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8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
1/44
CHAPITRE II
LA .COHÉRENCE DES ATTRIBUTS
En constatant un fait, nous ne pouvons
70.
UVIER f t t d h h , l
arre
au
remen que e c erc er a e com-
prendre : c'est
la
fonction normale
de la
raison (§
29
et
suiv.). Or,
en
raisonnant, celle-ci, contrainte de se figurer
que ce sur quoi elle raisonne
est
rationnel, est amenée
par à.
même à admettre qu'entre les diverses particularités dont
l'ensemble constitue le fait prévalent certaines relations.
Afin de préciser quelles sont ces relations, nous pensons
ne pouvoir mieux faire que de replacer sous les yeux du
lecteur quelques passages de Cuvier que nous avions déjà
cités autrefois ES,
p.
59
et suiv.), dans
un
dessein analogue,
mais
non
point tout à fait le même.
Le
grand biologiste,
en étudiant le fonctionnement des divers organes chez les
animaux, reconnaît
qu un
«
animal qui
ne peut
digérer
que de la chair doit, sous peine de destruction, avoir
la
faculté d'apercevoir son gibier, de le poursuivre, de le
saisir, de le dépecer .. Ainsi jamais une dent tranchante
et
propre à découper la chair ne subsistera dans la même
espèce avec
un
pied enveloppé de corne, qui ne
peut
que
soutenir l'animal
et
avec lequel il ne
peut
saisir. De
à la
règle que
tout
animal à sabot
est
herbivore, et ces règles
encore plus détaillées, qui ne sont que les corollaires de la
LA
O H ~ R E N O E
DES
ATTRIBUTS
107
première, que des sabots
aux
pieds indiquent des dents
molaires à couronne plate,
un
canal alimentaire très long,
un
estomac ample ou multiple et un
grand
nombre d'autres
rapports
du
même genre''·
En
généralisant ces observations,
Cuvier arrive
à
déclarer que c'est dans cette dépendance
mutuelle des fonctions et ce secours qu'elles se prêtent
mutuellement que
sont
fondées les lois qui déterminent les
rapports de leurs organes [c'est-à-dire des organes des ani
maux de diverses classes] et
qui
sont d'une nécessité égale
à
celle des lois métaphysiques
ou
mathématiqu es · Ailleurs
l
précise encore cette analogie entre les lois biologiques
et
les relations mathématiques.
« Tout
comme l'équation
d 'une courbe entraîne toutes ses propriétés, et de même
qu'en prenant chaque propriété pour base d'une équation
particulière on retrouverait, et l'équation ordinaire,
et
toutes les autres propriétés quelconques, de même l'ongle,
l'omoplate, le condyle, le fémur et tous les autres os pris
chacun séparément donnent
la
dent
ou
se donnent récipro
quement;
et en
commençant
par
chacun d'eux, celui quipos
sèderait rationnellement les lois de l'économie organique
pourrait refaire tout l'animal ''· Bien entendu, Cuvier a
pleinement conscience que la rationalité, dans les deux cas,
n est pas la même; celle des rapports mathématiques,
auxquels on arrive par
la
déduction,
est
apparente, alors
que pour les rapports biologiques ce que
l on
a établi
en
premier lieu, c'est leur constance,
la
raison ne nous
en étant
révélée que dans certains cas et plus tard. Mais
l est
con
vaincu (et à bon droit, certes) que cette constance nous appa
raît
comme une manifestation extérieure
d une
cohérence
essentielle. Il est, dit-il,
«
un grand
nombre de cas où notre
connaissance théorique des rapports des formes ne suffirait
point si elle n était appuyée
sur
l'observation · En effet,
on peut se rendre compte des raisons qui motivent la corré
lation entre les divers
traits
caractérisant la classe des
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
2/44
108
LA
PROPOSITION
animaux à sabots
en
général ; mais si
l on
desce
nd
ensuite
aux
ordres
et aux
subdivisions
de la
classe des animaux
à
sabots .. , les raisons de ces conditions subordonnées com
mencent
à
paraître moins claires. On conçoit bien encore
en
gros
la
nécessité
d un
système digestif plus compliqué
dans les espèces
où
le système dentaire est plus compliqué.
Mais je
dout
e que
l on
eût
deviné, si l observation ne
l avait
appris, que les ruminants auraient tous le pied fourchu
et
qu ils seraie
nt
les seuls qui l auraie nt;
je
doute que
l on
eût
deviné qu
il n y
aurait de cornes
au
front que dans cette
seule classe; que ceux d e
ntre
eux qui auraient des canines
aiguës manqueraient, pour
la
plupart, de cornes, etc.
Cependant, puisque ces rapports sont constants,
il
faut
bien qu ils
aient
une cause suffisante; mais comme nous
ne
la
connaissons pas, nous devons suppléer
au
défaut de
la
théorie par le moyen de l observation .. » Ainsi
l
existe,
en
biologie, des lois qui ccont, pour ainsi dire, été déduites,
par
le raisonnement, des connaissances que nous avions de
l influence réciproque des fonctions
et
de l usage de chaque
organe. L observation les
ayant
confirmées, nous nous
trouvons
en
droit de suivre une marche contraire
en
d autres
circonstances; et lorsque l observation nous montre des
rapports constants de forme entre certains organes, nous
devons
en
conclure qu ils exercent quelque action
l un
sur
l autre
>> Comme nous voyons clairement, dit-il dans
un
autre
passage de
la
même œuvre,
la
cause de ces rapports
entre les organes de ces deux fonctions [il s agit,
en
l espèce,
du
mode de respiration
d une
part,
et
de
la
manière
dont
s accomplit le mouvement
du
fluide nourricier
d autre
part],
nous sommes autorisés
à
présumer que d autres rapports
également constants
qui
existent entre elles
sont
aussi
fondés
sur
quelques causes
du
même genre, quoiqu elles ne
soient pas aussi évidentes
pour
nous
1
>>
Nous demandons pardon
au
lecteur de
la
longueur
et
de
Let COHÉRENCE
DES
ATTRIBUTS
109
la
multiplicité de ces citations,
d autant
plus blâmables
certes que nous citons pour
la
seconde fois, mais c est que
nous ne connaissons point d exemple où soit affirmée avec
autant
de précision et d éc
lat
cette idée primordiale (dont
nous avons parlé
au
§ 29
du
constant souci de
la
liaison
rationnelle, souci puissant quoique inconscient,
qui
accom
pagne toutes nos constatations, même
en
apparence les
plus rapprochées des faits.
71. OPINIONS N LOGUES
DE PHILOSOPHES
Cependant
on
retrouve
des conceptions analogues
chez beaucoup de pen
seurs. Ainsi
J.
S. Mill, après avoir exposé que l induction
véritable
est l induction
incomplète (comme nous l avons
dit au
§ 23), prend pour exemple l affirmation que
tous
les
animaux possèdent
un
système nerveux. cc Si...
on entend
dire seulement
tous l s animaux connus et
rien de plus,
la
proposition
n est pas
générale
et
le procédé
par
lequel
on
y
arrive
n est pas
l induction . Maissi l on veut dire que l ob
servation des différentes espèces d animaux a fait découvrir
une loi de
la nature
animale, et
qu on est en
mesure d affir
mer l existence
d un
système nerveux, même chez les ani
maux non
encore découverts, alors
l
y a vraiment induc
tion>>. Il est évident que ce que Mill qualifie ici de loi de
la nature
animale »
n est et
ne peut-être qu une supposition
sur
la
cohérence rationnelle,
tout
à fait
dans le sens
de
Cuvier. Mill a d
a
illeurs, dans d
au t
res passages, opposé
aux
cc lois primitives» (qui sont évidemment
du
même ordre
que cette loi de
la
nature
animale») les lois empiriques»,
c est-à-dire
cc
ces unüormités
dont
l observation
ou
l expéri
mentation révèle l existence, mais
qu on
a hésité à
admettre
sans réserve dans les cas différant beaucoup de ceux qui ont
été observés, parce qu on ne
voit pas pourquoi
la loi exis
terait». La
vérité [d une loi empirique]
peut et
même a
besoin d être expliquée
»,
et
cette
explication consisterait
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
3/44
llO
LA PROPOSITION
en
une réduction à des «lois plus simples
2
>> Noua aurons
l occasion de revenir un peu plus loin ( § 90, 96 et 97) sur les
vues de Mill dans ce domaine.
Hamelin s exprime avec plus de
netteté
encore.
Il
estime
qu il ne
peut
y avoir
aucun doute sur
la
psychologie des
savants dans cet ordre d idées; à leurs yeux, la connaissance
empirique est« un mode de pensée accidentel
et
provisoire:
ils croient que les faits sont liés, non juxtaposés, et les
procédés expér imentaux, loin d avoir pour
but
de constater
quelque existence sans raison, doivent mener
à
découvrir
l ordre rationnel des faits
3
·
Indépendamment,semble-t-il, de Cuvier, de Mill et d Ha-
melin,
M
Goblot est arrivé à une conception tout à fait
semblable en ce qui concerne ce
t t
e importante question
du
rapport
entre
les constatat ions empiriques
et la
croyance à
la rationalité, censée
en
faire le fond. « Là
où
l expérience
et
l induction nous font découvrir un ordre constant,
dit
ce
philosophe, il y a certainement une nécessité logique encore
à découvrir
>>
Ainsi, « le raisonnement inductif .. consiste
à établir,
par
une suite d opérations au bout desquelles est
une observation de fait, une constatation empirique, qu une
relation
est
constante;
on
peut en inférer qu elle
est
néces
saire,
car
il
n est
pas supposable que le hasard et la contin
gence produisent l uniformité parfaite. Mais
cette
nécessité
n est
qu inférée; elle demeure cachée, insaisissable, elle
n est pas aperçue par l esprit, tant qu on s en tient au rai
sonnemflnt inductif
4
>>
C est ce que
M
Lalande a résumé
en
cette formule :
« Nous nous croyons en droit d induire, parce que nous
estimons que si nous en savions assez, nous serions
en
mesure
de déduire >>
Et
cet énoncé si simple, que l auteur, après
l avoir placé au début de son important ouvrage sur les
Théories e l induction et
e
l expérimentation, reproduit,
sous une forme un peu simplifiée, dans un des derniers
LA
COHÉRENCE DES ATTRIBUTS
chapitres du livre
5
, nous semble indiquer en effet la véritable
solution du problème. L ensemble des conceptions que
nous avons développées ou que nous développerons dans la
suite dans
cet
ordre d idées, le lecteur le constatera, est
très conforme
à
cette
pensée directrice.
Il
est
clair d ailleurs
que ce par quoi le chercheur se laisse guider ne peut être
qu une réflexion heuristique, qu il sera
prêt
à modifier ou à
abandonner si le réel, sur le point précis, se montre rétif.
Et la conclusion même à laquelle l aboutira gardera néces
sairement quelque chose de cette incertitude. Il jugera, à
l aide de son induction, du comportement du réel dans des
circonstances où il n a pu le constater, et notamment
dans l avenir; mais il ne le fera qu avec des réserves.
Comme le dit encore M. Lalande, son énoncé sera non
pas
constatij,
mais
normatif,
en
ce sens
qu il
affirmera que
l on doit juger de telle manière en l absence de
toute
ndi
cation contrairee.
Claude Bernard déjà, avait reconnu l essentiel de ce ra p
port
entre
l induction
et
la déduction.>.
M
Losski affirme qu e le raisonnement inductif est
dû
à
une intuit ion immédiate des liaisons nécessaires entre les
éléments de l univers
8
>>
,ce
qui se rapproche en
un
certain
sens des vues exprimées par nous, sauf cependant le fait que
cette opinion
du
philosophe russe repose sur une théorie
métaphysique déterminée dont nous a urons l occasion de
dire quelques mots § 86 et 102. -
Natorp
déclare que
sujet et
prédicat ne pourraient
être
réunis
dans
un juge
ment s il n existait antérieurement une cohérence concep
tuelle entre eux, au point de vue de leur origine
9
• e qui
est
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
4/44
112
LA PROPOSITION
manüeste,
c est que
dans
tout
jugement, si empirique
qu il
puisse
être en
apparence, nous supposons en réalité implicite
ment
une telle cohérence. -
«Il
a
été
évident
pour
nous,
dit
à son
tour
Bosanquet, en
résumant
les conclusions auxquelles
l avait
amené l analyse logique
du
jugement,
que la
con
nexion générale se trouve
partout
à l œuvre à l arrière-plan,
exploitant
toute
qualification exprimée
ou
impliquée dans
le sujet,
au
profit d une connexion systématique ou de la
nécessité et aux dépens de la conjonction simplement per
ceptive
ou narrative
des contenus
». -
Lachelie r affirme que
la nature est tout à la
fois
une
science
qui
ne se lasse pas
de déduire les effets des causes
et
un
art qui
s essaie sans
cesse à des inventions nouvelles; et s il nous
est
donné dans
quelques cas
de
suivre
par
le calcul
la
marche unüorme de
la
science
qui
travaille
au
plus profon d des choses, l induc
tion
proprement
dite
consiste
plutôt
à deviner,
par
une
sorte d instinct , les procédés variables de l art qui se
joue à
la
surface
10
». Il
y a beaucoup de
vrai
dans ces
lignes,
notamment,
nous l avons
vu, en
ce
qui
concerne
le caractère de divination qui
est
attaché à
toute
induc
tion
véritable. Mais
i l
faut ajouter
que, comme Cuvier
et
M. Goblot l ont indiqué, l esprit ne se contente
jamais
de
connaître cette surface, mais cherche
aussitôt
à pénétrer,
à travers ce premier savoir, jusqu au plus profond des
choses JJ.
De
toute
évidence, ce
n est
là
qu un
aspect, à peine
distinct, de
cette
propension
intime
et vigoureuse dont nous
avons parlé
aux§ 29 et
suiv., propension
qui
nous pousse
à concevoir le réel comme conforme à la raison. Par le fait,
nous avons
l air
de répéter simplement les conclusions que
nous avions formulées en
examinant
les voies que
suit
en
général
la
pensée scientifique.
Ce que
nous constatons ici,
c est
que
l attitude
de
l esprit qui
chemine
par
induction
en dérive directement.
t l
LA
COHÉRENCE DES ATTRIBUTS
3
Cependant les opinions
que
nous
72. L POSITIVISM
venons
de
formuler, nous devons
le reconnaître,
vont
directement
à
l encontre des principes,
tantôt
ouvertement proclamés
et tantôt
seulement impli
citement admis,
par un grand
nombre de logiciens et de
psychologues
de notre
temps.
Ces
principes nous semblent
se rattacher à deux grands corps de doctrine, à savoir
au
positivisme et au transformisme.
Le
positivisme, on le sait assez, proscrit rigoureusement
toute
investigation
allant au
delà des relations constantes
de succession
et
de similitude JJ et
portant
notamment sur
la
nature intime des phénomènes ou « leur mode essentiel
de production J . Ce sont là les expressions mêmes de Comte
11
,
et l on
voit que
Mach, bien
qu
il
ne
se soit jamais réclamé
de
lui
(et
que
Comte lui-même, d ailleurs,
par
un
illogisme
heureux,
eût
déclaré l atomis me
une
«bonne hypothèse
ll ,
n a
fait
tout
de même que se conformer
à
l esprit de
la
doc
trine en protestant violemment, dans
sa
polémique avec
M.
Planck, contre les conceptions atomistiques des physi
ciens, en tant
que
théories explicatives. Comte a aussi expres
sément affirmé que
l attitude
mentale suggérée
par
lui
était
celle des savants de son temps, ou
du
moins de tous ceux
d entre
eux
qui
méritaient
d être
qualifiés
deJ,
les hommes
qui
s occupaient des recherches
qu il
condam
nait
ne
pouvant être que des es
prits
entièrement étrangers
aux études scientifiques
JJ. Et
si Mach, précisément
en
rai
son de la polémique dont nous venons de parler, n a pu être
aussi péremptoire
en
ce qui concerne les physiciens qui
lui
étaient
contemporains, les expressions
dont i l
s est
servi
à
l égard
de
son adversaire
montrent cependant
qu en
dépit
de
la
haute
autorité dont jouit
M.
Planck,
i l croyait
pouvoir juger contraire
aux
règles fondamen
tales
de la
science
l attitude
entière de
cet
illustre
phy-
sicien12.
MEY
:
RSON . -
1
8
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
5/44
114
LA PROPOSITION
Pour ce qui est, d autre part,
73.
LE TR NSFORMISME
d
t
f
ffirm
u rans orrmsme, on a e
qu il a ruiné
la
conception fondamentale
d où
découlait celle
du
syllogisme antique, à savoir
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
6/44
116
LA. PROPOSITION
d un réel indépendant du moi. En effet, tant que nous res
tons dans l'ordre d'idées scientifique, et à moins de recourir
à
l'affirmation aventureuse
d une
communication directe
entre les intellects, - communication qui, selon les méta
psychistes eux-mêmes, n aurait Heu que dans les cas les
plus rares - il paraît manifeste que nous sommes obligés
de concevoir ce que les sensations d'esprits divers pré
sentent de
concordant comme
provenant d une
source
placée en dehors de l'e:>prit.
De
toute façon, l'ensemble de l'évolution de la science
moderne forme une constatation d autant plus frappante,
qu étant donné le
grand
prestige des conceptions positivistes,
les savants auraient dû être tentés de diriger leurs efforts
dans
la direction indiquée par Mill. Or,
on
ne relève rien
qui ressemble à une véritable
tentative
en vue de constituer
une physique
de
la sensation directe; la psychophysique de
Fechner et de ses successeurs ne saurait certainement
passer pour
un
travail d'approche bien caractérisé dans cet
ordre d'idées,
et il
est manifeste d'ailleurs, quoi
qu on
pense
de ses résultats et de ses chances de succès dans l'avenir,
que son développement
n a
exercé aucune influence pal
pable
sur
la
marche de
la
physique, laquelle continue, tout
au contraire, dans
la
voie qu'elle suit sans faiblir depuis la
Renaissance
et
qui déplaisait
tant
à
Gœthe
DR,
§
8).
La physique, de tout temps, a pris pour point de départ
le monde du
sens commun,
de ce sens commun qui, chez
Aristote (comme l_e formule Hamelin), se trouve sous
les sens spéciaux>>
et
qui a
pour
fonction de Ce sens commun
transforme les sensations en
objets, et
le physicien a toujou rs
eu besoin de l'objet, car
c est
toujours à l'objet, au support,
qu il a rattaché ses rapports. Maine de Biran, parlant de
la philosophie, a
dit que> Ainsi
la
réalité n est
pas
seulement, comme
on
le
dit
quelquefois, la fille de
la mesure • elle est aussi, en
un
certain sens, ce qui l'enfante,
elle est,
en
usant de la même image, sa mère.
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
7/44
118
LA
PROPOSITION
Nous constaterons dans notre
JIIe
livre(§
216)
que cette
manière de voir est confirmée par le fait que le physicien,
manifestement, raisonne comme s il admettait
un
réel
impossible
à
observer directement.
Nous avons, l est vrai, relevé plus haut (§ 44 et suiv.)
que des déclarations de physiciens contemporains, notam
ment de certains d entre les tenants de
la
forme
la
plus
extrême de
la
théorie des quanta, paraissent
au
premier
abord inspirées d une tendance contraire. Mais nous avons
reconnu (
§
47
qu
i y a là une illusion et que
la
physique
des quanta, comme toute autre, présuppose un réel situé en
dehors du moi.
75.
LA
SCIENCE ET L IDÉALISME
Sans doute, ce réa
lisme instinctif de
la
science choque-t-il l idéaliste, et pour peu que le
savant
ait
lui-même quelque teinte de philosophie,
l
se trouve,
presque nécessairement, induit à supposer qu il y a
là
une
sorte de complication inutile et
dont
l serait aisé de se
débarrasser. D où
la
tendance à prêter au savoir scienti
fique un aspect purement « phénoméniste >
tendance
qui a si puissamment favorisé l expansion des idées de
Comte, de Mach et de Duhem. Mais
tout
cela repose sur
une méprise fondamentale : les exposée; de
la
physique
perdraient tout
se.m>,
si l on tentait, ne fflt-ce qu un moment,
d abandonne1 le postulat d une existence d obje ts indépen
dants
de
la
sensation. L exemple
du
physicien qui,
aux
yeux
d Auguste Comte, était, comme on Rait., le véritable mo.
dèle du savant
positif
adversaire de toute métaphysique,
et dont
l attitude
dogmatique à
cet
égard semble d ail
leurs av.)ir exercé une influence considérable sur l auteur du
poc;;itivisme - à savoir Fourier - est fort instructif à cet
P,gard. Car Foill ier, ainsi que le constate un témoin compé
tent et peu suspect d une partialité trop grande en faveur
des conceptions substantialistes, manifestement >
Cette métaphysique impliquée par
la
science est-elle
inconsistante, contradictoire en elle-même Sans aucun
doute, puisque, si elle était en mesure de constituer un sys
tème cohérent de l être,
la
science
s y
tiendrait immuable
ment, alors que nous
la
voyons, tout au contraire, varier
sans cesse,
à
la recherche précisément du maximum de
cohérence ou, si l on veut, d un minimum d incohérence.
Mais quelles que soient ces variations, ce qui ne varie jamais,
c est
son affirmation de l existence
d un
réel.
76.
LA PSYCHOLOGIE
S NS TR NSCEND NCE
DE M. BUHLER
Afin de bien préciser
à
quel point notre
conception s écarte de
celle de l épistémologie à tendance idéaliste, sortons du
domaine de
la
physique pour entrer dans celui de
la
psychologie. Voici comment s exprime
M.
Bühler, en
traitant de la notion de l objet : «Je puis, et dois peut-être,
déterminer les objets indépendamment d un sujet qui
en
a
connaissance,
et
l
se
peut
que les lois
qui
les régissent
n aient
rien de commun avec celles de
la
conscience. Mais
au
point
de vue psychologique, le concept de
la
transcendance ne
saurait être utilisé d aucune manière. Que l objet soit ce
que l on voudra, ses déterminations ne peuvent nous être
présentes, ne peuvent être données ni comporter aucune
signification pour nous si nous n en avons pas conscience.
Toutes les déterminations d objets dont j ai connaissance,
j en ai connaissance en des modifications de ma conscience
et
par
le moyen de ces modifications, c est là une propo-
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
8/44
120
LA
PROPOSITION
sition évidente par elle-même.
Et
la psychologie n a
à
s oc
cuper que de telles modifications .. La question de
la
trans
cendance
n est
en général point un problème de psycholo
gie>
>
Or, s
il
est certain que
l on
peut concevoir de diverses
manières (ainsi que nous l avons dit au
début
de notre tra
vail,
§
7 et suiv.) les limites dévolues
aux
recherches propre
ment psychologiques,
l
n en
est
pas moins évident que si,
comme l indique l étymologie,
l
s agit d y étudier ce
qui
se
passe dans notre esprit (et l objet de
l étude
de M. Bühler,
intitulée : Faits et problèmes se rapportant à
une
psychologie
es phérwmènes e la pensée,
est d ailleurs pleinement con
forme à ce programme),
on
n y
saurait en
aucune façon
faire abstraction de ce fait primordial que nous sommes inti
mement persuadés de l existence des objets, alors même que
nous avons cessé de les percevoir et que rien, par conséquent,
ne les manifeste
à notr
e conscience, en
d autres
termes que
la notion même du réel du sens commun implique la
transcendance.
En
suivant l exposé de M. Bühler,
on
s aper
çoit à quel point l embarrasse
la
méconnaissance dece fait,
quelle peine
il
est obligé
de
se donner pour ramener les((déter
minations ayant trait
aux
choses Wasbestimmtheiten) dans
les actes du savoir immédiat à des déterminations de
place dans un ordre conscient
»
et comment, néanmoins,
l
est
forcé d avoir recours à l artifice bien connu du comme si
(lequel, comme
on
sait, permet
toute
licence de langage,
même le plus palpablement réaliste,
à
ceux qui cependant
prétendent ne
pas
sortir
d un
idéalisme intransigeant).
Afin de rendre acceptable
sa psychologieréflexive Reflexions-
psychologie), comme
il
la qualifie,
l
se voit amené à faire
intervenir, en
tant
que modification de la conscience
»,
le savoir,
dont
lcompare le rôle à celui de la troisième dimen
sion de l espace
24
• Mais rien n est plus manifes
te que
le
fait
que la raison intervient
très
activement dès le
début
même
de la perception, et que c e st celle-ci qui constitue la donnée
LA COHÉRENCE DES ATTRIBUTS
121
primordiale . La sensation pure, la donnée immédiate de
la conscience», que M. Berg::;on a si magistralement dégagée,
n est
qu inférée, déduite, par l analyse de ce que nous perce
vons.
Et l
est hors de doute que ce
que
nous percevons ce
sont de s objets, et que
toute
sensation,
en
nous, si nous
n en reconnaissons
pas
immédiatement la
nature
subjec
tive,décevante,
s objective aussitôt
en
un
réel
25•
C est
au
réel
également que se
rapportent
nos souvenirs. A cet égard,
le terme d image, dont
on
use fréquemment
à
ce propos,
est peut-être susceptible d induire
en err
eur2
6
, Sans doute
un souvenir visuel évoqué s offre
-t
-il à nous généralement
sous les espèces d une image visuelle, c est-à-dire qu il ne
présente que deux dimensions. Mais nous avons parfaite
ment
conscience en même temps que
cet
homme,
cet
édi
fice, etc., n étaient point plats, qu ils
étaient
nantis
d une
troisième dimension, qu ils possé
daient
de
la corporéité,
et
quand, dans notre esprit, nous opérons avec des images
ainsi évoquées, nous ne manquons pas un seul instant de
tenir
compte de
cette
circonstance.
Voici un exemple banal, mais
qui
nous paraît cependant
montrer
à
quel point
cett
e notion de
la
corporéité de l image
intervient spontanément et rapidement. On connaît les
figures à l aide desquelles les statisticiens, etc., essaient bien
souvent de r endre immédiatement sensibles des données
numériques plus ou moins abstraites.
On
représentera par
exemple
la
force relative des armées françaises
et
alle
mandes par deux soldats auxquels
on
donnera respective
ment
la taille correspondant
aux
chiffres de l effectif. Or,
en contemplant ces images,
on
est frappé de voir combien la
différence entre les données
num
ériques s y
trouve
accen
tuée. C est que le dessinateur n a tenu compte que
d une
seule dimension, alors que, du moment
où l on
nous montre
un
homme, nous
ne
pouvons faire autrement que de
l apercevoir corporel, avec ses trois dimensions, et que la
/
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
9/44
122
LA PROPOSmON
différence, de ce chef, se
trouve
élevée à.
la
troisième
puissance
27
•
M. Bühler, sans doute, connaît bien
cette
situation. TI
va
même très loin dans
cette
voie, puisque, pour lui, comme
d ailleurs
pour
les psychologues d aujou rd hui
en
général,
le
stade
premier de
la
sensation, celle de l image
à.
deux
dimensions, n existe
pas
en quelque sorte, l image est
tout de
suite réelle
et
a trois dimensions
27
•
Mais il nous
semble que, de
cette
affirmation,
on ne tire
point tout.es
les conséquences qu elle entraîne, puisqu on continue
d user
à.
ce propos
d un
langage ambigu, alors que le tridi
mensionnel de
la
perception
est
manifestement conçu
comme
un
être du réalisme naïf, c est-à-dire extérieur à
la
sensation et
transcendant par rapport
à celle-ci.
Dans
un
sens différent,
un
émi-
77.
L MÉT PHYSIQUE hil h h ·
DE
M
WHITEHE D
nent
p osop e
mat
ematl-
cien de nos jours,
M.
Whi
tehead, attaque lui aussi le réalisme scientifique. M. Whi
tehead, qui d ailleurs,
d une part,
se rapproche d Auguste
Comte
en
ce qu il suppose qu expliquer revient
à
décou
vrir
de nouveaux rapports et qui , d autre
part, voudrait
réintégrer dans
la
science les qualités secondaires
et
les
éléments de sensation pure28,
ne
conteste
pas
que
la
science
physique, jusque
l
y a
peu
d années,
était
fondée sur une
philosophie entièrement réaliste
ou
matérialiste (selon
la
nomenclature adoptée
par
le philosophe anglais) .
Il
reconnaî t que nous sommes à te] point dressés, aussi bien
par le langage et l enseignement formel que
par la
commo
dité qui en
résulte,
à
exprimer notre pensée
en
termes de
cette analyse matérialiste,
que
nous tendons intellectuelle
ment à
ne
pas tenir
compte de
la
situation véritable
(laquelle serait préciséme
nt
celle que M. Whitehe ad expose
et
dont nous n avons
pas
à. nous occuper i c i nous dirons
tout
à l heure les raisons de
cette
abstention).Mais
l
est
1 /
j:.
.
LA COHÉRENCE DES ATTRIBUTS
123
persuadé
que
cet
état
de choses
est en
quelque sorte arti
ficiel, qu il const itue
un
simple accident historique,
étant
dû à l influence exercée sur
la
science
par la
philosophie
grecque, influence qui
aurait
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
10/44
124
LA PROPOSITION
Enfin qui donc ne se rappelle que le matérialisme
du
xVIIIe et du xrxe
siècles (et qui mérite réellement ce nom)
s est constamment
et
étroitement rattaché aux concep
tions mécanistes, et non
point au
péripatétisme
?
Mais
ne
suffit-il pas de s'interroger soi-même pour constater
que nous voyons des
objets
en
ouvrant
les yeux le
matin
et
que nous sommes convaincus de les toucher quand
nous étendons la main, que cette métaphysique
est
celle du
sens commun, qu'elle
n est
pas, Reid
l a fait
res
sortir avec raison,
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
11/44
126
LA
PROPOSITION
liste Nous n avons point à le rechercher. Il nous suffit,
à cet égard, d avoir établi que l attitude du physicien n est
nullement due (contrairement à ce que suppose le penseur
anglais) à une sorte d accident historique, qu elle a sa source,
tout au contraire, dans cequi fait partie des fondements les
plus essentiels de notre esprit. Pourpréciser davantage encore:
ce n est que dans le cas où la profonde innovation t entée par
M Whitehead
réussirait,
c est-à-dire où l serait avéré que
les physiciens, ou du moins
un
grand nombre
d entre
eux,
se sont réellement mis à penser selon ce schéma, que nous
devrions à notre tour le scruter pour chercher à
en
tirer des
conclusions intéressant notre domaine3
7
•
Voici un autre exemple encore, celui d une pensée riche
et
puissante entre toutes : nous entendons parler de la phi
losophie de M Bergson. On nous a quelquefois reproché de
nous être insuffisamment oocupé de
sa
manière de concevoir
le réel. Or, si admirable que soit cette métaphysique, si
conforme qu on la juge à l être véritable des choses, ce qui
est certain, c est qu elle ne fait le fond ni de la pensée de
l homme de sens commun (comme nous venons de l exposer
au
§ 69), ni de celle du savant : nul plus que l auteur de
l Essai sur
l s
données immédiates lui-même
n a
insisté
sur le fossé profond
qui
sépare celle-là de celles-ci, sur
le renversement total de la marche accoutumée de l intel
lect qu exige l adoption de l ensemble deses vues.Sansdoute,
si le sens commun
est
fort le
nt
à se modifier,
la
science
évolue-t-elle rapidement, et l n est donc nullement contra
dictoire de prévoir l avènement d une physique ou d une
biologie bergsoniennes. Mais en
attendant
qu elles existent,
nous devons, pour notre
part,
faire abstraction de toute
possibilité de ce genre. Ajoutons que, même en supposant
réalisées des révolutions aussi formidables que celles quenous
venons d envisager,
et
alors que la science entière aurait
changé d aspect, les résultats de notre travail actuel ne se
LA COHÉRENCE DES ATTRIBUTS 127
trouveraient nullement frappés de caducité. Il resterait, en
effet, établi que, jusqu à une époque donnée,
la
pensée
du
ph ysicien
avait
cheminé d une manière déterminée,
et
le fait
que
cette
constatation,
au
lieu de s appliquer
au
présent,
aurait
trait
au passé, ne gênerait en rien nos déductions :
nous nous sommes, au
§
55, expliqué sur l avantage que
présente l examen de la science périmée, dans une phase
déterminée de son évolution. Nous avons, du reste, dans
un de nos livres antérieurs, eu l occasion de prendre posi
tion dans
un
cas très analogue.
Étudiant
les
th
éories rela
tivistes
et
envisageant la possibilité qu elles puissent être
un jour abandonnées à la suite de nouvelles constatations
expérimentales, nous avons maintenu que le fait même que
ces raisonnements avaient
paru
convaincants à la majo
rité des savants compétents suffisait pour légitimer les
conclusions que nous avions tirées de l analyse de ces
déductions DR ch. XIV-xv .
Constatons
cepen-
79. L IMPORTA
NC
E DU POSITIV
ISME
d t ·
an que
s1
nous
nous opposons à l épistémologie positiviste, ce n est nul
lement parce que nous méconnaissons le rôle important
que ce courant a joué dans l évolution de la science.
Dans notre IVe Livre (
§
409 et suiv.), nous aurons 1occasion
da revenir sur cette question, en
parlant
des rapports entre
le raisonnement
et
l expérience,
et
nous ferons alors res
sortir
à
quel point l influence de Bacon,
de
Locke
et
de
Comte,
tendant
à rehausser le prestige du facteur empirique
dans l acquisition du savoir, a été bienfaisante, voire néces
saire. Nous y verrons aussi comment M Bergson a énormé
ment approfondi cette notion de
la
science issue du désir
d action,
en
y
rattachant des traits caractéristiques de
la
physique et de
la
biologie actuelles,
et en
particulier les
limitations auxquelles l ensemble de ces sciences semble
soumis,
et
nous nous rendrons compte de ce que cet te concep-
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
12/44
128 LA PROPOSITION
tion,
en
dépit des objections (fondamentales, à notre avis)
que l '
on
doit formuler
à
son égard, conserve cependant le
grand
avantage de ne reconnaître à l'intellect qu'une
tendance unique. Contentons-nous de faire ressortir ici que
la langue commune même offre des particularités
montrant
que l'assimilation positiviste répond à une tendance in
time de l'esprit. Quand nous nous servons du terme com-
prendre
indifféremment pour indiquer, d une
part,
que
nous avons inclus une chose dans une énumération, que
nous l'avons englobée dans un concept plus général et,
d autre
part,
que nous avons saisi une chose avec notre
entendement, que nous
la
comprenons, non point comme
faisant partie d autre chose, mais dans le sens absolu,
n'avons-nous pas l'air d
a
ffirmer, en effet, qu'il y a
là
deux
actes équivalents, et qu'il suffira du premier
pour
que les
exigences que notre raison entend formuler
par
la
notion
du
second se trouvent satisfaites Or, s'il en était réelle
ment
ainsi, il est clair que le positivisme
aurait
raison,
car, en renfermant des, concep
ts
les uns dans les autres,
en en
créant
de plus en plus généraux, nous ne pourrons
jamais arriver qu à décrire
le
comportement du réel à
l aide de règles.
Par
le fait,
il
n y
a
là
qu'une synecdoque,
analogue
à.
celle que nous appliquons en déclarant avoir
déterminé la cause
d un
phénomène quand nous avons
reconnu la loi
qui
le gouverne ; c'est la manifestation de ce
que la raison, consciente de la difficulté
du
problème, est
disposée à se contenter
d une
solution partielle, en
lui
attribuant (de manière provisoire)
la
valeur d'une solution
totale IR, p. 39 et suiv.). On constate, toutefois, que
cette
manière de considérer les choses
est
plus naturelle
quand
i l
s agit
de confondre la cause et la loi
que pour
ce
qui
concerne les deux sens du terme
comprendre.
C'est donc
qu'il y a bien là, comme nous venons de le dire, quelque
chose comme un dés
ir
secret d assimiler l un à
l autre
les
rc•
.ç,
i
1
'
.
\
t
'·1
.f
l
j
. :
W
LA COHÉRENCE DES ATTRilUJTS
129
deux concepts. TI n en
est
pa8 moins certain, cependant,
que
nous les sentons, fortement
et
de manière immédiate, diffé-
rents l un de l'autre,
au
point que toute confusion véritable,
dans l'entendement, apparaît
comme exclue, ce qui
est
bien
une preuve que ce dernier résiste à l'effort d'a.gsimilation.
A
ce propos, le lecteur
vou·
80.
NOTRE NOMENCLATURE
dr
b
te
.
t
d
a
1en
rur comp e e oe
que,
pour
écarter
dans
la mesure du possible les inconvé
nients résultant du sens double que nous venons de signa
ler, nous nous servirons
du
verbe
comprendre
uniquement
(ou du moins partout
là
où il
y aurait
possibilité, même
lointaine,
d une
confusion) dans le sens fort, celui corres
pondant, en plus expressif,à
entendre; au
contraire le
tantif
compréhension
sera employé dans le sens étroit,
celui
où il
s'oppose, en logique, à
extension
y aura là,
assurément, une inconséquence, que nous regrettons, mais
que nous n'avons paa
su
éviter,
le
terme
intension
créé en
anglais, n étant
point
usité
en
français; alors que,
d autre
part,
le
latin
intelligere
n a pas donné naissance à un verbe
français, mais bien au substantif
intellection dont
nous
ferons usage pour remplacer le terme compréhension dans
son sens fort, tout en nous excusant de ce qu'il pourrait
présenter d un
peu
pédant. Mais le principal, dans des tra
vaux comme celui-ci,
n est
-
il pas
d'éviter
au
lecteur toute
méprise, et les autres considérations
ne
doivent-elles
pas
céder le pas à celle-là
81.
LA TRANSMUTATION DES ELEMENTS
ET LEURS PROPRIETES
Pour
ce quiest
du
transfor-
misme,
nous
n'avons, cela
va
sans dire, aucune intention d'entreprendre
une réfutation analogue. Mais
on
peut montrer, croyons
nous, que cette doctrine ne comporte pas, ou du moins ne
comporte
que
très partiellement, dans le domaine dont nous
traitons
en ce moment, les conséquences
qu on
a voulu en
KEYBRSON.
-
1.
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
13/44
130
U PBOPOSITIO {
tirer.
Admettons-
ce qui
paraît en
effet
probable-
que
les opinions de Cuvier que nous avons citées avaient été
conçues
en
partie sous l'influence de son préjugé
en
faveur
de
la fixité de l'espèce. l l n 'en re
ste
pas moins que, même
en
la supposant mutable, les affirmations demeurent.
M.
Roustan, de manière très appropriée, a comparé
la
théorie de la fixité des espèces à celle de l'existence d'élé
ments chimiques entièrement distincts et sans relations
les uns avec les autres; la théorie transformiste s'assimile
alors à celle de la transmutation des éléments, telle qu'elle
résulte des données les plus récentes
sur
les corps radioactifs
et leur action, des hypothèses sur la constitution des atomes,
etc. Eh bien, supposons une science
à. peu
près achevée dans
cet ordre d'idées, c'est-à-dire une sorte de théorie de Bohr
très perfectionnée, expliquant réelleme
nt, par la
structure
de l'atome
et
de
la
molécule, toutes les propriétés chimiques
et
physiques d'une substance : nous sommes, hélas, infini
ment éloignés de cet état de choses au moment actuel,
mais nous avons fait ressortir autrefois DR, § 204 à quel
point le physicien contemporain a
cet
idéal
en tête
et com
ment, fréquemment
et
inconsciemment, il
tend à
raisonner
comme s'il était déjà.
atteint
ou, du moins, très proche de
l'être. Dès lors, nous saurons,
par
exemple, que puisque,
dans un atome
de
fer, n électrons occupent une position
ou
suivent des orbites déterminées,
cette
substance doit se
comporter
d un
e manière déterminée
au
point de vue de
sa
conductibilité électrique et thermique, doit offrir au regard
une couleur déterminée à la lumière du jour, doit réagir
d'une manière déterminée
en
présence de
tel
acide, fondre
ou se gazéifier à telle tempé
ratur
e, etc., etc. Le
fait
que nous
saurons
en
même temps que le fer
peut
s'obtenir
par
trans
mutation - par l'arrachement d'atomes d'hélium, pour
nous en tenir à une supposition qui,
en
ce moment,
paraît
avoir la faveur des créateurs d'hypothèses en partant
 COHtRENCE DES ÀTTBlBUTS
131
d un autre élém nt et qu à l'inverse i l est lui-même suscep
tible d'en fournir,
par
une opération analogue, un troisième
modifiera-t-il
cette
situation
1
En aucune façon. l l nous
aura appris sans doute que le fer ne reste pas toujours
du
fer, mais cela n'empêche qu'il
aura
néanmoins cohé
rence entre ses diverses propriétés : chaque fois
qu
e la même
structure de l'a tome se reproduira
et
qu'il
aura
autour du
proton un nombre n d'électrons dans des positions ou des
orbites que nous pourrons décrire, nous aurons une subs
tance présentant les propriétés
du
fer, de même que nous
savons que, dans une ellipse qui évolue en cercle, au moment
même où le grand axe deviendra égal
au
petit, les angles
périphériques d'une même corde deviendront immanqua
blement égauxss.
Nous n'avons, au surplus, qu à considérer ce que la chi·
mie
dit
des composés : les éléments, une fois acquise
la
théorie idéale dont nous parlons, seront en effet évidemment
devenus une sorte de composés d un ordre particulier. Or,
pour p r ~ n r e
un
exemple précis,
quand
un chimis
te tient
un
composé de
la
série aromatique présentant deux chaînes
dans
la
position
ortho
il sait d'avance que cette substance
présentera. des réactions
qu il
connaît. Et le fait que
l'expérimentateur
aura
lui-même créé la substance,
qu
'il
aura,
par un
artifice, planté ces chaînes dans la position
ortho
ne fera que rafferntir sa conviction à cet égard :
l
en
sera. mieux assuré que les propriétés dont il prédira l'appa
rition seront les conséquences de l'acte qu'il
aura
accom
pli. Et il en sera de même pour ce qu i concerne les diverses
propriétés de l'élément fer. Il y a plus :
à
l'heure qu'il
est
leur cohérence est pour nous purement empirique; nous
savons qu'une substance
dont le
s solutions donnent la réac
tion bien connue du bleu de Prusse se comporte, à
l état
métallique, d'une manière déterminée au point de vue élec
trique, etc. Mais nous supputons, bien entendu, comme l a
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
14/44
132
LA PBO.POSITIO:K
dit Cuvier (§ 70),
que
sous ce rapport empirique il
doit
y
avoir un rapport rationnel. C'est ce dernier
qui
sera. établi
par
la
formule
de
constitution
de l atome, et
alors,
de
toute
évidence,
la
cohérence entre les diverses propriétés
de
l'élé
ment
fer
sera
devenue beaucoup plus étroite, car nous en
saurons, selon l'expression de Mill, le pourquoi.
Nous aurions pu, -
82.
LA
PROPRI T ET LA FACULT:S
•
t-êt
• t
ID8J.8 peu re
eu
-
ce été moins convaincant en ce
qui
concerne l'énoncé
se rapportant au genre qui se transforme,
parvenir
à
la
conclusion que nous formulons sans passer
par
le détour de
la science.
l l
eût suffi en effet, semble-t-il, d'observer que
le sens commun lui-même,
en
attachant un attribut à un
objet, est loin d'affirmer l'immutabilité
de la
liaison.
Quand
je
dis
Socrate était hoplite
ou
était chauve je
sais
fort
bien qu à
l'âge de
dix ans il ne pouvait être
soldat,
et
je
ne
serais nulle
ment étonné
que
l on
m apprît
qu à
vingt
ans il avait beau
coup
de cheveux; ce que j entends dire, c est que, parvenu
à une certaine phase de son existence, l était l un et
l autre.
Le
fait que Socrate, comme
tous
les êtres humains, a passé
par
des
états
où son apparence a énormément variéne m'em
pêchera
pas d'affirmer certaines particulari tés conditionnées
par
cette
apparenceas.
Ce que je me figure dans ce cas, c est que ces
partioula.
rités, alors même qu'elles
ne
se manifestaient point, se
trouvaient néanmoins rattachées au sujet, logées
en
lui
en
quelque sorte,
en
tant que facultés comme l est le fait d être
fusible ou ccrm usti le pour le soufre : ici la forme gramma
ticale même nous avertit
qu il
s agit
de
ce qui ne devient
perceptible que dans certaines conditions, bien
que
nous
n ayons aucune hésitation à affirmer que ce sont là des pro
priétés de cette matière. « L être capable de rire, dit
Por
phyre, a
toujours
cette faculté, parce
qu il est
ainsi naturel
lement,
et non pas
du
tout
parce
qu
'
il rit
toujours a
»
: ~ l
.
·
. ;i
..
t
'
.
.
\
'
. .
1
LA COHÉRENCE
DES
ATTRIBUTS
133
Ainsi, à supposer que,
83. LA I O i ~ G ~ ~ ~ ~ F O R M I S T E par impossible, l nous
fût donné de fabri-
quer un chien, soit en partant
de
tel autre animal (dont
nous transformerions l'espèce),
soit
de
toutes
pièces, en
partant
de la matière
inorganisée, cela ne modifierait en
rien
notre
conviction
de
la
cohérence des divers
attributs
du
chien, la forme de ses pieds, de ses dents, des os de son crâne,
etc.
Au
contraire, les ayant créés nous-mêmes ou les
ayant
vus se
modifier graduellement par
la transformation
de
l'espèce, nous saurions
certainement
mieux à quoi tient
cette cohérence, quelles
en
sont les raisons, raisons
dont à
l heure
actuelle nous sommes forcés, Cuvier nous l a mon
tré,
de supposer l'existence, mais dont nous
ne
connaissons
rien au delà
de
ce qu'énonce ce postulat. En effet, ce que
nous aurions
fait
alors,
c est
nous assurer
de cette
cohérence
des attributs
par des expériences directes, et l est évident
qu'ici comme ailleurs, l'expérimentation
en
tant que moyen
de
pénétrer
dans les mystères du réel sera supérieure à
l'observation pure et simple des
faits
engendrés spontané
ment par le cours des choses. Mais
une
fois que nous aurons
vu la
transformation provoquée s'accomplir sous nos yeux,
elle nous apparaîtra certainement comme analogue à celle
de l'ellipse
en
cercle dont nous avons parlé au § 81
:nous
avons cons taté d'ailleurs que Cuvier lui-même a
eu
recours
à
cette
comparaison entre les particularités d un organisme
et
les propriétés
d une
courbe(§ 70).
Il
est
infiniment curieux d'observer que cette notion
même de la transformation graduelle des organes et de la
liaison
qui
se manifeste
à travers de
telles transformations
s est
présentée,
à
un
moment
donné, à l'esprit du
grand
naturaliste. A
la
suite
d un
des passages
du Discours
que
nous avons reproduit au § 70, et après avoir déclaré que
l'observation « nous sert à établir des lois rationnelles,
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
15/44
134
LA PROPOSITION
quand
elles reposent sur des observations assez répétées
et cité comme exemple le fait
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
16/44
136
LA PROPOSITION
trouverait éliminé.
Tout
au contraire, nous venons de le
voir, la voie par laquelle s établira la démonstration trans-
formiste implique forcément qu à. la constatation pure
ment empirique de la cohérence un élément de rationalité
viendrait s ajouter,
ce
qui tendrait certainement à renfor
cer cette notion.
Mais est-il exact que nous
84. LB
GENRE
D NS LB M L • •
f · l t
pUISSIOns arre comp e e-
ment
abstraction de l existence du genre en tant qu en
semble de phénomènes ou de choses se dessinant, avec plus
ou moins de précision, sur le fond formé par le reste
du
réel1
l
st
clair,
tout
d abord, d après ce que nous avons reconnu
aux § 18 et suivants, que nous ne pouvons pénétrer
dans la nature, raisonner
sur
elle, qu à l aide de l universel
c est-à-dire, précisément, comme nous venons de le répé
ter, de la notion de genre. Se pourrait-il que ce fût une hypo
thèse simplement provisoire, heuristique, « hypothèse de
travail » c est-à-dire uniquement destinée à faciliter ce
trava il, mais dont le progrès de
la
pénétration même estom
perait
peu
à
peu
les contours jusqu à, finalement, la faire
s évanouir complètement
1 Le
genre,
apparu
tout d abord
comme une tache fortement colorée sur
un
fond
de
gri
saille, verrait-il graduellement pâlir ses couleurs, jusqu à.
se confondre avec ce fond même
1
Sans doute est-ce une
supposition que l évolution du savoir semble suggérer dans
une certaine mesure, non seulement
en
ce qui concerne
la
conception évolutionniste
en
biologie,
-c est
là ce qu il y a
de profondément juste dans les observations de M. Rous
tan - mais encore par l unification croissante des divers
chapitres de
la
physique (nous reviendrons
un
peu plus
amplement sur ce sujet
§
293 et suivants). Mais le genre,
étant manifestement solidaire de la notion de loi, nepeut dis
paraître tant que celle-ci subsiste. Et il
faut
bien reconnaître
en dépit de tout ce que l on a affirmé dans le sens con-
J
}
L .:\. COHÉRENCE DES ATTRIBUTS
137
t raire-
que, dans le même sens où le physicien considère
ses lois comme deva nt être valables à tout jamais, il est bien
forcé d accorder
la
même perdurabilité au genre. Car, enfin,
que signifieraient des lois décrivant le comportement des
corps électrisés si nous étions forcés d abandonner le concept
même d un
tel
corps 1n est vrai, sans doute, que l on a par-
fois douté de
la
persistance absolue des lois elles-mêmes,
et
Emile Boutroux, entre autres, semble avoir nettement envi
sagé la possibilité contraire. Poincaré lui a répliqué avec
raison qu « une pareille conception n a aucune chance d être
jamais adoptée par
les savants; au sens
où
ils l entendraient,
ils ne sauraient y adhérer sans nier
la
légitimité et
la
possi
bilité même de la science ». Cependant, le grand mathé
maticien estimait que le philosophe conserve le droit de
se poser
la
question
44
».Or cela même ne nous
paraît
guère
devoir être admis, ainsi qu il ressort de cett e simple
réflexion qu i l ne s agit pas d une notion faisant partie
du savoir que nous avons accoutumé de qualifier
de
scienti
fique, mais d un principe antérieur à la science proprement
dite, principe à l aide duquel cette science a été créée.
La science a grandement élargi le domaine gouverné
par
lui;
un
nombre prodigieux de phénomènes que nous con
cevons comme soumis à. la loi apparaissaient à nos ancêtres
comme dus à l action d êtres surhumains
ils
paraissent
encore tels
aux
primitifs de nos jours). Mais
partout
où
ils ne supposaient point une telle intervention, ils croyaient,
tout comme nous, à l existence de règles, et le concept
même de cette légalité était essentiellement le même chez
eux que chez nous, sans quoi les actions les plus simples
et
les plus directes de
la
vie quotidienne leur fussent deve
nues impossibles. Comte lui-même, si désireux pourtant de
découvrir des différences dans l attitude que les hommes,
aux
différentes époques, observaient à l égard de la nature,
a cons taté (après Adam Smith, comme on sait) qu en aucun
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
17/44
138 LA PROPOSITION
temps, chez aucun peuple, il n y eut un dieu de la pesan
teur; ce qui veut dire évidemment que ce
ph
énomène a
été, toujours
et partout,
considéré comme la conséquence
d une loi pure et simple. Ainsi le principe de légalité appar
tient
bien au plus profond de notre raison, il
est
antérieur
à
la
science aussi bien
qu
à. la
philosophie, quel que soit d ail
leurs le sens qu on veuille attribuer
à, l un e t
l autre de
ces termes. Il est, par essence, absolu et semble n admettre
que malaisément des compromissions §
51).
Nous aurons
cepe
ndant à
revenir sur cett e matière plus loin(§ 101 et suiv.).
M a i ~
ne serait-il pas
85. LA STRUCTURE
DE
L UNJVERS bl , ·
poss1 e neanmoms
qu à cette notion de genre, une fois celle de la cohésion
des attributs dans le genre (en tant que conçue par l intel
lect) mise à
part,
rien absolument ne corresponde dans le
réel?
Il
nous semble clair,
tout au
contraire, que le rôle
dominant que joue le genre dans l acquisition de
tout
ce
que nous qualifions de savoir implique des conclusions
définies en ce qui concerne la constitution intime de ce
réel que nous abordons
par
nos sensation.. C e
st
ce que
nous avions dé
jà
fait ressortir dans nos précédents
ouvrages,
et
nous nous contenterons ici de résumer briève
ment nos conclusions. Il
faut
que le réel ait, en son ensemble,
une structure particulière - lord Balfour l a appelée la
structure
fibreuse
5
-
qui permette cette constitution
du
genre.
Il
y a,
dit
M.
Whitehead, deux aspects de
la
nature,
en quelque sorte opposés l un à. l autre et néanmoins essen
tiels
l un et
l autre.
L un
de ces aspects consiste dans le
développement d un progrès créateur, dans le devenir
essentiel de la nature. L autre aspect, c est la permanence
des choses, le
fait
qu elles peuvent être reconnues. Ainsi
la
nature est
constamme
nt
quelque chose de nouveau, con
cernant des objets qui ne sont n neufs,
n
vieux
40
» Si
l on
écarte ce qui, dans ce passage, se rapporte
au
devenir
LA COHÉRENCE
DES
ATTRIBUTS 139
(que la philosophie de M. Whitehead t end à inclure dans le
rationnel, à peu
pr
ès de la manière dont l avait fait Hegel
à
l aide de
sa
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
18/44
140
LA
PROPOSITION
«
La ola.ssifica.tion, observe M Whitehea.à,
n est
qu nne
indication de traits caractéristiques qui se trouvent déjà
présents. Ainsi la classification botanique par les étamines,
les pistils et les pétales s applique aux fleurs, mais non
pas
aux hommes
49
>>
D
est
à peine besoin
de
faire ressortir
que
ce que nous
avons exposé
au
paragraphe précédent
au
sujet
de
l impos·
sibilité d admettre une variation des lois, s applique pré·
cisément
aux
lois en tant que nous les concevons comme
gouvernant
directement
le
réel, comme de véritables lois
de
la
nature. Quant à celles que nous formulons, n étant
qu une expresc;ion approchée des rapports réels, elles demeu·
rent
constamment
revisables.
e
lecteur voudra bien nous
excuser d avoir, par moments, eu
l air
de confondre les
deux
notions. C
est
qu en entendant les séparer, on s ap·
plique
en
réalité
à
raisonner
sur
un
univers différant
en
un
de
ses traits les plus essentiels de celui que nous connais·
sons, ce qui ne laisse pas d amener un trouble malaisé à
éliminer.
W. James a beaucoup insisté sur cette notion d une
structure particulière du réel, surtout, il est vrai, dans le
sens
d une
cohérence des
attributs.
« Nous pourrions con
cevoir, dit-il dans un
des
passages où il en
traite
, que ce
monde-ci est
un
monde où tous les
attributs
généraux
sont
indépendants l un de l autre, de telle sorte que si l un d entre
eux
se
trouvait dans
un
sujet
S
nous
ne
pourrions
jamais
être
assurés quels
autres attributs se trouveraient
joints
à lui. Dans
une
occasion déterminée, il pourrait y avoir
avec M dans
une
autre Q et ainsi de suite. Dans un tel
monde,
l
n y
aurait point de
successions ni
de
coexistences
générales, et pas
de
lois universelles. Chaque groupement
serait su generis; de l expérience
du
passé, il ne
serait
pos·
sible de prédire aucun avenir, et raisonner y serait une im·
possibilité. Mais le monde où nous vivons n est
point
ainsi
LA
OOHbENClil DES
ATTRIBUTS
141
fait.
Bien que
beaucoup
d attributs généraux paraissent
indifférents l un à l autre,
l en
reste
un
certain nombre
qui montrent l habitude constante de concomitance
ou
d incompatibilité mutuelle. Ils s entraînent ou s impliquent
l un l autre.
L un
d entre
eux
constitue
pour
nous
un
indice
que l autre
sera découvert ..
Ce
monde-ci est,
en
fait,
un monde où règnent des lois générales, où des énoncés
universels
sont
vrais et
où l est
donc possible
de
raisonner.
Heureusement pour nous
6
o .. >> Lotze déjà
avait
formulé,
mais en leur donnant plus de portée, des v u ~ analogues. D
a exposé que , ((dans les choses, la
structure
infiniment mul
tiple du monde des idées
»
se trouve « donnée une fois pour
toutes >>, et que l existence de ce
fait,
que
l on
considère géné·
ralement comme
allant de
soi, est ce
qu il
y a
de
plus
merveilleux au monde . Bien que ce soit là, continue-t-il,
le
fondement indispensable
de toute
pensée
et
que,
pour
cette
raison même, nous le passions, dédaigneusement, sous
silence, ce fondement... n est même pas nécessité par
la
pensée dans le sens où l est chaque rapport inclus en lui. Il
est
vrai
que nous sommes impuissants
à
nous imaginer com
ment
cela se passera it si ce fait n existait pas, mais nous
pouvons tout de même nous figurer un monde dans lequel. .
des contenus innombrables s offriraient
à
la représentation
par
l esprit, mais qui seraientchacun à tel point sans relation
avec l autre, tellement disparates à l égard l un de l autre,
que
deux d entre
eux
ne
se
réuniraient
jamais dans un
concept général quelconque, en tant qu espèces convenues,
et que
jamais
une différence entre
deux
contenusne pourrait
être
jugée plus grande, plus petite ou autrement faite
que celle entre deux autres>>. Ainsi, ((il n apparait point
comme nécessaire à la pensée denknotwendig) que la pen
sée puisse existerlil » Stanley
Jevons
a également affirmé
que
«Bi
cet univers était chaotique, les facultés de l âme ne
seraient pour nous d aucune utilité>>. Jevons, qui fonde sa
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
19/44
142
LA l ROPOSITIOlf
manière de voir sur une opinion formulée
par
Condorcet,
conclut d ailleurs en déclarant que «les choses ne sont pas
dans un flux perpétuel, contrairement à ce qu affirmaient
des philosophes anciens. Un élément reste élément; le fer ne
se transforme point en or)). Ainsi l rattachait
la
structure
particulière du physique
à.
l existence
du
genre immuable
(cf. plus haut,
§
84), en considérant, tout comme
M.
Rous
tan (cf.
§ 81),
la notion de l élément chimique, telle qu elle
existait avant les théories récentes, comme le type achevé
de celle de genres2.
De même encore, B. Erdmann déclare que le fait que
l immense majorité des objets de
la
perception ne sont pa s
uniques, mais au contraire des exemples de genres cons
titue
une constatation qui s impose
à.
chacun » et dont
témoigne aussi l expérience des générations passées qui
nous
l ont
transmise
par
le langage,
à.
l aide de l article
indéfini
3
•
Qu on le remarque d ailleurs : la situation, en ce qui
concerne les rapports entre le réel et le genre, est analogue
à celle qui se révèle si nous considérons le trait le plus
essentiel du monde du sens commun, lequel trait consiste
évidemment en ce qu il est un monde d objets. Nous avons
§
28 et
suiv.), en exposant les conclusions auxquel1es nous
avait amené l examen de la pensée scientifique, affirmé
que ces objets sont constitués (tout comme ceux que crée
la science) en vue de satisfaire notre tendance à l iden
tité dans le temps
et
dans l espace. Mais l est certain que
le fait même que ces concepts puissent nous rendre service
prouve qu il y a, dans le réel, quelque chose qui leur cor
rel pond. L objet ne persiste pas absolument, mais l
persiste
pourtant
suffisamment pour que nous ayons
intérêt
à.
supposer cette persistance. C est ce que nous
révèle
la
structure même
du
langage : le substantif est
une représentation approximative de la substanceM.
LA COHÉRENCI: DES ATTRIBUTS
143
Au § 19, parlant
86.
L
CONCEPTION
DE
M .
LOSSKI d
t t t
e a cons 1 u 1on
du genre en tant qu indispensable à. celle de la science des
lois, nous l avons traité de chose d idée Cette indication
est-elle contredite
par
ce que nous venons d exposer Sans
doute, dans une certaine mesure.
En
effet, nous aperce
vons à présent que le genre ne saurait être une chose
appartenant
exclusivement à notre intellect, l
faut
qu il
y
ait
dans le monde extérieur quelque particularité qui y
corresponde, sans quoi l opération qui consiste à.
abstraire
ne réussirait point ou en tout cas, une fois accomplie, ne serait
de nulle utilité (§ 29). On sait de reste que c est ainsi que
l entendait Plat.on, de qui dérive l ensemble des concep
tions se rattachant,
en
philosophie, à ce terme d idée. Mais
pour l homme nourri à l école de
la.
science moderne,
la
pensée platonicienne dans son sens strict,
la
supposition
d un monde d idées
ou
de genres immuables
et
d où déri
vera it le réel mouvant est devenue plutôt malaisée à agréer.
Cependant c est à. tort certes qu on l affirmerait impossible,
car
la conception que
M.
Losski a mise en avant
et
défendue
avec beaucoup de vigueur sous le nom de réalisme idéaliste
(idéal-réalisme) y revient au fond. Ce philosophe, en effet,
se déclare en faveur du réalisme dans le sens que l on donnait
à ce terme au moyen âge; pour lui , de telle sorte que l idée
du
triangle,
par
exemple, participe de celui que forment les droites reliant
les centres de
la.
terre,
du
soleil
et
de
Jupiter
à.
un
moment
donné, l existence de l être idéal
étant
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
20/44
144
LA PROPOSITION
nous convaincre que des genres ont
été
conçus pour dispa
raître ensuite. Tel était le cas, par exemple, pour le feu, qui,
pendant de longs siècles, est apparu comme une matière
élémentaire très régulièrement définie, alors que,
si
nous
lisons les exposés qui en traitent, nous sommes obligés
de penser à des phénomènes très divers,
n ayant
les uns
avec les autres que les rapports les plus lointains
6
11
Et
la
substance chimique même que nous connaissons, semble-t-il
le mie
ux
de tou tes, l eau, si longtemps considérée comme
un
élément, que nous savons depuis Lavoisier être
un
composé,
mais qui n en était pas moins restée, jusqu à ces derniers
temps,
un
genre indubitable, paraît menacée de se voir
privée de cette dignité, puisqu on entend la considérer
comme un mélange de deux polymères ou, si l on veut,
comme la solution de
l un
dans l autre ES, p. 26). Tou
tefois, nous n oserions prétendre qu il y
ait là
un
obstacle
que l ingéniosité
d un
e théorie métaphysique
ne
pourrait
parvenir à vaincre.
Toujours est-il qu au physicien de nos jours le réel appa
raît comme étant fait de telle façon qu il admet la constitu
tion de genres et de lois fondées
sur
ces concepts. Mais ces
concepts
et
ces lois n en demeurent pas moins affectés
d un
facteur subjectif, ce sont des vues de l esprit sur le
réel, et ils
ne
peuvent correspondre que partiellement à
ce dernier. Sans doute le concept de cette correspondance
partielle a-t-il quelque chose d indéterminé et se présente
t -il de ce chef moins nette ment à l esprit que ne le font l un
ou l autre extrême. C est ce qu i fait que si, d une part, on
entend fréquemme
nt
parler de lois de la nature comme
si elles existaient en elles-mêmes dans les choses et indépen
damment de l esprit qui les conçoit, e qui évidemmenten
traînerait l existence en soidu gen r d autre part, comme
nous venons de le voir, des philosophes ont entendu écarter
entièrement ce concept de genre de la science. Mais aucun
LA
COHiRENCE DES
ATTRIBUTS 145
de ces deux points de vue ne
saurait
être au fond concilié
avec l attitude véritable du savant.
La constatation de cette structure particulière
du
réel
est-elle
ultime
c est-à-dire devons-nous considérer que
tout
espoir nous est interdit d en connaître jamais les raisons et
que
toute
recherche dans
cet
ordre d idées
est
futile
et
oiseuse 1
l
serait peut-être difficile de le démontrer.
l
semble même,
tout au
contraire,
qu
on entrevoit comme une
possibilité de rat tacher les constatations de
cet
ordre à celles
qui
concernent la discontinuité générale de la matière.
Hâtons-nous d ajoute r que la marche de notre raisonne
ment est indépendante de ces spéculations lointaines
et
même de l affirmation de la structure particulière du réel,
car il nous suffit de nous rendre compte
du
rôle prépon
dérant, dans la science, du concept de la cohérence des
attributs dans le genre, qui est un fait.
e
reste, en effet,
est affaire au métaphysicien, alors que nous entendons
nous tenir sur le terrain commun, ainsi que nous l avons
dit (§ 9, 43, 69), en recherchant uniquement les voies de la
pensée.
Nous comprenons main-
88. LE RAPPORT
EMPIRIQUE
•
ET L ESSENCE tenant comment Il se
fait
que l esprit,
par
l ob
servation d un ou de quelques faits particuliers, conclue
immédiateme
nt au
général, en d autres termes qu il for
mule des inductions. C est que le rapport qu il a découvert
empiriquement ne lui apparaît jamais en réalité comme
purement empirique. Toujours, inconsciemment, impli
citement, mais immanquablement, la conviction se crée
qu il doit y avoir là la conséquence d une raison, que la
raison (conformément à la formule de
M
Lalande que
nous avons citée au
§
71, mais dont nous sommes mieux à
même, à présent, de mesurer la portée) serait capable de
saisir si elle lui
était
révélée, que
la
loi empirique ne peut
lloiEYllRSON. -
I.
10
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
21/44
146
LA
PBO:POSmON
donc qu être fondée sur l essence des choses. Nous avons
frotté un bouton de métal contre une paroi rugueuse
et
noté qu il s est échauffé. Allons-nous énoncer le fa it
en
ces
termes Que nenni, nous dirons :les corps s échauffent
par
le frottement. On pourra faire valoir sans doute
qu avant
de formuler cette assertion nous avions encore
pu
étudier
quantité d autres cas, le frottement d une corde contre
une poutre, celui d une roue contre un essieu mal graissé,
etc ., etc. Mais quelle que soit la multiplicité de ces cons
tatations, il est certain qu elles
n ont
point embrassé réel
lement
la
totalité des corps.
D où vient
que nous les em
brassions, sans
le
moindre scrupule,
par
notre énoncé
C est q ue ce dernier, contrairement à l apparence, n est
point
un
simple résumé des observations particulières; s il
l était,
la
conclusion, reposant
sur une
induction incom
plète, serait en effet caduque
67
• Mais nous avons cru, à.
l aide de nos observations, saisir un coin de l essence réelle
des choses (conformément au programme que Maine de
Biran a tracé à la philosophie et que nous avons étendu à.
la science, § 74 , nous croyons qu il e st conforme à. cette
essence qu ils s échauffent par le frottement.
Et la
preuve,
c est que la physique essaie ensuite de pousser plus loin dans
cette voie, de mont rer comment,
la
chaleur étant elle-même,
par essence, un mouvement, nous avons, en augmentant
le mouvement des particules
par
le frottement, donné plus
d ampleur à. leurs mouvements, c est-à-dire causé un
accroissement
de la
température
du
corps frotté. C est
au
point que le fait de l échauffement par le frottement, si
aisé cependant constater, avait, peut-on dire, échappé à.
l attention des physiciens - on doutait de sa généralité
ou,
en
tout cas,
on
ne lui
attribuait
aucune importance -
jusqu au jour où
il
fut possible de l attacher à. une théorie
générale de la matière et du mouvement
58
•
Jevons semble avoir parfaitement saisi
la
prédominance
LA
COHÉRENCE
DES
ATTRIBUTS
147
du
rationnel sur l empirique dans des circonstances de ce
genre. Nous devrions par le fait, dit-il à. propos de la
recherche des nombres premiers, n avoir confiance en une
loi qu après que nous l avons traitée de manière déductive
et montré que des conditions supposées les résultats prévus
doivent nécessairement s ensuivresll
,
Au point de vue positiviste, qui est, en cette matière,
celui de l empirisme pur, tout cela ne peut évidemment
que paraître fort anormal;
la
règle est censée naître sponta·
nément et se suffire à. elle-même. Mais en réalité cette
règle d expérience, entièrement assurée et en même temps
indépendante de tout apport de rationalité, est une pure
abstraction. Non seulement
la
règle a été créée à. l aide de
suppositions sur la cohérence des attributs, mais sa généra
lité même ne nous
apparaît
fermement établie
qu à partir
du
moment où nous pouvons l appuyer
sur
des
raisons.
Sans doute, dans certains cas, les observations concordantes
se sont énormément accumulées, alors que, d autre part,
on
n a
pu
parvenir à reconnaître un lien légal quelconque:
nous n hésitons pas
à.
affirmer que
tous l s hommes sont
mortels ou que tous les corps tombent sans pouvoir cepen
dant indiquer pourquoi l
en
est ainsi. Mais il
est
aisé de
se convaincre qu en réalité notre esprit
admettrait
par
faitement, sans en être choqué, des exceptions à. l une et
à.
l autre
de ces règles.
La
conception d êtres humains d es
sence et pourtant doués d une vie éternelle n a jamais
paru
contradictoire. C était là, au fond, l idée que les Grecs
d Homère se faisaient de leurs dieux, dont on a pu dire,
avec quelque raison, qu en to ut, sauf
en
leur jeunesse
impérissable, ils ressemblaient à ceux qui les avaient ima
ginés. Alors que des créations plus tardives, dues
3.
l esprit
inventü de romanciers (o l
n a
qu à penser aux vieillards
destinés à. ne pas mourir, chez Swift), voire à. l imagination
populaire (comme
l
légende
du
Juif Errant),
nous mon-
8/17/2019 Le Coherence Des Attributs
22/44
148
LA.
PROPOSITION
trent que nous ne sommes point, dans cet ordre d idées,
très diffé1ents des anciens. Et pour ce qui
est
de la gravita·
tion, i l suffit de rappeler qu il y a
un
siècle
et
demi à peine,
l idée
d un
phlogistique absolument dénué de poids, voire
doué
d un
poids négatif, ne
fut
nullement jugée paradoxale
par
de très bons esprits,
et
que de nos jours il a
paru
néces
saire a ux physiciens de démontrer, à l aide d expériences très
précises, que les corps radioactifs se comportent, à ce point
de vue, comme tous les autres.
fin de mieux
89.
LES
CONCEPTIONS
PSRIPAT 8TIQUES tt
d
me re en gar e
le lecteur, revenons, ici encore, sur ce que nous avons
exposé (
§
87)
au
sujet de notre attitude à l égard des
questions de méta