

mais comme des prédictions.

[194] Ibid, Arte tracks.

[195] Wikipédia, « Boundless informant », [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Boundless_Informant

Page 58: Le Design du Partage

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Depuis plus de dix ans, les engagements pour un internet ouvert s’amoncellent.

Pionnier de la culture libre, Richard Stallman mène toujours aussi activement son

combat aux réelles valeurs démocratiques pour un informatique libre. Des organismes

non-lucratifs, tels que la Quadrature du Net [196], se battent contre le lobbying et le

respect des internautes. WikiLeaks révèle au monde des injustices censurées par les

gouvernements. Edward Snowden divulgue la puissante surveillance de la NSA sur les

individus du monde. Aaron Swartz oeuvre pour un internet libre avec le

développement de solutions citoyennes (ouvertes et contributives). S’il fallait faire une

liste de choses en vue de « démocratiser » l’espace Internet, il faudrait des médias

libres et référencés qui n’accumulent pas de données sur notre vie privée ; penser des

outils numériques fonctionnant sur des logiciels libres pour que la base informatique

soit contrôlée et contrôlable par tous ; concevoir du matériel libre sans obsolescence

programmée ni espionnage et garantir la neutralité des échanges sur Internet par des

bandes passantes libres. Les opérateurs par exemple n’ont aucune légitimité à

« fouiner » les échanges entre utilisateurs. Un site à lui seul, WikiLeaks, réussit à

publier les terreurs d’un gouvernement soit disant « démocratique » qui camoufle

ses actes de barbaries, véritable « recel de malfaiteur [197] » haut placé. Ce genre de

comportement révèle, au delà du caractère contre-productif, une inconsidération

profonde des capacités de sa population, à nous d’agir en conscience de cause.

Il n’y aurait pas eu de notion de liberté sur Internet si Stallman s’était plié à la loi du

marché. Les ingénieurs informaticiens se sont munis d’outils militants afin d’entrevoir

leurs droits, à nous en tant que citoyens et professionnels de « designer » les nôtres.

Pour « designer » quelque-chose, c’est à dire penser et créer en système, il faut

comprendre le contexte et l’objet du système étudié. En ce sens, il nécessite une

[196] On aurait pu citer l’April, Framasoft, l’Aful, la Fédération des Fournisseurs d’Accès à Internet (FFDN), la Free Software Foundation ou

encore Telecomix. A l’initiative du réseau Framasoft, un projet luttant pour un web ouvert est mené,

[En ligne] http://degooglisons-internet.org/

[197] C’est quoi, « recel », définition [En ligne] http://c-est-quoi.fr/fr/definition/recel

Page 59: Le Design du Partage

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analyse approfondie des besoins de la société et des techniques à sa disposition.

Dans les parties précédentes, cette étude a été amorcée par la mise en exergue des

problèmes socio-politiques des sociétés dites “développées“. En Occident particul-

ièrement, nous avons remarqué la place déterminante qu’occupent les nouvelles

technologies, et leur majeure méconnaissance du grand public. Désormais,

il semble nécessaire d’y ajouter une réflexion sur l’organisation des informations

de la connaissance de manière à rendre accessible et lisible ce qui est possible.

Et nous pensons que le designer graphique a des solutions à apporter sur ce sujet.

3 - Design du web comprendre et contribuer à un système ouvert

Le terme anglais « design » désigne à la fois « intention, dessein » et « forme,

structure ». Cet anglicisme se rapporte aussi à « desseing » du vieux français

signifiant à la fois « dessin » et « dessein ». Du latin, il contient le substantif signum,

soit le signe, dont la très lointaine racine est aussi celle de l’allemand Zeichen. En

tant que verbe « to design », il signifie « simuler, ébaucher, donner forme » et à la

fois « procéder de façon stratégique », issu du latin il exprime aussi « représenter » et

« désigner ». Ainsi le « design » porte une double casquette ; celle de l’organisation

par la forme (structure) et celle du fond qui désigne l’intention de la mise en forme.

En cela, il s’oblige à naviguer en permanence entre des actions globales et singulières,

entre une pensée (dessein) et une pratique (dessin). Cette démarche se rapproche de la

pensée systémique développée par Hegel [198] où le système de tout savoir suit une

logique dialectique. Par là, le design ne cherche pas à accumuler des savoirs mais à

créer des liens logiques entre des choses (flux, concepts, images, symboles, etc.). Le

designer se différencie donc des pratiques de l’artisan car il n'est pas spécialiste d'une

matière : bois, métal, plastique, etc., et de celle du technicien par le fait qu'il n'est pas

[198] Wikipédia, « Georges Wilhelm Friedrich Hegel », [En ligne] http://bit.ly/1GCdOHS

Page 60: Le Design du Partage

60

seulement le spécialiste d'une technique. Il ne s’apparente pas non plus à celle de

l'ingénieur puisqu'il navigue dans plusieurs domaines du savoir : technique, science

et société. Par l’analogie d’une discipline transversale et appliquée, on pourrait le

rapprocher du chef d'orchestre ou du réalisateur de cinéma. Étudiée au début du XXe

siècle, la nécessité d’une pensée globale dans les disciplines de la création émerge bien

avant la naissance d’Internet. Au début du XXe siècle au coeur des réflexions

systémiques du design industriel, Laszlô Moholy-Nagy pensait que :

« Faire du design c'est utiliser des matériaux et des processus de telle manière que leur

organisation soit la plus productive et la plus économique possible et que tous les éléments

nécessaires à une fonction donnée y soient intégrés de façon harmonieuse et équilibrée. Le

design n'est donc pas une simple question d'apparence. Il renvoie en réalité à l'essence des

produits et des institutions ; il exige une démarche à la fois pénétrante et globalisante. Il

représente une tâche complexe qui nécessite d'intégrer aussi bien des critères technologiques,

sociaux et économiques que des données biologiques et les effets psychophysiques produits par

les matériaux, les formes, les couleurs, les volumes et les relations spatiales. Faire du design,

c'est penser en termes de relations. [...] Le designer doit être formé non seulement à l'utilisation

de divers techniques et matériaux mais aussi à une réflexion concernant leurs fonctions

organiques [199]. »

Articulé entre l’art, les sciences, la technique et la société, le design s’associe à un

champ d’applications aussi variées que généralisables. Là où l’art pointe des problèmes

de fonctionnement, le design cherche à produire une réponse méthodique par un

système spécifique. Cité par Nicolas Bourriaud, selon Nietzsche « la fonction de l’art,

par rapport à ce phénomène, consiste à s’emparer des habitudes perceptives et

comportementales induites par le complexe technico-industriel pour les transformer

en possibilités de vie ». Autrement dit renverser l’autorité de la technique afin de la

rendre créatrice de manière de penser, de vivre et de voir [200]. Accompagnée d’une

[199] Laszlô Moholy-Nagy, « Le design pour la vie », dans Peinture Photographie Film,

ré-éd. Jacqueline Chambon, Nîmes, pages 277 à 279, 1993.

Page 61: Le Design du Partage

61

société basée sur des « technologies libres » commencerait à émerger les façons d’un

design social [201].

Hormis les utilisateurs du peer-to-peer, le web est communément considéré comme

un système d’échanges « centralisé » à l’image du réseau Minitel. Dépourvu d’un

régulateur central, le fonctionnement du réseau Internet s’oppose par définition au

mécanisme centralisé du Minitel. Rappelons-le Internet, le réseau des réseaux infor-

matiques, permet l’élaboration de nombreuses applications telles que le courrier

électronique, la messagerie instantanée, le peer-to-peer et le World Wide Web.

Reprenons l’exemple des échanges de données en P2P : pour mener à bien un

téléchargement, l’ordinateur va récupérer plusieurs morceaux du fichier recherché

sur différents ordinateurs connectés (ceux-là même qui auront mis à disposition les

données en réseau). Le téléchargement ne s’effectue donc pas directement d’un unique

serveur à l’ordinateur considéré mais au contraire s’en affranchit vers ce qu’on

appellera une « mutualisation des données » entre les machines, ainsi s’opère une

vraie coopération entre les internautes. La viabilité du stockage est un second

avantage non négligeable du P2P. Si un internaute supprime le fichier torrent de son

ordinateur ou l’enlève du protocole de téléchargement, les données ne partiront pas en

fumée comme un livre au bûcher. Au contraire, elles seront conservées par les quelques

autres ordinateurs qui les auront mis à disposition de la même façon. Ainsi une

mutualisation par la donnée informatique assurerait la pérennité et l’accessibilité au

savoir basée sur la transmission en partage. Au regard de l’affaire MegaUpload, le

service en ligne, créé en 2005 par Kim Dotcom, centralisait l’hébergement de toutes

sortes de fichiers sur un serveur unique. En 2012 après la perquisition par la justice

des États-Unis d’environ 25 péta octets (1015 octets) de données, Dotcom fut arrêté

pour remise en cause du copyright. Avec la fermeture du site, les utilisateurs ont

perdu toutes leurs informations stockées, soit des internautes fragilisés par leur

méconnaissance de leurs outils. Face aux outils numériques, cette méconnaissance

dessert les citoyens, les internautes en proie à de nouvelle organisation de société plus

[200] MultimediaLab, extrait de « L'esthétique relationnelle », la technologie comme modèle idéologique [1998], Nicolas Bourriaud,

pdf [En ligne] http://www.multimedialab.be/doc/projections/doc_program_13.pdf, p. 50.

[201] Jean-Hugues Barthélémy, « Design sociale : une analyse critique », colloque ESAD valencienne, p. 2, avril 2014.

Page 62: Le Design du Partage

62

équitable. Elle contribue ainsi à l'extension des organisations verticales dominant les

échanges. Marshall Mc Luhan posait déjà en 1968 le problème d’une mutation des

prises de conscience collectives par les technologies :

« À mesure que la prolifération de nos technologies créait toute une série de nouveaux milieux,

les hommes se sont rendus compte que les arts sont des « contre-milieux » ou des antidotes qui

nous donnent les moyens de percevoir le milieu lui-même. En effet, comme l’a expliqué Edwerd

T. Hall [anthropologue américain spécialiste des rapports interculturels], les hommes ne sont

jamais conscients des règles fondamentales des systèmes et des cultures qui constituent le milieu

où ils vivent. Aujourd’hui, les technologies et les milieux qui en résultent se succèdent les uns

aux autres à un tel rythme qu'un milieu nous rend conscients du suivant. Les technologies

commencent à jouer le rôle que jouait l’art et à nous rendre conscients des conséquences

psychiques et sociales de la technologie [202]. »

Là où la technique a remplacé le rôle de l’art, elle dévoile l’ignorance des systèmes

dans lesquels les citoyens sont régis et rassemblés. L’inversement de ces rôles a jus-

tement pour objet une prise de conscience individuelle et sociale de la technologie,

et par là même de ces possibilités au sein d'une société. Du surf à la participation,

le web se pratique à différents niveaux d’après Benjamin Bayart. Il dépend du stade

d’apprentissage de l’utilisateur, qu’il détaille en six points [203] :

Stade dans lequel Internet est un prolongement facilité des tâches quotidiennes (achat

de billets de train, météo, comptes bancaires, etc.). Pour les adolescents, il est une

plateforme d’échanges de vidéos ludiques et humoristique. Il s’apparente à une décou-

verte de l’outil et de l’interface. Une étape logique dans la mesure où la plupart des

services publics ou privés sont sur Internet. Il facilite notamment les activités

administratives autrefois pénibles.

[202] Marshall Mc Luhan, « Pour comprendre les médias », extrait de l’introduction, ré-éd. Points Essais, Paris, p. 13, 1997.

[203] Xavier Klein, « Libérons l’informatique ! », mémoire DSAA, p. 21 à 22, 2013.

Acheteur.

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Page 63: Le Design du Partage

63

À force de navigation, l’internaute croise diverses sources d’informations de la presse.

Il prend conscience d’une lecture transversale. Chose inédite sur le web, l’internaute a

la possibilité de s’enrichir des actualités au travers plusieurs sources. Par exemple, un

lecteur du journal Libération n’achèterait certainement pas le Figaro en kiosque.

Pourtant sur Internet, il se met à traîner sur « lefigaro.fr ». Le lecteur est alors con-

fronté à des contradictions non soumises à l’acte d’achat. Ce qui entraînera des lec-

tures transversales le guidant vers des sources d’informations uniquement visibles en

ligne (Médiapart, OWNI, etc). Ainsi démarre une nouvelle logique de navigation

adaptée à des sujets spécifiques.

En lisant les commentaires des articles en ligne, le lecteur dévient réactionnaire. Il se

met alors à réagir par simple protestation, il devient un « râleur », un troll en langage

internet. L’acte de commenter change le comportement des lectures provoquant une

attention critique. L’internaute se déplace ainsi de sites en sites pour construire peu à

peu son jugement, plus juste et surtout mieux référencé.

Il adopte une position active par la correction d’erreurs factuelles et par l’argumen-

tation contradictoire. Benjamin Bayart considère qu’à ce stade, l’internaute fait de la

démocratie. Véritable agora moderne, le commentateur échange des points de vue avec

les autres et partage des avis avec des étrangers. Il commence à développer un regard

critique, et un positionnement sur l’information devenu disponible.

Le commentateur réalise la lenteur des échanges par commentaires. Il réalise qu’il

pourrait avoir son propre espace de débat. Il devient alors auteur de blog, et ne

commente plus les articles mais les écrit.

Ce dernier stade concerne les « blogueurs confirmés », ceux-là qui deviennent une

référence dans leur domaine et fédèrent une communauté d’internautes, soit un réel

espace démocratique supprimant les intermédiaires.

Râleur.

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Page 64: Le Design du Partage

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Le concept de représentation de la démocratie est remise en cause par ce dernier état.

Si toute la population était à même de donner son avis sur Internet, les démocraties

occidentales ne seraient certainement plus pensées verticalement avec un président en

haut de la pyramide, des ministres de l’élite, des députés du savoir, des maires de

l’application et en dernier la population. « L’animateur » renverse complètement ce

schéma d’organisation puisqu’il n’est plus simplement le bon citoyen ignorant qui

vote, il est surtout un « citoyen-acteur » qui pense. Internet s’envisage comme une

agora gigantesque où la population peut réfléchir par elle-même. Le manque

d’adaptation des gouvernements vis à vis de ces considérations est déplorable. Il est

d’ailleurs particulièrement visible dans le domaine du droit informatique français. Lors

du débat sur la loi HADOPI, les législateurs de la Haute Autorité ont prouvé leur

ignorance sur Internet, ses pratiques et son fonctionnement. De nombreux experts de

l’informatique dont les lobbys industriels (Apple Inc. et iTunes SARL [204]) et la FDN

sont montés au créneau pour expliquer aux parlementaires qu’ils faisaient fausse route.

La condamnation sans jugement préalable par la loi HADOPI (jugée liberticide) est

inappropriée vis à vis des pratiques réelles des internautes. La légitimité des

représentants actuels semblent inadaptés aux besoins et aux pratiques de la

population. L’intérêt d’une réelle expertise citoyenne semble donc à considérer. Le site

WikiLeaks d’Assange dévoile des publications de documents gouvernementaux secrets.

Il lève un rideau mondial sur les secrets d’État et milite pour une transparence totale

des gouvernements. Swartz contribuait au développement d’un partage du savoir

ouvert (disponible pour tous gratuitement). Snowden dévoile l’ultra-surveillance de

l’État américain sur la population de la planète.

Comme toute nouvelle technique, Internet modifie nos rapports à l’apprentissage et

au savoir. Pour la première fois dans l'histoire la technique nous donne les moyens

de renverser un schéma politique inégalitaire. Alors quand les élites gouvernementales

ripostent c’est qu’elles sentent leur contrôle s’affaiblir. Défendre une société qui a

[204] Ibid, Legifrance, voir les recours du décret 2010-236.

Page 65: Le Design du Partage

65

conscience de sa collectivité en tant que source d’invention contributive, libre et

altruiste (partageuse), c’est soutenir une société solidaire qui remet la créativité au

coeur de « l’accomplissement personnel » et des échanges sociaux. Les graphistes sont

justement des agents des rapports sociaux et culturels, et la créativité est la base de

leur engagement. Ils semblent donc totalement légitimes à préconiser l’organisation

d’une telle société. S'il doit jouer un rôle, lequel occuperait-il ?

Page 66: Le Design du Partage

66

Page 67: Le Design du Partage

67

fig5, « Nulpunt », capture, Metahaven, février 2015.

4 - Figures

fig1, couverture du Whole Earth Catalog, 1968.

Page 68: Le Design du Partage

68

fig6, « Meutre Collatéral », diffusion WikiLeaks

fig4, capture du site « WikiLeaks », février 2015

Page 69: Le Design du Partage

69

fig8, « Fête du Graphisme 2 », photographie de l’exposition

au Centre International des Arts, Paris, février 2015.

fig7, « Réseaux Minitel et Internet »

Page 70: Le Design du Partage

70

fig7, « Sophos », captation d'une censure de site de téléchargement (légal)

de typographie libre de droit, Campus de la Fonderie de l’Image, février 2015

fig3, « copyleft ou copyright »,[En ligne] http://bit.ly/1BuLfri.

fig2, portrait Richard Stallman, site officiel.

Page 71: Le Design du Partage

71

III – Mettre en forme le partage,

être designer graphique dans un société de l'information

En Occident, la nature est décrite et quantifiée par des moyens scientifiques.

Le discours logique chiffré par un code alphanumérique assure une certaine

compréhension de la nature et du monde dans lequel nous évoluons. La science

occidentale est devenue un moyen rationnel pour décrire ce qui nous entoure.

L’héritage de cette pensée s’est d’abord développée dans la philosophie d’Aristote.

Ce n’est qu’avec Descartes au XVIIe siècle qu’elle est devenue « opérationnelle ».

Avec les règles de l’écriture (langage anglais), la pensée linaire s’est construite sur un

principe de division d’un phénomène permettant l’étude simple d’une causalité vers

une étude complexe (si, alors). Par la démonstration récurrente d’un phénomène et la

réfutation d’hypothèses, le principe de réduction est à l’origine des méthodes scien-

tifiques [205]. Par l’étude quantitative de chacun des facteurs d’un phénomène, la

pensée linéaire vise à décortiquer les phénomènes complexes laissant de côté l’inter-

prétation en système : « tant que la science a eu pour objet des relations causales

linéaires, univoques et progressives, des phénomènes fort importants sont restés à

l’extérieur de l’immense territoire conquis par la science depuis les quatres derniers

siècles [206]. » Or voilà que la « pensée informatique » s’appuie désormais sur des codes

numériques. Dans une approche systémique, cette nouvelle pensée s’est construite avec

un langage binaire. La « pensée informatique » s’est développée sous la forme d’un

système de numération utilisant la base deux [207]. De l'anglais binary digit, « chiffre

binaire » que l’on nomme couramment « bit », désigne les chiffres de la numération.

Le bit est ainsi conventionné par deux valeurs possibles : 0 et 1. Cette simplicité

apparente n’en annule pas moins la complexité de sa notation, et les systèmes

d’algorithmes développés par les ingénieurs sont particulièrement efficaces en terme

[205] Christine Partoune, « De la pensée linéaire à la pensée systèmique », Hyperpaysages [En ligne]

http://www.hyperpaysages.be/spip/spip.php?article5, juillet 2008.

[206] Watzlawick et al., « Théorie générale des systèmes » [éd. Dunod, Paris, p. 24 et 25, 1972], Hyperpaysages [En ligne]

http://www.hyperpaysages.be/spip/spip.php?article5, juillet 2008.

[207] Wikipédia, Base (arithmétique), [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Base_(arithm%C3%A9tique)

Page 72: Le Design du Partage

72

d’automatisation et de génération de données. Si bien qu’en 1989 Muriel Cooper [208]

définissait déjà les contours d’une pratique graphique nécessaire à la gestion de cet

espace :

« Dans notre environnement électronique, le volume d’informations en temps réel va dépasser

notre habilité à la traiter. L’utilisation du graphisme comme d’un filtre pour cette information

complexe, comme un moyen de la rendre à la fois signifiante et expressive, est le défi principal

de la recherche dans notre atelier [209] [Visible Language Workshop au MIT]. »

Le volume d’informations généré sur Internet tend à dépasser

notre entendement de gestionnaire de données. Selon Cooper pour

que l’information reste intelligible, il faudra que le design y retrouve

une place signifiante. En ce sens le rôle du designer graphique

peut être pensé en fonction des besoins de gestion de l’information

(sur-investie en informatique). Cooper percevait le design comme

la création d’environnements dans un espace donné. Selon elle,

l’information sur Internet pouvait être pensée en un système

fluide [210]. Abolissant les habitudes de conception stricte, unique et

statique, l’information pouvait désormais s’utiliser dans toutes ses

possibilités d’orientation dans l’espace (fig1 et fig2). Tout au long

de sa carrière (de recherche et de pédagogie), Muriel Cooper a cher-

ché à démontrer l’influence que le graphisme pouvait avoir dans un

monde numérique. Àu plus proche de Nicholas Negroponte, directeur

du MIT Media Lab, elle aura exploré au plus près les possibilités

techniques et l’influence des ordinateurs sur le métier du graphiste.

[208] Pionnière des processus et outils de conception du design digital, Muriel Cooper fut directrice artistique

au MIT Media Lab dont elle est co-fondatrice. A l’initiative de Visible Language Workshop au MIT, elle fut largement inspirée par le

mouvement Bauhaus dans ses publications sur le design graphique à l’ère du numérique. Nolwenn Maudet, « Muriel Cooper, beyond window »,

article [En ligne] http://strabic.fr/Muriel-Cooper, janvier 2015.

[209] « In an electronic environment, the volume of real-time information will outstrip our ability to process it.

The use of graphics as a filter for this complex information, as a means of making it both meaningful and expressive,

is the critical research challenge of the Workshop. », Design Quarterly, « Computer and Design », revue n°142, pdf [En ligne]

http://walkerquarterly.s3.amazonaws.com/DQ-142_Computers_and_Design.pdf, p. 22, 1989.

[210] Voir le mémoire de Louise Drulhe, « Design fluide », [En ligne] http://louisedrulhe.fr/designfluide/#sommaire

fig1 et fig2, Lisa Strausfeld,

étudiante à Visible Language

Workshop, « Points de vue

financiers » (Financial

viewpoints), visualisation

continue des données de la

bourse, navigation possible

pour l’utilisateur, 1995.

Page 73: Le Design du Partage

73

À 52 ans, plutôt que de se complaire en une technique qu’elle maîtrisait (l’imprimé),

elle a su exprimer les mutations techniques liées à sa pratique au travers une

(re)définition du graphisme.

« Ce monde nouveau demande un nouveau type de designer qui créera des opportunités,

des chemins et des modalités pour un utilisateur plus indépendant, un designer qui créera

des structures riches pour des utilisateurs qui seront capables d’acquérir, d’explorer et de

collecter l’information dans leurs propres termes [211]. »

« Il est impératif que nous passions moins de temps à ignorer ou défier la menace des

ordinateurs, que nous nous éduquions nous-mêmes et que nous participions à la direction

de ce média polymorphique. [...] Beaucoup d’écoles d’art se demandent comment introduire

les ordinateurs dans leurs programmes. Elles commenceront typiquement comme utilisateurs

des logiciels existants et, à un certain niveau, elles joueront un rôle sérieux en demandant

du graphisme de meilleure qualité [212]. »

1 – L'outillage du designer en numérique

a - La typographie, un processus d’avant-garde

Que ce soit par l’intervention ou la découverte de programmes, ou par la simple prise

en compte des alternatives qu’offrent les interfaces, l’outil Internet (en tant que réseau

d’échanges) a encouragé la création de sites participatifs (Reddit, Medium, GitHub,

etc.) enrichis au gré des amateurs et/ou des activistes [213]. C’est dans de la création

typographique que cette pratique semble être devenue la plus naturelle. Rappelons-le,

une forme typographique est d’abord un outil, un outil d’aide à la lecture d’une

information (par la formation d’un mot par exemple). Prévalant sur l’esthétique

[211] Muriel Cooper, « This New World », Frieze Magazine, n° 151,

article [En ligne] http://www.frieze.com/issue/article/this-newworld/, mars 2014.

[212] Strabic, « Muriel Cooper », [trad.] Nolwenn Maudet, citation [En ligne] http://strabic.fr/Muriel-Cooper, janvier 2015.

[Muriel Cooper, « Art and Technology in the Information Age », Insights Design Lecture Series, [En ligne]

http://www.walkerart.org/channel/1987/muriel-cooper-insights-lecture, 64:47, 1987.

[213] Anthony Masure, « #Lure2013 : Jour 1 (lundi 26 août 2013) », compte rendu Storify aux rencontres de Lure,

[En ligne] https://storify.com/anthonymasure/lure2013-jour-1-2, Lurs, Alpes-de-Haute-Provence, août 2013.

Page 74: Le Design du Partage

74

de la lettre, ce premier aspect utilitaire aura certainement contribué à l’élaboration

d’une production transversale. Depuis l’impression de la Bible de Gutenberg [214] au

XVe siècle, les façons de créer et de produire n’ont pratiquement pas changé en quatre

cents ans (sur cinq) d’histoire typographique. De la conception à la fabrication, il

fallait prendre en considération de nombreuses étapes techniques et manufacturières.

Elles sous-entendaient une grande contribution d’acteurs aux savoir-faire

complémentaires, ceux-là même qui contribuaient à une collaboration transversale

des disciplines. Depuis plus d’un siècle, les moyens de productions ont radicalement

évolué ; d’abord par l’industrialisation (usage du pantographe, graveur automatisé sur

les ponçons d’acier) et ensuite par la numérisation. Ainsi l’usine s’est transformée en

ordinateur renversant la place de l’individu dans la création.

À lui seul, l’individu est devenu capable de réaliser les tâches né6

cessaires à la création d’un caractère typo- graphique. L’ordina6

teur a donc rendu possible la conception et le développement

des polices (Fontlab et Fontforge) mais aussi faciliter leur publi-

cation (Fontsquirrel, Dafont) et leur réappropriation (Use and

modify [215] (fig3), Interstices [216], GitHub [217]). Bouleversant nos

rapports à la technique, « l’amateur », rencontré à Lure en 2013,

peut désormais créer ses propres « bidouilles » :

« Avis aux amateurs ! [...] Aimer voir, aimer faire. Celui qui organise sa pratique autour du

plaisir est dit amateur. Dilettante, rêveur, curieux, bidouilleur, connaisseur, collectionneur,

aventurier, cette figure de l’ombre méritait un portrait au moment où les outils de création, de

partage et de diffusion numérique de masse bousculent toutes les spécialités. Capable du pire

quand il se contente de l’approximation, quand croyant bien faire, il s’enfonce dans ses manies,

ses obsessions, ou quand, voulant singer les savants, il se fait imposteur. Mais dévoilant le

meilleur quand, détaché des contraintes des conventions, des intérêts, il contribue à préserver un

patrimoine négligé ou découvre seul des territoires inexplorés, quitte à transgresser tous les

[214] Les premiers écrits imprimés sont réunis dans la Bible à quarante-deux lignes réalisée par Johannes Gutenberg.

Analogie récupérée par les éditions B42.

[215] Use and modify, site officiel, [En ligne] http://usemodify.com/

[216] Interstices, site officiel, [En ligne] http://interstices.io/

[217] GitHub, site officiel, [En ligne] https://github.com/

[218] Les rencontres internationales de Lure, « Après/Avant #2 », revue, p. 3, mai 2014.

fig3, « Use and modify »,

sélection typographique par

Raphaël Bastide

Page 75: Le Design du Partage

75

fig6, Anthony Masure,

tweet du 26 août 2013.

[219] Né en 1961, André Gunthert est enseignant-chercheur, spécialiste des cultures visuelles et des cultures numériques. Maître de conférences à

l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), il dirige le Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine. Il a fondé en 1996 la première

revue scientifique francophone consacrée à l’histoire de la photographie, « Etudes photographiques », puis en 2009 le média scientifique

collaboratif « Culture Visuelle ». Jusqu’en octobre 2014, il publiait ses travaux sur le blog L’Atelier des icônes,

[En ligne] http://culturevisuelle.org/icones/

[220] Ibid., Anthony Masure,« #Lure2013 : Jour 1 », compte rendu Storify aux rencontres de Lure.

fig4, « Johnston », Edward

Johnston, abécédaire.

fig5, « Gill sans », Eric

Gill, abécédaire.

protocoles, voire s’écarter du droit. La fabrique autonome de soi est une condition risquée qui

peut mener à échouer lamentablement dans l’imitation ou à renouveler les usages et libérer les

pratiques [218]. »

À partir de processus numériques « ouverts », les spécialistes distinguent deux

directions au travers lesquelles « l’amateur » pourra se développer. La première

position est celle d’un créateur peu référencé et peu rigoureux, traduit par une

conception maladroite souvent imitatrice : « il se fait imposteur ». L’autre, celle

qui nous intéresse, use de l’ouverture des processus comme un puissant

moyen co-créatif, risqué mais conscient de l’histoire de sa pratique.

Ainsi « il contribue à préserver un patrimoine négligé ».

Dans le domaine typographique, le « processus de co-création »

se pratiquait déjà bien avant l’avènement des outils numériques.

Le caractère « Gill sans » publié en 1928 en est un bel exemple (fig4).

Au début du XXe siècle, le typographe Eric Gill s’inspire du célèbre

caractère « Johnston » (fig5) dessiné pour l’identité du métro

londonien par son ami Edward Johnston. Il est un premier exemple

de qualité pour présenter ce que la réappropriation (forkage) peut

produire de meilleur. Avant d’approfondir le sujet, j’aimerais

ajouter une distinction, soulevée par André Gunthert et Anthony

Masure, du sujet « amateur » qui n’est autre qu’un « activiste »

dans sa position nouvelle et transgressive (fig6). Aux Rencontres,

l’intervenant André Gunthert [219] a présenté son regard sur

« l’amateur » dans la création, le design sous le chapeau :

« Ne parlons plus des amateurs », retranscrit par Anthony

Masure, en voici son résumé :

Page 76: Le Design du Partage

76

« L’une des principales promesses des outils numériques était de faire de chacun de nous un

auteur, un créateur, un producteur culturel. Selon cette utopie, le renouvellement de la culture

devait s’opérer par l’émergence d’une offre autoproduite par les amateurs. La révolution

numérique a certes favorisé une expansion sans précédent des activités créatives. Mais elle a

surtout contribué a transformer les dynamiques culturelles elles-mêmes. Issue des nouvelles

pratiques sociales en ligne, l’esthétique de l’appropriation modifie les fondamentaux de la

culture établis depuis la Renaissance [220]. »

« Pour Gunthert, l’amateur est l’œuvre des institutions et experts qui « sabotent » tout ce qui

n’est pas de leur sein en disqualifiant ce qui leur est extérieur. « Ne parlons plus des amateurs »

car plus personne ne croît aux récits héroïques d’émancipation. On confond démocratisation et

extension, refusant souvent de prendre en compte dans nos analyses les personnes et facteurs

hostiles aux changements, les « saboteurs ». Il nous faut réinventer la possibilité de créer des

œuvres collectives et anonymes, ce qu’on savait faire avant la Renaissance. Gunthert propose

pour finir de remplacer « amateurs » par « activistes », pour mieux qualifier la dimension

subversive de ce que fait l’amateur aux productions culturelles [221]. »

Là où le numérique favorise une extension des pratiques créatives, il remet en cause

tout un écosystème culturel instauré depuis le XVe siècle. Défendue par la culture du

libre au travers le concept de copyleft, les processus d’appropriation produisent donc

des situations conflictuelles, entraînant la remise en cause du droit de propriété. Basé

sur la contribution et l’appropriation, le « libre » (en tant que culture numérique)

implique le partage des connaissances et des compétences. D’un usage passif, l’utili-

sateur d’outils libres devient contributeur et acteur du développement des outils qu’il

pratique. In fine il participe à leur amélioration, et par là même aux créations qui en

découleront. Ce qu’appellerait Bernard Stiegler, dans ce cas précis, une forme de co-

individuation [222] où la collectivité prend conscience de chacune des individuations [223]

qui la compose.

[221] Anthony Masure, « Rencontre de Lure 2013 : amateurs et typothèses », article

[En ligne] http://strabic.fr/Rencontre-de-Lure-2013-amateurs-et.html, septembre 2013.

[222] Ars Industrialis, « Amateur », [En ligne] http://arsindustrialis.org/amateur

[223] Ce qui fait qu’un individu diffère d’un autre.

Page 77: Le Design du Partage

77

b - Quels outils en numérique ?

Git, du développeur au designer

Créé et développé d’après le noyau Linux de Linus Torvalds en 2005, Git [224] est un

logiciel permettant la gestion décentralisée des versions d’un programme informatique.

Conçus pour les développeurs, les codes mis en ligne sont partagés par tout le monde

et pour tout le monde, soit un espace « démos-kratos » où le « pouvoir » s'exerce

par le « peuple ». Toutes les versions d’un programme peuvent ainsi servir à l’enri-

chissement de projets connexes et ce dans toutes les directions. En proposant un

système de gestion des améliorations d’un projet par l'archivage des documents et

la création de déclinaisons (forks), le logiciel propose la redécouverte d’un système

d’échanges participatif et gratuit pour des pratiques professionnels et les amateurs.

Diffusé en open source, le programme a permi le développement de l’interface

en ligne GitHub [225]. Véritable extension sociale de Git, depuis 2008,

il facilite les échanges entre les collaborateurs du service d’héber-

gement et de gestion. Avec l’opportunité de commenter, de mettre

des favoris et de suivre des utilisateurs, GitHub (fig7 et fig8) est

devenu un réseau social professionnel pour la culture du libre.

Simplifiant les échanges en ligne autour des versions d’un projet

par l’interaction de ses membres, le réseau s’est petit à petit

répandu à des pratiques voisines, et tout particulièrement dans

les domaines du design. Le collectif bruxellois Open Source

Publishing [226] (OSP) s’est justement inspiré de ce fonctionnement

afin de proposer aux designers une extension du système Git au

service de leur profession. Depuis 2006 le collectif de designers

travaille uniquement à partir de logiciels libres. Régi par une logique

d’horizontalité, il respecte une charte [227] proche du concept copyleft

appliqué juridiquement par la licence libre GPL. Dans cette optique,

[224] Git, site officiel, [En ligne] http://git-scm.com/

[225] Ibid, site officiel, [En ligne] https://github.com/

[226] Open Source Publishing, site officiel, [En ligne] http://osp.kitchen/

[227] Open source publishing, « About », [en ligne] http://www.osp.constantvzw.org/about

fig7, capture « Explore »,

GitHub, février 2015.

fig8, capture

« Visual culture », Projet

OSP, GitHub, février 2015.

Page 78: Le Design du Partage

78

le collectif a lancé une demande de financement collaboratif sur la plateforme

Kiss Kiss Bank Bank [228] afin de développer le projet Visual Culture (fig9).

La centralisation des données archivées et le manque de visua-

lisations des fichiers graphiques [229] (fontes UFO, fichiers vectoriels

SVG, bitmaps, PSD, Ai, etc.) sur GitHub les ont conduit à repartir

du programme Git (à l’origine installé localement sur l’ordinateur

des utilisateurs). Cette liberté d’actions proposée par la visualisation

de l’ensemble des fichiers d’un projet permet son étude et son éva-

luation avant l’envoi aux collaborateurs (clients). Véritable équi-

pement sur-mesure, il offre, à d’autres collaborateurs potentiels,

l’appropriation des fichiers comme matière ou inspiration pour des projets connexes :

transformer les versions d’un même poster en une animation, servir de base de données

pour alimenter automatiquement un site web, modifier une fonte en injectant des

variables directement dans son code source, etc, nous précise Anthony Masure sur Strabic.

« Si la plupart des solutions collaboratives (Dropbox, Google Drive, etc.) utilisent une logique

de centralisation (notamment par le cloud), Git et Visual Culture offrent un modèle dans

lequel la création s’opère dans l’espace privé, sur l’ordinateur de l’utilisateur [en local] ;

c’est l’échange des versions qui se fait à travers Internet [échange décentralisé]. L’existence de

plusieurs versions parallèles d’un même projet (plusieurs forks) est facilitée par le programme

et permet de se retrouver facilement dans les diverses modifications des productions [230]. »

En plus d’un stockage fiable, autonome et partagé, Visual Culture propose aux

designers graphiques de se libérer des contraintes techniques régies par les logiciels

propriétaires dominants. Toutefois si le projet n'a pas rempli les objectifs de finan-

cement participatif, c'est certainement que la campagne de communication autour du

projet n'était pas à la hauteur : une vidéo de présentation linéaire, et presque anti-

pathique ; un titre peu éloquent sans démonstration fonctionnelle ni comparatif visuel

(avant/après). Voilà donc un champ d'action à designer plus sérieusement.

[228] Kiss Kiss Bank Bank, « Visual culture, a tool for design collaboration (with Git) », [En ligne] http://bit.ly/1GpBBXZ

[229] Visualiser l’évolution d’un projet de design, Eric Schrijver, membre de OSP, « Using Git to visualize a poster’s design process »,

vidéo [En ligne] https://vimeo.com/108390676, novembre 2014.

[230] Anthony Masure, « Visual Culture : Open Source Publishing et le design graphique », Strabic

[En ligne] http://strabic.fr/OSP-Visual-Culture#nb11-1, novembre 2014.

fig9, capture « Visual

Culture », projet Kiss Kiss

Bank Bank, février 2015.

Page 79: Le Design du Partage

79

Adobe, les outils du monopole

Au début des années 1980, de nombreuses inventions liées à la technologie numérique

annonçèrent l'entrée en matière des logiciels WYSIWYG. D'abord, Douglas Engelbart

inventait la souris et le système hypertexte, puis Bill Atkinson sortit MacPaint

(le premier logiciel de traitement d'image), ensuite IBM développa le système Script

avec les logiciels QuarkXPress, puis suivit Adobe avec les logiciels Postscript. Ils

façonnèrent le WYSIWYG (tel écran, tel écrit) et s'investissent des problématiques

de la micro informatique. L’arrivée des interfaces graphiques et la généralisation des

polices intéropérables aux imprimantes et aux systèmes d'exploitation ont permis aux

traitements de texte d’évoluer vers le WYSIWYG. Véritable nouveauté à l'époque

puisque les lettres s’affichaient invariablement avec la même police, la couleur était

l'unique indicateur de sens formel (graisse, italique, etc.). Dôtées d'interface de pré-

visualisation, ces logiciels donnent l'impression de voir le document créé tel qu'il sera

publié. Acronyme anglais « What you see is what you get » signifie littéralement

« ce que vous voyez est ce que vous obtenez ». Intuitif, l'accès aux fonctionnalités

est facilité de sorte que l'utilisateur ne soit pas contraint à la mémorisation de com-

mandes techniques pour réaliser un traitement d'image ou de texte, il s'adapte aussi

au taille des supports envisagés. Le premier logiciel WYSIWYG a été développé par

la compagnie Hewlett Packard en 1978, suivirent LisaWrite d'Apple Lisa en 1983

et MacWriter de Macintosh en 1984. Investi dans le marché des arts graphiques, la

Publication Assistée par Ordinateur a beaucoup changé aujourd'hui. Par la location

du logiciel, les graphistes sont rapidement devenus l'objet financier des outils

WYSIWYG, processus que Nicolas Taffin nomme le syndrome de l’imposteur [231].

Syndrôme émancipé par la valorisation d'une « identité » du créatif, la chaîne gra-

phique continue à se disloquer dans un cloud computing contrôlé par le dominant

créatif, Adobe. Tour de main majestueux, l'ignorance généralisée de cette domination

[231] Nicolas Taffin, « Polylogue », article [En ligne] http://polylogue.org/la-vie-nest-pas-une-creative-suite/, décembre 2014.

Page 80: Le Design du Partage

80

présomptueuse semble doucement ériger le graphiste en une position prolétariale.

À l'image de la révolution industrielle, c’est quand l’outil n’est plus la propriété

de l’artisan qu’il devient ouvrier, désormais accomodé en réseau.

Avec sa « suite créative » auto-alimentée, Adobe réussit un tour

de magie efficace enfermant la pratique des logiciels créatifs dans

une « logique de sélection » (fig10). Dans l’ouvrage « Le Langage

des Nouveaux Médias [232] », Lev Manovich y analyse le mode

d’existence contemporain des logiciels par la « sélection » d’actions

au sein de menus prédéfinis. Adobe conçoit justement la richesse

de ses programmes sur l’accumulation de fonctionnalités à sélection-

ner dans des menus déroulants. Dès lors l’imagination du designer

se limite à ce que la liste des menus fonctionnels lui propose. Dans

un souci d’efficacité, ces fonctionnalités pré-établies visent à simpli-

fier et à organiser la conception de l’utilisateur. Tel un processus

mécanique (productif) et infantilisant (assistant), la création devient attrait à la

paresse (sans effort), à la distraction (pas de résistance) consenties par la soumission

des pratiques desdits “logiciels”, aussi subtiles soient elles. Si tout au long de sa vie

Ivan Illich a dénoncé la servitude des hommes aux machines, nous nous efforçons de

penser qu'à sa mort en 2002 les enjeux numériques (liés à la « machine Internet »)

n'avaient pas encore pris la direction dans laquelle nous sommes aujourd'hui ; au

coeur d'un affrontement conceptuel, social et politique (la liberté contre la propriété).

Les outils conviviaux, qu’ils opposent aux machines, sont pour lui dotés d’une

expression libératrice dans le sens où ils ne doivent pas créer d’inégalité [233]. L’outil

convivial serait donc un moyen pour renforcer l’autonomie de chacun et accroître

l’action de l’utilisateur sur le réel. Alors, si la suite créative d’Adobe développe des

solutions pré-configurées pour les créatifs, nous admettrons un assistanat contre-

productif d’une création monopolisée [234]. Le designer endosserait alors le rôle de

fig10, captation d'une

interface, Anthony Masure,

« Adobe, le créatif au pouvoir »,

Strabic, juillet 2011.

[232] Lev Manovich, « Le Langage des Nouveaux Médias », éd. Les Presses du Réel, 2010.

[233] Claude Alphandéry, Geneviève Ancel, Ana Maria Araujo, Claudine Attias-Donfut et al., « Manifeste convivialiste »,

éd. Le Bord de l'eau, p. 48, 2013.

[234] Wikipédia, « Ivan Illich : contre-productivité », [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Ivan_Illich

Page 81: Le Design du Partage

81

technicien (de l’image), abruti par la production d’un résultat pré-déterminé. Ainsi les

conditions matérielles sont rassemblées pour accomplir une action donnée. Hors ce

positionnement (productif) néglige l’utilité de l’erreur chez le créatif. Il omet de con-

sidérer l’imprévisible, celui qui constitue justement l’une des attentes singulières du

design. Voici comment Rick Poynor, critique et graphiste anglo-saxon, envisage la

pratique du designer :

« Les designers qui restent ouverts à l'étrange, à l'imparfait et, parfois à la simple erreur,

mettent en branle un processus et créent les conditions pour que le spectateur fasse des

rencontres vraiment inattendues avec le design, qui font partie de ses plaisirs les plus intenses,

les plus humains et un de ses plus grands intérêts [235]. »

Ce qui caractérise la pratique du designer n’est pas la maîtrise d’une technique ou

d’un outil. Bien qu’elle aie son importance dans l’élaboration d’un produit fini, c’est

plutôt l’inattendu à savoir les défaillances et les imperfections que produisent les

artefacts computationnels (interactions de l’homme et de la machine) qui importent

dans son processus de travail. Une alternative pourrait être de l'ordre d'un apprentis-

sage de l’écriture numérique graphique, celle qui a précédé le WYSIWYG et qui est

proposé par le logiciel libre. Au détriment de la diversification, l'ignorance de son

existence par les professionnels est sûrement la cause des outillages pré-mâchés des

industries propriétaires vantant les mérites suffisants d'un outil créatif facile à prendre

en main.

[235] Rick Poynor, « La loi du plus fort. La société de l'image », éd. Pyramyd, Paris, p.219, 1992.

Page 82: Le Design du Partage

82

Modèlisation créative

Issu du langage LaTeX créé par Leslie Lamport en 1983 et développée pour des

logiciels de type WYSIWYM « What You See Is What You Mean » (LyX par

exemple), la programmation graphique a, avant toute chose, précédé la PAO.

Séparant la forme du contenu, elle privilègie la création du sens de la forme, avant

la création de forme elle-même. Ainsi la « pensée graphique » est concentrée sur un

processus de création, là où les logiciels de traitement visuel ne s'attarde que sur le

résultat graphique.

Basée sur des standards de balisage, l'échange collectif et l’interopérabilité, elle fût

rapidement adoptée pour la création typographique, elle reste néanmoins très peu

pratiquée chez le designer graphique. Habitué au rapport synchrone du texte et de

l'image en numérique, c'est un mécanisme inhabituel pour le designer qui ne visualise

plus son travail en temps réel. Il ne s'agit pas ici de transformer le designer en déve-

loppeur, il s'agit d'une part de garantir l'autonomie du travailleur créatif, et d'autre

part de formaliser l'information de données numériques. Cela nécessite un apprentis-

sage des langages informatiques, de la même manière que nous avons appris à tenir

un crayon de tel sorte qu'il nous permette de dessiner nos idées. Si le designer a le

rôle d'un metteur en scène de l'information, il se doit d'être préoccupé par la donnée

informatique telle qu'elle est nombreuse et considérable dans notre société. Ainsi dans

les années 1990 Muriel Cooper pensait déjà à l'importance du designer dans la gestion

de données :

« Notre objectif est de faire de l’information une forme de communication, ce que l’information

seule n’est pas. L’information en elle-même n’a pas le degré de filtrage que le design lui donne.

Je suis préoccupée par ce qu’est la nouvelle définition du graphisme, et quel rôle il joue par

rapport à l’information. Si vous prenez un livre, dans sa forme traditionnelle, ou un magazine,

Page 83: Le Design du Partage

83

un quotidien, ou un journal télévisé, l’objet a été filtré à travers plusieurs contraintes

technologiques. Le graphisme peut être vu comme un processus de filtrage. Les matériaux vous

viennent d’un éditeur, d’un écrivain, d’un photographe, etc… Le graphiste filtre ces éléments

existants [236]. »

Ainsi en tant qu'outils de gestions de l'information (de données), la programmation

nous permet de développer des prototypes interactifs (soit dessiner d'idées)

générateurs de formes et in fine de sens. Du noeud de chaussures au fonctionnement

des systèmes politiques, la vie de l'homme s'est toujours organiser en système de

pensée. Du plus simple au plus complexe, ces systèmes s'expriment par delà des

modèles de réprésentation. Le code est ainsi perçu comme une matière à modèler à

l'instar d'un bloc de texte ou d'une feuille de papier. En 1984, April Greiman, une des

première graphiste française à utiliser l'ordinateur personnel, exprimait déjà cet état

de fait : « L’ordinateur, explique Greiman, est un second crayon [237] ». Cependant la

distorsion entre conception et visualisation entraîne des surprises graphiques à l'export

visuel. Dérivées du contenu, ces surprises indéfinies par avance sont autant

d’ouvertures formelles que nouveautés graphiques, dans le sens premier

du terme. Programmer c’est ainsi composer en système d'instructions

à la donnée (fig11). L'essentiel n'est donc pas le résultat, si convoité

par les logiciels WYSIWYG, mais le processus logique qui nous amène

à ce résultat à l'image de la programmation sous Processing [238].

Comme l'a présenté Nolwenn Maudet dans son article « Muriel

Cooper, Beyond window » : « Le design, par nécessité, deviendra

l’art de concevoir des processus [239] ».

[236] Muriel Cooper, « Conversation with Ellen Lupton »,

[En ligne] http://elupton.com/2010/07/cooper-muriel/, mai 1994.

[237] Indexgrafik, « April Greiman », article [En ligne] http://indexgrafik.fr/april-greiman/, novembre 2013.

[238] Processing est une libraire de programmation Java et un environnement de développement graphique libre,

site officiel [En ligne] https://processing.org/

[239] Ibid, Nolwenn Maudet, Strabic.

fig11, couverture

« A programming handbook

for visual designers »,

Carey Reas et Ben Fry,

éd. MIT Press, décembre 2014.

Page 84: Le Design du Partage

84

Glitch art, ou de l'artefact de l'erreur

Du latin ars et factum, un artefact est un effet artificiel, il est le résultat indésirable

de faits expérimentaux de l'homme sur la machine. Ami-chemin entre le langage de

programmation et les sciences cognitives, un artefact computationnel informatique est

un élément défectueux (programme, script, image, jeu vidéo, page web, etc.)

matérialisé par une génération aléatoire de pixels (bug visuel). Dans une large mesure,

la pensée computationnelle, quant à elle, s'intéresse à la résolution de ces parasites.

Postulée par Seymour Papert en 1996 [240], alors professeur au laboratoire

d'intelligence artificielle du MIT, la pensée computationnelle est le processus réflexif

impliqué dans la formulation de problèmes et de solutions s'appuyant sur les concepts

fondamentaux de l'informatique théorique [241]. Pour en déterminer les grandes lignes,

les artefacts computationnels sont habilités par l'étude contextuelle du système en

relation avec d'autres, le développement de résolution imaginé, la modélisation d'un

système fonctionnel, l'analyse du système et de ses relations internes, une formulation

adaptée à son éventuelle réappropriation (par les agents de traitement informatique

notamment) et la collaboration avec des pairs.

Après cinq ans d’expérience dans la recherche scientifique et

industrielle, Nicolas Enjalbert décide d’orienter sa carrière com-

me codeur créatif en free-lance (fig12). Lors de son intervention

au Laptop [242] courant février 2015, il y a présenté un retour d’ex-

périence entre les pratiques du design et de la programmation.

Pour lui, le développeur cherche à résoudre les erreurs dans un but

déterminé, là où le designer le considérera pour l’évolution de son

projet. Le glitch est justement un résultat démonstratif de l’appropriation

de la défaillance informatique comme source d’inspiration nouvelle. Souvent

associé au bug (qui est son synonyme le plus proche), le glitch correspond initialement

[240] Seymour Papert, « An exploration in the space of mathematics educations », International Journal of Computers for Mathematical

Learning, Vol. 1, Massachusetts, article [En ligne] http://bit.ly/1ESHGxm, p. 95 à123, 1996.

[241] Wikipédia, « Théorie de l'informatique », [En ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Informatique_th%C3%A9orique

[242] Le Laptop est un espace de co-working parisien et une « agence » à géométrie variable depuis février 2012, site officiel [En ligne]

http://www.lelaptop.com

fig12, logo « Laptop »,

terrain de jeu pour freelance,

site officiel.

Page 85: Le Design du Partage

85

à une instabilité dans les circuits électroniques ou à une coupure de courant.

Il entraîne un dysfonctionnement du matériel informatique occasionnant des

répercussions sur les logiciels. D’un point de vue technique, ces petits dysfonction-

nements n’ont pas de grande importance, c’est plutôt au sens artistique qu’il aura une

dimension notable. Courant dans les jeux électroniques, le glitch s’apparente à des

comportements erronés où la représentation d’un objet « se gèle dans la matrice » ;

un personnage peut ainsi traverser un mur a priori infranchissable et se téléporter

à un endroit inattendu dans le jeu. Il questionne ainsi les dimensions du possible

dans le monde informatique. Diffusée sur la chaîne Corridor Digital, la vidéo « The

Glitch  [243] » s’inspire de cette défaillance pour en créer un scénario à mi-chemin entre

le monde physique et le monde numérique. Un ton humoristique mais surtout une

imagination dépossédée des contraintes métaphysiques si bien que Sam et Niko,

les co-auteurs, iront jusqu’à développer un concept de téléportation dans

une seconde vidéo [244]. Le glitch art, ou l’esthétique de l’erreur,

s’inspire donc des formes que peuvent prendre une défaillance

informatique. Ce mouvement manisfeste, pour nous, un ima-

ginaire d’artefacts aux inspirations aussi remarquables qu'infi-

nies. Qu'importe la forme, l'erreur dans ce qu'elle a d'inattendue

devient une source d'inspiration illimitée. Quand une spécialiste

du Glitch art (fig13), Rosa Menkman [245], présente son travail

et celui de ses partenaires, elle nous dirige vers un (re)question-

nement des médias :

« Il s’agit d’utiliser et de détourner les médias et de sortir du cadre [...] Créer des glitchs, pour

moi, c’est avant tout un moyen pour ouvrir la boîte noire [246]. Ça me libère, je suis une rêveuse

et je veux changer la façon de penser des gens [247]. »

[243] Corridor Digital, « The Glitch », vidéo [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=8Q2P4LjuVA8, décembre 2012.

[244] Corridor Digital, « Portal Trick Shots », vidéo [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=OhCQeFX9GSg, décembre 2012.

[245] Théoricienne et plasticienne hollandaise spécialisée dans le Glitch art. site officiel [En ligne] http://rosa-menkman.blogspot.nl/

[246] Nous penserons ici à l'écho de la boîte de Pandore et l'intrépration d'Ivan Illich dans « Ivan Illich », Un certain regard,

entretien [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=K-eauppsNf0, juillet 2014.

[247] Arte Tracks, « Glitch », émission [En ligne] http://www.arte.tv/fr/glitch/7524184,CmC=7503936.html [214], juin 2013.

fig13, capture blogspot

« Rosa Menkman »,

février 2015.

Page 86: Le Design du Partage

86

Ainsi Menkman s'investit d'une tâche profondément morale. S'affranchissant de

l'objectif d'un résultat fini, elle développe un processus de recherche basé sur l'erreur

informatique ; un design singulier à mi-chemin entre l'art, le code et la recherche.

En socialisant son art, la production artistique de Menkman s'envisage comme une

méthode d'émancipation du sens commun, un moyen pour libérer les façons de penser

et de faire en numérique :

« Toutes les technologies possèdent en elles leurs propres erreurs et accidents. Le mouvement du

Glitch art embrasse ces erreurs comme une nouvelle forme esthétique. Dans cet atelier

[Vernacular of file formats], l'artiste Rosa Menkman nous guide par la théorie et les idéaux de

cette nouvelle forme d'art impétueux [...] Le data bending (courbure de données) est le piratage

créatif des données numériques stockées sur un disque. Tous les fichiers, images, sons et vidéos

sont stockés sur votre ordinateur dans un flux presque infini. L'ordinateur saisit la signification

de ce flux de données en l'organisant en morceaux. Ainsi chacun des fichiers a son propre code

binaire, et donc chacun est unique. Nous appelons cela des morceaux de fichiers (chunks

files) [248]. »

C'est par l'analyse technique et la décortication des fichiers

numériques que s'est développée le mouvement du glitch. Alors si

le site de Rosa Menkman ressemble a priori à un chaos organisé,

c'est d'abord parce qu'elle privilégie un modèle de création (organisé)

conçu sur l'erreur informatique (chaos). Comme courant artistique

le glitch art se manifeste au travers une esthétique visuelle singulière.

Imagé ici par l'installation de Rosa Menkman (fig14), une décom-

position de l'image s'opère au travers de couleurs criardes (RVB)

et formes glissantes. Si l’esthétique du glitch art n’est plus à

déterminer, elle inspire l’approche de nombreuses créations numé-

riques. Du logiciel au vidéo  [249] en passant par le montage audio [250] et l’image fixe,

l’anomalie numérique semble une inspiration transversale de l'outil et son approche.

[248] Freemote, « Vernalucar of file formats / The Glitch Moment(um) », festival des arts et de la co-création électroniques,

présentation [En ligne] http://www.freemote.nl/node/139, décembre 2011.

[249] Voir l'exemple Chairlift, « Evident Utensil », vidéo [En ligne] https://www.youtube.com/watch?v=mvqakws0CeU, octobre 2009.

[250] Dans les années 1990, la musique électronique avait déjà démontré son intérêt pour l’erreur, glitch,

à travers la composition de sons abstraits générés par les outils informatiques.

fig14, « Langue vernaculaire

des formats de fichier »,

Rosa Menkman, octobre

2011.

Page 87: Le Design du Partage

87

Elle est d'ailleurs particulièrement considérée par les designers hollandais. Ici,

c’est la méthode qui nous importe plus que l’esthétique glitch art, celle d'une création

inspirée de l’erreur. Alors si OSP accorde autant d’importance à la relation que nous

entretenons avec nos outils informatiques, c’est sûrement qu’il puise dans la pratique

de l'expérimentation de l’accident une source d’inspiration aussi riche que nécessaire.

« À l’opposé de l’industrie des logiciels propriétaires standardisés, ces outils ouverts

permettent une étude et une modification approfondies, la plupart du temps en collaboration

avec la communauté : nous pensons qu’il est important d’avoir une relation intime avec nos

outils [251]. »

Après quelques dizaines d’années de design « en numérique », les techniques

informatiques demeurent mystérieuses pour une majorité des praticiens. Si l’appel au

financement du projet Visual Culture n’a pas abouti au résultat escompté, il dénote

une certaine méconnaissance de l’outil numérique au regard de ce que nous avons

essayé de démontrer jusqu’ici. Trop peu de designers graphiques osent se confronter

à de réelles expériences numériques. Jusqu’ici j’en faisais partie ; et ces recherches

m’amènent justement à vouloir changer cette situation pour le plus, aliénante et pour

le moins, inconfortable. Comme le théorisait déjà Gilbert Simondon en 1958 :

« La plus forte cause d’aliénation dans le monde contemporain réside dans cette méconnaissance

de la machine, qui n’est pas une aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance

de sa nature et de son essence, par son absence du monde des significations, et par son omission

dans la table des valeurs et des concepts faisant partie de la culture  [252]. »

Au XIXe siècle les relations qu’entretenaient le graphiste avec la technique sont

relativement similaires à celles que nous entretenons aujourd’hui avec le numé-

rique [253]. En réaction à l’industrialisation généralisée, William Morris et le

[251] Ibid, Anthony Masure, « Visual Culture », Strabic.

[252] Gilbert Simondon, « Du mode d'existence des objets techniques » [1958], ré-éd. Aubier, Paris, 2012.

[253] Pierre-Damien Huyghe, « Design, moeurs et morale », Azimuts 30, entretien de Emmanuel Tibloux, p. 33, mai 2010.

Page 88: Le Design du Partage

88

mouvement britannique des Arts and Crafts défendaient une création intimement liée

à la production artisanale. Poète, dessinateur et réformateur britannique, Morris est

l’un des principaux représentants du mouvement Arts and Crafts à l'origine du

développement de l'Art Nouveau en Europe et aux États-Unis. Artiste engagé, Morris

fut largement influencé par le réformateur John Ruskin (lutte ouvrière), esthéti-

quement et socialement. Il opposait l’artisanat à la production industrielle, cette

dernière pratique qu'il considérait inadaptée à l'épanouissement des ouvriers [254].

À l'origine des arts mineurs (artisanat) et des arts majeurs (peinture, sculpture et

architecture), il pensait à une forme de dé-hiérarchérisation des disciplines en faveur

de l'émancipation des travaux manuels et de l'individu artisan. Le Moyen-âge était

pour lui l'époque la plus intègre pour ces pratiques, il deviendra un fervent défenseur

des guildes médiévaux (coopérations professionnelles et interdisciplinaires). Du début

à la fin de la production, la maîtrise des outils était revendiquée comme nécessaire

pour une pratique sociale autonome et diversifiée [255]. Morris endossait ainsi à la fois

les compétences d’un imprimeur, d’un calligraphe, d’un typographe et d’un graveur de

poinçons, c’est-à-dire tout ce à quoi son métier pouvait le confronter techniquement.

« William Morris était proche des préraphaélites, reprend Houellebecq. L'idée fondamentale des

préraphaélites, c'est que l'art avait commencé à dégénérer juste après le Moyen-âge, que dès le

début de la Renaissance il s'était coupé de toute spiritualité, de toute authenticité, pour devenir

une activité purement industrielle et commerciale. À l'exemple de ce petit groupe de peintres

formé en 1848 [à l'origine des Arts and Crafts], Morris a traversé l'existence animé, selon ses

propres mots, par la haine de la civilisation moderne  [256]. »

Aujourd'hui l'uniformisation des productions graphiques en numérique reflète ce que

les Arts and Craft redoutaient certainement, une méconnaissance dommageable et

généralisée des outils propres à la profession. Toutefois si leurs processus théoriques

respectifs se rapprochent, leur esthétique et leur technique s'opposent radicalement ;

[254] Pour imager le propos voir Youtube, « Factory work », Charlie Chaplin, vidéo [En ligne]

https://www.youtube.com/watch?v=DfGs2Y5WJ14

[255] Kevin Donnot, « Code = Design », Graphisme en France, article [En ligne] http://www.cnap.fr/code-design

[256] Xavier De Garci, « William Morris, qui fait éclorer la beauté de l'Angleterre victorienne », Télérama, [En ligne]

http://www.telerama.fr/scenes/william-morris-qui-fit-eclore-la-beaute-dans-l-angleterre-victorienne,74662.php, novembre 2011.

Page 89: Le Design du Partage

89

une enluminure médiévale n'a a fortiori aucun rapport avec un programme forkable.

Elle reflète pourtant ce que notre génération a dû mal à saisir, un « savoir-faire

technologique » nécessaire à l'émancipation de la création. Pour déjouer cette linéarité

productive, quelques initiés ouvrent les portes d'une pratique transversale entre

technologie, partage et prise de risque. Par l’utilisation de logiciels libres, les collectifs

OSP et Lakfon participent à l’élaboration d’un écosystème créatif autonome, contri-

butif et diversifié. Des fichiers sources à la documentation, Lakfon, tout comme OSP,

mettent en ligne un espace dédié aux versions de leurs productions [257]. Ce sont des

interfaces de dépôt peu esthétiques et peu lisibles car, comme sur Git, elles manquent

d’images de pré-visualisation. En page d’accueil du site OSP un texte

incite le visiteur à aller « fouiller » dans leur archives, à télécharger

leurs projets, les étudier, les améliorer et les redistribuer. L'intégralité

des fichiers numériques qui composent leurs projets y sont accessibles.

Initiée par les méthodes de travail des informaticiens, l’association

OLA (Outils Libres et Alternatifs), quant à elle, s’occupe de la pro-

motion d’outils libres et alternatifs souvent méconnus des praticiens.

Développée par Raphaël Bastide, Sarah Garcin et Bachir Soussi

Chiadmi, elle participe à l’émancipation d’une culture ouverte et

transversale :

« Par le partage d'informations, la diffusion de savoir-faire et l'intervention de spécialistes,

Outils Libres Alternatifs vise à créer une dynamique favorable à l'émergence de synergies dans

le champ de la création. Cette initiative s’adresse à des professionnels, des étudiants, des ensei-

gnants, et plus largement à des « faiseurs » souhaitant se défaire des réflexes et habitudes de

production [258]. »

[257] « Le « dépôt forkable » est un miroir en ligne de l'environnement de production local des recherches et développements de Lakfon.

Il héberge toutes les bases de nos projets codés, y compris les sources, les modifications et la documentation. », site officiel

[En ligne] http://research.lafkon.net/projects/the-forkable-repository/

[258] Site officiel [En ligne] http://www.outilslibresalternatifs.org/

fig15, capture « OLA »,

Outils libres et alternatifs,

février 2014.

Page 90: Le Design du Partage

90

Par la revalorisation du partage et de l’erreur, le concept de la culture libre renverse

nos façons d’échanger et de collaborer. Il contribue à l’émancipation de la diversité des

pratiques créatives par l’affranchissement du logiciel propriétaire et l’autonomie con-

tributive. Si cette culture revendiquée par quelques uns abrite un potentiel non-

négligeable dans les rapports que nous entretenons à la création et à la société, son

processus de travail, adapté au métier de designer graphique en numérique, n’en est

qu’à ses balbutiements pratiques. Tant du point de vue éducatif que professionnel,

ces prototypages fonctionnels n’en soustraient pas moins leurs qualités morales. Si

les précurseurs d’une pratique juste (avec justice et justesse) et ouverte aux nouvelles

technologies sont plus souvent allemands ou hollandais, c’est sûrement qu’ils sont

résolument plus proche du mouvement Bauhaus (à l'origine d'un design

fonctionnaliste) qui fait défaut à notre éducation française [259].

2 - Le partage, du design à la réinvention sociale

a - L'héritage du fonctionnalisme

Fondé en 1919 par Walter Gropius, le Bauhaus était d'abord l’un des plus grands

instituts pédagogiques des arts et des métiers d'Allemagne. Installée à Weimar,

l'école enseigne de nombreuses disciplines créatives : l'architecture, le design, la

photographie, la danse et l'art du costume. Gropius était spécialement animé par la

nouvelle esthétique industrielle celle qui, pour lui, réconcilie l'art et l'artisanat sous

ce que l'on appelle désormais le design.

« Le but final de toute activité plastique est la construction ! […] Architectes, sculpteurs,

peintres ; nous devons tous revenir au travail artisanal, parce qu’il n'y a pas d'art professionnel.

Il n’existe aucune différence essentielle entre l’artiste et l’artisan. […] Voulons, concevons et

créons ensemble la nouvelle construction de l’avenir, qui embrassera tout en une seule forme :

architecture, art plastique et peinture [260] ».

[259] Ibid, Pierre-Damien Huyghe, « Design, moeurs et morale », p.33.

[260] Wiki art contemporain, « Bauhaus », [En ligne] http://fr.contemporain.wikia.com/wiki/Bauhaus#cite_note-2

[Magdalena Droste, « Bauhaus Archiv », [trad.] par Marie-Anne Trémeau-Böhm, éd. Taschen, p. 6, Cologne, Allemagne, 2013.]

Page 91: Le Design du Partage

91

En 1925 l'extrême droite gagne les élections à Weimar, la ville décide de fermer l'école

qui prend alors refuge à Dessau [261]. Sous la direction de Walter Gropuis naîtra l'un

des plus grand complexes artistiques en un temps résolument

minime, se mêleront ainsi de nombreuses disciplines : métallurgie,

menuiserie, tissage, peinture, théatre, danse, etc. Des films

expérimentaux aux objets industriels, le Bauhaus c'est avant tout

« l'art de construire ». Le fonctionnalisme sous-entendu par

cette dénomination s'exprime assez clairement dans la nouvelle

structure de l'institut. Gropius opte pour un emboîtement massif

volontairement asymétrique reliant les six bâtiments constitutifs

à la vie de l'école comme un vase communicant et transdisciplinaire.

Avec rigueur (voir même rigidité), il fût influencé par des enjeux exclusivement

pragmatiques (fig16). La transparence des bâtiments y est un concept largement

développé avec la façade vitrée des ateliers ; partout on voit, et partout on est vu.

Les interprétations sont nombreuses, nous y verrons alors soit un espace de liberté soit

le reflet d'une oppression vulgaire où toute intimité serait bannie. Toutes choses dites,

il est à souligner le fourmillement créatif d'avant-garde que cette école aura suscité

pendant huit ans, et inspiré de nombreux autres bien après sa fermeture.

Par l'exclusion de tout style d'ornementation, la forme se laisse guider par la fonction

de l'objet. L'usage de formes minimalistes (rond, carré, triangle) illustreront clai-

rement le concept du fonctionnalisme présent dans l'approche bauhausienne,

à savoir la franchise des formes Ces principes fondamentaux laissent encore au-

jourd'hui une large empreinte dans le design. Quand Ruedi Baur précise : « Rendre

lisible, c'est rendre accessible au plus grand nombre  [262] », nous pensons assez

naturellement à l'optimisation des transmissions du savoir opérée par Gropius.

Après la prise du pouvoir des nationaux-socialistes, les pressions gouvernementales

débutent par le licenciement d'Hannes Meyer en 1930, accusé d'être partisan au

fig16, captation de vidéo,

plan de l'école Dessau

« Le Bauhaus de Dessau1 »,

Daily Motion

[262] Vivien Philizot, entretien avec Ruedi Baur, Graphisme en France 2014, p. 43, 2014.

[261] BNF, « Bauhaus, construire avant les ruines... », pdf [En ligne] http://www.bnf.fr/documents/biblio_bauhaus.pdf, novembre 2009.

Page 92: Le Design du Partage

92

« communisme », et l'école du Bauhaus, sous la direction de Ludwig Van der Rohe,

est dissolue en 1933 par l'Allemagne nazie. Au cours de ses 14 ans d'existence,

« le Bauhaus est devenu l'abréviation de la modernisation radicale de la vie et de ses

phénomènes secondaires positifs et négatifs [263]. » De l'expressionnisme de Weimar au

constructivisme de Dessau, de Gropius, Hannes Meyer à Mies Van der Rohe, il existe

aujourd'hui de nombreuses publications constituant des sources essentielles à l'histoire

de l'architecture et du design, et de leur pédagogie. De l'Europe aux États-Unis, de

Kandinsky à Moholy-Nagy, le mouvement dit "fonctionnaliste" eut et demeure une

influence artistique essentielle en Occident.

« Alors que l'historiographie a fortement suivi la représentation du Bauhaus transmise par

Gropius jusque dans les années 60 et 70, les enquêtes critiques se sont multipliées au cours des

dernières années. [...] Le Bauhaus n'a nullement cessé d'avoir de l'effet et son histoire

récapitulative n'est pas encore écrite [264]. »

La nouvelle typographie, un modèle conceptuel

À la fin du XIXe siècle, William Morris tente de ressusciter les caractères de Jenson

avec le « Golden Type ». Avec l'imprimerie Kelmscott Press, il publie des ouvrages

d’une grande finesse basés sur les premières compositions du XVe siècle. Les caractères

étant trop imposants, la production artisanale devient trop coûteuse. C'est alors qu'au

début du XXe siècle les créations fonctionnalistes prirent l'avantage productif. Promo-

teur du design moderniste, Jan Tschichold est un typographe engagé. Com-muniste

d'origine allemande, il est naturalisé suisse en 1933. En 1925, il synthétise un

manifeste explorant les pratiques constructivistes et le Bauhaus dans « Elementare

Typographie ». Il consolide en 1928 ses idées dans le livre « Die neue Typographie »

où il y réaffirme la « supériorité » des caractères sans empattements, avec la

[263] Magdalena Droste, « Bauhaus archiv », [trad.] Marie-Anne Trémeau-Böhm, préface de Peter Kahn, éd. Taschen,

Cologne, Allemagne, p. 6, 2013.

[264] Op. cit, Wiki art contemporain, « Bauhaus ».

Page 93: Le Design du Partage

93

présentation de la police « Akzident Grotesk », et des compositions asymétriques

facilitant l’accès à l’information pour le lecteur. Privilégiant la forme au sens, la

typographie traditionnelle est considérée inflexible et décorative. C'est alors qu'il

plaide en faveur d'une standardisation des formats de papier plutôt qu'une

standardisation de la composition. Le graphisme suisse des années 1960 a poursuivi la

voie d'un fonctionnalisme pur, tout en continuant à rejeter l'ornementation. En France

à la fin des années 1950, Adrian Frutiger poursuit la logique d'un caractère fonctionnel

avec la célèbre typographie : « Univers ». C'est dans le livre « Grid Systems in

Graphic Design » (1961) de Josef Müller-Brockmann que sera écrit les fondements

d’un design graphique rationnel au système de grilles de mise en page complexe,

théorisé de la façon suivante :

« L'usage de la grille implique la volonté de systématifier, de clarifier, la volonté d'atteindre à

l'essentiel, de distiller, la volonté de cultiver l'objectivité plutôt que la subjectivité, la volonté

de rationaliser les processus de création et de production, la volonté d'intégrer les éléments

chromatique, formels et matériels, la volonté d'une maîtrise architecturale de la surface et de

l'espace, la volonté d'adopter une une attitude positive et porteuse d'avenir [265]. »

Née au début du siècle, les complexes militaro-industriels auront favorisé la tendance

aux productions de masse. Visant à réconcilier l’art, l’artisanat et l’industrie, les cons-

tructivistes envisagent la mécanisation comme une réponse à la pauvreté des masses,

et la rationnalisation des objets sera une réponse à la surcharge décorative. Pour

Tschichold, la typographie doit s’adosser aux recherches de la peinture moderne en

matière de rythme et de proportion afin que chaque élément composé acquiert une

utilité particulière. Révélant la fonction dans la forme, l’art élitiste du XIXe siècle est

mis dans l'ombre au profit d'une « beauté utile ». À l'aune d'une démarche fonction-

naliste, un design graphique se dessiner en faveur de la lisibilité de l'information.

Ce premier pas fondammental contribuera à la prise de conscience généralisée d'une

[265] Josef Müller–Brockmann, « La philosophie de la grille », [1981] Le graphisme en textes, éd. Pyramid, Paris, 2011

Page 94: Le Design du Partage

94

nécessaire lisibilité du monde et de ses nombreuses informations (et/ou données),

celle-là même défendue pour une libre circulation du savoir.

Bauhaus, moralité : générosité de la franchise

Si le fonctionnalisme fût un moyen déployé à outrance en vue d'une production

industrielle massive, il a aussi questionné notre capacité à produire des objets et des

formes selon une méthode. Déterminée par la fonction des choses, cette méthode

s'attarde sur l'aspect des choses et leur franchise. Quelle perception plus juste

existe t-il d'un objet que l'illustration formelle de son usage ? Si la

forme suit la fonction alors l'objet sera perçu tel qu'il est. Alors si

Google n'est pas perçu de la même manière qu'il est conçu, c'est qu'il

offre un confort d'usage ergonomique. Contrairement à l'offre anonyme

Duckduckgo, par exemple, le moteur de recherche s'attarde à faire co-

rrespondre des contenus de qualité contrairement à la quantité. Cha-

cune des propositions de recherches sera ainsi mise en relation avec des

sites sélectionnés pour la qualité de leur contenu et pas seulement pour

la quantité de postes ou de visites qu'ils auront émis. Aussi en cryptant nos

données de recherche, Duckduckgo (fig17) peut assurer la confidentialité de nos

comportements sur les sites lesquels nous aurons cliqué. Alors si Google a le monopole

sur ce marché, c'est qu'il offre un ensemble d'applications additionnelles qui en font

une offre singulière. Indissociable de la réception des choses, l'aspect devrait donc être

le résultat de ce qui est vraiment proposé par le service, de manière à rendre visible

l'offre telle qu'elle est. Et nous pensons que c'est aussi le rôle du designer de s'engager

à mettre en valeur la vérité et la puissance des choses [266] plus qu'à simplement

déguiser l'ergonomie d'une interface. Là où l'industrie collaborative fonctionne, elle

élabore donc une ergonomie esthétique efficace et confortable. Tandis qu'elle délaisse

[266] Ibid, Pierre-Damien Huyghe, « Design, moeurs et morale », p. 39.

fig17, capture

« Duckduckgo », moteur

de recherche, février 2015.

Page 95: Le Design du Partage

95

un « design artistique », elle relève davantage de la supercherie que de la franchise.

Jean-Hugues Barthélémy, professeur en philosophie, développe justement l'opposition

qui réside actuellement entre « design social » et ergonomie :

« L’ergonomie se définit d’une part comme "l'étude scientifique de la relation entre l'homme

et ses moyens, méthodes et milieux de travail", d’autre part comme l'application de ces

connaissances à la conception de systèmes "qui puissent être utilisés avec le maximum de

confort, de sécurité et d'efficacité par le plus grand nombre". [...] elle est cependant animée par

un souci d’efficacité, là où le design social est prioritairement animé par un souci de

convivialité. On pourrait dire que l’ergonomie privilégie les milieux de travail, pendant que le

design social privilégie les milieux de vie sociale [267]. »

Ainsi le croisement des disciplines, design et ergonomie, donnerait lieu à un « confort

moral » partagé entre l'efficacité et la convivialité. Au Danemark, nous présente

Barthélémy, les designers de MindLab [268] sont devenus des consultants de l'admi-

nistration nationale, ils y accomplissent des tâches variées ; de la conception de formu-

laires clarifiés aux systèmes d’encodage performants, et aux plateformes web facilitant

la mise en contact des employeurs et des demandeurs d’emploi.

« Gilbert Simondon [...] : la conscience humaine ne peut se développer qu’en étant pour ainsi

dire faite par ces objets qui pourtant sont fabriqués par elle. [...] En d’autres termes, le vivant,

dans sa finitude, a besoin de béquilles pour se mettre à penser vraiment, et c’est pourquoi tous

nos artefacts extérieurs sont, très paradoxalement, ce qui nous fait dans notre intériorité

pensante elle-même [269]. »

Dans le texte « Design social, une analyse critique », Barthélémy désigne un design

social possible par une prise de conscience humaine (et collective) de l'environnement

dans lequel il évolue. Si l’homme admet qu'il est construit par ce qu’il construit, alors,

pense Barthélémy, il sera en mesure d'accepter et surtout de vouloir un design social.

[267] Jean-Hugues Barthélémy, « Design sociale : une analyse critique », colloque ESAD valencienne, p. 2 et 3, avril 2014.

[268] MindLab, site officiel [En ligne] http://mind-lab.dk/en/

[269] Op. cit, Jean-Hugues Barthélémy cite Gilbert Simondon, p. 5.

Page 96: Le Design du Partage

96

C'est à dire un « design de société » bâtie sur des technologies nécessairement poli-

tisées (puisque socialisées) servant des individus interdépendants. Si le design récon-

cilie l'art (le beau) et l'industrie (l'util), le social est assujeti à la vie des hommes en

communauté.

« À la différence de la politique, mais au service de cette dernière, le design social consiste

à créer des environnements ou des milieux non seulement confortables mais aussi convi-

viaux, c’est-à-dire susceptibles de favoriser le partage et la participation de chacun à la

vie sociale [270]. »

Autrement dit les environnements artificiels nous détermiment en tant qu'individu

social (soit en tant qu'individu d'une société), et le social à proprement parler s'appa-

rente à ce qui entoure les humains. Le social ne considère pas seulement l'homme,

mais plutôt les relations de l'homme au système dans lequel il évolue. Alors si le

design social tend à mettre en forme ce qui est, et pas ce qu'on voudrait montrer

(soit des artifices), c'est dans les pays nordiques d'Europe qu'il s'applique le plus.

En 2012 le designer hollandais, Jonathan Puckey a publié des fluctuations d'informa-

tions journalistiques générées par Fox News entre 2007 et 2010. Son projet

« The quick brown [271] » met à disposition des modificiations de

contenus dans le temps ; modifications à l'origine invisibles par l'in-

ternaute. Quand « Fox News » fait preuve d'efficacité dans sa super-

vison rédactionnelle, les titres d'article sont modifiés à grande vitesse

(fig18). Hormis les nombreuses corrections orthographiques et syn-

taxiques, l'interface dénonce assez peu de choses, là où cet outil aurait

eu plus de pertinence à collaborer avec WikiLeaks par exemple.

L’ensemble de nos productions techniques serait donc le reflet de ce

que nous sommes « au plus profond de notre être [272] ». Pour un

design social, et pour ce que nous nommons ici le design du partage,

fig18, capture du site

« The quick brown »,

formalisation des flux sur

un titre d'article de Fox

News, janvier 2010.

[270] Ibid, Jean-Hugues Barthélémy, p. 2.

[271] « The quick brown », [En ligne] http://www.thequickbrown.com/

[272] Op. cit, Jean-Hugues Barthélémy,

Page 97: Le Design du Partage

97

il est nécessaire de considérer l'espace Internet comme une « dimension numérique »

de notre société. Si la société n’est pas un moyen mais un but, alors cette dimension

numérique n'est pas de l'ordre de l'utilité mais de la nécessité de vivre ensemble.

« La fonction de l'art, par rapport à ce phénomène, consiste à s'emparer des habitudes

perceptives et comportementales induites par le complexe technico-industriel pour les

transformer en possibilités de vie, selon l'expression de Nietzsche. Autrement dit

renverser l'autorité de la technique afin de la rendre créatrice de manière de vivre

et de voir [273]. »

b - La conception de site web

L'ordinateur, d'abord comme un nouvel espace d'expression visuel, a contraint le

designer à penser sur écran, une dimension nouvelle ; celle d'un objet puissant à la

surface plate. Ses affichages multiples et interactifs ont complexifié le rapport du

designer à l'image. Sur le modèle du visionnage cinématographique, un film en salle ne

s'apprécie pas de la manière que sur nos écrans à la maison. Bien que plus complexes

sur ordinateur, les variables sont relativement similaires. Les affichages potentiels sur

écran se sont multipliés selon des variables [274] de taille d'écran, de résolution, de

fenêtre, de navigateur, etc. Le designer doit organiser l'information en optimisant ces

variables. Il fait alors appel à un design adaptatif (responsive), le site web est conçu

de manière à optimiser les expériences de lecture et de navigation sur une large

gamme d'appareils (tablette, smartphone, ordinateur, TV). La création d'un site web

s'effectue à partir du développement HTML (Hyper Text Markup Language) des

pages. Ce langage sémantique sera interprété par les navigateurs afin d’assurer

l’affichage des pages sur nos appareils. Cet affichage prendra une forme variable (régie

par le style CSS) selon le navigateur, le système d’exploitation, la résolution de

[273] Nicolas Bourriaud, « L'esthétique relationnelle », éd. les Presse du Réel, 1998.

[274] Nous penserons ici au site de Jonas Lund, « What you see is what you get », [En ligne] http://whatyouseeiswhatyouget.net/

Le projet souligne la multitude d'affichages possibles à l’ouverture d'un site web. Lors de votre connexion, une captation de la taille

de votre écran est réalisée et ajoutée aux autres, soit une multiplicité d'affichages incalculables.

Page 98: Le Design du Partage

98

l'écran, etc. Il est donc essentiel de considérer le codage (HTML/CSS) au même titre

(ou presque) que le décodage de ce langage par la machine et ses fonctions. Cette

incapacité à contrôler absolument le résultat final de la création est un bouleversement

historique radical pour les pratiques graphiques et typographiques.

Dans les années 1990, la multiplication des usages du CSS [275] (feuilles de style en

cascade) dans la conception de site Web a précipité leur prise en compte par les

navigateurs. Dans les années 2000, nous assistons à une césure entre la conception

formelle et la conception architecturale du contenu. S'il est plus complexe d'associer la

forme à une fonction, il est techniquement assez facile de changer la formalisation d’un

contenu avec le langage CSS. De type Square Space ou Wordpress, les interfaces pré-

fabriquées en CMS [276] (système de gestion de contenu) ont largement contribué à

l'émancipation de ce langage en une apparence minimaliste, celle là qui voudrait

véhiculer de la neutralité. Cette « religion » de la neutralité formelle est sans nul

doute un illogisme visuel pour qui travaille sur l'image. Voici donc la parole française

d'un prêcheur du graphisme engagé sur le sujet :

« La neutralité n’existe pas, pas plus que la transparence des systèmes de signes. C’est

d’ailleurs aussi pourquoi les solutions de communication de masse sont le plus souvent

inadéquates et quelques peu fascinantes. En prétendant s’adresser à tous, elles s’adressent

de moins en moins à chacun. Simplifications et normalisations souriantes, elles agissent comme

un rouleau compresseur sur nos échanges possibles, imaginables ou rêvés [277]. »

Cette quête de la neutralité, comme l'esthétique d'une transparence factice, asphyxie

les possibilités d'un design ouvert à la diversité des points de vue et des réflexions

sociales. Avec la participation des internautes initiés ou curieux, le site Zen

Garden [278] de Molly Holzschlag tente tente une approche distincte. Dans un but à la

fois technique et pédagogique, le site vise à démontrer l'hétérogénéité formelle de ce

[275] Wikipédia, « CSS, Cascading Style Sheets », définition [En ligne] http://fr.wikipedia.org/wiki/Feuilles_de_style_en_cascade

[276] Wiki CMS, « CMS, Content Management System », définition [En ligne] http://wiki.cmsmadesimple.fr/wiki/Cms_(Definition)

[277] Ibid, Pierre Bernard, conférence, février 2015.

[278] CSS Zen Garden, site officiel [En ligne] http://www.csszengarden.com/tr/francais/

Page 99: Le Design du Partage

99

puissant langage en dévoilant ses capacités, communément restreintes. Ces modéli-

sations du CSS aspirent à l'exploration et à la réutilisation d'un langage peu exploité

dans sa vraisemblance. Le site Site Inspire quant à lui prouve, en montrant chaque

jour de nouveaux sites présentant une esthétique léchée, que la maîtrise du langage

web permet une certaine émancipation de la création en numérique, tout en consi-

dérant les contraintes techniques. Si les CMS ont tant de succès c'est aussi parce

qu'ils permettent un travail transversal et collectif. La structure d'un contenu

personnalisable (FAQ, documents, blog, forum, etc.), la hierarchérisation des

utilisateurs (administrateur, contributeur, anonyme, etc.) et parfois la gestion de

versionning facilitent largement l'organisation du travail en ligne. Donner du sens à

ces moyens techniques est cependant une autre question. Gratuits et faciles à prendre

en main, les systèmes de blog (Flickr, eBay, MySpace, Instagram, etc.) permettent

aux utilisateurs de produire chacun son propre site web, sa boutique en ligne ou de

diffuser textes, photos, et vidéos. Ainsi la simplication de la conception d'espace web

personnelle ou professionnelle ont dirigé les commanditaires à vouloir toujours plus de

contrôle sur le contenu (fond) et le contenant (forme). Le designer graphique doit ainsi

envisager son travail autrement, vers des responsabilités adaptées aux moyens mis à

disposition des internautes. Cette récente demande de contrôle des commanditaires

sur le produit fini est en partie le résultat d'escroqueries financières orchestrées par

quelques premières agences web. Avant les années 2000, la sur-facturation des moin-

dres modifications sur les sites mis en ligne ont contribué à la quête d'autonomie

du client.

[279] voir les offres de création de sites web pour 200 euros tout compris : base de données, gestion de forum, newsletter, blog, etc.

Web Rank Info, site officiel [En ligne] http://www.webrankinfo.com/annuaire/site-27002.htm

Page 100: Le Design du Partage

100

Du maquettage pré-défini

Des modèles (« mock-up ») aux maquettes (« templates ») personnalisables, ces

outils pré-fabriqués ne permettent pas l'appropriation du langage, ils se limitent à

quelques écritures possibles comme le résultat d'interfaces lissées et pratiques dans

un but pré-déterminé. À l'image de la creative suite d'Adobe, le designer est sollicité

pour des actions purement esthétiques [279] (jolies) qui n'ont pas beaucoup d'intérêt ni

de valeur tant d'un point de vue qualitatif (sens de la forme) que d'un point de vue

quantitatif (financier). Avec la suite « I Life [280] », le discours d’Apple nous éclairera

tout à fait à ce sujet. En proposant des milliers de « templates » pour faire des sites

web, des vidéos ou des DVD, l'entreprise permet aux utilisateurs de créer une inter-

face (pré-établie) en un clique. Bien qu'elle permette au plus grand nombre d'avoir un

espace personnalisé en ligne (extension de l'être), elle dénature complétement l'essence

même du langage numérique, délaissant les recherches créatives et pragmatiques

qu'elle sous-entend. Depuis une dizaine d'année, les grands succès du

web se sont entourés de firmes envahissantes dictant les principes des

pratiques en numérique telles que Google, YouTube, Amazon, Facebook,

Instagram, Twitter, Uber et Airbnb. Cette mise en relation nous per-

met d'affirmer que leur esthétique s'organise sur l'experience utili-

sateurs (UX). Ces interfaces adoptent donc un positionnement fonc-

tionnel de la forme, comme énoncé par le Bauhaus (fig19) il y a un

siècle et poursuivit par l'atelier de Muriel Cooper au MIT Media Lab :

[280] Apple, site officiel [En ligne] http://www.apple.com/fr/ilife/

[281] « If the Bauhaus workshops were an attempt to come to terms with the conditions of industrialized

production, then the Visible Language Workshop was an attempt to confront informationalized production. »

David Reinfurt, « This stands as a sketch for the future », Muriel Cooper and the Visible Language Workshop,

[En ligne] http://cavs.mit.edu/MEDIA/Thisstandsasasketchforthefuture.pdf, p. 6.

[282] Artiste, designer, enseignant et chercheur, John Maeda est d'abord un mathématicien de formation. Son travail visuel fut

d'abord encadré par Muriel Cooper au MIT, avant d'être former au Japon à l'University Institute of Art and Design.

Il aura marqué les premiers pas d'un design en numérique. Deux de ses anciens étudiants, Benjamin Fry et Casey Reas, ont notamment

conçu le très célèbre logiciel Processing ; un environnement de design interactif très prometteur, basé sur la plate-forme Java.

[283] Architecte de l'information numérique, pour en savoir plus voir « Lisa Strausfeld, Keynote », vidéo [En ligne] https://vimeo.com/20359257

fig19, couverture

« The Bauhaus »,

Muriel Cooper, 1969.

Page 101: Le Design du Partage

101

« Si les ateliers du Bauhaus étaient une tentative de prise en compte des conditions de la pro-

duction industrialisée, alors le Visible Language Workshop a été une tentative de confron-

tation à la production informationalisée [281]. »

C’est notamment à travers les productions de ses élèves que l’on perçoit l’importance

de son atelier d'avant garde, parmi eux : John Maeda [282], Lisa Strausfeld [283] ou

encore les créateurs de Processing. L'organisation, telle qu'elle fût pratiquée au MIT

sous la direction de Nicholas Negopronte, préconisait une collaboration intime entre

l'ingénieur et le designer. Celle-là qui est présentée comme un nouveau modèle

culturel, John Maeda, pionnier en la matière, l'expose ainsi :

« Admettre que la collaboration entre l'artiste et le technologue est le seul modèle de la

technologie artistique revient à faire reposer tout l'avenir de notre culture sur une pratique qui

grefferait métaphoriquement les yeux et le sens de l'artiste directement sur les mains et l'esprit

du technologue. J'ai du mal à défendre une approche qui reposerait uniquement sur les joies du

hasard [284]. »

Ainsi le designer serait l'acteur aux points de confluence numérique des arts et des

sciences, celui-là qui maîtriserait suffisamment la technique pour exprimer sa

sensibilité (morale, esthétique et psychologique). Là où l'ingénieur ne propose qu'une

esthétique par défaut, le designer développe de la nouveauté.

Google par défaut ?

L'esthétique par défaut est née sur Internet de la relation computationnel entre

l'homme et la machine. En informatique, « par défaut » est la valeur telle qu'elle est

définie au démarrage de l'exécution d'un programme. L'affichage de l'interface est

[284] John Maeda, « Maeda & Media, journal d'un explorateur numérique »,

éd. Thames et Hudson, Lexington, Massachusetts, p. iv, juillet 2010.

Page 102: Le Design du Partage

102

donc initialisé au démarrage par défaut. Issu du vieux français « défaute » (défaillir),

le terme signifierait « faillir dans » ou « manquer à ». Ainsi l'esthétique par défaut

s'apparenterait à un design « défaillant », soit qui manque de personnalisation. Si bien

que sur certaines de ces interfaces par défaut, l'esthétique pénalise l'utilisateur à

l'identification (lisibilité) des propriétés de l'outil (logiciel ou site web). Figées dans

une charte ergonomique, les applications Google présenteraient donc une surface

d'Internet voilant la profondeur de son arborescence.

Les interfaces par défaut laissent ainsi la machine se représenter d'elle-même

produisant des codes culturels directement liés techniques. Pourtant le Web est un

espace collectif, il génère des interactions entre l'homme et la machine, et ce sont ces

interactions sociales qui doivent intéresser le designer. Au delà des logiques

d'apparence commerciale, la situation par défaut néglige les compétences critiques

d'un design réconciliant la beauté et l'utile dans un contexte social. Le design est celui

qui permet de rendre lisible et intelligible par la nouveauté esthétique. Comme le

disait Oscar Wilde avec justesse : « [...] c’est la faculté de critiquer qui invente des

formes nouvelles [...] Une époque qui n’a pas de critique est une époque où l’art est

immobile [285]. »

Fonctionnelle et intuitive, l'application Google Maps nous

propose une navigation quasi en temps réelle sur une carte

du monde. Seule l'apparence minimum de l'API (interface

de programmation) est disponible, ainsi l'identité graphique

se limite à l'expression ergonomique de l'interface. Toutefois

notons que l'application Google maps est « customisable » à

condition de l'intégrer sur un site externe, les styles appliqués sur

l'interface sont donc modifiables à l'image d'une conception de site

séparant la forme et du fond (HTML/CSS). Ainsi de nouveaux services gratuits

[280] Apple, site officiel [En ligne] http://www.apple.com/fr/ilife/

[281] « If the Bauhaus workshops were an attempt to come to terms with the conditions of industrialized

production, then the Visible Language Workshop was an attempt to confront informationalized production. »

David Reinfurt, « This stands as a sketch for the future », Muriel Cooper and the Visible Language Workshop,

[En ligne] http://cavs.mit.edu/MEDIA/Thisstandsasasketchforthefuture.pdf, p. 6.

[282] Artiste, designer, enseignant et chercheur, John Maeda est d'abord un mathématicien de formation. Son travail visuel fut

d'abord encadré par Muriel Cooper au MIT, avant d'être former au Japon à l'University Institute of Art and Design.

Il aura marqué les premiers pas d'un design en numérique. Deux de ses anciens étudiants, Benjamin Fry et Casey Reas, ont notamment

conçu le très célèbre logiciel Processing ; un environnement de design interactif très prometteur, basé sur la plate-forme Java.

[283] Architecte de l'information numérique, pour en savoir plus voir « Lisa Strausfeld, Keynote », vidéo [En ligne] https://vimeo.com/20359257

[285] Oscar Wilde, « The Critic as Artist » [1890], éd. Collins, 1957.

fig20, capture « Snazzy

Maps », février 2015.

Page 103: Le Design du Partage

103

ont mis à disposition d'autres styles formels que le standard proposé par Google,

nous pensons ici à Snazzy Maps (fig20).

Face à ses anciens concurrents (moteurs de recherche complexes et évasifs),

cette nouvelle attitude esthétique standard fit le succès de l'entreprise Google.

Dépouillée à son maximum, les interfaces de Google restituent l’essentiel des conte-

nus sans perdre l’attention de l’utilisateur. Ainsi l'activité technique a suffit à

conceptualiser son identité. Courtisant ainsi l'utilisateur, elle est perçue comme la

représentation des applications gratuites aux technologies de pointe. Cette esthétique

de l'accès gratuit aux technologies s'oppose directement aux identités d’Apple, de

Microsoft ou d'Adobe qui, toujours plus sophistiquées et encadrées, proposent des

produits et des applications finies et payantes. Sur le modèle d'un ReadyMade

numérique, les applications Google se restreignent pourtant à la démonstration et

à la récupération de données (émis par l'internaute) plutôt que de générer une réelle

utilité des interactions, qui pourraient en créer de nouvelles à chacun et pour tous.

L'ergonomie de Google Maps reste intuitive à condition de se limiter à une balade

virtuelle ou à la recherche d'un lieu précis. Il est par conséquent presqu'impossible

d'interagir avec cette base d'informations en vue d'une personnalisation d'un lieu ou

d'un parcours. L'application ressemble davantage à un produit florissant pour les

ingénieurs qui détiennent les informations générées par les internautes qu'à un réel

outil d'utilité publique. Alors si Google maps se limite à la navigation sur une carte

du monde, ses interactivités semblent se limiter à la recherche (ou à la découverte)

d'un lieu. Ainsi l'offre de Google semble limiter l'accès à ses outils dits "publics" (car

gratuit) dans l'optique de pourvoir le marché des comportements utilisateurs. Si bien

que si leurs applications sont disponibles gratuitement, c'est que l'utilisateur, ou

plutôt, ses comportements sont examinés comme des « produits consommables ».

Comme le présentait déjà John Maeda dans son livre « Maeda & Media » en 2000,

les opportunités d'outillages en informatique sont si ambitieuses qu'elles s'intègrent

nécessairement dans une démarche conceptuelle :

[286] Ibid, John Maeda, p. iii.

Page 104: Le Design du Partage

104

« Les vrais formes numériques sont éphémères, elles n'existent pas au sens physique. Pour

réellement les apprécier, nous ne devons pas perdre de vue leur dimension invisible, afin de

pénétrer la conscience électrique de l'ordinateur et son caractère expansif. Si nous voulons

comprendre ses schémas de pensée multidimensionnels, il nous faudra explorer en profondeur la

nature même de l'informatique [...] Nous devons nous rendre à l'évidence : l'ordinateur est en

réalité une masse conceptuelle [286]. »

Cette démarche, vous l'avez compris, s'intégre ici dans un propos démocratique ; là où

l'utilité publique des nouvelles technologies détermineront la place et l'implication du

citoyen au sein d'une société numérique. De manière générale l'uniformisation des

conceptions de site web, par delà les domaines les plus divers (santé [287], jurisprudence[288], portfolio [289], éducation, commerce [290], etc.), exhibe un système d'expérience

utilisateur unique (menu horizontal, skroll vertical, etc.). Ces gabarits répétés à l'infini

nous présente un tendance au design prédéfini. Du site de vente de sous-vêtements à

la prévention du Sida, ces identités visuelles se limitent à la sélection d'éléments

animés, colorimétriques voir typographiques (grâce au CSS) parmi des maquettes pré-

établies de type Bootstrap [291]. Pour le reste, je vous laisse le plaisir de découvrir le

point de vue d'Etienne Mineur sur cette question :

« Au niveau ergonomie et navigation, on applique des règles toutes faites énoncées

par des pseudos gourous du web rassurant tout le monde. Et pour finir ce tableau

idyllique, les développeurs font du copier-coller de codes pré-existants (on peut les

comprendre) [292]. »

[287] France Psoriasis, « Points Psoriasis », site officiel [En ligne] http://www.points-psoriasis.fr/

[288] One Law, site officiel [En ligne] http://onelaw.fr/index.html

[289] Bootstrap, « Design my life », [En ligne] http://designmylife.co.in/quick-v1.3.1/demos/quick-dark/index.html

[290] « Etsy », site officiel [En ligne] https://www.etsy.com/

[291] « Get Bootstrap », site officiel [En ligne] http://getbootstrap.com/

[292] Etienne Mineur, « Peut-on encore être graphiste au pays des templates », blog My-OS, article [En ligne]

http://www.my-os.net/blog/index.php?2007/08/08/564-peut-on-etre-graphiste-au-pays-des-templates, août 2007.

Page 105: Le Design du Partage

105

In fine, le site est fonctionnel : les éléments s'affichent correctement selon les tâches

définies (au clique la vidéo se lance ou l'image s'affiche, etc.). En réalité, ces interfaces

ne présentent aucune réelle réflexion graphique digne d'un designer dont la profession

est, rappelons-le depuis le Bauhaus, l'objet du rapprochement entre l'art et l'industrie.

Et il semblerait que ces « prototypes techniques » réalisés par des UX designers

n'aient rien d'artistique. Certaines interfaces présentent en effet une architecture

d’information plutôt intuitive (ou guidant vers ce qui est jugé essentiel par l’éditeur

du site) mais délaisse parfois l’aspect artistique au profit d’un design purement UI

(User Interface, orienté utilisateur). Les internautes, eux aussi, n'y verront bientôt

plus qu'une uniformisation, biensûr plus fonctionnelle que les sites des générations

antérieures, mais qui leur suffiront à admettre la suffisance du web dans cet état.

c - Design social, design actif.

Si les ouvriers de l'image (maquettistes) aux langages marketing et publicitaire se

sont multipliés, il existe plusieurs formes de graphisme en opposition à ce langage.

Nécessairement engagé, nous y retrouvons la grande famille du graphisme culturel

telle que les organisations : Formes Vives, l'Atelier de Création Graphique, Vincent

Perrottet, Ruedi Baur, Ne rougissez pas, etc. Ajuste titre, leur méconnaissance des

outils numériques participe à leur positionnement, ils privilégient donc des médias

imprimés qui ont aussi leur importance sociale (signalétiques, éditions, affiches, etc).

Confortée par la maîtrise traditionnelle du résultat fini (choix typographiques,

matériels, formats, couleurs, etc), ils refusent de perdre le contrôle de leurs produc-

tions aux titres de l'exporation technique. Alors si Pierre Bernard a des difficultés à

nous proposer des solutions nouvelles et subversives, comme il en a eu le plaisir quasi

tout au long de sa carrière, c'est sûrement parce qu'il omet un champ de production

qui ne lui est pas familier [293].

[293] Pierre Bernard, conférence, [En ligne] http://www.campusfonderiedelimage.org/agenda/conference-de-pierre-bernard,

La Fonderie de l'Image, Bagnolet, février 2015.

Page 106: Le Design du Partage

106

L'exploration autonome et l'expérimentation collaborative en numérique semblent

pourtant des solutions adaptées contre une linéarité graphique. Sous la forme d'un

« hacking design », nous retrouvons là une nouvelle liberté d'action créative. Sa

flexibilité et son ouverture vers l'indéfini autorisent la prise de risque celle-là qui

d'aileurs oriente vers la nouveauté. Et à ce titre, nous ne résisterons pas à citer une

avant-dernière référence de R.U.Sirius, réconnu pour ses écrits cyberculturels :

« C’est important d’acquérir une connaissance sophistiquée de ces outils. Il n’est pas possible de

simplement tourner le dos et ignorer, il faut apprendre à utiliser le cyberspace, cet espace où

nous sommes. Et si nous sommes concernés par la politique et les considérations sociales qui

régissent ce monde, il faut agir au mieux dans cet espace. C’est notre territoire, celui que nous

devons assumer et dont nous devons préserver la liberté [294]. »

Alors investir son temps dans la découverte d'un langage numérique me paraît un

moindre effort pour garder nos droits à la liberté d'expression, et d'action d'autre

part. Effectivement le designer graphique pourrait perdre le contrôle définitif sur la

formalisation des choses, mais il gagnera en puissance par la recherche, la

collaboration et la découverte de nouveau processus. Le studio de création Moniker,

dont fait désormais partie Jonathan Puckley, illustrent ce propos avec justesse.

Le processus mis en place dans leur installation Your line or mine [295]

consiste à mettre en place un système participatif simple où chaque

visiteur peut se prendre au jeu. Plusieurs piles de feuilles A4 colo-

rées et pré-imprimées sont mis à disposition (fig21). Sur chacune

d'entres elles il y a de courtes instructions, tel que relier des points

sur la feuille et scanner le résultat à l'aide d'un photocopieur au

centre de l'installation. Le fichier numérique est immédiatement

projeter à l'écran parmi les autres fichiers. Ainsi l'assemblage de ces dessins singuliers

en une animation créée une unité cohérente. Chaque dessin est valorisé par l'épaisseur,

[294] Ibid, Etienne Mineur, « Peut-on encore être graphiste au pays des templates »

[295] Moniker, « Your line or mine », site officiel [En ligne] http://yourlineormine.com/

[296] « With our projects, we explore the social effects of technology, how we use technology and how it influences our daily lives.

Often, we ask the public to take part in the development of our projects. The resulting projects expand and grow like plants,

displaying their inner organisational process. », Moniker, « About our studio », site officel [En ligne] http://studiomoniker.com/

fig21, capture « Your line or

mine », Moniker, février 2015.

Page 107: Le Design du Partage

107

la rigueur ou les formes graphiques choisi par le dessinateur. Au coeur de la démarche,

le designer a préparé un processus de travail participatif avec un ensemble de règles

déterminant approximativement le résultat final, voici leur approche globale :

« Dans nos projets, nous explorons les effets sociaux de la technologie, comment utilisons-nous

la technologie et comment influence t'elle nos vies au quotidien. Souvent, nous demandons au

public de participer au développement de nos projets. Les projets s'améliorent et grandissent

comme des plantes, affichant ainsi leur processus organisationnel intérieur [296]. »

Ainsi le designer graphique n'est plus nécessairement auteur de ces créations mais le

metteur en scène d'idées, de processus de création. Il s'enrichit de ce que la

collaboration et la particiaption peut lui apporter de nouveau en développant des

outils à manipuler (interface, site web, application, etc). Le designer graphique devra

de plus en plus s'affranchir de l'image finie et figée afin de mieux considérer leur usage

par le(s) récepteur(s) (souris, stylet, écran tactile, etc). Ainsi il produira des systèmes

d'informations volontairement participatifs afin d'initier le récepteur à des interactions

nouvelles. L'image numérique est désormais manipulée et manipulable, ces premières

interactions réconcilient donc le design graphique au design d'espace ou d'objet. Ce

rapprochement logique entre les disciplines créatives pourrait se présenter comme un

graphisme en numérique où se profilerait des designers d'environnement intéractif et

des architectes de l'information. L'aspect [297] technique et l'ergonomie sont désormais

au coeur des problèmatiques du design graphique il faudra donc s’impliquer

techniquement afin de mieux appréhender les capacités de ces nouveaux moyens pour

une réelle diversité dans la création. L'interactivité, comme nouvelle situation sociale,

nous engage à quelques questions préalables essentielles : que faisons-nous de

l'interactivité numérique, pourquoi et comment ? L'influence des technologies

numériques sur la création graphique a débuté dans les années 1980, pour beaucoup

[297] Le design c'est trouver des formes évidentes à des fonctions : pas dans l'apparence, mais dans la logique de l'aspect.

Pierre-Damien Huyghes, « Etapes : 215 », éd. Pyramyd, p. 30, octobre 2013.

[298] Processing est un environnement de développement dans le prolongement logique de l'apprentissage de « Design by numbers »

développé par John Maeda au MIT MediaLab.

[299] Circuit imprimé en matériel libre, initialement destiné (principalement mais pas exclusivement) à la programmation

multimédia interactive pour l'animatio. Son interface de programmation est d'ailleurs issu de Processing.

Page 108: Le Design du Partage

108

utilisées dans un cadre pré-déterminé, les technologies numériques sont devenues des

outils ordinaires. Les capacités de ce langage technique sont toujours à l'étude, elles

favorisent d'ailleurs des pratiques non-conventionnelles, nourries par un dialogue

fertile entre les arts et les sciences comme jamais auparavant. Les intitiatives telles

que GitHub, Processing [298] ou Arduino [299] ont développé de véritables réseaux de

collaboration entre ingénieurs et designers ; leur espace d'action s'intitule « culture

libre », celle qui promeut le travail collectif et l'intéropérabilité, du code aux

disciplines.

Page 109: Le Design du Partage

109

fig3, « Use and modify », sélection typographique

par Raphaël Bastide

fig4, « Johnston », Edward

Johnston, abécédaire.

fig5, « Gill sans », Eric Gill,

abécédaire.

fig7, capture « Explore »,

GitHub, février 2015.

fig9, capture « Visual Culture », projet

Kiss Kiss Bank Bank, février 2015.

3 - Figures

fig8, capture « Visual culture »,

projet OSP, GitHub, février 2015.

Page 110: Le Design du Partage

110

fig1 et fig2, Lisa Strausfeld, étudiante

à Visible Language Workshop,

« Points de vue financiers »

(Financial viewpoints), visualisation

continue des données de la bourse,

navigation possible pour l’utilisateur,

1995.

fig10, captation de l’interface d'une

Adobe, Anthony Masure, « Adobe, le

créatif au pouvoir », Strabic, juillet 2011.

fig6, Anthony Masure

tweet du 26 août 2013.

fig11, « Langue vernaculaire des formats

de fichier », Rosa Menkman, octobre 2011.

fig12, logo « Laptop »,

terrain de jeu pour freelance,

site officiel.

Page 111: Le Design du Partage

111

fig20, capture « Snazzy Maps »,

février 2015.

fig19, couverture

« The Bauhaus »,

Muriel Cooper, 1969.

fig16, captation de vidéo, plan de l'école Dessau

« Le Bauhaus de Dessau1 », Daily Motion

fig13, capture blogspot

« Rosa Menkman »,

février 2015..

fig11, couverture « A programming

handbook for visual designers »,

Carey Reas et Ben Fry, éd. MIT Press,

décembre 2014.

Page 112: Le Design du Partage

112

fig21, capture « Your line or mine », Moniker,

février 2015.

fig17, capture « Duckduckgo », moteur de recherche,

février 2015.

fig15, capture « OLA », Outils libres

et alternatifs, février 2014.

fig18, capture du site « The quick brown »,

formalisation des flux sur un titre d'article de

Fox News, janvier 2010.

Page 113: Le Design du Partage

113

IV – Conclusion

L'utilité publique de l'outil Internet

Internet, cet espace gargantuesque où réside la richesse des interactions du monde

pourrait devenir à terme un véritable outil d'utilité publique, émancipant les capacités

de chacun pour le bien de tous. Après l’arrivée de l’ordinateur personnel dans les

années 1980, la naissance d'un Web collaboratif et interactif (espace-temps) a

complexifié la technologie tout en la rendant abordable par la simplication des usages.

Les internautes sont devenus apte à contribuer et à interagir (c'est à dire à partager et

à échanger) avec l'information aussi bien dans leur aspect que dans leur contenu.

L'utilisateur est devenu un acteur du numérique, à l'image d'un individu actif dans

une société. Le Web et Internet sont des modèles d'échanges nouveaux, comparable à

aucun autre. En favorisant la connexion des savoirs par le monde, ils sont des moyens

favorables à la mise place d'une réelle société démocratique. Nous pensons que ce

changement, s'il doit s'opérer, se fera par l'utilisateur lui-même, conscient de sa

contribution sociale en numérique. Et cette prise de conscience, qui amenerait à un

environnement plus juste, peut s'effectuer grâce à un design dit "fonctionnel". Ainsi

de manière à rendre visible ce qui est équitable et juste en numérique, la forme

poursuivrait l'essence de l'information.

Les rouages du capitalisme tendent à défavoriser la visibilité de ces contenus en pré-

déterminant ce sur quoi nous aurons un intérêt financier, est-ce vraiment le but final

d'une démocratie ? Au XXe siècle, les structures et processus industriels de l’après-

guerre ont graduellement occulté l’ingéniosité humaine au profit d’un système

d’innovation visant à industrialiser le processus de création. La mise en place

Page 114: Le Design du Partage

114

de marchés innovants et productifs, avant d’être qualitatifs ou inventifs, ont contribué

au déclin de l’ingéniosité humaine. Notre précieuse « démos kratos » est avant tout

régie par un bien marchand inégalitaire, le pouvoir du peuple ne peut plus s'exprimer

que par du capital qui s'acquiert (compétition). L'interaction de ses acteurs est donc

réduit à une valeur quantitative (soit financière), là où elle devrait être qualitative

(soit partagée). Au contraire d'une chaîne de valeur pyramidale, nous avons découvert

une économie « horizontale » portée par des ingénieurs et théoriciens partisans du

pair-à-pair. Ces théoriciens dénoncent une prolétarisation généralisée et l’abrutis-

sement social par la propagande publicitaire, enfermant l'individu dans un périmètre

d'actions pré-définies. À l'ouvrage, ce nouveau prototype économique modèlise un

schéma du travail contributif basé sur la connaissance. Elle sous-entend des échanges

transversaux ouverts et gratuits à l'image des prouesses techniques d'Internet.

Une société de la connaissance comme un environnement de recherche mutualisé

(ouvert et collaboratif) permettrait la mise en place d'une économie démocratique,

juste et équitable. Proche des valeurs défendus par la culture libre, la co-création

serait la source des révolutions en marche depuis mai 1968.

Au sein des recherches militaro-industrielles du XXe siècle naîtront aux États-Unis le

concept d’un travail transversale et contributif, celui-là qui se dissipera en deux

concepts adverses : le copyleft et le copyright. La guerre des libertés individuelles et

collectives débutent dès lors. La réduction d’un code source à l’exclusivité marchande

est considérée comme contre-productive. Ainsi, le libre est défendue comme une valeur

essentielle à l'avènement de la micro-informatique. Tel qu’il devrait profiter à tout le

monde, le libre échange de savoirs s'est rapidement étendu dans les strates sociales

d'Internet si bien que la naissance de Wikipédia officialisera l'efficacité d'une libre

circulation du savoir. L'information est devenue la nouvelle richesse, celle-là qui

laisse entrevoir une mutualisation de la connaissance.

Page 115: Le Design du Partage

115

L’espace technique et théorique dans lequel une telle société s'envisage n'est pas sans

se confronter au conservatisme des pouvoirs en place. D’abord parce qu’Internet a

contribué à l’essor d’une pensée libriste défendue par les hippies en proie au justice

sociale, ensuite parce qu’il remet en cause le pouvoir vertical des élites gouver-

nementales et entrepreunariales. Alors quand WikiLeaks publie la carte de la trans-

parence gouvernementale, le peuple découvre l'injustice et l'instabilité de son cadre

politique. Dépourvus de solutions globales pour régir les droits des internautes, les

gouvernements se comportent en inadéquation avec la culture numérique puisque

elle nécessite de jouer carte sur table. Agora moderne, défendue pour le rester, le Web

est le seul espace public commun de libre expression. Ainsi Internet révolutionne nos

rapports au savoir et à l'apprentissage. Du MOOC à l'Opengouvernment, il n'y a que

quelques pas pour contribuer à une société solidaire qui remet la créativité au coeur

de l’accomplissement personnel et des échanges sociaux. Défendre une société qui a

conscience de sa collectivité, c'est privilégier des échanges co-créatifs, libres et

altruistes.

Née au XXe siècle pendant l'entre-deux guerre, l'industrie a favorisé la tendance au

production de masse. Visant à réconcilier l’art et l'artisanat, la rationnalisation des

objets sera une réponse à la surcharge décorative opérée par le mouvement des Arts

and Crafts. Révélant la fonction dans la forme, l’art élitiste du XIXe siècle est mis

dans l'ombre au profit d'une « beauté utile », le design. Ce premier pas fondam-

mentale contribuera à la prise de conscience généralisée d'une nécessaire lisibilité

(transparence) du monde et de ses nombreuses informations, celle-là même défendue

pour une libre circulation du savoir. Développé au début du XXe siècle par l'école du

Bauhaus, le « design fonctionnaliste » a contribué à l'essor d'une lisibilité des formes

au service de la fonction d'un chose. La logique de l'aspect, comme signifiant d'une

fonction, a pour avantage de révèler la justesse des choses là où l'esthétique de

Page 116: Le Design du Partage

116

l'apparence ne fait que tromper par l'épure et la réduction des formes. L'avénement de

l'informatique au milieu du XXe siècle a bouleversé le champ des pratiques du design,

à l'image de l'artisanat et de l'industrie il y a un siècle. Aujourd'hui la révolution a

changé de visage, elle est devenue numérique. Ainsi le designer serait l'acteur aux

points de confluence numérique des arts et des sciences, celui-là qui maîtriserait

suffisamment la technique pour exprimer sa sensibilité. Là où l'ingénieur ne propose

qu'une esthétique par défaut, le designer développe de la nouveauté là où l'environ-

nement technique lui en donne la liberté. Plus qu'avant, ses environnements artificiels

nous détermiment en tant qu'individu social. L'interactivité numérique fait partie

intégrante de nos vies et la mutation des marchés financiers ne cesse de s'immiscer

dans cet espace de liberté. Acteurs de l'image collective, les graphistes y ont un rôle

déterminant quant à la lisibilité d'un espace d'informations surabondantes, celle-là

qui manque à la culture libre.

L'influence des technologies numériques sur la création graphique a débuté dans les

années 1980. Pour beaucoup utilisées dans un cadre pré-déterminé, les technologies

numériques sont devenues des outils ordinaires. Les capacités de ce langage technique

sont toujours à l'étude, elles favorisent d'ailleurs des pratiques non-conventionnelles

nourries par un dialogue fertile entre les arts et les sciences comme jamais auparavant.

Les intitiatives de GitHub et Processing ont développé de véritables réseaux de

collaboration complémentaires entre ingénieurs et designers. Là où l'ingénieur ne

décrit les choses que par le langage qui lui a permi de les découvrir, le designer a

cette capacité à décrire les choses dans un langage compris par tous. Une passerelle

s'est donc installée pour un travail interopérable et co-créatif. L'aspect technique et

l'ergonomie sont maintenant au coeur des problèmatiques du designer graphique qui

devra constituer l'interactivité comme une épreuve sociale des possibles.

Page 117: Le Design du Partage

117

Après l’accès généralisé à Internet au début des années 1990, la naissance d'un Web

collaboratif et la démocratisation des outils de programmation au début des années

2000 ont constitué une pratique du design plus proche des problématiques

scientifiques. Les commandes assujetis aux designers ne sont plus les mêmes qu'au

début de l'ère numérique, et ressemblent de plus en plus à une conception d'outils

fonctionnels (sites adaptatifs et modifiables) qu'à des objets finis. Désormais le client

souhaite avoir la main sur le contenu et son organisation. Le designer graphique doit

donc se prémunir d'une pensée en système de navigation plus qu'à une version

définitive de ses créations. Le designer endosse alors le rôle d'indicateur en érigeant un

système de programmation vers un ensemble de fonctions graphiques. Il perd la main

sur la finalité de son travail mais conçoit avec ces imprévus en prenant des risques afin

de développer de nouvelles formes d'interaction. Avec les nouveaux sites Web et

applications interactives, le designer perd peu à peu son contrôle sur la forme finale

de sa création, mais transforme cette incertitude en capacité. Voilà donc les concepts

d'un hacking design assujetti à l'exploration et à la recherche de système interactif.

Entre architecte de l'information et designer de l'interaction, c'est de la plus naturelle

des façons que le designer s'empliera des problémes de programmation pour ses

créations. Contrairement à la Hollande, ce chemin des possibles est encore très peu

pratiqué en France. L'éducation des écoles se restreigne à l'usage d'outil propriétaire,

là où il pourrait ouvrir à des pratiques nouvelles et transversales aussi et surtout

disponibles gratuitement. Il privilègie le confort de l'usage et la logique d'un marché

créatif figé. Toutefois la culture du libre s'enrichit des interactions des contributeurs,

par ici nous entendons le besoin d'une contribution large et régulière pour l'amé-

lioration des outils libres. À noter que la plupart des projets libres (développés par des

ingénieurs) sont caractérisés d'un design par défaut, ainsi il n'y a pas d'encouragement

formelle là où l'internaute l'attend. Alors si le projet Visual Culture est tombé dans

l'oubli c'est qu'il a manqué de design ; une erreur qui ne pardonne pas quand on

Page 118: Le Design du Partage

118

s'adresse à des designers, qui plus est pour améliorer leur pratique aussi légitime soit

elle. Quelques autres designers français s'atèlent à une telle promotion des pratiques

collaboratives aux outils libres tel que nous avons remarqué Raphaël Bastide, mais

aussi Sarah Garçin, Elliot Lepers et plusieurs étudiants Louise Druhle, Xavier Klein,

Carine Bigot, Etienne Ozeray, Antoine Gelgon, etc. Ainsi les pratiques d'un design

libre débute en France, reste à dessiner ce que nous appelons un design du partage,

celui-là qui fait défaut à la culture libre en général et qui a fortiori mériterait d'être

privilégié à un design commercial.

Page 119: Le Design du Partage

119

V – Annexes

Figures

« Langue vernaculaire des formats de fichier »,

installation, Rosa Menkman, Italie, octobre 2011.

Page 120: Le Design du Partage

120

s'adresse à des designers, qui plus est pour améliorer leur pratique aussi légitime soit

elle. Quelques autres designers français s'atèlent à une telle promotion des pratiques

collaboratives aux outils libres tel que nous avons remarqué Raphaël Bastide, mais

aussi Sarah Garçin, Elliot Lepers et plusieurs étudiants Louise Druhle, Xavier Klein,

Carine Bigot, Etienne Ozeray, Antoine Gelgon, etc. Ainsi les pratiques d'un design

libre débute en France, reste à dessiner ce que nous appelons un design du partage,

celui-là qui fait défaut à la culture libre en général et qui a fortiori mériterait d'être

privilégié à un design commercial.

« licences Creative Commons »,

codification des droits d'auteur, [En ligne]

http://creativecommons.fr/licences/les-6-licences/

Page 121: Le Design du Partage

121

« Balsamine »,

OSP, affiche et programme

culturel, Belgique, 2013.

Page 122: Le Design du Partage

122

« Golden Type », double page du Chaucer, William

Morris, Kelmscott, 1896.

« Akzidenz-Grotesk »,

Günter Gerhard Lange et al.,

H. Berthold AG, 1898.

« Modulator »,

modulateur typographique, capture Metaflop.

« Low Res »,

Zuzana Licko, co-fondatrice de la revue Emigre, création

de caractères pour écran entre 1985 et 2001.

Page 123: Le Design du Partage

123

Entretien avec Pauline Thomas

Pauline Thomas est la fondatrice de l’espace de co-working et de l'agence

Laptop à Paris, depuis février 2012. Nous nous sommes rencontrées en

janvier 2015.

1 - Laptop, espace de co-working

FB : Pouvez-vous nous présenter le fonctionnement du Laptop en tant qu’espace

de co-working ?

PT : L’idée de créer un espace de co-working est venu de manière tout à fait naturelle.

Freelance, j’ai eu besoin de trouver un espace de travail stimulant et dans l’idéal hors

de ma sphère privée. Là m’est venue l’idée de concevoir un espace de travail mutua-

lisé. Cette mutualisation de l’espace permettait d’apprendre plus vite et mieux, dans

un climat de travail harmonieux. Aujourd’hui, nous sommes près de 14 résidents en

open-space, il y a 5 places consacrées aux travailleurs de passage, et environ une di-

zaine de places pour accueillir des ateliers. La conception du Laptop s’est donc basée

sur ce double schéma nomade et sédentaire à la fois. Il n’y a pas d’obligations, chacun

peut poser ainsi ses affaires, venir et partir selon ses besoins.

FB : « Je ne suis jamais entré dans un bureau sans me demander comment m’en

échapper. » Je cite Jacques Sternberg depuis votre site en ligne. L’image est forte !

Que viennent chercher les professionnels au Laptop ? Sûrement y a t-il un lien avec le

Terrain de jeu pour freelance dont vous faites référence sur votre logo ?

PT : Un climat de confiance et d’aisance s’est installé avec le temps, et nous avons

réussi à créer en quelques sorte une communauté où les gens se sentent bien et ont

envie de travailler ensemble. Chacun apporte sa grille de compétences et enrichit les

projets de manière naturelle. Peut-être parce que nous sommes un open-space pas

trop grand, les gens se respectent d’eux-mêmes et travaillent chaleureusement. C’est

exactement ce que je cherchais ! Plus jeune, j’étais extrêmement malheureuse au

Page 124: Le Design du Partage

124

boulot, alors que j’adore travailler ! Je pense qu’on ne devrait pas vivre toute notre

vie sous le calvaire d’un job, l’enfer ! Aujourd’hui, je vais travailler et je suis heureuse

d’y aller. Plusieurs paramètres ont été rassemblés pour que cela fonctionne : un

endroit sympa, des gens studieux et intéressants. On se sent bien et on est productif.

FB : Au Laptop, les professionnels ne sont pas seulement des designers graphiques. Se

croisent ici des auteurs-écrivains, des dessinateurs, des experts du digital. Comment

communiquent tous ces acteurs de la création ? Sont-ils plus souvent des freelances ou

des start-ups ?

PT : Naturellement, les compétences se croisent puisque les profils sont variés, et

complémentaires. Ce sont les affinités qui finaliseront la constitution d’équipes de

travail. Nous ne sommes que des indépendants et formont lors de projets des équipes

qui pourraient définir une sorte d’agence. Les start-ups nous consultent essentiel-

lement pour du conseil. À partir de leurs idées, nous les aidons à construire un projet

viable sur le marché. Au travers de systèmes méthodologiques, nous problématisons

leur projet afin de satisfaire au mieux les publics ciblés.

2 - L'agence à géométrie variable, Laptop

FB : Comment vous est venue l’idée d’y associer une agence à géométrie variable ?

PT : Quand les gens arrivent au Laptop c’est mon rôle de stimuler les rencontres.

Tout d’abord pour faire en sorte que tout le monde rencontre tout le monde, et

ensuite pour nous permettre de travailler ensemble. Nous parlons de nos projets en

free et avec l’agence ce qui permet de nous rapprocher en équipes de travail variables

selon l’année, tout comme les projets, les envies et les besoins de chacun. Pour nous,

il est devenu essentiel de médiatiser le travail de chacun.

Ensuite il y a l’expertise. Bien que ce soit surtout les personnalités qui importent,

certains sont débutants dans un domaine. Et si le courant passe avec les autres rési-

dants nous essayerons de les faire évoluer ensemble ; quitte à tenter, à « risquer »

de les lancer sur un projet. J’ai plusieurs fois pris ce risque et c’est valait le coup !

Page 125: Le Design du Partage

125

C’est un pari qui aboutit souvent à un projet enrichi par la combinaison des uns et

des autres. Et quand un client paye il veut quelque chose de sûr, et il attend souvent

une réponse très formaté. L’idée est donc de ne pas promettre quelque chose mais de

le construire ensemble, d’abord dans l’équipe et ensuite avec le client. On gère donc

nos projets par itération en partant d’un cœur de projet simple, on développe un

processus avec plusieurs étapes de remises en question. Sinon j’ai un peu de mal avec

le mot « agence » mais c’est vrai que l’on peut le nommer ainsi ! En fait, c’est une

équipe à géométrie variable. Je ne pense pas que tout le monde soit bon pour tous les

projets, et c’est normal. On préfère donc ne pas fixer de rôle à l’avance, tout dépend

du projet !

Ici, il y a un lieu de travail et un lieu de vie commune où les opportunités s’agencent

et se structurent. Il y a des vrais projets sur le papier avec un planning. Nous avons

les mêmes acteurs qu’une agence classique mais sous une trame différente. Chaque

acteur qui travaille sur un projet est un expert, une personne jugée la plus apte à

répondre à une tâche. Nous préférons utiliser une ressource qui coûte plus cher et dont

c’est le métier que de surcharger par exemple un stagiaire qui n’est pas forcément

expert en la matière, afin de rendre la réponse cohérente et à la hauteur du résultat

attendu. Avant, j’avais tendance à donner du boulot à mes amis. Effectivement ils

pouvaient faire techniquement le job, mais je me suis rapidement demandé s’ils étaient

vraiment les mieux placés. C’est un système qui n’a pas duré longtemps. Mon rôle a

ensuite été de rechercher du monde (au Laptop et ailleurs) et de les mettre en relation

autour de projets.

Le Laptop, c’est aussi la composition d’équipes en vue de répondre aux attentes des

clients (entreprises, agences, etc.) qui recherchent des talents. Dans ces cas là, nous

ressemblons à un recruteur de conseil spécialisé. Les compétences sont au cœur de la

recherche ce ne sont donc pas nécessairement des résidents du Laptop qui sont choisis.

Cette initiative nous permet de faire le pont entre l’agence, l’espace de co-working et

les acteurs extérieurs susceptibles de s’intéresser à notre organisation. Les nouvelles

Page 126: Le Design du Partage

126

personnalités choisis pour ces équipes découvrent en même temps l’espace du Laptop

(si ce n’est pas déjà le cas) et souvent, ils se rendent compte qu’ils ont tout intérêt à

revenir pour favoriser les échanges et créer des opportunités.

FB : Sur le site du Laptop, j’y ai trouvé quelque chose qui ressemble à une devise :

« Pas de contrainte, ni obligations, juste le soin d’apporter une expérience de travail

heureuse et productive. » En est-elle ?

PT : Effectivement il faut arrêter de penser que le travail est contraignant et

désagréable. C’est l’environnement de travail qui l’est le plus souvent. Au Laptop,

c’est justement tout l’opposé. Le cadre est ouvert, je le vois comme un terrain de jeu

où il y a des règles qui permettent l’amusement. Il n’y a pas vraiment de perdant,

même si tout le monde ne peut pas forcément jouer en même temps sur les projets.

Mon expérience du voyage m’a aussi beaucoup apporté dans cette approche. J’aime

visiter et découvrir des lieux de co-working qui me semblent intéressants, et qui

tendent à partager le même modèle que celui que l’on développe. En leur présentant

celui que nous avons à Paris, je les rencontre en leur proposant d’organiser des

expositions ensemble afin de créer des échanges entre les résidents sous la forme de

partenariat. Les événements qui marchent peuvent ainsi se dérouler au Laptop, mais

également à Tokyo ou à Londres.

C’est la diversité des cultures qui m’intéressent ici. Celles qui adoptent un esprit

d’enrichissement mutuel. C’est important pour moi que Le Laptop ne soit pas

seulement franco-français, j’essaye donc de l’enrichir par l’échange avec d’autres

espaces à l’étranger.

3 - Activités professionnelles, logiciels et culture libre

FB : Le climat de travail dans lequel vous êtes semble vous rapprocher de la culture

libre. Qu’en pensez-vous ? Vous est-elle familière ?

PT : Le libre est pour moi une notion assez abstraite. Les initiatives libres qui

marchent sont sans arrêts « reprises » et détourner ; l’origine de la démarche s’en

Page 127: Le Design du Partage

127

retrouve noyée par toutes les autres qui ne cherche plus à travailler ensemble. Le

Laptop, par exemple, était l’un des premiers espaces dédiés au co-working à Paris en

2012. Depuis qu’il est né, il a vu se multiplier les espaces de « co-working » que l’on

voit un peu partout maintenant. Cette nouvelle tendance n’a pas du tout favorisé les

échanges entre les acteurs, c’est simplement devenu un nouveau marché. Au départ

nous répondions à un besoin (non pas à une tendance), nous nous sommes sentis un

peu dépossédés avec tous ces nouveaux espaces. On ne savait pas ce qu’on allait

devenir. Doit-on craindre ces systèmes ouverts qui absorbent tout le monde ? Est-ce

qu’on doit davantage développer la spécificité du Laptop ? Ici, on essaie de créer une

« alliance » pour tenter d’établir des règles communes afin ne pas se marcher dessus,

une sorte de guide pour un travail harmonieux.

FB : En parallèle de ces activités, vous travaillez actuellement dans une entreprise,

Adobe à ce qu’on m’a précisé. Comment arrivez-vous à concilier autant d’activités en

même temps ? C’est un réel challenge.

PT : En effet je bosse en parallèle pour Adobe sous la forme de télé-travail, d’ailleurs

j’ai une audio-conférence avec eux juste après ! C’est une méthode plutôt efficace, cela

me permet entre autre de gérer le Laptop sur place bien que depuis début 2015 je sois

assistée par une personne. Elle m’aide à faire ce que je fais mal ! C’est un réel

investissement, même un challenge qui me fait gagner beaucoup de temps. J’ai dû

développer des moyens pour aménager mon emploi du temps en fonction des

formations et des événements du Laptop. Tout a été très rapide ces trois dernières

années, il a fallu être très rigoureux pour que le fonctionnement se pérennise. Thomas

me soutient donc au quotidien en gérant les facturations, les arrivées et sorties des

résidents, etc. C’est l’organisation des événements (apéros, expos) et des formations

qui occupent le plus de temps. Les projets quant à eux arrivent assez naturellement,

et maintenant la communauté de « travailleurs » évolue par la simple interaction des

résidants, par elle-même.

Page 128: Le Design du Partage

128

FB : A terme, quels sont vos objectifs pour le laptop ?

PT : Au Laptop, chacun attend de moi que j’agrège les uns et les autres pour faire

avancer le grand projet Laptop. Nous nous efforçons d’avancer dans une même

direction et ça nécessite un temps assez incroyable. Pour le moment je le paye ce

temps. La prochaine étape sera de développer ce projet « d’agence à géométrie

variable » en m’y consacrant à 100% !

J’aimerais faciliter l’accès à la communauté en intégrant toujours plus de personnalités

nouvelles pour que le Laptop devienne un lieu de vie encore plus agréable avec des

ateliers plus réguliers. Nous avons réalisé récemment des travaux dans la salle d’atelier

où nous sommes, et la refonte de notre site est aussi un nouveau point de départ pour

améliorer cette visibilité. Et un jour j’aimerais pouvoir dire aux clients à l’image de

Jacques Sternberg : « vous ne travaillerez plus jamais comme avant ».

Notre démarche s’appuie beaucoup sur le conseil, nous nous intégrerons tout

doucement dans le processus du client afin de mieux les accompagner dans le

développement de leur projet, et parfois nous nous frayons des chemins communs vers

d’autres projets. Pour moi, l’objectif est aussi d’essayer d’aider toutes ces grosses

organisations bloquées qui n’arrivent plus à avancer. Lorsque je donne des formations

d’UX design, j’essaie de faciliter le travail en équipe, en collaboration transversale afin

de résoudre le vrai problème.

Page 129: Le Design du Partage

129

Retranscription d'entretion avec Ne Rougissez pas

Le collectif Ne rougissez pas! se présente comme une cellule de création chimérique

formée par divers profils : graphiste, illustrateur, architecte, régisseur et photographe.

Léa Bernard a interrogé le collectif, en voici ma retranscription.

NRP : Nous sommes un atelier collectif de création, composé de quatre cellules

fondatrices ayant chacune une spécificité dans l’expression visuelle. Nous allons sur

des terrains d’expérimentations assez larges et envisageons les commandes sous des

points de vues différents. Ainsi nous pouvons réfléchir à des approches graphiques

sous l’apport de la mise en espace ou de l’image animée.

Notre méthode de travail est simple, nous fonctionnons par deux biais : la création

pure et la réponse aux commandes. Pour le premier, quelqu’un vient avec une idée,

une envie et les autres rebondissent dessus, ça avance cahin-caha, en essayant de

trouver une date de sortie afin de pas être dans l’expérimentation permanente mais de

pouvoir faire un produit fini. En même temps nous recherchons les possibilités de

valoriser ce qui est produit.

L’organisation d’ateliers est située au coeur de notre démarche. Nous pensons que

l’éducation populaire se doit d’être présente autant que faire se peut. Il y a toujours

quelque chose à apprendre de l’autre. Nous arrivons avec un dispositif afin de faire

démarrer le jeu, mais nous ne voulons pas penser au résultat final. Ce que le public va

amener va faire évoluer ce dispositif, et la conclusion en découlera.

Pour plateau d’été, l’envie d’interroger la (future) place publique au milieu d’un

chantier nous est venue dans cette idée de passé-présent-futur. Nous avons voulu ainsi

intégrer deux éléments (sérigraphie et presse typographique) permettant de redonner

une possibilité à l’expression citoyenne. La sérigraphie, outil permettant de faire de la

multiplicité à bon marché, est un procédé spectaculaire et permet de redonner sens

car il est compréhensible par les visiteurs.

Page 130: Le Design du Partage

130

Nous cherchons à sensibiliser les visiteurs sur la notion d’être, cette notion de

« je suis et je peux m’exprimer » et non de « je suis, je vais et je suis d’accord ».

Nous préférons l’activité manuelle car nous aimons travailler avec ce que nous

contrôlons ; le numérique est une bonne chose, il est accessibilité à tous ; mais toute

une partie du fonctionnement nous échappe. À la main, nous nous sentons maîtres de

ce que nous faisons, sans passer par le prisme du concepteur de logiciel. La valeur

manuelle est le retour au savoir, comme l’explique très bien Bernard Stiegler. Il ne

faut pas aller jusqu’à dénigrer un médium. C’est le sens qui construit la cohérence de

la production. Nous suivons la ligne de Patrick Bouchain dans cette idée « l’esthétique

provient du sens ». La tendance du fait-main ou DIY marque un retour au savoir-

faire, cette envie de vouloir savoir et connaître comment se fabriquent les choses.

L’idée est d’entretenir et de cultiver une « écriture » qui nous est propre et qui fait

sens par rapport à la situation dans laquelle elle est visible. Le comment n’est pas très

important si le pourquoi se comprend.

Page 131: Le Design du Partage

131

VI – Bibliographie

Livres et pdf de lecture

Aristote« Les Politiques », Traduit par Pierre

Pellegrin, Paris, C.F Flammarion, 1999.

Artevia et al.« Fête du graphisme 2 », éd. du

Limonaire, Paris, 2014.

Branko Milanovicet Christoph Lakner« Global income distribution »,

pdf [En ligne] http://elibrary.

worldbank.org/doi/pdf/10.1596/1813-

9450-6719

Chris Anderson« Makers, la nouvelle révolution

industrielle », [trad.] Michel le Séac’h,

éd. Pearson, 2012.

Claude Alphandéry, GenevièveAncel, Ana Maria Araujo, ClaudineAttias-Donfut et al.« Manifeste convivialiste », éd. Le Bord

de l'eau, 2013.

Fred Turner« Aux sources de l’utopie numérique. De

la contre-culture à la cyberculture.

Stewart Brand, un homme d’influence »

[2006], [trad.] de l’anglais par Laurent

Vannini, Paris, C&F, p. 35, 2012.

Gilbert Simondon« Du mode d'existence des objets

techniques » [1958], ré-éd. Aubier, Paris,

2012.

Gilles Lipovetsky« Le bonheur paradoxal », Paris, éd.

Gallimard, 2006.

Gilles Lipovetsky et Jean Serroy« L'écran Global », éd. du Seuil, 1997, p.

287.

Jean-Hugues Barthélémy« Design sociale : une analyse critique »,

colloque ESAD valencienne, avril 2014.

John Maeda« Maeda & Media, journal d'un

explorateur numérique », éd. Thames et

Hudson, Massachusetts, juillet 2010.

Josef Müller–Brockmann« La philosophie de la grille », [1981] Le

graphisme en textes, Pyramid, Paris, 2011

Karl Marx« Le Capital », [En ligne]

http://digamo.free.fr/capital63.pdf

Laszlô Moholy-Nagy« Le design pour la vie », dans Peinture

Photographie Film, ré-éd. Jacqueline

Chambon, Nîmes, 1993.

Page 132: Le Design du Partage

132

Lev Manovich« Le Langage des Nouveaux Médias »,

éd. Les Presses du Réel, 2010.

Marshall Mc Luhan« Pour comprendre les médias »,

ré-éd. Points Essais, Paris, 1997.

Nicolas Bourriaud« L'esthétique relationnelle »,

éd. les Presse du Réel, 1998.

Pierre-Damien Huyghe« Design, moeurs et morale », Azimuts

30, mai 2010.

Pierre Delprat et al.« Systèmes DIY », éd. Alternatives, 2013

Rick Poynor« La loi du plus fort. La société de l'image

», éd. Pyramyd, Paris, 1992.

Thierry Burgvin« La dimension adémocratique du pouvoir

des élites économiques et politiques »,

[En ligne] http://bit.ly/1E9IL2E, Paris,

2010.

Vilém Flusser« Petit philo du design », éd. Circé, p. 7 à

13, 2002.

Mémoires et thèse

Anthony Masure« Le design des programmes, des façons de

faire du numérique » thèse

[En ligne] http://www.softphd.com/,

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,

octobre 2014

Louise Drulhe« Design fluide »

mémoire ENSAD [En ligne]

http://louisedrulhe.fr/designfluide, Paris.

Xavier Klein« Libérons l’informatique ! »

mémoire DSAA, 2013.

Revues

Après/Avant #2revue Les Rencontres de Lure, mai 2014.

Clubicsite officiel [En ligne] http://pro.clubic.com/

Design Quarterly n°142revue [En ligne] http://walkerquarterly.s3.amazonaws.com/DQ142_Computers_and_Design.pdf, 1989.

Etapes n° 215 et n° 220Graphisme français et Co-design,éd. Pyramyd, octobre 2013 et août 2014.

Financial Timessite officiel [En ligne] http://www.ft.com/

Frieze Magazinerevue [En ligne] http://www.frieze.com/

Page 133: Le Design du Partage

133

Graphisme en France 2014revue, éd. CNAP, 2014.

Indexgrafiksite officiel [En ligne]

http://indexgrafik.fr/

Internet Actusite officiel [En ligne]

http://www.internetactu.net/

Kaleidoscope Magsite officiel [En ligne]

http://www.kaleidoscopemag.fr/

La Quadrature du netsite officiel [En ligne]

http://www.laquadrature.net/

Le Soir, Geek politicsblog [En ligne] http://blog.lesoir.be/geek-

politics/

Libérationsite officiel [En ligne]

http://www.liberation.fr/

Le Mondesite officiel [En ligne]

http://www.lemonde.fr/

Médiumsite officiel, [En ligne]

https://medium.com/

New-York Timessite officiel [En ligne]

http://www.nytimes.com/

NouvelObssite officiel [En ligne]

http://tempsreel.nouvelobs.com/

Numeramasite officiel [En ligne]

http://www.numerama.com/

Ownisite officiel [En ligne] http://owni.fr/

Siliconsite officiel [En ligne]

http://www.silicon.fr/

Slatesite officiel [En ligne] http://www.slate.fr/

Strabicblog [En ligne] http://strabic.fr/

Téléramasite officiel[En ligne]

http://www.telerama.fr/

The Guardiansite officiel [En ligne]

http://www.theguardian.com/

Wedemainsite officiel [En ligne]

http://www.wedemain.fr/

Page 134: Le Design du Partage

134

WikiLeakssite officiel, [En ligne]

https://wikileaks.org/

Articles et sites web

Amazon Mechanical Turksite officiel [En ligne]

https://www.mturk.com/mturk/welcome

Ambassade de Francesite offciel [En ligne]

http://www.ambafrance-nl.org/

Airbnb

site officiel [En ligne]

https://www.airbnb.fr/about/founders

Applesite officiel [En ligne]

http://www.apple.com/

Ars industrialissite officiel [en ligne]

http://www.arsindustrialis.org/

Arte trackssite officiel [En ligne]

http://tracks.arte.tv/

AfulAssociation Francophone des Utilisateurs

de logiciels Libres, site officiel [En ligne]

https://aful.org/

ArcepAutorité de Régulation des Communications

Electroniques et des Postes,[En ligne]

http://www.arcep.fr/

Bibi on the roadsite officiel [En ligne]

http://fr.bibiontheroad.net/

Bibliothèque Nationale Françaisesite officiel [En ligne] http://www.bnf.fr/

Body spacesite officiel [En ligne]

http://www.bodyspacesociety.eu/

Bureau Of Public secretssite officiel [En ligne]

http://www.bopsecrets.org/

Campus de la Fonderie de l'Imagesite officiel [En ligne]

http://www.campusfonderiedelimage.org/

Catherine Bracytumblr [En ligne] http://cbracy.tumblr.com/

Chelsea Manningsite officiel [En ligne]

http://www.chelseamanning.org/

CnilCommission Nationale de l’Informatique et

des Libertés, site officiel [En ligne]

http://www.cnil.fr/

Page 135: Le Design du Partage

135

Conseil d’Etatsite officiel [En ligne] http://www.conseil-

etat.fr/fr/communiques-de-

presse/decrets_hadopi.html

CnapCentre National des Arts Plastiques

site officiel [En ligne] http://www.cnap.fr/

CnrtlCentre Nationales des Ressources

Textuelles et Lexicales, site officiel [En

ligne] http://www.cnrtl.fr/

Commission européennesite officiel [En ligne] http://ec.europa.eu/

Conso collaborativesite officiel [En ligne]

http://consocollaborative.com/

C’est quoisite officiel [En ligne] http://c-est-

quoi.fr/fr/definition/recel

CSS Zen Gardenblog [En ligne]

http://www.csszengarden.com/

David Larletsite officiel [En ligne]

https://larlet.fr/david/

Degooglisons InternetFramasoft, site officiel [En ligne]

http://degooglisons-internet.org/

Design my lifedemo Bootstrap [En ligne]

http://designmylife.co.in/quick-

v1.3.1/demos/quick-dark/index.html

Electrolabsite officiel [En ligne]

http://www.electrolab.fr/2013/06/30/fabl

ab-or-hackerspace/

Elliot Leperssite officiel [En ligne] http://getelliot.com/

Eluptonblog de Ellen Lupton [En ligne]

http://elupton.com/

ENSCIsite officiel [En ligne]

http://www.ensci.com/

Etsysite officiel [En ligne]

https://www.etsy.com/

FacLabsite officiel de l'université de Cergy-

Pontoise [En ligne]

http://www.faclab.org/

FifdhFédération Internationale des ligues des

Droits de l’Homme, site officiel [En ligne]

https://www.fidh.org/

Page 136: Le Design du Partage

136

Freemote festivalsite officiel [En ligne]

http://www.freemote.nl/

Free Software Foundationsite officiel, [En ligne] http://www.fsf.org/

Frederic Cavazzasite officiel [En ligne]

http://www.fredcavazza.net/

French Data Networksite officiel [En ligne] http://www.fdn.fr/

Bootstrapsite officiel [En ligne]

http://getbootstrap.com/

Gitsite officiel [En ligne] http://git-scm.com/

GitHubsite officiel [En ligne] https://github.com/

GNUsite officiel [En ligne]

https://www.gnu.org/

Hyperpaysagesblog de Christine Partoune [En ligne]

http://www.hyperpaysages.be/

HypothèsesSciences communes, site officiel [En ligne]

http://scoms.hypotheses.org/

HypothèsesAdam, site officiel [En ligne]

http://adam.hypotheses.org/

Internet Engineering Task Forcesite officiel [En ligne]

https://www.ietf.org/

Institut FSUInstitut de Recherche de la Fédération

Syndicale Unitaire de l'enseignement,

site officiel [En ligne]

http://institut.fsu.fr/

Je-lutte-des-classes-par-Pierre.html

IAAC Barcelone

site officiel [En ligne]

http://www.iaac.net/fab-lab/intro

Intersticessite officiel [En ligne] http://interstices.io/

Lakfonsite officiel [En ligne]

http://research.lafkon.net/

Le conseil des canadienssite officiel [En ligne]

http://canadians.org/

Legifranceservice publique de la diffusion du droit

site officiel [En ligne]

http://www.legifrance.gouv.fr/

Page 137: Le Design du Partage

137

Le Laptopsite officiel [En ligne]

http://www.lelaptop.com/

Linux foundationsite officiel, [En ligne]

http://www.linuxfoundation.org/

Linux Francesite officiel, [En ligne] http://www.linux-

france.org/

L'Atelier des icônesblog d'André Gunthert [En ligne]

http://culturevisuelle.org/icones/

MacWorldsite officiel [En ligne]

http://www.macworld.co.uk/

MITMassachusetts Institute of Technologies

site officiel [En ligne] http://web.mit.edu/

MIT Fablabsite officiel [En ligne]

http://fab.cba.mit.edu/

Metahavensite officiel, [En ligne]

http://www.metahaven.net/

MindLabsite officiel [En ligne] http://mind-

lab.dk/en/

Monikersite officel [En ligne]

http://studiomoniker.com/

MultimediaLabcours de Marc Wathieu [En ligne]

http://www.multimedialab.be/

My Osblog de Etienne Mineur [En ligne]

http://www.my-os.net/blog/

Nations Uniessite officiel [En ligne] http://www.un.org/

Nulpuntsite officiel, [En ligne] https://nulpunt.nu

Eur-LexOfficial journal of the European Union

site officiel [En ligne] http://eur-

lex.europa.eu/

One Lawsite officiel [En ligne]

http://onelaw.fr/index.html

OLAOutils Libres et Alternatifs

site officiel [En ligne]

http://www.outilslibresalternatifs.org/

OITOrganisation Internationnale du Travail,

site officiel, [En ligne] http://www.ilo.org/

Page 138: Le Design du Partage

138

Open Source Publishingsite officiel [En ligne] http://osp.kitchen/

Papertblog de Seymour Papert [En ligne]

http://www.papert.org/

Place des librairiressite officiel [En ligne]

http://www.placedeslibraires.fr/

Points Psoriasissite officiel [En ligne] http://www.points-

psoriasis.fr/

Polylogueblog de Nicolas Taffin [En ligne]

http://polylogue.org/

Processingsite officiel [En ligne] https://processing.org/

P2P foundationsite officiel [En ligne]

http://p2pfoundation.net/

Rosa Menkmanblog [En ligne] http://rosa-

menkman.blogspot.nl/

Shareablesite officiel [En ligne]

http://www.shareable.net/

Slidesharesite officiel [En ligne] http://fr.slideshare.net/

Smart Citizensite officiel, [En ligne]

https://www.smartcitizen.me/

Symbasite officiel, [En ligne]

https://www.symba.co/

Storifysite officiel [En ligne] https://storify.com/

The quick brownsite officiel [En ligne]

http://www.thequickbrown.com/

Twittersite offciel [En ligne] https://twitter.com/

Use and modifysite officiel [En ligne]

http://usemodify.com/

Vimeosite officiel [En ligne] https://vimeo.com/

Web Rank Infosite officiel [En ligne]

http://www.webrankinfo.com/

What you see is what you getsite de Jonas Lund [En ligne]

http://whatyouseeiswhatyouget.net/

Wikipédiasite officiel [En ligne]

http://fr.wikipedia.org/

Page 139: Le Design du Partage

139

Wikiwixsite officiel [En ligne]

http://archive.wikiwix.com/

Your line or minesite [En ligne] http://yourlineormine.com/

Youtubesite officiel, (En ligne]https://www.youtube.com/?hl=fr&gl=FR

Emissions audios et vidéos

« Digital Labor : portrait del’internaute en travailleur exploité »

Antonio Casilli et Yann Moulier-Boutang,France Culture, podcast mené par Xavier dela Porte, [En ligne]http://www.franceculture.fr/emission-place-de-la-toile-digital-labor-portrait-de-l-internaute-en-travailleur-exploite-2012-12-08,décembre 2012.

« Le Bauhaus de Dessau 1 »

Arquetipos Ventiuno, [En ligne]https://www.youtube.com/watch?v=tKzO7OH-TrE

« WikiLeaks secrets et mensonges »

Oussama Benkadi [En ligne]http://www.youtube.com/watch?v=c92ryYyp35E, Angleterre,février 2012.

« Ivan Illich : un certain regard »

Michel Croz [En ligne]https://www.youtube.com/watch?v=cVDxctavOEo, 1989

« L’île aux fleurs »

Jorge Furtado [En ligne]https://www.youtube.com/watch?v=cVDxctavOEo, 1989.« Lisa Strausfeld, Keynote »

Lisa Strausfeld, [En ligne]https://vimeo.com/20359257

« En route vers de nouveauxterritoires économiques »

Michel Bauwens, [En ligne]https://www.youtube.com/watch?v=XAZnv4IEo9g

« The Internet's Own Boy: TheStory of Aaron Swartz »

The documentary network, [En ligne]

https://www.youtube.com/watch?v=vXr-

2hwTk58

Page 140: Le Design du Partage

140

Remerciements

Je tiens à remercier tout particulièrement mon tuteur

de mémoire Anthony Masure pour la finesse de son orientation;

Pierre Picouleau pour sa relecture et son aide à la traduction ;

Alizée Dehedin pour sa patience et les discussions précieuses que nous

avons eu ; Nolwenn Maudet pour ses références essentielles ;

Raphaël Bastide pour ses engagements ; Pauline Thomas pour sa

sincérité ; Maryline Breton pour les corrections ; et surtout

à tout ceux qui ont supporté mon indisponibilité pendant

ces deux mois d' écriture intensive.

Page 141: Le Design du Partage

141

Gap Sanspar Etienne Ozeray et Alexandre Liziard

CMU Concretepar Donald Ervin Knuth

Intervalpar Alex Chavot

La mise en page a été conçue entièrement sur Scribus, les typographiesutilisées sont toute sous licence SIL Open font

Page 142: Le Design du Partage

142

The design of the sharing

Public utility of the sharing tool

In many countries, there is no equivalent for the word “innovation”, though quite popular in

western ones. On the contrary, nearly every culture has a term refering to human ingeniosity.

It is not only a universal quality but is also essential to everyone’s achievement. This shared

ingeniosity gathered us all within communities, societies which have been spreaded out on the

Internet.

Internet, this gigantic space where lives the interactions richness of the world, could come

a real public interest tool. In opposition to a proprietary culture, the free software claimed

by Richard Stallman at the first hours of computer science considerably contributed

to the emancipitation of a collaborative and independant culture, that is today supported by

designers. The influence that is set by digital technologies upon graphic design started in the

80s. Much used in pre-defined settings, digital technologies quickly became simple and day to

day creation tools. Yet computing language abilities are huge and still evolving. It is this state

of uncertainty that boosts like never before unconventional practices provided by a fertile

dialogue between arts and science, which leads us to a social design in digital exploration.

Adobe, Airbnb, Google, Wikipedia, Bitcoin, GitHub, Processing,

Muriel Cooper, Richard Stallman, Aaron Swartz, Julian Assange,

Bernard Stiegler, Walter Gropius, Benjamin Bayart, Metahaven,

Raphaël Bastide, OSP.

Page 143: Le Design du Partage

143

Page 144: Le Design du Partage

144

Le design de partage

L' utilité publique de l ' outil partagé

Dans de nombreux pays du monde, il n’existe pas de mot pour traduire le terme « innovation »,

si populaire en Occident. Au contraire, presque toutes les cultures ont un terme pour désigner

l’ingéniosité humaine. Non seulement elle est une qualité universelle mais elle est essentielle

à l’accomplissement de chacun. Cette ingéniosité commune nous a rassemblé au sein de

communautés, de sociétés, celles-là même qui se sont déployées sur Internet.

Internet, cet espace gargantuesque où réside la richesse des interactions du monde, pourrait

devenir un véritable média d'utilité publique. En opposition à une culture propriétaire,

le logiciel libre défendu par Richard Stallman au début de l'avènement de la micro-informatique

a largement contribué à l'émancipation d'une culture collaborative et autonome, qui est

désormais soutenue par des designers. L'influence des technologies numériques sur la création

graphique a débuté dans les années 1980. Pour beaucoup utilisées dans un cadre pré-déterminé,

les technologies numériques sont devenues des outils de création simples et ordinaires.

Pourtant les capacités du langage informatique sont colossales, et en constante évolution.

C'est par cette incertitude qu'elles favorisent, comme jamais auparavant, des pratiques non-

conventionnelles nourries par un dialogue fertile entre les arts et les sciences : nous voilà en

présence d'un « design social » en exploration numérique

Adobe, Airbnb, Google, Wikipédia, Bitcoin, GitHub, Processing,

Muriel Cooper, Richard Stallman, Aaron Swartz, Julian Assange,

Bernard Stiegler, Walter Gropius, Benjamin Bayart, Metahaven,

Raphaël Bastide, OSP.