La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de
Marguerite Yourcenar Submitted on 29 Apr 2020
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La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de
Marguerite Yourcenar
Rémy Poignault
To cite this version: Rémy Poignault. La voix des statues :
sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite Yourcenar .
L’hospitalité des savoirs. Mélanges offerts à Alain Montandon,
Pascale Auraix-Jonchière, Jean-Pierre Dubost, Eric Lysoe, Anne
Yomiche (éd.), Clermont-Ferrand, PUBP, 2011. hal-02558530
L’HOSPITALITÉ DES SAVOIRS Mélanges offerts à Alain Montandon
Alain Montandon a été à l’Université Blaise-Pascal et à la tête du
CRLMC un remarquable rassembleur de talents et de passions et un
grand faiseur de rencontres. Ces Mélanges sont l’occasion de
répondre par un acte de contre-don collectif à cette singulière
générosité. L’analyse d’objets culturellement identifiés, mais
fuyants ou échappant à toute marque univoque, l’intérêt pour la
singularité des marques culturelles, la prédilection pour une
attention fine et patiente des expressions sociales et pour
l’analyse de leur devenir littéraire trouvent chez lui leur concept
méthodique dans la « sociopoétique », qu’il définit comme l’étude
de l’écriture des interactions sociales, dans leur contexte
historique, politique ou culturel. C’est à cette « Hospitalité des
savoirs » que ces Mélanges désirent rendre hommage. Dans l’esprit
de convivialité qu’il a su insuffler autour de lui pendant de
nombreuses années à l’Université Blaise-Pascal, au sein de la
Société Française de Littérature Générale et Comparée, au sein de
l’université française et à l’étranger cet ouvrage rend hommage à
son inlassable activité de recherche et au don qu’il a eu de
rassembler les talents autour de lui. La grande richesse et la
diversité d’approche et de tempérament scientifique que
représentent les quarante-huit contributions d’auteurs jeunes et
moins jeunes que cette publication contient est à l’image de la
recherche qu’Alain Montandon a su impulser. On y retrouvera bon
nombre de ses grands thèmes de prédilection comme l’hospitalité, la
civilité, l’amitié, la Nuit, Gautier, Hoffmann, la valse, le
vieillir, l’enfance, le conte, l’écriture littéraire de l’histoire,
les écritures mythiques, la promenade, regroupés en quatre grandes
rubriques : CIVILITÉ, HOSPITALITÉ ET AMITIÉ, ROMANTISMES,
SOCIOPOÉTIQUE ET ANTHROPOLOGIE CULTURELLE, MYTHES ET FORMES
LITTÉRAIRES.
L’ H
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Mélanges offerts à Alain Montandon
Mélanges offerts à Alain Montandon
40 euros
L’HOSPITALITE DES SAVOIRS
L’HOSPITALITÉ DES SAVOIRS
L’HOSPITALITÉ DES SAVOIRS
Études coordonnées par Pascale Auraix-Jonchière, Jean-Pierre
Dubost,
Éric Lysøe, Anne Tomiche
Éric Lysøe, Anne Tomiche
©
Maison des Sciences de l’Homme 4, rue Ledru – 63057
Clermont-Ferrand Cedex 1
Tel. 04 73 34 68 09 – Fax 04 73 34 68 12
[email protected]
www.pubp.fr Diffusion en librairie : CiD – en ligne :
www.lcdpu.fr
CELIS, Clermont-Ferrand
Illustration de couverture : Wilhelm, Alexander von Humboldt et
Goethe chez Schiller à Jena.
Gravure sur bois de W. Aaarland d’après Andreas Müller, Die
Gartenlaube, 1860, p. 229.
Crédit photographique : Archiv der Alexander- von-Humboldt-
Forschungsstelle der Berlin-
Brandenburgischen Akademie der Wissenschaften
Études coordonnées par Pascale Auraix-Jonchière, Jean-Pierre
Dubost,
Éric Lysøe, Anne Tomiche
Éric Lysøe, Anne Tomiche
L’HOSPITALITÉ DES SAVOIRS
Mythes & formes l i t téraires
Par t ie IV
Sec t i on 1
L’HOSPITALITÉ DES SAVOIRS Mélanges offerts à Alain Montandon
© PUBP, 2011, ISBN - 978-2-84516-479-6
de Marguerite Yourcenar
Rémy POIGNAULT
Marguerite Yourcenar a publié, sous le pseudonyme de Marg
Yourcenar, des juvenilia poétiques qu’elle a ensuite reniés. Ce
fut, d’abord, et à compte d’auteur, Le Jardin des Chimères (Paris,
Perrin, 1921), « poème dialogué »1 consacré à Icare qu’elle composa
quand elle n’avait que seize ans, puis Les Dieux ne sont pas morts
(Paris, R. Chiberre, 1922), recueil de poèmes que l’auteur
qualifie par la suite de « simples exercices de débutant où abondent
les imitations littéraires »2. Deux ans plus tard, elle fait
paraître dans la revue Le Divan, « Spes navigantium »3, poème lui
aussi voué à l’oubli, puisqu’il n’a été repris ni dans l’édition de
19564 des Charités
d’Alcippe, ni dans celle, définitive, de 19845,
qui demeure
1. « Chronologie », in : Marguerite Yourcenar, Œuvres romanesques,
Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1982, p. XV. 2.
Ibid. 3. No 102, septembre-octobre 1924, p. 428-431. Le Divan,
fondé par Henri Martineau, est assez éclectique et publie des
poèmes de facture classique tout en montrant de l’admiration pour
les Champs magnétiques de Breton-Soupault. 4. Marguerite Yourcenar,
Les Charités d’Alcippe et autres Poëmes, Liège, La Flûte enchantée,
1956, 37 p. 5. Marguerite Yourcenar, Les Charités d’Alcippe, Paris,
Gallimard, 1984, 85 p.
Rémy POIGNAULT
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le seul recueil de poèmes « autorisé » de Yourcenar. Ensuite on
trouve, sous le titre de « Trilogie héroïque » la publication d’un
ensemble de trois sonnets, « Persée », « David » et « L’Idolino »
dans le numéro de novembre 1925 de Poésie, « Cahiers mensuels
illustrés » des Éditions d’Art et du « Croquis », p. 219-2206. Ces
poèmes, centrés sur des statues, ne manquent pas de faire songer
aux Parnassiens. On peut lire également dans la livraison de mars
1926, p. 50, le poème « Nunc ». Ces quatre poèmes portent encore la
signature de Marg Yourcenar.
Ce sont là, à notre connaissance, les premiers poèmes du jeune
auteur publiés en revue après « Spes navigantium ». « Nunc » ne
sera repris dans aucune des deux versions des Charités d’Alcippe,
tout au plus peut-on en déceler quelques réminiscences dans «
Cantilène
pour un joueur de flûte aveugle »7.
Mais si la première édition des Charités d’Alcippe ne contient
aucun des trois sonnets de « Trilogie
héroïque », il n’en va pas de même de l’édition définitive, où figurent
« Persée de Cellini » (p. 61), « L’Idolino » (p. 62) et « David »
(p. 63), qui portent tous trois la date de « 1924 », avec pour les
deux derniers l’ajout de « (1949) », année où ils furent
révisés.
Nous voudrions ici nous intéresser aux trois sonnets de « Trilogie
héroïque », les seuls poèmes de Yourcenar publiés en 1925 et qui
ont été repris dans le recueil où l’auteur a retenu de ses vers
ceux qui lui semblaient dignes d’intérêt. Nous essaierons de voir
s’ils ont subi un infléchissement dans
l’édition définitive, tout en nous
demandant comment ils s’inscrivent dans l’œuvre de l’auteur et
dans sa réflexion sur la statuaire, mais aussi sur le concept de héros,
qu’elle a analysé plus tard dans l’essai « La Symphonie héroïque »,
paru en août 1930, dans la Bibliothèque universelle et revue de
Genève, p. 129-1438.
6. Cette publication est signalée dans la thèse d’Achmy Halley,
Marguerite Yourcenar en poésie. Archéologie d’un silence, Amsterdam
- New York, Rodopi, 2005, p. 557. Nous remercions Alexandre
Terneuil d’avoir attiré notre attention sur la présence du volume
de Poésie dans un catalogue de libraire sur la Toile. La revue
Poésie, dont le rédacteur en chef était Octave Charpentier, était
plus académique que Le Divan (cf. Achmy Halley, Yourcenar en poésie
[…], op. cit., p. 368-369). 7. Ce poème est présent dans les deux
éditions du recueil, avec pour unique changement la suppression du
vers 8. 8. Repris dans Marguerite Yourcenar, Essais et Mémoires,
Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p.
1656-1667.
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
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La statuaire n’est pas absente de « Spes navigantium » ; et déjà
c’est à un cadre italien que Yourcenar s’attache, cette fois le
port de Venise, dont elle décrit l’activité grouillante9, tandis
que partent ou arrivent des navires chargés de biens matériels ou
ramenant des reliques dans un même élan d’ambitions mercantiles, de
quête de puissance et d’ardeur religieuse ; ce poème s’inscrit dans
le sillage d’un séjour à Venise que l’auteur a effectué avec son
père en 192210 ; on y remarque la mention de statues de la place
Saint-Marc, mais qui sont tout juste évoquées comme éléments du
décor : « les trois piliers d’airain devant la basilique » qui
supportent trois mâts
où flottent les pavillons des royaumes de Chypre, de Candie et de
Morée pris par les Vénitiens ; « les quatre chevaux grecs debout
sur le portail », qui sont les fameux chevaux de bronze apportés de
Constantinople à Venise en 1204 ; et « sur la haute colonne » de la
Piazzetta le célèbre « lion qui rugit du côté du Levant ».
Les sculptures occupent une place bien plus importante dans la «
Trilogie héroïque », puisque chacun des poèmes est consacré à une
statue exposée à Florence. Alors que le poème des Dieux ne sont pas
morts, intitulé « L’Apparition », développant l’ekphrasis d’une
statue d’Antinoüs à Tibur jusqu’à lui redonner vie, est, sans
doute, indépendant de toute vision in situ (Yourcenar n’ayant
visité la Villa Adriana qu’en 1924 selon son propre témoignage11),
ces trois sonnets sont, de toute évidence, à mettre en rapport avec
un séjour de l’auteur à Florence12 en 1923. Mais on notera
toutefois que Les Dieux ne sont pas morts (publié en 1922) comporte
aussi des « Tableaux florentins »13
comprenant cinq poèmes : « Sur un miroir », « Dante et Béatrice »,
« Le retour d’Aphrodite (La Nascita) », « Saint Sébastien », «
Sonnets… », dont deux sont directement inspirés par une œuvre
picturale, La Naissance de Vénus de Botticelli pour « Le retour
d’Aphrodite », mais aussi,
9. Achmy Halley, Yourcenar en poésie […], op. cit., p. 349-350. 10.
Sur ce voyage, cf. Josyane Savigneau, Marguerite Yourcenar.
L’invention d’une vie, Paris, Gallimard, 1990, p. 74. 11.
Marguerite Yourcenar, « Chronologie », in : Œuvres romanesques, op.
cit., p. XVI. Dans Les Yeux ouverts, entretiens avec Matthieu
Galey, Paris, Le Centurion, 1980, p. 151, elle dit, de manière
moins précise, « à l’âge de vingt ans », ce qui, pris
au pied de la lettre, signifierait 1923.
12. Sur ce séjour, cf. Josyane Savigneau, Marguerite Yourcenar.
L’invention d’une vie, op. cit., p. 75. 13. Françoise
Bonali-Fiquet, Marguerite Yourcenar. Fragments d’un album italien,
Parme, Battei, 1999, p. 13, en déduit : « Nous sommes en droit de
penser qu’elle fut d’abord attirée par la Toscane. »
Rémy POIGNAULT
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pour « Saint Sébastien », le tableau de Giovanni Antonio Bazzi, dit
Il Sodoma, exposé dans la Galerie Palatine du Palais Pitti14. Il
semble bien, par conséquent, que l’imaginaire de Yourcenar ait pu
fonctionner à partir de reproductions sans qu’il y ait à la base un
voyage effectif, à moins de supposer un voyage à Florence antérieur
à celui de 1923.
Les deux poèmes publiés dans l’édition définitive des Charités
d’Alcippe15, qui portent les titres de « Album italien : Carrare »,
« Album italien : cloître de San Marco » et sont datés, du moins
pour leur première version, de 1924, renvoient aussi aux arts
plastiques et, de façon plus assurée, « témoignent d’une
fréquentation assidue des musées florentins,
où l’auteur semble s’être intéressée
tant à la peinture qu’à la sculpture »16. Dans le
cloître de San Marco, le poète est sensible au souvenir de
Savonarole, qui en fut prieur, et au « doux spectre » de Fra
Angelico, qui y peignit17 ; elle évoque ses tons (« Son pinceau
teint chaque corolle / D’azur, de carmin, d’abricot »), et ajoute
que « Bleus, roses, dans leurs robes blanches, /
14. Marguerite Yourcenar y évoque aussi les statuettes de Tanagra,
pour lesquelles un marchand fait son boniment : « Le marchand de
statuettes d’argile (A Tanagra) », in : Les Dieux ne sont pas
morts, op. cit., p. 63 ; une mosaïque de Ravenne : « Théodora
(Mosaïque de Saint-Vital. Ravenne) », ibid., p. 109, où le
narrateur choisit de s’adresser à l’impératrice à la seconde
personne. 15. Ils ne figurent pas
dans la première édition. Portent
aussi, dans les Charités d’Alcippe, la datation de
1924, sans qu’on sache, pour la plupart, s’ils ont été
effectivement publiés (« Une cantilène de Pentaour » a paru dans
Point et virgule en « [1928-1929 ?] » et « Quatre épigrammes
amoureuses qui se souviennent de Platon » dans La Revue mondiale,
janvier 1929, p. 47-48 : cf. Achmy Halley, Yourcenar en poésie […],
op. cit., p. 557, mais nous n’avons pu trouver trace de ces quatre
poèmes), « Une cantilène de Pentaour » (p. 16), « Une épigramme
amoureuse inspirée de Platon » (p. 37), « Vieille Provence » (avec
révision en 1955, p. 56), « Album italien : Carrare », « Album
italien : cloître de San Marco » (avec révision en 1958 pour les
deux, p. 58-59 ; ces deux derniers poèmes ont paru, en une première
version qui sera remaniée par la suite, dans La Revue des jeunes,
10 mai 1928, p. 319-320, et 321, sous la rubrique « Italianismes »
avec le titre de « Rosae angelicae », pour le second, et de « Dolor
marmor », pour le premier) ; de 1925 « Une épigramme amoureuse
inspirée de Djellal-Eddin-Al-Roumi » (p. 37), de 1926 (avec
révision en 1956 ; en réalité la première version est antérieure,
puisque Les Dieux ne sont pas morts (publié en 1922) contient un
poème du même titre qui a plus
d’un point commun avec le texte définitif) « Sonnets » (p. 55). Les autres poèmes
sont postérieurs, à l’exception de « Idoles » (« 1919 (1933) », p.
42-43), « Colonie grecque » (1920, p. 57), « Vers orphiques » («
1921 (1950) », p. 17-18). 16. Françoise Bonali-Fiquet, Marguerite
Yourcenar. Fragments d’un album italien, op. cit., p. 14. 17. Non
seulement il y a composé des fresques, mais on y a fait venir un
grand nombre de ses œuvres pour lui consacrer un musée, à partir de
1919.
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
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Des anges perchés sur les branches / Trompettent l’amour infini »,
où l’on a pu reconnaître « la fameuse Annonciation » du Musée de
San Marco18 ; mais ce tableau n’offre aucun ange musicien dans les
arbres ; il semble bien que Yourcenar superpose d’autres peintures
du même peintre sur le même sujet, comme le retable du Prado, où
l’on aperçoit un ange dans la végétation – il est vrai, sans
trompette –, ou sur un autre thème : Le Couronnement de la Vierge
de la Galerie
des Offices à Florence qui offre des anges sonneurs de trompette ;
mais elle ne s’intéresse pas ici à la description des peintures :
c’est une atmosphère qu’elle restitue19, qui fait s’entrecroiser le
passé et le présent, et, tout autant qu’à l’œuvre du peintre elle
est attentive au gardien et au chat qui « dépèce à l’aise / Un
faible oiseau tombé du nid », c’est-à-dire à la vie des lieux lors
de sa visite20.
Le poème « Album italien : Carrare » est à la gloire du marbre des
célèbres carrières, mais surtout des sculpteurs qui lui ont donné
vie et qui sont des instruments du divin : « les Praxitèles » pour
lesquels l’« ébaucha » jadis « l’unique Auteur », mais le poète
s’indigne de l’usage qui en fut fait aussi parfois puisqu’on y
tailla « Pour les Campos-Santos obscènes, / Le faciès des bourgeois
de Gênes »21. Praxitèle semble apprécié à travers ses copies
romaines en marbre de Carrare ; mais surtout il n’est ici qu’une
antonomase pour dire la perfection statuaire et il est confronté à
la sculpture du xixe siècle, puisque la jeune Marguerite n’a pas de
mots assez durs à l’égard des statues funéraires du Campo Santo de
Gênes, qui fut constitué à partir de 1840. Elle oppose ici
Antiquité et passé récent
au profit de l’Antiquité, attachée qu’elle est à revenir aux sources :
elle prend ici ses distances par rapport à un académisme stérile22,
préférant le surgissement génial au beau bourgeois.
Si l’on se fie aux dates de composition données dans la version
définitive des Charités d’Alcippe, « Une cantilène de
Pentaour » (p. 16), « Une épigramme amoureuse inspirée de Platon »
(p. 37), « Vieille Provence » (remanié en 1955, p. 56) ont été
aussi conçus en 1924. Ils ne concernent plus la statuaire, mais la
mort
18. Ibid. 19. Ibid. 20. Marguerite Yourcenar, Les Charités
d’Alcippe, Paris, Gallimard, 1984, p. 59. 21. Ibid., p. 58. 22. On
comparera avec le jugement de Louis Jarrot, « Une visite au Campo
Santo de Gênes (6 décembre 1904) », Mémoires de la Société
bourguignonne de géographie et d’histoire, XXI, 1905, p. 35 : «
Assurément on ne saurait contester aux sculpteurs italiens un grand
talent de praticiens ; mais il est permis de regretter de voir
cette habileté incontestable de main mise au service d’un art trop
familier et anecdotique ».
Rémy POIGNAULT
690
d’un couple (« Une cantilène de Pentaour »), l’amour (« Une
épigramme amoureuse inspirée de Platon ») et les souvenirs liés à
des personnages qui furent présents sur des sites de Provence dans
le passé, ce qui fait qu’un lieu est riche de multiples strates
chronologiques qui revivent dans l’instantané de la conscience du
visiteur.
On trouve déjà, dans un poème antérieur, « Vers orphiques » (1921
[1950], p. 17-18), le thème de la mort et de la mémoire, avec le
désir de survivre à l’anéantissement par la faculté du souvenir. Le
poème intitulé « Idoles » (1919 [1933], p. 42-43), malgré ce que
pourrait laisser entendre à un helléniste son titre, ne traite pas
de statuaire, mais de différentes incarnations de la divinité
saisies dans la suite des temps. C’est le passé antique qui est
retrouvé dans « Colonie grecque » (1920 [1934], p. 57), où
Yourcenar fait revivre une de ces cités que les Grecs quittant leur
patrie essaimèrent autour de la Méditerranée ; elle remonte à sa
fondation, pour, ensuite, s’intéresser aux diverses activités du
lieu ; elle évoque seulement en passant la statuaire, à propos du
sacré : « Le dauphin sur l’autel ou le bouc fut sculpté »,
célébrant la double vocation, terrestre et maritime, des Grecs ;
mais elle s’arrête, dans le dernier tercet – ce qui est lui
accorder le plus d’importance – à l’art du peintre sur poterie et
aux amitiés viriles : « Et le jeune potier traçait d’un trait
léger / Le profil d’un ami sur la coupe au flanc rouge ».
Dans la version définitive des Charités
d’Alcippe, on retrouve les trois poèmes de la « Trilogie héroïque
», mais dans un ordre différent, « David » passant de la deuxième à
la troisième place, mais surtout la notion de trilogie disparaît.
Le recueil ne distingue pas de sections, à part pour les « Sept
poèmes pour une morte », hommage à Jeanne de Vietinghoff. Toutefois
l’environnement des trois poèmes
est significatif, puisqu’on peut distinguer la série suivante : « Vieille
Provence », « Colonie grecque », « Album italien : Carrare », «
Album italien : Cloître de San Marco », « Album allemand :
Constance », « Persée de Cellini », « L’Idolino », « David », «
Hermaphrodite », « Sirènes », « Harpies », « Centaures »23 ; le
point commun de ces
23. Ces quatre derniers poèmes sont issus (avec des variantes)
d’une publication dans la Revue mondiale du 15 juin 1930, p.
401-403, où était adopté l’ordre suivant : « Sirènes », «
Hermaphrodite », « Sphinges » (ancien titre de « Harpies »),
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
691
poèmes est qu’il sont en rapport avec des sites visités par
Yourcenar et des œuvres d’art, pour la plupart antiques. Il s’agit
souvent de faire revivre ce passé, et, hormis l’exception
germanique, où persiste le souvenir du bûcher de Jean Huss, et les
énigmatiques Sirènes au moins aussi nordiques que gréco-romaines24,
tous ces textes ont trait à la civilisation gréco-romaine ou à la
Renaissance italienne.
Dans la revue Poésie, la « Trilogie » fait sens, sens qu’elle perd
ici, mêlée à d’autres poèmes en rapport avec la statuaire. Dans
Poésie les poèmes sont présentés, grâce à un exergue, « En mémoire
de deux bronzes et d’un marbre florentins », sinon comme des
ekphraseis, du moins comme une célébration de statues et ils sont
expressément ancrés dans un lieu, Florence. Les sous-titres de
chacun des sonnets nous proposent une progression : « L’Artiste »
(pour « Persée », « Le Croyant » (pour « David »), « L’Athlète »
(pour « L’Idolino »). Faut-il y voir une progression ascendante
et une valorisation de l’athlète
? Rien ne permet de l’affirmer
et c’est fort peu probable. On a plutôt l’impression que la
statue de marbre représentant le David de Michel-Ange est encadrée
par deux bronzes, celui de Benvenuto Cellini, et celui d’un artiste
antique inconnu pour « l’Idolino » ; les deux derniers poèmes,
d’ailleurs, font allusion au matériau de la statue : c’est « un dur
tailleur de pierre »25 qui a donné forme à David, tandis que «
l’Idolino » est l’œuvre de « Lysippe ou Polyclète, / Artisan très
habile à ciseler l’airain »26. C’est la seule œuvre antique parmi
les trois statues, mais l’époque de sa découverte la rapproche des
deux précédentes, œuvres du début du xvie siècle, pour David et des
alentours 1550, pour Persée. Mais peut-être est-ce l’esthétique qui
l’emporte dans l’organisation de la trilogie, puisque, si
commençant par « L’Artiste », on termine avec
« Centaures », avec, entre ces deux derniers, « Printemps solaire
», qui a été éliminé. Les Charités d’Alcippe contiennent aussi,
mais dans un autre contexte, un « Endymion », visiblement inspiré
de l’iconographie, peut-être plutôt picturale, poème daté de 1928
(éd. de 1984, p. 41), publié pour la première fois au Mercure de
France, 1er juin 1929, p. 295-297, repris dans la première version
des Charités d’Alcippe (1956, p. 22-24). 24. Sur le thème de la
sirène chez Marguerite Yourcenar, cf. Philippe-Jean Catinchi, « Un
exemple de syncrétisme yourcenarien. La Petite Sirène à la croisée
des mythes », Bulletin de la Société Internationale d’Études
Yourcenariennes, no 9, 1991, p. 49-59. 25. Achmy Halley, Yourcenar
en poésie […], op. cit., p. 351, signale que dans le sonnet « Dolor
Marmor », « écrit en 1924 et publié en 1928 dans La Revue des
jeunes, « [Marguerite Yourcenar] interroge les blocs de marbre de
Carrare avant que le maillet du sculpteur ne leur ait donné vie ».
26. En réalité, il s’agit d’une copie romaine d’un original grec,
trouvée à Pesaro en 1530 et exposée au Musée archéologique national
de Florence.
Rémy POIGNAULT
692
« L’Athlète » les derniers mots sont : « ma beauté » ; l’athlète ne
semble pas être là pour exalter sa victoire aux jeux et les
capacités physiques qui l’ont rendue possible, mais pour sa
plastique : c’est sur une beauté classique, contrastant, comme nous
le verrons, avec celle des deux héros précédents, que se clôt la
trilogie.
Dans les trois poèmes, Yourcenar a choisi de donner la parole à la
statue, qui à la fois se décrit, raconte son histoire et indique
les sentiments qu’elle suscite chez les autres, qu’ils aient nom «
les foules » (« Persée »), « le peuple » (« David »), « les aèdes
», le « peuple étrusque » et
finalement l’ensemble de l’humanité :
les « yeux mortels » (« L’Idolino »). Cette situation
d’énonciation assure encore une certaine homogénéité aux trois
poèmes, même s’ils ne sont plus présentés comme une « trilogie »
dans la version définitive des Charités d’Alcippe, car
les poèmes qui suivent et qui sont en rapport avec la statuaire,
représentant le plus souvent des « monstres » antiques, les
évoquent à la troisième personne, dans une prise de distance du
narrateur par rapport à son objet. Persée, David et l’Idolino
s’imposent ainsi par l’évidence du « je ».
Ce n’est pas à proprement parler le héros mythique (de la
mythologie gréco-romaine ou biblique) ou plus ou moins historique
(le vainqueur aux jeux) qui s’exprime, mais la statue elle-même.
Persée nous rappelle sa position : « J’ai pris pour piédestal le
corps décapité, / La gorge aux seins meurtris que mes sandales
foulent » ; David commence par évoquer le sculpteur qui « a dégagé
[s]on corps / De ce bloc que tourmente une âme insatisfaite » et
l’« Idolino » joue, dès le premier vers, sur l’étymologie grecque
d’« idole » et fait allusion à son long séjour sous terre avant
qu’il ne soit découvert : « Mille ans j’ai reposé dans le sombre
terrain. / Et
jamais le soleil que mon bronze reflète / N’est venu caresser dans
cette nuit complète / La courbe de l’épaule et la courbe du rein.
»
Persée27 dans les deux quatrains relate sa victoire sur la Méduse,
tandis que les tercets sont davantage consacrés à l’attitude du
vainqueur et constituent comme une description de la statue par
elle-même. Des allusions sont faites à la manière dont le héros s’y
prit pour venir à bout de la Méduse sans affronter son regard : «
Les Dieux m’ont accordé leur miroir et leur glaive » : on pense au
rôle
d’Athéna confiant à Persée un bouclier de bronze poli qui lui servit
27. Le texte du sonnet demeure inchangé à quelques variantes près
en matière de ponctuation et de majuscules entre les deux
versions.
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
693
de miroir pour guider ses coups28, et à celui d’Hermès fournissant
au héros une ρπη29 ; on retrouve aussi le thème, familier
à ce mythe, du meurtre pendant le sommeil du monstre30 (« Elle
avait clos les yeux dans la stupeur du rêve ») et celui du sang de
Gorgone comme semence de monstres : « Dégorgeant du cadavre étendu
sur la grève, / Le sang voluptueux empoisonne la mer », à cette
différence que la tradition fait se répandre ce sang au cours du
vol de Persée et que c’est la terre qui le reçoit31. L’une des
originalités du poème consiste à associer à la Méduse le thème de
la volupté : sans doute Yourcenar se souvient-elle que dans
certaines versions du mythe
Gorgo, alias Méduse, était initialement une jeune fille fort belle qui
s’attira l’inimitié d’Athéna pour avoir tenté de rivaliser en
beauté avec elle ou pour avoir été possédée par Poséidon dans son
temple32. Mais Yourcenar établit un rapprochement entre l’étreinte
amoureuse et le meurtre dans un mouvement de réversibilité qui
confère au baiser un pouvoir létal et assimile la surexcitation du
tueur au moment de la décapitation à l’extase que procure l’acte
sexuel, liant ainsi Éros et Thanatos : « Que le goût de l’amour sur
sa bouche est amer ! / Amant ou meurtrier, l’ivresse est toujours
brève ». On reconnaît une conception analogue à celle qui est à
l’œuvre dans le duel à mort d’Achille et Penthésilée dans Feux
(1936), assimilé à un « ballet russe » et à un « viol de fer »33.
Mais surtout il y a là une atmosphère semblable à celle de Qui n’a
pas son Minotaure ?, où Phèdre décrit ainsi l’étreinte amoureuse à
laquelle elle aspire, mêlant violence et passion, désir
d’anéantissement et de destruction : « Et
28. Ovide, Métamorphoses, IV, v. 782-783 : Se tamen horrendae
clipei, quod laeua gerebat, / Aere repercusso formam aspexisse
Medusae (« mais je ne regardai que le
reflet de son visage hideux dans le bronze du bouclier que tenait ma main gauche »
(trad. Georges Lafaye, Les Belles Lettres ; nous utiliserons, sauf
mention contraire, cette traduction pour nos citations des
Métamorphoses). Cf. aussi Lucain, La Guerre civile, IX, v. 665 sq.,
qui insiste sur l’aide apportée par Athéna au héros ; cf. aussi
Apollodore, Bibliothèque, II, 4, 2. 29. Cf. Pierre Grimal,
Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine [1re éd. 1951],
Paris, PUF, 1969, p. 361-362 ; ainsi Lucain, La Guerre civile, IX,
v. 662-663. 30. Cf. Ovide, Métamorphoses, IV, v. 784-5 : Dumque
grauis somnus colubrasque ipsamque tenebat, / Eripuisse caput collo
(« et, quand un lourd sommeil se fut emparé d’elle et de ses
couleuvres, je détachai sa tête de son cou »). 31. Chez Ovide,
ibid., IV, v. 617-620, c’est la terre de Libye qui reçoit des
gouttes du sang de Méduse et il en naît des serpents ; cf. aussi
Lucain, La Guerre civile, IX, v. 695 sq. ; Apollonios de Rhodes,
Argonautiques, IV, v. 1515-1517. 32. Cf. Ovide, ibid., IV, v.
794-801. 33. Marguerite Yourcenar, « Patrocle ou le destin », Feux,
in : Œuvres romanesques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 2005, p. 1104.
Rémy POIGNAULT
694
dans l’étroit assemblage de nos deux corps, personne ne saura si je
meurs ou si je mords, ni si ce que j’embrasse est mon gibier ou mon
chasseur »34 ; on pense aussi à « Ariane et l’Aventurier », où
Thésée rencontre dans le labyrinthe un jeune homme qui lui
ressemble : le début de leur combat est un corps à corps, où
baisers et morsures sont tout un : « le minotaure : Je viens de te
mordre. thésée : Quelle horreur ! Ce n’est qu’un baiser »35. La
jeune Marguerite semble faire preuve ici d’une intuition très
pénétrante, puisque certains critiques ont fait remarquer dans la
sculpture de Cellini une parenté de Persée et de la Méduse36
:
le traitement de la chevelure et celui du profil
sont identiques et établissent un rapprochement entre le héros et
le monstre. Le Bien et le Mal tendent à se confondre : « Ariane et
l’Aventurier » puis Qui n’a pas son Minotaure ? le montreront bien,
puisque c’est lui-même que Thésée rencontrera en la personne du
Minotaure.
L’auto-description de Persée est aussi pleine de violence, violence
faite au « corps décapité », violence faite à « la gorge aux seins
meurtris » piétinée par le vainqueur, horreur de la tête
hérissée de serpents : voilà qui correspond bien aux figures courbes
et aux contorsions de la tête et du corps de la Méduse, mais est
loin de la grâce et de la beauté sereine qui semblent se dégager de
la statue elle-même37 : c’est une esthétique de l’horrible qui
semble prévaloir. Le Persée de Yourcenar est plein de mépris pour
les autres
humains, qu’il se plaît à pétrifier et qu’il nomme orgueilleusement
« le vulgaire hébété ».
On sait qu’on a interprété parfois cette statue à la lumière de
l’histoire de Florence et qu’on a vu en Persée une image de
l’arrogance des Médicis. Mais sa portée ici n’est pas anecdotique.
Persée est bien un héros, un héros seul face à une foule qu’il
méprise. Dans « La Symphonie
héroïque », Yourcenar affirme précisément
que l’une des caractéristiques du héros en général est la solitude,
non seulement « parce qu’il répugne à cette absorption par
34. Théâtre II, Paris, Gallimard, 1971, p. 197. 35. Marguerite
Yourcenar, « Ariane et l’Aventurier », Cahiers du Sud, no 219,
août- septembre 1939, p. 97. 36. Camille Dumoulié, « Méduse », in :
Pierre Brunel (éd.), Dictionnaire des mythes littéraires, Monaco,
Éditions du Rocher, 1988, p. 1021, qui renvoie à l’étude de Tobin
Siebers, The Mirror of Medusa, University Of California, 1983. 37.
Henri Focillon, Benvenuto Cellini, Paris, s. d., voit dans le «
Persée » de Cellini une « œuvre d’une force trapue, d’une santé
divine » (p. 100), « le résultat d’un naturalisme passionné, mais
harmonieux » (p. 101).
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
695
la foule »38, mais parce qu’il n’accomplit que des tâches qu’il
s’est choisies. Dans cet essai39, apparaît une brève mention de
Persée, ce « groupe héroïque fondu par Cellini » qui se trouve dans
la « Loggia d’Orcagna » à proximité du groupe antique représentant
Ménélas portant le corps de Patrocle, qui retient alors l’attention
de l’auteur. La statue de Cellini est désignée ici comme le «
Persée de bronze qui figure la
victoire ». Revenant sur
cette œuvre à la fin de son
texte, Yourcenar reprend presque mot pour mot un vers du poème et
souligne le rôle du monstre pour la formation des héros : « le
héros s’est fait un piédestal du monstre décapité. Ce n’est pas le
lieu, ici, d’examiner ce symbole : contentons-nous, cette fois, que
l’utilité des monstres nous est démontrée par la base d’une statue
»40. Dans cet essai la valeur de la statue est bien d’exalter la
grandeur du héros et sa victoire sur la monstruosité ; mais le
poème a une autre portée
aussi, et son épigraphe semble le confirmer : magnifier l’artiste.
La tête de la Méduse reçoit dans le poème « Persée » une valeur
symbolique, puisque c’est « le chef hideux de la Réalité » qui est
brandi par Persée ; mais au début du poème la Méduse était qualifiée
de « beau monstre
»41 ; de fait, la figure mythique de Méduse contient
l’ambivalence de l’horreur et de la séduction42. Comment
interpréter
le geste de Persée ? Élimine-t-il la réalité au profit de la vision de
l’artiste ? ou ce qu’il brandit est-il la réalité telle que les
hommes ne peuvent la percevoir ? Il existe une beauté de
l’horrible, mais que les hommes ne peuvent supporter. Persée n’a pu
soutenir cette vue que par le détour du miroir. Si l’on se remémore
l’épigraphe du poème, « L’Artiste », on est invité à voir aussi en
Persée le symbole de l’artiste hautain et solitaire qui a la
capacité de montrer aux hommes un réel qu’ils ne peuvent affronter,
rappelant peut-être le poète tel que le conçoit Victor Hugo, dont
la jeune Marguerite était familière, celui qui « voit, quand les
peuples végètent »43 ; mais,
38. Texte publié pour la première fois dans Bibliothèque
universelle et revue de Genève, août 1930 et repris dans Essais et
Mémoires, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1991,
p. 1657. 39. Marguerite Yourcenar, Essais et Mémoires, op. cit., p.
1656. 40. Ibid., p. 1667. 41. Pour Homère, Iliade, V, v. 741 ;
Odyssée, XI, v. 634, c’est un « monstre terrible »
(trad. Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1924) : δεινοο πελρου.
42. Camille Dumoulié, « Méduse », art. cit., p. 1018 ; Sylvain
Détoc, La Gorgone Méduse, Monaco, Éditions du Rocher, 2006, p. 250.
43. Victor Hugo, « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres, I
; on pense, en particulier, aux vers suivants : « C’est lui qui sur
toutes les têtes, / En tout temps, pareil aux prophètes, / Dans sa
main, où tout peut tenir, / Doit, qu’on l’insulte ou
Rémy POIGNAULT
696
chez Yourcenar, Persée veut en imposer au peuple en le pétrifiant44,
pétrification qui est aussi fascination. Le titre définitif, « Persée de
Cellini », nous invite à nous référer à l’orfèvre et sculpteur
italien qui ne cherchait pas à représenter le naturel, mais un beau
idéal et pour atteindre cet objectif, alliait études d’après nature
et étude des modèles antiques45. Persée brandissant la tête de la
Méduse
est aussi une figure emblématique de l’artiste qui a eu à surmonter
bien des difficultés pour parvenir, au bout de longues années, à la
réalisation de son chef-d’œuvre, comme le révèle l’autobiographie
de Cellini46. Le sous-titre nous invite à voir en Persée un symbole
de l’artiste, dans un élan analogue à celui de Berlioz qui, dans
son opéra Benvenuto Cellini, célèbre l’artiste surmontant les
épreuves pour réaliser in fine du chef-d’œuvre de bronze ; et de
même que Berlioz laisse apparaître derrière le sculpteur le
compositeur47, de même l’artiste que célèbre ici Yourcenar est
aussi le poète.
Le David de Michel-Ange48, sous le regard de Yourcenar, est tout
aussi seul, mais ce n’est pas lui qui dédaigne le peuple, c’est «
le peuple qui [l]e hait » ; ce poème subit des remaniements dans
la version définitive et ce thème en disparaît : « Le peuple qui me
hait redouble en vain d’efforts » devient : « Mais à quoi bon mon
zèle et pourquoi mes efforts ? » ; c’est sa propre action que David
remet désormais en question, sans que le peuple soit alors en cause
;
qu’on le loue, / Comme une
torche qu’il secoue, / Faire
flamboyer l’avenir ! » (Œuvres poétiques,
I, éd. Pierre Albouy, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade », 1976, p. 1025).
44. Il est à remarquer dans le mythe qu’alors que Méduse, de son vivant, était confinée
dans un lieu solitaire, son pouvoir pétrifiant, une fois qu’elle est morte, est transporté
de par le monde avec le trophée de sa tête : Camille Dumoulié, «
Méduse », art. cit., p. 1019 ; Sylvain Détoc, La Gorgone Méduse,
op. cit., p. 51 : « Le bras de Persée […]
n’est qu’un outil permettant la diffusion décuplée du regard pétrifiant ».
45. Cf., par exemple, Angela
Biancofiore, Benvenuto Cellini artiste-écrivain : l’homme à
l’œuvre, Paris - Montréal, L’Harmattan, 1998, p. 234, 247, 253,
256… 46. La vie de Benvenuto Cellini écrite par lui-même
(1500-1571), trad. Nadine Blamoutier, Paris, Mercure de France,
2009, l.II, 57 sq. 47. Jean-Michel Brèque, « Opéra romantique et
manifeste lyrique », Berlioz. Benvenuto Cellini, « L’Avant-Scène
Opéra », no 142, novembre-décembre 1991, p. 21. 48. L’original,
initialement exposé devant le Palazzo Vecchio, se trouve désormais
à la Galleria dell’Accademia de Florence.
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
697
on le perçoit dans le jeu des adjectifs possessifs : on passe, en
effet, de : « Bien avant le combat mes yeux voient sa défaite, /
Et, les sourcils froncés, loin d’Israël en fête, / Au-delà du
succès je guette le remords »49 à : « Plus loin que mon succès
j’aperçois ma défaite, / Et, les sourcils froncés, quittant ma
propre fête, / Par-delà mes vertus j’aperçois mes remords ».
David se présente d’emblée comme un personnage en proie à une
inquiétude fondamentale, puisque le marbre dont il est fait
est un « bloc que tourmente une âme insatisfaite ». Il figure aussi
comme le vainqueur de Goliath, par le moyen d’une hyperbole, lui
qui « jette des rochers pour abattre les forts », et par la
mention,
dans le dernier tercet, de sa « fronde ». La version définitive revient
à plus de mesure sur ce point conformément au texte biblique
puisque « Qui jette des rochers pour abattre les forts » est devenu
: « Ce caillou me suffit pour
jeter bas les forts ». David
est aussi un prophète50 et, alors que la statue de
Michel-Ange le représente juste avant son combat contre Goliath,
ici il perçoit, après le succès, l’échec. Dans Les Charités
d’Alcippe le choix du singulier donne une valeur générique à son
combat contre Goliath, qui représente ainsi toutes les autres
batailles contre les ennemis et le recours à une image donne plus
d’expressivité : « La faute et la douleur châtieront mes victoires
» est remplacé par : « La faute et le malheur pourriront ma
victoire ». Qu’ensuite « Jéhova » soit substitué à « Iaveh » dans :
« Iaveh lâchera ses chiens expiatoires » ne semble avoir d’autre
raison que métrique, en supprimant l’une des deux diérèses et en
permettant une césure plus satisfaisante.
Dans « La Symphonie héroïque »51, Yourcenar indique que « la
montagne pour David […] enseign[e] au héros la solitude de l’homme
». Dans le poème il éprouve la douloureuse solitude de celui qui
est seul à savoir ; ce qui est renforcé dans la version
définitive, où « Mes muscles
engourdis sont las d’avoir lutté
» devient : « Mes muscles sont crispés ; j’ai trop su ; trop
lutté ». Ce qu’il sait, c’est qu’il sera responsable de son échec :
« Le sang de mon péché comble le vide immense » ; mais cette notion
de péché – peut-être une allusion à l’élimination, bien après le
combat contre
49. Peut-être allusion à la victoire de David sur son fils Absalom, qui coûta la vie à
ce dernier : « Or la victoire se changea en deuil pour tout le
peuple, en ce jour-là,
car le peuple entendait dire, en ce jour-là : ‘Le roi est affligé à cause de son fils’ » (II
Samuel, XIX, 3).
50. La version définitive est plus sensible à la chronologie : « Et je suis le pasteur aux
regards de prophète » devient : « Et je suis le pasteur, je serai
le prophète ». 51. Marguerite Yourcenar, Essais et Mémoires, op.
cit., p. 1659.
Rémy POIGNAULT
698
Goliath, d’Urie le Hittite qui a permis à David de lui ravir sa
femme (II, Samuel, XI) – disparaît dans Les Charités
d’Alcippe au profit de : « Le cri de ma
douleur remplit l’immense espace ». David est une conscience
malheureuse. Alors que le Moïse d’Alfred de Vigny était las de la
solitude du chef qui porte le poids de tout un peuple, David est
tourmenté par le sentiment de la faute, et la violence intense de
l’image finale évoque au mieux son déchirement et son ressentiment
envers la divinité : « Mais la fronde tournant dans mes mains en
démence / Ne peut lancer mon cœur au Dieu qui l’a tenté ». Ce n’est
plus Goliath, mais Dieu qui, dès lors, apparaît comme l’ennemi, car
c’est lui qui a mis David à l’épreuve du Mal. La fronde semble une
arme dirigée autant contre Dieu que contre soi-même, comme si David
souhaitait faire l’offrande de sa propre vie, mais en victime
pleine de courroux. La version définitive souligne la disproportion
entre l’arme de David et sa portée, et supprime le flou du pronom
personnel : « Mais ce jouet d’enfant tournant dans ma main lasse /
Ne peut jeter mon cœur au Dieu qui m’a tenté ».
Le sous-titre « Le Croyant » semble presque là par antiphrase, car
les rapports de David à Dieu sont peu sereins. Nous sommes loin de
l’exultation du Cantique de David (II Samuel, XXII) : « Iahvé est
mon rocher, ma forteresse et mon libérateur ». C’est le David
souffrant qui intéresse Yourcenar. Le héros biblique est ici le
jouet impuissant de Dieu.
La distance est grande par rapport à l’interprétation qui a été
donnée de la statue, placée initialement devant le Palazzo Vecchio,
comme symbole de Florence, cité-État menacée par de grandes
puissances, ou incarnation de la virtus républicaine des
Florentins.
Nous sommes loin aussi de la « préfiguration du Christ
terrassant Satan » qu’on a pu voir en David52, mais aussi
loin de l’esthétique de
la statue de Michel-Ange, qui reflète assurance et sérénité. Certes la
statue, avec ses « veines enflées, [ses] muscles tendus, [ses] boucles
aux circonvolutions multiples »53 n’est pas exempte de tension, et
le personnage, « figé dans une sorte d’attente, comme un prélude
au mouvement, à la violence »54, s’apprête à affronter le monstre.
Mais le glissement chronologique opéré par Yourcenar déplace la
lutte : ce n’est pas Goliath, mais son destin que David va
affronter. L’analyse du David de Michel-Ange que Yourcenar effectue
dans
52. Cf., par exemple, Charles Sala, Michel-Ange, sculpteur,
peintre, architecte, Paris, Terrail, 1995, p. 24. 53. Ibid., p. 29.
54. Ibid., p. 29.
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
699
« La Symphonie héroïque »55 apporte un éclairage différent : « Pas
de plus pure image de la vie héroïque que le tragique enfant
opposant à l’informe masse qu’est Goliath sa jeune intelligence
courageuse. Un adolescent, à l’âge confus où l’éphèbe se dégage à
peine de la jeune
fille, et qui, par moments, semble sa propre sœur. Du moins, nous le
voyons ainsi, sans doute parce que Verrocchio et le jeune Michel-
Ange ont vêtu ce squelette sémitique d’une belle chair
gréco-latine. […] David est un héros qui ne meurt pas, mais que
remplace un
saint. Je ne sais pas de héros qui finisse par se transformer en sage ».
Dans son essai, il semble que Yourcenar soit davantage attentive au
brouillage des sexes et à l’harmonie de la sculpture de Michel-
Ange, même si elle s’intéresse aussi à la souffrance causée par la
mort de Jonathan, où elle perçoit quelque chose du compagnonnage
héroïque grec56.
L’« Idolino » est une statue en bronze d’époque romaine, copie d’un
original grec. Elle n’a été découverte qu’en 1530 à Pesaro et est
exposée au Musée national archéologique de Florence. Le poème que
lui consacre Yourcenar est d’une tonalité bien différente de celle
des deux poèmes précédents, puisqu’on passe d’une impression de
violence et de tourment à une atmosphère de sérénité : « Moi,
l’idole inconnue au beau geste serein », « Mais sur mon piédestal,
indifférent et calme, / J’accorde aux yeux mortels le don de ma
beauté » et la compétition même qui a vu sa victoire est empreinte
du même sentiment de paix : « J’ai combattu sans crainte et
triomphé sans fraude ». Les injures du temps – du moins dans la
première version – ne se sont pas fait sentir malgré les « mille
ans » que la statue a passés sous terre sans connaître les caresses
du soleil : si le personnage a perdu sa palme, ses doigts sont «
toujours intacts ».
« L’Idolino » représente la beauté immortelle qui défie le temps : « Je
suis l’impérissable et juvénile athlète, / Tel que l’ont figuré Lysippe
ou Polyclète ». C’est aussi une image de la sensualité, puisque la
statue évoque « la courbe de l’épaule et la courbe du rein »
qui
55. Marguerite Yourcenar, Essais et Mémoires, op. cit., p.
1165-1666. 56. Ibid., p. 1666 : « Peut-être, dans cette Bible
admirable de sèche et inhumaine ardeur, traduisons-nous sans le
savoir à la grecque l’inoubliable élégie pour Jonathan tombé, et
c’est Homère, Platon et Virgile, penchés sur notre épaule, qui nous
font découvrir dans ce beau texte un peu sommaire l’éternelle
poésie du jeune compagnon » ; cf. II Samuel, I, 19-27.
Rémy POIGNAULT
700
pendant un millénaire ont attendu la caresse du soleil. C’est une
beauté sereine, consciente de sa supériorité sur les humains,
puisque la victoire a rendu l’athlète « héros du peuple étrusque et
dieu dans la cité » au point qu’il peut désormais désigner les
humains comme des « mortels » ; et il apparaît comme une divinité
bienveillante qui accepte de se laisser admirer. À la statuaire qui
assure cette immortalité est associée la poésie qui contribue au
même effet, ce qui a aussi pour corollaire de rapprocher la jeune
Marguerite d’un Pindare, le maître en matière d’épinicies, sur
lequel elle écrira par la suite une étude57 : « Les aèdes fameux
m’ont consacré leur ode ».
L’athlète est donc ici l’image de la beauté selon les canons
classiques58. La version définitive, qui comporte de très nombreuses
modifications, conserve néanmoins cette
esthétique : les deux derniers vers : «
Mais sur mon piédestal, indifférent et calme, / J’accorde aux yeux
mortels le don de ma beauté » deviennent : « Mais j’apprends au
passant, épris d’un geste calme, / De quels nombres savants se
forme la beauté », ce qui est enlever quelque peu à la hauteur de
l’éphèbe initial et accorder davantage à la science du sculpteur.
Est ainsi souligné le rôle de l’artiste dans l’émergence de la
beauté, comme aussi dans l’accession à une forme d’immortalité, qui
n’est plus celle d’un dieu, les mots « idole », « dieu » et même «
héros » ayant disparu dans le poème des Charités d’Alcippe : «
Éphémère garçon en métal imité ». Cette forme même d’immortalité
est désormais relativisée car la statue est en « fragile airain »
et les effets du temps se sont fait sentir lors de son
ensevelissement : « À peine moins mortel que la chair jeune et
chaude, / Mon beau bronze a souffert dans l’humide terrain ». Mais
dans l’un et l’autre poème, le soleil est désormais là pour
redonner
du lustre à la statue : « Et jamais le soleil que mon bronze reflète /
N’est venu caresser dans cette nuit complète / La courbe de
l’épaule et la courbe du rein » est désormais positivé dans la
mesure où ce n’est plus sur le passé d’ensevelissement que l’on
s’arrête, mais sur l’état de la statue depuis sa
découverte59 : « Que ses reflets sont doux
sur ma poitrine pure ! / Mes reins, mes flancs étroits ont des courbes
d’épure, ». La sensualité en est accrue.
57. Marguerite Yourcenar, Pindare, Paris, Bernard Grasset, 1932.
58. Cf. Achmy Halley, Yourcenar en poésie […], op. cit., p. 351 : «
Seul le troisième sonnet, “L’Idolino” […] restitue une image
parfaite et sereine de la beauté antique, telle que Yourcenar l’a
si souvent célébrée dans ses poèmes de jeunesse ». 59. Dans le
poème « L’Apparition », Les Dieux ne sont pas morts, op. cit., p.
71, la lumière et le soleil sont des éléments essentiels de la
résurrection de l’éphèbe à partir de sa statuaire.
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
701
Le rapprochement de la célébration du vainqueur par la statuaire et
par la littérature est conservé, mais en des termes différents : «
les aèdes fameux », aux relents trop homériques, disparaissent
devant les commanditaires : « Mon père, ou quelque amant, archonte
ou souverain, / Liant son nom au mien dans les strophes d’une ode,
/
Fit fondre mon image en ce fragile airain ». Dans le sonnet définitif,
l’artiste, qu’il soit poète ou sculpteur, est complètement évacué,
puisque aussi bien il n’est plus question du travail de « Lysippe
ou Polyclète, / Artisan très habile à ciseler l’airain ». L’auteur
disparaît derrière son art et, ce qui compte, c’est « de quels
nombres savants se forme la beauté ».
Yourcenar est attentive au destin des statues. Dans un essai de
1954, revu en 1982 pour sa publication dans le recueil qui lui
emprunte son titre, « Le Temps, ce grand sculpteur »60, elle évoque
les étapes de la vie d’une statue : « La première étape est
franchie, qui, par les soins du sculpteur, l’a menée du bloc à la
forme humaine »61 : nous avons rencontré cette idée déjà dans le «
David » et dans la première version de « L’Idolino ». Elle continue
: « une seconde étape, au cours des siècles, à travers des
alternatives d’adoration, d’admiration, d’amour, de mépris ou
d’indifférence, par degrés successifs d’érosion et d’usure, le
ramènera peu à peu à l’état de minéral informe auquel l’avait
soustrait son sculpteur ». Dans au moins deux des trois sonnets,
où, rappelons-le, c’est le point de vue de la statue qui est
adopté, il y a place pour l’« adoration » et l’« admiration » :
Persée « a subjugué les foules », « L’Idolino », première version,
est une « idole » et un « dieu ». Mais si la statuaire est
considérée comme une tentative de l’humain vers la beauté suprême,
l’essai montre aussi qu’elle est le témoignage de sa dépendance à
l’égard du temps : « Tout l’homme est là, sa collaboration
intelligente avec l’univers, sa lutte contre lui,
et cette défaite finale où l’esprit et la matière qui lui sert de support
périssent à peu près ensemble »62. Yourcenar termine son essai par
l’évocation des œuvres qui ont été retrouvées au fond de la mer
:
60. Marguerite Yourcenar, Le Temps, ce grand sculpteur, Paris,
Gallimard, 1983 ; nous le citons dans l’édition d’Essais et
Mémoires, op. cit. 61. Ibid., p. 312. 62. Ibid., p. 313.
Rémy POIGNAULT
702
alors que les statues de bronze le plus souvent « n’ont gardé de
leur séjour sous-marin qu’une admirable patine verdâtre », « de
fragiles marbres, par contre, sont sortis rongés, mangés, corrodés
[…] »63.
Mais dans les trois sonnets, ce n’est pas le devenir des statues
qui importe tellement, même si leur naissance et certaines
péripéties peuvent être mentionnées. La phase de retour au minéral
pur n’y est pas présente, puisque les statues sont des
chefs-d’œuvre presque intacts ; tout au plus peut-on percevoir
l’amorce de ce thème dans le rappel de l’enfouissement millénaire
de « L’Idolino ». Yourcenar leur redonne vie avec la parole ; elle
va alors à l’encontre de l’attitude des hommes de notre temps, qui,
selon le même essai, ne veulent plus des restaurations du passé,
préférant garder les marques « de la ruine et des blessures »64,
car « nous acceptons plus facilement que cette beauté, séparée de
nous, logée dans les musées et non plus dans nos demeures, soit de
la beauté étiquetée et morte »65. L’écrivain ressuscite ces
personnages, dont elle fait les représentants d’un idéal humain,
comme en témoignent les épigraphes. Mais il convient de ne pas se
laisser prendre à l’harmonie classique de « L’Idolino » :
l’esthétique de Yourcenar, déjà, loin de tout académisme, est de
celles qui sous la beauté formelle voient les tensions et les
tourments,
comme elle le confirmera dans Feux et dans
Mémoires d’Hadrien.
63. Ibid., p. 315. 64. Ibid. 65. Ibid.
Table des mat ières
© PUBP, 2011, ISBN - 978-2-84516-479-6
Introduction
........................................................................................
13
Section 1 Civilité
Dominique BERTRAND
Espace licite et jeux interdits : éléments pour une sociopoétique
du rire au siècle de Louis XIV ...... 37
Liana NISSIM
L’art de la politesse dans La Dernière Mode de Stéphane Mallarmé
.... 55
Michel COLLOMB
Table des matières
Jean-Paul SERMAIN
« Beffa » et civilité, de Boccace aux Mille et une nuits de Galland
: une leçon d’hospitalité
........................................................................
95
Françoise LAVOCAT
Hospitalité en temps de peste :
hybridation générique et conflits de normes
..................................... 107
Danielle PERROT-CORPET
Anne TOMICHE
Section 3 Amitié
Marie-Christine NATTA
Axel GASQUET
L’utopie de l’amitié. Notes sur l’amitié Blanchot-Bataille
............... 195
Rose DUROUX
Les derniers vœux de Valery Larbaud à Alfonso Reyes
................... 203
Partie II Sociopoétique & anthropologie culturelle
Section 1 Approche sociopoétique de quelques figures
Didier SOUILLER
Myriam ROMAN
Table des matières
Bertrand WESTPHAL
¡Un poquito más! Autour d’une sociopoétique de la course
d’endurance. Un article de fond ...................................
257
Section 2 Vieillir, enfance & relations
intergénérationnelles
Valérie DESHOULIÈRES
Béatrice JONGY
La filiation chez Thomas Bernhard, dans les
récits autobiographiques
..................................................... 291
Mugura CONSTANTINESCU
Sur les récits fondateurs de l’imaginaire de l’enfance
...................... 307
Stéphanie URDICIAN
Françoise LAURENT
Mariage, paternité et charivari dans Le Jeu de la Feuillée d’Adam
de la Halle ............................... 347
Rodica LASCU-POP
Julien Green, le Journal du grand âge : des mots pour dire le
vieillir
.............................................................
367
Section 3 Genres & écritures de l’histoire
Mustapha TRABELSI
Saulo NEIVA
Roman - épopée : que peut signifier
ce rapprochement à notre époque ?
.................................................. 399
Bernard RIBÉMONT
Quand la « tragédie régionale » accueille l’épopée médiévale.
Ganelon de Tonnay-Boutonne de Paul d’Hérama et l’historiographie
aquitaine
............................................................
409
Table des matières
Saint-Simon :
Mémoires en nocturne ou l’histoire aux flambeaux
... 425
Corinne SAMINADAYAR-PERRIN
Gabriele VICKERMANN-RIBÉMONT
Wes Gastes Kind… La traduction allemande du Philosophe marié de
Philippe Néricault Destouches entre comédie classique et
questionnement juridique ...................... 457
Catherine MILKOVITCH-RIOUX
D’une écriture picturale de l’Histoire : Les Mots de Vercors
........... 473
Partie III Romantismes
Bernard DIETERLE
Éric LYSØE
L’Invité(e) de deux heures : Hoffmann dans l’ombre de Mozart .....
499
Paolo TORTONESE
La ressemblance. Notes sur Gautier et Hoffmann
............................ 525
Section 2 Entre peinture et mode : portrait de l’artiste au gilet
rouge
Anne GEISLER-SZMULEWICZ
Serge ZENKINE
Théophile Gautier : de la vie artistique à l’écriture artiste
............... 553
Table des matières
Vérane PARTENSKY
Le modèle du propre à rien ou les paradoxes du non-savoir
............ 573
Hélène LAPLACE-CLAVERIE
Anne GARRAIT-BOURRIER
De l’ironie au sourire aux horizons de la poïesis poesque
............... 595
Partie IV Mythes & formes littéraires
Section 1 Mythes & écritures
Simone BERNARD-GRIFFITHS
Pascale AURAIX-JONCHIÈRE
Le « non » de Lilith : métaphore identitaire dans le monde
contemporain
............................................................
657
Catherine d’HUMIÈRES
Jérusalem inversée ou nouvelle Babylone : La Cité des Immortels
dans L’Aleph, de Jorge Luis Borges ............. 675
Rémy POIGNAULT
La voix des statues : sur trois poèmes de jeunesse de Marguerite
Yourcenar
..................................................................
685
Bernadette HIDALGO BACHS
Une approche sociopoétique des nymphes dans l’œuvre poétique de
Pedro Salinas ........................................... 703
Table des matières
Véronique GÉLY
Des dés dans l’écritoire : Le Page disgracié de Tristan L’Hermite,
roman ludique
...................................................................................
725
Isabelle CHOL
La mise en scène du processus de création dans l’œuvre de Gérard
Titus-Carmel ..............................................
739
Bénédicte MATHIOS
Sonnet « meta » et engagement à l’époque franquiste : Eugenio de
Nora, Ángel González, Vicente Gaos ............................
755
Jessica WILKER
Du mouvement et de l’immobilité du promeneur (Robert Walser, Der
Spaziergang, Thomas Bernhard, Gehen) ......... 769
Jean-Pierre DUBOST
Lent retour sur Cézanne : promenade et écriture ou le chemin de la
sensation
.............................................................
785
Alain Montandon Bibliographie, encadrement de thèses
Bibliographie
....................................................................................
799
Les Auteurs ....................................................
837
L’HOSPITALITÉ DES SAVOIRS Mélanges offerts à Alain Montandon
Alain Montandon a été à l’Université Blaise-Pascal et à la tête du
CRLMC un remarquable rassembleur de talents et de passions et un
grand faiseur de rencontres. Ces Mélanges sont l’occasion de
répondre par un acte de contre-don collectif à cette singulière
générosité. L’analyse d’objets culturellement identifiés, mais
fuyants ou échappant à toute marque univoque, l’intérêt pour la
singularité des marques culturelles, la prédilection pour une
attention fine et patiente des expressions sociales et pour
l’analyse de leur devenir littéraire trouvent chez lui leur concept
méthodique dans la « sociopoétique », qu’il définit comme l’étude
de l’écriture des interactions sociales, dans leur contexte
historique, politique ou culturel. C’est à cette « Hospitalité des
savoirs » que ces Mélanges désirent rendre hommage. Dans l’esprit
de convivialité qu’il a su insuffler autour de lui pendant de
nombreuses années à l’Université Blaise-Pascal, au sein de la
Société Française de Littérature Générale et Comparée, au sein de
l’université française et à l’étranger cet ouvrage rend hommage à
son inlassable activité de recherche et au don qu’il a eu de
rassembler les talents autour de lui. La grande richesse et la
diversité d’approche et de tempérament scientifique que
représentent les quarante-huit contributions d’auteurs jeunes et
moins jeunes que cette publication contient est à l’image de la
recherche qu’Alain Montandon a su impulser. On y retrouvera bon
nombre de ses grands thèmes de prédilection comme l’hospitalité, la
civilité, l’amitié, la Nuit, Gautier, Hoffmann, la valse, le
vieillir, l’enfance, le conte, l’écriture littéraire de l’histoire,
les écritures mythiques, la promenade, regroupés en quatre grandes
rubriques : CIVILITÉ, HOSPITALITÉ ET AMITIÉ, ROMANTISMES,
SOCIOPOÉTIQUE ET ANTHROPOLOGIE CULTURELLE, MYTHES ET FORMES
LITTÉRAIRES.
L’ H
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S AV
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Mélanges offerts à Alain Montandon
Mélanges offerts à Alain Montandon
40 euros
L’HOSPITALITE DES SAVOIRS
L’HOSPITALITÉ DES SAVOIRS