Le Coherence Des Attributs

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  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    1/44

    CHAPITRE II

    LA .COHÉRENCE DES ATTRIBUTS

    En constatant un fait, nous ne pouvons

    70.

    UVIER f t t d h h , l

    arre

    au

    remen que e c erc er a e com-

    prendre : c'est

    la

    fonction normale

    de la

    raison (§

    29

    et

    suiv.). Or,

    en

    raisonnant, celle-ci, contrainte de se figurer

    que ce sur quoi elle raisonne

    est

    rationnel, est amenée

    par à.

    même à admettre qu'entre les diverses particularités dont

    l'ensemble constitue le fait prévalent certaines relations.

    Afin de préciser quelles sont ces relations, nous pensons

    ne pouvoir mieux faire que de replacer sous les yeux du

    lecteur quelques passages de Cuvier que nous avions déjà

    cités autrefois ES,

    p.

    59

    et suiv.), dans

    un

    dessein analogue,

    mais

    non

    point tout à fait le même.

    Le

    grand biologiste,

    en étudiant le fonctionnement des divers organes chez les

    animaux, reconnaît

    qu un

    «

    animal qui

    ne peut

    digérer

    que de la chair doit, sous peine de destruction, avoir

    la

    faculté d'apercevoir son gibier, de le poursuivre, de le

    saisir, de le dépecer .. Ainsi jamais une dent tranchante

    et

    propre à découper la chair ne subsistera dans la même

    espèce avec

    un

    pied enveloppé de corne, qui ne

    peut

    que

    soutenir l'animal

    et

    avec lequel il ne

    peut

    saisir. De

    à la

    règle que

    tout

    animal à sabot

    est

    herbivore, et ces règles

    encore plus détaillées, qui ne sont que les corollaires de la

    LA

    O H ~ R E N O E

    DES

    ATTRIBUTS

    107

    première, que des sabots

    aux

    pieds indiquent des dents

    molaires à couronne plate,

    un

    canal alimentaire très long,

    un

    estomac ample ou multiple et un

    grand

    nombre d'autres

    rapports

    du

    même genre''·

    En

    généralisant ces observations,

    Cuvier arrive

    à

    déclarer que c'est dans cette dépendance

    mutuelle des fonctions et ce secours qu'elles se prêtent

    mutuellement que

    sont

    fondées les lois qui déterminent les

    rapports de leurs organes [c'est-à-dire des organes des ani

    maux de diverses classes] et

    qui

    sont d'une nécessité égale

    à

    celle des lois métaphysiques

    ou

    mathématiqu es · Ailleurs

    l

    précise encore cette analogie entre les lois biologiques

    et

    les relations mathématiques.

    « Tout

    comme l'équation

    d 'une courbe entraîne toutes ses propriétés, et de même

    qu'en prenant chaque propriété pour base d'une équation

    particulière on retrouverait, et l'équation ordinaire,

    et

    toutes les autres propriétés quelconques, de même l'ongle,

    l'omoplate, le condyle, le fémur et tous les autres os pris

    chacun séparément donnent

    la

    dent

    ou

    se donnent récipro

    quement;

    et en

    commençant

    par

    chacun d'eux, celui quipos

    sèderait rationnellement les lois de l'économie organique

    pourrait refaire tout l'animal ''· Bien entendu, Cuvier a

    pleinement conscience que la rationalité, dans les deux cas,

    n est pas la même; celle des rapports mathématiques,

    auxquels on arrive par

    la

    déduction,

    est

    apparente, alors

    que pour les rapports biologiques ce que

    l on

    a établi

    en

    premier lieu, c'est leur constance,

    la

    raison ne nous

    en étant

    révélée que dans certains cas et plus tard. Mais

    l est

    con

    vaincu (et à bon droit, certes) que cette constance nous appa

    raît

    comme une manifestation extérieure

    d une

    cohérence

    essentielle. Il est, dit-il,

    «

    un grand

    nombre de cas où notre

    connaissance théorique des rapports des formes ne suffirait

    point si elle n était appuyée

    sur

    l'observation · En effet,

    on peut se rendre compte des raisons qui motivent la corré

    lation entre les divers

    traits

    caractérisant la classe des

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    2/44

    108

    LA

    PROPOSITION

    animaux à sabots

    en

    général ; mais si

    l on

    desce

    nd

    ensuite

    aux

    ordres

    et aux

    subdivisions

    de la

    classe des animaux

    à

    sabots .. , les raisons de ces conditions subordonnées com

    mencent

    à

    paraître moins claires. On conçoit bien encore

    en

    gros

    la

    nécessité

    d un

    système digestif plus compliqué

    dans les espèces

    le système dentaire est plus compliqué.

    Mais je

    dout

    e que

    l on

    eût

    deviné, si l observation ne

    l avait

    appris, que les ruminants auraient tous le pied fourchu

    et

    qu ils seraie

    nt

    les seuls qui l auraie nt;

    je

    doute que

    l on

    eût

    deviné qu  

    il n y

    aurait de cornes

    au

    front que dans cette

    seule classe; que ceux d e

    ntre

    eux qui auraient des canines

    aiguës manqueraient, pour

    la

    plupart, de cornes, etc.

    Cependant, puisque ces rapports sont constants,

    il

    faut

    bien qu ils

    aient

    une cause suffisante; mais comme nous

    ne

    la

    connaissons pas, nous devons suppléer

    au

    défaut de

    la

    théorie par le moyen de l observation .. » Ainsi

    l

    existe,

    en

    biologie, des lois qui ccont, pour ainsi dire, été déduites,

    par

    le raisonnement, des connaissances que nous avions de

    l influence réciproque des fonctions

    et

    de l usage de chaque

    organe. L observation les

    ayant

    confirmées, nous nous

    trouvons

    en

    droit de suivre une marche contraire

    en

    d autres

    circonstances; et lorsque l observation nous montre des

    rapports constants de forme entre certains organes, nous

    devons

    en

    conclure qu ils exercent quelque action

    l un

    sur

    l autre

    >> Comme nous voyons clairement, dit-il dans

    un

    autre

    passage de

    la

    même œuvre,

    la

    cause de ces rapports

    entre les organes de ces deux fonctions [il s agit,

    en

    l espèce,

    du

    mode de respiration

    d une

    part,

    et

    de

    la

    manière

    dont

    s accomplit le mouvement

    du

    fluide nourricier

    d autre

    part],

    nous sommes autorisés

    à

    présumer que d autres rapports

    également constants

    qui

    existent entre elles

    sont

    aussi

    fondés

    sur

    quelques causes

    du

    même genre, quoiqu elles ne

    soient pas aussi évidentes

    pour

    nous

    1

    >>

    Nous demandons pardon

    au

    lecteur de

    la

    longueur

    et

    de

    Let COHÉRENCE

    DES

    ATTRIBUTS

    109

    la

    multiplicité de ces citations,

    d autant

    plus blâmables

    certes que nous citons pour

    la

    seconde fois, mais c est que

    nous ne connaissons point d exemple où soit affirmée avec

    autant

    de précision et d éc

    lat

    cette idée primordiale (dont

    nous avons parlé

    au

    § 29

    du

    constant souci de

    la

    liaison

    rationnelle, souci puissant quoique inconscient,

    qui

    accom

    pagne toutes nos constatations, même

    en

    apparence les

    plus rapprochées des faits.

    71. OPINIONS N LOGUES

    DE PHILOSOPHES

    Cependant

    on

    retrouve

    des conceptions analogues

    chez beaucoup de pen

    seurs. Ainsi

    J.

    S. Mill, après avoir exposé que l induction

    véritable

    est l induction

    incomplète (comme nous l avons

    dit au

    § 23), prend pour exemple l affirmation que

    tous

    les

    animaux possèdent

    un

    système nerveux. cc Si...

    on entend

    dire seulement

    tous l s animaux connus et

    rien de plus,

    la

    proposition

    n est pas

    générale

    et

    le procédé

    par

    lequel

    on

    y

    arrive

    n est pas

    l induction . Maissi l on veut dire que l ob

    servation des différentes espèces d animaux a fait découvrir

    une loi de

    la nature

    animale, et

    qu on est en

    mesure d affir

    mer l existence

    d un

    système nerveux, même chez les ani

    maux non

    encore découverts, alors

    l

    y a vraiment induc

    tion>>. Il est évident que ce que Mill qualifie ici de loi de

    la nature

    animale »

    n est et

    ne peut-être qu une supposition

    sur

    la

    cohérence rationnelle,

    tout

    à fait

    dans le sens

    de

    Cuvier. Mill a d

     a

    illeurs, dans d

     au t

    res passages, opposé

    aux

    cc lois primitives» (qui sont évidemment

    du

    même ordre

    que cette loi de

    la

    nature

    animale») les lois empiriques»,

    c est-à-dire

    cc

    ces unüormités

    dont

    l observation

    ou

    l expéri

    mentation révèle l existence, mais

    qu on

    a hésité à

    admettre

    sans réserve dans les cas différant beaucoup de ceux qui ont

    été observés, parce qu on ne

    voit pas pourquoi

    la loi exis

    terait». La

    vérité [d une loi empirique]

    peut et

    même a

    besoin d être expliquée

    »,

    et

    cette

    explication consisterait

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

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    llO

    LA PROPOSITION

    en

    une réduction à des «lois plus simples

    2

    >> Noua aurons

    l occasion de revenir un peu plus loin ( § 90, 96 et 97) sur les

    vues de Mill dans ce domaine.

    Hamelin s exprime avec plus de

    netteté

    encore.

    Il

    estime

    qu il ne

    peut

    y avoir

    aucun doute sur

    la

    psychologie des

    savants dans cet ordre d idées; à leurs yeux, la connaissance

    empirique est« un mode de pensée accidentel

    et

    provisoire:

    ils croient que les faits sont liés, non juxtaposés, et les

    procédés expér imentaux, loin d avoir pour

    but

    de constater

    quelque existence sans raison, doivent mener

    à

    découvrir

    l ordre rationnel des faits

    3

    ·

    Indépendamment,semble-t-il, de Cuvier, de Mill et d Ha-

    melin,

    M

    Goblot est arrivé à une conception tout à fait

    semblable en ce qui concerne ce

    t t

    e importante question

    du

    rapport

    entre

    les constatat ions empiriques

    et la

    croyance à

    la rationalité, censée

    en

    faire le fond. « Là

    l expérience

    et

    l induction nous font découvrir un ordre constant,

    dit

    ce

    philosophe, il y a certainement une nécessité logique encore

    à découvrir

    >>

    Ainsi, « le raisonnement inductif .. consiste

    à établir,

    par

    une suite d opérations au bout desquelles est

    une observation de fait, une constatation empirique, qu une

    relation

    est

    constante;

    on

    peut en inférer qu  elle

    est

    néces

    saire,

    car

    il

    n est

    pas supposable que le hasard et la contin

    gence produisent l uniformité parfaite. Mais

    cette

    nécessité

    n est

    qu inférée; elle demeure cachée, insaisissable, elle

    n est pas aperçue par l esprit, tant qu on s en tient au rai

    sonnemflnt inductif

    4

    >>

    C est ce que

    M

    Lalande a résumé

    en

    cette formule :

    « Nous nous croyons en droit d induire, parce que nous

    estimons que si nous en savions assez, nous serions

    en

    mesure

    de déduire >>

    Et

    cet énoncé si simple, que l auteur, après

    l avoir placé au début de son important ouvrage sur les

    Théories e l induction et

    e

    l expérimentation, reproduit,

    sous une forme un peu simplifiée, dans un des derniers

    LA

    COHÉRENCE DES ATTRIBUTS

    chapitres du livre

    5

    , nous semble indiquer en effet la véritable

    solution du problème. L ensemble des conceptions que

    nous avons développées ou que nous développerons dans la

    suite dans

    cet

    ordre d  idées, le lecteur le constatera, est

    très conforme

    à

    cette

    pensée directrice.

    Il

    est

    clair d ailleurs

    que ce par quoi le chercheur se laisse guider ne peut être

    qu une réflexion heuristique, qu il sera

    prêt

    à modifier ou à

    abandonner si le réel, sur le point précis, se montre rétif.

    Et la conclusion même à laquelle l aboutira gardera néces

    sairement quelque chose de cette incertitude. Il jugera, à

    l aide de son induction, du comportement du réel dans des

    circonstances où il n a pu le constater, et notamment

    dans l avenir; mais il ne le fera qu avec des réserves.

    Comme le dit encore M. Lalande, son énoncé sera non

    pas

    constatij,

    mais

    normatif,

    en

    ce sens

    qu il

    affirmera que

    l on doit juger de telle manière en l absence de

    toute

    ndi

    cation contrairee.

    Claude Bernard déjà, avait reconnu l essentiel de ce ra p

    port

    entre

    l induction

    et

    la déduction.>.

    M

    Losski affirme qu e le raisonnement inductif est

    à

    une intuit ion immédiate des liaisons nécessaires entre les

    éléments de l univers

    8

    >>

    ,ce

    qui se rapproche en

    un

    certain

    sens des vues exprimées par nous, sauf cependant le fait que

    cette opinion

    du

    philosophe russe repose sur une théorie

    métaphysique déterminée dont nous a urons l occasion de

    dire quelques mots § 86 et 102. -

    Natorp

    déclare que

    sujet et

    prédicat ne pourraient

    être

    réunis

    dans

    un juge

    ment s il n existait antérieurement une cohérence concep

    tuelle entre eux, au point de vue de leur origine

    9

    • e qui

    est

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    4/44

    112

    LA PROPOSITION

    manüeste,

    c est que

    dans

    tout

    jugement, si empirique

    qu il

    puisse

    être en

    apparence, nous supposons en réalité implicite

    ment

    une telle cohérence. -

    «Il

    a

    été

    évident

    pour

    nous,

    dit

    à son

    tour

    Bosanquet, en

    résumant

    les conclusions auxquelles

    l avait

    amené l analyse logique

    du

    jugement,

    que la

    con

    nexion générale se trouve

    partout

    à l œuvre à l arrière-plan,

    exploitant

    toute

    qualification exprimée

    ou

    impliquée dans

    le sujet,

    au

    profit d une connexion systématique ou de la

    nécessité et aux dépens de la conjonction simplement per

    ceptive

    ou narrative

    des contenus

    ». -

    Lachelie r affirme que

    la nature est tout à la

    fois

    une

    science

    qui

    ne se lasse pas

    de déduire les effets des causes

    et

    un

    art qui

    s essaie sans

    cesse à des inventions nouvelles; et s il nous

    est

    donné dans

    quelques cas

    de

    suivre

    par

    le calcul

    la

    marche unüorme de

    la

    science

    qui

    travaille

    au

    plus profon d des choses, l induc

    tion

    proprement

    dite

    consiste

    plutôt

    à deviner,

    par

    une

    sorte d instinct , les procédés variables de l art qui se

    joue à

    la

    surface

    10

    ». Il

    y a beaucoup de

    vrai

    dans ces

    lignes,

    notamment,

    nous l avons

    vu, en

    ce

    qui

    concerne

    le caractère de divination qui

    est

    attaché à

    toute

    induc

    tion

    véritable. Mais

    i l

    faut ajouter

    que, comme Cuvier

    et

    M. Goblot l ont indiqué, l esprit ne se contente

    jamais

    de

    connaître cette surface, mais cherche

    aussitôt

    à pénétrer,

    à travers ce premier savoir, jusqu au plus profond des

    choses JJ.

    De

    toute

    évidence, ce

    n est

    qu un

    aspect, à peine

    distinct, de

    cette

    propension

    intime

    et vigoureuse dont nous

    avons parlé

    aux§ 29 et

    suiv., propension

    qui

    nous pousse

    à concevoir le réel comme conforme à la raison. Par le fait,

    nous avons

    l air

    de répéter simplement les conclusions que

    nous avions formulées en

    examinant

    les voies que

    suit

    en

    général

    la

    pensée scientifique.

    Ce que

    nous constatons ici,

    c est

    que

    l attitude

    de

    l esprit qui

    chemine

    par

    induction

    en dérive directement.

    t l

    LA

    COHÉRENCE DES ATTRIBUTS

    3

    Cependant les opinions

    que

    nous

    72. L POSITIVISM

    venons

    de

    formuler, nous devons

    le reconnaître,

    vont

    directement

    à

    l encontre des principes,

    tantôt

    ouvertement proclamés

    et tantôt

    seulement impli

    citement admis,

    par un grand

    nombre de logiciens et de

    psychologues

    de notre

    temps.

    Ces

    principes nous semblent

    se rattacher à deux grands corps de doctrine, à savoir

    au

    positivisme et au transformisme.

    Le

    positivisme, on le sait assez, proscrit rigoureusement

    toute

    investigation

    allant au

    delà des relations constantes

    de succession

    et

    de similitude JJ et

    portant

    notamment sur

    la

    nature intime des phénomènes ou « leur mode essentiel

    de production J . Ce sont là les expressions mêmes de Comte

    11

    ,

    et l on

    voit que

    Mach, bien

    qu

     il

    ne

    se soit jamais réclamé

    de

    lui

    (et

    que

    Comte lui-même, d ailleurs,

    par

    un

    illogisme

    heureux,

    eût

    déclaré l atomis me

    une

    «bonne hypothèse

    ll ,

    n a

    fait

    tout

    de même que se conformer

    à

    l esprit de

    la

    doc

    trine en protestant violemment, dans

    sa

    polémique avec

    M.

    Planck, contre les conceptions atomistiques des physi

    ciens, en tant

    que

    théories explicatives. Comte a aussi expres

    sément affirmé que

    l attitude

    mentale suggérée

    par

    lui

    était

    celle des savants de son temps, ou

    du

    moins de tous ceux

    d entre

    eux

    qui

    méritaient

    d être

    qualifiés

    deJ,

    les hommes

    qui

    s occupaient des recherches

    qu il

    condam

    nait

    ne

    pouvant être que des es

    prits

    entièrement étrangers

    aux études scientifiques

    JJ. Et

    si Mach, précisément

    en

    rai

    son de la polémique dont nous venons de parler, n a pu être

    aussi péremptoire

    en

    ce qui concerne les physiciens qui

    lui

    étaient

    contemporains, les expressions

    dont i l

    s est

    servi

    à

    l égard

    de

    son adversaire

    montrent cependant

    qu en

    dépit

    de

    la

    haute

    autorité dont jouit

    M.

    Planck,

    i l croyait

    pouvoir juger contraire

    aux

    règles fondamen

    tales

    de la

    science

    l attitude

    entière de

    cet

    illustre

    phy-

    sicien12.

    MEY

    :

    RSON . -

    1

    8

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    5/44

    114

    LA PROPOSITION

    Pour ce qui est, d autre part,

    73.

    LE TR NSFORMISME

    d

    t

    f

    ffirm

    u rans orrmsme, on a e

    qu il a ruiné

    la

    conception fondamentale

    d où

    découlait celle

    du

    syllogisme antique, à savoir

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    6/44

    116

    LA. PROPOSITION

    d un réel indépendant du moi. En effet, tant que nous res

    tons dans l'ordre d'idées scientifique, et à moins de recourir

    à

    l'affirmation aventureuse

    d une

    communication directe

    entre les intellects, - communication qui, selon les méta

    psychistes eux-mêmes, n aurait Heu que dans les cas les

    plus rares - il paraît manifeste que nous sommes obligés

    de concevoir ce que les sensations d'esprits divers pré

    sentent de

    concordant comme

    provenant d une

    source

    placée en dehors de l'e:>prit.

    De

    toute façon, l'ensemble de l'évolution de la science

    moderne forme une constatation d autant plus frappante,

    qu étant donné le

    grand

    prestige des conceptions positivistes,

    les savants auraient dû être tentés de diriger leurs efforts

    dans

    la direction indiquée par Mill. Or,

    on

    ne relève rien

    qui ressemble à une véritable

    tentative

    en vue de constituer

    une physique

    de

    la sensation directe; la psychophysique de

    Fechner et de ses successeurs ne saurait certainement

    passer pour

    un

    travail d'approche bien caractérisé dans cet

    ordre d'idées,

    et il

    est manifeste d'ailleurs, quoi

    qu on

    pense

    de ses résultats et de ses chances de succès dans l'avenir,

    que son développement

    n a

    exercé aucune influence pal

    pable

    sur

    la

    marche de

    la

    physique, laquelle continue, tout

    au contraire, dans

    la

    voie qu'elle suit sans faiblir depuis la

    Renaissance

    et

    qui déplaisait

    tant

    à

    Gœthe

    DR,

    §

    8).

    La physique, de tout temps, a pris pour point de départ

    le monde du

    sens commun,

    de ce sens commun qui, chez

    Aristote (comme l_e formule Hamelin), se trouve sous

    les sens spéciaux>>

    et

    qui a

    pour

    fonction de  Ce sens commun

    transforme les sensations en

    objets, et

    le physicien a toujou rs

    eu besoin de l'objet, car

    c est

    toujours à l'objet, au support,

    qu il a rattaché ses rapports. Maine de Biran, parlant de

    la philosophie, a

    dit que> Ainsi

    la

    réalité n est

    pas

    seulement, comme

    on

    le

    dit

    quelquefois, la fille de

    la mesure • elle est aussi, en

    un

    certain sens, ce qui l'enfante,

    elle est,

    en

    usant de la même image, sa mère.

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    7/44

    118

    LA

    PROPOSITION

    Nous constaterons dans notre

    JIIe

    livre(§

    216)

    que cette

    manière de voir est confirmée par le fait que le physicien,

    manifestement, raisonne comme s il admettait

    un

    réel

    impossible

    à

    observer directement.

    Nous avons, l est vrai, relevé plus haut (§ 44 et suiv.)

    que des déclarations de physiciens contemporains, notam

    ment de certains d entre les tenants de

    la

    forme

    la

    plus

    extrême de

    la

    théorie des quanta, paraissent

    au

    premier

    abord inspirées d une tendance contraire. Mais nous avons

    reconnu (

    §

    47

    qu

     i y a là une illusion et que

    la

    physique

    des quanta, comme toute autre, présuppose un réel situé en

    dehors du moi.

    75.

    LA

    SCIENCE ET L IDÉALISME

    Sans doute, ce réa

    lisme instinctif de

    la

    science choque-t-il l idéaliste, et pour peu que le

    savant

    ait

    lui-même quelque teinte de philosophie,

    l

    se trouve,

    presque nécessairement, induit à supposer qu il y a

    une

    sorte de complication inutile et

    dont

    l serait aisé de se

    débarrasser. D  où

    la

    tendance à prêter au savoir scienti

    fique un aspect purement « phénoméniste >

     

    tendance

    qui a si puissamment favorisé l expansion des idées de

    Comte, de Mach et de Duhem. Mais

    tout

    cela repose sur

    une méprise fondamentale : les exposée; de

    la

    physique

    perdraient tout

    se.m>,

    si l on tentait, ne fflt-ce qu un moment,

    d abandonne1 le postulat d une existence d obje ts indépen

    dants

    de

    la

    sensation. L exemple

    du

    physicien qui,

    aux

    yeux

    d Auguste Comte, était, comme on Rait., le véritable mo.

    dèle du savant

    positif

    adversaire de toute métaphysique,

    et dont

    l attitude

    dogmatique à

    cet

    égard semble d ail

    leurs av.)ir exercé une influence considérable sur l auteur du

    poc;;itivisme - à savoir Fourier - est fort instructif à cet

    P,gard. Car Foill ier, ainsi que le constate un témoin compé

    tent et peu suspect d une partialité trop grande en faveur

    des conceptions substantialistes, manifestement >

    Cette métaphysique impliquée par

    la

    science est-elle

    inconsistante, contradictoire en elle-même Sans aucun

    doute, puisque, si elle était en mesure de constituer un sys

    tème cohérent de l être,

    la

    science

    s y

    tiendrait immuable

    ment, alors que nous

    la

    voyons, tout au contraire, varier

    sans cesse,

    à

    la recherche précisément du maximum de

    cohérence ou, si l on veut, d un minimum d incohérence.

    Mais quelles que soient ces variations, ce qui ne varie jamais,

    c est

    son affirmation de l existence

    d un

    réel.

    76.

    LA PSYCHOLOGIE

    S NS TR NSCEND NCE

    DE M. BUHLER

    Afin de bien préciser

    à

    quel point notre

    conception s écarte de

    celle de l épistémologie à tendance idéaliste, sortons du

    domaine de

    la

    physique pour entrer dans celui de

    la

    psychologie. Voici comment s exprime

    M.

    Bühler, en

    traitant de la notion de l objet : «Je puis, et dois peut-être,

    déterminer les objets indépendamment d un sujet qui

    en

    a

    connaissance,

    et

    l

    se

    peut

    que les lois

    qui

    les régissent

    n aient

    rien de commun avec celles de

    la

    conscience. Mais

    au

    point

    de vue psychologique, le concept de

    la

    transcendance ne

    saurait être utilisé d aucune manière. Que l objet soit ce

    que l on voudra, ses déterminations ne peuvent nous être

    présentes, ne peuvent être données ni comporter aucune

    signification pour nous si nous n en avons pas conscience.

    Toutes les déterminations d objets dont j ai connaissance,

    j en ai connaissance en des modifications de ma conscience

    et

    par

    le moyen de ces modifications, c est là une propo-

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    8/44

    120

    LA

    PROPOSITION

    sition évidente par elle-même.

    Et

    la psychologie n a

    à

    s oc

    cuper que de telles modifications .. La question de

    la

    trans

    cendance

    n est

    en général point un problème de psycholo

    gie>

    >

    Or, s 

    il

    est certain que

    l on

    peut concevoir de diverses

    manières (ainsi que nous l avons dit au

    début

    de notre tra

    vail,

    §

    7 et suiv.) les limites dévolues

    aux

    recherches propre

    ment psychologiques,

    l

    n  en

    est

    pas moins évident que si,

    comme l indique l étymologie,

    l

    s agit d y étudier ce

    qui

    se

    passe dans notre esprit (et l objet de

    l étude

    de M. Bühler,

    intitulée : Faits et problèmes se rapportant à

    une

    psychologie

    es phérwmènes e la pensée,

    est d ailleurs pleinement con

    forme à ce programme),

    on

    n y

    saurait en

    aucune façon

    faire abstraction de ce fait primordial que nous sommes inti

    mement persuadés de l existence des objets, alors même que

    nous avons cessé de les percevoir et que rien, par conséquent,

    ne les manifeste

    à notr

    e conscience, en

    d autres

    termes que

    la notion même du réel du sens commun implique la

    transcendance.

    En

    suivant l exposé de M. Bühler,

    on

    s aper

    çoit à quel point l embarrasse

    la

    méconnaissance dece fait,

    quelle peine

    il

    est obligé

    de

    se donner pour ramener les((déter

    minations ayant trait

    aux

    choses Wasbestimmtheiten) dans

    les actes du savoir immédiat à des déterminations de

    place dans un ordre conscient

    »

    et comment, néanmoins,

    l

    est

    forcé d avoir recours à l artifice bien connu du comme si

    (lequel, comme

    on

    sait, permet

    toute

    licence de langage,

    même le plus palpablement réaliste,

    à

    ceux qui cependant

    prétendent ne

    pas

    sortir

    d un

    idéalisme intransigeant).

    Afin de rendre acceptable

    sa psychologieréflexive Reflexions-

    psychologie), comme

    il

    la qualifie,

    l

    se voit amené à faire

    intervenir, en

    tant

    que modification de la conscience

    »,

    le savoir,

    dont

    lcompare le rôle à celui de la troisième dimen

    sion de l espace

    24

    • Mais rien n  est plus manifes

    te que

    le

    fait

    que la raison intervient

    très

    activement dès le

    début

    même

    de la perception, et que c e st celle-ci qui constitue la donnée

    LA COHÉRENCE DES ATTRIBUTS

    121

    primordiale . La sensation pure, la donnée immédiate de

    la conscience», que M. Berg::;on a si magistralement dégagée,

    n est

    qu  inférée, déduite, par l analyse de ce que nous perce

    vons.

    Et l

    est hors de doute que ce

    que

    nous percevons ce

    sont de s objets, et que

    toute

    sensation,

    en

    nous, si nous

    n en reconnaissons

    pas

    immédiatement la

    nature

    subjec

    tive,décevante,

    s objective aussitôt

    en

    un

    réel

    25•

    C est

    au

    réel

    également que se

    rapportent

    nos souvenirs. A cet égard,

    le terme d image, dont

    on

    use fréquemment

    à

    ce propos,

    est peut-être susceptible d induire

    en err

    eur2

    6

    , Sans doute

    un souvenir visuel évoqué s offre

    -t

    -il à nous généralement

    sous les espèces d une image visuelle, c est-à-dire qu il ne

    présente que deux dimensions. Mais nous avons parfaite

    ment

    conscience en même temps que

    cet

    homme,

    cet

    édi

    fice, etc., n étaient point plats, qu  ils

    étaient

    nantis

    d une

    troisième dimension, qu  ils possé

    daient

    de

    la corporéité,

    et

    quand, dans notre esprit, nous opérons avec des images

    ainsi évoquées, nous ne manquons pas un seul instant de

    tenir

    compte de

    cette

    circonstance.

    Voici un exemple banal, mais

    qui

    nous paraît cependant

    montrer

    à

    quel point

    cett

    e notion de

    la

    corporéité de l image

    intervient spontanément et rapidement. On connaît les

    figures à l aide desquelles les statisticiens, etc., essaient bien

    souvent de r endre immédiatement sensibles des données

    numériques plus ou moins abstraites.

    On

    représentera par

    exemple

    la

    force relative des armées françaises

    et

    alle

    mandes par deux soldats auxquels

    on

    donnera respective

    ment

    la taille correspondant

    aux

    chiffres de l effectif. Or,

    en contemplant ces images,

    on

    est frappé de voir combien la

    différence entre les données

    num

    ériques s y

    trouve

    accen

    tuée. C est que le dessinateur n a tenu compte que

    d une

    seule dimension, alors que, du moment

    où l on

    nous montre

    un

    homme, nous

    ne

    pouvons faire autrement que de

    l apercevoir corporel, avec ses trois dimensions, et que la

    /

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    9/44

    122

    LA PROPOSmON

    différence, de ce chef, se

    trouve

    élevée à.

    la

    troisième

    puissance

    27

    M. Bühler, sans doute, connaît bien

    cette

    situation. TI

    va

    même très loin dans

    cette

    voie, puisque, pour lui, comme

    d ailleurs

    pour

    les psychologues d aujou rd hui

    en

    général,

    le

    stade

    premier de

    la

    sensation, celle de l image

    à.

    deux

    dimensions, n existe

    pas

    en quelque sorte, l image est

    tout de

    suite réelle

    et

    a trois dimensions

    27

    Mais il nous

    semble que, de

    cette

    affirmation,

    on ne tire

    point tout.es

    les conséquences qu elle entraîne, puisqu on continue

    d user

    à.

    ce propos

    d un

    langage ambigu, alors que le tridi

    mensionnel de

    la

    perception

    est

    manifestement conçu

    comme

    un

    être du réalisme naïf, c est-à-dire extérieur à

    la

    sensation et

    transcendant par rapport

    à celle-ci.

    Dans

    un

    sens différent,

    un

    émi-

    77.

    L MÉT PHYSIQUE hil h h ·

    DE

    M

    WHITEHE D

    nent

    p osop e

    mat

    ematl-

    cien de nos jours,

    M.

    Whi

    tehead, attaque lui aussi le réalisme scientifique. M. Whi

    tehead, qui d ailleurs,

    d une part,

    se rapproche d Auguste

    Comte

    en

    ce qu il suppose qu expliquer revient

    à

    décou

    vrir

    de nouveaux rapports et qui , d autre

    part, voudrait

    réintégrer dans

    la

    science les qualités secondaires

    et

    les

    éléments de sensation pure28,

    ne

    conteste

    pas

    que

    la

    science

    physique, jusque

    l

    y a

    peu

    d années,

    était

    fondée sur une

    philosophie entièrement réaliste

    ou

    matérialiste (selon

    la

    nomenclature adoptée

    par

    le philosophe anglais) .

    Il

    reconnaî t que nous sommes à te] point dressés, aussi bien

    par le langage et l enseignement formel que

    par la

    commo

    dité qui en

    résulte,

    à

    exprimer notre pensée

    en

    termes de

    cette analyse matérialiste,

    que

    nous tendons intellectuelle

    ment à

    ne

    pas tenir

    compte de

    la

    situation véritable

    (laquelle serait préciséme

    nt

    celle que M. Whitehe ad expose

    et

    dont nous n avons

    pas

    à. nous occuper i c i nous dirons

    tout

    à l heure les raisons de

    cette

    abstention).Mais

    l

    est

    1 /

    j:.

    .

    LA COHÉRENCE DES ATTRIBUTS

    123

    persuadé

    que

    cet

    état

    de choses

    est en

    quelque sorte arti

    ficiel, qu il const itue

    un

    simple accident historique,

    étant

    dû à l influence exercée sur

    la

    science

    par la

    philosophie

    grecque, influence qui

    aurait

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    10/44

    124

    LA PROPOSITION

    Enfin qui donc ne se rappelle que le matérialisme

    du

    xVIIIe et du xrxe

    siècles (et qui mérite réellement ce nom)

    s est constamment

    et

    étroitement rattaché aux concep

    tions mécanistes, et non

    point au

    péripatétisme

    ?

    Mais

    ne

    suffit-il pas de s'interroger soi-même pour constater

    que nous voyons des

    objets

    en

    ouvrant

    les yeux le

    matin

    et

    que nous sommes convaincus de les toucher quand

    nous étendons la main, que cette métaphysique

    est

    celle du

    sens commun, qu'elle

    n est

    pas, Reid

    l a fait

    res

    sortir avec raison,

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    11/44

    126

    LA

    PROPOSITION

    liste Nous n avons point à le rechercher. Il nous suffit,

    à cet égard, d avoir établi que l attitude du physicien n est

    nullement due (contrairement à ce que suppose le penseur

    anglais) à une sorte d accident historique, qu elle a sa source,

    tout au contraire, dans cequi fait partie des fondements les

    plus essentiels de notre esprit. Pourpréciser davantage encore:

    ce n est que dans le cas où la profonde innovation t entée par

    M Whitehead

    réussirait,

    c est-à-dire où l serait avéré que

    les physiciens, ou du moins

    un

    grand nombre

    d entre

    eux,

    se sont réellement mis à penser selon ce schéma, que nous

    devrions à notre tour le scruter pour chercher à

    en

    tirer des

    conclusions intéressant notre domaine3

    7

    Voici un autre exemple encore, celui d une pensée riche

    et

    puissante entre toutes : nous entendons parler de la phi

    losophie de M Bergson. On nous a quelquefois reproché de

    nous être insuffisamment oocupé de

    sa

    manière de concevoir

    le réel. Or, si admirable que soit cette métaphysique, si

    conforme qu on la juge à l être véritable des choses, ce qui

    est certain, c est qu elle ne fait le fond ni de la pensée de

    l homme de sens commun (comme nous venons de l exposer

    au

    § 69), ni de celle du savant : nul plus que l auteur de

    l Essai sur

    l s

    données immédiates lui-même

    n a

    insisté

    sur le fossé profond

    qui

    sépare celle-là de celles-ci, sur

    le renversement total de la marche accoutumée de l intel

    lect qu exige l adoption de l ensemble deses vues.Sansdoute,

    si le sens commun

    est

    fort le

    nt

    à se modifier,

    la

    science

    évolue-t-elle rapidement, et l n est donc nullement contra

    dictoire de prévoir l avènement d une physique ou d une

    biologie bergsoniennes. Mais en

    attendant

    qu elles existent,

    nous devons, pour notre

    part,

    faire abstraction de toute

    possibilité de ce genre. Ajoutons que, même en supposant

    réalisées des révolutions aussi formidables que celles quenous

    venons d envisager,

    et

    alors que la science entière aurait

    changé d aspect, les résultats de notre travail actuel ne se

    LA COHÉRENCE DES ATTRIBUTS 127

    trouveraient nullement frappés de caducité. Il resterait, en

    effet, établi que, jusqu à une époque donnée,

    la

    pensée

    du

    ph ysicien

    avait

    cheminé d une manière déterminée,

    et

    le fait

    que

    cette

    constatation,

    au

    lieu de s appliquer

    au

    présent,

    aurait

    trait

    au passé, ne gênerait en rien nos déductions :

    nous nous sommes, au

    §

    55, expliqué sur l avantage que

    présente l examen de la science périmée, dans une phase

    déterminée de son évolution. Nous avons, du reste, dans

    un de nos livres antérieurs, eu l occasion de prendre posi

    tion dans

    un

    cas très analogue.

    Étudiant

    les

    th

    éories rela

    tivistes

    et

    envisageant la possibilité qu elles puissent être

    un jour abandonnées à la suite de nouvelles constatations

    expérimentales, nous avons maintenu que le fait même que

    ces raisonnements avaient

    paru

    convaincants à la majo

    rité des savants compétents suffisait pour légitimer les

    conclusions que nous avions tirées de l analyse de ces

    déductions DR ch. XIV-xv .

    Constatons

    cepen-

    79. L IMPORTA

    NC

    E DU POSITIV

    ISME

    d t ·

    an que

    s1

    nous

    nous opposons à l épistémologie positiviste, ce n est nul

    lement parce que nous méconnaissons le rôle important

    que ce courant a joué dans l  évolution de la science.

    Dans notre IVe Livre (

    §

    409 et suiv.), nous aurons 1occasion

    da revenir sur cette question, en

    parlant

    des rapports entre

    le raisonnement

    et

    l expérience,

    et

    nous ferons alors res

    sortir

    à

    quel point l influence de Bacon,

    de

    Locke

    et

    de

    Comte,

    tendant

    à rehausser le prestige du facteur empirique

    dans l acquisition du savoir, a été bienfaisante, voire néces

    saire. Nous y verrons aussi comment M Bergson a énormé

    ment approfondi cette notion de

    la

    science issue du désir

    d action,

    en

    y

    rattachant des traits caractéristiques de

    la

    physique et de

    la

    biologie actuelles,

    et en

    particulier les

    limitations auxquelles l ensemble de ces sciences semble

    soumis,

    et

    nous nous rendrons compte de ce que cet te concep-

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    12/44

    128 LA PROPOSITION

    tion,

    en

    dépit des objections (fondamentales, à notre avis)

    que l '

    on

    doit formuler

    à

    son égard, conserve cependant le

    grand

    avantage de ne reconnaître à l'intellect qu'une

    tendance unique. Contentons-nous de faire ressortir ici que

    la langue commune même offre des particularités

    montrant

    que l'assimilation positiviste répond à une tendance in

    time de l'esprit. Quand nous nous servons du terme com-

    prendre

    indifféremment pour indiquer, d une

    part,

    que

    nous avons inclus une chose dans une énumération, que

    nous l'avons englobée dans un concept plus général et,

    d autre

    part,

    que nous avons saisi une chose avec notre

    entendement, que nous

    la

    comprenons, non point comme

    faisant partie d autre chose, mais dans le sens absolu,

    n'avons-nous pas l'air d

     a

    ffirmer, en effet, qu'il y a

    deux

    actes équivalents, et qu'il suffira du premier

    pour

    que les

    exigences que notre raison entend formuler

    par

    la

    notion

    du

    second se trouvent satisfaites Or, s'il en était réelle

    ment

    ainsi, il est clair que le positivisme

    aurait

    raison,

    car, en renfermant des, concep

    ts

    les uns dans les autres,

    en en

    créant

    de plus en plus généraux, nous ne pourrons

    jamais arriver qu à décrire

    le

    comportement du réel à

    l aide de règles.

    Par

    le fait,

    il

    n y

    a

    qu'une synecdoque,

    analogue

    à.

    celle que nous appliquons en déclarant avoir

    déterminé la cause

    d un

    phénomène quand nous avons

    reconnu la loi

    qui

    le gouverne ; c'est la manifestation de ce

    que la raison, consciente de la difficulté

    du

    problème, est

    disposée à se contenter

    d une

    solution partielle, en

    lui

    attribuant (de manière provisoire)

    la

    valeur d'une solution

    totale IR, p. 39 et suiv.). On constate, toutefois, que

    cette

    manière de considérer les choses

    est

    plus naturelle

    quand

    i l

    s agit

    de confondre la cause et la loi

    que pour

    ce

    qui

    concerne les deux sens du terme

    comprendre.

    C'est donc

    qu'il y a bien là, comme nous venons de le dire, quelque

    chose comme un dés

    ir

    secret d assimiler l un à

    l autre

    les

    rc•

    .ç,

    i

    1

    '

    .

    t

    '·1

    .f

    l

    j

    . :

    W

    LA COHÉRENCE DES ATTRilUJTS

    129

    deux concepts. TI n en

    est

    pa8 moins certain, cependant,

    que

    nous les sentons, fortement

    et

    de manière immédiate, diffé-

    rents l un de l'autre,

    au

    point que toute confusion véritable,

    dans l'entendement, apparaît

    comme exclue, ce qui

    est

    bien

    une preuve que ce dernier résiste à l'effort d'a.gsimilation.

    A

    ce propos, le lecteur

    vou·

    80.

    NOTRE NOMENCLATURE

    dr

    b

    te

    .

    t

    d

    a

    1en

    rur comp e e oe

    que,

    pour

    écarter

    dans

    la mesure du possible les inconvé

    nients résultant du sens double que nous venons de signa

    ler, nous nous servirons

    du

    verbe

    comprendre

    uniquement

    (ou du moins partout

    où il

    y aurait

    possibilité, même

    lointaine,

    d une

    confusion) dans le sens fort, celui corres

    pondant, en plus expressif,à

    entendre; au

    contraire le

    tantif

    compréhension

    sera employé dans le sens étroit,

    celui

    où il

    s'oppose, en logique, à

    extension

    y aura là,

    assurément, une inconséquence, que nous regrettons, mais

    que nous n'avons paa

    su

    éviter,

    le

    terme

    intension

    créé en

    anglais, n étant

    point

    usité

    en

    français; alors que,

    d autre

    part,

    le

    latin

    intelligere

    n a pas donné naissance à un verbe

    français, mais bien au substantif

    intellection dont

    nous

    ferons usage pour remplacer le terme compréhension dans

    son sens fort, tout en nous excusant de ce qu'il pourrait

    présenter d un

    peu

    pédant. Mais le principal, dans des tra

    vaux comme celui-ci,

    n est

    -

    il pas

    d'éviter

    au

    lecteur toute

    méprise, et les autres considérations

    ne

    doivent-elles

    pas

    céder le pas à celle-là

    81.

    LA TRANSMUTATION DES ELEMENTS

    ET LEURS PROPRIETES

    Pour

    ce quiest

    du

    transfor-

    misme,

    nous

    n'avons, cela

    va

    sans dire, aucune intention d'entreprendre

    une réfutation analogue. Mais

    on

    peut montrer, croyons

    nous, que cette doctrine ne comporte pas, ou du moins ne

    comporte

    que

    très partiellement, dans le domaine dont nous

    traitons

    en ce moment, les conséquences

    qu on

    a voulu en

    KEYBRSON.

    -

    1.

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    13/44

    130

    U PBOPOSITIO {

    tirer.

    Admettons-

    ce qui

    paraît en

    effet

    probable-

    que

    les opinions de Cuvier que nous avons citées avaient été

    conçues

    en

    partie sous l'influence de son préjugé

    en

    faveur

    de

    la fixité de l'espèce. l l n 'en re

    ste

    pas moins que, même

    en

    la supposant mutable, les affirmations demeurent.

    M.

    Roustan, de manière très appropriée, a comparé

    la

    théorie de la fixité des espèces à celle de l'existence d'élé

    ments chimiques entièrement distincts et sans relations

    les uns avec les autres; la théorie transformiste s'assimile

    alors à celle de la transmutation des éléments, telle qu'elle

    résulte des données les plus récentes

    sur

    les corps radioactifs

    et leur action, des hypothèses sur la constitution des atomes,

    etc. Eh bien, supposons une science

    à. peu

    près achevée dans

    cet ordre d'idées, c'est-à-dire une sorte de théorie de Bohr

    très perfectionnée, expliquant réelleme

    nt, par la

    structure

    de l'atome

    et

    de

    la

    molécule, toutes les propriétés chimiques

    et

    physiques d'une substance : nous sommes, hélas, infini

    ment éloignés de cet état de choses au moment actuel,

    mais nous avons fait ressortir autrefois DR, § 204 à quel

    point le physicien contemporain a

    cet

    idéal

    en tête

    et com

    ment, fréquemment

    et

    inconsciemment, il

    tend à

    raisonner

    comme s'il était déjà.

    atteint

    ou, du moins, très proche de

    l'être. Dès lors, nous saurons,

    par

    exemple, que puisque,

    dans un atome

    de

    fer, n électrons occupent une position

    ou

    suivent des orbites déterminées,

    cette

    substance doit se

    comporter

    d un

    e manière déterminée

    au

    point de vue de

    sa

    conductibilité électrique et thermique, doit offrir au regard

    une couleur déterminée à la lumière du jour, doit réagir

    d'une manière déterminée

    en

    présence de

    tel

    acide, fondre

    ou se gazéifier à telle tempé

    ratur

    e, etc., etc. Le

    fait

    que nous

    saurons

    en

    même temps que le fer

    peut

    s'obtenir

    par

    trans

    mutation - par l'arrachement d'atomes d'hélium, pour

    nous en tenir à une supposition qui,

    en

    ce moment,

    paraît

    avoir la faveur des créateurs d'hypothèses en partant

    Â COHtRENCE DES ÀTTBlBUTS

    131

    d un autre élém nt et qu à l'inverse i l est lui-même suscep

    tible d'en fournir,

    par

    une opération analogue, un troisième

    modifiera-t-il

    cette

    situation

    1

    En aucune façon. l l nous

    aura appris sans doute que le fer ne reste pas toujours

    du

    fer, mais cela n'empêche qu'il

    aura

    néanmoins cohé

    rence entre ses diverses propriétés : chaque fois

    qu

    e la même

    structure de l'a tome se reproduira

    et

    qu'il

    aura

    autour du

    proton un nombre n d'électrons dans des positions ou des

    orbites que nous pourrons décrire, nous aurons une subs

    tance présentant les propriétés

    du

    fer, de même que nous

    savons que, dans une ellipse qui évolue en cercle, au moment

    même où le grand axe deviendra égal

    au

    petit, les angles

    périphériques d'une même corde deviendront immanqua

    blement égauxss.

    Nous n'avons, au surplus, qu à considérer ce que la chi·

    mie

    dit

    des composés : les éléments, une fois acquise

    la

    théorie idéale dont nous parlons, seront en effet évidemment

    devenus une sorte de composés d un ordre particulier. Or,

    pour p r ~ n r e

    un

    exemple précis,

    quand

    un chimis

    te tient

    un

    composé de

    la

    série aromatique présentant deux chaînes

    dans

    la

    position

    ortho

    il sait d'avance que cette substance

    présentera. des réactions

    qu il

    connaît. Et le fait que

    l'expérimentateur

    aura

    lui-même créé la substance,

    qu

    'il

    aura,

    par un

    artifice, planté ces chaînes dans la position

    ortho

    ne fera que rafferntir sa conviction à cet égard :

    l

    en

    sera. mieux assuré que les propriétés dont il prédira l'appa

    rition seront les conséquences de l'acte qu'il

    aura

    accom

    pli. Et il en sera de même pour ce qu i concerne les diverses

    propriétés de l'élément fer. Il y a plus :

    à

    l'heure qu'il

    est

    leur cohérence est pour nous purement empirique; nous

    savons qu'une substance

    dont le

    s solutions donnent la réac

    tion bien connue du bleu de Prusse se comporte, à

    l état

    métallique, d'une manière déterminée au point de vue élec

    trique, etc. Mais nous supputons, bien entendu, comme l a

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    14/44

    132

    LA PBO.POSITIO:K

    dit Cuvier (§ 70),

    que

    sous ce rapport empirique il

    doit

    y

    avoir un rapport rationnel. C'est ce dernier

    qui

    sera. établi

    par

    la

    formule

    de

    constitution

    de l atome, et

    alors,

    de

    toute

    évidence,

    la

    cohérence entre les diverses propriétés

    de

    l'élé

    ment

    fer

    sera

    devenue beaucoup plus étroite, car nous en

    saurons, selon l'expression de Mill, le pourquoi.

    Nous aurions pu, -

    82.

    LA

    PROPRI T ET LA FACULT:S

    t-êt

    • t

    ID8J.8 peu re

    eu

    -

    ce été moins convaincant en ce

    qui

    concerne l'énoncé

    se rapportant au genre qui se transforme,

    parvenir

    à

    la

    conclusion que nous formulons sans passer

    par

    le détour de

    la science.

    l l

    eût suffi en effet, semble-t-il, d'observer que

    le sens commun lui-même,

    en

    attachant un attribut à un

    objet, est loin d'affirmer l'immutabilité

    de la

    liaison.

    Quand

    je

    dis

    Socrate était hoplite

    ou

    était chauve je

    sais

    fort

    bien qu à

    l'âge de

    dix ans il ne pouvait être

    soldat,

    et

    je

    ne

    serais nulle

    ment étonné

    que

    l on

    m apprît

    qu à

    vingt

    ans il avait beau

    coup

    de cheveux; ce que j entends dire, c est que, parvenu

    à une certaine phase de son existence, l était l un et

    l autre.

    Le

    fait que Socrate, comme

    tous

    les êtres humains, a passé

    par

    des

    états

    où son apparence a énormément variéne m'em

    pêchera

    pas d'affirmer certaines particulari tés conditionnées

    par

    cette

    apparenceas.

    Ce que je me figure dans ce cas, c est que ces

    partioula.

    rités, alors même qu'elles

    ne

    se manifestaient point, se

    trouvaient néanmoins rattachées au sujet, logées

    en

    lui

    en

    quelque sorte,

    en

    tant que facultés comme l est le fait d être

    fusible ou ccrm usti le pour le soufre : ici la forme gramma

    ticale même nous avertit

    qu il

    s agit

    de

    ce qui ne devient

    perceptible que dans certaines conditions, bien

    que

    nous

    n ayons aucune hésitation à affirmer que ce sont là des pro

    priétés de cette matière. « L être capable de rire, dit

    Por

    phyre, a

    toujours

    cette faculté, parce

    qu il est

    ainsi naturel

    lement,

    et non pas

    du

    tout

    parce

    qu

    '

    il rit

    toujours a

    »

    : ~ l

    .

    ·

    . ;i

    ..

    t

    '

    .

    .

    \

    '

    . .

    1

    LA COHÉRENCE

    DES

    ATTRIBUTS

    133

    Ainsi, à supposer que,

    83. LA I O i ~ G ~ ~ ~ ~ F O R M I S T E par impossible, l nous

    fût donné de fabri-

    quer un chien, soit en partant

    de

    tel autre animal (dont

    nous transformerions l'espèce),

    soit

    de

    toutes

    pièces, en

    partant

    de la matière

    inorganisée, cela ne modifierait en

    rien

    notre

    conviction

    de

    la

    cohérence des divers

    attributs

    du

    chien, la forme de ses pieds, de ses dents, des os de son crâne,

    etc.

    Au

    contraire, les ayant créés nous-mêmes ou les

    ayant

    vus se

    modifier graduellement par

    la transformation

    de

    l'espèce, nous saurions

    certainement

    mieux à quoi tient

    cette cohérence, quelles

    en

    sont les raisons, raisons

    dont à

    l heure

    actuelle nous sommes forcés, Cuvier nous l a mon

    tré,

    de supposer l'existence, mais dont nous

    ne

    connaissons

    rien au delà

    de

    ce qu'énonce ce postulat. En effet, ce que

    nous aurions

    fait

    alors,

    c est

    nous assurer

    de cette

    cohérence

    des attributs

    par des expériences directes, et l est évident

    qu'ici comme ailleurs, l'expérimentation

    en

    tant que moyen

    de

    pénétrer

    dans les mystères du réel sera supérieure à

    l'observation pure et simple des

    faits

    engendrés spontané

    ment par le cours des choses. Mais

    une

    fois que nous aurons

    vu la

    transformation provoquée s'accomplir sous nos yeux,

    elle nous apparaîtra certainement comme analogue à celle

    de l'ellipse

    en

    cercle dont nous avons parlé au § 81

    :nous

    avons cons taté d'ailleurs que Cuvier lui-même a

    eu

    recours

    à

    cette

    comparaison entre les particularités d un organisme

    et

    les propriétés

    d une

    courbe(§ 70).

    Il

    est

    infiniment curieux d'observer que cette notion

    même de la transformation graduelle des organes et de la

    liaison

    qui

    se manifeste

    à travers de

    telles transformations

    s est

    présentée,

    à

    un

    moment

    donné, à l'esprit du

    grand

    naturaliste. A

    la

    suite

    d un

    des passages

    du Discours

    que

    nous avons reproduit au § 70, et après avoir déclaré que

    l'observation « nous sert à établir des lois rationnelles,

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    15/44

    134

    LA PROPOSITION

    quand

    elles reposent sur des observations assez répétées

    et cité comme exemple le fait

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    16/44

    136

    LA PROPOSITION

    trouverait éliminé.

    Tout

    au contraire, nous venons de le

    voir, la voie par laquelle s établira la démonstration trans-

    formiste implique forcément qu à. la constatation pure

    ment empirique de la cohérence un élément de rationalité

    viendrait s ajouter,

    ce

    qui tendrait certainement à renfor

    cer cette notion.

    Mais est-il exact que nous

    84. LB

    GENRE

    D NS LB M L • •

    f · l t

    pUISSIOns arre comp e e-

    ment

    abstraction de l existence du genre en tant qu en

    semble de phénomènes ou de choses se dessinant, avec plus

    ou moins de précision, sur le fond formé par le reste

    du

    réel1

    l

    st

    clair,

    tout

    d abord, d après ce que nous avons reconnu

    aux § 18 et suivants, que nous ne pouvons pénétrer

    dans la nature, raisonner

    sur

    elle, qu à l aide de l universel

    c est-à-dire, précisément, comme nous venons de le répé

    ter, de la notion de genre. Se pourrait-il que ce fût une hypo

    thèse simplement provisoire, heuristique, « hypothèse de

    travail » c est-à-dire uniquement destinée à faciliter ce

    trava il, mais dont le progrès de

    la

    pénétration même estom

    perait

    peu

    à

    peu

    les contours jusqu à, finalement, la faire

    s évanouir complètement

    1 Le

    genre,

    apparu

    tout d abord

    comme une tache fortement colorée sur

    un

    fond

    de

    gri

    saille, verrait-il graduellement pâlir ses couleurs, jusqu à.

    se confondre avec ce fond même

    1

    Sans doute est-ce une

    supposition que l évolution du savoir semble suggérer dans

    une certaine mesure, non seulement

    en

    ce qui concerne

    la

    conception évolutionniste

    en

    biologie,

    -c est

    là ce qu il y a

    de profondément juste dans les observations de M. Rous

    tan - mais encore par l unification croissante des divers

    chapitres de

    la

    physique (nous reviendrons

    un

    peu plus

    amplement sur ce sujet

    §

    293 et suivants). Mais le genre,

    étant manifestement solidaire de la notion de loi, nepeut dis

    paraître tant que celle-ci subsiste. Et il

    faut

    bien reconnaître

    en dépit de tout ce que l on a affirmé dans le sens con-

    J

    }  

    L .:\. COHÉRENCE DES ATTRIBUTS

    137

    t raire-

    que, dans le même sens où le physicien considère

    ses lois comme deva nt être valables à tout jamais, il est bien

    forcé d accorder

    la

    même perdurabilité au genre. Car, enfin,

    que signifieraient des lois décrivant le comportement des

    corps électrisés si nous étions forcés d abandonner le concept

    même d un

    tel

    corps 1n est vrai, sans doute, que l on a par-

    fois douté de

    la

    persistance absolue des lois elles-mêmes,

    et

    Emile Boutroux, entre autres, semble avoir nettement envi

    sagé la possibilité contraire. Poincaré lui a répliqué avec

    raison qu « une pareille conception n a aucune chance d être

    jamais adoptée par

    les savants; au sens

    ils l entendraient,

    ils ne sauraient y adhérer sans nier

    la

    légitimité et

    la

    possi

    bilité même de la science ». Cependant, le grand mathé

    maticien estimait que le philosophe conserve le droit de

    se poser

    la

    question

    44

    ».Or cela même ne nous

    paraît

    guère

    devoir être admis, ainsi qu il ressort de cett e simple

    réflexion qu i l ne s agit pas d une notion faisant partie

    du savoir que nous avons accoutumé de qualifier

    de

    scienti

    fique, mais d un principe antérieur à la science proprement

    dite, principe à l aide duquel cette science a été créée.

    La science a grandement élargi le domaine gouverné

    par

    lui;

    un

    nombre prodigieux de phénomènes que nous con

    cevons comme soumis à. la loi apparaissaient à nos ancêtres

    comme dus à l action d êtres surhumains

    ils

    paraissent

    encore tels

    aux

    primitifs de nos jours). Mais

    partout

    ils ne supposaient point une telle intervention, ils croyaient,

    tout comme nous, à l existence de règles, et le concept

    même de cette légalité était essentiellement le même chez

    eux que chez nous, sans quoi les actions les plus simples

    et

    les plus directes de

    la

    vie quotidienne leur fussent deve

    nues impossibles. Comte lui-même, si désireux pourtant de

    découvrir des différences dans l attitude que les hommes,

    aux

    différentes époques, observaient à l égard de la nature,

    a cons taté (après Adam Smith, comme on sait) qu en aucun

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    17/44

    138 LA PROPOSITION

    temps, chez aucun peuple, il n y eut un dieu de la pesan

    teur; ce qui veut dire évidemment que ce

    ph

    énomène a

    été, toujours

    et partout,

    considéré comme la conséquence

    d une loi pure et simple. Ainsi le principe de légalité appar

    tient

    bien au plus profond de notre raison, il

    est

    antérieur

    à

    la

    science aussi bien

    qu

     

    à. la

    philosophie, quel que soit d ail

    leurs le sens qu on veuille attribuer

    à, l un e t

    l autre de

    ces termes. Il est, par essence, absolu et semble n admettre

    que malaisément des compromissions §

    51).

    Nous aurons

    cepe

    ndant à

    revenir sur cett e matière plus loin(§ 101 et suiv.).

    M a i ~

    ne serait-il pas

    85. LA STRUCTURE

    DE

    L UNJVERS bl , ·

    poss1 e neanmoms

    qu à cette notion de genre, une fois celle de la cohésion

    des attributs dans le genre (en tant que conçue par l intel

    lect) mise à

    part,

    rien absolument ne corresponde dans le

    réel?

    Il

    nous semble clair,

    tout au

    contraire, que le rôle

    dominant que joue le genre dans l acquisition de

    tout

    ce

    que nous qualifions de savoir implique des conclusions

    définies en ce qui concerne la constitution intime de ce

    réel que nous abordons

    par

    nos sensation.. C e

    st

    ce que

    nous avions dé

    fait ressortir dans nos précédents

    ouvrages,

    et

    nous nous contenterons ici de résumer briève

    ment nos conclusions. Il

    faut

    que le réel ait, en son ensemble,

    une structure particulière - lord Balfour l a appelée la

    structure

    fibreuse

      5

    -

    qui permette cette constitution

    du

    genre.

    Il

    y a,

    dit

    M.

    Whitehead, deux aspects de

    la

    nature,

    en quelque sorte opposés l un à. l autre et néanmoins essen

    tiels

    l un et

    l autre.

    L un

    de ces aspects consiste dans le

    développement d un progrès créateur, dans le devenir

    essentiel de la nature. L autre aspect, c est la permanence

    des choses, le

    fait

    qu  elles peuvent être reconnues. Ainsi

    la

    nature est

    constamme

    nt

    quelque chose de nouveau, con

    cernant des objets qui ne sont n neufs,

    n

    vieux

    40

    » Si

    l on

    écarte ce qui, dans ce passage, se rapporte

    au

    devenir

    LA COHÉRENCE

    DES

    ATTRIBUTS 139

    (que la philosophie de M. Whitehead t end à inclure dans le

    rationnel, à peu

    pr

    ès de la manière dont l avait fait Hegel

    à

    l aide de

    sa

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    18/44

    140

    LA

    PROPOSITION

    «

    La ola.ssifica.tion, observe M Whitehea.à,

    n est

    qu nne

    indication de traits caractéristiques qui se trouvent déjà

    présents. Ainsi la classification botanique par les étamines,

    les pistils et les pétales s applique aux fleurs, mais non

    pas

    aux hommes

    49

    >>

    D

    est

    à peine besoin

    de

    faire ressortir

    que

    ce que nous

    avons exposé

    au

    paragraphe précédent

    au

    sujet

    de

    l impos·

    sibilité d admettre une variation des lois, s applique pré·

    cisément

    aux

    lois en tant que nous les concevons comme

    gouvernant

    directement

    le

    réel, comme de véritables lois

    de

    la

    nature. Quant à celles que nous formulons, n étant

    qu une expresc;ion approchée des rapports réels, elles demeu·

    rent

    constamment

    revisables.

    e

    lecteur voudra bien nous

    excuser d avoir, par moments, eu

    l air

    de confondre les

    deux

    notions. C 

    est

    qu en entendant les séparer, on s ap·

    plique

    en

    réalité

    à

    raisonner

    sur

    un

    univers différant

    en

    un

    de

    ses traits les plus essentiels de celui que nous connais·

    sons, ce qui ne laisse pas d amener un trouble malaisé à

    éliminer.

    W. James a beaucoup insisté sur cette notion d une

    structure particulière du réel, surtout, il est vrai, dans le

    sens

    d une

    cohérence des

    attributs.

    « Nous pourrions con

    cevoir, dit-il dans un

    des

    passages où il en

    traite

    , que ce

    monde-ci est

    un

    monde où tous les

    attributs

    généraux

    sont

    indépendants l un de l autre, de telle sorte que si l un d entre

    eux

    se

    trouvait dans

    un

    sujet

    S

    nous

    ne

    pourrions

    jamais

    être

    assurés quels

    autres attributs se trouveraient

    joints

    à lui. Dans

    une

    occasion déterminée, il pourrait y avoir

    avec M dans

    une

    autre Q et ainsi de suite. Dans un tel

    monde,

    l

    n y

    aurait point de

    successions ni

    de

    coexistences

    générales, et pas

    de

    lois universelles. Chaque groupement

    serait su generis; de l expérience

    du

    passé, il ne

    serait

    pos·

    sible de prédire aucun avenir, et raisonner y serait une im·

    possibilité. Mais le monde où nous vivons n est

    point

    ainsi

    LA

    OOHbENClil DES

    ATTRIBUTS

    141

    fait.

    Bien que

    beaucoup

    d attributs généraux paraissent

    indifférents l un à l autre,

    l en

    reste

    un

    certain nombre

    qui montrent l habitude constante de concomitance

    ou

    d incompatibilité mutuelle. Ils s entraînent ou s impliquent

    l un l autre.

    L un

    d entre

    eux

    constitue

    pour

    nous

    un

    indice

    que l autre

    sera découvert ..

    Ce

    monde-ci est,

    en

    fait,

    un monde où règnent des lois générales, où des énoncés

    universels

    sont

    vrais et

    où l est

    donc possible

    de

    raisonner.

    Heureusement pour nous

    6

    o .. >> Lotze déjà

    avait

    formulé,

    mais en leur donnant plus de portée, des v u ~ analogues. D

    a exposé que , ((dans les choses, la

    structure

    infiniment mul

    tiple du monde des idées

    »

    se trouve « donnée une fois pour

    toutes >>, et que l existence de ce

    fait,

    que

    l on

    considère géné·

    ralement comme

    allant de

    soi, est ce

    qu il

    y a

    de

    plus

    merveilleux au monde . Bien que ce soit là, continue-t-il,

    le

    fondement indispensable

    de toute

    pensée

    et

    que,

    pour

    cette

    raison même, nous le passions, dédaigneusement, sous

    silence, ce fondement... n est même pas nécessité par

    la

    pensée dans le sens où l est chaque rapport inclus en lui. Il

    est

    vrai

    que nous sommes impuissants

    à

    nous imaginer com

    ment

    cela se passera it si ce fait n existait pas, mais nous

    pouvons tout de même nous figurer un monde dans lequel. .

    des contenus innombrables s offriraient

    à

    la représentation

    par

    l esprit, mais qui seraientchacun à tel point sans relation

    avec l autre, tellement disparates à l égard l un de l autre,

    que

    deux d entre

    eux

    ne

    se

    réuniraient

    jamais dans un

    concept général quelconque, en tant qu espèces convenues,

    et que

    jamais

    une différence entre

    deux

    contenusne pourrait

    être

    jugée plus grande, plus petite ou autrement faite

    que celle entre deux autres>>. Ainsi, ((il n apparait point

    comme nécessaire à la pensée denknotwendig) que la pen

    sée puisse existerlil » Stanley

    Jevons

    a également affirmé

    que

    «Bi

    cet univers était chaotique, les facultés de l âme ne

    seraient pour nous d aucune utilité>>. Jevons, qui fonde sa

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    19/44

    142

    LA l ROPOSITIOlf

    manière de voir sur une opinion formulée

    par

    Condorcet,

    conclut d ailleurs en déclarant que «les choses ne sont pas

    dans un flux perpétuel, contrairement à ce qu affirmaient

    des philosophes anciens. Un élément reste élément; le fer ne

    se transforme point en or)). Ainsi l rattachait

    la

    structure

    particulière du physique

    à.

    l existence

    du

    genre immuable

    (cf. plus haut,

    §

    84), en considérant, tout comme

    M.

    Rous

    tan (cf.

    § 81),

    la notion de l élément chimique, telle qu elle

    existait avant les théories récentes, comme le type achevé

    de celle de genres2.

    De même encore, B. Erdmann déclare que le fait que

    l immense majorité des objets de

    la

    perception ne sont pa s

    uniques, mais au contraire des exemples de genres cons

    titue

    une constatation qui s impose

    à.

    chacun » et dont

    témoigne aussi l expérience des générations passées qui

    nous

    l ont

    transmise

    par

    le langage,

    à.

    l aide de l article

    indéfini

    3

    Qu on le remarque d ailleurs : la situation, en ce qui

    concerne les rapports entre le réel et le genre, est analogue

    à celle qui se révèle si nous considérons le trait le plus

    essentiel du monde du sens commun, lequel trait consiste

    évidemment en ce qu il est un monde d objets. Nous avons

    §

    28 et

    suiv.), en exposant les conclusions auxquel1es nous

    avait amené l examen de la pensée scientifique, affirmé

    que ces objets sont constitués (tout comme ceux que crée

    la science) en vue de satisfaire notre tendance à l iden

    tité dans le temps

    et

    dans l espace. Mais l est certain que

    le fait même que ces concepts puissent nous rendre service

    prouve qu il y a, dans le réel, quelque chose qui leur cor

    rel pond. L objet ne persiste pas absolument, mais l

    persiste

    pourtant

    suffisamment pour que nous ayons

    intérêt

    à.

    supposer cette persistance. C est ce que nous

    révèle

    la

    structure même

    du

    langage : le substantif est

    une représentation approximative de la substanceM.

    LA COHÉRENCI: DES ATTRIBUTS

    143

    Au § 19, parlant

    86.

    L

    CONCEPTION

    DE

    M .

    LOSSKI d

    t t t

    e a cons 1 u 1on

    du genre en tant qu indispensable à. celle de la science des

    lois, nous l avons traité de chose d idée Cette indication

    est-elle contredite

    par

    ce que nous venons d exposer Sans

    doute, dans une certaine mesure.

    En

    effet, nous aperce

    vons à présent que le genre ne saurait être une chose

    appartenant

    exclusivement à notre intellect, l

    faut

    qu il

    y

    ait

    dans le monde extérieur quelque particularité qui y

    corresponde, sans quoi l opération qui consiste à.

    abstraire

    ne réussirait point ou en tout cas, une fois accomplie, ne serait

    de nulle utilité (§ 29). On sait de reste que c est ainsi que

    l entendait Plat.on, de qui dérive l ensemble des concep

    tions se rattachant,

    en

    philosophie, à ce terme d idée. Mais

    pour l homme nourri à l école de

    la.

    science moderne,

    la

    pensée platonicienne dans son sens strict,

    la

    supposition

    d un monde d idées

    ou

    de genres immuables

    et

    d où déri

    vera it le réel mouvant est devenue plutôt malaisée à agréer.

    Cependant c est à. tort certes qu on l affirmerait impossible,

    car

    la conception que

    M.

    Losski a mise en avant

    et

    défendue

    avec beaucoup de vigueur sous le nom de réalisme idéaliste

    (idéal-réalisme) y revient au fond. Ce philosophe, en effet,

    se déclare en faveur du réalisme dans le sens que l on donnait

    à ce terme au moyen âge; pour lui , de telle sorte que l idée

    du

    triangle,

    par

    exemple, participe de celui que forment les droites reliant

    les centres de

    la.

    terre,

    du

    soleil

    et

    de

    Jupiter

    à.

    un

    moment

    donné, l existence de l être idéal

    étant

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    20/44

    144

    LA PROPOSITION

    nous convaincre que des genres ont

    été

    conçus pour dispa

    raître ensuite. Tel était le cas, par exemple, pour le feu, qui,

    pendant de longs siècles, est apparu comme une matière

    élémentaire très régulièrement définie, alors que,

    si

    nous

    lisons les exposés qui en traitent, nous sommes obligés

    de penser à des phénomènes très divers,

    n ayant

    les uns

    avec les autres que les rapports les plus lointains

    6

    11

    Et

    la

    substance chimique même que nous connaissons, semble-t-il

    le mie

    ux

    de tou tes, l eau, si longtemps considérée comme

    un

    élément, que nous savons depuis Lavoisier être

    un

    composé,

    mais qui n en était pas moins restée, jusqu à ces derniers

    temps,

    un

    genre indubitable, paraît menacée de se voir

    privée de cette dignité, puisqu on entend la considérer

    comme un mélange de deux polymères ou, si l on veut,

    comme la solution de

    l un

    dans l autre ES, p. 26). Tou

    tefois, nous n oserions prétendre qu il y

    ait là

    un

    obstacle

    que l ingéniosité

    d un

    e théorie métaphysique

    ne

    pourrait

    parvenir à vaincre.

    Toujours est-il qu au physicien de nos jours le réel appa

    raît comme étant fait de telle façon qu il admet la constitu

    tion de genres et de lois fondées

    sur

    ces concepts. Mais ces

    concepts

    et

    ces lois n en demeurent pas moins affectés

    d un

    facteur subjectif, ce sont des vues de l esprit sur le

    réel, et ils

    ne

    peuvent correspondre que partiellement à

    ce dernier. Sans doute le concept de cette correspondance

    partielle a-t-il quelque chose d indéterminé et se présente

    t -il de ce chef moins nette ment à l esprit que ne le font l un

    ou l autre extrême. C est ce qu i fait que si, d une part, on

    entend fréquemme

    nt

    parler de lois de la nature comme

    si elles existaient en elles-mêmes dans les choses et indépen

    damment de l esprit qui les conçoit, e qui évidemmenten

    traînerait l existence en soidu gen r d autre part, comme

    nous venons de le voir, des philosophes ont entendu écarter

    entièrement ce concept de genre de la science. Mais aucun

    LA

    COHiRENCE DES

    ATTRIBUTS 145

    de ces deux points de vue ne

    saurait

    être au fond concilié

    avec l attitude véritable du savant.

    La constatation de cette structure particulière

    du

    réel

    est-elle

    ultime

    c est-à-dire devons-nous considérer que

    tout

    espoir nous est interdit d en connaître jamais les raisons et

    que

    toute

    recherche dans

    cet

    ordre d idées

    est

    futile

    et

    oiseuse 1

    l

    serait peut-être difficile de le démontrer.

    l

    semble même,

    tout au

    contraire,

    qu

     on entrevoit comme une

    possibilité de rat tacher les constatations de

    cet

    ordre à celles

    qui

    concernent la discontinuité générale de la matière.

    Hâtons-nous d ajoute r que la marche de notre raisonne

    ment est indépendante de ces spéculations lointaines

    et

    même de l affirmation de la structure particulière du réel,

    car il nous suffit de nous rendre compte

    du

    rôle prépon

    dérant, dans la science, du concept de la cohérence des

    attributs dans le genre, qui est un fait.

    e

    reste, en effet,

    est affaire au métaphysicien, alors que nous entendons

    nous tenir sur le terrain commun, ainsi que nous l avons

    dit (§ 9, 43, 69), en recherchant uniquement les voies de la

    pensée.

    Nous comprenons main-

    88. LE RAPPORT

    EMPIRIQUE

    ET L ESSENCE tenant comment Il se

    fait

    que l  esprit,

    par

    l ob

    servation d un ou de quelques faits particuliers, conclue

    immédiateme

    nt au

    général, en d autres termes qu il for

    mule des inductions. C est que le rapport qu il a découvert

    empiriquement ne lui apparaît jamais en réalité comme

    purement empirique. Toujours, inconsciemment, impli

    citement, mais immanquablement, la conviction se crée

    qu il doit y avoir là la conséquence d une raison, que la

    raison (conformément à la formule de

    M

    Lalande que

    nous avons citée au

    §

    71, mais dont nous sommes mieux à

    même, à présent, de mesurer la portée) serait capable de

    saisir si elle lui

    était

    révélée, que

    la

    loi empirique ne peut

    lloiEYllRSON. -

    I.

    10

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    21/44

    146

    LA

    PBO:POSmON

    donc qu être fondée sur l essence des choses. Nous avons

    frotté un bouton de métal contre une paroi rugueuse

    et

    noté qu il s est échauffé. Allons-nous énoncer le fa it

    en

    ces

    termes Que nenni, nous dirons :les corps s échauffent

    par

    le frottement. On pourra faire valoir sans doute

    qu avant

    de formuler cette assertion nous avions encore

    pu

    étudier

    quantité d autres cas, le frottement d une corde contre

    une poutre, celui d  une roue contre un essieu mal graissé,

    etc ., etc. Mais quelle que soit la multiplicité de ces cons

    tatations, il est certain qu elles

    n ont

    point embrassé réel

    lement

    la

    totalité des corps.

    D où vient

    que nous les em

    brassions, sans

    le

    moindre scrupule,

    par

    notre énoncé

    C est q ue ce dernier, contrairement à l apparence, n est

    point

    un

    simple résumé des observations particulières; s il

    l était,

    la

    conclusion, reposant

    sur une

    induction incom

    plète, serait en effet caduque

    67

    • Mais nous avons cru, à.

    l aide de nos observations, saisir un coin de l essence réelle

    des choses (conformément au programme que Maine de

    Biran a tracé à la philosophie et que nous avons étendu à.

    la science, § 74 , nous croyons qu il e st conforme à. cette

    essence qu ils s échauffent par le frottement.

    Et la

    preuve,

    c est que la physique essaie ensuite de pousser plus loin dans

    cette voie, de mont rer comment,

    la

    chaleur étant elle-même,

    par essence, un mouvement, nous avons, en augmentant

    le mouvement des particules

    par

    le frottement, donné plus

    d ampleur à. leurs mouvements, c est-à-dire causé un

    accroissement

    de la

    température

    du

    corps frotté. C est

    au

    point que le fait de l échauffement par le frottement, si

    aisé cependant constater, avait, peut-on dire, échappé à.

    l attention des physiciens - on doutait de sa généralité

    ou,

    en

    tout cas,

    on

    ne lui

    attribuait

    aucune importance -

    jusqu au jour où

    il

    fut possible de l attacher à. une théorie

    générale de la matière et du mouvement

    58

    Jevons semble avoir parfaitement saisi

    la

    prédominance

    LA

    COHÉRENCE

    DES

    ATTRIBUTS

    147

    du

    rationnel sur l empirique dans des circonstances de ce

    genre. Nous devrions par le fait, dit-il à. propos de la

    recherche des nombres premiers, n avoir confiance en une

    loi qu après que nous l avons traitée de manière déductive

    et montré que des conditions supposées les résultats prévus

    doivent nécessairement s ensuivresll

    ,

    Au point de vue positiviste, qui est, en cette matière,

    celui de l empirisme pur, tout cela ne peut évidemment

    que paraître fort anormal;

    la

    règle est censée naître sponta·

    nément et se suffire à. elle-même. Mais en réalité cette

    règle d expérience, entièrement assurée et en même temps

    indépendante de tout apport de rationalité, est une pure

    abstraction. Non seulement

    la

    règle a été créée à. l aide de

    suppositions sur la cohérence des attributs, mais sa généra

    lité même ne nous

    apparaît

    fermement établie

    qu à partir

    du

    moment où nous pouvons l appuyer

    sur

    des

    raisons.

    Sans doute, dans certains cas, les observations concordantes

    se sont énormément accumulées, alors que, d autre part,

    on

    n a

    pu

    parvenir à reconnaître un lien légal quelconque:

    nous n hésitons pas

    à.

    affirmer que

    tous l s hommes sont

    mortels ou que tous les corps tombent sans pouvoir cepen

    dant indiquer pourquoi l

    en

    est ainsi. Mais il

    est

    aisé de

    se convaincre qu en réalité notre esprit

    admettrait

    par

    faitement, sans en être choqué, des exceptions à. l une et

    à.

    l autre

    de ces règles.

    La

    conception d êtres humains d es

    sence et pourtant doués d une vie éternelle n a jamais

    paru

    contradictoire. C était là, au fond, l idée que les Grecs

    d Homère se faisaient de leurs dieux, dont on a pu dire,

    avec quelque raison, qu en to ut, sauf

    en

    leur jeunesse

    impérissable, ils ressemblaient à ceux qui les avaient ima

    ginés. Alors que des créations plus tardives, dues

    3.

    l esprit

    inventü de romanciers (o l

    n a

    qu à penser aux vieillards

    destinés à. ne pas mourir, chez Swift), voire à. l imagination

    populaire (comme

    l

    légende

    du

    Juif Errant),

    nous mon-

  • 8/17/2019 Le Coherence Des Attributs

    22/44

    148

    LA.

    PROPOSITION

    trent que nous ne sommes point, dans cet ordre d idées,

    très diffé1ents des anciens. Et pour ce qui

    est

    de la gravita·

    tion, i l suffit de rappeler qu  il y a

    un

    siècle

    et

    demi à peine,

    l idée

    d un

    phlogistique absolument dénué de poids, voire

    doué

    d un

    poids négatif, ne

    fut

    nullement jugée paradoxale

    par

    de très bons esprits,

    et

    que de nos jours il a

    paru

    néces

    saire a ux physiciens de démontrer, à l aide d expériences très

    précises, que les corps radioactifs se comportent, à ce point

    de vue, comme tous les autres.

    fin de mieux

    89.

    LES

    CONCEPTIONS

    PSRIPAT 8TIQUES tt

    d

    me re en gar e

    le lecteur, revenons, ici encore, sur ce que nous avons

    exposé (

    §

    87)

    au

    sujet de notre attitude à l égard des

    questions de méta