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L’expérience dépressive · l’ivresse pour leur état optimum « optimisé », leur état naturel. C’est qu’ils n’ont jamais été ivres joyeusement, pleinement, souverainement,

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L’expériencedépressive

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DUMÊMEAUTEUR

Parolesdelanuitlente,DescléedeBrouwer.L’ExistenceAmoureuse,DescléedeBrouwer.Unevéritésingulière,AlbinMichel.Septlettrescontrelamort,AlbinMichel.Explorationparl’Écriture–EntretiensavecCharlesJuliet,Éd.Calligramme.LaSouffranceSuicidaire.Essaisurlemalinsupportable,DescléedeBrouwer.

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dire, elleme fait plaisir.Elle accepte deme revoir ; au fil desrencontres,cettemerveilledesantémeditquedepuisplusieursmoiselleesttoujoursfatiguée,qu’ellen’apassesrègles,qu’elleestconstipée,oppressée,commesitoutl’intérieurdesoncorps,desonêtreserefermait;ellen’apasd’amoureux,secontentantpériodiquement de vérifier l’efficacité de son charme surquelquesgarçonscurieusement semblablesentreeux : raffinés,sensibles, beaux et angoissés. Dès que l’attachement de cegarçonluiestassuré,elles’endétournerepriseparletourbillonde la terminale C, du cheval, de la danse, du bénévolat, dessports d’hiver, des amis, toutes preuves qu’elle existe puisqueles autres la rencontrentpartout.Envérifiant sapuissanceellecroitvérifiersonexistence.

Aussi,quandellerencontreunepuissanceadverse,celledesonpère, lacollisionest insoutenable ; lamiseenquestiondecettetoute-puissancequiluivalaitestimeetrespect,ellenepeutl’accepter ; elle éclate comme une baudruche gonflée quirencontreuneépingle.

Heureusement,carvoilàcetteboursoufluredesonexistencequi apparaît pour ce qu’elle est, une fuite, un refuge contre lapeur d’être soi-même, c’est-à-dire, en l’espèce, une jeune fillevive, chaude, fragile et exposée, à peine sortie de l’enfance.Petite fille, puisses-tu apprendre dans nos rencontres que cequ’ilyadebonentoi,c’esttoicommeditBéart,que«toutlerestenevautriendutout»,que«cequ’ilyaautourn’estquematièreàdiscours», la terminaleC, lecheval, ladanse, l’aideaux défavorisés, les sports d’hiver et d’été, le travail pourl’argent, l’argent pour les voyages et les voyagespour quoi aufait?

Etvoilàqu’aufildessemainesetdesmois,tudeviensplus

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silencieuse, plus calme, on te voit moins mais on te regardedavantage, on t’entend moins mais on aime t’écouter mêmequandtunedisrien.Tuneteprécipitespas,tusaisattendre,tune saisis pas, tu prends ; bientôt tu te laisseras prendre etéprendre.Tuasbienfaitdetedonner,unpeu,lamort;tuallaispasser ta vie à courir, à remplir, à amasser. Une pimbêcheaffairée et galopeuse est morte ; une fille vive et attentive estnée, attentive et confiante dans ce qui s’émeut doucement,calmement, profondément en elle. Quand vous la verrez, ellevous touchera comme unemaison pleine d’enfants, comme unjardinpleind’oiseaux.Puis-jeajoutersansdépoétiser,qu’elleamaintenant ses règles, qu’elle n’est plus constipée et qu’ellerespireprofondément?Jenesaispasdequoisavieserafaite,ellenonplus,maisellel’attenddebonappétit.

L’ALCOOLIQUEQUIS’ESTTROMPÉD’IVRESSE

Je voudrais bien vous parler de l’alcoolique, d’unalcoolique, d’un hommequi boit trop de boissons alcoolisées.Jevoudraisbienvousenparlerparcequec’estunmal-aimé;onl’aimeparfoismalgrésonivrognerie,maismoijel’aimeàcausedesonivrognerie.

Jedisquel’ivrognearaisondenepasaccepterlavieennoiretblanc,dechercheràlabariolerdetouteslescouleursdel’arc-en-ciel et d’autres encore qu’il invente quand il est fin saoul.Baudelairedisaitqu’ilfaut«êtreivredevin,d’amour,depoésieoudevertuàvotreguise».L’amourestdifficile,lapoésienesetrouve pas comme ça, la vertu donne une ivresse un peu aigreque jenevous recommandepas.Reste levinpour lesmoyens

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modestes.Onpeutbiensûrdirequel’ivressen’estpasindispensable;

je ne suis pas de cet avis ; je plains ceux qui ne tiennent pasl’ivressepour leurétatoptimum«optimisé», leurétatnaturel.C’est qu’ils n’ont jamais été ivres joyeusement, pleinement,souverainement, qu’ils n’ont pas connu ces grandes noces dudedans et du dehors, dumoi et dumonde, de l’esprit et de lachair, des uns et des autres, qu’ils n’ont jamais goûté à cesinstantsoùriennepèse,où toutdanse,oùriennegrimace,oùtout sourit,où riennecoûte,où tout estdonnégracieusement,où « trois paysans passeront et vous paieront », comme dit lachansondePrévert.

Lesivrognessaventcela,quecetteviechantante,dansanteetcoloréeexisteetilslarevendiquentavecleurspauvresmoyens,lesverresdevin,lesbocksdebière,leslampéesdewhisky.

Ceci bien posé qu’ils ont bien raison de revendiquer cettevienonplate,àtroisouquatredimensions,jemepermettraisdeleur fairegentiment remarquerqu’ilsont tortd’utiliser l’alcoolpourarriverà leursfinsparcequecelafinitparabrutiretqu’ilvautmieuxessayerdetrouvercesgrandesnocesjubilatoirespard’autresmoyens.Onpeutparexemplesetirerdesfeuxd’artificeintérieurs, faire jouer lesgrandesorguesdudésir etduplaisir,lesfanfaresclaironnantesde tout lecorps,ouvrir largement lesportes et les grilles de la grandeménagerie intérieure et peut-être,plussubtilmais tellementplus jubilatoire,direouiquandc’est oui et non quand c’est non, vraiment, profondément.Essayez,c’estunexercicequivautuneorgieromaine.Sepayerle luxe énorme d’être nu et juste ! Pas aimable pour une fois,aimant;carrément,sansfioritures.

Maisjem’exalte,jemeridiculise;nemecomprendrontqueles amoureux, lespoètes,quelquesmusiciens, lesdemi-fousetbiensûr lesenfants.Baudelaireécrivait« tous lesenfantssont

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aussi de certains avatars, et que cette acceptation confiantedemandeunmouvementd’ouverturedetoutl’êtrequej’appellelafoi.

J’utilisecemotdanslesensparticulierdeconfiancevitale,meréservantdedireàlafindecetouvragecommentcette«foi»peutêtreunpointd’appel,unematriceexistentiellepourcequelesespritsreligieuxnommentlaFoi.

Lemoment est sansdoutevenud’expliquer, depréciser ceparcours, ces avatars, pourquoi si souvent on s’y refuse,commentnousnousyprenonspourrefuser.

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CHAPITREIII

LALIBRECIRCULATIONDUDÉSIR,L’ACCEPTATIONCONFIANTED’UNCERTAINPARCOURS,

C’ESTCEQUEJ’ENTENDSPAR«FOI»

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Débutant ce chapitre, j’hésite sur le ton à prendre ; cequej’aiàdireestprécis,fruitdelalecture,delaréflexionetdel’observation attentive des autres et demoi-même.Utilisant lemode d’expression, de communication et de réflexion actuellequ’on nomme l’approche systémique, j’ai précisé cela sur desschémas d’une espèce particulière qu’on appelle des«modèles ».Mais j’hésite à vous les soumettre et à vousdirevoyezcommec’estsimple:ilyaci,ilyaçaetpuiscietçaetvoilàletourestjoué,nousyvoyonsclairdansletragique,dansle plaisir, dans la peine et pourquoi pas dans la vie et dans lamort.

J’hésite et pourtant j’y tiens ; c’est la carte routièredemafoi;ellenedispensepasdefairelevoyage,elleparlesurtoutàceuxquil’ontfaitentotalitéouenpartie,elleneprémunitpasvraiment contre les erreurs, les fausses routesou les impasses,ellepermetseulementd’aiderunpeuàvoiroùl’onenestetencela encourage à partir, à continuer, à espérer ; elle encouragepeut-êtreaufondlafoi,unpeu.

I-L’APPROCHESYSTÉMIQUE:UNESYNTHÈSEPROVISOIREET

PERSONNELLE

Indiquons en quelques mots ce qu’est une approchesystémique ou modulaire. Un système est un ensembled’élémentseninteractiondynamique.L’approchesystémiqueestunmode de pensée et d’expression qui voit le réel comme unsystème. Pour rendre compte d’un système on construit unmodèle, c’est-à-dire un schéma où les divers éléments sont en

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LAMALADIEETLATOXICOMANIEOÙQUAND

LEDÉSIRFORCELESBARRAGES

J’ai indiqué dans ce creux où jouent les symboles, lamaladieetlatoxicomanie;onverraeneffet,comment,quandlejeu symbolique ne permet pas lamise en circulation du désir,qu’ilexistedesenclavements,desblocagessoitdudésir,soitdesafaceverbalelaparole,lesujetpeutrecouriràlamaladiepoursediredansl’existence.Onconnaîtbienàprésentcommentlesmaladiespsychosomatiquesetlesautressymbolisentcequichezunpatient n’arrive pas à se dire d’une autremanière ; la crised’asthme peut vouloir dire tum’empêches de respirer, l’ulcèred’estomacjesuisrongéderemordsetderancune,etc.

Ouencore,celuiquinepeutainsilaissercirculersaparole,son désir par les moyens symboliques a recours à certainsproduits qui ont pour effet de réveiller, d’exalter le matérielsymbolique, la capacité à symboliser ; ce sont les toxiques detoutes sortes et en particulier les produits classés sousl’appellationde«perturbateurs»qui font littéralementéclater,jaillir à la conscience le stock des symboles plus ou moinsendormis au fond du psychisme. C’est pourquoi il m’a parulégitime d’indiquer sur ce modèle la toxicomanie dans cetteinstancemédiatrice.Ledramede la toxicomanie tientàcequece jeu de symboles dans le creux, dans la béance du désir nedure pas en raison de la pharmacologie particulière de cesproduits.Ceux-citendenteneffetàfaireserefermer,sesuturercettebéance,cecreux,avectransformationdudésirenbesoin.

LADEMANDE,DÉMARCHEEXPOSÉE

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Ontrouveradanscettezonedelasymbolisationlebeaunomde demande.La demande est cet engagement de la parole versl’existenceetlesautres,oùdesouverainetéàsouveraineténousdisons notre désir ; il s’agit là d’un acte de foi car la parole,donc le désir, s’enhardissant à travers la béance, s’expose,n’atteintl’existenceextérieure,lesautres,qu’aprèsunetraverséealéatoireoùsejouela libertédeceluiquiparleetdeceluiquientend, où se jouent aussi les incertitudes du sens, lesinadéquationsplusoumoinstragiquesentrecequejeveuxdireetcequejedis.Demander,c’ests’avancernuetchaud,sanslaprotection froide et compacte de la loi, de la science, de lapuissance, des biens ; la demande n’a pas le détachementsouverainde laparoleprofonde lancéegratuitementcommeonchante, commeon crie ; elle n’a pas l’application banalemaissûre du discours adapté à la recherche de la satisfaction desbesoins.

La demande est tendue entre les deux, fragile, vacillante,lancée àgrand-peine et à grandpéril commeunpont entremaprofondeurmystérieuseetchaudeetlesrigueursdel’existence,entremondésirsouverainfragileetledésirdesautrestoutaussisouverain mais parfois blindé, caparaçonné sous l’épaissecouchede leursbesoins : lemurd’argent, lesobjectionsde laloi,lesvéritésscientifiques,lahiérarchiedupouvoir.

J’aimelademandequiressembleàcespetitsenfantsfaibleset audacieux, fragiles mais hardis qui s’avancent sans autreprotection que leur innocence, sans autre argument que leursincérité, sans autre moyen de pression que leur grâcesouveraineetqui,bienplantésdevantvous,demandentcommeon lance une flèche, vous touchant, comme on chante, vousémouvant,commeonprie,réveillantenvouslemeilleur.

Lademandeestl’artdesenfants,maisc’estaussil’ascèse,lemoyen d’approfondissement, de perfectionnement de ceux qui

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ontchoisideseconsacreràl’essentiel,auradicald’eux-mêmes.Danstouteslescivilisations,àtouteslesépoques,danstouslespays, ceux qui veulent trouver la vérité de leur désir, sa librecirculationquejenommelafoi,ontdécouvertqu’ilyavaitdansl’art de la demande une école incomparabled’approfondissement, de vérification, d’intériorité. Les ordresmendiants,duMoyenÂge, lessoufisde l’islam, lesbonzesdel’Orientsesontfaitspauvrespourquelademandeleurdevienneaussi, nécessaire que la respiration ; la demande est larespirationde l’âme, la gymnastique aridemais fécondante, entoutcasunsigneprofonddesanté.

Onest souventmaladepournepasdemander,onguéritenapprenant à demander, la première demande étant celle de laguérison ; en cela disais-je celui qui vient consulter est déjàguéripuisqu’ilsaitdemanderunsoulagement.

On verra aussi au cœur de cette béance du désir, cettedemande particulière qui pour certains est la demandeessentielle,lefondementradicaldeleurêtre:laprière.Commeaux autres fonctions symboliques on lui reconnaît une facefroide : posture, texte, lieu religieux et une face chaude : lechantprofonddel’existantàsasource,ducrééaucréateur,d’unjetrèsintimeàuntuinfini.

LEVA-ET-VIENTDESSYMBOLES

En terminantces remarquessurces fonctionssymboliques,ilmesemblequej’ai insistésurcequienellesestpeut-êtreleplus remarquable, le plus heureux, le plus dynamique enapparence,leurcapacitéàmettreencirculationledésirdanslesensdel’actualisationàlapotentialisation,c’est-à-diredel’être

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aventuresansautregarantiequelapromesseduplaisir,commentnouscherchonsàévitercemouvementdudésirsouverain,ardentmaisprécaire,circulantdanssondomainel’êtreetl’existencedel’homme.Lesmoyens,lesastuces,lestimiditésingénieusesquenousinventonspournepasvivreavecnotredésir,c’est-à-direenfaitpournepasvivrevraiment,sontlesnévroses.

IV-LANÉVROSEREFUSEAUDÉSIRSALIBRECIRCULATION

La foi est l’acceptation d’un certain parcours, celui de lalibrecirculationdudésir.Lanévroseestlerefusdeceparcoursparblocagedu fluxdésirantdeplusieurs façonset àplusieursniveaux. Ces différentes façons, ces différents niveaux setrouventinscritsdanslapartieinférieuredumodèlen°2.

1-ENL’ENCLAVANTETENLIVRANTL’ÊTRE

AUMONDE

Auquadrant inférieurdroit, nousvoyons comment ledésirpeutêtrerefoulédanslazonesymbolique,nevenantpasanimerl’existence, tournant sur lui-même à l’intérieur de l’être sansdéboucher sur lavieextérieure.Ainsi, au lieud’être lemoteurd’unehistoire,iln’estquel’animateurderêvessansprisesurleréel.Commeilfautbienquel’existenceextérieuresoitanimée,ces sujets névrotiques devront la mettre en rapport fusionnelavecd’autrespersonnes(dépendanceaffective,conformisme)ou

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avec des valeurs (idéalisme). Ces êtres ont une vie intérieureriche, remuant mille rêves, véritable réserve sous pression desymboles inemployés tournoyant sur eux-mêmes en s’affolant.C’est bien de la folle du logis qu’il s’agit, s’affairant etn’aboutissantàrien,àl’intérieurdesonenclavement,alorsquesavie extérieure, celleque l’onconnaît, cellequ’elle-même sereconnaît,estlivrée,sansdéfense,auxinfluencesextérieures,àunevéritablecolonisationparl’autre,lesdésirsdesautres.

Qu’ils’agissedeladépendanceaffectiveoùonattendqueledésird’unautreanimeetdonnesensàsavie,qu’ils’agisseduconformisme où on compte sur la vox populi pour informer,orienter,jen’osepasdireanimersonexistence,qu’ils’agissedel’idéalisme où pour ne pas avoir à inventer chaque jour lanavigationaléatoiredudésir,onseguidesurdespréceptes,descroyances,voiredesdogmesélaborésetdiffusésparquelqu’unouquelques-unsdont c’est la fonctionou lemétier, dans tousces cas on dénie à son désir, à son intériorité chaude etchantante, à sa profondeur enfantine d’être le moteur et laboussoledesonhistoire.Onnetuepaspositivementl’enfantensoi,onnetaritpaslasource,onnecassepassessymboles,maison enferme tout cela comme on enferme un enfant dans uncabinet noir pour rester entre grandes personnes raisonnablespourparlerdeschosessérieuses.

Commesipourunêtrevivant,les«choses»pouvaientêtrevraiment sérieuses. Ce qui est sérieux, c’est le vivant, lejaillissementchaudetgratuitquis’émeutennous.

Mais cet enfant enfermé dans le cabinet noir, ces rêvesenclavés tournoyant follement sur eux-mêmes, finiront parperdre cœur faute de sortir dans l’existence. Épuisé, l’enfantcessera de chanter puis de parler, les rêves fatigués de tournersur eux-mêmes s’éteindront eux aussi ; lamaison sera vide, iln’y auraplusquedesmurs solidesparfois impressionnants de

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robustesse ou même touchants de beauté, mais de vie àl’intérieur,point.L’animationprofondeseramorteoupeut-êtreseulementendormie.

Comment expliquer cette fermeture précautionneuse, cettetimiditédudésiràsedire,delaparoleàs’exposer.Biensûr,ilyacettebéance impressionnante,ce retournementpénible, la loidumoindreeffort…C’estvitedit :désirern’estpasuneffort.Alors comment le désir énergumène devient-il ce fuyardpeureux?

Le psychologue existentiel américain Rollo May a bienanalysé ce retrait. Il se rattacherait à un vieux débat souventprésentécommeletypedediscussionsansintérêtetquipourraitbienaucontraireêtrecapital,central:ladiscussionsurlesexedesanges.Cette«querellebyzantine»pourraitpeut-êtrenouséclairer.

Remontonsd’abordàSocrateetàsondémon;ilavaitenluiunepuissancevivante, uneprésencemal contrôléeprofonde etessentielle qui lui inspirait ses paroles et ses actes fussent-ilsdangereux,etilsl’ontété,poursasécuritéetsavie.Cedémon,il l’anommé ; c’étaitbel etbienÉros,Dieude l’amouroududésir comme on voudra (je préfère désir parce que l’amour,l’amour…c’estbienvaguequandcen’estpasprécis.Ledésir,Éros,c’estprécis,çaditbeaucoup,àbeaucoupheureusement).

DoncledémondeSocrateétaitÉrosl’énergumène.Éros,onle sait, s’il estmignon et joufflu a aussi un arc et des flèchesdont ilsesertavecunehabiletéredoutable.Ainsi ledémondeSocrate, en qui il reconnaissait Éros était rien moinsqu’angélique ;auvrai,commel’hommedePascal,cetÉros,cedémon,n’estniangenibête,ilsesouvientàlafoisdesamère,la douce Aphrodite, mais aussi de son père, Arès le violent.Ainsi,cetteanimationprofondequifaisaitparleretagirSocrateavaità lafois lachaleurdecequivientdufondde l’êtremais

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manifestedansleplaisir.Ilenvademêmeduliendel’uniondenotrepèreetdenotremère.

Ainsi,symboliser,passerdudedansaudehors,duchaudaufroidetinversement,c’estpasserdelamèreaupèreetdupèreàlamère.Onvoitdoncapparaîtredanscetteapprocheanalogique,dontjereconnaisbiensûrleslimites,lerôlestructurantpourlapersonnalité, en particulier pour l’acquisition de la capacité àsymboliser,del’appréhensionparl’enfantdesesparentscommeêtres en relation. Schématiquement, trop schématiquement,passeravecaisance,souplesseetplaisirdudedansaudehors,dudehorsaudedans,dudésiraubesoin,etdubesoinaudésir,parle jeu symbolique, serait la conséquence d’une relation à desparents qui eux-mêmes auraient entre eux cettemême aisance,cettemême souplesse, cemême plaisir dans leur relation l’unavecl’autre.

Je me suis attaché à transposer en termes corporels lesstructures, les topiques explicitées dans le modèle. Là encoreavec toutes les prudences qui s’imposent et avec toutes lesréserves qu’on voudra, j’avance comme hypothèse analogique,meréférantassezlargementauxdonnéesdelabioénergie,quelecentredumodèle représente enmême tempsque l’intérieur ducorps, la partie basse, inférieure, les assises de ce corps : lesmembresinférieurs,lebassinetsurtoutleventre,toutcequiesten contact et en proximité, en connivence avec le sol, lamèrenature,toutcequiennoussent,ressent,vitledésiràl’étatbrut.Parcontre,lapériphériedumodèlereprésenteraitlapartiehaute,culturelle, un peu abstraite du corps, la tête qui pense, la têtechercheuse,lesmainsquiagissent,qui«rament»parfois.

Ainsisecombinentetpeut-êtresecompliquentunpeutropla topique propre au modèle et les topiques du corps :intériorité-extériorité et haut-bas et enfin les distinctions père-mère. On pourrait ainsi synthétiser ces topiques de la façon

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suivante:lazonedudésircorrespondraitàl’intérieurducorps,aubasducorps,àlazoned’influencedelamère; lazonedesbesoinscorrespondraitàl’extérieurducorps,auhautducorps,têteetmains,àlazoned’influencedupère.

Revenonsàcequenousdisionsde la foi, librecirculationdu désir dans tout l’être, acceptation du parcours dans sonentier,ycomprisbéanceetrenoncement.Cettefoiest,disions-nous, la condition de la santé évitant la stase du désir et sesconséquences néfastes. À la lumière de ces corrélationstopiques, jediraidoncqueceluiqui seportebien, jepourraisdirequise laissebienporterpar lavie,acceptedepasseravecsouplesse, aisance et plaisir de l’intérieur de son corps àl’extérieuretinversement,dubasdesoncorpsàlapartiehauteet inversement,de l’imagede samèreà l’imagede sonpèreetinversement. Trémolières avait semble-t-il intuitionné cela endisant « nous voyageons toute notre vie de notre père à notremère et de notremère à notre père ».Ainsi se trouve réaliséel’unité de notre corps, de notre être, de notre histoire dans satotalitéetsonharmonie.

Tout ceciparaît bien idylliqueet allantde soimais,on l’avu, c’est au contraire toute une affaire ; d’accepter que notreprécieux dedans s’acoquine avec notre dehors, que notre bascanaillepactiseavecnotrehautsublimeetquenotremèretoutepure et tendre couche avec notre père rigoureux et un peuélémentaire. Cela demande la négociation incessante dessymbolespourquemalgrénotrebéanceintérieure,notreunitésefassedanslaconfiance,cen’estpasassezdire,danslafoi.

Cepasséoutre à labéance, aucreux intérieur requiertuneconfianced’enfant;maisc’estunpasséoutre,cen’estpasunesuture ; ce qui veut dire que nous ne sommes pas pour celacompact,toutrondetrosecommeunpetitenfant.Notreblessureintérieureestbienlà,bienouverte;ellesecicatriseparinstants

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mais ne se referme pas. Nous sommes pardonnés, nous nouspardonnons,maisDieumerci,nousnesommespas innocents ;notre innocence nous coûterait trop cher, il n’y aurait plus latensiondudésir,ladéchargeduplaisir,letravaildelapeine,leschancesdupardon.Ilfautquenoussoyonscommedesenfants,nouvelle naissance, pas que nous soyons des enfants. Lesenfants sont nos modèles, nous ne sommes pas leur répliqueidentique. Simplement pour « marcher de son père vers samère»ouducanailleausublimeouduchaudaufroid,ilfautladémarchelibreetconfiantequenousavionsquandnousétionsenfant.

VI-CETTE«FOI»N’ESTPASUNLIEU,

C’ESTL’ACCEPTATIONDENEPASENAVOIR

Et pourtant, la foi, ce n’est pas un lieu privilégié de l’êtrequ’il faudrait occuper soigneusement, où l’on se tiendraitcommeunsouveraindébileoupodagrequinequittepaslasalledu trône. Bien sûr le désir est fondamental, central, il s’yexprime la fine pointe de l’humanité, les innombrablesbourgeonsprintaniersdelaramurehumaine.Maisvivreaveclafoi, c’est circuler partout, c’est prendre toutes les positions,occupertousleslieuxleschaudsetlesfroids,passersansarrêtàtraversnotrefailleintérieureetdanslesdeuxsens;vivreaveclafoi, c’est sortir son désir dans l’existence pour la subvertir,l’échauffer, l’animer, s’affronter et s’enchanter au désir desautres,mais c’est aussi lâcher ce qu’on a saisi pour rentrer en

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certaines réalitésdesurface, sicette folienousétaitnécessaireaupointquedelarécuserseraitunefolieplusgrandeencore,sila réalité de la rencontre, c’était simplement deux êtres qui sesententréels,faceàface,échangeantdesdemandesimpossibles,donnantcequ’ilsn’ontpas,mélangeantleursrêves?

Qu’importesi,commeditLacan,toutepsychothérapien’esttoutauplusqu’unbricolageréussi;l’essentieln’est-ilpasqu’ilsoitréussi?Or,pourqu’illesoit,ilnefautpasserefuseràcetétrangejeuoùcequechacunapporteàl’autredeplusprécieuxest sonmanque et ce qui habite cemanque, ses doudous, sesdadas,sessymboles,sesrêves.Ilnefautpasavoirpeurdevivredansleréel,cetteréalitéétrangeoùnousnousréjouissons,nousnous altérons de nos névroses respectives, de nos demandescroisées,denosphantasmesetdenotreviesymbolique,misencommun.

Maispourquecettefêtes’allume,quelafoirecommence,ilfautquetoutlemondedésarmedesapuissanceetdesonsavoir,de ses fonctions et de son statut. Celui qui aide doit cesserd’être celui qui a le pouvoir-savoir et s’en protège, comme onfaitd’unbouclierappelépourlacirconstance,écran.Ildoitêtreaussinuqueceluiquidemandedel’aide,sansdoutedavantage;bien plus, et nous voilà dans le plein du paradoxe, dudéraisonnable, peut-être de l’illusion, il doit être lui-mêmedemandeur.Onpeutainsientendrelaformule«ondonnecequel’onn’apas»;cettepropositionanalytiquepeutêtreentendueen mystique ou en poétique. Rappelons-nous le poème deTagore que je vais citer en entier et textuellement, tant il estdense:

«J’étaisallé,mendiantdeporteenporte,sur lecheminduvillagelorsquetonchariotd’orapparutauloinpareilàunrêvesplendideetj’admiraisquelétaitleRoidetouslesrois!

Mes espoirs s’exaltèrent et je pensais : c’en est fini des

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mauvaisjours,etdéjàjemetenaisprêtdansl’attented’aumônesspontanéesetderichesseséparpilléespartoutdanslapoussière.

Lechariots’arrêtalàoùjemetenais.Tonregardtombasurmoiet tudescendisavecunsourire.Jesentisquelachancedemavieétaitenfinvenue.Soudain,alors,tutendistamaindroiteetdis:“Qu’as-tuàmedonner?”

Ah!Queljeuroyalétait-celàdetendrelamainaumendiantpourmendier!J’étaisconfusetdemeuraiperplexe;enfin,demabesace, je tirai lentement un tout petit grain de blé et te ledonnai.

Mais combien fut grande ma surprise lorsque, à la fin dujour, vidant à terremon sac, je trouvaiun toutpetit graind’orparmi le tas de pauvres grains. Je pleurai amèrement alors etpensai:“Quen’ai-jeeulecœurdetedonnermontout!”»

Quand je soigne, j’aimeêtre ceprincemendiant,quandonm’aide, j’aime que celui qui m’aide soit lui aussi en quelquemanière un mendiant. J’aime que l’on tienne compte de cetteréalitéparadoxaleetprofonde,qu’onnedonnepasvraimentsionnedemanderien.

Je suis très conscient de ne pas avoir parlé vraiment depsychanalysemais d’avoir formulé une sorte de contre-chant ;j’ai préféré parler positivement de la relation d’aide, de larelationthérapeutique,delapsychothérapienonspécifiquementpsychanalytique plutôt que montrer et démontrer après biend’autres, le caractère partiel, partial et finalement peut-êtresuperficiel de l’abord strictement freudien des situationshumaines.

Je vais tout de même dire plus directement, au risque dedevoir parler négativement, en quoi la psychanalyse para ouméta-science humaine me paraît comme les autres sciencespouvoirêtreconsidéréecommeunbrasmortdelafoi;enquoi

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ellepeutnepasallerdans le sensdecette librecirculationdudésiretdelaparole,àtraversletragiquedelabéance;enquoielle me paraît par la désillusion qu’elle conditionne pouvoirocculterlaparoleviveetenclaverledésirsouverain.

Lapsychanalyseinstitutionnaliséepeutêtreunbrasmortdela foi quand elle se détourne de la réalité du patient, duthérapeute, de leur rencontre, de leur co-présence, au profitd’une recherche intemporelle et impersonnelle donc irréelle del’archéologiedusujetparlui-même,commesiimplicitementonadmettait que le présent – et ses possibles – n’est rien et quel’histoireestsoumiseàlapréhistoireetàlaprotohistoire.Ainsise trouve implicitement niée la dynamique maturante dumoment, de la co-présence, de la rencontre vive et nue, del’invention simultanée, combinée et réciproque d’une autremanièred’être.

Laréalitévivanteduprésentactifetconscientdel’individufaceàsapeineetàsonplaisir,àsavieetàsamort,aumondeetàlui-même,estnégligéeauprofitd’unefuitedanslapréhistoire,dans l’archéologie, dans les catacombes de l’être. La vivacitépalpitanteduprésentavecsesdevenirsinattendus,sespossiblesirruptifs se trouve laminée, dévitalisée, abrasée par l’approchepsychanalytiqueclassique.Laplainte,lasouffrance,l’espéranceprésentesontsoumisesàunprocessusréducteurimplacable.

Etpourtant, lorsquele temps, lanécessité, legoûtestvenudelarigueur,deladistinctionprécise,deschoixtranchants,desrévisions déchirantes, lorsqu’il devient indispensable dedésigner les confusions et d’éclairer les jeux d’ombres, c’estvers la psychanalyse freudienne la plus orthodoxe que nousdevronsnoustourner.Cequ’ellenousdit,cequ’ellefaitvivreàl’utilité rigoureuse d’une carte d’état-major pour démêler leschemins, de panneaux indicateurs pour désigner les impasses,d’éclairages a giorno pour débusquer les pénombres

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puisqu’onavouesonmalmaisaussisonamour.Celuiquiavoues’expose dans sa totalité, face à un autre dont il attend uneréactiontoutaussiglobale,toutaussinue.Encela,uneréponsepurement techniqued’unemédecine technicienneàuneplaintequi est toujours plus ou moins un aveu, est un refus deconsidérer celui qui s’expose avec confiance, dans sa totalité.Celuiquiavoueainsi,mêmes’ilneperçoitpascequ’ilavoue,même si parfois il ne sait pas qu’il s’agit d’un aveu, sentimplicitement le sensglobalisantde sadémarche. Iln’estpours’en convaincre que d’observer l’effondrement profond, lesentiment de néantisation qui frappent souvent ceux que lesmédecins ont ainsi entendu du dehors avec cette précisionscientifique irréprochablequivoudraitcroireque lesêtressontaussisimplesqueleschosesetleschosesaussisimplesquelesschémasrationnels.

Les histoires de ces êtres en peine se ressemblentétrangement:ilssouffrentdelatêteoududosparexemple,ilsont choisi de consulter d’emblée un éminent spécialiste,hautement qualifié, souvent un maître de la faculté disposantd’un service hospitalier équipé d’un appareillage technique depointeetd’unpersonnelforméàdétecterdanslecorpshumainl’infiniment petit, l’infiniment partiel, l’infiniment subtil.Devant cemal de tête, cemal de dos, lemaître et son équipedéclenchent la procédure inquisitoriale destinée à trouver cequ’acepatientetnonbiensûrcequ’ilest.

« Jedoisbienavoirquelquechose»,dit lepatient ; on leprend aumot et on cherche la chose qu’il a en oubliant l’êtrequ’ilest.Onl’interrogesursessymptômesdetellefaçonqu’unminimum de subjectivité s’y glisse, on s’irrite si dans sesréponsesunecertaineimprécision,uncertainjeudanslelangagelaissentapparaîtreautrechose,unautreêtrequelefaitbrut,quel’éprouvéélémentaire,seulanalysableparlaraisonraisonnable

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et le savoir savant. Si les réponses du patient se colorent desymbolique, d’imaginaire, de qualitatif, d’imagé, c’est lasubjectivitéquifaitirruptiondanscettemécaniqueàdétaillerlessymptômesetàlesarticulerenmaladies.Onauraalorsvitefaitdeluisignifierqu’ilnejouepaslarègledujeu,qu’ilnerespectepas son rôle. Une douleur ne doit pas être trop vivementressentie,tropprofondémentéprouvée,troprichementexprimée,fautededevenirsuspectedonc,danscetteperspectivetechnique,insignifiante.

Ainsiseproduitdanslesserviceshautementcompétentsdesgrands hôpitaux, une abrasion, un aplatissement, unestérilisation, une dévitalisation du langage de la souffrancehumaine qui finissent par se calquer sur le langage de latechnique médicale. La médecine opère ainsi la démarche detoute-puissance impérialiste ; elle impose son langage à ceuxqu’elledevraitentendre,leurvolantainsi,avecleurparole,leurchancedesymboliser,dedécouvrireneux le sensdecequ’ilséprouvent. De cette façon il ne leur est plus possible de«prendreleurmalenpeine».

Lanégationdel’êtreexistantsonmalnes’arrêtepasdanslaconfiscation de la parole vive et cette imposition du discoursmédical ; la démarche se poursuit dans l’atomisation, laréification, ladésymbolisationducorpssouffrant ;onexamine« les appareils », comme on le dit si bien, les uns après lesautres,parlaclinique,laradiologie,l’électricité,l’électronique,les isotopes, les explorations fonctionnelles, la biochimie, lamicrobiologie.On souffre du dos, on va voir quelle chose s’ytrouve.Voir,voir,visualiser,utiliserceregard, lesensqui tientleplusàdistance,celuiquiobjective,maisoui,quiobjectivelesujet.Onveutvoir,savoirplutôtqueprendre,comprendre,afindenepasenpâtir,compatir.

On peut s’étonner de cette rage, de cette frénésie

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d’objectiver,dedonneràvoir,demettreàjour,devisualiserdesimages, des figures endoscopiques, radiologiques,microscopiques, cartographiques, électrographiques ; lamédecine ne se veut pas une histoire naturelle; elle se veutplutôt une géographie analytique du corps souffrant, pleine deplanches, de photos, de dessins en noir et en couleurs, decourbes variées. C’est qu’ainsi le patient se trouve tenu àdistance par cette approche à la fois discursive, analytique etvoyeuriste.Ainsi, laplaintedéchiranteetdéchiréedeceluiquisouffrenerisquepasdedéchirerlecœurdeceuxquisoignent,puisqu’elle se trouve vite ramenée à un objet de connaissancepourl’organedelaperceptionlointaine:l’œil.

Transformerunmaldedosenimagesvisuellesnesefaitpascommecela, ily fautbeaucoupdemoyens techniques, c’est-à-dired’ingéniosité,d’habiletéetd’argent,cela tout lemonde lesait.Maiscettevisualisationdumalsepaieaussid’unautreprixdontonparlemoinsparcequ’ilestpayéparlemaladelui-mêmeet lui seul : il s’agit de la souffrance, voire des dangers quecomportent toutescesexplorations radiologiquesavecproduitsdecontraste(artériographie,myélographiegazeuseparexemple)ou endoscopiques (bronchoscopie par exemple) ouélectrographiques (électrocardiogramme par cathétérismecardiaque par exemple). Cette souffrance, à mon sens, estdouble : une immédiate, directement liée à l’acte médical,provoquéepar l’irruptionsanglanteounonde« l’instrumentàvoir»danslecorps,l’autresymboliquemaisprofonde,liéeàlapremière,déclenchéesouventparellemaisseprolongeantdansl’épaisseur de l’être, jusqu’à en ébranler les assises. Il s’agitassez exactement d’une souffrance de néantisation, dedestruction de l’intériorité, de négation de l’intimitéexistentielle.

En effet, nous l’avons dit, lesmaux, les troubles exprimés

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d’expérience presque journalière, comme une manièreprivilégiée de la vie de se développer, de s’affirmer autrement,autre, de se renouveler. Je revins alors à l’Évangile et jem’aperçus que ces récits de la résurrection, loin d’être despassages gênants et terriblement surnaturels pour ne pas direhorriblementmagiques,étaientcequimerendaitcomptedecesrésurgences de la vie en plénitude, après le passage par unmanque,unvide,unebéance,uneabsence,untombeau.

Ainsipourmoi,commepourbeaucoupjepense,c’estmaviedans ses heurs et sesmalheurs qui a éclairé, réchauffé, ravivél’évangiledelarésurrection.LalumièredePâques,c’estdansleregarddespetitsougrandsressuscitésdemonentouragequejel’aid’abordvue.Cen’estqu’ensuitequejel’airetrouvéedansleclair-obscur des pages d’Évangile où le Christ se révèle danscette étrange présence de l’absence. Cette personne neuve etjaillissante, venue du plus profond d’une absence, c’est bienl’image de notre désir émergeant, énergumène et étonnant, dufonddelabéance,delafailleontologique.Lapeineestpassée,nouscreusantparlemilieu;lamort,notrelimite,aétéacceptée,intériorisée, nous sommes rentrés en nous-mêmes, descendusaux enfers et voilà que nous sommes devenus êtres de désirmobile et souverain, modeste et efficace, toujours ailleurs,toujoursmystérieuxcommeleChristressuscité.

Par contre, si fuyant cette blessure, ce renoncement, cettebéance,cettemort,cepassageparletombeau,nousrestonsdansnotre superficialité là où tout est clair, mesurable, vérifiable,comptable, rationalisable, c’est véritablement une vie de mortque nous menons. Nous sommes là alors pour produire etconsommer, faire ce qui est à faire, avoir ce qu’il faut avoir,savoir ce qu’on doit savoir. La vie des besoins répudie lejaillissementquiestalorsdésordre,lesurgissementquiestalorsdérangement, la nouveauté créée qui est alors anormalité, la

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tension vivante qui est alors malaise inquiétant et sanssignification. On voit qu’en ce cas la grande affaire est deréduire les tensions,decombler toute faimauplusvite,d’userdesautresaumieux.Laréduction,laconsommationimplacable,etpourtoutdirelamort,sontàlabesogne.

Jeprofitedecelieupourdirequelamortn’estpaslenéant;lenéant,c’estuneabsence.Unpointc’esttout.Lamortestuneabsencepardisparitiond’uneprésencevivante,jenesauraisendireplus.Demêmelevécudelarésurrectionn’estpasunvécud’innocence,maisbiende réparation,depardon ; la souplessevive et neuve du désir ressuscité est enfantine, mais d’uneenfance étrange qui succède à la mort par une nouvellenaissance.

Ainsi, la religion institutionnalisée me paraît pouvoirconstituerunbrasmortdelafoi,unmaraisstagnantoùviendraitseperdrelefluxvivantdelaparoleetdudésirdeDieu.Elleleserait moins, un bras mort, si elle acceptait d’exécuterhumblementsabesognedemiseenformeetdetransmissiondumessage évangélique et de coordination des pratiques qui s’eninspirent. Elle devrait reconnaître pour cela que la Parole estailleurs, en chacun des hommes qui vivent réellement, c’est-à-direquiessaientdenaviguerauplusprès,dejouerauplusjuste,deleurplaisiretdeleurpeine,quisontobligésdeseservirdesymbolesdel’Évangilepournepasperdrecœur,pourcontinuerleur quête aventureuse. Ainsi l’Évangile ne s’enseigne pas, nes’apprendpas,nesetransmetpas.Ons’ensaisitausommetduplaisirouauplusprofonddelapeinecommeonsaisitunarbreouunemainamiepouréviterlevertigeoupoursereleveraprèsunechute.Ons’ensaisitparcequeleplaisiresttropviolentoula peine trop forte, parce que l’espérance est lancinante et ledésespoirétourdissant ;ons’ensaisitparceque lavieest tropenivranteetlamorttropdégrisante;ons’ensaisitquandlavie

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est décidément plus forte que les principes, les discours, lesméthodes, les règlements, l’organisation ; quand il faut biendevenir sérieux, radical, récapituler l’hétérogène, concilierl’inconciliable,l’ombreetlejour,lavoixetlesilence,legesteet l’immobilité, l’identique et le changeant, le soi et l’autre.Alorsonse saisitdequelqueshistoires jusqu’alorsétrangesetétrangères qui parlent de fils prodigue, de brebis perdue, deprostituée au grand cœur, de perdu retrouvé, d’égaré sauvé, demort ressuscité.On s’en saisit et on en fait son affaire de ceshistoires, on les rejoue à sa façon à soi, nouvelle et évidente,étonnanteetsimple.

Mais personne ne se saisira de l’Évangile pour vous,personne ne le rejouera à votre place. Surtout pas ceux dontc’est lemétier et la fonctiond’enparler et qui, chose étrange,ontrenoncéàjouereux-mêmesleurvie,certainsecclésiastiquesetceuxquileurressemblentquiparaissentavoirrenoncéàlaviedeplaisiretdepeineavantd’yavoirgoûté.Iln’yapourtantpasde résurrection sans mort et pas de mort sans incarnation. Lerefus de la vie n’est pas l’acceptation de la mort, c’est lecontraire. Seuls les vivants peuvent rejouer la mort et larésurrection.

III-LESIDÉALISMESFONTL’ÉCONOMIEDUDÉSIRETDUMANQUE

Lareligionn’estpasseulementreligieuse;ellen’estqu’uncas particulier de ce qu’on pourrait nommer l’idéalismesentimental. J’ai exprimé plus haut en termesmodulaires cetteattitude existentielle qui consiste à censurer énergiquementl’irruption du désir dans l’existence, le contraignant à tourner

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danslevécumassif,globaletaffectifducorpsquelesdiversesformes de scientisme, d’idéalisme ou d’affairisme sontcondamnéesàresterdesbrasmortsdelafoi.

Jereconnaisd’ailleursunedesmanifestationséclatantesdela sagessedudésirdansce refusqu’ilopposeà termeplusoumoins longà toutepratiqueexistentiellequi laisserait lecorpsde peine ou de plaisir hors de son champ d’activité. Lesmanièresdontils’yprendpourrevendiqueretfaireaboutircetteexigenceradicale,constituent,àmonsens,lesdifférentesformesdesouffrance,demaloudemaladiedel’être,dedépression.

Le sentiment, la sensation que le désir est bien à l’œuvre,librement dans le corps et dans le monde constituent lesdifférentesformesdeplaisiretd’amour;ondoitentendrequelapeine,lasouffrance,ladépressioncommeleplaisir,lajubilationamoureuse ne sont pas des phénomènes plus ou moinscontingentsouadventices,maisbiendesrappelscomminatoires,des injonctions ardentes à respecter le jeu vivant du désiranimantuncorpsetunmonde.

1-LABOUSSOLEDUVIVANTDONNESONCAP

AUPLAISIR

Ainsi,leplaisirmeparaîtêtreledonnéfondamental,l’assiseradicalesurlesquelstouteexistenceréelledoits’appuyer,fautede se réduire à un idéalisme, à une vie rêvée, pensée ou agiemais non vécue. L’expérience profonde, massive, globale,vibrante, enivrante du plaisir animant le corps fonde toutel’aventure historique d’un être, comme une clef devant uneportée fonde toute lamélodie et toutes les harmonisations. Le

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plaisirquellequesoitsanature(sexuel,alimentaireetpeut-êtreplus encore ce mystérieux plaisir du fonctionnement quiaccompagne toute activité globalement et positivementaccomplie), tout plaisir, même le plus archaïque ou régressif,constitue l’éprouvéde référencesur lequelprendraappui toutel’histoired’unêtre;ellesedérouleraaugrédesmodulationsdecette mélodie profonde. Parler de foi, d’existence, d’histoirehors de cette référence serait aussi absurde que de parler demusique et de chant à celui qui n’aurait jamais ouï une seulenote musicale. Le plaisir est la perception de la vibrationprofonde du désir à l’œuvre dans le corps. Ce frémissementfondamental, cevibratode l’être ressembleà lavibrationde lacordeduviolonaniméepar l’archet sans laquelle il seraitvaind’appuyer les doigts sur lemanche.La«boussoleduvivant »dontparlaitTrémolièresneseconsultepasduregardcommeuncompasdemarineetencoremoinss’agit-ild’undecesappareilsélectroniquesdenavigationquiguidentlesavionsmodernesparordinateurinterposé.Laboussoleduvivantdonnesoncap«auplaisir ». À tout moments ses grandes ondes chaudes quidonnentàfrémiràchaquefibredenotrecorpsnousavertissentpar leur intensité, leur profondeur, leur qualité, leur rythmemajestueux ou précipité, leur gravité, leur globalité, leurdiffusion plus ou moins aisée dans tout l’être, où nous ensommes de notre navigation du désir à l’existence, de sesdifficultés, de ses errements, de ses réussites, de sesaboutissements heureux.Commedans le jeu de notre enfance,cettemélodieduplaisirnousdit« tubrûles»,« tugèles».Ànousd’avoirassezdefamiliaritéamicaleavecnotreplaisirpourqu’ilpuisse toujoursnous rappelerquenoussommesenvieetfaire,entouttemps,valoirlesdroitsetlesdevoirsdelamatièrevivantequinousconstitue.Ilnousfautapprendreàécoutercettemélodietantôtgraveetmajestueuse,tantôtlégère,tantôtdiscrète

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commeunsoupir,tantôtéclatantedetoussescuivres.Entendreau mieux la musique du plaisir et ce qu’elle a à nous direrequiert une attention fervente, un sens de la justesse, de lanuance, une sensibilité ombrageuse et exigeante, une pratiquerégulière et profonde, un goût étendu du plus grave au plusléger,touteslesqualitésquifontlesmélomanes.

Celui qui sera exercé à percevoir toutes les inflexionsexpressives de cettemélodie profonde saura « danser sa vie ».En tout cas il saura, il connaîtra, il expérimentera d’évidenceimmédiatementetsansintermédiairequ’ilestvivantetqu’ilfaitbonl’être.

Cette pratique attentive, régulière, approfondie, mélodiqueduplaisirsoustoutessesformes,danstoutessesvariations,avectoutes sesharmoniques,ne résumepas lesassises sensiblesdel’homme.Plusexactement,lesimpleplaisir,lebonplaisir,celuique l’on prend, que l’on se donne, que l’on obtient, que l’onconquiert,n’estpaslederniermotdel’expériencefondamentaleduplaisird’être.

2-L’AMOUR,PLAISIR-CADEAU

Ilyaaussileplaisirquel’onreçoit,gracieusementoffert,leplaisir-cadeauquineseméritepas,quinesegagnepas,quiesttrop cher pour être payé, tropmassif pour être construit, tropradical pour être recherché, trop vivant pour naître de notrepropre vie, trop brûlant pour se passer d’un incendiaire, tropviolent pour être le fruit de nous-même ; c’est, vous l’avezcompris, le plaisir de l’amour. La condition des hommes nousoffre ce paradoxe radical, cette sombre lumière, cette évidenceétrangemais familièreque lemeilleurdenotreplaisirnousest

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Jediraicommentunecertainepsychothérapieviseàfaciliterl’expérience de ces attitudes, de ces mouvements existentiels.Ces«procédures»d’autorisation,dedésenclavement,dejeu,decentrage,sontdesvoiesquiamènentlespatientsàrenoueravecleurhistoire,àselanceravecfoisur«lefleuveAmour»,commedirait Delteil, à reprendre leur chanson interrompue, àredécouvrirleplaisirmiraculeuxetmystérieuxd’exister.

Mais ces attitudes vivifiantes ne sont pas l’apanage dessituations psychothérapiques ; ce quime paraît caractériser eneffet cette psychothérapie existentielle est qu’elle utilise pourguérir des procédures, des procédés, desmouvements de l’êtrequi n’ont rien de spécifique. Ce n’est pas seulement chez lethérapeuteexistentielque l’autorisationéveille,que ledésir sedésenclave, que le jeuvivant jaillit, que l’intériorité affirme sasouveraineté. Ce qui paraît toujours miraculeux et étonnant,dansuncabinet,seproduitsansarrêtetsansrépitdanslaviedetouslesjoursetdetouslesêtres,sansqu’onéprouvelebesoinde noms savants et algébrosés : psychothérapie, processus,désenclavement,fluxpulsionnel…

Ce type de traitement n’utilise que ce qui existe de façonlatenteetpermanentedanslessituationsdetouslesjoursetdetout le monde. S’il y a un métier du psychothérapeuteexistentiel,c’estceluiquedonneunecertainehabitudeàutiliseraumieuxlesforcesd’auto-développementetd’autorécupérationdes situations humaines, comme le bon marin sait utiliser levent,lesourciermettreàjourlessources,l’accoucheurfavorisersagement et humblement le travail fondamentalde la femmeetde l’enfant.Cettepratique, si elle abien sûr son jargonet sesconcepts un peu algébrosés, fait surtout appel à des attitudessimples,naturelles,onpourraitdirebanales;cetteattitudepoursoigner ne doit rien à une technique apprise dans les hautesécolesetlesÉglisespuissantes;soignerdecettemanière,c’est

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faire avec justesse et vivacité son métier d’homme et nonappliquersavammentdesrèglesfondamentalesetdécrypterdescomplexesésotériques.

Les patients guérissent comme ils auraient pu le faire sansthérapeute si les conditions de leur vie avaient été autres, sicertaines rencontres amicales, certaines expériences vivantes,certainsgestesjustesavaientétépossibles.Cespsychothérapiesexistentiellesparbiendesaspectsserattachentàcestraditionsimmémoriales où un être a trouvé bon, pour un temps, des’appuyer sur un autre être pour « reprendre cœur », qu’ils’agissed’unsorcier,d’undruide,d’unmage,d’unprêtre,d’unmoine,d’unmaîtreetplushumblementd’unamietencoreplussimplementd’unanimal,d’unefleur,d’unefontaine.

Ainsi, je parlerais demon travail sans avoir conscience deparler technique, tant jeressenscetteaideaurétablissementdela souveraineté du désir comme un geste naturel, quotidien,humblement banal qui ne tire son sérieuxquedesmots qui lecommentent et des lieux où il s’exerce. Ceci n’est pas de lamodestie.N’est-il pasplusorgueilleuxdevouloir êtreunalliédocile et imitatif des forces vivantes qu’un archéologue dulangage?N’est-ilpasaudacieuxdevouloir soigner envoulantsimplement être juste et réel, d’être celui qui joue et rejouel’inattendu de la rencontre, ce «mimiatre » dont parle Jousseplutôt que celui dont lemodèle a la blancheur, laminceur, laplatitude,l’opacitéd’unécran?Pourmapart,monambitionestlatransparence,mondésirestd’êtreunsignedevie.

III-L’AUTORISATIONOUTUESTONDÉSIR

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1-DEMANDERAVECCONFIANCELEDÉSIRDEL’AUTRE,C’ESTL’AIMER

Ceciparaîtbiensolennel,bien technique,bienprétentieux.C’estpourtantlequotidienleplussimple,leplusdoux,leplushumblement vivifiant. Nous avons été autorisés, fondés dansnotre désir, à chaque fois que quelqu’un nous a regardés avecune chaleur sans réserve, nous a touchés auplusprofond sanss’attarderaudétail,nousaconsidérésglobalementsanschipotersur les conditions, nous a reconnus sans attendre de toutconnaîtredenous,bref,chaquefoisquenousavonsététantsoitpeu acceptés tel quel, sans modification préalable, sansaméliorationobligatoire, toutsimplementchaquefoisquenousavonsétéaimés.

Je regrette un peu d’avoir lâché ce mot auquel la religiond’unepartetlalittératureàl’eauderosed’autrepart,ontdonnéà la fois enflure et insignifiance.L’amour, l’amour, cemot estdevenusirupeux,gluantet fadecommede l’orgeatouvagueetabstrait comme un concept philosophique, alors que la réalitéqu’il devrait désigner est la plus simple de toutes et enmêmetemps la plus étonnante, la plus immédiatement sensible etévidente pour qui l’éprouve, et en même temps la plusétourdissante,laplusquotidienneaussi,ouilaplusbanalementquotidienne.

L’amour n’est pas l’affaire des amants sublimes ou dessaintsauréolés;c’estdelapratique,delapratiquebienbanale.SimoneWeil disait que de considérer quelqu’un pour ce qu’ilest, c’est l’aimer. Chaque fois que nous regardons quelqu’unentier, nous l’aimons, ou plus exactement il faut aimerquelqu’unpourl’accepterentier,c’est-à-direaveccequ’ilest,cequ’il n’est pas, ce qu’il a été, ce qu’il devient, ses possibles

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La vie affective et émotionnelle ne se résume pas aux grandssentiments sublimes des amoureux éternels ou des amantstragiques; l’émotiondevant lemystère, lecharme, lagrâcedesêtresquenous rencontrons représenteunevéritable respirationnécessaireetvivifiantepourl’être,unrappelchaudethumbledenotrenatureradicaled’êtredésirant.

DanssonfilmFaceàface,Bergmanracontel’histoired’unejeune femmepsychiatre qui se déprime et tente de se suicider.En sortant de son coma, elle demande à un confrère amicomment elle devra faire pour ne plus revivre les mêmessouffrances ; celui-ci répond : « J’aiun trucpour ceuxquinecroientpasenDieu,ilfautselaissertouchertouslesjoursparquelquechoseouparquelqu’unafindedevenirréel».Cetrucest en fait unedes règles fondamentales du jeuhumain : qu’ilfautaccepterdeselaissernourrirlecœur,desefairelesunsauxautres des grands signes émotionnels de vie, de se laisserdéranger,c’est-à-dire,animer,réanimerparunregard,unevoix,uncorps,ungestesanssouciexcessifdes«àquoiçamène»oudes«queva-t-onpenser » oudes « je neveuxpas risquer dem’engager»oudes«dequoivais-jeavoirl’air».

Nous sommes les uns pour les autres des signes de vie etnotre vie se nourrit de tels signes. La fonction unique etprincipaledesémotionstendresetdesélanschaudsn’estpasdeservirdepointdedépartetderampedelancementàunehistoirecommune, mais bien plus simplement, plus humblement, plusprofondément, plus gratuitement, plus gracieusement, d’êtreautant d’occasions de tendre la corde du désir, d’éprouverl’heureuse vibration sans laquelle aucun chant n’est possible,aucunenavigationréalisable.

Silavieémotionnelleetaffectiveestsouventsipauvre,c’estque nous préférons platement refouler cette tension désirantequandune amorce de satisfaction n’est pas en vue, quandune

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histoire enbonne et due formenedoit pasvenir continuer cetélan.Onneveut surtout pas tomber amoureux tant cet état dechute inspire de crainte apeurée ; alors pour ne pas tomberamoureux, on s’abstient de toutmouvement un peu chaud, detout regardunpeu insistant,de touteparoleunpeuchantante,detoutgestetantsoitpeudéplacé.

Bien sûr, tout lemonde est d’accord sur l’amour, qu’il enfaut,maisattention,celuidumariageouceluidescurésouceluidelapatrieouaumieuxdel’humanité,maiscommeditDelteil,qu’est-cequ’unecharitéquin’estpascharnelle,qu’est-cequ’unamour qui ne se fait pas, qu’est-ce qu’aimer l’humanité sinonêtrecapabled’émotiontendrepourquelqueshumains?

Il envademême,me semble-t-il, de ces sentimentsvifs etprofonds ressemblant étrangement à de l’amour amoureuxqu’éprouvent les patients pour leur thérapeute, et en quelquemanière les thérapeutes pour leurs patients. Le bon docteurFreud, si prudent et si inquiet pour la bonne réputation de lajeunepsychanalyse,quifaisaitsespremierspasdanslasociété,aprécipitammentaffirméquecephénomèneardentn’étaitqu’untransfert des sentiments infantiles des patients sur la personnede l’analyste ; il ne restait donc de ce fait qu’à analyser lecaractère archaïque de ce transfert pour le faire disparaître etaveclui,lanévrose.

Les conditions de la cure-type sont tellement anormales,inhumaines et infantilisantes qu’il est possible en effet que cequi se fait jour dans ces conditions soit largement teinté dephantasmes enfantins. Mais il me semble peu pertinentd’étendre cette notion freudienne du transfert-reviviscence del’enfance,auxgrandsmouvementsaffectifspositifsounégatifsquiseproduisentenpsychothérapie.Biensûr,touteexpérienceaffective est récapitulative en ce sens que nous aimons, noushaïssons, que nous jouissons et que nous peinons avec tout

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notre être, y compris les couches profondes que notreprotohistoire a informées.Mais l’expérience psychothérapiqueme paraît, comme à beaucoup de thérapeutes existentiels, enparticulier dans les tendances psychothérapiques actuelles auxÉtats-Unis, se dérouler dans une réalité très présente et trèsconcrète.

L’émotion affective ne tire d’ailleurs sa puissance dedésenclavement que de cette actualité et de cette réalité. Pourbeaucoup, la psychothérapie est l’occasion trop longtemps ettrès dangereusement attendue de retrouver ou de trouver unespontanéitéémotionnelleetaffective.Onyestaidéparlecadrechaud et sécurisant, l’attitude et la personnalité autorisante duthérapeute, mais aussi le caractère socialement faux de larelation, lui conférant personnellement une toute particulièrevérité.

En termesplus simples etplus concrets, celuioucellequivitunepsychothérapieytrouvesouventl’occasiondedirevrai,non comme on l’imagine souvent au niveau d’une informationsecrèteouintimedeconfessionnalmaisauniveaud’uneparoleardemment ou violemment vécue dans une émotion nue etradicale. Cette parole vive adressée sans ménagement niprécautionàunautrequiosel’entendreets’enréjouit,frayeuncheminpourlefluxdésirant,commeunepatrouillelégèrelancéedanslajunglepréparelepassagedugrosdelatroupe.

Bien sûr, cette vivacité affective de la relationpsychothérapique peut être à l’origine de certaines difficultés,peinesoudésillusions. Jepensecependantquecespeines, cesmanques,ces renoncementsvécusdans lechaudde lavéritéetdans laréalitédudésir,senégocientmieuxque lorsqu’ilssontvécus dans une hypocrisie glaciale ou dans la fausse sécuritéd’unfauxscientisme.

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cettevivantecaissede résonance, rejoue tout lechantdenotreêtreettousleschantsdumonde.Ainsisetrouverésolue,parlagrâcedecettedansedessymboles,latragiquediscordanceentrenotredésirfoudelatotalitéetnospratiquesréelles,forcémentettristementlimitées.Notrerefusfarouched’accepterlepartielnousamèneàrecevoir lepluspartielencore, l’objet joueursurfond de manque, le symbole, qui dans sa petitesse, chante etdanseleTout.

3-ILPARLEAUCORPS

Cettereprésentationdelatotalitén’expliquepasàelleseulel’importance vitale du jeu symbolique pour vivre avec toi. Lessymboles ont aussi pour fonction irremplaçable de représenterdans lecorps les idées, lesconcepts, lessituations, leschoses,lesêtres, lemondeenunmot.Leurpuissancevitalisante tient,me semble-t-il, à ce que la traduction symbolique,l’incorporation par les symboles transforme des idées, deschoses, des êtres extérieurs, c’est-à-dire vus, pensés, perçus àdistance,endesobjetsjouantdansnotrecorpsetrejouésparlui.Ainsi, en souhaitant l’hospitalité par quelques paroles bientournées,onsatisfaitàunusagerespectable;maissicommeenGrèce,onoffreunverred’eau fraîcheoucommedansd’autrespays,quelquesgrainsderizoudesdattes,c’estdansl’humilitéde cedon très partiel, tout le corpsqui reçoit ce signedevie,s’enfaitunjouet,lejoue,lerejoueets’ennourritlecœur.

Enm’exprimantparparabole,parimage,jemefaisunalliédevotrecorps;estcompriscequiestincorporé;lessymbolessont les ambassadeurs du monde dans notre corps, lesinducteurs magiques du jeu et du rejeu corporel. Par eux, le

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mondeluiparledirectement.

4-ILDITLAMOUVANCEDUMONDEETDELAVIE

Le jeu des symboles a enfin cette fonction essentielle denous apprendre que la vie est mouvante, mobile, multiple,alternanteetbalancée.Lemondede l’extériorité,des idées,dudiscours,de laproduction,desbesoins,estunmondecompactet linéaire. La science, les affaires, les programmesmoraux etidéalistessedéroulentaveclarégularitérectiligneetsanshiatusd’une lignedecheminde fer ;or, l’existencehumainedans saréalité et dans sa corporalité n’est pas telle, et à vouloir seconformeràcemodèle,l’hommegagnel’universmaisperdsonâme, c’est-à-dire l’animation profonde de son corps, de sonexistence.

Les symboles, par contre, se meuvent comme la vie, enjouantlibrement,ensurprenant,enjaillissantetenalternantdudedans au dehors, du dehors au dedans. Il s’agit de ponts, unpied dans chaque monde. De ce fait, les symboles nousapprennent ce que Jousse nomme le « bilatéralisme » ou « ladémarcheoscillante»:lepassageduhautaubas,deladroiteàla gauche, de l’avant à l’arrière mais aussi le « rythmisme »,c’est-à-direlarépétitionvivantequis’opposeàlafuiteindéfiniedans le nouveau propre au monde de l’extériorité futile.Apprendre à jouer entre les deux faces des symboles, c’estapprendre à naviguer sans heurts et sans peur entre les grandsrepèresexistentiels,àalternerhardimentl’humbleetlesublime,le passé et l’avenir, l’intériorité et l’extériorité, le chaud et lefroid, ledur et lemou, le compact et le joueur, leglobal et le

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détail,leblancetlecoloré,l’identiqueetl’altérité.Pourquisaitjouer avec les symboles, les contraires deviennent tensionfructueuse, les oppositions moments complémentaires del’existence, les divergences éveils à vivre, lemystère ombreuxpromessede lumière.Les tensions joueusesdessymbolesnousapprennent, selon la belle formule de Jousse, « à porter lemonde en oscillant », au rythme sage et efficace de tout notrecorpsdepaysanretrouvé.

Ainsi, symboliser, c’est incorporer le monde dans samouvance,savivanteambiguïté,toutcequienluijoue,oscille,alterne.Cetteviequenotretêtevoudraitvoiretmenerdansunetrajectoire linéaire, le symbole, jouant dans notre corps, nousl’apprend ondulante et surgissante, comme les saisons, lesmarées, les vagues, le jour et la nuit, tous les grands rythmesalternantsquinousentourentetquiconstituent lemondedontnoussommes,mêmesinotretêtevoudraitnouslefaireoublier.Apprendre à vivre avec les symboles, c’est donc apprendre àparticiper humblement à toute la grande sagesse mouvante ducosmos qui, comme le dit Jousse, fait de notre corps un«conglomératd’interactions».

Moins philosophiquement, plus concrètement, la pratiquedes symboles nous met à l’abri des vues simplistes,élémentaires, même si elles sont complexes, « algébrosées ».Une vie animée par les symboles n’aura jamais cette platitudecompacte et linéaire qui fait ressembler certaines existenceshumainesàdesrubansdemacadam;enjouantnotreviesurlessymboles, nous découvrons le plaisir de l’imprévisible, del’inventé, du surgissement gracieux, du rêve incarné, du réelimaginé.Plusvitalementencore,uneexistenceinspiréeparunevie symbolique riche et libre est à I’abri des ankylosés et desblocages existentiels, de cette stase du désir dont j’ai dit plushaut comment ils portaient en eux la pire des morts, la seule

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réponsecréatrice,lejaillissementdunouveau.Sansacceptationde cette dissolution, de cette vacuité, de cette disponibilitéfluide au possible, le vivant ne peut que subir la loi de larépétitiondansl’identique,c’est-à-direfondamentalementlaloide la mort ou ce qui est pire de la non-vie. Le refus desrégressions,desdésintégrations,desdissolutionsbiopsychiquesconduit à un néant existentiel dont aucune renaissance n’est àespérer.Le fils aînéne connaîtra jamais ledésir et la fête, quiveutgardersaviebienstructuréeetbiencompactelaperdra.

Chacun a en esprit des circonstances où l’abandon descertitudesassurées,despenséespuissantes,descomportementsmusclés et armés a été l’occasion, la chance de voir surgirailleurs,autre,lavie,s’inventerautrementl’existence,surgirunealternative inespérée, inimaginable, impensable. Le nouveaudanslavieprocèdeainsi,nonparprogrèsmaisparmutation,parmétamorphose,parmortetrésurrection.Unindividusefaitdansledésarroide l’adolescence ;uneœuvreprendformedansunenébuleusedel’esprit,uneconversionexistentielles’opèredansl’obscuritéd’unedétresse,lesheureslesplusfroidesdelanuitprécèdent l’aurore, une guérison survient après ce que lesanciensmédecinsappelaientunecrisesalvatriceoùs’aggraventet se désorganisent tous les symptômes, des existences semettent enmarche après des oragesoù s’affole la boussole duvivant.

Les hommes ont compris les chances de cette faiblesseacceptée,jouée,rejouée.Lesplussageslarecherchentcommelemomentprivilégiéoùlerenouvellementdeleurvieseprésenteraàeuxcommeuncadeau.Cesvoiesdelafaiblesse,delapauvretéconfiante, de l’attente humble ont été recherchées, reçues avecferveuret reconnaissanceparceuxquinevoulaientpasmouriravantd’avoirvécu;ainsi,lesilencedelaboucheetdelapensée,accepté, longuement supporté, sobrement dégusté est reçu

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comme le don le plus précieux, celui qui nous rend à nous-mêmes.

Toutcequiarrêtelapenséeenmaintenantl’éveildonneunechanceàl’intérioritédésirante;l’écoutedelamusiquequinousémeutenimposantsilenceaudiscoursetauxidées,lesformesetles couleurs de l’art où le monde est rejoué, sans souci deprendreoudecomprendre,lesparolesdespoètesquidéfientlapensée algébrique, le paradoxe qui décourage la fureur derationaliser.

Plusprofondesencoredanslavoiedelafaiblesseacceptéeet rejouée sont lesdiverses formesdeméditation,de retraitdutourbillon,dereposdetoutl’être.MasudKhanused’untermeévocateurpourdésignercesétatsoùl’êtreaccepteunesortederépitexistentiel, il lesnommelesétatsde jachère.Une jachèreest,onlesait,uneterreparfaitementlabourée,hersée,prêteauxsemaillesmaismaintenueaureposparlasagessedupaysanquila garde pour des moissons futures. Le non-faire, l’attenteconfiante, ladisponibilité sobreet calmequiouvre laportedel’intériorité désirante est bien à l’image de ces champsparfaitement tenusetprêts à l’ensemencementet à lamoisson,maisquisontlaisséstelsquelsparconfiancedansletempsquipasseetparrespectpourlaterregénéreuse.Attendrequandonpeutprendre,surseoirquandonpourraitfaire,«resterenreposdans une chambre » sont des « coups de faiblesse »volontairementrecherchésetacceptéspourdonneraudésirunechancedesedéclarerlesouveraind’uneexistence,derévélersasouverainetésurlavieetlamort.

Ces chances de la régression, de la dissolution, de lasuspensiondel’êtrenesontpasseulementlefaitdemystiquesou de sages en quête de vie plus authentique, plus profonde.Intuitivement et souvent sans le savoir, les hommes ontrecherché ces expériences d’absence temporaire de l’être,

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d’effacement ou de recul de l’histoire, simplement pour guérirleurmal,surtoutleurmald’exister.

Les électrochocs, les comas insuliniques, les cures desommeil sont, sous couvert d’explications scientifiques et detechniquessavammentcodifiées,desexpériencesdedissolution,d’absence, de mort et de résurrection. Les méthodestraditionnelles des médecine-men ou des sorciers africainsobtiennentlemêmeeffetd’effacementdelaconsciencepardesdrogues ou des déchaînements émotionnels. Dans son versantproprementbiologique, lamédecineutilise avec les techniquesd’hibernationmises au point parHenri Laborit et son équipe,une régression, une mise en veilleuse de toutes les fonctionscorporelles ; ainsi le corps peut lâcher ses défenses (fièvre,agitation, transpiration) qui dans la lutte contre le mal serévèlent parfois plus épuisantes que le mal lui-même, imagebiologique de nos angoisses plus nocives que toutes lesnuisancesbienréellesquinousagressent.

Effacer la vie et la faire naître autrement sont lesdénominateurs communs de bien des attitudes thérapeutiquesquinereconnaissentpas toujours leurparentéaveclesgrandesmythologiesdelamortetdelarésurrection.Cetarrêtdelaviecourante,cegeldel’histoire,cettequasi-extinctiondelaflammeque représente une dépression peut à ce titre être reconnucomme unmoyen que la vie, que le désir se donne pour faireentendre ses droits souverains quand il se trouve écrasé sousl’existence compacte. Aussi est-il important de ne pas seboucher les oreilles à cette protestation radicale, de ne pasgommerauplusvitecetépisodecrucialdel’histoired’unêtre;d’entendreavecattentioncequecettegrandedouleurpétrifiéeaànousdire.Cecoupdefaiblessenedoitpasêtreassimiléàunemaladieaccidentelleetsanssignification.Unetelledéroute,unetellesouffrance,unteldésarroinepeuvent,nedoiventpasêtre

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paradoxedeWinnicott,«êtreseulenprésenced’unautre»,ondira alors d’un « Autre ». On voit comment notre désir sereconnaissantdanslavie,lamortetlarésurrectiondeJésus,lessymbolisant, les incorporant, les rejouant dans notre proprecorps,nousmetenprésenced’unautre.Autre«plusintimequemon intime ». La capacité à être seul en cette Présence, d’enéprouver un plaisir plénier, une extase quasi orgastique, uneautorisation d’évidence, un bonheur d’exister sans nuage, unecréation et une réparation de son être dans l’instant, constituepour certains êtres de désir l’expérience fondamentale del’intériorité comme source intarissable et libérante de leur vie.«Cen’estplusmoiquivis,c’estleChristquivitenmoi»,écritsaintPaul.Sousl’effetdecetteprésenceintérieure,brûlanteetpressante,lesenclavementssautent,lesstasescirculent,lesbrasmorts s’animent, les crispations lâchent, le discours cède laplaceàlaparole,lesbesoinssontsubvertisendésir.Laprésencedu ressuscité, jouée et rejouée dans le désir d’un être, peutmanifester avec éclat les droits imprescriptibles de la viemortellemaiséternelle.

En toute manière, cette présence profonde à soi-mêmecommeémergenceactuelleetgratuite,qu’ellesoitrapportéeounon à une autre présence, fondeme semble-t-il tout le sérieuxexistentiel, le véritable centrage d’un être. Elle explique quel’expérience dépressive puisse être à l’origine d’une existenceenfin véridique, libérée des viscosités périphériques, desfalsificationsprotectrices.

VII-CESCOUPSDEFAIBLESSEOÙLEDÉSIRPRENDLEPOUVOIRSONTDESCHANCESÀNEPASMANQUER

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Ainsi trouverouretrouver la foi,c’est-à-dire lavieanimée,œuvrée par le désir souverain, demande que soient faites lesexpériences fondamentales et dénudantes du plaisir et de lapeine ; que nous ayons ressenti que nous étions autorisés àexistercommedésir,quelescrispationsetlesblocagessesoientdésenclavés ; que nous ayons appris à jouer notre vie sur dessymboles,àlaisserjouerennouslechantdumonde,àlerejoueràchaqueinstantànotremanière;qu’enfin,nousayonsconquisnotre intériorité souveraine, réparatrice, créatrice, capable desolitude et de sollicitude, d’altérité et d’altération, d’unemiseen présence véridique de nous-même et parfois d’une autrePrésence.

Je voudrais, revenant à un réel humble et concret, faireremarquerque labaseou laclefdevoûtede toutcela,c’est lanuditéenfantinequedonnentleplaisiroulapeine.Onaditquel’on ne changeait que par un grand amour ou une grandesouffrance. La volupté et la douleur radicale rendent en effetl’être à lui-même, le renvoient à sa réalité vérace, à sacomporalité vive, à sa simplicité sans phrase, à sa situationvéridique.Horsdecette restitutionetdece renvoi, toutprojet,toute tentative de changement, d’approfondissement, deréalisation existentielle ne peuvent être que des simagrées desalon ou des contorsions avantageuses pour le miroir social.Sansl’amourdesoi,auquelrenvoientleplaisiretlapeine,ilneresteplusquelessingeriesdel’amour-propre,c’est-à-direrien.

Ainsi, la foi trouvée ou retrouvée passe-t-elleobligatoirement par la porte étroite d’une mise à nu de l’êtredanslapeineoulavolupté.Onsaitassezqu’unamourvivementmené et ardemment pratiqué change son homme. On oubliesouvent par contre quelle occasion de renaître dans la foi,représente un mal pris en peine et tout particulièrement cettesouffranceglacéedetoutl’êtrequiconstitueunedépression.Ce

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peutêtrel’occasiond’unretournement,d’uneredistributiondesinvestissements,d’uncentrage,àconditionqu’onnevolepassapeineàceluiquiseladonne.Leschancesdeladépressionsontbienlà,dansunrenouveaudel’être,enfincapabledeselaisserprofondémentanimerparsondésir.

Encore faut-il qu’on ne propose pas au déprimé commeissueobligéeousouhaitablederevenir«commeavant»oude« prendre le dessus » ! Toute cette peine pour rien ?! Non,puisse-t-ilprendreledessous,serefaireparlededans,sortirdesa dépression fort et faible, nu et beau comme un enfant, unoiseau,unlysdeschamps.

Cettenouvellenaissanceparlamortestdélicateettragiquecomme toute naissance. Celui qui renaît, on pourrait direressuscite,aprèsunedépression,doitêtreentourédecalme,depaix,desilence,desolitude;ilestcommeunenfant,respectonssesjeuxetsesrêves;ilestenretrouvaillesaveclui-même,ilfaitconnaissance pour la première fois peut-être avec sa vérité,respectons cette lunedemiel avec lui-même. Il découvre aprèsMontaigneque«detouslesmaux,lepireestleméprisdesonêtre»;laissons-leseréjouirenpaixdurespectretrouvépourlavéritédesondésir;ilconnaîtaprèsWinnicottleplaisirgraveetdoux d’être « seul en présence de quelqu’un » ou deQuelqu’un ; ne le distrayons pas de nos verbiages et de nosfébrilités, ne lui volons pas cette solitude durement conquisemais encore fragile, cette souveraineté chèrement payée maisencore vacillante, cette intériorité toujours précaire. Pâquesn’estpaslaPentecôte.Ausortirdelamortdépressive,commeleChristausortirdutombeau,l’êtreestlumineuxmaisévanescent,étonnamment vivant et présent mais encore démuni de cettepuissancesansrépliquequi,àlaPentecôte,lanceralesdisciplessurlesroutesdumonde.J’enviensàpenserqu’aprèsunegrandepeine, comme au début d’un grand amour il faudrait que les

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audacieuse et imaginative l’argent qu’il avait reçu. Ainsi nousacceptonsd’êtreendettelesunsenverslesautres,denejamaislapayer,de la rejouerunpeu follementcommeon le faitd’uncadeauqu’onneveutpasconsacreràunusagebanaloutrivial.Nos dettes d’amour ne sont pas réglées par l’adéquation destermesdel’échangemaisréinvestiesdansquelquechosedepluslibre,deplusinventif,deplusjoueur,deplusgai,depluschaud,deplusvif,deplusbeau,deplusgratuit,deplusgracieux.

Bienplus, le jeududésirnousapprendcommeilestdouxd’êtreendette,commeilestbonderecevoirsanscontrepartienicontrat.Alors,loindepayer,d’acquitter,denousmettreenrègleavecledonateur,nousdemandonsencoreetplus,inlassablementnous sollicitons, nous acceptons et nous nous réjouissons quenos dettes deviennent criantes, chantantes, dansantes. Plus ladette est grande, plus elle est vivement reconnue, plus nous larejouons largement, follement, gracieusement pour notre plusgrandplaisiretpourlaplusgrandegloireduDonateur.

Lerégimedudésirestceluidudonsimplementreçu,de ladette courageusement reconnue, jamais platement payée,toujoursaudacieusementrejouée,nonselonune«règledujeu»imposée par le donateur (s’agirait-il alors de jeu ?) mais surquelques images bien à soi, simples et éclatantes, humbles etlumineuses,porteusesdegratuitéetdebeauté:degrâce.

Chacunpourvivre a les siennes.Pourmoi, aujourd’hui, jevois un enfant, une fleur des champs, un oiseau, un hommefatiguéquimarcheverssonpère,lalumièredoréed’unmatindeprintemps jouant sur les pierres blanches et jusque dans laprofondeur ombreuse d’un tombeau étonnamment vide, unressuscité du matin, déjà rendu en Galilée, toujours ailleurs,toujoursautre,absentetprésent,mystérieuxetévident,àjamais.

Lereste,c’est-à-diretoutcequ’onécritdansleslivres,n’estquecommentairespourapprivoiserlapeineetleplaisir,lapeur

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etl’espérance,pourapprendreàsetairedevantlessplendeursdelavieetl’obscuritédelamort.

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Tabledesmatières

CHAPITREIL’adhésionconfianteetlucideàlavieestune«foi»

CHAPITREIIQuelquesfigurespourlaisserentrevoirquecette«foi»sauvequandelleestlàetperdquandelles’absente

CHAPITREIIILalibrecirculationdudésir,l’acceptationconfianted’uncertainparcours,c’estcequej’entendspar«foi»

CHAPITREIVLa«foi»dontjeveuxparlerestunfluxquiasesbrasmorts

CHAPITREVCommentledésirs’yprendpourforcerlesbarragesoulafoiretrouvéeoulafind’unedésillusion

CHAPITREVIPropositionspouruneéthiquesansmorale

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