C A S C A D E C O N T E S

L A

VÉRITABLE HISTOIRE

DU PÈRE NOËL ET AUTRES CONTES DE NOËL

R A G E O T - É D I T E U R

Couverture : Sophie Kniffke ISBN 2-7002-0007-1 ISSN 1142-8252

© RAGEOT-ÉDITEUR - PARIS, 1992. Tous droits de reproduct ion de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Loi n°49 956 du 6-7-1949 sur les publications destinées à la jeunesse.

LA VERITABLE HISTOIRE

DU P È R E NOËL

Michel-Aimé Baudouy

I était une fois un petit garçon, si pauvre qu'il s'était aperçu lui-même qu'il était pauvre. Autour de lui, d'autres petits garçons et petites filles vivaient dans des châteaux ou de belles mai- sons, possédaient de merveilleux jouets et grignotaient des friandises à lon- gueur de journée. Lui habitait dans une cabane à l'orée de la forêt, était vêtu de haillons et devait se nourrir de ce qu'il ramassait sur les haies, le long des chemins.

Il trouvait que ce n'était pas juste, mais il ne savait pas pourquoi. Il posa la question autour de lui.

- C'est parce que tu es pauvre, lui fut-il répondu.

- Ah bon ! Et qu'est-ce que ça veut dire : pauvre ?

- Ça veut dire... ce que tu es ! - Et pourquoi moi je suis pauvre, et

pas les autres ? - Parce que c'est comme ça ! « Si c'est parce que "c'est comme ça",

il n'y a rien à ajouter », pensa-t-il. Et il

se fit une raison. « Il y en a d 'autres qui sont encore plus mal lotis que moi, songea-t-il pour se réconforter : ceux qui naissent bègues, estropiés ou aveugles... Moi, au moins... » Et il se trouvait toutes sortes de qualités qui le remplissaient de fierté.

On lui avait donné le nom de Noël pour la simple et bonne raison qu'il était né le jour de Noël et que c'était marqué sur le calendrier. « Une chance ! songeait-il. Ça aurait pu être Mardi gras, Fête Nat. ou Quadragésime ! »

Comme il était le benjamin d'une bonne douzaine de frères et de sœurs, on s'occupait peu de lui, sauf pour le charger des tâches que les autres ne voulaient pas faire. C'est ainsi qu'il avait hérité de la garde de l'âne, des deux moutons et des trois chèvres qui constituaient le troupeau de la famille.

La compagnie de ces bêtes lui plai- sait. Il leur parlait, puisqu'il n'avait personne d'autre avec qui discuter. Et

hésiterait peut-être à couper un arbre portant un nid.

Le rouge-gorge fut si étonné qu'il faillit en tomber de la cruche sur laquelle il était perché.

- Ah ! C'est bien joli, ça, s'écria-t-il, mais moi, je fais mon nid au printemps !

- Ne peux-tu le faire à Noël ? insista le bonhomme.

- Vous croyez qu'un nid se bâtit à la sauvette, sans réfléchir et n ' importe quand ?

- Non, bien sûr... Mais lorsqu'il s'agit de sauver un petit sapin !

Le rouge-gorge avait bon cœur. Il gon- fla ses plumes, un peu parce qu'il avait eu froid en venant et beaucoup pour se donner de l 'importance. Il pencha la tête à droite puis à gauche, battit des ailes et dit enfin :

- Je ne vous garantis pas un travail bien fait. Ce ne sera pas du grand art. Il faut pour cela l'inspiration, cette envie qui vous prend quand les bourgeons se remplissent de sève. Mais je peux vous bâcler, avant ce soir, un brouillon de nid qui n 'aura pas trop mauvaise mine.

- Avec des œufs dedans ?

- Eh ! Comme vous y allez ! Pour les œufs, c'est tout à fait impossible !

- Pourquoi donc ? demanda étourdi- ment le vieux Noël.

L'oiseau sentit le rouge lui monter de la gorge au-dessus des yeux.

- Parce que je suis un monsieur rouge- gorge.

- Ah ! Détail qui a son importance. Et tu ne connais pas...

- Chaque chose en son temps. Ce temps-là, c'est le printemps !

Le bonhomme y perdait son hivernale science. Lui parler du printemps en décembre ! Il connaissait la froidure étincelante, les chemins de neige, les cheminées encore toutes chaudes des veillées. Mais les fenêtres ouvertes sur

des lilas en fleur, le chant du rossignol quelque part dans les branches et, sur les haies, l 'aubépine poudrée de blanc, il ne connaissait pas.

- Le petit sapin ira donc à Paris, murmura-t-il.

- Mais non, je n'ai pas dit mon der- nier mot !

Ce fut dès lors un va-et-vient sans fin.

Une brindille de noisetier, une feuille rousse du grand chêne, un peu de laine laissée aux buissons par la dernière bre- bis de l'été. L'oiseau, jusqu'au soir, continua sa besogne.

- Du bricolage ! pépiait-il. A-t-on idée de me demander cela en décembre !

D'un coup de bec précis, il ployait une tige, redressait un entrelacs, faisait bouffer un flocon de mousse. Quand le nid fut terminé, l'oiseau vola jusqu'au

torrent et choisit, dans une eau claire et peu profonde, deux petits cailloux gris mouchetés de brun, bien lisses, d'un ovale parfait, qu'il prit dans le bec et porta, un à un, au creux du nid.

Alors il eut comme un éblouissement. Ces deux cailloux posés sur un lit de duvet et de feuilles sèches, c'était, à s'y méprendre, deux jolis œufs, le bonheur du printemps avec trois mois d'avance.

Lorsque, le lendemain, le propriétaire vit un rouge-gorge, plumes gonflées, qui couvait à demi recouvert par la neige, il n'eut pas le courage de le déranger.

Le soir, sur la pente de la montagne, ne resta qu'un petit sapin à la pointe duquel la nuit posa une étoile de givre.

On ne mesure jamais toutes les consé- quences.

Le printemps se trompa lui aussi au signe d'un premier nid sur une haute branche. Jamais on ne vit de Noël plus ensoleillé. La neige s'en alla. Tout le monde fut au balcon.

Quand les Pâques arrivèrent, la pluie et le vent voulurent leur revanche. Alors que dans les haies pondaient vraiment les oiselles d'avril, les fenêtres se refer- mèrent et les gens firent cercle autour des tisons qu'ils avaient dû rallumer.

L E S A U T E U R S

MICHEL-AIMÉ BAUDOUY

Michel -Aimé B a u d o u y est n é en 1909 d a n s

l 'Ariège. Pa ra l l è l emen t à sa ca r r iè re de profes- s eu r de lettres, il est devenu romanc i e r .

Il a écri t s on p r e m i e r r o m a n p o u r en fan t s

(L 'Enfant a u x aigles) en captivité, p e n d a n t la Seconde G u e r r e mond ia le . La p r iva t ion de liberté, le souven i r d ' u n e en fance h e u r e u s e en

ple ine na tu re . . . a u t a n t de fac teurs qui o n t d é t e r m i n é le ca r ac t è r e de son œ u v r e en t iè re et

qui lui o n t révélé sa vér i table vocat ion.

YVON MAUFFRET Yvon Mauff re t est né en 1927 à Lor ien t

(Morb ihan) , d ' u n e famille o ù l ' on est m a r i n de

père en fils. Après des é tudes seconda i res , il

s ' e m b a r q u e s u r u n l iber ty-ship c o m m e secré-

ta i re de bord . P e n d a n t p lus ieurs années , il navigue donc, ce qu i lui p e r m e t de d é c o u v r i r

des ho r i zons nouveaux : USA, Brésil, Argentine, Afrique, Madagasca r , etc.

Il est m a i n t e n a n t écrivain, scénar i s te p o u r jeunes , journa l i s t e et vit en Bre tagne .