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67 EVOLUTION ET PRATIQUE La vw$pisdon scientifiuzce et techzologiqzce J 1 Yani Herreman Née ’i Mexico. Diplômée d’architecture, de muséo- graphie et d’histoire de l’art. Enseignante au Centre de restauration Manuel Castillo Negrete, Y. Herre- man a été directrice du Département de muséogra- , phie du Musée national des cultures et coordonna- trice des projets muséographiques de l’Institut national d’anthropologie. Elle a ainsi participé àla planification, àla conception et à la coordination de plusieurs projets muséographiques importants au Mexique. Actuellement directrice adjointe du Musée d’histoire naturelle et présidente de I’ICAMT (Comité international de I’ICOM pour l’architecture et les techniques muséographiques.), elle exerce également les fonctions de secrétaire exécutif du Secrétariat permanent de I’ICOM pour l’Améri- que latine. 1. Di Castri, Francesco, L’écologie, naissance d’une science de l’homme et de la nature, Le coumer de [’Unesco, Paris, avr. 1981. 2 Vitrines contenant des nids de scarabées. Les visiteurs peuvent ouvrir et fermer le couvercle des cubes pour observer les nids de plus près. La recherche scientifique et technologi- que a pour principal objet d’élargir l’horizon du savoir humain. Mais cet élar- gissement a lui-même pour fins l’amélio- ration de nos conditions de vie et une meilleure exploitation des ressources. I1 importe donc que les résultats de la recherche soient mis à la disposition non seulement des scientifiques et des déci- deurs (fontionnaires, dirigeants, admi- nistrateurs), mais aussi des bénéficiaires éventuels, autrement dit du grand public. Même constitué de profanes, celui-ci est tout à fait capable de com- prendre les informations sur la recherche scientifique et technologique et d’en tirer parti, pour peu qu’on les lui présente d’une manière attrayante, dans un lan- gage accessible et en faisant appel à un système de références qui lui soit fami- lier. Le public se montre de plus en plus désireux de connaître la raison d’être, la méthodologie et les objectifs de la recher- che scientifique et technologique, et il souhaite être informé des progrès qui conditionnent sa vie quotidienne. Pour répondre à cette demande, beau- coup d’hommes de science ont entrepris, depuis quelques années, de vulgariser le savoir scientifique et technologique en faisant appel à divers auxiliaires tels que les moyens de communication (télévi- sion, radio, cinéma, presse), les centres d’initiation active comme I’Explorato- rium de la ville de San Francisco et, bien entendu, les musées. La science de l’environnement doit elle aussi faire l’objet d’une vulgarisation, car la nécessité d’informer systématique- ment la population de l’importance vitale du patrimoine naturel et de la rela- tion entre l’homme et la nature se fait de plus en plus sentir depuis une dizaine d’années. La mode est ainsi à un certain type de discours écologique dont l’abus a eu les conséquences qu’évoque Francesco Di Castri1 quand il déclare que pour le non- spécialiste, l’écologie peut être <( une éthique et une action pour la sauvegarde des animaux et des plantes, un parti poli- tique, un mouvement de contestation contre l’énergie nucléaire et la pollution, un désir néo-romantique de retour à la nature. D Qu’est-ce donc que l’écologiepour les profanes ? Que représente la disparition d’une espèce animale ou végétale, ou l’action pernicieuse de l’homme sur l’environnement forestier, pour quel- qu’un qui ne les appréhende pas comme des problèmes le concernant directe- ment ? Le fait est que dans bien des pays, l’homme a cessé de vivre en osmose avec son milieu naturel et n’éprouve nulle- ment la nécessité de préserver un patri- moine dont il ne perçoit plus la valeur. On comprend dès lors que les actions liées à la protection et à l’étude de l’environ- nement le laissent indifférent. La faute en est àun système d’éducation qui ne lui permet pas de se situer par rapport à son environnement. Nous avons la conviction que l’on peut susciter une prise de conscience des problèmes de l’environne- ment en particulier et de la science et de la technologie en général par une éduca- tion appropriée qui ne se limite pas à un enseignement formel rigide, mais qzli recourt à des formules complémentaires e t parallèles pour atteindre an public vaste e t &erszJ$é. Plus on dispose d’ob-

La vulgarisation scientifique et technologique

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EVOLUTION ET PRATIQUE

La vw$pisdon scientifiuzce et techzologiqzce J 1

Yani Herreman

Née ’i Mexico. Diplômée d’architecture, de muséo- graphie et d’histoire de l’art. Enseignante au Centre de restauration Manuel Castillo Negrete, Y. Herre- man a été directrice du Département de muséogra-

, phie du Musée national des cultures et coordonna- trice des projets muséographiques de l’Institut national d’anthropologie. Elle a ainsi participé à la planification, àla conception et à la coordination de plusieurs projets muséographiques importants au Mexique. Actuellement directrice adjointe du Musée d’histoire naturelle et présidente de I’ICAMT (Comité international de I’ICOM pour l’architecture et les techniques muséographiques.), elle exerce également les fonctions de secrétaire exécutif du Secrétariat permanent de I ’ I C O M pour l’Améri- que latine.

1. Di Castri, Francesco, L’écologie, naissance d’une science de l’homme et de la nature, Le coumer de [’Unesco, Paris, avr. 1981.

2 Vitrines contenant des nids de scarabées. Les visiteurs peuvent ouvrir et fermer le couvercle des cubes pour observer les nids de plus près.

La recherche scientifique et technologi- que a pour principal objet d’élargir l’horizon du savoir humain. Mais cet élar- gissement a lui-même pour fins l’amélio- ration de nos conditions de vie et une meilleure exploitation des ressources. I1 importe donc que les résultats de la recherche soient mis à la disposition non seulement des scientifiques et des déci- deurs (fontionnaires, dirigeants, admi- nistrateurs), mais aussi des bénéficiaires éventuels, autrement dit du grand public. Même constitué de profanes, celui-ci est tout à fait capable de com- prendre les informations sur la recherche scientifique et technologique et d’en tirer parti, pour peu qu’on les lui présente d’une manière attrayante, dans un lan- gage accessible et en faisant appel à un système de références qui lui soit fami- lier. Le public se montre de plus en plus désireux de connaître la raison d’être, la méthodologie et les objectifs de la recher- che scientifique et technologique, et il souhaite être informé des progrès qui conditionnent sa vie quotidienne.

Pour répondre à cette demande, beau- coup d’hommes de science ont entrepris, depuis quelques années, de vulgariser le savoir scientifique et technologique en faisant appel à divers auxiliaires tels que

les moyens de communication (télévi- sion, radio, cinéma, presse), les centres d’initiation active comme I’Explorato- rium de la ville de San Francisco et, bien entendu, les musées.

La science de l’environnement doit elle aussi faire l’objet d’une vulgarisation, car la nécessité d’informer systématique- ment la population de l’importance vitale du patrimoine naturel et de la rela- tion entre l’homme et la nature se fait de plus en plus sentir depuis une dizaine d’années.

La mode est ainsi à un certain type de discours écologique dont l’abus a eu les conséquences qu’évoque Francesco Di Castri1 quand il déclare que pour le non- spécialiste, l’écologie peut être <( une éthique et une action pour la sauvegarde des animaux et des plantes, un parti poli- tique, un mouvement de contestation contre l’énergie nucléaire et la pollution, un désir néo-romantique de retour à la nature. D

Qu’est-ce donc que l’écologie pour les profanes ? Que représente la disparition d’une espèce animale ou végétale, ou l’action pernicieuse de l’homme sur l’environnement forestier, pour quel- qu’un qui ne les appréhende pas comme des problèmes le concernant directe- ment ?

Le fait est que dans bien des pays, l’homme a cessé de vivre en osmose avec son milieu naturel et n’éprouve nulle- ment la nécessité de préserver un patri- moine dont il ne perçoit plus la valeur. On comprend dès lors que les actions liées à la protection et à l’étude de l’environ- nement le laissent indifférent. La faute en est àun système d’éducation qui ne lui permet pas de se situer par rapport à son environnement. Nous avons la conviction que l’on peut susciter une prise de conscience des problèmes de l’environne- ment en particulier et de la science et de la technologie en général par une éduca- tion appropriée qui ne se limite pas à un enseignement formel rigide, mais qzli recourt à des formules complémentaires e t parallèles pour atteindre an public vaste et &erszJ$é. Plus on dispose d’ob-

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3 Réalisation des dioramas. Première étape.

jets, de modèles et de concepts, plus il est facile d’enrichir son savoir à partir de ces concepts et de leurs relations et d’inven- ter des configurations nouvelles, en les approfondissant et les appréciant à leur juste valeurz.

Les musées doivent constituer l’un de ces systèmes d’éducation parallèles. Leur tâche consiste essentiellement, dans ce contexte, à exposer des objets culturels et/ou des spécimens naturels en les ordonnançant de manière à transmettre progressivement un ensemble d’idées, de concepts et d’informations.3

La nécessité de vulgariser les résultats de la recherche scientifique et technologi- que est perçue au Mexique comme par- tout ailleurs, à cette différence près que l’accent est mis, dans ce pays, sur la valo- risation des travaux accomplis par les cen- tres de recherche nationaux. A un moment où la crise fait sentir ses effets

dans le monde entier, mais surtout dans les pays en développement, il est essentiel en effet d’apprécier à sa juste valeur l’activité des chercheurs.

C’est dans cette perspective que le Musée d’histoire naturelle et l’Institut d’écologie ont élaboré un programme de vulgarisation scientifique prenant la forme d’expositions itinérantes et l’ont soumis au Conseil national de la science et de la technologie (CONACYT) pour qu’il l’intègre à sa politique générale d’information. En effet, l’action du CONACYT, organisme gouvernemental essentiellement chargé de coordonner, d’appuyer et de promouvoir la recherche scientifique et technologique, s’exerce à l’échelle de la nation tout entière. Les dirigeants, intéressés par cette initiative, ont accordé leur soutien à un premier projet d’exposition itinérante intitulée : ((Les scarabées : 200 millions d’années d’évolution >>.

La réalisation de ce projet a été Confiée à deux institutions : l’Institut d’écologie dépendant du CONACYT qui, en sa qua- lité de centre spécialisé dans la recherche sur l’écologie animale, et notamment l’entomologie, en a assuré la supervision scientifique, et le Musée d’histoire natu- relle de la ville de Mexico, qui a été res- ponsable de la planification et de la conception de l’exposition sur le plan muséographique, ainsi que de la coordi- nation des travaux d’organisation. Le financement et la promotion de l’exposi- tion étaient assurés par le Conseil national de la science et de la technologie et le Département du District fédéral, par l’intermédiaire delaDirectiongénérale de l’action civique, culturelle et touristique.

Les deux principaux objectifs assignés à l’exposition étaient les suivants : apporter au public non spécialisé des connaissan- ces générales sur les scarabées, pour lui permettre d’apprécier l’importance de ces coléoptères dans les domaines agri- cole, forestier, épidémiologique, écologi- que et économique, au niveau régional et national; informer le public des pro- grammes technologiques et scientifiques soutenus par le CONACYT, pour mieux faire connaître l’activité des institutions qui se consacrent à cette branche fonda- mentale du développement national. Pour atteindre le premier objectif, les res- ponsables de l’exposition ont entrepris de présenter, sous une forme accessible, con- cise et attrayante, les caractéristiques, les habitudes, la multiplicité de formes et de couleurs, les dimensions et les modes d’alimentation de diverses espèces de sca- rabées choisies pour illustrer le rapport existant entre leur forme et leurs fonc- tions. Le mode de reproduction et le com- portement des insectes étaient, eux aussi, expliqués au moyen d’images, de diora- mas et de spécimens.

En ce qui concerne le deuxième objec- tif, une section de l’exposition a été con- sacrée à la présentation des activités et des réalisations des chercheurs de l’Institut d’ écologie.

L’équipe interdisciplinaire était com- posée d’un chercheur titulaire d’une chaire d’entomologie à l’Université4, de l’auteur du présent article en sa qualité de muséologue et d’une équipe de con- cepteurs graphiques et d’artistess.

Une grande souplesse a présidé à l’agencement de l’exposition, afin de faciliter au maximum son installation

4 Réalisation des dioramas. Deuxième étape.

5 Finition des dioramas. Troisième etape : peinture et texturisation.

6 Réalisation des dioramas. Quatrième étape : le diorama terminé. Coffrage avec vitrine de 3 mm d’épaisseur, peinture acrylique. Chaque diorama est à base d’cr Unicel)) et d’huile. On voit ici des modèles de larves en mie de pain et des plantes en matière plastique. Poids total : 50 kg.

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dans des locaux différents. La séquence retenue était la suivante : Qu’est-ce qu’un scarabée ? Où trouve-t-on des sca- rabées ? Combien y a-t-il d’espèces de scarabées ? Quels sont les plus grands spé- cimens ? A quoi leur servent leurs cornes? Quelle est leur forme ? Quelle est leur importance ? A chacune de ces questions correspondait une section pouvant cons- tituer à elle seule une exposition dis- tincte. A l’entrée de l’exposition figurait le modèle, long de 75 cm, d’un scarabée dyynastes qui a servi également de symbole pour l’affiche et la brochure de l’exposition. Le langage utilisé était celui de tous les jours, et les insectes étaient désignés par leur nom local, suivi de son equivalent latin entre parenthèses. Les textes étaient réduits au minimum (fig. 2), la prééminence étant accordée, dans l’ordre, aux spécimens, aux dioramas et aux graphiques. Les organisateurs se sont efforcés, dans toute la mesure du possi- ble, de relier le thème de l’exposition àla vie quotidienne de l’homme. Le traite- ment du matériel graphique, des textes et des illustrations revêtait une importance capitale, car ceux-ci devaient être non seulement attrayants, mais accessibles à un public faiblememt scolarisé. D’où la hiérarchie adoptée pour la présentation : en première place venaient les questions- titres, imprimées en gros caractères de dix centimètres dans une typographie très grasse, auxquelles le matériel graphique et les spécimens présentés apportaient une réponse que les organisateurs avaient cherché - et réussi - à rendre aussi claire que possible. Le texte de présenta- tion représentait la moitié d’un feuillet mais n’en offrait pas moins de très inté-

ressantes informations condensées, faci- lement assimilables en une demi- minute. Enfin, à un troisième niveau d’information, des textes, rédigés en caractères plus petits et donnant aux visi- teurs les plus curieux un maximum de précisions, complétaient cette gamme de renseignements écrits. II fallait au total de trois à cinq minutes pour parcourir chacun de ces ((modules 3 d’information. Ceux-ci étaient complétés par une bro- chure distribuée au public ; un ouvrage publié ultérieurement devait reprendre, en les élargissant, les thèmes de l’expo- sition.

Le mobilier, conçu de façon à pouvoir être facilement transporté et installé sur n’importe quel type de table ou support, comportait trois déments de type A de 90 cm de haut, 1 m de large et 50 cm de profondeur (fig. 3 à 7) abritant les diora- mas et leur texte explicatif, et des élé- ments autoporteurs de type B de 185 cm de haut et de 90 cm de large àtrois pan- neaux (fig. 8) disposant d’éléments de vitrine comme en utilisent les entomolo- gistes et dans lesquels étaient exposés les quelque 500 spécimens destinés à illus- trer les textes. Ce dispositif a permis de préserver 1’ équilibre entre l’information et les objets exposés qui est la condition essentielle d’une bonne communication.

Les six dioramas de l’exposition ont été réalisés par les employés du musée. Des modèles de scarabées à I’échelle ont été façonnés avec de la mie de pain par le conseiller scientifique, mais on a surtout utilisé des carapaces d’insectes desséchés

L’exposition a ouvert ses portes en novembre 1983, au Musée d’histoire

(fig. 9).

naturelle, avant d’entamer un périple dans les provinces qui lui a fait sillonner d’abord le nord du pays pendant six mois, puis la région sud-est. La présenta- tion dans les divers quartiers de la capitale est en préparation et elle devrait repartir à nouveau vers la province dans quelques mois.

Dix-huit mois passés à parcourir le hkxique avec cette exposition itinérante nous ont convaincus de l’efficacité de cette méthode de vulgarisation. En dépit d’un système d’évaluation assez impar- fait, nous avons reçu des commentaires très favorables des villes de province qui l’ont accueillie.

La demande du public restant encore la meilleure preuve de l’intérêt que suscite ce type d’activité, il est important de sou- ligner qu’à l’heure où sont écrites ces lignes, on peut déjà évaluer à près d’un million le nombre des personnes qui ont vu l’exposition sur les scarabées.

2. Bower, H. Hilgard, E. Theories of l’.aming, New Jersey, Englewood, Prentice Hall, %me éd. 1981.

3 . Herreman, Y . Manual de técnicas museogrificas, thèse de maîtfise non publiée.

4. I1 s’agit du Dr Miguel Angel Marón. 5. Cette équipe était composée de Lina Flores,

Miriam et Rebeca Cerda, R. Cabello, E, Iturbe, L. Santiago, V. Cruz et R. Velázquez.

7 Exemple de diorama terminé (élément de type A). Dimensions : 80 cm de haut sur 100 cm de large et 50 cm de profondeur.

8 Cet élément de type B (1,85 m de haut sur 60 cm de large) comporte trois sections articulees de 10 cm d’épaisseur avec des vitrines incorporées. qui permettent de regarder ce qui est placé sur les deux faces de chaque section. Photographies et spécimens réels.

9 Préparation des sp&cimens. I1 a fallu procéder à des essais empiriques pour trouver la meilleure méthode. La photo montre le mode de futation utilisé : des lamelles de matière plastique futées au corps de l’insecte et qui sont collées ensuite à l’intérieur des vitrines.