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HAL Id: tel-01902102 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01902102 Submitted on 23 Oct 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La structure de la philosophie de Socrate selon Platon Jacques Han To cite this version: Jacques Han. La structure de la philosophie de Socrate selon Platon. Philosophie. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2018. Français. NNT: 2018PA01H205. tel-01902102

La structure de la philosophie de Socrate selon Platon

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Page 1: La structure de la philosophie de Socrate selon Platon

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Submitted on 23 Oct 2018

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents whether they are pub-lished or not The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad or from public or private research centers

Lrsquoarchive ouverte pluridisciplinaire HAL estdestineacutee au deacutepocirct et agrave la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche publieacutes ou noneacutemanant des eacutetablissements drsquoenseignement et derecherche franccedilais ou eacutetrangers des laboratoirespublics ou priveacutes

La structure de la philosophie de Socrate selon PlatonJacques Han

To cite this versionJacques Han La structure de la philosophie de Socrate selon Platon Philosophie UniversiteacutePantheacuteon-Sorbonne - Paris I 2018 Franccedilais NNT 2018PA01H205 tel-01902102

LUniversiteacute Paris I Pantheacuteon-Sorbonne

Thegravese pour lobtention du grade de docteur de lUniversiteacute Paris I

Preacutesenteacutee et soutenue publiquement par

Jacques HAN

La structure de la philosophie de SOCRATE

selon PLATON

Directeur de Thegravese

Luc BRISSONDRCE Centre Jean-Peacutepin CNRS-ENS UMR 8230

Composition du jury

Louis-Andreacute DORIONProfesseur au deacutepartement de philosophie de lUniversiteacute de Montreacuteal

Pierre CAYEResponsable du centre Jean-Peacutepin CNRSndashENS UMR 8230

Monique DIXSAUTProfesseur eacutemeacuterite UFR de philosophie lUniversiteacute Paris I

Luc BRISSONDRCE au centre Jean-Peacutepin CNRSndashENS UMR 8230

Date de soutenance le 27 juin 2018 agrave 14h30

LUniversiteacute Paris I Pantheacuteon-Sorbonne

Thegravese pour lobtention du grade dedocteur de lUniversiteacute Paris I

Preacutesenteacutee et soutenue publiquement par

Jacques HAN

La structure de la philosophie de SOCRATE

selon PLATON

Directeur de Thegravese

Luc BRISSON

DRCE Centre Jean-Peacutepin CNRS-ENS UMR 8230

Composition du jury

Louis-Andreacute DORIONProfesseur au deacutepartement de philosophie de lUniversiteacute de Montreacuteal

Pierre CAYEResponsable du centre Jean-Peacutepin CNRSndashENS UMR 8230

Monique DIXSAUTProfesseur eacutemeacuterite UFR de philosophie lUniversiteacute Paris I

Luc BRISSON

DRCE au centre Jean-Peacutepin CNRSndashENS UMR 8230

2018

Avertissement

Les passages citeacutes des dialogues de Platon sont extraits des traductions parues aux Eacuteditions

Flammarion (Collection laquo GF raquo)1

Alcibiade GF 988 2000 2e eacuted corrigeacutee [1999] trad par C Marboeuf et J-F Pradeau

Apologie Criton GF 848 2005 3e eacuted corrigeacutee [1997] trad par L Brisson

Banquet GF 987 2001 2e eacuted corrigeacutee et mise agrave jour [1998] trad par L Brisson

Charmide Lysis GF 1006 2004 trad par L-A Dorion

Cratyle GF 954 1998 trad par C Dalimier

Euthydegraveme GF 492 1989 trad par M Canto-Sperber

Gorgias GF 1326 1993 et 2007 eacuted revue et augmenteacutee [1987] trad par M Canto-Sperber

Hippias majeur Hippias mineur GF 870 2005 trad par J-F Pradeau amp F Franterotta

Ion GF 529 2001 eacuted mise agrave jour [1989] trad par M Canto-Sperber

Lachegraves Euthyphron GF 652 1997 tard par L-A Dorion

Lettres GF 466 2004 4e eacuted corrigeacutee et mise agrave jour[1987] trad par L Brisson

Lois GF 1059 1257 2006 trad par L Brisson et J-F Pradeau

Meacutenexegravene GF 1162 2006 tard par D Loayza

Meacutenon GF 491 1993 2e eacuted corrigeacutee et mise agrave jour trad par M Canto-Sperber

Parmeacutenide GF 688 1999 2e eacuted revue [1994] trad par L Brisson

Pheacutedon GF 489 1991 trad par M Dixsaut

Phegravedre GF 1268 2004 nouvelle eacuted corrigeacutee et mise agrave jour [1989] trad par L Brisson

Philegravebe GF 705 2002 trad par J-F Pradeau

Politique GF 1156 2003 [2011] Luc Brisson et Jean-Franccedilois Pradeau

Protagoras GF 7611997 trad par F Ildefonse

Reacutepublique GF 653 2002 trad par G Leroux

Sophiste GF 1269 1993 trad par Nestor L Cordero

Theacuteeacutetegravete GF 493 1995 2e eacuted corrigeacutee [1994] trad M Narcy

Timeacutee Critias 618 2001 5e eacuted corrigeacutee et mise agrave jour 1992 trad L Brisson

Comme chacune de ces traductions comprend laquo Introduction raquo laquo Traduction raquo laquo Notes raquo et dans certains cas laquo Annexe raquo pour simplifer la citation nous adoptons la forme suivante de la citation dans la note de bas de page prenons le Sophiste pour exemple

mdash passage Sophiste 239 b2mdash laquo Introduction raquo Sophiste laquo Introduction raquo p 62mdash laquo Notes raquo Sophiste laquo Notes raquo ndeg 141 p 234mdash laquo Annexe raquo Sophiste laquo Annexe II raquo p 286Les passages en grec sont extraits de leacutedition bilingue Les Belles Lettres des œuvres de Platon

1 Par ailleurs nuis suivons cette pratique utile laquo Nous avons pris la liberteacute de modifer tregravesponctuellement quelques-unes des citations de maniegravere agrave accorder le vocabulaire des extraits raquo (Cf Pradeau J-F Platon limitation de la philosophie Paris Aubier 2009 p 7)

2 Il arrive certes exceptionnellement quun passage citeacute est extrait dune autre traduction que celle de la collection GF Flammarion dans ce cas-lagrave le traducteur sera citeacute comme suit par exemple Sophiste 239 b (A Diegraves)

Introduction51 La structure72 La philosophie93 La Forme104 Lacircme115 Lignorance146 Lἐπιστήμη157 La vertu178 La dialectique199 Questions de meacutethode20Conclusion21

4

Introduction

La structure de la philosophie de Socrate selon Platon1 un tel sujet de thegravese invite agrave poser

deux questions 1 pourquoi laquo Socrate selon Platon raquo et non pas selon Aristophane

Xeacutenophon ou Aristote 2 pourquoi laquo la philosophie de Socrate selon Platon raquo et non

pas tout simplement laquo la philosophie de Platon raquo

Pour la premiegravere question il sagit dune question dhistoriciteacute Socrate fut condamneacute

agrave mort en 399 av J-C De ce fait historique reconnu quels que soient les propos

apporteacutes sur le compte de Socrate mdash puisquil na rien eacutecrit ils doivent justifer cette

condamnation or seul Socrate de Platon peut la justifer 1 Socrate soumet tout le

monde agrave examen particuliegraverement les hommes politiques les poegravetes et les artisans2

en montrant leur ignorance en les ironisant et en leur faisant honte publiquement

Cest preacuteciseacutement cette enquecircte Atheacuteniens qui ma valu des inimiteacutes si nombreuses qui preacutesentent une virulence et une graviteacute dune telle importance quelles ont susciteacute maintes calomnies et mont valu de me voir attribuer ce nom celui de laquo savant raquo3

Le Socrate de Platon est parfois peacutenible agrave supporter pour certains interlocuteurs

Cest bien le cas pour Critias dans le Charmide pour Calliclegraves dans le Gorgias et pour

Thrasymaque dans le livre I de la Reacutepublique 2 La nature insolente de Socrate

lorsquil vient decirctre condamneacute agrave mort laquo Eh bien Atheacuteniens quelle contre-

proposition vous ferais-je maintenant comme peine Eacutevidemment celle que je

meacuterite raquo4

Aucun traitement Atheacuteniens ne sied mieux agrave un tel homme que decirctre nourri dans leprytaneacutee5

laquo [hellip] En fait le prytaneacutee eacutetait le foyer commun de la citeacute et la coutume agrave laquelle fait

allusion Socrate eacutetait une survivance de leacutepoque ougrave les rois faisaient lhonneur agrave leur

hocircte en partageant leur table Ce privilegravege eacutetait accordeacute aux vainqueurs des jeux agrave

1 Un tel titre paraicirct preacutetentieux laquo Nous le savons bien pas une seule phrase de Socrate telle quelle a eacuteteacute prononceacutee par lui na surveacutecu Dans ces conditions est-il raisonnable de croire quon puisse en deacutepit de cela en savoir assez sur sa penseacutee et sur son enseignement pour parler seacuterieusement de saphilosophie raquo (Vlastos Gregory laquo Socrate raquo Philosophie grecque Paris PUF Quadrige Manuels sous la direction de M Canto-Sperber 2017 1re eacuted laquo Quadrige Manuels raquo [1997 1998] p 123

2 Voir Apologie 21 b ndash 22 e3 Ibid 22 e Agrave la diffeacuterence de Socrate de Xeacutenophon ne pratique ni lironie ni la reacutefutation (voir la liste

partielle des principales diffeacuterences entre Socrate de Platon et Socrate de Xeacutenophon cf Dorion Louis-Andreacute Socrate Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 98 ndash 102)

4 Apologie 36 b voir surtout le second discours de Socrate dans lApologie (35 e ndash 38 c)5 Ibid 36 d

5

Olympie agrave des strategraveges et aux repreacutesentants de certaines familles par exemple les

descendants dHarmodios et dAristogiton [hellip] raquo1 Une telle insolence est une

provocation la preuve en est que dans lApologie Socrate emploie sept fois le verbe

θορυβεῖν (faire du tapage)2 en invitant les Atheacuteniens au Tribunal agrave ne pas

linterrompre par leurs cris 3 Dans les dialogues platoniciens Socrate dune part

soppose agrave la deacutemocratie mais dautre part il a une bonne relation avec Alcibiade

Charmide et Critias et justement laquo Il semble que les Atheacuteniens naient pas pardonneacute

agrave Socrate ses freacutequentations Il est donc fort probable que le veacuteritable fondement de

son procegraves soit son opposition agrave la deacutemocratie et ses relations avec des personnages

aussi malfaisants quun traicirctre agrave Athegravenes comme Alcibiade et des comploteurs qui

deacuteclenchegraverent une guerre civile comme Critias et Charmide raquo3 En un mot Socrate

selon Platon est plus proche de la reacutealiteacute lieacutee agrave sa condamnation agrave mort

La reacuteponse agrave la seconde question (pourquoi laquo la philosophie de Socrate selon

Platon raquo et non pas tout simplement laquo la philosophie de Platon raquo ) est quil sagit lagrave

dune reacutealiteacute platonicienne agrave respecter En fait 1 Socrate na rien eacutecrit il a seulement

parleacute alors que Platon a beaucoup eacutecrit mais lui-mecircme na jamais parleacute puisquil

nest ni personnage ni narrateur dans ses dialogues Ainsi si lon peut dire que

Socrate est le laquo porte-parole raquo de Platon on peut dire aussi que Platon est le laquo scribe raquo

de Socrate et par conseacutequent 2 sil y a une seule philosophie il est diffcile de

distinguer nettement entre Socrate et Platon du fait que tous deux pensent la mecircme

chose Toutefois leur fonction propre est diffeacuterente lun parle lautre eacutecrit En

revanche si lon considegravere quil existe deux philosophies lune socratique lautre

platonicienne elles ne peuvent ecirctre seacutepareacutees lune de lautre puisque de lune naicirct

lautre et dans lautre se voit lune Cest pourquoi nous choisissons ce titre La

structure de la philosophie de Socrate selon Platon ce choix consistant agrave preacuteserver luniteacute

philosophique de ces deux philosophes Cette uniteacute se structure autour de six termes

agrave savoir la Forme (αὐτὸ καθ᾽ αὐτὸ εἶδος ou τὸ ὄν cest-agrave-dire ce qui est reacutellement)

lacircme (ψυχή) lignorance (ἀγνοία) la science (ἐπιστήμη) la vertu (ἀρετή) et la

1 Apologie laquo Notes raquo ndeg 258 p 1552 Le verbe est plutocirct peu preacutesent dans le corpus platonicien voici la liste de ses occurrences

Apologie θορυβεῖν (17 d) θορυβήσητε (20 e) θορυβεῖτε (21 a) θορυβεῖν (27 b) θορυβείτω (27 b) θορυβεῖτε (30 c) θορυβεῖν (30 c) Banquet θορυβηθῶ (194 a) θορυβήσεσθαι (194 b) Charmideτεθορυβημένοι (154 c) Euthydegraveme τεθορυβημένον (275 d) ἐθορυβήθην (283 d) θορυβουμένου (283 d) Lettre VII τεθορυβημένω (348 e) Lois I θορυβούμενον (640 b) II θορυβώδης (671 a) Lysis τεθορυβημένον (210 e) Phegravedre θορυβείτω (245 b) θορυβουμένη (248 a) Protagoras θορυβοῦσιν (319 c) Reacutepublique IV θορυβήσῃ (438 a) VII θορυβουμένην (518 a) Timeacutee θορυβώδη (42 d)

3 Brisson Luc Platon Paris Cerf 2017 p 32

6

dialectique (διαλεκτιή)

1 La structure

La structure de la philosophie de Socrate est eacutelaboreacutee agrave partir de la ceacutelegravebre ligne

segmenteacutee en quatre sections dans la Reacutepublique (livre VI 509 d ndash 510 a) puis ces

sections sont nommeacutees agrave la fn du livre VI (511 d ndash e) et redeacutefnies dans le livre VII

(533 e ndash 534 a)1 Mais avant danalyser cette ligne il faut reacutesoudre un problegraveme de

segmentation Voici le texte en question

Sur ce prends par exemple une ligne coupeacutee en deux dineacutegale (ἄνισα) longueur coupe

de nouveau suivant la mecircme proportion que la ligne chacun des deux segments mdash celui

du genre visible et celui du genre invisible mdash[hellip]2

Le problegraveme est que la seacutequence ΑΝΙΣΑ peut ecirctre interpreacuteteacutee comme laquo ἄνισα raquo tout

aussi bien qu laquo ἂν ἴσα raquo laquo [hellip] Si le texte est clair et exprime nettement une ineacutegaliteacute

[hellip] le privilegravege du monde intelligible impose une repreacutesentation plus importante et

ainsi en deacutecroissant vers les domaines infeacuterieurs de lontologie[hellip] raquo3 Nous pensons

ainsi quil sagit d laquo ἂν ἴσα raquo Dans ce cas-lagrave pourquoi Socrate ne dirait-il pas

simplement laquo supposons que la ligne soit coupeacutee en quatre sections eacutegales raquo au lieu

de proposer deux fois la mecircme opeacuteration Ce parti pris permet en effet de souligner

la coexistence de deux mondes opposeacutes linvisible et le visible Agrave linteacuterieur de ceux-

ci on pourrait par contre appliquer une division en plusieurs segments et non pas

seulement en deux Lexplication d laquo ἂν ἴσα raquo semble simple lἐναντίον (contraire

ou opposeacute) lui-mecircme est symeacutetrique ce passage du Philegravebe le confrme laquo Divisons

en deux la totaliteacute des choses qui existent actuellement dans lunivers raquo une part a

pour nom lillimiteacute et lautre la limite4 En effet la division du tout en deux en trois

en quatre ou en un autre nombre supeacuterieur donne toujours des parties eacutegales Mais

quel est le sens de leacutegaliteacute En fait leacutegal en soi (αὐτὸ τὸ ἴσον) est une Forme5

supposant la symeacutetrie entre le monde intelligible et le monde sensible La puissance

de lecirctre est la puissance totale de lunivers autrement dit la puissance du monde

intelligible est la puissance de la totaliteacute de lunivers lunivers tire du monde

1 Cf Lafrance Yvon Pour interpreacuteter Platon La ligne en Reacutepublique VI 509 d ndash 511 e Montreacuteal Bellarmin Tome I (Bilan analytique des eacutetudes 1804 ndash 1984) 1987 Tome II (Le texte et son histoire) 1994

2 Reacutepublique VI 509 d3 Reacutepublique laquo Notes livre VI raquo ndeg 142 p 6724 Voir Philegravebe 23 c5 Voir αὐτοῦ τοῦ ἴσου (Parmeacutenide 131 d Pheacutedon 75 b) αὐτὸ τὸ ἴσον (Pheacutedon 74 a c e 78 d) αὐτὰ τὰ ἴσα (Pheacutedon 74 c)

7

intelligible sa puissance

Voici la description de la ligne dans le livre VII de la Reacutepublique (533 e ndash 534 a)

Socrate Il nous plaira donc dis-je comme auparavant de nommer la premiegravere section science (ἐπιστήμη) et la deuxiegraveme penseacutee (διάνοια) la troisiegraveme croyance (πίστις) et la quatriegraveme repreacutesentation (εἰκασία) Il suffra aussi de nommer ces deux derniegraveres prises ensemble opinion (δόξα) et les deux premiegraveres ensemble intellection (νόησις)1

La ligne est en reacutealiteacute une ligne repreacutesentant lacircme car seule lacircme est capable de

lopinion et de lintellection de monter ou descendre dans les deux directions

opposeacutees sur la ligne2 Or quand il est question de lacircme il sagit neacutecessairement de

lecirctre puisque lecirctre est la raison decirctre de lacircme en ce sens cette ligne est aussi une

ligne de lecirctre Cependant nous pouvons constater que cette ligne est incomplegravete

puisque la Forme en haut lignorance et les maux en bas en sont absents En effet

lἐπιστήμη quelle que soit sa porteacutee pratique ou ontologique a neacutecessairement son

objet car la science est toujours science de quelque chose son objet ici en

loccurrence est la Forme et son contraire est lignorance Mais pour que lacircme

humaine maicirctrise cette science contre lignorance il lui faut aussi et surtout des

moyens Comme pour observer des objets ceacutelestes il faut seacutequiper de teacutelescopes de

mecircme il faut avoir le moyen de connaicirctre la veacuteriteacute Ce moyen a pour nom la

dialectique cest-agrave-dire laquo le moyen agrave travers le dialogue de connaicirctre ce qui est raquo3

Voici la reacutecapitulation de la ligne

Bien

Formes

νόησιςἐπιστήμη dialectique

acircme ecirctreδιάνοια raisonnement

δόξαπίστις perception

acircme corps ecirctre τέχνηεἰκασία imitation

ignorance

maux

En prenant les six termes agrave savoir la Forme (τὸ ὄν cest-agrave-dire ce qui est purement

et simplement) lignorance (ἄγνοια ou ἀμαθία) lacircme ψυχή ecirctre (εἶναι) la science

(ἐπιστήμη) et la dialectique (διαλεκτιή) nous obtenons la structure qui incarne la

complexiteacute du tableau Cependant nous remplaccedilons le verbe laquo ecirctre raquo par lἀρετή

1 Notons que agrave la fn du livre VI ces quatre sections sont nommeacutees respectivement νόησις διάνοιαπίστις et εἰκασία

2 laquo Et maintenant adjoints agrave nos quatre sections les quatre eacutetats mentaux de lacircme [hellip] raquo (Reacutepublique livre VI 511 e) autrement dit ces quatre sections sont quatre domaines de lactiviteacute de lacircme humaine

3 Brisson Luc Pradeau Jean-Franccedilois Dictionnaire Platon Paris Ellipses 2007 p 45

8

pour la simple raison suivante agrave tous les niveaux de lecirctre il existe toujours la

question de lexcellence propre (ἀρετή) car chaque reacutealiteacute a sa fonction propre

Notons que lon ne peut faire de lignorance une excellence parce quelle est

deacutepourvue de fonction de mecircme pour les maux

2 La philosophie

Le terme laquo philosophie raquo en tant quaspiration au savoir prend un sens assez large

dans les dialogues de Platon Dans lApologie il sagit dune pratique consistant agrave

soumettre agrave examen soi-mecircme et les autres afn de faire apparaicirctre la veacuteriteacute et

dissiper lignorance qui consiste agrave croire savoir ce que lon ne sait pas en reacutealiteacute Ainsi

laquo une vie agrave laquelle cet examen ferait deacutefaut ne meacuteriterait pas decirctre veacutecue raquo (38 a)

Dans le Banquet la philosophie prend son sens propre agrave savoir laspiration au savoir

(203 d) la contemplation de la reacutealiteacute intelligible (211 d ndash e) le deacutesir de limmortaliteacute

(207 a) Dans la Reacutepublique elle est la dialectique cest-agrave-dire la science de ce qui est

au moyen du dialogue Dans lAlcibiade il sagit de la connaissance de soi et du mecircme

en soi (αὐτὸ τὸ αὐτό 130 d) Dans la premiegravere partie du Parmeacutenide la philosophie est

lontologie quon appellera plus tard la meacutetaphysique Dans le Philegravebe la philosophie

prend un accent aigu sur la psychologie Dans le Theacuteeacutetegravete il sagit dune enquecircte sur

la science (ἐπιστήμη) agrave travers lanalyse de son opposeacute agrave savoir lopinion Dans le

second discours de Socrate du Phegravedre la philosophie est tout simplement une

reacuteminiscence

Il faut en effet que lhomme arrive agrave saisir ce quon appelle laquo forme intelligible raquo en allant

dune pluraliteacute de sensations vers luniteacute quon embrasse au terme dun raisonnement Or

il sagit lagrave dune reacuteminiscence des reacutealiteacutes jadis contempleacutees par notre acircme quand elle

accompagnait le dieu dans son peacuteriple quand elle regardait de haut ce que agrave preacutesent

nous appelons laquo ecirctre raquo et quelle levait la tecircte pour contempler ce qui est reacuteellement Ainsi

est-il juste assureacutement que seule ait des ailes la penseacutee du philosophe car les reacutealiteacutes

auxquelles elle ne cesse dans la mesure de ces forces de sattacher par le souvenir ce

sont justement celles qui parce quil sy attache font quun dieu est un dieu1

En somme dans chaque dialogue de Platon la philosophie semble prendre un sens

un peu diffeacuterent tout en restant la mecircme laquo la philosophie comme ce mode de vie qui

se laisse deacuteterminer par laspiration au savoir et sa pratique raquo2

Sur la ligne de lecirctre ce savoir (σοφία) comprend deux parties agrave savoir les

1 Phegravedre 249 b ndash c Quant agrave savoir pourquoi la philosophie se nomme la folie eacuterotique voir le passage 249 d ndash e qui renvoie en effet au discours de Diotime rapporteacute par Socrate dans le Banquet

2 Dictionnaire Platon p 120

9

matheacutematiques (ce que deacutesigne διάνοια) cest-agrave-dire le raisonnement rigoureux et la

dialectique Les matheacutematiques en tant que telles ne sont pas la fnaliteacute de la

philosophie elles constituent un outil de raisonnement pur qui permet de discerner

les reacutealiteacutes sensibles avec exactitude un outil deacuteducation qui permet deacutelever le sens

de la mesure Cest la raison pour laquelle les matheacutematiques sont neacutecessaires pour

ceux qui ont la tacircche de maicirctriser le monde sensible mais aussi pour tous les ecirctres

humains car un ecirctre humain est neacutecessairement un ecirctre de mesure

Socrate Statuons-nous alors dis-je en disant que cest un enseignement des plus neacutecessaires agrave lhomme de guerre que de pouvoir calculer et compter (λογίζεσθαί τε καὶ ἀριθμεῖν δύνασθαι)

Glaucon Le plus neacutecessaire de tous dit-il sil veut comprendre quoi que ce soit aux positions des troupes pour la bataille ou mecircme sil veut seulement ecirctre un ecirctre humain1

Seule la science du calcul et des nombres permet de calculer et de compter avec

preacutecision et certitude On voit bien que la matheacutematique est agrave la fois une science

(nombre) et une pratique (calcul) Or cette science permet certes de faire gagner une

guerre mais elle ne permet pas de savoir si lon fait une guerre contre ceux qui sont

justes ou injustes2 dougrave la neacutecessiteacute dune autre science plus eacuteleveacutee qui permet de

savoir ce quest le juste ce quest le bien Cette science a pour nom la dialectique elle

est agrave la fois une science (la connaissance de ce qui est) et une pratique (le dialogue)

3 La Forme

Par la Forme nous entendons la reacutealiteacute en soi (αὐτὸ καθ᾽ αὐτὸ εἶδος3) qui est la cause

de son propre ecirctre et de lecirctre de toutes les autres reacutealiteacutes

Dans le Pheacutedon Socrate admet laquo quil existe deux espegraveces decirctres dune part lespegravece

visible et de lautre lespegravece invisible raquo En fait ces deux espegraveces decirctres sont distinctes

Lintelligible se situe au niveau le plus eacuteleveacute laquo ce qui est totalement ecirctre raquo laquo ce qui est

purement et simplement ecirctre raquo laquo ce qui est veacuteritablement ce quil est raquo ou tout

simplement laquo ce qui est reacuteellement raquo Dun tel ecirctre on peut dire laquo simplement quil est raquo

on ne peut en parler quen utilisant le preacutesent deacuteterniteacute car il est laquo pur raquo sans meacutelange

Face aux choses sensibles qui ne cessent de changer qui naissent et peacuterissent la reacutealiteacute

intelligible se caracteacuterise par son identiteacute laquo elle est toujours la mecircme raquo elle laquo garde

toujours les mecircmes rapports et la mecircme nature raquo Et puisquil ne change pas neacutetant

soumis ni agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption lintelligible est en soi il ne doit donc pas

ecirctre consideacutereacute comme un effet et doit de ce fait ecirctre tenu pour cause de son ecirctre Or ce

1 Reacutepublique VII 522 e2 laquo Quoi donc Contre qui conseilleras-tu aux Atheacuteniens de faire la guerre Contre ceux qui sont

injustes ou contre ceux qui agissent de faccedilon juste raquo (Alcibiade 109 b)3 Parmeacutenide 128 e

10

sont ces reacutealiteacutes en soi qui sont deacutefnies comme des Formes1

Ce qui est reacuteellement veacuteritablement est toujours le mecircme en soi et par soi En effet

dans les dialogues platoniciens on trouve plusieurs formules qui peuvent signifer

une Forme comme par exemple εἶδος ἰδέα αὐτὸ τὸ F αὐτὸ καθ αὑτὸ F ougrave F

deacutesigne une reacutealiteacute intelligible comme par exemple leacutegal le beau chaque chose qui

est (ἕκαστον ὃ ἔστιν) Parfois la formule exprime aussi une chose sensible αὐτὸ τὸ

τεῖχος par exemple2 Cela eacutetant leurs emplois ne signifent pas systeacutematiquement la

Forme En particulier certaines expressions employeacutees dans les premiers dialogues

ressemblent agrave la Forme mais nous le verrons dans la premiegravere partie du chapitre I

laquo La Forme raquo leur sens sen approche tregraves diffcilement3 En effet au fur et agrave mesure

que le volume de dialogues platoniciens augmente (notons que les premiers

dialogues sont peu volumineux) le sens et la deacutefnition de la Forme se preacutecisent4

Cela suppose quune eacutevolution de la penseacutee des formes intelligibles semble eacutevidente

Ainsi en retraccedilant cette eacutevolution on pourrait peut-ecirctre laquo deacuteterminer agrave quel moment

simpose avec eacutevidence la formulation explicite dune seacuteparation entre lintelligible et

le sensible raquo5 Une telle deacutetermination permettrait de voir plus clairement quelles

sont les conditions de la connaissance de la veacuteriteacute Plus preacuteciseacutement il sagit de

reacutepondre aux cinq questions suivantes 1 Comment sopegravere la seacuteparation entre le

sensible et lintelligible Y a-t-il une correacutelation entre ces deux seacuteparations agrave savoir

entre le sensible et lintelligible dune part entre le corps et lacircme dautre part 2 Si

cest par la matheacutematique que les reacutealiteacutes sensibles participent agrave lintelligible

comment rendre compte de la participation de lacircme agrave lintelligible 3 Y a-t-il des

Formes neacutegatives Par exemple pourrait-il y avoir une Forme du Mal cest-agrave-dire un

Mal eacutetant toujours le mecircme en soi et par soi 4 Si cest par la contemplation que lon

pourrait saisir la reacutealiteacute veacuteritable quel est ce mode de contemplation 5 La vie

bonne peut-elle se passer de la veacuteriteacute cest-agrave-dire decirctre veacuteritablement

1 Cf Brisson Luc laquo Comment rendre compte de la participation du sensible agrave lintelligible chez Platon raquo Platon Les formes intelligibles Paris PUF 2001 pp 55 ndash 85 p 58 ndash 59 Notons que dans le texte 15 notes de bas de page sont associeacutees agrave cet extrait Pour des raisons de lisibiliteacute nous ne les reproduisons pas ici

2 Voir Lysis 203 a3 Sur la question de savoir agrave quel moment naicirct lhypothegravese de lexistence des Formes cf Allen

Reginald Edgar Platos Euthyphro and the earlier theory of forms Londres Routlege amp Kegan 19704 Dans sa Meacutetaphysique (alpha 6 987 a 29 ndash b 14) Aristote accuse Platon de ne pas deacutefnir ce quest la

Forme (cf Brisson Luc Platon Paris Cerf 2017 p 145 ndash 146) Nous allons voir dans le Pheacutedon le Phegravedre la Reacutepublique et la premiegravere partie du Parmeacutenide que la Forme est bel et bien deacutefnie mais dans une deacutefnition extrecircmement simple parce que ce qui est est extrecircmement simple Il est purement et simplement

5 Cf supra Brisson ndeg 1 p 56

11

4 Lacircme

La deacutefnition de lacircme nest pas aussi simple que cette de la Forme elle est mecircme

beaucoup plus compliqueacutee lacircme est immortelle1 elle est le principe du mouvement

spontaneacute2 elle est structureacutee en trois fonctions3 elle saisit les reacutealiteacutes veacuteritables par la

reacuteminiscence4 elle est lorigine de tous les biens et de tous les maux5 ou encore bien

dautres qualifcations possibles Chacune de ces deacutefnitions ou descriptions paraicirct

simple quelques mots exprimant lessentiel mecircme de lacircme mais lensemble est

complexe de telle sorte quil est diffcile de construire une deacutefnition unique en les

comprenant toutes Ce qui complique les choses cest que lacircme est lorigine de tous

les problegravemes car elle est elle-mecircme problegraveme En effet elle est immortelle mortelle

elle a une double existence peut-ecirctre mecircme triple une existence immortelle quand

elle se seacutepare dun corps et mortelle en sunissant agrave lui Par exemple en se trouvant

dans un corps la fonction rationnelle de lacircme cohabite avec ses deux autres

fonctions deacutesirante et ardente qui rendent le corps vivant Ainsi seacuteparer la fonction

rationnelle de deux fonctions infeacuterieures seacutepare lacircme du corps Lagrave se trouve toute la

complexiteacute de la doctrine de lacircme comment se seacutepare-t-elle du corps tout en

sunissant agrave lui

Mais quelle est la neacutecessiteacute de deacutefnir lacircme On peut constater que dans les

premiers dialogues Socrate passe tout son temps agrave soumettre agrave examen son acircme et

celle des autres afn de les rendre meilleures sans pour autant deacutefnir ce quest lacircme

comme sil eacutetait possible de gueacuterir un malade de sa maladie sans pour autant ecirctre

meacutedecin (cest dailleurs le cas de la folie teacuteleacutestique dans le Phegravedre6) Le fait de se

soucier de lacircme est-il suffsant pour en prendre soin sans pour autant savoir ce

quelle est Oui semble-t-il car avant Platon il y avait bien des sages sans que lacircme

ne soit bien deacutefnie7 Ainsi la question se pose dans quel objectif faut-il deacutefnir lacircme

de maniegravere rigoureuse

En effet si la doctrine de lacircme semble connaicirctre elle aussi une eacutevolution cette

1 Voir Meacutenon 81 b Phegravedre 245 c Pheacutedon 72 c ndash d2 Voir Phegravedre 245 c ndash 246 a3 Voir Phegravedre 246 a ndash b 253 c Reacutepublique IV 439 d ndash 441 a VIII 550 b IX 580 d ndash e4 Voir Meacutenon 81 d Phegravedre 249 b ndash c Pheacutedon 73 b Philegravebe 34 b5 Voir Charmide 156 e6 Voir Phegravedre 244 d ndash e7 Cf la section laquo Question de lacircme dans la tradition grecque raquo Platon Paris Cerf 2017 pp 194 ndash 211

Rohde Erwin Psycheacute le culte de lacircme chez les grecs et leur croyance agrave limmortaliteacute Paris Les Belles Lettres encre marine traduction franccedilaise dAuguste Reymond (Eacuteditions Payot 1928) eacutedition revue corrigeacutee et augmenteacutee par Alexandre Marcinkowski traduction du grec et du latin par Paul Gaillardon avant propos par Andreacute Hirt 2017

12

eacutevolution est-elle parallegravele agrave celle de la Forme ou bien lune preacutecegravede-t-elle lautre

dans la mesure ougrave nous accordons une certaine creacutedibiliteacute agrave la chronologie des

dialogues de Platon1 Y a-t-il une correacutelation entre les deux eacutevolutions

Traditionnellement les dialogues de jeunesse sont consideacutereacutes comme des dialogues

laquo socratiques raquo dans lesquels la question de la Forme est explicitement absente bien

que certaines expressions puissent ecirctre interpreacuteteacutees comme telles En revanche la

question de lacircme est preacutesente dans lensemble des dialogues platoniciens2 elle

constitue presque le noyau sinon la toile de fond de chacun dentre eux Lacircme est

aussi importante pour Socrate que pour Platon mecircme si la faccedilon de rendre meilleure

lacircme paraicirct assez diffeacuterente par la reacutefutation dans les premiers dialogues par la

dialectique dans les autres ou encore par un meacutelange des deux dans certains cas En

effet dans un premier temps philosopher consiste agrave soumettre agrave examen soi-mecircme

et les autres afn de rendre meilleure lacircme de chacun En ce sens la philosophie est

naturellement eacutethique car le fait de soumettre lacircme agrave examen est une belle faccedilon

deacutevaluer la morale de dissiper lignorance et deacuteviter de commettre linjustice Dans

un second temps le fait de rendre meilleure lacircme nest plus une question

dignorance mais une question eacutepisteacutemologique et ontologique La liste suivante

peut donner certains indices pour mener notre recherche

La tripartition de lacircme Reacutepublique (livre IV 439 d ndash 441 a) Phegravedre (426 a ndash b) laseacuteparation entre lacircme et le corps Gorgias (524 b) Pheacutedon (80 b ndash c 88 b) limmortaliteacute de lacircme Gorgias (524 b ndash 525 c)3 Meacutenon (81 b - d) Pheacutedon (70 c) et Phegravedre (245 d ndash e) Reacutepublique (livre X 611 b) et Timeacutee (69 c ndash 72 b 90 c ndash 92 c) la reacuteminiscence Meacutenon (80 e ndash 86 c) Pheacutedon (72 e ndash 77 a) Phegravedre (249 bb ndash c) et Philegravebe (34 b ndash c)

On peut constater que la penseacutee de la seacuteparation entre lacircme et le corps semble

preacuteceacuteder celle de la seacuteparation eacutevidente entre lintelligible et le sensible puisque la

date de la reacutedaction du Gorgias est consideacutereacutee comme bien anteacuterieure agrave celle du

Pheacutedon ougrave les principaux traits de la Forme dessineacutes de faccedilon coheacuterente

1 laquo On a coutume depuis la fn du XIXe siegravecle de reacutepartir les dialogues de Platon en trois groupes chronologiques soit les dialogues de jeunesse (Apologie Criton Hippias mineur Hippias majeur Ion Alcibiade Lachegraves Protagoras Meacutenexegraveme Euthyphron Gorgias Charmide Meacutenon Lysis Euthydegraveme) les dialogues de maturiteacute (Cratyle Banquet Pheacutedon Reacutepublique Phegravedre Parmeacutenide Theacuteeacutetegravete) et les dialogues de vieillesse (Sophiste Politique Philegravebe Timeacutee Critas Lois) raquo (Dorion Louis-AndreacuteSocrate Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 38)

2 Agrave lexception de la seconde partie du Parmeacutenide ougrave le terme et la question de lacircme sont totalement absents

3 Bien que limmortaliteacute de lacircme ne soit pas explicite dans le mythe eschatologique du Gorgias dans la conclusion de Socrate apregraves avoir raconteacute le mythe cette immortaliteacute est implicitement explicite puisque lacircme qui sest seacutepareacutee du corps doit se soumettre au jugement Par exemple les acircmes pleines de deacutesordre et de laideur seraient aussitocirct envoyeacutees dans la prison du Tartare (525 a) Cela suppose au moins que lacircme continue agrave exister apregraves la mort

13

correspondent bel et bien agrave la deacutefnition de la Forme telle quelle sera donneacutee

expliqueacutee et deacutebattue dans la premiegravere partie du Parmeacutenide

5 Lignorance

Le terme laquo ignorance raquo (ἀμαθία ἄγνοια) signife le fait de croire savoir ce quon ne

sait pas en reacutealiteacute Il est paradoxal Socrate est agrave la fois savant et ignorant En effet la

Pythie deacuteclara que Socrate eacutetait le plus savant parmi les ecirctres humains alors que lui-

mecircme pensait quil laquo neacutetait savant ni peu ni prou raquo1 Ce paradoxe conduira Socrate agrave

deacutecouvrir le sens veacuteritable de lignorance agrave savoir simaginer savoir ce que lon ne

sait pas en veacuteriteacute dougrave la confusion le fait que Socrate se reconnaissait ignorant

veut-il dire quil avouait simaginer savoir ce quil ne savait pas Certainement pas

car au fond le paradoxe est facile agrave comprendre puisquil sagit de deux affrmations

opposeacutees de deux parties dune part de la Pythie et dautre part de Socrate Pour la

Pythie Socrate est plus savant que les autres mais lui-mecircme ne se reconnaicirct

compeacutetent dans aucun meacutetier Au fond toute la question est de savoir ce que signife

le savoir puisquune compeacutetence de meacutetier elle aussi est un savoir

En effet la deacuteclaration socratique de lignorance semble connaicirctre eacutegalement une

eacutevolution2 Dans lApologie lorsque la Pythie deacuteclara quil ny avait personne de plus

savant que lui alors que Socrate lui-mecircme se reconnaicirct laquo savant ni peu ni prou raquo il

sagit dune opinion quavait Socrate sur lui-mecircme Ici laquo savant raquo est entendu au sens

courant du terme laquo Jusquagrave Platon en effet le terme σοφία peut recevoir nimporte

quel contenu dans la mesure ougrave la σοφία nest dans le monde sensible lieacutee agrave aucun

contenu particulier Ecirctre σοφός dans ce contexte cest dominer son activiteacute se

dominer soi-mecircme et dominer les autres raquo3 De cette faccedilon il avait raison de se

reconnaicirctre ignorant puisquil na exerceacute semble-t-il aucun meacutetier ni aucune

fonction politique Il neacutetait pas non plus mdash du moins au deacutebut de sa vie

philosophique mdash un sage qui se connaicirct lui-mecircme (le doute de Socrate sur la

deacuteclaration de la Pythie signife quil ne se connaissait alors pas encore)

1 Ibid 21 b2 Socrate se reconnaicirct souvent ignorant voici une liste non exhaustive Apologie 20 c e 21 b d 23 a ndash

b 29 b Euthyphron 5 a ndash c 15 c ndash 16 a Charmide 165 bc 166 c- d Lachegraves 186 b ndash e 200 e Hippias mineur 372 b e Hippias majeur 286 c ndash e 304 d -e Lysis 212 a 223 b Gorgias 509 a Meacutenon 71 a ndash b 80 d 98 b Banquet 216 d Pheacutedon 105 c Reacutepublique I 337 d ndash e 354 c Theacuteeacutetegravete 150 c 210 c Phegravedre 235 c

3 Brisson Luc laquo Mythe eacutecriture philosophie raquo La naissance de la raison de Gregravece Paris PUF Sous la direction de J-F Matteacutei 2006 eacuted Quadrige [1990] pp 49 ndash 58 p 57 Dans sa note de bas de page Brisson note ceci laquo Monique Dixsaut Le naturel philosophe Essai sur les dialogues de Platon Paris Les Belles-Lettres Vrin 1985 p 45 51 raquo

14

Par la suite en soumettant agrave examen lui-mecircme et les autres il a deacutecouvert la

veacuteritable ignorance beaucoup de gens croient savoir ce quils ne savent pas en

reacutealiteacute Lagrave il sagit en effet dune question eacutepisteacutemologique car comment peut-on

connaicirctre la veacuteriteacute Comment distinguer ce que lon sait reacuteellement de ce que lon

croit savoir En ce sens eacutepisteacutemologique Socrate avait bien raison de se reconnaicirctre

ignorant de se soucier de lexactitude de la connaissance de la reacutealiteacute En effet le fait

de preacutetendre connaicirctre la veacuteriteacute avec certitude amegravene le risque de la savoir par la

croyance et non par la science

Enfn lignorance consiste aussi agrave faire ce que lon ne doit pas faire lignorance prend

lagrave aussi une dimension eacutethique et politique puisquil sagit bien dagir Cest

fnalement aussi une question ontologique car comment peut-on agir juste sans se

poser la question de lecirctre Or laquo ecirctre purement et simplement raquo1 ne peut ecirctre

accessible que par contemplation De telle sorte tant que lacircme se lie encore au corps

cette contemplation a toutes les chances de se mecircler dignorance puisque le corps est

synonyme dignorance par le fait quil ne peut que sentir sans savoir ce quest ce quil

sent Cest la raison pour laquelle Socrate a bien raison de se reconnaicirctre ignorant

dans une forme de φρόνησις (reacutefexion et prudence)

Ainsi le fait de se reconnaicirctre ignorant mdash avant tout agrave soi-mecircme et non

expressivement devant les autres tout en eacutetant reconnu comme un savant par les

autres et non par soi-mecircme mdash est en quelque sorte une marque de la philosophie et

pas seulement une marque socratique En dautres termes il vaut mieux se

reconnaicirctre ignorant plutocirct que se reconnaicirctre savant puisque lignorance consiste agrave

ne pas se connaicirctre soi-mecircme Dougrave la question quel est le risque majeur agrave ne pas se

connaicirctre soi-mecircme Il est eacutevident que celui qui na aucun pouvoir sur qui que ce

soit ne risque pas grand-chose agrave ne pas se connaicirctre lui-mecircme Le ceacutelegravebre preacutecepte

delphique laquo connais-toi toi-mecircme raquo apparaicirct dans cinq dialogues agrave savoir lAlcibiade

le Charmide le Phegravedre le Phliegravebe et le Protagoras2 Sagit-il de cinq formes de pouvoirs

Nous le verrons plus preacuteciseacutement dans le chapitre III laquo Lignorance raquo

6 Lἐπιστήμη

Toute connaissance qui preacutesente une certaine stabiliteacute dans les reacutealiteacutes peut ecirctre

qualifeacutee dἐπιστήμη Ainsi de la stabiliteacute moins importante agrave la stabiliteacute eacuteternelle il

1 Cest-agrave-dire τὸ εἰλικρινῶς ὄν Reacutepublique V 477 a2 Alcibiade 129 a 130 e 131 b 132 e Charmide 164b Phegravedre 229 e Philegravebe 48 c Protagoras 343 b

15

existe de tregraves nombreuses sciences Le Politique donne une division des sciences1

eacutetablie de maniegravere horizontale En effet on peut bien eacutetablir une autre division des

sciences sous un angle diffeacuterent selon linteacuterecirct quon a pour lobjet de la science dans

son ensemble La philosophie devrait-elle sinteacuteresser plus agrave la division bien raffneacutee

des sciences ou davantage agrave lobjet lui-mecircme dune science En tout cas nous nous

inteacuteressons plus agrave lobjet lui-mecircme dune science et plus cette science est plus eacuteleveacutee

plus nous nous y inteacuteressons En effet nous nous inteacuteressons plutocirct agrave la division de

la science ou dune science et non agrave la division des sciences

Dans les dialogues platoniciens la σοφἰα et lἐπιστήμη sont en geacuteneacuteral

interchangeables degraves lApologie2 Les deux termes dans leur sens le plus eacuteleveacute ont

pour objet la mecircme chose agrave savoir la veacuteriteacute que les dieux possegravedent Le substantif

ἐπιστήμη est freacutequemment preacutesent dans les uns3 peu preacutesent dans les autres et

absent dans les trois dialogues platoniciens agrave savoir le Criton le Hippias majeur et le

Lysis Nous pouvons constater ceci dans le Charmide lEuthydegraveme le Lachegraves le Meacutenon

et le livre IV de la Reacutepublique certaines vertus font lobjet dune science dans les

livres V VI et VII de la Reacutepublique le Parmeacutenide le Pheacutedon et le Phegravedre les formes

intelligibles font lobjet dune science dans le Philegravebe cest plutocirct la psychologie qui

fait lobjet dune science enfn dans le Theacuteeacutetegravete ce triplet laquo sensation opinion droite

et logos raquo fait lobjet dune science dans le Protagoras la sophistique fait lobjet dune

science et dans le Gorgias cest la rheacutetorique On voit bien que cest toujours agrave lobjet

lui-mecircme dune science que Socrate sinteacuteresse

Quest-ce que la science Pour y reacutepondre nous examinerons 1 lopinion 2 le

raisonnement rigoureux cest-agrave-dire les matheacutematiques et 3 la connaissance de ce

qui est Cest pourquoi nous nous attacherons agrave analyser la nature des objets de ces

trois types de connaissance Lopinion trouve sa source dans la sensation qui est

sauvegardeacutee dans la meacutemoire Ainsi en jugeant par sensation on se forge une

opinion Il sagit dune opinion droite puisquaucune sensation nest fausse mais

individuelle particuliegravere spatio-temporelle et non-universelle Inversement en

jugeant par la meacutemoire sur une reacutealiteacute sensible on obtient aussi une opinion mais

fausse car aucune sensation nest identique agrave une autre sensation puisque le monde

1 Cf le Politique laquo Introduction raquo p 21 ougrave on trouve onze niveaux de division des sciences2 Voir Apologie 19 c ndash 20 c3 109 fois dans Theacuteeacutetegravete 72 (Charmide) 67 (Reacutepublique dont 22 dans le livre IV 12 dans V 7 dans VI 12

dans VII) 34 (Euthydegraveme) 37 (Meacutenon) 31 (Philegravebe) 23 (Protagoras) 23 (Parmeacutenide dont 18 dans la seule page 134) 19 (Pheacutedon) 19 (Lachegraves) 12 (Gorgias) En tout lἐπιστήμη apparaicirct 401 fois (hormis les Lois) contre seulement 142 fois pour la σοφἰα Voir aussi laquo Annexe ἐπιστήμη - σοφἰα raquo

16

sensible change sans cesse En revanche la διάνοια nest ni droite ni fausse mais

reacuteelle Ni laquo droite raquo parce que le jugement est obtenu par un raisonnement rigoureux

et non par sensation immeacutediate ni laquo fausse raquo cest parce que tout raisonnement

rigoureux aboutit au reacuteel Cependant on peut bien utiliser les matheacutematiques pour

faire des choses injustes parce quen tant que telles elles sont la connaissance des

autres et non la connaissance de soi-mecircme En effet seulement la connaissance de ce

qui est permet de se connaicirctre veacuteritablement soi-mecircme puisque le veacuteritable soi-

mecircme est la fonction intellective de lacircme

7 La vertu

La vertu est lexcellence de lacircme certes le terme ἀρετή signife aussi lexcellence

dune chose le couteau par exemple1 Le paradoxe de la vertu est quelle est science

mais une science qui ne senseigne pas

laquo Platon chercha tout naturellement sa vie durant agrave jouer un rocircle politique non

seulement agrave Athegravenes mais aussi agrave leacutetranger et notamment en Sicile raquo2 Il sengageait

mecircme activement agrave tenter de convertir le tyran Denys II agrave ses ideacutees 3 Sans doute pour

Platon ce rocircle politique est-il le naturel mecircme du philosophe une responsabiliteacute

eacutethique agrave leacutegard de la politique Mais son effort nest pas payant pour aider Dion

ancien eacutelegraveve de lAcadeacutemie beau-fregravere et gendre du tyran Denys Ancien puisque

leacutechec de Dion est ducirc agrave son ignorance4 Ironie du sort un philosophe comme Platon

neacutetait pas capable de dissiper lignorance dun ancien acadeacutemicien ni de convertir le

tyran en philosophe-roi Cela eacutetant si la vertu est science en tant que science elle

doit senseigner mais lenseignement que Platon prodiguait agrave Dion agrave lAcadeacutemie ne

semblait pas confrmer que cette science senseigne

Car lorsquil a affaire agrave des hommes impies lhomme pieux tempeacuterant et sage ne peut jamais se meacuteprendre entiegraverement sur ce quest lacircme de telles gens mais il ny a riendeacutetonnant sans doute agrave ce quil subisse le sort du bon pilote qui nignore absolument pas limminence dune tempecircte mais qui ne se preacutesente pas sa violence extraordinaire inattendue et qui en raison de cette ignorance sera forceacutement submergeacute Cest bien la

1 Lexcellence du couteau est fabriqueacutee par un humain qui est dirigeacute par son acircme en ce sens la fabrication excellente est commandeacutee par lacircme de son fabricant Ainsi cette excellence relegraveve fnalement de lexcellence de lacircme certes le corps aussi est lagrave pour quelque chose mais lui aussi estdirigeacute par lacircme cest pourquoi un beau corps nest pas une condition neacutecessaire pour exceller dans un meacutetier (τέχνη)

2 Cf laquo Lacadeacutemie de Platon premiegravere tentative dinstitutionnalisation du savoir en Gregravece antique raquo Luniversiteacute Cahiers deacutetudes leacutevinassiennes 10 2011 pp 13 ndash 31 p14

3 Ibid laquo Platon nourrit lespoir de convertir le tyran agrave ses ideacutees Peine perdue car Dion est exileacute et Platon lui-mecircme doit revenir preacutecipitamment agrave Athegravenes En 3610 il revient agrave Syracuse pour aider Dion cest une fois de plus un eacutechec raquo (p 15)

4 Voir Lettre VII 351 d ndash e

17

mecircme cause qui explique aussi leacutechec de Dion qui fut si rapide Certes il nignorait absolument pas queacutetaient meacutechants les gens qui ont causeacute sa perte mais ce quil ignorait ceacutetait la profondeur quavaient atteinte leur ignorance leur perversiteacute en geacuteneacuteral aussi bien que leur rapaciteacute Voilagrave donc pourquoi par suite de son eacutechec il gicirct dans son tombeau et sur la Sicile un deuil immense sest eacutetendu1

La pieacuteteacute la tempeacuterance et la sagesse sont des vertus qui permettent deacuteviter le

malheur en ce sens il est eacutevident que la vertu est science car seule la connaissance

des reacutealiteacutes veacuteritables permet de leacuteviter cest pourquoi soit on est proteacutegeacute par un

dieu soit la science quon possegravede Ou alors quelle est la condition pour que la vertu

senseigne

Socrate est reacuteellement vertueux cependant sa vertu est intransmissible autrement

dit la vertu que possegravede Socrate est attacheacutee agrave lui en ce sens la vertu nest pas

science puisquelle ne senseigne pas En effet Socrate passait toute sa vie agrave dialoguer

avec des personnes de tous bords essayant de rendre lui-mecircme et les autres les

meilleurs possibles comme si la vertu senseignait puisque le dialogue est une forme

denseignement Mais leffcaciteacute de cet enseignement deacutepend de la personnaliteacute de

Socrate Or tout ce qui est intrinsegravequement lieacute agrave la personnaliteacute nest pas science

puisquune science qui senseigne universellement est neacutecessairement indeacutependante

de qui que ce soit Pourtant la vertu de cette personnaliteacute rayonne comme un

excellent enseignement qui attire et transforme plus ou moins les gens et ce

rayonnement disparaicirct en mecircme temps que cette personne disparaicirct Tout cela

semble montrer que la vertu nest pas science mais senseigne ou alors que la vertu

est une science qui ne peut senseigner que par celui qui la possegravede reacuteellement et la

pratique pleinement

Le second paradoxe de la vertu est luniteacute de la vertu Il est inimaginable que le

courageux puisse ecirctre injuste et que le juste ne soit pas savant de mecircme pour les

autres vertus Cela suppose que luniteacute de la vertu existe neacutecessairement car sans

luniteacute des vertus cest-agrave-dire quelque chose en commun agrave toutes les vertus la vertu

na aucun sens elle nest quun nom qui ne deacutesigne aucune reacutealiteacute veacuteritable

Supposons que le courageux puisse ecirctre injuste dans ce cas-lagrave il nest pas toujours

courageux mais ponctuellement ou par hasard car seul le lacircche est capable de

commettre linjustice Ainsi si le courage est incapable dempecirccher de commettre

linjustice il na plus aucune valeur universelle et immuable puisquil ne permet pas

decirctre toujours courageux En effet toute uniteacute est une reacutealiteacute unique par exemple la

1 Ibid nous soulignons

18

fonction propre (ἔργον) est une reacutealiteacute unique agrave laquelle participent toutes les

excellences propres1 Autrement dit chaque fonction propre est deacutepositaire dune

excellence propre agrave ce titre lἔργον est luniteacute des excellences propres Lacircme a trois

fonctions (deacutesirante ardente et rationnelle) et chacune doit avoir son excellence

propre Ainsi pour que lacircme soit excellente il faut que ces trois fonctions soient

harmonieusement excellentes

8 La dialectique

La dialectique consiste agrave analyser les contraires ou les opposeacutes au moyen du

dialogue et par cette analyse on parvient agrave connaicirctre ce qui est

Les reacutealiteacutes sensibles sont visibles et multiples alors que les reacutealiteacutes intelligibles sont

invisibles et sans meacutelange cest pourquoi laquo ni intuition immeacutediate de la reacutealiteacute ni

non plus deacutecouverte de lecirctre de toutes choses la dialectique deacutesigne simplement la

saisie singuliegravere de ce qui fait que telle chose est comme elle est de ce qui la

distingue comme telle dans la multipliciteacute des choses qui sont raquo2 Cette saisie

singuliegravere consiste dabord agrave se demander ce quest une chose elle-mecircme selon la

fameuse formule laquo τί ἐστι raquo (laquo quest-ce que ceci ou cela en soi raquo) On peut toujours

formuler une reacuteponse plus ou moins pertinente mais on na pas la certitude de savoir

si la reacuteponse est unique Non pas que la formulation langagiegravere soit unique

puisquune mecircme reacuteponse peut ecirctre formuleacutee diffeacuteremment tout en disant la mecircme

chose mais que la reacutealiteacute comme lexprime la reacuteponse soit unique La question

suivante se pose quel est le principe qui permet de veacuterifer si la reacuteponse renvoie bien

agrave une reacutealiteacute unique Selon le principe du contraire il sagit de deacutefnir son contraire

En effet une chose sensible na pas de contraire le corps par exemple On pourrait

penser que lacircme est le contraire du corps cela nest peut-ecirctre pas faux mais ce nest

quune opinion ou une conjecture et non une science Pour que la reacuteponse soit de

lordre de la science il faut savoir ce quest lacircme et ce quest le corps Autrement dit

deux deacutefnitions renvoient agrave deux reacutealiteacutes contraires lacircme elle-mecircme en elle-mecircme

le corps lui-mecircme en lui-mecircme Par exemple si lon deacutefnit le corps comme une

eacutetendue son contraire est ineacutetendu Or ce qui est ineacutetendu nest pas neacutecessairement

lacircme par exemple une loi matheacutematique est ineacutetendue mais elle nest pas acircme en

tout cas jusquagrave maintenant cela na pas eacuteteacute deacutemontreacute Si lon deacutefnit lacircme comme la

source du bien et le corps comme la source du mal alors lacircme et le corps ne sont

1 Voir Reacutepublique I 352 d ndash 354 c2 Dictionnaire Platon p 47 Nous soulignons

19

pas contraires puisque chacun des deux est une source En revanche si lon deacutefnit

lacircme comme la source de tous les biens et de tous les maux1 la deacutefnition du corps

comme le contraire de lacircme est plus diffcile Ainsi tant quon ne reacuteussit pas agrave deacutefnir

le corps comme le contraire de laquo la source de tous les maux et de tous les biens raquo on

ne comprend pas encore totalement non pas le corps mais ce quest le corps En

effet connaicirctre le corps relegraveve de la meacutedecine connaicirctre ce quest le corps relegraveve de la

dialectique

Dans la deacutefnition de la dialectique le dialogue est le moyen de connaicirctre ce qui est

un moyen de deacuteclencher des sensations afn de cheminer vers la contemplation des

reacutealiteacutes veacuteritables ce cheminement a pour nom la reacuteminiscence

9 Questions de meacutethode

Comme notre recherche de la philosophie de Socrate selon Platon ne se concentre pas

sur un seul dialogue mais concerne presque tous les dialogues platoniciens et

particuliegraverement ceux ougrave Socrate est le meneur de jeu il est par conseacutequent

impossible danalyser chacun de ces dialogues dans leur ensemble Cest pourquoi

nous adoptons la deacutemarche qui consiste agrave analyser les principaux termes agrave travers

plusieurs dialogues tout en prenant en consideacuteration luniteacute de chacun de ces

dialogues

Connaissant les principaux termes dabord ce sont des termes eacutetroitement lieacutes agrave

chacun des six termes que nous avons retenus dans la structure de la philosophie de

Socrate agrave savoir la Forme lacircme lignorance le science la vertu et la dialectique Par

exemple parler de la Forme eacutequivaut agrave parler de la seacuteparation entre le sensible et

lintelligible de la participation de lecirctre

Ensuite notre recherche ne se borne pas agrave maintenir la deacutemarche dans une

autonomie du dialogue dans la mesure ougrave lon admet le fait que la penseacutee de Socrate

et celle de Platon eacutevoluent Cette eacutevolution est eacutevidente car dans les premiers

dialogues il sagit essentiellement de reacutefutation cest-agrave-dire de critique le but eacutetant

de faire apparaicirctre la veacuteriteacute et de dissiper lignorance et non pas de chercher agrave deacutefnir

reacuteellement une reacutealiteacute en question De lagrave vient en effet la notion dlaquo aporie raquo En ce

sens la deacutefnition dune reacutealiteacute est une meacutethode et non une science dans les premiers

dialogues dans ces conditions il est diffcile de savoir si Socrate possegravede ou non

cette science quand il reacutefute Alors que dans les autres dialogues ougrave la dialectique est

1 Voir Charmide 156 e

20

lenjeu de la recherche le but consiste agrave connaicirctre ce qui est dans ce cas dialectique

une deacutefnition nest plus une meacutethode mais une science En somme nous preacutefeacuterons

lautonomie du meneur de jeu agrave lautonomie des dialogues1

Enfn luniteacute litteacuteraire cest-agrave-dire linteacutegraliteacute textuelle dun dialogue sera prise en

consideacuteration car le discours platonicien eacutecrit ressemble agrave un corps vivant2 Comme

tout corps vivant les membres et les organes forment un uniteacute quest lunion de lacircme

et du corps Nest-il pas paradoxal de prendre en consideacuteration luniteacute litteacuteraire dun

dialogue tout en neacutegligeant lautonomie du dialogue Pas du tout Un citoyen est

une uniteacute dans tous les sens du terme mais il nest pas autonome par rapport agrave la citeacute

dont il est citoyen

Conclusion

La recherche dune philosophie telle quelle se manifeste dans les dialogues

platoniciens suppose que lontologie soit implicitement ou explicitement la boussole

de leacutethique et que leacutethique soit le point de deacutepart de lontologie En effet sans la

fondation de leacutethique il est diffcile dimaginer que lontologie puisse tomber du ciel

Agrave linverse sans lontologie il est aussi diffcile dimaginer que leacutethique puisse ecirctre

fondeacutee solidement Ces deux points semblent dire que la diffeacuterence et laccord entre

Socrate et Platon tels quils se trouvent dans les dialogues sont agrave la fois visibles et

invisibles Peut-ecirctre est-ce dans linvisible que laccord est plus important que ce que

le visible peut montrer car le visible est trop lineacuteaire Cet avis de Catherine Dalimier

semble-t-il bien utile dans la lecture de lensemble des dialogues platoniciens ougrave

Socrate est le meneur de jeu laquo Aucun deacutechiffrement aussi brillant aussi textuel

aussi philosophique aussi coheacuterent soit-il nest indeacutependant dun choix ontologique

eacutethiquement neacutecessaire raquo3 Ce choix est sans doute la science

1 Cest en ce sens que chacun de ces trois dialogue agrave savoir l e Critias l es Lois et le Timeacutee est autonome Lensemble de ces deux dialogues le Politique et le Sophiste est autonome puisque dansceux-ci le meneur de jeu est le mecircme Eacutetranger dEacuteleacutee

2 laquo Mais tu admettras au moins ceci jimagine que tout discours doit ecirctre constitueacute agrave la faccedilon dun ecirctre vivant qui possegravede un corps agrave qui il ne manque ni tecircte ni pieds mais qui a un milieu et des extreacutemiteacutes eacutecrits de faccedilon agrave convenir entre eux et agrave lensemble raquo (Phegravedre 264 c)

3 Cratyle laquo Introduction raquo p 39

21

Ch I La Forme25I1 La Forme est-elle preacutesente dans les premiers dialogues 25

I11 Premiegravere description preacuteliminaire de la reacutealiteacute intelligible26I12 Aὐτὸ τὸ x27

I121 Lαὐτὴ ἡ πόλις28I122 Euthyphron et αὐτὸ τὸ εἶδος30I123 Hippias majeur et laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν raquo31I124 Lαὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά32I125 Meacutenon Lysis et Euthydegraveme34

I13 La seacuteparation entre lacircme et le corps35I131 Χρήματα35I132 Gorgias et la seacuteparation explicite entre lacircme et le corps37

I2 La neacutecessiteacute de lexistence des reacutealiteacutes intelligibles38I21 Neacutecessiteacute ontologique39

I211 Lecirctre et le non-ecirctre parmeacutenidiens39I212 Du Soleil au Bien42I213 La mort la meacutemoire limmortaliteacute et la reacuteminiscence44

I22 La neacutecessiteacute eacutepisteacutemologique47I221 Limpossibiliteacute de la science parmeacutenidienne47I222 La neacutecessiteacute de ce qui est50

I23 La neacutecessiteacute eacutethique51I231 Limpossibiliteacute de la participation parmeacutenidienne52I232 La neacutecessiteacute eacutethique de lontologie54

I3 Quest-ce que la Forme 55I31 Intelligible56

I311 Question de lexpression de la Forme56I312 τὸ εἶναι58I313 ἕκαστον ὃ ἔστι60

I32 Trois eacutetapes pour saisir la reacutealiteacute intelligible62I321 Saisie par la sensation62I322 Saisie par le raisonnement64I323 Saisie par lintellection66

I33 Au-delagrave des Formes et la participation67I331 Le jour et la Forme67I332 La penseacutee (νόημα) et la Forme68I333 Le paradigme et la Forme69

I4 Conclusion69

23

Ch I La Forme

Une Forme une reacutealiteacute unique en soi et par soi (αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ εἶδος ou αὐτὸ τὸ

εἶδος ou tout simplement τὸ εἶδος ou ἡ ἰδέα)1 eacutevoque la neacutecessiteacute de la seacuteparation

entre lintelligible et le sensible puisquune reacutealiteacute sensible est une reacutealiteacute multiple

Ainsi les questions senchaicircnent premiegraverement comment sopegravere la seacuteparation entre

le sensible et lintelligible y a-t-il une correacutelation entre les deux seacuteparations

suivantes entre le sensible et lintelligible dune part entre le corps et lacircme dautre

part deuxiegravemement si cest par la matheacutematique que les reacutealiteacutes sensibles

participent agrave lintelligible comment rendre compte de la participation de lacircme agrave

lintelligible troisiegravemement y a-t-il des Formes neacutegatives par exemple pourrait-il y

avoir une Forme du Mal

I1 La Forme est-elle preacutesente dans les premiers dialogues

Les termes comme εἶδος ἰδέα ou les formules comme αὐτὸ καθ αὑτὸ x αὐτὸ τὸ x

sont bel et bien preacutesents dans les premiers dialogues dits traditionnellement les

dialogues de jeunesse mecircme si leur preacutesence est relativement peu freacutequente par

rapport agrave leur preacutesence dans les dialogues tardifs Voici une reacutecapitulation des

occurrences du terme εἶδος avec ou sans article dans les dialogues2

Les premiers dialogues Les dialogues tardifsavec article sans article avec article sans article

Charmide 2 0 Banquet 2 5Euthyphron 1 0 Cratyle 4 10Gorgias 0 2 Critias 0 2Hippias Majeur 1 1 Lois 0 30Lachegraves 0 1 Parmeacutenide 20 26Lysis 1 1 Pheacutedon 7 8Meacutenon 0 3 Phegravedre 3 22Protagoras 1 1 Philegravebe 0 12

Politique 0 27

1 Dans son article intituleacute laquo Les formes et les reacutealiteacutes intelligibles Lusage platonicien du terme εἶδος raquo J-F Pradeau na pas eacutevoqueacute une seule fois le terme ἰδέα comme si les deux termes neacutetaientpas synonymes (cf Platon les formes intelligibles Paris PUF cordonneacute par J-F Pradeau 2001 pp 17 ndash 60) Pour L Brisson ils sont synonymes (cf son article dans le mecircme livre laquo Comment rendre compte de la participation du sensible agrave lintelligible chez Platon raquo pp 61 ndash 85) Cf laquo Annexe τὸεἶδος ἰδέα raquo la statistique montre que lemploi des deux termes semble assez eacutequilibreacute

2 Notons que sans article certaines formes du terme εἶδος ne signifent pas toujours laquo τὸ εἶδος raquo cest pourquoi nous faisons une statistique seacutepareacutee qui est reacutealiseacutee sur les sept formes suivantes sans article εἶδος εἴδους εἴδεος εἴδει εἴδη εἰδέα εἰδέων εἴδεσι avec article τὸ εἶδος τοῦ εἴδους τοῦ εἴδεος τῷ εἴδει τὰ εἴδη τὰ εἰδέα τῶν εἰδέων τοῖς εἴδεσι

25

Reacutepublique 12 62Sophiste 2 38Theacuteeacutetegravete 2 12Timeacutee 2 52

Premiegraverement avec ou sans article le terme εἶδος est peu preacutesent dans les premiers

dialogues mecircme totalement absent dans la moitieacute des premiers dialogues cela

pourrait confrmer lhypothegravese de labsence de lexistence de la Forme dans les

premiers dialogues Notons que ce nest pas une question de volume car le Gorgias et

le Meacutenon sont plutocirct volumineux comparables au Politique au Sophiste ou au Timeacutee

Deuxiegravemement le Parmeacutenide est une exception car avec ou sans article les 46

occurrences se concentrent particuliegraverement dans la premiegravere partie1 cela confrme

que lεἶδος deacutesigne la Forme cela semble confrmer aussi que la question de la forme

intelligible est absente dans la seconde partie du Parmeacutenide Cela ne doit pas ecirctre

consideacutereacute comme un hasard car rien nest hasard sous la plume de Platon mecircme si

Platon recrute certainement un scribe en tout cas lui-mecircme sait eacutecrire et lire puisque

leacuteducation agrave son eacutepoque commence par la lecture et leacutecriture Troisiegravemement

labsence de lεἶδος avec article dans les quatre dialogues tardifs agrave savoir le Critias

les Lois le Philegravebe et le Politique semble signifer quils seraient de la mecircme peacuteriode de

reacutedaction le Sophiste et le Timeacutee pourraient se trouver dans une autre peacuteriode de

reacutedaction

I11 Premiegravere description preacuteliminaire de la reacutealiteacute intelligible

Il sagit de la laquo premiegravere description raquo que nous donnons dans ce chapitre comme

preacuteliminaire et non pas de la laquo premiegravere raquo dans les dialogues platoniciens ce qui est agrave

deacuteterminer Voici un passage du Pheacutedon (78 d)

αὐτὴ ἡ οὐσία ἧς λόγον δίδομεντοῦ εἶναι καὶ ἐρωτῶντες καὶ ἀποκρινόμενοι πότερον ὡσαύτως ἀεὶ ἔχει κατὰ ταὐτὰ ἢ ἄλλοτ᾽ἄλλως αὐτὸ τὸ ἴσον αὐτὸ τὸ καλόν αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν τὸ ὄν μή ποτε μεταβολὴν καὶ

Cette reacutealiteacute mdash cest de sa maniegravere decirctre dont nous rendonsun juste compte et lorsque nous questionnons et lorsque nous reacutepondons mdash est-ce quelle se comporte toujours semblablement en restant mecircme quelle-mecircme ou est-ce quelle est tantocirct ainsi et tantocirct autrement Leacutegal en soi le beau en soi le laquo ce quest raquo chaque chose en soi-mecircme le veacuteritablement eacutetant est-ce que jamais cela peut accueillir en

1 Parmeacutenide avec article τὰ εἴδη (129 d) τοῖς εἴδεσι (129 e) τοῦ εἴδους (131 a) τὸ εἶδος (131 a) τὰ εἴδη (131 c) τῷ εἴδει (132 d) τὸ εἶδος (132 d) τὸ εἶδος (132 e) τῷ εἴδει (132 e) τὸ εἶδος (132 e) τὸ εἶδος (132 e) τὸ εἶδος (133 a) τὰ εἴδη (133 b) τὰ εἴδη (133 d) τὰ εἴδη (134 b) τοῦ εἴδους (134 b) τὰεἴδη (134 d) τὰ εἴδη (135 a) τῷ εἴδει (149 e) τοῦ εἴδους (158 c) Sans article εἴδη (129 c) εἴδη (130 b) εἶδος (130 b) εἶδος (130 c) εἶδος (130 c) εἶδος (130 d) εἶδος (130 d) εἴδη (130 d) εἴδη (130 e) εἶδος (131 c) εἶδος (132 a) εἶδος (132 a) εἶδος (132 c) εἴδη (132 d) εἴδους (132 e) εἶδος (132 e) εἶδος (133 a) εἴδη (133 a) εἶδος (133 b) εἶδος (135 a) εἴδη (135 b) εἶδος (135 b) εἴδη (135 e) εἴδη (149 e) εἴδη (159 e) εἴδους (160 a)

26

ἡντινοῦν ἐνδέχεται ἢ ἀεὶ αὐτῶνἕκαστον ὃ ἔστι μονοειδὲς ὂναὐτὸ καθ᾽ αὑτό ὡσαύτως κατὰ ταὐτὰ ἔχει καὶ οὐδέποτε οὐδαμῇ οὐδαμῶς ἀλλοίωσιν οὐδεμίαν ἐνδέχεται

soi un changement quel que soit dailleurs ce changement Ou bien comme ce quest chacun de ces ecirctres comporte en soi et par soi une unique forme est-ce que cela ne reste pas toujours semblablement mecircme que soi sans accueillir agrave aucun moment sur aucun point en aucune faccedilon aucune alteacuteration

Mecircme si ce nest quun court passage on pourrait dire de maniegravere geacuteneacuterale que la

Forme (τὸ ὄν) est indiqueacutee agrave laide de ces deux formules αὐτὸ τὸ x αὐτὸ καθ᾽ αὑτό

x ici x deacutesigne une reacutealiteacute (οὐσία) tandis que laquo αὐτὸ τὸ raquo ou laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτό raquo

souligne la nature de la Forme toujours la mecircme en soi et par soi sans jamais subir

aucun changement Pour linstant seules ces deux formules attirent notre attention

nous examinerons le reste plus tard

I12 Aὐτὸ τὸ x

On peut aiseacutement constater dans les premiers dialogues la preacutesence de ces deux

expressions agrave savoir αὐτὸ τὸ x et αὐτὸ καθ αὑτὸ x qui ressemblent agrave celles utiliseacutees

pour deacutesigner les formes intelligibles telles quelles sont deacutefnies exprimeacutees ou

deacutecrites dans le Parmeacutenide le Pheacutedon et la Reacutepublique1 Voici une liste non exhaustive

mais signifcative de ces deux expressions preacutesentes dans la majoriteacute des dialogues

de jeunesse

Apologie αὐτῆς τῆς πόλεως (36 c) Criton αὐτὴ ἡ ἀλήθεια (48 α) αὐτῇ τῇ δίκῃ (52 c)

Hippias majeur αὐτὸ τὸ καλὸν (286 e 288 a 289 c) αὐτοῖς τοῖς θεοῖς (293 a) αὐτὸ

καθ᾽ αὑτὸ τῶν ἡδέων καλὸν (299 c) αὐτὸ τὸ ἑκάτερον (303 a) Ion αὐτοὺς τοὺς

δακτυλίους (533 d) Alcibiade αὐτὸ τὸ αὐτό (129 b 130d) Lachegraves αὐτῷ τῷ ἔργῳ (183

c) αὐτὴ ἡ ἀνδρεία (194 a) αὐτὴ ἡ καρτέρησίς (194 a) Protagoras αὐτῇ τῇ ψυχῇ (314

b) αὐτὸ τὸ πρᾶγμά (330 d) αὐτὰ τὰ ἐρωτώμενα (336 a) αὐτῇ τῇ διανοίᾳ αὐτῷ τῷ

σώματι (337 c) αὐτὸ τὸ πρυτανεῖον αὐτῆς τῆς πόλεως (337 d) αὐτὸ τὸ ἐρωτώμενον

(338 d) αὐτῆς τῆς ἡδονῆς (353 d) αὐτὸ τὸ χαίρειν (354 c) αὐτὸ τὸ χαίρειν αὐτὸ τὸ

λυπεῖσθαι (354 d) αὐτὸ τὸ λυπεῖσθαι (354 e) Meacutenexegravene αὐτῶν τῶν τεθνεώτων (236

d) Euthyphron αὐτὸ τὸ εἶδος (6 d) Gorgias αὐτοῖς τοῖς ἀνθρώποις(452 d) αὐτὸ τὸ

σῶμα (465 d) αὐτὸν τὸν δεσπότην (471 b) αὐτοὺς τοὺς πολίτας (513 e) αὐτῆς τῆς

πόλεως (519 c) αὐτῇ τῇ ψυχῇ αὐτὴν τὴν ψυχὴν θεωροῦντα ἐξαίφνης ἀποθανόντος

1 ldquo Le terme dεἶδος est introduit dans une discussion dont la fn est une deacutefnition il est la reacuteponse donneacutee agrave la question laquo Quest-ce que x raquo (τὶ ἐστι χ) rdquo (Cf J-F Prodeau supra p 35) Or x peut ecirctre une chose sensible le rempart par exemple parfois mecircme un nom propre par exemple dans lelivre III de la Reacutepublique αὐτὸν τὸν Ἀχιλλέα (390 e) Par ailleurs Platon neacutetait pas le premier agrave employer lexpression αὐτὸ τὸ x puisque lon trouve lexpression dans chaque livre des Histoires de Heacuterodote par exemple αὐτὰ τὰ χείλεα dans le livre 31239 (version Les Belles Lettres ougrave Ph-E Legrand se contente de traduire laquo βραχέος τοῦ τεπὶ αὐτὰ τὰ χεῖλεα raquo par laquo celui qui touchait au bord raquo Pas de diffeacuterence entre laquo χεῖλος raquo et laquo αύτὸ τὸ χεῖλος raquo

27

ἑκάστου (523 e) Charmide αὐτῆς τῆς ἐπιστήμης (166 a) αὐτῆς τῆς λογιστικῆς (166 a)

αὐτῆς τῆς σωφροσύνης (166 b) Meacutenon αὐτὴν τὴν οἰκίαν (71 e) αὐτὸ τὸ

παρατεταμένον (78 a) αὐτὰ μὲν καθ αὑτὰ οὔτε ὠφέλιμα οὔτε βλαβερά ἐστιν (88 c)

αὐτὸν τὸν ὑὸν (93 e) αὐτὸ καθ αὑτὸ ζητεῖν (100 b) Lysis αὐτὸ τὸ τεῖχος (203 a) αὐτὸ

τὸ ἐναντίον (215 e) αὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά (220 c) Euthydegraveme

ὅπως αὐτά γε καθ αὑτὰ πέφυκεν ἀγαθὰ (281 d) αὐτοὶ οἱ λογοποιοί αὐτὴ ἡ τέχνη

(289 e) αὐτὸ τὸ πρᾶγμα (307 b)

Le nombre doccurrences de ces deux expressions est important dans les premiers

dialogues mecircme sil est largement infeacuterieur agrave celui des dialogues tardifs Il est utile

de faire une analyse pour voir de quoi il sagit plus preacuteciseacutement pour savoir si dans

αὐτὸ τὸ x il sagit de x en soi ou de x (une reacutealiteacute) elle-mecircme Par laquo x en soi raquo nous

entendons une reacutealiteacute intelligible telle queacutevoqueacutee dans le Pheacutedon laquo elle se comporte

toujours semblablement en restant mecircme quelle-mecircme raquo par laquo x elle-mecircme raquo nous

entendons ce qui est propre agrave x Ainsi par exemple lαὐτὸ τὸ τεῖχος ne peut en

aucun cas signifer le rempart en soi mais le rempart lui-mecircme cest-agrave-dire ce qui est

propre au rempart sa construction Nous seacutelectionnons ici quatre cas agrave examiner agrave

savoir αὐτὴ ἡ πόλις αὐτὸ τὸ εἶδος τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν et αὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε

κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά1

I121 Lαὐτὴ ἡ πόλις

Lexpression napparaicirct que cinq fois dans le corpus platonicien dont une fois

formuleacutee par Hippias dans le Protagoras (αὐτῆς τῆς πόλεως 337 d) et quatre fois par

Socrate dans trois dialogues agrave savoir lApologie (αὐτῆς τῆς πόλεως 36 c) le Gorgias

(αὐτῆς τῆς πόλεως 519 c) et le livre II de la Reacutepublique (αὐτὴν τὴν πόλιν 370 e

αὐτῇ τῇ πόλει 371 b) Sachant que mecircme dans la Reacutepublique ougrave certaines

expressions αὐτὸ τὸ x et αὐτὸ καθ αὑτὸ x signifent effectivement une Forme2

lαὐτὴ ἡ πόλις ne signife pas laquo la citeacute en soi raquo mais la citeacute elle-mecircme nous allons le

voir sous peu

La premiegravere apparition de lexpression se trouve dans lApologie qui se compose de

trois discours le premier sur la culpabiliteacute de Socrate (17 a ndash 35 d) le second sur

leacutetablissement dune peine (35 e ndash 38 b) et le troisiegraveme qui est un discours priveacute sur

leacutethique agrave leacutegard de la mort (38 c ndash 42 a) Voici le passage ougrave est apparue

lexpression αὐτῆς τῆς πόλεως (36 c)

1 Quant agrave lexpression laquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo (Alcibiade 129 b 130d) nous en parlerons dans le chapitre laquo Lacircme raquo

2 Par exemple dans le livre VII αὐτὸ τὸ ἕν (524 e) αὐτὸ τὸ ἀγαθὸν (534 c) αὐτὸ τὸ ὂν (537 d)

28

En essayant de convaincre chacun dentre vous de ne pas se preacuteoccuper de ses affaires

personnelles avant de se preacuteoccuper pour lui-mecircme de la faccedilon de devenir le meilleur et

le plus senseacute possible de ne point se preacuteoccuper des affaires de la citeacute avant de se

preacuteoccuper de la citeacute elle-mecircme (πρὶν αὐτῆς τῆς πόλεως) et de ne se preacuteoccuper de tout

le reste quen vertu du mecircme principe (κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον)1

Ici on trouve deux expressions diffeacuterentes laquo κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον raquo et laquo πρὶν

αὐτῆς τῆς πόλεως raquo Dans la premiegravere laquo en vertu du mecircme principe raquo lαὐτό

comme adjectif met laccent sur le mecircme par rapport aux autres Dans la seconde laquo la

citeacute elle-mecircme raquo lαὐτό comme pronom met laccent sur le rapport du sujet agrave lui-

mecircme autrement dit la citeacute agrave leacutegard delle-mecircme ce qui est propre agrave la citeacute Une telle

interpreacutetation peut ecirctre contesteacutee par les deux passages du livre II de la Reacutepublique

Socrate Mais repris-je fonder cette citeacute (αὐτὴν τὴν πόλιν) dans un endroit tel quelle nait besoin de rien importer cest quasi impossible (370 e)

Socrate Mais alors Au sein de la citeacute elle-mecircme (αὐτῇ τῇ πόλει) comment les citoyens seacutechangeront-ils les biens que chacun aura produit Car cest bien dans ce but que nous avons fondeacute une citeacute (ποιησάμενοι πόλιν) en rendant possible leur association (371 b)

Il est eacutevident que lexpression ne signife pas la citeacute en soi puisquelle concerne la vie

reacuteelle de la citeacute dailleurs ces deux passages soulignent quaucune citeacute ne peut rester

toujours la mecircme en soi et par soi Voici la question que deacutesigne la citeacute elle-mecircme

dans lApologie comme dans la Reacutepublique Ce passage du mythe de Protagoras peut

nous suggeacuterer la reacuteponse

En effet ils ne posseacutedaient pas encore lart politique dont lart de la guerre est une partie

Ils cherchaient bien sucircr agrave se rassembler pour assurer leur sauvegarde en fondant des

citeacutes Mais agrave chaque fois quils eacutetaient rassembleacutes ils se comportaient dune maniegravere

injuste les uns envers les autres parce quils ne posseacutedaient pas lart politique de sorte

que toujours ils se dispersaient agrave nouveau et peacuterissaient2

Pour preacuteserver la race humaine Zeus envoya Hermegraves porter aux hommes la retenue

(αἰδώς) et la justice (δίκη)3 Dapregraves ce mythe sans lαἰδώς et la δίκη la citeacute peacuterirait

Cela admis ces deux termes deacutesignent la citeacute elle-mecircme cest-agrave-dire le fondement de

la citeacute Nous parlerons de la δίκη dans le chapitre V laquo La vertu raquo mais auparavant

1 Ibid 36 c Le ceacutelegravebre propos tenu quelques instants plus tocirct en 30 b traduit en effet ce principe laquo Ce nest pas des richesses que vient la vertu mais cest de la vertu que viennent les richesses et tous les autres biens pour les particuliers comme pour lEacutetat raquo

2 Protagoras 322 b3 Apregraves le reacutecit du mythe Protagoras nemploie plus les termes lart politique mais laquo excellence

politique (πολιτικὴ ἀρετή) chose qui exige toujours sagesse (σωφροσύνη) et justice (δικαιοσύνη) raquo (323 a) Cela eacutetant pour le sophiste τέχνη et ἀρετή sont synonymes lαἰδώς et la σωφροσύνη le sont eacutegalement

29

disons quelques mots sur le sens du terme αἰδώς Pour Protagoras lαἰδώς est une

vertu au mecircme titre que la justice le terme est relativement bien preacutesent dans le

corpus platonicien avec 46 occurrences1 En dehors du mythe de Protagoras lαἰδώς

nest pas consideacutereacutee comme une vertu Voici le sens du terme

Le mot αἰδώς lui nest guegravere traduisible (comme il arrive le plus souvent pour les maicirctres mots qui sont les mots teacutemoins par excellence) mais agrave travers la multipliciteacute de ses emplois on peut dire quil deacutesigne un sentiment de respect ou de retenue qui se rapproche au moins de la reacuteveacuterence religieuse mdash qui en fait peut avoir pour objet la diviniteacute mdash mais vaut essentiellement dans lordre des relations humaines ougrave il commande certaines abstentions ou certaines attitudes vis-agrave-vis dun parent dun ecirctredune eacuteminente digniteacute dun suppliant hellip sentiment agrave la fois social et moral puisque lαἰδώς est agrave la fois soucieuse de lopinion publique dont elle apparaicirct souvent comme la contre-partie et preacuteoccupeacutee dans un sens volontiers aristocratique de ce que le sujet se doit agrave lui-mecircme2

Si lαἰδώς nest pas une vertu peut-on consideacuterer de maniegravere geacuteneacuterale les excellentes

qualiteacutes humaines autres que la vertu comme fondement de la citeacute La reacuteponse

semble neacutegative Il faut distinguer luniteacute individuelle de luniteacute de la citeacute ce qui fait

luniteacute de la citeacute fait neacutecessairement luniteacute individuelle linverse neacutetant pas vrai car

luniteacute de la citeacute est une uniteacute collective qui neacutecessite la philosophie alors que luniteacute

individuelle est une uniteacute simple qui nexige que la justice et la tempeacuterence

I122 Euthyphron et αὐτὸ τὸ εἶδος

En remarquant la preacutesence de ces deux termes εἶδος et ἰδέα3 dans lEuthyphron R E

Allen pensait que la Forme y serait bien preacutesente4 Voici le passage en question

μέμνησαι οὖν ὅτι οὐ τοῦτό σοι διεκελευόμην ἕν τι ἢ δύο με διδάξαι τῶν πολλῶν ὁσίων ἀλλ᾽ ἐκεῖνο αὐτὸ τὸ εἶδος ᾧ πάντα τὰ ὅσια ὅσιά ἐστιν ἔφησθα γάρ που μιᾷ ἰδέᾳ τά τε ἀνόσια ἀνόσια εἶναι καὶ τὰ ὅσια ὅσια

En ce cas te souviens-tu que je texhortais de mapprendrenon pas une ou deux des nombreuses choses pieuses mais plutocirct cette forme mecircme en vertu de laquelle toutes les choses pieuses sont pieuses Car tu as affrmeacute je pense que cest en vertu dune forme unique que les choses impies sont impies et que les choses pieuses sont pieuses Agrave moins

1 Banquet αἰδοῖα (190 a) αἰδοῖα (191 b) Charmide αἰδὼς (160 e) αἰδὼς (161 a) αἰδώς (161 a) αἰδὼς (161 b) Euthyphron αἰδώς (12 b) αἰδώς (12 b) αἰδὼς (12 b) αἰδώς (12 c) αἰδὼς (12 c) αἰδώς (12 c) αἰδοῦς (12 c) αἰδὼς (12 c) Lettre VI αἰδοῖ (323 b) VII αἰδοῖ (337 a) αἰδοῖ (337 a) αἰδοῖ (340 a) Lois I αἰδῶ (647 a) αἰδοῦς (649 c) II αἰδῶ (671 d) αἰδοῦς (672 d) III αἰδώς (698 b) αἰδῶ (699 c) IV αἰδῶ (713 e) V αἰδῶ (729 b) VI αἰδοῦς (772 a) IX αἰδοῦς (867 e) XII αἰδοῖ (943 e) Phegravedre αἰδοῦς (253 d) αἰδοῖ (254 a) αἰδοῦς (256 a) Politique αἰδοῦς (310 d) Protagoras αἰδῶ(322 c) αἰδῶ (322 c) αἰδῶ (322 c) αἰδοῦς (322 d) αἰδῶ (329 c) Reacutepublique V αἰδοῦς (463 d) αἰδώς (465 a) αἰδὼς (465 a) VIII αἰδοῦς (560 a) αἰδῶ (560 d) X αἰδὼς (595 b) Sophiste αἰδοῦς (216 b) αἰδώς (217 d)

2 Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 127 ndash 128

3 Cf laquo Annexe εἶδος ἰδέα raquo4 Cf Allen R E Platos Euthyphro and the Earlier Theory of Form London Routlegde amp Kegan Paul

1970

30

ἢ οὐ μνημονεύεις1 que tu ne ten souviennes pas

Dans ce passage la preacutesence des deux expressions αὐτὸ τὸ εἶδος et που μιᾷ ἰδέᾳ ne

sufft pas pour affrmer quil sagit de la Forme si lon nexplique pas ce terme

laquo ἀνόσια raquo (impieacuteteacute) ce qui est absent dans lanalyse de R E Allen En effet dans les

dialogues de jeunesse agrave aucun moment Socrate ne deacutecrit quelle est la nature dεἶδος

ou dἰδέα comme cest le cas dans les dialogues tardifs en ce qui concerne la Forme

La question se pose peut-il y avoir une forme unique de limpieacuteteacute Par exemple les

gens simaginent-ils savoir ce quils ne savent pas de la mecircme faccedilon Les injustes

sont-ils injustes identiquement Si cela eacutetait vrai on serait ineacutevitablement conduit agrave

admettre que le bien et le mal ont le mecircme statut ontologique cela est inimaginable

car cela suppose que le mal lui aussi soit une forme unique qui est toujours la mecircme

en soi et par soi une telle hypothegravese est ontologiquement impossible En reacutealiteacute

mecircme dans la Reacutepublique laquo μία ἰδέα raquo ne signife pas toujours une Forme telle que

nous lavons vu dans le Pheacutedon Voici le passage en question dans le livre IX de la

Reacutepublique

πλάττε τοίνυν μίαν μὲν ἰδέαν θηρίου ποικίλου καὶ πολυκεφάλου ἡμέρων δὲ θηρίων ἔχοντος κεφαλὰς κύκλῳ καὶ ἀγρίων καὶ δυνατοῦ μεταβάλλειν καὶ φύειν ἐξ αὑτοῦ πάντα ταῦτα2

Faccedilonne donc la forme unique dun animal composite et polyceacutephale posseacutedant agrave la fois les tecirctes danimaux paisibles et danimaux feacuteroces disposeacutees en cercle et accorde-lui le pouvoir de se transformer et de deacutevelopper toutes ces formes par lui-mecircme

En effet par μία ἰδέα on peut entendre laquo τί ἐστι raquo il sagit dun seul genre ou une

seule classe en question3 mais la reacuteponse agrave la question laquo quest-ce que raquo peut bien

deacutesigner une chose sensible Par exemple quest-ce que la boue laquo La boue est de la

terre deacutelayeacutee par leau raquo4 En tout cas tant que la seacuteparation entre le sensible et

lintelligible ne sopegravere pas par une science il nest pas pertinent de dire que la penseacutee

de la Forme est supposeacutee preacutesente

I123 Hippias majeur et laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν raquo

LHippias majeur semble donner une impression de la seacuteparation entre le sensible et la

reacutealiteacute au-delagrave du sensible La discussion entre Socrate et le sophiste Hippias se

deacuteveloppe autour de cette question laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν raquo (laquo quest-ce que le

1 Euthyphron 6 d ndash e2 Reacutepublique IX 588 c3 laquo La question τί ἐστι ne porte donc pas sur les individus dun genre ou dune classe mais sur une

qualiteacute qui posseacutedeacutee par plusieurs individus justife leur appartenance agrave une mecircme classe raquo (J-F Pradeau laquo Les formes et les reacutealiteacutes intelligibles raquo Platon les formes intelligibles p 35)

4 Theacuteeacutetegravete 147 c

31

beau en soi raquo) Hippias donne toujours une reacuteponse concernant une beauteacute sensible

agrave chaque fois une belle vierge lor ou encore la richesse par exemple Voici la

premiegravere apparition du terme καλόν et de la question laquo quest-ce que le beau raquo

Socrate [hellip] Reacutecemment lors dune discussion ougrave je blacircmais comme laides certaines choses et en louais dautres comme belles (καλά) quelquun ma mis dans lembarras Il ma interrogeacute de la sorte avec beaucoup dinsolence laquo Comment fais-tu Socrate pour savoir quelles choses sont belles et lesquelles sont laides Voyons serais-tu capable de dire ce quest le beau (τί ἐστι τὸ καλὸν ) raquo Et moi en revanche je restai dans lembarras sans pouvoirlui faire une reacuteponse convenable Apregraves avoir quitteacute cette reacuteunion jeacutetais en colegravere contre moi-mecircme madressais des reproches et pris la solution degraves que jaurais rencontreacute le premier dentre vous qui ecirctes savants deacutecouter dapprendre et dy consacrer mes efforts avant de retourner ensuite vers celui qui mavait interrogeacute pour reprendre le combat de largument Et aujourdhui je le redis cest une bonne chose que tu sois venu Expose-moi donc comme il faut ce quest le beau lui-mecircme (καί με δίδαξον ἱκανῶς αὐτὸ τὸ καλὸν ὅτι ἐστί)1

Socrate eacutetait inviteacute agrave reacutepondre agrave cette question laquo τί ἐστι τὸ καλὸν raquo dans une

discussion apregraves avoir reacutefeacutechi non sans diffculteacute il ajoute agrave la question poseacutee un

laquo αὐτό raquo pour la transformer en une autre question plus preacutecise laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ

καλὸν raquo En reacutealiteacute les deux questions laquo τί ἐστι τὸ καλὸν raquo et laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ

καλὸν raquo sont eacutequivalentes Mais pourquoi Socrate y ajoute-t-il un laquo αὐτό raquo Cest

pour souligner que cest le beau en soi et non un beau particulier quon cherche En

dautres termes ce quon cherche par la question laquo τί ἐστι x raquo nest rien dautre que

laquo αὐτὸ τὸ x raquo Mais les reacuteponses de Socrate dans la derniegravere partie du dialogue

sembleraient deacutementir notre optimisme sur la seacuteparation entre le beau universel et

immuable que Socrate cherche et des beauteacutes particuliegraveres que le sophiste propose

puisque le dialogue fnit sur la conclusion que le beau est le plaisir avantageux de la

vue et de louiumle

I124 Lαὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά

L e Lysis traite la question de la φιλία laquo lamitieacute raquo en franccedilais laquo Pour les Grecs

ressortissent agrave la φιλία des relations aussi varieacutees et nombreuses que les rapports

familiaux les liaisons amoureuses les liens damitieacutes laffection pour les animaux

lattachement agrave des objets inanimeacutes et mecircme dans le domaine de la physique

lattraction mutuelle des eacuteleacutements raquo2 Demander agrave deux jeunes amis du mecircme acircge de

trouver une unique chose qui est identiquement preacutesente dans toutes sortes de

φιλία cela paraicirct peu raisonnable Comme ils sont amis la recherche sur la φιλία se

1 Hippias majeur 286 c ndash d2 Lysis laquo Introduction raquo p 159

32

concentre plutocirct sur lamitieacute La laquo particulariteacute du Lysis tient peut-ecirctre au fait que la

φιλία nest pas une vertu raquo1 cest mecircme certain car en veacuteriteacute le Lysis ne consiste pas agrave

deacutefnir la φιλία qui se caracteacuterise par lattachement plus ou moins sentimental mais

agrave distinguer la φιλία et le φίλος qui se caracteacuterise plutocirct par un lien plus ou moins

eacutetroit non par le sentiment mais par la sagesse (σοφία) cest pourquoi il sagit de la

question du bien et du mal

Socrate Est-ce agrave cause du mal que le bien est aimeacute et nen va-t-il ainsi si des trois choses dont nous parlions il y a un instant le bien le mal et ce qui nest ni bon ni mauvais il en restait deux et que le mal sen eacutetait alleacute au loin et ne sattachait plus agrave rien ni au corps ni agrave lacircme ni aux autres choses dont nous disons quelles ne sont par elles-mecircmes ni bonnes ni mauvaises (αὐτὰ καθ᾽ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά) est-ce qualors le bien ne nous serait plus daucune utiliteacute eacutetant deacutesormais priveacute dusage (ἆρα τότε οὐδὲν ἂν ἡμῖν χρήσιμον εἴη τὸ ἀγαθόν ἀλλ᾽ ἄχρηστον ἂν γεγονὸς εἴη) Si en effet rien ne nous causait plus de dommage nous naurions plus besoin daucun secours et ainsi ildeviendrait tout agrave fait clair que le mal eacutetait cause de notre affection et de notre amour pour le bien comme si le bien eacutetait un remegravede contre le mal et le mal une maladie mais si la maladie nest plus il ny a plus aucun besoin du remegravede Le bien est-il de cette nature et est-ce agrave cause du mal quil est aimeacute de nous nous qui nous situons entre le bien et le mal alors que le bien lui-mecircme nest daucune utiliteacute en vue de lui-mecircme 2

Les choses qui ne sont ni bonnes ni mauvaises par elles-mecircmes (αὐτὰ καθ᾽ αὑτὰ)

existent-elles vraiment Tout deacutepend de ce quon entend par laquo τὸ ἀγαθόν raquo Ici

Socrate associe le bien agrave lutiliteacute (χρήσιμον) le bien est bien parce quil est utile il

sagit dun bien particulier et non le bien en soi et par soi Autrement dit laquo αὐτὰ καθ᾽

αὑτὰ raquo renvoie agrave lutiliteacute particuliegravere des choses ainsi la phrase peut se lire comme

laquo elles sont par elles-mecircmes ni utiles ni inutiles raquo deacutepourvues de toute fonction elles

ne peuvent exister En revanche un peu avant dans lexpression laquo ni bon ni mauvais raquo

le bon deacutesigne le bon universel et immuable

Socrate Voila bien pourquoi nous pouvons eacutegalement confrmer que ceux qui sont deacutejagrave savantsdieux ou hommes ne recherchent plus le savoir et que ne le recherchent pas non plus ceux qui sont agrave ce point ignorants qursquoils en sont mauvais car il nrsquoy a personne drsquoignorant ni de mauvais qui aspire au savoir Restent donc ceux qui souffrent de ce mal lrsquoignorance mais pas au point drsquoecirctre devenus irreacutefeacutechis et ignorants sous son effet et qui reconnaissent encore qursquoils ne savent pas ce qursquoils ne savent pas Voilagrave pourquoi ceux qui aspirent au savoir sont ceux qui ne sont ni bons (διὸ δὴ καὶ φιλοσοφοῦσιν οἱ οὔτε ἀγαθοὶ οὔτε κακοί πω ὄντες) ni mauvais alors que tous ceux qui sont mauvaisnaspirent pas au savoir non plus que les bons3

Ce passage dit presque la mecircme chose quon entend dans le discours de Diotime

1 Ibid p 1632 Lysis 220 c ndash d3 Ibid 218 a ndash b

33

rapporteacute par Socrate dans le Banquet1 lagrave il sagit du savoir divin dont on tire lutiliteacute

cest-agrave-dire quon devient ainsi utile laquo tu mas entendu exposer souvent quil

nexiste pas de savoir plus eacuteleveacute que la forme du bien et que cest par cette forme que

les choses justes et les choses vertueuses deviennent utiles et beacuteneacutefques raquo2 En

dautres termes ceux qui cherchent agrave contempler les reacutealiteacutes veacuteritables sont utiles

sinon inutiles de mecircme pour la science de nombre laquo Utile en tout cas dis-je pour ce

qui est de la recherche du beau et du bien mais inutile quand on la poursuit dans un

autre but raquo3 cela ne signife pas que le Bien soit utile mais que la recherche du Bien

est utile Dans le corpus platonicien lemploi de ces deux termes laquo ἄχρηστος raquo et

laquo χρηστός raquo est lieacute geacuteneacuteralement aux choses humaines et non pour qualifer une

reacutealiteacute intelligible4

I125 Meacutenon Lysis et Euthydegraveme

En raison de la preacutesence de limmortaliteacute de lacircme et de la reacuteminiscence dans le

Meacutenon on peut penser que la Forme y est preacutesente certes de maniegravere implicite 5

Dapregraves un classement traditionnel des dialogues platoniciens largement admis le

Lysis et lEuthydegraveme auraient eacuteteacute reacutedigeacutes apregraves le Meacutenon Comment expliquer le fait

que la forme intelligible existe dans le Meacutenon et non pas dans les deux autres Tregraves

probablement ce classement fait deacutefaut en raison des critegraveres adopteacutes6 qui ne

correspondent pas parfaitement agrave la reacutealiteacute tregraves complexe des dialogues platoniciens

Nous pensons que le Meacutenon doit ecirctre consideacutereacute comme un dialogue posteacuterieur au

Lysis et agrave lEuthydegraveme Voici une explication relative agrave la faccedilon de deacutefnir la science

(ἐπιστήμη) 1 ce terme est absent dans le Lysis cela dit ni la φιλία ni le φίλος ne

sont science 2dans lEuthydegraveme le substantif ἐπιστήμη apparaicirct 42 fois7 mais cette

science est toujours lieacutee aux affaires humaines voici le passage qui laffrme

Socrate [hellip] En sorte que si mecircme nous avions la science capable de transformer les pierres en or

1 Voir Banquet 203 e ndash 204 a2 Reacutepublique VI 505 a3 Ibid VII 531 c4 Cf laquo Annexe χρηστός - ἄχρηστος raquo On notera que les occurrences de ces deux termes se

concentrent particuliegraverement dans la Reacutepublique avec 22 occurrences sur la totaliteacute de 72 occurrences dans les dialogues platoniciens pour χρηστός et 18 sur 29 pour ἄχρηστος

5 Cf Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81c5 ndash d5) raquo International Plato Studies V 25 2007 pp199 ndash 203

6 G Vlastos eacutecrit ceci laquo [hellip] Je considegravere comme particuliegraverement signifcatif le fait que lorsquonclasse les dialogues en sappuyant seulement sur des critegraveres stylistiques comme dans Brandwood les reacutesultats concordent en gros avec ceux que jatteins en les classant uniquement dapregraves leur contenu philosophique [hellip] raquo (Socrate Ironie et philosophie morale raquo Paris Aubier trad par C Dalimier 1994 p 70 note de bas de page ndeg2)

7 Cf laquo Annexe ἐπιστήμη raquo

34

une telle science naurait aucune valeur Car si nous ne disposons pas eacutegalement dune science qui nous dise comment utiliser cet or il est apparu que cet or ne nous serait en lui-mecircme daucune utiliteacute1

3 Or dans le Meacutenon la science a pour objet la forme intelligible certes de maniegravere

implicite2

Socrate En ce cas sans que personne ne lui ait donneacute denseignement mais parce quon la interrogeacute il en arrivera agrave connaicirctre ayant recouvreacute lui-mecircme la connaissance (ἐπιστήμην) en la tirant de son propre fonds

Meacutenon Oui

Socrate Mais le fait de recouvrer en soi-mecircme une connaissance (ἐπιστήμην) nest-ce pas se la remeacutemorer (ἀναμιμνῄσκεσθαί) 3

En effet la reacutealiteacute intelligible est pure cest-agrave-dire sans meacutelange et par conseacutequent

lacquisition de sa science se fait eacutegalement de maniegravere pure par la reacuteminiscence par

le raisonnement pur Cest pourquoi cette science ne senseigne pas car elle na pas agrave

senseigner dans le Meacutenon alors que la science senseigne dans lEuthydegraveme

I13 La seacuteparation entre lacircme et le corps

La question est de savoir sil y a une correacutelation entre ces deux seacuteparations dune

part entre le sensible et lintelligible dautre part entre le corps et lacircme Une telle

analyse consiste agrave savoir dune part dougrave vient cette seacuteparation entre le sensible et

lintelligible dautre part sil existe une trace de la penseacutee de la Forme dans les

premiers dialogues

I131 Χρήματα

Incontestablement dans ce passage de lApologie lacircme et le corps ne deacutesignent pas la

mecircme chose

Ma seule affaire est daller et de venir pour vous persuader jeunes et vieux de navoir

point pour votre corps et pour votre fortune de souci supeacuterieur ou eacutegal agrave celui que vous

devez avoir concernant la faccedilon de rendre votre acircme la meilleure possible et de vous dire

laquo ce nest pas des richesses que vient la vertu mais cest de la vertu que viennent les

1 Euthydegraveme 288 e ndash 289 a2 En effet la preacutesence de ces deux termes laquoἀθάνατός raquo et laquo ἀνάμνησις raquo dans le Meacutenon (81 c d)

suffrait pour dire que lintelligible est bel et bien preacutesent dans ce dialogue car ils sont seacuteparables avec limmortaliteacute de lacircme or limmortaliteacute de lacircme suppose que lacircme avait la connaissance du monde immortel cest-agrave-dire intelligible et cette affrmation est soutenue par la deacutefnition de lareacuteminiscence comme laquo le fait de chercher et le fait dapprendre raquo ici les deux verbes ne sont pas utiliseacutes comme transitifs mais comme absolus Certes limmortaliteacute de lacircme avait existeacute avant Platon dans laquo ces antiques et saintes doctrines raquo (Voir Lettre VII 335 a) mais le rapport entre cette immortaliteacute et la reacuteminiscence nest pas eacutetabli

3 Menon 85 d

35

richesses (χρήματα) et tous les autres biens pour les particuliers comme pour lEacutetat raquo1

La distinction entre lacircme et le corps se caracteacuterise par le fait que lacircme est associeacutee agrave

la vertu le corps aux richesses (χρήματα) cela souligne surtout que les richesses

sont infeacuterieures agrave la vertu Toute la question est de savoir agrave partir de quel moment le

terme laquo χρήματα raquo deacutesigne les reacutealiteacutes intelligibles dans les dialogues platoniciens2

ougrave il est rarement employeacute au singulier3 voici le tableau de son apparition au

pluriel

Dialogues de jeunesse

Apologie 19d 20a 20a 30b 33a 37c 38b Criton 44c 44c 44e 45b 48c Hippias mineur 364d Hippias

majeur 281b 282b 282c 282e 283d 284a 284b 284c Alcibiade 131b Lachegraves 183a 186c Protagoras

311d 311d 311e 313b 361b Meacutenexegravene 245c Euthyphron 11e Gorgias 465d 466c 466d 468b 468c 468d 468e 470b 479c 508d 511d 511e 514a Charmide 173c Meacutenon 81c 90a 91d 91d Euthydegraveme

282a 294d

Dialogues de maturiteacute

Cratyle 391b 391c 440a 440d Banquet 183a 184b 185a 208d 219e Pheacutedon 66c 72c 78a Reacutepublique

I 330c 330c 331b 338b 344b III 398a IV 422a 422e 423a 432a VI 485e 492d VII 538a VIII 549d 549e 551e 553c 554a 554b 555a 561a 566c 567a 568d IX 591a X 608b Phegravedre 232c Theacuteeacutetegravete 153d 201b

Dialogues de vieillesse

Sophiste 233b Politique 298b Philegravebe 48e Lois I 644a III 695d 697b 697b IV 716a 721b 721b V 727e 739c 741e 743d 744b 745b 746a VI 773c 773e 774b 774d 775a VII 805e VIII 849e IX 855a XI 915c 918d 923a 938a XII 948c 958a 958b

1 Ce tableau montre que dans les dialogues de jeunesse le terme est employeacute dans

presque tous les dialogues en revanche dans les dialogues tardifs il est concentreacute

particuliegraverement dans la Reacutepublique et les Lois 2 Excepteacute dans le Meacutenon le terme

deacutesigne les choses sensibles dans les premiers dialogues cest pourquoi le Meacutenon

devrait ecirctre classeacute dans les dialogues de maturiteacute

1 Apologie 30 a ndash b Cf surtout Apologie laquo Notes raquo ndeg 173 laquo Le sens de cette phrase quil faut mettre en rapport avec un autre passage de lApologie (29 e ndash 30 a) est tregraves controverseacute Suivant en cela G Vlastos (Socrate Ironie et philosophie morale [1991] Paris Aubier 1994 p 303 ndash 308) notamment jestime que Socrate ne recommande pas la vertu comme un moyen dobtenir des avantages mateacuteriels mais rappelle que les biens exteacuterieurs dont il a parleacute preacutesentent une valeur qui sans ecirctre neacutegligeable reste tregraves infeacuterieure agrave celle du bien le plus preacutecieux agrave savoir la perfection de lacircme raquo

2 laquo En effet χρήματα peut preacutesenter le sens geacuteneacuteral de choses mais chez Platon et chez les Platoniciens χρήματα en vient naturellement agrave deacutesigner les reacutealiteacutes intelligibles comme on le constate en Pheacutedon 66 e1 ndash 2 raquo (Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81 c 5 - d 5) raquo International Plato Stadies 25 2007 pp 199 ndash 203 p 201) Cf laquo Annexe χρῆμα raquo notre statistique montre que les occurrences du terme χρῆμα sont plutocirct eacutequilibreacutees entre les trois peacuteriodes 63 occurrences pour la peacuteriode de la jeunesse 76 pour celle de la maturiteacute et 64 pour celle de lavieillesse Alors que nous lavons vu le terme εἶδος est tregraves peu preacutesent dans la peacuteriode de la jeunesse (15) mais abondamment preacutesent dans la maturiteacute (195) et la vieillesse (165)

3 Seulement neuf fois Ion χρῆμα (534 b) Gorgias χρῆμα (485 a) χρῆμα (485 b) Meacutenon χρῆμα (97 e) Cratyle χρῆμα (399 d) Pheacutedon χρῆμα (96 c) Reacutepublique VIII χρῆμα (567 e) Theacuteeacutetegravete χρῆμα (156 e) χρῆμ᾽ (209 e)

36

Dans lAlcibiade il est eacutevident quil ne sagit pas de la reacutealiteacute intelligible laquo Et celui qui

soccupe de ses richesses (χρήματα) il ne soccupe ni de lui-mecircme ni de ce qui lui est

propre mais il est encore plus eacuteloigneacute de qui lui est propre raquo1 De mecircme dans le

Charmide on se preacuteoccupe laquo [hellip] davoir la vie sauve lorsquon affronte des risques

sur mer et agrave la guerre davoir des outils des vecirctements des sandales tous nos biens

(καὶ τὰ χρήματα πάντα) [hellip] raquo2 Cest sans doute agrave partir du Meacutenon que ce terme

deacutesigne la reacutealiteacute intelligible de maniegravere eacutevidente

Or comme lacircme est immortelle et quelle renaicirct plusieurs fois quelle a vu agrave la fois les

choses dici et celles dHadegraves [le monde de lInvisible] cest-agrave-dire toutes les reacutealiteacutes (καὶ

τὰ χρήματα πάντα) il ny a rien quelle nait appris3

Par ailleurs le fait que Socrate neacutevoque pas une seule fois le mot laquo σῶμα raquo dans le

Meacutenon souligne la distinction entre lacircme et le corps4 la saisie des reacutealiteacutes

intelligibles par la voie de reacuteminiscence est une affaire propre agrave lacircme mecircme si une

remeacutemoration peut ecirctre deacuteclencheacutee par une sensation mais lacheminement de la

reacuteminiscence est une affaire propre agrave lacircme

I132 Gorgias et la seacuteparation explicite entre lacircme et le corps

Bien que la diffeacuterence entre lacircme et le corps soit exprimeacutee dans les premiers

dialogues lacircme se nourrit des enseignements (μαθήματα)5 le corps des aliments

(σιτία) et des boissons (ποτά)6 Lacircme associeacutee au savoir (σοφία) le corps au sport 7

Lacircme est le tout et le corps une partie8 Tout meacutetier (τεχνή) est relatif au corps et non

agrave lacircme9 Tout cela ne signife pas la seacuteparation entre lacircme et le corps car on ny

distingue pas dargument philosophique hormis dans le Gorgias et le Meacutenon En effet

sur le plan de la reacutefutation fondeacutee essentiellement sur la question laquo τί ἐστι raquo la

recherche dune reacuteponse ne consiste pas tellement agrave deacutefnir une vertu ou une autre

chose importante mais agrave deacutevoiler lignorance des interlocuteurs de Socrate qui sont

souvent des sophistes Or lignorance est de simaginer savoir ce que lon ne sait pas

en reacutealiteacute ainsi Socrate na pas besoin de faire intervenir la seacuteparation entre le corps

1 Alcibiade 131 b ndash c Notons que dans lAlcibiade laquo lui-mecircme raquo deacutesigne son acircme2 Charmide 173 b ndash c3 Meacutenon 81 c4 Cf laquo Annexe σῶμα ψυχή raquo Notons que le corps nest absent que dans les trois dialogues agrave savoir

le Meacutenon le Parmeacutenide et lEuthyphron qui est le seul dialogue platonicien ougrave sont absents les deux termes laquo corps raquo et laquo acircme raquo

5 Ibid 313 c6 Ibid 314 a7 Hippias mineur 364 a8 Charmide 156 e9 Alcibiade 130 e ndash 131 b

37

et lacircme puisque laquo simaginer savoir raquo relegraveve purement des affaires de lacircme Ce qui

nest pas le cas agrave la fn du Gorgias

La mort nest rien dautre me semble-t-il que la seacuteparation (διάλυσις) de deux choses

lacircme et le corps qui se deacutetachent lune de lautre1

Dans le Pheacutedon (88 b) Socrate utilise ce mecircme terme laquo διάλυσις raquo pour deacutecrire la

seacuteparation entre le corps et lacircme mais la porteacutee semble assez diffeacuterente2 Dans le

Pheacutedon cette seacuteparation est lieacutee agrave limmortaliteacute de lacircme et par conseacutequent agrave la

reacuteminiscence Tandis que dans le Gorgias elle est lieacutee agrave la question de justice En effet

au deacutebut du mythe eschatologique laquo [auparavant] les juges eacutetaient les vivants qui

jugeaient dautres vivants et ils prononccedilaient leur jugement le jour mecircme ougrave les

hommes devaient mourir raquo3 Mais pour Zeus une telle situation est facirccheuse

puisque laquo les jugements sont mal rendus raquo

La raison en est expliqua-t-il que les hommes quon doit juger se preacutesentent tout

enveloppeacutes de leurs vecirctements puisquils sont jugeacutes alors quils sont encore vivants Or

nombreux sont les hommes reprit-il dont lacircme est mauvaise mais qui viennent au juge

tout enveloppeacutes de la beauteacute de leurs corps [hellip] Or cest justement cela tout ce qui

enveloppe les juges et enveloppe les hommes quils jugent cest cela qui fait obstacle4

Pour que lacircme soit proprement jugeacutee il faut regarder exclusivement une acircme

seacutepareacutee de son corps et de toutes les choses avec cest pour cette raison que la

seacuteparation entre lacircme et le corps est neacutecessaire Mais cette seacuteparation est voulue par

un dieu pour des raisons dutiliteacute et non pour une raison ontologique

I2 La neacutecessiteacute de lexistence des reacutealiteacutes intelligibles

La neacutecessiteacute de lexistence des formes intelligibles est une neacutecessiteacute agrave la fois eacutethique

eacutepisteacutemologique et ontologique En effet pour que lon arrive agrave eacutevaluer la morale

afn de savoir si lon doit respecter telles regravegles de conduite mais pas telles autres il

faut faire appel agrave un certain type de connaissance sans laquelle aucune eacutevaluation de

la morale nest possible Par conseacutequent il nest pas possible decirctre toujours juste

dans toutes les circonstances Or toute connaissance a neacutecessairement son objet ainsi

la fabiliteacute de la connaissance deacutepend de son objet et si celui-ci est universel et

1 Gorgias 524 b2 Notons que le terme διάλυσις na que 9 occurrences dans le corpus platonicien (aucune occurrence

avant le Gorgias) agrave savoir Cratyle διαλύσεως (419 c) Gorgias διάλυσις (524 b) Lois I διαλύσεις (632 b) III διάλυσιν (684 d) VI διαλύσεων (758 d) VIII διαλύσεως (828 d) Pheacutedon διάλυσιν (88 b) Philegravebe διάλυσις (32 a) Reacutepublique I διαλύσει (343 d)

3 Gorgias 523 b4 Ibid 523 c ndash d

38

immuable il est alors certain que cette connaissance est vraie Cela est neacutecessaire

pour eacutevaluer les regravegles de conduite car seule la connaissance des reacutealiteacutes veacuteritables

peut guider cette eacutevaluation en raison du fait que les reacutealiteacutes sensibles participent

aux reacutealiteacutes intelligibles

I21 Neacutecessiteacute ontologique

Le mot laquo ontologie raquo renvoie dans une moindre mesure agrave ces termes τὸ ὄν τὸ εἶναι

ἡ οὐσία ἕκαστον ὃ ἔστιν Nous essayons de les examiner agrave travers certains passages

de ces trois dialogues agrave savoir le Parmeacutenide la Reacutepublique et le Pheacutedon

I211 Lecirctre et le non-ecirctre parmeacutenidiens

Une question se pose quel est le statut des deux parties du Parmeacutenide est-ce la

seconde partie qui apporte la solution agrave la premiegravere ou inversement Dans ce dernier

cas il faut renverser lordre de la lecture commencer par la seconde partie En effet

cela est dit degraves le deacutebut mecircme du dialogue

L e Parmeacutenide est une structure assez singuliegravere qui se compose de quatre styles

textuels tregraves diffeacuterents 1 Le dialogue commence par un court dialogue direct (126 a

ndash 127 a7) un certain citoyen de Clazomegravenes nommeacute Ceacutephale1 vient agrave Athegravenes pour

entendre le reacutecit dune conversation qui eut lieu un jour entre Socrate Parmeacutenide et

Zeacutenon dEacuteleacutee En arrivant agrave lagora il rencontra les deux fregraveres de Platon Adimante

et Glaucon qui lamenegraverent aussitocirct jusquagrave chez Antiphon demi-fregravere maternel de

Platon En effet Antiphon avait une relation suivie avec un certain Pythodore un

disciple de Zeacutenon Par le biais de cette relation il avait maintes fois entendu

Pythodore reacutepeacuteter le reacutecit cest pourquoi il le connaissait encore par cœur 2Avant

de commencer le reacutecit Antiphon fait une preacutesentation du contexte de lentretien tenu

entre Socrate Parmeacutenide et Zeacutenon chez Pythodore (127 a8 ndash d5) un jour agrave loccasion

des Grandes fecirctes en lhonneur dAtheacutena Parmeacutenide et Zeacutenon vinrent agrave Athegravenes et

descendirent chez Pythodore laquo Lagrave donc seacutetaient rendus Socrate et avec lui quelques

autres qui deacutesiraient ardemment entendre lire ce quavait eacutecrit Zeacutenon raquo et cest ce

dernier lui-mecircme qui leur ft lecture de son eacutecrit Dapregraves Pythodore lorsque la

lecture tirait agrave sa fn laquo lui-mecircme rentra avec Parmeacutenide accompagneacute dAristote celui

qui fut lun des Trente raquo(127 d)

Si lon considegravere le court dialogue direct qui ouvre le Parmeacutenide comme contexte

1 Qui nest pas le pegravere du ceacutelegravebre orateur Lysias que lon rencontre au deacutebut de la Reacutepublique

39

externe cette preacutesentation dAntiphon peut ecirctre vue comme contexte interne du

dialogue qui porte le nom Parmeacutenide Cependant un problegraveme redoutable apparaicirct

le reacutecit est raconteacute par Pythodore agrave Antiphon mais en raison de labsence de

Pythodore lors de la lecture de Zeacutenon leacutecrit de Zeacutenon na pas pu ecirctre transmis de

Pythadore agrave Antiphon et il ne nous est donc pas connu 3 La partie qui se trouve

entre 127 d et 135 d traditionnellement appeleacutee la premiegravere partie est un veacuteritable

dialogue entre Socrate Parmeacutenide et Zeacutenon sur chaque point de discussion chacun

a son discours sa position sa critique son argument son langage Cest dans cette

partie que Socrate expose la doctrine de la Forme 4 Vient ensuite la seconde partie

du dialogue (135 d ndash 166 c) ougrave Parmeacutenide est le meneur de jeu et cest le jeune

Aristote qui joue le rocircle de reacutepondant Formellement la seconde partie ne ressemble

point agrave un reacutecit mais agrave un dialogue direct puisque les formules de reacutecit sont

totalement absentes comme si le narrateur disparaissait Agrave la limite la seconde

partie est un monologue de Parmeacutenide sur lecirctre et sur le non-ecirctre ou sur lun et sur

la pluraliteacute et non vraiment un dialogue car le rocircle du jeune Aristote comme

reacutepondant est complegravetement effaceacute ou presque1

Revenons au problegraveme redoutable que nous avons eacutevoqueacute preacuteceacutedemment En effet

le renversement de lordre de la lecture sappuie sur ce passage prononceacute par Socrate

au deacutebut de la conversation

Socrate [hellip] Alors que Parmeacutenide dit laquo Il est un raquo Zeacutenon dit laquo Elles ne sont pas plusieurs raquo et chacun de votre cocircteacute vous vous exprimez en ayant lair de ne dire rien de pareil alors que tant sen faut vous dites la mecircme chose Cest par-dessus nos tecirctes agrave nous autres que paraissent se reacutepondre vos arguments2

Rappelons que le reacutecit fait par Pythodore agrave Antiphon commence par eacutevoquer la

lecture par Zeacutenon lui-mecircme de son eacutecrit et dont Socrate est lun des auditeurs 3 Ainsi

les auditeurs de cette lecture de Zeacutenon connaissent la seconde partie avant la

premiegravere partie qui se deacuteroulera par la suite puisque Parmeacutenide et Zeacutenon disent la

mecircme chose Cest pourquoi il faut renverser lordre de lecture du Parmeacutenide afn de

1 laquo Bref le jeune Aristote ne prend linitiative que dans un nombre tregraves limiteacute de reacuteponses lorsquil pose une question agrave Parmeacutenide Dans tous les autres cas ou bien il suspend son jugement ou bien il exprime son accord quil module quelquefois en utilisant un certain nombre de particules ou desvocables exprimant la modaliteacute il lui arrive mecircme deacutetendre cet accord agrave un ensemble de questions poseacutees par Parmeacutenide indiquant par lagrave quil a bien perccedilu luniteacute de largumentation qui vient decirctre deacuteveloppeacutee raquo (Brisson Luc laquo Les reacuteponses du jeune Aristote dans la seconde partie du Parmeacutenidede Platon raquo Revue Informatique et Statistique dans les sciences humaines 20 fasc 1 ndash 4 Liegravege 1984 pp 59 ndash 79 p 66)

2 Parmeacutenide 128 b3 En 129 d1 Socrate deacuteclare ceci laquo dans notre groupe de sept raquo Ils sagit de Pythodore Parmeacutenide

Zeacutenon Socrate le jeune Aristote on ne peut savoir quels eacutetaient les deux autres

40

mieux comprendre le sens du dialogue la doctrine de la Forme consiste agrave reacutepondre agrave

leacutecrit de Zeacutenon cest-agrave-dire agrave la seconde partie du dialogue

En effet lun dont parle Parmeacutenide deacutesigne une reacutealiteacute instable et surtout impossible

derreur

Parmeacutenide Eh bien quoi les non-uns ne sont-ils pas des parties de lun Ou plutocirct ne serait-ce pas encore lagrave pour les non-uns une faccedilon de participer agrave lun 1

Cela eacutetant lun et la pluraliteacute (les non-uns) ne sont pas contraires puisque lun

contient toujours les parties de sorte que lun est perpeacutetuellement instable en raison

du fait que lun ne peut y avoir sa propre identiteacute ni uniteacute comme si le vrai

enveloppait aussi le faux Dans ces conditions on dit toujours vrai mecircme si lon dit

faux puisque le faux est contenu dans le vrai Dailleurs Parmeacutenide ne distingue pas

laquo τὸ μὴ εἶναι raquo de laquo τὸ μὴ ὄν raquo2 En effet τὸ εἶναι signife ce qui existe et son

contraire est ce qui nexiste pas (τὸ μὴ εἶναι) or il y a trois reacutealiteacutes qui existent agrave

savoir 1 ce qui est (τὸ ὄν) cest-agrave-dire les reacutealiteacutes intelligibles 2 le contraire de ce

qui est cest ce qui nest pas (τὸ μὴ ὄν) cest-agrave-dire les reacutealiteacutes sensibles qui sont le

contraire des reacutealiteacutes intelligibles 3 lacircme qui nest ni une reacutealiteacute intelligible ni une

reacutealiteacute sensible Si lon confond ce qui est (τὸ ὄν) et ce qui existe (τὸ εἶναι) qui

deacutesigne les trois types de reacutealiteacutes on confond lintelligible et le sensible Si lon

confond ce qui nexiste pas et ce qui nest pas on confond le faux et le vrai puisque

lon ne peut pas formuler une opinion sur ce qui nexiste pas sinon cest du pur

mensonge alors quon peut bien formuler une opinion droite sur les choses sensibles

cest-agrave-dire ce qui nest pas puisquelles sont la source des sensations Par ailleurs

Parmeacutenide ne distingue pas non plus le laquo τὸ ὄν raquo du laquo τὸ εἶναι raquo3 En veacuteriteacute chez

Parmeacutenide il ny a pas de vrai contraire lecirctre et le non-ecirctre ou ce qui est et ce qui

1 Parmeacutenide 147 a2 Voici la liste de ces deux expressions (τὸ μὴ ὄν et τὸ μὴ εἶναι) dans le Parmeacutenide τῷ μὴ ὄντι (142

a) τὸ μὴ ὄν (160 c) τὸ μὴ ὄν (160 c) τῷ μὴ ὄντι (162 b) τὸ μὴ ὄν (162 d) τῶν μὴ ὄντων (166 a) τῶν μὴ ὄντων (166 a) τοῖς μὴ οὖσιν (166 a) τοῦ μὴ ὄντος (166 a) τοῦ μὴ εἶναι (136 b) τοῦ μὴ εἶναι (157 a) τὸ μὴ εἶναι (160 d) τὸ ἓν μὴ εἶναι (161 e) τὸ μὴ εἶναι (162 a) τοῦ μὴ εἶναι (162 a) τοῦ μὴ εἶναι (162 a) τοῦ μὴ εἶναι (162 b) τοῦ μὴ εἶναι (162 b) τὸ μὴ εἶναι (162 b) τὸ μὴ εἶναι (162 c)

3 Voici la liste de ces deux termes dans le Parmeacutenide τὰ ὄντα (127 e) τῶν ὄντων (133 b) τῶν ὄντων(134 a) τῶν ὄντων (135 a) τῶν ὄντων (135 b) τῶν ὄντων (135 c) τὰ ὄντα (135 e) τῶν ὄντων (142 a) τοῦ ὄντος (142 d) τὸ ὄν (142 e) τὸ ὄν (142 e) τῶν ὄντων (144 a) τῶν ὄντων (144 b) τῶν ὄντων (144 b) τοῦ ὄντος (144 e) τοῦ ὄντος (144 e) τῶν ὄντων (146 d) τῶν ὄντων (146 e) τὰ ὄντα (149 c)τοῖς [150α] οὖσιν (150 a) τῶν ὄντων (150 b) τῶν ὄντων (162 c) τῶν ὄντων (162 d) τῶν ὄντων (163 e) τῶν ὄντων (164 b) τὸ ὄν (165 b) τοῦ εἶναι (136 b) τὸ εἶναι (142 d) τοῦ εἶναι (142 e) τὸ εἶναι (148 b) τὸ δὲ εἶναι (151 e) τοῦ εἶναι (152 a) τοῦ εἶναι (152 e) τοῦ εἶναι (154 a) τοῦ εἶναι (156 a) τοῦ εἶναι (156 e) τὸ εἶναι (160 c) τοῦ εἶναι (162 a) τὸ εἶναι (162 a) τοῦ εἶναι (162 a) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 c)

41

nest pas parmeacutenidien ne sont pas exclusifs alors que pour Socrate les deux choses

contraires sont totalement opposeacutees Cest une condition pour distinguer le vrai du

faux Dailleurs lopinion qui porte sur le non-ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) ou sur ce qui nest

pas (τὰ μὴ ὄντα) na pas dinteacuterecirct philosophique car on ne peut pas en faire une

connaissance veacuteritable Cest pourquoi en dehors du Parmeacutenide et du Sophiste ces

deux expressions ne sont pas freacutequentes voire mecircme plutocirct rares1

I212 Du Soleil au Bien

Dans la Reacutepublique Socrate compare le Bien au Soleil Cela dit si le Soleil est

neacutecessaire pour voir il existe neacutecessairement un laquo Soleil raquo intelligible pour connaicirctre

autrement rien ne serait connaissable

Socrate Quel est selon toi celui des dieux du ciel qui deacutetient le pouvoir (κύριον) de causer ce lien lui dont la lumiegravere donne agrave la vue de voir magnifquement et aux choses visibles decirctre vues

Glaucon Celui-lagrave mecircme que tu deacutesignerait dit-il comme tout le monde car cest le soleil magnifquement que tu me demandes de nommer2

Le soleil est une puissance gracircce agrave laquelle ce qui est visible peut ecirctre vu sans cette

puissance aucune chose nest visible En dautres termes nous ne posseacutedons pas cette

puissance bien au contraire nous tirons delle notre propre puissance pour voir et

ecirctre vu cest lui qui donne agrave voir et donne aux choses sensibles la puissance decirctre

vues il est pour cette raison la cause mecircme de voir et decirctre vu

Socrate Et pourtant de tous les organes relatifs aux sens je pense que lœil est celui qui ressemble le plus au Soleil

Glaucon De beaucoup

Socrate Et en outre la puissance (δύναμιν) quil possegravede ne la tire-t-il pas du Soleil comme une eacutemanation provenant de lui

Glaucon Cest absolument le cas

Socrate Et ainsi le Soleil qui nest pas la vue mais en constitue par ailleurs la cause (αἴτιος) nest-il pas vu par cette vue mecircme 3

Voir est un pouvoir que possegravede lœil cependant cest le Soleil qui lui confegravere ce

pouvoir bien que le Soleil lui-mecircme soit visible il se trouve au-delagrave de toutes les

choses visibles Cela eacutetant le soleil nest pas quelque chose dabsolu puisquil peut

ecirctre vu par la vue Certes il faut prendre des preacutecautions pour le voir afn deacuteviter

1 Reacutepublique V 479 c X 609 d Theacuteeacutetegravete 153 a 185 c Banquet 204 a 205 b Euthydegraveme 284 b 284 b Politique 284 b 286 b Theacuteeacutetegravete 152 a 160 c 167 a 188 d 188 e 189 b

2 Reacutepublique VI 508 a3 Ibid b

42

que lœil ne soit brucircleacute De mecircme pour le Bien

Socrate Mais examine avec plus dattention encore de la faccedilon que voici limage que lon peut se faire du Bien

Glaucon De quelle faccedilon

Socrate Tu admettras jimagine que le soleil apporte aux choses visibles (τοῖς ὁρωμένοις) non seulement la proprieacuteteacute decirctre vue (τὴν τοῦ ὁρᾶσθαι δύναμιν) mais aussi la geacuteneacuteration (γένεσιν) la croissance (αὔξην) et la nourriture (τροφήν) bien quil ne soit pas lui-mecircme geacuteneacuteration (οὐ γένεσιν αὐτὸν ὄντα)

Glaucon Comment le serait-il en effet

Socrate De mecircme pour les choses connues (τοῖς γιγνωσκομένοι) tu admettras donc non seulement quelles tiennent du Bien le fait decirctre connues mais aussi quelles tirent de lui leur ecirctre et leur reacutealiteacute (ἀλλὰ καὶ τὸ εἶναί τε καὶ τὴν οὐσίαν ὑπ᾽ ἐκείνου αὐτοῖς προσεῖναι) mecircme si le Bien nest pas reacutealiteacute (οὐκ οὐσίας ὄντος τοῦ ἀγαθοῦ) mais se trouve au-delagrave de la reacutealiteacute (ἀλλ᾽ ἔτι ἐπέκεινα τῆς οὐσίας) quil surpasse en digniteacute et en puissance (πρεσβείᾳ καὶ δυνάμει ὑπερέχοντος)1

Le Soleil est neacutecessaire agrave la geacuteneacuteration le Bien agrave lecirctre mecircme sil sagit dune

comparaison cest bien par cette comparaison que lon voit ici une opposition entre le

devenir (γένεσις) et la reacutealiteacute (οὐσία) et cest par cette opposition que lon distingue

entre entre la multipliciteacute (la nature du devenir) et lunique (la nature de ce qui est)

entre le visible (le Soleil mecircme est visible) et linvisible (le Bien) entre les reacutealiteacutes

sensibles (qui tirent du Soleil leur puissance) et les reacutealiteacutes intelligibles (qui tirent du

Bien leur digniteacute et leur puissance) Mais cest dans le livre VII que lon verra

clairement lopposition entre le sensible et lintelligible et cela est encore une fois

exposeacute agrave travers le Soleil voici le propos de Socrate sadresse agrave Glaucon

Par conseacutequent Glaucon nest-ce pas justement enfn ce chant (ὁ νόμος) que chante lexercice du dialogue (τὸ διαλέγεσθαι) Ce chant bien quil soit un chant intelligible (ὃν καὶ ὄντα νοητὸν) la puissance de la vue pourrait limiter La vue disons-nous entreprend de porter dabord le regard sur les ecirctres vivants en eux-mecircmes et ensuite sur les astres en eux-mecircmes et puis en dernier de regarder le soleil en lui-mecircme (αὐτὸν τὸν ἥλιον) De cette mecircme maniegravere chaque fois que quelquun entreprend par lexercice du dialogue sans le support daucune perception des sens (ἄνευ πασῶν τῶν αἰσθήσεων) mais par le moyen de la raison de tendre vers cela mecircme que chaque chose est (αὐτὸ ὃ ἔστιν ἕκαστον) et quil ne sarrecircte pas avant davoir saisi par lintellection mecircme (αὐτῇ νοήσει) ce qui est le bien lui-mecircme (αὐτὸ ὃ ἔστιν ἀγαθὸν) il parvient au terme de lintelligible (ἐπ᾽ αὐτῷ γίγνεται τῷ τοῦ νοητοῦ τέλει) comme celui de tout agrave lheure eacutetait parvenu au terme du visible2

Sur les choses sensibles le dialogue doit sinteacuteresser aux choses reacuteguliegraveres (νόμοι) qui

tiennent du Soleil leur reacutegulariteacute Sur les choses intelligibles le dialogue doit

sinteacuteresser aux choses qui sont elles tiennent du Bien leur lecirctre

1 Ibid 509 a ndash b Trad par L Brisson dans laquo Lapproche traditionnelle de Platon par HF Cherniss raquo p 86 ndash 87

2 Reacutepublique VII 532 a ndash b

43

I213 La mort la meacutemoire limmortaliteacute et la reacuteminiscence

Chaque mort est diffeacuterente il ny a jamais de mort identique Mais ny a-t-il pas

quelque chose didentique dans toutes les morts puisquil ne peut y avoir de

diffeacuterence sans le mecircme En effet en participant agrave ce qui est cela donne une

diffeacuterence en dautres termes cest la participation qui est diffeacuterente Comment la

mort est-elle une participation agrave ce qui est Voyons dabord ces quatre termes la

mort la meacutemoire limmortel et la reacuteminiscence

θάνατος θνητός μνήμη ἀθάνατος ἀθανασία ἀνάμνησις

Les dialogues de jeunesse

Apologie 25 Criton 2 Alcibiade 7 Lachegraves 1 Protagoras 4 Meacutenexegravene 1 Euthyphron 1 Gorgias 8

Hippias majeur 1

Alcibiade 1 Lachegraves 1

Meacutenexegravene 1

Gorgias 1 Meacutenon 1

Apologie 1

Gorgias 1 Meacutenon 3 Euthydegraveme 1

Meacutenon 3

Les dialogues de maturiteacuteCratyle 3 Banquet 11 Pheacutedon 43 Reacutepublique II 1 III 8 VI 2 VIII 3 IX 1 X 6 Phegravedre 5 Theacuteeacutetegravete 3

Banquet 4 Pheacutedon 2

Reacutepublique VI 2

X 2 Phegravedre 10 Theacuteeacutetegravete 3

Cratyle 1 Banquet 13 Pheacutedon 24

Reacutepublique X 5 Phegravedre 11

Pheacutedon 9

Phegravedre 1

Les dialogues de vieillesseSophiste 3 Politique 4

Timeacutee 34 Critias 7

Lois III 3 IV 2 V 3 VI 2 VIII 1 IX 25 X 10 XI 5 XII 10

Politique 2 Philegravebe 23 Timeacutee 1 Critias 1 Lois II 1 III 1 IV 1 VI 1 VII 1 VIII 1 IX 3

Politique 2 Philegravebe 1Timeacutee 7

Lois II 3

IV 5 V 1 X 1

XII 2

Philegravebe 2

Lois V 1

Ce tableau fournit beaucoup dinformations agrave interpreacuteter Nous nous inteacuteressons aux

trois points suivants 1 Que signife le fait que le terme μνήμη se concentre

44

particuliegraverement dans ces deux dialogues agrave savoir le Philegravebe et le Phegravedre 2 Il ny a

que cinq dialogues ougrave sont preacutesents les deux termes laquo limmortel raquo et laquo la

reacuteminiscence raquo agrave savoir le Phegravedre le Philegravebe le livre V des Lois et particuliegraverement le

Pheacutedon et le Meacutenon la correacutelation entre limmortaliteacute et la reacuteminiscence semble

eacutevidente 3 Seuls deux dialogues le Pheacutedon et le Phegravedre contiennent les quatre

termes

Sur le premier point la meacutemoire est associeacutee agrave la sensation et donc au monde

sensible et par conseacutequent mortelle Dans le Philegravebe la meacutemoire est deacutefnie comme

laquo sauvegarde de la sensation raquo1 mais dans le Phegravedre comme ailleurs dans le Philegravebe le

terme μνήμη signife plutocirct le souvenir2 La diffeacuterence entre la meacutemoire et le

souvenir reacuteside dans ceci la meacutemoire est la capaciteacute agrave sauvegarder des sensations

alors que le souvenir est la faculteacute qui permet de se souvenir non seulement des

sensations mais aussi et surtout des savoirs3 cest en ce sens de souvenir que la

μνήμη diffegravere de la reacuteminiscence4

Il faut en effet que lhomme arrive agrave saisir ce quon appelle laquo forme intelligible raquo (εἶδος) en allant dune pluraliteacute de sensations vers luniteacute quon embrasse au terme dun raisonnement Or il sagit lagrave dune reacuteminiscence (ἀνάμνησις) des reacutealiteacutes jadis contempleacutees par notre acircme quand elle accompagnait le dieu dans son peacuteriple quand elle regardait de haut ce que agrave preacutesent nous appelons laquo ecirctre raquo et quelle levait la tecircte pourcontempler ce qui est reacuteellement Aussi est-il juste assureacutement que seule ait des ailes la penseacutee du philosophe car les reacutealiteacutes auxquelles elle ne cesse dans la mesure de ses forces de sattacher par le souvenir (μνήμῃ) ce sont justement celles qui parce quil sy attache font quun dieu est un dieu5

La reacuteminiscence des formes intelligibles jadis contempleacutees ne vient pas si facilement

car elle est en effet une remonteacutee de la sensation jusquagrave lintellection Une remonteacutee

diffcile parce que le corps est capable de sensation mais pas dopinion quand agrave

linverse lacircme est capable dopinion mais pas de sensation Ainsi une sensation du

corps doit se transformer en une opinion pour quelle soit transmise agrave lacircme cest le

rocircle de la meacutemoire une convertisseur de sensation agrave opinion Cette transformation

risque dengendrer des erreurs car chaque sensation est individuelle et particuliegravere

En effet eacutetant donneacute que les reacutealiteacutes sensibles participent aux reacutealiteacutes intelligibles

celui-ci leur procurent les proprieacuteteacutes de stabiliteacute alors que le Soleil leur procure les

1 Philegravebe 34 a2 Voici la liste doccurrences du terme μνήμη dans les deux dialogues Phegravedre 249 c 250 a 250 c 251

d 253 a 254 b 267 a 274 e 275 a 275 a Philegravebe 19 d 20 b 21 b 21 c 21 c 21 d 27 b 33 c 33 c 33 c 33 e 34 a 34 b 34 b 35 a 35 c 35 c 35 d 38 b 39 a 60 d 60 e 64 a

3 Dans le Philegravebe il sagit des μαθήματα (34 c)4 Voir ibid 34 c cf surtout laquo Notes raquo ndeg 131 p 2655 Phegravedre 249 b ndash c

45

proprieacuteteacutes de geacuteneacuteration pour devenir De cette faccedilon une sensation veacutehicule ces

deux types de proprieacuteteacutes meacutelangeacutes en une seule impression et le fait de les

distinguer agrave partir dune sensation relegraveve de la science ce qui nest pas une tacircche

facile en tout cas pour la foule

Sur le second point en ce qui concerne le rapport entre limmortaliteacute de lacircme et la

reacuteminiscence la question est complexe Dune part la question concerne lacircme la

penseacutee lintellect qui seront examineacutes dans dautres chapitres dautre part elle

concerne au moins trois dialogues le Phegravedre le Pheacutedon et la Reacutepublique La question

sera eacuteclaircie au cours de la thegravese Ici nous donnons simplement la cleacute dentreacutee agrave

savoir la neacutecessiteacute de limmortaliteacute de lacircme

Or de la mecircme faccedilon Ceacutebegraves mon tregraves cher si tout ce qui a part agrave la vie doit mourir et si

une fois mort tout ce qui est mort conserve ce mecircme aspect sans jamais revenir agrave la vie

nest-ce pas une neacutecessiteacute absolue quagrave la fn tout soit mort et rien ne vive Car si dune

part les choses vivantes proviennent dautres choses vivantes et si dautres choses

vivantes meurent mdash quel moyen deacuteviter que tout ne soit pas agrave la fn englouti dans la

mort 1

Lacircme est neacutecessairement immortelle en tout cas une certaine fonction de lacircme est

immortelle nous en parlerons dans le chapitre suivant

Sur le troisiegraveme point est-ce un hasard que les quatre termes ne se trouvent que dans

deux dialogues agrave savoir le Phegravedre et le Pheacutedon Assurons-nous rien nest hasard chez

Platon La rheacutetorique est lobjet principal de lanalyse du Phegravedre et du Gorgias en

raison du fait que laquo lusage de la rheacutetorique ne peut jamais ecirctre neutre moralement raquo2

surtout elle exerce une infuence sur lacircme de la foule au Tribunal et agrave lAssembleacutee en

ce sens politique elle est eacutethiquement plus dangereuse que les poegravetes pour la citeacute Le

terme ῥητορική a 136 occurrences dans le corpus platonicien dont 106 dans le

Gorgias 21 dans le Phegravedre dont 19 se concentrent sur 8 pages3 sachant que le dialogue

compte 53 pages (227 a ndash 279 c)4 La diffeacuterence entre le Gorgias et le Phegravedre reacuteside dans

ceci le premier est un dialogue reacutefutatif le second dialectique cest-agrave-dire agrave la

recherche dune science veacuteritable agrave lencontre de la rheacutetorique Cest cette recherche

qui conduit agrave penser que limmortaliteacute de lacircme existe neacutecessairement sans laquelle

1 Pheacutedon 72 c ndash d2 laquo Luniteacute du Phegravedre de Platon raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 135 ndash 161 p 1383 Ils sont 260c 260c 261a 263b 263b 266c 266d 269b 269b 269b 269c 269c 269c 269d 269e 270b

271a 271d 272d4 Les 9 autres occurrences sont Cratyle 425 a Euthtdegraveme 307 a Manexegravene 235 e 236 a a Politique 304

d e Reacutepublique VIII 548 e Theacuteeacutetegravete 177 b

46

aucune science veacuteritable nest possible agrave lacircme et par conseacutequent aux ecirctres humains

puisque sa mortaliteacute la rend inaccessible aux reacutealiteacutes veacuteritables qui sont immuables

En dautres termes limmortaliteacute de lacircme est une condition de la connaissance de ce

qui est dans le Phegravedre et dans le Pheacutedon et elle vient naturellement apregraves la

reacuteminiscence qui nest pas synonyme de limmortaliteacute de lacircme laquelle est sa

condition mais elle est synonyme de la science (ἐπιστήμη) la connaissance de ce qui

est

I22 La neacutecessiteacute eacutepisteacutemologique

Une fois admise limmortaliteacute de lacircme on admet neacutecessairement lexistence dune

science qui a pour objet les choses immortelles les reacutealiteacutes intelligibles cest-agrave-dire

uniques universelles et immuables gracircce auxquelles les reacutealiteacutes sensibles trouvent

leur stabiliteacute dans un monde de devenir en permanence

I221 Limpossibiliteacute de la science parmeacutenidienne

Nous allons consacrer un chapitre agrave lἐπιστήμη Ici nous essayons de voir non pas la

science en tant que telle mais limpossibiliteacute de la science chez Parmeacutenide afn de

mieux voir la nature de la science1 Le substantif ἐπιστήμη apparaicirct 23 fois dans le

Parmeacutenide dont 18 fois agrave la seule page 134 et toutes prononceacutees par Parmeacutenide2

Pourquoi Socrate se garde-t-il de le prononcer En effet il faut distinguer ces deux

choses la reacutealiteacute et la science qui a pour objet cette reacutealiteacute Dans la premiegravere partie

du Parmeacutenide il sagit pour Socrate non pas de faire de la Forme une science ce qui

relegraveve de la dialectique3 mais de deacutecrire ce quest la Forme laquo ce qui est le mecircme en

soi et par soi raquo (αὐτὸ καθ᾽ αὐτὸ εἶδος4) ou laquo lecirctre en soi raquo (αὐτὴ ἡ οὐσία5) En effet

1 Linterpreacutetation neacuteoplatonicienne de la seconde partie du Parmeacutenide est une laquo interpreacutetation grandiose raquo (Parmeacutenide laquo Introduction raquo p 9) ce qui est contraire agrave lintention de Platon qui ridiculise Parmeacutenide de maniegravere tregraves seacuterieuse comme il ridiculise Prodicos de Ceacuteos en le citant de nombreuses fois pour ne rien dire sur lui (45 occurrences dans dix dialogues agrave savoir Apologie [1] Banquet[1 ] Charmide [1] Cratyle [1] Euthydegraveme [2] Hippias majeur [2] Meacutenon [2] Phegravedre [2] Protagoras [34] Reacutepublique X [1]) puisque 45 occurrences nous renseignent que tregraves peu sur Prodicas digne de son nom

2 Voici les six autres occurrences 142 a4 155 d6 160 d5 160 d9 164 b13 Notons que dans la premiegravere partie du Parmeacutenide Socrate nest le meneur de jeu que dans un tregraves

court instant entre 127 d 5 et 130 a agrave partir du 130 b il joue le rocircle de reacutepondant4 Parmeacutenide 128 ndash e 129 a5 Pheacutedon 78 d Unique apparition dans le corpus platonicien En dautres termes αὐτὴ ἡ οὐσία et ἡ οὐσία sont synonymes Voici la liste doccurrences de ce substantif employeacute avec larticle Dialogues de jeunesse Criton 44e 53b Hippias majeur 301b 301e 302c Euthyphron 11a Gorgias472b 486c Charmide 168d Dialogues de maturiteacute Cratyle 385e 386a 388c 393d 401c 401c 423e 424b 424b 431d 436e Banquet 218c Pheacutedon 65d 77a 78d 92d Reacutepublique II 372b 374a VI 485b 509b 509b VII 524e 525b 534b VIII 553b 565a 566a IX 573e 591e Phegravedre 237c 270e Parmeacutenide 133c 142b 143b 143b 143b 143b 143b 143c 143c 144b 144c 144c 144c 144d 144d 144e 149e Theacuteeacutetegravete 160b 186a 186a 186b 207c Dialogues de vieillesse Sophiste 246a 246c 248a 248d 248e

47

une science est possible si son objet a une certaine universaliteacute immuabiliteacute et

identiteacute Autrement dit il doit ecirctre neacutecessairement toujours et partout le mecircme Sans

cela cette science ne peut ecirctre une connaissance veacuteritable Prenons un exemple

C=2πR

La formule permet de calculer la circonfeacuterence dun cercle elle renvoie

neacutecessairement et toujours non seulement agrave la mecircme chose universellement et

immuablement valable mais aussi et surtout agrave cette chose qui est une reacutealiteacute unique

Supposons quelle renvoie agrave deux choses diffeacuterentes ou mecircme opposeacutees dans ces

conditions la mecircme formule matheacutematique ne permet pas de produire la mecircme

chose identique Une telle connaissance na plus le statut de la science puisquelle ne

permet pas de savoir agrave quelle reacutealiteacute unique on doit participer En effet plusieurs

formules matheacutematiques peuvent renvoyer identiquement agrave la mecircme reacutealiteacute unique

Cest une question de repreacutesentation on peut toujours repreacutesenter une reacutealiteacute unique

de faccedilon diffeacuterente mais en aucun cas une eacutequation matheacutematique ne permet de

renvoyer agrave plusieurs reacutealiteacutes cest une question de science ce qui est ne peut ecirctre

que la reacutealiteacute ontologique cest-agrave-dire universelle immuable et unique agrave laquelle

participent des reacutealiteacutes sensibles

Le problegraveme de Parmeacutenide reacuteside dans le fait que lecirctre tel quil le propose dans la

seconde partie du Parmeacutenide nest pas une reacutealiteacute ontologique Par exemple

τό τε γὰρ ἓν τὸ ὂν ἀεὶ ἴσχει καὶ τὸ ὂν τὸ ἕν ὥστε ἀνάγκη δύ᾽ ἀεὶ γιγνόμενον μηδέποτε ἓν εἶναι

Lun en effet possegravede toujours lecirctre et lecirctre lun de sorte que neacutecessairement comme il devient toujours deux il nest jamais un (142 e ndash 143 a)

Bien que Parmeacutenide emploie six fois lun en soi1 son un nest pas une reacutealiteacute unique

ni lecirctre (τὸ ὄν) non plus En effet dans le cas ougrave lun est une reacutealiteacute unique lecirctre

eacutegalement les deux mots sont synonymes et non recouvrant deux reacutealiteacutes

diffeacuterentes encore moins lun possegravede lautre en revanche dans le cas ougrave lun

posseacutedant lautre ils sont tous les deux multiples par conseacutequent ils ne sont ni lun

ni lautre une reacutealiteacute unique mais neacutecessairement changeants et non immuables Le

passage suivant montre que lerreur nest pas possible

250b 251d 261e Politique 292a Philegravebe 54a 54a Timeacutee 35b 35b Lois II 668c III 684d 697b IV 717c724a V 736e 737b 741b 744c VI 775a VIII 850a IX 877c X 895d 895d XI 918c 923a 923b XII 955d Trois remarques 1 Le terme est tregraves peu freacutequent dans les premiers dialogues 2 Il est en forte concentration dans les trois dialogues la Reacutepublique le Parmeacutenide et les Lois 3 Dans leParmeacutenide le terme se concentre presque exclusivement dans deux pages agrave savoir les pages 143 et 144

1 Ils sont αὐτὸ τὸ ἕν (143 a) αὐτὸ τὸ ἓν (144 e) αὐτοῦ τοῦ ἑνὸς (153 c) αὐτὸ τὸ ἓν (153 d) αὐτὸ τὸ ἕν (153 e) αὐτῷ τῷ ἑνὶ (158 a) En dehors du Parmeacutenide on trouve deux autres occurrences dans le livre VII de la Reacutepublique αὐτὸ τὸ ἕν (524 e) αὐτὸ τὸ ἓν (525 d ndash 525 e)

48

Παρμενίδης

ἔστιν ἄρα ὡς ἔοικε τὸ ἓν οὐκ ὄν εἰ γὰρ μὴ ἔσται μὴ ὄν ἀλλά πῃ τοῦ εἶναι ἀνήσει πρὸς τὸ μὴ εἶναι εὐθὺς ἔσται ὄν

Ἀριστοτέληςπαντάπασι μὲν οὖν

Παρμενίδηςδεῖ ἄρα αὐτὸ δεσμὸν ἔχειν τοῦ μὴ εἶναι τὸ εἶναι μὴ ὄν εἰ μέλλει μὴ εἶναι ὁμοίως ὥσπερ τὸ ὂν τὸ μὴ ὂν ἔχειν μὴ εἶναι ἵνα τελέως αὖ εἶναι ᾖ οὕτως γὰρ ἂν τό τε ὂνμάλιστ᾽ ἂν εἴη καὶ τὸ μὴ ὂν οὐκ ἂν εἴη μετέχοντα τὸ μὲν ὂν οὐσίας τοῦ εἶναι ὄν μὴ οὐσίας δὲ τοῦ μὴ εἶναι μὴ ὄν εἰ μέλλει τελέως εἶναι τὸ δὲ μὴ ὂν μὴ οὐσίας μὲν τοῦ μὴ εἶναι μὴ ὄν οὐσίας δὲ τοῦ εἶναι μὴ ὄν εἰ καὶ τὸ μὴ ὂν αὖ τελέως μὴ ἔσται

Ἀριστοτέληςἀληθέστατα

Παρμενίδηςοὐκοῦν ἐπείπερ τῷ τε ὄντι τοῦ μὴ εἶναι καὶ τῷ μὴ ὄντι τοῦ εἶναι μέτεστι καὶ τῷ ἑνί ἐπειδὴ οὐκ ἔστι τοῦ εἶναι ἀνάγκη μετεῖναι εἰς τὸ μὴ εἶναι1

Parmeacutenide

Il sensuit semble-t-il quil laquo est raquo cet un mecircme sil nest pas supposons en effet quil ne soit pas un laquo non eacutetant raquo mais quil lui arrive dune faccedilon ou dune autre de quitter lecirctre pour aller vers le non-ecirctre il sera sur-le-champ un laquo eacutetant raquo

Jeune AristoteCest tout agrave fait exact

ParmeacutenidePar voie de conseacutequence il lui faut comme lien avec le non-ecirctre preacutesenter la proprieacuteteacute decirctre un laquo non-eacutetant raquo sil doit necirctre pas de mecircme ce qui nest pas devra preacutesenter la proprieacuteteacute de necirctre pas agrave la faccedilon dun laquo non eacutetant raquo si au contraire il veut pleinement ecirctre Voilagrave de quelle faccedilon en effetce qui est pourra eacuteminemment ecirctre et ce qui nest pas pourra eacuteminemment ne pas ecirctre ce qui est en participant soit agrave lecirctre du fait decirctre un laquo eacutetant raquo soit au non-ecirctre du fait un laquo non eacutetant raquo sil doit pleinement ecirctre ce qui nest pas en participant soit au non-ecirctre du fait de ne pas ecirctre un laquo non eacutetant raquo soit agrave lecirctre du fait decirctre quelque chose qui nest pas si ce qui nest pas doit agrave son tour ne pas ecirctre pleinement

Jeune AristoteCest on ne peut plus vrai

ParmeacutenideDans ces conditions puisque ce qui est participe au non-ecirctre et que ce qui nest pas participe agrave lecirctre cet un de mecircme du fait quil nest pas participera agrave lecirctre pour arriver agrave ne pas ecirctre

La science nest pas possible lagrave ougrave son contraire cest-agrave-dire lerreur nest pas

possible 1 Il est eacutevident que ce qui est (τὸ ὄν) nest pas une reacutealiteacute unique et

immuable puisquil participe agrave lecirctre et au non-ecirctre comme sil eacutetait en mouvement

en devenir une reacutealiteacute sensible dailleurs ce qui est et ce qui nest pas ne sont pas

contraires comme larbre et le non-arbre par exemple de telle sorte que mecircme si

Parmeacutenide dit ce qui nest pas il dit quelque chose de vrai et non de faux 2 De

mecircme pour le non-ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) qui nest pas ce qui nexiste pas puisque selon

Parmeacutenide laquo ce qui est participe au non-ecirctre raquo cela eacutetant le non-ecirctre est

neacutecessairement quelque chose qui est dans ces conditions comme ce qui est et ce qui

nest pas lecirctre et le non-ecirctre ne sont pas contraires le contraire se voit uniquement

1 Parmeacutenide 162 a ndash b

49

en mots ou en apparence (τὸ ὄν τὸ μὴ ὄν τὸ εἶναι τὸ μὴ εἶναι) et non en reacutealiteacute

encore moins en reacutealiteacute veacuteritable Alors que la science doit porter sur ce qui est

reacuteellement et non sur lapparence elle (ἐπιστήμη) consiste agrave laquo rechercher la

deacutefnition qui rendra le nom adeacutequat agrave la reacutealiteacute veacuteritable de la chose quil deacutesigne

ou inversement se demander sil sagit bien du nom qui convient agrave la deacutefnition que

lon donne de la chose raquo1

I222 La neacutecessiteacute de ce qui est

La deacutefnition la plus eacuteclatante de la science se trouve sans doute dans le livre V de la

Reacutepublique sous ces termes laquo Or le savoir (ἐπιστήμη) se rattache par nature agrave ce qui

est (τῷ ὄντι) dans le but de connaicirctre (γνῶναι) de quelle maniegravere est ce qui est (τὸ

ὄν)raquo2 1 La science nest pas quelque chose dautonome cest-agrave-dire le fait decirctre en

soi et par soi elle se rattache agrave son objet 2 Ce sont les reacutealiteacutes intelligibles elles sont

toujours preacutesentes dans notre monde agrave nous et elles ne deacutependent pas de nous mais

nous delles puisquelles sont la cause mecircme de notre existence 3 Nous ne savons

pas comment laquo ce qui est raquo est preacutesent en nous 4 Toute la question est de savoir ce

quest le γνῶναι

Ce passage du livre V de la Reacutepublique envoie en effet agrave la fn du Meacutenon elle consiste

agrave deacutefnir ce quest le fait de connaicirctre

Socrate Or si on suit ce raisonnement Meacutenon il nous apparaicirct que cest par une faveur divine que la vertu est preacutesente chez ceux ougrave elle se trouve Cependant nous le connaicirctrons avec plus grande clarteacute lorsque avant de chercher de quelle faccedilon la vertu se trouve en lhomme nous essaierons de rechercher ce quest la vertu elle-mecircme prise comme telle(πρότερον ἐπιχειρήσωμεν αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ ζητεῖν τί ποτ᾽ ἔστιν ἀρετή)3

Dans cette derniegravere phrase il faudrait lire laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ ζητεῖν raquo comme un

syntagme qui eacutequivaut agrave llaquo αὐτὸ τὸ ζητεῖν raquo Si on associe laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ raquo au

laquo τί ἐστιν ἀρετή raquo (laquo ce quest la vertu raquo) cela est redondant puisque laquo ce quest la

vertu raquo synonyme de laquo la vertu elle-mecircme en tant que telle raquo car si lon pose la

question quest-ce que la vertu La bonne reacuteponse est neacutecessairement de dire la

chose qui concerne uniquement laquo la vertu elle-mecircme en elle-mecircme raquo Il est ainsi

inutile dajouter laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ ζητεῖν raquo par dessus Dailleurs le sujet du Meacutenon

ne consiste pas agrave savoir ce quest la vertu mais de quelle faccedilon on la trouve cest-agrave-

1 Platon Paris Cerf 2017 p 1132 Reacutepublique V 477 b3 Meacutenon 100 b A Croiset traduit la derniegravere phrase par laquo nous commenccedilons par chercher ce quest la

vertu en soi raquo

50

dire de quelle faccedilon elle se trouve en nous Cette faccedilon a pour nom la reacuteminiscence

cest-agrave-dire laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ ζητεῖν raquo ou laquo αὐτὸ τὸ ζητεῖν raquo le fait de chercher lui-

mecircme Autrement dit connaicirctre nest autre chose que la reacuteminiscence le fait de

chercher et le fait dapprendre En effet si les choses agrave connaicirctre changent sans cesse

il y a rien agrave connaicirctre puisquelles sont deacutepourvues de stabiliteacute En revanche si les

choses changent de maniegravere reacuteguliegravere comme par exemple les feuilles de certains

arbres tombant en automne cela suppose que le changement reacutegulier sopegravere autour

de quelque chose qui ne change pas et qui reacutegule le changement peacuteriodique Ainsi

connaicirctre est chercher agrave connaicirctre ce qui est cest-agrave-dire luniversaliteacute et limmuabiliteacute

des choses qui assure la stabiliteacute des reacutealiteacutes sensibles

I23 La neacutecessiteacute eacutethique

Le terme ἠθικός dont parle Diogegravene Laeumlrce dans le chapitre III1 consacreacutee agrave Platon

nexiste pas dans le corpus platonicien Platon emploie le terme ἦθος qui est

paradoxalement absent ou presque dans les premiers dialogues et presque

exclusivement concentreacute dans les Lois et la Reacutepublique2 Lἦθος signife la disposition

de lacircme

Socrate Mais le mode propre agrave la maniegravere de sexprimer repris-je et le discours lui-mecircme ne deacutependent-ils pas du caractegravere du lacircme (οὐ τῷ τῆς ψυχῆς ἤθει ἕπεται)

Glaucon Neacutecessairement

Socrate Et tout le reste ne deacutepend-il pas de la maniegravere de sexprimer

Glaucon Si

Socrate Ainsi lexcellence du discours et de lharmonie la gracircce du geste et du rythme deacutecoulent de lexcellence du caractegravere non de ce que nous deacutesignons ainsi par eupheacutemisme et qui nest quabsence de reacutefexion mais au contraire de cette reacutefexion authentique dun caractegravere ougrave sallient le bien et le beau (ἀλλὰ τὴν ὡς ἀληθῶς εὖ τε καὶ καλῶς τὸ ἦθοςκατεσκευασμένην διάνοιαν)3

Le bon caractegravere de lacircme est la source du plus beau discours mais pour ecirctre bon il

1 Voir Diogegravene Laeumlrce III 49 50 56 58 ndash 61 Dailleurs y est absent le substantif ἠθική qui deacutesigne leacutethique dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie dAndreacute Lalande

2 Gorgias [2] 484 d 513 c Lysis [1] 222 a Cratyle [2] 406 a 407 b Banquet [4] 183 e 195 e 195 e 207 e Pheacutedon [1] 81 e Reacutepublique II [2] 375 c 375 e III [7] 400 d 400 e 401 a 401 b 402 d 409 a 409 d IV [2] 424 d 435 e VI [8] 490 c 492 e 496 b 497 b 500 d 501 a 501 c 503 c VII [2] 535 b 541a VIII [7] 544 e 545 b 548 d 549 a 557 c 558 d 561 e IX [3] 571 c 572 d 577 a X [2] 604 e 605 a Phegravedre [3] 243 c 277 a 279 a Politique [7] 308 e 309 b 310 a 310 c 310 e 311 a 311 b Timeacutee [1] 42 e Critias [1] 121 b Lois I [3] 625 a 636 d 650 a II [7] 655 d 656 b 659 c 664 d 666 c 669 c 670e III [2] 679 b 695 e IV [6] 704 d 705 a 705 b 708 c 711 b 718 b V [2] 735 c 741 e VI [7] 751 c 770 d 773 c 773 c 775 d 776 a 777 d VII [8] 788 b 790 a 790 b 791 d 792 e 793 e 797 c 798 d VIII [3] 832 b 836 d 837 c IX [4] 855 a 859 d 862 b 865 e X [7] 896 c 901 a 903 d 904 c 907 c 908 b 908 e XI [7] 919 c 922 b 924 d 928 e 929 c 930 a 930 a XII [4] 949 e 963 e 967 e 968 d

3 Reacutepublique III 400 d ndash e

51

est neacutecessaire quil existe ce qui est bon en soi et par soi comme paradigme de toutes

les belles choses qui sont bonnes sans ce critegravere du bon universellement et

immuablement valable il est impossible de distinguer ce qui est bon de ce qui est

mauvais

I231 Limpossibiliteacute de la participation parmeacutenidienne

Parmeacutenide ne conteste pas lexistence et la nature des Formes telles que Socrate les

deacutecrit dans la premiegravere partie du Parmeacutenide (128 e ndash 130 d) Ce qui lui pose problegraveme

cest la participation (μετέχειν μεταλαμβάνειν) qui fait le sujet de la discussion

dans la partie comprise entre 130 e ndash 132 d Notons que par la suite entre 132 e ndash 136

d Socrate reacutepond tregraves briegravevement1 comme si ceacutetait par respect pour Parmeacutenide quil

reacutepond et non pas par la neacutecessiteacute du dialogue dailleurs il se garde dinterroger

Parmeacutenide comme sil navait aucune question agrave lui poser

La participation aux Formes est consideacutereacutee comme un enveloppement pour

Parmeacutenide il y a cependant deux sortes denveloppement soit la Forme qui

enveloppe les choses soit ce sont elles qui enveloppent la Forme Mais pour Socrate

la participation na rien agrave voir avec lenveloppement2

Socrate Non point si du moins reacutepliqua Socrate cest agrave la maniegravere du jour qui restant un et identique se trouve en plusieurs endroits en mecircme temps et nen est pour si peu distinctde lui-mecircme Et si ceacutetait ainsi que chacune des Formes se trouve en mecircme temps une et identique en toutes choses

Parmeacutenide Jolie faccedilon Socrate reprit-il de faire que la Forme se trouve une et identique en mecircme temps en plusieurs endroits Cest comme si tu eacutetendais un voile sur plusieurs ecirctres humains et que tu disais laquo Le voile reste un en sa totaliteacute lorsquil est eacutetendu sur plusieurs choses raquo Nest-ce pas dune preacutesence de ce genre que tu veux parler 3

La lumiegravere du Soleil donne le jour ainsi sans le Soleil il ny a pas de jour Gracircce au

jour nous voyons et les choses sensibles peuvent ecirctre vues Agrave vrai dire le jour nest

pas une chose concregravete en tout cas moins concregravete que le Soleil puisquil est agrave la fois

partout et nulle part il donne agrave voir sans que lui-mecircme ne se voie alors que le Soleil

se voit quand mecircme Surtout le jour traverse la totaliteacute du ciel il est partout le mecircme

1 Une seule exception laquo Il me semble en effet reacutepliqua Socrate que du cocircteacute du sensible il ny a aucune diffculteacute agrave montrer que les objets sont aussi bien semblables et dissemblables et quils sontaffecteacutes de toute autre espegravece de contrarieacuteteacute raquo(135 e 5ndash7)

2 Voici un exemple pour mieux comprendre le problegraveme la circonfeacuterence est deacutefnie comme le nombre de π multiplieacute par le diamegravetre Cela eacutetant quels que soient les cercles petits ou grands ilspossegravedent tous le nombre π ainsi on pourrait dire que ce sont les cercles qui enveloppent le π mais on peut dire eacutegalement que cest le π qui enveloppe les cercles particuliers puisque cest en reacutealiteacute le π qui deacutefnit le cercle et non linverse du moins le π existe en dehors du cercle alors que sans le π on ne peut pas calculer le cercle

3 Parmeacutenide 131 b ndash c

52

il est la digniteacute et la puissance mecircmes du Soleil1 lesquelles procurent aux choses

sensibles leurs proprieacuteteacutes et leur nourriture et nul ne peut posseacuteder le jour Alors

que en tout point de vue le voile est le contraire du jour 1 le voile est un produit

humain le jour divin 2 le voile peut ecirctre deacutecoupeacute posseacutedeacute et deacutetruit tandis que le

jour ne peut ecirctre ni deacutecoupeacute ni posseacutedeacute ni deacutetruit 3 le voile reccediloit la proprieacuteteacute

decirctre vu le jour en donne la puissance 4 le voile est inanimeacute le jour animeacute 5 le

voile est une partie de la totaliteacute du sensible le jour domine cette totaliteacute sans en faire

partie comme lacircme qui commande au corps sans en faire partie 6 le voile est

divisible le jour indivisible 7 le voile est une matiegravere sombre le jour brille Sans

doute pourrons-nous lister encore quelques autres oppositions entre le voile et le

jour On voit bien que la diffeacuterence fondamentale entre Socrate et Parmeacutenide agrave

propos de la participation se fonde sur les deux points suivants Dune part pour

Socrate participer agrave une reacutealiteacute cest recevoir delle une puissance pour ecirctre digne

cela suppose que le bien de cette reacutealiteacute rayonne Cela suppose aussi que ce agrave quoi

une chose participe et cette chose ne se trouvent pas au mecircme niveau de reacutealiteacute

alors que pour Parmeacutenide elles sont au mecircme niveau sensible dougrave la neacutecessiteacute de

posseacuteder denvelopper pour participer Dautre part pour Socrate le tout (τὸ ὅλον)

ontologique est inseacutecable donc son rapport agrave la totaliteacute des parties du monde

sensible est un rapport de domination comme lacircme domine le corps dans le

Charminde (156 e) ou lacircme du monde domine lunivers dans le Timeacutee2 ou mecircme dans

certains cas le corps domine lacircme par des plaisirs et des deacutesirs immodeacutereacutes Notons

que ce rapport nest pas un rapport dappartenance puisque lacircme et le corps sont

deux reacutealiteacutes contraires or il ne peut y avoir une appartenance entre deux reacutealiteacutes

contraires Agrave linverse pour Parmeacutenide la participation relegraveve dun rapport

dappartenance par ailleurs Parmeacutenide ne distingue pas le tout ontologique (τὸ

ὅλον) qui est inseacutecable de la totaliteacute sensible (τὸ τᾶν) qui est composeacutee des parties3

1 Notons que la nuit et les nuages sont des pheacutenomegravenes terrestres car au-delagrave luit toujours le mecircme jour

2 Les occurrences du terme dans le Parmeacutenide ὅλον (128 a) ὅλου (131 a) ὅλον (131 a) ὅλον (131 b) ὅλον (131 b) ὅλον (131 c) ὅλον (131 c) ὅλα (131 e) ὅλον (137 c) ὅλου (137 c) ὅλον (137 c) ὅλον (137 c) ὅλον (137 c) ὅλον (137 d) ὅλον (138 b) ὅλον (138 e) ὅλον (138 e) ὅλον (138 e) ὅλον (142 d) ὅλου (142 d) ὅλου (142 d) ὅλον (142 d) ὅλον (144 d) ὅλον (144 d) ὅλου (144 e) ὅλον (144 e)ὅλου (144 e) ὅλον (145 a) ὅλον (145 a) ὅλον (145 a) ὅλον (145 a) ὅλῳ (145 b) ὅλου (145 b) ὅλου (145 c) ὅλον (145 c) ὅλῳ (145 c) ὅλον (145 c) ὅλου (145 c) ὅλον (145 c) ὅλον (145 d) ὅλον (145 d) ὅλον (145 d) ὅλον (145 e) ὅλον (145 e) ὅλον (146 b) ὅλον (146 b) ὅλον (146 c) ὅλον (147 b) ὅλα(147 b) ὅλα (147 b) ὅλῳ (148 d) ὅλῳ (150 a) ὅλῳ (150 a) ὅλου (150 a) ὅλῳ (150 b) ὅλον (150 b) ὅλῳ (150 b) ὅλου (153 c) ὅλον (153 c) ὅλον (153 e) ὅλον (157 c) ὅλον (157 c) ὅλου (157 c) ὅλον (157 e) ὅλου (157 e) ὅλον (157 e) ὅλῳ (158 a) ὅλον (158 a) ὅλου (158 a) ὅλου (158 b) ὅλου (158 b) ὅλον (158 d) ὅλον (158 d) ὅλα (158 d) ὅλον (159 c) ὅλον (159 d) ὅλου (159 d) ὅλον (159 d)

3 Voici les occurrences du terme au masculin et neutre dans le Parmeacutenide πάντα (127 e) πᾶν (128 b)

53

I232 La neacutecessiteacute eacutethique de lontologie

Le terme laquo πλεονεξία raquo cest-agrave-dire deacutesirer davoir toujours plus que ce que lon

doit est plutocirct rare dans le corpus platonicien1 Dans le but dexpliquer ce terme

Glaucon fait appel au mythe de Gygegraves (359 d ndash 360 b) pour montrer combien

linjustice peut paraicirctre irreacutesistible Le mythe peut ecirctre reacutesumeacute en quatre eacutevegravenements

1 un tremblement de terre 2 le berger Gygegraves pille un anneau dor de la main dun

cadavre de geacuteant 3 la deacutecouverte de la magie de lanneau qui peut rendre Gygegraves

visible ou invisible en tournant le chaton de lanneau agrave linteacuterieur ou agrave lexteacuterieur de

sa paume 4avec ce pouvoir magique le berger tue le roi de Lydie sempare du

trocircne et de la reine2 Apregraves le reacutecit du mythe Glaucon donne un commentaire en ces

termes

Supposons agrave preacutesent quil existe deux anneaux de ce genre lun au doigt du juste lautre

au doigt de linjuste il ny aurait personne semble-t-il dassez reacutesistant pour se

maintenir dans la justice et avoir la force de ne pas attenter aux biens dautrui et ne pas y

toucher alors quil aurait le pouvoir de prendre impuneacutement au marcheacute ce dont il aurait

envie de peacuteneacutetrer dans les maisons pour sunir agrave qui lui plairait et de tuer les uns libeacuterer

les autres de leurs chaicircnes selon son greacute et daccomplir ainsi dans la socieacuteteacute humaine tout

ce quil voudrait agrave leacutegal dun dieu3

Deux questions se posent pourquoi est-il injuste dattenter aux biens dautrui

pourquoi le fait-on quand-mecircme en toute connaissance de cause En effet dans le

livre I de la Reacutepublique Socrate parle de la fonction propre (ἔργον) du cheval (352 e)

de la serpette (353 a) des yeux (353 b) et agrave chaque fonction propre est associeacutee une

excellence propre (ἀρετή) laquo cest gracircce agrave son excellence propre que ce qui est doteacute

dune fonction propre accomplit bien ses œuvres (τὰ ἐργαζόμενα) raquo (353 c) Cela

πάντα (129 a) πάντες (129 d) πάντα (129 e) πάντα (130 b) πάντων (130 b) πάντων (130 c) πάντων (130 d) πᾶσιν (131 b) πάντα (132 a) πάντα (132 a) πάντα (132 a) πᾶσιν (132 b) πάντα (132 b) πᾶσιν (132 c) πᾶσιν (132 c) πάντα (132 c) πάντα (134 c) πάντα (134 c) πάντα (135 b) πάντα (135 b) πάντων (136 e) πάντα (143 d) πᾶς (144 a) πάντα (144 b) πάντων (144 b) πάντα (144 e) πάντα (145 b) πάντα (145 c) πάντα (145 c) πάντα (145 c) πάντα (145 c) πάντα (145 c) πᾶσιν (145 c) πᾶσιν (145 d) πᾶσιν (145 d) πάντα (145 e) πᾶν (146 b) πᾶν (148 e) πᾶς (149 b) πάντα (149 d) παντὶ (150 b) πᾶν (152 c) παντὸς (152 e) πάντων (153 b) πάντα (153 b) πάντων (153 c) πάντα (153 c) πάντα (153 c) πᾶσιν (153 e) πάντα (155 c) πάντα (155 d) πάντων (157 d) πάντων (157 d) πάντων (157 d) πάντα (158 e) πάντα (159 a) πάντα (159 c) πάντα (159 c) πάντα (160 b) πᾶν (160 b) πᾶν (160 c) πάντων (160 e) πᾶν (162 b) πᾶν (165 b) πάντα (165 c) πάντα (165 d) πάντα (166 c) mais il ny a que trois occurrences au feacuteminin πᾶσαν (139 a) πασῶν(149 b) πάσας (165 d)

1 Le mot laquo πλεονεξία raquo napparaicirct que sept fois dans le corpus platonicien le Banquet 182 d 188 b le Critias 121 b le Gorgias 508 a la Reacutepublique II 359 c IX 586 b le Timeacutee 82 a

2 Selon Heacuterodote le roi Candaule enivreacute de la beauteacute corporelle de sa femme Nyssla se proposa agrave Gygegraves fls dun de ses gardes de sintroduire dans la chambre royale pour admirer la beauteacute du corps nu de Nyssla agrave son insu (Cf Heacuterodote Histoires Paris Charpentier Libraire-Eacutediteur 1850 Tome premier VIII ndash XIII p 25 ndash 28 Trad du grec par Lacher)

3 Reacutepublique II 360 b ndash c

54

semble montrer que le principe de base decirctre juste est simple se concentrer sur la

reacutealisation de lexcellence de sa fonction Ainsi le fait de piller un bien qui

nappartient pas au berger ne relegraveve pas de la fonction du berger encore moins

lorsquil sagit de tuer le roi et de semparer du trocircne et de la reine Mais

geacuteneacuteralement la fonction propre ne sufft pas pour que lacircme sarrecircte devant les

meacutefaits dont on a souvent conscience cest-agrave-dire en toute connaissance de cause

cela nest pas contradictoire avec le paradoxe socratique laquo personne ne fait le mal

volontairement raquo cest-agrave-dire en toute connaissance de cause En effet il y a deux

faccedilons davoir la connaissance de cause gracircce aux mœurs ou agrave la science 1 Les

mœurs sont une forme de connaissance imposeacutee culturellement dans une

communauteacute elles permettent aux individus deacutevaluer leurs conduites mais une

telle connaissance collective peut heurter contre la volonteacute ou lopinion individuelle

Cest le cas de Gygegraves qui sait bien que ce quil voulait faire est blacircmeacute par les mœurs

cest la raison pour laquelle il se garde de montrer aux autres la magie de son anneau

dor Comme dit Thrasymaque laquo Ce nest pas en effet par crainte de commettre des

actes injustes mais au contraire par crainte de les subir que ceux qui blacircment

linjustice semploient agrave le faire raquo1 En dautres termes par le plaisir on commet

linjustice et par la crainte on la commet discregravetement or ni le plaisir ni la crainte ne

sont science en ce sens personne ne commet linjustice en toute connaissance de

cause 2 Seule la science de ce qui est permet de guider les actions justes en toute

connaissance de cause en effet les actions justes relegravevent de causes justes cest-agrave-

dire de reacutealiteacutes veacuteritables qui sont universelles et immuables Ainsi le fait de ne pas

connaicirctre ces reacutealiteacutes eacutequivaut agrave ne pas connaicirctre les causes des actions justes laquo Si

quelquun connaicirct ce qui est bon et ce qui est mauvais est-ce que rien ne peut le

dominer et lui faire faire des choses diffeacuterentes de celles que la science (ἐπιστήμη) lui

prescrit Est-ce que lintelligence peut constituer un secours suffsant pour

lhomme raquo2 Ce qui est toujours bon ce sont les reacutealiteacutes veacuteritables cest-agrave-dire les

Formes en ce sens quil ne peut y avoir une Forme du Mal

I3 Quest-ce que la Forme

Platon est synonyme de la forme intelligible ou de la Forme puisque cest dans les

dialogues platoniciens que lon trouve cette notion pour la premiegravere fois de la

maniegravere explicite dans lhistoire de la penseacutee occidentale Certes ceci ressemble agrave une

1 Ibid I 344 c2 Protagoras 352 c

55

eacutenigme dune part laquo labsence de deacutefnition de ce que cest quune Forme et

labsence de toute explication de la participation des choses sensibles aux Formes raquo1

dautre part la caracteacuteristique des formes intelligibles reste la mecircme dans la premiegravere

partie du Parmeacutenide du Pheacutedon du Phegravedre de la Reacutepublique et du Philegravebe laquo ce qui est

purement et simplement ecirctre raquo2 laquo ce qui est simplement ecirctre en soi et par soi raquo3 laquo ce

qui est totalement ecirctre raquo4 laquo ce qui est toujours en soi et par soi raquo5 laquo lecirctre en soi raquo6 laquo la

reacutealiteacute en soi raquo7 laquo ce qui est veacuteritablement ce qui est raquo8 laquo lecirctre qui est reacuteellement raquo9

laquo ce qui est reacuteellement raquo10 laquo sans couleur sans fgure intangible raquo11 En un mot la

Forme se caracteacuterise 1 par la nature de son identiteacute immuable elle est unique et

toujours la mecircme en soi et par soi 2 par la nature de son uniteacute universelle dune

part elle est sans meacutelange inseacutecable une uniteacute pure dautre part elle est luniteacute de

toutes les choses sensibles puisque celles-ci y participent 3 par la nature de son

intelligibiliteacute elle est invisible et intangible

I31 Intelligible

Plusieurs termes peuvent renvoyer agrave lintelligible lecirctre (τὸ εἶναι) chaque chose qui

est (ἕκαστον ὃ ἔστιν) la reacutealiteacute (ἡ οὐσία) et ce qui est (τὸ ὄν) Mais y a-t-il une

diffeacuterence entre laquo αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo12 et laquo ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo laquo αὐτὴ ἡ

οὐσία raquo13 et laquo ἡ οὐσία raquo laquo αὐτὸ τὸ ὂν raquo14 et laquo τὸ ὄν raquo Nous verrons que la reacuteponse

nest pas si eacutevidente car elle est parfois oui parfois non tout deacutepend de ce que lon

entend par lexpression Par exemple que signife τὸ εἶναι exister ou ce qui est

I311 Question de lexpression de la Forme

Lexpression laquo αὐτὸ τὸ x raquo ou laquo αὐτὸ καθ αὑτὸ x raquo devient fnalement la marque de

la Forme dans la mesure ougrave x deacutesigne une notion intelligible le beau le bien le juste

par exemple 1 Il faut faire la distinction entre laquo αὐτὸ τὸ x raquo et x Prenons un

1 Platon Paris Cerf 2017 p 1462 Reacutepublique V τοῦ εἰλικρινῶς ὄντος (477 a) τοῦ εἰλικρινῶς ὄντος (478 d)3 Pheacutedon 78 d μονοειδὲς ὂν αὐτὸ καθ᾽ αὑτό4 Reacutepublique V τὸ παντελῶς ὄν (477 a) Sophiste τὰ τάντζσ ὄντα(240 e) τῷ παντελῶς ὄντι (248 e)5 Philegravebe τὰ ἀεὶ κατὰ τὰ αὐτὰ ὡσαύτως (59 c) Pheacutedon ἐκεῖνα ἀεὶ κατὰ ταὐτὰ ὡσαύτω (79 d)6 Reacutepublique VII αὐτὸ τὸ ὂν (537 d)7 Pheacutedon αὐτὴ ἡ οὐσία8 Phegravedre τῷ ὅ ἐστιν ὂν ὄντως (247 e)9 Ibid ἡ οὐσία ὄντως οὖσα (247 c)10 Philegravebe τὸ ὂν ὄντως (59 d) Phegravedre τὰ ὄντα ὄντως (247 e) τὸ ὂν ὄντως (249 c) Reacutepublique VI τῷὄντι ὄντως (490 b) Timeacutee τῷ δὲ ὄντως ὄντι (52 c)

11 Phegravedre 247 c12 Pheacutedon 78 d Reacutepublique VII αὐτοῦ γε ἑκάστου πέρι ὃ ἔστιν (533 b)13 Ibid14 Sophiste αὐτοῦ τοῦ ὄντος οὐσία ἐστίν (258b) Reacutepublique VII αὐτὸ τὸ ὂν (537 d)

56

exemple plus concret pour commencer Si x deacutesigne la fgure x est une classe qui

repreacutesente toutes les fgures particuliegraveres en dautres termes x est un nom qui

deacutesigne les choses du mecircme genre ainsi en prononccedilant ce nom on pense agrave des

choses que ce nom deacutesigne Mais si on demande ce quest la fgure la reacuteponse est

une deacutefnition de la fgure par exemple laquo la fgure est la limite du solide raquo1 En disant

cela on porte lattention non pas sur les choses que sont les fgures particuliegraveres mais

sur la fgure en tant que telle cest-agrave-dire la fgure elle-mecircme agrave savoir laquo αὐτὸ τὸ

σχῆμα raquo Cela eacutetant lexpression laquo αὐτὸ τὸ x raquo est synonyme de la question laquo quest-

ce que x raquo dont la reacuteponse est unique mecircme si le langage utiliseacute pour formuler la

reacuteponse peut bien ecirctre multiple Car ces multiples expressions doivent dire la mecircme

chose Certes laquo αὐτὸ τὸ σχῆμα raquo deacutefnit une classe de fgures en ce sens αὐτὸ τὸ

σχῆμα et σχῆμα sont synonymes mais le premier deacutefnit la fgure par la science le

second par la deacutesignation 2 La distinction entre lUn et le plusieurs

En revanche si ce quest lUn on montre que cela est en soi plusieurs et si par ailleurs on montre que que le Plusieurs est en fait un2 voilagrave ougrave je commencerai agrave meacutetonner et il enva de mecircme pour tout le reste Si ceacutetaient les mecircmes Genres les mecircmes Formes qui paraissaient ecirctre en soi affecteacutes par ces mecircmes caractegraveres contraires il y aurait de quoi seacutetonner3

Chaque Forme est unique sans meacutelange mecircme la Forme de Plusieurs lest eacutegalement

Autrement dit le Plusieurs nest pas plusieurs en tant que Forme il est unique et

indivisible cest dans la participation que la nature du Plusieurs se distingue de celle

de lUn Par exemple un ecirctre humain est un sous laspect dun vivant entier (lunion

entre lacircme et le corps) mais il est aussi plusieurs en raison du fait que le corps se

compose des membres et des organes En dautres termes la participation dune

chose sensible aux Formes est une multipliciteacute de participation Cela eacutetant une

Forme nest pas une classe en effet les membres dune classe se distinguent des

membres dune autre classe un arbre nest pas un cheval Or les choses qui

participent agrave lUn participent en mecircme temps au Plusieurs sous laspect de lUn et du

Plusieurs un arbre ne diffegravere point dun cheval ils sont tout agrave la fois un et plusieurs

3 Une Forme nest pas un concept si lon entend par concept ceci

1 Meacutenon 76 a2 laquo Il faut faire la distinction entre la Forme en tant que Forme et la Forme en tant que Forme de x En

effet en tant que Forme du Plusieurs le Plusieurs ne peut participer agrave lUn en dautres termesaucun des membres de la classe Plusieurs ne se retrouve dans la classe Un et inversement aucun membres de la classe Un ne se retrouve dans la classe Plusieurs eacutetant donneacute la deacutefnition de la contrarieacuteteacute Mais en tant que Forme la Forme Plusieurs est un individu et peut donc ecirctre membre de la classe Un Sur le sujet cf lAnnexe p 302 ndash 304 raquo (Parmeacutenide laquo Notes raquo ndeg 67 p 259)

3 Parmeacutenide 129 b ndash c

57

laquo Concepts sont des ideacutees abstraites ou geacuteneacuterales ou simples raquo1 laquo On appelle concepts des repreacutesentations dans lesquelles nous amenons devant nous un objet ou des domaines entiers dobjets en leur geacuteneacuteraliteacute raquo2 laquo Le concept cest la matiegravere logique raquo3

Quest-ce quune ideacutee Pour Dan Sperber les ideacutees sont des objets mateacuteriels4 pour

Bergson ce sont des objets immateacuteriels mais extraits des objets mateacuteriels5 autrement

dit un concept comme une ideacutee abstraite nest pas quelque chose qui est en soi et par

soi Dapregraves Heidegger un concept est une repreacutesentation ce qui est contraire de la

Forme Selon Lyotard le concept est la matiegravere logique or la logique se trouve au

niveau de διάνοια un niveau infeacuterieur agrave lintellection Finalement toute assimilation

de la Forme au concept consiste agrave abaisser la digniteacute et la puissance de la Forme le

divin agrave lhumain

I312 τὸ εἶναι

Linfnitif laquo εἶναι raquo est abondamment preacutesent dans tous les dialogues platoniciens

sans exception6 En revanche le syntagme laquo τὸ εἶναι raquo est beaucoup moins freacutequent7

avec 39 occurrences dont 17 dans la seconde partie du Parmeacutenide Le propos le plus

ceacutelegravebre sur lecirctre (τὸ εἶναι) se trouve sans doute dans le Protagoras il sagit de

distinguer entre le devenir et lecirctre (τὸ γενέσθαι καὶ τὸ εἶναι)

Socrate Dans le cas preacutesent vois si tu es de mon avis Je ne crois pas que Simonide se contredise Mais donne-nous dabord ton opinion laquo Devenir (τὸ γενέσθαι) raquo et laquo ecirctre (τὸ εἶναι) raquo ont-ils le mecircme sens ou un sens diffeacuterent

Prodicos Un sens diffeacuterent reacutepondit Prodicos

Socrate Ainsi repris-je dans le premier passage Simonide exprimant sa propre penseacutee dit quil est diffcile de devenir vraiment un honnecircte homme

Prodicos Tu as raison dit Prodicos

1 Bergson Henri Introduction agrave la meacutetaphysique Paris PUF Quadrige 2011 p 92 Heidegger Martin Concepts fondamentaux Paris Gallimard NRF 19812001 p 133 Lyotard Jean-Franccedilois La pheacutenomeacutenologie Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 625 2007 14e eacuted[1954 1egravere

eacuted] p 104 Cf Descombes Vincent laquo Lidentifcation des ideacutees raquo Revue Philosophique de Louvain Quatriegraveme

seacuterie Tome 96 Ndeg1 1998 pp 86 ndash 118 Il sagit de la critique de La contagion des ideacutees de Dan Sperber

5 Cf supra6 Les deux dialogues ougrave la freacutequence est la plus faible sont le Critias (13 fois) et le Criton (14) et la plus

forte sont le Gorgias (231) et le Pheacutedon (220)7 Cratyle τοῦ εἶναι (423 e) τὸ εἶναι (433 d) τὸ εἶναι (433 d) Euthydegraveme τῷ εἶναι (305 c) Gorgias τὸ εἶναι (508 b) τὸ εἶναι (527 b) τὸ εἶναι (527 b) Hippias majeur τὸ εἶναι (294 e) Lettre XI τοῦ εἶναί (359 a) Parmeacutenide τοῦ εἶναι (136 b) τὸ εἶναι (142 d) τοῦ εἶναι (142 e) τὸ εἶναι (148 b) τοῦ εἶναι (152 a) τοῦ εἶναι (152 e) τοῦ εἶναι (154 a) τοῦ εἶναι (156 a) τοῦ εἶναι (156 e) τὸ εἶναι (160 c)τοῦ εἶναι (162 a) τὸ εἶναι (162 a) τοῦ εἶναι (162 a) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 c) Pheacutedon τοῦ εἶναι (77 b) τοῦ εἶναι (78 d) Protagoras τὸ εἶναι (340 b) τὸ εἶναι (340 c) τὸ εἶναι (340 c) Reacutepublique II τοῦ εἶναί (369 d) III τοῦ εἶναι (395 c) V τοῦ εἶναί (478 e) VI τὸ εἶναί (509 b) X τοῦ εἶναι (612 d) Sophiste τὸ εἶναι (243 e) Theacuteeacutetegravete τὸ εἶναι (171 d) τὸ εἶναι (188 d)

58

Socrate Et quant agrave Pittacos il le blacircme non pas comme le croit Protagoras pour avoir dit la mecircme chose que lui mais pour avoir dit autre chose Car ce que Pittacos deacuteclare ecirctre diffcile ce nest pas de laquo devenir raquo bon mais de l laquo ecirctre raquo Or Protagoras laquo ecirctre raquo et laquo devenir raquo selon Prodicos ici preacutesent sont choses diffeacuterentes et si laquo ecirctre raquo nest pas la mecircme chose que laquo devenir raquo Simonide est exempt de contradiction1

Ici il est certain que lecirctre soppose au devenir mais on ne sait pas encore si le

devenir est le contraire de lecirctre Dans ce passage de la Reacutepublique τὸ εἶναι et τὸ ον

sont synonymes

ἐπειδὴ καὶ τὰ ἀπὸ τοῦ εἶναι ἀγαθὰ διδοῦσα ἐφάνη καὶ οὐκ ἐξαπατῶσα τοὺς τῷ ὄντι λαμβάνοντας αὐτήν2

Nous navons pas montreacute que la justice procure les biens qui deacutecoulent de ce quelle est reacuteellement et quelle ne trompe pas ceux qui laccueillent veacuteritablement

Dans ce passage du Pheacutedon τὸ εἶναι et αὐτὴ ἡ οὐσία sont aussi synonymes

αὐτὴ ἡ οὐσία ἧς λόγον δίδομεν τοῦ εἶναι καὶ ἐρωτῶντες καὶ ἀποκρινόμενοι πότερον ὡσαύτως ἀεὶ ἔχει κατὰ ταὐτὰ ἢ ἄλλοτ᾽ ἄλλως 3

Cette reacutealiteacute en elle-mecircme de lecirctre de laquelle nous rendons raison dans nos interrogations comme dans nos reacuteponses dis-moi se comporte-t-elle toujours de mecircme faccedilon dans son identiteacute ou bien tantocirct ainsi et tantocirct autrement

Ce qui est reacuteellement ecirctre cest-agrave-dire ce qui ne change jamais il est toujours le

mecircme mais quel est le contraire du τὸ εἶναι Voyons le scheacutema suivant

Dans le cas ougrave lon entend laquo τὸ εἶναι raquo par laquo ce qui existe raquo par conseacutequent son

contraire signife neacutecessairement ce qui nexiste pas (τὸ μὴ εἶναι) ainsi on ne peut en

aucun cas formuler une opinion sur ce qui nexiste pas Or il y a trois reacutealiteacutes qui

existent 1 la reacutealiteacute intelligible cest-agrave-dire ce qui est (τὸ ὄν) 2 son contraire la

1 Protagoras 340 b ndash c Trad par A Croiset Paris Les Belles Lettres 19552 Reacutepublique X 612 d3 Pheacutedon 78 d Trad par L Robin Paris Les Belles Lettres 1926

59

les reacutealiteacutes sensibles cest-agrave-dire ce qui nest pas (τὸ μὴ ὄν)

τὸ εἶναι ce qui existe

les reacutealiteacutes intelligibles cest-agrave dire ce qui est (τὸ ὄν)

τὸ μὴ εἶναι ce qui nexiste pas

ψυχήlacircme

fonction intellective

fonction ardente

fonction deacutesirante

le corpsanimant

reacutealiteacute sensible cest-agrave-dire ce qui nest pas 3 lacircme Dans cette perspective τὸ μὴ

εἶναι et τὸ μὴ ὄν ne signifent pas du tout la mecircme chose Dans le cas ougrave on entend

laquo τὸ εἶναι raquo par lecirctre cest-agrave-dire ce qui est ou la reacutealiteacute immuable par conseacutequent

son contraire signife la reacutealiteacute non-immuable les choses sensibles par exemple de

telle sorte quon ne peut formuler une opinion fausse cest-agrave-dire porteacutee sur ce qui

nexiste pas puisque ce qui nest pas est quelque chose qui existe mecircme si elle est

changeante

I313 ἕκαστον ὃ ἔστι

Lexpression ἕκαστον ὃ ἔστι est peu freacutequente dans le corpus platonicien (nous la

recensons onze fois dont six dans les livres V VI et VII de la Reacutepublique)1 cependant

elle apparaicirct lagrave ougrave la question ontologique se pose Dans lexpression le mot ἕκαστον

ne deacutesigne pas une chose sensible mais une reacutealiteacute au mecircme titre que leacutegal le beau

bull Cratyle

Dans le passage suivant lἕκαστον signife une reacutealiteacute en soi cest-agrave-dire tout

simplement lecirctre (τὸ εἶιναι)

Σωκράτης

τί δὲ δὴ τόδε οὐ καὶ οὐσία δοκεῖ σοι εἶναι ἑκάστῳ ὥσπερ καὶ χρῶμα καὶ ἃ νυνδὴ ἐλέγομεν πρῶτον αὐτῷ τῷ χρώματι καὶ τῇ φωνῇ οὐκ ἔστιν οὐσία τις ἑκατέρῳ αὐτῶν καὶ τοῖς ἄλλοις πᾶσιν ὅσα ἠξίωται ταύτης τῆς προσρήσεως τοῦ εἶναι

Ἑρμογένηςἔμοιγε δοκεῖ

Σωκράτηςτί οὖν εἴ τις αὐτὸ τοῦτο μιμεῖσθαι δύναιτο ἑκάστου τὴν οὐσίαν γράμμασί τε καὶ συλλαβαῖς ἆρ᾽ οὐκ ἂν δηλοῖ ἕκαστον ὃ ἔστιν ἢ οὔ2

Socrate

Et que dis-tu de ceci Chaque chose na-t-elle pas selon toi une reacutealiteacute comme elle a une couleur et les autres choses dont nous parlions agrave linstant Et dabord la couleur en soi et le son en soi nont-ils pas chacun une certaine reacutealiteacute comme toutes les autres choses qui meacuteritent cet ajout de preacutedication laquo lecirctre raquo

ProtarqueSi agrave mon avis

SocrateEt alors Si lon eacutetait capable dimiter avec les lettres et les syllabes cet en soi qui appartient agrave chaque chose mdash jentends sa reacutealiteacute mdash ferait-on voir agrave chaque fois ce qui existe oui ou non

La couleur et la couleur elle-mecircme sont deux reacutealiteacutes fondamentalement diffeacuterentes

la couleur comme chose sensible qui existe dans le monde sensible tandis que la

1 Cratyle ἕκαστον ὃ ἔστιν (423 e) Pheacutedon ἕκαστον ὃ ἔστιν (78 d) ἕκαστον ὃ ἔστι (78 d) Reacutepublique V ἕκαστον τὸ ὂν (480 a) VI ἕκαστον τὸ ὄν (484 d) ὃ ἕκαστον εἴη (504 a) VI ὃ ἔστιν ἕκαστον (507 b) VII ὃ ἔστιν ἕκαστον (532 a) ὃ ἔστιν ἕκαστον (533 b) Phegravedre ὃ ἔστιν ἕκαστον (262 b) Sophiste τὸ ὂν ἕκαστον (258 e)

2 Cratyle 423 e

60

couleur elle-mecircme est une deacutefnition qui est la reacuteponse agrave la question laquo quest-ce que

la couleur raquo Socrate la deacutefnit comme laquo leffuve de fgures raquo1 Or une deacutefnition

dune chose sensible relegraveve de la penseacutee qui nest pas une chose sensible

bull Pheacutedon

Dans ce passage du Pheacutedon le sens du terme ἕκαστον ne peut ecirctre plus clair

αὐτὸ τὸ ἴσον αὐτὸ τὸ καλόν αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν τὸ ὄν μή ποτε μεταβολὴν καὶ ἡντινοῦν ἐνδέχεται2

Leacutegal en soi le beau en soi chaque chose qui est en soi ce qui est reacuteellement est-ce que jamais cela peut subir un changement quel quil soit

Agrave la diffeacuterence de la couleur ou du son qui sont des reacutealiteacutes sensibles leacutegal et le beau

ne sont pas des reacutealiteacutes sensibles Si la couleur et la couleur elles-mecircmes ne sont pas

la mecircme chose quel est le statut quon doit donner agrave leacutegal au beau dans la mesure

ougrave laquo leacutegal raquo et laquo leacutegal en soi raquo ou laquo le beau raquo et laquo le beau soi raquo sont deux choses

neacutecessairement diffeacuterentes Examinons ces trois syntagmes laquo αὐτὸ τὸ ἴσον raquo laquo αὐτὸ

τὸ καλόν raquo laquo αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo en leur enlevant laquo αὐτὸ raquo nous en avons ceci

laquo τὸ ἴσον raquo laquo τὸ καλόν raquo laquo ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo autrement dit leacutegal et le beau sont

chacun une chose qui est (ἕκαστον ὃ ἔστιν) mais elle nest ni sensible ni ecirctre en soi

En effet le beau leacutegal le bien sont trois noms qui deacutesignent trois reacutealiteacutes respectives

qui restent agrave deacutefnir et cest par la deacutefnition que lon peut savoir le beau en soi leacutegal

en soi le bien en soi et ainsi de suite pour tous les noms des autres reacutealiteacutes En

dautres termes seulement connaicirctre les noms savoir les prononcer sans les deacutefnir

ne permet pas de connaicirctre encore les reacutealiteacutes que ces noms deacutesignent Or la

deacutefnition dune reacutealiteacute intelligible relegraveve de lintellection On voit bien que la

deacutefnition dune reacutealiteacute intelligible est beaucoup plus diffcile que la deacutefnition dune

reacutealiteacute sensible puisque le niveau de lintellection se trouve supeacuterieure au niveau de

la penseacutee

bull Reacutepublique

Dans ce passage du livre VI de la Reacutepublique laquo ὃ ἔστιν ἕκαστον raquo ne prend pas le

mecircme sens que nous venons dexaminer preacuteceacutedemment

καὶ αὐτὸ δὴ καλὸν καὶ αὐτὸ ἀγαθόν καὶ οὕτω περὶ πάντων ἃτότε ὡς πολλὰ ἐτίθεμεν πάλιν αὖ κατ᾽ ἰδέαν μίαν ἑκάστου ὡς μιᾶς οὔσης τιθέντες laquo ὃ ἔστιν raquo ἕκαστον

Nous affrmons aussi lexistence du beau en soi et du bien en soi et de mecircme pour toutes ces choses que nous avonsdabord poseacutees comme multiples nous les posons maintenant renversant notre approche selon la forme unique de chacune comme une essence unique et nous

1 Meacutenon 76 d2 Pheacutedon 78 d

61

προσαγορεύομεν1 appelons chacune laquo ce qui est raquo

Ici ἕκαστον est le compleacutement dobjet direct du verbe προσαγορεύομεν On voit

bien que le syntagme laquo ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo est eacutequivalant agrave un pronom qui deacutesigne (et

non deacutefnit) une reacutealiteacute intelligible quelconque et laquo ἕκαστον raquo est un pronom qui

deacutesigne une reacutealiteacute sensible quelconque mais en enlevant du syntagme lἕκαστον le

syntagme verbal laquo ὃ ἔστιν raquo est synonyme de laquo τὸ ὄν raquo cest-agrave-dire laquo ce qui est raquo

autrement dit laquo αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo = laquo ὃ ἔστιν raquo = laquo τὸ ὄν raquo On voit bien que

lusage des termes chez Platon est extrecircmement preacutecis

I32 Trois eacutetapes pour saisir la reacutealiteacute intelligible

Les trois eacutetapes pour saisir la reacutealiteacute intelligible sont la saisie laquo par la sensation raquo

laquo par le raisonnement raquo et laquo par lintellection raquo Nous avons dit preacuteceacutedemment que

cest par lintellection que lon peut saisir ce qui est Or lintellection est un

acheminement du sensible vers lintelligible du multiple vers lunique en passant

par le raisonnement (διάνοια) Pourquoi la sensation Pour trois raisons 1 sans la

meacutemoire aucune activiteacute cognitive consciente et spontaneacutee nest possible Or la

meacutemoire est la sauvegarde de la sensation2 2 La sensation ne peut ecirctre fausse

mecircme si la sensation dune mecircme chose la chaleur par exemple est diffeacuterente chez

les sujets diffeacuterents Autrement dit la sensation est une opinion droite 3 Lobjet de

la sensation cest-agrave-dire le sensible participe aux reacutealiteacutes intelligibles Ces trois

points garantissent la possibiliteacute de remonter avec succegraves du sensible vers

lintelligible dans la mesure ougrave est assureacute le bon fonctionnement du niveau

laquo διάνοια raquo et du niveau laquo νάησις raquo Agrave linverse on naura aucune chance de saisir

une reacutealiteacute intelligible agrave partir dune opinion fausse car elle ne participe agrave aucune

reacutealiteacute intelligible

I321 Saisie par la sensation

Le sensible (αἰσθητόν) est saisissable par la sensation (αἴσθησις) cest-agrave-dire par

abstraction du sensible Cest ce que le substantif laquo αἴσθησ-ις raquo indique puisque le

suffxe laquo -ις raquo indique geacuteneacuteralement quelque chose dabstrait Sans cette abstraction

aucun sensible nest connaissable Mais pour que cette abstraction soit possible il

faut aussi que le sensible possegravede une certaine proprieacuteteacute (δύναμις) gracircce agrave laquelle le

sensible est perceptible Du coup la sensation est en effet communication

1 Reacutepublique VI 507 b2 Voir Philegravebe 34 a ndash b

62

La sensation est affaire de communication Ce qui est communiqueacute cest la proprieacuteteacute que manifeste un objet par lintermeacutediaire dun mouvement qui trouve sa source agrave lexteacuterieur Et la transmission de ce mouvement se fait de faccedilon meacutecanique de partie en partie par une circulation agrave travers le vivant en son entier corps et acircme En effet le destinataire fnal de ce processus de transmission est la partie rationnelle de lacircme1

Cela eacutetant dans le fait de connaicirctre le sensible on sinteacuteresse agrave la sensation et non au

sensible mecircme en tout cas dun point de vue philosophique cela semble confrmeacute

par lusage de ces deux termes

αἰσθητόν (le sensible) αἴσθησις (la sensation)

Les dialogues de jeunesse

Meacutenon 76d Apologie 40c c Hippias mineur 374d Hippias majeur 298d eProtagoras 334c Meacutenexegravene 248b Charmide [5] 159a 167d d d d

Les dialogue de maturiteacute

Pheacutedon 83b Reacutepublique VI 507c 511c VII 529bTheacuteeacutetegravete [9] 156b 1b b 6c160d 182a b 184d 202b

Cratyle 430e 431a Pheacutedon [19] 65b d 66a 73c 75a a b b b e 76a d 79a c c 83a 96b 99e 111b Reacutepublique II 375a III 411d V 460d VI [5] 507c c e 508b 511c VII [12] 523a b b c c e 524a a d d 532a 537d VIII 546b Phegravedre [6] 240d 249b 250d d 253e 271eParmeacutenide 142a 155d 164b Theacuteeacutetegravete [67] 151e e 152c c 156b b c d 158a a 159d d e e e 160c d e 161c d 163a d 164a b d 165d d 166c 167c c 168b 179c d 182a a b d e e 183c 184b d 186b e e e 187a 191d 192b b d d a b d e e 194a a a a c d 195c d 196c 210a

Les dialogues de vieillesse

Politique 285e Philegravebe 51b Timeacutee [13] 28b c 37b 51a52a 61d 64a d 65a 67a c 70b 92c

Sophiste [4] 248a 264a b c Politique 286a Philegravebe [12] 33c 34a a a b 35a 38b 39a b 41d 55e 66c Timeacutee [21] 28a c 38a 42a 43c 44a 45d 52a 60e 61c 64a e 65e 67c 69d 71a 75a 75b 77a be Lois I 645e II [7] 653a e 654a 661b 664e 672c 673d X [4] 894a 898e 901d 902c XI 927b XII [6] 943a 961d e e 964d e

Quelques remarques 1 la philosophie semble sinteacuteresser beaucoup moins au

sensible (αἰσθητόν) quagrave la sensation Sans doute est-ce lagrave un point qui distingue la

philosophie des sciences particuliegraveres qui ont pour objet les choses sensibles mecircmes 2

2 Les premiers dialogues sinteacuteressent peu agrave la sensation3 cest probablement parce

que les opinions agrave reacutefuter sont en effet des opinions fausses et non des opinions

1 Brisson Luc laquo Perception sensible et raison dans le Timeacutee raquo Interpreting the Timaeus mdash Critias Proceeding of the IV Symposium Platonicum Selected Papers Tomaacutes Calvo and Luc Brisson (eacuteds) Sankt Augustin Academia Verlag 1997 pp 307 ndash 316 p 311

2 Nous distinguons ces trois termes 1 La chose le corps par exemple il sagit dun nom 2 La chose mecircme le corps mecircme auquel sinteacuteresse la meacutedecine ou la gymnastique 3 La chose elle-mecircme le corps lui-mecircme auquel sinteacuteresse la philosophie dans le cas la chose en question relegravevedu second niveau de reacutealiteacute comme le beau par exemple nous dirons comme lavons souligneacute ci-dessus laquo le beau en soi raquo et non laquo le beau lui-mecircme raquo

3 Les quatre occurrences du terme laquo sensation raquo dans le Charmide se trouvent dans une seule phrase laquo Bref examine toutes les sensations pour deacuteterminer si agrave ton avis il y en a une qui soit sensation des sensations et delle-mecircme mais qui ne perccediloive rien de ce que perccediloivent les autres sensations raquo

63

droites cest-agrave-dire la sensation 3 Le Theacuteeacutetegravete sinteacuteresse particuliegraverement agrave la

sensation avec 67 occurrences il sagit lagrave sans doute dune analyse contrarieacutee pour

dire que la sensation est le contraire de la science 4 Lusage du terme laquo sensation raquo

est assez regroupeacute nous allons voir tout au long de la thegravese que cela apparaicirct dans

beaucoup de cas cest peut-ecirctre une faccedilon suppleacutementaire dauthentifer les œuvres

de Platon ce qui deacutepasse notre tacircche

Pourquoi Socrate parle-t-il autant de la sensation dans un dialogue quest le Theacuteeacutetegravete

ougrave il est senseacute chercher agrave savoir ce quest la science En effet le Theacuteeacutetegravete ne cherche

pas agrave deacutefnir directement ce quest la science (ἐπιστήμη) mais agrave indiquer la premiegravere

marche vers la science agrave savoir connaicirctre ce quest une sensation cest-agrave-dire

connaicirctre une sensation elle-mecircme le chaud lui-mecircme par exemple Si le chaud

relegraveve dune affaire de sensation alors le fait de chercher agrave savoir ce quest le chaud

cest-agrave-dire savoir le chaud lui-mecircme relegraveve de la penseacutee ou du raisonnement En

effet demander ce quest le chaud a pour but de connaicirctre la nature de la sensation

Comme laquo la sensation est affaire de communication raquo il sagit en effet de la

diffeacuterence chacun reccediloit diffeacuteremment la mecircme chose qui est communiqueacutee Telle

est la nature de la sensation la principale source de diffeacuterence de la multipliciteacute

Mais ce sont les diffeacuterences du reacuteel puisque le sensible nest pas irreacuteel en raison du

fait que le sensible participe aux reacutealiteacutes intelligibles qui sont reacuteellement

I322 Saisie par le raisonnement

Lisons dabord ce passage du livre VII de la Reacutepublique

οὕτω καὶ ὅταν τις τῷ διαλέγεσθαι ἐπιχειρῇ ἄνευ πασῶν τῶν αἰσθήσεων διὰ τοῦ λόγου ἐπ᾽ αὐτὸ ὃ ἔστιν ἕκαστον ὁρμᾶν καὶ μὴ ἀποστῇ πρὶν ἂν αὐτὸ ὃ ἔστιν ἀγαθὸν αὐτῇ νοήσει λάβῃ ἐπ᾽ αὐτῷ γίγνεται τῷ τοῦ νοητοῦ τέλει ὥσπερ ἐκεῖνος τότε ἐπὶ τῷ τοῦ ὁρατοῦ1

De cette mecircme maniegravere chaque fois que quelquun entreprend par lexercice du dialogue sans le support daucune perception des sens mais par le moyen de la raison de tendre vers cela mecircme que chaque chose est et quil ne sarrecircte pas avant davoir saisir par lintellection elle-mecircme ce quest le bien lui-mecircme il parvient au terme de lintelligible comme celui de tout agrave lheure eacutetait parvenu au terme du visible2

Cette phrase laquo sans le support daucune perception des sens mais par le moyen de la

raison raquo ne contredit-elle pas ce que nous venons de dire Pas du tout En effet on

1 Reacutepublique VII 532 a ndash b2 Voici la traduction dEacute Chambry laquo De mecircme quand un homme essaye par la dialectique et sans

recours agrave aucun des sens mais en usant de la raison datteindre agrave lessence de chaque chose et quil ne sarrecircte pas avant davoir saisi par la seule intelligence lessence du bien il parvient au terme de lintelligible comme lautre tout agrave lheure parvenait au terme du visible raquo (Paris Les Belles Lettres 1931)

64

passe de sensation agrave la raison (λόγος) cest-agrave-dire agrave la penseacutee En dautres termes au

moment de la penseacutee il faut couper la communication avec le monde sensible en

plongeacutee dans la recherche de la raison dune perception preacuteceacutedemment entreacutee dans

la meacutemoire Nous avons dit que la sensation est la principale source de diffeacuterence or

ce qui est est toujours le mecircme sans jamais subir le moindre changement Cela eacutetant

la sensation est un meacutelange entre luniversel et le particulier il faut donc eacuteliminer les

caracteacuteristiques particuliegraveres pour ne garder que ce qui est universel au moyen de la

raison car la raison decirctre universel est forceacutement diffeacuterente de la raison decirctre

particulier En effet dans ce passage le terme laquo διά τοῦ λόγου raquo peut ecirctre compris

comme laquo au moyen du raisonnement raquo ou tout simplement διάνοια (au moyen de la

penseacutee raquo En effet lexpression διά τοῦ λόγου est rare dans le corpus platonicien1 et

sans pour autant ecirctre clairement deacutefnie nous nous tournons ainsi vers la διάνοια

pour savoir ce que signife le fait de connaicirctre laquo διά τοῦ λόγου raquo

Glaucon Tu appelles donc penseacutee (διάνοια) me semble-t-il et non intellect lexercice habituel des geacuteomeacutetries et des praticiens de disciplines connexes puisque la penseacutee est quelque chosedintermeacutediaire entre lopinion et lintellect

Il sagit particuliegraverement des matheacutematiques En dautres termes le raisonnement

(διάνοια) et la matheacutematique sont synonymes dans le corpus platonicien bien que le

terme μαθηματική y soit entiegraverement absent2 Voici le sens du terme διάνοια

Theacuteeacutetegravete Quest-ce que tu appelles penser (διανοεῖσθαι)

Socrate Une discussion que lacircme elle-mecircme poursuit tout du long avec elle-mecircme agrave propos deschoses quil lui arrive dexaminer Cest en homme qui ne sait pas il est vrai que je te donne cette explication Car voici ce que me semble faire lacircme quand elle pense rien dautre que dialoguer sinterrogeant elle-mecircme et reacutepondant affrmant et niant Et quand ayant trancheacute que ce soit avec une certaine lenteur ou en piquant droit au but elle parle dune seule voix sans ecirctre partageacutee nous pensons que cest lagrave son opinion De sorte que moi avoir des opinions jappelle cela parler et que lopinion je lappelle un langage prononceacute non pas bien sucircr agrave lintention dautrui ni par la voix mais en silence agravesoi-mecircme Et toi quappelles-tu penser 3

Ce passage explique la nature de la penseacutee le silence la solitude le rapport agrave soi-

mecircme la preacutecision du langage la concentration sur une seule voie un veacuteritable

dialogue avec soi-mecircme ce qui est opposeacute agrave la sensation Cela eacutetant la nature de la

penseacutee est apparenteacutee agrave la nature de luniversel

1 Apologie 17 c Gorgias 449 b 502 e Lettre III 315 e VII 343 a Reacutepublique VII 532 a Sophiste 253 b

2 Seulement deux occurrences de ladjectif μαθηματικόν lune dans le Sophiste 219 c lautre dans le Timeacutee 88 c

3 Theacuteeacutetegravete 189 e ndash 190 a

65

I323 Saisie par lintellection

La matheacutematique est un langage bien preacutecis rigoureux fable et puissant

Cependant aucun matheacutematicien nest capable de deacutemontrer calculer de maniegravere

matheacutematique ce qui est bon et ce qui est mauvais Cest en ce sens que la

matheacutematique nest ni bonne ni mauvaise par conseacutequent son bon usage deacutepend

dune science du Bien Elle est ainsi fondamentalement diffeacuterente de la connaissance

de ce qui est totalement ecirctre car ce qui est totalement ecirctre ne peut ecirctre que la reacutealiteacute

du Bien Le mode dacquisition de cette connaissance a pour nom lintellection

(νόησις) Dans le corpus platonicien on voit partout le terme νοῦς (intellect) qui est

mecircme freacutequent dans les premiers dialogues mais le νόησις (intellection) est plutocirct

rare De plus parce que toutes les occurrences sont presque concentreacutees dans le livre

VII de la Reacutepublique1 et regroupeacutees dans ces deux blocs le premier avec 10

occurrences se trouve entre 523 a et 526 b le second avec 4 occurrences au

paragraphe 534 a ougrave Socrate re-deacutecrit la Ligne deacutecrite pour la premiegravere agrave la fn du

livre VI Les deux descriptions sont un peu diffeacuterentes

Livre VI 511 d ndash e Livre VII 534 a

Sans nommer νόησις ἐπιστήμη νόησις διάνοια διάνοια

Sans nommer πίστις πίστις δόξα εἰκασία εἰκασία

laquo On dira alors que lopinion concerne le devenir alors que lintellection vise lecirctre raquo2

Or les reacutealiteacutes que vise le raisonnement (διάνοια) et celles que vise la science

(ἐπιστήμη) ne sont pas les mecircmes puisque en tant que lexcellence du

raisonnement la matheacutematique ne permet pas de faire la distinction entre le bien et

le mal alors que la science le peut Cela pose un problegraveme car nous lavons lu dans

la sous-section preacuteceacutedente on saisit ce qui est bon en soi (αὐτὸ ὃ ἔστιν ἀγαθὸν) par

lintellection (νοήσει)3 en dautres termes si on entend par lintellection ce qui est

exprimeacute sur le tableau du livre VI cela ne pose de problegraveme mais si lon lentend par

rapport au tableau du livre VII cela reste agrave preacuteciser puisque lintellection deacutesigne

lἐπιστήμη et διάνοια Ou alors lorsquun terme qui comprend plusieurs termes est

1 Cratyle νόησιν (407 b) νόησιν (407 b) νόησις (411 d) Lettre I νόησις (310 a) Reacutepublique VI νόησιν (511 d) VII [16] νόησιν (523 a) νόησιν (523 b) νόησιν (523 d) νοήσεως (523 d) νόησιν(524 b) νοήσει (524 c) νόησις (524 c) νοήσεως (524 d) νοήσει (525 c) νοήσει (526 b) νοήσει (529 b) νοήσει (532 b) νόησιν (534 a) νόησιν (534 a) νόησιν (534 a) νόησις (534 a) Timeacutee νοήσει (28 a) νόησις (52 a)

2 Reacutepublique VII 534 a laquo καὶ δόξαν μὲν περὶ γένεσιν νόησιν δὲ περὶ οὐσίαν raquo3 Voir ibid 532 a ndash b

66

prononceacute sans preacutecision par lagrave on entend toujours le terme dont le degreacute est le plus

eacuteleveacute et non linverse ainsi par la δόξα on entend la πίστις plutocirct que lεἰκασία1

Cela semble justifeacute par le mythe de la caverne par lequel on entend la neacutecessiteacute de

remonter vers la lumiegravere du Soleil et non pas dencourager de rester dans lombre

Peut-on lentendre dans le sens inverse2 Philosophiquement non en tout cas non

chez Socrate et chez Platon En effet le tableau du livre VII de la Reacutepublique est plus

pertinent ougrave lintellection deacutesigne la διάνοια et lἐπιστήμη pour dire que

lintellection est la science veacuteritable qui ne peut se passer de la διάνοια Comme en

matheacutematique il faut apprendre agrave connaicirctre les nombres avant de calculer

I33 Au-delagrave des Formes et la participation

Le ceacutelegravebre passage du livre VI de la Reacutepublique (509 b) montre que le Bien se trouve

au-delagrave des Formes Cela eacutetant les choses sensibles participent aux Formes qui

participent au Bien Ainsi il ny a pas de participation mutuelle entre les Formes En

effet si les Formes participent mutuellement entre elles chacune delles est

neacutecessairement multiple cela est contraire agrave leur nature unique

I331 Le jour et la Forme

La vraie diffculteacute de la theacuteorie de la Forme est la question de la participation laquo Est-

ce donc agrave la Forme en sa totaliteacute ou agrave lune des partie de cette Forme que participe

chaque chose qui participe agrave cette Forme Ou y aurait-il une autre faccedilon de

participer agrave part de ces deux-lagrave raquo3 demanda Parmeacutenide Une Forme est unique

cest-agrave-dire une chose purement et simplement une sans partie aucune Par

conseacutequent si elle se trouve en une chose autre quelle-mecircme cette Forme ne peut se

trouver en une autre chose En quelque sorte pour Parmeacutenide participer cest

posseacuteder

Parmeacutenide Si tel est le cas cest par conseacutequent en restant une et identique quelle se trouverait en sa totaliteacute en plusieurs choses distinctes et que en mecircme temps elle se trouverait ainsielle-mecircme distincte delle-mecircme

Socrate Non point si du moins reacutepliqua Socrate cest agrave la maniegravere du jour qui restant un et

1 Cf Brisson Luc laquo La pistis chez Plotin et chez Porphyre philosophie et religion raquo2 Par exemple le tableau du peintre primitif famand Michiel Coxcie intituleacute La grotte de Platon

preacutefegravere donner la place agrave la repreacutesentation de prisonniers plutocirct quagrave la la puissance et agrave la digniteacute du Soleil peut-ecirctre ces deux derniegraveres sont-elles diffciles agrave imaginer agrave repreacutesenter DailleursSocrate reproche lusage incorrect du terme νόησις laquo Il risque de constituer un de ces enseignements que nous cherchons et qui conduisent naturellement agrave lintellection (νόησιν) mais dont personne ne fait un usage correct alors quil est tout agrave fait apte agrave tirer vers lecirctre (οὐσίαν) raquo (Reacutepublique VII 523 a)

3 Parmeacutenide 131 a

67

identique se trouve en plusieurs endroits en mecircme temps et nen est pour si peu distinct de lui-mecircme Et si ceacutetait ainsi que chacune des Formes se trouvait en mecircme temps une et identique en toutes choses1

Si nous consideacuterons le Soleil comme une Forme nous recevons de lui le jour en aucun

cas nous ne posseacutedons le Soleil ni le jour cest-agrave-dire le rayonnement du Soleil qui

est partout le mecircme En effet la penseacutee humaine est largement conditionneacutee par les

conditions sensibles et personne ne doute du rayonnement du Soleil puisque cela

est une eacutevidence Pourtant il y a beaucoup dautres ondes du monde sensible qui

sont insensibles aux organes des sens humains il faut les laquo sentir raquo au moyen dun

certain appareil scientifque ce nest plus une question de sensation mais de savoir

et savoir-faire Le passage du livre VI de la Reacutepublique (509 a ndash b) veut dire clairement

que le Soleil apporte aux choses visibles tout ce qui est neacutecessaire agrave leur existence

gracircce au rayonnement du Soleil Ainsi le fait de participer au Soleil consiste agrave

sexposer au Soleil pour recevoir son rayonnement De mecircme dans le domaine

intelligible il faut que lacircme sexpose aux Formes pour recevoir leur rayonnement Si

lon reste dans une caverne on ne reccediloit jamais le rayonnement du Soleil La caverne

dans le domaine intelligible est lignorance

I332 La penseacutee (νόημα) et la Forme

Le terme νόημα est rare dans le corpus platonicien2 et Socrate ne le prononce quune

seule fois en ces termes3

Socrate Agrave moins Parmeacutenide reacutetorqua Socrate que chacune de ces Formes ne soit une penseacutee (νόημα) et que nulle part ailleurs que dans les acircmes il ne convienne quelle ne vienne agrave existence De la sorte en effet chaque Forme serait une chose et naurait plus agrave subir les diffculteacutes de tout agrave lheure

Parmeacutenide En ce cas reacutepliqua Parmeacutenide chacune de ces penseacutees est une chose mais ce nest la penseacutee de rien 4

La penseacutee est une faculteacute de lacircme En effet une chose deacutepourvue dacircme ne peut en

1 Ibid 131 a ndash b2 laquo Le terme grec que traduit le franccedilais penseacutee est νόημα Ce terme est rare dans le corpus

platonicien Il ne se trouve que dans le Politique (206 d) le Banquet (197 e) le Meacutenon (95 e) et le Sophiste ( 237 d et 258 d qui est une citation de Parmeacutenide (DK 28 B 71-2)) Cela dit le sens agrave donner agrave νόημα nest pas clair Le suffxe -μα quon peut accrocher agrave divers thegravemes ἧ- πρᾶγ- par exemple preacutesente deux sens il peut indiquer dans son sens actif lactiviteacute de et dans son senspassif le reacutesultat de cette activiteacute Par voie de conseacutequence νόημα peut indiquer soit lacte de penser soit la penseacutee comme reacutesultat dun acte de penser Cest ce second sens quil faut semble-t-il ici privileacutegier et non le premier qui cependant ne peut ecirctre exclu raquo (Parmeacutenide laquo Introduction raquo p39)

3 Dans le Meacutenon Socrate cite quelques vers du poegravete Theacuteognis ougrave se trouve le νόημα qui semble synonyme du νόος citeacute dans le vers preacuteceacutedent Dans le Banquet le mot est prononceacute par Agathon dans le Politique par lEacutetranger aussi bien dans le Sophiste mais il sagit dune citation de Parmeacutenide

4 Parmeacutenide 132 b

68

aucun cas ecirctre capable de penser Cela eacutetant une Forme est une acircme qui ne pense

rien dautre que decirctre elle-mecircme en elle-mecircme en ce sens quelle est agrave la fois

immobile et en mouvement Immobile car elle est absolument autonome en restant

elle-mecircme en elle-mecircme sans jamais ecirctre en devenir ce qui est contraire aux reacutealiteacutes

sensibles sans cesse en devenir cest-agrave-dire au mouvement le ceacutelegravebre preacutecepte

delphique laquo connais-toi toi-mecircme raquo teacutemoigne de la puissance et de la digniteacute du fait

de se connaicirctre soi-mecircme en effet seule la Forme se connaicirct parfaitement

absolument elle-mecircme En mouvement car toute penseacutee est un mouvement mecircme si

le sujet reste au repos en fait lacircme ne se trouve jamais au repos cest la raison pour

laquelle elle est le principe du mouvement spontaneacute dont nous parlerons dans le

chapitre suivant Comme la Forme est une penseacutee pure toute penseacutee consistant agrave se

connaicirctre soi-mecircme est une participation agrave la Forme

I333 Le paradigme et la Forme

Le troisiegraveme thegraveme que propose Socrate pour expliquer la nature de la participation agrave

la Forme est le paradigme

Socrate En bien cette solution-lagrave repris Socrate nest pas raisonnable non plus Mais voici Parmeacutenide ce qui me semble agrave moi ecirctre la meilleure explication Alors que ces Formes sont des modegraveles (παραδείγματα) qui subsistent dans leur nature les autres choses entretiennent avec elles un rapport de ressemblance et en sont les copies en outre la participation que les autres choses entretiennent avec les Formes na pas dautreexplication que celle-ci elles en sont les images1

La Forme est un paradigme dont les choses sensibles sont les images ici la deacutefnition

du paradigme est claire Formes images le-mecircme-en-soi-et-par-soi devenir

immuable changeant intelligible sensible universel particulier de la sorte tout

mouvement consistant agrave se lancer vers luniversaliteacute limmuabiliteacute agrave se connaicirctre soi-

mecircme est une participation agrave veacuteriteacute cest-agrave-dire agrave la reacutealiteacute veacuteritable

I4 Conclusion

La question de la Forme est dabord une question de lexpression Dans les premiers

dialogues les expressions telles que εἶδος ἰδέα αὐτὸ τὸ x ou αὐτὸ καθ᾽ αὐτὸ x sont

bien preacutesentes mais elles ne deacutesignent pas les reacutealiteacutes intelligibles qui seront deacutefnies

notamment agrave travers le Phegravedre le Pheacutedon et la Reacutepublique La question de la Forme est

avant tout une question de la seacuteparation entre le corps et lacircme ensuite entre le

sensible et lintelligible et la distinction entre la sensation et lintellection

1 Ibid 132 c ndash d

69

La deacutefnition de la Forme est extrecircmement simple ce qui est totalement ecirctre sans

couleur ni fgure intangible et sans meacutelange Ce sont les reacutealiteacutes qui sont en soi et par

soi absolument autonomes Les matheacutematiques teacutemoignent que de telles reacutealiteacutes

existent reacuteellement et ne sont pas une fction ni une hypothegravese mecircme si la

deacutemonstration matheacutematique recourt agrave lhypothegravese Mais les matheacutematiques ne sont

pas des reacutealiteacutes qui sont totalement en soi et par soi puisquon a besoin dun autre

niveau de reacutealiteacute plus eacuteleveacute pour assurer le bon usage des matheacutematiques On voit

bien la neacutecessiteacute de connaicirctre ce qui est

La diffculteacute redoutable ne consiste pas agrave deacutefnir la Forme mais agrave expliquer la

participation des choses sensibles aux Formes Dans le monde sensible le fait de

participer agrave quelque chose agrave une reacuteunion par exemple cest dy prendre une place

une forme de possession ce qui est le contraire de la participation aux Formes Nous

recevons du Soleil le rayonnement de la sorte la participation au Soleil consiste agrave

sexposer au Soleil afn de recevoir son rayonnement de mecircme pour la participation

aux Formes

Nous navons pas examineacute la question de la Forme du Mal pour une raison tregraves

simple aucun mal ne peut ecirctre en soi et par soi un mal est un mal parce quil ne

participe aucunement agrave ce qui est il ne reccediloit aucun rayonnement de lEcirctre en raison

du fait quil se retranche dans lignorance comme les prisonniers se contentent de

rester enchaineacutes ligoteacutes au fond de la caverne sans jamais sexposer au Soleil

70

Ch II Lacircme73II1 Lacircme comme la fnaliteacute de laction philosophique73

II11 Apologie donne le contexte des premiers dialogues74II111 La jeunesse75II112 Le savoir78II113 La veacuteriteacute80

II12 Lacircme et le miroir83II121 Le miroir comme producteur dimages83II122 La psychologie comme miroir84II123 Le miroir comme paradigme87

II13 Lacircme corruptible88II131 Confusion entre vrai et faux dans lEuthydegraveme89II132 Confusion entre science et non-science dans lHippias mineur91II133 Confusion entre lacircme et le corps dans le Protagoras94

II14 Lopposition entre lacircme et le corps96II141 Alcibiade le soi-mecircme et lautre97II142 Charmide le tout seacutecable et inseacutecable98II143 Gorgias le corps mortel et lacircme immortelle100

II2 Lacircme comme la fnaliteacute de la connaissance philosophique101II21 Limmortaliteacute de lacircme101

II211 Deacutesir de limmortaliteacute dans le Banquet101II212 Immortaliteacute de lacircme comme solution agrave la mort102II213 Limmortaliteacute de lacircme comme principe de lecirctre104

II22 La structure de lacircme104II221 Lattelage aileacute dans le Phegravedre105II222 La tripartition fonctionnelle dans la Reacutepublique106

II23 Communication entre le sensible et lintelligible107II3 Lorigine de lunivers dans le Timeacutee110

II31 Le deacutemiurge et lunivers112II32 Lacircme humaine114

II4 Conclusion116

71

Ch II Lacircme

Le terme laquo acircme raquo1 deacutefni dans le Phegravedre comme le principe du mouvement (245 c ndash d)

est abondamment preacutesent dans les dialogues de Platon2 surtout sa preacutesence est en

quelque sorte agrave la maniegravere du centre de graviteacute dont les dialogues constituent le

champ de gravitation Ce champ platonicien est caracteacuteriseacute par son heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

probleacutematique les premiers dialogues sont exclusivement critiques ou aporeacutetiques

et les derniers doctrinaux Premiegravere question comment soumettre agrave lexamen lacircme

sans savoir ce quest lacircme Puisque dans les premiers dialogues lacircme nest pas

deacutefnie alors que rendre lacircme humaine meilleure est lunique action socratique

Deuxiegraveme question si lon peut rendre meilleure lacircme sans savoir ce quelle est

pour quelle neacutecessiteacute faut-il la deacutefnir clairement dans le Pheacutedon la Reacutepublique et le

Phegravedre Troisiegraveme question dans la mesure ougrave la chronologie de la composition des

dialogues platoniciens nest pas remise en question selon laquelle le Timeacutee se trouve

bien apregraves ces trois dialogues citeacutes ougrave limmortaliteacute de lacircme est rigoureusement

deacutefnie alors pour quelle raison faut-il remettre en cause dans le Timeacutee cette

immortaliteacute de lacircme Puisque du moins lacircme du monde dans le Timeacutee eut eacuteteacute

fabriqueacutee par le deacutemiurge3 Cest autour de ces trois questions que nous essayons

danalyser la nature de lacircme

II1 Lacircme comme la fnaliteacute de laction philosophique

Dun point de vue de la chronologie dramatique lApologie peut se lire comme un

reacutesumeacute de la vie philosophique ou de la vie tout court de Socrate La construction la

plus simple du reacutesumeacute dune vie peut prendre la forme suivante le commencement

ou la cause la fn ou laboutissement et lessentiel entre les deux 1 Le

commencement de cette vie philosophique cest le ceacutelegravebre oracle delphique qui

1 Au sujet de lacircme rien nest plus complet que la psycheacute le culte de lacircme chez les grecs et leur croyance agrave limmortaliteacute dErwin Rohde (Paris Les Belles Lettres encre marine 2017) Nous tentons ici un exercice obligatoire quand il sagit dun travail sur les dialogues platoniciens

2 Cf la section intituleacutee laquo La question de lacircme dans la tradition grecque raquo du chapitre 16 laquo Lacircmechez Platon raquo (Brisson Luc Platon Paris Cerf 2017 pp 194 ndash 211) Par rapport aux modegraveles traditionnels de lacircme Platon opegravere deux renversements agrave savoir le monde sensible nest quune image du monde intelligible et la veacuteritable identiteacute des ecirctres humains cest son acircme et non soncorps (p 197 ndash 198)

3 Si laquo le deacutemiurge nest pas un individu mais une fonction raquo (Cf Le mecircme et lautre dans la structure ontologique du Timeacutee de Platon IPS2 1998 3e eacuted p 32) comment une fonction pourrait sexeacutecuter spontaneacutement Nous en parlerons dans la section III laquo Lacircme du monde comme lorigine de lunivers raquo

73

prononccedila que Socrate eacutetait le plus savant parmi les ecirctres humains1 2 La fn cest sa

condamnation agrave mort comme si la mort mecircme eacutetait laboutissement de la

philosophie et non pas une cause de peur 3 Voici lessentiel

Ma seule affaire est daller et de venir pour vous persuader jeunes et vieux de navoir point pour votre corps et votre fortune de souci supeacuterieur ou eacutegal agrave celui que vous devez avoir concernant la faccedilon de rendre votre acircme la meilleure possible et de vous dire laquo ce nest pas de la richesse que vient la vertu mais cest de la vertu que viennent les richesses et tous les autres biens pour les particuliers comme pour lEacutetat raquo2

Ce passage souligne que 1 lacircme est supeacuterieure au corps comme la vertu est

supeacuterieure aux richesses et agrave tous les autres biens particuliers 2 La seacuteparation entre

lacircme et le corps est deacutejagrave perceptible certes la nature et le sens de cette seacuteparation

restant agrave deacuteterminer 3 La connaissance de la vertu et des richesses est diffeacuterente

puisque lune se rapporte agrave lacircme lautre au corps bien que cette distinction ne soit

pas encore explicite Ces trois points illustrent que le fait que rendre lacircme meilleure

consiste en veacuteriteacute agrave nourrir lacircme de la vertu Cela eacutetant lenjeu est la nourriture de

lacircme En effet si la nourriture du corps peut se vendre sacheter il ny a pas de

raison de ne pas penser que la nourriture de lacircme ne peut pas se vendre sacheter

dailleurs le meacutetier de sophiste le prouve Par contre si cette nourriture de lacircme ne se

vend pas ni sachegravete nulle part la tacircche premiegravere consiste eacutevidemment agrave combattre

les sophistes mdash ce qui est la tacircche des premiers dialogues mdash avant de chercher agrave

connaicirctre comment acqueacuterir cette nourriture de lacircme mdash ce qui est la mission des

dialogues tardifs Mais dans cette section (II1) nous nous concentrons sur la tacircche

critique et dans la section suivante (II2) sur la mission doctrinale

II11 Apologie donne le contexte des premiers dialogues

En 399 av J-C Socrate fut condamneacute agrave mort3 Voici les chefs daccusation

Cela eacutetant4 Atheacuteniens il est juste que je me deacutefende dabord contre les premiegraveres accusations mensongegraveres qui ont eacuteteacute porteacutees contre moi et contre mes premiers accusateurs et ensuite contre les accusations qui ont eacuteteacute reacutecemment porteacutees contre moicontre mes accusateurs reacutecents raquo5

1 Voir Apologie 21 a2 Apologie 30 a ndash b3 Pour connaicirctre le contexte historique et politique du procegraves la conseacutequence de la condamnation et

le sens philosophique de la mort de Socrate cf laquo La deacutefaite dAthegravenes et la condamnation agrave mort de Socrate raquo supra Platon pp 37 ndash 43 Voir aussi Lettre VII de Platon 324 c ndash 325 c

4 Il sagit de ceci laquo La seule chose quil vous faut consideacuterer et agrave laquelle vous devez precircter votreattention cest de deacuteterminer si mes alleacutegations sont justes ou non Telle est en effet la vertu du juge tandis que celle de lorateur est de dire la veacuteriteacute raquo (18 a)

5 Apologie 18 a Parmi ces trois chefs daccusations on ne voit pas le motif politique du procegraves dapregraves Platon le procegraves semble politique laquo Mais je ne sais par quel hasard de nouveau ce Socrate notre compagnon des gens au pouvoir le traduisent devant un tribunal la plus impie des accusations et

74

Il y a deux choses en commun entre laquo les premiegraveres accusations raquo cest-agrave-dire les

accusations anciennes colporteacutees dans Les Nueacutees dAristophane depuis 426 av J-C et

laquo les accusations reacutecentes raquo (en 399) agrave savoir 1 les trois chefs daccusation sont

identiques corruption de la jeunesse meacutepris des dieux de la citeacute et reconnaissance

des diviniteacutes nouvelles1 2 la cause des accusations anciennes et reacutecentes est la

mecircme agrave savoir la jalousie En effet loriginaliteacute de lApologie cest lanalyse de la

cause des accusations mensongegraveres laquo Tous ceux qui pousseacutes par la jalousie ont eu

recours agrave la calomnie raquo (18 d) La question se pose de quoi ces accusateurs anciens et

reacutecents eacutetaient-ils jaloux envers Socrate La reacuteponse se trouve dans les trois chefs

daccusation jaloux de la jeunesse du savoir et de la preacutedilection dun dieu pour

Socrate En effet tout pouvoir peut susciter la jalousie puisque la socieacuteteacute humaine est

fondamentalement une socieacuteteacute de pouvoir Or le fait decirctre entoureacute de la jeunesse est

un signe de puissance le plus beau pouvoir2 Ensuite la capaciteacute de reacutefuter les gens

reacuteputeacutes pour leur savoir dans la citeacute est un signe de puissance le plus noble pouvoir

Enfn le courage de dire la veacuteriteacute est un signe de puissance cest la raison pour

laquelle la Pythie lui accorda sa faveur en le deacuteclarant lhomme le plus savant de son

temps3 Cela souligne un puissant pouvoir un pouvoir divin puisque cest un dieu

qui le lui accorda Par conseacutequent il est diffcile en disposant agrave la fois de ces trois

pouvoirs de ne pas susciter la jalousie

II111 La jeunesse

Dans les Nueacutees dAristophane il sagit dune fction qui met en scegravene un certain

Socrate laquo qui se balanccedilait en preacutetendant quil se deacuteplaccedilait dans les airs et en deacutebitant

plein dautres becirctises concernant des sujets sur lesquels je ne suis un expert ni peu ni

prou raquo4 Certes ce nest quune fction mais la conseacutequence sur limage de Socrate est

reacuteelle puisque la reacutepercussion de la piegravece dans la socieacuteteacute agrave leacutepoque est consideacuterable

En effet dans cette fction Socrate dirige une eacutecole imagineacutee par Aristophane et

celle qui de toutes convenait le moins agrave Socrate raquo (Lettres 325 b) laquo Il est donc fort probable que le veacuteritable fondement de son procegraves soit son opposition agrave la deacutemocratie et ses relations avec les personnages aussi malfaisants quun traicirctre agrave Athegravenes comme Alcibiade et des comploteurs qui deacuteclenchegraverent une guerre civile comme Critias et Charmide raquo supra Platon p 32

1 Voir Apologie 24 b ndash c2 laquo Aristophane mdash Agrave mon avis en effet les ecirctres humains ne se rendent absolument pas compte du

pouvoir dEacuteros car sils avaient vraiment conscience de limportance de ce pouvoir ils lui auraient eacuteleveacute les temples les plus somptueux raquo (Banquet 189 c) Notons que dans le discours dAristophaneprononceacute dans le Banquet les amants sont laquo les garccedilons et les adolescents raquo (192 a)

3 Voir Apologie 21 a Par ailleurs dans sa Lettre VII Platon eacutecrit ceci laquo Entre autres choses Socrate mon ami qui eacutetait plus acircgeacute que moi et dont je pense je ne rougirais pas de dire quil eacutetait lhomme le plus juste de cette eacutepoque raquo (324 d ndash e)

4 Apologie 19 c

75

nommeacutee laquo Pensoir raquo (φροντιστήριον) qui nadmet au moyen dun fnancement que

les jeunes et exclut les vieux car les laquo vieilles tecirctes raquo sont laquo oublieuses raquo1 Le but de

cet enseignement consisterait agrave faire triompher toutes les causes bonnes ou

mauvaises

Strepsiade Des acircmes sages cest leacutecole le laquo Pensoir raquo Lagrave dedans habitent des gens qui parlant dun ciel vous persuadant que cest un eacutetouffoir quil est autour de nous et que nous sommes les charbons Ces gens-lagrave vous apprennent moyennant de largent agrave faire triompher par la parole toutes les causes justes et injustes2

Cela reacutepond parfaitement au besoin dun paysan Strepsiade qui cherchait agrave eacutechapper

agrave ses creacuteanciers et il fnit par envoyer son jeune fls Phidippide au Pensoir Le succegraves

du fls permet au pegravere de se deacutebarrasser des ses creacuteanciers Et surtout le succegraves de la

piegravece des Nueacutees deacutesormais ceacutelegravebre engendra dans la socieacuteteacute atheacutenienne une image

tregraves neacutegative de Socrate alors vue comme un corrupteur Cette image sera fortement

approuveacutee et renforceacutee par quelques personnages deacutesormais ceacutelegravebres mais perccedilus

comme des traicirctres agrave leacutegard de la deacutemocratie atheacutenienne agrave savoir Alcibiade

Charmide et Critias qui avaient effectivement freacutequenteacute Socrate3 Il semble

quAristophane sinteacuteressait particuliegraverement au sujet des jeunes gens aupregraves de

Socrate

Il exerce un tel ascendant sur les jeunes gens qui forment le cortegravege de ses admirateurs que ceux-ci en viennent agrave adopter certaines de ses habitudes ils se promegravenent nu-pieds cessent de se laver etc Pour deacutecrire ce comportement digne de laquo groupies raquo Aristophane a mecircme creacuteeacute un verbe agrave partir du nom de Socrate dans les Oiseaux il se moque en effet de ceux qui laquo portaient longue chevelure souffraient de la faim eacutetaient sales faisaient les Socrates (ἐσωκράτουν) raquo4

Comme si Socrate eacutetait un redoutable seacuteducteur de jeunes gens Mais en reacutealiteacute

laquo avec un jeune homme ou avec un plus vieux quel que soit celui sur lequel je

tomberai avec quelquun dailleurs ou avec un habitant dAthegravenes mais surtout avec

vous mes concitoyens eacutetant donneacute que par le sang vous mecirctes plus proches voilagrave

comment je comporterai raquo5 Le Banquet de Platon dont la date dramatique se situe en

1 Voir Aristophane Les Nueacutees 789 ndash 795 trad par H Van Daele Paris Les Belles Lettres 19522 Ibid 95 ndash 1003 Les trois dialogues platoniciens qui portent respectivement leurs noms teacutemoignent de cette

freacutequentation Mais il faut reconnaicirctre que laquo dans lentourage de Socrate on trouve aussi deslaquo penseurs raquo qui fondegraverent des eacutecoles deacutefendant des positions tregraves diverses et mecircme opposeacutees raquo (Platon Paris Cerf 2017 p 31) En effet laquo sil arrive que parmi ces gens-lagrave lun devienne un homme de bien et lautre non je ne saurais moi au regard de la justice en ecirctre tenu pourresponsable raquo (Apologie 33 b) car laquo je nai jamais eacuteteacute le maicirctre de personne raquo (33 a) La justice cest que chacun a une acircme qui laquo est la source de tous les maux et de tous les biens raquo (Charmide 165 e) autrement dit chacun est responsable de son ecirctre en bien ou en mal

4 Dorion Louis-Andreacute Socrate Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 9 ndash 105 Apologie 30 a

76

416 soit sept ans apregraves la preacutesentation des Nueacutees en 4231 semble dire que Socrate et

Aristophane se connaissent bien se comportant au Banquet comme amis2 Pourquoi

Aristophane avait-il le plaisir de calomnier son ami quest Socrate laquo Mais le plaisir

pris aux maux de nos amis navons-nous pas dit quil est lœuvre de la jalousie raquo3

La jalousie est une douleur de lacircme4 elle laquo suppose quon eacuteprouve du chagrin

devant le bien qui eacutechoit agrave autrui raquo5 Ce bien qui eacutechoit agrave Socrate ce sont les jeunes

gens dont beaucoup sont beaux et issus dune belle famille

En effet dans Athegravenes classique la παιδεραστία joue un rocircle social et eacuteducatif Par le

rocircle social ladulte introduit ladolescent dans le monde masculin et dominant de la

socieacuteteacute Par le rocircle eacuteducatif le maicirctre transmet agrave leacutelegraveve ou au disciple un savoir ou

une vertu laquo par lintermeacutediaire dun contact physique (simple touche ou peacuteneacutetration

et eacutejaculation dans lunion sexuelle) raquo6 Comme il sagit dune culture on a toutes les

raisons de penser que Socrate pratiquerait aussi ce modegravele eacuteducatif Mais en veacuteriteacute

cest le contraire car Socrate reacutesiste agrave la plus belle tentative de ce genre Cest

dailleurs le jeune et beau Alcibiade qui la raconteacute

Alcibiade Je me soulevai donc et sans lui laisser la possibiliteacute dajouter le moindre mot jeacutetendis sur lui mon manteau mdash en effet ceacutetait lhiver mdash je mallongeai sous son grossier manteau jenlaccedilai de mes bras cet ecirctre veacuteritablement divin et extraordinaire et je restai coucheacute contre lui toute la nuit Lagrave-dessus non plus Socrate tu ne diras pas que je mens Au vu des efforts que moi javais consentis sa supeacuterioriteacute agrave lui saffrmait dautant il deacutedaigna ma beauteacute il sen moqua et se montra insolent agrave son eacutegard Et ceacutetaitpreacuteciseacutement lagrave que jimaginais avoir quelque chance messieurs les juges car vous ecirctes juges de la superbe de Socrate Sachez-le bien Je le jure par les dieux par les deacuteesses je me levai apregraves avoir dormi aux cocircteacute de Socrate sans que rien de plus ne se fucirct passeacute que si javais dormi aupregraves de mon pegravere ou de mon fregravere7

Dans une socieacuteteacute tellement masculine et impreacutegneacutee dune culture de paiderastia

sachant que cette culture avait perdureacute depuis leacutepoque minoenne8 le fait dexercer

un tel ascendant socratique sur les jeunes gens suscite ineacutevitablement de la jalousie agrave

toute sorte de gens poegravetes artisans et politiques que repreacutesentent en effet les trois

accusateurs contre Socrate

Et cest en sappuyant sur ces calomnies que Meacuteleacutetos de concert avec Anytos et Lycon me

1 Cf Banquet laquo Introduction raquo p 232 Les Nueacutees montre que Socrate et Aristophane se connaissaient bien avant 4233 Phliegravebe 50 a4 Voir Philegravebe 47 e ndash 49 e5 laquo La notion de PHTHOacuteNOS chez Platon raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 219 ndash 234 p 221 ndash

2226 Dictionnaire Platon Paris Ellipses 2007 lentreacutee laquo Paiderastia raquo p 1127 Banquet 219 b ndash d8 Supra Dictionnaire Platon p 111

77

sont tombeacutes dessus Meacuteleacutetos exprime lhostiliteacute des poegravetes Anytos celle des gens de meacutetier et Lycon celle des orateur cest-agrave-dire des dirigeants politiques1

Certes ici Socrate na pas citeacute les sophistes cest probablement parce quils

sinteacuteressent plus agrave leur salaire quaux attraits de la jeunesse Or leurs clients sont les

jeunes gens Ainsi lorsque Socrate critique lenseignement des sophistes et

deacuteconseille les jeunes gens de le suivre2 et par conseacutequent moins deacutelegraveves moins de

reacutetribution agrave gagner moins de reconnaissance agrave teacutemoigner tout cela ne pouvait pas

plaire aux sophistes Au fond le veacuteritable corrupteur de lacircme des jeunes ce sont les

sophistes puisque chacun deux vend un enseignement nocif pour lacircme et

particuliegraverement pour lacircme des jeunes gens Cest pourquoi dans les premiers

dialogues les sophistes sont les premiers agrave combattre pour Socrate car ils sont

beaucoup plus dangereux pour les jeunes gens que les autres types dignorance

II112 Le savoir

Agrave cette eacutepoque le fait decirctre savant comme les sophistes signife quon laquo leur donne

de largent en leur teacutemoignant en plus de la reconnaissance raquo3 largent et la

reconnaissance sont source de jalousie Or en effet Socrate ne possegravede pas un tel

savoir

Dans lApologie Socrate cite dabord Aristophane en faisant un tregraves court reacutesumeacute des

Nueacutees dont nous avons deacutejagrave lu la premiegravere moitieacute

Un Socrate qui se balanccedilait en preacutetendant quil se deacuteplaccedilait dans les airs et en deacutebitant plein dautres becirctises concernant des sujets sur lesquels je suis un expert ni peu ni prou En disant cela je nai pas lintention de deacutenigrer ce genre de savoir agrave supposer que lontrouve quelquun de savant en de telle matiegravere puisseacute-je navoir pas agrave me disculper en plus de plaintes en ce sens deacuteposeacutees par Meacuteleacutetos raquo4

Les sujets sur lesquels Socrate est un expert ni peu ni prou deacutesignent tout au plus les

savoirs particuliers ou les compeacutetences techniques Peu apregraves Socrate cite le nom de

trois grands sophistes agrave savoir Gorgias Prodicos Hippias et puis le nom dun

rheacuteteur peu connu Eacuteveacutenos de Paros5 Il est citeacute pour cette raison

Socrate Qui est-ce repartis-je dougrave est-il et combien prend-il pour enseigner

1 Apologie 23 e ndash 24 a2 Cest le cas dans la premiegravere partie du Protagoas ougrave Socrate deacuteconseille le jeune Hippocrate de

suivre lenseignement du sophiste dAbdegravere en raison du fait que cet enseignement est dangereux pour lacircme

3 Apologie 20 a4 Apologie 19 c5 Il est citeacute dans le Pheacutedon comme philosophe (60 c ndash d 61c) cest un sujet agrave caution puisque nous

allons le voir il enseigne contre une reacutetribution non neacutegligeable mais dans le Phegravedre il est citeacute comme rheacuteteur (267 a)

78

Callias Socrate reacutepondit-il cest Eacuteveacutenos de Paros et il prend 5 mines1

Sil sgit du salaire journalier qui seacutelegraveve agrave 5 mines2 cela eacutequivaut agrave deux ans de

salaire dun ouvrier qualifeacute car il fallait 100 drachmes pour faire 1 mine certes laquo ce

qui ne semble pas excessif raquo3 mais le rapport des salaires (1 sur 500) semble

consideacuterable sans compter le fait que la notorieacuteteacute dEacuteveacutenos est incomparable avec

celle de Gorgias ou Protagoras par exemple Une drachme repreacutesente le salaire

journalier moyen dun ouvrier qualifeacute cest la valeur de son œuvre qui est quelque

chose dutile un bien utile pour ainsi dire Lenseignement sophiste produit-il 500

fois plus de biens utiles que ce que produit un ouvrier qualifeacute Cest peut-ecirctre

incomparable puisque lun produit une technique sur un objet quand lautre est

censeacute produire un savoir sur lacircme Justement la piegravece des Nueacutees dAristophane a fait

de Socrate un vendeur du savoir comme les sophistes cest pourquoi apregraves avoir citeacute

les quatre sophistes il se deacutefend de posseacuteder un tel savoir

En effet Atheacuteniens cest tout simplement parce que je suis censeacute posseacuteder un savoir que jai reccedilu ce nom De qelle sorte de savoir peut-il bien sagir De celui preacuteciseacutement jesuppose qui se rapporte agrave lecirctre humain Car en veacuteriteacute il y a des chances que je sois un savant en ce domaine En revanche il est fort possible que ceux que je viens deacutevoquer soient des savants qui possegravedent un savoir dun rang plus eacuteleveacute que celui qui se rapporte agrave lecirctre humain autrement je ne sais que dire Car cest un fait que moi je ne possegravede point ce savoir quiconque preacutetend le contraire profegravere un mensonge et cherche agrave me calomnier4

Le fait que Socrate ne possegravede point ce savoir sophistique signife quil ne pratique

jamais le meacutetier de sophiste Cest une question doublement eacutethique 1 Si on vend

un savoir on risque fort decirctre escroc car pour avoir un bon salaire et une bonne

reacuteputation on vante ineacutevitablement son enseignement autrement dit on ment pour

son propre inteacuterecirct ce qui est le contraire du mensonge vrai qui est pratiqueacute pour

linteacuterecirct des autres cest le sens politique du mensonge vrai tel quon peut le lire

dans le livre III de la Reacutepublique5 2 Le savoir du sophiste est un poison pour lacircme il

corrompt lacircme de ceux qui le reccediloivent en les rendant plus ignorants car les

sophistes ne savent pas ce quest la vertu quils preacutetendent enseigner En effet laquo de la

1 Apologie 20 b2 Cf Hansen Mogens-Herman La deacutemocratie atheacutenienne agrave leacutepoque de Deacutemosthegravene Structure principes et

ideacuteologie Paris Tallandier Texo 2009 laquo Peacutericlegraves introduisit le salaire journalier dabord pour les jureacutes sieacutegeant au Tribunal du Peuple 150 puis pour les membres du Conseil et les autres magistrats raquo (p 62) laquo Le salaire journalier par exemple eacutetait le mecircme sans consideacuteration de statut agrave la fn du Ve siegravecle un citoyen un meacutetegraveque et un esclave gagnaient semblablement leur drachme quotidienne (p 89)

3 Apologie laquo Notes raquo ndeg 54 p 1354 Apologie 20 d ndash e5 Voir Reacutepublique III 414 b ndash 415 c

79

vertu personne nest le maicirctre raquo1 ni mecircme Socrate

Pour ma part je nai jamais eacuteteacute le maicirctre de personne [hellip] Et sil arrive que parmi ces gens-lagrave lun devienne un homme de bien et lautre non je ne saurais moi au regard de la justice en ecirctre tenu pour responsable car je nai jamais promis agrave aucun deux denseignerrien qui sapprenne et je nai pas donneacute un tel enseignement Et si quelquun preacutetend avoir jamais en priveacute appris quelque chose de moi ou mavoir entendu parler de quelque chose dont personne dautre nest au courant sachez bien quil ne dit pas la veacuteriteacute2

Cest sur ce point concernant lenseignement de la vertu que Socrate et les sophistes

sont diameacutetralement opposeacutes Pour Socrate la vertu ne senseigne pas (nous en

discuterons dans le chapitre V laquo La vertu raquo) mais pour les sophistes oui cest

justement ce en quoi consiste le savoir des sophistes agrave savoir enseigner ce qui ne

senseigne pas en tout cas il est absurde denseigner ce que lenseignant ne possegravede

pas sinon il doit savoir ce quest la chose quil preacutetend enseigner la vertu par

exemple Cest la raison pour laquelle la reacutefutation est une neacutecessiteacute dans les premiers

dialogues car il est absolument neacutecessaire de deacutetruire limage du savoir telle quelle

eacutetait graveacutee dans la meacutemoire collective agrave Athegravenes en soumettant les gens reacuteputeacutes

pour leur savoir

II113 La veacuteriteacute

Si nous reacutesumons lApologie dune maniegravere minimaliste avec quelques mots cela

pourrait ecirctre ceci Socrate dit la veacuteriteacute alors que les orateurs ne disent que le

vraisemblable Cest en ce sens que lApologie nest pas laquo un discours de type

judiciaire raquo3 car dans une plaidoirie judiciaire laccuseacute cherche des circonstances

atteacutenuantes ainsi il ne peut dire toute la veacuteriteacute alors que le discours de Socrate est

insolent mecircme jusquagrave ce quil propose laquo decirctre nourri dans le prytaneacutee raquo comme

contre-proposition agrave laquo la peine agrave laquelle Meacuteleacutetos propose de me condamner est la

mort raquo4 Par ce procegraves Socrate se transforme du statut daccuseacute agrave celui de juge il juge

les accusants anciens et reacutecents et les citoyens qui ont voteacute contre lui On voit bien

que Socrate ne cherche pas agrave apaiser lanimositeacute de ses accusateurs mais en quelque

sorte agrave lamplifer un peu plus car le prytaneacutee laquo eacutetait une survivance de leacutepoque ougrave

les rois faisaient lhonneur agrave leur hocircte de partager leur table raquo5 Mais pourquoi une

1 Reacutepublique X 617 e2 Apologie 33 a 33 b3 Cf Foucault Michel Le courage de la veacuteriteacute Le gouvernement de soi et des autres Paris Gallimard mdash

Seuil Cours au Collegravege de France 1984 2009 p 68 Voici son argument laquo comme tout bon discours judiciaire en tout cas beaucoup de plaidoirie [par la proposition] Mes adversaires mentent moi je dis la veacuteriteacute raquo (p 68)

4 Voir Apologie 36 b ndash 37 a5 Apologie laquo Notes raquo ndeg 258 p 155 laquo [hellip] Il faut dire que le prytaneacutee neacutetait pas le mecircme bacirctiment

80

telle insolence Cest parce que la veacuteriteacute est insolente celui qui cherche linteacuterecirct

personnel sous quelque forme que ce soit ne peut dire toute la veacuteriteacute Par dessus

tout celui qui est eacutetroitement attacheacute agrave linteacuterecirct personnel a certainement pour

habitude de ne pas dire toute la veacuteriteacute En effet dire la veacuteriteacute est diffcile car il faut agrave

la fois honnecircteteacute (παρρησία) et courage1

Lhonnecircteteacute cest le franc-parler dire-vrai cest une condition neacutecessaire pour dire la

veacuteriteacute puisque toute veacuteriteacute est franche vraie La question se pose comment peut-on

savoir si quelquun dit la veacuteriteacute cest-agrave-dire la concordance entre son dire et sa penseacutee

qui doit agrave son tour ecirctre en concordance avec la reacutealiteacute La reacuteponse semble se trouver

dans ce passage

Ces gens-lagrave nont donc je le reacutepegravete rien dit de vrai ou presque tandis que de ma bouchecest la veacuteriteacute toute la veacuteriteacute que vous entendrez sortir Non bien sucircr Atheacuteniens ce ne sont pas par Zeus des discours eacuteleacutegamment tourneacutes comme les leurs ni mecircme des discours quembellissent des expressions et des termes choisis que vous allez entendre mais des choses dites agrave limproviste dans les termes qui me viendront agrave lesprit2

Les discours eacuteleacutegamment tourneacutes embellis et agreacuteables agrave entendre cest une question

dhonnecircteteacute envers soi-mecircme envers les auditeurs et surtout envers la veacuteriteacute (la

reacutealiteacute ou lοὐσία) comme si soi-mecircme les auditeurs et la veacuteriteacute eacutetaient des amis Or

il ne peut y avoir damitieacute sans honnecircteteacute En effet dire cest dire quelque chose qui

correspond agrave ce quon pense et non pas dire une chose alors quon en pense une

autre cest lhonnecircteteacute agrave eacutegard de soi-mecircme Dire ensuite cest aussi et surtout dire

quelque chose quon peut connaicirctre comprendre ou identifer et non pas quon en est

incapable de saisir ou discerner cest lhonnecircteteacute agrave leacutegard de ceux qui precirctent

loreille Dire enfn cest dire quelque chose duniversel et immuable plutocirct que

quelque chose de particulier qui devient en permanence cest lhonnecircteteacute agrave leacutegard de

la reacutealiteacute cest-agrave-dire de la veacuteriteacute

que la Tholos avec lequel il fut parfois confondu [hellip] En effet le prytaneacutee eacutetait le foyer commun de la citeacute et la coutume agrave laquelle fait allusion Socrate eacutetait une survivance de leacutepoque ougrave les rois faisaient lhonneur agrave leur hocircte de partager leur table Ce privilegravege eacutetait accordeacute aux vainqueurs des jeux agrave Olympie agrave des strategraveges et aux repreacutesentants de certaines familles par exemple les descendants dHarmodios et dAristogiton [hellip] raquo

1 Voici la liste du substantif laquoπαρρησίαraquo et le verbe laquoπαρρησιάζεσθαιraquo Banquet παρρησίᾳ (222 c)Gorgias παρρησίαν (487 a) παρρησίας (487 b) Lachegraves παρρησίας (189 a) Lettre VIII παρρησίᾳ (354 a) Lois I παρρησίας (649 b) II παρρησίας (671 b) III παρρησίαν (694 b) VII παρρησίας (806 d) VIII παρρησίαν (829 d) παρρησίας (829 e) παρρησίαν (835 c) X παρρησίας (908 c) Phegravedreπαρρησίᾳ (240 e) Reacutepublique VIII παρρησίας (557 b) Charmide παρρησιάσομαι (156 a) Gorgias παρρησιάζεσθαι (487 d) παρρησιαζόμενος (491 e) παρρησιαζόμενοςmiddot (492 d) παρρησιάζεσθαι (521 a) Lachegraves παρρησιάζεσθαι (178 a) παρρησιασόμεθα (179 c) Lettre XIII παρρησιάσομαι (362 c) Lois VII παρρησιαζόμενον (811 a) Reacutepublique VIII παρρησιάζεσθαι (567 b)

2 Apologie 17 b ndash c

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Dire la veacuteriteacute cest aussi et surtout une question de courage Dans lApologie Socrate

cite au moins trois formes de courage en ce qui le concerne 1 Le courage agrave

lencontre du populisme ignorant et de la tyrannie au peacuteril de sa vie Laffaire

dArginuses (32 b)1 en 406 sous le reacutegime deacutemocratique et celle de Salamine Leacuteon (32

c)2 sous la tyrannie de Trente montrent que Socrate risquait sa vie pour faire

respecter la loi et la justice contre toute forme de tyrannie3 2 Le courage envers son

inteacuterecirct personnel La piegravece des Nueacutees dAristophane dont Socrate parle dans

lApologie (19 c) a eacuteteacute repreacutesenteacutee pour la premiegravere fois en 423 av J-C et il fut

condamneacute agrave mort en 399 cette condamnation mecircme prouve que Socrate navait pas

lintention pendant 23 ans de dissiper la calomnie4 que colportaient les Nueacutees cest

parce que cette calomnie relegraveve de son inteacuterecirct personnel alors que la philosophie est

son unique preacuteoccupation deacutepassant son inteacuterecirct personnel Dailleurs Socrate insiste

sur sa pauvreteacute (31 c 36 d 38 b)5 Au deacutebut du chapitre nous avons dit que la

richesse est une valeur du corps elle est une source de deacutesirs et de plaisirs ainsi

laquo ecirctre courageux cest non seulement affronter la peur ou la douleur mais aussi

reacutesister aux deacutesirs et aux plaisirs raquo6 qui relegravevent en effet de linteacuterecirct personnel 3 Le

courage vis-agrave-vis de la politique

Car sachez-le Atheacuteniens si javais entrepris de me mecircler des affaires de la citeacute il y a longtemps que je serais mort et que je ne serais plus daucune utiliteacute ni pour vous ni pour moi-mecircme7

Comment comprendre cette situation quelque peu paradoxale Dune part il navait

pas peur de mourir en disant la veacuteriteacute mais dautre part il eacutevitait de faire de la

politique Et surtout quel est le rapport entre le courage et le renoncement agrave la

1 Cf Apologie laquo Notes raquo ndeg 202 p 150 laquo [hellip] En fait ils neacutetaient pas dix mais six seulement en effet Conon ne fut pas accuseacute Archestratos eacutetait mort au combat et deux autres strategraveges avaient refuseacute de rentrer agrave Athegravenes et furent condamneacutes par contumace[hellip] raquo

2 Couramment on parle de laquo [hellip] Leacuteon de Salamine raquo laquo Leacutepithegravete ldquode Salaminerdquo utiliseacutee par Platon ici et par Xeacutenophon dans ses Helleacuteniques (II 3 39) ne signife pas que ce neacutetait pas un Atheacutenien Leacuteon eacutetait un citoyen atheacutenien (Lettre VII 324 e ndash 325 c) et il seacutetait reacutefugieacute dans licircle de Salamine qui nest pas tregraves eacuteloigneacutee dAthegravenes (Apologie 32 c 32 d Lettre VII 325 c) raquo (Apologie laquo Notes raquo ndeg 210 p 151)

3 Mecircme dans la deacutemocratie tout pouvoir qui ne respecte pas la loi et qui meacuteprise la justice est une forme de tyrannie

4 Socrate insiste sur le lien entre sa condamnation et la calomnie des Nueacutees laquo Et ce qui est susceptiblede me faire condamner si je suis condamneacute ce nest ni Meacuteleacutetos ni Anytos mais la calomnie transmise par beaucoup de gens et leur jalousie raquo (28 a)

5 laquo Cela dit le fait que Socrate ait participeacute agrave des campagnes militaires comme hoplite implique quildevait payer son armure lourde qui coucirctait assez cher et donc quil posseacutedait quelques biens Peut-ecirctre eacutetait-il devenu pauvre par la suite raquo (Apologie laquo Notes raquo ndeg 95 p 140)

6 Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81c5-d5) raquo International Plato Studies V 25 2007 pp 199 ndash 203 p 202

7 Apologie 31 d ndash e

82

politique En veacuteriteacute Socrate est destineacute agrave philosopher et non pas agrave faire de la

politique cest pourquoi il ne sagit pas dun renoncement agrave la politique Cela admis

sil faisait autre chose que de philosopher laquo ce serait lagrave deacutesobeacuteir au dieu raquo (38 a)

cest-agrave-dire refuser sa destineacutee ainsi il commettrait une injustice agrave leacutegard du dieu

mais aussi de lui-mecircme Au fond chaque vie humaine est destineacutee simplement tregraves

souvent on na pas assez de courage pour reacutesister aux tentatives dabandonner le

chemin de la destineacutee

II12 Lacircme et le miroir

Le terme κάτοπτρον (miroir) nest pas rare mais pas tregraves freacutequent non plus dans le

corpus platonicien avec seize occurrences dont trois dans lAlcibiade trois dans le

Sophiste et quatre dans le Timeacutee et surtout dans ces trois cas lemploi du terme est

tregraves regroupeacute1 On y trouve trois regards porteacutes sur le miroir pour illustrer trois

niveaux de reacutealiteacute de lacircme agrave savoir le miroir comme producteur dimage la

psychologie comme miroir et le miroir comme paradigme

II121 Le miroir comme producteur dimages

Toute surface reluisante et lisse est un miroir qui refegravete des images LEacutetranger du

Sophiste compare le sophiste agrave un producteur dimages

LEacutetranger Eh bien si tu es daccord mettons-nous de cocircteacute toi et moi Et jusquagrave ce que nous trouvions quelquun qui soit capable daccomplir cette tacircche disons que le sophiste sestcacheacute le plus habillement du monde dans un endroit ougrave il est diffcile agrave acceacuteder

Theacuteeacutetegravete Il semble bien

LEacutetranger Voilagrave donc pourquoi si nous affrmons quil maicirctrise une certaine technique des illusions il lui sera facile de nous contredire en utilisant nos arguments il les retournera contre nous et enfn lorsque nous dirons quil est un producteur dimages il nous demandera ce que nous appelons en fait image Il faut donc examiner Theacuteteacutetegravete ce que nous reacutepondrons agrave cet insolent

Theacuteeacutetegravete Il est eacutevident que nous eacutevoquerons les images que lon voit sur leau et sur les miroirs (κατόπτροις) ainsi que les images peintes ou sculpteacutees et dautres choses analogues et du mecircme genre2

1 Alcibiade κάτοπτρά (132 e) κατόπτρῳ (133 a) κάτοπτρά (133 c) Lois X κατόπτροις (905 b)Phegravedre κατόπτρῳ (255 d) Reacutepublique III κατόπτροις (402 b) X κάτοπτρον (596 d) Sophiste κατόπτροις (239 d) κατόπτροις (239 e) κάτοπτρα (239 e) Theacuteeacutetegravete κατόπτροις (193 c) κάτοπτρον (206 d) Timeacutee κατόπτρων (46 a) κατόπτρων (46 c) κατόπτρῳ (71 b) κατόπτρῳ (72 c) En revanche le terme ἔσοπτρον qui veut dire aussi le miroir est totalement absent dans le corpus platonicien Par ailleurs lauthenticiteacute de ces paragraphes entre 132 c et 133 c de lAlcibiade semble confrmeacutee car lemploi du terme dans les trois dialogues agrave savoir le Sophiste lAlcibiade et le Timeacutee est tregraves regroupeacute

2 Sophiste 249 c ndash d

83

Le miroir est laquo reluisant et lisse raquo1 laquo un lieu sans lieu raquo2 il produit des images

illusoires cest-agrave-dire qui ne participent nullement agrave lintelligible En effet il y a deux

sortes dimages 1Les reacutealiteacutes sensibles sont les images des reacutealiteacutes intelligibles elles

sont en effet les lieux reacuteels car laquo la χώρα donne donc son mode dexistence agrave la chose

sensible en lui fournissant un lieu ougrave elle apparaicirct et dougrave elle disparaicirct raquo3 le lieu est

une condition de travail (ἔργον) 2 Les images produites par le refet du miroir sont

deacutepourvues de lieu4 certes la surface dun miroir est un lieu mais pas les images

refeacuteteacutees Prenons un exemple pour ecirctre preacutecis est une image du Lit un lit particulier

sur lequel on peut se reposer alors quune toile en laine tendue sur un chacircssis en bois

est un lieu ougrave un peintre peut peindre un lit ou autres choses mais cest la toile qui

est un lieu et non limage peinte sur la toile autrement dit comme image la toile en

laine est un lieu reacuteel deacutedieacute agrave œuvrer comme image un lit peint sur la toile est un

lieu illusoire fait pour tromper heacutelas involontairement comme la peinture en

perspective

La diffeacuterence fondamentale entre ces deux types dimages reacuteside aussi dans le point

suivant En tant quimages du monde intelligible les choses sensibles se trouvent

structureacutees matheacutematiquement physiquement chimiquement cest pourquoi elles

sont objets de connaissance alors que les images se trouvant refeacuteteacutees sur la surface

du miroir sont deacutepourvues de ces proprieacuteteacutes si ce nest que les proprieacuteteacutes du miroir

cest la raison pour laquelle ces images ne peuvent faire lobjet daucune

connaissance

II122 La psychologie comme miroir

Nous parlons ici dabord de la question de la psychologie avant danalyser le rapport

entre la psychologie et le miroir Dans le Philegravebe Socrate eacutenumegravere sept fgures

psychologiques agrave savoir la colegravere (ὀργή) la peur (φόβος) le regret (πόθος) le deuil

(θρῆνος) le deacutesir (ἔρως) lenvie (ζῆλος) et la jalousie (φθόνος)5 qui sont laquo les

douleurs de lacircme elle-mecircme raquo (47 e) auxquelles se meacutelangent des plaisirs6 comme

1 Timeacutee 46 a2 Foucault Michel laquo Des espaces autres raquo Empan ndeg 54 2004 pp 12 ndash 19 p 153 Brisson Luc laquo Agrave quelles conditions peut-on parler de matiegravere dans le Timeacutee de Platon raquo Revue de

meacutetaphysique et morale 2003 ndeg 1 pp 5 ndash 21 p 74 Cf Merker Anne laquo Miroir et χώρα dans le Timeacutee de Platon raquo Eacutetudes platoniciennes ndeg 2 2006 pp 27

ndash 92)5 Philegravebe 47 e 50 b ndash c Agrave propos de la diffeacuterence entre lenvie et la jalousie cf laquo La notion de φθόνος

chez Platon raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 219 ndash 2346 Ibid 48 a laquo ἡδονὰς ἐν λύπαις οὔσας ἀναμεμειγμένας raquo

84

cest le cas lors que lon assister agrave une trageacutedie on se reacutejouit et pleure agrave la fois1 et

laquo leacutetat de notre acircme lors des comeacutedies ne vois-tu pas quil est lui aussi un meacutelange

de douleur et de plaisir raquo2 En effet dans le Philegravebe on peut constater que de trois

maniegraveres lacircme entretient son rapport avec les formes intelligibles agrave savoir 1 de la

maniegravere sensible qui est une maniegravere reacuteelle mais indirecte agrave travers la sensation mais

toute sensation elle-mecircme nest quun mouvement qui permet de transmettre agrave lacircme

certaines affections (πάθη ou παθήματα) perccedilues par le corps afn de deacuteclencher

dautres mouvements supeacuterieurs quest lintellection3 en dautres termes toute

connaissance par sensation nest pas encore science 2 de la maniegravere intelligible agrave

travers des reacuteminiscences (ἀναμνήσεις)4 qui constituent une science (ἐπιστήμη)

cest-agrave-dire la connaissance de ce qui est 3 de la maniegravere psychologique il sagit de

simaginer par plaisir lexistence dune reacutealiteacute qui nexiste nulle part par exemple

ceux laquo qui se croient plus grands et plus beaux quils ne le sont raquo eacutetaient emporteacutes par

la jalousie5 qui est un meacutelange de douleur et de plaisir

En effet la psychologie est le fait de simaginer une reacutealiteacute qui ne correspond pas agrave la

reacutealiteacute Le passage suivant deacutecrit mieux le meacutecanisme de leacutetat psychologique de

maniegravere plus geacuteneacuterale

Socrate Et maintenant pose dans lacircme elle-mecircme lopinion par anticipation (προσδόκημα) de ces impressions dune part lattente plaisante et confante qui preacutecegravede les choses plaisantes et dautre part lattente craintive et peacutenible qui preacutecegravede les choses douloureuses6

Le terme προσ-δόκημα dit clairement la nature de la psychologie avoir de lopinion

par fantaisie une opinion qui soppose dune part agrave lopinion par sensation dautre

part agrave lopinion par raisonnement Dans le Timeacutee la psychologie est deacutecrite comme

un feu inteacuterieur qui produit des simulacres

En effet la protection des yeux que les dieux ont ameacutenageacutee mdash les paupiegraveres mdash

1 Ibid2 Ibid3 En ce qui concerne la deacutefnition de la sensation voir Philegravebe 33 e ndash 34 a le meacutecanisme de la

sensation voir Timeacutee 61 c ndash 69 a cf aussi Brisson Luc laquo L e Timeacutee de Platon et le traiteacute hippocratique Du reacutegime sur le meacutecanisme de la sensation raquo Eacutetudes platoniciennes 10 2013 etudesplatoniciennesrevuesorg

4 La question de la reacuteminiscence nest eacutevoqueacutee que dans trois courtes reacutepliques (Philegravebe 34 b ndash c)notons que le terme laquo ἀνάμηνσις raquo y est eacutevoqueacute dans le but de le distinguer des souvenirs (μνήμας) qui sont lieacutes agrave la sensation cela eacutetant par lopposition cette distinction souligne explicitement que la reacuteminiscence est lieacutee agrave lintellection mecircme si Platon ne donne aucuneexplication sur la reacuteminiscence dans le Philegravebe En effet le Philegravebe est lun des tous derniers dialogues reacutedigeacutes par Platon agrave lAcadeacutemie cela suppose que les lecteurs de lAcadeacutemie lisaient certainement ces trois dialogues qui preacutecegravedent le Philegravebe agrave savoir le Meacutenon le Pheacutedon et le Phegravedre

5 Voir Philegravebe 48 e ndash 49 a6 Ibid 32 b ndash c

85

lorsquelles se ferment enferment agrave linteacuterieur la puissance du feu inteacuterieur qui se reacutepand et apaise les mouvements qui se produisent agrave linteacuterieur de lecirctre humain Quand ces mouvements sont apaiseacutes survient le repos et sil sest installeacute un repos profond un sommeil presque sans recircve survient En revanche sil subsiste des mouvements assez violents ces mouvements suivant leur nature et les lieux ougrave ils persistent produisent des simulacres (φαντάσματα) de mecircme nature et en mecircme nombre qui sont des repreacutesentations inteacuterieures et des souvenirs de choses exteacuterieures dont on a fait lexpeacuterience agrave leacutetat de veille

Comprendre ce qui concerne la production dimages sur les miroirs et sur les surfacesreluisantes et lisses noffre plus aucune diffculteacute apregraves ce quon vient de dire1

Que signife ici le miroir Pas facile agrave comprendre dans ce contexte en tout cas cest

Timeacutee lui-mecircme qui annonce quon aurait de la diffculteacute agrave comprendre le miroir si

on ne precirctait pas loreille agrave laquo ce quon vient de dire raquo Or laquo ce quon vient de dire raquo

concerne particuliegraverement les mouvements du feu inteacuterieur qui peuvent produire

des simulacres cest-agrave-dire des images deacutepourvues de reacutealiteacute quand ils sont violents

cest-agrave-dire deacutepourvus dharmonie Cela eacutetant 1 tout feu est illimiteacute cest la raison

pour laquelle le fait de maicirctriser le feu exige de la mesure de mecircme pour le feu

inteacuterieur qui est la source de tous mouvements inteacuterieurs mais cest lacircme qui est

responsable de lusage mesureacute ou deacutemesureacute de cette source Dans le cas de la

deacutemesure le feu inteacuterieur ne peut ecirctre reacutepandu harmonieusement sur la totaliteacute du

corps ainsi quand il se concentre par exemple sur le foie cela produit certains

mouvements de colegravere sur le cœur certains mouvements de tristesse ou de joie

excessive et ainsi de suite laquo suivant leur nature et les lieux raquo En dautres termes tous

ces mouvements inteacuterieurs apaiseacutes ou violents sont des mouvements

psychologiques puisque cest lacircme qui est le maicirctre du feu inteacuterieur 2 Quand il

sagit de mouvements violents qui produisent des simulacres ils ont la mecircme nature

que le miroir qui lui aussi produit des simulacres cest-agrave-dire des images qui ne

correspondent agrave aucune reacutealiteacute 3 Le miroir synonyme du narcissisme permet

quon sappreacutecie soi-mecircme sans limite et la beauteacute y perd du sens puisque limage

refeacuteteacutee paraicirct au sujet beaucoup plus belle que la reacutealiteacute ne lest En reacutealiteacute ce nest

pas le miroir qui rend le sujet plus beau ou plus laid mais cest la psychologie En

effet comme un miroir la psychologie seacuteduit soi-mecircme cest la raison pour laquelle

la jalousie est diffcile agrave eacuteteindre et cest pourquoi plus geacuteneacuteralement beaucoup de

gens se contentent de vivre dans la psychologie comme si elle eacutetait un abri qui les

protegravegerait Agrave la diffeacuterence du miroir sophistique dont lillusion porte sur la

connaissance des choses le miroir psychologique porte sur lacircme elle-mecircme et

1 Timeacutee 45 d ndash 46 a

86

quand le feu inteacuterieur est mal maicirctriseacute il fait subir lacircme et corps

II123 Le miroir comme paradigme

Toute chose sensible nest pas toujours bonne ou mauvaise cest une question de bon

usage De mecircme pour le miroir qui en tant que tel est une chose sensible au mecircme

titre quun lit ou un cercle particulier Or une chose sensible a une certaine fonction

propre ainsi la question se pose quel est le bon usage du miroir Dans le passage

suivant de lAlcibiade le miroir est consideacutereacute comme un paradigme

Socrate Comment pourrions-nous maintenant savoir le plus clairement possible ce quest laquo soi-mecircme raquo Il semble que lorsque nous le saurons nous nous connaitrons nous-mecircmes Mais par les dieux cette heureuse parole de linscription delphique que nous rappelions agrave linstant ne la comprenons-nous pas

Alcibiade Quas-tu agrave lesprit en disant cela Socrate

Socrate Je vais texpliquer ce que je soupccedilonne que nous dit et nous conseille cette inscription Il ny en a peut-ecirctre pas beaucoup de paradigmes (παράδειγμα) si ce nest la vue

Alcibiade Que veux-tu dire par lagrave

Socrate Examine la chose avec moi Si ceacutetait agrave notre regard comme agrave un homme que cette inscription sadressait en lui conseillant laquo Regarde-toi toi-mecircme raquo comment comprendrions-nous cette exhortation Ne serait-ce pas de regarder un objet dans lequel lœil se verrait lui-mecircme

Alcibiade Eacutevidemment

Socrate Quel est parmi les objets celui vers lequel nous pensons quil faut tourner notre regard agrave la fois le voir et nous voir nous-mecircme

Alcibiade Cest eacutevidemment un miroir Socrate ou quelque chose de semblable

Socrate Bien dit Mais dans lœil gracircce auquel nous voyons ny a-t-il pas quelque chose de cette sorte

Alcibiade Bien sucircr

Socrate Nas-tu pas remarqueacute que lorsque nous regardons lœil de quelquun qui nous fait face notre visage se reacutefeacutechit dans sa pupille comme dans un miroir (ἐν κατόπτρῳ) ce quon appelle aussi la poupeacutee car elle est une image de celui qui regarde

Alcibiade Tu dis vrai

Socrate Donc lorsquun œil observe un autre œil et quil porte son regard sur ce quil y a de meilleur en lui cest-agrave-dire ce par quoi il voit il sy voit lui-mecircme1

Lœil est un double miroir non seulement la pupille reacutefeacutechit lautre mais aussi et

surtout elle se reacutefeacutechit sur lautre non seulement la pupille lit lautre pupille mais

aussi et surtout elle se lit dans lautre Pour quune acircme se connaisse soi-mecircme il faut

quelle lise le miroir dune autre acircme et se lise dans ce miroir de lautre acircme le miroir

1 Alcibiade 132 c ndash 133 a

87

(la pupille) de lacircme cest-agrave-dire lexcellence de lacircme cest le savoir cest-agrave-dire la

vertu En effet cest ce que deacuteveloppe la derniegravere partie de lAlcibiade (133 b ndash 135 e)

la pupille est lexcellence de lœil le savoir lexcellence de lacircme ou plus

geacuteneacuteralement lexcellence dune chose constitue en quelque sorte un miroir ainsi

pour mieux se connaicirctre soi-mecircme il faut porter le regard sur les excellences des

autres1

II13 Lacircme corruptible

Dans la Reacutepublique et dans les premiers dialogues la critique de Socrate agrave leacutegard des

poegravetes et des sophistes se montre tregraves deacutetermineacutee cest parce que lacircme humaine est

corruptible et particuliegraverement lacircme des enfants et des jeunes gens Cest en effet

cette nature corruptible de lacircme humaine dont Socrate se preacuteoccupait notamment

dans les premiers dialogues Voici un exemple laquo Il sappelle Clinias Et il est jeune

nous craignons donc pour lui ce quil est naturel de craindre pour un jeune homme

mdash quon nous devance pour deacutetourner son esprit vers une autre occupation et quon

le corrompe raquo2 Mais par quel moyen peut-on corrompre lacircme dun jeune homme

Par lenseignement cest-agrave-dire la nourriture de lacircme laquo Mais Socrate de quoi lacircme

se nourrit-elle raquo demanda Hippocrate laquo Denseignements (μαθήμασιν) bien sucircr raquo

reacutepondit Socrate3 Cela eacutetant celui qui est capable denseigner est susceptible de

corrompre en raison du fait que le mauvais enseignement est nocif pour lacircme

comme la mauvaise nourriture lest pour le corps Cest pourquoi 1 Socrate nie

cateacutegoriquement le fait quil donne un enseignement agrave qui que ce soit

Et sil arrive que parmi ces gens-lagrave lun devienne un homme de bien et lautre non je ne saurais moi au regard de la justice en ecirctre tenu pour responsable car je nai jamais promis agrave aucun deux denseigner rien qui sapprenne et je nai pas donneacute un tel enseignement Et si quelquun preacutetend avoir jamais en priveacute appris quelque chose de moi ou mavoir entendu parler de quelque chose dont personne dautre nest au courant sachez bien quil ne dit pas la veacuteriteacute4

1 Cf Brunschwig Jacques laquo La deacuteconstruction du Connais-toi toi-mecircme dans lAlcibiade Majeur raquo Reacutefexions contemporaines sur lantiquiteacute classique Grenoble Recherche sur la philosophie et le langage ndeg 18 1996 pp 61 ndash 84 Voici un extrait laquo De faccedilon forte paradoxale quand on pense agrave la suite du dialogue [Alcibiade I] et agrave la formule ulteacuterieure du γνῶθι σαυτόν connais-toi toi-mecircme ici cenest nullement se regarder dans un miroir Ou du moins ce nest pas seulement se regarder dans un miroir cest regarder les autres et notamment ces autres par excellence que sont les ennemis et se regarder soi-mecircme dans un miroir pour se comparer agrave eux raquo (Nous soulignons) Les autres parexcellence ne sont-ils pas les amis plutocirct que les ennemis car on connaicirct mieux les excellences chez les amis que celles chez les ennemis

2 Euthydegraveme 275 b3 Protagoras 313 c4 Apologie 33 b

88

Et si ceacutetait le cas il devrait deacutemontrer neacutecessairement que son enseignement est une

bonne nourriture de lacircme mais pour cela Socrate est obligeacute de deacutefnir ce quest

lacircme or dans le cadre de la reacutefutation cest au reacutefuteacute de deacutefnir ce quil preacutetend

savoir 2 Socrate faisait de la destruction du pouvoir des sophistes un combat

philosophique en deacutemontrant par reacutefutation quils ne possegravedent pas le savoir quils

preacutetendent posseacuteder quils savent ce quils ne savent pas en reacutealiteacute

Les sophistes sont reacuteputeacutes pour le fait quils enseignent la vertu lexcellence de lacircme

Comme ils enseignent en reacutealiteacute autre chose que la vertu puisquils ne savent pas ce

quest la vertu leur enseignement est en veacuteriteacute une tromperie sans que leurs

auditeurs ne le sachent Dans la suite nous analysons la nature des enseignements

des sophistes agrave travers lEuthydegraveme lHippias mineur et le Protagoras sans aborder la

question de la reacutefutation qui sera examineacutee dans le chapitre VI laquo La dialectique raquo afn

de voir une partie de la nature de lacircme humaine

II131 Confusion entre vrai et faux dans lEuthydegraveme

Pour les deux fregraveres sophistes Euthydegraveme et Dionysodore il est impossible de

mentir

Euthydegraveme Eh quoi Cteacutesippe repartit Euthydegraveme agrave ton avis est-il possible de mentir

Cteacutesippe Oui par Zeus reacutepliqua-t-il sinon cest que je suis fou

Euthydegraveme En disant la chose sur laquelle porte ce quon dit ou bien sans la dire

Cteacutesippe En la disant reacutepondit-il

Euthydegraveme Donc si on la dit parle-t-on daucune autre reacutealiteacute (οὐκ ἄλλο τῶν ὄντων) que celle preacuteciseacutement quon dit

Cteacutesippe Comment pourrait-il en ecirctre autrement reacutepondit Cteacutesippe

Euthydegraveme Par ailleurs cette reacutealiteacute dont on parle est bien une seule et unique chose prise parmi les autres choses dont elle est seacutepareacutee

Cteacutesippe Oui parfaitement

Euthydegraveme Donc quand quelquun dit cette chose demanda-t-il il dit une chose qui est (τὸ ὄν)

Cteacutesippe Oui

Euthydegraveme Mais alors si on dit vraiment une chose qui est et des choses qui sont on dit la veacuteriteacute en sorte que Dionysodore sil parle bien des choses qui sont dit la veacuteriteacute et ne profegravere aucune mensonge contre toi

Cteacutesippe Oui admit-il Mais Euthydegraveme reacutepliqua Cteacutesippe quand Dionysodore dit ce quil dit il ne dit pas des choses qui sont

Alors Euthydegraveme

Euthydegraveme Que sont les choses qui ne sont pas (τὰ δὲ μὴ ὄντα) sinon celles qui nexistent pas

89

Cteacutesippe Ce sont celles qui nexistent pas (τά γε μὴ ὄντα)

Euthydegraveme Or les choses qui ne sont pas (τὰ μὴ ὄντα) le sont-elles ailleurs que nulle part (τὰμηδαμοῦ ὄντα)

Cteacutesippe Nulle part

Euthydegraveme Y aurait-il donc moyen que quelquun agicirct quoi que ce soit sur ces choses qui ne sont pas de faccedilon quon pucirct en faire des choses qui sont je veux dire que nimporte qui puisse agir ainsi sur les choses qui ne sont nulle part

Cteacutesippe Il me semble que non reacutepondit Cteacutesippe

Euthydegraveme Que font alors les orateurs quand ils parlent devant le peuple est-ce quils nagissent pas (οὐδὲω πράττουσι )

Cteacutesippe Certes lagrave ils agissent affrma-t-il

Euthydegraveme Or sils agissent cest donc quils font quelque chose

Cteacutesippe Oui

Euthydegraveme Donc parler cest agrave la fois agir et faire (πράττειν τε και ποιεῖν)

Il fut daccord

Euthydegraveme En conseacutequence reprit-il les choses qui ne sont pas personne agrave coup sucircr ne les dit car on en ferait deacutejagrave quelque chose mais toi tu es daccord pour dire quune chose qui nest pas (τὸ μὴ ὂν) il nest possible agrave personne den faire une chose qui est De sorte que dapregraves ce que tu dis personne ne peut mentir et sil est vrai que Dionysodore parle il ditla veacuteriteacute et ce qui est1

Ici la reacutealiteacute (τὸ ὄν) ne veut pas dire la forme intelligible2 Dans les premiers

dialogues elle signife plutocirct la chose qui existe reacuteellement sa neacutegation nexiste que

dans ce passage et nulle part ailleurs dans les premiers dialogues τὰ δὲ μὴ ὄντα

(284 b) τά γε μὴ ὄντα (284 b) τὰ μὴ ὄντα (284 b) τὰ μηδαμοῦ ὄντα (284 b) τὸ μὴ

ὂν (284 c) Lemploi de ces deux expressions laquo τὸ ὄν raquo et laquo τὸ μὴ ὂν raquo illustre la

capaciteacute speacuteculative des deux sophistes Une speacuteculation fondeacutee sur certaines

confusions qui ne sont pas aiseacutees agrave deacuteceler 1 La confusion entre la reacutealiteacute de la

1 Euthydegraveme 283 e ndash 284 c2 La preacutesence du terme dans les premiers dialogues est importante voici la liste des occurrences

Apologie τῷ ὄντι (17 d) τῷ ὄντι (20 d) τῷ ὄντι (23 a) τῷ ὄντι (32 a) τῷ ὄντι (36 c) Hippias majeur τῷ ὄντι (282 b) τῷ ὄντι (285 a) τῷ ὄντι (294 c) τῷ ὄντι (294 c) τῶν ὄντων (300 b) τῶν ὄντων (301 b) τῷ ὄντι (303 e) Alcibiade τῷ ὄντι (104 d) τῷ ὄντι (119 e) τῶν ὄντων (132 d) τῶν ὄντων (133 a) Lachegraves τῷ ὄντι (188 d) τῷ ὄντι (196 d) Protagoras τῷ ὄντι (323 a) τῷ ὄντι (328 d) Meacutenexegravene τῷ ὄντι (237 b) τῷ ὄντι (238 a) τῷ ὄντι (244 a) τῷ ὄντι (247 d) τῷ ὄντι (247 e) Euthyphron τῷ ὄντι (6 b) Gorgias τῶν ὄντων (449 d) τῶν ὄντων (449 d) τῶν ὄντων (451 d) τῶν ὄντων (467 e) τῶν ὄντων (477 e) τῶν ὄντων (477 e) τῷ ὄντι (482 e) τῷ ὄντι (492 d) τῷ ὄντι(493 a) τὰ ὄντα (495 a) τῷ ὄντι (495 b) τὰ ὄντα (506 a) τῶν ὄντων (506 e) τὰ ὄντα (511 a) τῷ ὄντι (517 e) τῷ ὄντι (520 d) τῷ ὄντι (526 d) τῷ ὄντι (527 d) Charmide τῶν ὄντων (166 d) τῶν ὄντων (169 a) τῶν ὄντων (174 b) τῶν ὄντων (175 b) Meacutenon τῶν ὄντων (75 b) τῶν ὄντων (76 c)τῶν ὄντων (86 b) Lysis τῷ ὄντι (205 e) τῷ ὄντι (216 c) τῷ ὄντι (220 b) τῷ ὄντι (220 b) τῷ ὄντι (220 e) τῷ ὄντι (221 d) Euthydegraveme τῶν ὄντων (279 a) τῶν ὄντων (282 c) τῶν ὄντων (284 a) τῶν ὄντων (284 a) τὸ ὄν (284 a) τὸ ὂν (284 a) τὰ ὄντα (284 a) τὰ ὄντα (284 a) τὰ ὄντα (284 b) τὰ ὄντα (284 c) τὰ ὄντα (284 c) τῶν ὄντων (285 e) τὰ ὄντα (290 c) τῶν ὄντων (293 b) τῶν ὄντων (293 e) τῷ ὄντι (294 b) τῷ ὄντι (296 d) τῷ ὄντι (303 e) τῷ ὄντι (306 c)

90

parole et la reacutealiteacute exprimeacutee par la parole laquo si on dit vraiment une chose qui est et

des choses qui sont on dit la veacuteriteacute raquo1 Par exemple laquo des gens qui seraient capables

de mettre au-dessus de tout le fait que leur bien-aimeacute peacuterisse raquo une telle reacutealiteacute peut

bien exister quand on est jaloux de son bien-aimeacute qui eacutechoyait aux bras dun autre

mais ce nest pas la reacutealiteacute de Cteacutesippe 2 La confusion entre lacte de parler (λέγειν)

et lacte de reacutealiser (πράττειν et ποιεῖν) Quand un orateur parle agrave lAssembleacutee certes

cest une faccedilon dagir mais agir en parole qui renvoie agrave une reacutealiteacute qui peut bien ecirctre

imaginaire comme si la parole neacutetait quun index qui est supposeacute pointer sur une

reacutealiteacute mais agrave veacuterifer pour savoir sil pointe sur aucune chose ou sur une chose qui

est autre que ce que la parole preacutetend pointer En revanche le fait de travailler agrave

(πράττειν) et le fait de fabriquer (ποιεῖν) une œuvre consistent agrave faire apparaicirctre

reacuteellement une reacutealiteacute Par exemple dans le cas dun lit fabriqueacute par un menuisier il

sagit de reacutealiser une reacutealiteacute sensible dans le cas dune loi matheacutematique deacutemontreacutee

par un matheacutematicien il sagit de deacutecouvrir une reacutealiteacute intelligible Tandis que la

parole prononceacutee nest ni une reacutealiteacute sensible certes le son qui veacutehicule la parole est

sensible ni une reacutealiteacute intelligible certes le sens veacutehiculeacute par la parole nest pas

sensible mais simplement une image dun discours de lacircme 3 La confusion entre

une chose qui nexiste pas (τὸ μὴ ὂν) et une chose qui nest pas (autre chose) (τὸ μὴ

ὂν) Par cette ambiguiumlteacute du syntagme laquo τὸ μὴ ὂν raquo laquo il nest possible agrave personne de

faire dune chose qui nexiste pas une chose qui est raquo simplement Dionysodore faisait

cest-agrave-dire disait de quelque chose une autre chose

II132 Confusion entre science et non-science dans lHippias mineur

Dans lEuthydegraveme la confusion pratiqueacutee semble volontaire puisque les deux

sophistes jouent avec des mots mais peut-ecirctre involontaire entre les mots et les

reacutealiteacutes Alors que dans lHippias mineur la confusion entre diffeacuterentes reacutealiteacutes semble

involontaire car le sophiste dEacutelis est incapable de distinguer entre la ruse

(πανουργία) et la reacutefexion (φρόνησις) entre la science qui se rapporte au corps au

monde sensible et celle qui se rapporte agrave lacircme la vertu

Dapregraves Socrate le sophiste est compeacutetent dans un nombre impressionnant de

1 Agrave propos de cette phrase dans la traduction de son eacutedition bilingue Louis Meacuteridier note laquo Icileacutequivoque porte sur τὸ ὄν La reacutealiteacute de parole est prise pour la reacutealiteacute de chose exprimeacutee raquo (Tome V ndash 1re partie Paris Belles Lettre 1931 p 162 note ndeg 1) Voir aussi Euthydegraveme laquo Notes raquo ndeg 109 p 199 laquo hellip Dans cet argument le verbe laquo dire raquo (ou parler) (λέγειν) reccediloit deux signifcations diffeacuterentes selon quon le rapporte agrave la chose dont on parle ou bien agrave ce quon dit de cette chose quand on en parle hellip raquo

91

domaines1 sauf dans le domaine de la vertu La thegravese dHippias est simple ceux qui

savent sont les plus capables de tromper Nous commenccedilons ici par la fn du

dialogue

Socrate Alors cest agrave lhomme qui est bon quil revient de commettre linjustice volontairement et agrave lhomme qui est mauvais de le faire involontairement sil est vrai que lhomme qui est bon possegravede une bonne acircme

Hippias Mais il le possegravede certainement

Socrate Celui qui se conduit et travaille de maniegravere honteuse et injuste Hippias celui-lagrave sil existe ne peut ecirctre que lhomme qui est bon

Hippias Mais je refuse de te conceacuteder cela Socrate2

Hippias a bien raison de ne pas conceacuteder cela agrave Socrate mais le sophiste ne sait pas

pourquoi En effet un tel homme nexiste pas car un homme qui est vraiment bon ne

commet jamais linjustice encore moins volontairement Notons que le fait decirctre un

homme bon et le fait decirctre un homme bon en telle ou telle compeacutetence technique ou

scientifque sont deux choses diffeacuterentes Effectivement celui qui est le plus

compeacutetent en quelque chose est le plus capable de tromperie en la matiegravere Le ceacutelegravebre

faussaire neacuteerlandais Han Van Meegeren (1889 ndash 1947) est surtout connu pour sa

creacuteation de faux Vermeer (1632 ndash 1675) en trompant les meilleurs experts de son

temps mais aussi et surtout les acheteurs qui lui en ont acheteacute agrave prix dor Une telle

tromperie implique une maicirctrise excellente de plusieurs compeacutetences et il trompait

volontairement les acheteurs et les experts dart Cependant la tromperie na pas en

reacutealiteacute de rapport avec la compeacutetence technique ou scientifque qui elle-mecircme ne sait

pas tromper car laquo est-il possible agrave qui sait de ne pas savoir ce quil sait raquo3

autrement dit il nest pas possible agrave qui sait de se tromper volontairement Par

exemple si quelquun fait mentalement un calcul de laquo cinq fois six raquo et il sait bien

que laquo cinq fois six font trente raquo ainsi il lui est impossible de se tromper

volontairement en se disant que cinq fois six font autre chose que trente En

revanche sil sait et quil trompe cest quil trompe volontairement cela relegraveve de

leacutethique et non pas dun savoir quil possegravede de sorte quil est mauvais eacutethiquement

mecircme sil est excellent dans certains domaines speacutecifques cest pourquoi la

tromperie relegraveve de la vertu

Socrate Cest pourquoi Hippias je te posais des questions degraves le deacutebut narrivant pas agrave comprendre lequel de ces deux hommes [Achille et Ulysse] a eacuteteacute repreacutesenteacute comme le

1 Voir Hippias mineur 368 b ndash 369 b2 Ibid 376 b3 Theacuteeacutetegravete 165 b

92

meilleur par le poegravete en jugeant quils eacutetaient tous les deux excellents et quil eacutetait diffcile de distinguer lequel eacutetait le meilleur en matiegravere de tromperie (ψεύδους) de sinceacuteriteacute (ἀληθείας) et des autres qualiteacutes (τῆς ἄλλης ἀρετῆς) car de ce point de vue aussi les deux se ressemblent1

Cest la seule apparition de lἀληθεία dans le dialogue il sagit dune vertu ici

synonyme de lhonnecircteteacute laquo παρρησία raquo ce qui correspond par ailleurs agrave la citation

dans le Pheacutedon2 le terme soppose au terme laquo ψεῦδος raquo Et cest agrave partir de lagrave que le

propos de Socrate oriente vers la question de justice en tant que vertu et dinjustice en

tant que vice3 En effet il y a deux termes auxquels soppose le terme laquo ψεῦδος raquo dans

le dialogue agrave savoir laquo ἀληθής raquo4 et laquo ἀληθεία raquo 1 Lἀληθής signife vrai par

exemple deux fois cinq font dix cest vrai et ce nest pas faux ici laquo vrai raquo signife

correct laquo faux raquo incorrect Cela eacutetant celui qui possegravede une compeacutetence speacutecifque

permettant de faire une chose correctement en la matiegravere nest pas pour autant

neacutecessairement plus vertueux que ceux qui ne le sont pas sinon Hippias serait le

plus vertueux parmi les hommes car ses compeacutetences si nombreuses dans de

diffeacuterents domaines particuliers sont choses vraies et non pas fausses 2 Comme une

vertu lἀληθεία (la veacuteriteacute) est la rectitude du jugement sur la reacutealiteacute autrement dit

laccord entre la penseacutee et la reacutealiteacute Cela eacutetant la veacuteriteacute est agrave la fois une capaciteacute de

penser de dire la veacuteriteacute et une science (ἐπιστήμη)

Socrate Figure-toi Hippias que je croyais que ceacutetait ton opinion aussi Mais reacuteponds-moi encore une fois la justice nest-elle pas une capaciteacute (δύναμις) ou une science (ἐπιστήμη) ou lesdeux choses ensemble Nest-il pas neacutecessaire en effet quelle soit lune de ces choses 5

La question de Socrate est valable pour la veacuteriteacute et les autres vertus en dautres

termes la vertu est science qui permet de procurer agrave lacircme la puissance Cest

pourquoi nous pouvons penser que le but de lHippias mineur ne consiste pas agrave deacutefnir

ce quest la tromperie mais agrave deacutemontrer que le sophiste confond la science de la

vertu quil ne possegravede pas et les sciences particuliegraveres dont il est compeacutetent En

confondant lexcellence de lacircme et les excellences du corps ou la science et la non-

science on arrive fnalement agrave une conclusion absurde lacircme sera meilleure si elle

fait le mal volontairement mais mauvaise si elle le fait involontairement en

1 Hippias mineur 370 d ndash e2 Socrate eacutenumegravere cinq vertus agrave savoir modeacuteration justice courage liberteacute et veacuteriteacute (Pheacutedon 114 e ndash

115 a laquo σωφροσύνῃ τε καὶ δικαιοσύνῃ καὶ ἀνδρείᾳ καὶ ἐλευθερίᾳ καὶ ἀληθείᾳ raquo)3 Voici les huit occurrences de trois mots lieacutes agrave la racine laquo δίκ raquo δικαίως (373 a) δικαιοσύνη (375 d

e e 376 a) δικαιοτέρα (trois fois en 375 e) neuf lieacutes au verbe ἀδικεῖν (371 e 372 d 375 d 372 a 376 a a a a b) et deux pour ladjectif ἀδικωτέρα (375 e e)

4 Le terme est employeacute 22 fois dans le dialogue dont 19 fois avant 370 e (365 b c 366 a d e 367 c c c c c 367 d 368 a e 369 a a b b b e) et trois fois seulement apregraves (371 e 372 a 375 a)

5 Hippias mineur 375 d ndash e

93

confondant la nature de lexcellence de lacircme et la nature des excellences du corps 1

En effet lexcellence technique peut bien ecirctre employeacutee pour tromper et plus on est

excellent en une matiegravere speacutecifque plus on est meilleur dans la tromperie en la

matiegravere si lon le vaut bien Cet argument ne peut sappliquer agrave lexcellence de lacircme

car par deacutefnition la vertu est le contraire de la tromperie en dautres termes la vertu

empecircche par la nature toute forme de tromperie si ce nest involontairement

II133 Confusion entre lacircme et le corps dans le Protagoras

Les plaisirs peuvent ecirctre une source de clarteacute mais aussi une source de confusion

surtout dans le domaine de leacuteducation Cest ce quon peut voir dans le Protagoras

Nous parlons ici dabord de leacuteducation ensuite du plaisir Protagoras est maicirctre de

vertu Cest agrave ce titre que leacuteducation qui a pour objet principal lexcellence de lacircme

peut ecirctre consideacutereacutee comme luniteacute du Protagoras puisque le jeune Hippocrate

voulait recevoir lenseignement du ceacutelegravebre sophiste dAbdegravere En effet cest

Hippocrate lui-mecircme qui est initiateur du dialogue puisque cest lui qui a demandeacute

agrave Socrate de laccompagner afn de le preacutesenter au sophiste qui enseigne lexcellence

de lacircme Cest en ce sens que la conversation entre Protagoras et Socrate sadresse agrave

Hippocrate en particulier et aux autres jeunes gens preacutesents en geacuteneacuteral dans laquelle

le sophiste joue le rocircle du maicirctre eacuteducatif Socrate joue le rocircle dun double disciple agrave

savoir disciple du sophiste et celui des jeunes gens qui ont precircteacute loreille agrave cette

conversation Autrement dit dans le Protagoras il y a deux modegraveles deacuteducation en

matiegravere de lexcellence de lacircme agrave savoir le modegravele reacutetributif que preacutesente

lenseignement du sophiste et le modegravele maiumleutique2 quexerce Socrate Dans le

modegravele reacutetributif ce qui motive vraiment le sophiste ce sont le salaire et la

reacuteputation et non la recherche de savoir ce quest la vertu et dans ce modegravele le

sophiste est maicirctre mais ce modegravele est diffeacuterent de la paiderstia comme eacuteducation car

lenseignement du sophiste nest pas associeacute agrave leacutejaculation puisquil est associeacute agrave la

reacutetribution et agrave la reconnaissance Alors que 1 le modegravele maiumleutique soppose dune

part 2 au modegravele reacutetributif puisque Socrate nest pas maicirctre et donc pas question

de reacutetribution encore moins de deacutesir de la reconnaissance et 3au modegravele de la

paiderastia car Socrate refuse tout rapport sexuel avec les jeunes gens qui le suivent

1 Ibid 375 d2 Ces deux modegraveles sont diffeacuterents de deux autres modegraveles opposeacutes de leacuteducation agrave savoir masculin

ou feacuteminin tels quils sont preacutesenteacutes dans le Banquet cf laquo Eacuteros eacuteducateur entre paiderastia et philosophia raquo International Plato Studies 35 2016 pp 24 ndash 35 notamment la section laquo VIII Le discours de Socrate Remplacer la paiderastia par la philosophia raquo p 32 ndash 34

94

4 au modegravele feacuteminin ougrave dapregraves le discours de Diotime dans le Banquet laquo cest le

maicirctre qui est enceint de beau discours et de belles actions en preacutesence du disciple

qui tient lieu de cette beauteacute permettant de laccouchement et qui amegravene lacircme du

maicirctre agrave enfanter de beaux discours sur le savoir et sur la vertu raquo1 En effet dans le

modegravele maiumleutique

Socrate ne peut en aucune faccedilon devenir ce maicirctre qui dans le processus eacuteducatif est susceptible dengendrer ces enfants que seraient les discours vrais et les belles actions Il ne peut donc jouer le rocircle du maicirctre tel que deacutecrit Diotime Et il est forceacute dinverser la relation Il doit prendre la place du jeune homme qui par ses questions permet agrave son maicirctre daccoucher On notera dailleurs que dans sa relation avec les jeunes hommes Socrate inverse les rapports le meilleur exemple est Alcibiade qui raconte dans son eacuteloge de Socrate agrave la fn du Banquet que cest lui le plus jeune qui pourchasse Socrate quieacutetant plus acircgeacute devrait lui faire la cour Bref Socrate joue le rocircle du disciple et non celui du maicirctre2

Dans ces quatre modegraveles eacuteducatifs le second (reacutetributif) et le troisiegraveme (eacutejaculatif)

sont lieacutes au corps certes de nature diffeacuterente mais comme le salaire et lhonneur

sont lieacutes au monde sensible cela revient au mecircme puisque la paiderstia a pour

fonction de transmettre du savoir des richesses et du pouvoir et cette transmission a

un coucirct pour un jeune homme agrave savoir le rapport sexuel une forme de monnaie En

revanche le premier et le quatriegraveme sont lieacutes agrave lacircme au savoir

La question se pose si leacuteducation est luniteacute du Protagoras pourquoi le dialogue

consacre-t-il sept longues pages (351 b ndash 358 d) agrave la question de plaisir3 Quel est le

rapport avec leacuteducation En effet la question de plaisir dans le Protagoras est lieacutee agrave

la question de laquo se laisser vaincre par les plaisirs raquo4 ce qui nest rien dautre que

lignorance (358 c 359 d) cest-agrave-dire incapable de se dominer soi-mecircme Cela eacutetant

les plaisirs de lacircme et du corps doivent se soumettre agrave leurs bons usages

Socrate En veacuteriteacute tous lacircches et courageux vont vers ce qui leur inspire confance et en ce sens les tacircches et les courageux vont vers les mecircmes choses (ἐπὶ τὰ αὐτὰ ἔρχονται)

Protagoras Pourtant Socrate dit-il il y a une totale opposition entre ce vers quoi vont les lacircches et ce

1 Ibid p 332 Platon Paris Cerf 2017 p 1113 Les 32 occurrences du terme ἡδονή dans le Protagoras sont exclusivement concentreacutees entre 351 d et

357 e δονῆς (351 d) ἡδονήν (351 e) ἡδονὴν (351 e) ἡδονήν (352 b) ἡδονῆς (352 d) ἡδονῶν (353 a) ἡδονῆς (353 a) ἡδονῶν (353 c) ἡδονὴν (353 d) ἡδονῶν (354 a) ἡδονὰς (354 b) ἡδονάς (354 c) ἡδονὴν (354 c) ἡδονήν (354 c) ἡδονῶν (354 c) ἡδονῶν (354 d) ἡδονὰς (354 d) ἡδονῶν (354 e)ἡδονήν (355 a) ἡδονῶν (355 a) ἡδονάς (355 b) ἡδονῆς (355 c) ἡδονῆς (355 c) ἡδονῶν (355 d) ἡδονῇ (356 a) ἡδονῇ (356 a) ἡδονῆς (357 a) ἡδονῆς (357 c) ἡδονὴν (357 c) ἡδονῆς (357 c) ἡδονῶν (357 d) ἡδονῆς (357 e) Les travaux sur la question heacutedoniste dans les pages concerneacutees sont nombreux cf Protagoras laquo Introduction raquo p 49 ndeg 2

4 Voir 352 e 353 a c 354 e 355 b d 357 c 358 c et 359 d

95

vers quoi vont les courageux1

Si cest la science qui inspire confance agrave ceux qui sont courageux ce nest

eacutevidemment pas la science qui inspire confance agrave ceux qui sont lacircches mais cest

lignorance Or la science et lignorance ne sont pas les mecircmes choses Ainsi la

question se pose que deacutesignent laquo les mecircmes choses raquo dans la reacuteplique de Socrate

En effet les gens courageux ont le plaisir decirctre courageux et la peine decirctre lacircches

par contre les gens lacircches ont la peine decirctre courageux et le plaisir decirctre lacircches

Cela eacutetant les lacircches et les courageux vont vers les mecircmes choses agrave savoir vers les

plaisirs car personne ne va volontairement vers la peine Or les plaisirs de lacircme et

les plaisirs du corps sont radicalement diffeacuterents par nature autrement dit le mecircme

terme ἡδονή qui deacutesigne deux sortes de plaisir opposeacutees Ce passage du Gorgias dit

en effet la mecircme chose

Socrate Donc les hommes raisonnables autant que ceux qui ne le sont pas les lacircches comme lescourageux ressentent de la peine et du plaisir Pour les uns comme pour les autres laquo cest pareil agrave peu de chose pregraves raquo mdash comme tu dis mdash mais les lacircches neacuteprouvent-ils pas davantage de peine et de plaisir que les hommes courageux

Calliclegraves Oui en effet

Socrate Mais pourtant ce sont bien les hommes raisonnables les hommes courageux qui sontbons tandis que les ecirctres lacircches et deacuteraisonnables sont mauvais

Calliclegraves Oui

Socrate Les ecirctres bons comme les mauvais ressentent donc laquo agrave peu de chose pregraves raquo la mecircme peine et le mecircme plaisir 2

Le passage du Protagoras et celui du Gorgias semblent montrer quon peut confondre

facilement lacircme et le corps en confondant les deux sortes de plaisir En un mot il est

facile de corrompre une acircme par confusion

II14 Lopposition entre lacircme et le corps

Dans les premiers dialogues mecircme si on peut apercevoir la diffeacuterence entre le corps

et lacircme puisque le corps et lacircme ne deacutesignent pas la mecircme chose lopposition entre

le corps et lacircme nest pas eacutevidente du moins pas explicite cest-agrave-dire fondeacutee sur

une science Cependant dans lAlcibiade le Charmide et le Gorgias cette diffeacuterence

entre lacircme et le corps est par nature visible3

1 Protagoras 359 d ndash e Nous soulignons2 Gorgias 498 b ndash c3 Cf laquo Annexe σῶμα ψυχή raquo ougrave sont eacutenumeacutereacutes les numeacuteros de pages ougrave apparaissent les deux

termes

96

II141 Alcibiade le soi-mecircme et lautre

Degraves le deacutebut du dialogue Socrate annonce une phrase quelque peu eacutenigmatique en

ce qui concerne le corps et lacircme laquo en commenccedilant par le corps et en fnissant par

lacircme raquo1 Mais il faut attendre le paragraphe laquo 117 b raquo pour voir la deuxiegraveme

apparition du terme ψυχή et le paragraphe laquo 126 a raquo pour lire la seconde apparition

du σῶμα sachant que la ψυχή apparaicirct 22 fois et le σῶμα 21 fois dans le dialogue Le

passage suivant semble dire que le soi-mecircme est lacircme et que le corps est lautre

Socrate Lacircme le corps ou les deux ensemble forment un tout (συναμφότερον)

Alcibiade Sans doute

Socrate Mais neacutetions-nous pas convenus que ce qui commande en propre au corps cest lhomme

Alcibiade Nous en eacutetions convenus

Socrate Est-ce donc le corps qui se commande agrave lui-mecircme

Alcibiade Nullement

Socrate Nous avons en effet dit quil est lui-mecircme commandeacute

Alcibiade Oui

Socrate Le corps ne serait donc pas ce qui est rechercheacute

Alcibiade Il ne semble pas non

Socrate Est-ce alors lensemble qui commande au corps et agrave cet ensemble est-il lhomme

Alcibiade Oui peut-ecirctre

Socrate Pas du tout Car si lun des deux composants ne participe pas au commandement il ny a aucun moyen pour que ce soit le composeacute qui commande

Alcibiade Cest exact

Socrate Donc puisque ni le corps ni lensemble nest lhomme je crois quil reste que lhomme nest rien ou bien sil est quelque chose il faut reconnaicirctre que ce ne peut ecirctre rien dautre que lacircme

Alcibiade Parfaitement

Socrate Faut-il maintenant te prouver avec encore plus de clarteacute que lacircme est lhomme

Alcibiade Non par Zeus cela me paraicirct suffsamment prouveacute

Socrate Si je ne lai pas fait avec exactitude mais de maniegravere satisfaisante cela nous sufft Nous lexaminerons avec exactitude lorsque nous aurons trouveacute ce que nous avons agrave linstant laisseacute de cocircteacute agrave cause de lampleur de la recherche

Alcibiade Quoi donc

Socrate Ce dont on parlait tout agrave lheure quil faut dabord rechercher ce que peut ecirctre le soi-mecircme lui-mecircme (αὐτὸ τὸ αὐτό) Or au lieu du soi-mecircme nous avons rechercheacute ce quest chaque soi (νῦν δὲ ἀντὶ τοῦ αὐτοῦ αὐτὸ ἕκαστον ἐσκέμμεθα ὅτι ἐστ) Peut-ecirctre cela

1 Alcibiade 104 a

97

sufft-il car nous pourrions sans doute affrmer quil ny a rien en nous qui ait davantage dautoriteacute que lacircme1

Si cest toujours lacircme qui commande elle reste toujours laquo αὐτὴ ἡ αὐτή raquo Si elle se

laisse commander par le corps cest-agrave-dire par les plaisirs du corps elle devient

autre elle nest plus elle-mecircme puisque le corps est deacutepourvu de llaquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo

II142 Charmide le tout seacutecable et inseacutecable

Ce qui semble le plus diffcile agrave comprendre dans les dialogues platoniciens ce nest

peut-ecirctre pas la Forme (εἴδος ἰδέα) mais le tout (τὸ ὅλον) La question se pose y a-

t-il un tout sans partie tout en dominant les parties tout entiegraveres Sachant quune

telle question ontologique est aussi socratique que platonicienne

Il en va de mecircme Charmide de cette incantation Je lai appris lagrave-bas agrave larmeacutee dun des meacutedecins Thraces qui se reacuteclament de Zalmoxis dont on dit quils rendent immortel Or ce Thrace disait que les meacutedecins grecs avaient raison de tenir le langage que je viens de rappeler agrave linstant mais poursuivit-il Zalmoxis notre roi qui est un dieu affrme que de mecircme quil ne faut pas entreprendre de soigner les yeux indeacutependamment de la tecircteni la tecircte indeacutependamment du corps de mecircme il ne faut pas non plus entreprendre de soigner le corps indeacutependamment de lacircme et que la raison pour laquelle de nombreuses maladies eacutechappent aux meacutedecins grecs est quils meacuteconnaissent le tout (τοῦ ὅλου) dont il faudrait quils prennent soin car lorsque le tout va mal il est impossible que la partie (τὸ μέρος) se porte bien2

Voici la note de traduction sur le terme laquo τοῦ ὅλου raquo

Aussi curieux et eacutetrange que cela puisse paraicirctre le laquo tout raquo dont est ici question nest pasle corps ni le composeacute de lacircme et du corps mais lacircme seule Le meacutedecin qui se reacuteclame de Zalmoxis approuve certes lapproche laquo holistique raquo preacuteconiseacutee par les bons meacutedecins grecs et que Socrate a deacutecrite en 156 b ndash c mais comme les meacutedecins grecs meacuteconnaissent (ἀγνοοῖεν) la veacuteritable nature du laquo tout raquo leur approche holistique sarrecircte agrave mi-chemin pour ainsi dire puisquelle considegravere agrave tort que le corps est le tout alors que le corps peut et doit lui-mecircme ecirctre traiteacute comme la partie dun tout agrave savoir lacircme Lidentifcation de lacircme au laquo tout raquo est confrmeacutee par la suite du texte [hellip]3

Dans le corpus platonicien lὅλον nest jamais apparu au pluriel parce quil est

inseacutecable alors que le corps en tant que tout (πᾶν) est seacutecable cest pourquoi le πᾶν

apparaicirct plus souvent comme substantif au pluriel laquo τὰ πάντα raquo (le terme met plutocirct

laccent sur les parties) quau singulier (accent sur le tout)4 Le rapport entre τὸ ὅλον

1 Ibid 130 a ndash d2 Charmide 156 d ndash e Agrave propos de Zalmoxis cf laquo Lincantation de Zalmoxis dans le Charmide (156 d ndash

157 c) raquo Plato Euthydemus Lysis Charmides Sankt Augustin Academia Verlag Proceeding of the VSymposium Platonicum (International Plato Studies 13) L Brisson amp TM Robinson (eacuteds) 2000 pp 278 ndash 286

3 Ibid laquo Notes raquo ndeg 34 p 118 ndash 1194 Le substantif au singulier laquo τὸ πᾶν raquo nest preacutesent que dans neuf dialogues Apologie 32 d Banquet

202 e Cratyle 395 c 408 c 412 d Critias 109 a Euthydegraveme 288 e Gorgias 451 b Phegravedre 273 e

98

(le tout et non la totaliteacute) et τὰ μέρη (les parties) nest pas un rapport

denveloppement dappartenance comme cest le cas entre τὸ πᾶν et τὰ μέρη mais

un rapport de pouvoir dorigine lacircme commande au corps comme le Soleil

commande agrave la croissance des choses sur la Terre cependant les choses terrestres ne

font pas partie du Soleil dailleurs laquo lacircme est la source de tous les maux et de tous

les biens raquo (laquo πάντα γὰρ ἔφη ἐκ τῆς ψυχῆς ὡρμῆσθαι καὶ τὰ κακὰ καὶ τὰ

ἀγαθὰ raquo)1 On voit bien que degraves le Charmide Socrate distingue deacutejagrave le tout inseacutecable

(lacircme) et le tout seacutecable (le cops) la question sera poseacutee plus clairement dans le

Theacuteeacutetegravete sous ces termes

Σωκράτης

ὅτι οὗ ἂν ᾖ μέρη τὸ ὅλον ἀνάγκη τὰ πάντα μέρη εἶναι ἢ καὶ τὸ ὅλον ἐκ τῶν μερῶν λέγεις γεγονὸς ἕν τι εἶδος ἕτερον τῶν πάντων μερῶν

Socrate

En ce qui a parties le tout est neacutecessairement la totaliteacute des parties Ou bien ce que tu entends par le tout est-ce encore issue des parties une certaine forme unique diffeacuterente de la totaliteacute des parties 2

Nous lavons deacutejagrave vu dans le Parmeacutenide pour Parmeacutenide le tout sans partie est

impossible En effet le rapport entre lacircme et le corps tel quil est deacutecrit dans le

Charmide ressemble au rapport entre le paradigme et les images dont il est lorigine

les images ne font nullement partie de leur paradigme il nest point non plus la

totaliteacute des images dont il est lorigine Cest la raison pour laquelle au sens

meacutetaphysique du terme ne se pose pas la question de la ressemblance entre le

paradigme et les images dont il est lorigine sauf si on redeacutefnit la notion de

ressemblance qui est diffeacuterente de celle du sensible En effet il est vrai quune photo

de quelquun lui ressemble agrave un certain point mais cette ressemblance ressortit au

mecircme niveau sensible puisquune photo de lui et son apparence physique relegravevent

lune et lautre du sensible Alors que le paradigme tel que nous lentendons dans le

Parmeacutenide et les images dont il est lorigine relegravevent de deux niveaux de reacutealiteacute

contraires Le Lit par exemple tel que Socrate fait entendre dans la premiegravere partie du

livre X de la Reacutepublique ne ressemble agrave aucun lit particulier sauf au niveau

fonctionnel mais dans ce cas-lagrave il ne sagit plus de ressemblance mais de

concordance De mecircme il ny a aucune ressemblance entre un cercle particulier et

leacutequation C = 2πR ougrave C = Circonfeacuterence et R = Rayon du cercle cest parce que plus

Sophiste 242 e 243 e 244 b 244 b 249 d 249 d 250 a 252 a 156 a 175 a183 d183 e 204 b 204 d 204 e 204 e 205 a 205 a Timeacutee 29 d 30 b 36 d 37 d 41 a 41 c 41 d 48 a 53 a 53 b 55 c 62 c 64 c72 b74 a

1 Ibid 156 e2 Theacuteeacutetegravete 204 a Trad par A Diegraves

99

geacuteneacuteralement les matheacutematiques et les choses sensibles matheacutematiquement

structureacutees ne se trouvent pas sur le mecircme niveau de reacutealiteacute

II143 Gorgias le corps mortel et lacircme immortelle

La distinction entre le corps et lacircme dans le Gorgias est eacutevidente la mort nest rien

dautre que la seacuteparation entre le corps et lacircme

Voilagrave ce que jai entendu dire Calliclegraves et je crois que cest vrai La conclusion que je tire de cette histoire est la suivante La mort nest rien dautre me semble-t-il que laseacuteparation de deux choses lacircme et le corps qui se deacutetachent lune de lautre1

Cette seacuteparation signife dune part que le corps (σῶμα) devient cadavre (νεκρός)

cela signife que le corps est mortel dautre part lacircme sera jugeacutee apregraves la mort cela

signife que lacircme nest pas mortelle Notons que cette conclusion explicite est donneacutee

par Socrate elle nest pas explicitement preacutesente dans laquo cette histoire raquo qui preacutecegravede sa

conclusion Voici le point de deacutepart de laquo cette histoire raquo

Or au temps de Cronos et mecircme au commencement du regravegne de Zeus les juges eacutetaient des vivants qui jugeaient dautres vivants et ils prononccedilaient leur jugement le jour mecircmeougrave les hommes devaient mourir2

Pour Zeus un tel jugement ne peut ecirctre juste en raison du fait que laquo la beauteacute de

leurs corps des hommes qui font voir la noblesse de leur origine leurs richesses raquo3

peuvent bien peser dans le jugement laquo cest pourquoi on doit les juger morts Et leur

juge doit ecirctre eacutegalement mort rien quune acircme qui regarde une acircme raquo4 Cela suppose

neacutecessairement que lacircme nest pas morte apregraves la mort des hommes bien que

limmortaliteacute de lacircme ne soit pas prononceacutee ni par Socrate ni dans le mythe

eschatologique agrave la fn du Gorgias Sans doute limmortaliteacute de lacircme est

laboutissement de la penseacutee de la seacuteparation entre lacircme et le corps5 et la forme

intelligible est laboutissement de limmortaliteacute de lacircme Car si lacircme est immortelle

elle voyait neacutecessairement toutes les reacutealiteacutes mortelles et immortelles ainsi la

question se pose comment cela peut-il eacutechapper agrave Socrate de poser la question agrave sa

maniegravere preacutefeacutereacutee quest-ce que la reacutealiteacute immortelle autre que lacircme Nous lavons

vu ce sont les dieux et les formes intelligibles dont leur acircme se nourrit

1 Gorgias 524 b2 Ibid 523 b3 Ibid 523 c4 Ibid 523 e5 Limmortaliteacute de lacircme est explicitement prononceacutee dans le Meacutenon 81 c Pheacutedon 73 a Phegravedre 245 c

Reacutepublique X 608 c ndash d

100

II2 Lacircme comme la fnaliteacute de la connaissance philosophique

LApologie peut se lire comme lintroduction des dialogues platoniciens Lisons ce

passage

Mais vous aussi juges il vous faut ecirctre pleins de confance devant la mort et bien vous mettre dans lesprit une seule veacuteriteacute agrave lexclusion de toute autre agrave savoir quaucun mal ne peut toucher un homme de bien ni pendant sa vie ni apregraves sa mort et que les dieux ne se deacutesinteacuteressent pas de son sort1

Si ce nest de le croire par croyance il est diffcile de comprendre vraiment ce passage

sans jamais lire le Pheacutedon la Reacutepublique et le Phegravedre La veacuteriteacute de la mort est que lacircme

existe encore apregraves la mort ce qui ne signife autre chose que laquo cest un changement

et pour lacircme un changement de domicile qui fait quelle passe dun lieu agrave un

autre raquo2 et elle sera jugeacutee par les dieux cest pourquoi il est neacutecessaire pendant sa

vie humaine dameacuteliorer son acircme3 de rendre son acircme la meilleure possible4 Tout

cela suppose que lacircme est immortelle mais comment une chose immortelle a-t-elle

la possibiliteacute de commettre linjustice

II21 Limmortaliteacute de lacircme

Lapparition du terme laquo immortel (ἀθάνατος) ou immortaliteacute (ἀθανασία) raquo dans les

dialogues platoniciens est tregraves singuliegravere le terme est absent dans les uns tregraves peu

preacutesent dans les autres nombreux mais de faccedilon concentreacutee dans cinq dialogues 5

Nous essayons de comprendre cette singulariteacute agrave travers les quatre dialogues agrave

savoir le Banquet le Pheacutedon le Phegravedre et le la Reacutepublique 6

II211 Deacutesir de limmortaliteacute dans le Banquet

Le Banquet se compose de sept discours dont six parlent de lamour eacutetroitement lieacute au

deacutesir sexuel Mecircme dans celui de Phegravedre certes lamour incite agrave la vertu mais ce

nest pas pour la vertu que Orpheacutee a le courage de mourir cest pour sa femme

Eurydice Pourquoi Platon fait-il prononcer autant de discours concernant le deacutesir

1 Ibid 41 c ndash d2 Apologie 40 c3 Ibid 29 e4 Ibid 30 b5 Apologie 35 a 41 c Banquet 202 d 203 e 206 c e e 207 a d 208 b b b c d d e e 209 d 212 a

Cratyle 417 c Euthydegraveme 289 b b Gorgias 481 a 484 b Lois II 661 b c e IV 713 e 718 e 721b c c V 739 e X 901 d 906 a XII 959 b 967 d Meacutenexegravene 247 d Meacutenon 81 b c 86 b Pheacutedon 73 a 79d 80 b d 81 a 86 b 88 b 95 c c d e 100 b 105 e e e 106 b b c c d d e e e e 107 c c 114 d Phegravedre 245 c c e 246 a a b c d 247 b 252 c 258 c 277 a Philegravebe 15 d Politique 270 a 273 e Reacutepublique III 386 d IX 585 c X 608 c d c 611 a 611 a a b e 621 c Timeacutee 41 b c d 42 e 43 a 69 c c 90 c c 92 c Voir les deacutetails lexiques laquo Annexe ἀθάνατος άθανασία raquo

6 Nous analyserons le terme dans le Timeacutee dans la troisiegraveme partie du chapitre

101

sexuel dans ce dialogue Si lhomme a autant de deacutesirs sexuels il doit avoir autant

de deacutesirs pour le savoir Cest en ce sens que le Banquet de Platon a parfaitement

eacuterotiseacute le savoir philosopher cest deacutesirer limmortaliteacute qui est laquo belle en elle-mecircme

simple pure sans meacutelange eacutetrangegravere agrave linfection des chairs humaines des couleurs

et dune foule dautres futiliteacutes mortelles raquo1 cela eacutequivaut agrave dire que toutes les formes

intelligibles sont immortelles Si lon a le deacutesir de sunir agrave la beauteacute du corps dun

autre ecirctre humain on doit en avoir autant pour sunir agrave la beauteacute immortelle de

lacircme cest comme cela que les mortels participent agrave limmortaliteacute

Ne sens-tu pas dit-elle [Diotime] que cest agrave ce moment-lagrave uniquement quand il verra la beauteacute par le moyen de ce qui la rend visible (ὁρῶντι ᾧ ὁρατὸν τὸ καλόν) quil sera en mesure denfanter non point des images de la vertu car ce nest pas une image quil touche mais les reacutealiteacutes veacuteritables car cest la veacuteriteacute quil touche Or sil enfante la vertu veacuteritable et quil la nourrit ne lui appartient-il pas decirctre aimeacute des dieux Et si entre tous les hommes il en est un qui meacuterite de devenir immortel nest-ce pas lui 2

Comment cette beauteacute invisible peut-elle se rendre visible En effet avoir recours au

corps cest avoir recours au visible3 Or philosopher cest-agrave-dire dialoguer laquo par

lacte de raisonnement propre agrave la reacutefexion raquo4 cest avoir recours au visible pour

toucher linvisible En deacutefnitive philosopher cest deacutesirer limmortaliteacute immortaliser

une vie mortelle

II212 Immortaliteacute de lacircme comme solution agrave la mort

Parler de la mort avant de boire la cigueuml pour mourir cest quelque peu dramatique

mais le fait de condamner agrave la mort dun homme devient le commencement de la

philosophie cest quelque peu ironique car laquo Socrate a consacreacute sa vie agrave la recherche

de la vie bonne au point mecircme de la perdre de sorte quil fut non seulement le pegravere

de la philosophie mais aussi son premier et plus ceacutelegravebre martyr raquo5 Cest pourquoi

nous pouvons consideacuterer que la mort est lobjet du Pheacutedon6 La mort rend souvent

1 Banquet 211 d ndash e Voir aussi Phegravedre 247 c les formes intelligibles sont sans couleur sans fgure et intangibles

2 Ibid 212 a3 Voir Pheacutedon 79 a ndash 80 e4 Ibid 79 a5 Dorion Louis-Andreacute Socrate Paris PUF laquo que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 66 Voici la liste des passages ougrave le θάνατος apparaicirct Alcibiade 112 b c 115 b c d e e Apologie [25

fois] 28 c d d e 29 a a a a c d 34 e 36 b 37 a 38 c d 39 a a a b b c 40 d e e 41 c Banquet 179 d Critias 120 d Criton 46 c 52 c Euthyphron 9 c Gorgias 480 d 481 a 486 b 511 c 516 a 522 e 523 d 524 b Lachegraves 195 e Lois III 682 e 698 c V 735 e VI 778 d VII 838 c IX [23 fois] 854c e 855c c 856 c d 863 a 866 c 869 b b c 870 d 871 d 872 a 874 c 874 d e 877 a b c e 881 a d X 904 e 908 e 909 a 910 d XI 914 a 915 c 933 d 937 c 938 c XII 942 a 944 c 946 e 949 c 955 b c c 958 a c Pheacutedon [35 fois] 57 a 58 c c e 63 b 64 b b c c 67 d 68 b d d 71 d 77 d e 81 a 85 a a 86 d 88 a b b 91 a b d 95 d 105 d e e 106 b b e e 107 c Politique 297 e 309 a Protagoras 325 b 325 b c Reacutepublique II 361 d III 386 a b b 387 b 399 b 406 b VI 486 b 492 d VIII 558 a 566 b c

102

tristes les vrais amis joyeux les meacutechants ennemis Surtout la mort fait souvent peur

parce quon ne sait pas ce quest la reacutealiteacute de la mort En effet savoir la mort est

dabord une question ontologique laquo Dabord raquo parce que sans reacutesoudre le problegraveme

ontologique de la mort toute question eacutethique et eacutepisteacutemologique na pas de sens

Ou encore si toutes les choses se rassemblaient sans jamais se diviser la parole dAnaxagore laquo ensemble sont toutes choses raquo aurait vite fait de saccomplir Or de la mecircme faccedilon Ceacutebegraves mon tregraves cher si tout ce qui a part agrave la vie doit mourir et si une fois mort tout ce qui est mort conserve ce mecircme aspect sans jamais revenir agrave la vie nest-ce pas une neacutecessiteacute absolue quagrave la fn tout soit mort et rien ne vive Car si dune part les choses vivantes proviennent dautres choses vivantes et si dautre part les chosesvivantes meurent mdash quel moyen deacuteviter que tout ne soit agrave la fn englouti dans la mort 1

Autrement dit limmortaliteacute de lacircme est une neacutecessiteacute ontologique car sans cela

lecirctre nest pas possible et cest de lagrave que la question eacutethique et eacutepisteacutemologique se

pose En effet la fonction de limmortaliteacute de lacircme est double Dune part elle est

eacutethique laquo les morts sy font juger ainsi bien ceux qui ont veacutecu une existence pleine

de deacutecence et de pieacuteteacute que ceux qui ont veacutecu tout autrement raquo2 et chacun meacuterite son

traitement approprieacute laquo ecirctre jeteacutes au Tartare raquo pour les criminels et les demeures les

plus belles reacuteserveacutes pour ceux qui ont meneacute une vie vertueuse3 Dautre part elle est

eacutepisteacutemologique car limmortaliteacute est coupleacutee avec la reacuteminiscence cest-agrave-dire

chercher et apprendre au fond de lacircme Cest gracircce agrave la reacuteminiscence que les reacutealiteacutes

intelligibles sont connaissables4 Or il ne peut y avoir de reacuteminiscence sans

limmortaliteacute de lacircme

Bien plus Socrate intervint Ceacutebegraves cela va aussi dans le sens de la formule (si elle est vraie ) que tu as lhabitude de reacutepeacuteter que pour nous lacquisition dun savoir (μάθησις) se trouve necirctre rien dautre quune reacuteminiscence (ἀνάμνησις) Dapregraves cette formule il est neacutecessaire je pense que dans un temps anteacuterieur nous ayons appris ce dont nous ressouvenons agrave preacutesent Ce qui aurait impossible si notre acircme nexistait pas en quelque faccedilon avant decirctre entreacutee dans cette forme humaine De sorte que par cette voie aussi lacircme semble ecirctre quelque chose dimmortel (ὥστε καὶ ταύτῃ ἀθάνατον ἡ ψυχή τι ἔοικεν εἶναι)5

Cela admis la reacuteminiscence est la cleacute de lecirctre cest-agrave-dire dune belle existence

humaine puisquelle deacutesigne agrave la fois les reacutealiteacutes veacuteritables jadis contempleacutees et le

fait de sy assimiler cest-agrave-dire de se les remeacutemorer Cela eacutetant le fait de sassimiler

au Bien est une question eacutepisteacutemologique et non une question pratique

X 609 d 610 c 615 b 620 a Theacuteeacutetegravete 142 c 176 d Timeacutee 41 b 81 e e 84 c1 Pheacutedon 72 c ndash d2 Ibid 113 d3 Voir 113 d ndash 114 c4 Le substantif ἀνάμνησις apparaicirct 11 fois dans le Pheacutedon 72 e 73 b c d e 74 a d 76 a 91 e 92 c d5 Ibid 72 e ndash 73 a

103

II213 Limmortaliteacute de lacircme comme principe de lecirctre

Le Phegravedre commence par parler de lamour ensuite de lacircme puis de la rheacutetorique et

fnalement de leacutecriture La question se pose quel est le rapport entre limmortaliteacute

de lacircme et les trois autres thegravemes (amour rheacutetorique et eacutecriture) Nous lisons

dabord ce passage

Toute acircme est immortelle En effet ce qui se meut toujours est immortel Or pour lecirctre qui en meut un autre et qui est mucirc par autre chose la cessation du mouvement eacutequivautagrave la cessation de la vie Seul lecirctre qui se meut lui-mecircme puisquil ne fait pas deacutefaut agrave lui-mecircme ne cesse jamais decirctre mucirc mieux encore il est source et principe de mouvement pour tout ce qui est mucirc1

laquo Comment parler pourquoi eacutecrire raquo2 De mecircme pour lamour comment et

pourquoi aimer En effet laquo la cessation du mouvement eacutequivaut agrave la cassation de la

vie raquo La mort annonce la fn de la vie cela eacutetant tout ce qui est mortel ne doit pas

faire les objets de lamour de la parole et de leacutecriture car la nature de lacircme est

immortelle Ainsi dans la vie lamour la parole et leacutecriture doivent sinteacuteresser aux

choses qui sapparentent agrave limmortaliteacute cest-agrave-dire aux reacutealiteacutes veacuteritables Puisque

lacircme elle-mecircme est immortelle il est par conseacutequent senseacute quelle soit amie des

choses immortelles Mais si lacircme est immortelle elle laquo est neacutecessairement

incorruptible raquo3 pourquoi faut-il se montrer critique agrave leacutegard des corrupteurs que

sont les sophistes les rheacuteteurs et les poegravetes Comment se fait-il que lacircme immortelle

soit corruptible En veacuteriteacute ce nest pas limmortaliteacute de lacircme qui est corruptible

mais cest lacircme incarneacutee dans une vie mortelle dougrave la neacutecessiteacute de concevoir la

structure fonctionnelle de lacircme pour comprendre comment lacircme humaine est

corruptible

II22 La structure de lacircme

La tripartition fonctionnelle de lacircme est explicite dans le Phegravedre et la Reacutepublique4

mais les termes employeacutes pour nommer les trois fonctions sont un peu diffeacuterents

dans la Reacutepublique elles sont laquo λογιστικόν ou λογισμός raquo laquo θυμοειδές ou θυμός raquo et

laquo ἐπιθυμία raquo5 En revanche les trois termes laquo λογιστικόν θυμοειδές θυμός raquo sont

1 Phegravedre 245 c ndash d2 Phegravedre laquo Introduction raquo p 133 Ibid 245 d4 Nous reparlerons des trois parties de lacircme du Timeacutee agrave la troisiegraveme partie laquo Lacircme du monde comme

lorigine de lunivers raquo5 laquo Lusage du terme λογιστικόν pour deacutesigner la partie rationnelle de lacircme humaine nest pas

platonicien mais stoiumlcien raquo(Cf Luc Brisson Diogegravene Laeumlce Vies et doctrines des philosophes illustres note ndeg 5 p 439) Par ailleurs bien que le terme λογιστικόν ne soit pas tregraves freacutequent dans les dialogues platoniciens cependant on le trouve concentreacute dans la Reacutepublique voici la liste des

104

absents dans le Phegravedre ougrave la tripartition fonctionnelle de lacircme est deacutecrite de maniegravere

meacutetaphorique agrave savoir lacircme repreacutesenteacutee laquo comme une puissance composeacutee par

nature dun attelage aileacute et dun cocher raquo1

II221 Lattelage aileacute dans le Phegravedre

Dans le Phegravedre la nature de la structure fonctionnelle de lacircme des dieux est quelque

peu diffeacuterente de celle de lacircme humaine Voici la premiegravere description de cette

structure de lacircme

Il faut donc se repreacutesenter lacircme comme une puissance composeacutee par nature dun attelage aileacute et dun cocher Cela eacutetant chez les dieux les chevaux et les cochers sont tous bons et de bonne race alors que pour le reste de vivants il y a un meacutelange Chez nous mdash premier point mdash celui qui commande (ἄρχων) est le cocher dun eacutequipage apparieacute deces deux chevaux mdash second point mdash lun est beau et bon pour celui qui commande et dune race bonne et belle alors que lautre est le contraire et dune race contraire Degraves lors dans notre cas cest quelque chose de diffcile et dingrat que decirctre cocher2

Le cocher le bon cheval et le mauvais cheval mais agrave quoi correspondent chacuns de

ces trois termes En fait un peu plus loin nous avons cette phrase

ζῷον τὸ σύμπαν ἐκλήθη ψυχὴ καὶ σῶμα παγέν θνητόν τ᾽ ἔσχεν ἐπωνυμίαν3

Ce quon appelle laquo vivant raquo cest cet ensemble une acircme et un corps fxeacute agrave elle ensemble qui a reccedilu le nom de laquo mortel raquo

Le corps est par nature une uniteacute deacutesirante qui est deacutepourvue de la raison cest

pourquoi ce dernier est appeleacute agrave gouverner le corps animeacute4 En fait lacircme humaine

dans son eacutetat dincarnation peut avoir deux eacutetats 1 en se deacuteliant du corps lacircme se

trouve dans son eacutetat propre tout en eacutetant fxeacutee au corps5 ainsi cest lacircme qui

passages des dialogues ougrave il apparaicirct Charmide 165 e 166 a a 174 b Euthydegraveme 290 c Gorgias 450 d 451 b c c Hippias mineur 366 c d 367 c Lois III 689 c Philegravebe 56 e Politique 259 e e 260 a Reacutepublique I 340 d IV 439 d 440 e e e 441 a a e 442 c VII 525 a b c 526 b VIII 550 b 553 d IX 571 c d 580 d 587 d X 602 e 605 b Theacuteeacutetegravete 145 a Timeacutee 37 c

1 Phegravedre 246 a2 Ibid 246 a ndash b3 Ibid 246 c4 laquo Socrate mdash Il ne le pourrait en aucune faccedilon Mais si quelque chose manque encore agrave notre

meacutelange cest agrave toi et agrave Philegravebe de le dire Car pour ma part je crois que notre raisonnement (λόγος) est acheveacute comme une sorte dordre incorporel (κόσμος τις ἀσώματος) agrave gouverner (ἄρξων) comme il convient un corps animeacute raquo(Philegravebe 64 b Il faut distinguer entre laquo κόσμος raquo et laquo κόσμος τις ἀσώματος raquo car le κόσμος est un corps laquo Conccedilois donc la mecircme chose agrave propos de ce que nous appelons le monde (κόσμον) il sera eacutegalement un corps (σῶμα) puisquil estconstitueacute des mecircmes eacuteleacutements raquo (Philegravebe 29 e Les mecircmes eacuteleacutements deacutesignent le feu leau lair et la terre cf 29 a) Cf eacutegalement Brisson Luc laquo Le discours comme univers lunivers comme discours raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 209 ndash 218

5 laquo Dans le texte consideacutereacute [Phegravedre 248 a ndash c] Platon distingue trois cateacutegories 1deg les acircmes qui voient lensemble des Formes mais pour peu de temps 2deg les acircmes qui nen voient quune partie 3deg les acircmes qui se contentent de lopinion parce quelles nont rien vu raquo (Brison Luc laquo Le corps animal comme signe de la valeur dune acircme chez Platon raquo Lanimal dans lantiquiteacute Paris Vrin B Cassin amp J-L Labarriegravere (eacuteds) sous la direction de Gilbert Romeyer Dherbey 1997 pp 227 ndash 245 p 230)

105

commande au corps 2 en se liant davec le corps lacircme se met dans un eacutetat

desclave du corps Cest la reacuteminiscence qui fait la diffeacuterence entre ces deux eacutetats

Il faut en effet que lhomme arrive agrave saisir ce quon appelle laquo les formes intelligibles raquo en allant dune pluraliteacute de sensations vers luniteacute quon embrasse au terme dun raisonnement (λογισμῷ) Or il sagit lagrave dune reacuteminiscence (ἀνάμνησις) des reacutealiteacutes jadis contempleacutees par notre acircme quand elle accompagnait le dieu dans son peacuteriple quand elleregardait de haut ce que agrave preacutesent nous appelons laquo ecirctre raquo et quelle levait la tecircte pour contempler ce qui est reacuteellement1

Dans son eacutetat propre lacircme contemple directement les formes intelligibles mais dans

son eacutetat dincarnation elle ne peut les contempler que par le moyen de la

reacuteminiscence Ainsi nous avons trois termes qui correspondent respectivement au

cocher qui gouverne par la raison au bon cheval qui obeacuteit agrave la raison et au mauvais

cheval qui obeacuteit non pas agrave la raison mais agrave lopinion De sorte que celui qui nest pas

capable de se gouverner par la raison possegravede deux chevaux mauvais et par

conseacutequent apregraves la mort son acircme naura pas doccasion de contempler les reacutealiteacutes

veacuteritables puisquelle est deacutepourvue de qualiteacute pour laquo accompagner le dieu dans son

peacuteriple raquo Cela admis mecircme si lattelage aileacute semble meacutetaphorique il nest pas moins

fonctionnel En effet pour lacircme humaine la fonction du cocher est immortelle

mecircme sil peut bien sagir dun mauvais cocher2 les deux chevaux sont

fonctionnellement mortels

II222 La tripartition fonctionnelle dans la Reacutepublique

Dans le Phegravedre la question de lacircme ne semble pas politique mais ontologique qui

permet de diviser les acircmes humaines en neuf cateacutegories selon la distance quelles ont

avec ces deux extreacutemiteacutes plus elle est proche de lintelligible plus son rang est

eacuteleveacutee dans le cas contraire son rang est abaisseacute On voit bien que dans le Phegravedre la

plupart des temps lacircme dont Socrate parle ne se trouve pas dans son incarnation

Tandis que dans la Reacutepublique la question de lacircme est politique et eacutethique lacircme

humaine est apparenteacutee agrave la citeacute ougrave se distinguent les trois groupes fonctionnels agrave

savoir le groupe des producteurs celui des guerriers et celui des philosophes3

Politique car il sagit de lorganisation de la citeacute en trois groupes fonctionnels

Eacutethique parce que ecirctre juste avant tout cest que chacun accomplit sa tacircche propre

1 Phegravedre 249 b ndash c Ici lἀνάμνησις est la seule apparition dans le dialogue2 Comment une mauvaise chose peut-elle ecirctre immortelle En effet quand lacircme se trouve dans

leacutetat pur ougrave elle se seacutepare du corps la fonction rationnelle de lacircme retrouve son eacutetat dintellect cest dans son eacutetat dincarnation que sa fonction rationnelle peut fonctionner mal

3 Cf Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon 1 De la justice Paris Vrin Sous la direction de Monique Dixsaut 2005 pp 25 ndash 41

106

et seulement sa tacircche propre dans la citeacute Cest dans cette perspective que la

tripartition fonctionnelle de lacircme humaine est eacutelaboreacutee

Socrate Nous naurions donc pas tort repris-je de soutenir quil sagit de deux principes et quils diffegraverent lun de lautre lun celui par lequel lacircme raisonne (λογίζεται) nous le nommerons le principe rationnel (λογιστικόν) de lacircme lautre celui par lequel elle aime a faim a soif et qui lexcite de tous les deacutesirs (ἐπιθυμίας) celui-lagrave nous lenommerons le principe deacutepourvu de raison et deacutesirant (ἀλόγιστόν τε καὶ ἐπιθυμητικόν) lui qui accompagne un ensemble de satisfaction et de plaisir

Glaucon Non nous naurions pas tort de penser de cette maniegravere

Socrate Par conseacutequent repris-je distinguons ces deux espegraveces qui se trouvent dans lacircme Mais pour ce qui est du cœur (τοῦ θυμοῦ) cette espegravece par laquelle nous nous emportonssagit-il dune troisiegraveme espegravece ou alors de quelle espegravece parmi les deux premiegraveres est-elle la plus parente par nature 1

Un peu plus loin cette troisiegraveme espegravece dans lacircme τὸ θυμοειδές a pour fonction

naturelle laquo decirctre un auxiliaire du principe rationnel raquo2 cela eacutetant τὸ θυμοειδές nest

pas irrationnel mais se trouve entre le λογιστικός et lἐπιθυμία un tel naturel est

tout agrave fait pertinent pour les acircmes des guerriers En effet la citeacute exige

fonctionnellement deux vertus aux producteurs agrave savoir la justice et la modeacuteration

Par la justice ils ne doivent pas envisager autre meacutetier que decirctre producteurs et par

la modeacuteration ils ne doivent pas produire plus que lon ne leur demande En dautres

termes ecirctre fonctionnellement juste et modeacutereacute pour les producteurs cest ecirctre

docilement dirigeacute dans la mesure ougrave la citeacute elle-mecircme est juste cest-agrave-dire dirigeacutee

par les philosophes ou plus pertinemment par la science (ἐπιστήμη) En revanche

pour les guerriers les choses se compliquent car dans une bataille par exemple ils

doivent ecirctre non seulement capables dobeacuteir aux ordres mais aussi et surtout

capables de juger la situation qui deacutepasse les ordres de distinguer entre laquo ce quil

faut redouter et ce quil ne faut pas craindre raquo3 cest pourquoi le courage est

indispensable pour les guerriers Mais agrave la diffeacuterence de la justice et de la modeacuteration

qui consistent agrave obeacuteir docilement agrave ce que la tacircche propre exige (sur le plan eacutethique

ecirctre juste et modeacutereacute na pas vraiment besoin de reacutefexion lobeacuteissance sufft mais sur

le plan professionnel il est neacutecessaire de reacutefeacutechir pour exceller dans la tacircche propre)

le courage exige le raisonnement et la sagesse (σοφία) lintellection

1 Reacutepublique IV 439 d ndash e2 Ibid 441 a3 Ibid 433 c

107

II23 Communication entre le sensible et lintelligible

Voici la structure de la communication entre les deux mondes sensible et intelligible

reacutealiteacutes

intelligibles

acircme

immortelle

ecirctre humain

reacutealiteacutes

sensiblesau niveau de lacircme au niveau du corps

intellect reacuteminiscence raisonnement meacutemoire sensation

La sensation est linterface entre le monde sensible et la meacutemoire qui est linterface

entre la meacutemoire et la faculteacute de raisonnement de mecircme que la reacuteminiscence est une

interface lintellect eacutegalement Le tableau montre les cinq termes qui constituent la

structure de la communication entre le sensible et lintelligible agrave savoir lintellect

(νοῦς) la reacuteminiscence (ἀνάμνησις) le raisonnement (διάνοια) la meacutemoire (μνήμη)

et la sensation (αἴσθησις)

bull Intellect

Dans ce passage du livre VI de la Reacutepublique lintellect est deacutefni comme la faculteacute de

lacircme agrave voir les reacutealiteacutes intelligibles cest-agrave-dire les Formes

Σωκράτης

οὕτω τοίνυν καὶ τὸ τῆς ψυχῆς ὧδε νόει ὅταν μὲν οὗ καταλάμπει ἀλήθειά τε καὶτὸ ὄν εἰς τοῦτο ἀπερείσηται ἐνόησέν τε καὶ ἔγνω αὐτὸ καὶ νοῦν ἔχειν φαίνεται ὅταν δὲ εἰς τὸ τῷ σκότῳ κεκραμένον τὸ γιγνόμενόν τε καὶ ἀπολλύμενον δοξάζει τε καὶ ἀμβλυώττει ἄνω καὶ κάτω τὰς δόξας μεταβάλλον καὶ ἔοικεν αὖ νοῦν οὐκ ἔχοντι1

Socrate

Conccedilois donc maintenant quil en est de mecircme pour la vision de lacircme Lorsquelle se tourne vers ce que laveacuteriteacute et lecirctre illuminent alors elle le pense elle le connaicirct et elle semble posseacuteder lintellect Lorsquelle se tourne cependant vers ce qui est mecircleacute dobscuriteacute sur ce qui devient et se corrompt alors elle a des opinions dans lesquelles elle sembrouille en les revirant en tous sens et on dirait quelle est alors deacutepourvue dintellect

Les reacutealiteacutes intelligibles illuminent comme le soleil rayonne Si lacircme ne les voit pas

cest parce quon est dans lobscuriteacute comme les hommes enchaicircneacutes se trouvant au

fond de la caverne Or le fait dilluminer de rayonner cest eacuteclairer cest la clarteacute

Cela admis quand un esprit est incapable ou beaucoup moins capable de clarteacute cest

que lintellect cest-agrave-dire la vision de lacircme ne fonctionne pas ou pas correctement

bull Reacuteminiscence

Dans le Meacutenon la reacuteminiscence est clairement deacutefnie comme le fait de chercher et le

1 Ibid VI 508 d

108

fait dapprendre ce que lacircme voit avant de simplanter dans un corps1 Ainsi laquo la

reacuteminiscence est distincte de la deacutecouverte qui reacutesulte de leacuteducation et de

lapprentissage raquo2 cela eacutetant la reacuteminiscence nest pas une acquisition dun savoir

fondeacutee sur le modegravele laquo maicirctre-eacutelegraveve raquo En effet le modegravele laquo maicirctre-eacutelegraveve raquo deacutepend en

partie du corps (les organes des sens par exemple) mais aussi de certaines conditions

mateacuterielles Par contre la reacuteminiscence est entiegraverement indeacutependante du corps

Socrate Lorsque lacircme au mieux quelle le peut parvient agrave saisir indeacutependamment du corps et par elle-mecircme ce dont elle a jadis pacircti conjointement avec le corps ne dit-on pas nest-ce pas quelle a une reacuteminiscence 3

En reacutealiteacute la reacuteminiscence est synonyme de lintellect puisquelle signife

lintellection

bull Raisonnement ou penseacutee

Les choses les plus approprieacutees pour deacutesigner le raisonnement (διάνοια) sont les

matheacutematiques

Glaucon Tu appelles donc penseacutee (διάνοια) me semble-t-il et non intellect lexercice habituel des geacuteomeacutetries et des praticiens de disciplines connexes puisque la penseacutee est quelque chose dintermeacutediaire entre lopinion et lintellect

Socrate Mais tu me suis parfaitement repris-je4

Les matheacutematiques sont infeacuterieures agrave lintellect pour une raison simple elles sont

incapables de dire ce quest le Bien dindiquer ce que sont les maux deacutevaluer la

morale dempecirccher le mauvais usage des biens particuliers de convaincre les gens

de ne pas commettre linjustice deacuteduquer les gens de ne jamais causer du tort agrave qui

que ce soit En dautres termes les matheacutematiques en tant que telles ne sont pas

bonnes en soi ce sont des biens speacutecifques Cependant elles sont utiles pour former

la rigueur dont la philosophie a besoin dans ses argumentations5 et pour aider agrave

mieux comprendre lunivers dont la totaliteacute ordonneacutee toujours en mouvement de

maniegravere harmonieuse constitue une inspiration politique Mais sur le plan politique

et eacutethique les matheacutematiques permettent dapprendre agrave former une habitude de

lobeacuteissance aux lois puisque les matheacutematiques sont les lois auxquelles lunivers

1 Voir Meacutenon 81 c ndash d2 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 1313 Philegravebe 34 b4 Reacutepublique VI 511 d5 Le Timeacutee est le dialogue le plus matheacutematique parmi les dialogues platoniciens mais ce nest pas

pour autant que le discours de Timeacutee est le plus rigoureux dans largumentation philosophique car la fabrication de lacircme du monde pose un grand problegraveme ontologique nous en parlerons sous peu dans la section laquo II 3 Lorigine de lunivers dans le Timeacutee raquo

109

obeacuteit dougrave limportance des matheacutematiques dans leacuteducation dans la citeacute il semble

que cest sous cet angle que Socrate parle delles dans la Reacutepublique

bull Meacutemoire et sensation

Dans le Philegravebe la meacutemoire est deacutefnie comme laquo sauvegarde de la sensation raquo

Socrate Mon opinion est alors quon sexprimerait droitement en nommant la meacutemoire laquo sauvegarde de la sensation raquo1

Ainsi la meacutemoire signife agrave la fois la faculteacute de sauvegarder et son objet sauvegardeacute

cest gracircce agrave la meacutemoire que la sensation peut ecirctre transmise agrave lacircme

La sensation est affaire de communication Ce qui est communiqueacute cest la proprieacuteteacute que manifeste un objet par lintermeacutediaire dun mouvement qui trouve sa source agrave lexteacuterieurEt la transmission de ce mouvement se fait de faccedilon meacutecanique de partie en partie par une circulation agrave travers le vivant en son entier corps et acircme En effet le destinataire fnal de ce processus de transmission est la partie rationnelle de lacircme2

Bien que la sensation soit eacutetroitement lieacutee au corps elle nen est pas moins une

fonction de lacircme car la chose deacutepourvue de lacircme ne peut avoir la sensation cette

fonction permet agrave lacircme de remonter du sensible jusquagrave lintelligible par la sensation

puisque le sensible participe agrave lintelligible

II3 Lorigine de lunivers dans le Timeacutee

laquo L e Timeacutee devait avec le Critias et Hermocrate faire partie dune trilogie deacutecrivant

lorigine de lunivers celle de lhomme et celle de la socieacuteteacute raquo3 Y a-t-il vraiment une

origine de lunivers Notre position est que lunivers en tant que la totaliteacute du monde

sensible ordonneacute na ni commencement ni fn Si ceacutetat le cas pour quelle raison

existerait-il des formes intelligibles avant la naissance de lunivers Si ceacutetait

vraiment le cas il nexisterait pas le contraire de lintelligible avant la naissance de

lunivers cela semble inimaginable pour Socrate Mais cette position ne remet pas en

cause le fait que lunivers soit perpeacutetuellement en mouvement et en devenir et par

conseacutequent tout ce qui se trouve dans lunivers a un commencement et une fn En

effet supposons quil existe une origine de lunivers comme ce que preacutetend lexposeacute

de Timeacutee dans le dialogue qui porte son nom agrave savoir que cest le deacutemiurge qui a

fabriqueacute lunivers (son acircme et son corps) en regardant les formes intelligibles pour

1 Philegravebe 34 a2 Brisson Luc laquo Perception sensible et raison dans le Timeacutee raquo Interpreting the Timaeus mdash Critias

Proceeding of the IV Symposium Platonicum Selected Papers Tomaacutes Calvo and Luc Brisson (eacuteds) Sankt Augustin Academia Verlag 1997 pp 307 ndash 316 p 311

3 Timeacutee laquo Introduction raquo p 9

110

assurer la ressemblance entre lunivers et son modegravele1 Notons que le corps de

lunivers a eacuteteacute fabriqueacute agrave partir de quatre eacuteleacutements (le feu la terre leau et lair) 2 et il

contient en totaliteacute3 Cela eacutetant les quatre eacuteleacutements existent neacutecessairement avant la

formation de lunivers cest-agrave-dire avant sa fabrication par le deacutemiurge 1 Agrave

commencement aucun corps ceacuteleste nexistait4 ainsi la question se pose ougrave et

comment eacutetait laquo stockeacutee raquo la totaliteacute des quatre eacuteleacutements Sils se trouvaient sous une

forme deacutenergie pure il aurait fallu que le deacutemurge la transforme en quatre eacuteleacutements

distincts sous forme sensible avant de les utiliser pour fabriquer le corps de lunivers

Dans ces conditions le deacutemurge est lorigine de lunivers dans la mesure ougrave il peut

reacutesoudre le point suivant 2 Les quatre eacuteleacutements signifent deacutesordre puisquils sont

deacutepourvus de toute forme de toute limite et de tout ordre cela eacutetant avant quils

prennent la forme du corps de lunivers ils se trouvent dans leur eacutetat pur de

deacutesordre cela signife que le deacutesordre a le mecircme statut que la Forme autrement dit

le deacutesordre est bel et bien un ecirctre en soi et par soi tout en restant toujours le mecircme agrave

savoir le deacutesordre jusquagrave ce que le deacutemiurge le transforme en quatre eacuteleacutements

sensibles Comment ces deux choses contraires (la Forme et le deacutesordre pur)

pourraient-elles avoir la mecircme nature et ainsi le mecircme statut

Reste agrave savoir laquo agrave quelles conditions le monde sensible peut-il devenir connaissable

Voila la question agrave laquelle cherche agrave reacutepondre Platon dans le Timeacutee raquo5 Si nous

admettons le premier point que nous venons dexposer tant que nous ne savons pas

comment une eacutenergie pure de deacutesordre se transforme en la totaliteacute des quatre

eacuteleacutements sensibles le sensible reste diffcilement connaissable car les proprieacuteteacutes des

quatre eacuteleacutements devraient se former pendant cette transformation Or dans le Timeacutee

il ny a rien sur la formation mecircme des quatre eacuteleacutements ni sur leur origine mecircme En

revanche si lunivers ne connaicirct ni commencement ni fn il est perpeacutetuellement en

mouvement en devenir dun eacutetat cosmologique en un autre eacutetat sans changer sa

nature dordre (de κόσμος) alors le sensible est tout agrave fait connaissable en raison du

fait que les quatre eacuteleacutements ne sont pas le reacutesultat dune transformation de nature ils

sont tels quils sont dans lunivers Cela eacutetant il sufft deacutetudier ces quatre eacuteleacutements

mecircmes pour connaicirctre leurs proprieacuteteacutes En revanche dans le cas ougrave les quatre

1 Voir Timeacutee 28 a ndash b 29 a2 Ibid 31 b ndash 33 a3 Ibid 32 c ndash 33 b4 Supposons que le ciel existe mais pas lespace-temps puisque lunivers est caracteacuteriseacute par lespace-

temps Ainsi on a bonne raison de supposer que le ciel avant la naissance de lunivers est totalement vide

5 Timeacutee laquo Introduction raquo p 14

111

eacuteleacutements connaissent leur origine il faut non seulement eacutetudier les quatre eacuteleacutements

mecircmes mais aussi et surtout leur origine afn de connaicirctre leur proprieacuteteacute ce qui est

impossible scientifquement si lon ne recourt pas agrave la mythologie De mecircme pour

lunivers il est connaissable sil na ni commencement ni fn car dans ces conditions

sa nature ne peut ecirctre forgeacutee que par la science mais inconnaissable si lhypothegravese

dexistence dune origine de lunivers est admise car dans ce cas-lagrave il faut chercher

aussi et surtout agrave connaicirctre la volonteacute du pegravere de lunivers puisquil sagit de

connaicirctre lorigine de lunivers or ce pegravere est inconnaissable par la science

II31 Le deacutemiurge et lunivers

Pour quoi le deacutemiurge fabrique-t-il lunivers Voici la reacuteponse laquo deacutepourvu de

jalousie il [le deacutemiurge] souhaita que toutes choses devinssent le plus possible

semblables agrave lui raquo1 Cest quelque peu paradoxal et mecircme contradictoire car

pourquoi fabriqua-t-il lunivers qui est synonyme de devenir alors quil est lui-mecircme

toujours le mecircme identique agrave lui-mecircme Eh bien pour que le sensible lui ressemble

Creacuteer un monde qui lui est infeacuterieur cest pour quil lui ressemble cest plus que la

jalousie cest la source mecircme de la jalousie car il cherchait agrave ecirctre admireacute moins

noble que la rose2

Bien que le deacutemiurge soit capable de fxer ses regard sur les formes intelligibles pour

fabriquer lunivers3 nous devons nous demander si Timeacutee cet illustre italien du sud

posseacutedait vraiment la science de ce qui est cest-agrave-dire des formes intelligibles

Effectivement tous les vivants intelligibles ce vivant les tient enveloppeacutes (περιλαβὸν) en lui-mecircme la mecircme faccedilon que notre monde nous contient nous et toutes les autres creacuteatures visibles4

Agrave noter dans le Timeacutee les deux verbes περιλαμβάνειν et περιέχειν sont

synonymes puisque un peu plus loin Timeacutee dit ceci laquo En effet ce qui enveloppe

(περιέχον) tout ce quil y a de vivants intelligibles ne saurait jamais venir apregraves un

autre au second rang raquo5 Envelopper nous lavons vu dans le chapitre preacuteceacutedent cest

une conception parmeacutenidienne cest-agrave-dire sensible de la participation du monde

sensible au monde intelligible participer cest envelopper6 Timeacutee et Parmeacutenide

1 Ibid 29 e2 laquo La rose est sans pourquoi feurit parce quelle feurit Na souci delle mecircme ne deacutesire ecirctre vue raquo

(un poegraveme latin citeacute par M Heidegger dans son livre Le principe de raison Paris Gallimard Tel2013 p 107)

3 Voir Timeacutee 28 d ndash 29 a4 Timeacutee 30 c5 Ibid 31 a6 Voir particuliegraverement Parmeacutenide 138 a ndash b

112

confondent les deux choses ce qui est et la connaissance de ce qui est Nous

pouvons posseacuteder une connaissance de ce qui est mais pas ce qui est Cela est

dautant plus eacutetonnant que ce sont presque exclusivement Parmeacutenide et Timeacutee qui

emploient ces deux verbes1 Cela montre agrave tel point la coheacutesion de lensemble des

œuvres de Platon est forte le mecircme esprit emploie des mecircmes mots

Le deacutemiurge laquo souhaitait en premier lieu que le monde fucirct avant tout un vivant

parfait (τέλεον) constitueacute de parties parfaites (τελέων) raquo2 Contradiction comment

laquo un monde visible et tangible raquo qui repreacutesente le devenir peut-il ecirctre parfait

Comment le feu leau lair et la terre qui sont eux-mecircmes deacutepourvus dintellect

peuvent-ils ecirctre parfaits Si le monde et ses parties sont tous parfaits agrave quoi sert

lintellect que le deacutemiurge met dans lacircme du monde 3 Pour Timeacutee ecirctre parfait cest

ecirctre laquo exempt de vieillesse et de maladie raquo4 et non pas exempt de commettre

linjustice Lagrave encore Timeacutee rejoint Parmeacutenide en ce qui concerne lemploi de ladjectif

τέλεος (parfait) qui nest pas associeacute au Bien5 Tandis que pour Socrate le terme est lieacute

au Bien puisque lhomme qui arrive agrave saisir les formes intelligibles devient vraiment

parfait6

laquo En effet celui qui la constitueacute a consideacutereacute que le monde serait bien meilleur sil se

suffsait (αὔταρκες) agrave lui-mecircme plutocirct que sil eacutetait deacutependant de quoi que ce soit raquo7

Comment les vivants dieux ou hommes peuvent-ils se suffre moralement sans les

reacutealiteacutes intelligibles dont lunivers tout entier deacutepend La liste des contradictions des

propos de Timeacutee sur la fabrication de lunivers par le deacutemiurge est longue nous nous

arrecirctons lagrave En effet lunivers est quelque chose de tellement complexe qui deacutepasse

1 Voici la liste de lapparition de ces deux verbes dans le corpus platonicien Critias 118 a (περιέχον) Lois IV 718 c (περιλαβόντα) VIII 837 a (περιλαβὸν) 841 c (περιλαβόντα) XI 927 a (περιέχοντες) Meacutenon 85 a (περιέχουσαι) 87 d (περιέχει) Parmeacutenide [13 fois] 138 a (περιέχοιτο) 138 a (περιέχον) 138 b (περιέχοντι) 138 b (περιέχον) 144 e (περιέχεται) 145 a (περιέχον) 145 c (περιέχεται) 145 c (περιέχεται) 145 c (περιέχοιτο) 150 a (περιέχουσα) 150 a (περιέχουσα) 150 e (περιέχον) 151 b (περιέχοντα) Phegravedre 273 e (περιλαμβάνειν) Politique 282 a (περιλαμβάνειν) 294 b (περιλαβὼν) 305 e (περιλαβόντες) Reacutepublique VIII 546 b (περιλαμβάνει) Sophiste 220 c (περιέχον) 226 e (περιλαβεῖν) 246 a (περιλαμβάνοντε) Theacuteeacutetegravete 148 a (περιλαμβάνει) Timeacutee [9 fois] 25 a (περιέχουσα) 30 c (περιλαβὸν) 31 a (περιέχον) 31 a (περιέχοντι) 33 b (περιέχειν) 56 e (περιλαμβανόμενον) 57 a (περιλαμβανόμενα) 81 c (περιλαμβανόμενα) 92 c (περιέχον)

2 Timeacutee 32 e3 Voir Ibid 31 b4 Ibid 33 a Nous allons voir dans la derniegravere section du chapitre que pour que le ciel soit parfait il

faut introduire dans le ciel les espegraveces mortelles (Voir 41 c)5 Voir Parmeacutenide 136 c 157 e 157 e 162 a 162 b 162 b Timeacutee 27 b 30 d 32 d 32 d 33 a 34 b 34 b 39

d 39 d 39 e 416 Voir Phegravedre 249 b ndash d7 Timeacutee 33 d Cf aussi Timeacutee laquo Notes raquo ndeg 151 p 233 laquo Lideacuteal dαὔταρκες comme capaciteacute morale

autant queacuteconomique de suffre agrave ses besoins est deacutejagrave preacutesent chez Deacutemocrite (DK 68 B 246) raquo

113

de tregraves tregraves loin tout entendement humain que toute hypothegravese consistant agrave lui

attribuer un commencement une naissance venue de nulle part ne peut eacutechapper agrave

de nombreuses contradictions et que seule lhypothegravese consistant agrave reconnaicirctre

limmortaliteacute du monde en tant quunivers sans commencement ni fn peut eacuteviter les

contradictions fagrantes

II32 Lacircme humaine

Lunivers et les dieux que le deacutemiurge creacutea sont en effet laquo ni immortels ni totalement

indissolubles raquo1 cela semble confrmer notre analyse preacuteceacutedente ils ne sont ni bons

ni mauvais comme Eacuteros qui a exactement la mecircme nature agrave savoir ni immortels ni

totalement indissolubles En ce sens les dieux du Timeacutee sont infeacuterieurs aux dieux

dont Socrate parle qui sont tous bons beaux sages immortels puisquils sont

veacuteritablement savants2 Ce sont ces dieux ou les fls du deacutemiurge qui furent chargeacutes

par leur pegravere de faire naicirctre les espegraveces mortelles qui ne sont pas encore neacutees

Eh bien maintenant voici les instructions que je vous donne tenez-en compte Parmi les espegraveces mortelles il en reste trois qui ne sont pas encore neacutees Or si elles ne viennent pas agrave lexistence le ciel ne sera pas parfait Car il naura pas en lui toutes les espegraveces devivants il faut que ces espegraveces mortelles naissent si le ciel doit ecirctre absolument parfait Or sils tenaient de moi leur naissance et leur participation agrave la vie ces ecirctres seraient les eacutegaux des dieux Afn donc que ces ecirctres soient mortels et pour que le tout soit reacuteellement tout appliquez-vous selon votre nature agrave ecirctre les deacutemiurges de ces vivants prenant modegravele sur la puissance que jai deacuteployeacutee pour assurer votre naissance Et en ce qui concerne la partie qui en eux doit porter le mecircme nom que les immortels cette partie quon appelle laquo divine raquo et qui commande chez ceux dentre eux qui ne cessent depratiquer la justice et qui souhaitent vous suivre cette partie que jai semeacutee et que jai pris initiative de faire venir agrave lexistence je vais vous la confer Pour le reste enlacez agrave cette partie immortelle une partie mortelle fabriquez les vivants faites-les naicirctre donnez-leur de la nourriture faites-les croicirctre et quand ils peacuteriront recevez-les de nouveau aupregraves de vous raquo3

Premiegraverement laquo ces ecirctres seraient eacutegaux des dieux raquo il semble que lon nest plus

dans lunivers platonicien en tout cas pas chez le Socrate de Platon On pourrait dire

que dans le Phegravedre lacircme des dieux est en quelque sorte similaire agrave celle des ecirctres

humains la structure de leur acircme est la mecircme un attelage aileacute un cocher avec deux

chevaux4 Simplement chez les dieux les chevaux sont bons et de bonne race ce qui

1 Ibid 41 b2 Voir Apologie 23 a laquo le vrai savant ce soit le dieu raquo Banquet 230 e ndash 204 a laquo Aucun dieu ne tend

vers le savoir ni ne deacutesire devenir savant car il lest raquo Phegravedre 246 d ndash e laquo Or le divin est beau sage bon et possegravede toutes les qualiteacutes de cet ordre raquo

3 Ibid 41 b ndash d4 Voir Phegravedre 246 a ndash b

114

nest pas le cas chez les ecirctres humains en plus lacircme des dieux est aileacutee ce qui nest

pas le cas non plus chez les ecirctres humains pas mecircme chez les philosophes sauf

exception faite pour lhomme qui a aspireacute loyalement au savoir ou qui a aimeacute les jeunes gens pour les faire aspirer au savoir Lorsquelles ont accompli trois reacutevolutions de mille ans chacune les acircmes de cette sorte si elles ont choisi trois fois de suite ce genre de vie se trouvent pour cette raison pourvues dailes et agrave la trois milliegraveme anneacutee ellesseacutechappent1

Enfn le dieu a un corps laquo laile est dune certaine maniegravere la reacutealiteacute corporelle qui

participe le plus au divin raquo cest-agrave-dire agrave limmortaliteacute Cela eacutequivaut agrave dire que laile

nest pas une meacutetaphore mais un corps immortel Au fond on trouve peu de choses

eacutegales entre lacircme des dieux et lacircme des ecirctres humains agrave part la structure

fonctionnelle de lacircme En revanche pour le deacutemiurge cette eacutegaliteacute vient de sa

volonteacute Une telle conception de leacutegaliteacute entre les ecirctres humains et les dieux semble

revenir agrave la tradition mythologique des dieux laquo lacircme des dieux traditionnels est en

tout point similaire agrave celle des des ecirctres humains cest pourquoi les dieux peuvent

ecirctre sujets agrave lagressiviteacute et connaicirctre sentiments et passions raquo2 une telle conception

de dieu nest pas possible pour Socrate

Deuxiegravemement rendre mortels ces ecirctres cest pour rendre le ciel parfait sinon le tout

(τὸ τᾶν) ne serait pas vraiment le tout puisquil manquerait de choses imparfaites

Cest une eacutetonnante conception du parfait qui a besoin de lexistence de choses

imparfaites pour ecirctre parfait Si ces ecirctres neacutetaient pas mortels le ciel ou plutocirct le

deacutemiurge qui le creacutea sennuierait La question se pose ainsi si lon a le pouvoir de

rendre quiconque immortel pourquoi faudrait-il le rendre mortel Eacuteros est tantocirct

immortel cest la volonteacute de sa megravere mortelle Peacutenia il est tantocirct mortel cest parce

que son pegravere Peacuteros un dieu le ft involontairement puisquil laquo se traicircna dans le

jardin de Zeus et appesanti par livresse sy endormit raquo3 On peut aiseacutement constater

que dans les dialogues platoniciens ougrave Socrate est le meneur de jeu le fait decirctre

parfait est volontaire et le fait decirctre imparfait est involontaire

Troisiegravemement laquo faites-les naicirctre donnez-leur de la nourriture faites-les croicirctre et

quand ils peacuteriront recevez-les de nouveau aupregraves de vous raquo Que lon ait eu une vie

juste ou injuste on serait accueilli par le dieu ayant donneacute la vie Cest absolument

bienveillant de la part du deacutemiurge et des dieux agrave leacutegard des mortels et plutocirct

1 Phegravedre 249 a2 Brisson Luc laquo Le corps des dieux raquo Les dieux de Platon Caen Presses Universitaires de Caen 2012

[2003] pp 11 ndash 23 p 193 Banquet 203 b

115

rassurant Par rapport aux dieux de la Reacutepublique du Phegravedre ou du Pheacutedon les dieux

d u Timeacutee sont beaucoup plus sympathiques indulgents et solidaires Par exemple

dans le mythe dEr les dieux sont seacutevegraveres impitoyables mecircme laquo de la vertu

personne nest le maicirctre chacun selon quil lhonorera ou la meacuteprisera en recevra

une part plus ou moins grande La responsabiliteacute appartient agrave celui qui choisit Le

dieu quant agrave lui nest pas responsable raquo1 Pourquoi le dieu est-il si dur Cest parce

que lacircme est immortelle elle est entiegraverement responsable de son immortaliteacute Le

dieu est lagrave pour juger les acircmes des mortels cest sans doute une des fonctions decirctre

dieu

En revanche le deacutemiurge semble beaucoup moins rigoureux car il est le premier agrave

ne pas tenir la promesse laquo ces ecirctres seraient les eacutegaux des dieux raquo

Ainsi parla-t-il puis revenu au crategravere dans lequel il avait auparavant composeacute par un meacutelange de lacircme de lunivers il semploya agrave fondre le reste des ingreacutedients utiliseacutesanteacuterieurement en reacutealisant presque le mecircme meacutelange un meacutelange dont les ingreacutedients neacutetaient plus aussi purs quavant mais qui eacutetait de second et de troisiegraveme ordre Apregraves avoir meacutelangeacute le tout il divisa le meacutelange en autant dacircmes quil y a dastres et il affecta chaque acircme agrave un astre2

Ces ecirctres ne seraient plus eacutegaux des dieux comme si le deacutemiurge maitrisait mal son

sujet cela ressemble quelque peu aux fregraveres Eacutepimeacutetheacutee et Promeacutetheacutee dans le mythe

de Protagoras

II4 Conclusion

Lacircme est luniteacute des dialogues platoniciens (sauf dans la seconde partie du

Parmeacutenide) Sans acircme les dialogues platoniciens nont plus de sens Mais la faccedilon

daborder lacircme est tregraves diffeacuterente selon les diffeacuterentes peacuteriodes

Dans les premiers dialogues le souci principal de Socrate est lacircme des jeunes gens

puisquelle est agrave la fois bonne et mauvaise bonne parce quelle ne sait pas dire ce

quelle ne sait pas dailleurs rarement les enfants mentent mauvaise parce quelle ne

sait pas ce quelle sait comme si elle eacutetait ignorante Par conseacutequent elle est

relativement facile agrave eacuteduquer ou corrompre Cest la raison pour laquelle Socrate fait

des sophistes un adversaire ideacuteal cest-agrave-dire un combat philosophique puisque les

sophistes vendent la mauvaise nourriture de lacircme agrave des gens jeunes

particuliegraverement agrave des jeunes gens ayant un bon naturel futures eacutelites de la citeacute Il

faut dire quagrave cette peacuteriode le but nest pas de savoir ce quest lacircme mais de deacutetruire

1 Reacutepublique X 617 e2 Timeacutee 41 d

116

limage du savoir et du pouvoir des sophistes cest pourquoi dans cette peacuteriode on

nentend pas Socrate parler de la nature de lacircme Par exemple agrave aucun moment

Socrate ny a dit que lacircme est invisible Le mot invisible (ἀόρατος ἀιδής ou le verbe

ὁρῆν sous forme neacutegative)1 pour qualifer une chose invisible est totalement absent

dans les premiers dialogues Mais ce nest pas pour autant que nous nous permettons

de dire que Socrate navait aucune intuition de ce quest lacircme agrave cette eacutepoque Cela

semble trompeur Premiegraverement Socrate passait son temps agrave demander ce quest une

chose concregravete ou abstraite il est impensable quil ne se soit jamais demandeacute ce

quest lacircme inimaginable Deuxiegravemement dans le Charmide Socrate accorde la foi agrave

la penseacutee meacutedicale de Zalmoxis laquo lacircme est la source des tous les maux et des tous

les biens raquo Nous autorisons-nous agrave penser que Socrate accorde la foi agrave Zalmoxis par

la croyance et non pas par le raisonnement Troisiegravemement dans lApologie dans ce

ceacutelegravebre passage il souligne quil passait son temps agrave essayer de rendre lacircme des gens

la meilleure possible sachant bien ceci

Ce nest pas des richesses que vient la vertu mais cest de la vertu que viennent les richesses et tous les autres biens pour les particuliers comme pour lEacutetat2

Gagner des richesses sans que lacircme ne soit vertueuse cest un mal Le bon usage de

toutes les richesses en tant que biens deacutepend de la vertu Lagrave on voit deacutejagrave que Socrate

distingue entre ce qui est propre agrave lacircme la vertu et ce qui est propre agrave la vie

sensible les richesses et les autres biens particuliers

Apregraves les premiers dialogues lacircme nest plus objet de critique mais de

connaissance Dabord lacircme est invisible et immortelle 1 Tout ce qui est est

invisible cest-agrave-dire non sensible cest une neacutecessiteacute ontologique 2 Limmortaliteacute

de lacircme est la neacutecessiteacute agrave fois eacutepisteacutemologique et eacutethique sans cette neacutecessiteacute les

formes intelligibles sont inconnaissables puisquon ne peut connaicirctre quelques

choses quon na jamais vues et avec cette neacutecessiteacute lacircme a toute la raison decirctre

1 Apologie μηδὲν ὁρᾷ (40 d) Cratyle ἀιδὲς (403 a) ἀιδοῦς (404 b) Criton οὐχ ὁρᾷς (45 a) Gorgias ἀιδὲς (493 b) Hippias majeur μηδένα ὁρᾶν (299 a) Lois I ἀόριστον (643 d) XI ἀορίστως (916 e) ἀόριστον (916 e) Parmeacutenide οὐχ ὁρᾷς (136 d) Pheacutedon ἀιδῆ (79 a) ἀιδές (79 a) ἀιδὲς (79 a) ἀιδές (79 b) ἀόρατον (79 b) ἀιδὲς (79 b) ἀιδεῖ (79 b) ἀιδές (80 d) ἀιδῆ (80 d) ἀιδὲς (81 a) ἀιδές (81 b) ἀιδοῦς (81 c) ἀιδές (83 b) ἀόρατον (85 e) ὁρατὸν μηδέποτε (79 a) μὴ ὁρῶν (115 e) Phegravedre οὐχ ὁρᾷς (242 a) οὐχ ὁρᾶται (250 d) Philegravebe οὐχ ὁρᾷς (16 a) Republique III οὐχ ὁρᾷς (404 a) οὐχ ὁρᾷς (408 a) V μὴ ὁρῶντας (479 e) VI ἀόρατα (507 e)VII ἀόρατον (529 b) οὐχ ὁρῶσιν (527 e) VIII οὐχ ὁρᾷς (552 d) μὴν ὁρᾷς (577 c) Sophiste ἀοράτου (246 a) ἀοράτου (246 b) ἀόρατα(247 b) Theacuteeacutetegravete ἀόρατον (155 e) οὐχ ὁρᾶν (163 b) οὐχ ὁρᾷ (164 a) οὐχ ὁρᾷ (164 b) οὐχ ὁρᾷς (165 c) οὐχ ὁρᾷς (165 c) μὴ ὁρᾶν (165 c) οὐχ ὁρῶντες (176 e) μὴ ὁρᾶν (182 e) οὐχ ὁρῶ (205 d) Timeacutee ἀόρατος (36 e) ἀιδίων (37 c) ἀοράτοις (43 a) ἀόρατον (46 d) ἀόρατον (52 a) ἀοράτων (83 d) ἀόρατα (91 d)

2 Apologie 30 b

117

juste puisquelle savait jadis ce quest la justice et la neacutecessiteacute decirctre juste Ensuite la

structure fonctionnelle de lacircme permet de connaicirctre les raisons de la source de tous

les biens (gracircce agrave la fonction rationnelle) et de tous les maux (agrave cause de la fonction

deacutesirante) Enfn la connaissance de lacircme est aussi la connaissance de la citeacute

puisque laquo lindividu et la citeacute sont deux supports identiques qui ne diffegraverent que par

la taille et sur lesquels sont inscrites les mecircmes lettres celles de la justice raquo1

Il faut souligner troisiegravemement que avant le Timeacutee limmortaliteacute de lacircme signife

que celle-ci ne connaicirct ni commencement ni fn elle nest pas une volonteacute de qui que

ce soit elle est une reacutealiteacute qui nest ni une Forme ni sensible mais capable de saisir les

Formes et de comprendre les sensibles En revanche si cette immortaliteacute eacutetait voulue

et fabriqueacutee par un ecirctre supeacuterieur2 cela pose un problegraveme triplement insoluble

Ontologiquement le deacutemiurge serait capable de rendre ce qui nest pas est puisque

avant lintervention du deacutemurge lacircme neacutetait pas Mais dans le cas ougrave lunivers et les

acircmes ne connaissent ni commencement ni fn toutes les reacutealiteacutes existent dans le

monde sensible et dans le monde intelligible existent toujours il ny a rien agrave inventer

simplement agrave deacutecouvrir ainsi il est impossible de rendre ce qui nest pas est

Eacutepisteacutemologiquement nous ne pouvons pas connaicirctre vraiment lacircme du monde des

dieux et des hommes sans connaicirctre le deacutemiurge qui est lorigine mecircme de lunivers

sauf si nous faisons entiegraverement confance agrave lexposeacute de Timeacutee Dans ce cas-lagrave

comment peut-on croire que le deacutemiurge ne change pas davis un jour pour rendre

mortels lunivers et toutes les acircmes Eacutethiquement nous ne sommes pas entiegraverement

responsables ni de linjustice commise ni de la justice faite car les creacuteateurs des ecirctres

humains en ont leur part de responsabiliteacute

1 Pradeau Jean-Franccedilois Platon et la citeacute Paris PUF 2010 [1997] p 61 ndash 622 Certes on peut dire que le deacutemiurge est une fonction et non un individu mais aucune fonction ne

peut fonctionner sans aucune intervention dun ecirctre pourvu dacircme

118

Ch III Lignorance121III1 laquo Moi raquo et laquo moi-mecircme raquo121

III11 Alcibiade et laquo connais-toi toi-mecircme raquo122III111 La technique et lignorance124III112 Le deacutesir et lignorance127III113 Le pouvoir et lignorance127

III12 Protagoras et laquo connais-toi toi-mecircme raquo128III121 laquo Rien de trop raquo et Simonide129III122 laquo Rien de trop raquo et Protagoras130III123 laquo Rien de trop raquo et Eacutepimeacutetheacutee131

III13 Philegravebe et laquo Connais-toi toi-mecircme raquo132III131 Quatre eacuteleacutements et le corps134III132 Le plaisir et le deacutesir134III133 La psychologie135

III2 Connaicirctre138III21 Ion linspiration naturelle nest ni art ni science138

III211 Folie divine138III212 Folie divine et les arts humains140III213 Rhapsode142

III22 Lignorance en terme ontologique144III221 Diffeacuterence entre laquo τὸ μὴ εἶναι raquo et laquo τὸ μὴ ὄν raquo 144III222 Lopinion fausse146III223 Refus de la veacuteriteacute147

III23 Theacuteeacutetegravete148III231 Oubli sensation meacutemoire148III232 Ce qui nest pas149III233 Le totaliteacute sans uniteacute151

III3 Paradoxe socratique deacuteclaration dignorance152III31 Sans compeacutetence particuliegravere152III32 Faux ou vrai savant153III33 Le philosophe est neacutecessairement laquo ignorant raquo154

III4 Conclusion154

119

Ch III Lignorance

Lignorance nest pas le fait de ne rien savoir dailleurs ce nest peut-ecirctre mecircme pas

bien grave de ne pas savoir grand-chose pourvu que lon ne preacutetende pas savoir ce

que lon ne sait pas Lignorance cest simaginer savoir ce que lon ne sait pas en

reacutealiteacute Comment se fait-il que lon puisse savoir ce quon ne sait pas Le fait de

savoir ce que lon ne sait pas nest-il pas une forme de mensonge En effet celui qui

a perdu sa meacutemoire ne peut savoir ce quil dit De mecircme celui qui ne se connaicirct pas

soi-mecircme ne peut savoir si ce quil a dit relegraveve du mensonge ou de la veacuteriteacute car le fait

de se connaicirctre soi-mecircme nest autre chose que la reacuteminiscence cest-agrave-dire la

connaissance de la veacuteriteacute dougrave le sens mecircme du ceacutelegravebre preacutecepte delphique laquo γνῶθι

σαυτόν raquo laquo connais-toi toi-mecircme raquo1 Ce qui est eacutetonnant cest cette forme de

dialogue par laquelle le preacutecepte sexprime toi dis-moi connais-toi toi-mecircme

Socrate nous dira que connaicirctre laquo moi raquo et connaicirctre laquo moi-mecircme raquo sont deux choses

diffeacuterentes Agrave vrai dire le laquo moi raquo cest-agrave-dire un ecirctre humain est moins un objet

philosophique que le laquo moi-mecircme raquo cest-agrave-dire laquo mon acircme raquo car sur les choses qui

appartiennent agrave laquo moi raquo les richesses par exemple on na pas vraiment besoin de

philosophe pour mieux sen preacuteoccuper le fait den perdre par hasard ou par

inattention ou par une autre raison sera une leccedilon effcace puisque la perte des

richesses ou dautres biens particuliers est visiblement sensible alors que la perte des

biens de lacircme est insensible dougrave linstallation facile et durable de lignorance dans

lacircme Voici le plan du chapitre mdash laquo Moi et moi-mecircme raquo mdash laquo Connaicirctre raquo mdash

laquo Paradoxe socratique deacuteclaration dignorance raquo

III1 laquo Moi raquo et laquo moi-mecircme raquo

Si lon considegravere Socrate comme laquo le pegravere de la philosophie raquo2 le commencement de

la philosophie paraicirct bien surprenant Dapregraves lApologie ce commencement fut

deacuteclencheacute par un acte anodin de son ami denfance Cheacutereacutephon (21 a) qui est citeacute dans

lApologie et le Charmide et cest au deacutebut du Gorgias que Platon lui accorde la parole

1 Lexpression est aussi mentionneacutee en Alcibiade 124 a ndash b 129 a 130 e 131 b et 132 e en Protagoras343 b en Charmide 164 b 169 d e en Philegravebe 48 c en Phegravedre 229 e et en Lois XI 923 a La reacuteminiscence et le preacutecepte laquo connais-toi toi-mecircme raquo peuvent ecirctre consideacutereacutes comme synonymes simplement le contexte dusage est diffeacuterent la reacuteminiscence est doctrinale tandis que le preacutecepte delphique est aporeacutetique

2 Cf Louis-Andreacute Dorions Socrate p 3

121

un personnage quelque peu impeacutetueux1 laquo un jour quil seacutetait rendu agrave Delphes il osa

consulter loracle pour lui demander mdash et nallez pas je le reacutepegravete minterrompre par

vos cris citoyens mdash si en fait il pouvait exister quelquun de plus savant que moi

Or la Pythie reacutepondit quil ny avait personne de plus savant raquo2 Notons que le but de

cette consultation nest ni savoir son propre sort ni savoir le sort du peuple mais

savoir le vrai sens du savoir En ce sens on peut dire que Cheacutereacutephon nest pas un

ignorant car du moins il se doutait que Socrate eacutetait un sage et cest la raison pour

laquelle il alla consulter loracle Et cest cette consultation qui donne le premier sens

de la philosophie agrave savoir le fait de savoir le vrai sens du savoir Il sagit de

distinguer le savoir de lignorance

En effet lorsque je fus informeacute de cette reacuteponse je me fs agrave moi-mecircme cette reacutefexion laquo Que peut bien vouloir dire la reacuteponse du dieu et quel en est le sens cacheacute Car jai bien conscience moi (ἐμαυτῷ) de necirctre savant ni peu ni prou Que veut donc dire le dieu quand il affrme que je suis le plus savant (τί οὖν ποτε λέγει φάσκων ἐμὲ σοφώτατον εἶναι) En tout cas il ne peut mentir car cela ne lui est pas permis raquo3

Quand il sagit dune communication inteacuterieure on sadresse agrave soi-mecircme en

employant le pronom reacutefeacutechi laquo ἐμαυτόν raquo qui na pas de rapport au corps Le laquo moi-

mecircme raquo cest laquo mon acircme raquo une acircme sadresse agrave elle-mecircme cette communication

inteacuterieure eacutechappe au corps comme si le corps eacutetait au repos Tandis que dans une

communication exteacuterieure on sadresse agrave autres en employant le pronom personnel

laquo ἐγώ raquo qui a un rapport au corps car lἐγώ deacutesigne un ecirctre humain en tant quunion

dune acircme avec un corps4 Ainsi le fait deacutechapper agrave lignorance cest se connaicirctre

soi-mecircme seacuteloigner du corps distinguer laquo ἐγώ raquo et laquo ἐμαυτόν raquo par le moyen du

dialogue En effet chaque fois quon sadresse agrave autres ou agrave soi-mecircme sans dialogue

cest-agrave-dire sans avoir recours agrave la raison on manque une occasion de se connaicirctre

soi-mecircme car le propre de lacircme cest de raisonner cest chercher et apprendre Cest

pourquoi nous parlons ici de lignorance agrave travers lanalyse du ceacutelegravebre preacutecepte

delphique laquo connais-toi toi-mecircme raquo

III11 Alcibiade et laquo connais-toi toi-mecircme raquo

Nous avons expliqueacute dans le chapitre preacuteceacutedent ces trois choses lacircme le corps et le

vivant Voici la question quelles choses de ce vivant sont-elles propres agrave lacircme et

1 Agrave propos du personnage cf Apologie laquo Notes raquo ndeg 66 p 1362 Apologie 21 a3 Ibid 21 b4 Nous preacutefeacuterons ici ne pas traduire en franccedilais le pronom personnel laquo ἐγώ raquo (laquo moi raquo ou laquo je raquo) car

nous sommes dans un corpus platonicien et non dans un corpus psychanalytique

122

quelles autres choses sont-elles propres au corps 1 Cest une question importante de

lAlcibiade Degraves le deacutebut du dialogue Socrate fait observer agrave Alcibiade quil est beau et

dominant sur ses amoureux quil a une famille riche et puissante et fnalement quil

a des ambitions politiques2 En effet toutes ces belles choses lui sont propres cest-agrave-

dire propre agrave un humain qui a une histoire particuliegraverement singuliegravere car les autres

nont pas la mecircme beauteacute la mecircme puissance familiegravere la mecircme fortune les mecircmes

preacutetendants les mecircmes ambitions politiques Lorsque lon prend soin de ces belles

choses propres agrave lui prend-on soin de lui-mecircme Cest ce que Socrate demande

Socrate Eh bien voyons Quest-ce que prendre soin de soi-mecircme Ne nous cachons pas que souvent croyant prendre soin de nous-mecircmes nous ne le faisons pas Quand donc un homme le fait-il Prend-il soin de lui-mecircme agrave chaque fois quil prend soin des chose qui lui sont propres 3

Lui-mecircme lui et les choses qui sy rapportent La cordonnerie permet dameacuteliorer la

chaussure la gymnastique le corps la vertu lacircme Cela eacutetant personne ne peut

savoir ameacuteliorer laquo la chaussure sans savoir ce quest une chaussure raquo4 puisque la

technique deacutepend de son objet lart musical deacutepend de son instrument laquo Mettons La

technique qui permet de sameacuteliorer soi-mecircme pourrions-nous la connaicirctre sans

savoir ce que nous sommes nous-mecircmes raquo5 Se connaicirctre soi-mecircme est la condition

pour prendre soin de soi-mecircme

Socrate Seulement est-ce une chose facile que de se connaicirctre soi-mecircme et est-ce un insouciant qui a mis cette inscription de Delphes ou bien est-ce une tacircche diffcile qui nest pas agrave la porteacutee de tous

Alcibiade Moi Socrate jai souvent penseacute quelle eacutetait agrave la porteacutee de tous mais souvent aussi tregraves diffcile

Socrate Mais quelle soit facile ou pas Alcibiade nous en sommes neacuteanmoins lagrave en nous connaissant nous-mecircmes nous pourrions sans doute connaicirctre la maniegravere de prendre soin de nous-mecircmes Sans cela nous ne le pourrions pas6

La question se pose quelles sont les choses qui nous empecircchent de nous connaicirctre

nous-mecircmes Nous en citons ici trois qui se rapportent au corps pour ainsi dire la

technique le deacutesir et le pouvoir

1 Dans le chapitre preacuteceacutedent nous avons montreacute quagrave travers une lecture du Philegravebe la psychologieest une chose propre agrave ce vivant Pourtant ici dans lAlcibiade la question ne se pose pas en raison du fait que lacircme du jeune Alcibiade nest pas aveugleacutee par des douleurs de lacircme mais par larrogance

2 Alcibiade 104 a ndash c3 Ibid 127 e ndash 128 a4 Ibid 128 e5 Ibid6 Ibid 129 a

123

III111 La technique et lignorance

Dans le corpus platonicien laquo la politique nest pas une τέχνη cest-agrave-dire un savoir

se fondant sur lopinion dont lobjet est le sensible qui est persuasive et agrave la quelle

peuvent effectivement participer tous les hommes raquo1 La question se pose pourquoi

Socrate megravene-t-il quatre seacuteries dexamens sur la technique alors que lambition

dAlcibiade est la politique En effet la technique est un paradigme qui permet de

voir ce qui est invisible comme lexamen de lignorance permet de voir la veacuteriteacute dans

les premiers dialogues et lexamen de lopinion de voir plus clairement la nature de

la science dans le Theacuteeacutetegravete

La premiegravere seacuterie dexamens porteacutes sur la technique se trouve entre les paragraphes

108 b - d ougrave on trouve la premiegravere apparition du terme τέχνη avec six occurrences 2

Le but consiste agrave faire voir lignorance dAlcibiade en termes de τέχνη

Socrate Allons agrave toi Il te faudrait en effet aussi raisonner convenablement Dis-moi dabord quelle est la technique dont deacutependent le jeu de la cithare le chant et la marche correct Quest-ce qui la deacutesigne en entier Ne peux-tu pas encore le dire

Alcibiade Vraiment non

Socrate Essaie de cette maniegravere quelles sont les deacuteesses dont deacutepend cette technique

Alcibiade Ce sont les Muses dont tu parles Socrate3

Le jeu de la cithare le chant et la danse deacutependent de lart du rythme En dautres

termes lart du rythme rend meilleur le jeu de la cithare le chant et la danse Toute

technique est speacutecifque acquise par la pratique sans neacutecessairement poser la

question laquo quest-ce que raquo de la sorte dans sa speacutecifciteacute technique Une technique

est une compeacutetence qui reste quand mecircme une ignorance puisquelle na pas

doccasion de poser la question laquo quest-ce que raquo en ce qui concerne les choses dans

sa propre speacutecifciteacute Par exemple le cordonnier na pas agrave se poser la question

laquo quest-ce que le beau raquo pour fabriquer de belles chaussures

La deuxiegraveme seacuterie dapparition du terme τέχνη se trouve entre les passages 125 d -

126 d avec cinq occurrences Dans la seacuterie preacuteceacutedente la question de la technique

eacutetait abordeacutee sous son aspect individuel alors quil sagit deacutesormais de la technique

1 Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 124

2 Voici la liste des 22 occurrences Premier groupe τέχνην (108 b) τέχνη (108 b) τέχνη (108 c)τέχνη (108 c) τέχνη (108 d) τέχνην (108 d) Second groupe τέχνῃ (124 b) τέχνη (125 d) τέχνη (125 d) τέχνην (126 c) τέχνην (126 c) τέχνη (126 d) Troisiegraveme groupe τέχνη (128 b) τέχνῃ (128 d) τέχνη (128 d) τέχνη (128 e) τέχνη (128 e) τέχνη (128 e) Quatriegraveme groupe τέχνας (131 b) τέχνην (131 b) τέχναι (131 b) τέχνης (133 e)

3 Alcibiade 108 c ndash d

124

du chef chef de chœur chef de navire il sagit de lart de commander Lagrave encore

Alcibiade ne sait pas reacutepondre pertinemment1 Dans lart de lharmonie il ne se

permet pas de jouer ce qui lui semble bon et agrave lui seul Cest de lagrave que deacutecoule cette

phrase

Σωκράτης

οὐδ᾽ εὖ ἄρα ταύτῃ οἰκοῦνται αἱ πόλεις ὅταν τὰ αὑτῶν ἕκαστοι πράττωσιν2

Socrate

Alors les citeacutes ne sont pas bien administreacutees tant que chacun y participe ce qui lui est propre

Un bon chef dorchestre est un chef qui sait ce quest lharmonie musicale et maicirctrise

cet art dorchestrer De la sorte si un musicien dans lorchestre jouait ce qui lui

plaisait et agrave lui seul cela relegraveverait de lignorance de ce musicien (puisque le fait

dobeacuteir aux ordres du chef dorchestre est une question eacutethique et non une question

technique) cela relegraveve aussi et surtout dune certaine ignorance du chef dorchestre

car gouverner les ecirctres humains musiciens matelots ou citoyens cest gouverner

leur acircme Quand une acircme eacutechappe agrave cette gouvernance cest la question laquo quest-ce

quune acircme humaine raquo qui lui eacutechappe De mecircme pour gouverner la citeacute cest

pourquoi le fait de gouverner la citeacute ne relegraveve pas de lart mais de la science

La troisiegraveme seacuterie se concentre sur quatre paragraphes 128 b ndash e avec six occurrences

Socrate Quelle est la technique qui ameacuteliore les chaussures

Alcibiade La cordonnerie

Socrate Cest donc par le moyen de la cordonnerie que nous prenons soin des chaussures

Alcibiade Oui

Socrate Et de nos pieds est-ce aussi par le moyen de la cordonnerie ou bien est-ce une autre technique qui lameacuteliore

Alcibiade Une autre

Socrate La technique qui ameacuteliore les pieds nest-elle pas aussi celle qui ameacuteliore le reste du corps

Alcibiade Oui cest ce quil me semble

Socrate Nest-ce pas la gymnastique

Alcibiade Preacuteciseacutement

Socrate Cest donc par le moyen de la gymnastique que nous prenons soin du pied puis par le moyen de la cordonnerie de toutes les choses qui sy rapportent

Alcibiade Bien sucircr

Socrate Par le moyen de gymnastique de nos mains puis par la ciselure de bague de toutes les

1 Voir 126 e2 Ibid 127 b

125

choses qui se rapportent agrave la main

Alcibiade Oui

Socrate Et par le moyen de la gymnastique du corps puis par le tissage et par dautres techniques de toutes les choses qui sy rapportent

Alcibiade Oui absolument

Socrate Nous prenons donc soin dune chose par le moyen dune technique puis de toutes les choses qui sy rapportent par le moyen dune autre

Alcibiade Cest ce quil semble

Socrate Ce nest donc pas lorsque tu prends soin de toutes les choses qui se rapportent agrave toi que tu prends soin de toi-mecircme

Alcibiade Certes non

Socrate En effet il est apparu que ce nest pas par le moyen de la mecircme technique que lon prendsoin de soi-mecircme et de toutes les choses qui se rapportent agrave soi

Alcibiade Non effectivement

Socrate Maintenant par le moyen de quelle technique pourrions-nous prendre soin de soi-mecircme

Alcibiade Je ne saurait pas le dire1

Aucune technique ne peut permettre de prendre soin de soi-mecircme cest-agrave-dire de

connaicirctre le propre de son acircme (αὐτὸ τὸ αὐτό)2 mais quelle est la chose qui est

veacuteritable propre agrave lacircme Cest lagrave que nous trouvons la quatriegraveme seacuterie de trois

apparitions de la τέχνη dans le seul paragraphe laquo 131 b raquo Voici la deuxiegraveme et la

plus signifcative

Σωκράτης

εἰ ἄρα σωφροσύνη ἐστὶ τὸ ἑαυτὸνγιγνώσκειν οὐδεὶς τούτων σώφρων κατὰ τὴν τέχνην3

Socrate

De sorte que si la tempeacuterance consiste agrave seconnaicirctre soi-mecircme aucun dentre eux nest tempeacuterant du fait de son meacutetier

Pourquoi Cest parce que les techniques sont relatives au corps4 comme la vertu agrave

lacircme cest en ce sens que llaquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo deacutesigne aussi la vertu qui est le reacutesultat

de lintellection

1 Ibid 128 b ndash d2 Voir 130 d laquo quil faut dabord rechercher ce que peut ecirctre le soi-mecircme lui-mecircme raquo (laquo ὅτι πρῶτονσκεπτέον εἴς αὐτὸ τὸ αὐτό raquo) laquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo deacutesigne lintellect cest-agrave-dire la fonction immortelle de lacircme sachant que les deux autres fonctions infeacuterieures sont mortelles Une telle lecture peut paraicirctre improbable agrave leacutepoque de lAlcibiade pourtant cest bien la reacutealiteacute laquo En effetcher Alcibiade le particulier ou la citeacute qui auraient la liberteacute de faire tout ce quils veulent alors quils sont deacutepourvus dintellect que leur arrivera-t-il raquo (134 e et agrave propos de lintellect et laquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo cf Alcibiade laquo Notes raquo ndeg 161 p 217)

3 Ibid 131 b4 Ibid 131 a ndash b

126

III112 Le deacutesir et lignorance

Maicirctriser les choses sensibles relegraveve de la technique Maicirctriser soi-mecircme relegraveve de

lintellection Entre les deux nous avons le deacutesir

Mais tregraves cher laisse-moi convaincre par moi et linscription de Delphes CONNAIT-TOI TOI-

MEcircME que ce sont eux tes rivaux et non pas ceux que tu crois Et nous ne pouvons lemporter sur eux par rien dautre que par le soin et par la technique Si tu te prives de ces choses tu te prives aussi dun nom chez les Grecs et chez barbares ce que tu me sembles deacutesirer (δοκεῖς) comme personne au monde1

Si lon deacutesire la technique il faut la travailler (ἀσκεῖν) lexercer Si lon deacutesire ecirctre

savant il faut prendre soin de soi-mecircme Si lon na que le deacutesir de ne pas travailler ni

prendre soin de soi-mecircme ce nest quune opinion En effet ici Socrate na pas

employeacute le verbe ἐπιθυμεῖν mais δοκεῖν Lἐπιθυμεία est une puissance de lacircme

heacutelas tantocirct positive tantocirct neacutegative alors que la δόξα qui vient du verbe δοκεῖν nest

pas une puissance de lacircme mais du corps Cest en ce sens que lopinion est une

forme de lignorance puisque le corps est deacutepourvu de toute capaciteacute de penser de

raisonner de reacutefeacutechir Autrement dit deacutesirer les choses sensibles relegraveve plus ou

moins de lignorance

III113 Le pouvoir et lignorance

Sur le plan individuel ecirctre juste et tempeacuterant nexige pas vraiment lintellection la

penseacutee (διάνοια) sufft pour obeacuteir agrave qui vaut mieux que soi En revanche quand il

sagit de gouverner de commander lexigence est beaucoup plus eacuteleveacutee Lisons ce

passage

Σωκράτης

τί δ᾽ ἐν νηί εἴ τῳ ἐξουσία εἴη ποιεῖν ὃ δοκεῖ νοῦ τε καὶ ἀρετῆς κυβερνητικῆς ἐστερημένῳ καθορᾷς ἃ ἂν συμβαίη αὐτῷ τε καὶ τοῖς συνναύταις2

Socrate

Et sur un navire si un passager avait la liberteacute de faire ce que bon lui semble en eacutetant priveacute de lintellect et de lexcellence du pilote ne vois-tu pas ce qui lui arriverait agrave lui et comme agrave ses compagnons

Dans le corpus platonicien le mot laquo pilote raquo (κυβερνήτης) a une connotation bien

politique3 gouverner la citeacute comme on pilote un navire Seulement piloter la citeacute

1 Ibid 124 a ndash b2 Ibid 135 a3 Voici la liste doccurrences du substantif Alcibiade κυβερνήτῃ (117 d) κυβερνήτῃ (117 d) κυβερνητῶν (125 e) Banquet κυβερνήτης (197 e) Charmide κυβερνήτης (173 b) Cratyle κυβερνήτης (390 c) κυβερνήτου (390 d) Euthydegraveme κυβερνητῶν (279 e) Gorgias κυβερνήτην(512 b) κυβερνήτου (512 b) Ion κυβερνήτης (540 b) κυβερνήτης (540 b) Lettre VII κυβερνήτου (351 d) Lois I κυβερνήτης (640 e) II κυβερνήτας (674 b) X κυβερνήταις (902 d) κυβερνῆται (905 e) κυβερνήταις (906 e) XII κυβερνήτης (961 e) Phegravedre κυβερνήτῃ (247 c) Politique κυβερνήτης (272 e) κυβερνήτου (273 c) κυβερνήτης (296 e) κυβερνήτην (297 e) κυβερνῆται (298 b) κυβερνητῶν (298 d) κυβερνητῶν (302 a) Protagoras κυβερνήτην (344 d) Reacutepublique I

127

exige une intellection beaucoup plus eacuteleveacutee que de piloter un navire La question se

pose agrave leacutepoque de lAlcibiade la forme intelligible neacutetant pas encore neacutee dans les

dialogues platoniciens dapregraves la chronologie des œuvres de Platon

traditionnellement admise quel est lobjet de lintellection dans lAlcibiade La vertu

en geacuteneacuteral la justice et la tempeacuterance en particulier

Socrate Il faut donc dabord que tu tappropries toi-mecircme lexcellence comme le doit quiconque entend commander et prendre soin non seulement de lui-mecircme et de ce qui lui propre mais aussi de la citeacute et de ce qui lui est propre

Alcibiade Tu dis vrai

Socrate Ainsi tu ne dois te preacuteparer ni agrave la licence ni au pouvoir (βούλῃ) comme tu lesouhaiterais pour toi et pour la citeacute mais agrave la justice et agrave la tempeacuterance1

Faire de la justice et de la tempeacuterance un pouvoir (δύναμις) et non linverse

Autrement dit avant dacceacuteder au pouvoir il faut dabord posseacuteder ces deux vertus

agrave savoir la justice et la tempeacuterance En effet ecirctre orateur (ῥήτωρ2) et strategravege implique

la possession dun important pouvoir dans la citeacute3 Lhistoire montrera quAlcibiade

na pas du tout pris soin de ce pouvoir cest-agrave-dire de la justice et d ela tempeacuterance

mecircme sil a promis de le faire agrave la fn de lAlcibiade laquo La chose est entendue je vais

degraves agrave preacutesent commencer agrave prendre soin de la justice raquo (135 e) Dapregraves le livre IV de

l a Reacutepublique celui qui accegravede au pouvoir politique doit prendre soin des quatre

vertus agrave savoir de la justice de la tempeacuterance du courage et de la sagesse Cela

admis deacutepourvu de ces vertus tout pouvoir est une forme dignorance

III12 Protagoras et laquo connais-toi toi-mecircme raquo

Agrave lopposeacute dAlcibiade le sophiste Protagoras dAbdegravere est reacuteputeacute pour son savoir

cest pourquoi son enseignement coucircte cher Alors pour quelle raison Socrate lui

parle-t-il de ces deux preacuteceptes delphiques laquo Connais-toi toi-mecircme raquo et laquo Rien de

trop raquo Voudrait-il dire que celui qui ne comprend pas laquo Rien de trop raquo ne se connaicirct

κυβερνήτης (332 e) κυβερνήτης (332 e) κυβερνήτης (333 c) κυβερνήτης (341 c) κυβερνήτης (341 c) κυβερνήτης (341 d) κυβερνήτης (342 d) κυβερνήτης (342 e) κυβερνήτῃ (342 e) II κυβερνήτης (360 e) III κυβερνήτην (389 c) κυβερνήτην (397 e) VI κυβερνήτου (488 d) κυβερνήτην (489 b) κυβερνήταις (489 c) VIII κυβερνήτας (551 c)

1 Ibid 134 c2 laquo Le rhegravetocircr est celui qui fait des propositions agrave lAssembleacutee au Conseil aux tribunaux ou devant les

nomothegravetes mais le mot peut eacutegalement signifer celui qui soutient ou combat une initiative prise par un autre raquo (Mogens-HermanHansen La deacutemocratie atheacutenienne agrave leacutepoque de DeacutemosthegraveneStructure principes et ideacuteologie Paris Tallandier Texo 2009 p 309

3 laquo Theacutemistocle Aristide Cimon Peacutericlegraves Cleacuteon Nicias et Alcibiade furent eacutelus et reacuteeacutelus strategraveges tout en menant une carriegravere dorateurs politiques et en proposant des projets de lois agrave lAssembleacutee raquo Dailleurs laquo il semble que les strategraveges aient eu le droit dassister aux reacuteunions du Conseil et dy prendre la parole sans autorisation speacuteciale raquo (Ibid p 310)

128

pas soi-mecircme Le savant humain a-t-il tendance agrave dire beaucoup trop de ce quil sait

laquo Trop raquo est-il une forme dignorance Dans la suite nous essayons de montrer que

le poegravete Simonide le sophiste Protagoras et le dieu Eacutepimeacutetheacutee repreacutesentent le mecircme

type dignorance agrave savoir loubli du preacutecepte laquo Rien de trop raquo

III121 laquo Rien de trop raquo et Simonide

Sans doute est-ce le mythe de Protagoras qui a rendu ceacutelegravebre le dialogue qui porte

son nom et agrave son tour cest ce dialogue qui a rendu ceacutelegravebre le sophiste Apregraves le

mythe le sophiste a prononceacute un magnifque discours Apregraves le discours sont

arriveacutees les questions pas toujours faciles de Socrate Agrave un moment Socrate demande

agrave Protagoras decirctre bref quand il reacutepond Cela a un peu eacutenerveacute le sophiste qui na pas

souhaiteacute continuer la discussion avec Socrate Sous la contrainte de lhospitaliteacute il

accepte de poser des questions agrave Socrate pour continuer la discussion Cest dans ce

contexte que Protagoras cite pour la premiegravere fois une ode de Simonide

ἄνδρ᾽ ἀγαθὸν μὲν ἀλαθέως γενέσθαι χαλεπόν

χερσίν τε καὶ ποσὶ καὶ νόῳ τετράγωνον ἄνευ ψόγου

τετυγμένον1

Sans doute devenir veacuteritablement un homme de valeur est

diffcile carreacute des mains des pieds

et de lesprit bacircti sans reproche

Le sophiste constate que le poegravete se contredit parce quil dit quelque part ceci

οὐδέ μοι ἐμμελέως τὸ Πιττάκειον νέμεται

καίτοι σοφοῦ παρὰ φωτὸς εἰρημένον χαλεπὸν φάτ᾽ ἐσθλὸν

ἔμμεναι

Pas plus quagrave mon oreille ne sonne juste

la parole de Pittacos pourtant prononceacutee

par un savant mortel il est diffcile dit-il decirctre valeureux

Les commentaires se focalisaient beaucoup sur les deux verbes agrave savoir devenir

(γενέσθαι ) et ecirctre (ἔμμεναι) alors que Socrate sinteacuteresse plutocirct agrave la diffeacuterence des

deux mots laquo ἀγαθόν raquo (eacutethiquement bon) et laquo ἐσθλόν raquo (sensiblement beau)

Ladjectif ἐσθλός est totalement absent dans le corpus platonicien sauf dans les

poegravemes citeacutes par Platon dans les dialogues2 En veacuteriteacute le poegravete Simonide a

1 Protagoras 399 b2 Voici la liste Cratyle (Heacutesiode) ἐσθλοί (398 a) Meacutenon (Theacuteogis) ἐσθλῶν (95 d) ἐσθλὰ (95 d)

Protagoras (Simonide) ἐσθλὸν (339 c) ἐσθλὸν (339 d) ἐσθλόν (340 c) ἐσθλὸν (341 c) ἐσθλὸν (343

129

surinterpreacuteteacute la formule de Pittacos laquo Il est diffcile decirctre valeureux raquo en particulier

surinterpreacuteteacute ladjectif ἐσθλός en faisant le parallegravele avec son propre poegraveme laquo Sans

doute devenir veacuteritablement un homme de valeur est diffcile raquo En effet Simonide fait

dire agrave Pittacos ce quil na pas dit laquo Ocirc homme il est diffcile decirctre valeureux raquo1

remarqua Socrate alors que dans la formule de Pittacos citeacutee par Simonide ladjectif

ἐσθλός est employeacute pour qualifer une chose sensible plutocirct quun ecirctre humain en

tout cas le sujet nest pas preacuteciseacute Pour mieux comprendre cette remarque de Socrate

il est bien utile de poser cette question pourquoi Platon nemploie-t-il jamais

ladjectif ἐσθλός dans ses propres textes pas mecircme dans ses lettres Sans doute un

homme de bien et une chose de valeur ne sont pas la mecircme chose La philosophie

sinteacuteresse au premier mecircme si une chose sensible de valeur nest pas agrave meacutepriser

L e Protagoras donne une leccedilon dinterpreacutetation rien de trop laquo Trop raquo ne veut pas

dire laquo court raquo ou laquo laconique raquo mais une analyse complegravete En effet pour celui qui

exprime sa propre penseacutee sur une reacutealiteacute il est preacutefeacuterable decirctre court En revanche

pour celui qui interpregravete la penseacutee dun autre penseur il vaut mieux ecirctre prudent

cest-agrave-dire proceacuteder agrave une analyse la plus complegravete possible

III122 laquo Rien de trop raquo et Protagoras

Quand Protagoras pose la question agrave Socrate sur la diffeacuterence de sens entre les deux

verbes devenir et ecirctre Socrate avoue dans un premier temps que la question du

sophiste est redoutable laquo comme si je venais de prendre un coup de poing dun bon

pugiliste raquo2 cest une faccedilon de reconnaicirctre Protagoras comme un savant mortel

Dailleurs Socrate ne la pas citeacute dans lApologie ougrave apparaissent Gorgias de Leacuteontinoi

Prodicos de Ceacuteos Hippias dEacutelis et Eacuteveacutenos de Paros comme les ecirctres qui sont laquo en

mesure de transmettre aux gens un enseignement raquo laquo en exigeant de largent raquo3 Le

mythe de Protagoras (320 c ndash 322 d) teacutemoigne quil est un savant redoutable car il

laquo illustre une doctrine eacutethique et politique tregraves eacutelaboreacutee raquo en eacutetablissant les quatre

oppositions suivantes 1laquo dieux mortel raquo 2 laquo hommes becirctes raquo 3 laquo technique

deacutemiurge technique politique raquo 4

Cette doctrine eacutethique et politique est caracteacuteriseacutee par ce passage

b) ἐσθλὸν (343 d) ἐσθλὸν (343 e) ἐσθλῷ (344 d) ἐσθλός (344 d) ἐσθλὸν (344 e) ἐσθλόν (344 e) Reacutepublique II (Homegravere) ἐσθλῶν (379 d) ἐσθλῷ (379 d) Reacutepublique V (Heacutesiode) ἐσθλοί (469 a)

1 Protagoras 343 e2 Ibid 339 e3 Voir Apologie 19 d ndash e4 Brisson Luc laquo Sur le Protagoras le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de

Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 113 ndash 122

130

Aussi Zeus de peur que notre espegravece nen vicircnt agrave peacuterir tout entiegravere envoie Hermegraves apporter agrave lhumaniteacute la Vergogne (αἰδῶ) et la Justice (δίκην) pour constituer lordre des citeacutes et les liens damitieacute qui rassemblent les hommes1

Jusque-lagrave les choses sont parfaites la justice pour eacutetablir lordre de la citeacute la retenue

pour maintenir la bonne relation humaine Il ny a rien agrave ajouter pourtant notre

Protagoras paraicirct un peu trop bavard Peu apregraves la fn du mythe le sophiste dit ceci

laquo Lorsquen revanche il sagit de chercher conseil en matiegravere politique chose qui

exige toujours sagesse (σωφροσύνη) et justice [hellip] raquo2 et plus tard dans son discours il

ajoute encore la pieacuteteacute (ὅσιον) Cest ce deacutetail qui a bien eacutetonneacute Socrate laquo Est-ce que la

justice la sagesse et la pieacuteteacute sont les parties ou bien est-ce que toutes les qualiteacutes que

je viens de citer ne sont que les noms dune mecircme reacutealiteacute unique raquo3 Pour

Protagoras la justice la sagesse et la pieacuteteacute ne sont pas tout agrave fait la mecircme chose laquo Agrave

mon avis il y a lagrave une diffeacuterence raquo4 Mais de quelle maniegravere Agrave la maniegravere du visage

ou de lor Le sophiste reacutepondit que ceacutetait agrave la maniegravere du visage Une telle penseacutee

trahit la rigueur et la simpliciteacute du mythe car lorsquun or se divise en quatre

morceaux leur nature et leur fonction sont identiques alors que la nature et la

fonction des yeux de la bouche du nez et des oreilles sont fondamentalement

diffeacuterentes Or le dieu na envoyeacute que deux choses dont chacune est une reacutealiteacute

unique dans sa nature

En effet si Protagoras se concentrait uniquement sur la justice et la vertu telles

quelles sont introduites dans le mythe tout en distinguant entre la justice et la

retenue sans ajouter dans son discours laquo rien de trop raquo que le dieu na pas apporteacute

ainsi le sophiste serait un savant mortel parfait car un vrai savant sait comment ecirctre

fdegravele agrave la parole divine Le discours de Protagoras montre que laquo Rien de trop raquo cest

facile agrave dire mais diffcile agrave faire surtout quand on a beaucoup agrave dire et le plaisir de

bavarder la ferteacute ou la confance excessive peut se transformer facilement en

ignorance

1 Paotagoras 322 b ndash c laquo Le mot αἰδώς lui nest guegravere traduisible (comme il arrive le plus souvent pour les maicirctres mots qui sont les mots teacutemoins par excellence) mais agrave travers la multipliciteacute de ses emplois on peut dire quil deacutesigne un sentiment de respect ou de retenue qui se rapproche au moins de la reacuteveacuterence religieuse mdash qui en fait peut avoir pour objet la diviniteacute mdash mais vaut essentiellement dans lordre des relations humaines ougrave il commande certaines abstentions oucertaines attitudes vis-agrave-vis dun parent dun ecirctre dune eacuteminente digniteacute dun suppliant hellip sentiment agrave la fois social et moral puisque lαἰδώς est agrave la fois soucieuse de lopinion publique dont elle apparaicirct souvent comme la contre-partie et preacuteoccupeacutee dans un sens volontiers aristocratiquede ce que le sujet se doit agrave lui-mecircme raquo (Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 127 ndash 128)

2 Ibid 322 e ndash 323 a3 Ibid 329 c ndash d4 Ibid 331 c

131

III123 laquo Rien de trop raquo et Eacutepimeacutetheacutee

laquo Il fut un temps raquo raconta Protagoras au deacutebut du mythe qui porte son nom ougrave les

dieux chargegraverent les deux fregraveres Promeacutetheacutee et Eacutepimeacutetheacutee laquo de reacutepartir les capaciteacutes

entre chacune des races mortelles en bon ordre comme il convient Eacutepimeacutetheacutee

demande alors avec insistance agrave Promeacutetheacutee de le laisser seul opeacuterer la reacutepartition raquo

Promeacutetheacutee lui donna le feu vert Lorsque toutes les capaciteacutes furent reacuteparties

Eacutepimeacutetheacutee deacutecouvrit le fait quil ny en avait plus aucune pour les ecirctres humains

Cependant comme il neacutetait pas preacuteciseacutement sage (σοφός) Eacutepimeacutetheacutee sans y prendre garde avait deacutepenseacute toutes les capaciteacutes pour les becirctes qui ne parlent pas il reste encore la race humaine qui navait rien reccedilu et il ne savait pas quoi faire1

Certes Eacutepimeacutetheacutee neacutetait pas sage il eacutetait quand mecircme une diviniteacute posseacutedant une

puissance divine En effet le preacutecepte delphique sadresse agrave ceux qui ont une certaine

capaciteacute de faire ou de dire quelque chose celui qui nest capable de rien na pas

besoin decirctre prudent modeacutereacute car personne ne lui precircte loreille ni lui confe quoi

que ce soit ni chose ni tacircche Cest en effet quand on a un certain pouvoir que laquo Rien

de trop raquo simpose ecirctre savant veacuteritable cest necirctre laquo rien de trop raquo Cest peut-ecirctre le

seul point agrave critiquer dans le mythe de Protagoras comment se fait-il quune diviniteacute

puisse manquer de mesure et ecirctre oublieux Cest en ce sens que Protagoras nest pas

radical agrave leacutegard de la tradition puisque ses dieux ressemblent agrave lhumain comme

cest le cas dans la mythologie traditionnelle En fait le fait que les dieux soient

parfaits signife quils connaissent la reacutealiteacute veacuteritable et par conseacutequent quil ne leur

arrive jamais decirctre laquo de trop raquo en quoi que ce soit Cela eacutetant laquo rien de trop raquo signife

la connaissance de la veacuteriteacute synonyme de laquo se connaicirctre soi-mecircme raquo cest-agrave-dire le

contraire de lignorance

III13 Philegravebe et laquo Connais-toi toi-mecircme raquo

Dans le Philegravebe Socrate aborde un nombre consideacuterable de thegravemes qui concernent

presque lensemble du corpus platonicien ici nous en listons quelques uns pour

illustrer la complexiteacute du dialogue2 Dans le domaine ontologie limite illimiteacute

devenir cause Dans le domaine eacutepisteacutemologique νοῦς σοφία ἐπιστήνη

φρόνησις μνήμη τέχνη opinion sensation Dans le domaine cosmologique

κόσμος πᾶν feu eau air terre Dans le domaine eacutethique et politique bien mal

courage justice ecirctre utile (ὠρελεῖν) laquo politique raquo car les verbes comme κοσμεῖν

1 Ibid 321 b ndash c2 Les thegravemes tellement divers importants eacutetudieacutes dans IPS 26 en sont le teacutemoignage (Cf Platos

Philebus J Dillon L Brisson (Eds) Sankt Augustin Academia Verlag 2010)

132

ἄρκειν et συντασσειν relegravevent de la politique1 Dans le domaine psychologique

colegravere peur regret chagrin amour envie jalousie Ou encore lacircme la reacuteminiscence

deacutesir (ὁρμή) plaisir meacutethodes dialectiques De telle sorte quil est diffcile deacutetablir

luniteacute du dialogue2 Certes le thegraveme ἡδονή est tregraves freacutequemment preacutesent dans

presque toutes les pages3 ainsi il peut bien ecirctre consideacutereacute comme connecteur de tous

ces divers thegravemes mais ici nous laissons de cocircteacute la question de luniteacute du Philegravebe car

la tacircche deacutepasse lobjectif de la section Ce qui nous inteacuteresse ici cest lapparition du

ceacutelegravebre preacutecepte delphique laquo Connais-toi toi-mecircme raquo dans le dialogue La question

se pose quel est le rapport avec le plaisir Lisons ce passage dabord

Σωκράτης

ἔστιν δὴ πονηρία μέν τις τὸ κεφάλαιον ἕξεώς τινος ἐπίκλην λεγομένη τῆς δ᾽ αὖ πάσης πονηρίας ἐστὶ τοὐναντίον πάθος ἔχον ἢ τὸ λεγόμενον ὑπὸ τῶν ἐν Δελφοῖς γραμμάτων

Πρώταρχος

τὸ lsquoγνῶθι σαυτὸν λέγεις ὦ Σώκρατες

Σωκράτης

ἔγωγε τοὐναντίον μὴν ἐκείνῳ δῆλον ὅτι τὸ μηδαμῇ γιγνώσκειν αὑτὸν λεγόμενον ὑπὸτοῦ γράμματος ἂν εἴη4

Socrate

Cest en somme une sorte de vice qui tient son nom dune disposition particuliegravere dans lensemble du vice il sagit de celui dont laffection est opposeacutee agrave ce que prescrit linscription de Delphes

Protarque

Tu veux dire le laquo Connais-toi toi-mecircme raquo Socrate

Socrate

Oui cest ce dont je parle Et le preacutecepte opposeacute agrave linscription de Delphes serait eacutevidemment de nepas du tout nous connaicirctre nous-mecircmes

Dans ce passage le terme laquo plaisir raquo (ἡδονή) ne se voit pas mais laffection (πάθος)

qui deacutesigne dans le corpus platonicien ce qui affecte le corps et est transmis agrave lacircme

ainsi elle peut ecirctre le plaisir ou la souffrance La faim est une souffrance mais aussi le

froid le chaud la maladie et ainsi de suite Lorgasme est un plaisir mais aussi le

plaisir deacutecouter une belle musique ou un beau discours le plaisir de voir une œuvre

dart ou dautres belles choses du monde sensible En un mot laffection (πάθος) est

lieacute au corps au monde exteacuterieur cest la raison pour laquelle elle soppose agrave

linscription de Delphes puisque laquo connais-toi toi-mecircme raquo consiste agrave connaicirctre

1 Puisque laquo les verbes les verbes κοσμοῦσα (Philegravebe 30 c 5) συντάττουσα (Philegravebe 30 c 5) et ἄρχει (Philegravebe 30d8) sont du cocircteacute de lorganisation de ladministration raquo (cf Luc Brisson laquo Lecture duPhilegravebe 29 a 6 ndash 30 d 5 raquo Platos Philebus IPS 26 pp 336 ndash 341 p 336)

2 Hans-Gerog Gadamer a consacreacute au Philegravebe la moitieacute de son livre intituleacute Leacutethique dialectique de Platon Paris Actes Sud 1994 [eacutedition originale 1931 1983] laquo Degraves le deacutebut le Philegravebe prend commethegraveme le concept du bien plus preacuteciseacutement du bien dans la vie humaine raquo(p 63)

3 Le terme apparaicirct 237 fois dans le dialogue ce chiffre deacutepasse tregraves largement sa freacutequence dans les autres dialogues par exemple la seconde place revient au livre IX de la reacutepublique pour 56 fois la troisiegraveme au Gorgias pour 37 fois cf laquo Annexe ἡδονή raquo pour le deacutetail

4 Philegravebe 48 c ndash d

133

lacircme elle-mecircme il sagit de la connaissance du monde inteacuterieur cest-agrave-dire du

monde qui ne peut ecirctre accessible que par lintellect

III131 Quatre eacuteleacutements et le corps

Sans feu rien nest visible puisque cest le feu qui donne la lumiegravere 1 Dans un

incendie on voit bien la nature illimiteacutee du feu il brucircle jusquagrave ce quil ny ait plus

rien agrave brucircler Cest parce que le feu est apparenteacute agrave lillimiteacute qui est une chose

deacutepourvue de terme (ἀτελής)2 Autrement dit le feu est deacutepourvu de toute mesure

(μέτριον) Cest pourquoi il faut ecirctre prudent chaque fois quon le manipule La

maicirctrise du feu consiste agrave ajouter une qualiteacute deacutetermineacutee (ποσόν) dans le feu cela

relegraveve de la science et de la technique Car dabord le fait de deacuteterminer une quantiteacute

de feu par rapport agrave la nature dune chose qui doit recevoir le feu relegraveve du

scientifque3 puisque toute mesure relegraveve du nombre et du calcul Ensuite la mise en

œuvre relegraveve de la technique cest-agrave-dire du savoir pratique qui consiste agrave maicirctriser

les objets sensibles en question Il en va de mecircme pour les trois autres eacuteleacutements agrave

savoir leau lair et la terre Cest ainsi que toutes les choses sensibles sont constitueacutees

de telle sorte que connaicirctre les choses sensibles cest connaicirctre la nature de ces quatre

eacuteleacutements et la faccedilon dont une chose sensible est constitueacutee y compris le corps vivant

Σωκράτης

τὰ περὶ τὴν τῶν σωμάτων φύσιν ἁπάντων τῶν ζῴων πῦρ καὶ ὕδωρ καὶ πνεῦμα καθορῶμέν που καὶ γῆν καθάπερ οἱχειμαζόμενοι φασίν ἐνόντα ἐν τῇ συστάσει4

Socrate

Pour ce qui est de la nature des corps de tous les vivants nous nous rendons bien compte que le feu leau lair laquo et la terre raquo comme disent lesmarins dans la tempecircte entrent aussi dans leur constitution

Un corps deacutepourvu dacircme une fois fabriqueacute reste relativement stable peut-ecirctre

mecircme pendant un temps tregraves long de maniegravere statique comme une œuvre

ceacuteramique par exemple En revanche un corps vivant nest pas statique puisquil

devient sans cesse comme si lacircme eacutetait un artisan qui constitue et anime le corps en

lui Cest pourquoi connaicirctre le vivant lecirctre humain en particulier cest connaicirctre

son acircme et non son corps

1 Voir Reacutepublique VII 514 b Timeacutee 31 b2 Philegravebe 24 b3 Au sens platonicien du terme laquo une explication scientifque doit preacutesenter un caractegravere de neacutecessiteacute

et dideacutealiteacute qui ne peut ecirctre deacuteduit de faccedilon immeacutediate des donneacutees fournies par la perception sensible raquo (Platon Paris Cerf 2017 p 180)

4 Philegravebe 29 a - b

134

III132 Le plaisir et le deacutesir

Le corps vivant devient sans cesse cest parce que son acircme a le deacutesir (ἐπιθυμία) de

manger de boire deacutecouter de regarder de bouger en un mot de satisfaire aux

appels du corps En effet deacutesirer (ἐπιθυμεῖν) est une activiteacute de lacircme elle a pour

nom la fonction deacutesirante1 Cest gracircce agrave cette fonction que lacircme anime le corps et

cest en ce sens quelle est un mouvement de lacircme vers le corps de linteacuterieur vers

lexteacuterieur ce qui soppose agrave la sensation qui est un mouvement du corps vers lacircme

de lexteacuterieur vers linteacuterieur Cela eacutetant le deacutesir est un mouvement qui transmet une

communication de lacircme au corps alors que laffection (πάθος le plaisir ou la

souffrance) est un mouvement qui transmet une communication du corps agrave lacircme

Cest pourquoi deacutesirer cest deacutesirer des plaisirs eacuteprouveacutes auparavant par le corps

Σωκράτης

ὁ κενούμενος ἡμῶν ἄρα ὡς ἔοικεν ἐπιθυμεῖ τῶν ἐναντίων ἢ πάσχει κενούμενος γὰρ ἐρᾷ πληροῦσθαι2

Socrate

Celui de nous qui est vide semble deacutesirer le contraire de ce qui laffecte puisquil est vide et quil deacutesire se remplir

Ou encore

Σωκράτης

οὐκοῦν τὸ μὲν ἐπιθυμοῦν ἦν ἡ ψυχὴ τῶν τοῦ σώματος ἐναντίων ἕξεων τὸ δὲ τὴν ἀλγηδόνα ἤ τινα διὰ πάθος ἡδονὴν τὸ σῶμα ἦν τὸ παρεχόμενον3

Socrate

Et neacutetait-ce pas lacircme qui deacutesirait alors et qui deacutesirait des eacutetats contraires agrave ceux du corps alors que ceacutetait ce dernier qui eacuteprouvait la souffrance ou le plaisir relatifs agrave telle ou telle affection

Cela eacutetant le deacutesir et le plaisir sont deux proprieacuteteacutes dun ecirctre vivant ils sont

inseacuteparables lun de lautre car pour un ecirctre vivant lacircme et le corps sont

inseacuteparablement unis Cependant ils sont diffeacuterents le deacutesir trouve son origine dans

lacircme gracircce agrave la fonction deacutesirante et laffection trouve son origine dans le corps gracircce

agrave la sensation De telle sorte connaicirctre ses deacutesirs et ses plaisirs on ne se connaicirct pas

encore soi-mecircme puisque le deacutesir et le plaisir ne sont pas choses propres agrave lacircme

Mecircme si la fonction deacutesirante est une puissance de lacircme mais elle a pour but

danimer le corps La question se pose la reacuteminiscence cest-agrave-dire le fait de chercher

et le fait dapprendre nest-elle pas une forme de deacutesir En effet lorsque lacircme se

deacutelie davec le corps elle se deacutelie davec la fonction deacutesirante et la sensation

autrement dit elle se deacutelie davec le deacutesir et le plaisir et retrouve ainsi son eacutetat

propre cest-agrave-dire son eacutetat dintellection

1 Voir Reacutepublique livre IV 439 d2 Philegravebe 35 a3 Ibid 41 c

135

III133 La psychologie

La particulariteacute du Philegravebe se trouve dans lanalyse de la psychologie humaine qui

empecircche lintellection Le terme laquo psychologie raquo en franccedilais est formeacute agrave partir de deux

termes lacircme (ψυχή) et le discours (λόγος) de telle sorte on peut naturellement

deacutefnir la psychologie comme la science de lacircme1 Or lacircme a deux formes decirctre

complegravetement diffeacuterentes agrave savoir 1 lacircme dans sa forme dincarnation ougrave elle

partage une vie commune avec le corps et 2 lacircme dans sa forme pure apregraves avoir

quitteacute le corps et avant une autre incarnation Dans le Pheacutedre le Pheacutedon la Reacutepublique

et le Meacutenon lacircme est deacutecrite dans sa forme pure comme un objet de la connaissance

des reacutealiteacutes intelligibles sans prendre en compte son rapport avec le corps autrement

dit laccent porte sur laspect immortel ou positif de lacircme Alors que dans le Philegravebe

lacircme est analyseacutee dans sa forme dincarnation laccent porte sur laspect mortel ou

neacutegatif de lacircme incarneacutee dans un corps humain

Socrate Il ne nous reste alors plus quagrave examiner une sorte de meacutelange de douleur et de plaisir

Protarque Laquelle dis-moi

Socrate Ce meacutelange dont nous avons dit auparavant que lacircme leacuteprouve souvent en elle-mecircme

Protarque Et de quoi parlerons-nous au juste titre

Socrate La colegravere la peur le regret le chant de deuil lamour lenvie la jalousie et tout ce qui leur est semblable ne sont-ce pas lagrave tes yeux comme les douleurs de lacircme elle-mecircme 2

Socrate appellera peu apregraves ces fgures psychologiques eacutenumeacutereacutees ici la douleur de

lacircme3 comme neacutegatives pour la vie humaine En effet cest lagrave ougrave le psychologue

intervient parce que lagrave ougrave il y a un problegraveme psychologique qui pourrait mettre en

diffculteacute mecircme en danger la vie dun individu ou dun collectif La question se

pose si le fait de jouir est un fait psychologique est-il aussi neacutegatif que la jalousie

par exemple Selon Socrate oui car laquo le jaloux ne prend-il pas manifestement le

plaisir aux malheurs de son entourage raquo4 Chaque fait psychologique est laquo un

meacutelange de douleur et de plaisir raquo5 que ce soit un fait de souffrir ou un fait de jouir

Si lon considegravere que la psychologie est laquo la science qui deacutecrit ces faits

[psychologiques] les analyse les rattache agrave leurs causes et les soumet agrave des lois raquo6 la

1 Cest le cas dans Vocabulaire technique et critique de la philosophie dAndreacute Lalande voir lentreacuteelaquo psychologie raquo Paris PUF Quadrige 1997

2 Philegravebe 47 d ndash e3 Ibid 48 b4 Ibid5 Ibid 48 a6 laquo Nous appelons faits psychologiques ceux qui occupent la dureacutee et pas lespace [hellip] On appelle

psychologie la science qui deacutecrit ces faits les analyse les rattache agrave leurs causes et les soumet agrave des lois raquo (Bergson Henri Cours de psychologie de 1892 ndash 1893 au Lyceacutee Henri IV Paris Seacuteha | Milan

136

cause psychologique cest-agrave-dire ce meacutelange de douleur et de plaisir est la vie

commune de lacircme davec le corps Ainsi une fois seacutepareacutee du corps lacircme retrouve

son eacutetat propre cest-agrave-dire leacutetat intellectif dans lequel il ne peut y avoir de problegraveme

psychologique Ce meacutelange psychologique le plus illustratif cest la jalousie Voici les

trois formes de jalousie dont Socrate parle

Σωκράτης

πρῶτον μὲν κατὰ χρήματα δοξάζειν εἶναι πλουσιώτερον ἢ κατὰ τὴν αὑτῶν οὐσίαν

Πρώταρχος

πολλοὶ γοῦν εἰσὶν τὸ τοιοῦτον πάθος ἔχοντες

Σωκράτης

πλείους δέ γε οἳ μείζους καὶ καλλίους αὑτοὺς δοξάζουσι καὶ πάντα ὅσα κατὰ τὸ σῶμα εἶναι διαφερόντως τῆς οὔσης αὐτοῖς ἀληθείας

Πρώταρχος

πάνυ γε

Σωκράτης

πολὺ δὲ πλεῖστοί γε οἶμαι περὶ τὸ τρίτον εἶδος τὸ τῶν ἐν ταῖς ψυχαῖςδιημαρτήκασιν ἀρετῇ δοξάζοντες βελτίους ἑαυτούς οὐκ ὄντες1

Socrate

Dabord quant aux richesses lorsque quelquun se croit plus riche que ne lest sa fortune

Protarque

Voilagrave une affection queacuteprouve en effet bon nombre de gens

Socrate

Et il y en a encore plus qui se croient plus grands et plus beaux quils ne le sont et qui croient encore se distinguer par toutes sortes de qualiteacutes corporelles quils ne possegravedent veacuteritablement pas

Protarque

Parfaitement

Socrate

Mais les plus nombreux jimagine sont ceux qui se trompent de la troisiegraveme maniegravere quant aux qualiteacutesde lacircme en croyant quils lemportent en vertu alors que ccedila nest pas le cas

Pourquoi simagine-t-on posseacuteder plus que lon na Cest parce que les maux des

autres font plaisir agrave son acircme et inversement les biens des autres donnent de la

douleur agrave son acircme En un mot un fait psychologique douleur ou plaisir nest pas un

bonheur (εὐδαιμονία) car la psychologie est un meacutelange au niveau du fait

psychologique comme au niveau de la connaissance psychologique Or le bonheur

est un bien divin (εὐ-δαιμονία) cest-agrave-dire un bien sans meacutelange Nous lavons vu

dans le chapitre I seules les reacutealiteacutes veacuteritables sont sans meacutelange autrement dit

quand lacircme se nourrit de ces reacutealiteacutes intelligibles elle est heureuse neacutecessairement

En somme la partie immortelle de lacircme ne permet pas agrave qui veut se connaicirctre soi-

mecircme de se connaicirctre soi-mecircme puisque cette partie est caracteacuteriseacutee par le corps

Cest pourquoi cest au moment preacutecis ougrave Socrate parle de ces fgures de la douleur

Archegrave 2008 p 59)1 Philegravebe 48 e ndash 49 a

137

de lacircme quil eacutevoque le ceacutelegravebre preacutecepte delphique1 cest parce que le veacuteritable soi-

mecircme est une acircme qui se deacutelie davec le corps qui est lorigine des faits

psychologiques En ce sens les faits psychologiques occupent non seulement la dureacutee

mais aussi lespace quest le corps

III2 Connaicirctre

Dans le preacutecepte laquo γνῶθι σαυτόν raquo on lit dabord le verbe γιγνώσκειν qui veut

dire au preacutesent laquo apprendre agrave connaicirctre agrave force defforts raquo agrave laoriste laquo reconnaicirctre

discerner comprendre raquo2 Nous essayons de voir ce que signife le fait de ne pas

connaicirctre agrave travers trois dialogues platoniciens agrave savoir lIon le livre V de la

Reacutepublique et le Theacuteeacutetegravete Pourquoi ces trois dialogues Parce que le verbe y est le plus

abondamment preacutesent3

III21 Ion linspiration naturelle nest ni art ni science

Le dialogue ne compte que treize pages le fait de lire ce verbe (γιγνώσκειν) 33 fois

dans un si court texte paraicirct assez signifcatif mecircme eacutetonnant De plus leur

apparition est tregraves regroupeacutee dans trois blocs4 LIon est traditionnellement interpreacuteteacute

comme la critique de la rhapsodie et de la poeacutesie5 mais ici nous nous penchons

plutocirct sur une lecture de la critique des rhapsodes En effet certes Ion et Socrate ont

citeacute quelques vers dHomegravere6 mais Socrate na fait aucun commentaire ni analyse et

encore moins critique sur les poegravemes citeacutes ce qui est bien le cas par exemple dans le

livre III de la Reacutepublique ou dans lHippias mineur7 La critique que Socrate adresse agrave

Ion consiste agrave dire que les rhapsodes en particulier les interpregravetes en geacuteneacuteral

eacutechappent diffcilement au fait de connaicirctre ce que lon ne connaicirct pas en reacutealiteacute

1 Voir ibid 48 c2 Cf lentreacutee laquo γιγνώσκω raquo du Dictionnaire eacutetymologique de la langue grecque P Chantraine 19993 44 fois dans le Theacuteeacutetegravete 33 fois dans lIon et 25 fois dans le livre V de la Reacutepublique4 Premier groupe γιγνώσκοντα (530 c) γνώσεται (531 d) γνώσεται (531 e) γνώσεται (531 e) γνώσεται (532 a) γιγνώσκεις (532 a) γιγνώσκοις (532 b) γνῶναι (532 e) Second groupe γιγνώσκειν (537 b) γιγνώσκομεν (537 b) γνωσόμεθα (537 b) γιγνώσκομεν (537 d) γνωσόμεθα (537 d) γιγνώσκω (537 e) γιγνώσκεις (537 e) γιγνώσκομεν (537 e) γιγνώσκειν (538 a) γιγνώσκειν (538 a) γιγνώσκειν (538 a) γνώσῃ (538 b) Troisiegraveme groupe γνώσεσθαι (540 a) γνώσεται (540 a) γνώσεται (540 b) γνώσεται (540 b) γνώσεται (540 c) γνώσεται (540 c)γνώσεται (540 d) γνώσεται (540 d) ἔγνως (540 d) γιγνώσκεις (540 e) γιγνώσκεις (540 e) γιγνώσκεις (540 e) γιγνώσκεις (541 c)

5 Cf Ion laquo Introduction raquo p 9 ndash 13 et p 42 ndash 546 Cf 537 b (Iliade XXIII 335) 538 c ndash d (Iliade XI 639 ndash 640 XXIV 80 ndash 82) 539 a ndash c (Odysseacutee XX 351 ndash

357 Iliade XII 200 ndash 207)7 Notons que dans lHippias mineur lanalyse du poegraveme dHomme consiste agrave deacutemontrer que le

sophiste avait mal compris Homegravere il sagit de critiquer le sophiste et non pas Homegravere Tandis que dans la Reacutepublique il sagit bien de critiquer les poegravetes en geacuteneacuteral et Homegravere en particulier

138

III211 Folie divine

Le rhapsode Ion deacutecrit dans le dialogue qui porte son nom est un interpregravete de

poegravemes particuliegraverement de poegravemes homeacuteriques Il na pas dœuvre poeacutetique

proprement agrave lui son laquo art consiste entre autres agrave repreacutesenter et agrave dramatiser gracircce agrave

diverses mimiques et gesticulations les passages quil deacuteclame raquo1 Homegravere est

exclusivement le dieu dIon puisque les autres poegravetes le mettent laquo tout simplement agrave

somnoler raquo2 Dapregraves Socrate le rhapsode est interpregravete laquo agrave la fois critique

commentateur et acteur raquo3 cest en ce sens que la rhapsodie est un art qui

exige que vous passiez votre vie en compagnie de plusieurs bons poegravetes surtout en compagnie dHomegravere le meilleur le plus divin des poegravetes et que vous connaissiez agrave fond sa penseacutee et pas seulement ses vers Voilagrave ce qui est enviable Car on ne deviendrait jamais rhapsode si on narrivait agrave comprendre ce que veut dire le poegravete Cest donc au rhapsode de se faire linterpregravete aupregraves de ses auditeurs de la penseacutee du poegravete Mais il estimpossible de bien accomplir cette tacircche si on ne sait pas (μὴ γιγνώσκοντα) ce que le poegravete veut dire Tout cela est bien digne denvie4

Largumentation de Socrate est quelque peu eacutetonnante Il ne soumet pas Ion agrave

examen agrave travers dune analyse de certains vers homeacuteriques pour savoir si le

rhapsode comprend vraiment la penseacutee dHomegravere mais il lui fait deacutecouvrir la cause

de sa somnolence en eacutecoutant parler dautres poegravetes Au fond le rhapsode ne

comprend pas vraiment Homegravere pas plus que lui-mecircme seulement il croit connaicirctre

ce quil ne connaicirct pas il ne sait mecircme pas que lart quil preacutetend posseacuteder nest pas

un art

Car ce nest pas un art mdash je te lai dit agrave linstant mdash qui se trouve en toi et te rend capable de bien parler dHomegravere Non cest une puissance divine qui te met en mouvement comme cela se produit dans la pierre quEuripide a nommeacutee Magneacutetis et que la plupartdes gens appellent Heacuteracleacutee5

Le pouvoir magique de cette pierre nest pas seulement quelle est magique mais

aussi et surtout quelle procure aux anneaux lieacutes agrave elle le mecircme pouvoir magique 6

Cest un peu comme le fait decirctre platonicien peu importe si lon comprend vraiment

Platon il peut procurer une aura aux gens qui parlent de lui Sans cette pierre les

anneaux eux-mecircmes en fer deacutepourvus de pouvoir ne peuvent avoir en aucun cas un

pouvoir magique Cest exactement le cas dans lequel lanneau dor procure au berger

1 Ion laquo Introduction raquo p 202 Ibid 532 c3 Ibid laquo Introduction raquo p 204 Ibid 530 b ndash c5 Ibid 533 d6 Voir Ibid 533 d ndash e Agrave propos de la pierre qui symbolise laimant seacuteducteur cf Ion laquo Notes raquo ndeg 44

p 146 ndash 147

139

Gygegraves un pouvoir magique et une seacuteduction irreacutesistible1 De mecircme un poegravete divin

pourrait procurer une puissance divine agrave un rhapsode si cela plaicirct agrave un dieu En effet

pour que des messages divins passent dans des cœurs humains il faudrait non

seulement les poegravetes divins mais eacutegalement les rhapsodes divins Tout cela na rien agrave

se reprocher puisque lon na aucune raison de reprocher aux dieux de donner des

dons divins ou des folies divines agrave certains humains sans creacuteer de jalousie En

revanche ce qui a beaucoup agrave se reprocher cest de consideacuterer cette folie reccedilue dun

dieu comme une compeacutetence acquise par soi-mecircme laquo Tu dis vrai Socrate Pour moi

en tout cas cest la partie de mon art qui ma coucircteacute le plus de travail et je crois ecirctre

de tous les hommes celui qui dit les plus belles choses au sujet dHomegravere raquo2 Le

rhapsode preacutetend comprendre la penseacutee du poegravete non seulement son art est un art

mais aussi une science puisque le fait de comprendre la penseacutee dHomegravere relegraveve

dune certaine science et mecircme la plus eacuteleveacutee car dans les poegravemes dHomegravere il y a

des choses que le dieu lui a fait dire Mais comment peut-on comprendre ce que

veulent dire les dieux sans la science En tout cas cela nest pas possible ni pour

Socrate ni pour Platon

III212 Folie divine et les arts humains

Toute compeacutetence particuliegravere exige un exercice soutenu elle ne sacquiert pas du

jour au lendemain et on la perd progressivement si lon ne la pratique plus En

revanche concernant une folie divine elle reste en homme ou lui eacutechappe cela

deacutepend dun dieu Dautre part la compeacutetence porte toujours sur certains objets

alors que la folie divine peut porter sur un nombre dobjets qui deacutepasse leffort

humain pour acqueacuterir sa compeacutetence Or laquo ce qui se rapporte aux arts surtout mdash et

tu sais bien quHomegravere en traite souvent et avec abondance raquo3 La question se pose

ainsi Homegravere possegravede-t-il ces compeacutetences arts ou sciences dont il parle dans ses

poegravemes Pour savoir sil les connaicirct ou pas il faut se demander sil est possible que

Homegravere maicirctrise les objets de tous ces arts ou de toutes ces sciences dont il parle

Σωκράτης

οὐκοῦν ἑκάστῃ τῶν τεχνῶν ἀποδέδοταί τι ὑπὸ τοῦ θεοῦ ἔργον οἵᾳ τε εἶναι γιγνώσκειν οὐ γάρ που ἃ κυβερνητικῇ γιγνώσκομεν

Socrate

Alors agrave chacun des arts le dieu na-t-il pas donneacute en partage la faculteacute de connaicirctre un certain objet Car agrave coup sucircr nous ne le connaicirctrons pas aussi

1 Voir le mythe de Gygegraves Reacutepublique II 359 d ndash 260 b2 Ion 530 c3 Ibid 536 e ndash 537 a

140

γνωσόμεθα καὶ ἰατρικῇ1 par lart du meacutedecin

Un peu avant ce passage Socrate eacutevoque lart du cocher dans les vers homeacuteriques

que le rhapsode cite par cœur Par la suite Socrate lui demande en ce qui concerne

cet art laquo qui saurait le mieux dire si Homegravere a raison ou tort un meacutedecin ou un

cocher raquo Eacutevidemment cest le cocher Rappelons que le Lit est lœuvre dun dieu et

un lit particulier est lœuvre dun menuisier2 Cela eacutetant le dieu est lauteur de la

forme unique de lit et le menuisier est lauteur de la technique de fabrication de lits

particuliers3 Il est ainsi impossible pour Homegravere de posseacuteder un art particulier sil

est vraiment poegravete divin pourquoi Lagrave il faut revenir au mot ἔργον qui signife agrave la

fois lobjet dun art le travail par lequel on peut acqueacuterir lart en question et

lexcellence de cet art Ce dernier point a une porteacutee eacutethique eacutepisteacutemologique et

ontologique Peut-on ecirctre excellent si lon fait plusieurs meacutetiers en mecircme temps

Dailleurs si un ecirctre humain recevait une puissance divine le dieu se permettrait-il

de le laisser ecirctre meacutediocre en raison du fait quil samuse agrave faire dautres choses que

ce que le dieu lui confe En effet Socrate ne remet pas en cause la folie divine

poeacutetique ou autre mais il reproche aux poegravetes de dire ce que les dieux ne lui feraient

pas dire Comment peut-on savoir Lintellection du dieu est pure parfaite et

veacuteridique par conseacutequent il ne se permettrait pas de faire dire agrave un poegravete ce qui ne

correspond pas agrave la veacuteriteacute Est-ce que le dieu tel que Socrate nous le laisse entendre

dans les dialogues platoniciens pourrait sinteacuteresser aux arts humains Le fait quun

poegravete divin ne distingue pas ce qui est propre au dieu et ce qui est propre agrave lui en

particulier agrave lhomme en geacuteneacuteral relegraveve de lignorance puisque la science commence

par distinguer le dieu de lhomme Un exemple dans le livre III de la Reacutepublique (393 a

ndash b)

hellip et il conjurait tous les Acheacuteenset surtout les deux Atrides reacutegisseurs des peuples4

1 Ibid 537 c Agrave propos du terme laquo ἔργον raquo cf laquoNotes raquo ndeg 106 p 157 ndash 158 laquo Le texte est deacutelicat agrave traduire et peut sinterpreacuteter de deux faccedilons Soit on lit un certain objet (τι ἔργον) (dans ce cas la proposition qui suit est un infnitif de but un certain objet lequel consiste agrave connaicirctre) Soit on fait du verbe un impersonnel et τι ἔργον devient alors lobjet de γιγνώσκειν Nous choisissons la deuxiegraveme solution Par ailleurs le terme ἔργον est toujours diffcile agrave traduire il peut deacutesigner lobjet leffet ou produit de lactiviteacute du δημιουργός homme qui pratique toute activiteacute capable deproduire un effet reacuteel que cet homme soit meacutedecin ou menuisier raquo

2 Voir Reacutepublique X 597 b3 Dans le mythe de Protagoras Cest Promeacutetheacutee qui deacuteroba lart du feu pour lHomme (321 e) et cest

Hermegraves qui apporta lart politique agrave lHomme Ce qui est tregraves diffeacuterent de la Reacutepublique Il est quand mecircme eacutetrange de penser que le dieu aurait besoin de lart du feu pour faire quoi Les dieux se nourrissent des formes intelligibles cest la raison pour laquelle ils sont capables dapporter aux hommes les formes uniques des choses particuliegraveres le Lit la Table le Cocher et ainsi de suite

4 Iliade I 15 ndash 16

141

le poegravete parle en son nom propre et nentreprend pas dorienter notre penseacutee dans un autre sens comme si un autre que lui-mecircme parlait Pour les vers qui viennent ensuite au contraire il parle comme sil eacutetait lui-mecircme Chrysegraves et il sefforce le plus possible de nous donner lillusion que ce nest pas Homegravere qui sexprime mais le precirctre cest-agrave-dire un vieillard Et cest principalement de cette maniegravere quil a composeacute lensemble du reacutecit des eacuteveacutenements qui se sont passeacute agrave Ilion agrave Ithaque et dans toute lOdysseacutee

Cest probablement gracircce agrave la critique platonicienne de la poeacutesie que les grands

poegravetes occidentaux modernes comme Houmllderlin Rilke Baudelaire Ceacutelan ou encore

Reneacute Char par exemple faisaient de leur poeacutesie une philosophie1 Ce ne sont plus le

reacutecit le sentiment et le sensible qui attirent leur eacutenergie poeacutetique comme le dit Gide

quelque part laquo le beau sentiment est une mauvaise litteacuterature raquo

III213 Rhapsode

Beaucoup dœuvres dauteurs franccedilais furent traduites du franccedilais agrave langlais puis de

langlais au chinois Derrida par exemple est peu mecircme en franccedilais 2 Certaines de

ses œuvres sont traduites du franccedilais agrave langlais et de langlais au chinois De plus

certains traducteurs chinois nayant pas eu un cursus philosophique occidental on

peut imaginer la diffculteacute des lecteurs chinois de Derrida Les rhapsodes sont en

quelque sorte comme ces seconds traducteurs chinois car laquo les poegravetes ne sont rien

que les interpregravetes des dieux et chacun deux est posseacutedeacute par le dieu qui sempare de

lui raquo3 Or nous lavons vu les rhapsodes sont les interpregravetes des poegravetes Le poegravete

mecircme divin est un ecirctre humain Il lui est diffcile deacutechapper agrave certaines neacutegligences

dans ses interpreacutetations de son dieu et par voie de conseacutequence il faudrait que le

rhapsode comprenne non seulement le langage poeacutetique du poegravete mais aussi le dieu

pour quil interpregravete correctement le poegravete Cela est impossible pour le rhapsode car

sil connaicirct le dieu du poegravete il nest plus le second interpregravete mais le premier comme

1 La preuve est que certains philosophes faisaient eacuteloge de certains poegravetes par exemple Heidegger Martin Approche de Houmlderlin Paris Gallimard 1996 [1973] Derrida Jacques Shibboleth avec pour sous titre pour Paul Ceacutelan Paris Galileacutee 1986 le philosophe Alain a mecircme commenteacute un poegraveme de Paul Valeacutery La Jeune Parque avec pour sous titre Poegraveme de Paul Valeacutery commenteacute par Alain Paris Gallimard 1936 (nouvelle eacutedition) Sartre Jean-Paul Baudelaire Paris Gallimard 1988 (Folio Essais) [1947] La liste peut ecirctre plus longue Linverse est aussi vrai les grands poegravetes modernes contemporains lisaient Platon par exemple Franccedilois Feacutedier a porteacute le titre de laquo professeur de philosophie raquo jusquagrave sa retraite en 2001 il a mecircme enseigneacute Platon au lyceacutee Pasteur de Neuilly-sur-Seine (cf Feacutedier Franccedilois Lire Platon avec sous titre Quatre leccedilons sur le Meacutenon Paris Pocket 2011) Quant agrave Reneacute Char cest chez lui au Thor que Heidegger a donneacute en septembre 1968 les seacuteminaires deacutesormais ceacutelegravebres

2 Derrida lui-mecircme dit ceci agrave la fn de sa vie laquo[hellip] many very good readers (a few dozen in the world perhaps people who are also writers-thinkers poets) [hellip] raquo (Peeters Benoicirct Derrida A Biography Cambridge - UK Polity Press 2013 [Flammarion 2012] Translated by Andrew Brown p 542)

3 Ion 534 e

142

le poegravete Exactement comme le second traducteur chinois sil parle franccedilais il nest

plus second traducteur mais restant le second il lui est impossible de savoir si la

premiegravere traduction est bonne

Dans le cas ougrave Homegravere eacutevoque beaucoup de choses concernant les arts lagrave encore

mecircme avec sa bonne volonteacute Ion na pas de moyen pour savoir si Homegravere a raison

ou tort car le rhapsode ne possegravede pas ces arts dont Homegravere parle Supposons quil

pratiquait tous ces arts dont parle le poegravete Ion les connaitrait moins bien que les

meacutediocres Heureusement il a fnalement reconnu quil ne connaissait pas tous ces

arts1 agrave lexception en dernier lieu du strategravege quil ne renonce pas agrave ecirctre en tout cas

pas explicitement dans la derniegravere partie du dialogue ougrave il en est question 2 Voici les

derniegraveres lignes de lIon

Socrate [hellip] Choisis donc si tu veux que nous te consideacuterions comme un homme qui agit mal ou comme un homme divin

Ion Cela fait une grande diffeacuterence Socrate Car il est beaucoup plus beau decirctre consideacutereacute comme un homme divin

Socrate Eh bien dans ce cas nous te confeacuterons Ion cette plus grande beauteacute decirctre quand tu fais la louage dHomegravere un homme divin au lieu dhomme de lart (μὴ τεχνικὸν)3

Le propos de Socrate est quelque peu ironique puisque Socrate sait que Ion est un

τεχνικὸν et ne sera jamais un homme devin laquo car il faut que je fasse attention agrave eux

et mecircme tregraves attention En effet si je les fais pleurer cest moi qui serait content en

recevant mon argent mais si je les fais rire alors cest moi qui vais pleurer en

pensant agrave largent que jaurais perdu raquo4 Le terme laquo τεχνικόν raquo nest pas tregraves freacutequent

dans le corpus platonicien5 il semble sil se lit comme substantif quil deacutesignerait ce

qui possegravede un art qui na pas son nom propre parfois avec certain caractegravere

ironique En effet chaque art particulier a son nom propre comme par exemple lart

de la cordonnerie (σκυτική) Ainsi celui qui exerce cet art a un nom de meacutetier agrave

savoir le cordonnier lart de la guerre (πολεμική) et celui qui lexerce a pour nom

laquo strategravege raquo et celui qui pratique lart de limitation (μιμητική) est appeleacute imitateur

1 Voir Ibid 540 a ndash c2 Ibid 540 d ndash 542 b3 Ibid laquo Notes raquo ndeg155 p 166 laquo Nous traduisons litteacuteralement τεχνικός Il sagit eacutevidemment de

lart rhapsodique raquo4 Ibid 353 e5 Voici la liste Banquet τεχνικὸς (186 c) Cratyle τεχνικὸν (426 a) Euthyphron τεχνικόν (14 e)

Gorgias τεχνικὸν (463 a) τεχνικοῦ (500 a) τεχνικαί (501 b) τεχνικός (504 d) Ion τεχνικὸς (542 a) τεχνικὸς (542 a) τεχνικὸς (542 a) τεχνικὸς (542 a) τεχνικὸν (542 b) Lachegraves τεχνικὸς (185 a) τεχνικὸς (185 b) τεχνικός (185 d) τεχνικὸς (185 e) Lois III τεχνικὸν (696 c) X τεχνικὰ (889 a) XI τεχνικοί (921 d) Phegravedre τεχνικὸς (262 b) τεχνικοὶ (270 d) τεχνικοὶ (273 a) τεχνικὸν (273 b) τεχνικὸς (273 e) Reacutepublique II τεχνικὴ (374 b) X τεχνικῆς (620 c) Theacuteeacutetegravete τεχνικόν (207 c)

143

LIon semble montrer que le rhapsode ne possegravede aucun art digne du nom τέχνη si

ce nest une pratique dont lobjet nest rien dautre que largent Si les sophistes

gagnent de largent dans le monde den haut les rhapsodes le trouvent dans le

monde den bas sans doute moins dangereux pour les acircmes humaines que les

premiers Cest probablement pourquoi Platon ne leur consacre quun petit dialogue

qui porte le nom du ceacutelegravebre rhapsode afn de montrer lignorance des rhapsodes

Cette ignorance paraicirct pourtant plus ridicule que dangereuse dailleurs le fait de

faire pleurer les gens sans les rendre tristes ou de les faire rire sans jouir est

certainement beaucoup moins dangereux que ce que pratiquent les sophistes

III22 Lignorance en terme ontologique

Nous allons parler de la question de lignorance sous langle ontologique agrave travers

une analyse des quatre derniegraveres pages du libre V de la Reacutepublique (476 b ndash 480 a) Le

paragraphe (449 a) marque le deacutebut du livre V mais dans les 26 premiegraveres pages les

deux verbes (γιγνώσκειν1 et δοξάζειν2) et les deux substantifs (ἄγνοια3 et

ἐπιστήμη4) sont absents laquo Ontologique raquo car cest bien au cœur de ces quatre pages

que se trouvent laquo μὴ εἶναι raquo et laquo μὴ ὄν raquo5

III221 Diffeacuterence entre laquo τὸ μὴ εἶναι raquo et laquo τὸ μὴ ὄν raquo

Nous avons dit dans le chapitre premier que lemploi du participe preacutesent du verbe

laquo εἶναι raquo avec larticle deacutetermineacute signife ce qui est toujours eacuteternellement

immuablement preacutesent ainsi il deacutesigne neacutecessairement la forme intelligible Alors

que linfnitif laquo εἶναι raquo neacutechappe ni au changement de modes (indicatif impeacuteratif

subjonctif optatif ou participe) ni au changement de personnes (premier deuxiegraveme

ou troisiegraveme de ce point de vue lεἶναι est caracteacuteriseacute par son aspect existentiel) Or

1 γνώσεται (466 c) γνῶσιν (476 c) γιγνώσκοντος (476 d) γιγνώσκειν (476 d) γιγνώσκων (476 e) γιγνώσκει (476 e) γιγνώσκει (476 e) γνωσθείη (477 a) γνωστόν (477 a) γνῶναι (477 b) γνῶναι (478 a) γιγνώσκει (478 a) γνωστόν (478 b) γνῶσιν (478 c) γνῶσιν (478 c) γνώσεως (478 c) γιγνώσκειν (479 e) γιγνώσκειν (479 e) Nous reparlerons dans le chapitre laquo La dialectique raquo de ce cas γνώσεται (466 c) deacutetacheacute du groupe Notons aussi quun nombre aussi important des adjectifs et substantifs deacuteriveacutes du verbe jalonne les verbaux de γιγνώσκειν

2 δοξάζοντος (476 d) δοξάζειν (476 d) δοξάζειν (477 e) δοξάζειν (478 a) δοξάζει (478 b) δοξάσαι (478 b) δοξάζων (478 b) δοξάζειν (478 b) δοξάζειν (478 b) δοξάζει (478 b) δοξάζων (478 b)δοξάζει (478 c) δοξάζειν (479 e) δοξάζουσιν (479 e) δοξάζειν (479 e)

3 ἀγνοίας (477 b) ἄγνοιαν (478 c) ἄγνοια (478 c) ἄγνοιαν (478 c) ἀγνοίας (478 c) ἄγνοιαν (478 d) ἀγνοίας (478 d)

4 ἐπιστήμης (477 b) ἐπιστήμης (477 b) ἐπιστήμη (477 b) ἐπιστήμη (477 b) ἐπιστήμην (477 d) ἐπιστήμην (477 e) ἐπιστήμης (477 e) ἐπιστήμη (478 a) ἐπιστήμη (478 a) ἐπιστήμη (478 b) ἐπιστήμην (478 d) ἐπιστήμης (478 d)

5 laquo μὴ εἶναι raquo 477 a 478 e 479 c c c laquo μὴ ὄν raquo 477 a a 478 b b b b c d laquo μὴ ὄντι raquo 477 a laquo μὴ ὄντος raquo 478 c d d

144

le beau en soi ne peut ecirctre agrave la fois beau et son contraire laid car une chose sans

meacutelange ne peut ecirctre autre chose quecirctre elle-mecircme en elle-mecircme tandis quecirctre beau

peut bien ecirctre laid cest le cas de Socrate dont le corps laid lacircme belle Cela eacutetant ce

qui nest pas (τὸ μὴ ὄν) veut dire ce qui ne participe pas agrave ce qui est autrement dit

laquo τὸ μὴ ὄν raquo ne veut absolument pas dire que laquo ce qui en soi nest pas raquo Cest en ce

sens que τὸ μὴ ὄν existe le mal par exemple est ce qui ne participe pas au Bien Par

contre laquo τὸ μὴ εἶναι raquo veut dire agrave preacutesent et sous tous les modes laquo ne exister pas raquo

lillusion par exemple renvoie agrave quelque chose qui nexiste nulle part Tout cela

admis on peut dire quil y a des choses qui sont agrave la fois ecirctre (τὸ ὄν) et ne pas (τὸ μὴ

ὄν) cest-agrave-dire participant et ne pas participant agrave ce qui est par exemple agrave la fois

grandes et petites mais on ne peut pas dire quelles sont agrave la fois ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) et

ne pas ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) cest-agrave-dire agrave la fois exister et ne pas exister La question se

pose agrave τὸ μὴ ὄν ou τὸ μὴ εἶναι ou les deux correspond lignorance Lisons ce

passage

mdash εἶεν εἰ δὲ δή τι οὕτως ἔχει ὡς εἶναί τε καὶ μὴ εἶναι οὐ μεταξὺ ἂν κέοιτο τοῦ εἰλικρινῶς ὄντος καὶ τοῦ αὖ μηδαμῇ ὄντος

mdash μεταξύ

mdash οὐκοῦν ἐπὶ μὲν τῷ ὄντι γνῶσις ἦν ἀγνωσία δ᾽ ἐξ ἀνάγκης ἐπὶ μὴ ὄντι ἐπὶ δὲ τῷ μεταξὺ τούτῳ μεταξύ τι καὶ ζητητέον ἀγνοίας τε καὶἐπιστήμης εἴ τι τυγχάνει ὂν τοιοῦτον1

mdash Bien Mais si une certaine chose est ainsi disposeacutee quelle est et nest pas agrave la fois ne se trouve-t-elle pas au milieu entre ce qui est purement et simplement et ce qui au contraire nest aucunement

mdash Si au milieu

mdash Par conseacutequent comme nous avons convenu que la connaissance seacutetablit sur ce qui est et que neacutecessairement la non-connaissance seacutetablit sur ce qui nest pas pour ce qui concerne cela qui se trouve au milieu il faut chercherquelque intermeacutediaire entre ignorance et savoir sil existe par hasard quelque chose de ce genre

Si nous lisons dans ce passage laquo τὸ εἶναι raquo comme le synonyme de laquo τὸ ὄν raquo et laquo τὸ

μὴ εἶναι raquo comme celui de laquo τὸ μὴ ὄν raquo cela eacutequivaut agrave dire que lἀγνωσία est

synonyme de lἀγνοία autrement dit laquo connaicirctre ce qui nexiste pas raquo (ignorance) est

synonyme de laquo connaicirctre ce qui nest pas raquo (opinion ou science) Sils ne sont pas

synonymes lobjet de lἀγνωσία est neacutecessairement diffeacuterent de celui de lἀγνοία

Dans la derniegravere reacuteplique lobjet de lἀγνωσία est laquo ce qui nest pas raquo en dautres

termes lἀγνωσία signife le fait de connaicirctre ce qui nest pas ce nest pas impossible

Connaicirctre le mal est possible simplement nous ne savons pas quil ne participe pas

au Bien pour le reste personne ne sait vraiment entiegraverement pourquoi Par contre il

est absurde de dire que lon peut connaicirctre ce qui nexiste mecircme pas en ce sens le

1 Reacutepublique V 477 a ndash b

145

fait de connaicirctre le non-ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) relegraveve de lignorance (ἀγνοία) de la pure

illusion comme recircver (ὀνειρώττειν)

τὸ ὀνειρώττειν ἆρα οὐ τόδε ἐστίν ἐάντε ἐν ὕπνῳ τις ἐάντ᾽ ἐγρηγορὼς τὸ ὅμοιόν τῳ μὴ ὅμοιον ἀλλ᾽ αὐτὸ ἡγῆται εἶναι ᾧ ἔοικεν1

Recircver nest-ce pas la chose suivante que ce soit dans leacutetat de sommeil ou eacuteveilleacute croire que ce qui est semblable agrave quelque chose ne lui est pas semblable mais constitue la chose mecircme agrave quoi cela ressemble

Prendre le non-ecirctre pour lecirctre personne nest capable de connaicirctre vraiment le non-

ecirctre En effet nous avons une science speacutecifque du cheval une science speacutecifque de

larbre Si nous disons que le cheval nest pas larbre ou larbre nest pas cheval il

nexiste ni une science du non-cheval ni une science du non-arbre car on ne sait pas

ce que deacutesigne le non-cheval ni non plus le non-arbre puisque tous ceux qui ne sont

pas chevaux y compris larbre entrent dans la nomination du non-cheval de mecircme

pour le non-arbre ou plus geacuteneacuteralement pour le non-ecirctre

III222 Lopinion fausse

Dans le passage que nous avons citeacute preacuteceacutedemment (477 a ndash b) le terme laquo μεταξύ raquo

apparaicirct trois fois Il deacutesigne un peu plus tard lopinion laquo μεταξὺ ἄρα ἂν εἴη

τούτοιν δόξα raquo2 (laquo Lopinion serait donc quelque chose dintermeacutediaire entre eux

deux raquo) Lopinion nest donc ni lignorance ni la science mais entre les deux Or

nous lavons dit lignorance se rapporte au non-ecirctre et non pas agrave proprement parler

agrave ce qui nest pas alors que dans le texte en question (entre 476 b ndash 480 a) lopinion se

trouve tantocirct entre ce qui est et ce qui nest pas (477 a7) tantocirct entre ce qui est et le

non-ecirctre cest-agrave-dire ente la science et lignorance (477 b2) Comment comprendre

cela La reacuteponse paraicirct simple cest parce que le non-ecirctre lignorance ou lillusion

est la cause de ce qui nest pas Par conseacutequent dire ce qui nest pas renvoie

directement au non-ecirctre par quoi ce qui nest pas nest pas neacutecessairement Dire du

mal de quelquun par jalousie est causeacute par la jalousie Toute science a son objet de

mecircme lopinion elle aussi a son objet qui se trouve neacutecessairement entre les objets de

la science et le neacuteant auquel se rapporte lignorance Cela eacutetant le fait davoir une

opinion semble avoir le mecircme statut que la philosophie qui est elle aussi entre le

savoir et lignorance Nest-ce pas un peu eacutetrange En effet il ny a pas une seule

maniegravere de se trouver entre les choses contraires Une opinion droite ou fausse doit

ecirctre deacutemontreacutee pour savoir sil sagit dune opinion droite ou fausse avant cela on ne

1 Ibid 476 c2 Ibid 478 d

146

sait pas si elle est droite ou fausse Si elle est deacutemontreacutee fausse elle relegraveve de

lignorance Si elle est droite elle nest ni science puisquelle mecircme ne sait pas ce

quelle est ni ignorance puisquelle dit quelque chose qui nest pas faux Si la

philosophie consiste agrave aspirer au savoir cest-agrave-dire quelle se lance vers la veacuteriteacute agrave

partir de ce quelle se trouve entre le savoir et lignorance on peut dire que la

philosophie tend vers le Bien Quant agrave lopinion

ττοὺς ἄρα πολλὰ καλὰ θεωμένους αὐτὸ δὲ τὸ καλὸν μὴ ὁρῶντας μηδ᾽ ἄλλῳ ἐπ᾽ αὐτὸ ἄγοντι δυναμένουςἕπεσθαι καὶ πολλὰ δίκαια αὐτὸ δὲ τὸ δίκαιον μή καὶ πάντα οὕτω δοξάζειν φήσομεν ἅπαντα γιγνώσκειν δὲ ὧν δοξάζουσιν οὐδέν1

Ceux qui regardent les nombreuses choses belles mais qui ne voient pas le beau lui-mecircme et ne sont pas capables de suivre quelquun qui les megravene vers lui ceux quiregardent les nombreuses choses justes mais pas le juste lui-mecircme et ainsi de tout le reste nous affrmons quils ont des opinions sur toutes choses mais quils ne connaissent rien de ce sur quoi ils opinent

En dautres termes lopinion est une capaciteacute intermeacutediaire qui na aucune bonne

utiliteacute si ce nest pour le plaisir de donner une opinion puisquelle ne cherche pas agrave

connaicirctre ce dont elle parle Comme il sagit quand-mecircme dune capaciteacute sans la

science elle ne peut eacuteviter de tomber dans lignorance On voit bien quil y a deacutejagrave au

moins deux maniegraveres opposeacutees de se trouver entre la science et lignorance agrave savoir

la philosophie qui se trouve entre le savoir et lignorance mais si proche du savoir et

lopinion qui se trouve eacutegalement entre la science et lignorance mais si proche de

lignorance

III223 Refus de la veacuteriteacute

Dans le passage preacuteceacutedent nous avons remarqueacute que nombreux sont ceux qui ont

une opinion sur toutes sortes des choses et qui sont incapables de suivre les chemins

qui megravenent agrave la veacuteriteacute Dans un autre passage Socrate dit presque la mecircme chose

τί οὖν ἐὰν ἡμῖν χαλεπαίνῃ οὗτος ὅν φαμεν δοξάζειν ἀλλ᾽ οὐ γιγνώσκειν καὶ ἀμφισβητῇ ὡς οὐκ ἀληθῆ λέγομεν2

Mais alors que dire si celui-ci se facircche contre nous lui dont nous disons quil a une opinion mais quil ne connaicirct pas et que dire encore sil conteste que nousdisons vrai

Dans le cas dune meacutemoire normale ou mieux encore une bonne meacutemoire celui qui

est dans lignorance est moins pire que ces gens-lagrave car lillusion est beaucoup plus

fragile et facile agrave deacutemolir que lopinion Ainsi il se rend senseacute plus facilement que les

gens meacutediocres cest dailleurs la deacutefnition de la meacutediocriteacute

1 Ibid 479 e2 Ibid 476 d

147

Socrate Ah Criton si seulement les gens eacutetaient capables des pires des maux de sorte quils fussent capables des biens les plus grands ce serait parfait En fait ils sont incapables de lun et de lautre car impuissants agrave rendre quelquun senseacute ou insenseacute ils font nimporte quoi1

Les dialogues ougrave la discussion a lieu entre Socrate et les sophistes semblent montrer

que ces derniers sont beaucoup plus faciles agrave persuader que laccusateur Meacuteleacutetos

laquo Ce que tu dis est incroyable Meacuteleacutetos et tu ne crois mecircme pas toi-mecircme agrave ce que tu

dis jen ai bien limpression raquo2 Cest en ce sens que ces gens-lagrave qui refusent de

connaicirctre la veacuteriteacute parce quils ont une opinion sont les pires de lignorance

III23 Theacuteeacutetegravete

Le dialogue est connu pour la question de savoir ce quest la science (ἐπιστήμη)

mais les trois reacuteponses donneacutees par Theacuteeacutetegravete sont formuleacutees agrave partir dune part dans

la premiegravere reacuteponse de la sensation (αἴσθησις) dautre part dans les deux autres

reacuteponses de lopinion (δόξα) Ainsi lexamen ne peut eacutechapper agrave lanalyse de la

sensation et lopinion

III231 Oubli sensation meacutemoire

La meacutemoire ne signife pas automatiquement le savoir ce nest quune condition

parmi dautres Sans meacutemoire est agrave coup sucircr synonyme dignorance Commenccedilons

par la question du dialogue quest-ce que la science Dans sa premiegravere deacutefnition

pour Theacuteeacutetegravete laquo la science nest pas autre chose que la sensation raquo3 Or la sensation

est une affection ou plus exactement un mouvement qui affecte agrave la fois le corps et

lacircme4 La meacutemoire est deacutefnie comme la sauvegarde de la sensation5 Troisiegravemement

loubli signife laquo la disparition de la meacutemoire raquo6 Le passage suivant d u Theacuteeacutetegravete

semble ecirctre un commentaire de cette theacuteorie deacuteveloppeacutee dans le Philegravebe

Σωκράτης

τί δέ ἡ τῶν σωμάτων ἕξις οὐχ ὑπὸ ἡσυχίας μὲν καὶ ἀργίας διόλλυται ὑπὸ γυμνασίων δὲ καὶ κινήσεως ἐπὶ πολὺ σῴζεται

Θεαίτητος

Socrate

Mais quoi Leacutetat du corps nest-il pas ruineacute par le repos et loisiveteacute preacuteserveacute au contraire pour une dureacutee appreacuteciable par les exercices et les mouvements

Theacuteeacutetegravete

1 Criton 44 d2 Apologie 26 e3 Theacuteeacutetegravete 151 e4 Voir Philegravebe 34 a5 Ibid6 Ibid 33 e

148

ναί

Σωκράτηςἡ δ᾽ ἐν τῇ ψυχῇ ἕξις οὐχ ὑπὸ μαθήσεως μὲν καὶ μελέτης κινήσεων ὄντων κτᾶταί τε μαθήματα καὶ σῴζεται καὶ γίγνεται βελτίων ὑπὸ δ᾽ ἡσυχίας ἀμελετησίας τεκαὶ ἀμαθίας οὔσης οὔτε τι μανθάνει ἅ τε ἂν μάθῃ ἐπιλανθάνεται1

Si

SocrateEt leacutetat qui regravegne dans lacircme Nest-ce pas gracircce agrave lapprentissage et agrave lactiviteacute intellectuelle choses qui sont des mouvements quelle acquiert des connaissances et que son eacutetat est preacuteserveacute etameacutelioreacute tandis que sous leffet du repos qui consiste agrave nappliquer son esprit agrave rien et agrave ne pas apprendre agrave la fois elle napprend aucune chose et elle oublie celle quelle a pu apprendre

Dans ce passage lignorance (ἀμαθία) signife le fait de ne pas apprendre ou loubli

Comme la sensation deacutepend de leacutetat du corps et de celui de lacircme si la science est

sensation il ny aura jamais une science universellement valable Cela rejoint en effet

lhomme-mesure de Protagoras sujet du chapitre prochain Or comme nous en

avons deacutejagrave lu un passage du Philegravebe2 dans la section laquo III133 La jalousie raquo lopinion

naicirct de la sensation et de la meacutemoire cest-agrave-dire de la sensation du preacutesent et des

sensations du passeacute puisque cest dans la meacutemoire que les sensations du passeacute se

conservent Or lapparaicirctre cest sentir (laquo τὸ δέ γε φαίνεται αἰσθάνεσθαί ἐστιν raquo)3

de sorte que la meacutemoire garde des diffeacuterentes sensations lieacutees au mecircme apparaicirctre

Puisque leacutetat du corps et celui de lacircme ne sont pas toujours identiques selon le

temps lespace et les circonstances ou autres la sensation ne serait jamais identique

Par conseacutequent en jugeant par la sensation il est ineacutevitable de donner des opinions

contradictoires sur la mecircme chose Par exemple le vin mecircme rouge de bonne qualiteacute

ne donne pas de sensations identiques cela deacutepend de beaucoup de paramegravetres

III232 Ce qui nest pas

Une tautologie est un dire qui ne donne pas de possibiliteacute de le juger en raison du fait

que le sujet et le preacutedicat expriment la mecircme chose

Σωκράτης

ἆρ᾽ οὖν οὐ ταύτῃ σκεπτέον ὃ ζητοῦμεν κατὰ τὸ εἰδέναι καὶ μὴ εἰδέναι ἰόντας ἀλλὰ κατὰ τὸ εἶναικαὶ μή

Θεαίτητος

Socrate

Serait-ce quil ne faudrait pas diriger notre recherche de ce point de vue mais au lieu de poursuivre lopposition entre savoir et ne pas savoir nous attacher agrave lecirctre et au non-ecirctre

Theacuteeacutetegravete

1 Theacuteeacutetegravee 153 b ndash c2 Philegravebe 38 b3 Theacuteeacutetegravete 152 b

149

πῶς λέγεις

Σωκράτηςμὴ ἁπλοῦν ᾖ ὅτι ὁ τὰ μὴ ὄντα περὶ ὁτουοῦν δοξάζων οὐκ ἔσθ᾽ ὡς οὐ ψευδῆ δοξάσει κἂν ὁπωσοῦν ἄλλως τὰ τῆς διανοίας ἔχῃ1

Que veux-tu dire

SocrateQue lexplication simple pourrait bien ecirctre celle-ci lopinion qui sur quelque objet que ce soit affrme ce qui nest pas ne peut pas ne pas ecirctre une opinion fausse quelque soit la penseacutee ougrave elle se forme2

Deux questions Pourquoi preacutefeacuterer lopposition entre lecirctre et le non-ecirctre agrave

lopposition entre savoir et ne pas savoir Pourquoi laffrmation est-celle

tautologique

1 Nous avons dit preacuteceacutedemment que quelconque opinion attend un examen pour

savoir si elle est vraie ou fausse Cest pourquoi Socrate annonce sans tarder le verbe

εἰδέναι sous forme dopposition laquo Or ne sommes-nous pas en cette alternative

devant toutes les questions comme devant chacune ou de savoir (εἰδέναι) ou de ne

pas savoir (μὴ εἰδέναι) raquo (188 a) Nous ne pouvons pas savoir si une opinion est

vraie ou fausse si nous ne connaissons mecircme pas ce quest cet objet sur lequel porte

cette opinion Mais la question de savoir (εἰδέναι) est tregraves compliqueacutee peut-ecirctre

mecircme peacuterilleuse Car le sens du verbe εἰδέναι est aussi double que μανθάνειν dans

lEuthydegraveme que nous avons deacutejagrave analyseacute dans la premiegravere partie du chapitre En voici

le sens eacutetymologique

εἰδέναι deacutesignant (sauf exception cf Il 7 238) une connaissance theacuteorique (cf le rapportavec ἰδεῖν laquo voir raquo) et ἐπίστασθαι une connaissance pratique3

En effet dans un premier temps Socrate emploie le verbe au premier degreacute cest-agrave-

dire au sens propre

Σωκράτης

ἀλλ᾽ ἆρα ἃ μὴ οἶδεν ἡγεῖται αὐτὰ εἶναι ἕτερα ἄττα ὧν μὴ οἶδε καὶ τοῦτ᾽ ἔστι τῷ μήτεΘεαίτητον μήτε Σωκράτη εἰδότι εἰς τὴν διάνοιαν λαβεῖν ὡς ὁ Σωκράτης Θεαίτητος ἢ ὁ Θεαίτητος Σωκράτης 4

Socrate

Serait-ce donc que lon prendrait les choses mecircmes que lon sait pour dautres que lon ne sait pas etpeut-on si lon ne connaicirct ni Theacuteeacutetegravete ni Socrate venir agrave penser que Socrate est Theacuteeacutetegravete ou Theacuteeacuteegravete Socrate 5

Eacutevidemment si lon na jamais vu Theacuteeacutetegravete on ne peut le connaicirctre En revanche

lorsque lon connaicirct quelquun en le voyant on se dit tient cest lui impossible de ne

pas le reconnaicirctre dans la mesure ougrave lon na pas perdu la meacutemoire On voit bien que

1 Ibid 188 c ndash d2 Trad par A Diegraves3 Cf lentreacutee laquo εἶδα raquo Dictionnaire eacutetymologique de la langue grecque P Chantraine 1999 [1968]4 Theacuteeacutetegravete 188 b5 Trad par A Diegraves

150

ici οἶδεν οἶδε et εἰδότι ne deacutesignent pas une connaissance theacuteorique Cest en ce sens

concret quil faut entendre le verbe dans la reacuteplique qui suit le preacuteceacutedent laquo Et

pourtant ce quon sait on ne peut le prendre pour ce quon ne sait pas ni ce quon ne

sait pas pour ce quon sait raquo1 Cest dans cette perspective concregravete que lopinion

fausse nest pas possible puisque la sensation ne peut ecirctre fausse

2 Dans la premiegravere reacuteplique Socrate emploie laquo τὸ εἶναι καὶ μή raquo (laquo ce qui est et ce

qui nest pas raquo) Si lon lit laquo ce qui nest pas raquo comme laquo ce qui nexiste pas raquo la

proposition est toujours fausse Car comme le dit Socrate laquo ὁ ἄρα ἕν γέ τι ὁρῶν ὄν

τι ὁρᾷ raquo (laquo par conseacutequent qui voit ne serait-ce quune seule chose voit quelque

chose qui est raquo)2 celui qui voit une certaine chose voit eacutevidemment certaine chose

qui existe et non pas certaine chose qui nexiste pas Autrement dit on ne peut pas

formuler une opinion sur ce qui nexiste pas Dans la seconde reacuteplique Socrate

emploie laquo τὰ μὴ ὄντα raquo Si lon lit laquo ce qui nest pas raquo (τὸ μή ὄν) comme le contraire

de ce qui est (τὸ ὄν) cest-agrave-dire comme les choses qui deviennent les choses

sensibles pour ainsi dire alors laquo ce qui nest pas raquo est toujours vrai puisque les

choses sensibles existent toujours elles deviennent toujours mais on ne peut pas non

plus formuler une opinion sur ce qui devient sans cesse Cest la raison pour laquelle

laquo ce qui nest pas raquo ne peut pas ne pas ecirctre une opinion fausse En somme formuler

une opinion sur ce qui nest pas na pas de sens Cest sans doute une critique visant

Parmeacutenide

III233 Le totaliteacute sans uniteacute

La troisiegraveme reacuteponse agrave la question de savoir ce quest la science est la science est

lopinion vraie accompagneacutee de la raison Les reacuteponses de Theacuteeacutetegravete ressemblent agrave un

bricolage cest-agrave-dire au goucirct de la pluraliteacute sans uniteacute Au deacutebut quand Socrate lui

demanda laquo la science en quoi peut-elle bien consister raquo3 le jeune Theacuteeacutetegravete disciple

du geacuteomegravetre Theacuteodore et en plus ami de Protagoras4 a citeacute toutes les belles choses

sauf la science Dans une sorte de bricolage on ramasse tout ce qui peut ecirctre utile agrave

un assemblage En dautres termes au lieu de chercher luniteacute Theacuteeacutetegravete tacircchait de

chercher la pluraliteacute

Socrate De bonne race et geacuteneacutereux mon cher celui qui quand on lui demande une seule chose

1 Ibid 188 c2 Ibid 188 e laquo Celui donc qui voit une certaine chose voit certaine chose qui est raquo (Trad par A Diegraves)3 Ibid 145 e4 Voir ibid 161 b et 162 c

151

en donne plusieurs et toute une varieacuteteacute agrave la place dune chose simple1

Ainsi Socrate lui apprend comment deacutefnir une chose donner une reacuteponse banale et

bregraveve ou tout simplement une reacuteponse simple Exemple agrave lappui la boue est un

meacutelange deau et de terre2 Dans cette deacutefnition usage et utilisation de la boue sont

absents Inspireacute de cet exemple Theacuteeacutetegravete donne la premiegravere deacutefnition de la science

comme sensation Au fond il a nommeacute sensation toutes les choses quil avait citeacutees

auparavant de la mecircme faccedilon quon nomme bricolage toutes sortes dactiviteacutes

manuelles non professionnelles aussi diverses que possible Ensuite il change de

couleur deacutefnissant la science comme lopinion vraie qui nest en reacutealiteacute autre chose

quune sorte de sensation Finalement Theacuteeacutetegravete fnit par ajouter la raison agrave lopinion

vraie pour deacutefnir la science Lagrave encore la science est une sorte de bricolage une

totaliteacute sans uniteacute

III3 Paradoxe socratique deacuteclaration dignorance

Lun des paradoxes socratiques le plus paradoxal est que dune part non seulement

la Pythie deacuteclara Socrate lhomme le plus savant mais aussi et surtout dans les

dialogues platoniciens Platon fait de lui un personnage savant veacuteritablement3

III31 Sans compeacutetence particuliegravere

Dans lIon Socrate dit ceci laquo Quant agrave moi je ne dis que des veacuteriteacutes vraies comme

cest naturel chez un homme deacutepourvu de toute compeacutetence particuliegravere (οἷον εἰκὸς

ἰδιώτην ἄνθρωπον) raquo4 Les Nueacutees dAristophane dont Socrate est le personnage

principal dans la piegravece sous son vrai nom remportegraverent le troisiegraveme prix en 423 av

J-C au concours des Grands Dionysies Cela eacutetant Socrate neacute en 470469 eacutetait deacutejagrave

tregraves connu agrave Athegravenes dans les anneacutees 420 Dans le Parmeacutenide Socrate eacutetait un tout

jeune homme5 Tout cela paraicirct plausible car si le dieu assigna agrave Socrate la tacircche de

vivre en philosophie6 il ny a pas de raison de penser que le dieu len assigna

tardivement Dailleurs dans lApologie on peut lire ceci laquo Les deacutebuts en remontent agrave

mon enfance Cest une voix qui lorsquelle se fait entendre me deacutetourne toujours de

ce que je vais faire mais qui jamais ne me pousse agrave laction raquo7 Dans lhistoire de

1 Ibid 146 d2 Voir ibid 147 c3 Agrave propos des paradoxes socratiques cf L-A Dorion laquo II mdash La deacuteclaration dignorance raquo (p 43 ndash

55) et laquo VI mdash Les paradoxes socratiques raquo (p 76 ndash 89) Socrate Paris PUF 20044 Ion 532 d ndash e5 Voir Parmeacutenide 127 c et 130 e Sur la question de son acircme cf Parmeacutenide laquo Introduction raquo p 13 ndash 146 Voir Apologie 28 e laquo τοῦ δὲ θεοῦ τάττοντος raquo (laquo quand le dieu ma assigneacute pour tacircche raquo)7 Apologie 31 d

152

lHumaniteacute on constate que les geacutenies les grands talents se manifestent degraves le tregraves

jeune acircge Il est ainsi tout agrave fait coheacuterent que Socrate soit un homme deacutepourvu de

toute compeacutetence particuliegravere puisque le dieu ne le lui permet pas Certes il est

compeacutetent dans la philosophie mais il ne fait pas de la philosophie un meacutetier

reacutetribueacute Le mot ἰδιώτης deacutesigne en effet celui qui est deacutepourvu de compeacutetence

professionnelle cest-agrave-dire reacutetribueacutee

III32 Faux ou vrai savant

LApologie le Cratyle les deux Hippias le Protagoras et le Theacuteeacutetegravete nous apprennent que

lenseignement eacutetait un commerce tregraves lucratif1 Ecirctre savant agrave cette eacutepoque signife

que les savants enseignaient leur savoir contre beaucoup dargent laquo en leur

teacutemoignant en plus de la reconnaissance raquo2 Or largent et lhonneur sont choses

illimiteacutes on en veut toujours plus Cela pose problegraveme pour gagner toujours plus de

largent et de lhonneur on a ineacutevitablement tendance agrave gonfer la valeur de son

enseignement Ainsi lobjet du savant nest plus le savoir mais dargent et dhonneur

Dans ces conditions plus on est reacuteputeacute pour son savoir plus on en est le contraire

cest-agrave-dire savant ignorant doublement ignorant lui-mecircme ignorant du savoir les

autres ignorent aussi quil nest pas savant en reacutealiteacute sinon personne ne lui donnerait

de largent contre son enseignement

Socrate est plus savant que ces savants-lagrave Dabord il ne simagine pas savoir ce quil

ne sait pas Ensuite il ignore largent et lhonneur dailleurs il est tregraves pauvre 3 et

surtout pour lui ecirctre philosophe cest seacutecarter de tous les appeacutetits du corps

Voilagrave donc Simmias et Ceacutebegraves mes chers pourquoi ceux qui philosophent droitement se tiennent agrave leacutecart de touts les appeacutetits du corps sans exception leur reacutesistent et refusent de sy abandonner Concernant la perte de leurs biens ou la pauvreteacute ils neacuteprouvent autant dire aucune crainte agrave la diffeacuterence de la plupart des gens qui eux aiment largent4

Enfn il ne donne pas denseignement laquo car je nai jamais promis agrave aucun deux

denseigner rien qui sapprenne raquo5 cest en ce sens quil est ignorant car celui qui est

incapable denseigner rien qui sapprenne est eacutevidemment un ignorant En effet on

ne peut qualifer dignorant celui qui possegravede vraiment une certaine compeacutetence

1 Voir Apologie 19e ndash 20 b Cratyle 391 b Hippias majeur 281 b 284 a Hippias mineur 364 d Protagoras310 d 328 b ndash c Theacuteeacutetegravete 167 d 179 d

2 Apologie 20 a Cratyle 391 b3 Voir Apologie 23 c 31 c4 Pheacutedon 82 c5 Apologie 33 b

153

particuliegravere puisque toute compeacutetence particuliegravere senseigne et sapprend Cela ne

veut pas dire que Socrate ne possegravede pas un certain savoir mais qui ne senseigne

pas en tout cas il ne lenseigne pas puisquun savoir non particulier tel quil le

possegravede est accessible agrave tous Il na donc pas de raison de lenseigner nous en

parlerons dans le prochain chapitre En conclusion les sophistes savants ignorants

sont les savants qui tendent vers lignorance Socrate ignorant savant est un ignorant

qui tend vers le savoir

III33 Le philosophe est neacutecessairement laquo ignorant raquo

Le philosophe est celui qui aspire au savoir cela eacutetant il nest ni savant ni ignorant

laquo Voici en effet ce qui en est Aucun dieu ne tend vers le savoir ni ne deacutesire devenir

savant car il lest or si lon est savant on na pas besoin de tendre vers le savoir Les

ignorants ne tendent pas davantage vers le savoir ni ne deacutesirent devenir savants raquo1

Ce propos de Diotime est en contradiction avec la reacutealiteacute de Socrate qui est agrave la fois

ignorant et savant En effet la contradiction vient de la porteacutee du terme laquo savoir raquo

Nous savons quil y a deux sortes de savoir le savoir que le dieu possegravede il sagir du

savoir de ce qui est et le savoir que les hommes possegravedent ce sont les savoirs

particuliers ou speacutecifques Celui qui possegravede le savoir de ce qui est ignore les savoirs

particuliers et celui qui possegravede les savoirs particuliers ne peut eacutechapper agrave

lignorance du savoir de ce qui est Cela eacutetant il ny a rien de contradictoire et encore

moins de paradoxal dans la deacuteclaration socratique decirctre ignorant agrave leacutegard du

savoir divin il est le plus savant parmi les hommes agrave leacutegard des savoirs particuliers

il est ignorant

III4 Conclusion

Lignorance est synonyme du fait de simaginer savoir ce quon ne sait pas en reacutealiteacute

Il est en fait question de se connaicirctre soi-mecircme autrement dit le fait de ne pas se

connaicirctre soi-mecircme est la marque de lignorance En effet si lon ne se connaicirct pas

soi-mecircme on ne peut savoir ce qui est propre agrave soi-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme Or

ce qui est propre agrave lacircme est neacutecessairement immortel puisque lacircme est immortelle

Cela eacutetant mecircme si les fonctions Ardente et deacutesirante de lacircme sont propres agrave lacircme

car aucune chose deacutepourvue dacircme ne peut ecirctre spontaneacutement Ardente ou deacutesirante

elles ne sont pas immortelles De la sorte le fait de posseacuteder une technique une

compeacutetence particuliegravere ou une science speacutecifque ne signife pas pour autant quon

1 Banquet 203 e ndash 204 a

154

se connaicirct soi-mecircme puisque les objets de ces savoirs particuliers se trouvent dans le

monde sensible Cest pourquoi formuler une opinion mecircme droite sur les choses

sensibles ne peut eacuteviter decirctre ignorant De lagrave vient le paradoxe socratique Socrate

est agrave la fois savant et ignorant Il est savant par rapport agrave ceux qui naspirent pas au

savoir il est ignorant par rapport au savoir divin mais aussi parce quil ne possegravede

aucune science particuliegravere ou speacutecifque en raison du fait quil nexerce aucun

meacutetier

155

Ch IV Lἐπιστήμη159IV1 Signifcation160

IV11 Tradition160IV12 Sophiste161IV13 Philosophe163

IV2 Τέχνη comme opinion165IV21 Image dimage166

IV211 Peinture166IV212 Eacutecriture168IV213 Sensible171

IV22 Croyance173IV221 Croyance agrave la folie divine174IV222 Croyance au λόγος175IV223 Croyance aux biens particuliers176

IV3 Τέχνη comme utiliteacute179IV31 Lutiliteacute technique et la connaissance180IV32 Lutiliteacute technique et la sensation180IV33 Lutiliteacute technique et le temps183

IV4 La διάνοια185IV41 Discours argumentatifs185

IV411 Hypothegravese185IV412 Raisonnement187IV413 Veacuteriteacute190

IV42 Les matheacutematiques191IV421 Immuabiliteacute192IV422 Preacutecision194IV423 Enseignement194

IV5 La politique195IV51 Conception traditionnelle196IV52 Conception de sophiste197IV53 Conception philosophique200

IV6 La connaissance de lecirctre200IV61 Principes decirctre201IV62 Fonction propre202IV63 Eacuteducation203

IV7 Conclusion204

157

Ch IV Lἐπιστήμη

Geacuteneacuteralement la science peut ecirctre deacutefnie comme la connaissance de lexcellence des

reacutealiteacutes Or il existe les reacutealiteacutes sensibles les reacutealiteacutes intelligibles et entre les deux les

reacutealiteacutes de lacircme dont lexcellence est la vertu agrave laquelle nous consacrons le chapitre V

laquo La vertu raquo 1 Dans le monde sensible chaque chose a sa propre utiliteacute gracircce agrave son

excellence le marbre par exemple est extrecircmement compact ferme solide reacutesistant

au vent agrave la pluie agrave la chaleur et au temps et capable de recevoir un tregraves beau poli

cest pourquoi le marbre est une matiegravere de luxe en architecture et en art mais il est

diffcile agrave tailler Ainsi tailler le marbre constitue une technique ou une science

particuliegravere De mecircme pour toutes les autres choses sensibles 2 Agrave la diffeacuterence des

choses sensibles dont les proprieacuteteacutes sont tregraves stables et relativement simples la

socieacuteteacute humaine relevant elle aussi du monde sensible est beaucoup plus complexe

Sa nature est instable et complexe en raison de la complexiteacute de la structure

fonctionnelle de lacircme humaine la solidariteacute la productiviteacute la culture la

civilisation la paix ou encore bien dautres belles choses constituent lexcellence de la

socieacuteteacute humaine Toutefois pour quelle vive toujours dans son excellence il lui est

neacutecessaire de posseacuteder lart dorganiser la citeacute afn de faire exister son excellence cet

art a pour nom la politique 3 Les matheacutematiques font partie du monde intelligible

Leur excellence commune est leffcaciteacute la puissance la rigueur la fabiliteacute et elles

peuvent senseigner Mais lexcellence matheacutematique comme lexcellence des choses

sensibles nest ni bonne ni mauvaise cela deacutepend de lusage elle peut bien servir

pour faire des biens comme pour faire des maux 4 En revanche lexcellence de ce

qui est est toujours bonne en soi et par soi elle ne peut en aucun cas servir pour

causer du tord elle est le bien mecircme Cest pourquoi la veacuteritable science est la science

du Bien

Comme les choses sensibles participent agrave ce qui est cest-agrave-dire la veacuteriteacute ou la reacutealiteacute

intelligible ou la reacutealiteacute universelle et immuable ou la reacutealiteacute qui est toujours la mecircme

en soi et par soi ou dautres qualifcatifs de mecircme genre le fait de posseacuteder la

technique qui maicirctrise lexcellence dune chose sensible si aussi une belle faccedilon de

participer agrave ce qui est De mecircme pour la politique et les matheacutematiques cest une

question de degreacute cest pourquoi nous en parlons sous le titre de la science

159

IV1 Signifcation

Le tableau suivant donne une reacutecapitulation de la freacutequence des deux termes

parfois synonymes ἐπιστήμη et σοφία dans les œuvres de Platon1

0 [ἐπιστήμη] Criton Hippias majeur toutes les Lettres sauf VII Lois II V VIII Lysis Reacutepublique VIII

[σοφία] Critias Criton Lettre II III IV V VIII IX XI XII Lois II IV VI VII VIII X XI XII Parmeacutenide Politique Reacutepublique VIII IX Sophiste Timeacutee

lt 6 [ἐπιστήμη] 1 Critias Lois III IV VI VII IX X XI Meacutenexegravene 2 Apologie Euthyphron Lois I XII Reacutepublique II III Timeacutee 3 Alcibiade Cratyle Reacutepublique IX 5 Lettre VII Reacutepublique X

[σοφία] 1 Charmide Ion Lettre VII X XIII Lois I IX Meacutenexegravene Reacutepublique II V VII 2 Alcibiade Lois V Lysis Pheacutedon Reacutepublique III 3 Lettre VI Reacutepublique X 4 Gorgias 5 Lois III Phegravedre Philegravebe Reacutepublique IV VI

ge 6 [ἐπιστήμη] Ion (6) Reacutepublique I (7) Hippias mineur (8) Reacutepublique VI (8) Phegravedre (11) Reacutepublique V (12) Sophiste (12) Reacutepublique VII (13) Banquet (14) Gorgias (19) Pheacutedon (20) Lachegraves (21) Parmeacutenide (23) Reacutepublique IV (26) Protagoras (30) Philegravebe (36) Meacutenon (40) Euthydegraveme (45) Politique (56) Charmide (85) Theacuteeacutetegravete (125)

[σοφία] Euthyphron (7) Hippias mineur (7) Lachegraves (7) Reacutepublique I (7) Cratyle (8) Meacutenon (11) Apologie (12) Banquet (12) Hippias majeur (13) Theacuteeacutetegravete (18) Protagoras (26) Euthydegraveme (37)

Pour le sophiste Protagoras les deux termes ne sont pas synonymes puisque pour

lui la vertu nest pas lobjet dune science mecircme si dun meacutetier consiste agrave enseigner la

vertu cependant il reconnaicirct le savoir comme vertu Agrave linverse dans le Theacuteeacutetegravete par

exemple les deux termes sont synonymes

IV11 Tradition

La toute premiegravere reacuteponse du jeune Theacuteeacutetegravete agrave la question laquo quest-ce que la science raquo

reacutevegravele la signifcation traditionnelle du terme

Theacuteeacutetegravete Ce qui me semble donc cest agrave la fois que les choses quon peut apprendre de Theacuteodore sont des sciences la geacuteomeacutetrie et les disciplines que tu eacutenumeacuterais il y a un instant et quela cordonnerie aussi ainsi que les meacutetiers des autres artisans tous et aussi bien chacun dentre eux ce nest pas autre chose que de la science2

Dapregraves ce propos tout ce qui sapprend par lenseignement ou par la pratique peut

ecirctre consideacutereacute comme ἐπιστήμη Par ailleurs agrave la question de savoir si la science et le

savoir sont-ils identiques Theacuteeacutetegravete reacutepondit quils sont identiques (145 e) Pourquoi

ce propos exprime-t-il la signifcation traditionnelle du terme Premiegraverement il ne

correspond ni agrave la signifcation sophistique du terme (le savoir et la science ne sont

pas la mecircme chose) ni agrave la signifcation philosophique (lἐπιστήμη est la science de

1 Pour voir les deacutetails lexicologiques cf laquo Annexe ἐπιστήμη raquo et laquo Annexe σοφία raquo2 Theacuteeacutetegravete 146 c ndash d

160

ce qui est bien au-delagrave de la matheacutematique et de la τέχνη) Deuxiegravemement la

deacutefnition que donne ici Theacuteeacutetegravete ne deacutesigne pas la science ni une science mais

lensemble des sciences ce qui semble correspondre agrave ce passage du Politique

LEacutetranger Divise alors lensemble des sciences (ἐπιστήμας) de la faccedilon que voici en donnant aux unes le nom de laquo pratiques (πρακτικήν) raquo et aux autres celui de laquo purement cognitives (τὴν δὲ μόνον γνωστική) raquo1

Nous pouvons mecircme dire ceci de maniegravere geacuteneacuterale le fait de nommer les diffeacuterentes

choses par le mecircme nom sans les distinguer les unes des autres relegraveve plus ou moins

de la tradition puisque cest lhabitude qui parle et non la science Troisiegravemement

laquo jusquagrave Platon en effet le terme σοφία peut recevoir nimporte quel contenu dans

la mesure ougrave la σοφία nest dans le monde sensible lieacutee agrave aucun contenu

particulier raquo2 de mecircme pour lἐπιστήμη puisque les deux termes ne diffegraverent pas

IV12 Sophiste

Le sophiste (σοφιστής) nest pas aussi facile agrave deacutefnir Dabord le terme σοφιστής a

un radical composeacute de σοφ deacuteriveacute de ladjectif σοφός (savant) ou du nom σοφία

(savoir) et de la racine ιστ (savoir)3 Deacutejagrave la composition ressemble agrave une ironie

savant + savoir comme si le savant ne sufft pas pour exprimer la possession du

savoir Ensuite en ce qui concerne le savoir du sophiste leacutecart est inconciliable entre

ce quen pense la foule Socrate et le sophiste lui-mecircme qui preacutetend enseigner la

vertu

mdash λέγε δή τί ἡγῇ εἶναι τὸν σοφιστήν

mdash ἐγὼ μέν ἦ δ᾽ ὅς ὥσπερ τοὔνομα λέγει τοῦτον εἶναι τὸν τῶν σοφῶν ἐπιστήμονα4

mdash Dis-moi donc quest-ce quun sophiste agrave ton avis

mdash Pour ma part dit-il comme le nom lindique je pense que cest quelquun qui sy connaicirct en choses savantes

Les sophistes sont reacuteputeacutes pour leur savoir mais comme le jeune Hippocrate la

foule ne sait pas en reacutealiteacute quelles sont laquo ces choses savantes raquo Dailleurs dans les

Nueacutees dAristophane le personnage de Socrate ressemble agrave la fois agrave un sophiste

rheacuteteur et physicien Dans le Banquet Diotime associe le sorcier au sophiste laquo δεινὸς

γόης καὶ φαρμακεὺς καὶ σοφιστής raquo (laquo cest un sorcier redoutable un magicien et

un sophiste raquo)5 pour dire le charme du discours de sophiste Dans le Timeacutee Timeacutee

1 Politique 258 e2 Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question de des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin

2000 pp 113 ndash 133 p 1303 Cf Protagoras trad par Alfed Croiset note 1 p 24 Les Belles Lettres 2002 [1923]4 Protagoras 312 c5 Banquet 203 e

161

deacutecrit les sophistes en ces termes critiques

Quant aux sophistes jestime quils font preuve dun remarquable savoir-faire qui leur permet de produire une multitude de discours et de reacutealiser dautres choses admirables mais je crains que vagabondant de ville en ville et nayant nulle part eacutelu domicile ils nesoient hors deacutetat de comprendre agrave propos dhommes qui sadonnent agrave la fois agrave la philosophie et agrave la politique limportance et la qualiteacute de tout ce que ces hommes peuvent dans les combats et dans les discussions faire et dire dans laction par leurs actes et par la parole dans leurs reacuteunions respectives1

Limage des sophistes semble ironiquement fatteuse car inteacuteresseacutes par largent ils

sont venus pour parler et non pour eacutecouter Mais il faut dire aussi que Timeacutee brosse

cette image de maniegravere quelque peu caricaturale Il est vrai que en geacuteneacuteral les

sophistes sont sucircrs de leur savoir tel Euthydegraveme

Euthydegraveme Cest la vertu Socrate reacutepondit-il Nous pensons pouvoir la transmettre mieux que personne et au plus vite2

laquo Mais si maintenant vous posseacutedez reacuteellement une telle connaissance (τὴν

ἐπιστήμην) ayez pitieacute de nous mdash vous le voyez cest absolument comme agrave deux

dieux que je madresse agrave vous en vous priant de me pardonner ce que jai dit

avant raquo3 Eacutevidemment les deux sophistes affrment quils possegravedent cette science Or

Protagoras soutient que la vertu senseigne mais nest pas science Y a-t-il une

diffeacuterence fondamentale entre Euthydegraveme et Protagoras En effet les sophistes en

geacuteneacuteral nont pas dhabitude de deacutefnir les choses concregravetes ou abstraites afn de les

distinguer cest en ce sens quils ne sont pas diffeacuterents Enfn agrave leacutepoque de Socrate

comme agrave leacutepoque actuelle le sophiste a mauvaise reacuteputation Si on qualife

aujourdhui un intellectuel de sophiste ce serait entendu comme une insulte Les

sophistes eacutetaient-ils vraiment si mauvais que ccedila Le rocircle des sophistes dans les

dialogues platoniciens ressemble agrave celui des avocats dans la deacutemocratie moderne Le

Protagoras illustre un portait du sophiste assez complexe Dans la premiegravere partie du

dialogue nous avons deux images opposeacutees de Protagoras agrave savoir laquo il est seul agrave ecirctre

savant raquo (310 d) aux yeux du jeune Hippocrate mais pour Socrate il ressemble agrave un

charlatan laquo une sorte de neacutegociant qui vend en gros ou en deacutetail les marchandises

dont lacircme se nourrit raquo (313 c) Ce propos de Socrate ressemble agrave un preacutejugeacute car au

deacutebut de lentretien le mythe et le discours de Protagoras semblent montrer que le

sophiste est un intellectuel reacutefeacutechi puisque lart politique quil propose comprend la

vertu mecircme sil ne sait pas la deacutefnir mdash dailleurs cela nest philosophiquement pas

1 Timeacutee 19 e2 Euthydegraveme 273 d3 Ibid 273 e

162

une tacircche facile quand laquo le plus souvent dans la citeacute deacutemocratique les

responsabiliteacutes politiques sont tireacutees au sort raquo1 Toutefois dans le Phegravedre le sophiste

fait partie du huitiegraveme rand un peu mieux que le tyran2 Bref il est diffcile de

deacuteterminer le rapport des sophistes agrave la science En tout cas sans eux le volume des

dialogues platoniciens serait largement reacuteduit et Socrate sennuierait

IV13 Philosophe

Une science se deacutefnit par son objet Dans les premiers dialogues platoniciens cest la

vertu qui est lobjet de la science mais ce passage du Lachegraves semble donner loccasion

de constater que Socrate assimilerait le courage aux autres savoirs techniques3

Σωκράτης

οὐ μόνον ἄρα τῶν δεινῶν καὶ θαρραλέων ἡ ἀνδρεία ἐπιστήμη ἐστίνοὐ γὰρ μελλόντων μόνον πέρι τῶνἀγαθῶν τε καὶ κακῶν ἐπαΐει ἀλλὰ καὶ γιγνομένων καὶ γεγονότων καὶ πάντως ἐχόντων ὥσπερ αἱ ἄλλαι ἐπιστῆμαι4

Socrate

Le courage nest donc pas seulement la connaissance des choses redoutables et de celles qui inspirent confancecar sa compeacutetence seacutetend non seulement aux biens et aux maux futurs mais aussi agrave ceux du preacutesent et du passeacute bref de toutes les eacutepoques comme cest le cas pour les autres connaissances

Premiegraverement on ne sait pas avec certitude ce que pourrait deacutesigner le syntagme laquo αἱ

ἄλλαι ἐπιστῆμαι raquo5 Supposons quil deacutesigne les autres savoirs techniques chacun

ayant son objet Cependant en raison de leacutevolution constante des outils techniques

mecircme si les objects techniques ne changent pas (le marbre pour le tailleur de pierre

le bois pour le menuisier par exemple) les savoirs techniques eacutevoluent

reacuteguliegraverement en ce sens quaucun savoir ne peut reacutesister aux vicissitudes

temporelles Deuxiegravemement laquo il nest pas du tout eacutevident que le courage se rapporte

aussi bien au passeacute quau preacutesent et au futur Peut-on vraiment ecirctre courageux agrave

lendroit deacuteveacutenements passeacutes raquo6 En effet le courage est agrave la fois comportement et

science Du point de vue du comportement on ne peut ecirctre courageux agrave lendroit

1 Reacutepublique VIII 557 a2 Voir Phegravedre 248 d ndash e3 Cf Lachegraves laquo Notes raquo ndeg 196 p 167 laquo Lindiffeacuterenciation temporelle de lobjet du courage provient

donc dune analogie avec les savoirs techniques (agriculture meacutedecine etc) Il est pour le moins deacuteconcertant de voir Socrate assimiler le cas du courage agrave celui de tous les autres savoirs lui qui sest plus tocirct eacutevertueacute agrave faire comprendre agrave Lachegraves que le courage nest preacuteciseacutement pas un savoir dece genre On voit que la position de Socrate relativement au statut du courage en tant que connaissance est ambivalente tantocirct il oppose le courage aux diffeacuterents savoirs techniques tantocirct il fait comme si le courage eacutetait un simple savoir technique parmi dautres raquo

4 Ibid 199 b ndash c 5 Ne faut-il pas distinguer laquo la connaissance de leacutequitation raquo et laquo leacutequitation raquo La premiegravere semble

ecirctre une connaissance theacuteorique qui senseigne la seconde une τέχνη que lon acquiert par la pratique

6 Lachegraves laquo Notes raquo ndeg 195 p 167

163

deacuteveacutenements passeacutes ou pas encore arriveacutes mais du point de vue de la science cest-

agrave-dire la connaissance de ce qui est le courage est indeacutependant du temps celui qui

possegravede cette science est neacutecessairement courageux en tout temps Troisiegravemement

Socrate parle souvent de savoirs techniques cest une faccedilon de faire comprendre les

notions philosophiques qui ne sont toujours pas faciles agrave comprendre comme on

montrerait agrave un enfant une image dun pont pour lui apprendre le mot laquo pont raquo

Quatriegravemement il faut se meacutefer de ce que Socrate dit Dans le Protagoras il soutient

que la vertu est science mais qui ne senseigne pas ce qui est diameacutetralement opposeacute

agrave la thegravese de Protagoras Sagit-il dune ruse de la part de Socrate Certainement pas

En effet lagrave ougrave la diffculteacute est importante la chance de trouver la veacuteriteacute est grande

cest la raison pour laquelle Socrate passe son temps agrave mettre lui-mecircme et les autres

en embarras en diffculteacute

Dans les dialogues tardifs la science a pour objet les formes intelligibles Si lon

considegravere que laquo la science platonicienne ne se deacutefnit que meacutediatement raquo1 alors

toutes les choses qui se trouvent entre lillimiteacute (le feu leau lair et la terre) et la

limite (les formes intelligibles)2 sont intermeacutediaires pas seulement le langage

matheacutematique les fgures geacuteomeacutetriques et les proceacutedeacutes de construction En effet

lintermeacutediaire existe en raison des deux extreacutemiteacutes les quatre eacuteleacutements et les formes

intelligibles Cela eacutetant on distingue trois sortes de connaissances 1 lopinion qui

est connaissance des choses intermeacutediaires ou immeacutediates cest-agrave-dire des choses

sensibles qui deviennent sans cesse 2 La connaissance de lunivers qui se forme par

les quatre eacuteleacutements dont la quantiteacute est deacutetermineacutee par les lois matheacutematiques et

physiques En dautres termes la connaissance de lunivers est fondamentalement

matheacutematique et physique ce que le Timeacutee exprime mais aussi logique ce que la

seconde partie du Parmeacutenide exprime 3 La science de ce dont lobjet est la forme

intelligible cela eacutetant la science ne se deacutefnit pas meacutediatement puisque la forme

intelligible est accessible de maniegravere directe par la fonction intellective de lacircme

Cependant si la science senseigne cet enseignement et non cette science mecircme ne

peut se fonder que meacutediatement car cet enseignement ne peut se faire que par des

moyens intermeacutediaires comme leacutecriture la parole la musique la danse la

1 Cf Henri Joly laquo La science platonicienne ne se deacutefnit que meacutediatement et suppose lutilisation deces intermeacutediaires que sont le langage matheacutematique les fgures geacuteomeacutetriques et les proceacutedeacutes de construction Bref toute une technique scientifque est agrave lœuvre dans la science platonicienne et la theacuteorie de la science est inseacuteparable des pratiques theacuteoriques qui en constituent lorgane raquo (Le renversement platonicien Logos eacutepisteacutemegrave polis Paris Vrin 1994 [1974] p 191)

2 Cf le chapitre preacuteceacutedent laquo III131 Quatre eacuteleacutements et le corps raquo

164

repreacutesentation symbolique

IV2 Τέχνη comme opinion

laquo La technique est le paradigme du rapport que lhomme entretient avec les objets

dans le sensible raquo1 Cest en ce sens que la technique est la forme de lopinion qui est

le jugement formuleacute agrave partir de la sensation actuelle et des sensations du passeacute qui

sont sauvegardeacutees dans la meacutemoire Autrement dit lexcellence technique est obtenue

non pas au moyen de la mesure mais au moyen de conjectures cest-agrave-dire

dopinions

Socrate Ainsi en premier lieu la musique en est pleine elle qui najoute pas ses harmonies au moyen de la mesure mais au moyen de conjectures comme cest le cas de lensemble de lart de la fucircte et chacun cherche agrave deacutecouvrir par la conjecture de la bonne mesure et de la corde qui vibre de sorte quelle mecircle une part consideacuterable de confusion agrave bien peu de certitude

Protarque Cest on ne peut plus vrai

Socrate Et ne verrons-nous pas que la meacutedecine lagriculture la navigation et la strateacutegie sont dans le mecircme cas

Protarque Bien sucircr

Socrate Quant agrave la construction le fait quelle emploie davantage de mesures et doutils lui confegravere gracircce agrave sa plus grande exactitude une techniciteacute supeacuterieure agrave la plupart des autres sciences2

Cest pourquoi nous analysons ici la technique comme opinion Autrement dit nous

nous inteacuteressons plutocirct agrave laspect geacuteneacuteral de la technique et non aux regravegles

speacutecifques de chaque technique particuliegravere Notons que la grande exactitude de

mesures et doutils des mesures ne relegraveve pas de la technique mecircme mais avant tout

de matheacutematiques Par exemple en musique la complexiteacute matheacutematique et la

techniciteacute des accordeurs modernes ne relegravevent pas de lart de jouer un instrument

Si la sensation ne peut ecirctre fausse lopinion peut lecirctre la technique aussi Mais ici

nous nexaminons pas lopinion du point de vue de la sensation mais de la source de

la sensation cest-agrave-dire de limage et de la croyance qui sont nommeacutees opinion dans

la Reacutepublique3

La terme δόξα est sans doute lun des termes les plus eacutetudieacutes dans le vocabulaire de

Platon plus de trente ans apregraves sa premiegravere publication La reacuteeacutedition augmenteacutee en

1 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 1462 Philegravebe 56 a ndash b Notons ici que laquo la plupart des autres sciences raquo deacutesignent les techniques

caracteacuteriseacutees par la forte conjecture que Socrate eacutevoque preacuteceacutedemment3 Reacutepublique livre VII 533 e ndash 534 a

165

2015 de La theacuteorie platonicienne de la doxa1 en est la preuve La question se pose si

lopinion nest pas un objet pour la science pourquoi le terme est-il aussi

freacutequemment preacutesent dans les dialogues platoniciens2 Cest parce que lopinion est

une connaissance des choses sans savoir ce quelles sont en reacutealiteacute une forme

dignorance pour ainsi dire En effet mecircme sil sagit dune opinion droite elle est

individuelle et changeante ce qui est agrave eacuteviter dans leacuteducation et dans la

gouvernance de la citeacute Cest dans cette perspective que nous analysons le terme

δόξα agrave travers lexamen de limage de la croyance et de la τέχνη sans faire le lien

avec le logos ni faire de lopinion une theacuteorie

IV21 Image dimage

Ladjectif εἰκαστικός le substantif εἰκασία et le verbe εἰκάζειν ne sont pas tregraves

freacutequents dans les dialogues platoniciens3 Les exemples les plus ceacutelegravebres sont 1 le

troisiegraveme lit eacutevoqueacute au deacutebut du livre X de la Reacutepublique mecircme si lon ny trouve pas

ses trois termes puisque Socrate y parle de ce que fabrique le peintre (ζωγράφος)

2le mythe de Theuth dans le Phegravedre 3 la copie du paradigme dans le Parmeacutenide4

En effet le verbe γράφειν deacutesigne agrave la fois lacte deacutecrire et celui de peindre5 cest en

ce sens que le texte lui aussi est une image Peindre un texte eacutecrire une peinture cela

nous paraicirct eacutetrange mais pas pour les grecs

IV211 Peinture

Le lit le plus cher est sans doute celui peint par Vincent Van Gogh dans son tableau

intituleacute La chambre agrave coucher (Museacutee dOrsay6) Si ce tableau se vendait le prix

1 Lafrance Yvon La theacuteorie platonicienne de la doxa Paris Les Belles Lettres 2015 [1981]2 Cf laquo Annexe δόξα raquo3 Alcibiade εἰκάζω (105 c) Banquet εἰκάσειεν (190 a) ᾔκασα (216 c) Cratyle εἰκάζομεν (425 c) εἰκάζει (432 b) εἴκασται (439 a) Ion εἰκάσαι (532 c) Lettre VII εἰκάζων (324 a) Lois II εἰκαστικαί (667 c) εἰκαστικήν (668 a) Meacutenon ᾔκασας (80 c) εἰκάζοντες (89 e) εἰκάζοιμεν (89 e) εἰκάζων (98 b) εἰκάζειν (98 b) Parmeacutenide εἰκασθῆναι (132 d) εἰκασθέντι (132 d) Pheacutedon εἰκάζω (99 e) Phegravedre εἰκασμένη (248 a) εἰκασθέντος (250 b) Philegravebe εἰκάζειν (55 e) Reacutepublique II εἰκάζῃ (377 e) Reacutepublique VI εἰκάζω (488 a) εἰκάζοντα (488 a) εἰκασίαν (511 e) Reacutepublique VII εἰκασίαν (534 a) εἰκασίαν (534 a) Sophiste εἰκαστικὴν (235 d) εἰκαστικήν (236 b) εἰκαστικὴν (236 c) εἰκαστικήν (264 c) εἰκαστικόν (266 d)

4 Dans le Parmeacutenide il sagit du terme ὁμοιώματα qui est plutocirct rare dans le corpus platonicien Cratyle ὁμοιώματι (434 a) Lois VII ὁμοιώματα (812 c) Parmeacutenide ὁμοιώματα (132 d)ὁμοιώματα (133 d) Phegravedre ὁμοίωμα (250 a) ὁμοιώμασιν (250 b) Notons que lὁμοίωμα et lεἰκασία semblent synonymes

5 Cf laquo Le discours eacutecrit sur un rouleau de papyrus peut ecirctre assimileacute agrave une image peinte dautantplus facilement que le cest le mecircme verbe γράφειν qui deacutesigne en grec ancien lacte deacutecrire et celui de peindre raquo (Brisson Luc laquo Annexe 1 Phegravedre 278 b - c raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 74 ndash 76 p 74)

6 Il existe trois versions de La chambre agrave coucher par rapport celle du Museacutee dOrsay les deux autres semblent moins abouties en terme de couleur

166

pourrait seacutelever agrave une centaine de millions deuros celon la cote de lartiste Aucun

lit particulier ne pourrait coucircter aussi cher Ce lit inutile coucircte donc plus cher quun

lit utile tel est le charme de limage Certes il nest pas tout agrave fait inutile du moins

cette œuvre de Van Gogh constitue un objet de grande valeur pour le Museacutee dOrsay

mais il nest pas utile en tant que lit dans sa fonction propre puisquil est entiegraverement

deacutepourvu de toute fonction dun lit particulier

En effet un lit particulier est une image du Lit dont un dieu est lauteur et un lit

peint est lui aussi une image La question se pose ainsi agrave leacutegard de la veacuteriteacute

pourquoi Socrate accorde-t-il agrave un lit particulier plus de place quagrave un lit peint alors

que tous les deux sont images Le Lit est une forme unique il a le mecircme statut que

la veacuteriteacute Cest pourquoi laquo le fabricant de lits ne produit pas la forme (εἶδος) qui est ce

quest le lit mais un lit particulier raquo1 Puisque le dieu qui laquo a produit ce lit qui est par

nature unique raquo (laquo μίαν φύσει αὐτὴν ἔφυσεν raquo)2 Mais que doit-on entendre par ce

lit divin qui est une forme unique Le lit se dit diffeacuteremment dans des diffeacuterents

langues en grec cest ἡ κλίνη en franccedilais le lit et ainsi de suite dans les autres

langues Autrement dit chaque langue a son propre nom pour deacutesigner le lit mais

quelque soit le nombre de mots diffeacuterents ils deacutesignent tous la mecircme fonction qui est

propre au lit universellement la mecircme Cest cette fonction propre qui est lœuvre

dun dieu (θεὸν ἐργάσασθαι3) Par la suite quand un menuisier fabrique un lit

particulier cest cette fonction propre du lit quil reacutealise Par conseacutequent si lon

considegravere ce lit particulier comme lopinion dun menuisier cest une opinion droite

puisque la fonction propre du lit correspond agrave la veacuteriteacute cest-agrave-dire agrave la fonction

propre telle quun dieu la deacutefnie comme nature unique du Lit

Par contre lorsque le peintre peint un lit dans son tableau celui-ci est deacutepourvu de

toute fonction propre du lit En dautres termes le lit peint est une imitation de

lapparence mecircme si lart de cette imitation est excellent alors quun lit particulier

fabriqueacute par un menuisier est une imitation de la veacuteriteacute De mecircme un lit peint est

aussi une opinion mais une opinion fausse puisquil ne dit pas la veacuteriteacute du lit Si le

Lit est lœuvre dun dieu il nest pas absurde de penser que la Peinture elle aussi est

lœuvre dun dieu La question se pose quelle est la fonction propre de la peinture

cest-agrave-dire la nature unique de la peinture Tant que lartiste nest pas capable de

reacutepondre agrave cette question il ne peut eacuteviter de fabriquer des opinions fausses Cest en

1 Reacutepublique X 5976 e ndash 597 a2 Ibid 597 d3 Ibid 597 b

167

ce sens que Socrate ne critique pas lart de la peinture mais les mauvais peintres les

mauvais imitateurs et non limitation en tant que telle Limitation doit en effet avoir

sa fonction propre par exemple les enfants commencent par imiter Cest la raison

pour laquelle devant les enfants les adultes en geacuteneacuteral et les parents en particulier

doivent avoir un comportement responsable Imiter cest aussi le moyen de devenir

meilleur En effet si lon peut devenir meilleur par son propre moyen on na nul

besoin dimitation ce qui nest pas le cas pour beaucoup mais on peut imiter les

sages afn de devenir meilleur De plus on peut bien imiter les reacutealiteacutes veacuteritables par

la peinture ou par la poeacutesie nest-ce pas en ce sens que lart conceptuel faisait un pas

Autrement dit ce que Socrate critique dans la premiegravere partie du livre X de la

Reacutepublique cest que limitation laquo nous tient eacuteloigneacutes de la reacutealiteacute veacuteritable raquo laquo et nous

aliegravene raquo1 parce quelle nimite pas la veacuteriteacute mais lapparence Et surtout limitation

dapparence exerce une infuence importante sur lesprit humain notamment dans

les domaines de lart et de la poeacutesie qui sont des instruments indispensables de

leacuteducation Dailleurs le fait que les enfants en geacuteneacuteral seraient beaucoup plus

sensibles agrave lart conceptuel que les adultes montre que leacuteducation joue un rocircle

important dans lorientation de la sensibiliteacute dans leacuteducation traditionnelle on

trouvait peu denseignements relatifs agrave lart conceptuel comme si leacuteducation eacutetait un

moyen de priver les enfants de la sensibiliteacute conceptuelle

IV212 Eacutecriture

Agrave la fn du Phegravedre Socrate compare le discours eacutecrit agrave la peinture laquo Car agrave mon avis

ce quil y a de terrible Phegravedre cest la ressemblance quentretient leacutecriture avec la

peinture raquo2 Mais cela ne doit pas effacer la diffeacuterence entre leacutecriture et la peinture

dimitation dont parle Socrate dans le livre X de la Reacutepublique En effet le texte est

une image du discours de lacircme3 alors que la peinture dimitation est une image

dune apparence du monde sensible Dailleurs dans le cas de trois lits il y a trois

types dἔργον diffeacuterents effectueacutes par trois vivants diffeacuterents Le dieu implante une

fois pour toute la nature unique du Lit4 cest-agrave-dire la fonction propre du lit le

fabricant peut fabriquer autant des lits particuliers que besoin et fnalement le

1 Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon 1 Paris Vrin Sous la direction de Monique Dixsaut 2005 pp 25 ndash 41 p 34

2 Phegravedre 275 d3 Ibid 276 a4 Implanter (ἐργάζεσθαι) signife laquo mettre en œuvre raquo au sens ougrave le dieu en est auteur mais

laquo auteur raquo ne signife pas qui aurait fabriqueacute la Forme car elle ne se fabrique nullement Cf Luc Brisson laquo Divin planteur raquo KAIROS ndeg 19 2002 pp 31 ndash 48

168

peintre peut en peindre autant quil veut Agrave linverse le texte et son modegravele agrave savoir

le discours de lacircme relegravevent du mecircme auteur Nous ne distinguons ici que deux

niveaux et non trois Ougrave se cache un autre niveau Pourquoi la mecircme personne ne

parvient-elle pas agrave produire un texte fdegravele au discours de sa propre acircme Lagrave le

Phegravedre peut eacuteclairer la question

laquo Le Phegravedre est un dialogue si divers dans son fond (thegravemes de lamour de lacircme de

la rheacutetorique de leacutecriture) comme dans sa forme (dialogues discours descriptions

mythes priegraveres) et tellement travailleacute que lun des problegravemes majeurs quil soulegraveve

est preacuteciseacutement celui de son uniteacute Problegraveme insoluble si on ne tient pas compte agrave la

fois de laspect dramatique et de laspect doctrinal qui dans le Phegravedre plus que dans

tout autre dialogue sont indissociables raquo1 Cette indissociabiliteacute du dialogue se

manifeste degraves la premiegravere phrase

Socrate Phegravedre mon ami ougrave vas-tu et dougrave viens-tu

Phegravedre vient de passer aupregraves du maicirctre de la rheacutetorique Lysias laquo plusieurs heures

daffleacutee raquo il tient encore dans sa main gauche sous son manteau le discours eacutecrit de

Lysias sur lamour au moment ougrave il croisa Socrate2 laquo toi tu cherches la position que

tu imagines ecirctre la meilleure pour lire et quand tu lauras trouveacute lis raquo3 En dautres

termes le discours eacutecrit de Lysias est lorigine du Phegravedre et ce nest pas par hasard

que le dialogue se termine par une critique de leacutecriture Ainsi on pourrait dire que

leacutecriture est le sujet du Phegravedre la rheacutetorique lobjet lacircme lenjeu

laquo Quest-ce que la culture sinon un systegraveme speacutecifque dactes de communication raquo4

La culture pour ainsi dire simplement cest la communication Parler publier cest

ecirctre entendu ecirctre lu eacutequivaut agrave communiquer peu importe si lon a vraiment

quelque chose agrave dire puisque lexistence se caracteacuterise degraves lors par la

communication Par conseacutequent la question deffcaciteacute se pose dembleacutee autrement

dit la rheacutetorique devient ineacutevitablement dune grande importance dans la

communication De mecircme pour leacutecriture qui est une technique ou un moyen de

communication Cest lagrave que se trouve le problegraveme En effet dans une

communication il y a dun cocircteacute leacutemetteur de lautre les reacutecepteurs Un art de la

communication est jugeacute effcace ou non par rapport aux effets produits chez les

1 Ibid laquo Introduction raquo p 13 ndash 142 Phegravedre 228 d3 Ibid 230 e4 Brisson Luc laquo Mythe eacutecriture philosophie raquo La connaissance de la raison en Gregravece Paris PUF Sous

la direction de J-F Matteacutei 2006 [1990] pp 49 ndash 58 p 49

169

reacutecepteurs Or tout effet peut ecirctre agrave la limiteacute faste ou neacutefaste ou entre les deux Dougrave

la neacutecessiteacute de savoir ce quest lacircme si lon ne connaicirct pas lacircme on ne peut savoir

ce qui est bon (faste) ou mauvais (neacutefaste) pour elle car tout discours sadresse agrave

lacircme et non au corps

Nous lavons vu dans le chapitre II la tripartition de lacircme est une structure

fonctionnelle Les parties de la structure fonctionnent plus ou moins bien

deacutependamment du type de vie incarneacutee par exemple pour lespegravece humaine il existe

neuf cateacutegories1 Les fonctions de ces trois parties sont respectivement rationnelle

Ardente et deacutesirante la premiegravere sattache au monde intelligible les deux derniegraveres

sont lieacutees au monde sensible Plus preacuteciseacutement laquo la partie Ardente (θυμός) assure les

fonctions de deacutefense et la partie deacutesirante (ἐπιθυμία) assure les fonctions de

nutrition et de reproduction raquo2 tandis que la partie rationnelle dans la vie incarneacutee

consiste agrave commander aux deux parties infeacuterieures en contemplant les reacutealiteacutes

intelligibles Cela eacutetant le fait de savoir si un discours de lacircme dit la veacuteriteacute ou non se

traduit par le fait de savoir si la partie rationnelle fonctionne comme il faut cest-agrave-

dire comme ce que la fonction propre de la partie rationnelle exige agrave savoir

lintellection Rappelons que lacircme est immortelle dans son eacutetat pur elle a vu la

veacuteriteacute Cela lui garantit la condition decirctre rationnel Ainsi nous distinguons trois

niveaux du texte agrave savoir la veacuteriteacute ou la reacutealiteacute veacuteritable le discours de lacircme et le

texte Autrement dit le discours de lacircme imite la veacuteriteacute et le texte imite le discours

de lacircme tous les deux sont images mais leur fonction propre est diffeacuterente Le

discours de lacircme est un instrument de la rationaliteacute tel un pilote il faut naviguer

pour perfectionner son commandement alors que le texte est un instrument de

leacuteducation

les discours qui servent agrave lenseignement qui sont prononceacutes pour instruire et qui sont en reacutealiteacute eacutecrits dans lacircme ougrave ils parlent du juste du beau et du bien sont les seuls agravecomporter clarteacute et perfection et agrave meacuteriter decirctre pris au seacuterieux 3

Le but de lenseignement consiste agrave instruire agrave entraicircner lacircme vers le haut puisque

le Bien se trouve hors du ciel4 cest-agrave-dire encore plus haut que les hauteurs du ciel

laquo ougrave la race des dieux a eacutetabli sa demeure raquo5 Si ces conditions ne sont pas remplies

1 Voir Phegravedre 248 d ndash e2 Brisson Luc laquo Perception sensible et raison dans le Timeacutee raquo Interpreting the Timaeus mdash Critias

Sankt Augustin Academia Verlag IPS 9 Tomaacutes Calvo and Luc Brisson (eacuteds) 1997 pp 307 ndash 316 p 308

3 Phegravedre 278 a4 Ibid 247 b5 Ibid 246 d

170

aucun discours eacutecrit nest neacutecessaire En conclusion laquo leacutecriture est un moyen de

linformation elle nassure daucune faccedilon la connaissance effective de cette

information raquo1 Parce que leacutecriture produit une image de limage elle est fgeacutee alors

que le discours de lacircme est animeacute

Agrave la diffeacuterence des matheacutematiques qui sont absolument preacutecises cest-agrave-dire sans

ambiguiumlteacute aucune le langage naturel est ambigu dautant plus quand il sagit dun

discours eacutecrit 1 ambiguiumlteacute morphologique face agrave une suite continue de lettres

majuscules sans accent ni ponctuation la combinaison issue de la deacutecoupe en une

suite de mots pour former une phrase est multiple 2 ambiguiumlteacute syntaxique 3

ambiguiumlteacute seacutemantique 4 ambiguiumlteacute pratique (le fait quun nouveau-neacute apprend agrave

parler puis agrave eacutecrire et agrave lire montre que la maicirctrise naturelle du langage relegraveve de la

pratique) Les diffeacuterents courants du platonisme montrent que cette ambiguiumlteacute

langagiegravere sapplique eacutegalement aux textes de Platon en effet le mecircme texte

platonicien bien que rigoureusement eacutelaboreacute construit et reacutedigeacute ne donne pas la

mecircme lecture car chaque lecteur de Platon porte ses propres lunettes culturelles

Cest pourquoi dans la lecture des dialogues platoniciens luniteacute est primordiale

sans quoi ils peuvent avoir de nombreuses interpreacutetations

IV213 Sensible

Toute chose sensible est source de sensation et par conseacutequent source dopinion

Comme toutes les choses sensibles sont les images des paradigmes (παραδείγματα)

le mecircme paradigme donne le mecircme type des images Mais il ny a que deux types de

paradigmes les paradigmes qui deacutesignent les reacutealiteacutes veacuteritables et ceux qui deacutesignent

les choses sensibles De la sorte il y a neacutecessairement deux types de choses sensibles

celles qui sont les images des reacutealiteacutes veacuteritables et celles qui sont les images des

images Dans ce passage du Parmeacutenide les paradigmes deacutesignes les formes

intelligibles

Socrate Eh bien cette solution-lagrave reprit Socrate nest pas raisonnable non plus Mais voici Parmeacutenide ce qui me semble agrave moi ecirctre la meilleure explication Alors que les Formes sont comme des modegraveles (παραδείγματα) qui subsistent dans la nature les autres choses entretiennent avec elles un rapport de ressemblance et en sont les copies (ὁμοιώματα) en outre la participation que les autres choses entretiennent avec les Formes na pasdautre explication que celle-ci elles en sont les images (εἰκασθῆναι)2

1 Phegravedre laquo Introduction raquo p 602 Ibid 132 c ndash d Notons que le substantif laquo ὁμοίωμα raquo est rare dans le corpus platonicien Cratyle ὁμοιώματι (434 a) Lois VII ὁμοιώματα (812 c) Parmeacutenide ὁμοιώματα (132 d) ὁμοιώματα (133 d) Phegravedre ὁμοίωμα (250 a) ὁμοιώμασιν (250 b)

171

Lapparition du terme παράδειγμα dans le corpus platonicien est assez importante

mais particuliegraverement concentreacutee sur les dialogues tardifs1 Lusage des paradigmes

semble deacutemonstratif le but consiste agrave faire voir si lon a raison ou tort Il sagit dune

meacutethode dialectique nous en parlerons dans le dernier chapitre laquo La dialectique raquo ici

nous donnons simplement un exemple pour illustrer la puissance de lusage des

paradigmes Apregraves le discours de Protagoras dans le dialogue qui porte son nom

Socrate demande agrave Protagoras si les diffeacuterentes vertus laquo ne sont que les noms dune

mecircme reacutealiteacute unique raquo2 Le sophiste reacutepond que la vertu est chose unique et que ses

parties sont les vertus Mais de quelle maniegravere Agrave la maniegravere des parties du visage

ou agrave la maniegravere de lor Pour Protagoras cest agrave la maniegravere du visage Or les organes

des sens ont chacun leur fonction speacutecifque lun nest pas lautre

Est-ce quil nen est pas de mecircme pour les parties de la vertu lune nest pas telle que lautre ni en elle-mecircme ni pour ce qui est de sa capaciteacute (δύναμις) Nen est-il pas ainsi de toute eacutevidence si elle ressemble agrave son modegravele (παραδείγματι)3

Ici le παραδείγματι deacutesigne le modegravele fourni par le visage et ses parties Si ce modegravele

dit la veacuteriteacute cela signife que les vertus ne sont pas de la mecircme nature car laquo la φύσις

dune chose est reacuteveacuteleacutee par sa δύναμις raquo4 autrement dit une δύναμις diffeacuterente

correspond agrave une nature diffeacuterente Par conseacutequent dapregraves le paradigme de la vertu

proposeacute par Protagoras il est ineacutevitable darriver agrave cette conclusion quelque peu

absurde on peut bien ecirctre courageux sans ecirctre juste dailleurs cest la thegravese de

Protagoras5

Ce terme δύναμις (puissance) caracteacuterise les choses sensibles En effet si une chose

sensible na aucune puissance de communiquer de se manifester aucune sensation

de cette chose nest possible mecircme si lon a les meilleurs organes des sens6 Or toute

1 Alcibiade [1] 132 d Apologie [1] 23 b Euthydegraveme [1] 282 d Euthyphron [1] 6 e Gorgias [4] 525 b 525 c 525 c 525 d Lachegraves [1] 187 a Lettre VII [1] 332 b Lois I [1] 632 e Lois II [1] 663 e Lois III [1] 692 c Lois IV [1] 722 a Lois V [3] 735 c 739 e 746 b Lois VII [6] 794 e 795 a 801 b 811 b 811 c 811 d Lois IX [3] 855 a 862 e 876 e Lois XI [1] 927 d Lois XII [1] 961 e Meacutenon [2] 77 a 79 a Parmeacutenide [1] 132 d Phegravedre [3] 262 c 262 d 264 e Philegravebe [3] 13 c 53 b 53 c Politique [14] 275 b 277 b 277 d 277 d 277 d 278 b 278 c 278 e 278 e 278 e 279 a 279 a 287 b 305 e Protagoras [2] 326 c 330 b Reacutepublique III [3] 409 b 409 c 409 d Reacutepublique V [3] 472 c 472 d 472 d Reacutepublique VI [2] 484 c 500 e Reacutepublique VII [2] 529 d 540 a Reacutepublique VIII [3] 557 e 559 a 561 e Reacutepublique IX [1] 592 b Reacutepublique X [2] 617 d 618 a Sophiste [6] 218 d 221 c 226 c 233 d 235 d 251 a Theacuteeacutetegravete [3] 154 c 176 e 202 e Timeacutee [12] 24 a 28 a 28 b 28 c 29 b 31 a 37c 38 b 38 c 39 e 48 e 49

2 Protagoras 329 d3 Ibid 330 a ndash b4 Brisson Luc laquo Luniteacute du Phegravedre de Platon raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 135 ndash 155 p

1405 Voir Protagoras 329 e6 Cf L Brisson laquo Perception sensible et raison dans le Timeacutee raquo particuliegraverement ce passage laquo La

sensation est affaire de communication Ce qui est communiqueacute cest la proprieacuteteacute que manifeste un

172

puissance peut ecirctre positive ou neacutegative La question se pose comment faire la part

entre les choses sensibles positives et celles neacutegatives en dautres termes celles qui

sont bonnes et celles qui sont mauvaises pour lacircme Il est eacutevident que sont bonnes

pour lacircme les choses sensibles qui sont les images des reacutealiteacutes veacuteritables car elles

sont en harmonie avec la partie rationnelle de lacircme puisque la partie rationnelle

reconnaicirct le paradigme de ces images quest la reacutealiteacute veacuteritable Il est aussi eacutevident

que sont mauvaises pour lacircme les choses sensibles qui sont les images des images

car elles sont en disharmonie avec la partie rationnelle de lacircme puisque la partie

rationnelle ne peut reconnaicirctre le paradigme qui est en reacutealiteacute une certaine image et

non la reacutealiteacute veacuteritable

IV22 Croyance

Le substantif πίστις (croyance) nest pas freacutequent dans le corpus platonicien1 il est

connu pour sa preacutesence sur la fameuse Ligne de παθήματα agrave la fn du livre VI de la

Reacutepublique2 Le terme παθήματα deacutesigne quatre types dactiviteacutes de lacircme humaine

nommeacutes respectivement νόησις (intellection) διάνοια (penseacutee) πίστις (croyance) et

εἰκασία (repreacutesentation) La croyance signife le fait de croire quelque chose sans

savoir ou la confance agrave quelque chose que lon ne connaicirct pas en reacutealiteacute

βούλει οὖν δύο εἴδη θῶμεν πειθοῦς τὸ μὲν πίστιν παρεχόμενον ἄνευ τοῦ εἰδέναι τὸ δ ἐπιστήμην3

Dans ce cas veux-tu que nous posions quil existe deux formes de convictions lune qui permet de croire sans savoir et lautre qui fait connaicirctre

objet par lintermeacutediaire dun mouvement qui trouve sa source agrave lexteacuterieur Et la transmission de ce mouvement se fait de faccedilon meacutecanique de partie en partie par une circulation agrave travers le vivant en son entier corps et acircme En effet le destinataire fnal de ce processus de transmission est la partie rationnelle de lacircme raquo (p 311)

1 Critias πίστιν (117 d) πίστεις (119 d) Gorgias πίστις (454 d) πίστις (454 d) πίστιν (454 e) Lois III πίστεων (701 c) XII πίστιν (966 c) πίστιν (966 d) Pheacutedon πίστεως (70 b) Phegravedre πίστεις (256 d) πίστιν (275 a) Philegravebe πίστεως (50 c) Reacutepublique VI πίστει (505 e) πίστιν (511 e) VII πίστιν (534 a) πίστιν (534 a) X πίστιν (601 e) Timeacutee πίστιν (29 c) πίστεις (37 b)

2 Nous avons parleacute de cette ligne dans l laquo Introduction raquo En fait agrave la fn du livre VI Socrate dit ceci laquo Et maintenant adjoins agrave notre quatre sections les quatre παθήματα raquo ils sont dans lordre lintellection la penseacutee la croyance et la repreacutesentation cest une faccedilon de nommer les quatre sections de la fameuse ligne Cela eacutetant chacun de ces quatre noms est un πάθημα le terme est assez preacutesent dans le corpus platonicien mais sa preacutesence est tregraves singuliegravere car il est absent dans la moitieacute des dialogues et particuliegraverement preacutesent dans le Philegravebe et le Timeacutee Voici la liste Alcibiade [2] 109 a 116 e Banquet [1] 189 d Gorgias [4] 481 d 483 b 524 b 524 d Hippias majeur [1] 300 b Hippias mineur [1] 372 e Lettre VII [1] 342 d Lois I [2] 632 a 648 b Lois III [3] 681 d 687 e 695 e Lois IV [1] 708 b Lois VI [1] 777 c Lois VII [1] 812 c Lois IX [3] 859 e 860 b 866 b Lois X [1] 894 c Parmeacutenide [1] 157 b Pheacutedon [2] 79 d 103 a Phegravedre [1] 271 b Philegravebe [13] 35 c 35 c 35 c 36 a 39 a 39 a 41 c 42 a 47 c 50 d 52 b 52 b 54 e Politique [3] 270 d 270 e274 a Protagoras [2] 353 a 357 c Reacutepublique II [1] 382 b Reacutepublique III [1] 388 d Reacutepublique V [1] 462 c Reacutepublique VI [2] 504 c 511 d Reacutepublique IX [1] 577 c Reacutepublique X [2] 602 d 610 b Sophiste [4] 228 e 248 b 248 d 252 b Theacuteeacutetegravete [2] 186 c 186 d Timeacutee [18] 43 b 44 a 57 c 61 c 61 d 61 d 62 a 63 e 64 a 64 d 65 b 65 c 67 b 67 e 69 d 80 c 84 e 88 e

3 Gorgias 454 e

173

Dans ce passage la croyance soppose agrave la science cest-agrave-dire lἐπιστήμη ou la

μάθησις eacutevoqueacute un peu plus tocirct1 La diffeacuterence reacuteside dans le fait que la croyance

peut bien ecirctre fausse ou vraie et donc il existe donc deux croyances la vraie et la

fausse (πίστις ψευδὴς καὶ ἀληθής)2 Si lon considegravere que limage est source de la

sensation actuelle la croyance trouve sa source dans des sensations du passeacute cest-agrave-

dire dans la meacutemoire ainsi la sensation actuelle nest pas seacutelective mais la croyance

lest puisque la meacutemoire est seacutelective Nous examinons ici trois formes de croyance

agrave savoir la croyance aux folies divines au logos et aux biens particuliers afn de

comprendre pourquoi fait-on confance agrave telle chose et non pas agrave telle autre

IV221 Croyance agrave la folie divine

Au deacutebut du second discours sur lamour dans le Phegravedre Socrate liste quatre formes

de folie divines agrave savoir la mantique (lart de la divination) la teacutelestique (lart non-

meacutedical de deacutelivrer des gens de leurs maladies) la poeacutetique (linspiration des Muses)

et leacuterotique (laspiration au savoir) Mais on ne peut connaicirctre les folies divines que

par la croyance dans la mesure ougrave elles sont dispenseacutees par les dieux car les dieux ne

disent pas la veacuteriteacute par le discours mais par limplantation de la veacuteriteacute3 or lecirctre

humain ne peut connaicirctre la veacuteriteacute sans discours Certes la reacuteminiscence permet de

connaicirctre la veacuteriteacute mais elle est le reacutesultat des discours rigoureux de lacircme

Quand on est alleacute interroger loracle particuliegraverement loracle de Delphes cest parce

quon a la croyance en la Pythie laquo Agrave leacutepoque classique Delphes ougrave preacutesidait

Apollon eacutetait la reacutefeacuterence suprecircme en matiegravere doracle le site lui-mecircme eacutetait censeacute

se trouver au centre du monde lequel eacutetait mateacuteriellement symboliseacute par lὀμφαλός

(la pierre sacreacutee consideacutereacutee comme son nombril) Les reacuteponses oraculaires eacutetaient

profeacutereacutees par la Pythie qui formulait dans un eacutetat de transe eacutetat dont on narrive pas

agrave deacuteterminer la cause avec certitude raquo4 Pourquoi accordait-on une telle croyance agrave

loracle de Delphes Pourquoi la Pythie rencontrait-elle une telle adheacutesion

pheacutenomeacutenale Cest sans doute parce quelle disait la veacuteriteacute Cest aussi et surtout

parce que beaucoup de gens ne se connaissaient pas eux-mecircme En effet le vrai sage

nira pas consulter une diviniteacute pour savoir ce quil doit faire ou ne pas faire 5 car

1 Ibid 454 d laquo Πότερον οὖν ταὐτὸν δοκεῖ σοι εἶναι μεμαθηκέναι καὶ πεπιστευκέναι καὶ μάθησις καὶ πίστις ἢ ἄλλο τι raquo (laquo Bon agrave ton avis savoir et croire est-ce pareil Est-ce que savoir etcroyance sont la mecircme chose Ou bien deux choses diffeacuterentes raquo)

2 Ibid3 Cf Brisson Luc laquo Le divin planteur raquo Kairos ndeg 19 2002 pp 31 ndash 484 Phegravedre laquo Notes raquo ndeg 151 p 2075 En terme de temps la mantique soccupe du futur la teacuteleacutestique du passeacute la poeacutetique du passeacute-

174

dune part il se connaicirct justement lui-mecircme et si un dieu a quelque chose agrave lui

communique agrave laide dun signe il est capable de saisir le vrai sens de ce signe divin

Le paradoxe semble eacutetonnant Agrave leacutepoque classique Athegravenes eacutetait le centre

intellectuel du monde cependant lagrave aussi la divination eacutetait prospegravere des Atheacuteniens

ne se fatiguaient pas daller agrave Delphes pour consulter la Pythie cest ce qua fait

Cheacutereacutephon ami denfance de Socrate Dailleurs la question de la divination est une

cause de la mort de Socrate puisquil avait la faveur dun dieu qui lui faisait souvent

un signe Diffcile de dire si la performance de la Pythie eacutetait une cause qui favorisait

lignorance mais elle renforcerait la croyance agrave loracle de Delphes de mecircme pour la

teacutelestique la poeacutetique et leacuterotique (oui la philosophie peut bien devenir une source

de croyance) En veacuteriteacute les folies divines en tant que telles sont de bonnes choses

mais lorsquelles deviennent des croyances cest plutocirct une mauvaise chose non pas

que la folie divine est une mauvaise chose mais la croyance lest En effet lhomme

nest pas infaillible mecircme Homegravere dit de choses meacuteritant decirctre critiqueacutees cela eacutetant

en gagnant de la croyance on peut bien faire confance au mensonge

IV222 Croyance au λόγος

Faire confance agrave dautres est une chose normale il est inimaginable que dans une

socieacuteteacute humaine il ny ait point de confance Mais si lon accorde une confance

excessive on risque de fnir par devenir misanthrope

Agrave ne pas nous mettre agrave haiumlr les raisonnements (μισόλογοι) comme certains se prennent agrave haiumlr les hommes (μισάνθρωποι) Car il nexiste pas de plus grand mal dit-il que decirctre en proie agrave cette haine des raisonnements Or toutes deux misologie et misanthropie naissent de la mecircme faccedilon Voici comme sinsinue en nous la misanthropie on accorde agrave quelquun son entiegravere confance sans secirctre donneacute aucun moyen de le connaicirctre (ἐνδύεταιἐκ τοῦ σφόδρα τινὶ πιστεῦσαι ἄνευ τέχνης) on le tient pour un homme parfaitement loyal droit digne de confance (πιστόν) quon lui porte et on ne tarde pas agrave deacutecouvrir quil ne vaut rien quon ne peut sy fer (ἄπιστον) Et on recommence avec un autre Quand on fait plusieurs fois cette expeacuterience surtout quand on a eacuteteacute victime de ceux quon tenait pour ses amis les plus proches on fnit agrave force de deacuteceptions par deacutetester tous les hommes et par estimer quen aucun cas il ny a rien de rien qui vaille quelque chose 1

Ici Socrate fait le parallegravele entre la misologie et la misanthropie si on fait son entiegravere

confance agrave certains raisonnements sans raisonner par soi-mecircme on fnira par haiumlr les

discours Agrave vrai dire un raisonnement se fait pour faire raisonner et non pas pour

futur et leacuterotique se preacuteoccupent de ce qui se trouve hors du temps cf Luc Brisson laquo Du bon usage du deacuteregraveglement raquo Divination et rationaliteacute Paris Seuil 1974 pp 220 ndash 248 p 226

1 Pheacutedon 89 d

175

faire croire cest en ce sens que lauteur dun discours a sa part de responsabiliteacute dans

la misologie les sophistes ayant une mauvaise reacuteputation en partie parce quils

faisaient croire quils eacutetaient maicirctres des discours Quant aux misologues incapables

de raisonner ils nont pas dautre choix que de faire confance agrave certains

raisonnements des autres dont ils int besoin La vie est dure si lon ne sait pas

raisonner ni ne fait confance agrave aucun raisonnement eacutetabli par les autres dont on a

besoin En effet laquo dextrecircmement bons comme extrecircmement mauvais il y en a tregraves

peu et que la grande majoriteacute se situe entre ces deux extrecircmes raquo1 peut-ecirctre seuls ces

deux extrecircmes nauraient pas besoin des raisonnements dautres Le blanc na pas

besoin du noir pour ecirctre blanc le noir non plus mais le gris a besoin des deux pour

ecirctre gris Cela eacutetant la majoriteacute des gens ne peut sempecirccher de faire confance aux

discours des autres Or un raisonnement ou un discours peut se reacuteveacuteler vrai ou faux

si laquo on accorde son entiegravere confance agrave un raisonnement (πιστεύσῃ λόγῳ) et agrave le

tenir pour vrai on ne tarde pas agrave juger quil est faux il peut lecirctre en effet comme il

ne peut pas lecirctre raquo2 Ici on voit bien que le λόγος a le mecircme statut que lopinion il

peut ecirctre vrai comme faux mecircme si le faux λόγος est produit par un raisonnement

alors quune opinion mecircme vraie est deacutepourvue de raisonnement Mais chez certains

philosophes particuliegraverement chez Heidegger le λόγος a le mecircme statut que la

veacuteriteacute laquo Or le deacutevoilement est lἈλήθεια Celle-ci et le Λόγος sont une mecircme

chose raquo3

IV223 Croyance aux biens particuliers

Il est tout agrave fait senseacute de consideacuterer les choses utiles avantageuses comme un bien

mais ce sont alors des biens particuliers Agrave ce titre que les choses avantageuses ne

sont pas neacutecessairement justes et les choses justes sont neacutecessairement avantageuses

Mais la croyance traditionnelle sur le sujet semble dire le contraire

Alcibiade Je pense Socrate que les Atheacuteniens et les autres Grecs deacutelibegraverent rarement de ce qui est plus juste ou injuste ils pensent que ce sont lagrave des eacutevidences Ainsi laissant cesconsideacuterations ils examinent ce quil conviendra de faire Je pense que les choses justes ne sont pas identiques aux choses avantageuses mais il a eacuteteacute avantageux au grand nombre de commettre de grandes injustices et pour dautres je crois qui ont œuvreacute dans le juste cela na pas eacuteteacute avantageux4

1 Ibid 90 a2 Ibid 90 b3 Heidegger Martin laquo Logos (Heacuteraclite fragment 50) raquo Essai et confeacuterences Paris GallimardTel

1958 pp 249 ndash 278 p 2674 Alcibiade 113 c ndash d Nous soulignons

176

Ici laquo les choses avantageuses raquo deacutesignent les biens particuliers la richesse par

exemple Ce propos dAlcibiade est identique agrave celui tenu par Thrasymaque dans le

livre I de la Reacutepublique Nous avons en effet sept termes pour exprimer lutile et

lavantageux dans le corpus platonicien particuliegraverement concentreacutes dans les neuf

dialogues Voici le tableau de freacutequences

χρηστός ὠφέλιμος ὠφέλεια ὠφελεῖν χρήσιμος συμφέρον συμφέρειν

Alcibiade1 0 0 0 19

Charmide 5 23 2 1

Euthydegraveme 5 10 2 0

Gorgias 9 21 3 2

Hippis Majeur 0 18 15 0

Lois VII 0 5 8 1

Meacutenon 0 30 1 0

Phegravedre 2 11 1 3

Reacutepublique I2 5 26 12 47

On peut constater que lemploi de ces termes est particuliegraverement regroupeacute dans

lAlcibiade et dans le livre I de la Reacutepublique En effet ce passage de lAlcibiade renvoie

au livre I de la Reacutepublique ougrave dans un premier temps il sagit de la question

davantage Pour le vieux et riche Ceacutephale laquo quand le moment est venu de partir lagrave-

bas sereinement agrave tout cela la possession des richesses peut contribuer pour une

large part Elle preacutesente eacutegalement dautres avantages mais si on eacutevalue les uns et les

autres je dirais pour ma part Socrate que la richesse nest pas le moindre pour un

homme reacutefeacutechi raquo3 Cest une croyance et non une connaissance de la reacutealiteacute car pour

ecirctre avantageux dans lHadegraves il faut plaire au dieu Or le dieu ne devrait pas avoir le

goucirct pour les richesses puisque laquo le dieu se nourrit dintellection et de connaissance

sans meacutelange raquo laquo dans la contemplation de la veacuteriteacute raquo4 Il est eacutevident quil faut ecirctre

juste pour plaire au dieu car

un dieu nest injuste daucune faccedilon sous aucun aspect mais entiegraverement juste au plus haut degreacute et il ny a rien qui lui soit plus semblable que celui dentre nous qui pourrait agrave

1 συμφέρον συμφέρειν 113 d 113 d 113 d 113 e 113 e 114 a 114 a 114 a 114 b 114 d 114 e 115 a 116 c 116 c 116 d 116 d 116 e 117 a 118 a

2 χρηστός 334 c 334 c 334 c 334 e 334e ὠφέλιμος ὠφέλεια ὠφελεῖν 332 d 332 e 334 b 334 b334 d 334 d 334 e 335 e 336 a 336 d 343 c 343 e 345 e 346 a 346 c 346 c 346 c 346 c 346 c 346 d 346 d 346 d 346 e 346 e 347 d 347 d χρήσιμος 331 b 332 e 333 a 333 a 333 b 333 b 333 c 333 c 333 d 333 d 333 d 333 e συμφέρον συμφέρειν 336 d 338 c 338 c 338 c 338 d 338 e 338 e339 a 339 a 339 a 339 b 339 c 339 d 339 d 340 a 340 b 340 b 340 b 340 b 340 c 340 c 341 a 341 b 341 d 341 d 341 d 341 e 342 a 342 a 342 b 342 b 342 b 342 c 342 c 342 d 342 e 342 e 342 e 343 c 343 c 344 a 344 c 344 c 346 b 346 e 347 d 347 e

3 Reacutepublique I 331 b4 Pheacutedre 247 d

177

son tour devenir le plus juste possible1

Sur la question de la justice Poleacutemarque prend le relais de son pegravere qui sen est alleacute

pour laquo soccuper des offrandes sacreacutees raquo2 Selon Poleacutemarque laquo Sil faut Socrate

reacutepondit-il ecirctre conseacutequent avec ce que nous venons de dire la justice rend aux amis

(φίλοις) et aux ennemis respectivement des biens et des maux raquo3 Ici au lieu de

deacutefnir lami (φίλος) par rapport agrave la justice (δικαιοσύνη)4 Poleacutemarque deacutefnit la

justice par rapport agrave lami Du coup dans sa deacutefnition de la justice les biens ne

deacutesignent pas les biens universels mais particuliers puisque les amis sont de gens

particuliers lamitieacute est une relation particuliegravere De telle sorte la justice est deacutefnie

pour ecirctre au service des amis et non les amis au service de la justice Cela eacutetant il est

absurde de penser que le fait de causer de linjustice aux ennemis soit justice car

comment se fait-il que la justice soit capable de causer du tort agrave qui que ce soit ami

ou ennemi En effet toute la question est de savoir laquo quentends-tu par amis raquo voici

la reacuteponse de Poleacutemarque laquo Il est naturel daimer ceux quon estime utile (οὓς ἄν τις

ἡγῆται χρηστοὺς φιλεῖν) et eacuteprouver de la haine agrave leacutegard de ceux quon juge

malhonnecirctes raquo5 De telle sorte lutile est ami par conseacutequent lutile est justice et non

pas la justice est utile On voit bien que la croyance en tant quopinion mecircme sil

sagit dune opinion droite est partielle alors que la justice au sens philosophique du

terme doit ecirctre totale elle est utile pour tous et dans tous les temps universellement

laquo en aucun cas il ne nous a sembleacute juste de faire du mal agrave qui que ce soit raquo6

Apregraves cette phrase Thrasymaque intervient mais il semble quil ne la pas entendue

puisque pour lui laquo le juste (τὸ δίκαιον) nest rien dautre que linteacuterecirct (συμφέρον) du

plus fort raquo7 En effet cette deacutefnition est semblable agrave celle de Poleacutemarque dans

laquelle lutile est la justice ici laquo cest donc linteacuterecirct Thrasymaque qui est le juste raquo8

Dans les deux cas lutiliteacute partielle (par rapport aux amis) ou linteacuterecirct partiel (par

rapport au plus fort) deacutefnit toujours la justice et non linverse Bien que

1 Theacuteeacutetegravete 176 b ndash c2 Reacutepublique I 331 d3 Ibid 332 d4 Les deux substantifs δικαιοσύνη δίκη sont absents dans le Lysis on y trouve une seule fois ladjectif δικαιότερος (207 d) lorsque Socrate demande agrave Meacutenexegravene laquo lequel de vous deux [Meacutenexegravene et Lysis] eacutetait le plus juste (δικαιότερος) et le plus savant raquo Labsence de reacuteponse agrave cette question estsubtile laquo Sur ces entrefaites quelquun sapprocha et ft lever Meacutenexegravene preacutetextant que le peacutedotribe le reacuteclamait raquo En effet ils eacutetaient encore trop jeunes (cf Lysis laquo Introduction raquo p 163 ndash 164) pour discuter de la question de la justice cest plutocirct des termes intermeacutediaires entre la justiceet la philia comme χρήσιμος ὠφέλεια ὠφέλιμος ὠφελεῖν par exemple qui leur convienaient

5 Reacutepublique I 334 c6 Ibid 335 e7 Ibid 338 c8 Ibid 339 a

178

Thrasymaque soit un laquo reacuteel contradicteur raquo1 tregraves proceacutedural cest-agrave-dire utilisant

certaines regravegles plus ou moins rigoureuses pour se deacutefendre ou mecircme attaquer2 ce

nest pas le cas pour Poleacutemarque bien que sa deacutefnition de la justice relegraveve du mecircme

acabit agrave savoir de la croyance ou de limagination deacutepourvue de valeur universelle

Cependant comme opinion la croyance est tregraves diffeacuterente de limage dimitation En

effet limage dimitation maintient un rapport plus ou moins eacutetabli avec le monde

sensible qui est une copie du monde intelligible Limitateur doit regarder un objet

sensible pour limiter alors que lobjet de la croyance est dans la meacutemoire imagineacute

En ce sens la croyance est infeacuterieure agrave limage dimitation mais limagination est

vecirctue dun caractegravere speacuteculatif cest-agrave-dire de la capaciteacute dabstraction elle est ainsi

plus proche de valeur universelle que limage cest en ce sens que la croyance est

supeacuterieure agrave limage

IV3 Τέχνη comme utiliteacute

Le terme τέχνη est abondamment preacutesent dans les dialogues platoniciens la

recherche dAnne Balansard sur le sujet semble exhaustive3 Ici nous examinons la

τέχνη sous langle de son utiliteacute

Socrate Tregraves bien mais mon cher Poleacutemarque le meacutedecin na guegravere dutiliteacute pour ceux qui ne sont pas soufrants

Poleacutemarque Cest vrai

Socrate Le pilote nest guegravere utile agrave ceux qui ne sont pas en mer

Tant que le corps humain ne peut eacutechapper agrave la maladie la meacutedecine a toujours son

utiliteacute Lhomme aime la musique il y a ainsi toujours des musiciens utiles pour les

meacutelomanes et des fabricants dinstruments utiles pour les musiciens Ainsi lutiliteacute

technique est un facteur important dans lameacutelioration de la performance dune

technique Travailler moins pour gagner plus exige neacutecessairement une performance

technique cest pourquoi dans le mecircme meacutetier la technique eacutevolue

consideacuterablement dans le temps sous limpulsion du deacutesir de gagner toujours plus

mais de travailler moins En ce sens la τέχνη a son aspect neacutegatif

Mais lutiliteacute dune technique deacutepend de la connaissance de lobjet technique de la

1 Reacutepublique laquo Introduction raquo p 202 Par exemple transformer une reacuteponse en question pour seacutevader de la diffculteacute au lieu de

deacutefendre une position le sophiste attaque en proposant de nouvelles choses afn de seacuteloigner de la position initiale indeacutefendable jouer sur le mot soit en sappuyant sur lambiguiumlteacute du mot soit en lui attribuant un sens nouveau faire un long discours agrave la place de reacuteponse

3 Balansard Anneacutee Technegrave dans les Dialogues de Platon mdash lempreinte de la sophistique Sankt Augustin Academia Verlag 2001

179

sensation et du temps

IV31 Lutiliteacute technique et la connaissance

Une technique est deacutefnie par son objet Par conseacutequent elle est aussi deacutefnie par la

connaissance de cet objet Or cette connaissance est elle-mecircme double agrave savoir la

connaissance qui porte sur son objet et la connaissance elle-mecircme

Socrate Tu dis vrai lui ai-je reacutepondu Je peux toutefois te montrer que chacune de ces sciences porte sur son objet qui est distinct de la science elle-mecircme Par exemple le calcul a pourobjet si je ne mabuse le pair et limpair et les relation que les nombres entretiennent avec eux-mecircmes et entre eux1

Si le nombre (rationnel irrationnel) est un objet du calcul quest-ce que le calcul lui-

mecircme Par exemple leacutequation C = 2πR permettant de calculer la circonfeacuterance dun

cercle est une connaissance elle-mecircme elle est indeacutependante de la valeur de la

variable R (rayon dun cercle) Autrement dit laquo 2πR raquo est une connaissance pure

laquo Ainsi le meacutedecin doit-il savoir ce quest un corps humain mais aussi connaicirctre les

reacutegimes et les remegravedes adeacutequats agrave la santeacute ainsi le fucirctiste doit-il savoir ce quest une

fucircte savoir quel est le bois le plus approprieacute agrave sa fabrication mais aussi en maicirctriser

lusage raquo2 Mais la bonne utiliteacute dune technique exige aussi une connaissance

eacutethique par exemple le fait de jouer au fucircte en pleine nuit dans lhabitation peut

deacuteranger les voisins au repos dans leur sommeil

IV32 Lutiliteacute technique et la sensation

Le rapport de la τέχνη agrave la sensation est un double rapport agrave lhomme et au sensible

Le menuisier connaicirct ses bois par la perception agrave travers certains organes des sens

comme par exemple le toucher la vue louiumle en tapant sur le bois sentant par le nez

De mecircme pour les autres meacutetiers Cela eacutetant la τέχνη ne consiste pas seulement agrave

produire car avant la production il faut connaicirctre neacutecessairement lobjet sensible (le

bois le corps humain le meacutetal et ainsi de suite) sur lequel on travaille mais aussi les

outils et surtout ce quest la chose agrave produire (le lit la santeacute le couteau par exemple)

Sans ces connaissances aucune qualiteacute de production ne peut ecirctre assureacutee quand

bien mecircme on deacutetient une bonne technique productive relevant eacutegalement de la

sensation Certes beaucoup de techniques productives modernes sont remplaceacutees par

des machines deacutepourvues de sensation nous en parlerons dans la prochaine sous-

section laquo Lutiliteacute technique et le temp raquo Cela eacutetant la τέχνη relegraveve agrave la fois de la

1 Charmide 166 a2 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 146

180

sensation et de la meacutemoire et donc de lopinion Cest pourquoi une τέχνη est laquo un

savoir se fondant sur lopinion dont lobjet est sensible qui est persuasive et agrave

laquelle peuvent effectivement participer tous les hommes raquo1 En dautres termes la

τέχνη lαἴσθησις et la δόξα cest-agrave-dire un jugement immeacutediat sont synonymes

Ainsi pour connaicirctre la τέχνη il est preacutefeacuterable dexaminer lαἴσθησις qui est

beaucoup moins preacutesente dans les dialogues platoniciens2 que les deux autres termes

τέχνη et δόξα Sa preacutesence se concentre surtout dans les cinq dialogues ougrave son

apparition est relativement bien regroupeacutee Voici les cinq dialogues Theacuteeacutetegravete3 Timeacutee4

Pheacutedon5 Philegravebe6 et Reacutepublique VII7

Agrave la question quest-ce que la science La premiegravere deacutefnition donneacutee par Theacuteeacutetegravete

est que la science nest rien dautre que la sensation8 qui est en veacuteriteacute exactement le

contraire de la science puisque la sensation est geacuteneacuteration

Σωκράτης

ἐγέννησε γὰρ δὴ ἐκ τῶν προωμολογημένων τό τε ποιοῦν καὶ τὸ πάσχον γλυκύτητά τε καὶ αἴσθησιν ἅμα φερόμενα ἀμφότερα καὶ ἡ μὲν αἴσθησις πρὸς τοῦ πάσχοντος οὖσα αἰσθανομένην τὴν γλῶτταν ἀπηργάσατο ἡ δὲ γλυκύτης πρὸς τοῦ οἴνου περὶ αὐτὸν φερομένηγλυκὺν τὸν οἶνον τῇ ὑγιαινούσῃ γλώττῃ ἐποίησεν καὶ εἶναι καὶ φαίνεσθαι9

Socrate

Eh bien agrave partir de ce que nous avons deacutejagrave accordeacute cest parce que lagent et le patient ont engendreacute la douceur et sa sensation toutes deux effectuant simultaneacutement une translation et la sensation dont lecirctre procegravede du patient a rendu sentante la langue tandis que agrave partir du vin ladouceur en translation autour de lui a fait le vin agrave la fois ecirctre et paraicirctre doux agrave la langue saine

Dans ce passage le participe singulier nominatif feacuteminin οὖσα est synonyme de

lοὐσία qui deacutesigne ici la reacutealiteacute γλυκύς (doux) Ici nous avons trois oppositions

entre douceur et doux entre sensation et reacutealiteacute entre paraicirctre et ecirctre Ces trois

1 Cf Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 124

2 Voici la liste de freacutequences Apologie 2 Charmide 5 Cratyle 2 Hippias majeur 2 Hippias mineur 1 Lettre II 1 Lettre VII 2 Lois I 1 Lois II 7 Lois X 4 Lois XI 1 Lois XII 6 Meacutenexegravene 1 Parmeacutenide 3 Pheacutedon 19 Phegravedre 6 Philegravebe 12 Politique 1 Protagoras 1 Reacutepublique II 1 Reacutepublique III 1 Reacutepublique V 1 Reacutepublique VI 5 Reacutepublique VII 12 Reacutepublique VIII 1 Sophiste 4 Theacuteeacutetegravete 67 Timeacutee 21 On peut constater que le terme αἴσθησις est presque absent dans les premiers dialogues

3 Theacuteeacutetegravete [67] 151 e 151 e 152 c 152 c 156 b 156 b 156 c 156 d 158 a 158 a 159 d 159 d 159 e 159 e 159 e 160 c 160 d 160 e 161 c 161 d 163 a 163 d 164 a 164 b 164 d 165 d 165 d 166 c 167 c 167 c 168 b 179 c 179 d 182 a 182 a 182 b 182 d 182 e 182 e 183 c 184 b 184 d 186 b 186 e 186 e 186 e 187 a 191 d 192 b 192 b 192 d 192 d 193 a 193 b 193 d 193 e 193 e 194 a 194 a 194 a 194 a 194 c 194 d 195 c 195 d 196 c 210

4 Timeacutee [21] 28 a 28 c 38 a 42 a 43 c 44 a 45 d 52 a 60 e 61 c 64 a 64 e 65 e 67 c 69 d 71 a 75 a 75 b 77 a 77 b 77 e

5 Pheacutedon [19] 65 b 65 d 66 a 73 c 75 a 75 a 75 b 75 b 75 b 75 e 76 a 76 d 79 a 79 c 79 c 83 a 96 b99 e 111 b

6 Philegravebe [12] 33 c 34 a 34 a 34 a 34 b 35 a 38 b 39 a 39 b 41 d 55 e 66 c7 Reacutepublique VII [12] 523 a 523 b 523 b 523 c 523 c 523 e 524 a 524 a 524 d 524 d 532 a 537 d8 Theacuteeacutetegravete 151 e laquo οὐκ ἄλλο τί ἐστιν ἐπιστήμη ἢ αἴσθησις raquo9 Ibid 159 c ndash d

181

oppositions peuvent ecirctre reacutesumeacutees en une seule cest lopposition entre la τέχνη et

lἐπιστήμη En effet le passage preacuteceacutedent peut ecirctre compleacuteteacute par ce passage du

Pheacutedon

Σωκράτης

ἀλλὰ μὲν δὴ ἔκ γε τῶν αἰσθήσεων δεῖἐννοῆσαι ὅτι πάντα τὰ ἐν ταῖς αἰσθήσεσιν ἐκείνου τε ὀρέγεται τοῦ ὃ ἔστιν ἴσον καὶ αὐτοῦ ἐνδεέστερά ἐστιν ἢ πῶς λέγομεν

Σιμμίαςοὕτως

Σωκράτηςπρὸ τοῦ ἄρα ἄρξασθαι ἡμᾶς ὁρᾶν καὶ ἀκούειν καὶ τἆλλα αἰσθάνεσθαι τυχεῖν ἔδει που εἰληφότας ἐπιστήμην αὐτοῦ τοῦ ἴσου ὅτι ἔστιν εἰ ἐμέλλομεν τὰ ἐκ τῶν αἰσθήσεων ἴσα ἐκεῖσε ἀνοίσειν ὅτι προθυμεῖται μὲν πάντα τοιαῦτ᾽ εἶναι οἷον ἐκεῖνο ἔστιν δὲ αὐτοῦ φαυλότερα1

Socrate

Alors en veacuteriteacute cest agrave partir des sensations elles-mecircmesquon doit reacutefeacutechir agrave ce fait toutes les proprieacuteteacutes sensibles agrave la fois aspirent agrave une reacutealiteacute du genre de celle de leacutegal en soi et restent pourtant passablement deacutefcientes par rapport agrave cette reacutealiteacute Sinon que dire

SimmiasCela mecircme

SocrateAvant davoir commenceacute agrave voir agrave entendre agrave user de nos autres sens il fallait bien que de quelque maniegravere nous nous trouvons en possession dun savoir de ce quest leacutegal en soi si nous devons par la suite lui rapporter les eacutegaliteacutes perccedilues agrave partir des sensations puisquelles sefforcent toutes avec belle ardeur de ressembler agrave ce quil est lui alors que compareacutees agrave lui elles sont bien imparfaites

Toute reacutealiteacute est dabord reacutealiteacute sensible cest par la sensation que lon aperccediloit deux

choses eacutegales en longueur par exemple Ensuite pour savoir si elles le sont reacuteellement

on utilise un megravetre afn de deacuteterminer leur longueur or le megravetre est en effet un outil

cest-agrave-dire une technique La sensation de leacutegaliteacute est une opinion le megravetre permet

de formuler une opinion vraie Pourquoi le fait de mesurer les deux choses en

employant un megravetre est-il une opinion et non pas une penseacutee Aujourdhui le megravetre

est un objet banal sensible comme un autre mais ceux qui lutilisent et le fabriquent

ne savent pas comment leacutegal en soi se transforme en uniteacute de mesure de longueur

Autrement dit le fait dutiliser le megravetre (niveau 3 certes celui qui utilise un megravetre

peut bien obtenir une langueur exacte mais il ne se demande pas ce quest la

longueur) le fait de fabriquer le megravetre (niveau 2) et le fait dinventer luniteacute de

mesure (niveau 1) sont trois actes fondamentalement diffeacuterents Cela est similaire agrave la

structure des trois lits le niveau 3 est une image du niveau 2 agrave son tour cette

derniegravere est une image du niveau 1 Voici la diffeacuterence entre le niveau 1 et les deux

autres niveaux

1 Pheacutedon 75 a ndash b

182

Σωκράτης

τὰ μὲν οὐ παρακαλοῦντα ἦν δ᾽ ἐγώ ὅσα μὴ ἐκβαίνει εἰς ἐναντίαν αἴσθησιν ἅμα τὰ δ᾽ ἐκβαίνοντα ὡς παρακαλοῦντατίθημι ἐπειδὰν ἡ αἴσθησις μηδὲν μᾶλλον τοῦτο ἢ τὸ ἐναντίον δηλοῖ εἴτ᾽ ἐγγύθεν προσπίπτουσα εἴτε πόρρωθεν ὧδε δὲ ἃ λέγω σαφέστερον εἴσῃ οὗτοί φαμεν τρεῖς ἂν εἶεν δάκτυλοι ὅ τε σμικρότατος καὶ ὁ δεύτερος καὶ ὁ μέσος2

Socrate

Les choses qui ne sollicitent pas lintellection dis-je sont celles qui ne suscitent pas simultaneacutement une perception contraire celles qui suscitent une perception contraire je considegravere quelles sollicitent lintellection puisqualors leur perception ne manifeste pas plus la chose que ce que ce qui lui est opposeacutee quil sagisse de choses qui se preacutesentent de pregraves ou de loin Ce que je dis lagrave deviendra plus clair si je prends cet exemple disons que nous avons lagrave trois doigts le pluspetit le second et le moyen

Dans la vie quotidienne on voit entend et sent une grande quantiteacute de choses

sensibles Si chaque sensation devrait susciter lintellection on ne pourrait plus faire

autre chose que de penser car agrave chaque instant en marchant dans la rue on voit

entend ou sent une chose il faudrait sarrecircter fermer les yeux bien reacutefeacutechir sur ce

quon voit entend ou sent en se plongeant dans la reacuteminiscence Ainsi on passerait

pour un fou1 Si chaque fois quon utilise un outil pour faire quelque chose on

sarrecircte pour solliciter lintellection afn de comprendre quels contraires peuvent

susciter en utilisant un outil qui produit certaines sensations dans ce cas on risque

fort de perdre son salaire Cela eacutetant la τέχνη empecircche lintellection puisque le

temps dun meacutetier ne permet pas de sarrecircter pour faire autre chose que ce que le

meacutetier exige

IV33 Lutiliteacute technique et le temps

Le couteau est utile parce quil est un outil absolument neacutecessaire dans la cuisine par

exemple Or chaque eacutepoque a sa techniciteacute pour fabriquer le couteau qui est un

produit agrave commercialiser mecircme si son utiliteacute dans la cuisine reste pratiquement la

mecircme Pourquoi a-t-on le deacutesir constant dameacuteliorer la techniciteacute de fabrication

Cest une question de productiviteacute car dans la cuisine et chez le fabriquant un

couteau na pas du tout la mecircme utiliteacute En dautres termes le rapport de la τέχνη au

temps est essentiellement un rapport agrave la productiviteacute cest-agrave-dire au deacutesir du gain

Autrefois scier le bois dans une menuiserie eacutetait une technique aujourdhui elle est

externaliseacutee remplaceacutee par la machine agrave scier elle est rapide preacutecise et deacutetacheacutee de

2 Reacutepublique VII 523 b ndash c1 Rappelons ce passage du Phegravedre laquo Voilagrave donc ougrave en vient tout ce discours sur la quatriegraveme forme

de folie Dans ce cas quand en voyant la beauteacute dici-bas et en se remeacutemorant la vraie (beauteacute) on prend des ailes et que pourvu de ces ailes on eacuteprouve un vif deacutesir de senvoler sans y arriver quand comme loiseau on porte son regard vers le haut et quon neacuteglige les choses dici-bas on a ce quil faut pour se faire accuser de folie raquo (249 d)

183

ceux qui lutilisent Autrefois il fallait un temps plus ou moins important pour un

apprenti afn de maicirctriser la technique de sciage manuel du bois ce temps est reacuteduit

agrave quelques courts instants ougrave on apprend comment utiliser la machine agrave scier Il en

va de mecircme pour beaucoup dautres techniques transformeacutees en outils par

conseacutequent le temps dapprentissage dun meacutetier pour atteindre le mecircme niveau

technique est ainsi reacuteduit de quelques anneacutees agrave quelques semaines tout au plus de

telle sorte que la productiviteacute saccroit consideacuterablement De plus en externalisant

une technique on prive en mecircme temps les techniciens dune compeacutetence quils

deacutetenaient car une compeacutetence sans utiliteacute nest plus une compeacutetence Ainsi leur

gain de productiviteacute est transfeacutereacute vers celui qui les en prive Le malheur des uns fait

le bonheur des autres telle est la caracteacuteristique de la τέχνη En effet tout cela nest

pas nouveau

laquo Tous les arts en geacuteneacuteral ne sont dirigeacutes vers rien dautre que vers les opinions et lesappeacutetits des hommeshellip raquo (Reacutepublique 533b) Et sans appeacutetit sans besoin (χρεία) il ny aurait jamais eu de technegrave puisquaucune technegrave naurait eu de raison decirctre (Reacutepublique 369 b) Les technai sont neacutees des appeacutetits se multiplient avec eux et nont dautre fn queux1

La τέχνη est bien utile pour ameacuteliorer lexistence humaine mais elle est aussi utile

pour commettre des injustices car lignorance humaine ne connaicirct pas de limite le

deacutesir sans scrupules est geacuteneacuteralement sans pitieacute la compeacutetition dans tous les

domaines est souvent impitoyable Tout cela ne signife pas que la τέχνη a quelque

chose agrave se reprocher ou agrave meacutepriser elle nest quun instrument et comme tout

instrument elle nest ni un bien ni un mal cest lacircme humaine qui est maicirctre de cet

instrument En effet dun point de vue de lutiliteacute la meacutedecine est un bien pour les

les malades le meacutetier de charpentier lest aussi pour la construction de maisons celui

de menuisier eacutegalement de mecircme pour la musique et la litteacuterature2 laquo Sur tout ce

genre de choses nous eacutetions lun et avec lautre daccord raquo poursuit Socrate

Σωκράτης

ἐν κεφαλαίῳ δ᾽ ἔφην ὦ Κλεινία κινδυνεύει σύμπαντα ἃ τὸ πρῶτον ἔφαμεν ἀγαθὰ εἶναι οὐ περὶ τούτου ὁ λόγος αὐτοῖς εἶναι ὅπως αὐτά γε καθ᾽ αὑτὰ πέφυκεν ἀγαθὰ εἶναι ἀλλ᾽ ὡς ἔοικεν ὧδ᾽ ἔχει ἐὰν μὲν αὐτῶν ἡγῆται ἀμαθία μείζω κακὰ

Socrate

En somme Clinias repris-je pour toutes ces reacutealiteacutes que nous avons dites dabord ecirctre des biens il y a des chances que la question agrave leur sujet ne soit pas de savoir comment elles sont elles-mecircmes et par elles-mecircmes des biens au contraire voici semble-t-il ce quil en est si elles sont dirigeacutees par lignorance ce sont des maux plus grands que leurs contraires mdash dautant plus que ces reacutealiteacutes mettent

1 Dixsaut Monique Le naturel philosophe ndash Essai sur les dialogues de Platon Paris Vrin 2001 [1998 Les Belles Lettres ndash Vrin 1985 1994] p 65

2 Voir Euthydegraveme 279 e ndash 281 a

184

εἶναι τῶν ἐναντίων ὅσῳ δυνατώτεραὑπηρετεῖν τῷ ἡγουμένῳ κακῷ ὄντι ἐὰν δὲ φρόνησίς τε καὶ σοφία μείζω ἀγαθά αὐτὰ δὲ καθ᾽ αὑτὰ οὐδέτερα αὐτῶν οὐδενὸς ἄξια εἶναι1

davantage de capaciteacutes au service dune direction mauvaiseen elle-mecircme mais si elles sont dirigeacutees par le savoir et la raison ce sont des biens fort grands au lieu quelles-mecircmes et par elles-mecircmes elles nont ni les uns ni les autres une quelconque valeur2

Cela eacutetant le bon usage de la τέχνη relegraveve de la φρόνησις (reacutefexion) et de la σοφία

(la vertu laquo sagesse raquo) En dautres termes apprendre une compeacutetence particuliegravere doit

se faire en mecircme temps que dapprendre agrave reacutefeacutechir et agrave connaicirctre lusage juste de

cette compeacutetence

IV4 La διάνοια

laquo La διάνοια est la penseacutee discursive Cest le discours silencieux que lacircme se tient agrave

elle-mecircme raquo3 Dans le livre VII de la Reacutepublique la διάνοια se trouve entre lἐπιστήμη

et le πίστις4 mais lἐπιστήμη et la διάνοια ont pour nom la νόησις5 qui laquo vise lecirctre

ce que lecirctre (οὐσία) est par rapport au devenir lintellection lest par rapport agrave

lopinion et ce que lintellection est par rapport agrave lopinion la science lest par rapport

agrave la croyance et la penseacutee par rapport agrave la repreacutesentation raquo6 Cela eacutetant il y a

neacutecessairement deux types dοὐσία (reacutealiteacute) lun fait lobjet de la διάνοια dont la

repreacutesentation est son opposeacute lautre celui de lἐπιστήμη dont la croyance est son

opposeacute Ainsi nous avons trois oppositions ou plutocirct une seule (1) et deux sous-

oppositions (2 et 3) 1 lintellection lopinion 2 la science la croyance 3 la

penseacutee la repreacutesentation Dans la suite nous analysons certaines questions de

discours et de matheacutematique pour voir la nature de la διάνοια

IV41 Discours argumentatifs

Le discours argumentatif se fonde sur un processus rigoureux agrave savoir lhypothegravese

le raisonnement et la veacuteriteacute Le soleil brille cest une eacutevidence on na nul besoin

dhypothegravese et de raisonnement pour dire cette veacuteriteacute

IV411 Hypothegravese

Le terme ὑπόθεσις est relativement bien preacutesent dans le corpus platonicien avec 44

1 Ibid 281 d ndash e2 Sur les choses qui ne sont ni bonnes ni mauvaises cf Gorgias 467 e ndash 468 a Lachegraves 195 c Reacutepublique

IV 439 a3 Dictionnaire Platon p 1174 Voir Reacutepublique VII 533 e ndash 534 a5 Notons que agrave la fn du livre VI les quatre sections sont νόησις διάνοια πίστις et εἰκασία alors

que dans le livre VII elles sont lintellection (ἐπιστήμη et διάνοια) lopinion (πίστις et εἰκασία)6 Reacutepublique VII 534 a

185

occurrences1 le sens du terme ὕπο (dessous en dessous) + θέσις (thegravese thesis en

anglais) semble se donner dans la premiegravere reacuteplique que prononce Socrate au deacutebut

du Parmeacutenide

Socrate Socrate donc une fois laudition fnie aurait prieacute quon relucirct la premiegravere hypothegravese du premier argument et cela fait aurait poseacute la question suivante laquo Que veux-tu dire Zeacutenon raquo laquo Si les choses sont plusieurs il sensuit dis-tu quelles ne peuvent manquer decirctre agrave la fois semblables et dissemblables ce qui est eacutevidemment impossible Il nest possible en effet ni que ce qui est dissemblable soit semblable ni que ce qui est semblablesoit dissemblable Nest-ce pas ce que tu veux dire raquo2

Agrave propos du terme laquo hypothegravese raquo dans ce passage voici la note de traduction3

En grec ancien ὑπόθεσις Dans ce passage le sens de ce terme preacutesente une leacutegegravere ambiguiumlteacute Au sens strict ὑπόθεσις deacutesigne la protase dune proposition conditionnelle cest eacutevidemment le sens du terme en 128 d 4 ndash 5 laquo Sil [lunivers] est un raquo et laquo sils [τὰ ὀντά] sont plusieurs raquo Par extension le terme ὑπόθεσις peut deacutesigner non seulement la protase de largument mais largument en son entier cest le cas ici semble-t-il cardemander de relire seulement la protase naurait eu aucun sens

Agrave vrai dire dans une hypothegravese la protase nest pas beaucoup dimportance puisque

la mecircme proposition conditionnelle peut ecirctre formuleacutee de diffeacuterentes maniegraveres

Alors que Parmeacutenide dit laquo Il est un raquo Zeacutenon dit laquo Elles ne sont pas plusieurs raquo et chacun de votre cocircteacute vous vous exprimez en ayant lair de ne dire rien de pareil alors que tant sen faut vous dites la mecircme chose4

La vraie question consiste agrave savoir quel est lacheminement dune hypothegravese puisque

laquo ὕπο + θέσις raquo veut dire implicitement laquo raisonnement conduit par une thegravese raquo car

une simple thegravese sans argumentation na aucun inteacuterecirct agrave se faire entendre en terme

de la penseacutee Ce passage de la Reacutepublique semble poser la regravegle de lacheminement de

lhypothegravese

Socrate Examine aussi comment il faut couper la section de lintelligible

1 Euthyphron ὑποθέσεις (11 c) Gorgias ὑπόθεσιν (454 c) Hippias majeur ὑπόθεσιν (302 e) Lois V ὑπόθεσις (743 c) Lois VII ὑπόθεσιν (812 a) Meacutenon ὑποθέσεως (86 e) ὑποθέσεως (86 e) ὑπόθεσιν (87 a) ὑπόθεσις (87 d) ὑπόθεσιν (89 c) Parmeacutenide ὑπόθεσιν (127 d) ὑπόθεσις (128 d) ὑποθέσεως (136 a) ὑποθέσεως (136 a) ὑποθέσεως (136 b) ὑποθέσεως (137 b) ὑπόθεσιν (142 b) ὑπόθεσις (142 c) ὑπόθεσιν (142 c) ὑπόθεσις (160 b) ὑπόθεσις (161 b) Pheacutedon ὑποθέσεως (92 d) ὑπόθεσις (94 b) ὑποθέσεως (101 d) ὑποθέσεως (101 d) ὑπόθεσιν (101 d) ὑποθέσεις (107 b) Politique ὑποθέσθαι (295 c) Reacutepublique VI ὑποθέσεων (510 b) ὑποθέσεως (510 b) ὑποθέσεις (510 c) ὑποθέσεσι (511 a) ὑποθέσεων (511 a) ὑποθέσεις (511 b) ὑποθέσεις (511 b) ὑποθέσεις (511 c) ὑποθέσεων (511 d) Reacutepublique VII ὑποθέσεσι (533 c) ὑποθέσεις (533 c)Reacutepublique VIII ὑπόθεσιν (550 c) Sophiste ὑποθέσθαι (237 a) ὑπόθεσιν (244 c) Theacuteeacutetegravete ὑπόθεσιν (183 b) Timeacutee ὑποθέσθαι (26 a)

2 Parmeacutenide 127 d ndash e3 Ibid laquo Notes raquo ndeg 35 p 257 Cf Aussi Meacutenon laquo Notes raquo ndeg 188 p 281 ndash 281 ougrave M Canto-Sperber

eacutenumegravere quatre signifcations du terme hypothegravese chez Platon 1 Une proposition sattache agrave eacutetudier les conseacutequences 2 Une proposition destineacutee agrave examiner sa coheacuterence interne 3 Hypothegravese sans reacutefeacuterence darcheacutetype 4 Un proceacutedeacute de reacutefutation agrave lusage ironique

4 Ibid 128 b

186

Glaucon De quelle faccedilon

Socrate Voici Dans une partie de cette section lacircme traitant comme des images les objets quidans la section preacuteceacutedente eacutetaient les objets imiteacutes se voit contrainte dans sa recherche de proceacuteder agrave partir dhypothegraveses elle ne chemine pas vers un principe mais vers une conclusion Dans lautre section toutefois celle ougrave elle sachemine vers un principe anhypotheacutetique lacircme procegravede agrave partir de lhypothegravese et sans recours agrave ces images elle accomplit son parcours agrave laide des seules formes prises en elles-mecircmes1

Dans ce passage nous avons deux cheminements dune hypothegravese 1 Celui ougrave

lhypothegravese est consideacutereacutee comme chose connue comme si elle est un principe cest-

agrave-dire la veacuteriteacute mais on nen a pas la certitude Dans ce cas-lagrave le raisonnement

sachemine vers la conclusion en se fondant sur les conseacutequences Cest le cas pour la

deacutemonstration de geacuteomeacutetrie dans le Meacutenon supposons une surface de quatre pieds

carreacutes dont chaque cocircteacute a pour longueur deux pieds quelle est la longueur de chaque

cocircteacute pour avoir une surface double cest-agrave-dire huit pieds carreacutes Si elle est agrave trois

pieds la conseacutequence est que trois fois trois font neuf et non pas huit pieds carreacutes Un

tel raisonnement est adapteacute pour la reacutefutation Par exemple si la vertu senseigne en

examinant les conseacutequences de cette hypothegravese on constate que les gens reacuteputeacutes

pour leur sagesse ne parvenaient pas agrave transmettre leur sagesse ou les autres vertus agrave

leurs fls2 Cela permet de conclure que la vertu ne senseigne pas 2 Une hypothegravese

chemine par la reacuteminiscence agrave travers le dialogue En effet dans ce raisonnement

lhypothegravese nest pas vraiment une proposition mais laquo des points dappui et des

tremplins pour seacutelancer jusquagrave ce qui est anhypotheacutetique jusquau principe du

tout raquo3 Autrement dit on accegravede au principe anhypotheacutetique par la reacuteminiscence et

non par des proceacutedeacutes logiques car laquo des points dappui et des tremplins raquo peuvent

deacuteclencher agrave tout moment une reacuteminiscence

IV412 Raisonnement

Le substantif λογισμός (raisonnement syllogisme calcul4) est une activiteacute spontaneacutee

propre agrave lacircme un acheminement vers la veacuteriteacute5 Voici le tableau de freacutequences du

1 Reacutepublique VI 510 b2 Voir Meacutenon 93 a ndash 94 d3 Reacutepublique VI 511 b4 Notons au passage que le calcul cest-agrave-dire lanalyse des rapports entre les nombres est un type de

raisonnement rigoureux Par exemple 2 31415 5 sont trois nombres alors que leacutequation laquo 2 fois 31415 fois 5 raquo deacutecrit un rapport entre ces trois nombres et si on remplace 5 par une variable R(Rayon) on obtient une eacutequation qui permet de calculer la circonfeacuterence de tous les cercles C = 2πR

5 Le terme τὸ λογιστικόν (calcul) est aussi une forme de raisonnement Ici nous examinons le principe du raisonnement et non les meacutethodes du raisonnement qui seront examineacutees dans le dernier chapitre

187

terme λογισμός dans les dialogues platoniciens

Dialogues de jeunesse [12]Hippias mineur [7] λογισμῶν (366 c) λογισμοὺς (367 a) λογισμόν (367 a) λογισμῶν (367 b) λογισμῶν (367 c) λογισμῶν (367 c) λογισμὸν (367 c) Hippias majeur λογισμῶν (285 c) Protagoras λογισμούς (318 e) Euthyphron λογισμὸν (7 b) Meacutenon λογισμῷ (98 a) λογισμοῦ (100 b)

Dialogues de maturiteacute [26]Banquet λογισμοῦ (207 b) Pheacutedon λογισμοῦ (66 a) λογισμῷ (79 a) λογισμῷ (84 a) Reacutepublique

[18] I λογισμῷ (340 d) IV λογισμῷ (431 c) λογισμοῦ (439 d) λογισμὸν (440 b) λογισμοῦ (441 a) VI λογισμῷ (496 d) λογισμοὺς (510 c) VII λογισμόν (522 c) λογισμόν (524 b) λογισμοὺς (525 d) λογισμῶν (526 d) λογισμῶν (536 d) VIII λογισμῷ (546 b) IX λογισμοῦ (586 d) λογισμὸν (587 e) Xλογισμῷ (603 a) λογισμῷ (604 d) λογισμῷ (611 c) Phegravedre λογισμῷ (249 c) λογισμὸν (274 c) Parmeacutenide λογισμῷ (130 a) Theacuteeacutetegravete λογισμούς (145 d)

Dialogues de vieillesse [34]Sophiste λογισμοῦ (248 a) λογισμῶν (254 a) Politique λογισμοὺς (257 a) λογισμοὺς (257 b) Philegravebe [5] λογισμούς (11 b) λογισμοῦ (21 c) λογισμοῖς (52 a) λογισμοῦ (52 b) λογισμῶν (57 a) Timeacutee [11] λογισμὸν (30 b) λογισμὸν (33 a) λογισμὸς (34 a) λογισμοῦ (36 e) λογισμῶν (47 c) λογισμῷ (52 b) λογισμῷ (57 e) λογισμῷ (72 a) λογισμοῦ (72 e) λογισμοῦ (77 b) λογισμοῦ (86 c) Critias λογισμοῦ (121 a) Lois [13] I λογισμὸς (644 d) λογισμοῦ (645 a) λογισμοῦ (645 a) III λογισμῷ (697 e) VII λογισμὸν (805 a) λογισμῶν (809 c) λογισμῷ (813 d) λογισμοὶ (817 e) λογισμοὺς (819 b) X λογισμοὶ (896 c) λογισμοῖς (897 c) XII λογισμοῖς (967 b)

En tout 72 occurrences cest un bon chiffre Trois remarque 1 les occurrences sont

concentreacutees sur cinq dialogues agrave savoir Philegravebe [5] Hippias mineur [7] Timeacutee [11] Lois

[13] Reacutepublique [18] 2 il semble que plus lacircge de Platon avance plus la freacutequence

de lemploi de ce terme augmente 12 dans les premiers dialogues 26 dans les

dialogues intermeacutediaires et 34 dans les derniers dialogues 3 le terme signife tantocirct

laquo calcul raquo comme cest le cas au tout deacutebut du Politique tantocirct ce qui est associeacute agrave laquo la

penseacutee intellective (νόησις) comme cest le cas dans le livre VII de la Reacutepublique1

Dans la navigation sur la mer si lon navigue agrave vue on narrive probablement jamais

au port agrave amarrer ou lon perd eacutenormeacutement du temps inutilement car sur la mer on

ne distingue pas le port mais seulement les horizons qui changent constamment

cest lagrave que le raisonnement devient une neacutecessiteacute pour le pilote afn de deacuteterminer

lhorizon vers lequel se trouve le port De mecircme pour lacircme qui peut ecirctre compareacutee agrave

un navire dun point de vue de la navigation puisque laquo lacircme se meut toujours raquo2 Or

1 Cf Lois laquo Notes raquo livre I ndeg 110 p 346 laquo Cette traduction [la raison qui calcule] permet deconserver le sens tregraves bien preacutesenteacute dans les textes de λογισμός comme laquo calcul raquo Toutefois agrave tout le moins dans la Reacutepublique (VII 524 b) λογισμός est associeacute agrave la penseacutee intellective raquo

2 Phegravedre 245 c Si la navigation moderne sur la mer peut ecirctre guideacutee par un systegraveme de navigation parsatellite un tel systegraveme est impossible pour lacircme dune part lacircme est invisible dautre part lunivers tout entier est la sphegravere du mouvement de lacircme or limmensiteacute de lunivers deacutepasse tout entendement humain de en plus lacircme peut passer agrave lexteacuterieur de lunivers et seacutetablir sur son dos pour contempler la veacuteriteacute (Voir Phegravedre 247 b) Avec le progregraves technologique cet exemple semble dire que le pilotage souvent eacutevoqueacute dans les dialogues platoniciens perd peu a peu son sens

188

lacircme a trois laquo ports raquo dits rationnel ardant et deacutesirant

Socrate Nous naurions donc pas tort repris-je de soutenir quil sagit de deux principes et quils diffegraverent lun de lautre lun celui par lequel lacircme raisonne nous le nommons le principe rationnel de lacircme lautre celui par lequel elle aime a faim a soif et qui lexcitede tous les deacutesirs celui-lagrave nous le nommons le principe deacutepourvu de raison et deacutesirant lui qui accompagne un ensemble de satisfactions et de plaisirs

Glaucon Non nous naurions pas tort de penser de cette maniegravere

Socrate Par conseacutequent repris-je distinguons ces deux espegraveres qui se trouvent dans lacircme Mais pour ce qui est du cœur cette espegravere par laquelle nous nous emportons sagit-il dunetroisiegraveme espegravece ou alors de quelle espegravece parmi les premiegraveres est-elle la plus parente par nature 1

Dans un corps dont les deacutesirs sont illimiteacutees la question du pilotage se pose

neacutecessairement car lacircme peut bien ecirctre attireacutee par le corps cest-agrave-dire par

lensemble des satisfactions et des plaisirs lieacutes au corps Or piloter cest raisonner

Mais pour raisonner (λογίζεσθαι) il faut la matiegravere du raisonnement cest-agrave-dire les

notions les deacutefnitions les principes par exemple Si on va aux maux il ny a rien agrave

connaicirctre sauf parfois quelques technique neacutecessaire2 si on va au Bien il faut

connaicirctre ce quest le bien

Or un principe est chose inengendreacutee Car cest dun principe que vient neacutecessairement agrave lecirctre tout ce qui vient agrave lecirctre tandis que le principe lui ne vient de rien En effet si un principe venait agrave lecirctre agrave partir de quelque chose ce ne serait pas agrave partir dun principequil viendrait agrave lecirctre Or comme cest une chose inengendreacutee cest aussi neacutecessairement une chose incorruptible Agrave supposer en effet que le principe soit aneacuteanti jamais ne pourrait venir agrave lecirctre ni ce principe agrave partir de quelque chose ni autre chose agrave partir de ce principe sil est vrai que toutes choses viennent agrave lecirctre agrave partir dun principe3

Le chemin du raisonnement se fait vers le principe et non vers ce qui vient agrave lecirctre

Ainsi pour une hypothegravese donneacutee la premiegravere chose agrave faire cest de poser la

question laquo quest-ce que raquo linterrogation portant avant tout sur le preacutedicat ou sur

le compleacutement dobjet et non sur le sujet Par exemple si la science est sensation il

faut poser la question laquo quest-ce que la sensation raquo autrement dit la sensation elle-

mecircme indeacutependante du sensible et des individus capables de sentir comme

laboutissement du raisonnement Ainsi la question peut bien ecirctre bien poseacutee 1 de

maniegravere explicite par exemple agrave propos de la justice pour Poleacutemarque cest

dorigine1 Reacutepublique IV 439 d ndash e La troisiegraveme sera nommeacutee laquo lespegravece de lardeur morale raquo (voir 440 e ndash 441

a)2 Le vol dans les meacutetros le cambriolage dans les villes le braquage dune agence bancaire le piratage

informatique lescroquerie fnanciegravere le mensonge politique etc tout cela demande une maicirctrise technique En ce sens la sophistique est une τέχνη simplement les sophistes ne travaillent pas avec la main mais avec la langue sans pour autant savoir vraiment ce quils disent

3 Phegravedre 245 d

189

laquo comme le fait de rendre service agrave ses amis et nuire agrave ses ennemis raquo1 Socrate pose

tout de suite la question laquo quentends-tu par amis raquo2 2 de maniegravere implicite cest

le cas dans le Theacuteeacutetegravete par exemple quand Theacuteeacutetegravete deacutefnit la science comme la

sensation Socrate na pas poseacute la question laquo quest-ce que la sensation raquo pourtant

ses examens meneacutes du paragraphe 152 a au celui 187 b sont fondeacutes sur la question

qui nest pas explicitement poseacutee

En un mot dans un dialogue les questions et les reacuteponses sont impreacutevisibles en

raison du fait que lacircme est le principe du mouvement spontaneacute cest la raison pour

laquelle il ny a pas agrave eacutetablir des regravegles rigoureuses pour preacutevoir lapparition des

inconnus Linconnu est impreacutevisible les dialogues dits aporeacutetiques le prouvent ce

qui est fondamentalement diffeacuterent de la logique formelle

IV413 Veacuteriteacute

Tout raisonnement consiste agrave faire paraicirctre la veacuteriteacute (ἀλήθεια) Elle a deux niveaux

de sens dabord elle deacutesigne ce qui est la reacutealiteacute (οὐσία) ensuite elle deacutesigne

laccord entre ce qui est et ce quon en pense ou ce dont on parle mecircme si cela revient

au mecircme car dire la veacuteriteacute cest dire la reacutealiteacute

La nature de la veacuteriteacute mdash ouverte sans meacutelange directe et immuable mdash est la

condition de la penseacutee et de la parole Autrement dit parler cest parler des choses

immuables de maniegravere ouverte simple et directe sans quoi il vaut vieux se taire

Mais pour parler ainsi il faut neacutecessairement penser ainsi Sur ce point le Socrate

dans les premiers dialogues et dans les autres dialogues est le mecircme car la seule

chose agrave la quelle il sinteacuteresse ce sont les choses immuables cest-agrave-dire toujours les

mecircmes et non tantocirct une chose tantocirct une autre Cest eacutegalement sur ce point que le

Socrate de Platon diffegravere du Socrate de Xeacutenophon Un exemple pour lexpliquer un

jour le sophiste Antiphon dit ceci agrave Socrate laquo Je croyais Socrate que ceux qui

sadonnent agrave la philosophie devenaient forceacutement plus heureux mais cest le

contraire que tu me donnes limpression davoir retireacute de la philosophie Tu vis de

telle sorte que pas mecircme un esclave ne resterait chez un maicirctre qui lui imposerait ton

reacutegime raquo Antiphon continue agrave eacutenumeacuterer les aliments manquants et meacutediocres le

vecirctement grossier le manque dargent et ainsi de suite3 Mais la longue reacuteponse de

1 Reacutepublique livre I 334 b2 Ibid 334 c3 Voir Xeacutenophon Les meacutemorables livre I VI1 ndash 3 Paris Les Belles Lettres 2003 [2000] Trad par

Louis-Andreacute Dorion

190

Socrate campe fdegravelement aux choses sensibles1 sans se demander ce quest le

bonheur ou le fait decirctre heureux et agrave la fn de sa reacuteponse Socrate conclut laquo Pour ma

part je considegravere que labsence de besoin est divin et quavoir le minimum de besoins

est ce qui sapproche le plus du divin et comme le divin est parfait ce qui sen

approche le plus sapproche eacutegalement de la perfection raquo La conclusion de Socrate

peut ecirctre qualifeacutee de syllogisme sauf quici la preacutemisse majeure laquo le minimum de

besoins est ce qui sapproche le plus du divin raquo nest pas vraie en tout cas pas

toujours vraie car dune part mecircme le dieu a besoin de se nourrir dautre part des

prisonniers des esclaves et de tregraves pauvres gens vivent en reacutealiteacute dans le strict

minimum ceux-ci sapprochent-t-ils plus du divin quun roi qui obeacuteit agrave la loi En

effet Socrate comme beaucoup dautres sages dailleurs eacutetait pauvre parce quil se

consacrait entiegraverement agrave philosopher de telle sorte quil navait plus de loisirs pour

soccuper des affaires Thalegraves a montreacute qulaquo il eacutetait facile de senrichir raquo sauf que cela

nest pas lobjet de lambition des philosophes2

Notons que le fait de ne pas dissimuler ne veut pas dire ecirctre transparent mais

ouvert Une maison construite avec des pierres nest pas transparente mais quand

ses portes sont ouvertes au public elle est ouverte Chaque dialogue platonicien est

une maison ouverte mais pas transparente Cela diffegravere de leacutesoteacuterisme qui nest pas

ouvert Mais ce qui est ouvert ne veut pas dire non plus facile agrave connaicirctre Par

exemple le ciel est ouvert pourtant on en connaicirct peu de chose

Ce qui est sans meacutelange est neacutecessairement pur et ce qui est pur est neacutecessairement

simple sans contradiction Dire une chose de maniegravere compliqueacutee arrive sans doute

lorsquon na pas encore saisi la veacuteriteacute En effet moins on ne va directement agrave la

chose agrave dire ou agrave penser plus la chance de la contradiction augmente Par exemple si

la richesse rend les gens heureux il faut poser ou se poser directement la question de

ce quest le bonheur sans se confondre dans les choses sensibles car le monde

sensible est contradictoire par exemple la richesse est agrave la fois un bien et un mal une

chose est agrave la fois grande et petite Autrement dit la veacuteriteacute ne se trouve pas dans la

reacutealiteacute sensible

IV42 Les matheacutematiques

Limmuabiliteacute la preacutecision et lenseignement sont trois qualiteacutes en commun dans

1 Voir ibid 4 ndash 102 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres I 26 Paris Le Livre de Poche 1999 p

83

191

matheacutematiques Cela correspond parfaitement agrave la recherche philosophique sur les

formes intelligibles la rectitude et leacuteducation En dautres termes la philosophie

sinspire des matheacutematiques dans une certaine mesure tregraves limiteacutee en tant quun

instrument de la philosophie Pourquoi laquo tregraves limiteacutee raquo En effet un matheacutematicien

peut ecirctre excellent dans son domaine mais pas neacutecessairement vertueux ou heureux

De plus la connaissance matheacutematique nest que partiellement universelle elle nest

universelle que dans un domaine speacutecifque en question alors que la citeacute juste a

besoin de la connaissance du Bien par-dessus de tous les biens speacutecifques dont les

matheacutematiques et de tous les biens particuliers dont la richesse Dailleurs les

matheacutematiques sont certes tregraves puissantes mais cette puissance ne permet pas de

reconnaicirctre le Bien et les maux

IV421 Immuabiliteacute

La terme μαθηματική est totalement absent dans les dialogues platoniciens on na

que deux occurrences de μαθηματικόν (qui sadonne agrave eacutetudier et agrave pratiquer) lune

dans le Sophiste (219 c) lautre dans le Timeacutee (88 c) En revanche les deux branches

des matheacutematiques agrave savoir γεωμετρία (geacuteomeacutetrie) et ἀρμονία (harmonie) ont une

preacutesence importante dans le corpus platonicien1 Pourquoi la philosophie sinteacuteresse-

t-elle particuliegraverement agrave ces deux branches des matheacutematiques 2 Eacutetudions le cas de

1 Charmide γεωμετρικῆς (165 e) Gorgias γεωμετρικὴ (450 d) γεωμετρίαν (450 e) γεωμετρικὴ (508 a) γεωμετρίας (508 a) Hippias majeur γεωμετρίας (285 c) Hippias mineur γεωμετρίας(367 d) γεωμετρίᾳ (367 d) γεωμετρικός (367 d) Meacutenon γεωμετρίαις (76 a) γεωμετρεῖν (85 e) γεωμετρίας (85 e) Pheacutedon γεωμετρίᾳ (92 d) Phegravedre γεωμετρίαν (274 d) Philegravebe γεωμετρίας (56 e) Politique γεωμετρικὰ (257 a) γεωμετρίας (266 a) Protagoras γεωμετρίαν (318 e) Reacutepublique V γεωμετρικαῖς (458 d) Reacutepublique VI γεωμετρίας (510 c) γεωμετρίαις (511 b) γεωμετρικῶν (511 d) Reacutepublique VII [14] γεωμετρίαν (526 c) γεωμετρικός (526 d) γεωμετρίας (526 d) γεωμετρίας (527 a) γεωμετρικὴ (527 b) γεωμετρίας (527 c) γεωμετρίας (527 c) γεωμετρίᾳ (528 a) γεωμετρίαν (528 d) γεωμετρίαν (528 d) γεωμετρίας (529 e) γεωμετρίαν (530 b) γεωμετρίας (533 b) γεωμετριῶν (536 d) Reacutepublique VIII γεωμετρικός (546 c) Theacuteeacutetegravete [9] γεωμετρίαν (143 d) γεωμετρίας (143 e) γεωμετρικός (145 a) γεωμετρίας (145 c) γεωμετρία (146 c) γεωμετρῶν (162 e) γεωμετρεῖν (162 e) γεωμετρίαν (165 a) γεωμετροῦσα (173 e)

ἀρμονία mdash Banquet [8] 187 a 187 a 187 b 187 b 187 c 187 c 187 d 188 a Charmide [1] 170 c Cratyle [4] 405 d 405 d 405 d 416 b Hippias majeur [2] 285 d 285 d Hippias mineur [1] 368 d Ion [1] 534 a Lachegraves [2] 188 d 188 d Lois II [11] 653 e 655 a 660 a 661 c 665 a 669 e 670 b 670 d 670 e 672 c 672 e Lois VII [5] 800 d 802 e 802 e 810 b 812 c Lois VIII [1] 835 a Pheacutedon [43] 85 e 85 e 86 a 86 a 86 b 86 b 86 c 86 c 88 d 91 d 92 a 92 a 92 b 92 b 92 c 92 c 92 c 92 e 92 e 93 a 93 a 93 a 93 a 93 b 93 c 93 c 93 c 93 c 93 d 93 d 93 d 93 d 93 e 93 e 94 a 94 a 94 a 94 b 94 c 94 e 94 e 95 a 95 a Phegravedre [5] 268 d 268 e 268 e 268 e 268 e Philegravebe [3] 17 d 31 c 31 dProtagoras [1] 326 b Reacutepublique III [17] 397 b 397 b 397 c 398 d 398 d 398 e 398 e 399 a 399 a 399 c 399 c 399 e 400 a 400 a 400 d 401 d 411 a Reacutepublique IV [4] 430 e 431 e 442 a 443 d Reacutepublique VII [3] 522 a 531 a 531 b Reacutepublique VIII [1] 546 c Reacutepublique IX [1] 591 dReacutepublique X [3] 601 a 617 b 617 c Theacuteeacutetegravete [2] 145 d 175 e Timeacutee [5] 37 a 47 d 47 d 80 b 90 d

2 Certes le terme ἀριθμητιή (science des nombres) est aussi preacutesent dans le corpus platonicien mais beaucoup moins important que la geacuteomeacutetrie et lharmonie voici la liste doccurrences dἀριθμητιή Alcibiade 114 c 126 c Gorgias 450 d 450 e 450 e 451 b 451 c 453 e 453 e 453 e Ion 531 e 537 e Philegravebe 55 e 56 c 56 d 56 d 57 d Politique 258 d 299 e Protagoras [1 ] 357 a Reacutepublique VII

192

la geacuteomeacutetrie dabord lunivers est un monde geacuteomeacutetrique cest pourquoi la vision

de lunivers est dicteacutee par le deacuteveloppement des matheacutematiques et particuliegraverement

par le deacuteveloppement de la geacuteomeacutetrie Par exemple les fgures telles que deacutecrites

dans le Timeacutee1 correspondent agrave la geacuteomeacutetrie euclidienne (les rotations les symeacutetries

les translations qui deacuteterminent la variation des distances et lhomotheacutetie)

Dailleurs sans la geacuteomeacutetrie carteacutesienne ou la geacuteomeacutetrie analytique fondement de la

physique il ny aurait pas de gravitation newtonienne Sans la geacuteomeacutetrie

diffeacuterentielle il ny aurait pas de theacuteorie de la relativiteacute geacuteneacuterale2 En dautres termes

tant quune nouvelle approche de la geacuteomeacutetrie nest pas trouveacutee notre connaissance

de lunivers reste dans leacutetat actuel si ce nest certaines hypothegraveses non approuveacutees

comme les trous noirs par exemple Dun point de vue cosmologique la geacuteomeacutetrie

permet de comprendre la structure et le fonctionnement de lunivers Dun point de

vue philosophique la geacuteomeacutetrie permet de penser et dapprouver que la reacutealiteacute

immuable existe (par exemple la circonfeacuterence du cercle = 2πr existe

indeacutependamment de tous les cercles quils soit grands ou petits) Dun point de vue

eacuteducatif lenseignement de la geacuteographie permet de structurer la penseacutee de la

maniegravere visuelle ce qui favorise aussi la meacutemoire qui est plus sensible agrave la fgure

quagrave la reacutealiteacute abstraite

Ensuite lharmonie On peut constater que dans le Pheacutedon les 43 occurrences du

terme ἀρμονία se concentrent sur deux blocs de maniegravere tregraves dense agrave savoir entre 85

e et 86 c (8 fois) et entre 91 d et 95 a (34 fois) Dun point de vue sensible lharmonie

est universellement belle Dun point de vue philosophique lharmonie est

immuable

Simmias [hellip] On dirait de la mecircme faccedilon lharmonie est une chose quon ne voit pas et qui na pasde corps qui est tregraves belle divine mecircme quand la lyre a eacuteteacute bien accordeacutee alors que la lyre elle et ses cordes ce sont des corps elles relegravevent de lespegravece corporelle elles sont composeacutees terreuses apparenteacutees agrave ce qui est mortel Supposons alors quon casse la lyre quon coupe ses cordes ou encore quon larrache On pourrait soutenir ensuite agrave laide dun raisonnement identique au tien que neacutecessairement lharmonie en question existe encore et quelle na pas peacuteri3

Une citeacute juste doit ecirctre neacutecessairement une citeacute harmonieuse en rassurant lharmonie

entre les trois parties fonctionnelles de lacircme lharmonie entre lacircme et le corps

525 a Theacuteeacutetegravete [3 ] 198 a 198 b 198 e en tout 24 occurrences1 Cf Timeacutee laquo Annexe 2 raquo laquo Annexe 3 raquo laquo Annexe 5 raquo laquo Annexe 6 raquo2 Agrave propos de la geacuteomeacutetrie et la relativiteacute cf Souriau J-M Geacuteomeacutetrie et relativiteacute Paris Hermann

19643 Pheacutedon 85 e ndash 86 a

193

lharmonie entre les ecirctres humains lharmonie entre les ecirctres humains et la nature

Par conseacutequent la citeacute tend vers limmortaliteacute Dun point de vue eacuteducatif lharmonie

permet de structurer lacircme au moyen sensible ce qui favorise la reacuteminiscence qui

nest laquo sensible raquo quaux choses harmonieuses cest-agrave-dire des reacutealiteacutes veacuteritables

neacutecessairement harmonieuses en raison du fait quelles tiennent toutes dune seule et

unique chose leur ecirctre et leur reacutealiteacute agrave savoir le Bien

IV422 Preacutecision

La caracteacuteristique propre aux matheacutematiques est sa preacutecision quantifeacutee et veacuterifable

Dans le Meacutenon la fameuse partie consacreacutee agrave la geacuteomeacutetrie (82 b ndash 85 c) consiste agrave

deacutemontrer lexistence de la reacuteminiscence mais cette deacutemonstration se fonde

justement sur la preacutecision de la geacuteomeacutetrie

Socrate Eh bien justement essaie de me dire quelle sera la longueur de chacun des cocircteacutes de cenouvel espace En effet dans le premier espace ceacutetait deux pieds mais dans ce nouvel espace double du premier quelle sera la longueur de chaque cocircteacute

Garccedilon Il est bien eacutevident Socrate quelle sera double

Quatre fois quatre font seize pieds carreacutes cela eacutequivaut exactement agrave une surface

carreacutee composeacutee de quatre surfaces de quatre pieds carreacutes Ensuite le jeune garccedilon

propose une longueur de trois pieds pour une surface carreacutee double dune surface de

quatre pieds carreacutes Trois fois trois font neuf et non pas huit pieds carreacutes

Socrate Mais agrave partir de quelle ligne Essaie de nous le dire avec exactitude (ἀκριβῶς) Et si tu preacutefegraveres ne pas donner un chiffre montre en tout cas agrave partir de quelle ligne on lobtient

Garccedilon Mais par Zeus Socrate je ne le sais pas

Il sagit de la diagonale de la surface de quatre pieds carreacutes comme la longueur de

chaque cocircteacute de la surface de huit pieds carreacutes Avec le theacuteoregraveme de Pythagore de

Samos1 on peut obtenir le chiffre exact de la diagonale (d) dune surface carreacutee (a fois

a par exemple) agrave savoir d=radic2sdota

IV423 Enseignement

La deacutemonstration de Socrate sur la geacuteomeacutetrie montre que dune part la preacutecision

matheacutematique est irreacutefutable puisquelle est une eacutevidence dautre part que la

geacuteomeacutetrie senseigne cest-agrave-dire sapprend sur le modegravele maicirctre-eacutelegraveve En effet la

formule a2+b2=c2 est le modegravele de tous les triangles rectangles sensibles cela

eacutetant un triangle rectangle particulier exprime en reacutealiteacute une loi matheacutematique

1 Soit c la diagonale dun triangle rectangle a et b deacutesignent deux cocircteacutes rectangles on a ainsi la formule suivante a

2+b2=c2

194

certes de maniegravere implicite agrave savoir a2+b2=c2 En ce sens lenseignement consiste

agrave expliciter une connaissance quon possegravede deacutejagrave sans le savoir cest pourquoi

apprendre cest chercher agrave se remeacutemorer par lincitation dun enseignement Mais

quelle est la valeur philosophique de lenseignement des matheacutematiques dans

leacuteducation Voici une reacuteponse

Socrate Il serait degraves lors approprieacute de faire de cet enseignement lobjet dune leacutegislation Glaucon et de convaincre ceux qui deacutesirent pendre part aux tacircches les plus eacuteleveacutees de la citeacute de se porter vers lart du calcul (λογιστικήν) et de sy appliquer non pas comme un exercice utile aux affaires priveacutees mais dans le but datteindre la contemplation de la nature des nombres par lintellection elle-mecircme Non pas donc comme un exercice en vue de la vente ou de lachat comme le font les marchands et les commerccedilants mais en ayant pour fnaliteacute de la guerre et au bout du compte cette conversion naturelle de lacircme qui sedeacutegage du devenir et se tourne vers la veacuteriteacute et vers lecirctre (ἐπ᾽ ἀλήθειάν τε καὶ οὐσίαν)1

Ici on voit bien que les matheacutematiques ne sont ni bonnes ni mauvaises elles peuvent

ecirctre bien utiles pour linteacuterecirct de la citeacute mais aussi pour linteacuterecirct priveacute utiles pour le

bien comme pour le mal Lagrave se pose la question eacutethique de lenseignement dans

leacuteducation il ne sufft pas denseigner les matheacutematiques dans leacutecole et dans

luniversiteacute il faut surtout enseigner en mecircme temps le principe du bon usage des

matheacutematiques et les autres disciplines scientifques Autrement dit la philosophie

devrait ecirctre une obligation pour tous les eacutelegraveves et tous les eacutetudiants quelque soit leur

discipline Cest parce quil y a deux sortes de connaissances la connaissance de lacircme

et la connaissance du corps Les matheacutematiques par exemple sont une connaissance

du monde sensible une connaissance qui se deacutetache de lecirctre car celui qui deacutetient

cette connaissance sait certes comment lunivers se meut mais en aucun cas il na la

possibiliteacute dintervenir pour modifer le mouvement de lunivers pas plus que le

meacutedecin sur ses patients mecircme sil peut les gueacuterir de la maladie Autrement dit la

connaissance du corps du monde sensible ou de lunivers nest pas une connaissance

de lecirctre

IV5 La politique

Quelle que soit la conception de la politique traditionnelle progressiste (repreacutesenteacutee

par les sophistes) ou philosophique la justice est le fondement de la politique ainsi

la conception de la politique est avant tout la conception de la justice Cest pourquoi

la Reacutepublique a pour sujet la justice

1 Reacutepublique VII 525 b ndash c

195

IV51 Conception traditionnelle

Degraves le deacutebut de la Reacutepublique la conception traditionnelle de la justice est prononceacutee

par Ceacutephale sous ces termes laquo Ne pas tromper ni mentir mecircme involontairement

navoir aucune dette quil sagisse de loffrande dun sacrifce agrave un dieu ou dune

creacuteance agrave quelquun quand le moment est venu de partir lagrave-bas sereinement agrave tout

cela la possession des richesses peut contribuer pour une large part raquo1 Pour un

homme de bien cest-agrave-dire un homme qui ne trompe pas ni ne ment ni na aucune

dette envers qui que ce soit homme ou dieu si en plus il est riche cet homme est le

plus juste Est-il vraiment possible de gagner une grande fortune sans tromper ni

mentir Ceacutephale est un marchand darme comme tout marchand il laquo vent en gros

ou en deacutetail les marchandises raquo2 il ne peut pas connaicirctre le bon usage des toutes les

marchandises quil vend en gros ou en deacutetail ainsi il ne peut pas ne pas tromper

involontairement puisquil nest ni fabricant ni militaire mecircme sil a la bonne volonteacute

decirctre juste Mais la reacuteponse de Socrate est beaucoup plus probleacutematique

Socrate Tu parles tregraves bien Ceacutephale dis-je Mais en ce qui concerne cette chose-lagrave elle-mecircme la justice dirons-nous degraves lors quil sagit simplement de dire la veacuteriteacute et de rendre agrave chacun ce quon en a reccedilu Ces deux actes mecircmes ne les faisons-nous pas tantocirct de maniegravere juste tantocirct de maniegravere injuste Je propose le cas suivant si quelquun recevait desarmes de la part dun ami tout raisonnable mais que celui-ci eacutetant devenu fou les lui redemande tout le monde serait daccord pour dire quil ne faut pas les lui rendre et que celui qui les rendrait ne ferait pas un acte juste pas plus que celui qui se proposerait de dire la veacuteriteacute agrave un homme dans un tel eacutetat3

Cela admis un marchand darmes ne devrait pas vendre des armes agrave la citeacute qui megravene

une guerre injuste Si cest le cas il fait un acte injuste de mecircme quil se propose de

dire la veacuteriteacute sur la guerre car il ne peut pas dire la veacuteriteacute en raison du fait que la

guerre juste ou injuste ne relegraveve pas de la compeacutetence dun marchand darmes Pour

juger une guerre juste ou injuste il faut savoir avant tout ce quest la justice

Justement laquo ce nest donc pas une deacutefnition de la justice que de la deacutefnir comme

eacutetant le fait de dire la veacuteriteacute et de rendre ce quon a reccedilu raquo4 En dautres termes la

conception traditionnelle de la justice nest pas une conception mais une opinion

Cest le cas pour Poleacutemarque qui deacutefnit la justice comme le fait de laquo rendre aux amis

et aux ennemis respectivement des biens et des maux raquo5 ce que nous avons deacutejagrave

examineacute preacuteceacutedemment En un mot la conception traditionnelle de la justice se fonde

1 Reacutepublique I 331b2 Voir Protagoras 313 c ndash d3 Reacutepublique I 331 c4 Ibid 331 d5 Ibid 332 d

196

sur lopinion ainsi chacun peut avoir une opinion sur la justice Si une loi est

leacutegifeacutereacutee agrave partir de la conception traditionnelle de la justice cette loi nest en fait

quune traduction de la coutume ou de la convention

Par ailleurs le terme νομός traduit par laquo loi raquo laquo coutume raquo laquo convention raquo preacutesente une signifcation varieacutee et plus subtile Ce substantif deacuterive de la racine qui a donneacute le verbe νομίζω laquo je pense raquo laquo jaccepte raquo au sens de laquo japprouve raquo νομίζεται qui deacutesigne ce qui laquo est accepteacute comme correct raquo et νέμεται ce qui laquo est assigneacute comme juste part raquo la Νέμεσις eacutetant la deacuteesse qui accorde agrave chaque ecirctre sa juste part1

La diviniteacute est juste et savante elle na pas besoin dune loi pour ecirctre juste Si les ecirctres

humains ont besoin de la loi pour vivre ensemble en paix cest parce quils sont

potentiellement injustes en raison du fait quils ne savent pas vraiment ce quest la

justice encore faut-il du courage pour ecirctre juste Par conseacutequent ils ne peuvent eacuteviter

de ne pas commettre linjustice involontairement comme par exemple le marchand

darmes ne peut eacuteviter de vendre des armes agrave la citeacute qui fait une guerre injuste non

par volonteacute de commettre linjustice mais par par ignorance

IV52 Conception de sophiste

La conception de la justice des sophistes est progressiste cest-agrave-dire dans un certain

deacutepassement de la tradition du moins pour deux raisons Dune part leur

conception de la justice est intellectuellement eacutelaboreacutee ce nest plus une simple

opinion Dautre part leur conception de la justice nest pas lieacutee agrave leur propre inteacuterecirct

en tout cas pas directement Prenons lexemple de Thrasymaque pour examiner ces

deux points2 Agrave premiegravere vue sa deacutefnition de la justice paraicirct quelque peu

eacutetonnante

φημὶ γὰρ ἐγὼ εἶναι τὸ δίκαιον οὐκ ἄλλο τι ἢ τὸ τοῦ κρείττονος συμφέρον3

Je soutiens moi que le juste nest rien dautre que linteacuterecirct du plus fort

La reacutealiteacute humaine depuis 2400 ans ne semble pas beaucoup changer le laquo juste raquo nest

effectivement rien dautre que linteacuterecirct du plus fort mecircme laquo dans une socieacuteteacute ouverte

que reacutegente une deacutemocratie oligarchique (qui deacutepend surtout de la richesse) qui se

veut pluraliste raquo4 Le juste est donc la liberteacute sans entrave laquo sans entrave raquo pour les

plus forts raquo et non pour les plus faibles comme si la thegravese de Thrasymaque eacutetait une

1 Brisson Luc laquo Les sophistes et la justice raquo La justice Paris Ellipses Dirigeacute par Guy Samama 2001pp 19 ndash 24 p 21

2 Protagoras est aussi un bon exemple Comme nous avons deacutejagrave pas mal parleacute de lui jusquici nous preacutefeacuterons examiner la conception de la justice de Thrasymaque

3 Reacutepublique I 338 c4 Platon Paris Cerf 2017 p 177

197

prescription de la nature Une thegravese valable dans toutes les socieacuteteacutes humaines depuis

plus de 2400 ans est indeacuteniablement une puissance laquo Or ce que la nature prescrit

cest la satisfaction maximale des besoins raquo1 Il sagit lagrave de la nature deacutesirante du

sensible Ainsi pour limiter encadrer et controcircler cette satisfaction maximale des

besoins il faut que la loi soit fondeacutee sur la nature de lintelligible Nous examinons

maintenant les deux points que nous avons avanceacutes agrave savoir leacutelaboration

intellectuelle et le deacutesinteacuteressement personnel de la thegravese du sophiste

Eh bien ne sais-tu pas dit-il que parmi les citeacutes certaines sont de reacutegime tyrannique dautres de reacutegime deacutemocratique dautres de reacutegime aristocratique 2

La thegravese du sophiste se fonde sur une reacutefexion sur les reacutegimes politiques Dans

certain sens il annonce une enquecircte politique meneacutee par Socrate dans le livre VIII de

l a Reacutepublique sur la timocratie loligarchie la deacutemocratie et la tyrannie laquo Or tout

gouvernement institue les lois selon son inteacuterecirct propre la deacutemocratie institue des lois

deacutemocratiques la tyrannie des lois tyranniques et ainsi pour les autres reacutegimes raquo3

Thrasymaque Voilagrave donc excellent homme ce que je soutiens dans toutes les citeacutes le juste est la mecircme chose cest linteacuterecirct du gouvernement en place Or cest ce gouvernement qui exerce en quelque sorte le pouvoir de sorte quagrave quiconque raisonnant avec bon sens simpose la conclusion suivante partout cest la mecircme chose qui est juste cest-agrave-dire linteacuterecirct du plus fort4

On voit bien que linteacuterecirct du plus fort ici ne veut pas dire automatiquement linteacuterecirct

personnel des dirigeants Cest pourquoi Socrate reconnaicirct que laquo le juste consiste en

un certain inteacuterecirct raquo5 On voit bien aussi que la thegravese de Thrasymaque se fonde sur

une certaine analyse politique et intellectuelle sur une certaine eacutelaboration Par

ailleurs les sophistes neacutetaient pas les plus forts dans les citeacutes ougrave ils donnaient des

enseignements Pour mieux comprendre ce que Thasymarque veut dire Socrate

prend largument que les dirigeants ne sont pas infaillibles ainsi dans le cas ougrave ils se

trompent ils font le contraire non pas laquo le juste est linteacuterecirct du plus fort raquo mais le

juste est linteacuterecirct des plus faibles Voici largument du sophiste sur la notion du plus

fort

Absolument pas dit-il Crois-tu par hasard que jappelle le plus fort celui qui se trompe alors mecircme quil se trompe6

1 Supra laquo Les sophistes et la justice raquo p 232 Reacutepublique I 338 d3 Ibid 338 d ndash e4 Ibid 338 e ndash 339 a5 Ibid 339 b6 Ibid 340 c

198

Le plus fort cest celui qui ne se trompe pas Le sophiste ne sait pas comment un

gouverneur reacuteussit agrave ne jamais se tromper cela dit sa reacuteponse est une deacutefense

intelligente et non une science Au fond cette reacuteponse est la position de toute la

Reacutepublique seule la philosophie ne se trompe pas dougrave la neacutecessiteacute du philosophe-

dirigeant Mais Socrate semble garder cette position pour son propre exposeacute dans la

Reacutepublique car il ninterroge pas le sophiste pour savoir le moyen par lequel on peut

ne pas se tromper ce quil devrait faire mais Socrate ne la pas fait En effet si lon

comprend laquo le plus fort raquo comme celui qui est bon noble et sage la thegravese de

Thrasymaque peut se deacutefendre Dailleurs le juste peut se deacutefnir comme lobeacuteissance

agrave qui vaut mieux que soi1 le sophiste sen est simplement mal deacutefendu il est mecircme

tombeacute en quelque sorte dans le piegravege de Socrate En fait le corps peut ecirctre malade

cest la raison pour laquelle on a besoin de la meacutedecine Lorsque la meacutedecine elle

aussi est deacutefciente elle a besoin dun autre art dont la fonction consiste agrave examiner

linteacuterecirct de lart meacutedical2 laquo Ainsi dis-je lart meacutedical nexamine pas ce qui est linteacuterecirct

de la meacutedecine mais linteacuterecirct du corps raquo demanda-t-il Socrate3 Thrasymaque

reacutepondit oui

Ainsi donc aucune science nexamine pas plus quelle ne le prescrit ce qui est linteacuterecirct du plus fort mais bien ce qui est linteacuterecirct de ce qui est plus faible et qui est dirigeacute par elle4

En reacutealiteacute largument de Socrate est trompeur Linteacuterecirct de la meacutedecine consiste agrave ne

pas se tromper dans sa science aucune autre science na pas de compeacutetence pour

juger si la meacutedecine se trompe dailleurs linteacuterecirct du corps et linteacuterecirct de la

meacutedecine sont le mecircme agrave savoir la santeacute De mecircme il ny a pas deux inteacuterecircts opposeacutes

entre les plus forts et les plus faibles cest le mecircme inteacuterecirct pour chacun agrave savoir la

justice Dans cette perspective le livre I de la Reacutepublique ne devrait pas ecirctre interpreacuteteacute

comme meacuteprisant agrave leacutegard du sophiste Thrasymaque mais comme un hommage Il

souligne que la politique est une histoire et que la conception progressiste de la

politique proposeacutee par les sophistes fait partie de cette histoire mecircme si cette

conception a sa limite eacutevidente agrave savoir sans solution pour eacuteviter que le plus fort ne

se trompe En effet sans ecirctre dieu on peut eacuteviter de se tromper la question est de

1 Dans lApologie Socrate dit ceci laquo Ce que je sais en revanche cest que commettre linjustice cest-agrave-dire deacutesobeacuteir agrave qui vaut mieux que soi dieu ou homme est un mal une honte raquo (29 b) Cela admisle dirigeant doit ecirctre lhomme ou la femme le meilleur dans la citeacute de sorte quil est absolument juste que tous lui obeacuteissent

2 Voir ibid 342 a ndash b3 Ibid 342 b ndash c4 Ibid 342 c ndash d

199

savoir quelles sont les conditions La vie mecircme de Socrate et la Reacutepublique ont deacutejagrave

donneacute reacuteponses

IV53 Conception philosophique

Si lon reste dans la position de Thrasymaque agrave savoir que le plus fort ne se trompe

pas la question se pose comment le gouvernement eacutevite-t-il de se tromper Quelles

sont les conditions pour que les dirigeants ne se trompent pas Ou alors quelle est la

science qui ne peut se tromper En effet le problegraveme de Thrasymaque est quil na

pas chercheacute agrave faire de la politique une science car il na pas chercheacute agrave deacutefnir ce quest

la justice (δίκη δικαιοσύνη) mais ce quest le juste (τὸ δίκαιον) cest-agrave-dire ce quest

ecirctre juste Or on ne peut ecirctre juste sans savoir ce quest la justice si ce nest quon

devient parfois juste ccedila et lagrave sans le savoir La tacircche de la Reacutepublique fonder une

veacuteritable science la science des reacutealiteacutes veacuteritables sur laquelle se fonde la politique

afn que les dirigeants ne se trompent pas

Comme la politique reste dans le domaine de la technique administrer une citeacute

relegraveve de quelque chose bien technique Ainsi le philosophe-dirigeant ne signife pas

quil est agrave la fois philosophe et dirigeant ce qui est contraire au principe de lἔργον

mais dabord philosophe aboutissant agrave la contemplation des reacutealiteacutes veacuteritables et

ensuite dirigeant comme un pilote de navire il commence par apprendre des choses

theacuteoriques en la matiegravere avant decirctre maicirctre agrave bord du navire Ou alors laquo les

dirigeants ne seront pas mus par la compeacutetition mais reacutepondront agrave un devoir

impeacuterieux de justice Ne posseacutedant rien les philosophes dirigeront la citeacute et les

gardiens eux aussi deacutepourvus de biens se garderont dutiliser leur force pour

sapproprier les biens des producteurs raquo1 Notons que la doctrine politique telle

quelle est deacutecrite dans la Reacutepublique agrave savoir que la politique doit se fonder sur

lintelligible est un paradigme destineacute agrave ecirctre laquo regardeacute raquo par les politiques qui

administrent la citeacute Comme dans le Timeacutee le deacutemiurge fabrique lunivers en

regardant les formes intelligibles Dans cette perspective lunivers est une image du

monde intelligible la citeacute est une image de la Reacutepublique qui est une science des

reacutealiteacutes veacuteritables ou intelligibles

IV6 La connaissance de lecirctre

Nous entendons lecirctre sur trois niveaux 1 Lecirctre comme ce qui est purement et

simplement ce agrave quoi nous avons consacreacute dans le chapitre premier laquo La Forme raquo 2

1 Platon Paris Cerf 2017 p 157

200

Lecirctre comme existence cest une question eacutethique puisque mener une bonne

existence cest ecirctre vertueux nous nous consacrerons agrave cette question dans le chapitre

V laquo La vertu raquo 3 Nous examinons ici lecirctre comme raison mecircme de lexistence

IV61 Principes decirctre

Le mouvement rationnel de lacircme se fonde sur la connaissance des principes car sans

principe rien ne peut venir agrave ecirctre or

un principe est chose inengendreacutee Car cest dun principe que vient neacutecessairement agrave lecirctre tout ce qui vient agrave lecirctre tandis que le principe lui ne vient de rien En effet si le principe venait agrave lecirctre agrave partir de quelque chose ce ne serait pas agrave partir dun principequil viendrait agrave lecirctre Or comme cest une chose inengendreacutee cest aussi neacutecessairement une chose incorruptible Agrave supposer en effet que le principe soit aneacuteanti jamais ne pourraient venir agrave lecirctre ni ce principe agrave partir de quelque chose ni autre chose agrave partir de ce principe sil est vrai que toutes choses viennent agrave lecirctre agrave partir dun principe 1

En effet quand on atteint le principe laquo il sattache agrave suivre les conseacutequences qui

deacutecoulent de ce principe et il redescend ainsi jusquagrave la conclusion sans avoir recours

daucune maniegravere agrave quelque chose de sensible mais uniquement agrave ces formes en soi

qui existent par elles-mecircmes et pour elles-mecircmes et sa recherche sachegraveve sur ces

formes raquo2 Cela eacutetant les formes en soi sont les matiegraveres des principes ainsi non

seulement il faut connaicirctre les formes en soi mais aussi les principes qui sont en

quelque sorte les relations entre les Formes comme le nombre et le calcul par

exemple Sans nombre aucun calcul nest possible sans calcul le nombre ne peut

indiquer une loi matheacutematique Cest pourquoi un principe nest pas vraiment une

hypothegravese dont la valeur de veacuteriteacute reste agrave veacuterifer Alors quun principe eacutenonce

ouvertement la veacuteriteacute Prenons ce ceacutelegravebre passage que nous avons deacutejagrave lu

Socrate Tu admettras jimagine que le soleil apporte aux choses visibles non seulement la proprieacuteteacute decirctre vues mais aussi la geacuteneacuteration la croissance et la nourriture bien quil ne soit pas lui-mecircme geacuteneacuteration

Glaucon Comment le serait-il en effet

Socrate De mecircme pour les choses connues tu admettras donc non seulement quelles tiennent du Bien le fait decirctre connues mais aussi quelles tiennent de lui leur ecirctre et leur reacutealiteacute mecircme si le Bien nest pas reacutealiteacute mais se trouve au-delagrave de la reacutealiteacute quil surpasse en

1 Phegravedre 245 d laquo Les principes cest lorganisation de la matiegravere logique cest-agrave-dire le concept raquo (Lyotard Jean-Franccedilois La pheacutenomeacutenologie Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 625 2007 14e eacuted [1954 1egravere eacuted] p 10) Dans une telle deacutefnition les principes ne sont pas inengendreacutes puisque touteorganisation est engendreacutee De plus laquo on appelle concepts des repreacutesentations dans lesquelles nous amenons devant nous un objet ou des domaines entiers dobjets en leur geacuteneacuteraliteacute raquo (Heidegger Martin Concepts fondamentaux Paris Gallimard NRF 2001[1981] p 13) En aucun cas un principe nest une repreacutesentation

2 Reacutepublique VI 511 b ndash c

201

digniteacute et en puissance1

Le Soleil apporte aux choses visibles la proprieacuteteacute decirctre vues cest la veacuteriteacute et non pas

une hypothegravese dont si introduit geacuteneacuteralement la protase En ayant recours aux

reacutealiteacutes comme la geacuteneacuteration (γένεσις) la croissance (αὔξη) et la nourriture (τροφή)

le raisonnement invite agrave poser la question pourquoi le Soleil lui-mecircme nest-il pas

geacuteneacuteration Il faut lire la seconde reacuteplique de Socrate sur le Bien pour saisir la

reacuteponse parce que le Soleil se trouve au-delagrave de la geacuteneacuteration quil surpasse en

digniteacute et en puissance comme le Bien surpasse la reacutealiteacute (οὐσία) en digniteacute et en

puissance puisque cest du Bien que les choses connues procurent la digniteacute et la

puissance Sans cela elles ne peuvent venir agrave ecirctre encore moins ecirctre connues

Autrement dit le Bien est le principe de lecirctre

IV62 Fonction propre

Chaque chose a sa fonction ainsi le fait de ne pas connaicirctre sa fonction eacutequivaut agrave

dire que lon ne connaicirct pas la nature de cette chose par conseacutequent on ne peut pas

connaicirctre la raison decirctre de cette chose Mais parfois ou mecircme souvent la fonction

dune chose nest pas facile agrave saisir Par exemple agrave la fn du Pheacutedon Socrate dit ceci

laquo Criton nous devons un coq agrave Esculape Payez cette dette ne soyons pas

neacutegligents raquo2 Linterpreacutetation traditionnelle de cette fameuse phrase laquo est que Socrate

veut sacrifer un coq agrave ce dieu pour le remercier de lavoir gueacuteri de la vie raquo3 Voici le

propos de Nietzsche agrave propos de ce sacrifce socratique quelque peu eacutenigmatique

Je deacutesirerais quil se fucirct eacutegalement tu dans les derniers moments de sa vie - peut-ecirctre appartiendrait-il alors agrave un ordre des esprits encore plus eacuteleveacute Est-ce que ce fut la mort ou le poison la pieacuteteacute ou la meacutechanceteacute - quelque chose lui deacutelia agrave ce moment la langue et il se mit agrave dire laquo Oh Criton je dois un coq agrave Esculape raquo Ces laquo derniegraveres paroles raquoridicules et terribles signifent pour celui qui a des oreilles laquo Oh Criton la vie est une maladie raquo Est-ce possible Un homme qui a eacuteteacute joyeux devant tous comme un soldat mdash un tel homme eacutetait pessimiste Cest quau fond durant toute sa vie il navait fait que bonne mine agrave mauvais jeu et cacheacute tout le temps son dernier jugement son sentiment inteacuterieur Socrate Socrate a souffert de la vie Et il sen est vengeacute mdash avec ces paroles voileacutees eacutepouvantables pieuses et blaspheacutematoires Un Socrate mecircme eut-il encore besoin de se venger Manquait-il un grain de geacuteneacuterositeacute agrave sa vertu si riche - Heacutelas mes amis Il faut aussi que nous surmontions les Grecs 4

1 Ibid 509 a ndash b Trad par Luc Brisson (cf laquo Lapproche traditionnelle de Platon par HF Cherniss raquo New Image of Plato Dialogues on the Idea of the Good Sankt Augustin Academia Verlag 2002 p 86 ndash87 ou encore Platon Paris Cerf 2017 p 237)

2 Pheacutedon 118 a3 Ibid laquo Notes raquo ndeg 382 p 4084 Nietzsche Friedrich laquo sect340 Socrate mourant raquo Le gai savoir Les eacutechos du maquis Trad par Henri

Albert Eacutedition eacutelectrique 2011 p 178

202

Pour comprendre correctement la phrase de Socrate il faut comprendre la fonction

du coq et celle du dieu de la meacutedecine Agrave leacutegard de lactiviteacute humaine la fonction du

coq consiste agrave reacuteveiller des gens le matin tocirct agrave lheure preacutecise pour aller au travail

Socrate est reacuteveilleur des acircmes qui sendorment reacuteguliegraverement plus ou moins

longtemps dans lignorance en ce sens Socrate est un meacutedecin de lacircme Mais

pourquoi un sacrifce agrave Esculape le dieu de meacutedecine et non pas agrave un autre dieu La

fonction du dieu de la meacutedecine nest pas de gueacuterir les hommes des maladies ce qui

est la fonction des meacutedecins ou des gens dispenseacutes dune folie teacutelestique mais de

dispenser un don de meacutedecine aux gens Autrement dit la fonction dEsculape

consiste agrave veiller sur les meacutedecins et non pas sur les malades Cest pourquoi il est

senseacute sacrifer un coq agrave Esculape dune part car gracircce lui Socrate avait la chance

decirctre philosophe un meacutedecin de lacircme reacuteveilleur de lacircme ignorante dautre part

pour remercier le dieu afn quil envoie un autre meacutedecin de lacircme apregraves la mort de

Socrate Peut-ecirctre ceci avait-il eu lieu avant mecircme sa mort En effet la vie est sans

doute une maladie pour les gens dont lacircme souffre de douleurs cest la raison pour

laquelle ces gens ont geacuteneacuteralement besoin de se venger pour soulager leur jalousie

Or ni Socrate ni aucun vrai philosophe ne souffrent de la douleur de lacircme

La question se pose ainsi existe-t-il la fonction du mal celle de lignorance ou celle

de la douleur de lacircme Par deacutefnition il ne peut y en avoir car le mal est mal parce

quil est deacutepourvu de toute fonction En dautres termes il y a deux sortes dactiviteacute

les activiteacutes au service dune fonction cest-agrave-dire au service du Bien et celles

deacutepourvues de fonction cest-agrave-dire celles qui ne participent nullement au Bien Mais

tregraves souvent un acte est composeacute plus ou moins dune part de bien et dune part de

mal Cela donne parfois limpression que le mal pourrait mener au bien ou

inversement une confusion de choses conduit facilement agrave une confusion de

jugement Par exemple le fait de renverser le dictateur libyen Kadhaf semblait ecirctre agrave

la fois une bonne et mauvaise chose car il est juste de faire disparaicirctre la dictature

mais il nest pas juste de faire une guerre injuste cest dailleurs une des leccedilons

dAlcibiade faire une guerre juste

IV63 Eacuteducation

Leacuteducation nest pas seulement un programme elle est une reacutealiteacute humaine comme

le π est une reacutealiteacute du cercle sans le π on ne peut faire un cercle juste De mecircme

sans eacuteducation eacutethiquement et politiquement on ne peut eacutechapper agrave lignorance et

203

par conseacutequent agrave ecirctre injuste Pour bien deacutevelopper la citeacute on a besoin des

matheacutematiques de la meacutedecine des sciences naturelles de lastronomie et toutes les

autres disciplines particuliegraveres qui remplient le programme de leacuteducation Mais

laquo cest dans une tout autre perspective non plus individuelle mais civique que dans

l a Reacutepublique et dans les Lois Platon envisage leacuteducation raquo1 Eacuteduquer cest eacutelever

lacircme En effet une bonne loi nempecircche pas linciviliteacute et linjustice si lacircme est mal

eacuteduqueacutee et domineacutee par le vice Agrave linverse une mauvaise loi nengendre pas

neacutecessairement linciviliteacute et linjustice si lacircme est bien eacuteduqueacutee et saccorde au Bien

Cela eacutetant eacutelever lacircme vers le Bien doit ecirctre le principe du programme de

leacuteducation Autrement dit aspirer au savoir doit ecirctre le fondement de leacuteducation et

commencer degraves lacircge eacuteducatif Y a-t-il un acircge de laspiration au savoir A priori non

car lacircme na ni le sexe ni lacircge En effet la philosophie ne trouve sa place quagrave la

classe terminale cela montre queacutelever lacircme par la science de ce qui est nest pas une

prioriteacute dans leacuteducation

Le livre VII de la Reacutepublique commence par le ceacutelegravebre mythe de la caverne qui est

preacuteceacutedeacute par cette phrase laquo En bien apregraves cela dis-je compare notre nature

consideacutereacutee sous langle de leacuteducation agrave la situation suivante raquo2 La vie commune

sans eacuteducation est une vie de la caverne ougrave la grande majoriteacute de gens vivent dans

lombre ils sont entraicircneacutes les cous ligoteacutes les acircmes manipuleacutees par un petit nombre

de gens qui savent utiliser la lumiegravere dun feu pour creacuteer des illusions Autrement

dit la citeacute sans eacuteducation est une caverne lindividu sans eacuteducation est un

prisonnier Cest pourquoi leacuteducation est un fondement eacutethique et politique car

leacuteducation permet de rendre lacircme du citoyen excellente et par conseacutequent de

rendre la citeacute harmonieuse Encore faut-il que leacuteducation se fonde sur le Bien comme

principe

IV7 Conclusion

Le terme τέχνη et dautres noms de meacutetiers comme lart de tisser (ὑφαντική) de

jouer (αὐλητική) de naviguer (κυβερνητική) ou encore de la meacutedecine (ἰατρική)

sont abondamment preacutesents dans les dialogues platoniciens Mais nous avons

examineacute la techniques comme opinion et comme utiliteacute En effet il y a trois sortes de

technique agrave savoir 1 la technique conjecturale cest-agrave-dire sans recours agrave la mesure

ni aux outils de mesure la lutte ou lart de jouer la fucircte par exemple comme si la

1 Dictionnaire Platon Ellipses p552 Reacutepublique VII 514 a

204

technique eacutetait opinion 2 La technique plus scientifque cest-agrave-dire recours agrave

lexactitude au moyens des outils de mesure il sagit principalement des

matheacutematiques comme la construction par exemple Dans ce cas-lagrave il faut distinguer

deux choses agrave savoir la technique proprement dite et les disciplines scientifques

dont la technique a besoin pour ameacuteliorer sa techniciteacute pour lesquelles le technicien

nen a pas de compeacutetence 3 la technique externaliseacutee en machine dans ce cas-lagrave le

fait dutiliser la machine relegraveve dune autre technique Toute technique a son utiliteacute

particuliegravere dont la performance deacutepend de la connaissance en la matiegravere de la

sensation de la pratique mais aussi du temps qui peut rendre danciennes

techniques ou des machine-outils inutiles

La doctrine politique telle quelle est exposeacutee dans la Reacutepublique semble simple agrave

savoir la citeacute est une image du monde intelligible et par conseacutequent dune part la

politique doit faire laquo reacutefeacuterence agrave un systegraveme de valeurs universelles et immuables raquo1

et dautre part les dirigeants doivent ecirctre impeacuterieux de justice tout en eacutetant hors de

toute compeacutetition et deacutepourvus de richesses Il faut bien distinguer entre la

Reacutepublique et la politique comme il faut bien distinguer entre lintelligible et le

sensible entre le modegravele et ses images La Reacutepublique est destineacutee agrave ecirctre lue pour

gouverner la citeacute comme le deacutemiurge a fabriqueacute lunivers en regardant les formes

intelligibles Autrement dit la Reacutepublique est la science de ce qui est sur laquelle doit

se fonder la politique Sans une telle distinction on risque ineacutevitablement de

confondre les reacutealiteacutes intelligibles et les reacutealiteacutes politiques cest-agrave-dire historiques

De la connaissance des reacutealiteacutes sensibles agrave la connaissance des reacutealiteacutes intelligibles le

parcours est long diffcile mais beacuteneacutefque Long parce que dune part la

connaissance humaine avance de maniegravere progressive par exemple de la geacuteomeacutetrie

euclidienne agrave la geacuteomeacutetrie carteacutesienne presque deux mille ans eacutecouleacutes dautre part

le monde sensible coloreacute fguratif et tangible est plus seacuteduisant que laquo lecirctre qui est

sans couleur sans fgure et intangible raquo2 le sensible reacuteduit le courage de chercher et

dapprendre Diffcile parce que dune part le chemin entre le sensible et lintelligible

est vertical alors que lhomme marche horizontalement dautre part le sensible et

lintelligible sont seacutepareacutes alors que lhomme est une union de deux parties lacircme et le

corps ainsi il na ni la capaciteacute de marcher verticalement sans avoir recours agrave un

certain moyen la dialectique par exemple dont nous parlerons dans le chapitre VI

1 Brisson Luc Platon Paris Cerf 2017 p 1692 Phegravedre 247 c

205

laquo La dialectique raquo ni lhabitude de la seacuteparation dont la solitude peut ecirctre bien

diffcile agrave supporter Beacuteneacutefque parce quil sagit dun voyage vers lecirctre vers le Bien

gracircce agrave lἐπιστμήμη

206

Ch V La vertu209V1 Sens de lἀρετή210

V11 Excellence sans connotation eacutethique210V12 Excellence technique et eacutethique211V13 Excellence de lacircme212

V2 La justice213V21 La justice et les sophistes215

V211 Luniteacute des vertus215V212 La justice et le bonheur216V213 Deacutepassement de lopposition entre la nature et la loi218

V22 La justice et la tacircche propre219V221 Lexcellence et la fonction propre220V222 La justice et leacuteducation221V223 La justice est lexcellence de toutes les fonctions223

V23 La Justice et la citeacute224V231 Les enfants et les femmes225V232 La citoyenneteacute226V233 Luniteacute de la citeacute230

V3 La tempeacuterance233V31 La loi lunivers et le divin235

V311 La puissance du savoir divin236V312 Eacuteteindre la deacutemesure238V313 Mythe dEr240

V32 Principes cosmologiques242V321 La proportion242V322 La hieacuterarchie244V323 Lharmonie245

V33 Le discours la justice et la tempeacuterance246V331 La loi comme discours247V332 La loi comme distribution de lintellect249

V4 Le courage251V41 Reacutesister agrave la peur252

V411 La peur de la mort254V412 La peur de la veacuteriteacute256

V42 Reacutesister aux deacutesirs et aux plaisirs257V5 Conclusion259

207

Ch V La vertu

Si la vertu est science pourquoi parlons-nous encore de la science dont nous venons

de terminer lexamen En effet la science est du cocircteacute de lecirctre en soi (τὸ ὄν ou τὸ

εἶναι) la vertu est du cocircteacute de lecirctre (εἶναι) cest-agrave-dire du cocircteacute de leacutethique soit deux

faccedilons de voir la mecircme chose lune nommeacutee lἐπιστήμη lautre lἀρετή qui est agrave la

fois ontologique et eacutethique Ontologique car le degreacute le plus eacuteleveacute de lexcellence est

lecirctre ontologique cest-agrave-dire laquo ce qui est purement et simplement ecirctre raquo1 Eacutethique

car lexcellence de lacircme humaine a pour nom la vertu Il sagit agrave deux reprises de

connaicirctre ce qui est Nous devrions eacutetudier dabord la vertu ensuite la science En

effet dans les premiers dialogues il sagit principalement de questions concernant la

vertu et non pas de la science de ce qui est Dailleurs la Reacutepublique commence par des

questions sur la vertu Comme si ceacutetait de la vertu queacutetait neacutee la science et que la

vertu serait en quelque sorte la megravere de la science La flle est toujours plus belle que

la megravere cest pourquoi nous avons dabord preacutesenteacute la flle et delle nous remontons

vers la megravere comme si la flle preacutesentait la megravere pour montrer que toute la beauteacute de

la flle vient de la megravere En tout cas cest ce que fait Platon lui-mecircme il nous preacutesente

Socrate sans se mettre lui-mecircme en avant comme si toute sa splendeur venait de

Socrate

Le substantif laquo vertu raquo traduit lἀρετή qui exprime agrave la fois lexcellence (dune chose)

et la vertu (de lacircme)2 mais elle signife aussi la nature dune responsabiliteacute dans la

citeacute3 Un brigand peut bien exceller dans sa briganderie mais en aucun cas il nest

vertueux Un couteau est fait pour couper et son excellence est donc la lame ou plus

exactement en cet endroit quest la lame se trouve lexcellence du couteau Mais cette

excellence peut bien ecirctre utiliseacutee pour assassiner et elle se manifeste aussi

parfaitement dans la cuisine que dans lassassinat puisquil sagit de sa fonction

propre agrave savoir couper En effet lἀρετή peut avoir trois niveaux de signifcation 1

Lexcellence dune chose relegraveve de la fonction propre de cette chose 2 La maicirctrise de

1 Cest-agrave-dire τὸ εἰλικρινῶς ὄν Reacutepublique V 4772 Par exemple dans les deux pages 353 et 354 du livre I de la Reacutepublique lἀρετή deacutesigne lexcellence

dune chose mais dans le livre IV elle deacutesigne la vertu3 Par exemple la citeacute exige aux producteurs decirctre 1 justes et 2 tempeacuterants aux guerriers decirctre 1

justes 2 tempeacuterants et 3 courageux aux philosophes 1 justes 2 tempeacuterants 3 courageux et 4 sages Cf Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon Parisi Vrin 2005 pp 25 ndash 41 particuliegraverement p 27

209

cette excellence constitue une autre fonction propre qui a pour but lusage correct de

cette excellence relegraveve du professionnalisme 3 Le bon usage de cette excellence ce

qui relegraveve de leacutethique En effet lexcellence dune chose est le reacutesultat dune

production soit par un dieu (lexcellence poeacutetique dHomegravere par exemple) soit par la

nature soit par les ecirctres humains ou encore par dautres mortels (le nid est sans

doute une forme dexcellence) mais toute excellence ne se manifeste pas si elle nest

pas au service Agrave linverse elle se manifeste parfaitement lorsquelle est au service

dans sa fonction propre Cest dans cette triple perspective que nous deacuteveloppons ce

chapitre

V1 Sens de lἀρετή

Dans les dialogues platoniciens le sens de lἀρετή est multiple mais assez structureacute

Dabord il signife lexcellence dune chose sans connotation eacutethique ensuite avec une

contrainte eacutethique et enfn en tant que science

V11 Excellence sans connotation eacutethique

Les yeux sont faits pour voir voir est la fonction propre des yeux mais cette fonction

propre nempecircche nullement que lon voit une mauvaise chose Les oreilles sont

faites pour entendre entendre est la fonction propre des oreilles mais elles entendent

les mauvaises paroles aussi bien que les bonnes paroles

Socrate Mais voilagrave est-ce que les yeux pourraient accomplir convenablement leur fonction propre sils eacutetaient deacutepourvus de leur excellence propre et quagrave la place de lexcellence ils aient le deacutefaut

Thrasymaque Comme est-ce possible dit-il Tu fais sans doute allusion au fait quau lieu de proceacuteder la vision ce serait la ceacuteciteacute

Socrate Peu importe ce quest leur excellence dis-je Ce nest pas lobjet particulier de mon questionnement mais je demande plutocirct si cest gracircce agrave son excellence propre que ce qui est doteacute dune fonction propre accomplit bien ses œuvres ou si cest par le deacutefaut quil laccompli mal 1

Lexcellence des yeux est la pupille ou plutocirct se trouve dans la pupille 2 Si la pupille a

un deacutefaut on voit mal Cest lagrave que reacuteside la diffeacuterence entre lexcellence du corps et

lexcellence de lacircme ce nest pas parce quon voit mal quon est mauvais et laid ni

non plus quon voit bien quon est neacutecessairement bon et beau Exemple

Socrate Mais encore ne pourrait-tu tailler le sarment de vigne avec un coutelas une hachette et beaucoup dautres outils

1 Reacutepublique I 353 b ndash c2 Voir Alcibiade 133 b

210

Thrasymaque Pourquoi pas

Socrate Mais aucun je pense ne ferait le travail aussi bien quune serpette faite expregraves pourcette tacircche

Thrasymaque Cest vrai

Socrate Nadmettons-nous pas degraves lors que cest lagrave la fonction propre de la serpette 1

Mais avec cette excellente serpette on peut bien mal tailler un sarment lexcellence

de la serpette ne peut garantir la qualiteacute de la taille Mecircme si un viticulteur possegravede

une excellente serpette et une excellente technique de taille cela ne pourrait pas

lempecirccher de produire le vin avec malhonnecircteteacute Le controcircle rigoureux et la sanction

seacutevegravere de lautoriteacute en la matiegravere montrent que la fraude est toujours preacutesente Dans

le cas opposeacute un viticulteur peut bien tailler les sarments avec un coutelas cest sans

doute moins effcace peut-ecirctre mecircme un peu peacutenible mais cela nempecircche pas non

plus quil produise du bon vin agrave un prix tout agrave fait correct Cela dit lexcellence

technique est dissocieacutee de la vertu cest-agrave-dire de lexcellence morale parce que la

fonction propre en question est simplement technique

V12 Excellence technique et eacutethique

Dans le cas du pilotage de navire lexcellence technique du pilote est inseacuteparable de

la reacutefexion car deacutepourvu de reacutefexion il peut causer du tort agrave son eacutequipage et par

conseacutequent mettre en peacuteril de son navire

Socrate Et sur un navire si un passager avait la liberteacute de faire ce que bon lui semble en eacutetant priveacute de lintellect et de lexcellence du pilote ne vois-tu pas ce qui lui arriverait agrave luicomme agrave ses compagnons

Alcibiade Agrave mon avis ils peacuteriraient tous

Socrate De la mecircme maniegravere dans une citeacute comme dans tout pouvoir et dans toute liberteacute daction labsence dexcellence ne conduit-il pas agrave mal agir 2

Ici laquo mal agir raquo a une valeur eacutethique Pourquoi Car le pouvoir de commander aux

autres est un pouvoir sur lacircme des autres laquo Et tant quon ne possegravede pas lexcellence

mieux vaut non seulement pour un enfant mais aussi pour un homme obeacuteir agrave un

meilleur que soi de commander raquo3 Or

Ce que je sait en revanche cest que commettre linjustice cest-agrave-dire deacutesobeacuteir agrave qui vaut mieux que soi dieu ou homme est un mal une honte4

Autrement dit commettre une injustice eacutequivaut agrave ne pas laisser celui qui est

1 Reacutepublique I 352 e ndash 353 a2 Alcibiade 135 a ndash b3 Ibid 135 b4 Apologie 29 b

211

meilleur que soi agrave commander Cest eacutevidemment une question eacutethique cest-agrave-dire

deacutevalution rationnelle de la morale est-ce que lautre est meilleur que soi en

matiegravere de commandement Il sagit lagrave dune eacutevaluation faite par soi-mecircme et non

par dautres et encore moins par ceux qui se trouvent sous son commandement On

voit bien que la κυβερνητική comme ce que le composition du mot indique mdash lart

(+τική) de gouverner ou de piloter (κυβερνᾶν) mdash relegraveve du domaine de la technique

mais avec une exigence eacutethique aussi importante quune exigence technique car

gouverner consiste avant tout agrave gouverner les autres acircmes Cela eacutetant lart de piloter

nest pas simplement une technique mais est bien connoteacute par une valeur eacutethique

mecircme si le pilote ne devient pas pour autant sage (σοφός) puisque le sage ne

possegravede aucune compeacutetence particuliegravere

V13 Excellence de lacircme

Dans le premier cas il sagit dune excellence simplement technique sans connotation

eacutethique Dans le second cas lart de piloter est eacutethiquement connoteacute sans pour autant

que le pilote ne devienne sage cest parce que laquo le vrai pilote doit neacutecessairement se

soucier du temps des saisons du ciel des astres des vents et de tous eacuteleacutements qui

ont de limportance dans lexerce de son art raquo1 On peut imaginer que toutes ces

compeacutetences empecircchent sans doute le pilote de se soucier de sa propre acircme et de son

excellence cest-agrave-dire de la vertu qui na rapport avec aucune technique puisque

lexcellence de lacircme (ἀρετή) deacutesigne lintellect qui est la faculteacute de connaicirctre ce qui

est En ce sens la vertu lintellect (νοῦς) et la science (ἐπιστήμη) sont synonymes

Ainsi faire lusage constant de lintellect revient agrave posseacuteder lexcellence de lacircme de

lagrave se manifeste le paradoxe socratique la vertu est science

Selon les quatre eacutetats de lacircme (τέτταρα παθήματα ἐν τῇ ψυχῇ2) telles quelles sont

preacutesenteacutees agrave la fn du livre VI et au milieux du livre VII agrave savoir la repreacutesentation la

croyance la penseacutee et lintellection la question se pose y a-t-il une excellence de

chacun de ces quatre eacutetats Le terme παθήματα deacutesigne les proprieacuteteacutes (δυνάμεις)

des reacutealiteacutes sensibles gracircce agrave ces proprieacuteteacutes la sensation dune reacutealiteacute sensible peut se

produire en corps et ecirctre transmise agrave lacircme3 Les quatre παθήματα correspondent en

effet aux quatre types dactiviteacutes de lacircme lesquelles consistent agrave remontrer la

sensation jusquagrave lintellect Comme il sagit dactiviteacute il existe neacutecessairement

1 Reacutelublique VI 488 d2 Ibid VI 511 d3 Cf Timeacutee laquo Notes raquo ndeg 266 p 143 ndeg 526 p 263

212

lexcellence dune activiteacute voici la correspondance entre les quatre activiteacutes et les

quatre excellences de lacircme

quatre activiteacutes repreacutesentation croyance penseacutee intellection

quatre vertus juste tempeacuterant courage sagesse

En dautres termes lorsquil sagit de repreacutesentation il est neacutecessaire decirctre juste sans

quoi la sensation ne peut remonter jusquagrave lintellect afn de saisir les reacutealiteacutes

veacuteritables de mecircme pour la croyance la penseacutee et lintellection

V2 La justice

Le terme laquo justice raquo traduit les deux termes δίκη et δικαιοσύνη leur apparition dans

le corpus platonicien est assez caracteacuteristique voici le tableau pour lillustrer1

Les dialogues de jeunesse de maturiteacute de vieillesse

δίκη δικαιοσύνη δίκη δικαιοσύνη δίκη δικαιοσύνη

ApologieCritonHippias minHippias majIonAlcibiadeLachegravesProtagorasMeacutenexegraveneEuthyphronGorgiasCharmideMeacutenonLysisEuthydegraveme

45010006118460000

034302223101601100

CratyleBanquetPheacutedonReacutepublique IReacutep IIReacutep IIIReacutep IVReacutep VReacutep VIReacutep VIIReacutep VIIIReacutep IXReacutep XPhegravedreParmeacutenideTheacuteeacutetegravete

21101511503024704

1444343229451228311

SophistePolitiquePhilegravebeTimeacuteeCritiasLois ILois IILois IIILois IVLois VLois VILois VIILois VIIILois IXLois XLois XILois XII

100544125617263992722

30100420000002102

Premiegravere remarque la δίκη se concentre particuliegraverement dans lEuthyphon dans le

Gorgias dans les Lois VI IX XI et XII Deuxiegraveme remarque la δικαιοσύνη se

concentre dans le Protagoras dans le Gorgias dans la Reacutepublique I II et IV Troisiegraveme

remarque dans la Reacutepublique la δίκη est presque neacutegligeable par contre dans les

Lois la δικαιοσύνη est presque absente Pourquoi y a-t-il une telle diffeacuterence de

distribution caracteacuteriseacutee de ces deux termes particuliegraverement contrasteacutee entre la

Reacutepublique et les Lois Cest probablement parce que leur fondement est diffeacuterent La

justice (δικαιοσύνη) dans la Reacutepublique se fonde sur la science (ἐπιστήμη) tandis que

1 Cf laquo Annexe δίκη δικαιοσύνη raquo pour les deacutetails

213

la justice (δίκη) dans les Lois se fonde sur la loi (νόμος) Toutefois cela revient au

mecircme car comment peut-on faire une bonne loi sans la science1 Mais dans la

pratique les deux termes sont tregraves diffeacuterents le fait de ne pas respecter la loi sera

jugeacute par les juges et recevra un chacirctiment approprieacute tandis que le fait de mal reacutealiser

sa tacircche propre est certes injuste mais pas sanctionneacute par la loi plutocirct reprocheacute par

lopinion par la socieacuteteacute ou encore par les autoriteacutes morales (les parents les anciens

les maicirctres les sages etc) Voici la distribution de ces deux termes ἐπιστήμη et νόμος

dans la Reacutepublique et dans les Lois

Lois νόμος ἐπιστήμη νόμος ἐπιστήμη Reacutepublique

I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII

401234572345584976326142

201000001001

26181454654

6222212811034

I II III IV V VI VII VIII IX X

Le tableau montre que la science est quasiment absente dans les Lois2 cela semble

confrmer notre interpreacutetation En revanche le terme νόμος est bien preacutesent dans la

Reacutepublique3 mais il nest pas lobjet de la Reacutepublique cependant il est agrave lorigine de la

recherche dune science de ce qui est

Socrate [hellip] Mais quand il sagit des gardiens des lois et de la citeacute qui paraissent tels sans lecirctre tu vois bien quils peuvent deacutetruire toute la citeacute de fond en comble tout comme ils sont par ailleurs les seuls capables de saisir loccasion de la bien gouverner et de lui procurer du bonheur[hellip]4

1 laquo Dans la tradition la δίκη cest la justice telle quelle se manifeste avant tout dans le jugement dans la condamnation dans lexeacutecution et elle est rattacheacutee agrave lαἰδώς qui se reacutefegravere agrave lopinion publique dont elle apparaicirct souvent comme la contrepartie comme devoir du sujet agrave leacutegard de soi-mecircme raquo (Dictionnaire Platon Paris Ellipses 2007 p 81)

2 Lois I ἐπιστήμην (639 b) ἐπιστήμην (639 b) III ἐπιστήμαις (689 b) IX ἐπιστήμης (875 c) XI ἐπιστήμων (933 c) XII ἐπιστήμην (968 e)

3 Reacutepublique I νόμους (338 e) νόμους (339 c) II νόμους (359 a) νόμου (359 a) νόμων (365 e) νόμου (380 c) νόμων (380 c) νόμοις (383 c) III νόμοις (415 e) IV νόμων (421 a) νόμων (424 c) νόμους(424 e) νόμων (425 e) νόμων (427 a) νόμου (429 c) νόμους (430 a) νόμων (445 e) V νόμος (451 b) νόμου (452 c) νόμου (453 d) νόμον (456 c) νόμου (457 b) νόμος (457 c) νόμοις (458 c) νόμος (461 b) νόμος (461 e) νόμους (462 a) νόμος (463 d) νόμος (465 a) νόμων (465 b) νόμον (471 b) VI νόμους (484 b) νόμους (497 d) νόμους (501 a) νόμους (502 b) νόμων (504 c) VII νόμου (531 d) νόμος (532 a) νόμον (532 d) νόμοις (541 a) VIII νόμον (548 b) νόμους (550 d) νόμον (551 a) νόμον (556 a) νόμος (557 e) νόμων (563 d) IX νόμων (571 b) νόμοις (574 e) νόμου (587 a) νόμον (587 c) νόμος (590 e) X νόμος (604 a) νόμος (604 b) νόμος (604 b) νόμου (607 a)

4 Ibid IV 421 a

214

Qui sont laquo les gardiens des lois et de la citeacute raquo sinon les philosophes Autrement dit

dans la Reacutepublique la justice est science cela est mecircme eacutenonceacute vers la fn du livre I

laquo la justice est vertu et sagesse (σοφία) raquo1 ce qui est tout agrave fait platonicien agrave savoir

que la justice est le fondement de la loi et de la citeacute la science est le fondement de la

politique

V21 La justice et les sophistes

Trois entretiens de Socrate avec des sophistes concernent particuliegraverement la justice

agrave savoir le Protagoras le Gorgias et le live I de la Reacutepublique Concernat la section

laquo III122 Rien de trop et Protagoras raquo nous avons deacutejagrave analyseacute la conception de la

justice exposeacutee par Protagoras sous forme de mythe et de discours dans le dialogue

qui porte son nom Dans la section laquo IV42 Conception progressiste raquo nous avons

eacutegalement analyseacute la conception de la justice exposeacutee par Thrasymaque dans le livre

I de la Reacutepublique Nous avons montreacute que leur conception de la justice est plus ou

moins eacutelaboreacutee du moins que ce nest pas un coup de sensation mais quils

deacutefendaient mal leur thegravese parce quils neacutetaient pas dialecticiens Ici nous ne

revenons plus agrave lanalyse de leur conception de la justice mais nous nous inteacuteressons

agrave la suite de leur entretien avec Socrate afn de voir plus clairement la nature de la

vertu

V211 Luniteacute des vertus

Luniteacute des vertus est lun des cinq principaux paradoxes socratiques2 La vertu est

science la vertu est une uniteacute ces deux affrmations sont deacutejagrave explicites dans le

Protagoras mais Socrate et Protagoras narrivent pas agrave se mettre daccord sur la nature

de la science et celle de luniteacute3 Pour Socrate la vertu est science mais elle ne

senseigne pas Agrave lopposeacute Proragoras pense quelle senseigne mais elle nest pas

science4 De mecircme sur luniteacute des vertus pour Protagoras luniteacute se compose des

parties comme le visage qui se compose du nez des oreilles de la bouche des yeux

En revanche pour Socrate luniteacute des vertus nest pas composeacutee comme une forme

1 Ibid I 350 d2 Agrave savoir laquo 1 la vertu est une connaissance 2 personne ne fait le mal volontairement 3 les

vertus constituent une uniteacute 4 il vaut mieux subir linjustice que la commettre 5 il ne faut jamais reacutepondre agrave linjustice par linjustice ni faire du mal agrave autrui pas mecircme agrave celui qui nous enaurait raquo Cf Dorion Louis-Andreacute laquo Les paradoxes socratiques raquo Socrate Paris PUF 2006 [2004] pp 76 ndash 89

3 Cf OBrien Denis laquo Socrates and Protagoras on Virtue raquo Oxford Studies in Ancient Philosophy 24 2003 p 59 ndash 131

4 Protagoras 330 b

215

intelligible En tout cas luniteacute des vertus et luniteacute de la forme intelligible sont de

mecircme nature comme le jour dans le Parmeacutenide ou lor dans le Protagoras1 Quelle est

la diffeacuterence entre le visage et lor en terme de nature En effet si lon divise le

visage en quatre parties nous trouvons les oreilles le nez les yeux et la bouche Ces

quatre organes des sens sont fonctionnellement et structuralement diffeacuterents chacun

a un nom diffeacuterent une fonction diffeacuterente et une forme diffeacuterente Par ailleurs si

lon divise un lingot dor en mille morceaux leur nom leur fonction et leur structure

sont strictement identiques comme si lor eacutetait indivisible quand bien mecircme il est

physiquement divisible Reste agrave savoir comment expliquer la diffeacuterence des vertus

avec la repreacutesentation de lor Puisquon a diffeacuterentes vertus et que chacune a un

nom diffeacuterent la justice la tempeacuterance le courage la sagesse pour ne citer que ces

quatre vertus dites cardinales En effet un or peut servir agrave fabriquer une bague une

statuette un pendentif une piegravece de monnaie ou autres choses tout en restant or

Pourtant le nom de ces œuvres est diffeacuterent parce que leur fonction est diffeacuterente

une piegravece de monnaie en or na pas la mecircme fonction quune bague en or Cest

exactement la mecircme chose pour les vertus qui portent chacune un nom diffeacuterent tout

en restant identiques

V212 La justice et le bonheur

Lassociation entre la justice et le bonheur est eacutevoqueacutee pour la premiegravere fois dans la

Reacutepublique par Thrasymaque sous ces termes

Et tu [Socrate] as fait tellement de progregraves dans la connaissance du juste et de la justice de linjuste et de linjustice que tu ignores que la justice et le juste constituent en reacutealiteacute le bien dun autre cest linteacuterecirct du plus fort et de celui qui dirige et que ce qui revient en propre agrave celui qui obeacuteit et qui sert cest le dommage que linjustice est le contraire quelle commande agrave ceux qui sont authentiquement moraux et justes que les subordonneacutes contribuent agrave linteacuterecirct de celui qui est le plus fort quils font son bonheur (εὐδαίμονα) en eacutetant agrave son service mais quil ne font aucunement leur propre bonheur2

1 Dans le Protagoras pour Socrate luniteacute des vertus est agrave la maniegravere de lor Dans le Parmeacutenide agrave propos de la participation agrave la Forme Socrate pense que laquo cest agrave la maniegravere du jour raquo (131 b) alors que la position de Parmeacutenide est similaire agrave celle de Protagoras agrave savoir que le tout est la totaliteacute des parties Tandis que la position de Socrate dans les deux dialogues est identique luniteacute est non-composeacutee Pourtant si on en croit la chronologie des dates de composition des dialoguesplatoniciens celle du Protagoras se situe avant 388387 (premier voyage de Platon en Sicile cf Lachegraves laquo Introduction raquo p 23) et celle du Parmeacutenide laquo peu danneacutees apregraves 370 raquo (Parmeacutenide laquo Introduction raquo 14) cela eacutetant plus de vingt ans deacutecart seacutetant eacutecouleacutes entre ses deux dialogues lapenseacutee meacutetaphysique de Socrate (lun pur) semblerait ne pas changer

2 Reacutepublique I 343 b ndash d Dans le livre III Socrate reproche aux poegravetes de laquo commettre les plus grandes erreurs raquo en avanccedilant que laquo nombreux sont ceux qui sont heureux tout en eacutetant injustes quil y a des justes malheureux que linjustice est proftable pour peu quelle demeure cacheacutee et quau contraire la justice constitue un bien pour autrui mais un dommage pour soi-mecircme raquo (492 b)

216

Pour Thrasymaque le bonheur est lieacute agrave la possession de la richesse alors que pour

Timeacutee le bonheur est la participation agrave limmortaliteacute1 Les termes qui se constituent agrave

partir dlaquo εὐδαίμον raquo sont relativement bien preacutesent dans les dix livres de la

Reacutepublique (tregraves regroupeacutes dans le livre IV)2 Au fond pour Thrasymaque ce sont les

injustes les plus forts puisque ce sont eux qui commandent en reacutealiteacute aux gens qui

sont authentiquement moraux et justes et comme ils en proftent le plus possible

pour senrichir en eacutetant injustes ils seraient plus heureux que les justes Il sagit lagrave

dune conception du bonheur fondeacutee sur les biens exteacuterieurs cest-agrave-dire les biens

particuliers se rapportant en veacuteriteacute au corps et non agrave lacircme Si ceacutetait vraiment comme

ce que Thrasymarque venait de dire cela signiferait quil ne sagit pas dune citeacute

juste Une citeacute juste doit ecirctre neacutecessairement gouverneacutee par la justice en tant que

science puisque la connaissance de la justice en soi relegraveve de la science et par

conseacutequent une citeacute juste doit ecirctre une citeacute ougrave la justice la rend heureuse tout entiegravere

Socrate [hellip] Nous affrmons en effet quil ny aurait rien deacutetonnant agrave ce que ces hommes soient dans ces circonstances tout agrave fait heureux et que nous neacutetablissons pas cette citeacute enayant pour seule perspective quun groupe unique soit chez nous exceptionnellement heureux mais bien la citeacute tout entiegravere autant que possible Nous avons penseacute en effet que cest dans une telle citeacute que nous trouverions vraiment la justice et agrave linverse que nous trouverions linjustice dans la citeacute eacutetablie de la pire faccedilon de sorte quen les examinant de pregraves nous pourrions porter un jugement sur ce que nous recherchons depuis si longtemps3 [hellip]

La justice procure du bonheur agrave la citeacute linjustice lui procure du malheur4 agrave

condition que les gardiens de la loi et de la citeacute soient capables de bien gouverner la

citeacute et de lui procurer du bonheur5 laquo Bien gouverner raquo procure du bonheur agrave la citeacute

1 Voir Timeacutee 90 c2 Reacutepublique I εὐδαίμονα (343 c) εὐδαιμονέστατον (344 a) εὐδαίμονες (344 b) εὐδαιμονέστεροί

(352 d) εὐδαίμονα (354 a) II εὐδαιμονέστερος (361 d) εὐδαιμονίζειν (364 a) εὐδαιμονίας (365 c) εὐδαιμονήσειν (365 d) III εὐδαίμονες (392 b) εὐδαίμονα (395 e) IV εὐδαίμονας (419 a) εὐδαίμονες (420 a) εὐδαιμονέστατοί (420 b) εὐδαίμονα (420 c) εὐδαιμονίαν (420 d) εὐδαιμονῇ (420 e) εὐδαιμονεῖν (421 a) εὐδαίμονας (421 b) εὐδαιμονία (421 b) εὐδαιμονίας (421 c) εὐδαίμονα (427 d) V εὐδαιμονίζονται (465 d) εὐδαίμονας (465 e) εὐδαιμονεστάτην (466 a) εὐδαιμονίας (466 b) εὐδαιμονίας (472 c) εὐδαιμονήσειεν (473 e) VI εὐδαιμονήσειε (500 e) VII εὐδαιμονίζειν (516 c) εὐδαιμονίσειεν (518 b) εὐδαίμονα (521 a) εὐδαιμονέστατον (526 e) εὐδαιμονήσειν (541 a) VIII εὐδαιμονέστατος (544 a) εὐδαιμονίας (545 a) εὐδαιμονίαν (566 d) IX εὐδαιμονίᾳ (576 c) εὐδαιμονίας (576 d) εὐδαιμονεστέρα (576 e) εὐδαιμονίας (577 b) εὐδαιμονίᾳ (580 b) εὐδαιμονίᾳ (580 b) εὐδαιμονέστατον (580 b) X εὐδαιμονέστεροι (606 d)εὐδαιμονέστατος (619 b) εὐδαιμονεῖν (619 e)

3 Reacutepublique IV 420 b ndash c4 Voir Theacuteeacutetegravete 175 c5 Voir Reacutepublique IV 421 a laquo Si ce sont en effet des savetiers qui deviennent meacutediocres et se

corrompent et preacutetendent remplir leur fonction sans ecirctre ce quil preacutetendent cela na rien de bon pour une citeacute Mais quand il sagit des gardiens de la loi et de la citeacute qui paraissent tels sans lecirctre tu vois bien quils peuvent deacutetruire toute la citeacute de fond en comble tout comme ils sont les seuls capables de saisir loccasion de la bien gouverner et de lui procurer du bonheur raquo

217

Dans lAlcibiade (134 a -d) le Gorgias (508 b ndash c) le Pheacutedon (82 a - b) et le Phegravedre (250 b

ndash c) le bonheur deacuterive de la justice (δκαιοσύνη) et de la tempeacuterance (σωφροσύνη)

autrement dit si lon veut que la citeacute baigne tout entiegravere dans le bonheur il faut dune

part que tous ses habitants soient justes et tempeacuterants et dautre part quelle soit

gouverneacutee par la science (ἐπιστήμη) puisque la connaissance des reacutealiteacutes en soi

relegraveve de la science En effet il y a deux faccedilons dacceacuteder au bonheur cest-agrave-dire de

posseacuteder la justice et la tempeacuterance 1 Par la pratique

Mais reprit Socrate mecircme si on ne considegravere que ces gens-lagrave les plus heureux ceux qui sachemineront vers le meilleur ne sont-ils pas ceux qui auront cultiveacute la vertu publique et sociale celle quon appelle modeacuteration et aussi bien justice (σωφροσύνην τε καὶ δκαιοσύνην) vertu qui naicirct de lhabitude et de lexercice sans que la philosophie et lintelligence (φιλοσοφίας τε καὶ νοῦ) y aient part 1

La philosophie et lintelligence ne sont pas donneacutees agrave tout le monde mais seulement

agrave laquo un petit nombre decirctres humains raquo2 Heureusement on peut bien cultiver la justice

et la tempeacuterance par lhabitude et par lexercice mais pour cela il faut commencer par

la formation cest-agrave-dire leacuteducation car il est diffcile par exemple de pratiquer la

gymnastique sans maicirctre et de prendre une bonne habitude sans savoir ce quelle

est 2 Dougrave la neacutecessiteacute de faire gouverner la citeacute par les philosophes qui savent ce

que sont la justice et la tempeacuterance

V213 Deacutepassement de lopposition entre la nature et la loi

laquo Nature et loi le plus souvent se contredisent raquo3 dit Calliclegraves au deacutebut de la seconde

partie du Gorgias et il place la nature contre la loi laquo En effet dans lordre de la

nature le plus vilain est aussi le plus mauvais cest de subir linjustice en revanche

selon la loi le plus laid cest de la commettre raquo4 Par la nature nous entendons ceci

Le terme φύσις recouvre un sens particulier et un sens geacuteneacuteral Lorsquil en est fait un usage particulier le terme sapplique agrave des individus ou agrave des espegraveces et deacutesigne laquo unemaniegravere decirctre raquo Mais le terme peut aussi sappliquer agrave la totaliteacute des ecirctres et des pheacutenomegravenes il en arrive alors agrave deacutesigner lunivers et tout naturellement on vient de le dire lecirctre en geacuteneacuteral5

Cela eacutetant connaicirctre laquo la totaliteacute des ecirctres et des pheacutenomegravenes raquo relegraveve de la

connaissance de ce qui est de lintellect Dans le discours de Calliclegraves il sagit bien du

1 Pheacutedon 82 a ndash b2 Voir Phegravedre 250 b ndash c3 Gorgias 482 e4 Ibid 483 a Ce qui est le contraire de la thegravese de Socrate agrave savoir laquo commettre linjustice est pire que

la subir et que ne pas ecirctre puni est pire quecirctre puni raquo (474 b)5 Brisson Luc laquo Nature phusis et natura dans lantiquiteacute grecque et latin raquo La nature Cahiers

deacutetudes leacutevinassiennes ndeg 11 2012 pp 28 ndash 43 p 31

218

sens particulier puisquil parle de la nature humaine

Lhomme qui se trouve dans la situation de devoir subir linjustice nest pas un homme cest un esclave pour qui mourir est mieux que vivre sil nest mecircme pas capable de se porter assistance agrave lui-mecircme ou aux ecirctres qui lui sont chers quand on lui fait un tortinjuste et quon loutrage1

Pour le sophiste2 le fait de subir linjustice est contre la nature humaine Mais

comment peut-on porter assistance agrave soi-mecircme ou agrave un ami contre linjustice subie ou

commise sil ny a pas de loi Dans le corpus platonicien laquo La loi est un discours qui

sexerce sur lacircme des citoyens de telle sorte que leurs mœurs sen retrouvent

rationnellement forgeacutes raquo3 Or tout discours eacutecrit comme dans la loi laquo preacutesente un

certain nombre de deacutefauts qui sont autant dinconveacutenients 1) il ne peut choisir ses

destinataires 2) il ne peut reacutepondre aux questions quon aimerait lui poser 3) et

surtout il ne peut se deacutefendre sans lassistance de celui qui la composeacute raquo4 Par

exemple si la loi exige de tous les citoyens decirctre justes et tempeacuterants la question se

pose comment le mecircme discours eacutecrit peut-il sadresser de la faccedilon pertinente aux

diffeacuterents groupes fonctionnels agrave savoir les producteurs les guerriers et les

dirigeants politiques En effet si la fonction de la loi consiste agrave laquo rendre lacircme

individuelle vertueuse et agrave la mecircler agrave dautres acircmes vertueuses de faccedilon agrave constituer

une citeacute vertueuse gage de bonheur individuel et collectif raquo5 cela eacutequivaut agrave dire que

la connaissance du bonheur cest-agrave-dire de la loi et la connaissance de lecirctre cest-agrave-

dire de la nature au sens geacuteneacuteral sont semblables la connaissance de ce qui est et au

mecircme moyen lintellect Cela admis non seulement la nature et la loi ne sont pas

opposeacutees elles se rejoignent vers la mecircme chose agrave savoir le Bien

V22 La justice et la tacircche propre

Ecirctre juste cest avant tout ecirctre fdegravele agrave sa tacircche propre Cela eacutetant le monde

platonicien nest pas ouvert puisque chacun doit rester dans sa fonction propre pour

y ecirctre excellent En effet mecircme si lunivers est infni le ciel est ouvert Cependant

chaque astre dans lunivers ne tourne que sur une orbite bien deacutetermineacutee

1 Gorgias 483 b2 Certes il est diffcile daffrmer que Calliclegraves est sophiste car avant tout le sophiste est un meacutetier

or issu dune famille aristocratique Calliclegraves na pas agrave exercer un meacutetier pour gagner sa vie cest en ce sens quil nest pas sophiste Mais sa penseacutee argumentative (avec certaine proceacutedure de raisonnement) intellectuelle (le fait de deacutefnir le thegraveme agrave discuter de maniegravere abstrait) etcontradictoire (une thegravese deacutefendue de maniegravere contradictoire) relegraveve du sophisme

3 Dictionnaire Platon Paris Ellipses 2007 p 844 laquo Annexe 1 Phegravedre 278 b - e raquo Lectures de Platon Paris Vrai 2000 pp 74 ndash 76 p 745 Brisson Luc laquo La loi selon Platon et la plupart des philosophes de lAntiquiteacute raquo Cahiers deacutetudes

leacutevinassiennes ndeg 13 LEacutetat de Ceacutesar 2015 pp 6 ndash 20 p 9

219

V221 Lexcellence et la fonction propre

Chaque chose a sa fonction propre cest dans sa fonction propre que lexcellence se

manifeste ainsi il est tout agrave fait juste que cette chose semploie dans sa fonction

propre Cest le fondement mecircme de la justice et ainsi sachegraveve le livre I de la

Reacutepublique

Socrate Bien dis-je Or pour toute chose agrave laquelle une fonction particuliegravere (ἔργον) est associeacutee nexiste-t-il pas selon toi eacutegalement une excellence (ἀρετή) Et pour enrevenir agrave ce que je disais tantocirct existe-t-il bien disons-nous une fonction propre des yeux

Thrasymaque Elle existe

Socrate Il existe donc eacutegalement une excellence des yeux

Thrasymaque Une excellence aussi

Socrate Et alors y avait-il aussi une fonction propre des oreilles

Thrasymaque Oui

Socrate Et donc une excellence aussi

Thrasymaque Une excellence aussi

Socrate Et il en va de mecircme pour toutes les autres choses Nest-ce pas le cas

Thrasymaque Cest le cas

Socrate Mais voilagrave est-ce que les yeux pourraient accomplir convenablement leur fonction propre sils eacutetaient deacutepourvus de leur excellence propre et quagrave la place de lexcellence ils aient un deacutefaut 1

Dans les dialogues platoniciens la fn du livre I de la Reacutepublique est le seul endroit ougrave

les deux termes ἔργον et ἀρετή sont parfaitement regroupeacutes et coupleacutes

ἔργον [21] ἀρετή [27]

330 c 332 e 335 d 335 d 346 d 351 d 352 d 352 e 352 e 353 a 353 a 353 b 353 b 353 b 353 b 353 b 353 c 353 c 353 d 353 d 353 e

335 b 335 b 335 c 335 c 335 d 342 a 348 c 348 c 348 e 349 a 350 d 351 a 353 b 353 b 353 b 353 b 353 b 353 c 353 c 353 c 353 c 353 c 353 d 353 e 353 e 354 b 354 c

Autrement dit lἔργον et lἀρετή sont inseacuteparables2 Lexcellence de Socrate est

immortelle parce quil ne faisait rien dautre que la tacircche propre quun dieu lui avait

assigneacutee agrave savoir philosopher mecircme si dans sa jeunesse il sinteacuteressait agrave la nature et

eacutetudiait Anaxagore3 mais tregraves rapidement il a abandonneacute cette fausse route De

1 Reacutepublique I 353 b ndash c2 Sur le sujet cf leacutetude complegravete Maceacute Arnaud Platon philosophie de lagir et du pacirctir Sankt

Augustin Academia Verlag International Platon Studies 24 20063 Voir Pheacutedon 96 a ndash 99 d ces pages sont traditionnellement consideacutereacutees comme une autobiographie

En fait Socrate neacute en 470469 (agrave propos de cette datation quelque peu eacutetrange voir Platon Paris Cerf 2017 p 12) Platon 428427 il est donc eacutevident que Platon ne peut avoir connu la jeunesse de son maicirctre si ce nest ce que ce dernier lui racontait

220

mecircme pour Platon son excellence est immortelle parce que sa vie durant il eacutetait

purement et simplement un eacutecrivain de philosophie et rien que cela mecircme sil avait

parallegravelement une vocation politique Toutefois comme pour son maicirctre la fausse

route fut vite abandonneacutee La question se pose si lexcellence des yeux la pupille

est donneacutee par la nature lexcellence de lacircme est-elle elle aussi donneacutee par la nature

ou est-elle comme lexcellence dun art qui est forgeacutee par la pratique Le propos

suivant de Socrate semble dire quelle se trouve naturellement dans lacircme

Socrate Est-ce que lacircme accomplira jamais bien ses fonctions propres Thrasymaque si elle est priveacutee de son excellence propre ou est-ce impossible 1

Cest son excellence propre qui permet agrave lacircme daccomplir ses fonctions propres En

effet comme nous lavons vu dans le chapitre laquo Lacircme raquo les trois parties

fonctionnelles sont propres agrave lacircme autrement dit leur excellence propre est

naturellement posseacutedeacutee par lacircme Or il y a des gens qui sont plus vertueux les

autres moins parce que lexcellence propre de lacircme lintellect fonctionne bien chez

les uns mal chez les autres

V222 La justice et leacuteducation

Cest dans leacuteducation que se manifeste lexcellence propre de la citeacute car laquo cest

leacuteducation qui degraves lenfance oriente vers lexcellence inspire le deacutesir et la passion de

devenir un citoyen parfait sachant commander et obeacuteir comme lexige la justice raquo2

En dautres termes il ne sagit pas lagrave dune eacuteducation au niveau individuel puisque

laquo leacuteducation professionnelle ne fait pas leacuteducation vertueuse et civique raquo3 La

question se pose quelle est cette eacuteducation civique Ce passage de la Reacutepublique

semble donner le principe

Socrate Quand ils sont des enfants et des jeunes gens il faudrait quils sengagent dans une formation (παιδείαν) et dans une philosophie (φιλοσοφίαν) qui soient propres agrave la jeunesse il faudrait aussi quils aient grand soin de leur corps alors quils grandissent et deviennent des hommes sassurant de la sorte un soutien pour la philosophie Agrave mesure quils avancent en acircge vers ce moment ougrave lacircme commence agrave atteindre sa maturiteacute il faut les astreindre aux exercices qui sont propres agrave celle-ci Enfn lorsque la force vient agrave manquer et quils sont exclus des activiteacutes politiques et militaires quon les laisse vaqueren liberteacute et sans rien faire dautre ltque de la philosophiegt si ce nest comme activiteacute secondaire eux qui deacutesirent mener une existence heureuse et qui alors quils sapprecirctent agrave mourir couronnent la vie quils ont veacutecu par le destin qui est agrave leur mesure lagrave-bas4

1 Ibid 353 e2 Lois I 643 e3 Cf Lois I laquo Notes raquo ndeg 103 p 3464 Reacutepublique VI 498 b ndash c Nous soulignons

221

Une citeacute juste cest-agrave-dire excellente prend neacutecessairement soin du corps et de lacircme

des citoyen depuis leur naissance jusquagrave la fn de leur vie incarneacutee Mais comment

comprendre cette phrase laquo vers ce moment ougrave lacircme commence agrave atteindre sa

maturiteacute raquo alors que lacircme est immortelle En effet les deux parties infeacuterieures de

lacircme ne sont pas fonctionnellement immortelles puisque leur fonction est lieacutee agrave une

vie incarneacutee seules la fonction intellective et la structure en tripartie de lacircme sont

immortelles Ainsi dans une vie incarneacutee lacircme doit apprendre agrave cohabiter avec le

corps or agrave la naissance le corps humain ressemble agrave une masse de chair non encore

pourvue de toutes les excellences propre au corps cest pourquoi il faut prendre

grand soin du corps car laquo la qualiteacute de la condition physique constitue une condition

essentielle pour lexercice de la vie intellectuelle raquo1 En effet pendant la premiegravere

peacuteriode de la vie humaine avant lacircge de raison la fonction intellective de lacircme nest

pas activeacutee en raison du fait que son fonctionnement deacutepend dun minimum de

condition physique Mais les fonctions deacutesirante et celle ardente sont en pleine

activiteacute cest pourquoi les enfants avant lacircge de raison ont le deacutesir de tout la

curiositeacute de tout ce qui est nouveau original et inconnu gracircce aux organes de sens

Ils sont infatigables de parler de courir de manger de pleurer de se bagarrer et

ainsi de suite tout cela agrave cause de ces deux fonctions deacutesirante et Ardente Agrave partir

de lacircge de raison vers sept ans il faut reacuteactiver la fonction intellective cest la raison

pour laquelle il faut eacuteduquer les enfants agrave aspirer au savoir puisque le savoir ou la

science est lexcellence mecircme de la fonction intellective En ce sens leacuteducation est

synonyme de la reacuteminiscence cest-agrave-dire de la reacuteactivation de la fonction intellective

en mettant en rapport les diffeacuterents eacuteleacutements fonctionnels

Pour le Socrate de Platon la possibiliteacute de leacuteducation reacuteside donc dans la possibiliteacute de mettre en rapport ces trois eacuteleacutements la nature (φύσις) lexercice (ἄσκησις) et le fait dapprendre (μάθησις) Or ces trois eacuteleacutements font reacutefeacuterence aux trois notions suivantes la possession leffort et la connaissance Cest par lagrave que lon retrouve les trois fonctions mecircme dans leacuteducation platonicienne conccedilue comme reacuteminiscence2

Dans le Meacutenon la reacuteminiscence est deacutefnie comme le fait de chercher et le fait

dapprendre raquo3 mais laquo agrave condition de ne pas perdre courage au cours de la

recherche raquo4 Or le courage est une vertu cest-agrave-dire agrave la fois science et belle

habitude Cela eacutetant leacuteducation consiste dune part agrave former lesprit des jeunes gens agrave

1 Reacutepublique VI laquo Notes raquo ndeg 83 p 6632 Brisson Luc laquo La tri-fonctionnaliteacute indo-europeacuteenne chez Platon raquo Philosophie compareacutee Gregravece Inde

Chine Paris Vrin 2005 Joachim Lacrosse (Coordination scientifque) pp121 ndash 142 p 1363 Meacutenon 81 d4 Ibid

222

aspirer au savoir et dautre part agrave modeler le comportement des citoyens agrave obeacuteir aux

lois par habitude

V223 La justice est lexcellence de toutes les fonctions

laquo La citeacute de la Reacutepublique comprend trois groupes fonctionnels les producteurs qui

approvisionnent la citeacute les guerriers qui la deacutefendent et les philosophes qui la

gouvernent raquo1 Parmi les producteurs les uns ont pour fonction de produire des

ceacutereacuteales les autres du vin les autres encore des vases des tissures des vecirctements

des chaussures des navires des maisons des eacutedifces publics de la santeacute et ainsi de

suite Dans le Gorgias mecircme le rheacuteteur est consideacutereacute comme producteur certes

producteur de persuasion (πειθοῦς δημιουργός)2 cest-agrave-dire un producteur neacutegatif

En tout cas le sophisme eacutetait une fonction dans la deacutemocratie atheacutenienne en dautres

termes les maux du sophisme trouvent leur origine dans cette deacutemocratie

fonctionnant au tirage au sort On comprend pourquoi Socrate soppose agrave la

deacutemocratie Dans le deuxiegraveme groupe il y a des soldats dont les uns sont eacutequipeacutes du

bouclier et de leacutepeacutee les autres de la lance de larc il y a aussi des sous-

commandants et fnalement des strategraveges Chacun a sa fonction speacutecifque Dans le

troisiegraveme groupe il y a eacutevidemment des philosophes mais aussi des matheacutematiciens

On voit bien que pour quune citeacute comme Athegravenes soit bien administreacutee il faut

disposer dans la citeacute un grand nombre de fonctions particuliegraveres et speacutecifques qui

laquo doivent correspondre agrave la preacutedominance dune capaciteacute deacutetermineacutee en chacun des

membres qui composent raquo les trois groupes3

En effet dans chaque socieacuteteacute humaine les uns sont doueacutes dans telles ou telles

fonctions les autres dans telles ou telles autres autrement dit chacun possegravede un

don naturel peut-ecirctre mecircme plusieurs Mais pour que ce don naturel soit bien

deacuteveloppeacute au service de la citeacute il faut aussi et surtout que celui qui le possegravede

reccediloive un savoir correspondant un meacutedecin ne devient pas meacutedecin sans posseacuteder

aucun savoir de la meacutedecine mecircme sil est extrecircmement doueacute dans leacutetude de la

meacutedecine gracircce agrave un don divin encore faut-il maicirctriser cette science quest la

meacutedecine et de la pratiquer Et enfn il faut que chacun exerce sa fonction pour que

son excellence soit effective On voit bien ici trois niveaux de justice 1 la justice

divine consiste agrave dispenser agrave chacun un don naturel plus ou moins important selon la

1 Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes dur la Reacutepublique de Platon I Paris Vrin 2005 pp 25 ndash 41 p 26

2 Voir Gorgias 454 e ndash 455 a3 Ibid

223

qualiteacute reacutetributive afn que chaque ecirctre humain puisse exercer une fonction propre

pour exister En effet dieu est parfaitement juste et savant il ne se permettrait pas de

renvoyer une acircme agrave incarnation humaine sans donner agrave lincarnation aucun moyen

dexistence si vraiment un ecirctre humain se trouve deacutepourvu de don Cela nest pas la

faute de dieu mais un deacutefaut deacuteducation En revanche le fait de gacirccher ce don

naturel eacutequivaut agrave commettre une injustice agrave leacutegard dun dieu 2 la justice politique

consiste agrave donner agrave chacun loccasion dacqueacuterir un savoir qui correspond au don

naturel quon possegravede et dexercer une fonction approprieacutee selon le meacuterite 3 la

justice individuelle consiste agrave ecirctre fdegravele agrave sa fonction propre

Il est eacutevident quun citoyen ainsi dispenseacute eacuteduqueacute et disposeacute il ne se permet pas

dabandonner son poste par quelle que raison que ce soit1 Cest une question de

justice agrave leacutegard du dieu de la citeacute et de soi-mecircme

V23 La Justice et la citeacute

Dapregraves le mythe de Protagoras cest Zeus qui envoya Hermegraves apporter agrave la citeacute la

justice (δίκη) et lharmonie (αἰδώς)2 La suite du Protagoras montre que Socrate ne

conteste pas le mythe comme si la δίκη et lαἰδώς constituaient une loi divine de la

citeacute Cette loi a pour but de preacuteserver luniteacute de la citeacute car sans elle laquo en se

comportant dune maniegravere injuste les uns envers les autres raquo laquo les hommes se

dispersaient agrave nouveau et peacuterissaient raquo3 Mais comment preacuteserver luniteacute de la citeacute ougrave

il y a tellement de fonctions diffeacuterentes cest-agrave-dire dinteacuterecircts diffeacuterents Le propos

suivant de Protagoras semble donner une suggestion en terme dart politique

De mecircme songe agrave preacutesent que lhomme qui te paraicirct le plus injuste de tous ceux qui ont eacuteteacute eacuteleveacutes parmi des hommes soumis agrave des lois serait encore juste et compeacutetent en la matiegravere sil fallait le comparer agrave des hommes qui nauraient ni eacuteducation ni tribunaux ni lois et qui nauraient eacuteteacute contraints daucune maniegravere de se soucier de la vertu mais seraient de vrais sauvages4

Ecirctre sauvage cest ecirctre deacutepourvu deacuteducation de tribunal de loi et de souci de la

1 Voir Apologie 28 e2 Voir Protagoras 322 c F Ildefonse le traduit par la laquo vergogne raquo L Brisson par la laquo retenue raquo V

Cousin Eacute Chambry et A Croiset par la laquo pudeur raquo Agrave propos de la complexiteacute de ce terme cfBrisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lecturee de Platon Paris Vrin 2000 p 127 ndash 128 Nous employons ici laquo lharmonie raquo cest plutocirct une interpreacutetation quune traduction mecircme si toute traduction est une interpreacutetation En effet tout comportement individuelet spontaneacute qui favorise lharmonie au sein de la famille dune groupe ou de la citeacute peut ecirctre qualifeacute de lαἰδώς Cf aussi Dover K J Greek Popular Morality in the Time of Plato and Aristotle Oxford Blackwell 1974 (mais Dover na pas traiteacute lαἰδώς ni lἀρμονία)

3 Ibid 332 b4 Ibid 327 c ndash d

224

vertu Autrement dit Protagoras oppose le sauvage agrave la civilisation et non agrave une

qualiteacute individuelle1 mecircme si on ne sait pas ce que tout cela veut dire pour le

sophiste agrave savoir leacuteducation le tribunal la loi la vertu et le souci de soi-mecircme En

effet on ne va pas jusquagrave demander au sophiste decirctre philosophe de savoir ce quil

sait mais cela ne devrait pas effacer linteacuterecirct de son propos agrave savoir le fondement de

la citeacute leacuteducation (les enfants flles comme garccedilons) la citoyenneteacute (se soucier de la

vertu) et luniteacute de la citeacute (la constitution les lois les tribunaux) Ce sont ces trois

points que nous essayons analyser pour comprendre la justice et la citeacute

V231 Les enfants et les femmes

Dans le livre X de la Reacutepublique Homegravere est consideacutereacute comme leacuteducateur de la

Gregravece laquo ce grand poegravete a eacuteduqueacute la Gregravece raquo2 Marrou reacutesume leacutethique eacuteducative

homeacuterique en ces termes

Oui une eacutethique de lhonneur bien eacutetrange parfois pour une acircme chreacutetienne elle implique lacceptation de lorgueil μεγαλοψυχία qui nest pas un vice mais le haut deacutesirde qui aspire agrave ecirctre grand ou chez le heacuteros la prise de conscience de sa supeacuterioriteacute reacuteelle lacceptation de la rivaliteacute de la jalousie cette noble Ἔρις inspiratrice de grandes actions que ceacuteleacutebrera Heacutesiode et avec elle de la haine comme la reconnaissance dune supeacuterioriteacute affrmeacutee voyez comment Thucydide fait parler Peacutericlegraves laquo la haine et lhostiliteacute sont toujours sur le moment le lot de ceux qui preacutetendent commander aux autres Mais sexposer agrave la haine pour noble but est bien inspireacute raquo3

Telle est leacutethique eacuteducative traditionnelle Cest pourquoi il est neacutecessaire de

commencer par critiquer Homegravere en particulier et les poegravetes en geacuteneacuteral avant

deacutetablir une eacutethique eacuteducative philosophique En effet laquo dans lAthegravenes que connaicirct

Platon leacuteducation proprement dite commence vers sept ans lacircge ougrave le garccedilon est

envoyeacute agrave leacutecole Jusque-lagrave on parle surtout deacutelever un enfant Lenfant reste agrave la

maison ougrave il est sous le controcircle des femmes sa megravere dabord sa nourrice ensuite

dans les milieux aiseacutes Puis on passe agrave leacuteducation collective qui se fait chez un

1 Notons que dans le Cratyle le sauvage (τὸ ἄγριον) est deacutecrit non pas par opposition agrave une civilisation (cest le cas ici dans le propos de Protagoras) mais comme la nature dun individu laquo Cest ainsi Hermogegravene quὈρέστης risque bien decirctre un nom correct que cette nomination soit due agrave quelque hasard ou agrave quelque poegravete indiquant par lagrave sa nature farouche (τὸ θηριῶδες τῆς φύσεως) son caractegravere rustique (τὸ ἄγριον αὐτοῦ) autrement dit montagnard (τὸ ὀρεινόν) raquo (494e) Le substantif ἄγριον nest pas tregraves freacutequent dans le corpus platonicien voici la liste doccurrences Cratyle ἄγριον (394 e) Lois I ἀγρίας (649 e) VII ἀγρία (791 d) ἄγριον (824 a) VIII ἀγρία (837 b) XII ἄγριον (950 b) Pheacutedon ἄγριον (113 b) Philegravebe ἀγρίαν (46 d) Politique ἄγριον(271 e) Reacutepublique I ἄγριον (329 c) III ἄγριον (410 d) VI ἀγρία (486 b) IX ἄγριον (571 c) ἄγριον (572 b) Sophiste ἄγριον (218 a) ἄγριον (222 b) Theacuteeacutetegravete ἀγρίαινε (151 c) Timeacutee ἄγριον (70 e)

2 Reacutepublique X 606 e3 Marrou Henri-Ireacuteneacutee Histoire de leacuteducation dans lAntiquiteacute Paris Seuil 1948 p 43 Notons au

passage que le terme μεγαλοψυχία est absent dans le corpus platonicien

225

maicirctre priveacute raquo1 Eacutelever un enfant nest pas seulement le nourrir de ce dont son corps a

besoin cest aussi et surtout de ce dont son acircme a besoin car un enfant ne commence

pas agrave voir eacutecouter et apprendre agrave lacircge de sept ans mais degraves la naissance En ce sens

la megravere et la nourrice sont les premiegraveres eacuteducatrices des enfants cest pourquoi il est

aussi neacutecessaire que les flles reccediloivent laquo les mecircmes soins et la mecircme eacuteducation raquo que

les garccedilons Cest une condition pour bien eacutelever les enfants de la citeacute mdash puisque les

flles deviendront megraveres agrave leur tour mais eacutegalement une condition pour que les

femmes puissent exercer les mecircmes fonctions que les hommes dans la citeacute

Socrate Est-il degraves lors possible repris-je davoir recours agrave quelque ecirctre vivant pour les mecircmes tacircches si on ne lui a pas procureacute les mecircmes soins et la mecircme eacuteducation

Glaucon Non ce nest guegravere possible

Socrate Si donc nous devons avoir recours aux femmes pour les mecircmes fonctions que les hommes il faut leur enseigner les mecircmes choses2

Si lon compare lacircme agrave la citeacute3 il ne peut y avoir de consideacuteration diffeacuterente dans la

citeacute agrave leacutegard des flles et des garccedilons des femmes et des hommes puisque lacircme na

pas de sexe puisque le sexe est une identiteacute du corps Cest pourquoi il est juste de

dire ceci

Lindividu et la citeacute sont deux supports identiques qui ne diffegraverent que par la taille et sur lesquels sont inscrits les mecircmes lettres celles du terme laquo justice raquo Cest donc simplement une comparaison entre le grand et le petit et la diffeacuterence entre lacircme et la citeacute nest au regard de la justice quune diffeacuterence quantitative dans lordre strictement anthropologique (et anthropomorphique la citeacute est un grand individu) Ainsi ce qui estvrai pour lacircme en matiegravere de bien de justice et de veacuteriteacute devra lecirctre pour la citeacute qui rassemble les acircmes dans une mecircme communauteacute4

En effet le Bien la vertu et la veacuteriteacute ont le mecircme eacutegard agrave lendroit de toutes les acircmes

humaines de mecircme la citeacute juste doit avoir le mecircme eacutegard agrave lendroit des flles et des

garccedilons des femmes et des hommes

V232 La citoyenneteacute

Le terme laquo citoyen raquo ou laquo citoyenneteacute raquo peut renvoyer agrave trois termes dans les

dialogues platoniciens agrave savoir ἀστός πολίτης et ἐπιχώριος voici leurs occurrences

dans les dialogues platoniciens

ἀστός Apologie ἀστῶν (23 b) ἀστῷ (30 a) ἀστοῖς (30 a) Gorgias ἀστῶν (514 e) ἀστός (515

1 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 542 Reacutepublique V 452 a3 Ibid II 368 e laquo La justice disons-nous existe pour un homme individuel Elle existe donc aussi

dune certaine maniegravere pour la citeacute entiegravere raquo4 Pradeau Jean-Franccedilois Platon et la citeacute Paris PUF 2010 [1997] p 61 ndash 62 (souligneacute par lauteur)

226

a) Lois VIII ἀστοῖς (849 a) ἀστοῖς (849 b) ἀστοῖς (849 c) IX ἀστὸν (866 c) ἀστὸς (869 d) ἀστὸν (869 d) ἀστόν (882 a) XI ἀστῶν (917 c) ἀστὸν (938 c) XII ἀστὸν (942 a) Meacutenon ἀστὸν (91 c) ἀστός (92 b) Protagoras ἀστῷ (309 c) Reacutepublique VIII ἀστῷ (563 a) ἀστὸν (563 a) X ἀστῶν (613 e) Theacuteeacutetegravete ἀστοὺς (145 b)

πολίτης Alcibiade [1] 134 c Apologie [1] 25 c Critias [1] 108 c Criton [1] 51 d Euthydegraveme

[1] 292 b Gorgias [12] 502 e 502 e 504 d 513 e 513 e 515 c 515 c 515 d 515 d 517 b 517 c 518 b Hippias majeur [2] 282 e 292 b Lettre VII [2] 336 a 350 a Lois I [6] 627 b 629 a 630 a 631 d 635 c 643 e II [1] 662 c IV [4] 711 b 711 c 715 b 718 a V [5] 729 d 741 a 743 c 746 a 747 a VI [4] 753 a 756 e 767 d 774 c VII [13] 794 b 794 c 799 b 800d 801 c 808 c 809 e 814 c 814 c (πολίτιδας citoyennes est la seule forme de la πολῖτις preacutesente dans les œuvres de Platon) 816 d 821 d 822 e 823 a 823 a VIII [5] 831 c 835 c 840 d 842 e 846 d IX [9] 853 d 854 e 855 d 856 c 857 e 869 d 869 d 872 c 877 e XI [3] 915 d 917 d 935 d Meacutenexegravene [2] 239 d 243 e Meacutenon [4] 70 b 71 b 90 a 91 a Politique

[1] 293 d Protagoras [6] 319 a 324 c 324 c 324 d 337 c 339 e Reacutepublique II [2] 375 b 378 c III [2] 416 b 416 d IV [2] 423 d 426 c V [6] 462 b 463 a 463 a 463 a 464 a 471 b VI [3] 494 b 501 e 502 b VII [1] 519 e VIII [6] 555 c 556 a 567 b 567 d 567 e 568 a IX [1] 579 c Timeacutee [3] 26 c 26 d 27 b Cf laquo Annexe πολίτης raquo pour voir le deacutetail lexical

ἐπιχώριος Alcibiade ἐπιχωρίους (123 b) Banquet ἐπιχώριον (189 b) Critias ἐπιχώριον (114 b)Hippias majeur ἐπιχωρίαν (285 a) Lois I ἐπιχώριον (639 d) V ἐπιχωρίων (730 a) ἐπιχώρια (730 b) ἐπιχωρίους (738 c) ἐπιχώριον (742 b)VI ἐπιχώριος (764 b) VIII ἐπιχώριον (834 b) ἐπιχώριος (846 d) ἐπιχωρίου (846 d) ἐπιχώριον (847 a) IX ἐπιχώριον (879 d) ἐπιχώριον (879 e) ἐπιχώριος (881 c) XI ἐπιχώριος (923 e) Meacutenon ἐπιχωρίων (94 d) Pheacutedon ἐπιχωριάζει (57 a) ἐπιχωρίων (59 b) ἐπιχωρίων (59 b) notons que les deux autres termes sont absents dans le Pheacutedon Phegravedre ἐπιχωρίῳ (230 c) Protagoras ἐπιχωρίων (315 b) ἐπιχωρίων (316 b) Reacutepublique I ἐπιχωρίων (327 a) VI ἐπιχώριον (497 b)

laquo Alors que pour deacutesigner le citoyen le terme πολίτης semble aller de soi le terme

ἀστός peut vouloir dire le citadin et le terme ἐπιχώριος le compatriote raquo1 La

citoyenneteacute est un statut une fonction un devoir mais aussi une image de la citeacute2

Dans la Reacutepublique nous avons laquo les trois groupes fonctionnels entre lesquels se

reacutepartissent les citoyens raquo3 alors que dans les Lois les producteurs (agriculteurs les

commerccedilants et les artisans) sont exclus du rang de citoyen et laquo les citoyens sont

libres de tout travail raquo pour se consacrer laquo aux repas en commun agrave la ceacuteleacutebration des

fecirctes (qui sont nombreuses) agrave lactiviteacute politique et au service militaire quil sagisse

de lentraicircnement ou de la participation agrave une compagne raquo4 On voit bien que la

fonction des producteurs dans la Reacutepublique et dans les Lois est la mecircme agrave savoir

1 Brisson Luc Pradeau Jean-Franccedilois Les Lois de Platon Paris PUF 2007 p 1232 laquo Deacutefnir le citoyen ou le deacutecrire est ainsi procurer une image de la citeacute mecircme de lambition de qui

la creacutee et de la faccedilon dont la fonction du politique est envisageacutee raquo (Bertrand Jean-Marie laquo Le citoyen des citeacutes platoniciennes raquo Cahiers Glotz 11 2000 pp 37 ndash 55 p 38)

3 Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon I Paris Vrin Sous la direction de Monique Disxaut 2005 pp 24 ndash 41 p 27

4 Supra Les Lois de Platon p 102

227

produire mais leur statut a changeacute ils sont passeacutes de citoyens agrave non-citoyens Cest

en ce sens que la conception de la citoyenneteacute est beaucoup plus eacutelitiste dans les Lois

que dans la Reacutepublique

Voici comment se reacutepartissent les vertus dans la Reacutepublique ougrave la justice ne peut reacutegner dans la citeacute que si elle regravegne en chaque individu de chacun des diffeacuterents groupes fonctionnels qui doivent pratiquer ces vertus deacutetermineacutees

Citeacute Vertusproducteurs justice + modeacuterationgardiens justice + modeacuteration + couragephilosophes justice + modeacuteration + courage + science1

Ce tableau montre que la vertu est associeacutee agrave la tacircche propre quon occupe Plus la

fonction propre est importante plus lrsquoexigence dexcellence morale est grande Le

compte du chantier de lErechtheacuteion agrave Athegravenes montre que la mecircme tacircche est payeacutee

au mecircme salaire quelle quelle soit reacutealiseacutee par un citoyen un meacutetegraveque ou un esclave

(il est vrai quil ny avait pas darchitecte meacutetegraveque ou esclave au chantier)2 La

question se pose un esclave-producteur a-t-il le devoir de posseacuteder les deux vertus

agrave savoir la justice et la tempeacuterance comme un citoyen-producteur En effet un

esclave nest quune marchandise vivante

Lacceptation de lineacutegaliteacute des hommes a eacuteteacute une donneacutee fondamentale de lhistoire grecque donneacutee qui fut jamais seacuterieusement remise en question Qui plus est lhistoire grecque a mecircme intensifeacute les ineacutegaliteacutes en deacuteveloppant agrave la fois la notion du citoyen libre et celle de lesclave-marchandise que lon achetait sur le marcheacute quitte agrave eacutelever ses enfants agrave la maison et qui (en theacuteorie du moins) navait aucun droit Agrave notre sens il y a lagrave une contradiction fagrante entre la liberteacute des uns et lesclavage des autres Le point de vue grec eacutetait autre la liberteacute des uns ne pouvait se concevoir sans lesclavage des autres les deux extrecircmes neacutetaient pas contradictoires mais compleacutementaires et indeacutependants3

Cela eacutetant lesclave na aucun devoir agrave leacutegard de la citeacute puisquil na aucun droit

La freacutequence du terme est relativement importante dans le corpus platonicien mais

concentreacutee sur trois dialogues (le Gorgias la Reacutepublique et les Lois) et absente dans

presque la moitieacute des dialogues Voici la reacutepartition des occurrences du substantif

δοῦλος dans les dialogues platoniciens

Dialogues de jeunesse [19 dont 8 dans le Gorgias]

Criton δοῦλος (50 e) δοῦλος (52 d) Hippias mineur δούλων (375 c) Alcibiade δοῦλον (119 a) δοῦλον(122 a) Lachegraves δοῦλοι (186 b) Meacutenexegravene δοῦλοι (239 a) Euthyphron δοῦλοι (13 d) Gorgias [8] δοῦλον

1 Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin2000 pp 113 ndash 133 p 131

2 Cf Orrieux Claude Pantel Pauline Schmitt Histoire grecque Paris PUF Quadrige Manuels 2014 2e eacuted [2013 1re eacuted laquo Quadrige raquo 1995] p 264

3 Austin Michel amp Vidal-Naquet Pierre Eacuteconomies et socieacuteteacutes en Gregravece ancienne Paris Armand Colin 2007 [1972 1996] p 32

228

(452 e) δοῦλον (452 e) δοῦλος (471 a) δοῦλος (484 a) δούλων (489 c) δούλων (502 d) δοῦλος (514 d) δοῦλος (515 a) Meacutenon δοῦλος (73 d) Lysis δοῦλον (208 b) δοῦλος (208 c)

Dialogues de maturiteacute [15 dont 12 dans la Reacutepublique]

Banquet δοῦλος (183 a) Reacutepublique I δούλοις (351 d) III δούλων (395 e) V δοῦλον (469 c) VIII δούλοις (549 a) δούλων (549 a) δούλοις (569 a) δούλων (569 c) δούλων (569 c) IX δοῦλον (577 c) δούλων (579 a) δοῦλος (579 d) δοῦλον (590 c) Parmeacutenide δοῦλος (133 e) Theacuteeacutetegravete δοῦλοι (175 a)

Dialogues de vieillesse [76 dont 72 dans les Lois]

Politique δούλων (289 b) δούλων (289 c) δούλων (298 c) δοῦλοι (308 a) Lois II δοῦλον (665 c) δούλων (669 c) δοῦλον (674 a) IV δοῦλοι (715 d) δοῦλοι (720 b) δούλων (720 b) δοῦλοι (720 c) Vδούλοις (742 a) VI [8] δοῦλοι (757 a) δοῦλος (761 e) δοῦλον (764 b) δούλων (776 c) δοῦλοι (776 d) δούλων (776 e) δούλων (777 b) δούλων (777 d) VII [7] δούλων (793 e) δοῦλον (794 b) δούλων (805 e) δούλοις (806 e) δοῦλον (808 e) δούλοις (816 e) δούλων (817 e) VIII [9] δούλοις (838 d) δοῦλος (845 a) δοῦλος (845 b) δοῦλον (845 b) δούλοις (848 b) δούλοις (848 c) δοῦλοι (849 b) δούλοις (849 c) δούλοις (849 d) IX [25] δοῦλοι (853 d) δοῦλος (854 d) δούλοις (857 c) δούλων (857 c) δοῦλον (865 c) δοῦλον (865 d) δοῦλον (865 d) δοῦλον (868 a) δοῦλος (868 b) δοῦλος (868 c) δοῦλον (868 c) δοῦλος (869 d) δοῦλον (869 d) δοῦλος (869 d) δούλοις (872 a) δοῦλος (872 b) δοῦλον (872 c) δοῦλον (875 d) δοῦλος (877 b) δοῦλος (879 a) δοῦλον (879 a) δοῦλος (881 c) δοῦλος (882 a) δοῦλος (882 b) δοῦλος (882 c) XI [12] δοῦλος (914 a) δοῦλος (914 b) δοῦλον (914 e) δοῦλον (914 e) δοῦλος (917 d) δοῦλος (932 d) δοῦλος (932 d) δοῦλον (934 d) δοῦλον (936 b) δοῦλος (936 b) δοῦλος (936 c) δοῦλον (936 e) XII δοῦλον (941 d) δοῦλον (954 e) δοῦλοί (962 e)

Dans les dialogues platoniciens le terme laquo esclave raquo nest pas theacutematiseacute cest-agrave-dire

deacutefni et analyseacute Il est souvent employeacute en opposition agrave lhomme libre (ἐλεύθερον) 1

mais cela ne veut pas dire que les esclaves ne meacuteritent pas decirctre bien traiteacutes et

respecteacutes Dans un passage du livre VIII de la Reacutepublique Socrate deacutecrit ceci un

homme timocratique laquo est brutal envers les esclaves (δούλοις) au lieu de marquer

simplement sa supeacuterioriteacute comme le fait celui qui a reccedilu une eacuteducation adeacutequate Par

contre il se montre doux envers les hommes libres (ἐλευθέροις) et entiegraverement

soumis aux gouvernants raquo2 comme si les esclaves eacutetaient une cateacutegorie de

travailleurs Ce passage du livre XI des Lois semble encourager les esclaves agrave ecirctre

vertueux afn decirctre libres

Si la personne maltraiteacutee ne peut porter plainte le premier teacutemoin de condition libre venu devra faire la deacutenonciation aux magistrats sinon il sera coupable et nimporte quipourra le poursuivre pour dommage Si le deacutenonciateur est un esclave il sera deacuteclareacute libre Si cet esclave est celui des coupables ou celui des victimes il sera libeacutereacute par les magistrats mais sil appartient agrave un autre citoyen le Treacutesor public remboursera au maicirctre sa valeur Le magistrats veilleront agrave ce que personne ne lui fasse du mal pour le

1 Dans les paragraphes suivants les deux termes sont employeacutes en opposition particuliegraverement dans les Lois Alcibiade 119 a 122 a Gorgias 502 d 514 d 515 a Ion 540 b Lachegraves 186 b Lettre VIII 354 d XI 359 a Lois I 635 d II 665 c 669 c IV 720 b 720 b VI 761 e 777 b 777 e VII 790 a 808 a 808 e816 e 817 e VIII 838 d 845 b 848 c IX 865 d 865 d 868 c 869 d 872 b 875 d 879 a 881 c 882 a 882 b XI 914 a 930 d 930 d 932 d 932 d 934 d 936 b 936 b 937 a XII 954 e 962 e Lysis 208 b 208 c Politique 289 e 298 c 308 a 311 c Reacutepublique I 351 d IV 433 d VIII 549 a 569 c IX 577 c 577 c 577 d

2 Reacutepublique VIII 548 e ndash 549 a

229

punir de sa deacutenonciation1

Si les flles et les garccedilons doivent recevoir la mecircme eacuteducation et les femmes et les

hommes doivent exercer les mecircmes fonctions dans la citeacute agrave cause du fait que lacircme

na pas de sexe De mecircme lacircme ne se distingue pas par le statut desclave ou de

citoyen Dailleurs ces deux substances (δοῦλος πολίτης) sont absentes dans le

Phegravedre ougrave les acircmes humaines sont classeacutees en neuf cateacutegories selon un systegraveme

reacutetributif en ce qui concerne proprement lacircme En effet le statut politique ou social

est une identiteacute du corps et non celle de lacircme qui se caracteacuterise par la possession de

la vertu et de la science Cela eacutetant la question de lesclave est une question

deacuteducation si tous les ecirctres humains recevaient la mecircme eacuteducation il ne devrait pas

y avoir desclaves dailleurs un citoyen peut bien se reacuteduire agrave ecirctre lesclave de ses

propres plaisirs

V233 Luniteacute de la citeacute

Quest-ce que la citeacute sinon luniteacute politique culturelle eacuteconomique sociale En effet

une citeacute est la communauteacute dune multipliciteacute de puissances de faiblesses de goucircts

de fonctions et de natures diffeacuterentes parfois mecircme opposeacutees radicalement Cela

eacutetant pour quune citeacute devienne luniteacute dune telle multipliciteacute il faut un noyau

auquel adhegraverent harmonieusement tous les eacuteleacutements de cette multipliciteacute Le systegraveme

solaire est une uniteacute puisque tous les astres qui sy trouvent tournent autour dune

mecircme chose agrave savoir le Soleil La Terre est une uniteacute puisque tout ce qui se trouve

sur la Terre suit le mecircme mouvement orbital de la Terre mecircme si les animaux

terrestres y ont leur propre mouvement De mecircme un ecirctre humain ou plus

geacuteneacuteralement tout ecirctre vivant est une uniteacute puisque la multipliciteacute des mouvements

corporels (les mouvements des membres des organes du sang par exemple) est

commandeacutee par une seule chose agrave savoir lacircme De mecircme la multipliciteacute de la citeacute

doit ecirctre piloteacutee par une seule et unique chose agrave savoir la constitution politique

(πολιτεία) qui est lacircme de la citeacute La freacutequence du terme πολιτεία est assez eacuteleveacutee

mais tregraves concentreacutee dans la Reacutepublique et les Lois et le Politique2 et particuliegraverement

dans le livre VIII de la Reacutepublique avec 51 occurrences et les livres III et IV des Lois

avec respectivement 18 et 19 occurrences Quest-ce quune Constitution Nous

1 Lois XI 932 c ndash d2 Voici la liste doccurrences du terme πολιτεία Alcibiade [2] Critias [3] Criton [1] Gorgias [3] Lettre

IV [1] V [2] VII [14] VIII [2] XI [1] Lois I [6] II [1] III [18] IV [19] V [9] VI [10] VII [8] VIII [5] IX [7] X [2] XI [3] XII [8] Meacutenexegravene [5] Politique [20] Reacutepublique III [2] IV [6] V [10] VI [13] VII [4] VIII [51] IX [2] X [5] Timeacutee [4] Cf laquo Annexe πολιτεία raquo pour voir le deacutetail

230

donnons ici une reacutecapitulation de la reacutepartition des occurrences du terme πολιτεία

dans ces trois dialogues

πολιτεία δικαιοσύνη δίκη

Reacutepublique VIII Introduction 544 a 544 b 544 b 544 c 544 c 544 d 544 d 545 a 545 b 545 b Timocratie 545 d 547 c 547 d 548 c 548 c 548 c 548 d 548 d 549 a Oligarchie 550 c 550 c 550 c 550 d 551 a 551 b 551 b 552 a 552 e 553 a 553 e 554 b Deacutemocratie 557 a 557 b 557 c 557 c 557 d 557 d 557 d 558 a 558 c 558 c 561 e Tyrannie 562 a 562 c 564 a 564 a 564 b 564 e 568 b 568 c 568 d

545 a 545 b Absent

Lois III Origine et histoire de la constitution 676 c 676 c 678 a 680 a 680 b 681 d 681 d 681 d 683 a 684 b 685 a 686 c 693 d 697 c 698 a 698 b 701 e

Absent 682 d 696 d

Lois IV Constitution de la citeacute vertueuse 707 b 707 d 708 c 709 a 710 b 710 b 710 e 712 a 712 b 712 c 712 d 712 e 712 e 712 e 714 b 714 b 714 c 714 d 715 b

Absent 705 e 713 e 716 a 716 b 718 b

Politique Constitutions rivales 291 d 292 a 293 c 293 c 293 e 297 a 297 c 297 d 300 e 301 a 301 a 301 b 301 d 301 e 301 e 302 b 303 a 303 b 303 b 309 e

Absent Absent

Les hommes politiques doivent obeacuteir aux lois qui sont eacutetablies selon la constitution

politique or cette derniegravere eacutetait est toujours dicteacutee par les hommes politiques mecircme

dans la deacutemocratie ancienne ou moderne1 Cela ressemble au serpent qui se mord la

queue La solution est que la constitution politique doit ecirctre eacutetablie par les

philosophes et non par les hommes politiques agrave condition que les philosophes ne

font partie daucune socieacuteteacute de compeacutetition

Le but de lanalyse de diverses constitutions politiques est bien preacuteciseacute dans

lintroduction du livre VIII de la Reacutepublique

Socrate Si donc il existe cinq espegraveces de citeacutes il devrait exister eacutegalement cinq dispositions de lacircme pour les individus particuliers

Glaucon Sans doute

Socrate Ne convient-il pas ensuite de passer en revue les espegraveces infeacuterieures le type dhomme qui recherche la victoire et les honneurs lui dont lexistence est confrmeacutee agrave la constitution politique de Laceacutedeacutemone et ensuite lhomme oligarchique lhomme deacutemocratique et lhomme tyrannique Quand nous aurons observeacute lequel est le plus injuste nous pourrons alors lopposer agrave lhomme le plus juste et notre discussion sera complegravete si elle nous permet de voir comment la justice pure par comparaison avec linjustice sans meacutelange deacutetermine le bonheur ou le malheur de qui la possegravede De cette maniegravere si nous sommes convaincus par la position de Thrasymaque nous pourrons nous engager sur la

1 Dans lancienne comme dans la moderne le peule a le pouvoir de voter mais cest le politique qui deacutetient le pouvoir de persuader le peuple

231

voie de linjustice ou au contraire si la discussion qui commence maintenant agrave nous eacuteclairer nous en persuade nous mette en chemin vers la justice1

Cela eacutetant laquo une constitution doit ordonner lacircme et la citeacute au moyen dinstitutions et

agrave la faveur dune eacuteducation adeacutequate pour faire que les meilleurs y exercent

lautoriteacute dans linteacuterecirct de tous raquo2 La citeacute est avant tout une communauteacute dacircmes

dindividus et dinteacuterecircts distincts ainsi pour en faire une uniteacute harmonieuse il faut

quils se lient les uns avec les autres sous lautoriteacute de la constitution politique

Voici en effet comment se preacutesente la chose Il y a bien des circonstances ougrave les liensdune constitution risquent de se deacutelier comme ceux dun vaisseau ou dun ecirctre vivant liens que nous appelons tendeurs ou preacuteceintes chez lun muscles extenseurs chez lautre donnant ainsi agrave une seule chose partout disperseacutee des noms multiples Or cest ici lune des circonstances et non la moindre ougrave une constitution peut assurer sa sauvegarde ou courir agrave la deacutesagreacutegation3

Toute lautoriteacute est un pouvoir laquo lorsque dans un individu lautoriteacute suprecircme rejoint

la reacutefexion (φρονεῖν) et la tempeacuterance (σωφρονεῖν) pour sy associer alors on voit

naicirctre la constitution la meilleure et des lois qui sont agrave lavenant raquo4 La reacutefexion

(φρόνησις) est synonyme de sagesse (σοφία) cela est explicite dans le livre IV de la

Reacutepublique (voir particuliegraverement IV 433 b ndash d) Dans le Banquet dapregraves Diotime dont

le discours fut rapporteacute par Socrate ces quatre termes sont synonymes agrave savoir le

savoir (σοφία) la science (ἐπιστήμη) la reacutefexion (φρόνησις) la reacutealiteacute veacuteritable (τὸ

ὄν)

Διοτίας

ἦ καὶ ἂν μὴ σοφόν ἀμαθές ἢ οὐκ ᾔσθησαι ὅτι ἔστιν τι μεταξὺ σοφίαςκαὶ ἀμαθίας

Σωκράτηςτί τοῦτο

Διοτίαςτὸ ὀρθὰ δοξάζειν καὶ ἄνευ τοῦ ἔχειν λόγον δοῦναι οὐκ οἶσθ᾽ ἔφη ὅτι οὔτε ἐπίστασθαί ἐστιν mdash ἄλογον γὰρπρᾶγμα πῶς ἂν εἴη ἐπιστήμη mdash οὔτε ἀμαθία mdash τὸ γὰρ τοῦ ὄντος τυγχάνον πῶς ἂν εἴη ἀμαθία mdash ἔστι δὲ δήπου τοιοῦτον ἡ ὀρθὴ δόξα μεταξὺ

Diotime

Timagines-tu de mecircme que celui qui nest pas un expert est stupide Nas-tu pas le sentiment que entre scienceet ignorance il y a un intermeacutediaire

SocrateLequel

DiotimeAvoir une opinion droite sans ecirctre agrave mecircme den rendre raison Ne sais-tu pas poursuivit-elle que ce nest lagrave ni savoir mdash car comment une activiteacute dont on narrive pasagrave rendre raison saurait-elle ecirctre une connaissance sucircre mdash ni ignorance mdash car ce qui atteint la reacutealiteacute ne saurait ecirctre ignorance Lopinion droite est bien quelque chose de ce genre quelque chose dintermeacutediaire entre le

1 Reacutepublique VIII 545 a ndash b2 Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo eacutetudes sur la reacutepublique de

platon 1 de la justice Paris Vrin sous la direction de Monique Dixsaut 2005 pp 25 ndash 41 p 31 3 Lois XII 945 c4 Ibid IV 712 e ndash 712 a

232

φρονήσεως καὶ ἀμαθίας5 savoir et lignorance

Seul le philosophe est capable de connaicirctre les reacutealiteacutes intelligibles decirctre sage

tempeacuterant courageux et juste et cest lui qui est le plus capable deacutetablir luniteacute de la

citeacute et de la maintenir durablement En dautres termes en placcedilant la constitution

politique sous lautoriteacute du philosophe il ny aura plus de possibiliteacute au sein de la

citeacute dengendrer le pouvoir qui se mord la queue

V3 La tempeacuterance

Par sa structure fonctionnelle lacircme humaine possegravede trois puissances agrave savoir

lintellection la reacutesistance et le deacutesir La puissance deacutesirante est la source mecircme de

toutes sortes de plaisirs du corps et de lacircme Degraves lors la question de la maicirctrise des

plaisirs se pose Cette capaciteacute de juger de controcircler les plaisirs et decirctre maicirctre de

soi-mecircme sappelle la tempeacuterance ou la modeacuteration (σωφροσύνη) mais quel est le

rapport avec la loi puisque dans le passage suivant la tempeacuterance signife la

conformiteacute agrave la loi

Σωκράτης

Ταῖς δέ γε τῆς ψυχῆς τάξεσιν καὶ κοσμήσεσιν νόμιμόν τε καὶ νόμοςὅθεν καὶ νόμιμοι γίγνονται καὶ κόσμιοιmiddot ταῦτα δ ἔστιν δικαιοσύνη τε καὶ σωφροσύνη Φῂς ἢ οὔ1

Socrate

Mais dans lacircme lordre et la bonne disposition sappellent loi et conformiteacute agrave la loi De lagrave il reacutesulte queles citoyens se comportent selon lordre et selon la loi Cest en cela que consistent la justice et la tempeacuterance Es-tu daccord oui ou non 2

Dans ce passage nous avons deux lignes parallegraveles

Justice τάξις νόμιμον νόμιμοι δικαιοσύνη

Tempeacuterance κόσμησις νόμος κόσμιοι σωφροσύνη

Le terme τάξις de la racine τακ met laccent sur laction sous une certaine autoriteacute

placer les choses lagrave ougrave il faut autrement dit eacutetablir lordre en donnant des ordres

Ainsi la justice veut dire que lacircme donne lordre agrave une action de faire ce quil faut

faire ni plus ni moins dans lordre En revanche le terme κόσμησις deacuteriveacute du

κόσμος dont le sens premier est celui dordre dharmonie au sens abstrait (σις) de

5 Banquet 202 a1 Gorgias 504 d2 Trad par A Croiset laquo Dans lacircme lordre et lharmonie sappellent la discipline et la loi qui font

les bons citoyens et les honnecirctes gens et cest cela qui constitue la justice et la sagesse Sommes-nous daccord raquo Trad par V Cousin laquo Et quon appelle leacutegitime et loi tout ce qui met de lordre et de la regravegle dans lacircme dougrave se forment les hommes justes et reacutegleacutes Leffet produit cest ici la justice et la tempeacuterance Est-ce bien cela raquo Trad par Eacute Chambry laquo Lordre et la regravegle dans lacircme sappellent leacutegaliteacute et loi et cest ce qui fait les hommes justes et reacutegleacutes et cest cela qui constitue la justice et la tempeacuterance Laccordes-tu ou non raquo

233

beauteacute (dougrave vient le terme laquo cosmeacutetique raquo) met laccent sur leacutetat la disposition ou la

qualiteacute dailleurs lunivers est beau Ainsi la tempeacuterance veut dire que lacircme peut

bien avoir une bonne disposition gracircce agrave laquelle on peut mener de belles actions

avec constance et non par hasard comme les lois matheacutematiques et physiques gracircce

auxquelles lunivers tourne toujours et harmonieusement en beauteacute Si cette bonne

disposition est neacutecessaire agrave lacircme juste par comparaison elle est dautant plus

neacutecessaire agrave la citeacute juste Cela eacutetant pour que lacircme comme la citeacute puisse posseacuteder

une bonne disposition en conformiteacute agrave la Loi il est neacutecessaire de prendre

connaissance des lois fondamentales cest-agrave-dire divines Le terme νόμος est

abondamment preacutesent dans la moitieacute des dialogues platoniciens voici une

reacutecapitulation doccurrences du terme

Occurrence(s)

du νόμοςDialogues1

0 Alcibiade Euthydegraveme Ion Lysis Meacutenon Parmeacutenide

1 Charmide Euthyphron Hippias mineur Lachegraves Pheacutedon Philegravebe Reacutepublique III Sophiste

entre 2 et 8 Reacutepublique I [2]Theacuteeacutetegravete [3] Meacutenexegravene [5] Reacutepublique IX [5] Reacutepublique VI [5] Reacutepublique VII [5] X [5] Cratyle [6] Phegravedre [6] Protagoras [7] Reacutepublique VIII [7] II [8] IV [8]

ge 10 Apologie [10] Critias [11] Hippias majeur [12] Timeacutee [13] Banquet [15] Reacutepublique V [15] Criton [22] Gorgias [23] Politique [38] Lois I [40] II [15] III [34] IV [59] V [25] VI [50] VII [61] VIII [54] IX [87] X [36] XI [67] XII [45]

On peut constater que les occurrences dans le Politique (38) et les Lois (573) sont trois

fois plus nombreuses que dans le reste des dialogues (201) alors quil est

relativement peu preacutesent dans la Reacutepublique Cest sans doute parce que la Reacutepublique

est le fondement des Lois qui sont un instrument de ladministration de la citeacute en

dautres termes la constitution politique est theacuteorique les lois ont un aspect pratique

Dans la suite nous essayons danalyser trois types de lois agrave savoir les lois divines les

lois cosmologiques et les lois eacutecrites par les leacutegislateurs

1 Voici la liste doccurrences dans les Lettres III νόμων (316 a) VI νόμῳ (323 d) VII νόμους (324 b) νόμους (325 c) νόμων (325 d) νόμων (326 a) νόμους (326 c) νόμων (328 c) νόμους (332 b)νόμοις (332 e) νόμοις (334 c) νόμοις (336 a) νόμους (337 a) νόμοις (337 a) νόμοις (337 a) νόμους (337 c) νόμων (337 c) νόμων (337 c) νόμοις (344 c) νόμους (345 d) νόμων (351 c) VIII νόμος (354 b) νόμων (354 c) νόμοις (354 c) νόμων (354 c) νόμον (354 e) νόμῳ (354 e) νόμος (355 a) νόμους (355 a) νόμος (355 c) νόμων (355 c) νόμους (355 c) νόμων (355 e) νόμους (356 d) XI νόμων (359 a)

234

V31 La loi lunivers et le divin

laquo La loi est un discours qui sexerce sur lacircme des citoyens de telle sorte que leurs

mœurs sen trouvent rationnellement forgeacutees raquo1 afn de mettre la citeacute en ordre cest-agrave-

dire en uniteacute Or lunivers (κόσμος) est lordre parfait dans le monde sensible par

possession de cette qualiteacute parfaite lunivers est divin puisque le divin est parfait

laquo Degraves lors cest dans le divin que la loi politique et eacutethique trouve son fondement et

son origine cest en lui que reacuteside le principe de toute reacutetribution lieacutee au respect ou

au viol de la loi raquo2 Cela eacutetant lunivers est un modegravele parfait de la tempeacuterance car la

moindre deacutemesure dun astre agrave leacutegard de la loi universelle causera sa destruction

dans le ciel Dougrave viennent le sens et limportance de lattention precircteacutee aux signes

divins

Les deacutebuts en remontent agrave mon enfance Cest une voix qui lorsquelle se fait entendreme deacutetourne toujours de ce que je vais faire mais qui jamais ne me pousse agrave laction3

Plus tard cette voix quil appellera laquo τὸ τοῦ θεοῦ σημεῖον raquo (le signe dun dieu)4

laquo τὸ δαιμόνιον σημεῖον raquo (le signe divin)5 laquo τὸ εῖωθὸς σημεῖον raquo (le signe habituel)6

ou tout simplement laquo τὸ σημεῖον raquo (le ou un signe)7 qui ne signife pas toujours cette

voix que Socrate a lhabitude dentendre8 mais quelques fois le substantif neutre

δαιμόνιον deacutesigne aussi cette voix divine9 Le fait que Socrate ait lhabitude

dentendre cette voix signife trois choses 1 la puissance du savoir humain a sa

1 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 842 Brisson Luc laquo La loi dans Les Lois de Platon et dans le monde Grec ancien raquo Orient-Occident racines

spirituelles de lEurope Paris Cerf Sous la direction de Mariano Delgado Charles Meacutela et Freacutedeacuteric Moumlri 2014 pp 21 ndash 34 p 30

3 Apologie 31 d4 Ibid 40 a ndash b5 Reacutepublique VI 496 c6 Apologie 40 c Euthydegraveme 272 e7 Apologie 41 d Agrave propos de cette voix divine cf Dorion L-A laquo Socrate le Daimonion et la

divination raquo Les dieux de Platon Caen PUC 2012 [2003] pp 169 ndash 192 8 Voici la liste doccurrences du terme σημείου Apologie σημεῖον (40 b) σημεῖον (40 c) σημεῖον

(41 d) Cratyle σημεῖον (395 a) σημεῖον (415 a) σημείου (427 c) σημεῖόν (427 c) Critias σημεῖα (111 d) Euthydegraveme σημεῖον (272 e) Gorgias σημεῖον (520 e) Lachegraves σημεῖα (195 e) Lettre VII σημεῖον (332 c) Lois VII σημεῖα (792 a) IX σημεῖα (856 a) σημεῖα (856 a) Phegravedre σημεῖόν (242 b) σημείων (244 c) Philegravebe σημεῖον (24 e) Politique σημεῖον (268 e) Reacutepublique II σημείων (382 e) VI σημεῖον (496 c) X σημεῖα (607 c) σημεῖα (614 c) σημεῖα (614 c) Sophiste σημεῖον (237 d) σημεῖον (262 a) σημεῖα (262 d) Theacuteeacutetegravete σημεῖα (153 a) σημεῖα (191 d) σημεῖον (192 b) σημεῖον (192 b) σημεῖα (193 c) σημεῖον (193 c) σημεῖον (193 c) σημείω (194 a) σημείων (194 a) σημεῖα (194 d) σημεῖα (194 d) σημεῖον (208 c) Timeacutee σημεῖα (40 c) σημεῖον (71 e) σημεῖα (72b)

9 Il y en a trois agrave savoir Euthyphron 3b Theacuteeacutetegravete 151 a Apologie 40 a Voici la liste doccurrences du terme δαιμόνιον comme substantif ou adjectif neutre Alcibiade δαιμόνιον (103 a) Apologie δαιμόνια (24 c) δαιμόνια (26 b) δαιμόνια (27 c) δαιμόνια (27 c) δαιμόνια (27 c) δαιμόνια (27 e) δαιμόνιον (31 d) Banquet δαιμόνιον (202 d) δαιμονίῳ (219 c) Cratyle δαιμόνιον (398 c) Critias δαιμόνιον (117 b) Euthydegraveme δαιμόνιον (272 e) Euthyphron δαιμόνιον (3 b) Politique δαιμονίῳ (309 c) Reacutepublique VI δαιμόνιον (496 c) VII δαιμόνιον (531 c) X δαιμόνιον (614 c) Theacuteeacutetegravete δαιμόνιον (151 a)

235

limite eacutevidente puisque mecircme Socrate reconnu par la Pythie comme lhomme le

plus savant de son temps ne peut se passer dun signe divin pour eacuteviter de faire ce

quil ne faut pas faire 2 le savoir divin est puissant agrave tel point que non seulement

le dieu sait agrave ce que pense Socrate mais aussi et surtout la faccedilon par laquelle le signe

parvient chaque fois agrave Socrate semble eacutechapper agrave toute contrainte cosmologique

comme si la vitesse de la communication entre lacircme divin et lacircme de Socrate

nexistait pas ce qui diffegravere de la communication dans lunivers 3 le signe divin

nest communiqueacute quagrave ceux qui auront la faveur dun dieu autrement dit aux

philosophes agrave ceux qui sont veacuteritablement vertueux

V311 La puissance du savoir divin

Le terme δύναμις est tregraves bien preacutesent dans les dialogues platonicien1

Dialogues de jeunesse

Criton [1] 46c Hippias mineur [2] 375e 376a Hippias majeur [2] 295e 296c Ion [5] 533d 533d 533e 535e 536a Alcibiade [5] 103a 104b 105d 105e 121b Lachegraves [3] 192b 192b 194c Protagoras

[12] 320e 330a 330a 330a 330b 331d 349b 349c 351a 351b 356d 359a Meacutenexegravene [3] 240d 240d 246c Gorgias [9] 447c 455d 456c 470a 509d 509d 509d 511a 514a Charmide [7] 156b 168b 168b 168d 168d 168e 169a Meacutenon [2] 78c 95d Euthydegraveme [2] 274d 296c

Dialogues de maturiteacute

Cratyle [14] 393e 394b 394b 394b 399e 404e 405e 412e 417b 425c 427b 427b 435d 438c Banquet

[9] 183a 188d 188d 189c 189d 202e 212b 216c 218e Pheacutedon [2] 70b 99c Reacutepublique I [5] 346a 346b 351b 351e 351e II [8] 358b 359d 360a 364b 366c 366d 367a 374e IV [7] 427e 429b 429e 430b 433b 433d 443b V [9] 454a 458e 466c 473b 477b 477b 477d 477e 478a VI [8] 494c 497b 507a 507c 508a 508b 508e 509b VII [7] 518c 518e 521d 532a 532c 533a 535a IX [4] 587d 588b 590d 591a X [1] 602c Phegravedre [14] 231a 232d 237c 246c 246d 249c 253b 257a 258c 265d 268a 270d 271c 273e Parmeacutenide [4] 133e 134d 135c 150d Theacuteeacutetegravete [6] 156a 158e 168c 185c 185c 197c

Dialogues de vieillesse

Sophiste [13] 219a 219b 232e 236b 244b 247d 247e 248c 248c 251e 252d 263a 265b Politique [20] 261d 262a 266b 272c 273b 279c 287e 289a 291b 293d 300c 300d 301a 304d 305b 305e 308c 308c 308e 310c Philegravebe [18] 16b 24c 25a 28d 29b 30d 31a 31c 32a 44c 44d 49b 49c 57e 58d 63c 64e 67a Timeacutee [35] 18d 24e 25a 25b 25b 26d 28a 30a 32c 37d 38c 38d 41c 42e 45e 46e 48d 49a 54b 63b 64b 64c 65e 66d 71b 71d 71e 74d 75d 76a 83e 85d 85e 89c 89d Critias [4] 109a 113a 115d 120d Lois I [5] 635b 637a 643a 644b 648e II [3] 655d 657b 671a III [12] 686b 686e 688d 688e 690d 691c 691d 692a 692a 694b 697b 702d IV [9] 706b 706b 712a 716c 717c 718c 720e 723a 724b V [9] 728a 730d 731a 736c 739d 739e 741a 747a 747b VI [16] 752a 752d 754c 760a 760b 760e 763c 766a 768b 768b 769d 770b 777d 778a 780b 783d VII [9] 789e 791b

1 Cf Souilheacute Joseph Eacutetude sur le terme ΔΥΝΑΜΙΣ dans les dialogues de Platon Paris Librairie Feacutelix Alcan 1919 Cf aussi Maceacute Arnaud laquo La surpuissance morale des acircmes savantes agrave laune de la proceacutedure atheacutenienne dexamen public des compeacutetences techniques raquo Eacutetudes platoniciennes 2007 pp 69 ndash 102

236

792b 792d 793c 795c 809b 816d 817b VIII [4] 829a 831d 838d 840c IX [9] 856a 865e 869e 870a 874d 876c 877e 880c 881b X [10] 887c 888c 889d 890c 891a 892a 893c 903b 903d 905d XI [12] 918b 919c 923c 924c 924e 926d 927a 927c 930a 931d 938b XII [13] 942d 942e 943e 944b 944d 947d 949e 950e 952c 956b 960d 960d 964c

Dapregraves leacutetude de J Souilheacute dans les premiegraveres œuvres de la litteacuterature grecque le

terme δύναμις est peu preacutesent il deacutesigne une force sensiblement perceptible

Le terme δύναμις est relativement peu employeacute dans les premiers monuments de la litteacuterature grecque qui sont parvenus jusquagrave nous On le trouve quatre fois dans l Iliade cinq fois dans lOdysseacutee avec le sens de pouvoir puissance mais lideacutee semble exclusivement restreinte agrave la force physique la force des bras ou des armes1

Deacutejagrave chez Xeacutenophon la δύναμις prend un sens abstrait laquo La connaissance de soi-

mecircme est pour les hommes une source de grands biens car ils savent ce quils

peuvent faire et ce qui nest pas en leur pouvoir raquo (Meacutemorables IV227)2 Le premier

point tournant dans la mutation du sens de la δύναμις est de consideacuterer les

matheacutematiques comme une forme de puissance3 Or les matheacutematiques ne sont pas

une science agrave caractegravere technique certes ce sont les matheacutematiciens qui ont deacutecouvert

des lois matheacutematiques mais ce ne sont pas eux qui les ont inventeacute Les vrais auteurs

des lois matheacutematiques comme lauteur du Lit dans le livre X de la Reacutepublique sont

sans doute certains dieux ou plus preacuteciseacutement le deacutemiurge puisque cest lui qui

fabriqua lunivers si on en croit ce que Timeacutee raconte dans le dialogue portant son

nom Cela eacutetant les matheacutematiques relegravevent dune puissance divine Dailleurs on

peut constater que lunivers est beaucoup plus complexe que nimporte quelle socieacuteteacute

humaine cependant lunivers est beau non seulement sensiblement mais aussi et

surtout intelligiblement sa beauteacute est matheacutematique En dautres termes lunivers

fournit matheacutematiquement certaines lois fondamentales pour administrer la citeacute

puisquil est physiquement administreacute par des lois matheacutematiques et logique dougrave

linteacuterecirct du Timeacutee (matheacutematique) et de la seconde partie du Parmeacutenide (logique) En

effet les lois matheacutematiques par lesquelles lunivers est administreacute peuvent inspirer agrave

eacutelaborer des modegraveles de justice et de tempeacuterance encore faut-il connaicirctre ces lois

Le signe divin reccedilu par Socrate montre eacutegalement que le dieu connaicirct aussi

parfaitement lunivers cest-agrave-dire les lois matheacutematiques car sans cette

connaissance il ne pourrait pas deacutetecter les signaux de la penseacutee dun homme qui va

faire une chose juste ou injuste et lui envoyer agrave travers la totaliteacute du ciel4 un signal

1 Ibid p 12 Ibid p 93 Cf Ibid laquo sect2 Le sens matheacutematique raquo p 23 ndash 314 Notons que la race des dieux eacutetablit sa demeure dans les hauteurs du ciel (voir Phegravedre 246 c ndash d)

237

pour lempecirccher de commettre une injustice sans cette connaissance comment la

race des dieux pourrait-elle administrer lunivers tout entier (laquo πάντα τὸν κόσμον

διοικε raquo1) Si les lois matheacutematiques peuvent ecirctre montreacutees et deacutemontreacutees

neacutecessairement rationnellement il est tout agrave fait certain que la puissance divine

supeacuterieure agrave la puissance matheacutematique peut et doit ecirctre montreacutee et deacutemontreacutee

rationnellement cette science a pour nom la philosophie2

V312 Eacuteteindre la deacutemesure

Heacuteraclite disait qulaquo il faut eacuteteindre la deacutemesure plus encore quun incendie raquo3 De

mecircme dans les dialogues platoniciens ceacuteder agrave la deacutemesure dans lacircme et dans la citeacute

est aussi tragique que la deacutefaite dAthegravenes4 Ce passage dApologie illustre que cest la

deacutemesure qui a conduit agrave la condamnation agrave mort de Socrate le tort causeacute agrave Socrate

et agrave sa citeacute le fut par la deacutemesure dun citoyen

Ce que tu dis est incroyable Meacuteleacutetos et tu ne crois mecircme pas toi-mecircme agrave ce que tu dis jen ai bien limpression Le fait est Atheacuteniens que jai limpression que mon adversaire aperdu toute mesure et toute retenue et que tout compte fait laction judiciaire quil a intenteacute est due agrave un manque de mesure agrave un manque de retenue et agrave la jeunesse5

La deacutemesure (ὕβρις)6 est est due agrave la meacuteconnaissance de soi-mecircme cest dailleurs

lun des traits de la jeunesse7 que lon peut lire aussi agrave travers lAlcibiade le Charmide

1 Phegravedre 246 c Un signal est une information dapregraves la relativiteacute restreinte en tant quinformation il ne peut deacutepasser la vitesse de la lumiegravere puisque le facteur multiplicatif dune masse en repos ou en vitesse est deacutetermineacute par ceci 1radic1minus(v2c2) Cela eacutetant si vgtc (la vitesse dune informationdivine est supeacuterieure agrave celle de la lumiegravere) alors le nombre 1minus(v2c2) est neacutegatif Toutefois cela est interdit par la racine carreacutee Or lacircme est sans doute une uniteacute sans masse de ce fait le dieu peut bien envoyer un signal (une information) sans masse aucune une telle hypothegravese nest possible ni pour la theacuteorie de la relativiteacute ni pour la physique quantique

2 Cf Brisson Luc laquo Socrates and the Divine Signal According to Platos Testimony Philosophical Practice as Rooted in Religious Tradition raquo Apeiron 38 2005 pp 1 ndash 12

3 Vies et doctrines des philosophes illustres livre IX 24 Cf laquo La deacutefaite dAthegravenes et la condamnation agrave mort de Socrate deux trageacutedies fondatrices raquo

Platon Paris Cerf 2017 pp 37 ndash 435 Apologie 26 e6 Cf Alcibiade ὑβριστὴς (114 d) ὕβρεως (114 d) Apologie ὑβριστὴς (26 e) ὕβρει (26 e) Banquet ὑβριστὴς (175 e) ὕβρεως (181 c) ὕβρεως (188 a) ὑβριστὴς (215 b) ὑβριστοῦ (221 e) Charmide ὑβριστικῶς (175 d) Cratyle ὑβριστικὸν (396 b) ὑβριστικὰ (426 b) Euthydegraveme ὑβριστὴς (273 a) Gorgias ὕβρεως (525 a) Hippias majeur ὑβριστικῶς (286 c) Lettre III ὕβριν (315 c) ὑβριστικῶς (319 b) Lois I ὑβρισταὶ (630 b) ὕβρεσι (637 a) ὑβριστότεροι (641 c) ὕβριν (641 c) ὕβρις (649 d) Lois II ὕβριν (661 e) ὑβριστής (662 a) Lois III ὕβρις (679 c) ὕβρεως (691 c) Lois IV ὕβρεως (716 a) Lois VI ὕβρις (774 c) ὕβρεως (775 d) ὕβριν (777 d) ὕβρει (783 a) Lois VII ὕβρεως (793 e)ὑβριστότατον (808 d) Lois VIII ὕβριν (835 e) ὕβριν (837 c) ὕβρεως (849 a) Lois X ὕβρεις ὕβρεως (885 a) ὕβρις (906 a) Meacutenon ὑβριστής (76 a) Pheacutedon ὕβρεις (81 e) Phegravedre ὕβρις (238 a) ὕβρις (238 a) ὕβρει (250 e) ὑβριστικὸν (252 b) ὕβρεως (253 e) ὑβριστὴν (254 c) ὑβριστοῦ (254 e)ὕβρεως (254 e) Philegravebe ὕβριν (26 b) ὕβρει (45 d) ὑβριστῶν (45 e) Politique ὑβριστικὰ (307 b) ὕβριν (309 a) Protagoras ὑβριστὴς (355 c) Reacutepublique III ὕβρεως (400 b) ὕβρει (403 a) Reacutepublique VIII ὕβριν (560 e) ὕβριν (560 e) Reacutepublique IX ὕβριν (572 c) Sophiste ὕβρεις (216 b) ὕβριν (229 a) Timeacutee ὕβρει (24 e)

7 Puisque Meacuteleacutetos est jeune dapregraves un propos de Socrate au deacutebut de lEuthyphron laquo Je ne le

238

le Lysis le Meacutenon le Phegravedre ou encore le Theacuteeacutetegravete En effet quand on est jeune on na

pas encore suffsamment dexpeacuterience cest-agrave-dire de capaciteacute agrave distinguer par la vie

veacutecue le bien du mal agrave ce titre il nest mecircme pas tregraves raisonnable de demander agrave de

jeunes gens de se connaicirctre eux-mecircme decirctre tempeacuterants dougrave limportance de

leacuteducation Et plus geacuteneacuteralement ceux qui jeunes ou vieux hommes ou femmes ne

savent pas encore penser reacutefeacutechir contempler ne peuvent eacuteviter la deacutemesure dougrave

la neacutecessiteacute de forcer ces gens-lagrave agrave acqueacuterir certaines vertus par habitude et par

exercice

Socrate Degraves alors les autres vertus (ἄλλαι ἀρεταί) quon appelle vertus de lacircme risquent bien decirctre assez proches de celles du corps car en reacutealiteacute elles ny sont pas dabord preacutesentes elles sont produites plus tard par leffet des habitudes et des exercices La vertu qui sattache agrave la penseacutee (τοῦ φρονῆσαι) appartient toutefois apparemment plus que tout agrave quelque principe divin quelque chose qui ne perd jamais sa puissance mais qui en fonction du retournement quil subit devient utile et beacuteneacutefque ou au contraire inutile et nuisible1

La sagesse (φρόνησις ou σοφία) ne peut sacqueacuterir seulement par habitude ou par

exercice mais de preacutefeacuterence par la contemplation des reacutealiteacutes intelligibles par la

connaissance de la veacuteriteacute dougrave son aspect laquo inutile et nuisible raquo Car dire la veacuteriteacute

posseacuteder laquo quelque principe divin raquo peuvent bien susciter la haine la jalousie qui

sont inutiles et nuisibles sachant que la sagesse elle-mecircme est toujours utile et

beacuteneacutefque

Analyser la deacutemesure constitue mecircme un motif profond du Phegravedre dougrave vient la

deacutemesure Avant mecircme de raconter le mythe de lattelage aileacute Socrate parle deacutejagrave de

la cause de la deacutemesure

[hellip] quand cest une opinion rationnelle qui megravene vers ce quil y a de meilleur et qui domine cette domination sappelle laquo tempeacuterance raquo Mais quand cest un deacutesir (ἐπιθυμίας) qui entraicircne deacuteraisonnablement vers le plaisir (ἐπὶ ἡδονὰς) et qui gouverne en nous ce gouvernement a pour nom laquo deacutemesure raquo (ὕβρις) Or on le sait la deacutemesure a beaucoup de noms car elle preacutesente une grande diversiteacute deacuteleacutements et de formes et celle de ces formes qui vient agrave preacutedominer sert agrave nommer lhomme qui la possegravededeacutenomination qui nest ni belle ni honorable Si cest le deacutesir de bonne chegravere qui lemporte sur ce que la raison preacutesente comme le meilleur et sur le reste des deacutesirs voilagrave la gourmandise dougrave le nom de laquo gourmand raquo qui deacutesignera celui qui a ce vice2

[Meacuteteacutelos] connais pas tregraves bien moi-mecircme Euthyphron car je jai limpression quil est plutocirct jeune et inconnu raquo (2 b)

1 Reacutepublique VII 518 d ndash e Dans le Pheacutedon Socrate dit agrave peu pregraves la mecircme chose les deux vertus la justice et la tempeacuterance peuvent sacqueacuterir par habitude et par exercice (82 a ndash b)

2 Phegravedre 238 a ndash b Dans le Phegravedre la deacutemesure est consideacutereacutee Le contraire de la tempeacuterance (σωφροσύνη) voir aussi Charmide 175 d (cf aussi laquo Notes raquo ndeg 223 p 154) Lois I 630 a ndash b VIII 859 a

239

Dougrave vient ce deacutesir qui est agrave lorigine de la deacutemesure Il est lune des raisons de

concevoir rigoureusement lacircme comme un attelage aileacute laquo Rappelons-nous Au

commencement de ce mythe nous avons dans chaque acircme distingueacute trois

eacuteleacutements deux qui ont la forme dun cheval et un troisiegraveme qui a laspect dun

cocher Voici donc que de ces deux chevaux lun disons-nous est bon et lautre

non Mais nous navons pas expliqueacute en quoi consiste lexcellence du bon ou le vice

du mauvais cest ce quil faut dire agrave preacutesent raquo1 Le bon cheval laquo aime lhonneur en

mecircme temps que la tempeacuterance et la retenue raquo (laquo τιμῆς ἐραστὴς μετὰ σωφροσύνης

τε καὶ αἰδοῦς raquo 253 d) tandis que le mauvais cheval laquo a le goucirct de la deacutemesure et de

la vantardise raquo (laquo ὕβρεως καὶ ἀλαζονείας ἑταῖρος raquo 253 e) Ainsi toute la question

consiste agrave savoir comment eacuteteindre la deacutemesure voici la proposition de Socrate

Mais le cocher encore plus eacutemu cette fois-ci se rejette en arriegravere comme sil avait devant lui une corde tire encore plus violemment le frein du cheval emporteacute par la deacutemesure lui arrache de ses dents fait saigner sa langue injurieuse et ses macircchoires et forccedilant ses jambes et sa croupe agrave toucher la terre laquo il le livre aux douleurs raquo

Or quand traiteacutee plusieurs fois de la mecircme faccedilon la becircte vicieuse a renonceacute agrave la deacutemesure elle suit deacutesormais leacutechine basse la deacutecision reacutefeacutechie du cocher et lorsquelle aperccediloit le bel objet elle meurt deffroi2

La fonction deacutesirante de lacircme est une puissance qui par nature ne connaicirct pas la

mesure et si elle se trouve au service de la deacutemesure cest parce que le cocher (la

fonction intellective) na pas accompli sa mission de gouverner de commander de

contempler

V313 Mythe dEr

Recevoir un signe divin et linterpreacuteter correctement nest pas une affaire de tous

cela relegraveve de la science de la connaissance de la veacuteriteacute car le signe divin est un

message envoyeacute par un veacuteritable savant cest-agrave-dire un dieu qui connaicirct reacuteellement

ce qui est De mecircme eacuteteindre la deacutemesure nest pas non plus une affaire pour la

grande foule car cela relegraveve de la connaissance de soi-mecircme ou de la tempeacuterance 3 or

se connaicirctre soi-mecircme relegraveve de la science de la connaissance de ce qui est de la

philosophie La question se pose ainsi comment faire comprendre au grand nombre

certaines lois divines 4 Au moyen du mythe (car une loi divine est inveacuterifable ce

1 Phegravedre 253 253 c ndash d2 Phegravedre 254 d ndash e3 Voir Alcibiade 131 b laquo la tempeacuterance consiste agrave se connaicirctre soi-mecircme raquo Comme le contraire de la

tempeacuterance est la deacutemesure qui est eacutegalement le contraire de laquo se connaicirctre soi-mecircme raquo4 Agrave propos du mythe dEr J Annas eacutecrit ceci laquo Il est diffcile de savoir ce que Platon cherche agrave nous

communiquer en ayant recours au mythe On dit dordinaire quil utiliserait le mythe pour exprimer

240

qui correspond mieux au langage mythologique) particuliegraverement des trois mythes

eschatologiques agrave la fn de la Reacutepublique du Pheacutedon et du Gorgias Nous parlons ici

briegravevement du mythe dEr dont le sens du mythe saffche clairement degraves le deacutebut il

sagit laquo du reacutecit dun homme vaillant dont le nom eacutetait Er originaire de

Pamphylie raquo

Il se trouve quil mourut au combat Dix jours avaient passeacute quand on vint ramasser les cadavres deacutejagrave putreacutefeacutes mais quand on le releva lui il eacutetait bien conserveacute On le porte chez les siens pour les funeacuterailles mais le douziegraveme jour alors quon lavait placeacute sur le bucirccher funeacuteraire il revint agrave la vie une fois revenu agrave la vie il raconta ce quil avait vu lagrave-bas 1

Pourquoi revint-il agrave la vie laquo il lui fallait devenir le messager aupregraves des hommes de

ce qui se passait dans ce lieu raquo2 ougrave les acircmes sont soumises sans exception au

jugement des juges des morts3 En effet laquo Platon cherche maintenant agrave montrer que

les reacutecompenses de la justice dans cette vie sont dune importance mineure en

comparaison agrave celles qui attendent lacircme apregraves sa mort raquo4 Au fond dans la vie

incarneacutee la punition subie par les pires injustes jugeacutes par un tribunal sont

principalement des chacirctiments subis par le corps et non par lacircme la prison la dureacutee

passeacutee dans la prison les conforts priveacutes dans la prison labsence de vie sexuelle ou

de liberteacute de se promener lagrave ougrave on veut de deacutepenser de voir les parents et les amis

bref le chacirctiment consiste agrave priver les injustes des deacutesirs de choses sensibles de

mecircme pour la reacutecompense il sagit de la richesse de lhonneur et dautres belles

choses du monde sensible tout cela en reacutealiteacute na pas de rapport avec lacircme puisque

laquo lacircme se situe en-deccedilagrave de lintelligible et au-delagrave du sensible raquo5 Sil existe les

tribunaux dans les citeacutes il existe neacutecessairement une forme de tribunal qui se trouve

au-delagrave du monde sensible au-delagrave de lHumaniteacute dans la mesure ougrave on reconnaicirct la

reacutealiteacute de lacircme pour deux raisons 1 Un tribunal est une copie du Tribunal

autrement dit le fait de juger la vie est une loi divine cest-agrave-dire un principe divin

et selon ce principe chaque citeacute eacutelabore des lois qui conformeacutement agrave sa constitution

politique afn de punir les pires injustes ou de reacutecompenser les grands justes 6 2 La

des veacuteriteacutes religieuses dun ordre plus eacuteleveacute au-delagrave de la porteacutee des arguments raquo (Annas Julia Introduction agrave la Reacutepublique de Platon Paris PUF 2006 [1994 (2e tirage) 1981 (Oxford University Presse)] p 442

1 Reacutepublique X 614 b Nous soulignons2 Ibid 614 d3 Cf Reacutepublique X laquo Notes raquo ndeg 60 p 7254 Supra J Annas p 441 Voir la note de bas de page 7685 Platon Paris Cerf 20017 p 956 Notons au passage que laccusateur principal du procegraves intenteacute contre Socrate Meacuteleacutetos nest pas un

criminel ni mecircme un homme injuste volontairement cest en effet le reacutegime politique qui permet agrave un citoyen de faire une chose aussi absurde Cest en ce sens que lApologie de Socrate de Platon est en veacuteriteacute une critique des institutions atheacuteniennes Le nom Meacuteleacutetos au tribunal du procegraves agrave leacutepoque

241

vie est une communauteacute de lacircme davec le corps un ecirctre humain est jugeacute dans la vie

agrave travers les chacirctiments subis par le corps pour les injustices commises ou les

reacutecompenses gratifeacutees agrave lhonneur du corps pour les justices faites

V32 Principes cosmologiques

Au deacutebut de la section laquo V3 Tempeacuterance raquo en analysant un passage du Gorgias (504

d) nous avons vu que la tempeacuterance (σωφροσύνη) est apparenteacutee agrave la κόσμησις

(lharmonie en tout cas une forme dharmonie peut-ecirctre la plus belle harmonie) qui

veut dire plus preacuteciseacutement ceci cest lordre naturellement eacutetabli qui donne

lharmonie1 Lordre naturellement eacutetabli cest eacutevidemment le κόσμος dont la

preacutesence du terme dans le corpus platonicien se concentre principalement sur les

quatre dialogues agrave savoir le Gorgias (9 fois) le Politique (11) les Lois (15) et le Timeacutee

(17)2 Cependant dans le Gorgias le κόσμος ne veut pas dire lunivers mais lordre

eacutetabli par leffort humain En effet agrave leacutevidence lordre de lunivers est un ordre

parfait Si on veut que lordre dans lacircme et lordre dans la citeacute le soient aussi il faut

que lordre de lacircme humaine et lordre de la citeacute soient reacuteunis agrave lordre de lunivers

dougrave linteacuterecirct philosophique pour les principes cosmologiques Ici nous en analysons

trois dans une perspective eacutethique agrave savoir la proportion la hieacuterarchie et lharmonie

En effet leacutethique a bien un rapport intrinsegraveque avec lhieacuterarchie et lharmonie pas

seulement avec la mesure

V321 La proportion

Lunivers est un espace geacuteomeacutetrique or la proportionnaliteacute est une proprieacuteteacute

fondamentale de la geacuteomeacutetrie Dailleurs ce que montre Socrate dans le Meacutenon agrave

avait certainement un sens puisquil y eacutetait preacutesent mais ce nom na aucun sens pour les geacuteneacuterations qui viennent si ce nest un miroir de la reacutealiteacute des institutions agrave leacutepoque

1 Le terme κόσμησις na que quatre occurrences dans le corpus platonicien Critias κοσμήσεως (117 b) Gorgias κοσμήσεσιν (504 d) Lois X [1] κοσμήσεως (904 a) XII κοσμήσεων (949 d)

2 Voici la liste complegravete Alcibiade κόσμον (123 c) κόσμων (123 c) κόσμος (123 c) Banquet κόσμος (197 e) κόσμῳ (223 b) Critias κόσμῳ (117 a) κόσμου (121 c) Gorgias [9] κόσμου (504 a) κόσμου (504 b) κόσμου (504 b) κόσμου (504 c) κόσμος (506 e) κόσμον (506 e) κόσμον (506 e) κόσμον (508 a) κόσμον (523 e) Lettre II κόσμος (312 c) Lois [15] IV κόσμον (717 e) V κόσμον (736 e) VI κόσμον κόσμου (759 a) κόσμον (759 a) κόσμος (761 d) κόσμον (764 b) κόσμου (764 d) κόσμος (769 e) VII κόσμοι (800 e) κόσμον (821 a) VIII κόσμον (846 d) X κόσμου (897 c) κόσμῳ (898 b) XII κόσμου (967 c) Lysis κόσμος (205 e) Meacutenexegravene κόσμον (236 d) κόσμος (236e) Pheacutedon κόσμους (114 e) κόσμῳ (114 e) Phegravedre κόσμοις (239 d) κόσμον (246 c) Philegravebe κόσμου (28 e) κόσμον (29 e) κόσμον (59 a) κόσμος (64 b) κόσμον (66 c) Politique [11] κόσμον (269 d) κόσμον (269 e) κόσμου (271 d) κόσμον (272 e) κόσμου (273 a) κόσμον (273 b) κόσμου(273 e) κόσμῳ (274 a) κόσμος (274 d) κόσμον (288 c) κόσμον (289 b) Protagoras κόσμῳ (315 b) κόσμοι (322 c) Reacutepublique II κόσμον (373 c) IV κόσμος (430 e) VI κόσμῳ (500 c) Timeacutee [17] κόσμον (24 c) κόσμου (27 a) κόσμος (28 b) κόσμος (29 a) κόσμον (29 b) κόσμου (29 e) κόσμον (30 b) κόσμος (30 d) κόσμους (31 b) κόσμου (32 c) κόσμου (32 c) κόσμον (40 a) κόσμου (42 e) κόσμου (48 a) κόσμους (55 c) κόσμου (62 d) κόσμος (92 c)

242

propos du calcul geacuteomeacutetrique relegraveve de la proportionnaliteacute geacuteomeacutetrique Autrement

dit la proportion est un critegravere de la mesure et elle est perceptible plus facilement

quune notion purement abstraite labsolu par exemple Cela (cest-agrave-dire la

geacuteomeacutetrie dans le Meacutenon ougrave on cherche agrave savoir comment sacqueacuterir la vertu) sous-

tend que la proportion (συμμετρία) est quelque chose de commun entre la geacuteomeacutetrie

et la vertu cest sans doute un point possible de luniteacute du Meacutenon Le substantif συμ-

μετρία (avec-mesure) est peu preacutesent dans le corpus platonicien mais le sens

philosophique du terme y est prononceacute1 avec clarteacute dans le Philegravebe

Σωκράτης

νῦν δὴ καταπέφευγεν ἡμῖν ἡ τοῦ ἀγαθοῦ δύναμις εἰς τὴν τοῦ καλοῦ φύσιν μετριότης γὰρ καὶ συμμετρία κάλλος δήπου καὶ ἀρετὴ πανταχοῦ συμβαίνει γίγνεσθαι

Πρώταρχοςπάνυ μὲν οὖν

Σωκράτηςκαὶ μὴν ἀλήθειάν γε ἔφαμεν αὐτοῖς ἐν τῇ κράσει μεμεῖχθαι

Πρώταρχοςπάνυ γε

Σωκράτηςοὐκοῦν εἰ μὴ μιᾷ δυνάμεθα ἰδέᾳ τὸ ἀγαθὸν θηρεῦσαι σὺν τρισὶ λαβόντες κάλλει καὶ συμμετρίᾳ καὶ ἀληθείᾳ λέγωμεν ὡς τοῦτο οἷον ἓν ὀρθότατ᾽ ἂν αἰτιασαίμεθ᾽ ἂν τῶν ἐν τῇ συμμείξει καὶ διὰ τοῦτο ὡς ἀγαθὸν ὂν τοιαύτην αὐτὴν γεγονέναι2

Socrate

Nous voyons deacutesormais que la puissance du bien sest reacutefugieacutee dans la nature du beau car je suppose que la mesure et la proportion accompagnent partout la beauteacute et la vertu

ProtarqueOui Parfaitement

SocrateEt nous avons dit que dans le meacutelange cest aussi la veacuteriteacute qui leur est ajouteacutee

ProtarqueOui Parfaitement

SocrateAinsi si nous ne pouvons nous servir dune unique nature afn de capturer le bien employons-en trois agrave la fois la beauteacute la proportion et la veacuteriteacute Et disons quil est on ne peut plus juste de reconnaicirctre agrave cette sorte duniteacute la cause de ce qui se trouve dans le meacutelange puisque cest sa bonteacute qui est la cause de cemeacutelange

laquo La beauteacute la proportion et la veacuteriteacute raquo signife que ce qui est beau est proportionnel

et reacuteellement ecirctre ce qui est veacuteritablement proportionnel est certainement beau et

reacuteel et ce qui est est neacutecessairement beau et proportionnel En effet la proportion

entre le jour et la nuit nest pas la mecircme que celle entre le jour et le mois ni non plus

que celle entre le mois et lanneacutee3 et ainsi de suite Si la proportion est presque

1 Voici la liste Lois XI συμμετρίαν (925 a) Philegravebe συμμετρία (64 e) συμμετρίᾳ (65 a)Reacutepublique VII συμμετρίας (530 a) συμμετρίαν (530 a) Sophiste συμμετρίας (228 c) συμμετρίας (235 d) συμμετρίαν (235 e) συμμετρίας (236 a) Timeacutee συμμετρίαν (66 a) συμμετρία (66 d) συμμετρίας (69 b) συμμετρία (87 d) συμμετρίαις (87 d)

2 Philegravebe 64 e ndash 65 a3 Voir Reacutepublique VII 530 a

243

symeacutetrique entre la nuit et le jour ce nest pas le cas entre le jour et le mois

autrement dit la proportion geacuteomeacutetrique1 peut aller de la symeacutetrie jusquagrave un

rapport infniment petit ou grand comme la proportion entre limmortaliteacute et la

mortaliteacute entre lintelligible et le sensible entre limmuabiliteacute et le devenir

Autrement dit tout ce qui participe agrave lintelligible est conforme agrave la proportion

consideacuterant que lon distingue ce qui participe activement agrave lintelligible de ce qui

lest passivement comme la distinction entre ce qui est tempeacuterant par habitude et par

exercice et ce qui lest par la reacutefexion

V322 La hieacuterarchie

Dapregraves lastronomie moderne dans le systegraveme solaire cest le Soleil qui est le centre

gravitationnel autour de lui les corps ceacutelestes solaires trouvent leur orbite Dans le

Timeacutee le centre est la Terre2 Dans la Reacutepublique la cause de ce qui se passe sur la

Terre est le Soleil sans lequel il ne peut y avoir la geacuteneacuteration la croissance et la

nourriture3 On voit bien que dans ces trois cas la hieacuterarchie du systegraveme solaire nest

pas la mecircme Dun point de vue astrophysique le systegraveme solaire est un systegraveme

certes hieacuterarchiseacute selon certains critegraveres astrophysiques la masse le volume la

distance au Soleil la reacutevolution la rotation lorbite le nombre de satellites etc mais

dune telle hieacuterarchisation laquo objective raquo il est diffcile pour ne pas dire impossible de

tirer proft au service de la politique et de leacutethique car dun point de vue

astrophysique la structure de lunivers est deacutetermineacutee par la gravitation dont la loi

est deacutetermineacutee par la masse Autrement dit le mouvement des corps ceacutelestes dans le

champ de la gravitation est deacutetermineacute par leur masse et la pesanteur (qui elle aussi

est deacutetermineacutee par la masse du corps autour duquel les corps ceacutelestes tournent) En

un mot la notion de masse est le fondement mecircme de lastrophysique Alors que

lacircme est deacutepourvue de toute masse

En revanche dans le Timeacutee le centre de lunivers est la Terre cela peut faire rire dans

le corps eacuteducatif moderne En fait dans les mythes platoniciens la Terre est le centre

de lunivers pour une raison tregraves simple elle est le foyer de la vie des mortels en tout

cas jusquagrave preacutesent car mecircme avec de puissants teacutelescopes spatiaux on na pas

1 Oui la proportion entre le jour et la nuit entre le jour et le mois entre le jour et lanneacutee mecircme au-delagrave peut bien ecirctre repreacutesenteacutee de maniegravere geacuteographique puisque les mouvements orbitaux des astres sont bel et bien repreacutesenteacutes de la maniegravere geacuteographique

2 Cf Timeacutee laquo Annexe 3 Figure 5 raquo voir aussi 38 c ndash d 40 b ndash c Dans le Pheacutedon Socrate dit ceci laquo si la Terre est au centre du ciel et si elle est ronde raquo (108 e)

3 Voir Reacutepublique VI 509 b

244

encore trouveacute ailleurs un tel foyer et on ne le trouvera peut-ecirctre mecircme jamais Cette

reacutealiteacute scientifquement approuveacutee ressemble agrave un mythe Peut-ecirctre mecircme quun jour

les mythes platoniciens serontt scientifquement approuveacutes Effectivement le Timeacutee

est un mythe mais il raconte une reacutealiteacute peut-ecirctre plus laquo objective raquo quun discours

scientifque en la matiegravere parce que dans un discours scientifque moderne lacircme

nest pas prise en compte certains scientifques comme Stephen Hawking nient

lexistence mecircme de lacircme

Dans la Reacutepublique Socrate propose une autre hieacuterarchisation des choses agrave savoir le

principe selon lequel le Soleil est la source de la geacuteneacuteration de la croissance et de la

nourriture Cette hieacuterarchisation se fonde sur le critegravere de la puissance de la lumiegravere

la lumiegravere du Soleil la lumiegravere du feu artifcielle dans la caverne et lombre au fond

de la caverne Or dans le livre VI de la Reacutepublique (509 a ndash b) le Soleil est compareacute au

Bien Le Bien comme critegravere de la hieacuterarchisation des choses sera encore plus preacutecis

dans le Phegravedre les acircmes humaines sont hieacuterarchiseacutees en neuf cateacutegories selon la

connaissance de la veacuteriteacute il sagit dune hieacuterarchisation verticale dune proportion

verticale En effet le fait de respecter la hieacuterarchie verticale est deacutejagrave une tempeacuterance

V323 Lharmonie

Lharmonie peut donner une inspiration politique et eacutethique Dans le Cratyle elle est

deacutefnie par laccord ou la consonance (συμφωνία)1 il sagit de lharmonie musicale et

astronomique2 qui deacutesigne les mouvements par rotation simultaneacutee autour dun

motif dun centre ou de quelque autre chose3 Dans un passage du livre IV de la

Reacutepublique ces quatre termes sont synonymes agrave savoir la modeacuteration (σωφροσύνη)

laccord (συμφωνία) lharmonie (ἁρμονία) et lordre harmonieux (κόσμος)

Socrate Comment faire degraves lors pour deacutecouvrir la justice de telle sorte que nous nayons pas agrave nous preacuteoccuper plus avant de la modeacuteration (σωφροσύνης)

Glaucon Pour lheure je nen ai aucune ideacutee dit-il et je ne souhaiterais pas que la justice soit mise en lumiegravere si cela doit avoir pour conseacutequence que nous renoncions agrave lexamen de la modeacuteration Mais si tu deacutesires me faire plaisir examine ce point avant lautre

Socrate Mais au contraire dis-je je le souhaite ce serait une faute que de ne pas le faire

1 Cratyle 405 d laquo καὶ τὴν περὶ τὴν ἐν τῇ ᾠδῇ ἁρμονίαν ἣ δὴ συμφωνία καλεῖται raquo Le terme estpeu preacutesent dans le corpus platonicien concentreacute dans les Lois et la Reacutepublique cela semble dire que le terme a une forte connotation politique et eacutethique Banquet συμφωνία (187 b) συμφωνία (187 b) Cratyle συμφωνία (405 d) Lois II συμφωνία (653 b) συμφωνίαν (659 e) συμφωνίαν (662 b)III συμφωνίας (689 d) IX συμφωνίας (860 c) Reacutepublique III συμφωνίαν (401 d) IV συμφωνίᾳ (430 e) συμφωνίαν (432 a) συμφωνίᾳ (442 c) VII συμφωνίας (531 a) συμφωνίαις (531 c) IX συμφωνίας (591 d) συμφωνίαν (591 d) Timeacutee συμφωνίαν (47 d) συμφωνίας (67 c)

2 Ibid laquo περὶ μουσικὴν καὶ ἀστρονομίαν raquo3 Ibid laquo ἁρμονίᾳ τινὶ πολεῖ ἅμα πάντα raquo

245

Glaucon Alors examine la question dit-il

Socrate Il faut faire cet examen dis-je Autant quon puisse lentrevoir de notre position lamodeacuteration semble constituer un certain accord (συμφωνίᾳ) une harmonie (ἁρμονίᾳ) plus que les ltvertusgt preacuteceacutedentes

Glaucon Comment

Socrate La modeacuteration dis-je est une certaine forme dordre harmonieux (κόσμος) elle est la maicirctrise de certains plaisirs et deacutesirs Cest un peu ce quon veut dire quand on recourt agravedes expressions telles que laquo plus fort que soi-mecircme raquo je ne sais trop en quel sens ou encore agrave toutes les expressions de ce genre qui en constituent pour ainsi dire les indices dans le langage Nest-ce pas le cas 1

Une acircme harmonieuse est une acircme qui maicirctrise les plaisirs et les deacutesirs mais

comment les maicirctriser Le terme κόσμος signife au sens cosmologique les

mouvements harmonieux par rotation simultaneacutee autour de quelque chose la Lune

tourne autour de la Terre la Terre du Soleil et ainsi de suite jusquagrave lunivers tout

entier qui tourne sans doute sur lui-mecircme comme la Terre tourne eacutegalement sur elle-

mecircme mais lunivers tourne aussi autour de ce qui est supeacuterieur agrave lui le Bien parce

que lunivers est un ecirctre vivant doteacute dun corps et dune acircme qui est pourvue de

lintellect parfait2 Cela dit lacircme se trouve neacutecessairement dans lharmonie quand 1

elle suit constamment une acircme qui est verticalement supeacuterieure agrave elle donc

eacutevidemment lacircme dun dieu ou dun philosophe 2 en mecircme temps elle cherche agrave se

connaicirctre elle-mecircme en permanence

V33 Le discours la justice et la tempeacuterance

Nous lavons vu dans la section laquo V232 La citoyenneteacute raquo les deux vertus agrave savoir

la justice et la tempeacuterance sont deux excellences morales que tous les citoyens

doivent posseacuteder Cela eacutetant la justice et la tempeacuterance doivent ecirctre le fondement sur

lequel les lois doivent ecirctre eacutelaboreacutees et leacutegifeacutereacutees

LEacuteTRANGER DATHEgraveNES

Apregraves quoi le leacutegislateur doit surveiller de quelle faccedilon les citoyens acquiegraverent les richesses et les deacutepensent il doit examiner chez tous les citoyens les relations quils nouent entre eux et quils rompent de leur plein greacute ou non pour deacuteterminer dans chacun de ces cas la nature de la relation quils instaurent entre eux et ougrave dans ces eacutechanges se trouve ou non le juste puis il doit distribuer les honneurs agrave ceux qui respectent les lois et infiger aux deacutelinquants des peines fxeacutees jusquagrave ce que arrivant par eacutetapes au terme de lorganisation de la citeacute il considegravere quel type de seacutepultureconvient agrave chacun des deacutefunts et quels honneurs il faut accorder Au terme de cet examen celui qui a eacutedicteacute ces lois eacutetablira pour sauvegarder cet ensemble des gardiens

1 Reacutepublique IV 430 d ndash e2 Voir Timeacutee 30 b

246

dont les uns se guideront sur la reacutefexion et les autres sur lopinion vraie afn que lintellect qui a conduit cet ensemble fasse apparaicirctre quil est reacuteagi par la tempeacuterance (σωφροσύνη) et la justice (δικαιοσύνη) et non par la richesse et lambition1

Avant de forcer les citoyens agrave ecirctre reacutegis par la tempeacuterance et la justice il faut que le

leacutegislateur le soit lui-mecircme cela est une condition de leacutediction des lois Dans le

corpus platonicien ces deux vertus sont souvent employeacutees ensemble2 mecircme dans la

bouche de Calliclegraves3 Au tout deacutebut de la section laquo V3 La tempeacuterance raquo nous avons

fait une introduction au rapport entre la loi la justice et la tempeacuterance Voici le

passage qui considegravere que la loi et lordre comme unique objectif du discours

particuliegraverement pour les orateurs

Socrate Donc le bon orateur qui dispose dun art et qui est homme de bien preacutesentera aux acircmes les discours quil prononce en prenant la loi et lordre comme unique objectif et il secomportera de mecircme sur cet objectif quil donnera une faveur sil doit la donner quil la retirera sil doit la retirer tout cela sera fait avec lideacutee de mettre de la justice dans lacircme des ses citoyens de les deacutelivrer de linjustice de leur inculquer la tempeacuterance et de les deacutebarrasser du deacuteregraveglement (ἀκολασία) Bref que dans leur acircmes sinstallent toutes sortes de vertus et que le vice sen aille Es-tu daccord oui ou non 4

Linjustice consiste agrave causer du tort aux autres en causant du tort agrave soi-mecircme

lintempeacuterance (ἀκολασία) consiste agrave causer du tort agrave soi-mecircme en ceacutedant aux

plaisirs et aux deacutesirs de la sorte elle peut causer du tort aux autres En effet

linjustice commise trouve sa cause dans lignorance mais aussi sa source dans

lintempeacuterance cest-agrave-dire laquo le deacutesir qui entraine deacuteraisonnablement (ἀλόγως) vers

le plaisir raquo Cest pourquoi ces deux vertus sont souvent employeacutees ensemble

Ladverbe ἀλόγως est formeacute agrave partir de ladjectif ἄλογος cela dit lintempeacuterance

trouve sa source dans une acircme qui est deacutepourvue de λόγος Cest pourquoi la loi doit

sadresser agrave lacircme des citoyens comme un discours vrai

V331 La loi comme discours

laquo La loi est le seul discours qui puisse embrasser ainsi toutes les activiteacutes le seul qui

puisse prescrire la totaliteacute des conduites Le seul discours surtout qui puisse

sadresser avec autoriteacute agrave tous les citoyens raquo5 La liste suivante donne le numeacutero des

1 Lois I 632 b ndash c2 Voici la liste non exhaustive des paragraphes ougrave ces deux termes sont employeacutes ensemble

Alcibiade 134 c Banquet 188 d 196 c 196 d 209 a Gorgias 492 b 492 c 504 d 504 e 507 d 508 b 519 a Lachegraves 198 a 199 d Lois I 632 c XII 964 b 965 d Meacutenon 73 b 73 b 78 d 79 a 88 a Pheacutedon 69b 69 c 82 b Phegravedre 247 d 250 b Protagoras 323 a 323 b 325 a 329 c 329 c 330 b 333 b 349 b 361 b Reacutepublique II 364 a IV 430 d 430 d 433 b 433 d 442 d VI 487 a 500 d 504 a 506 d IX 591 b

3 Voir Gorgias 492 b ndash c4 Gorgias 504 d ndash e5 Brisson Luc laquo La loi dans les Lois de Platon raquo Orient-Occident racines spirituelles de lEurope Paris

247

paragraphes ougrave apparaissent les deux termes νόμος et λόγος dans un mecircme

paragraphe

Banquet 210 c Charmide 161 e Criton 52 c 53 c 53 e Gorgias 482 e 483 a 483 a 484 d 489 b 492 b 504 d 523 a Hippias majeur 298 d Lettre VII 326 c 328 c 334 c 344 c VIII 354 c 355 a 355 c 355 c Lois I 627 d 631 a 634 d 641 d 642 b 645 b II 656 c 659 d 663 a 671 c 673 e 674 b III 678 a 682 e 683 a 683 b 684 a 689 b 691 a 695 c 699 c IV 712 b714 a 714 d 715 c 719 d 719 e 722 a 722 d 723 a 723 a 723 b 723 b 723 c 723 e V 734 e 735 a 739 b 743 c 743 e 746 e VI 751 b 769 e 772 e 773 c 783 a 783 b VII 793 b 797 a 799 d 800 b 802 e 804 c 805 c 812 a 814 c 817 a 822 e 823 a 824 a VIII 832 d 835 e 836 c 837 e 839 d 844 a IX 853 c 854 a 857 c 858 c 858 c 860 a 862 d 872 e 880 e X 885 b 887 a 887 a 887 c 888 d 890 b 890 c 890 d 890 d 891 a 891 b 891 e 907 d 907 d 907 e 909 d XI 918 a 922 e 926 b 927 e 932 a 933 d 934 e 935 c 938 a XII 941 c 952 a 952 d 957 c 959 b 966 b 968 a Meacutenexegravene 236 d Phegravedre 277 d 278 c Politique 294 c 296 a 302 eProtagoras 322 d Reacutepublique IV 421 a 445 e V 451 b 453 d 457 c 461 e VII 532 a VIII 548 b IX 571 b 587 a 587 c X 604 a 607 a Timeacutee 27 b 27 b 60 e

En tout 152 occurrences dapparition des deux termes ensemble dans un mecircme

paragraphe dont 107 se trouvent dans les douze livres des Lois Cela semble

souligner encore une fois que seule la loi est lobjet du discours comme ce que

souligne Socrate dans le Gorgias (504 d ndash e) La question se pose comme discours

comment une loi sadresse-t-elle aux citoyens agrave leur acircme puisquil y a plusieurs

types de discours Voici le tableau qui montre les caracteacuteristiques des trois types de

discours1

Type lieu temps nature but

judiciaire Tribunal passeacute jugement juste ou injuste

deacutelibeacuteratif Assembleacutee avenir deacutecision opportun ou non

eacutepidictique reacuteunion civique preacutesent ceacuteleacutebration seacuteduisant ou non

La loi concerne le passeacute puisque ceux qui sont jugeacutes dans les tribunaux sont

supposeacutes enfreindre la loi dans le passeacute elle concerne aussi lavenir car la loi est un

guide vers lavenir qui est souvent inconnu cest pourquoi le leacutegislateur doit avoir la

vision du futur de la citeacute la loi concerne eacutegalement le preacutesent car la loi est aussi un

instrument de leacuteducation qui a pour lobjectif de rendre excellente lacircme du citoyen

En dautres termes la loi est aussi une laquo distribution de lintellect raquo2 Ainsi on peut

ajouter une ligne sur le tableau ci-dessus

Type lieu temps nature but

Cerf 2014 Acte du colloque scientifque international 16 ndash 19 nov 2009 pp 21 ndash 34 p 261 Le tableau est eacutetabli agrave partir dun passage du livre intituleacute Platon Paris Cerf 2017 p 97 ndash 982 Supra laquo La loi dans les Lois de Platon et dans le monde grec ancien raquo p 27

248

loi citeacute passeacute preacutesent futur deacutecret de la citeacute1 rendre vertueuse les acircmes

Tout discours est destineacute agrave communiquer comment la loi prononce-t-elle son

discours

Lorsquil prononce un discours judiciaire deacutelibeacuteratif ou eacutepidictique lorateur doit remplir les cinq tacircches suivantes invention disposition eacutelocution meacutemoire et action Linvention consiste agrave reacuteunir les mateacuteriaux qui seront utiliseacutes la recherche des ideacutees La disposition cest lorganisation de ces mateacuteriaux la recherche dun plan Leacutelocution fait passer les ideacutees dans les mots cest donc dans leacutelocution que se posent les problegravemes de style Lorsque le discours est reacutedigeacute en partie ou en totaliteacute lorateur doit le confer agrave la meacutemoire Enfn les preacuteceptes concernant laction cest-agrave-dire de la parole publiqueportent sur la voix et le geste2

La loi comme discours neacutechappe pas agrave ces cinq tacircches 1 Toute citeacute eacutevolue et

chaque eacutevolution pourrait correspondre agrave certaines reacutealiteacutes diffeacuterentes ainsi le

leacutegislateur doit ecirctre capable de deacutecouvrir ces reacutealiteacutes afn de reacuteunir les nouveaux

mateacuteriaux pour repreacutesenter ces reacutealiteacutes 2 La loi est un discours eacutecrit comme tout

discours eacutecrit la force du discours deacutepend dun plan 3 Une loi sadresse agrave tous pas

seulement aux citoyens mais tous nont pas le mecircme niveau dentendement or un

discours eacutecrit est fgeacute il sadresse agrave tous de la mecircme maniegravere dougrave la question de

leacutelocution et du style 4 Agrave la diffeacuterence de lorateur qui doit confer son discours agrave la

meacutemoire une loi leacutegifeacutereacutee doit confer son discours agrave la meacutemoire des citoyens 5 La

loi est une parole civique elle a aussi sa voix la reacutetribution son geste distribuer les

honneurs agrave ceux qui respectent les lois et infiger aux deacutelinquants des peines fxeacutees

par cette voix de la reacutetribution la loi sadresse agrave tous et ce sont eux qui se chargent

de propager le discours de la loi

V332 La loi comme distribution de lintellect

laquo Leacuteducation faut-il donc dire consiste agrave orienter les enfants selon la meacutethode

(λόγον) que la loi dit ecirctre bonne raquo3 ici la loi est deacutefnie comme un discours ayant

pour objectif dorienter les enfant vers le Bien en acqueacuterant la vertu agrave travers

leacuteducation Pourtant le Bien (τὸ ἀγαθόν) napparaicirct pas dans la deacutefnition puisque

laquo vers le Bien raquo est la fnaliteacute mecircme de leacuteducation cest ce que montre clairement le

mythe de la caverne eacuteduquer cest faire remonter les prisonniers de lombre de la

caverne vers le Soleil en passant par la zone eacuteclaireacutee par un feu Celui-ci est certes

incomparable avec le feu du Soleil mais la lumiegravere de ce feu permet aux yeux dune

1 Cf ibid la section laquo La loi comme deacutecret de la citeacute raquo pp 22 ndash 262 Ibid p 983 Lois II 659 d

249

part de voir le chemin qui megravene agrave la sortie de la caverne dautre part de shabituer agrave

la lumiegravere car la lumiegravere du Soleil est tregraves puissante et mecircme brucirclante en dautres

termes eacuteduquer cest faire remonter les ignorants de lobscuriteacute intellectuelle vers le

Bien en passant par leacutetude des matheacutematiques entre autres (la gymnastique la

musique) du vice vers la vertu en les forgeant agrave apprendre agrave ecirctre juste et agrave ecirctre

tempeacuterant par lhabitude et lexercice Mais tregraves souvent les gens confondent les

biens et les maux comme les prisonniers de la caverne confondent lombre et la

reacutealiteacute

LEacuteTRANGER DATHEgraveNES

[hellip] Voyez un peu Je le dis en effet avec toute la clarteacute neacutecessaire ce que lon considegravere comme des maux sont des biens pour les hommes injustes alors que pour les justes ce sont les maux tandis que les biens sont reacuteellement des biens pour les hommes de bien alors que ce sont des maux pour les meacutechants Je reacutepegravete donc ma question sommes-nous daccord lagrave-dessus vous et moi oui ou non 1

Or connaicirctre reacuteellement ce quest le bien relegraveve de lintellection (νόησις) dont le Bien

est son unique objet2 Le tableau suivant montre que leacutecart des occurrences du terme

ἀγαθόν dans la Reacutepublique et les Lois est sensiblement important

Reacutepublique [54] Lois [16]

I ἀγαθοῦ (335d) ἀγαθῷ (349d) ἀγαθῷ 350c) II ἀγαθοῦ 357c) ἀγαθῷ(358e) ἀγαθοῦ (360c) ἀγαθά 363a) ἀγαθοῖς (364b) III ἀγαθοῦ 396c)ἀγαθοῦ (401a) ἀγαθοῦ (401b) ἀγαθοῖς (409c) IV ἀγαθοῦ (439a) Vἀγαθοῦ 452e) ἀγαθοῖς (460b) ἀγαθοῦ (462a) ἀγαθοῦ (464b) ἀγαθῷ(468c) ἀγαθά 471d) ἀγαθοῦ (476a) VI ἀγαθῷ (491d) ἀγαθῷ 491d)ἀγαθοῦ (493c) ἀγαθά 495a) ἀγαθοῦ (505a) ἀγαθοῦ 505b) ἀγαθοῦ505b) ἀγαθοῦ (505b) ἀγαθοῦ 505c) ἀγαθοῦ (505c) ἀγαθά (506a)ἀγαθοῦ (506d) ἀγαθοῦ (506e) ἀγαθοῦ (507a) ἀγαθοῦ (508b) ἀγαθοῦ (508e) ἀγαθοῦ (509a) ἀγαθοῦ (509b) ἀγαθοῦ 509b) VII ἀγαθοῦ (517c) ἀγαθοῦ (520d) ἀγαθοῦ (526e) ἀγαθοῦ (531c) ἀγαθοῦ (534b)ἀγαθοῦ (534c) ἀγαθοῦ (538e) VIII ἀγαθοῦ 548c) ἀγαθοῦ (549c)ἀγαθοῦ 555b) IX ἀγαθοῦ (578c) X ἀγαθοῦ (604b) ἀγαθοῖς (607a)ἀγαθοῖς (614a) ἀγαθά 621c

I ἀγαθά (631b) II ἀγαθά 653b) ἀγαθοῖς (661d) ἀγαθά 661d) ἀγαθῷ (663d) ἀγαθά 665d) III ἀγαθά 697b) IV ἀγαθῷ (716d) V ἀγαθά (730e) VIIἀγαθοῖς (802a) ἀγαθά 815e) XI ἀγαθοῖς (932a) XII ἀγαθοῖς (955c) ἀγαθοῖς (957e) ἀγαθῷ (959b) ἀγαθοῦ (966a)

Peut-ecirctre la diffeacuterence reacuteside-t-elle dans ceci les lois de la citeacute sadressent agrave tous pas

seulement aux citoyens Nous lavons vu le Treacutesor public peut bien rembourser au

maicirctre la valeur de son esclave pour le rendre libre sil a fait ce que la loi exige dans

certaines circonstances alors que la constitution politique telle quelle est eacutelaboreacutee

1 Ibid II 661 c c- d2 Dans la sous-section laquo I323 Saisie par lintellection raquo nous avons montreacute que le terme νόησις

napparaicirct que 14 fois dans trois dialogues agrave savoir la Reacutepublique VI [1] VII [9] le Cratyle [3] et le Timeacutee [1] Par ailleurs dans Cratyle Socrate a consacreacute un paragraphe agrave faire une eacutetymologie sur la νόησις quon appelle laquo intelligence du dieu raquo (laquo λέγων θεοῦ νόησιν raquo) cest-agrave-dire laquo divine intelligence raquo (laquo ἁ θεονόα raquo) (407 b)

250

dans la Reacutepublique sadresse aux futures eacutelites de la citeacute juste En revanche la

freacutequence du terme νοῦς (intellect) est plus importante dans les Lois que dans la

Reacutepublique

Reacutepublique [35] Lois [81]

I 331b II 358b 358d 366b 376a III 396b 399b 406d 407b 416c IV 427c 431c 432b V 450b 477e VI 490b 494d 494d 506c 508c 508d 508d 511d 511d 511d VII 517c 518a 531b 534b VIII 549d IX 580a 585b 585b 586d 591c

I 628c 628d 631c 631d 632c 638e 644a II 652b 667a 672c 674b III 686e 687e 688b 688b 694b 694c 701d 702d IV 713a 714a V 736b 736b 737b 738b 742d 747e VI 753c 768e 772d 776e 781c 783e 783e 783e VII 801a 802c 809e 823e VIII 829b 834b IX 858d 859a 875c X 887e 889c 890d 892b 892b 897b 897c 897d 897d 897e 898a 898b 900d 901b 905d 909d XI 913a 919c 925b 926d 927c 930e 931e XII 948d 961d 961d 961e 962a 963a 963a 963b 963e 966e 967b 967b 967e 969b

Comment comprendre ce renversement par rapport agrave ἀγαθόν En effet lintellect

est la faculteacute de connaicirctre ce qui est cest la fonction intellective de lacircme cest elle

qui est immortelle or toute acircme humaine est pourvue de cette fonction ou de cette

faculteacute quest lintellect Par conseacutequent si un citoyen laisse cette fonction dans

loubli cest la responsabiliteacute des lois puisque leacuteducation relegraveve de lautoriteacute des

lois

[LOIS] Et aux lois qui regraveglent les soins de lenfant venu au monde et son eacuteducation cette eacuteducation qui fut la tienne agrave toi aussi Eacutetaient-elles mauvaises les lois qui sy rapportent elles qui prescrivaient agrave ton pegravere de faire de la gymnastique et de la musique la base de ton eacuteducation 1

Dans le monde platonicien eacuteduquer cest reacuteactiver lintellect Dans les premiers

dialogues platoniciens Socrate se preacuteoccupait de sa citeacute en soumettant lui-mecircme et

les autres agrave examen afn de rendre meilleur le plus grand nombre de gens possible

supposons que tous les citoyens se preacuteoccupent de leur citeacute comme le fait Socrate il

ny aurait pas de raison que la citeacute peacuterisse En revanche dans le Criton et les Lois ce

sont les lois qui se preacuteoccupent des citoyens Mais dans les dialogues de maturiteacute

Socrate se preacuteoccupe de la veacuteriteacute de la science de ce qui est En effet sans cette

science ni les lois ni les citoyens narrivent agrave se preacuteoccuper reacuteellement les uns des

autres

V4 Le courage

Au lieu de demander ce quest le courage on peut se demander quelle est la chose

qui soppose au courage Il y en a trois agrave savoir 1 la peur (φόβος) cest-agrave-dire

lignorance de la reacutealiteacute dun danger dune maladie de la mort ou de toutes les

1 Criton 50 d

251

choses du mecircme genre qui parassent terrifantes et qui empecircchent de prendre une

deacutecision senseacutee spontaneacutee et originale dagir de maniegravere juste et courageuse 2 les

plaisirs qui paradoxalement ne sont pas des choses qui font peur les gens qui ont le

plus grand plaisir agrave posseacuteder des richesses nen ont pas peur mais sans doute ont-ils

peur de les perdre de mecircme pour ceux qui ont plaisir agrave boire agrave aimer les honneurs

agrave saccrocher au pouvoir et ainsi de suite au fond toutes ces passions des belles

choses du monde sensible sont une forme de deacutemesure dintempeacuterance elles

empecircchent de se connaicirctre soi-mecircme puisque lacircme est attireacutee par le monde

sensible 3 la paresse intellectuelle (ἀργία ou βραδύτης) qui nest ni une forme de

peur ni une forme de deacutesir (moteur des plaisirs) mais une forme deacutetat dacircme

empecircchant de chercher et dapprendre

V41 Reacutesister agrave la peur

Comme le courage soppose agrave la peur parler de la peur revient agrave parler du courage

Ici nous analysons dans les trois sous-sections suivantes trois types de peur agrave savoir

la peur de la mort la peur de soi-mecircme et la peur de la veacuteriteacute

La peur (φόβος φοβεῖσθαι ou φοβερός) laquo une certaine anticipation dun mal raquo1 est

un terme tregraves freacutequent dans le corpus platonicien Cependant le substantif2 est moins

freacutequent que le verbe3 par exemple dans lApologie le substantif φόβος est absent en

revanche Socrate y prononce quatre fois le verbe4 Quant agrave ladjectif par rapport au

substantif et au verbe sa preacutesence nest pas importante5 Dapregraves le Dictionnaire

eacutetymologique de la langue grecque de P Chantraine le substantif φόβος est deacuteriveacute du

1 Protagoras 358 d Dans le Philiegravebe dune maniegravere geacuteneacuterale la douleur de lacircme est une opinion par anticipation dun mal cest de lagrave quon a le sentiment craintif indeacutependamment du corps (voir 32 c) Il semble que entre le Praotagoras et le Philegravebe la notion de la peur nait pas eacutevalueacute un iota

2 Voici la liste des freacutequences du substantif Alcibiade [1] Banquet [4] Charmide [2] Ion [1] Lachegraves [4] Lettre VII [5] Lois I [22] II [2] III [3] V [1] VI [1] VII [4] VIII [3] IX [6] X [3] XI [2] XII [1] Meacutenexegravene [1] Pheacutedon [10] Phegravedre [1] Philegravebe [7] Politique [1] Protagoras [7] Reacutepublique II [1] III [1]IV [2] V [1] VI [4] VII [1] VIII [2] IX [4] X [1] Sophiste [1] Theacuteeacutetegravete [3] Timeacutee [3] Cf laquo Annexe φόβος raquo

3 Voici la liste des freacutequences du verbe Alcibiade [2] Apologie [4] Banquet [5] Charmide [4] Cratyle [6] Criton [6] Euthydegraveme [8] Euthyphron [2] Gorgias [6] Hippias majeur [5] Lachegraves [1] Lettre III [1] VII [4] XIII [1] Lois I [6] III [2] V [1] VII [6] VIII [3] IX [3] X [4] XI [4] XII [1] Lysis [1] Meacutenexegravene [4] Parmeacutenide [1] Pheacutedon [15] Phegravedre [4] Philegravebe [3] Politique [1] Protagoras [6] Reacutepublique I [2] II [1] III [4] IV [1] V [3] VI [1] VIII [4] IX [2] X [1] Sophiste [4] Theacuteeacutetegravete [3] Timeacutee [2] Cf laquo Annexeφοβεῖσθαι raquo

4 Apologie φοβοῦμαι (18 b) φοβηθεὶς (28 e) φοβήσομαι (29 b) φοβηθέντα (32 c)5 Banquet φοβερώτεροι (194 b) Gorgias φοβερώτατα (525 c) Ion φοβερὸν (535 c) Lois I φοβερὸν (647 b) φοβερὸν (647 c) φοβεροὺς (649 d) III φοβερὰν (677 e) φοβερόν (698 d) VI φοβερὸν (780 c) VII φοβερὰν (791 a) φοβεροὶ (808 c) XI φοβεροῦ (922 c) φοβεροί (932 a) XII φοβερόν (959 b) Pheacutedon φοβερόν (67 e) Phegravedre φοβερὰς (268 c) Philegravebe φοβερὸν (32 c) φοβεροὺς (49 b) Protagoras φοβεραὶ (321 d) Reacutepublique III φοβερὰ (387 b) φοβεροί (413 d) V φοβερόν (451 a)

252

verbe φέβεσθαι qui signife ceci laquo fuir speacutecialement en parlant dune troupe saisie

par la panique fuir dans la preacutecipitation et le deacutesordre ce verbe nest attesteacute quau

preacutesent et agrave limparfait et seulement chez Homegravere et ses imitateurs raquo Le substantif

garde le sens du verbe mais reccediloit un autre sens laquo comme puissance divine raquo

puisque Φόβος est fls dAregraves et dAphrodite Le tableau suivant montre que lemploi

du substantive progresse de maniegravere signifcatif de la peacuteriode de jeunesse vers la fn

Dialogues de jeunesse [15]

Ion 535c Alcibiade 121c Lachegraves 191b 191b 191d 191e Protagoras 352b 358d 358d 358d 358e 360b360b Meacutenexegravene 241b Charmide 167e 168a

Dialogues de maturiteacute [29]

Banquet 193a 197d 207e 221a Pheacutedon 66c 68d 69a 69a 69b 81a 81c 83b 94d 101b Reacutepublique II 360d III 413c IV 429d 430b V 471d VI 497d 503a 503d 503e 537a VIII 554d 557a IX 578a 578e 579b 579e X 616a Phegravedre 254e Theacuteeacutetegravete 156b 168d 173a

Dialogues de vieillesse [61]

Sophiste 268a Politique 305b Philegravebe 12c 20b 36c 40e 47e 50b 50d Timeacutee 40c 42a 69d Lois I[22] 632a 633c 635b 635c 635d 639b 640a 644c 646e 647a 647a 647a 647a 647b 647b 647c 647c 647e 648b 648d 649a 649c II 671d 671d III 678c 698b 699c V 727c VI 783a VII 791b 791c 792b 806bVIII 831a 839c 840c IX 863e 864b 865e 870c 872c 874e X 887a 906a 910a XI 933c 934a XII 963e

Les occurrences se concentrent dans cinq dialogues agrave savoir les Lois [47] dont 22

dans le livre I (tregraves regroupeacutees) des Lois la Reacutepublique [17] le Pheacutedon [10] le Philegravebe et

le Protagoras [7]

Le courage en forme substantive (ἀνδρεία) aussi bien quen forme adjective

(ἀνδρεῖος) est abondamment preacutesent dans les œuvres de Platon mais agrave la diffeacuterence

du verbe φοβεῖσθαι le verbe ἀνδρειοῦν sous quelque forme verbale que ce soit est

absent dans le corpus platonicien1 Peut-ecirctre le verbe ἀνδρειοῦν ou ἀνδρειοῦσθαι

nexiste-t-il que virtuellement Plus geacuteneacuteralement pour les douleurs de lacircme comme

la colegravere la peur le regret la tristesse lenvie et la jalousie il existe pour chacune des

ces douleurs un substantif un adjectif et un verbe2 et particuliegraverement dans le cas du

verbe φθονεῖν ou φθονεῖσθαι3 Alors quil ny pas de verbe speacutecifquement deacutedieacute

1 Cf laquo Annexe ἀνδρεία raquo comme il y a de nombreuse formes de substantifs et dadjectifs identiques nous ne les seacuteparons pas dans l laquo Annexe ἀνδρεία raquo

2 ὀργιζειν et ὀργιζεσθαι pour la colegravere φοβεῖν et φοβεῖσθαι pour la peur ποθεῖν et ποθεῖσθαι pour le regret θρηνεῖν et θρηνεῖσθαι pour la tristesse ζηλοῦν et ζηλοῦσθαι pour lenvie φθονεῖνet φθονεῖσθαι pour la jalousie

3 Banquet φθονῶν (213 d) φθονήσῃς (223 a) Euthydegraveme φθονήσῃς (297 b) φθονῶν (297 d) Euthyphron φθονοῦσιν (3 c) Hippias majeur φθονεῖν (283 e) Hippias mineur φθονήσει (363 c)φθονήσῃς (372 e) Ion φθονήσεις (530 d) Lachegraves φθονήσω (200 b) Lois V φθονοῦντα (730 e) Meacutenon φθονήσῃς (71 d) φθονεῖν (93 c) Phegravedre φθονοῖεν (232 d) φθονεῖν (240 a) Philegravebe φθονῶν (48 b) Protagoras φθονήσῃς (320 c) φθονήσω (320 c) φθονεῖ (327 a) Reacutepublique I φθονήσῃς (338 a) VI φθονεῖν (500 a) VII φθονοῖς (528 a) IX φθονῶν (579 c) Theacuteeacutetegravete φθονήσῃς (169 c)

253

aux quatre vertus cardinales agrave savoir la σοφία lἀνδρεία la σωφροσύνη et la

δικαιοσύνη Pourquoi une telle diffeacuterence On peut penser quune douleur de lacircme

est un comportement qui ne se produit pas toujours de la mecircme maniegravere dans la

mecircme circonstance ainsi cest le verbe qui convient le mieux pour lexprimer Agrave

linverse la vertu se produit toujours identiquement quelle que soit la circonstance

V411 La peur de la mort

Nous avons dit plusieurs fois que la mort nest autre chose que la seacuteparation de lacircme

davec le corps1 Pourquoi une telle seacuteparation fait-elle peur

Socrate Si tu veux bien reacutefeacutechir au courage et agrave la modeacuteration dit Socrate du moins agrave ceux des autres hommes ils te paraicirctront bien deacuteconcertants

Simmias Comment cela Socrate

Socrate Tu sais dit-il ce que tous les autres pensent de la mort que parmi les maux cest lun des plus grands

Simmias Et comment ft-il

Socrate Cest donc par peur de maux encore plus grands que les gens courageux affrontent la mort quand ils laffrontent2

La peur est une panique qui se produit au fond de lacircme La peur de la mort est due

au fait quon ignore la reacutealiteacute de la mort cest-agrave-dire ce quest la mort Comme un

enfant qui se trouve tout seul dans le noir linconnu fait peur linconnu agrave

limagination aux expeacuteriences agrave la connaissance rationnelle En effet laquo personne ne

sait ce quest la mort ni mecircme si elle ne se trouve pas ecirctre pour lhomme le plus

grand des biens et pourtant les gens la craignent comme sils savaient parfaitement

quil sagit du plus grand des malheurs raquo3 En effet on a toutes les raisons davoir

peur de quelque chose dont on na aucune connaissance Ici Socrate eacutelabore agrave travers

la mort une conception plus geacuteneacuterale de la peur et de la mort la peur nest rien

dautre que lignorance de la reacutealiteacute de ce qui fait peur Concernat la mort les choses

se compliquent

Dabord la mort est une seacuteparation laquo Se peut-il quelle soit autre chose que la

seacuteparation de lacircme davec le corps Cest bien cela ecirctre mort le corps seacutepareacute davec

lacircme en vient agrave necirctre que lui-mecircme en lui-mecircme tandis que lacircme seacutepareacutee davec le

corps est elle-mecircme en elle-mecircme Se peut-il que la mort soit autre chose que

1 Voir Pheacutedo 67 c ndash d laquo Donc ce que preacuteciseacutement on nomme mort cest une deacuteliaison et une seacuteparation de lacircme davec le corps raquo

2 Pheacutedon 68 d3 Apologie 29 a

254

cela raquo1 Les expeacuteriences humaines montrent que le corps commence aussitocirct agrave se

deacutecomposer peu apregraves la mort mais que devient lacircme apregraves sa seacuteparation davec le

corps

Ensuite la mort implique la neacutecessiteacute de limmortaliteacute de lacircme car laquo si tout ce qui a

part agrave la vie doit mourir et si une fois mort tout ce qui est mort conserve ce mecircme

aspect sans jamais revenir agrave la vie nest-ce pas une neacutecessiteacute absolue quagrave la fn tout

soit mort et rien ne vive raquo2 Le fait que lacircme soit immortelle et quil y ait la

naissance et la mort pose neacutecessairement la question de la reacuteincarnation

Cest lagrave [au lac Acheacuterousias] quarrivent les acircmes de la plupart des morts et elles y demeurent le temps que la destineacutee leur a assigneacute (temps qui peut ecirctre plus long ou plus court selon les acircmes) pour ecirctre renvoyeacutees de nouveau vers de nouvelles naissance sous forme decirctres vivants3

Pourquoi laquo la plupart raquo laquo le temps plus long raquo et laquo le temps plus court raquo Si les

tribunaux sont neacutecessaires dans la citeacute pour juger les gens qui enfreignent la loi ils

sont aussi neacutecessaires pour juger les acircmes apregraves la mort Socrate le raconte dans les

trois mythes eschatologiques agrave la fn des trois dialogues agrave savoir le Gorgias le Pheacutedon

et la Reacutepublique Pour laquo ceux qui sont jugeacutes incurables en raison de leacutenormiteacute de leurs

fautes raquo laquo le lot qui leur convient est decirctre jeteacutes au Tartare dougrave jamais ils ne

sortent raquo4 Pour laquo ceux qui ont reacuteussi agrave se purifer autant quil faut gracircce agrave la

philosophie ils vivent pour tout le temps agrave venir absolument sans corps raquo5 En

dautres termes limmortaliteacute de lacircme a une fonction reacutetributive laquo puisque lecirctre

humain se deacutefni non par le corps mais par lacircme reacutecompenses et chacirctiments ne

peuvent se reacuteduire agrave un contexte corporel et social raquo6 Comme lacircme est immortelle

les reacutecompenses ou les chacirctiments de lacircme devraient se fonder sur les critegraveres qui

sont propres au monde intelligible la contemplation de ce qui est cest dailleurs la

fonction de lintellect

Enfn la fonction intellective suppose quil existe neacutecessairement les formes

intelligibles car il ne peut exister une fonction une science un art sans objet On voit

bien quune simple question sur la mort entraicircne une seacuterie de questions diffciles la

peur rarr la mort rarr la seacuteparation de lacircme davec le corps rarr la reacutetribution de lacircme rarr

1 Pheacutedon 64 c2 Ibid 72 c ndash d3 Ibid 113 a4 Pheacutedon 113 e5 Ibid 114 c6 Platon Paris Cerf 2017 p 204

255

limmortaliteacute de lacircme rarr la structure fonctionnelle de lacircme rarr lintellect rarr les formes

intelligibles rarr la participation du sensible agrave lintelligible rarr et ainsi de suite

Commenccedilons par la question dougrave vient la peur En effet si on a peur cest parce

quon ne se connaicirct pas soi-mecircme en mecircme temps quon ne connaicirct pas la reacutealiteacute

V412 La peur de la veacuteriteacute

La veacuteriteacute est une double conformiteacute dune part entre la penseacutee et la reacutealiteacute que la

penseacutee preacutetend saisir et dautre part entre ce quon pense et ce quon dit Ainsi si

lon dit vraiment la veacuteriteacute on doit dire toujours la mecircme chose sur le mecircme sujet

sinon ce quon dit nest pas la veacuteriteacute en tout cas pas entiegraverement En effet tregraves

souvent on pense une chose mais la reacutealiteacute autre on pense une chose mais on dit

une autre laquo Non bien sucircr Atheacuteniens ce ne sont pas par Zeus des discours

eacuteleacutegamment tourneacutes comme les leurs ni mecircme des discours quembellissent des

expressions et des termes choisis que vous allez entendre mais chose dites agrave

limproviste dans les termes qui me viendront agrave lesprit raquo1 La condition est de savoir

si lon dit exactement ce quon pense spontaneacutement Si lon dit toujours la mecircme

chose sur un mecircme sujet quelle que soit la reacutefutation agrave coup sucircr ce qui a eacuteteacute dit est

en conformiteacute avec la reacutealiteacute

Mais la question se pose Socrate fut condamneacute agrave mort en 399 av J-C parce quil

disait toujours la veacuteriteacute2 cela suppose que les autres navaient pas le courage de dire

la veacuteriteacute pourquoi En effet nous avons deacutejagrave parleacute plus haut de la question des

honneurs en citant un propos de LEacutetanger dAthegravenes (Lois I 632 b) les honneurs

comme reacutecompenses dans un systegraveme reacutetributif pour ceux qui respectent les lois Or

justement le fait de dire la veacuteriteacute devant Socrate risque fortement decirctre humilieacute et

deacutevaloriseacute publiquement ce qui est contraire agrave la valeur reacutetributive cest tout agrave fait

compreacutehensible il est mecircme senseacute pour les gens ordinaires de preacutefeacuterer les honneurs

agrave lexposition agrave la honte Dailleurs lemploi du substantif τιμή dans les Lois et la

Reacutepublique est diffeacuterent

Reacutepublique [33] Lois [67]

I τιμήν( 347 a) τιμῆς( 347 b) τιμῆς (347 b) II τιμήν( 359 c)

I τιμὰς (632 b) τιμὰς (632 c) τιμαῖς (634 a) τιμῇ (647 a) τιμῶν( 648 c) III τιμὰς (687 b) τιμὴν (696 a) τιμὰς (696 b) τιμαί

1 Apologie 17 b ndash c2 Le vrai motif de sa condamnation agrave mort est ailleurs et non dans laccusation offcielle laquo Il est fort

probable que le veacuteritable fondement de son procegraves soit son opposition agrave la deacutemocratie et ses relations avec des personnages aussi malfaisants quun traicirctre agrave Athegravenes comme Alcibiade et des comploteurs qui deacuteclenchegraverent une guerre civile comme Critias et Charmide raquo (Platon Paris Cerf 2017 p 32)

256

τιμαὶ (361 c) τιμῶν (361 c) τιμῆς( 365 a) τιμὰς (366 e) τιμὴν (371 e) III τιμὴν (390 e) τιμὰς (414 a) τιμὴν (415 c) V τιμὴν (468 d) τιμῆς (475 b) VI τιμῆς (503 d) VII τιμαὶ (516 c)τιμῶν( 519 d) τιμὰς (521 b) τιμὰς (537 d) τιμῇ( 538 e) τιμῆς (538 e) τιμῶν (540 d) VIII τιμὰς (549 c) τιμή( 568 d) IX τιμὴν (581 d) τιμὴ (582 c) τιμῇ (582 e) τιμῆς (586 d) τιμῶν( 591 c) X τιμὴ (599 b) τιμῇ (608 b) τιμῶν(617 e) τιμὰς (620 b)

(696 d) τιμὰς (696 e) τιμὰς (697 b) τιμαῖς (697 c) IV τιμὰς (707 a) τιμὰς (707 b) τιμαῖς( 716 a) τιμὰς (717 a) τιμαὶ (717 b) τιμῶν (721 d) τιμῆς (723 e) V τιμή( 727 a) τιμῶν (727 b) τιμὴ (728 c) τιμῇ( 728 d) τιμήν( 728 d) τιμὰς (728 d) τιμῶν (729 c) τιμῆς (730 d) τιμῆς (738 e) τιμαῖς (740 d) τιμὰς (743 e) τιμὴν (744 b) τιμή( 744 e) VI τιμαῖς (757 a) τιμὰς (757 b) τιμὰς (757 c) τιμῆς(774 b) τιμῆς (775 e) τιμῶν (784 d) VII τιμὰς (809 d) τιμῶν( 810 a) VIII τιμῶν (835 c) τιμὴν (837 c) τιμῆς( 845 a) τιμὰς (848 d) IX τιμῶν (862 d) τιμὴν (879 c) X τιμὰς (886 c) τιμαῖς (900 a) XI τιμήν( 914 a) τιμῆς (914 b) τιμῆς (914 c) τιμήν( 915 d) τιμήν (915 e) τιμῆς (916 b) τιμὴν (916 c) τιμῆς (916 d) τιμὰς (917 b) τιμῆς (917 d) τιμὴν (921 a) τιμαῖς (927 b) τιμαῖς (927 e) τιμαῖς( 931 d) τιμαῖς (932 a) τιμὴν (932 d) XII τιμῶν( 948 a)τιμαῖς (952 c) τιμαῖς (953 d)

On constate dabord la diffeacuterence des occurrences 33 dans la Reacutepublique et 67 dans

l e s Lois ensuite leacutegard est diffeacuterent dans la Reacutepublique le fait de chercher les

honneurs est plutocirct une chose reacutepreacutehensible laquo Ne sais-tu pas que lamour des

honneurs et de la richesse passe pour une attitude reacutepreacutehensible et elle lest de

fait raquo1 alors quelle est est encourageacute dans les Lois En effet dans la Reacutepublique la

justice est une question philosophique une question au-delagrave de la pratique alors

que dans les Lois la justice est une question politique cest-agrave-dire pratique

V42 Reacutesister aux deacutesirs et aux plaisirs

Ecirctre courageux cest aussi laquo exceller dans la lutte contre les deacutesirs (ἐπιθυμίας) et les

plaisirs (ἡδονάς) raquo au mecircme titre que decirctre laquo courageux face aux douleurs et aux

craintes raquo2 En effet les douleurs et les craintes sont plutocirct occasionnelles en tout cas

pas constantes alors que lon a affaire quotidiennement avec les deacutesirs et les plaisirs

Dans le Philegravebe le plaisir est deacutefni comme le contraire de la douleur 3 Ainsi il y a

deux espegraveces de douleur et deux espegraveces de plaisir les douleurs et les plaisirs du

corps sont des sensations les douleurs et les plaisirs de lacircme sont des opinions par

anticipation (προσδοκίας)4 La diffeacuterence entre la sensation (αἴσθησις) et lopinion

anticipeacutee (προσδοκία) reacuteside dans ceci la sensation affecte immeacutediatement agrave la fois

1 Reacutepublique I 347 b2 Lachegraves 191 d ndash e3 Voir Philegravebe 32 b4 Ibid 32 b - c Le terme nest pas tregraves freacutequent dans le corpus platonicien Banquet προσδοκίαν (194

a) Lachegraves προσδοκίαν (198 b) Philegravebe προσδοκίας (32 c) προσδοκίας (36 a) προσδοκίαι (36 c)Protagoras προσδοκίαν (358 d) Reacutepublique IX προσδοκίας (584 c) Sophiste προσδοκίαν (264 b) Timeacutee προσδοκίᾳ (70 c) Voir aussi Reacutepublique IX 584 c ougrave Socrate emploie ces deux termes προησθήσεις (jouissances anticipeacutees) et προλυπήσεις (souffrances anticipeacutees) lemploi de ces deux termes est rare Reacutepublique IX προησθήσεις (584 c unique occurrence) Phegravedre προλυπηθῆναι (258 e) Philegravebe προλυπεῖσθαι (39 d) Reacutepublique IX προλυπηθέντι (584 b) προλυπήσεις (584 c)

257

le corps et lacircme1 il ne sagit pas dune attente et il ne peut y avoir de fausse

sensation soit il y en a soit il ny en a pas alors que lopinion par anticipation ici en

question est lieacutee agrave la meacutemoire deacutefnie comme sauvegarde de la sensation 2 Ainsi

lutter contre les deacutesirs et les plaisirs cest lutter contre les bons souvenirs des plaisirs

parce que deacutesirer cest deacutesirer les plaisirs

Socrate Et as-tu limpression quil existe un deacutesir qui ne soit deacutesir daucun plaisir mais qui soit deacutesir de lui-mecircme et des autres deacutesirs 3

Dans le livre VIII de la Reacutepublique Socrate distingue deux sortes de deacutesirs agrave savoir le

deacutesir de deacutepense et le deacutesir dacquisition de richesses (χρηματιστικὰς)

Socrate Ce deacutesir de nourriture est en quelque sorte neacutecessaire pour deux raisons il sagit dun deacutesir utile et dautre part cest un deacutesir auquel un ecirctre vivant ne peut reacutesister

Adimante Oui

Socrate Mais quen est-il du deacutesir qui va au-delagrave de cette limite le deacutesir de mets plus eacutelaboreacutes que ceux que nous venons de deacutecrire un deacutesir dont on peut se deacutebarrasser pour la plupart dentre nous si degraves lenfance on a appris agrave le reacuteprimer Ce deacutesir nest-il pas nuisible pour le corps comme il lest pour lacircme si on pense agrave la sagesse et agrave la modeacuteration Ne lappellerait-on pas agrave juste titre non neacutecessaire

Adimante Nous aurions tout agrave fait raison de le faire

Socrate Eh bien ne dirons-nous pas que ces deacutesirs sont des deacutesirs de deacutepense (ἀναλωτικὰς) alors que les autres sont des deacutesirs dacquisition (χρηματιστικὰς) puisque nos travaux en proftent 4

Par rapport au terme ἡδονή dont le nombre doccurrences (237) est tregraves important

dans le Philegravebe5 qui ne compte que 57 pages lemploi du terme laquo deacutesir raquo ou laquo deacutesirer raquo

est tregraves controcircleacute regroupeacute6 les seize occurrences dont douze sont regroupeacutes dans

deux pages (sept paragraphes conseacutecutifs) et deux dans un seul paragraphe donnent

une deacutefnition de deacutesir tregraves preacutecise le deacutesir est le fait de deacutesirer le contraire de la

sensation

1 Voir Philegravebe 34 a2 Ibid3 Charmide 167 e4 Reacutepublique VIII 559 b ndash c5 Voici la liste doccurrences dans le corpus platonicien Alcibiade [1] Banquet [7] Charmide [1]

Critias [3] Gorgias [37] Hippias majeur [23] Lachegraves [3] Lettre III [3] VII [5] VIII [1] Lois I [33] II [32] III [5] IV [2] V [15] VI [2] VII [19] VIII [5] IX [7] X [4] XI [2] Lysis [1] Pheacutedon [17] Phegravedre[19] Philegravebe [237] Politique [2] Protagoras [33] Reacutepublique I [3] II [3] III [7] IV [10] V [7] VI [9] VII [2] VIII [9] IX [56] X [3] Sophiste [4] Theacuteeacutetegravete [2] Timeacutee [19] Notons au passage quun tel terme plutocirct banal est absent dans dix dialogues Apologie Cratyle Criton Euthydegraveme Euthyphron Hippias mineur Ion Meacutenexegravene Meacutenon Parmeacutenide

6 Le substantif et le verbe confondus nont que 16 occurrences ἐπιθυμίαν (34 c) ἐπιθυμίαν (34 d) ἐπιθυμίας (34 e) ἐπιθυμία (34 e) ἐπιθυμεῖ (35 a) ἐπιθυμῶν (35 b) ἐπιθυμεῖ (35 b) ἐπιθυμεῖ (35 b) ἐπιθυμεῖ (35 b) ἐπιθυμίαν (35 c) ἐπιθυμούμενα (35 d) ἐπιθυμίαν (35 d) ἐπιθυμίαι (41 c) ἐπιθυμοῦν (41 c) ἐπιθυμίαι (45 b) ἐπιθυμεῖ (47 c)

258

Σωκράτης

ὁ κενούμενος ἡμῶν ἄρα ὡς ἔοικεν ἐπιθυμεῖ τῶν ἐναντίων ἢ πάσχει κενούμενος γὰρ ἐρᾷ πληροῦσθαι7

Socrate

Celui de nous qui est vide semble donc deacutesirer le contraire de ce qui laffecte puisquil est vide et quil deacutesire se remplir

laquo Le constat de Socrate est dune importance cruciale le deacutesir ne porte pas sur un

objet mais bien sur un eacutetat raquo1 De la sorte lutter contre les deacutesirs et les plaisirs revient

agrave supprimer de tels eacutetats deacutesirants Pour ce faire Socrate propose une solution

Socrate Lorsque lacircme au mieux quelle le peut parvient agrave saisir indeacutependamment du corps et par elle-mecircme ce dont elle a jadis pacircti conjointement avec le corps ne dit-on pas nest-cepas quelle a une reacuteminiscence 2

En dautres termes dans un eacutetat de reacuteminiscence tout eacutetat deacutesirant disparaicirct parce

que la reacuteminiscence nest pas un eacutetat deacutesirant qui est deacutefni comme deacutesirer le

contraire de ce qui laffecte

V5 Conclusion

Dans le livre IV de la Reacutepublique les quatre vertus dites cardinales sont la sagesse

(σοφία la connaissance de ce qui est) le courage (ἀνδρεία savoir distinguer entre ce

qui est agrave redouter et ce qui ne lest pas) la tempeacuterance (σωφροσύνη la maicirctrise des

plaisirs) et la justice (δικαιοσύνη lexcellence dans sa fonction propre) Dapregraves

Socrate parmi elles laquo cest la sagesse (ἡ σοφία) qui se manifeste clairement en

premier raquo3 Cependant si nous ne lavons pas analyseacutee cest parce que le savoir ou la

sagesse est synonyme de la science (ἐπιστήμη) En tant que qualiteacute du philosophe

elle ne peut sacqueacuterir que par la dialectique alors que la justice et la tempeacuterance

peuvent sacqueacuterir par lhabitude et lexercice ce qui est agrave la porteacutee de tous

La vertu peut senseigner dans la mesure ougrave elle est science agrave condition que ceux qui

lenseignent la possegravedent reacuteellement Mais non seulement la vertu est science aussi et

surtout une conduite Or toute conduite est une interaction entre lacircme et le corps et

si une science est la mecircme pour tous linteraction nest pas la mecircme chez les uns et

les autres en raison du fait que chaque corps est particulier Par exemple dans le

Banquet Socrate a sans doute bu autant quAristophane et Agathon pourtant agrave la fn

d u Banquet ces deux derniers ne peuvent plus tenir debout tandis que Socrate

comporte comme si de rien neacutetait Autrement dit la modeacuteration agrave leacutegard du vin ne

7 Philegravebe 35 a1 Ibid laquo Notes raquo ndeg 134 p 2652 Ibid 34 b3 Reacutepublique IV 428 a ndash b

259

se mesure pas par quantiteacute de vin bue mais par leacutetat de lecirctre agrave savoir livresse qui

relegraveve de la deacutemesure En un mot la vertu nest pas entiegraverement enseignable il faut

aussi et surtout la pratiquer comme le philosophe pratique la dialectique

Quant agrave luniteacute des vertus chez les Perses il semble quelle nexisterait pas puisque

les vertus eacutetaient enseigneacutees seacutepareacutement par diffeacuterents maicirctres en la matiegravere1 Pour

Protagoras on peut bien ecirctre courageux sans ecirctre juste cela signife que les vertus ne

constituent pas une uniteacute puisque deux vertus peuvent bien sopposer Chez Socrate

les vertus sont hieacuterarchiseacutees selon le statut des citoyens la justice et la tempeacuterance

sont deux excellences morales eacuteleacutementaires tous les citoyens doivent les posseacuteder

ensuite les gardiens doivent posseacuteder le courage en plus et enfn les philosophes

doivent posseacuteder les quatre vertus cardinales Cette hieacuterarchie ne doit pas ecirctre

interpreacuteteacutee comme une hieacuterarchie des vertus comme sil y avait une vertu plus

eacutethique quune autre En effet une vertu est une fonction morale qui est associeacutee agrave

une fonction propre quon exerce dans la citeacute un cordonnier na pas le mecircme statut

que le philosophe mais si le cordonnier est vraiment juste et tempeacuterant il a agrave ce titre

la mecircme excellence morale que le philosophe dougrave luniteacute des vertus agrave savoir

lharmonie morale entre lacircme et le corps entre lhomme et la citeacute entre son existence

et la tacircche propre quil reacutealise

1 Voir Alcibiade 121 a ndash 124 b

260

Ch VI La dialectique263VI1 Le mythe264

VI11 Le mythe et la repreacutesentation265VI111 Eacutethique et la repreacutesentation266VI112 Politique et la repreacutesentation271VI113 Lunivers et la repreacutesentation272

VI12 Bon usage du mythe273VI121 Critique du mythe273VI122 Eacuteloge du mythe276

VI13 Philosophe fabricant de mythes278VI131 Valeur politique eacutethique278VI132 Fonction dialectique280

VI2 La reacutefutation282VI21 Laspect eacutepisteacutemologique282

VI211 Proceacutedeacute283VI212 Fonction dialectique284

VI22 Laspect politique287VI221 La reacutefutation et la persuasion288VI222 La reacutefutation contre lennemi interne de la citeacute289

VI23 Laspect eacutethique291VI231 Soi-mecircme et lautre291VI232 Soumettre soi-mecircme agrave examen292VI233 Soumettre les autres agrave examen293

VI3 Principes dialectiques296VI31 Limites de la reacutefutation297

VI311 La limite de la reacutefutation critique297VI312 La limite de lenlegravevement du faux par la reacutefutation298VI313 La limite de la reacutefutation expeacuterimentale299

VI32 La reacuteminiscence301VI33 La contemplation304

VI331 Principe de lUn304VI332 Principe du contraire306VI333 Principe de la division308

VI4 Conclusion309

261

Ch VI La dialectique

Le chapitre se fonde sur cette deacutefnition la dialectique consiste agrave analyser les

contraires ou les opposeacutes au moyen du dialogue Elle est agrave la fois une science et une

pratique Science (ἐπιστήμη) car le but de la dialectique consiste agrave connaicirctre ce qui

est agrave travers la saisie dlaquo ἐναντία raquo Pratique car tout dialogue relegraveve de la pratique

cest-agrave-dire de la technique en raison du fait que les questions et les reacuteponses dans

une conversation ne peuvent en aucun cas ecirctre deacutetermineacutees agrave lavance puisque lacircme

est le principe du mouvement spontaneacute Dougrave la neacutecessiteacute de certaines regravegles

eacutelaboreacutees qui permettent de conduire le dialogue agrave la deacutecouverte de la veacuteriteacute cest-agrave-

dire la reacutealiteacute elle-mecircme tout en eacutevitant le deacutebordement Nous avons deacutejagrave consacreacute

un chapitre agrave la science ici nous parlons en revanche de la dialectique au sens

meacutethodologique du terme

Habituellement la meacutethodologie dialectique comprend trois principaux moyens agrave

savoir laquo linvention et linterpreacutetation de reacutecits ou de mythes lusage de la division et

enfn le recours agrave des paradigmes fonctionnels raquo1 Mais ici le chapitre se compose de

trois termes un peu diffeacuterents agrave savoir le mythe la reacutefutation et les principes

dialectiques Ce choix se fonde sur notre deacutefnition de la dialectique qui se centre sur

la notion du contraire qui est le seul contraire veacuteritable agrave savoir entre le Bien et le mal

ou plutocirct entre le Bien et les maux2 Or quand il sagit des biens et des maux il sagit

de lacircme puisque lacircme est la source de tous les biens et de tous les maux cest

pourquoi au point de deacutepart la dialectique porte en effet sur un objet qui nest pas

intelligible agrave savoir lacircme intermeacutediaire entre lintelligible et le sensible 3 dougrave la

neacutecessiteacute fonctionnelle du mythe de la reacutefutation et des principes dialectiques Le

1 Politique laquo Introduction raquo p 142 Strictement parlant le mal nexiste pas puisque chaque mal reacutesulte dun fait de non-participation agrave

lintelligible dans la mesure ougrave laquo le mal se deacutefnit comme un eacutecart par rapport agrave lintelligible raquo (p 17) cf Brisson Luc laquo Dougrave vient le mal chez Platon raquo χώρα 13 2015 pp 15 ndash 31 cf aussi Dixsaut Monique laquo Platon et la question du mal raquo Cahiers deacutetudes leacutevinassiennes 8 2009 pp 171 ndash 189 Parailleurs mecircme sil existe une longue liste doppositions comme laquo mecircme autre raquo laquo veacuteriteacute erreur raquo laquo bien mal raquo laquo proportion disproportion raquo laquo immortel mortel raquo laquo acircme corps raquo etc au-delagrave de la reacutealiteacute (laquo ἔτι ἐπέκεινα τῆς οὐσίας raquo Reacutepublique VI 509 b) il ny a rien dautre que leBien en ce sens il ny a quun seul contraire agrave savoir entre le Bien et les maux De ce contraire sont deacuteduits les autres contraires comme par exemple laquo science ignorance raquo laquo juste injuste raquo laquo bon mauvaise raquo et ainsi de suite

3 Cf Brisson Luc laquo Lacircme ou lintelligible Comment interpreacuteter Sophiste 253 d5 ndash e2 raquo Meacutelanges offerts agrave M Dixsaut Paris Vrin 2010 pp 387 ndash 396

263

mythe se situe au niveau de la repreacutesentation mais vise de maniegravere spectaculaire la

partie infeacuterieure de lacircme1 la persuasion La reacutefutation se situe au niveau de la

penseacutee (διάνοια) mais vise de maniegravere rigoureuse lopinion cest-agrave-dire le jugement

incapable de rendre raison de ce dont il parle Les principes dialectiques se situent au

niveau de lintellect en visant la contemplation du Bien2

VI1 Le mythe

Un mythe est une fabrication (ποίησις) de meacutemoires collectives il sagit dun

discours non argumentatif dont le but consiste agrave persuader laquo agrave modeler ou agrave

modifer de faccedilon plus ou moins spectaculaire le comportement de lacircme de ceux qui

lui precirctent loreille raquo3 Ici notre travail ne portera pas sur le vocable μῦθος lui-mecircme4

mais sur lusage vertical des mythes dans les dialogues platoniciens Le principe de

cet usage vertical semble clair simple et preacutecis

Socrate Dabord il nous faut donc semble-t-il controcircler les fabricants de mythes (μυθοποιοῖς) Et sils fabriquent un [mythe] avantageux (καλὸν [μῦθον] ποιήσωσιν) il faut laccepter mais sils en font un qui ne lest pas il faut le rejeter5

Mais sur quelle base comment et qui peut juger si un mythe est avantageux ou non

Premiegraverement eacutetant donneacute que le mythe se rapporte geacuteneacuteralement agrave une meacutemoire

collective6 lutiliteacute des mythes doit ecirctre avantageuse pour la communauteacute de la

1 laquo Degraves quintervient la repreacutesentation sensible on peacutenegravetre dans le domaine du mythe et lon passe ainsi du livre VIIe de la Reacutepublique au Xe raquo (Schuhl Pierre-Maxime Eacutetudes sur la fabulationplatonicienne Paris PUF 1947 p 83)

2 Cest pourquoi nous ne consideacuterons pas la dialectique comme un savoir horizontal cest-agrave-dire la connaissance des eacuteleacutements dun ensemble dont le critegravere ne se fonde pas sur le rapport au Bien mais sur le rapport entre eux-mecircmes Autrement dit la dialectique est un savoir vertical dont le critegravere se fonde sur le rapport au Bien Par exemple la classifcation scientifque des espegraveces est un savoir horizontal de mecircme la division opeacutereacutee dans la premiegravere partie du Politique (258 b ndash 268 d) est une division horizontale alors que dans le Phegravedre (248 d - e) la division des ecirctres humains en neuf cateacutegories relegraveve dun savoir vertical ils sont diffeacuterents par rapport au Bien et non par rapport aux caractegraveres speacutecifquement diffeacuterents entre eux

3 Platon les mots et les mythes Paris Eacuteditions la Deacutecouverte 1994 [1982] p 1714 Sur le sujet cf Brisson Luc Platon les mots et les mythes sous-titre comment et pourquoi Platon nomma

le mythe Paris La Deacutecouverte 1994 (eacutedition revue et mise agrave jour) [1982 Librairie Franccedilois Maspero] Cf encore Calame Claude Quest-ce que la mythologie grecque Paris Gallimard Folio Ineacutedit Essais 2015

5 Reacutepublique II 377 b ndash c6 Une meacutemoire collective peut ecirctre collectivement oublieacutee cest le cas de lhistoire de la guerre

soutenue par lAthegravenes ancienne contre lAtlantide Cette meacutemoire collective fut maintenue pendant1000 ans dans lAthegravenes ancienne mais perdue agrave leacutepoque ougrave Saiumld fut fondeacute en Eacutegypte il y eut 8000 ans jusquau moment Solon y rendit visite et quun precirctre eacutegyptien lui ft ce reacutecit Cela eacutetant une meacutemoire collective perdue dans une population peut bien continuer agrave exister dans une autrepopulation agrave travers la transmission Mais on ne sait pas pendant 8000 ans si ce reacutecit a eacuteteacute transmis de maniegravere collective ou priveacutee (du pegravere au fls ou du maicirctre au disciple par exemple) car de Solon (au moment ougrave Solon fut informeacute du reacutecit par le precirctre eacutegyptien) jusquagrave la peacuteriode de la reacutedaction du Timeacutee et du Critias (environ entre 358 et 356) 270 ans sont eacutecouleacutes pendant lesquels le reacutecit fut transmis de maniegravere obscure de Solon agrave Platon (cf laquo Moyens de transmission raquo Platon les mots et les

264

meacutemoire collective la citeacute en loccurrence En dautres termes lutiliteacute des mythes est

eacutethique et politique Deuxiegravemement si un mythe est inacceptable il faut le rejeter en

le critiquant sil est acceptable il faut en faire eacuteloge Troisiegravemement seul le

philosophe est qualifeacute pour accomplir toutes ces tacircches En effet le philosophe doit

sinteacuteresser agrave toutes les acircmes de la citeacute comme Socrate le faisait et sadresser agrave eux de

la faccedilon qui leur convient En ce sens le mythe et la reacutefutation font partie de la

dialectique

VI11 Le mythe et la repreacutesentation

Si un mythe qui est une repreacutesentation a une fonction eacutethique et politique la

question se pose quelle repreacutesentation peut-on faire de leacutethique et de la politique

La question suppose quil ny ait pas par nature une seule repreacutesentation quon

puisse en faire La repreacutesentation (εἰκασία) signife quelque chose qui se fait

repreacutesenter au moyen dimage (εἰκάζειν)1 En effet il y a deux sortes dimages 1

Limage vraie si le monde sensible est limage du monde intelligible une telle image

est une image vraie parce quelle tient sa reacutealiteacute sensible des reacutealiteacutes intelligibles et

cest au niveau fonctionnel quelle ressemble agrave son modegravele Par exemple un lit

particulier a pour fonction le support agreacuteable du sommeil leffcaciteacute du repos

Certes sensiblement un lit particulier ne ressemble pas agrave la notion du Lit (comme

par exemple un cercle particulier ne ressemble point visuellement agrave leacutequation c =

2πR) mais sur le plan fonctionnel un lit particulier correspond plus ou moins agrave ce

que le Lit demande decirctre Cela eacutetant il y a une concordance fonctionnelle entre tous

les lits particuliers et le Lit quun dieu eut planteacute2 2 Limage trompeuse limage

dimage la peinture dun lit particulier par exemple Une telle image est trompeuse

parce que fonctionnellement il ny a aucune concordance cest-agrave-dire ressemblance

entre un lit particulier et son image en peinture

La question se pose comment faire dun mythe une repreacutesentation vraie de leacutethique

ou de la politique La question concerne dune part le sensible et dautre part

lintelligible Sensible car toute repreacutesentation relegraveve du domaine du sensible

mythes pp 32 ndash 49) Cest agrave partir de la publication de ces deux dialogues platoniciens que ce reacutecitde lAtlantide redevient une meacutemoire collective vivante

1 Le substantif εἰκασία nest employeacute que trois fois dans le corpus platonicien (Reacutepublique VI 511 e VII 534 a 534 a) pour nommer la quatriegraveme section de la Ligne Dans le Sophiste seulement ladjectifεἰκαστικός est employeacute (235 d 236 b 236 c 264 c 266 d) Dans les autres cas Platon emploie le verbe εἰκάζειν (Alcibiade 105 c Banquet 190 a Cratyle 425 c 432 b 439 a Ion 532 c Lettre VII 324 a Lois II 667 c 668 a Meacutenon 89 e 89 e 98 b 98 b Parmeacutenide 132 d 132 d Pheacutedon 99 e Phegravedre 248 a 250 b Philegravebe 55 e Reacutepublique II 377 VI 488 a 488 a)

2 Cf Brisson Luc laquo Le divin planteur (φυτουργός) raquo KAIROS Ndeg 19 2002 pp 31 ndash 48

265

Intelligible puisque tout ce qui est sensiblement vrai et non illusoire relegraveve de la

participation du sensible agrave lintelligible Cela eacutetant faire dun mythe une

repreacutesentation vraie de leacutethique ou de la politique peut susciter chez les sujets qui

precirctent loreille au mythe une certaine psychologie permettant dorienter le

comportent de leur acircme

VI111 Eacutethique et la repreacutesentation

La question eacutethique est une question dautonomie morale individuelle si lon deacutefnit

leacutethique comme lrsquoeacutevaluation rationnelle de la morale1 Ainsi sur le plan eacutethique un

mythe doit donner une repreacutesentation du jugement des acircmes apregraves la mort ce

quillustrent les mythes eschatologiques du Gorgias du Pheacutedon et de la Reacutepublique qui

permettent aux sujets de faciliter cette eacutevaluation rationnelle de la morale laquo mecircme si

un deacutelinquant est assez puissant assez riche ou assez violent pour eacutechapper aux

sanctions en ce monde il sera puni dans un autre monde raquo2 Ici nous donnons deux

repreacutesentations opposeacutes lune le Tartare est une repreacutesentation de linjustice punie

qui suscite la peur engendre le sentiment de frayeurs lautre lHadegraves est une

repreacutesentation de la justice reacutecompenseacutee qui inspire la confance engendre le deacutesir

du beau et de lespeacuterance

bull Tartare (Τάρταρος)

Le sens eacutetymologique de ce nom propre semble simple laquo grand gouffre qui se trouve

sous la terre raquo il napparaicirct que deux fois dans lIliade (VIII 14 et 481) il est absent

dans lOdysseacutee on le trouve mecircme au pluriel dans la Theacuteogonie dHeacutesiode3 il

apparaicirct 11 fois dans le corpus platonicien mais exclusivement dans les trois mythes

eschatologiques4 Cette phrase de Socrate citeacutee dans le Pheacutedon reacutesume le sens et la

porteacutee du terme

Cest celui dont Homegravere a parleacute disant laquo Fort loin lagrave ougrave sous la terre se trouve le gouffre le plus profond raquo Lui-mecircme en dautres passages et beaucoup dautres poegravetes appellent Tartare cet abicircme5

Agrave propos de cette phrase laquo au dessus [du Tartare] ont pousseacute les racines de la terre

1 laquo Si lrsquoon considegravere la morale comme un systegraveme de conduites admises et encourageacutees dans une socieacuteteacute on peut deacutefnir lrsquoeacutethique comme lrsquoeacutevaluation rationnelle de la morale raquo (Brisson Luclaquo Platon raquo Histoire de la philosophie Paris Seuil sous la direction de J-F Pradeau 2009 p40)

2 Platon Paris Cerf 2017 p 963 Theacuteogonie Τάρταρος 682 721 725 763 807 822 868 Τάρταρα 119 8414 Gorgias 523 b 524 a 526 b Pheacutedon 112 a 112 d 113 b 113 c 113 e 114 a 114 b Reacutepublique X 616 a5 Pheacutedon 111 e

266

et de la mer infeacuteconde raquo1 la note de traduction de Paul Mazon donne un reacutesumeacute de

la description du Tartare dans la Theacuteogonie

Le poegravete se repreacutesente le Tartare comme une sorte de jarre termineacutee par un col eacutetroit δειρή) dougrave sortent les laquo racines du monde raquo Celui-ci se deacuteploie donne avec ses terres et ses mers au-dessus de cette bouche infernale comme un bouquet au-dessus dun vase Limage est saisissante Elle a frappeacute un autre aegravede qui a voulu prolonger la descriptionet qui a imagineacute agrave linteacuterieur de cette jarre close un reacutegime de vents souterrains souffant en tourbillon qui ne permettent pas agrave un objet jeteacute dans le Tartare den jamais atteindre le fond Mais il est clair que ce nouveau poegravete ne songe plus aux Titans sans quoi il neucirct pas manqueacute de les peindre jouets dune tempecircte eacuteternelle au milieu des plus noires teacutenegravebres2

Dans le mythe eschatologique du Pheacutedon le Tartare a quatre niveaux verticaux de

plus en plus violents et effroyables agrave savoir le feuve Oceacutean lAcheacuteron le

Pyriphleacutegeacutethon et le Cocyte En effet dans la mythologie traditionnelle le Tartare est en

quelque sorte un instrument de Zeus laquo cest lagrave que les Titans sont cacheacutes dans

lombre brumeuse par le vouloir de Zeus assembleur de nueacutees raquo3 En revanche dans

les trois mythes eschatologiques platoniciens le Tartare est reacuteserveacute aux injustes ainsi

il ne peut y avoir dun dieu sy trouvant puisque les dieux platoniciens sont tous

parfaitement bons et sages Voici trois extraits pour illustrer la fonction du Tartare

Voici quelle est cette loi si un homme meurt apregraves avoir veacutecu une vie de justice et depieacuteteacute quil se rende aux Icircles des bienheureux et quil vive lagrave-bas dans la plus grande feacuteliciteacute agrave labri de tout malheur mais sil a veacutecu sans justice ni respect des dieux quil se dirige vers la prison ougrave on paye sa faute ougrave lon est puni mdash cette prison quon appelle le Tartare4

Le Tartare est lenfer ougrave on paye ses injustices commises subit la punition dans des

conditions effroyables En veacuteriteacute le Tartare remplit une fonction de gueacuterison de

certaines maladies de lacircme puisquau fond du gouffre le meacutedecin est un feuve dont

la sauvagerie est effroyable et le remegravede est le temps quil faut pour purifer une acircme

afn de la deacutelivrer de toutes les injustices commises Cela illustre aussi la limite

purement punitive

Mais ceux qui sont jugeacutes incurables en raisons de leacutenormiteacute de leurs fautes mdash quils se soient agrave maintes reprises livreacutes agrave de graves pillages dans les lieux sacreacutes quils aient de

1 Theacuteogonie 726 ndash 7272 Theacuteogonie ndash Les travaux et les jours ndash Le bouclier Paris Les Belles Lettres 1928 p 57 ndeg 4 Le Tartare

se distingue de lHadegraves chez Homegravere comme chez Heacutesiode laquo [hellip] au Tartare brumeux tout au fond de labicircme qui plonge au plus bas sous terre ougrave sont les portes de fer et le seuil de bronzeaussi loin au-dessous de lHadegraves que le ciel lest au-dessus de la terre raquo (Iliade VIII 13 ndash 16 Trad par Paul Mazon)

3 Ibid 729 ndash 730 Au deacutebut du chant VIII de lIliade la parole de Zeus est claire il jettera au fond du noir Tartare les dieux et les deacuteesses qui ne lui obeacuteissent pas

4 Gorgias 523 a ndash b

267

nombreuses fois tueacute sans motif et au meacutepris de toutes les lois ou commis tout ce quil peut y avoir dabomination de cet ordre mdash ceux-lagrave le lot qui leur convient est decirctre jeteacutes au Tartare dougrave jamais ils ne sortent1

Le Tartare a pour une fonction de proteacuteger la citeacute en retenant les acircmes incurables

Cela admis si vraiment laquo jamais ils ne sortent raquo agrave la fn il ne devrait pas semble-t-il

y avoir de criminels dabomination atroce dans la citeacute Agrave condition de reprendre le

mecircme argument que voici laquo si tout ce qui a part agrave la vie doit mourir et si une fois

mort tout ce qui est mort conserve ce mecircme aspect sans jamais revenir agrave la vie nrsquoest-

ce pas une neacutecessiteacute absolue qursquoagrave la fn tout soit mort et rien ne vive raquo (Pheacutedon 72 c-

d) Peut-ecirctre ny a-t-il pas lieu pour un lecteur dappliquer le raisonnement sur un

reacutecit qui sadresse aux fonctions infeacuterieures de lacircme cest dailleurs la fonction du

mythe Voici une autre fonction dissuasive du Tartare

En revanche les hommes qui ont commis les plus extrecircmes injustices et qui sont devenus de ce fait incurables sont des hommes qui servent dexemples mecircme si en fait ils ne peuvent parce quincurables tirer le moindre profl de leur chacirctiment Mais il y a bien dautres hommes qui tirent proft du fait de les subir eacuteternellement en punition de leursfautes les souffrances les plus graves les plus douloureuses les plus effroyables2

En reacutealiteacute peu nombreux sont les grands criminels atroces de mecircme que les

philosophes qui nont commis aucune injustice envers qui que ce soit dieu ou

homme autrement dit la majoriteacute des gens sont meacutediocres cest-agrave-dire ne pouvant

eacutevider de commettre quelques injustices plus graves pour les uns et moins graves

pour les autres au cours de leur existence Cela eacutetant apregraves la mort excepteacutes les

philosophes et ceux qui ont reccedilu une faveur divine (par exemple les heacuteros les poegravetes

divins) les acircmes humaines ayant commis dinjustices passent neacutecessairement

quelque temps approprieacute dans les diffeacuterents endroits du Tartare afn de voir

comment les acircmes incurables sont chacirctieacutees3

bull Hadegraves (Ἅιδης)

Agrave lopposeacute au Tartare lHadegraves deacutesigne le royaume des morts4 Dapregraves leacutetymologie

du Cratyle laquo Eh oui et il sen faut de beaucoup que le nom Ἅιδης vienne dἀιδής ( in-

visible) il vient plutocirct du fait de savoir toutes (πάντα εἰδέναι) les belles choses cest

1 Pheacutedon 113 e2 Gorgias 252 c3 Voir Pheacutedon 112 e ndash 114 c4 Chez Heacutesiode comme chez Homegravere lopposition ne semble pas nette entre le Tartare et lHadegraves bien

que lun se distingue de lautre elle porte seulement sur le statut des habitants agrave savoir que les morts sont agrave lHadegraves et les Titans au Tartare laquo Hadegraves freacutemissait le souverain des morts dans les enfers et aussi les Titans dans le fond du Tartare autour Gronos eacutebranleacutes par lincoercible fracas et la funeste rencontre raquo (Theacuteogonie 850 ndash 853 Trad par Paul Mazon) Il sagit dune opposition horizontale et non verticale puisque tous les morts justes ou injustes se trouvent tous agrave lHadegraves

268

de lagrave que le leacutegislateur a tireacute lappellation Ἅιδης (tout-savant) raquo1 Appuyeacute sur cette

eacutetymologie platonicienne lHadegraves correspond au moins agrave trois repreacutesentations agrave

savoir celle dun dieu celle dun royaume ougrave les morts peuvent voir toutes les

reacutealiteacutes intelligibles et en dernier lieu celle de la justice Une telle repreacutesentation de

lHadegraves seacutecarte de la repreacutesentation traditionnelle de lHadegraves2 comme le dieu que

laquo les hommes haiumlssent le plus raquo

[Agamemnon] Quil cegravede mdash Hadegraves reste seul implacable infexible mais cest aussi pourquoi il est de tous les dieux celui que les hommes haiumlssent le plus mdash et quil se soumette agrave moi dautant que je suis plus grand roi que lui et que par mon acircge je me fatte decirctre avant lui 3

En revanche dans la bouche de Socrate la description de lHadegraves laquo ce dieu est bien

agrave ce compte un sage parfait raquo4 laisse aspirer au savoir

Pour ma part citoyens cest probablement bien en cela et dans cette mesure que je me distingue de la plupart des gens et si apregraves tout je me deacuteclarais supeacuterieur agrave quelquun en ce qui concerne le savoir ce serait en ceci que ne sachant pas assez agrave quoi men tenir sur lHadegraves je ne mimagine pas posseacuteder ce savoir aussi5

Par contre dans la mythologie Hadegraves est un dieu puissant en force et non en savoir

dans la Theacuteogonie dHeacutesiode Hadegraves peut mecircme fuir de peur (τρεῖν 850) son chien

aux cinquante tecirctes est feacuteroce6 Dailleurs Hadegraves lui-mecircme nest pas invisible mais

son casque teacuteneacutebreux le rend invisible comme lanneau de Gygegraves quand le chaton

est tourneacute vers la paume de sa main il rend invisible Alors pour Socrate lHadegraves est

un royaume invisible par nature son dieu eacutegalement

Socrate Mais lacircme elle linvisible qui seacutelance vers un autre lieu pareil agrave elle noble pur invisible qui seacutelance vers lInvisible veacuteritable Hadegraves pour le nommer le dieu bon et sage chez qui sil plaicirct au dieu mon acircme devra bientocirct aussi aller 7

Autrement dit lHadegraves est un monde ougrave les habitants peuvent voir toutes les reacutealiteacutes

intelligibles cest ce que confrme ce passage du Meacutenon

Or comme lacircme est immortelle et quelle renaicirct plusieurs fois quelle a vu agrave la fois leschoses dici et celles de lHadegraves [le monde de lInvisible] cest-agrave-dire toutes les reacutealiteacutes

1 Cratyle 404 b2 Cf Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81 c 5 ndash d 5) raquo Gorgias ndash Meacutenon International

Plato Stadies 25 2007 p 200 ndash 201 pp 199 ndash 2033 Homegravere Iliade IX 158 ndash 161 Trad par Paul Mazon Par ailleurs au deacutebut de la Reacutepublique agrave propos

de lHadegraves le vieux Ceacutephale dit ceci laquo Les reacutecits quon raconte sur lHadegraves et le fait quon doive lagrave-bas rendre compte des injustices commises ici-bas il sen moquait jusque-lagrave mais deacutesormais son acircme est troubleacutee agrave lideacutee que ces reacutecits soient veacuteridiques raquo (livre I 330 d ndash e)

4 Ibid 403 e5 Apologie 29 b6 Voir Heacutesiode Le Bouclier 311 ndash 3147 Pheacutedon 80 d Notons que dans la mythologie traditionnelle certes lHadegraves est aussi un lieu mais

pas toujours invisible pour tous par exemple dans le mythe Eurydice il est visible pour Orpheacutee

269

(καὶ τάντα χρήματα) il ny a rien quelle nait appris1

Cela eacutetant lHadegraves est un endroit pur mais comment peut-on imaginer que les

choses impures puissent y peacuteneacutetrer En dautres termes une tregraves grande majoriteacute

des acircmes humaines ne sautorisent pas agrave parvenir agrave lHadegraves pour la raison suivante

Agrave force de confrmer ses jugements agrave ceux du corps et de se plaire aux mecircmes objets il est ineacutevitable agrave mon avis quelle [acircme] se conforme agrave lui dans son comportement et dans ses goucircts bref quelle devienne incapable darriver jamais chez Hadegraves en eacutetat de pureteacute chaque fois au contraire quelle sort du corps elle reste infecteacutee par lui De sorte quimmeacutediatement elle retombe dans un autre corps et sy enracine comme une nouvelle semence en conseacutequence de quoi elle est exclue de la freacutequentation de ce qui est divin pur et unique en sa forme2

Cela eacutetant pour ecirctre accueilli dans lHadegraves non seulement il ne faut jamais

commettre dinjustice envers qui que ce soit dieu ou homme mais aussi et surtout ne

pas lecirctre envers sa propre acircme car le fait dattacher excessivement son acircme agrave son

corps constitue une injustice agrave leacutegard de lintellect de son acircme

La troisiegraveme repreacutesentation de lHadegraves est celle de la justice En arrivant dici-bas

laquo aux portes de lHadegraves raquo3 toute acircme humaine est soumise au jugement

En effet si en arrivant chez Hadegraves on se trouve deacutebarrasseacute de ces gens qui preacutetendent ecirctre des juges et quon y trouve des juges qui sont reacuteellement des juges et notamment ceux-lagrave qui dit-on rendent lagrave-bas la justice Minos Rhadamante et Eacuteaque Triptolegraveme aussi et tous ceux qui parmi les demi-dieux ont eacuteteacute des justes durant leur existence sur terre pensez-vous que le voyage nen vaudrait pas la peine Et encore la compagnie dOrpheacutee de Museacutee dHeacutesiode et dHomegravere que ne donneriez-vous pas pour jouir 4

Ce qui correspond aux trois mythes eschatologiques celui du Gorgias repreacutesente la

neacutecessiteacute que lacircme humaine soit jugeacutee dans sa propre forme cest-agrave-dire apregraves avoir

eacuteteacute seacutepareacutee du corps humain celui de la Reacutepublique preacutesente lorganisation du

royaume des morts de lHadegraves et celui du Pheacutedon preacutesente la structure sans

organisation interne du Tartare

bull Problegraveme

Consideacuterant que certaines acircmes retombent immeacutediatement dans un autre corps et

que les acircmes qui ont purgeacute leur peine dans le Tartare retombent directement du

Tartare dans un corps sans passer par lHadegraves ces acircmes-lagrave nont donc pas doccasion

1 Meacutenon 81 c laquo En effet χρήματα peut preacutesenter le sens geacuteneacuteral de choses mais chez Platon et chez les Platoniciens χρήματα en vient naturellement agrave deacutesigner les reacutealiteacutes intelligibles comme on leconstate en Pheacutedon 66 e 1 ndash 2 raquo (Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81 c 5 ndash d 5) raquo Gorgias ndash Meacutenon International Plato Stadies 25 2007 pp 199 ndash 203 p 201)

2 Pheacutedon 83 d ndash e3 Lexpression du Gorgias 522 e4 Apologie 40 e ndash 41 a

270

de voir les reacutealiteacutes intelligibles1 Ainsi dans une nouvelle incarnation elles ne

pourraient contempler les reacutealiteacutes veacuteritables par la reacuteminiscence Peut-ecirctre les mythes

sont-ils creacutes pour croire et non pas pour ecirctre soumis agrave examen

VI112 Politique et la repreacutesentation

Le fait que la citeacute juste ne puisse se passer de leacuteducation eacutequivaut agrave dire que

leacuteducation est synonyme de politique Mais avant deacuteduquer les citoyens il faut

savoir quelle est la nature de leacuteducation et comment organiser la citeacute pour que tous

les citoyens puissent recevoir une bonne eacuteducation Cest la tacircche du mythe de la

caverne qui est preacuteceacutedeacute par ces mots

Socrate En bien apregraves cela dis-je compare notre nature consideacutereacutee sous langle de leacuteducation et de labsence deacuteducation agrave la situation suivante2

Le mythe de la caverne peut ecirctre consideacutereacute comme le noyau de la Reacutepublique peut-

ecirctre mecircme le noyau de lœuvre entiegravere de Platon si lon le mesure par sa ceacuteleacutebriteacute qui

reacutesiste agrave leacutecoulement du temps et aux vicissitudes humaines laquo il nest rien de plus

ceacutelegravebre dans lœuvre entiegravere de Platon que le mythe de la caverne raquo3

La justice est lobjet de la Reacutepublique ainsi une citeacute juste ne doit pas avoir de

prisonniers puisquils nont aucune fonction propre4 dougrave la neacutecessiteacute de leacuteducation

par laquelle chaque citoyen est formeacute pour soccuper dune tacircche propre une citeacute

juste ne doit pas connaicirctre les citoyens ignorants dans la mesure chaque acircme

humaine seacutequipe de lintellect Ici nous essayons de donner une autre image du

mythe de la caverne en quatre tripartitions

Lumiegravere Ecirctre Mouvement Savoir

soleil homme libre science

feu marionnette mobile restreint technique

ombre image immobile ignorance

Le processus de la remonteacutee semble simple pour ceux qui se trouvent au niveau le

1 Voir Timeacutee laquo Au contraire sil se montre neacutegligent si dun bout agrave lautre de son existence il megravene une vie sans eacutequilibre cest sans avoir eacuteteacute initieacute cest-agrave-dire priveacute de raison quil retourne dans lHadegraves raquo (44 c) Cest la seule apparition de lHadegraves dans le Timeacutee cela eacutetant mieux agrave larriveacute delHadegraves lacircme retombera immeacutediatement dans un autre corps pire elle retombera dans un autre corps apregraves avoir passeacute quelque temps au Tartare Ici il est diffcile de savoir quelle est la position de Timeacutee sur lHadegraves Comme Socrate ou comme les poegravetes

2 Reacutepublique VII 514 a3 Schuhl Pierre-Maxime Eacutetudes sur la fabulation platonicienne Paris PUF 1947 p 454 laquo Deacutefnir un statut pour les hommes lui [Platon] importe moins que deacutecrire quelles fonctions

doivent leur ecirctre deacutevolues par la citeacute raquo (Bertand Jean-Marie laquo Les citoyens des citeacutes platoniciennes raquo Cahiers du Centre Gustave Glotz 11 2000 pp 37-55 p 55)

271

plus bas il faut dabord leur apprendre une technique leur imposer des mouvement

restreints leur faire apprendre agrave obeacuteir en quelque sorte comme une marionnette et

les inviter agrave voir et agrave manipuler le feu En effet le tableau donne une repreacutesentation

de lorganisation horizontale verticale et parallegravele de la citeacute

VI113 Lunivers et la repreacutesentation

Le discours de Timeacutee dans le dialogue qui porte son nom est un mythe sur lunivers 1

mais il nest pas facile de faire de ce mythe une repreacutesentation simple puisque le

mythe est trop long et trop complexe Cest la raison pour laquelle nous nous

tournons vers le mythe du Politique il sagit dun mythe cosmo-politique2 qui raconte

trois cycles cosmo-politiques agrave savoir celui de Kronos (271 c ndash 272 d) celui autonome

(272 d ndash 273 e) et celui de Zeus (273 e ndash 274 d) Voici une repreacutesentation voulue

scheacutematique

Kronos Autonomie Zeus

Sens de rotation horaire inverse horaire

Organisation providentielle dordre agrave deacutesordre semi-providentielle

Paix harmonie du meilleur au pire hasard

Savoir ni technique ni philosophie

oubli progressif technique et science

Biens pleins de moins en moins chercheacutes3

Maux absents de plus en plus agrave deacutebarrasser

Voie de naissance surgie du sol surgie du sol sexuelle

Marche de lacircge normale inverse normale

Nourriture abondante abondante insuffsante

La liste peut ecirctre encore allongeacutee mais plus elle est longue plus les choses se

compliquent dailleurs les travaux sur le mythe du Politique sont nombreux4 Nous

donnons ici un bref commentaire En terme dharmonie et dabsence de maux le

cycle de Kronos semble excellent mais comment un tel cycle peut-il ecirctre excellent

sans technique ni philosophie Par contre le cycle autonome est le pire sans

1 Cf Brisson Luc Platon les mots et les mythes Paris La Deacutecouverte 1982 p 213 2 Cf mdashmdash laquo Interpreacutetation du mythe du Politique raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 169 ndash 2053 Dans le texte la question du bien et du mal nest pas explicitement eacutevoqueacutee puisque lEacutetranger

dEacuteleacutee dit ceci laquo Mais en ce qui concerne les hommes lexposeacute sera plus bref et plus agrave propre raquo (274 b) Cependant comme les dieux laquo y joignirent lenseignement et lapprentissage indispensables (ἀναγκαίας διδαχῆς καὶ παιδεύσεως) raquo (274 c) on peut supposer que lon est conscient de questions de maux et de biens puisque dans lenseignement et lapprentissage il y a toujours de reacuteussites et deacutechecs cela donne ineacutevitablement aux hommes agrave penser

4 Cf Politique laquo Bibliographie raquo p 297 ndash 298

272

intervention du dieu agrave la fn lunivers autonome fnira par se deacutetruire En revanche

le cycle de Zeus ni mieux ni pire est un meacutelange de deux preacuteceacutedents Cependant en

terme cosmo-politique le cycle de Zeus est un modegravele politique puisquil est

gouverneacute par la technique et la science

VI12 Bon usage du mythe

Comme le mythe est un instrument de persuasion spectaculaire il est neacutecessaire de

prendre soin davoir recours au mythe ici nous prenons deux positions opposeacutees

critique et eacuteloge du mythe

VI121 Critique du mythe

Certes les eacuteveacutenements raconteacutes dans les mythes sont inveacuterifables puisquils laquo se sont

deacuterouleacutes dans un passeacute tregraves eacuteloigneacute raquo et ils ne sont connus que laquo par lintermeacutediaire

de la tradition raquo1 Mais la nature de certains eacuteleacutements primitifs des mythes peut ecirctre

soumise agrave examen afn de deacuteterminer si celui-ci est bon ou mauvais pour les acircmes

humaines cest le premier niveau de la critique du mythe Mais si on considegravere les

trois transformations du mythe telles quelles sont eacutecrites comme suit

[hellip] le mythe est aussi devenu mythologie entendue non seulement comme la collection des reacutecits fabuleux drsquoune culture particuliegravere mais aussi comme la science que requiert leur interpreacutetation Mythe mdash fable primitive mythe mdash mode de penseacutee mais agrave la faveur drsquoune troisiegraveme meacutetamorphose le mythe est transformeacute en substance pour susciter la science du mythe et devenir lrsquoobjet de la mythologie2

nous avons ainsi le second niveau de la critique du mythe agrave savoir la critique de

linterpreacutetation du mythe Restons sur ces deux niveaux en deacutelaissant le troisiegraveme

1 La critique qui condamne le mythe comme un instrument de corruption de lacircme

des enfants se concentre particuliegraverement dans la partie se trouvant entre 376 d du

livre II et 392 c du livre III de la Reacutepublique La raison de cette critique est eacutenonceacutee degraves

le deacutebut de cette partie laquo Mais de quelle maniegravere seront eacuteleveacutes chez nous ces

gardiens et comment seront-ils formeacutes Et pour nous examiner ce point est-il une

sorte de travail preacuteliminaire pour saisir le but ultime de toutes nos recherches

comment la justice et linjustice adviennent dans la citeacute raquo3 Voici le plan avec un

court reacutesumeacute

1 Platon les mots et les mythes p 1272 Calame Claude Quest-ce que la mythologie Paris Gallimard Folio Ineacutedit Essais 2015 p 46

(format epub teacuteleacutechargeacute du site genlibrusec dont la pagination peut ecirctre tregraves diffeacuterente de celle du livre papier)

3 Reacutepublique II 367 c ndash d

273

Le mythe est un discours (376 d ndash 392 c)Introduction (376 e ndash 377 d)

Le mythe est un discours Comme tout discours il ya du vrai et du faux Les faux sont dangereux pour les acircmes humaines et particuliegraverement pour les acircmes denfant et donc il faut les rejeter

Les cinq sujets de mythes traditionnels (377 e ndash 392 c)bull Dieux (377 e ndash 383 c)

laquo Le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolument parfait raquo (381 b) Ainsi le fait de raconter que les dieux peuvent commettre des erreurs des maux faire la guerre entre eux se tendre des piegraveges se battre les uns contre les autres ecirctre imparfaits de toute maniegravere tout cela relegraveve du pur mensonge Tout cela est mauvais pour leacuteducation dans la citeacute

bull Deacutemons (382 e 391 e ndash 392 a)Le substantif δαίμων napparaicirct quune seule fois dans le livre II sous forme dadjectif substantiveacute (τὸ δαιμόνιόν 382 e) et deux fois dans le livre III (δαιμόνων 391 e ndash 392 a) Le deacutemon en franccedilais deacutesigne parfois le mauvais esprit ou encore le monstre Mais dans le corpus platonicien le δαίμων est divin (θεῖον 382 e) il est aussi divin que les dieux en qualiteacute Sa fonction en serait probablement diffeacuterente1

bull LHadegraves (386 a ndash 387 c)Dapregraves Homegravere lHadegraves est laquo la demeure eacutepouvantable remplie de teacutenegravebres celle quont en horreur les dieux raquo (Il XX 64 ndash 65 citeacute en 386 d) Un tel discours fait peur devant la mort Les gens sont terrifeacutes par la mort degraves leur enfance Pour Socrate au contraire il faut faire leacuteloge de lHadegraves car lagrave ougrave se trouvent les dieux est certainement beau pur et parfait ougrave les acircmes peuvent contempler les formes intelligibles

bull Les heacuteros (387 d ndash 392 a)Dans des poegravemes homeacuteriques mecircme un heacuteros ne se prive pas des plaintes et des lamentations cela est tout simplement inacceptable pour Socrate puisquune telle meacutediocriteacute nest pas coheacuterente avec le caractegravere heacuteroiumlque des hommes ou des femmes un tel discours contre la veacuteriteacute nest ni bon pour les enfants ni bon pour les meacutediocres

bull Les hommes du passeacute (392 a ndash c)Les plus grandes erreurs que commettent les poegravetes et les prosateurs (λογοποιοί) consistent agrave raconter que beaucoup de gens eacutetaient heureux tout en eacutetant injustes et beaucoup dautres justes mais malheureux Alors que ce est au contraire la veacuteriteacute que la citeacute doit prescrire de chanter

Conclusion (392 c)Cest la veacuteriteacute quil faut dire dans les discours Reste agrave examiner quelle est la faccedilon (λέξις) par laquelle la veacuteriteacute doit ecirctre dite

Immeacutediatement Socrate analyse les trois formes de reacutecit traditionnelles agrave savoir

simple imitative et un meacutelangeacutee de deux premiegraveres Par quelle neacutecessiteacute faut-il

distinguer les formes de reacutecit Cest une question eacutethique agrave leacutegard de lauditoire

mais aussi agrave leacutegard des eacutevegravenements raconteacutes Le reacutecit pur et simple est le plus

objectif car laquo le poegravete parle en son nom propre et nentreprend pas dorienter notre

1 Voir le mythe dEr (617 d ndash e 620 d ndash e)

274

penseacutee dans un autre sens comme si ceacutetait un autre que lui-mecircme qui parlait raquo1 Ce

qui nest pas le cas pour la forme imitative ougrave Homegravere laquo sefforce le plus possible de

nous donner lillusion raquo en imitant les dieux les heacuteros ou dautres personnages

comme sil eacutetait eux-mecircmes agrave chaque fois En langage moderne cette forme imitative

a pour nom le reacutecit omniscient Mais la critique du mythe est dabord la critique du

fond

Socrate Il est donc impossible dis-je mecircme pour un dieu de vouloir salteacuterer lui-mecircme mais il semble au contraire que chacun des dieux parce quil est le plus beau et le meilleur possible demeure dans sa forme propre eacuteternellement et absolument2

Cest pourquoi laquo le dieu est le moins susceptible de recevoir plusieurs formes raquo3

decirctre Tout cela eacutetant sur la forme comme sur le fond le mythe doit ecirctre une

repreacutesentation ou une image pure et simple et non une image dimage Pour cela il

faut adopter une exposition objective et il est interdit de raconter nimporte quoi sur

le compte des dieux En effet sil existe les reacutealiteacutes intelligibles il existe

neacutecessairement des ecirctres parfaits purs sages et beaux ce sont les dieux

2 Tous les mythes sont soumis agrave interpreacutetation car en tant que discours inveacuterifable

laquo son reacutefeacuterent se situe soit agrave un niveau de reacutealiteacute inaccessible aussi bien agrave lintellect

quaux sens soit au niveau des choses sensibles mais dans un passeacute dont celui qui

tient ce discours ne peut faire lexpeacuterience directement ou indirectement raquo4 Or

linterpreacutetation alleacutegorique (ὑπονοία) est elle aussi une interpreacutetation Voici la raison

pour laquelle Socrate refuse toute interpreacutetation alleacutegorique

Socrate Mais de raconter que Heacutera a eacuteteacute enchaineacutee par son fls que Heacutephaiumlstos a eacuteteacute jeteacute dans un preacutecipice par son pegravere parce quil avait voulu proteacuteger sa megravere assaillie de coupe et tous ces combats de dieux que Homegravere a mis dans ses poegravemes cela il ne faut pas ladmettre dans la citeacute que ces poegravemes aient eacuteteacute composeacutes ou non avec une intention alleacutegoriqueCar un jeune nest pas en mesure de discerner une intentions alleacutegorique de ce qui nen possegravede pas et ce quil ressent agrave son acircge en formant ses opinions a tendance agrave devenir ineffaccedilable et immuable Cest sans doute la raison pour laquelle il convient par-dessus tout de composer les premiegraveres histoires comme des reacutecits superbement raconteacutes en vue de les disposer agrave la vertu5

Pourquoi ce refus En effet laquo lalleacutegorie raquo a pour but de reacuteinterpreacuteter la tradition

pour ladapter aux ideacutees nouvelles6 En dautres termes oui la critique de la tradition

1 Ibid 393 a2 Reacutepublique II 381 c3 Ibid 381 b4 Platon les mots et les mythes p 127 ndash 1285 Reacutepublique II 378 d ndash e Agrave propos de ce passage particuliegraverement du terme ὑπονοία cf le chapitre

12 laquo Refus de toute interpreacutetation alleacutegorique raquo de Platon les mots et les mythes pp 152 ndash 1596 Cf Phegravedre laquo Notes raquo ndeg 36 p 195

275

que faisaient Socrate et Platon mais non agrave sa falsifcation

Le mythe de lAtlantide na quune seule version parce que pendant 270 ans le

mythe na eacuteteacute transmis que lineacuteairement oralement de pegravere agrave fls de Solon agrave Platon

dans une mecircme famille et avant Platon ce mythe navait jamais couru dans la sphegravere

publique1 Cela eacutetant ce mythe ne serait-il pas subi une modifcation volontaire car

dans une transmission non communicante quel serait linteacuterecirct de le modifer Agrave

moins que cela nadvienne par neacutegligence ou par oubli mais cela est peu probable

car de Solon agrave Platon une ligneacutee illustre la rigueur et la meacutemoire ne nous permettent

pas en douter Dailleurs le prologue du Parmeacutenide montre quAntiphon le beau fregravere

maternel de Platon avait une excellente meacutemoire et un eacutegard neutre agrave leacutegard du

reacutecit puisquil ne sinteacuteressait quaux chevaux2

En fait les mythes platoniciens se composent geacuteneacuteralement de deux parties agrave savoir

une fable primitive cest-agrave-dire des donneacutees narratives traditionnellement

transmises et un savoir dinterpreacutetation Par exemple le mythe de la caverne se

deacutelimite entre 514 a et 517 a mais depuis cette phrase laquo imagine aussi le long de ce

muret [hellip] raquo(415 b 9) jusquagrave la fn (517 a) il sagit dune interpreacutetation que donne

Socrate En revanche dans les mythes eschatologiques les deux parties jalonnent

conjointement le mythe sans faire la moindre confusion entre la partie primitive et la

partie interpreacutetative Cest ce savoir interpreacutetatif qui relegraveve de la dialectique En

veacuteriteacute ce que Socrate reproche aux poegravetes particuliegraverement agrave Homegravere et agrave Heacutesiode

cest quils interpreacutetaient mal les fables primitives Nous analyserons sous peu un

exemple

VI122 Eacuteloge du mythe

Le fait davoir recours au mythe pour eacutepauler la raison est en reacutealiteacute un eacuteloge du

mythe mais laquo la valeur de veacuteriteacute ou fausseteacute dun mythe en est une de second ordre

dans la mesure ougrave un mythe est vrai ou faux selon quil saccorde ou non avec le

discours que tient le philosophe sur le mecircme sujet raquo3 Nous prenons ici lexemple du

mythe des cigales Avant le mythe nous avons ces trois reacutepliques

Socrate Voilagrave donc qui est clair pour le monde non il ny a pas en soi rien de laid agrave eacutecrire des discours

1 Cf laquo Moyen de transmission raquo Platon les mots et les mythes pp 32 ndash 49 surtout pp 32 ndash 392 laquo Le fait quAntiphon ne sinteacuteresse quaux chevaux donne peut-ecirctre plus de poids agrave son reacutecit si tel

est le cas Antiphon rapporte sans en rien modifer et sans les interpreacuteter les propos eacutechangeacutes raquo (Parmeacutenide laquo Notes raquo ndeg 15 p 256)

3 Platon les mots et les mythes p 158

276

Phegravedre Pourquoi serait-ce le cas en effet

Socrate Mais lagrave ougrave reacuteside la laideur cest jimagine dans le fait de parler et deacutecrire dune faccedilonqui nest pas belle cest-agrave-dire vilainement et mal1

Toute suite apregraves le mythe Socrate dit ceci laquo alors la question que nous proposions

dexaminer tout agrave lheure quest-ce qui caracteacuterise le fait de bien ou de mal parler de

bien ou de mal eacutecrire Cette question examinons-la raquo2 Mais en reacutealiteacute le mythe des

cigales a deacutejagrave fourni une reacuteponse Voici le mythe3

Mythe des cigales

Fable primitive Interpreacutetation de Socrate

Jadis les cigales eacutetaient des hommes ceux qui

existegraverent avant que ne naissent les Muses Puis

quand les Muses furent neacutees et que leur chant eut

commenceacute de se faire entendre certains des

hommes de ce temps-lagrave furent raconte-t-on agrave ce

point mis par le plaisir hors deux-mecircmes que de

chanter leur ft neacutegliger de manger et de boire si

bien quils moururent sans sen apercevoir Cest

de ces hommes que par la suite a surgi la race

des cigales elle a reccedilu des Muses le privilegravege de

navoir degraves la naissance besoin daucune

nourriture et de se mettre agrave chanter tout de suite

sans manger ni boire jusquagrave leur mort apregraves

leur mort elles vont trouver les Muses pour leur

faire savoir qui les honore ici-bas et agrave laquelle

dentre elles va cet hommage

Ainsi agrave Terpsichore leur rapport indique ceux

qui lont honoreacutee dans les chœurs et elles les lui

rendent plus chers Agrave Eacuteratocirc elles parlent de ceux

qui lont honoreacutee dans les choses de lamour Et

elles font de mecircme pour les autres selon la

forme de lhommage qui est le sien Agrave laicircneacutee

Calliope et agrave sa cadette Ourania elles signalent

ceux qui passent leur vie agrave aspirer agrave la sagesse et

qui honorent le type de laquo musique raquo auquel elles

preacutesident Car entre toutes les Muses ce sont

elles qui soccupent du ciel et des discours

profeacutereacutes aussi bien par les dieux que par les

hommes et qui font entendre les plus beaux

accents Nous avons donc tu vois mille raison

de parler et de ne pas ceacuteder au sommeil agrave lheure

de midi

Le mythe se compose de deux parties eacutetonnamment eacutegales En effet dans un mythe

la partie de la fable primitive et la partie de linterpreacutetation ont le mecircme poids Si le

mythe des cigales a une fonction dialectique4 cest bien cette partie interpreacutetative que

donne Socrate une belle danse est une danse qui plait neacutecessairement agrave la Muse

Terpsichore car elle preacuteside agrave la danse la belle poeacutesie lyrique doit plaire agrave la Muse

Eacuteratocirc de mecircme ceux qui passent leur vie agrave philosopher plaisent agrave Calliope et agrave

Ourania Agrave la diffeacuterence des autres arts qui honorent respectivement une Muse qui

preacuteside agrave leur art la philosophie honore deux Muses dailleurs dans la fable

1 Phegravedre 258 c ndash d2 Phegravedre 259 e3 Ibid 259 b ndash d4 Cf Assaeumll Jacqueline laquo Siregravenes cigales Muses raquo Revue de lhistoire des religions Vol 222 ndeg 2 (Avril

ndash Juin 2003) pp 131 ndash 151

277

primitive une seule Muse laquo agrave laquelle dentre elles va cet hommage raquo et non pas

plusieurs Mais quand il sagit de deux Muses les choses se compliquent Le

problegraveme majeur est la hieacuterarchie Dans la Theacuteogonie parmi les neuf Muses Calliope

la Muse de la persuasion est laquo la premiegravere de toutes raquo1 dans le contexte du Phegravedre

Calliope est synonyme de lart de parole et deacutecriture En dautres termes Calliope

repreacutesente la Muse de la forme Ourania la Muse ceacuteleste cest-agrave-dire de la veacuteriteacute En

effet dans le ciel il y a trois niveaux 1 plus bas se trouvent les oiseaux qui

repreacutesentent lopinion puisquils agissent par sensation 2 au milieux se trouvent les

nueacutees qui repreacutesentent lastronomie et dautres sciences particuliegraveres 3 dans les

hauteurs du ciel laquo la race des dieux a eacutetabli sa demeure raquo2 afn de passer laquo sur le dos

du ciel raquo3 pour contempler le Bien Cela eacutetant la philosophie honore agrave la fois la

beauteacute de la forme cest-agrave-dire de la persuasion que repreacutesente laquo laicircneacutee Calliope raquo

preacuteceacutedant la cadette Ourania qui repreacutesente la science Bien sucircr cest un point agrave

caution puisquon est dans le mythe qui plus est chez Platon qui est un grand

strategravege litteacuteraire dont les nombreux piegraveges sont invisibles et chez Socrate un

malicieux qui ne cesse dironiser sur les morts et les vivants En effet dans la seconde

partie du Phegravedre le fait que le mythe des cigales preacutecegravede la critique de la rheacutetorique

et de leacutecriture semble prouver que la rheacutetorique et leacutecriture sont utiles Mais avant

de profter de leur utiliteacute il faut les critiquer cest-agrave-dire soumettre agrave examen la

rheacutetorique et leacutecriture afn de voir ce qui est beau et ce qui est laid en elles

VI13 Philosophe fabricant de mythes

Si le mythe sadresse aux fonctions infeacuterieures de lacircme la fabrication du mythe

relegraveve par contre de la raison car laquo pour celui qui fabrique et ou raconte un mythe

le passeacute nest pas un objet comme lhistorien mais un projet qui doit sadapter aux

circonstances de sa reacutealisation raquo4 Un projet de fabrication dune certaine meacutemoire

collective Ici nous prenons comme exemple les deux versions tregraves diffeacuterentes du

mythe de Gygegraves pour voir deux exigences philosophiques de la fabrication de

mythes agrave savoir laquo valeur politique et eacutethique raquo et laquo fonction dialectique raquo

VI131 Valeur politique eacutethique

Nous donnons dabord les deux reacutesumeacutes du mythe de Gygegraves que voici

1 Heacutesiode Theacuteogonie 792 Phegravedre 246 d3 Ibid 247 b4 Platon les mots et les mythes p 31

278

Version dHeacuterodote (reacutesumeacute) Version de Glaucon (reacutesumeacute)Le dernier roi de Lydie aimait tellement la beauteacute de sa femme quil fnit par proposer agrave Gygegraves un de ses gardes de regarder en cachette la reine nue Gygegraves en eacutetait ainsi indigneacute Mais il na pas pu reacutesister aux insistances du roi Dailleurs obeacuteir agrave son maicirctre cest la moindre de choses pour un esclave Chose faite dans lordre simplement la reine laperccedilut sortant en se glissant hors de la chambre Eacutevidemment elle ne doute pas un instant que ceacutetait agrave linitiative de son mari Pour se venger du roi sur sa nuditeacute la reine ordonna agrave Gygegraves de faire ce choix sur lechamp soit obtenir sa main et le trocircne de Lydie par le meurtre du roi soit il peacuterit agrave mecircme pour ecirctre fdegravele agrave son maicirctre Encore une fois Gygegraves eacutetait indigneacute agrave lideacutee de tuer son maicirctre mais il a preacutefeacutereacute fnalement la vie agrave la mort Chose ainsi faite il devient le maicirctre de la Lydie1

Un berger de Lydie nommeacute Gygegraves a deacutecouvert par hasard un cadavre geacuteant apregraves un gros orage dans un effondrement de terre agrave lendroit ougrave il avait lhabitude de faire paicirctre son troupeau Rien sur ce geacuteant mort si ce nest un anneau dor agrave la main que Gygegraves prit avant de remonter Un jour dans une reacuteunion des bergers il a deacutecouvert par hasard le fait quil devenait invisible aux yeux des autres en tournant le chaton de lanneau vers la paume et agrave linverse il redevenait visible en le retournant vers lexteacuterieur Conscient de ce pouvoir il refaitplusieurs fois la mecircme chose ce qui confrme ce pouvoir magique laquo Fort de cette observation il sarrangea aussitocirct pour faire partie des messagers deacuteleacutegueacutes aupregraves du roi et parvenu au palais il seacuteduit la reine Avec sa compliciteacute il tua le roi et sempara ce faisant du pouvoir raquo2

Entre les deux versions deux points sont opposeacutes

1 Gygegraves dHeacuterodote eacutetait contraint de commettre linjustice alors que Gygegraves de

Glaucon ne la commise sous aucune contrainte En effet cest une question politique

agrave savoir que la citeacute doit ecirctre organiseacutee dans son ensemble pour que personne ne soit

contraint agrave commettre une injustice Cest aussi une question eacutethique car personne ne

devrait preacutefeacuterer la vie agrave linjustice la passion deacutemesureacutee pour la femme ou pour le

gain agrave la fonction propre quon occupe Cest eacutegalement un deacutef de la thegravese socratique

qui est que personne nest injuste de plein greacute3 car dans les deux versions du mythe

Gygegraves est bien conscient de commettre linjustice Dailleurs Glaucon conclut par ces

mots laquo On pourrait alors affrmer quon tient lagrave une preuve de poids que personne

nest juste de son plein greacute raquo4 la position de Glaucon est antitheacutetique de la thegravese

socratique En effet il y a deux sortes de plein greacute le plein greacute sensible et le plein greacute

intelligible tout plein greacute lieacute aux maux est sensible mdash le faux plein greacute pour ainsi

dire et celui lieacute au Bien est intelligible mdash veacuteritable plein greacute Cela eacutetant la thegravese

socratique nest pas secoueacutee par Glaucon car personne ne peut commettre une

injustice en contemplant les reacutealiteacutes intelligibles en raison du fait que cette

contemplation est neacutecessairement une deacuteliaison de lacircme davec le corps Or sans le

1 Voir Heacuterodote Histoire VII ndash XIV2 Voir Reacutepublique II 359 d ndash 360 b3 On peut lire une thegravese plus ou moins similaire dans ces passages Gorgias 468 c 509 d ndash e Lois V

731 c 734 b IX 861 c -e Meacutenon 70 d Protagoras 352 b ndash 353 a 358 d Reacutepublique II 382 a III 413 a Timeacutee 86 d ndash e

4 Reacutepublique II 360 c

279

corps lacircme ne pourrait deacutesirer les choses sensibles puisque sa fonction deacutesirante

consiste agrave animer le corps

2 Gygegraves dHeacuterodote eacutetait motiveacute par la vie alors que Gygegraves de Glaucon eacutetait motiveacute

par le gain (πλεονεξία)1 En effet le fait de preacutefeacuterer la justice agrave la vie ou la mort agrave

linjustice demande beaucoup de courage cela narrive pas agrave tout le monde En

revanche le fait de preacutefeacuterer la justice au gain est une chose relativement facile agrave

reacutealiser puisquon ne risque rien du tout dans ces conditions pour rester juste en

dautres termes dans une grande majoriteacute de cas le fait decirctre juste nest pas un acte

heacuteroiumlque mais ordinaire que chacun peut reacutealiser pourvu quil ne soit pas

excessivement motiveacute par le gain

VI132 Fonction dialectique

La fonction dialectique des mythes platoniciens est sans doute la marque

mythologique platonicienne Nous avons preacuteceacutedemment montreacute quun mythe

platonicien se compose de deux parties celle de la fable primitive et celle de

linterpreacutetation comme si les deux parties constituaient un laquo dialogue raquo Cest gracircce agrave

la partie interpreacutetative que se pose la question ontologique (de quoi parle-t-on ) et

eacutepisteacutemologique (agrave quelle type de connaissance doit-on avoir recours) de la partie

primitive Dailleurs la forme de la partie interpreacutetative est tregraves variable selon le

mythe elle se trouve dans le mythe de Gygegraves scindeacute en deux dont une partie se

trouve avant la fable primitive et lautre apregraves Voici avant et apregraves le mythe de

Gygegraves selon Heacuterodote et selon Glaucon

Avant le mythe de Gygegraves (Heacuterodote)laquo Introduction raquo

Avant le mythe de Gygegraves (Glaucon)laquo Introduction raquo

laquo Voici comment la souveraine puissance qui appartient aux Heacuteraclides passa en la maison des Mermnades dont eacutetait Creacutesus Candaule que les Grecs appellent Myrisile fut tyran de Sardes Il descendait dHercule par Alceacutee fls dece heacuteros car Agron fls de Ninus petit fls de Beacutelus arriegravere-petit-fls dAlceacutee fut le premier des Heacuteraclides qui regravegna agrave Sardes et Candaule fls de Myrsus fut le dernier Les rois de ce pays anteacuterieurs agrave Agron descendaient de Lydus fls

laquo Que ceux qui pratiquent la justice le fassent contre leur greacute et par impuissance agrave commettre linjustice nous le saisirons tregraves bien si nous nous repreacutesentons en penseacutee la situation suivante3 Accordont agrave lhomme juste et agrave lhomme injusteun mecircme pouvoir de faire ce quils souhaitent ensuite accompagnons-les et regardons ougrave le deacutesir de chacun va les guider Nous trouverons lhomme juste sengageant agrave deacutecouvert sur le mecircme chemin que lhomme injuste mucirc par son

1 Le terme est employeacute par Glaucon avant de raconter le mythe de Gygegraves pour expliquer le motif de linjustice commise Le terme est peu freacutequent dans le corpus platonicien avec 10 occurrences Banquet πλεονεξίᾳ (182 d) πλεονεξίας (188 b) Critias πλεονεξίας (121 b) Gorgias πλεονεξίαν (508 a) Lois III πλεονεξίας (677 b) IX πλεονεξίαν (875 b) X πλεονεξίαν (906 c) Reacutepublique II πλεονεξίαν (359 c) IX πλεονεξίας (586 b) Timeacutee πλεονεξία (82 a)

280

dAtys qui donna le nom de Lydiens agrave tous les peuples de cette contreacutee quon appelait auparavant Meacuteoniens Enfn les Heacuteraclides agrave qui ces princes avaient confeacute ladministration du gouvernement et qui tiraient leur origine dHercule et dune esclave de Jardanus obtinrent la loyauteacute en vertu dun oracle Ils reacutegnegraverent de pegravere en fls cinq cent cinq ans en quinze geacuteneacuterations jusquagrave Candaule fls de Myrsus raquo2

appeacutetit du gain cela mecircme que toute la nature poursuit naturellement comme un bien mais qui se voit rameneacute par la force de la loi au respect de leacutequiteacute Pour que le pouvoir dont je parle soit porteacute agrave sa limite il faudrait leur donner agrave tous les deux les capaciteacutes qui autrefois selon ce quon rapporte eacutetaient eacutechues agrave lancecirctre de Gygegraves le Lydien raquo1

Apregraves le mythe de Gygegraves (Heacuterodote)laquo Conclusion raquo

Apregraves le mythe de Gygegraves (Glaucon)laquo Conclusion raquo

laquo Gygegraves eacutetant monteacute de la sorte sur le trocircne il y fut affermi par loracle de Delphes Les Lydiensindigneacutes de la mort de Candaule avaient pris les armes mais ils convinrent avec les partisans de Gygegraves que si loracle le reconnaissait pour roi de Lydie la couronne lui resterait quautrement elle retournerait aux Heacuteraclides Loracle prononccedila et le trocircne fut par ce moyen assureacute agrave Gygegraves Mais la Pythie ajouta que les Heacuteraclides seraientvengeacutes sur le cinquiegraveme descendant de ce prince Ni les Lydiens ni leurs rois ne tinrent aucun compte de cette reacuteponse avant quelle eut eacuteteacute justifeacutee par leacuteveacutenement Ce fut ainsi que les Mermnades semparegraverent la couronne et quils lenlevegraverent aux Heacuteraclides raquo2

laquo Supposons agrave preacutesent quil existe deux anneaux de ce genre lun au doigt du juste lautre audoigt de linjuste il ny aurait personne semble-t-il dassez reacutesistant pour se maintenir dans la justice et avoir la force de ne pas attenter aux biens dautrui et ne pas y toucher alors quil aurait le pouvoir de prendre impuneacutement au marcheacute ce dont il aurait envie de peacuteneacutetrer dans les maisons pour sunir agrave qui lui plairait et detuer les uns libeacuterer les autres de leurs chaicircnes selon son greacute et daccomplir ainsi dans la socieacuteteacute humaine tout ce quil voudrait agrave leacutegal dun dieu Sil se comporte de la sorte il ne ferait rien de diffeacuterent de lautre et de fait les deux tendraient au mecircme but raquo3

Llaquo Introduction raquo du mythe de Gygegraves selon Heacuterodote deacutecrit en effet un contexte

laquo historique raquo de leacuteveacutenement il sagit dun cas particulier En revanche celle selon

Glaucon est une proposition lhomme juste sengagerait agrave deacutecouvert sur le mecircme

chemin que lhomme injuste mucirc par le deacutesir du gain Il sagit lagrave dune question

universelle qui sinterroge sur la nature des ecirctres humains ordinaires

La laquo Conclusion raquo de la version dHeacuterodote indique comment cette histoire de Gygegraves

se termine elle ninvite pas les lecteurs agrave poser la moindre question puisque cette

histoire lointaine ne les concerne pas Tandis que la laquo Conclusion raquo de la version de

Glaucon concerne tout le monde puisque chacun peut bien ecirctre victime de lanneau

de Gygegraves

En effet dans la version dHeacuterodote le mythe de Gygegraves deacutepourvu de partie

2 Heacuterodote Histoire livre premier VII Trad par Larcher (Source BnF ndash Gallisa Bibliothegraveque Numeacuterique)

3 Traditionnellement le mythe de Gygegraves ne commence pas ci-apregraves (359 c 1) mais agrave 359 d 1 En effet la partie interpreacutetative dun mythe peut bien se trouver en partie avant le mythe

1 Reacutepublique II 359 b ndash d2 Histoire I 133 Reacutepublique II 360 b ndash c

281

interpreacutetative ne comprend que la partie primitive qui se passait dans un passeacute tregraves

lointain laquo inaccessible aussi bien agrave lintellect quaux sens raquo mecircme Heacuterodote lui-mecircme

se contente de terminer le mythe avec ses mots

Lorsque ce prince se vit maicirctre du royaume il entreprit une expeacutedition contre les villes de Milet et de Smyrne et prit celle de Colophon Mais comme il ne ft aucune autre chose de meacutemorable pendant un regravegne de trente-huit ans nous nous contenterons davoir rapporteacute ces faits et nen parlerons pas davantage1

Agrave linverse le mythe de Gysgegraves rapporteacute par Glaucon se compose de deux parties

celle primitive qui renvoie agrave une reacutealiteacute lointaine inaccessible aussi bien agrave lintellect

quaux sens et celle interpreacutetative qui est accessible agrave lintellect puisque les

problegravemes exposeacutes dans la partie interpreacutetative ne sont pas des eacutevegravenements mais

une analyse probleacutematique posant certaines questions simples preacutecises claires et en

mecircme temps pas facile agrave reacutesoudre

VI2 La reacutefutation

Traditionnellement lἔλεγχος (reacutefutation) est synonyme du laquo socratique raquo et la

διαλεκιτιή (la dialectique) du laquo platonicien raquo Cependant elles possegravedent trois points

communs 1Tous les deux ont pour instrument le dialogue cest dans le dialogue

que lon pratique lun ou lautre 2 Si la reacutefutation a pour but de faire apparaicirctre

lignorance la dialectique et la science (ἐπιστήμη) tous les deux sont

argumentatives mecircme si les proceacutedeacutes sont diffeacuterents Ils sont constitueacutes dans un cas

autour de la question laquo quest-ce que x raquo dans lautre agrave partir de certaines

propositions ou affrmations 3La fnaliteacute est la mecircme (rendre meilleure lacircme)

mecircme si lapproche est diffeacuterente lun est aporeacutetique lautre eacutepisteacutemologique

Cependant la diffeacuterence entre la reacutefutation et la dialectique semble eacutevidente car dans

la reacutefutation les interlocuteurs de Socrate ignorent ce quil cherche agrave savoir tandis

que dans la dialectique ils le savent Cest pourquoi nous analysons seacutepareacutement la

reacutefutation et la dialectique

VI21 Laspect eacutepisteacutemologique

La Pythie a reconnu que Socrate eacutetait le plus savant parmi les hommes Au fond la

diffeacuterence entre loracle de Delphes ou la boule de cristal nest pas grande ou na en

tout cas pas beaucoup dimportance la seule chose qui compte cest de savoir sils

disent vrai Cest une question eacutepisteacutemologique de quel type de connaissance

1 Histoire I 14 3

282

Socrate est-il savant et pour quel type de connaissance ces gens-lagrave (poegravetes hommes

politiques ou encore artisans) eacutetaient-il reacuteputeacutes

VI211 Proceacutedeacute

La reacutefutation est proceacutedurale elle suit un certain ordre de deacuteroulement argumentatif

On a ainsi mecircme essayeacute de geacuteneacuteraliser de maniegravere formelle la structure logique de

reacutefutation1 mais laquo la dimension logique de la reacutefutation est subordonneacutee agrave une

fnaliteacute morale raquo2 Cest pourquoi sa dimension logique nest pas tellement stricte elle

peut varier selon linterlocuteur le sujet ou mecircme leacutemotion provoqueacutee par la

reacutefutation3 En effet le principe de la reacutefutation ou de la contradiction semble assez

simple agrave savoir laquo la marque du savoir est de toujours dire les mecircmes choses sur les

mecircmes sujets raquo de telle sorte que lorsquon ne dit pas la mecircme chose sur le mecircme

sujet on trahit agrave coup sucircr son ignorance Agrave la diffeacuterence de la logique classique qui

cherche la valeur vraie ou fausse dune veacuteriteacute la reacutefutation socratique ne cherche pas

vraiment la valeur vraie ou fausse dune veacuteriteacute car Socrate ne peut savoir si ce que

dit le reacutepondant est vrai ou faux puisquil preacutetend ecirctre ignorant sur le sujet en

question La seule chose quil sait est que la veacuteritable connaissance ne permet pas de

dire tantocirct une chose tantocirct une autre sur le mecircme sujet sinon elle nest quune

opinion et non une science Ainsi tout proceacutedeacute de reacutefutation socratique consiste agrave

faire dire la mecircme chose Le problegraveme est que le reacutepondant narrive pas agrave dire

toujours la mecircme chose

Alcibiade Mais par les dieux Socrate je ne sais plus ce que je dis mais il me semble avoir un comportement absolument eacutetrange Car quand tu minterroges tantocirct je crois dire une chose tantocirct une autre4

Ce proceacutedeacute qui consiste agrave faire dire la mecircme chose est souvent mal interpreacuteteacute comme

si Socrate cherchait agrave embecircter ses interlocuteurs pour leur faire dire des

contradictions (cest lavis de Meacutenon laquo Socrate tu ne fais rien dautre que

tembarrasser toi-mecircme et mettre les autres dans lembarras raquo5) ou agrave avoir le plaisir agrave

pratiquer la reacutefutation pour contredire son interlocuteur sur quelle que thegravese que ce

soit comme le pense Thrasymaque6

1 Cf Dorion Louis-Andreacute Socrate Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 55 ndash 662 Platon Paris Cerf 2017 p 1063 Cf Collobert Catherine laquo La rheacutetorique au cœur de lexamen reacutefutatif socratique le jeu des

eacutemotions dans le Gorgias raquo Phronesis 58 2013 pp 137 ndash 1384 Alcibiade 116 e Voir aussi Reacutepublique I 334 b ougrave Poleacutemarque dit agrave peu pregraves la mecircme chose5 Meacutenon 79 d ndash 80 a6 Voir Reacutepublique I 336 b ndash c

283

En effet ce proceacutedeacute de la reacutefutation socratique deacutepend dune part dune longue

pratique cest en ce sens quil ne peut ecirctre geacuteneacuteraliseacute dautre part dune reacutefexion

complexe et dune connaissance culturelle sur chaque sujet important La

connaissance cultuelle permet agrave Socrate de savoir agrave lavance agrave peu pregraves ce que

pourrait reacutepondre son interlocuteur sur la question poseacutee par exemple quand

Thrasymaque deacutefnit le juste comme linteacuterecirct du plus fort cela ne devrait pas

surprendre Socrate puisque laquo il est connu depuis longtemps que le plus faible se

trouve sous la domination du plus fort raquo1 Quant agrave la reacutefexion complexe lagrave aussi il

sagit dune longue pratique de la penseacutee ce nest pas certainement par un coup du

hasard que la notion de la fonction propre (ἔργον) comme un principe fondamental

de la justice vient agrave lesprit de Socrate agrave la fn du livre I de la Reacutepublique De mecircme

pour le principe de la connaissance vraie dire toujours la mecircme chose sur le mecircme

sujet cela eacutetant agrave la peacuteriode reacutefutative ou aporeacutetique Socrate reacutefeacutechissait deacutejagrave agrave ce

quest la nature de la connaissance vraie universelle et immuable car seule cette

nature immuable et universelle permet agrave une connaissance de dire toujours la mecircme

chose sur le mecircme sujet

VI212 Fonction dialectique

Nous avons dit que les mythes platoniciens ont une fonction dialectique en raison du

fait que leur partie interpreacutetative est dialectiquement accessible Nous examinons ici

la reacutefutation pour savoir sous quel rapport elle a une fonction dialectique Le

substantif ἔλεγχος et le verbe ἐλέγχεσθαι sont relativement bien preacutesents dans le

corpus platonicien voici le tableau

Dialogues de jeunesse

Apologie ἐλέγχειν (18 d) ἔλεγχον (39 c) ἐλέγχοντες (39 d) Hippias mineur ἐλέγχεις (363 a) Hippias majeur ἐλέγχειν (288 b) ἐλέγχειν (289 e) ἐλέγχοντος (304 d) Lachegraves ἐλέγχειν (189 b) Protagoras ἐλέγχεσθαι (331 c) ἐλέγχεσθαι (331 d) ἐλέγχοις (331 e) ἔλεγχός (344 b) Gorgias

ἐλέγχεσθαι (461 a) ἔλεγχέ (462 a) ἐλέγχου (462 a) ἔλεγχε (467 b) ἔλεγχε (470 c) ἐλέγχειν (470 d) ἐλέγχειν (471 e) ἐλέγχειν (471 e) ἐλέγχειν (471 e) ἔλεγχος (471 e) ἐλέγχου (472 c) ἐλέγχειν (473b) ἐλέγχεται (473 b) ἐλέγχειςmiddot (473 d) ἐλέγχου (473 e) ἐλέγχειν (473 e) ἔλεγχον (474 a) ἐλέγχου (474 a) ἔλεγχον (474 b) ἔλεγχος (475 e) ἔλεγχον (475 e) ἐλέγχων (486 c) ἐλέγχοντας (486 c) ἔλεγχε (504 c) ἐλέγχειν (506 a) Charmide ἐλέγχειν (166 c) ἐλέγχω (166 c) ἐλέγχειν (166 c) Meacutenon

ἐλέγχειν (75 d) Lysis ἐλέγχειν (211 b)

Dialogues de maturiteacute

Banquet ἔλεγχος (220 a) Pheacutedon ἐλέγχειν (85 c) Reacutepublique I ἐλέγχων (336 c) ἐλέγχῃ (337 e) ἐλέγχεις (349 a) VII ἐλέγχων (534 c) ἐλέγχειν (534 c) ἐλέγχων (538 d) ἐλέγχουσι (539 b) Phegravedre

1 Thucydide Histoire de la guerre du Peacuteloponnegravese laquo ἀλλ᾽ αἰεὶ καθεστῶτος τὸν ἥσσω ὑπὸ τοῦ δυνατωτέρου κατείργεσθαι raquo(I 76 2)

284

ἔλεγχόν (267 a) ἐλέγχειν (273 b) ἔλεγχόν (273 c) ἔλεγχον (278 c) Theacuteeacutetegravete ἐλέγχεσθαι (157 e) ἐλέγχειν (161 e) ἐλέγχεσθαι (162 a) ἐλέγχομαι (166 b)

Dialogues de vieillesse

Sophiste ἐλέγχων (230 d) ἔλεγχον (230 d) ἔλεγχος (231 b) ἐλέγχοντα (238 d) ἐλέγχειν (238 d) ἔλεγχον (239 b) ἔλεγχον (242 a) ἐλέγχειν (242 b) ἐλέγχωμεν (242 b) ἔλεγχον (242 b) ἐλέγχοντες (256 c) ἐλέγχοντα (259 c) ἔλεγχος (259 d) Philegravebe ἐλέγχῃ (14 e) ἐλέγχειν (15 a) ἐλέγχων (52 d) Critias ἐλέγχομεν (107 c) Lois I ἐλέγχων (648 b) III ἔλεγχος (702 b) V ἐλέγχων (727 d) X ἔλεγχον (891 a) XI ἐλέγχων (917 d) XII ἐλέγχοντες (963 b)

Les occurrences se concentrent sur deux dialogues agrave savoir le Gorgias [25] et le

Sophiste [13] La fonction premiegravere de la reacutefutation socratique est aporeacutetique elle

permet de contredire une thegravese soumettre une thegravese agrave leacutepreuve provoquer un

sentiment de honte cest le cas avec Hippias dans les deux Hippias avec Critias dans

le Charmide avec Calliclegraves dans le Gorgias et avec Thrasymaque dans le livre I de la

Reacutepublique La seconde est dialectique cest-agrave-dire quelle consiste agrave appreacutehender la

veacuteriteacute au moyen du dialogue cela eacutetant la reacutefutation socratique ne semble pas avoir

pour seul objectif de faire apparaicirctre lignorance des interlocuteurs mais aussi faire

comprendre et dire la reacutealiteacute veacuteritable (οὐσία) Lisons cette phrase connue du Gorgias

(472 c)

Tu sais il y a deux sortes de reacutefutations lune est celle que toi et beaucoup dautres tenez pour vraie lautre est celle que moi agrave mon tour je crois ecirctre vraie

Lune est la reacutefutation rheacutetorique laquo ce gens de reacutefutation na aucune valeur pour la

recherche de la veacuteriteacute raquo1

Mais sache que moi je ne suis pas daccord avec toi mecircme si je suis le seul agrave ne pas lecirctre En effet tu ne peux pas me forcer agrave ecirctre daccord Seulement avec tous les faux teacutemoignages que tu preacutesentes contre moi tu essaies de me deacuteposseacuteder de tout mon bien la veacuteriteacute (ἐκβάλλειν με ἐκ τῆς οὐσίας καὶ τοῦ ἀληθοῦς)2

Ici il est clair que la reacutealiteacute veacuteritable (ἡ οὐσία) et la veacuteriteacute (τὸ ἀληθές) sont

synonymes3 Un peu plus haut agrave la fn du paragraphe 471 e et au deacutebut du

1 Gorgias 471 e2 Ibid 472 b3 Beaucoup moins que lἀλήθεια ladjectif neutre substantiveacute est aussi tregraves freacutequent Banquet τοῦ ἀληθοῦς (212 a) τοῦ ἀληθοῦς (215 a) Cratyle τὸ ἀληθὲς (384 c) τοῦ ἀληθοῦς (385 c) τῷ ἀληθεῖ (397 d) τὸ ἀληθές (405 c) τῷ ἀληθεῖ (421 b) Gorgias τὸ ἀληθὲς (462 e) τοῦ ἀληθοῦς (472 b) τὸ ἀληθὲς (505 e) τὸ ἀληθὲς (522 b) Hippias majeur τὸ ἀληθὲς (287 e) τὸ ἀληθές (288 d) Lettre VII τὸ ἀληθὲς (343 c) Lois II τῷ ἀληθεῖ (668 a) V τοῦ ἀληθοῦς (732 a) VI τῷ ἀληθεῖ (783 a) VIIIτῶν ἀληθῶν (830 e) Parmeacutenide τὸ ἀληθές (136 c) τῷ ἀληθεῖ (136 e) Pheacutedon τὸ ἀληθές (66 b) τὸ ἀληθές (67 b) τὸ ἀληθὲς (84 a) τὸ ἀληθὲς (102 b) Phegravedre τῶν ἀληθῶν (248 c) τοῦ ἀληθοῦς (249 d) τὸ ἀληθὲς (259 e) τὸ ἀληθὲς (262 d) τῶν ἀληθῶν (267 a) τῷ ἀληθεῖ (272 e) τοῦ ἀληθοῦς (273d) τὸ ἀληθὲς (278 c) Philegravebe τοῖς ἀληθέσιν (39 a) τῶν ἀληθῶν (39 c) τοῦ ἀληθοῦς (58 d) τὸ ἀληθὲς (61 e) τῶν ἀληθῶν (62 d) Politique τὸ ἀληθές (300 d) Protagoras τὸ ἀληθὲς (356 e) τῷ ἀληθεῖ (356 e) Reacutepublique I τοῦ ἀληθοῦς (337 c) II τῷ ἀληθεῖ (382 d) VI τὸ ἀληθὲς (499 a) VII τὸ ἀληθὲς (515 c) τὰ ἀληθῆ (519 b) τοῖς ἀληθέσι (529 d) τὸ ἀληθές (533 a) τὸ ἀληθὲς (538 b) IX τοῦ ἀληθοῦς (586 c) X τοῦ ἀληθοῦς (598 b) Sophiste τὸ ἀληθὲς (236 a) Theacuteeacutetegravete τὸ ἀληθές (150

285

paragraphe 472 a Socrate utilise le substantif ἀλήθεια pour souligner quil dit

toujours la veacuteriteacute Agrave noter que lemploi ici de lοὐσία avec τὸ ἀληθές et ἡ ἀλήθεια

souligne que non seulement Socrate dit la veacuteriteacute cest-agrave-dire la reacutealiteacute mais la reacutealiteacute

veacuteritable et non la reacutealiteacute sensible Cest pourquoi le Gorgias nest pas un dialogue de

reacutefutation aporeacutetique puisque Socrate na jamais poseacute la question laquo quest-ce que la

rheacutetorique raquo1 mais un dialogue de reacutefutation dialectique une reacutefutation qui

consiste agrave exposer la diffeacuterence entre ce quest la rheacutetorique et ce quest son contraire

agrave savoir la dialectique2 la rheacutetorique fait croire ce quest une reacutealiteacute la dialectique

fait connaicirctre ce quest la veacuteriteacute

Tout cela admis on peut dire quil y a en effet trois sortes de reacutefutations 1 la

reacutefutation rheacutetorique fondeacutee sur la parole de toutes sortes de teacutemoins (pas

uniquement les teacutemoins citeacutes aux tribunaux mais aussi fctifs citeacutes dans un discours

non judiciaire) 2 la reacutefutation aporeacutetique qui consiste agrave faire apparaicirctre lignorance

aux ignorants eux-mecircmes dapregraves leurs propos discours 3 la reacutefutation dialectique

il sagit de faire apprendre agrave connaicirctre ce quest la veacuteriteacute des reacutealiteacutes veacuteritables (ἡ

ἀλήθεια τῶν ὄντων)

Σωκράτης

οὐκοῦν εἰ ἀεὶ ἡ ἀλήθεια ἡμῖν τῶν ὄντων ἐστὶν ἐν τῇ ψυχῇ ἀθάνατος ἂν ἡ ψυχὴ εἴη ὥστε θαρροῦντα χρὴ ὃ μὴ τυγχάνειςἐπιστάμενος νῦν mdash τοῦτο δ᾽ ἐστὶν ὃ μὴ μεμνημένος mdash ἐπιχειρεῖν ζητεῖν καὶ ἀναμιμνῄσκεσθαι3

Socrate

Donc si la veacuteriteacute des ecirctres est depuis toujours dans notre acircme lacircme doit ecirctre immortelle en sorte que ce que tu te trouves ne pas savoir maintenant cest-agrave-dire ce dont tu ne te souviens pas cest avec assurance que tu dois tefforcer de le chercher et de te le remeacutemorer

Bien que la reacuteminiscence ne soit pas encore apparue avant le Meacutenon le fait de la

reacuteminiscence est mentionneacute dans le Lachegraves qui est un exemple combinant les deux cas

2 et 3

Socrate Alors quest ce que le courage et la lacirccheteacute Voilagrave ce que je cherchais agrave savoir Essaie donc

b) τοῦ ἀληθοῦς (150 e) τὸ ἀληθὲς (158 d) Timeacutee τῶν ἀληθῶν (44 a)1 La fameuse formule laquo τί ἐστι raquo napparaicirct que 5 fois dans le Gorgias τί ἐστιν (447 c) τί ἐστιν (452 c) τί ἐστιν (452 d) τί ἐστιν (476 d) τί ἐστιν (505 e) mais il ne sagit pas de demander agrave linterlocuteur de Socrate de deacutefnir une reacutealiteacute comme le beau la pieacuteteacute le courage lamitieacute par exemple par ailleurs la formule laquo τί φῂς εἶναι raquo y est absente qui est utiliseacutee dans le Charmide (159 a)lEuthyphron (5 d) lHippias mineur (364 b) le Meacutenon (71 d 79 e) le Protagoras (359 d) et le livre I de la Reacutepublique (331 e 336 c)

2 Ladjectif διαλεκτιός (ή όν) est absent dans le dialogue mais on trouve 14 occurrences avec leverbe διαλέγεσθαι (448 d) διαλεγόμεθα (449 b) διαλέγεται (453 b) διαλέγεσθαι (457 c) διαλεγώμεθα (458 b) διαλεγώμεθα (458 c) διαλέγεσθαι (458 d) διαλέγου (458 e) διαλέγεσθαι (461 a) διαλέγεσθαι (471 d) διαλέγομαι (474 b) διαλέγεσθαι (485 b) διαλεγομένου (485 b) διαλεγόμεθα (517 c)

3 Meacutenon 86 a ndash b

286

agrave nouveau de dire en commenccedilant par le courage en quoi il demeure identique dans tous les cas Ou bien ne sais-tu pas encore ce que je veux dire

Lachegraves Non pas tregraves bien1

Socrate lui a montreacute un exemple concret dune deacutefnition qui doit satisfaire agrave

lexigence demandeacutee agrave savoir laquo demeurer identique dans tous les cas raquo la vitesse est

deacutefnie comme la capaciteacute de faire plusieurs choses en mecircme temps2 Cest comme

cela que Nicias parvient agrave donner une deacutefnition correcte du courage

Nicias Jaffrme Lachegraves que le courage est la connaissance (ἐπιστήμην) de ce qui inspire lacrainte ou la confance que ce soit agrave la guerre ou en toutes autres circonstances3

En effet le fait de parvenir agrave donner une deacutefnition demeurant valable dans tous les

cas au moyen du dialogue relegraveve deacutejagrave de la dialectique car cette connaissance (la

deacutefnition du courage donneacutee par Nicias) est universelle et immuable4

VI22 Laspect politique

Ne pas croire aux dieux de la citeacute introduire de nouvelles diviniteacutes (contre les dieux

de la citeacute) et corrompre la jeunesse (qui est lavenir de la citeacute) sont trois chefs

daccusation intenteacutes contre Socrate On voit bien que le motif politique est explicite

puisque lenjeu dans laccusation cest la citeacute5 Or lorigine de laccusation se trouve

dans le fait que Socrate pratique la reacutefutation

Cest preacuteciseacutement cette enquecircte Atheacuteniens qui ma valu des inimitieacutes si nombreuses quipreacutesentaient une virulence et une graviteacute dune telle importance quelles ont susciteacute maintes calomnies et mont valu de me voir attribuer ce nom celui de laquo savant raquo6

Cette enquecircte commence par reacutefuter loracle de Delphes

Jallai trouver un de ceux qui passent pour ecirctre des savants en pensant que lagrave plus que partout je pourrais reacutefuter (ἐλέγξων) la reacuteponse oraculaire et faire savoir agrave oracle laquo Cet individu-lagrave est plus savant que moi alors que toi tu as deacuteclareacute que cest moi qui leacutetait raquo7

1 Lachegraves 191 e2 Ibid 192 a ndash b3 Ibid 194 e ndash 195 a4 Agrave propos de la reacutefutation et la dialectique cf Dorion Louis-Andreacute laquo Elenchos dialectique et

elenchos rheacutetorique dans la deacutefense de Socrate raquo Antiquorum philosophia 1 2007 pp 75 ndash 90 et Dixsaut Monique laquo Reacutefutation et dialectique raquo Agonistes Essays in honour of Denis OBrien Dublin Ashgate John Dillon (Ed) 2005 pp 53 ndash 74

5 Dans le procegraves intenteacute contre Socrate il y a trois accusateurs pour une seule plainte agrave savoir Meacuteleacutetos Anytos et Lycon Cela correspond agrave une accusation publique pour deacutefendre linteacuterecirctgeacuteneacuteral il sagit dont dune accusation au motif politique laquo La tradition a attribueacute agrave Solon une reacuteforme fondamentale deacutesormais tout citoyen pouvait introduire une affaire en justice agrave la place de la personne leacuteseacutee Cependant la nouvelle regravegle ne sappliquait pas agrave toutes les causes maisseulement lorsque la victime eacutetait pour une raison ou pour une autre empecirccheacutee dobtenir elle-mecircme justice ou bien lorsque cest la communauteacute dans son ensemble qui se trouvait leacuteseacutee raquo (Hansen Mogens-Herman La deacutemocratie atheacutenienne Paris Tallandier Texto 2009 p 227 Nous soulignons)

6 Apologie 22 e ndash 23 a7 Ibid 21 b ndash c

287

Les reacutefutations que Socrate avait fait subir dabord aux hommes politiques ensuite

aux poegravetes et fnalement aux artisans1 ont ainsi un sens politique eacutevident la

reacutefutation socratique a pour fnaliteacute morale de rendre plus justes la citeacute et les

citoyens sa face positive est opposeacute agrave sa face neacutegative agrave savoir au fait que les

reacutefutations ont valu agrave Socrate des inimiteacutes si nombreuses ayant susciteacute par

conseacutequent maintes calomnies2

VI221 La reacutefutation et la persuasion

La persuasion est lune des caracteacuteristiques essentielles de la deacutemocratie atheacutenienne

peut-ecirctre mecircme la plus originale en raison du fait quelle donne naissance au meacutetier

de sophiste maicirctre de la rheacutetorique qui produit la persuasion3 En effet la persuasion

est une question de temps car au Conseil agrave lAssembleacutee et aux tribunaux le temps

de la parole est limiteacute cest la raison pour laquelle la rheacutetorique eacutetait prospegravere Dans

lApologie le temps de la parole devient mecircme un enjeu deacuteterminant de la

condamnation agrave mort de Socrate

En bien il faut bien Atheacuteniens que je me deacutefende et que je tente de deacutetruire en vous la calomnie qui y est enracineacutee depuis longtemps et je nai pour ce faire que si peu de temps (ἐν οὕτως ὀλίγῳ χρόνῳ) 4

Aussi serais-je eacutetonneacute comme je le disais en commenccedilant si je parvenais agrave deacutetruire chez vous en un laps de temps aussi court (ἐν οὕτως ὀλίγῳ χρόνῳ) une calomnie qui a pris tant dampleur5

Eh bien je pense en ce qui me concerne que si chez vous comme cest le cas ailleurs la loi voulait que soient consacreacutes agrave juger une affaire impliquant la peine de mort non pas un jour mais plusieurs je serais arriveacute agrave vous convaincre Mais en fait il nest pas facileen si peu de temps (ἐν χρόνῳ ὀλίγῳ) de me laver de calomnies si graves6

Au tout deacutebut du troisiegraveme discours adresseacute agrave ceux qui ont voteacute pour acquitter

Socrate il eacutevoque une derniegravere fois la question du temps7 Dans ce si court discours

quest lApologie Socrate eacutevoque six fois le terme laquo si peu de temps raquo cela signife 1

une critique des institutions car une vie se jouant entre une heure et trois heures 8

cest une neacutegligence institutionnelle eacutevidente 2 le recours ineacutevitable agrave la rheacutetorique

1 Voir ibid 21 c ndash 22 d2 Voir Ibid 22 e ndash 23 a3 Voir Gorgias 453 a4 Apologie 18 e ndash 19 a5 Ibid 24 a Socrate reprendra les mecircmes termes en 32 a (ὀλίγον χρὀνον) et en 37 a (ὀλίγον γὰρχρὀνον)

6 Ibid 37 a ndash b7 Voir Ibid 38 c8 Certes une affaire publique dure une journeacutee mais le deacutefenseur na tout au plus que trois heures

pour se deacutefendre Cf La deacutemocratie Atheacutenienne p 235

288

aux tribunaux parce que dans les tribunaux agrave lAssembleacutee ou au Conseil1 la

contrainte importante du temps de parole favorise ineacutevitablement le deacuteveloppement

de la rheacutetorique Cela eacutetant leffcaciteacute de persuasion devient une effcaciteacute politique

De mecircme pour la reacutefutation socratique qui elle aussi subit la contrainte du temps

reacutefutatif puisque dans un dialogue le reacutefuteacute na pas la patience de se faire honte

publiquement de lagrave que la question de la persuasion se pose comment persuader

effcacement sans avoir recours agrave la rheacutetorique dans une reacutefutation La fn du

Protagoras semble montrer que la reacutefutation socratique na pas reacuteussi agrave persuader le

sophiste puisque ce dernier prend congeacute de Socrate avant de sen aller de mecircme

pour Thrasymaque dans le livre I de la Reacutepublique

VI222 La reacutefutation contre lennemi interne de la citeacute

La fnaliteacute politique de la reacutefutation consiste agrave dissiper lignorance qui est la plus

grande ennemie interne de la citeacute L e Criton est un exemple illustratif Criton ami

denfance de Socrate propose agrave Socrate de seacutevader de la prison Voici les trois

arguments de Criton 1 Luniteacute de soi-mecircme laquo Jestime que ce que tu entreprends

de faire nest mecircme pas conforme agrave la justice quand tu te trahis toi-mecircme raquo (45 c) 2

Luniteacute de la famille laquo Jestime encore que ce sont tes propres fls que tu trahis eux

que en partant tu abandonnes alors que tu pourrais les eacutelever et assurer leur

eacuteducation jusquau bout raquo (45 c ndash d) 3Luniteacute de la citeacute laquo Or tu me donnes

limpression toi de choisir le parti qui donne le moins de peine tandis que le parti

quil faut prendre cest le parti que prendrait un homme de bien et un homme

courageux surtout lorsquon fait profession de navoir souci dans sa vie que de la

vertu raquo (45 d) la vertu est luniteacute de lacircme et de la citeacute cest gracircce agrave la vertu que les

trois fonctions de lacircme peuvent sharmoniser de mecircme cest gracircce agrave la vertu que les

trois groupes fonctionnels de la citeacute peuvent sentendre harmonieusement

Justement cest pour sauvegarder ces trois uniteacutes que Socrate refuse de seacutevader

Dabord luniteacute de soi-mecircme La premiegravere fois Socrate courrait des risques de la mort

en votant seul contre la proceacutedure illeacutegale qui consistait agrave juger en bloc les dix

strategraveges de bataille aux icircles Arginuses en 406 av J-C2 La seconde fois il courrait des

risques encore plus grands en deacutesobeacuteissant aux Trente pour proteacuteger Salamine Leacuteon

de la mort3 La troisiegraveme fois il preacutefegravere la mort agrave la vie sil ne peut plus philosopher

1 Voir aussi Gorgias 455 a Les Lois VI 766 e2 Voir Apologie 32 b mais aussi laquo Notes raquo ndeg 202 p 1503 Voir Ibid 32 c ndash d mais aussi laquo Notes raquo ndeg 210 p 151

289

lorsquune peine de substitution ne lui permet pas de continuer agrave soumettre les gens

agrave examen1 La quatriegraveme fois Socrate choisit daffronter la mort plutocirct que de

commettre linjustice en seacutevadant de prison On voit bien que luniteacute de Socrate est

toujours la mecircme laquo limportance nest pas de vivre mais de vivre dans le bien raquo

cest-agrave-dire dans la vertu2

Voici les propos concernant luniteacute de la famille et de la citeacute

[LOIS] Allons donc que nous reproches-tu agrave nous et agrave la citeacute pour entreprendre de nous deacutetruire Nest-ce pas agrave nous en premier lieu que tu dois ta naissance nest-ce pas nous qui avons marieacute ta megravere et ton pegravere et leur avons permis de tengendrer Dis-nous donc si tu blacircmes celles dentre nous qui regraveglent les mariages Les tiens-tu pour mal faites raquo laquo Et aux lois qui regraveglent les soins de lenfant venu au monde et son eacuteducation cette eacuteducation qui fut la tienne agrave toi aussi Eacutetaient-elles mauvaises les lois qui sy rapportent elles qui prescrivaient agrave ton pegravere de faire de la gymnastique et de la musique la base de ton eacuteducation 3

[LOIS] Allons Socrate fais nous confance agrave nous les Lois qui tavons eacuteleveacute ne mets ni tes enfants ni ta vie ni quoi que ce soit dautre au-dessus de la justice afn de pouvoir agrave ton arriveacutee dans lHadegraves alleacuteguer tout cela pour ta deacutefense devant ceux qui lagrave-bas gouvernent4

La reacutefutation socratique dans le Criton consiste agrave monter que luniteacute de lacircme de la

famille et de la citeacute est la mecircme agrave savoir la vertu puisque laquo la vertu et la justice sont

ce quil y a de plus estimable pour lhomme et quil en va de mecircme pour les

coutumes (νόμομα) et pour les lois raquo5 En effet lhomme est caracteacuteriseacute par son acircme

une bonne ou mauvaise habitude commence agrave la maison dans une famille et les lois

sont leacutegifeacutereacutees par la citeacute Ainsi nous pouvons eacutetablir le tableau suivant

vertus acircme famille citeacute

justice+modeacuteration fonction deacutesirante enfants producteurs

justice+modeacuteration+courage fonction Ardente megravere guerriers

justice+modeacuteration+courage+sagesse fonction pensante pegravere philosophes

En dautres termes ce sont donc les mecircmes vertus qui doivent ecirctre mises en œuvre

dans la citeacute dans la famille et dans lacircme individuelle6

1 Voir le second discours de Socrate dans lApologie (35 e ndash 38 b)2 Criton 38 b3 Ibid 50 d4 Ibid 54 b5 Ibid 54 c6 Cf laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute Aspect eacutethique politique et ontologique de

la critique de Platon raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon 1 Paris Vrin Sous la direction de Monique Dixsaut 2005 pp 25 ndash 41 Nous ajoutons la colonne laquo famille raquo

290

VI23 Laspect eacutethique

Rendre lacircme meilleure est la fnaliteacute morale de la reacutefutation cest pourquoi son effet

eacutethique prime sur la validiteacute de son argumentation logique1 laquo Si lon considegravere la

morale comme un systegraveme de conduites admises et encourageacutees dans une socieacuteteacute on

peut deacutefnir leacutethique comme leacutevaluation rationnelle de la morale raquo2 Si la question

eacutethique se pose quotidiennement cest parce quon vit dans une socieacuteteacute ougrave la relation

entre soi-mecircme et les autres se manifeste constamment Ainsi leacutethique qui est

leacutevaluation de la morale consiste en effet agrave eacutevaluer rationnellement soi-mecircme les

autres et les reacutealiteacutes

VI231 Soi-mecircme et lautre

Soi-mecircme cest lacircme Or lacircme est structuralement tri-fonctionnelle agrave savoir

intellective Ardente et deacutesirante une telle structure fonctionnelle suppose que lacircme

peut ecirctre agrave la fois le mecircme et lautre ou encore jamais le mecircme mais toujours lautre

En effet 1 le mecircme de lacircme deacutesigne la fonction intellective qui a pour

fonctionnaliteacute de contempler et saisir ce qui est cest-agrave-dire ce qui est toujours le

mecircme en soi par soi Cest gracircce agrave cette fonction que non seulement lacircme peut rester

toujours elle-mecircme en elle-mecircme mais aussi et surtout toutes les acircmes qui vivent de

cette maniegravere sont les mecircmes identiquement divines En fait ecirctre juste cest ecirctre

toujours juste de la mecircme maniegravere dailleurs les justes sont toujours justes de la

mecircme maniegravere dans la mecircme situation tel le savant qui affrme toujours la mecircme

chose sur le mecircme sujet et de mecircme pour les autres vertus Cela eacutetant le fait decirctre

toujours soi-mecircme cest-agrave-dire le mecircme est aussi bien eacutethique (question deacutevaluation

des regravegles de conduite) queacutepisteacutemologique (question de connaissances) et

ontologique (question de reacutealiteacutes) 2 Lautre signife ce qui devient il deacutesigne en

effet les deux fonctions infeacuterieures de lacircme agrave savoir Ardente et deacutesirante qui

animent conjointement le corps lequel devient sans cesse 3 Lorsque la fonction

intellective fonctionne mal ou pas du tout lacircme est commandeacutee par les deacutesirs et les

plaisirs par les autres pour ainsi dire 4 Pour que lacircme reste toujours elle-mecircme en

elle-mecircme la fonction intellective doit dune part contempler constamment les

reacutealiteacutes universelles et immuables dautre part commander aux deacutesirs et aux plaisirs

cest-agrave-dire aux reacutealiteacutes particuliegraveres et changeantes

1 Cf Brisson Luc laquo Une reacutefutation contagieuse Banquet (199 c ndash 201 c et 201 e ndash 203 a) raquo Antiquorum philosophia 2007 V1 pp 91 ndash 97

2 Brisson Luc laquo Platon raquo Histoire de la philosophie Paris Seuil sous la direction de J-F Pradeau Paris 2009 p40

291

VI232 Soumettre soi-mecircme agrave examen

Si la reacutefutation est une forme de dialogue agrave caractegravere aporeacutetique avec lautre

comment lacircme procegravede-t-elle agrave la question-reacuteponse avec elle-mecircme de maniegravere

critique Peut-elle se reacutefuter elle-mecircme comme un autre

Il sagit en effet dun dialogue entre la fonction intellective et la fonction deacutesirante de

lacircme Notons que la fonction Ardente est double si lacircme est domineacutee par lintellect

dans ce cas-lagrave lardeur se trouve du cocircteacute de la raison par contre si elle est domineacutee

par la fonction deacutesirante cest-agrave-dire par la sensation qui est agrave la fois une faculteacute de

sentir des reacutealiteacutes sensibles et ce qui est senti dans ces conditions lardeur se trouve

du cocircteacute de lopinion dougrave le qualifcatif laquo auxiliaire raquo pour deacutesigner le statut de la

fonction Ardente De ces deux fonctions nous pouvons lister une seacuterie de termes qui

sopposent Voici les cinq oppositions que nous choisissons

fonction intellective εἶδος νοῦς νόησις διάνοια λογιστικόν

fonction deacutesirante αἴσθητόν ἡδονή αἴσθησις δόξα ἐπιθυμία

Sur la ligne de la fonction intellective nous trouvons les Formes lintellect

lintellection la penseacutee et la rationaliteacute agrave lopposeacute sur la ligne de la fonction

deacutesirante le sensible le plaisir la sensation lopinion et le deacutesir En dautres termes

verticalement les cinq oppositions (cinq colonnes dans le tableau) sont synonymes

εἶδος αἴσθητόν νοῦς ἡδονή νόησις αἴσθησις διάνοια δόξα λογιστικόν

ἐπιθυμία horizontalement les cinq termes synonymes sur chacune de deux lignes

sont diffeacuterents leacutegegraverement sans la reacutealiteacute intelligible (εἶδος) lintellect (νοῦς) na pas

de sens et par conseacutequent il ne peut y avoir dintellection (νόησις) de mecircme sans

la reacutealiteacute sensible (αἴσθητόν) aucune sensation nest possible et par conseacutequent il

ne peut y avoir de deacutesir et de plaisir Voici un exemple pour montrer comment une

acircme humaine peut dialoguer avec elle-mecircme

Socrate Ainsi si nous ne pouvons nous servir dune unique nature afn de capturer le bien employons-en trois agrave la fois la beauteacute la proportion et la veacuteriteacute Et disons quil est on ne peut plus juste de reconnaicirctre agrave cette sorte duniteacute decirctre la cause de ce qui se trouve dans le meacutelange puisque cest sa bonteacute qui est la cause de celle du meacutelange

Protarque Cest on ne peut plus juste

Socrate Alors Protarque nimporte qui serait deacutesormais agrave mecircme de juger lequel du plaisir et de la reacutefexion est le plus apparenteacute au bien le meilleur et lequel est le plus estimeacute parmi les hommes comme parmi les dieux

Protarque Cest eacutevident mais il serait toutefois preacutefeacuterable de le deacutemonter entiegraverement

Socrate Examinons alors chacune des ideacutees selon le rapport quelle entretient avec le plaisir (τὴν

292

ἡδονήν) et lintellect (τόν νοῦς) puisquil nous faut voir auquel des deux il faut davantage apparenter chacune dentre elles

Protarque Tu veux parler de la beauteacute de la veacuteriteacute et de la mesure (μετριότητος)

Socrate Oui Prends donc dabord la veacuteriteacute Protarque et layant saisie observe ces trois termes lintellect la veacuteriteacute et le plaisir Prends longtemps pour y reacutefeacutechir et reacuteponds-toi agrave toi-mecircme lequel du plaisir ou de lintellect est le plus apparenteacute agrave la veacuteriteacute 1

Dun cocircteacute on a lintellect mdash la faculteacute de saisir lintelligible de lautre cocircteacute le plaisir

mdash la faculteacute de sentir le sensible au milieu il y a le meacutelange Comme dans la

reacutefutation se reacutefuter cest dabord se dire quelque chose sur certaines reacutealiteacute quon

connaicirct puis se poser certaines questions et essayer de se reacutepondre en cherchant la

cause en classant les choses Si lintelligible est la cause de tous les biens est-ce que le

sensible est la cause de tous les maux Si lintellect est un bien absolu est-ce que le

plaisir est un mal absolu

VI233 Soumettre les autres agrave examen

Les autres sont les opinions Ce passage du Pheacutedon deacutecrit la nature de lopinion mecircme

si le terme laquo opinion raquo napparaicirct pas

Socrate Donc les choses qui toujours sont mecircmes quelles-mecircmes et semblables agrave elles-mecircmes ilest plus que probable que ce sont les choses non composeacutees Alors que celles qui sont tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre et qui jamais ne sont mecircmes quelles-mecircmes celles-lagrave sont composeacutees 2

Les choses qui ne sont jamais mecircmes quelles-mecircmes sont des opinions Cest la

raison pour laquelle dans une reacutefutation la question porte toujours sur ce quest une

chose elle-mecircme dougrave la fameuse formule laquo τί ἐστι raquo par exemple laquo τί ἐστι τὸ

καλόν raquo (laquo quest-ce que le beau raquo) La liste suivante (non exhaustive) montre que

cette fameuse formule semploie principalement dans un contexte de reacutefutation et

tregraves majoritairement dans les premiers dialogues (72 sur la totaliteacute de 109

occurrences)3

Alcibiade [7] τίς ἐστιν (109 d) τίς ἐστιν (109 d) τί ἐστιν (116 e) τί ἐστιν (126 a) τίς ἐστι (126 d) τί ἐστιν (127 e) τί ἐστι (130 c)

Apologie [6] τίς ἐστιν (19 c) τί ἐστι (20 c) [20δ] ἐστιν (20 d) τίς ἐστιν (20 e) τίς ἐστι (23 d) τίς ἐστιν (24 d)

Banquet [4] τί ἐστιν (188 c) τίς ἐστιν (199 c) τίς ἐστιν (201 e) τί ἐστι (217 c) Charmide [5] τίς ἐστιν (160 a) τί ἐστιν (161 e) τί ἐστιν (161 e) τί ἐστιν (165 c) τί ἐστιν (165 e) Cratyle [6] τίς ἐστιν (387 c) τί ἐστι (388 a) τί ἐστιν (388 b) τίς ἐστιν (415 c) τί ἐστιν (439 d) τί ἐστιν

(440 a)

1 Philegravebe 65 a ndash b2 Pheacutedon 78 c 3 Notons que laquo τί ἐστι raquo ne signife pas toujours la fameuse formule laquo quest-ce que x raquo cest bien le

cas par exemple dans le Lysis et le Protagoras

293

Criton [1] τίς ἐστιν (47 d) Euthydegraveme [5] τίς ἐστιν (272 d) τί ἐστι (273 d) τίς ἐστι (277 d) τί ἐστιν (281 a) τί ἐστι (285 d) Euthyphron [5] τίς ἐστιν (8 d) τί ἐστιν (10 a) τί ἐστιν (10 c) τί ἐστιν (11 b) τί ἐστι (15 c) Gorgias [10] τί ἐστιν (447 c) [451b] ἐστιν (451 b) τί ἐστιν (452 c) τί ἐστιν (452 d) τίς ἐστιν (453 c) τί

ἐστιν (476 d) τίς ἐστιν (502 c) τίς ἐστιν (503 b) τίς ἐστιν (503 b) τί ἐστιν (505 e) Hippias majeur [10] τί ἐστι (286 d) τί ἐστι (287 d) τί ἐστι (287 d) ὅτι ἐστι (287 e) τί ἐστιν (288 a) τί

ἐστι (289 c) τί ἐστι (289 d) τίς ἐστιν (290 e) τίς ἐστιν (290 e) τί ἐστι (294 c) Hippias mineur [4] τί ἐστιν (366 a) τί ἐστι (373 d) τίς ἐστιν (375 d) τίς ἐστιν (376 b) Ion [1] τίς ἐστι (532 e) Lachegraves [3] τί ἐστι (180 c) τί ἐστιν (190 c) τί ἐστιν (190 e) Lois III [1] τίς ἐστιν (696 b) Lysis [1] τί ἐστιν (216 e) Meacutenon [11] τί ἐστιν (71 b) τί ἐστιν (73 e) τί ἐστιν (75 b) τί ἐστιν (77 a) τί ἐστιν (79 c) τί ἐστιν (85 a)

τί ἐστιν (85 a) τί ἐστιν (86 e) τί ἐστιν (87 b) τί ἐστιν (87 d) τί ἐστιν (88 c) Parmeacutenide [1] τί ἐστιν (151 e) Pheacutedon [6] τί ἐστιν (58 a) τί ἐστιν (63 d) τίς ἐστι (73 e) τί ἐστιν (95 c) τί ἐστι (99 b) τί ἐστιν (100 c) Phegravedre [1] τίς ἐστι (229 c) Politique [1] τίς ἐστι (282 a) Protagoras [3] τί ἐστιν (329 c) τί ἐστιν (330 c) τί ἐστιν (334 b) Reacutepublique I [1] τίς ἐστιν (328 e) II [1] τί ἐστιν (369 a) IV [2] τίς ἐστιν (428 b) τί ἐστιν (442 d) VI [1]

τί ἐστιν (504 e) VII [1] τί ἐστι (538 d) IX [1] τίς ἐστιν (571 a) X [2] τί ἐστιν (602 c) τί ἐστιν (602 c)

Sophiste [1] τίς ἐστιν (265 b) Theacuteeacutetegravete [6] τί ἐστιν (147 b) τί ἐστιν (147 b) τί ἐστιν (151 e) τί ἐστιν (160 d) τί ἐστι (203 a) τί ἐστιν

(210 a)

Timeacutee [1] τίς ἐστιν (21 e)

La vraie diffculteacute de la reacutefutation consiste agrave construire de maniegravere impreacutevisible un

dialogue pour faire apparaicirctre la veacuteriteacute laquo impreacutevisible raquo puisque dans un dialogue

chaque reacuteponse de linterlocuteur est impreacutevisible laquo construire raquo parce que

limpreacutevisible peut conduire un dialogue dans tous les sens En effet pour celui qui

interroge il ne se permettrait pas de douter de la premiegravere reacuteponse agrave la question laquo τί

ἐστι raquo car Socrate ne peut savoir a priori quel est le sens exact que le reacutepondant

pourrait accorder agrave sa reacuteponse Supposons que cette premiegravere reacuteponse dise la veacuteriteacute

dans ce cas-lagrave elle est neacutecessairement universelle et immuable et non tantocirct une

chose tantocirct une autre Mais avant dentrer dans la reacutefutation il y a deux regravegles pour

celui qui interroge 1 dans le cas ougrave le reacutepondant a mal compris la question il est

neacutecessaire de lui faire comprendre le sens mecircme de la question cest le cas dans

lHippias majeur ougrave le sophiste a compris la question laquo ce quest le beau raquo comme laquo ce

qui est beau raquo1 2 Dans le cas ougrave le reacutepondant ne sait pas formuler une deacutefnition

demandeacute par Socrate il est neacutecessaire de lui montrer quelle est la bonne forme de la

deacutefnition Cest le cas aussi dans le Theacuteeacutetegravete ougrave Socrate montre agrave jeune Theacuteeacutetegravete

1 Hippias majeur 287 d

294

comment formuler une deacutefnition en question

Socrate Pour celui agrave qui lon demande laquo La science quest-ce que cest raquo la reacuteponse est par conseacutequent ridicule quand il donne en reacuteponse le nom de tel ou tel meacutetier Car il reacutepond laquo science de quelque chose raquo alors que ce nest pas ce quon lui demande

Theacuteeacutetegravete Cela en a lair

Socrate Ensuite un autre point alors quil lui est permis de reacutepondre agrave peu de frais et briegravevement il parcourt une route sans fn Par exemple dans la question justement de la glaise cela ne coucirctait vraiment rien et ne precirctait pas agrave eacutequivoque de dire que la glaise cest en tout cas de la terre peacutetrie avec un liquide et la glaise de qui laisser cela dans levague1

On peut constater que montrer un exemple pour donner une deacutefnition dune chose

sensible de maniegravere aussi originale pertinente banale bregraveve preacutecise et claire nest

pas toujours chose facile et cela peut ecirctre consideacutereacute comme une regravegle de dialogue Agrave

partir du moment ougrave le reacutepondant a bien compris le sens de la question et la bonne

formule dune deacutefnition la vraie diffculteacute de la reacutefutation commence En effet

jusquici ce que nous avons dit sur la reacutefutation tient plutocirct de principes ou de

regravegles mais une fois entreacute dans des deacutetails de reacuteponses les choses sont diffciles agrave

geacuteneacuteraliser La seule chose qui guide le deacuteroulement cest la fnaliteacute morale et non la

techniciteacute Or comment guider une acircme vers cette fnaliteacute alors quelle peut reacutepondre

agrave toute question de maniegravere irreacuteguliegravere inattendue Prenons un simple exemple

Socrate Voyons donc Tu meacutedites donc comme je laffrme daller prochainement donner des conseils aux Atheacuteniens Si donc au moment ougrave tu es precirct agrave monter agrave la tribune je tarrecircte pour te dire agrave quel sujet quand les Atheacuteniens deacutecident de deacutelibeacuterer te legraveves-tu pour les conseiller Nest-ce pas lorsque tu ty connais mieux queux sur le sujet Que me reacutepondrais-tu

Alcibiade Je dirais eacutevidement que sur ce sujet je my connais mieux queux2

Dans la reacuteplique de Socrate il y a trois questions 1 agrave quel sujet Alcibiade

donnerait-il les conseils agrave la deacutelibeacuteration 2 quel niveau de connaissance du sujet

quil avait 3 par rapport agrave qui avait-il cette compeacutetence Logiquement Alcibiade

devrait reacutepondre dabord agrave la premiegravere question Eh bien non Dans ce cas-lagrave Socrate

devrait insister pour savoir quel est le sujet sur lequel Alcibiade sy connaicirct mieux

que les Atheacuteniens et pourtant Socrate sinteacuteresse agrave autre chose

Socrate Cest donc au sujet des choses que tu connais que tu es de bon conseil

Alcibiade Comment nen serait-il pas ainsi

Socrate Ces choses les connais-tu uniquement par dautres ou les as-tu deacutecouvertes (ἐξηῦρες)

1 Theacuteeacutetegravete 147 b ndash c Voir aussi Lachegraves 192 a ndash b agrave propos dune deacutefnition de la vitesse Meacutenon 76 a agrave propos dune deacutefnition de la fgure 76 d agrave propos dune deacutefnition de la couleur

2 Alcibiade 106 c ndash d

295

par toi-mecircme

Alcibiade Que pourrais-je connaicirctre dautre 1

Cest une autre faccedilon dinterroger sur le sujet en question Par son arrogance et son

ignorance Alcibiade ne se permet pas daffrmer quil les connaicirct par dautres mais

par lui-mecircme Cest ce point qui semble ecirctre le fl conducteur de la reacutefutation meneacutee

par Socrate Supposons que ce quaffrme Alcibiade est vrai cest-agrave-dire quil a

deacutecouvert par lui-mecircme ce que sont les choses importantes concernant la citeacute cela

signife quil se connaicirct lui-mecircme puisquil sait distinguer entre ce qui est agrave lui et ce

qui est aux autres Cest pourquoi le dialogue se conduit progressivement vers le

preacutecepte laquo connais-toi toi-mecircme raquo (129 a 130 e) Connaicirctre une chose cest connaicirctre

lexcellence de cette chose Se connaicirctre soi-mecircme cest connaicirctre la vertu puisquelle

est lexcellence de lacircme Cest la raison pour laquelle apregraves le preacutecepte delphique le

dialogue se tourne vers la question de lacircme avant de sinteacuteresser agrave la justice et la

tempeacuterance et sachegraveve apregraves cette phrase dAlcibiade laquo La chose est entendue je

vais degraves agrave preacutesent commencer agrave prendre soin de la justice raquo2 Lhistoire dAlcibiade3

confrmera la derniegravere phrase de lAlcibiade

Socrate Et jaimerais ty voir preacuteserver Ce nest pas que je me meacutefe de ta nature mais je vois la puissance de notre citeacute et je redoute quelle ne lemporte sur moi comme sur toi4

LAlcibiade semble montrer que la fnaliteacute morale de la reacutefutation est parfois

impuissante face agrave une certaine ignorance puissante En effet tant quon ne cherche

pas et ni napprend pas spontaneacutement on ne sort pas de lignorance Ainsi la

question se pose comment amener les ignorants agrave chercher et agrave apprendre

spontaneacutement Cest la tacircche de la dialectique

VI3 Principes dialectiques

Comment connaicirctre agrave travers le dialogue ce qui est Telle est la premiegravere question

de la dialectique Mais avant de reacutepondre longuement agrave cette question nous

essayons de reacutepondre dabord agrave la question suivante quelle est preacuteciseacutement la limite

1 Ibid 106 d2 Ibid 135 e3 laquo La vie dAlcibiade aura pris la forme tregraves tocirct dune biographie de la chute dAthegravenes de son

heacutegeacutemonie et de son ambition sans eacutegale mais aussi et en mecircme temps pour les historiens de sa grandeur hors du commun raquo (Alcibiade laquo Introduction raquo p 16 pp 15 ndash 19 laquo Alcibiade raquo) Cf Hatzfeld Jean Alcibiade Eacutetudes sur lhistoire dAthegravenes agrave la fn du Ve siegravecle Paris PUF 1951 Brisson Luc laquo Alcibiade raquo Dictionnaire des philosophes antiques I Paris Eacuted CNRS Sous la direction de R Goulet 1989 pp 100 ndash 101 Cf aussi Hatzfeld Jean Alcibiade Eacutetudes sur lhistoire dAthegravenes agrave la fn du Ve siegravecle Paris PUF 1951

4 Alcibiade 135 e

296

de la reacutefutation En dautres termes dougrave vient la dialectique

VI31 Limites de la reacutefutation

Il y a principalement trois types de personnages dont les opinions font lobjet dune

reacutefutation agrave savoir 1 les sophistes qui repreacutesentent les hommes politiques 2 les

jeunes gens qui repreacutesentent dans un sens les poegravetes puisquils sont eacuteduqueacutes par les

poegravemes et 3 les hommes dexpeacuterience (les artisans les geacuteneacuteraux mecircme les sophistes

par exemple) Dans le premier cas les sophistes sont reacuteputeacutes pour leur savoir mais

leur savoir est nocif pour lacircme et la citeacute ainsi la reacutefutation doit se montrer tregraves

critique montrer la valeur neacutegative du savoir de sophiste cest ce que nous allons

analyser dans un premier temps Dans le cas de jeunes gens non aspireacutes au savoir ils

ne simaginent pas ce quils ne savent pas mais il ne savent pas non plus ce quils

savent dans ces conditions la maiumleutique permet de faire naicirctre quelque chose de

leur acircme et si cette chose se reacutevegravele fausse il faut lenlever par la reacutefutation nous

montrerons dans un deuxiegraveme temps la limite de cet enlegravevement par la reacutefutation

Dans le cas des hommes dexpeacuterience comme Lachegraves dans le Lachegraves par exemple

lexpeacuterience mecircme permet de savoir dans la pratique ce qui ne marchera pas et non

pas de savoir ce qui marcheraCest pourquoi dans le discours de Lachegraves il y a

beaucoup de neacutegations alors que dans celui de Nicias il y en a tregraves peu cela eacutetant

lexpeacuterience nest pas un veacuteritable savoir mais lopinion droite ainsi le fait de parler

agrave partir dexpeacuteriences eacutequivaut agrave exprimer des opinions dans ces conditions la

reacutefutation est eacuteducative elle permet deacutelever quelque chose au-delagrave de ce quelle

eacutetait nous analyserons dans un troisiegraveme temps la limite de la reacutefutation eacuteducative

VI311 La limite de la reacutefutation critique

Dans le Phegravedre1 le sophiste fgure au huitiegraveme rang devant le tyran derniegravere le rang

dartisan et agrave deux rangs deacutecart du poegravete Si Socrate arrive agrave promouvoir les

sophistes de deux rangs ils auraient alors le mecircme statut que le poegravete qui est

responsable de la deacutecheacuteance de la citeacute2 Cela semble montrer que le but de la

reacutefutation critique ne consiste pas agrave promouvoir les sophistes au rang supeacuterieur pour

rejoindre les poegravetes Dailleurs la reacutefutation socratique na pas fait eacutevaluer un iota le

statut de sophiste en tout cas les dialogues ougrave les sophistes sont les principaux

interlocuteurs de Socrate montrent quagrave la fn ils nont fnalement rien changeacute En

1 Voir Phegravedre 248 d ndash e2 Cf laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon I Paris

Vrin Sous la direction de M Dixsaut 2005 pp 26 ndash 41

297

effet le but de la reacutefutation critique consiste agrave combattre la corruption de la jeunesse

par les sophistes et non les sophistes eux-mecircmes Cela est parfaitement illustreacute dans

le prologue du Protagoras1 Nous ne savons pas ce que pensent tous ces jeunes gens

preacutesents dans la confeacuterence du sophiste Protagoras puisquils ne sont pas interrogeacutes

pour exprimer leur avis sur la confeacuterence ni quils nont doccasion dinterroger Mais

il est certain que mecircme si les jeunes gens eacutetaient deacutecideacutes agrave ne plus suivre

lenseignement des sophistes apregraves cette confeacuterence ils ne deviendraient pas pour

autant savants car le fait de jeter une mauvaise nourriture ne signife pas de ce fait

que lon en possegravede une bonne

Le corps des jeunes a tout le temps faim si lon ne leur donne pas de bons aliments agrave

manger ils mangent nimporte quoi afn de nourrir leur corps De mecircme pour lacircme

des jeunes gens si lon la prive du mauvais enseignement il faut quelle se nourrisse

du bon lorsquelle a faim sinon elle se nourrira du mauvais Or la reacutefutation critique

nest pas une science bien que lon puisse tirer de la reacutefutation critique de bons

enseignements Mais cela nest pas pour ceux qui ne savent pas encore distinguer le

bon du mauvais

VI312 La limite de lenlegravevement du faux par la reacutefutation

Dans la reacutefutation critique il sagit en reacutealiteacute dune confrontation de penseacutees Les

sophistes nont pas dhabitude de ceacuteder un iota mecircme si parfois ils concegravedent

quelques positions agrave Socrate sans jamais reconnaicirctre reacuteellement leur ignorance Par

exemple

Protagoras Je ne suis pas vraiment davis Socrate dit-il que laffaire soit assez simple pour que je puisse taccorder que la justice est chose pie et que la pieacuteteacute est juste Non Agrave mon avis il y a une diffeacuterence Enfn quimporte dit-il Admettons si tu veux que la justice est chose pie et que la pieacuteteacute est juste2

Par contre dans lenlegravevement du faux par la reacutefutation il ne sagit pas dune

confrontation intellectuelle puisque les jeunes deacutesirent suivre Socrate Dailleurs la

jeunesse leur permet de reconnaicirctre facilement leurs embarras et leur ignorance et se

montrer spontaneacutement inteacuteresseacutes par laspiration au savoir Cest pourquoi le langage

de telle reacutefutation est diffeacuterent du langage de la reacutefutation critique (qui consiste agrave

embarrasser) Le Lysis est un bon exemple voici le point de deacutepart

Socrate En bien Hippothalegraves repris-je cest un amour noble et grand sous tous rapports que tu as trouveacute Allons fais-moi une deacutemonstration de ce dont tu leur as deacutejagrave fait eacutetalage pour

1 Voir Proragoras 310 b ndash 314 e2 Ibid 331 b ndash c

298

que je vois si tu sais ce quun amant doit dire de son bien-aimeacute lorsquil lui adresse la parole ou lorsquil en parle agrave dautres1

Par pudeur sans doute Hippothalegraves ny arrive pas mais fnalement par sinceacuteriteacute de

son amour pour Lysis il fnit par demander agrave Socrate de lui donner un bon conseil

Hippothalegraves Non par Zeus reacutepondit-il car ce serait le comble de laberration Mais cest bien pour cela Socrate que je te mets dans la confdence et si tu sais quelque chose dautre donne-moi un conseil sur ce que lon peut dire ou faire pour se rendre aimable aux yeux de son bien-aimeacute

Socrate Ce nest pas facile agrave dire reacutepondis-je mais si tu eacutetais precirct agrave faire en sorte quil sentretienne avec moi je pourrais peut-ecirctre te faire une deacutemonstration de ce dont il faut lentretenir au lieu des louanges quau dire de ceux-ci tu lui reacutecites et chantes2

Bien quil ny ait dans le Lysis aucune question du type laquo quest-ce quune chose raquo

la demande dHippothalegraves et la reacuteponse de Socrate forment en reacutealiteacute implicitement

la question quest-ce que lamour La suite du dialogue consiste agrave reacutepondre agrave cette

question comme une reacutefutation agrave la thegravese de lamour dHippothalegraves thegravese

implicitement formuleacutee agrave travers la bouche de son ami Cteacutesippe lamour cest faire

leacuteloge du bien-aimeacute Dans le Lysis tout semble implicite les questions (laquo quest-ce

que lamour raquo laquo quest-ce que lamitieacute (φιλία) raquo) la thegravese agrave reacutefuter et la reacutefutation

mecircme sont toutes implicites Mais pour quelle raison le dialogue prend-il une telle

forme implicite cest-agrave-dire maiumleutique En effet bien que Lysis et Meacutenexegravene soient

les principaux interlocuteurs de Socrate dans le Lysis la discussion sadresse agrave

Hippothalegraves pour lui faire naicirctre de son acircme un amour pour le savoir3

Mais la maiumleutique neacutecessite un accouchement qui peut 1 se reacuteveacuteler faux (lacircme est

vide comme si la femme neacutetait pas enceinte) 2 donner la fausseteacute (lacircme accouche

dune image de la veacuteriteacute et non pas de la veacuteriteacute mecircme) 3 dans ces conditions il

faut enlever lenfant agrave la naissance et 4 cet enlegravevement par la reacutefutation nempecircche

nullement cette acircme decirctre enceinte de nouveau de la fausseteacute

VI313 La limite de la reacutefutation expeacuterimentale

La question laquo quest-ce que le courage raquo4 neacutecessite une reacutefutation quelle que soit la

reacuteponse bonne ou mauvaise Car mecircme dans le cas dune bonne reacuteponse la

1 Lysis 204 e ndash 205 a2 Ibid 206 b ndash c3 Entre 207 d et 210 d Socrate interroge Lysis reacutepond par cette seacuterie de questions-reacuteponses on

apprend que le pegravere et la megravere de Lysis ne lui permettent de faire autre chose que ce qui concerne leacutecriture et la lecture cest lἔργον des enfants un premier pas vers le savoir En dautres termes quel que soit le type de la φιλία la valeur la plus eacuteleveacutee de la φιλία est son rapport agrave la σοφία

4 Ibid 190 e

299

reacutefutation permet de savoir sil sagit de la science ou de la conjecture cest-agrave-dire

sans savoir rendre raison agrave ce quon sait En ce sens le Lachegraves est un dialogue

reacutefutatif en raison des trois deacutefnitions du courage donneacutees par Lachegraves et Nicias1

Or luniteacute du Lachegraves est leacuteducation2 de mecircme pour le Lysis et le Protagoras3 Mais

pourquoi deacutefnir le courage avec deux geacuteneacuteraux pour parler de leacuteducation sous la

forme de la reacutefutation 1 Quel est le rapport entre les geacuteneacuteraux et leacuteducation 2

Parler du courage avec les geacuteneacuteraux cest compreacutehensible puisque la mort pourrait

advenir agrave tout moment dans une bataille ainsi affronter les ennemis est affronter sa

propre mort Mais le fait de donner une deacutefnition du courage nest pas une

compeacutetence des geacuteneacuteraux dailleurs ils ne preacutetendent pas enseigner le courage agrave

leurs soldats Pour quelle raison demander alors agrave deux geacuteneacuteraux de deacutefnir le

courage 3 Quel est le but de la reacutefutation

Sur le premier point il y a un point en commun entre les geacuteneacuteraux et les enfants agrave

lacircge eacuteducatif cest lexpeacuterience En effet degraves la naissance peut-ecirctre mecircme avant le

beacutebeacute commence agrave eacutecouter agrave voir agrave sentir agrave parler agrave pleurer agrave exprimer surtout agrave

imiter jusquagrave lacircge eacuteducatif Cela eacutetant pendant sept ans par lexpeacuterience lenfant

acquiert une infniteacute de choses cela est une condition de leacuteducation De lagrave on voit la

diffeacuterence entre lexpeacuterience et leacuteducation agrave savoir lexpeacuterience reste au niveau de

lopinion leacuteducation permet deacutelever au niveau intelligible ce quon acquiert par

expeacuterience Ce que les geacuteneacuteraux acquieegraverent par leurs expeacuteriences militaires est de

mecircme nature la connaissance acquise par expeacuterience Ainsi sans une eacuteducation

approprieacutee lexpeacuterience reste au niveau de lopinion

Une fois admis ce qui vient decirctre dit le second point est relativement simple En

effet la question de courage se pose partout et pas uniquement agrave la guerre

Socrate Et je minteacuteressais non seulement agrave ceux qui sont courageux agrave la guerre mais aussi agrave ceux qui font preuve de courage agrave leacutegard des peacuterils de la mort et bien entendu agrave tous ceux qui sont courageux face aux maladie agrave la pauvreteacute agrave la politique et je pensais en outre non seulement agrave ceux qui sont courageux face aux douleurs et au craintes mais aussi agrave ceux qui excellent dans la lutte contre les deacutesirs et les plaisirs que ce soit en tenant ferme ou en faisant volte-face4

1 Voir Ibid 190 e 192 b ndash c et 194 e ndash 195 a Traditionnellement le Lachegraves est consideacutereacute comme maiumleutique et non comme reacutefutatif

2 Cf Lachegraves laquo Introduction raquo p 71 ndash 743 Notons que cest agrave la demande du jeune Hippocrate que Socrate laccompagne pour aller rencontrer

le sophiste Protagoras chez Callias Cest pourquoi la discussion entre Socrate et Protagoras sadresse en reacutealiteacute agrave Hippocrate en particulier et agrave la jeunesse en geacuteneacuteral du moins au jeune auditoire preacutesent dans le dialogue

4 Lachegraves 191 d ndash e Nous soulignons

300

Nous avons deacutejagrave parleacute de ce passage dans le chapitre preacuteceacutedent Dans le domaine de

leacuteducation pour les enfants comme pour les adultes ce qui empecircche la progression

ce sont surtout les deacutesirs et les plaisirs qui lemportent souvent sur les efforts

neacutecessaires comme la concentration la meacutemoire les exercices savoir lire et lire bien

et beaucoup savoir eacutecrire et eacutecrire bien et beaucoup Tout cela neacutecessite un grand

courage une grande maicirctrise de soi

Le troisiegraveme point le but de la reacutefutation est un exercice eacuteducatif Sil est absolument

neacutecessaire pour les eacutelegraveves agrave leacutecole de faire suffsamment dexercices il est aussi

neacutecessaire les adultes de faire certains exercices afn deacutelever au rang intelligible ce

quon acquiert par expeacuterience Dans le cas du Lachegraves Socrate ressemble en quelque

sorte agrave un instituteur et les deux geacuteneacuteraux agrave des eacutelegraveves Cela eacutetant il ny a pas dacircge

pour seacuteduquer

La limite de la reacutefutation eacuteducative reacuteside dans ceci une expeacuterience peut ecirctre

promue au rang de connaissance denseignement une connaissance deacutetacheacutee

dexpeacuterience mais tout en restant une connaissance speacutecifque au trompe-lœil dune

connaissance universelle et immuable Exemple

Nicias Jaffrme Lachegraves que le courage est connaissance (ἐπιστήμη) de ce qui inspire la crainte ou la confance que ce soit agrave la guerre ou en toute circonstance1

La deacutefnition donneacutee par Nicias est bonne encore faut-il savoir ce que deacutesigne

lἐπιστήμη est-ce une connaissance speacutecifque ou universelle et immuable

Lachegraves Non plus que les agriculteurs je crois Et pourtant ce sont bien eux jimagine qui saventce qui est agrave craindre en agriculture de mecircme que tous les autres artisans savent ce qui dans leurs arts respectifs inspire la crainte ou la confance mais ils ne sont pas plus courageux pour autant2

Le vrai message du Lachegraves est ceci si par expeacuterience on acquiert une certaine

compeacutetence speacutecifque et quon peut la transformer en une connaissance il ny a

aucune raison de ne pas penser ceci lacircme eacutetant immortelle elle a neacutecessairement

lexpeacuterience de toutes les reacutealiteacutes intelligibles

VI32 La reacuteminiscence

Le dialogue est une communication qui consiste agrave faire renaicirctre de nouveau ou agrave

nouveau ce quon a connu auparavant autrement dit dialoguer nest pas enseigner

cest la raison pour laquelle Socrate insiste sur ceci laquo Et si quelquun preacutetend en

1 Lachegraves 194 e2 Ibid 195 b ndash c

301

priveacute avoir appris quelque chose de moi ou mavoir entendu parler de quelque chose

dont personne dautre nest au courant sachez bien quil ne dit pas la veacuteriteacute raquo1 En

dautres termes dialoguer consiste agrave inciter lintellection Mais comment se fait-il que

les reacutealiteacutes dont lacircme qui est immortelle avait connaissance puissent ecirctre oublieacutees

Quelle est la cause de cet oubli de lacircme En effet quand lacircme est en incarnation

elle est attireacutee par lapparence des choses sensibles cela eacutequivaut agrave oublier la fonction

intellective2 Cest la raison pour laquelle la reacuteminiscence consiste agrave retrouver la

fonction intellective

Le substantif άνάμνησις (reacuteminiscence) napparaicirct que 15 fois dans le corpus

platonicien dont 9 dans le Pheacutedon3 Cela eacutetant il y a un rapport eacutetroit entre la mort et

la reacuteminiscence puisque la mort est luniteacute du Pheacutedon En effet la mort nest rien

dautre que la seacuteparation de lacircme davec le corps4 De cette seacuteparation deacutecoulent

cinq termes ontologiques agrave savoir 1 limmortaliteacute de lacircme5 2 la reacutealiteacute veacuteritable

(αὐτὴ ἡ οὐσία)6 3 la seacuteparation entre le sensible et lintelligible 4 la participation

du sensible agrave lintelligible et 5 la reacuteminiscence

Σωκράτης Socrate

εἰ δέ γε οἶμαι λαβόντες πρὶν γενέσθαιγιγνόμενοι ἀπωλέσαμεν ὕστερον δὲ ταῖς αἰσθήσεσι χρώμενοι περὶ αὐτὰ ἐκείνας ἀναλαμβάνομεν τὰς ἐπιστήμας ἅς ποτε καὶ πρὶν εἴχομεν ἆρ᾽ οὐχ ὃ καλοῦμεν μανθάνειν οἰκείαν ἂν ἐπιστήμην ἀναλαμβάνειν εἴη τοῦτο δέ που ἀναμιμνῄσκεσθαι λέγοντες ὀρθῶς ἂν λέγοιμεν7

Mais supposons que ayant acquis ces savoirs avant denaicirctre nous les ayons perdus en naissant par la suite lorsque nous usons de nos sens pour percevoir des choses qui en relegravevent nous reprenons agrave nouveau possession des savoirs que nous avions anteacuterieurement agrave un certain moment degraves lors ce que nous nommons laquo apprendre raquo ne serait-ce pas reprendre possession dune science qui nous est propre Et quand nous disons que cest lagrave une sorte de ressouvenir nemployons-nous pas le mot correct 8

1 Apologie 33 b2 Le terme λήθη est peu freacutequent dans le corpus platonicien presque absent dans les premiers

dialogues Banquet λήθη (208 a) Gorgias λήθην (493 c) Lettre III λήθην (315 c) Lois II λήθῃ (666 b) III λήθη (682 b) Meacutenexegravene λήθῃ (248 c) Pheacutedon λήθην (75 d) Phegravedre λήθης (248 c) λήθην (250 a) λήθην (275 a) λήθης (276 d) Philegravebe λήθης (33 e) λήθη (33 e) λήθην (33 e) λήθης (52 a) λήθη (52 b) λήθην (63 e) Politique λήθης (273 c) Reacutepublique VI λήθης (486 c) X Λήθης (621 a) Λήθης (621 c) Theacuteeacutetegravete λήθης (144 b) Timeacutee λήθης (87 a)

3 Lois V ἀνάμνησις (732 b) Meacutenon ἀνάμνησις (81 d) ἀνάμνησιν (82 a) ἀνάμνησις (98 a) Pheacutedon ἀνάμνησις (72 e) ἀνάμνησιν (73 c) ἀνάμνησις (73 d) ἀνάμνησιν (74 a) ἀνάμνησιν (74 d) ἀνάμνησις (76 a) ἀνάμνησιν (91 e) ἀνάμνησιν (92 c) ἀναμνήσεως (92 d) Phegravedre ἀνάμνησις (249 c) Philegravebe ἀνάμνησιν (34 b)

4 Pheacutedon 64 c5 Ibid 73 a6 Ibid 78 d7 Ibid 75 e8 Voici les trois autres traductions laquo Si par contre lon suppose que nous avons perdu en naissant

cette acquisition anteacuterieure agrave notre naissance mais quensuite gracircce agrave lusage de nos sens dans les choses en question nous ressaisissons les connaissances dont nous disposions dans un temps anteacuterieur alors ce que nous nommons sinstruire ne consisterait-il pas agrave ressaisir une connaissance

302

Ce passage est un aboutissement dune seacuterie de comparaisons entre le sensible et

lintelligible1 Bien que le terme de la participation ne soit pas eacutevoqueacute celui de la

seacuteparation entre le sensible et lintelligible non plus Dans le passage que nous

venons de lire quatre notions ne sont pas explicites 1 lobjet de la sensation et sa

nature agrave savoir le sensible (αἴσθητόν) et le visible (ὁρατόν) 2 Lobjet de la science

et sa nature agrave savoir lintelligible (νοητόν) et linvisible (ἀιδές) 3 La seacuteparation entre

le sensible et lintelligible lun est visible lautre est invisible lun devient lautre est

4 La participation du sensible agrave lintelligible car le fait duser de laquo nos sens pour

percevoir des choses qui en relegravevent raquo signife que les choses sensibles ont part aux

choses intelligibles

En effet laquo aussi bien dans nos questions quand nous questionnons que dans nos

reacuteponses quand nous reacutepondons raquo2 chaque fois que nous avons une sensation nous

devons demander ce quest cette sensation elle-mecircme par exemple la question

laquo leacutegal en soi raquo se pose agrave partir dune sensation (une perception) de leacutegaliteacute

Σωκράτης

ἀλλὰ μὲν δὴ ἔκ γε τῶν αἰσθήσεων δεῖἐννοῆσαι ὅτι πάντα τὰ ἐν ταῖς αἰσθήσεσιν ἐκείνου τε ὀρέγεται τοῦ ὃ ἔστιν ἴσον καὶ αὐτοῦ ἐνδεέστερά ἐστιν ἢ πῶς λέγομεν3

Socrate

Alors en veacuteriteacute cest agrave partir des sensations elles-mecircmesquon doit reacutefeacutechir agrave ce fait toutes les proprieacuteteacutes sensibles agrave la fois aspirant agrave une reacutealiteacute du genre de celle de leacutegal en soi et restent pourtant passablement deacutefcientes par rapport agrave cette reacutealiteacute Sinon que dire

La sensation est double dune part elle nous retient dans le monde sensible agrave travers

les plaisirs que procurent au corps des choses sensibles dautre part elle nous donne

agrave chaque fois loccasion de se demander ce quest cette sensation elle-mecircme en

deacutebarrassant les opinions par exemple une belle chose vue est une sesnation De lagrave

apparaicirct le sens eacutethique de la reacuteminiscence le courage de deacutebarrasser les opinions

pour aller au-delagrave du sensible condition fondamentale du fait de se remeacutemorer cest-

agrave-dire chercher et apprendre

qui nous est propre Et ne serait-il pas juste dappeler cela se ressouvenir raquo (Paul Vicaire)laquo Mais si je suppose nous avons perdu en naissant les connaissances que nous avions acquises avant de naicirctre mais quen appliquant nos sens aux objets en question nous ressaisissions ces connaissances que nous posseacutedions preacuteceacutedemment nest-il pas vrai que ce que nous appelons apprendre cest ressaisir une science qui nous appartient Et en disant que cela cest seressouvenir nemploierions-nous pas le mot juste raquo (Eacutemilie Chambry)laquo Que si ayant eu ces connaissances avant de naicirctre et les ayant perdues en naissant nous venons ensuite agrave les rapprendre ces connaissances que nous avions jadis en nous servant du ministegravere denos sens ce que nous appelons apprendre nest-ce pas ressaisir des connaissances qui nous appartiennent et naurons-nous pas raison dappeler cela ressouvenir raquo (Victor Cousin)

1 Voir 74 a ndash 75 d2 Ibid 75 d3 Ibid 75 a ndash b

303

VI33 La contemplation

Nous ne savons pas par quel moyen lacircme contemple les formes intelligibles

lorsquelle laquo faisait partie du cortegravege dun dieu raquo1 puisque dans le second discours de

Socrate du Phegravedre il sagit dune repreacutesentation et non un exposeacute2 En revanche nous

avons un grand nombre de meacutethodes dialectiques employeacutees dans les dialogues

platoniciens comme par exemple la division le rassemblement lusage de

paradigmes linterpreacutetation de mythes lusage doppositions la recherche du

contraire la comparaison la deacutefnition la distinction la repreacutesentation la seacuteparation

Mais nous ne les preacutesentont pas ici pour la raison suivante agrave lopposeacute de leacutecriture

qui est statique le dialogue est dynamique par conseacutequent chaque meacutethode

dialectique employeacutee deacutepend de la situation dans un dialogue et varie selon

linterlocuteur lauditoire3 le sujet le deacuteveloppement impreacutevu ou autres eacuteleacutements

Cest la raison pour laquelle nous essayons de preacutesenter ici quelques principes de

meacutethodes dialectiques4

VI331 Principe de lUn

Une chose sensible est toujours multiple parce quelle est un meacutelange de diffeacuterents

eacuteleacutements (eau feu terre air) de diffeacuterents qualiteacutes (grand petit dur mou brillant

sombre beau laid utile inutile hellip) de diffeacuterentes couleurs de diffeacuterentes fgures ou

dautres proprieacuteteacutes Ce qui nous inteacuteresse ici cest le meacutelange de qualiteacutes

Socrate Or nous affrmons bien que la vue voit le grand et le petit non pas comme quelque chose qui est seacutepareacute mais comme quelque chose qui est confondu nest-ce pas

Glaucon Oui

Socrate Mais pour produire cette clarifcation lintellection (ἡ νόησις) a eacuteteacute contrainte de voir grand et petit non pas comme confondus mais comme seacutepareacutes contrairement agrave ce que faisait la vue

Glaucon Cest vrai

Socrate Par conseacutequent nest-ce pas de lagrave que nous vient dabord lideacutee de demander ce que peut bien ecirctre le grand et aussi le petit 5

Lintellection consiste agrave chercher ce quest une qualiteacute en tant que telle cest-agrave-dire

1 Phegravedre 248 c2 Voir Phegravedre 246 a surtout laquo Notes raquo ndeg 173 p 209 Lexposeacute a pour tacircche de deacutecrire lacircme laquo telle

quelle est raquo tandis que la repreacutesentation consiste agrave dire laquo ce agrave quoi elle ressemble raquo3 Par exemple dans le Pheacutedon lauditoire se compose de gens qui aspirent au savoir alors que dans le

Protagoras nous lavons vu lauditoire est impressionnant mais ce ne sont pas des gens qui aspirent au savoir

4 Agrave propos de meacutethodes dialectiques cf Dixsaut Monique Meacutetamorphoses de la dialectique dans les dialogues de Platon Paris Vrin 2001

5 Reacutepublique VII 524 c

304

quelque chose proprement une non-composeacutee unique originale universelle et

immuable Par exemple laquo lacircme est le principe du mouvement spontaneacute raquo Certes la

phrase est composeacutee de mots mais ce quelle exprime est unique cest-agrave-dire elle ne

deacutesigne pas agrave fois plusieurs choses Un cercle particulier nest pas unique on peut

mecircme fabriquer deux cercles particuliers identiques mais la deacutefnition matheacutematique

du cercle est unique bien que lon puisse utiliser plusieurs maniegraveres matheacutematiques

pour deacutefnir le cercle (par la geacuteomeacutetrie analytique et par la geacuteomeacutetrie diffeacuterentielle

par exemple)

Dans la derniegravere reacuteplique nous trouvons cette phrase laquo τί οὖν ποτ᾽ ἐστὶ τὸ μέγα αὖ

καὶ τὸ σμικρόν raquo (laquo que peut bien ecirctre le grand et aussi le petit raquo) Nous avons dit

que laquo τί ἐστι raquo est une marque de la reacutefutation alors que dans le livre VII de la

Reacutepublique il sagit de la dialectique La dialectique emprunte-t-elle certaines

meacutethodes agrave la reacutefutation En effet laquo τί ἐστι raquo na pas la mecircme porteacutee dans la

reacutefutation que dans la dialectique Dans la reacutefutation les interlocuteurs de Socrate ne

connaissaient pas encore la nature des reacutealiteacutes veacuteritables dans ces conditions lusage

de la formule laquo τί ἐστι raquo ne consiste pas agrave chercher une reacuteponse unique mais agrave

deacutemontrer que linterlocuteur ne savait pas ce quil preacutetendait savoir puisquil disent

sur le mecircme sujet tantocirct une chose tantocirct une autre En ce sens laquo τί ἐστι raquo est une

meacutethode qui permet de faire apparaicirctre lignorance Or dans le cadre de la

dialectique la nature de laquo ce qui est totalement ecirctre raquo1 est connue Sachant que ce

nest pas parce que cette nature est connue (sans couleur sans fgure intangible2

sans meacutelange ni seacuteparable3 sans subir aucun changement4) que lon arrive agrave deacutefnir

une reacutealiteacute intelligible le beau par exemple quelle est sa deacutefnition qui remplit ces

conditions sans couleur sans fgure intangible sans meacutelange ni seacuteparable et sans

subir aucun changement Ainsi dans le cadre de la dialectique laquo τί ἐστι raquo est une

invitation agrave chercher ce quest une reacutealiteacute intelligible Dailleurs apregraves cette

interrogation laquo ce que peut bien ecirctre le grand et aussi le petit raquo ni Socrate ni Glaucon

ne cherchent agrave reacutepondre parce que dans la dialectique cette formule laquo τί ἐστι raquo

nest pas une meacutethode En revanche laquo τὸ μέγα αὖ καὶ τὸ σμικρόν raquo un couple

contraire est une meacutethode

1 Cest-agrave-dire τὸ παντελῶς ὄν Reacutepublique V 477 a Sophiste 248 e (τῷ παντελῶς ὄντι) pour les autresexpressions qui expriment la nature de lintelligible cf laquo La participation du sensible agrave lintelligible raquo Platon les formes intelligibles Paris PUF 2001 pp 55 ndash 84 p 58 ndash 59

2 Phegravedre 247 c3 Parmeacutenide 129 e4 Pheacutedon 78 d

305

VI332 Principe du contraire

Lἐναντίον le contraire peut ecirctre consideacutereacute comme second principe de la

dialectique En effet si on arrive agrave deacutefnir une reacutealiteacute inteacutelligible mais pas son

contraire on a toutes les chances de ne pas entiegraverement ou pas du tout saisir ce

quelle est En veacuteriteacute toute chose sensible en tant que sensible na pas de contraire Le

corps par exemple comme une entiteacute sensible na point de contraire tandis que le

corps lui-mecircme le corps deacutefni comme une chose inanimeacutee alors lagrave il a son

contraire agrave savoir la chose animeacutee lacircme Par ailleurs si lon deacutefnit le corps comme

mouvement passif le corps a son contraire agrave savoir le mouvement actif ou spontaneacute

lacircme de telle sorte que le corps reste immobile sil ne reccediloit aucun mouvement

Ainsi tous les corps quels quils soient ont la mecircme nature agrave savoir inanimeacute ou en

mouvement passif Mais cela ne sufft pas pour confrmer que la deacutefnition du corps

est bonne il faut neacutecessairement veacuterifer si le contraire de ces deacutefnitions renvoie

toujours agrave la mecircme chose ici en loccurrence lacircme La physique classique deacutefnit le

corps comme une eacutetendue ainsi son contraire devrait ecirctre ce qui est ineacutetendu mais

cela ne renvoie pas neacutecessairement agrave lacircme par exemple une loi matheacutematique en

tant que telle est ineacutetendue mais elle nest pas une acircme en tout cas jusquagrave

maintenant cela nest pas encore philosophiquement deacutemontreacute Cela admis la

deacutefnition du corps comme une eacutetendue nest pas fable (οὐδὲν ὑγιές) lexpression

est peu preacutesente dans le corpus platonicien1 Voici son sens

Socrate Eh bien si tu peux lobserver dis-je jattire ton attention sur le fait que dans les perceptions certaines choses ninvitent pas lintellection (οὐ παρακαλοῦντα τὴν νόησιν) agrave un examen suppleacutementaire puisquelles sont jugeacutees de maniegravere satisfaisante par la perception tandis que dautres lincitent tout agrave fait agrave cet examen puisque la perception ny fabrique rien de ferme (ὡς τῆς αἰσθήσεως οὐδὲν ὑγιὲς ποιούσης)2

Lintellection (νόησις) semble ne pas venir toute seule il faut lappeler linciter la

solliciter cest ce que dit le verbe παρακαλεῖν Dans ce passage lintellection consiste

agrave examiner (ἐπισκέψασθαι) les contraires ou les oppositions de ce quon a aperccedilu

Ainsi il est neacutecessaire quune connaissance fable renvoie toujours agrave la mecircme reacutealiteacute

de mecircme que son contraire renvoie toujours agrave elle Si cela nest pas le cas cette

connaissance nest pas fable autrement dit lintellect nest pas suffsamment

mobiliseacute Cela eacutetant en dialectique ces trois termes sont eacutetroitement lieacutes agrave savoir

νόησις ἐπισκέψασθαι et τὸ ἐναντίον

1 Voici la liste non exhaustive de lexpression οὐδὲν ὑγιές dans le corpus platonicien Cratyle 440 c Gorgias 524 e Lois VI 776 e (ὑγιὲς οὐδὲν) Pheacutedon 69 b 89 e 90 c 90 e Reacutepublique VI 496 c VII 523 b IX 584 a 589 c Sophiste 323 a Theacuteeacutetegravete 173 b (ὑγιὲς οὐδὲν)

2 Ibid 523 a ndash b

306

Le substantif τὸ ἐναντίον est abondamment preacutesent dans les œuvres de Platon voici

le tableau qui reacutecense sa preacutesence

Apologie τὰ ἐναντία (27 a)Cratyle τὸ ἐναντίον (432 b) τὸ ἐναντίον (434 d)Critias τῶν ἐναντίων (109 a)Criton τῶν ἐναντίων (48 a)Euthydegraveme τῶν ἐναντίων (281 d)Euthyphron τὰ ἐναντία (6 a) τὸ ἐναντίον (9 e) τὸ ἐναντίον (10 b) τὸ ἐναντίον (12 a)Gorgias τὸ ἐναντίον (468 b) τῷ ἐναντίῳ (475 a) τὰ ἐναντία (481 c)Lachegraves τῷ ἐναντίῳ (193 a) τῷ ἐναντίῳ (193 b)Lettre VII τοῦ ἐναντίου (343 a) τὰ ἐναντία (345 b)Lois I τοῦ ἐναντίου (644 d) τῶν ἐναντίων (648 b) τὸ ἐναντίον (649 c) τοῖς ἐναντίοις (649

c) III τῶν ἐναντίων (678 b) τὸ ἐναντίον (700 b) V τὰ ἐναντία (732 d) τὰ ἐναντία (733c) τοῦ ἐναντίου (734 e) τὰ ἐναντία (743 b) VII [816ε] ἐναντίων (816 e) τὰ ἐναντία (816 e) VIII τὸ ἐναντίον (850 a) X τῶν ἐναντίων (889 c) τῷ ἐναντίῳ (894 b) τῶν ἐναντίων (896 a) τῶν ἐναντίων (896 d) τῶν ἐναντίων (902 c) τῶν ἐναντίων (906 a) XI τοῦ ἐναντίου (935 b ) XII τῶν ἐναντίων (942 d) τοῦ ἐναντίου (944 b)

Lysis τὸ ἐναντίον (215 e) τὸ ἐναντίον (215 e) τῷ ἐναντίῳ (215 e) τὸ ἐναντίον (216 a) τῷ ἐναντίῳ (216 a) τὸ ἐναντίον (216 b) τῷ ἐναντίῳ (216 b) τὸ ἐναντίον (218 b) τοῦ ἐναντίου (218 b)

Meacutenexegravene τοῖς ἐναντίοις (238 d)Meacutenon τὸ ἐναντίον (70 c) τὸ ἐναντίον (91 c)Parmeacutenide τὸ ἐναντίον (146 a) τὸ ἐναντίον (155 a) τὸ ἐναντίον (155 a) τὰ ἐναντία (157 b) τὰ

ἐναντία (159 a)Pheacutedon τῶν ἐναντίων (70 e) τὰ ἐναντία (70 e) τὰ ἐναντία (71 a) τῶν ἐναντίων (71 a) τὸ

ἐναντίον (102 e) τῶν ἐναντίων (102 e) τὸ ἐναντίον (103 a) τοῖς ἐναντίοις (103 a) τῶνἐναντίων (103 a) τοῦ ἐναντίου (103 b) τὸ ἐναντίον (103 b) τὸ ἐναντίον (103 b) τὰ ἐναντία (103 b) τὸ ἐναντίον (103 c) τὰ ἐναντία (104 b) τὰ ἐναντία (104 c) τὰ ἐναντία (104 c) τὸ ἐναντίον (104 e) τὸ ἐναντίον (105 a) τὸ ἐναντίον (105 a) τὸ ἐναντίον (105 d)

Phegravedre τοῖς ἐναντίοις (246 e) τὸ ἐναντίον (262 a)Philegravebe τὸ ἐναντίον (18 a) τοῦ ἐναντίου (19 b) τὰ ἐναντία (25 a) τὸ ἐναντίον (33 b) τῶν

ἐναντίων (35 a)Politique τοῦ ἐναντίου (261 a) τοῦ ἐναντίου (269 a) τῶν ἐναντίων (273 d) τῶν ἐναντίων (307

c) τὰ ἐναντία (310 a)Protagoras τὸ ἐναντίον (324 a) τοῦ ἐναντίου (332 c) τῶν ἐναντίων (332 c) τὸ ἐναντίον (354 a)Reacutepublique I τοῦ ἐναντίου (335 d) τοῦ ἐναντίου (335 d) τοῦ ἐναντίου (335 d) τοῦ ἐναντίου (335

d) τοῖς ἐναντίοις (348 e) τοῦ ἐναντίου (350 b) τῷ ἐναντίῳ (352 a) III τὰ ἐναντία (395 e) τῶν ἐναντίων (397 c) τοῖς ἐναντίοις (400 b) τοῦ ἐναντίου (401 a) IV τῶν ἐναντίων (437 b) τῶν ἐναντίων (437 b) V τὰ ἐναντία (454 e) τοῦ ἐναντίου (472 c) VII τὸ ἐναντίον (523 c) τοῖς ἐναντίοις (524 d) IX τῷ ἐναντίῳ (580 b ) X τῷ ἐναντίῳ (605 d)

Sophiste τῶν ἐναντίων (247 a) τῶν ἐναντίων (247 b) τοῦ ἐναντίου (255 b)Theacuteeacutetegravete τοῦ ἐναντίου (189 d)Timeacutee τὰ ἐναντία (39 b) τοῖς ἐναντίοις (46 b) τῶν ἐναντίων (50 a)

Deux remarques 1 Dans les premiers dialogues ou plus preacuteciseacutement dans le

contexte de reacutefutation le substantif ne signife pas le contraire mais plutocirct la

307

contradiction1 laquo car il est clair que celui qui maccuse se contredit lui-mecircme (τὰ

ἐναντία λέγειν αὐτὸς ἑαυτῷ) dans laction quil a intenteacutee raquo2 En revanche dans le

contexte de la dialectique le substantif veux dire le contraire laquo Les choses contraires

agrave partir de rien dautre que de leurs contraires mdash cela vaut pour tout ce qui se trouve

entrer dans une relation de ce genre par exemple le beau je pense est le contraire

du laid le juste de linjuste et il y a des milliers dexemples semblables raquo3 2 Dans la

reacutefutation τὸ ἐναντίον (la contradiction) nest pas une meacutethode mais plutocirct une

affrmation car le but de la reacutefutation consiste agrave chercher une unique reacuteponse et non

une contradiction qui est en reacutealiteacute le reacutesultat de cette recherche Tandis que dans la

dialectique τὸ ἐναντίον (le contraire) est un principe dialectique

VI333 Principe de la division

Diviser une chose permet y voir plus clair Mais il y a un grand nombre de faccedilons de

diviser une chose agrave connaicirctre cest la raison pour laquelle un principe est neacutecessaire

pour que la division sopegravere afn de connaicirctre mieux ce qui est Voici ce principe

diviser la chose en question en deux choses contraires signife que la chose agrave diviser

nest pas une chose sensible Ce principe est bien illustreacute dans le Philegravebe laquo Divisons

en deux la totaliteacute des choses qui existent actuellement dans lunivers raquo4 en deux

choses contraires agrave savoir la limite (τὸ περας) et lillimiteacute (τὸ ἄπειρον) 5 Or laquo cest agrave

partir de leurs contraires que viennent agrave exister les choses contraires raquo6 cela eacutetant il

existe neacutecessairement une troisiegraveme chose qui est un meacutelange (σύμμειξις) de deux

contraires car sans elle il ne peut y avoir laquo les choses contraires viennent agrave exister agrave

partir de leurs contraires raquo Par exemple un bien vient agrave exister agrave partir de son

contraire non pas que le bien vienne agrave exister agrave partir de son contraire le mal si

ceacutetait le cas il naurait plus du mal dans le monde mais quelque chose qui eacutetait un

mal devient maintenant un bien Cest pourquoi dans le Phlegravebe le meacutelange est

synonyme de γίγνεσθαι (devenir) Or devenir a neacutecessairement une cause (αἰτία)

entre la limite et lillimiteacute la cause de devenir est la mesure ou la deacutemesure

Agrave premiegravere vue ce principe de la division paraicirct simple diviser une chose en deux

choses contraires chercher une reacutealiteacute qui devient entre ces deux choses contraires et

1 Il sagit dun couple de choses sensibles noir et blanc par exemple le substantif veut dire lopposition et non le contraire

2 Apologie 27 a3 Pheacutedon 70 e ndash 71 a4 Philegravebe 23 c laquo πάντα τὰ νῦν ὄντα ἐν τῷ παντὶ διχῇ διαλάβωμεν raquo5 Ibid6 Pheacutedon 71 a

308

eacutetablir la cause qui la pousse vers lune des deux choses contraires Mais en reacutealiteacute

lapplication de ce principe est diffcile Par exemple est-ce que le plaisir et la douleur

sont contraires Supposons que la reacuteponse soit oui quelle est cette troisiegraveme chose

qui est un meacutelange des plaisirs et des douleurs Le quatriegraveme paraicirct encore plus

diffcile agrave savoir la cause Par exemple quelle est la cause de la jalousie Dans le

contexte de la mondialisation afn de mieux comprendre ce monde et de mieux

preacuteparer le deacutef une question se pose quelles sont les deux choses contraires que

lon peut obtenir en divisant ce monde en deux Quelle est la chose qui pourrait ecirctre

le meacutelange de ces deux choses contraires Et quelle est la cause qui peut bien

engendrer un mouvement de ce meacutelange vers lune ou vers lautre On peut

constater quune telle division et lanalyse pertinente ne se font pas en quelques

minutes Si lon ne preacutepare pas ces questions depuis longtemps dans un dialogue un

tel sujet peut deacutesorienter ou mecircme rendre ridicule la discussion Tout cela semble

montrer que la dialectique est tregraves diffcile Dailleurs il y a plusieurs faccedilons de

diviser une chose horizontale et verticale ou un meacutelange de deux dans la premiegravere

partie du Politique la division est horizontale dans le second discours de Socrate du

Phegravedre la division des ecirctres humains est verticale dans le Philegravebe Socrate compte sept

douleurs principales de lacircme agrave savoir la colegravere la peur le regret le chant de deuil

lamour (ἔρως) lenvie (ζῆλος) la jalousie1 Il semble quil sagisse dune division

meacutelangeacutee dailleurs une douleur (λύπη) de lacircme nest pas toujours mauvaise par

exemple lamour paraicirct tantocirct bonne tantocirct mauvaise cela deacutepend de gens de leur

nature et leur culture tandis que la jalousie est absolument mauvaise

VI4 Conclusion

Le chapitre intituleacute laquo La dialectique raquo commence par le mythe ensuite la reacutefutation et

termine par la dialectique En effet le mythe sadresse agrave la fonction infeacuterieure de

lacircme il sagit de la fonction deacutesirante et donc irrationnelle cependant la fabrication

du mythe au service de la philosophie relegraveve de la raison cest en ce sens que le

philosophe est un fabricant de mythe il invente ou reacuteinvente interpregravete ou

reacuteinterpregravete des mythes pour persuader la foule De ce point de vue de fabrication le

mythe a une fonction dialectique En fait en tant que repreacutesentation de lintelligible

le mythe a le mecircme statut quune chose sensible qui est une image de lintelligible

Ainsi pour que cette repreacutesentation soit une image vraie de lintelligible il faut

neacutecessairement que le philosophe contemple lintelligible en fabriquant un mythe

1 Philegravebe 47 e

309

(comme le deacutemiurge fxe ses yeux sur les formes intelligibles pour fabriquer

lunivers) On voit bien ici une double opposition entre la fonction sensible agrave qui

sadresse le mythe et la fonction intelligible par laquelle le mythe est fabriqueacute et

entre la foule et le philosophe

Quant agrave la reacutefutation certes elle sadresse agrave la fonction croyante ou Ardente de lacircme

de maniegravere neacutegative mais elle-mecircme relegraveve du domaine de leacutethique En effet laquo pour

Socrate limportant dans la reacutefutation est davantage son effet eacutethique qui peut se

propager dun interlocuteur agrave un autre que la validiteacute de son argumentation

logique raquo1 Or leacutethique est leacutevaluation de la morale ainsi celui qui reacutefute doit ecirctre

neacutecessairement juste courageux tempeacuterant et sage car celui qui pratique la

reacutefutation ne se permet pas decirctre infeacuterieur en terme de vertu agrave ceux qui sont reacutefuteacutes

Cette supeacuterioriteacute eacutethique est contagieuse en ce sens que la reacutefutation est une fonction

dialectique permettant de progresser vers le Bien Ici nous avons aussi une double

opposition dans la reacutefutation agrave savoir entre lopinion et la penseacutee entre les ignorants

cest-agrave-dire ceux qui croient savoir ce quils ne savent pas et ceux qui aspirent au

savoir

La dialectique sadresse agrave la fonction intellective de lacircme Agrave la diffeacuterence du mythe

(dont la fabrication est une science speacutecifque dont lobjet est une image) et de la

reacutefutation (dont la pratique relegraveve dun savoir lui aussi science speacutecifque dont lobjet

est une opinion) la dialectique nest pas une science speacutecifque car son objet la

forme intelligible ne lest pas et y participent toutes les choses particuliegraveres (les

choses sensibles) et speacutecifques (les connaissances speacutecifques) Dailleurs la

dialectique nest ni une fabrication2 ni une destruction (des opinions par la reacutefutation

par exemple) puisque le dialogue dialectique a pour fonction dinciter la

reacuteminiscence afn de ressaisir les reacutealiteacutes veacuteritables que lacircme contemplait jadis

Effectivement agrave propos de cette contemplation persiste une certaine incoheacuterence

entre le mythe et la dialectique Comme nous lavons vu selon les mythes

eschatologiques certaines acircmes en arrivant aux portes de lHadegraves retombent

1 Brisson Luc laquo Une reacutefutation contagieuse Banquet (199 c ndash 201 c et 201 e ndash 203 a) raquo Antiquorumphilosophia V 1 2007 pp 91 ndash 07 p 91

2 Le deacutemiurge est un exemple typique de toutes les fabrications mecircme si lon peut bien supposer que lunivers nait ni commencement ni fn En effet laquo en fabriquant lunivers les yeux fxeacutes sur lesformes intelligibles et notamment sur celle du Vivant-en-en soi (Timeacutee 28 a ndash b 29 a) qui est le modegravele de lunivers le deacutemiurge garantit dans le monde sensible lexistence dune certaine stabiliteacute permettant quon le connaisse et quon en parle raquo (Timeacutee laquo Introduction raquo p 20) cest parce que laquo le mateacuteriau livreacute agrave une causaliteacute meacutecanique laquelle laisseacutee agrave elle-mecircme priveacutee de toute structure matheacutematique raquo (p 16)

310

immeacutediatement dans un autre corps cela suppose quelles nauraient jamais

doccasion de connaicirctre les reacutealiteacutes veacuteritables mais dapregraves la dialectique agrave travers la

reacuteminiscence (notion fondamentale de la dialectique) lacircme avait tout vu les choses

de lHadegraves et celles dici-bas cest-agrave-dire le Bien et les maux Il semble que la

dialectique soit plus rigoureuse et coheacuterente que le mythe

311

Conclusion

Chaque dialogue platonicien est une uniteacute philosophique Cela est deacutejagrave reconnu en

antiquiteacute puisque dans le catalogue de Thrasylle on trouve a deacutejagrave deux titres pour

chaque dialogue laquo le premier dapregraves le nom (de linterlocuteur principal) et le

second dapregraves le sujet raquo1 bien que le sujet ait connu quelques variantes2 En

revanche il est diffcile deacutetablir luniteacute des œuvres de Platon car 1 la seconde partie

du Timeacutee et le Critias les deux mythes pour ainsi dire ne sont pas des dialogue mais

un long reacutecit deacutepourvu de reacutefutation et de dialectique lesquelles ne peuvent se

passer du dialogue De plus en tant que mythe ils sont deacutepourvus de partie

interpreacutetative puisque ni Timeacutee ni Critias ninterpregravetent leur reacutecrit agrave leur propre

nom alors que Socrate le fait agrave chaque fois quil introduit un mythe dans le dialogue

2 la seconde partie du Parmeacutenide naspire pas au savoir cest-agrave-dire agrave la

connaissance de ce qui est puisque laquo ce qui est purement et simplement ecirctre raquo nest

pas possible selon lecirctre parmeacutenidien qui est en fait une reacutealiteacute multiple cest-agrave-dire

sensible 3 les Lois semblent trop speacutecifques pour ne pas dire non universelles3

bien que lon puisse y deacutecouvrir laquo des eacuteleacutements dignes dinteacuterecirct raquo4 Ces trois points

semblent illustrer une diffeacuterence entre Socrate et Platon

Du cocircteacute de Socrate ce quil dit dans les dialogues platoniciens est coheacuterent et luniteacute

se tient5 puisque sa vie durant il na fait quune seule chose agrave savoir philosopher

cest-agrave-dire aspirer ou faire aspirer au savoir ou se soumettre lui-mecircme et les autres agrave

examen afn de rendre meilleure leur acircme Traditionnellement dans les premiers

dialogues Socrate est eacutethique reacutefutatif et deacutepourvu de la connaissance de ce qui est

En revanche dans les dialogues tardifs il est eacutepisteacutemologique dialectique et pourvu

1 Diogegravenes Laeumlrce III 57 ndash 58 laquo Il semble que le premier des titres vient de Platon lui-mecircme Platon renvoie au Sophiste dans le Politique et Aristote cite le titre de huit dialogue raquo (ndeg 3 p 431) En effet le nom est moins important que le sujet puisque le nom deacutesigne une eacutecriture le sujet luniteacute de cette eacutecriture Si le sujet ne vient pas de Platon lui-mecircme cela signife que degraves lantiquiteacute les lecteurs de Platon eacutetaient attentifs agrave luniteacute des dialogues platonicien

2 Cf Phegravedre laquo Introduction raquo ndeg 1 p 63 ndash 463 Chaque citeacute a son histoire sa culture ses mœurs sa langue et autres speacutecifciteacutes ainsi il ne peut y

avoir de citeacutes qui ont des lois identiques En plus la mecircme citeacute na pas les mecircmes lois agrave les diffeacuterents peacuteriodes de son histoire On ne peut pas dire que tout cela eacutechappe agrave Platon

4 Lois laquo Introduction raquo p 14 5 Pour beaucoup une telle uniteacute est illusoire cf Vlastos Gregory Socrate Ironie et philosophie morale

Paris Aubier 1994 Trad par Catherine Dalimier voir particuliegraverement le chapitre II laquo Socrate contre Socrate chez Platon raquo ougrave lauteur identife dix thegravemes pour deacutemontrer quun Socrate de Platon est contre un autre ou mecircme Socrate de Platon

313

de la connaissance des reacutealiteacutes intelligibles En effet une telle distinction de Socrate

est trompeuse voici les trois raisons 1 Dans les premiers dialogues Socrate emploie

souvent la fameuse question laquo quest-ce que x raquo Ainsi on reconnaicirct que la bonne

reacuteponse agrave une telle question concerne neacutecessairement ce qui est universel et

immuable Cela prouve que mecircme dans les premiers dialogues Socrate a bien la

conscience de lexistence des reacutealiteacutes universelles et immuables Toutefois les

situations des dialogues ne lui permettent pas den parler car ses interlocuteurs

preacutetendent les connaicirctre eacutegalement Cest de lagrave que vient la question laquo τί ἐστι raquo cela

permet aussi de montrer que tout au plus leur savoir est une connaissance

particuliegravere et changeante et non universelle et immuable 2 Si la vertu est science

il ne peut y avoir de diffeacuterence eacutepisteacutemologique entre leacutethique et la connaissance de

ce qui est car on ne peut eacutevaluer veacuteritablement la morale sans connaissance de

reacutealiteacutes veacuteritables Cela admis sans cette connaissance cette eacutevaluation ne permet

pas de conduire la morale agrave ecirctre toujours la mecircme le juste est toujours juste quelle

que soit la situation et de mecircme pour le tempeacuterant le courageux et le sage Dailleurs

Platon lui-mecircme dit ceci dans la Lettre VII laquo Socrate mon ami qui eacutetait plus acircgeacute que

moi et dont je pense je ne rougirais pas de dire quil eacutetait lhomme le plus juste de

cette eacutepoque raquo1 Comment un homme peut-il ecirctre toujours le plus juste sans connaicirctre

aucune reacutealiteacute veacuteritable de la justice 3 La reacutefutation et la dialectique sont deux

moyens philosophiques du dialogue Leur diffeacuterence nest en reacutealiteacute quune

apparence puisque le but est le mecircme faire apparaicirctre la veacuteriteacute et rendre lacircme

meilleure En fait les interlocuteurs de Socrate sont diffeacuterents Dun cocircteacute sont ceux

qui simaginent savoir ce quils ne savent pas en reacutealiteacute de lautre cocircteacute sont ceux qui

aiment agrave aspirer au savoir Au fond il ny a pas de laquo Socrate contre Socrate chez

Platon raquo parce que les outils utiliseacutes pour philosopher sont diffeacuterents Socrate

soumet les opinions agrave examen soit par la science avec ceux qui precirctent attentivement

loreille aux discours de veacuteriteacute soit par opinion contre les discours de fausseteacute tenus

par ceux qui preacutetendent ecirctre savants lesquels nont aucune intention de precircter

loreille aux discours de veacuteriteacute La diffeacuterence est apparente car la reacutefutation est une

dialectique par le moyen des opinions et la dialectique est une reacutefutation par le

moyen de la science

Du cocircteacute de Platon les choses se compliquent en raison du fait quil est diffcile de

faire de ses œuvres une uniteacute Une question se pose pourquoi Platon qui sait faire

1 Lettres VII 324 d ndash e

314

dun dialogue une uniteacute de Socrate une uniteacute ne ferait-il pas de ses œuvres une

uniteacute

Premiegraverement luniteacute des dialogues ougrave Socrate est le meneur de jeu est eacutevidente

cette uniteacute cest la philosophie qui a deux objets contraires agrave savoir lignorance qui

fait lobjet de la reacutefutation et la science qui fait lobjet de la dialectique Il y a encore

un troisiegraveme objet qui est un meacutelange de ces deux objets contraires agrave savoir la

croyance qui fait lobjet de la persuasion pour laquelle le mythe est effcace Le

personnage de Socrate dans les dialogues platoniciens incarne ainsi parfaitement la

philosophie en maicirctrisant avec perfection la reacutefutation contre lignorance la

dialectique pour aspirer au savoir et le mythe pour persuader la foule Ainsi on peut

consideacuterer cette laquo triniteacute raquo socratique comme luniteacute philosophique cest en ce sens

que luniteacute de Socrate selon Platon se tient dans ses dialogues En revanche les autres

personnages jouant le rocircle de meneur de jeu ne semblent pas incarner cette laquo triniteacute raquo

philosophique Cest le cas pour lEacutetranger dAthegravenes dans les Lois pour lEacutetranger

dEacuteleacutee dans le Sophiste et le Politique pour Parmeacutenide dans la seconde partie du

Parmeacutenide pour Timeacutee dans le Timeacutee et pour Critias dans le Critias

Deuxiegravemement si Platon se considegravere comme historien de la penseacutee luniteacute de ses

œuvres tient parfaitement En effet le Critias les Lois le Sophiste la seconde partie du

Parmeacutenide le Politique la seconde partie du Timeacutee repreacutesenteraient six autres

courants de penseacutee Un historien de la penseacutee est neacutecessairement agrave la fois historien

eacutecrivain et penseur Comme historien les dialogues platoniciens sont eacutecrits en simple

reacutecit cest-agrave-dire en son propre nom puisquil en est auteur sans quil ne se fonde agrave

aucun personnage1 Comme eacutecrivain il a un langage authentique facilement

identifable par des lecteurs Comme penseur il comprend les autres penseurs tout

en soulignant quil partage la mecircme philosophie avec Socrate qui prononce deux fois

son nom dans lApologie2 Agrave la diffeacuterence de lApologie ougrave Socrate est au tribunal qui

est un lieu public le Pheacutedon est dans un cadre priveacute Labsence de Platon dans le

Pheacutedon souligneacutee par le narrateur Pheacutedon laquo Platon je crois eacutetait malade raquo3 souligne

la position neutre de lhistorien fdegravele au reacutecit simple En effet ne pas se mecircler au

personnage cest aussi ne pas entrer dans le cadre priveacute du personnage En tout cas

1 Voir la deacutefnition de trois formes de reacutecit agrave savoir le reacutecit simple le reacutecit dimitation et le reacutecit mixtela Reacutepublique III 392 d ndash 394 c

2 Voir Apologie 34 a 38 b3 Voir Pheacutedon 59 b laquo Beaucoup (Brunet Robin Loriaux entre autres) jugent quil ny a pas lieu de

chercher dans cette phrase un sens cacheacute raquo (Pheacutedon laquo Notes raquo ndeg 29 p 319 cf aussi laquo Introduction raquo p 37)

315

chez Platon rien nest hasard plus le deacutetail est insolent plus le sens meacuteriterait decirctre

chercheacute Comme chez les grands peintres les deacutetails sont souvent reacuteveacutelateurs par

exemple le tableau Mars et Veacutenus surpris par Vulcain de Tintoret devient une peinture

morale justement par un effet de deacutetails1 Mais en dehors des dialogues platoniciens

comment expliquer quil ny a pas ou peu de trace de ces six courants de penseacutee En

effet la transmission est seacutelective Dans le mecircme domaine plus leacutecart de porteacutee des

œuvres dauteur est grand plus les auteurs eacutelimineacutes dans la transmission sont

nombreux Les œuvres de Platon constituent une valeur incomparable cette valeur

mecircme devient le critegravere seacutelectif de la transmission Dailleurs en dehors des œuvres

de Platon et dAristote les penseurs anteacuterieurs agrave Socrate laissent peu ou pas

dheacuteritage Par exemple en dehors de certains dialogues platoniciens2 on ne connaicirct

presque rien le ceacutelegravebre sophiste Protagoras Agrave vrai dire cest Platon qui le rend

ceacutelegravebre

Troisiegravemement une fois accepteacute le fait de consideacuterer Socrate comme porte-parole de

Platon on devrait admettre eacutegalement comme porte-paroles de Platon Timeacutee Critias

Parmeacutenide lEacutetranger dAthegravene lEacutetranger dEacuteleacutee dans le Politique et le Sophiste

puisque comme Socrate ils sont aussi meneurs de jeu dans les dialogues respectifs

Dans ce cas-lagrave une question se pose pour quelle raison Platon changeait-il autant de

porte-paroles pourquoi Platon repris-il Socrate comme porte-parole dans le Philegravebe

alors quil ne leacutetait plus depuis le Sophiste et le Politique Une chose est certaine

Parmeacutenide dans la seconde partie du dialogue qui porte son nom ne peut ecirctre porte-

parole de Platon puisque Parmeacutenide ne comprend pas la chose en soi En effet le

cercle en soi (αὐτὸς ὁ κύκλος) dont Platon parle dans la Lettre VII3 nest pas

concevable pour Parmeacutenide4 Dailleurs il ne peut ecirctre porte-parole de Platon cest

parce que Parmeacutenide est un penseur historiquement identifable En conclusion les

personnages principaux des dialogues platoniciens ne sont pas des porte-paroles de

1 Cf le ceacutelegravebre petit livre intituleacute On ny voit rien de Daniel Arasse Paris Denoeumll 20002 Dans le Cratyle lEuthydegraveme lHippias majeur le Meacutenon le Phegravedre le Protagoras le livre X de la

Reacutepublique le Sophiste et le Theacuteeacutetegravete3 Voir Lattre VII 342 b ndash c Cf laquo La Lettre VII de Platon une autobiographie raquo Lectures de Platon La

reacuteponse est oui cest bien une autobiographe de Platon Notons que la Lettre VII est en reacutealiteacute undialogue sous forme de reacutecit de son second voyage en Sicile (352 a) mecircme si les reacutepliques du dialogue qui jalonnent la lettre ne sont pas nombreuses Agrave noter quil est de trouver un dialogue dans une lettre cela montre agrave tel point Platon est attacheacute au dialogue dailleurs lAcadeacutemie estavant tout un lieu de dialogue Cest pourquoi il est diffcile de penser que le monologue de Timeacutee et de Critias est un goucirct de Platon

4 Voir Parmeacutenide 138 a ndash b Le cercle cest-agrave-dire le cercle en soi qui est deacutepourvu de fgure est impossible pour Parmeacutenide car laquo il est impossible de se trouver en quelque chose sans en ecirctre enveloppeacute raquo (138 b) cest-agrave-dire impossible decirctre en soi et par soi

316

Platon particuliegraverement Socrate Ce passage de la Lettre VII peut le confrmer

indirectement

Pourtant il y a au moins une chose que je puis affrmer avec force concernant tous ceux qui ont eacutecrit ou qui eacutecriront eux qui tous se deacuteclarent compeacutetents sur ce qui fait lobjet de mes preacuteoccupations soit quils en aient entendu parler par moi ou par dautres soit quils preacutetendent en avoir fait eux-mecircmes la deacutecouverte ces gens du moins cest mon avis nepeuvent rien comprendre en la matiegravere

Lagrave-dessus en tout cas de moi du moins il ny a aucun ouvrage eacutecrit et il ny en aura mecircme jamais car il sagit lagrave dun savoir qui ne peut absolument pas ecirctre formuleacute de la mecircme faccedilon que les autres savoirs mais qui agrave la suite dune longue familiariteacute avec lactiviteacute en quoi il consiste et lorsquon y a consacreacute sa vie soudain agrave la faccedilon de la lumiegravere qui jaillit dune eacutetincelle qui bondit se produit dans lacircme et saccroit deacutesormais tout seul1

Or justement Socrate passe toute sa vie agrave philosopher Comment une telle vie pure

ne fait-elle pas jaillir la lumiegravere toute seule dans son acircme Au fond Socrate et Platon

font la mecircme chose toute leur vie penser la mecircme chose agrave savoir comment rendre

meilleurs la citeacute et les citoyens Ils font la mecircme chose agrave savoir aspirer au savoir

Mais cela ne doit pas effacer la diffeacuterence entre Socrate et Platon 1 Socrate parle

sans rien eacutecrire Platon eacutecrit sans jamais parler 2 Socrate navait aucune ambition

politique alors que Platon ne sen deacutebarrassait jamais2 Au fond il ny a pas vraiment

de diffeacuterence entre Socrate et Platon car au niveau de lacircme la mecircme lumiegravere jaillit

tous les jours certes soudaine du fond de leur acircme au niveau de la citeacute Socrate

aspire au savoir contre lignorance qui est le plus grand malheur pour sa citeacute alors

que Platon aspire au savoir contre lignorance au-delagrave de son temps et de sa citeacute au

niveau de la dialectique Socrate dialogue nimporte ougrave avec nimporte qui riche ou

pauvre homme ou femme savant ou ignorant alors que Platon dialogue agrave

lAcadeacutemie avec toutes sortes de savants particuliegraverement les matheacutematiciens

Ces trois points soulignent que luniteacute des œuvres de Platon se constitue autour du

statut de Platon comme historien de philosophie En effet la premiegravere vertu dun

historien de philosophie est decirctre juste agrave leacutegard de lhistoire de la penseacutee Agrave la fn de

son testament Platon dit ceci laquo Je ne dois rien agrave personne raquo3 Il est eacutevident que

Platon ne se permet pas de faire dire dans ses œuvres aux principaux personnages

historiquement identifables ce quils navaient jamais penseacute sinon il risquerait de

1 Lettre VII 341 b ndash d Nous soulignons Le titre de la section suivante intituleacute laquo La lumiegravere qui jaillit deacutetincelle raquo est extrait de cette phrase souligneacutee

2 laquo Neacute agrave Athegravenes dans une famille de haute ligneacutee Platon chercha tout naturellement sa vie dutant agrave jouer un rocircle politique non seulement agrave Athegravenes mais aussi agrave leacutetranger et notamment en Sicile raquo (Brisson Luc laquo LAcadeacutemie de Platon premiegravere tentative dinstitutionnalisation du savoir en Gregravece antique raquo Cahiers dEacutetudes Leacutevinassiennes 10 2011 pp 13 ndash 31 p 13 et 14

3 Diogegravene Laeumlrce III 43

317

leur devoir beaucoup En ce sens les deux Eacutetrangers meneurs de jeu dans les Lois le

Politique et le Sophiste1 pourraient deacutesigner Platon lui-mecircme cela est tout agrave fait

possible Dans ce cas-lagrave lEacutetranger (ξένος) ne signife pas citoyen dune autre citeacute

mais prend son sens original celui dun hocircte laquo lieacute par des relations reacuteciproques

daccueil confrmeacutees par des dons ce qui peut lier les descendants raquo2 Les

descendants platoniciens sont dabord les laquo acadeacutemiciens raquo dont il est pegravere ensuite

les autres platoniciens

Consideacuterant Platon comme historien de la philosophie autour de ce statut luniteacute de

ses œuvres peut ecirctre fondeacutee car en tant quhistorien de la penseacutee Platon ne se

permet pas de nommer un meneur de jeu non identifable dans ces trois dialogues

importants3 En fait si vraiment tous ces meneurs de jeu des dialogues platoniciens

sont les fdegraveles porte-paroles de Platon cela signife que tous ces jaillissements

deacutetincelle humaine relegravevent du seul geacutenie de Platon dans ces conditions non pas

que lhistoire soit trop belle pour ecirctre vraie mais que le terme laquo histoire raquo nait plus

aucun sens

Pour que la lumiegravere jaillisse deacutetincelles qui bondissent du fond de lacircme il faut

dabord avoir une bonne meacutemoire Cest la raison pour laquelle pour Socrate comme

pour Platon la meacutemoire (μνήμη) la faciliteacute dapprendre (εὐμάθεια) et la grandeur

de lacircme sont eacutetroitement lieacutees4 Voici la raison

Ou bien nest-ce rien de tout cela mais plutocirct le cerveau il nous procure les sensations (αἰσθήσεις) auditives visuelles olfactives desquelles naissent meacutemoire (μνήμη) et opinion (δόξα) puis quand la meacutemoire et lopinion ont acquis de la stabiliteacute (τὸ ἠρεμεῖν) elles donnent en vertu de cette mecircme stabiliteacute naissance agrave du savoir (ἐπιστήμην)5

Ce passage souligne le rapport intrinsegraveque entre la meacutemoire et la science (ἐπιστήμη)

En effet la meacutemoire est un embryon de connaissance sans lequel aucune naissance

de la science nest possible De lagrave naicirct la pertinence de la critique de leacutecriture

puisque leacutecriture est une externalisation de la meacutemoire La diffeacuterence entre la

meacutemoire et leacutecriture reacuteside dans ceci leacutecriture est lineacuteaire statique et passive alors

1 Puisque lEacutetranger du Politique et celui du Sophiste sont le mecircme agrave savoir lEacutetranger dEacuteleacutee2 Chantraine Pierre Dictionnaire eacutetymologique de la langue grecque histoire des mots Paris Klincksieck

1990 lentreacutee laquo ξένος raquo3 Certes le personnage de Timeacutee nest historiquement pas identifable nous ne le connaissons que

par une courte preacutesentation de Timeacutee par Socrate (Timeacutee 20 a cf aussi Critias laquo Introduction raquo p 334 ndash 335) Il est un philosophe originaire de la citeacute de Locres en Italie du sud laquo eacuteleveacute au sommet de la philosophie en son ensemble raquo (quelque peu une ironie socratique)

4 Voir Lettre VII 344 a Lois IV 709 e 710 c Meacutenon 88 a Reacutepublique VI 494 b5 Pheacutedon 96 b Pour mieux comprendre ce passage voir Philegravebe 33 e ndash 35 d

318

que la meacutemoire est un reacuteseau parallegravele extrecircmement complexe dynamique et

spontaneacute elle est en quelque sorte lacircme corporelle Le problegraveme fondamental de la

meacutemoire externe cest-agrave-dire leacutecriture est que ce quelle sauvegarde est incapable de

venir agrave se stabiliser de plus en plus puisquelle est fgeacutee son lien avec lacircme est

coupeacute rendant ainsi impossible loubli les souvenirs1 de sinterroger dapprendre

de nouveau et agrave nouveau de la reacuteminiscence En dautres termes sans la meacutemoire ce

processus de la naissance dune connaissance stable ne peut ecirctre possible

1 La meacutemoire (μνήμη) signife agrave la fois la faculteacute de sauvegarder de se souvenir de se remeacutemorer et lobjet de cette faculteacuteVoir particuliegraverement Philegravebe 33 e ndash 34 c Cf Dictionnaire Platon Ellipses lentreacutee laquo Meacutemoire μνήμη raquo

319

Annexe σῶμα ψυχή

Les dialogue de jeunesseApologie

[3 ψυχή] 29 e 30 b 40 c [1 σῶμα] 30 a Criton [0 ψυχή] [4 σῶμα] 47 c 47 e 47 e 47 e Hippias mineur [15 ψυχή] 364 a 372 e 373 a 375 a 375 a 375 a 375 a 375 b 375 c 375 e 375 e 375 e 376 a 376 b 376 b [11 σῶμα] 364 a 364 a 368 b 373 a 374 a 374 a 374 b 374 b 374 b 374 c 375 b Hippias majeur [2 ψυχή] 296 d 300 c [3 σῶμα] 295 c 296 e 301 b Ion

[5 ψυχή] 534 a 535 a 535 c 536 a 536 b [1 σῶμα] 530 b Alcibiade [22 ψυχή] 104 a 117 b 120 b 123 e 130 a 130 a 130 c 130 c 130 d 130 d 130 d 130 e 130 e 131 c 131 d 132 c 133 b 133 b 133 b 133 c 133 c 133 c [22 σῶμα] 104 a 126 a 128 a 128 c 128 c 128 d 129 e 129 e 129 e 130 a 130 a 130 b 130 b 130 c 131 a 131 b 131 b 131 c 131 c 131 d 132 c 135 a Lachegraves

[6 ψυχή] 185 e 185 e 186 a 186 a 190 b 192 b [1 σῶμα] 181 e Protagoras

[15 ψυχή] 312 b 312 c 313 a 313 a 313 b 313 c 313 c 313 e 313 e 314 b 326 b 329 c 337 b 351 b 356e [13 σῶμα] 313 a 313 a 313 c 313 d 314 a 326 b 326 c 334 b 334 c 337 c 351 a 352 a 354 b Meacutenexegravene [1 ψυχή] 235 a [2 σῶμα] 240 e 246 e Euthyphron [0 ψυχή] [0 σῶμα]Gorgias

[72 ψυχή] 453 a 463 a 464 a 464 a 464 a 464 b 464 c 465 c 465 e 477 a 477 a 477 b 477 c 477 c 477 c 477 e 477 e 478 d 478 d 479 b 480 b 485 e 486 d 486 d 486 e 487 a 491 b 493 a 493 b 493 c 493 c 496 e 501 b 501 b 501 b 501 c 501 d 503 a 504 b 504 c 504 d 504 d 504 e 505 b 505 b 505 b 506 d 506 e 507 a 511 a 511 d 512 a 512 a 513 c 513 d 513 e 517 d 518 a 522 e 523 c 523 d 523 e 523 e 524 b 524 d 524 d 524 d 524 e 524 e 525 a 525 a 526 d [70 σῶμα] 450 a 452 b 456 d 464 a 464 a 464 a 464 b 464 b 464 c 464 d 465 c 465 d 465 e 474 d 474 d 474 d 477 b 477 c 478 a 478 c 478 d 479 a 479 b 479 b 489 c 490 c 493 a 495 e 496 e 499 d 499 d 499 d 501 c 504 a 504 a 504 b 504 b 504 c 504 c 504 e 505 a 506 d 508 e 511 d 512 a 512 a 512 a 513 d 513 e 514 d 514 e 517 d 517 d 517 d 517 e 517 e 518 a 518 a 518 b 518 b 518 c 523 c

321

523 d 524 b 524 b 524 c 524 c 524 c 524 d 524 d Charmide [11 ψυχή] 154 e 156 e 156 e 157 a 157 a 157 b 157 c 160 a 160 a 160 b 175 d [12 σῶμα] 156 c 156 c 156 e 156 e 156 e 157 a 157 b 159 c 159 d 159 d 160 b 173 b Meacutenon [19 ψυχή] 80 b 81 b 81 b 81 c 81 d 86 a 86 b 86 b 87 b 88 a 88 c 88 c 88 c 88 d 88 d 88 e 88 e 88 e 98 a [0 σῶμα] Lysis [4 ψυχή] 218 b 220 c 222 a 222 a [8 σῶμα] 209 a 217 a 217 b 217 b 217 b 218 c 219 a 220 c Euthydegraveme [8 ψυχή] 287 d 287 d 287 d 295 b 295 e 302 a 302 e 302 e [3 σῶμα] 271 d 271 d 279 b

Les dialogue de maturiteacuteCratyle [33 ψυχή] 396 d 399 d 399 d 400 a 400 a 400 c 400 c 400 c 400 c 403 b 404 a 405 b 411 e 412 a 412 b 415 b 415 c 415 c 415 c 415 d 417 a 419 c 419 d 419 d 419 e 419 e 420 a 420 b 420 c 432 c 437 a 437 b 440 c [16 σῶμα] 399 d 399 d 399 e 400 a 400 b 403 b 403 e 404 a 404 a 405 b 419 c 419 c 422 e 423 a423 a 423 b Banquet

[24 ψυχή] 179 c 181 b 181 e 182 d 183 e 186 a 192 c 195 e 195 e 196 a 196 b 206 b 206 c 207 e 209 a 209 a 209 a 209 b 209 b 210 b 210 b 215 e 218 a 218 a [32 σῶμα] 181 b 181 e 183 e 183 e 186 a 186 b 186 b 186 c 186 c 186 c 186 d 189 a 196 b 206 b 206 c 207 e 207 e 208 b 208 e 209 a 209 b 210 a 210 a 210 b 210 b 210 b 210 b 210 b 210 c 211 a 211 c 211 c Pheacutedon [138 ψυχή] 64 c 64 c 64 c 64 e 65 a 65 b 65 c 66 a 66 b 66 e 67 a 67 c 67 d 67 d 67 e 70 a 70 b 70 c 70 d 71 e 72 a 72 d 73 a 73 a 76 c 76 c 76 e 76 e 77 a 77 b 77 b 77 c 77 d 78 b 78 b 79 b 79 b 79 b 79 b 79 c 79 e 79 e 79 e 80 a 80 a 80 b 80 b 80 d 80 d 81 c 81 c 81 d 81 d 82 d 82 e 83 a 83 b 83 c 83 d 84 a 86 b 86 c 86 c 86 c 86 d 87 a 87 a 87 d 87 d 87 d 87 e 87 e 87 e 88 a 88 a 88 a 88 b 88 b 88 b 88 d 88 d 90 e 91 c 91 d 91 d 91 d 92 a 92 a 92 b 92 c 92 d 92 e 93 b 93 b 93 b 93 b 93 c93 c 93 d 93 d 93 d 93 e 94 a 94 a 94 a 94 a 94 a 94 a 94 b 94 b 94 c 94 e 95 b 95 c 95 c 99 e 100 b 105 c 105 d 105 d 105 e 105 e 106 b 106 c 106 e 106 e 107 a 107 c 107 c 107 d 108 a 108 b 113 a 114 d 114 d 114 d 114 e 115 e [104 σῶμα] 64 c 64 c 64 c 64 d 64 d 64 e 65 a 65 a 65 a 65 b 65 b 65 c 65 d 65 d 65 e 66 a 66 b 66 b 66 c 66 d 66 e 67 a 67 a 67 a 67 c 67 c 67 d 67 d 67 d 67 e 68 c 70 a 70 a 76 c 77 b 77 d 79 b 79 b 79 b 79 c 79 c 79 c 79 e 80 a 80 a 80 b 80 b 80 c 80 c 80 c 80 d 80 d 80 e 81 b 81 b 81 c 81 e 82 c 82 d 82 e 83 d 83 d 83 d 83 d 83 d 83 e 84 b 86 a 86 b 86 c 86 c 86 d 87 a 87 d 87 d 87 d 87d 87 e 88 b 88 b 91 d 91 d 91 d 91 d 91 d 92 a 92 a 92 b 92 d 94 b 94 c 94 e 95 d 95 d 98 c 105 b 105 c 105 c 107 c 108 a 114 c 114 e 115 e 115 e Reacutepublique I[10 ψυχή] 330 e 345 b 353 d 353 d 353 d 353 d 353 e 353 e 353 e 353 e [8 σῶμα] 328 d 332 c 338 c 341 e 341 e 341 e 342 c 342 d Reacutepublique II [14 ψυχή] 358 b 365 a 366 c 366 e 366 e 375 b 375 b 376 e 377 b 377 c 381 a 382 b 382 b 382 b [8 σῶμα] 366 c 369 d 371 c 371 e 375 b 376 e 377 c 380 e

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Reacutepublique III [29 ψυχή] 386 d 387 a 400 d 401 c 401 d 401 e 402 d 402 d 403 d 403 d 404 e 408 e 409 a 409 a 409 a 409 b 409 c 410 a 410 a 410 c 410 c 411 a 411 a 411 b 411 d 411 e 412 a 415 b 416 e [25 σῶμα] 389 c 395 d 401 a 402 d 403 d 403 d 403 d 404 c 404 d 404 e 406 e 407 b 407 c 407 c 407 d 408 d 408 e 408 e 408 e 409 a 410 a 410 a 410 c 411 c 411 e Reacutepublique IV [25 ψυχή] 431 a 435 c 435 c 436 b 437 c 437 d 439 a 439 c 439 d 439 e 440 e 440 e 441 a 441 c 441 e 442 a 442 b 442 e 443 d 444 b 444 c 444 d 444 e 445 c 445 d [7 σῶμα] 425 b 442 a 442 b 443 e 444 c 444 d 445 a Reacutepublique V [4 ψυχή] 449 a 454 d 458 a 462 c [9 σῶμα] 455 b 459 c 461 a 462 c 464 b 464 d 464 e 469 d 476 a Reacutepublique VI[20 ψυχή] 484 c 485 d 486 a 486 b 486 d 486 e 490 b 491 a 491 b 491 e 494 b 495 e 496 b 498 b 504 a 505 d 508 d 510 b 511 a 511 d [6 σῶμα] 485 d 491 c 494 b 495 d 496 c 498 b Reacutepublique VII [34 ψυχή] 517 b 517 c 518 a 518 c 518 c 518 c 518 d 519 b 521 c 521 d 523 d 524 a 524 a 524 b 524 b 524 e 525 c 525 d 526 b 526 e 527 b 527 d 529 a 529 b 529 c 530 c 532 c 533 d 533 e 535 b 535 e 536 e 538 d 540 a [12 σῶμα] 518 c 518 d 521 e 525 d 530 b 532 c 535 b 535 c 535 d 536 e 536 e 539 d Reacutepublique VIII [14 ψυχή] 544 e 545 c 546 a 547 b 550 b 553 c 554 e 556 c 559 b 560 a 560 b 560 c 560 e 563 d [8 σῶμα] 546 a 556 b 556 e 559 b 564 a 564 b 566 b 567 c Reacutepublique IX [28 ψυχή] 571 c 573 b 573 d 575 d 577 d 577 d 577 e 577 e 578 a 579 b 579 e 580 d 581 a 581 b 583 a 583 c 583 e 584 c 585 b 585 d 585 d 586 e 588 b 590 a 591 b 591 b 591 c 591 d [10 σῶμα] 579 c 579 d 584 c 585 b 585 d 585 d 591 b 591 b 591 c 591 d Reacutepublique X [45 ψυχή] 595 a 602 d 602 e 603 a 603 a 603 d 604 c 605 a 605 b 605 b 605 b 606 d 608 d 609 b 609 c 609 d 610 a 610 a 610 a 610 b 610 c 610 c 610 c 610 e 610 e 611 b 611 b 611 b 611 d 612 b 612 c 614 b 614 d 618 b 618 d 618 d 618 d 619 d 620 a 620 a 620 b 620 b 620 d 621 c 621 c [15 σῶμα] 609 a 609 c 609 c 609 c 609 d 609 e 609 e 609 e 610 a 610 a 610 b 610 b 611 c 611 d 621b Phegravedre [55 ψυχή] 241 c 242 c 245 a 245 c 245 c 245 e 245 e 246 a 246 a 246 b 246 c 246 d 246 d 246 d 246 e 247 b 247 c 247 d 248 a 248 b 248 c 248 c 248 e 249 b 249 c 249 e 250 b 251 b 251 c 251 d 252 e 253 a 253 c 253 e 254 c 254 e 255 c 255 d 256 b 256 c 257 a 270 b 270 c 270 e 271 a 271 b 271 c 271 d 275 a 276 a 276 e 277 b 277 c 278 a 278 b [22 σῶμα] 232 e 238 c 239 c 239 d 241 c 245 e 246 c 246 c 246 d 246 d 248 d 250 c 250 d 251 a256 d 258 e 264 c 266 a 268 a 270 b 270 c 271 a Parmeacutenide [2 ψυχή] 132 a 132 b [0 σῶμα]Theacuteeacutetegravete [35 ψυχή] 145 b 150 b 150 d 153 b 153 c 155 b 158 d 167 b 172 e 173 a 173 a 175 b 175 d 180 b 184 d 185 d 185 e 185 e 186 a 186 b 186 c 187 a 189 e 190 c 191 c 192 a 194 c 194 c 197 d 197 d 198 b 199 d 199 e 200 c 202 c [11 σῶμα] 145 a 150 b 153 b 153 c 167 b 173 e 184 e 184 e 185 d 185 e 186 c

Les dialogue de vieillesse

323

Sophiste [36 ψυχή] 223 e 223 e 224 a 227 c 227 c 227 d 227 d 227 d 228 b 228 b 228 c 228 d 228 d 228 d 228 e 230 c 231 b 231 d 231 e 240 d 243 c 246 e 247 a 247 b 247 b 248 a 248 d 248 e 249 a 249 a 250 b 254 a 263 d 263 e 264 a 264 a [26 σῶμα] 219 a 220 e 223 e 225 a 225 a 226 e 226 e 227 a 227 b 227 c 228 a 228 e 230 c 230 c 246 b 246 b 246 b 246 c 246 e 247 b 247 b 247 c 247 d 248 a 265 c 267 a Politique [13 ψυχή] 258 c 259 c 270 e 272 e 278 c 286 a 301 e 306 d 307 c 309 c 309 c 309 d 310 d [19 σῶμα] 258 e 259 c 269 d 269 e 270 e 270 e 270 e 273 e 288 d 288 e 288 e 288 e 293 b 294 d 294 e 294 e 301 e 306 c 306 e Philegravebe [48 ψυχή] 11 d 26 b 30 a 30 b 30 c 30 d 32 b 32 c 33 c 33 d 33 d 33 e 34 a 34 b 34 c 35 b 35 d 36 a 38 e 39 a 39 b 39 b 39 d 40 c 41 c 41 c 45 e 46 c 46 c 46 c 47 c 47 d 47 d 47 e 48 a 48 b 48 e 50a 50 d 50 d 51 a 52 c 55 b 55 b 58 d 63 d 66 b 66 c [44 σῶμα] 17 d 21 c 29 a 29 d 29 e 29 e 29 e 30 a 30 a 30 b 32 c 33 d 33 d 33 e 34 a 34 b 34 b 34 c 35 b 35 c 35 d 36 a 39 d 41 c 41 c 41 c 42 d 42 e 45 a 45 b 45 e 46 b 46 c 46 c 47 c 47 c 47 d 48 e 50 d 50 d 51 a 52 c 55 b 64 b Timeacutee [67 ψυχή] 18 a 22 b 30 b 30 b 30 b 34 b 34 b 34 c 36 d 37 a 37 b 37 c 41 d 41 d 42 d 43 a 43 c 43 d 44 a 44 a 44 c 45 b 45 d 46 d 47 d 47 d 60 a 61 c 61 d 65 a 67 b 69 c 69 c 69 e 70 a 70 d 71 d72 d 73 b 73 c 73 d 73 d 75 a 77 b 81 d 85 e 86 b 86 b 86 b 86 d 86 d 86 e 87 a 87 a 87 a 87 d 87 d 87 e 88 b 88 b 88 b 88 c 89 e 90 a 90 a 91 e 92 b [150 σῶμα] 19 b 28 b 30 b 31 b 32 a 32 c 33 a 34 a 34 b 34 b 34 b 34 c 35 a 35 a 36 e 38 c 38 e 42 a 42 a 42 d 43 a 43 a 43 c 43 c 44 b 44 c 44 d 44 d 44 e 45 a 45 b 45 c 45 d 46 d 50 b 51 c 51 d 53 c 53 c 53 d 53 e 53 e 53 e 54 b 55 a 55 c 55 e 56 a 56 d 56 e 56 e 57 c 60 a 60 b 60 e 61 a 61 b 61 c 61 d 61 d 62 a 62 a 62 c 64 a 64 a 64 d 64 e 65 b 65 b 67 c 69 c 69 c 69 e 70 b 70 d 70 e 72 c 72 d 72 e 73 a 73 b 73 d 74 b 74 c 74 c 74 e 75 c 75 e 77 c 77 d 77 e 77 e 77 e 78 d 78 d 78 e 79 a 79 c 79 c 79 d 80 d 80 e 80 e 82 a 83 a 83 a 83 b 83 e 84 b 84 c 84 d 84 d 84 e 85 a 85 a 85 b 85 c 85 e 85 e 86 a 86 a 86 b 86 b 86 d 86 d 86 e 86 e 86 e 87 c 87 d 87 e 88 a 88 a 88 b 88 b 88 b 88 c 88 c 88 d 88 d 88 d 88 e 88 e 89 a 89 a 89 d 90 a 90 b 91 c 92 a Critias [2 ψυχή] 109 c 112 e [7 σῶμα] 107 b 107 d 109 b 109 c 111 b 111 b 112 e Lois I [11 ψυχή] 631 c 632 a 635 d 643 d 645 e 646 b 649 b 649 e 650 a 650 a 650 b [9 σῶμα] 628 d 628 d 631 c 636 a 636 a 636 a 646 b 646 c 646 d Lois II [17 ψυχή] 653 a 653 b 654 e 655 b 655 d 659 d 659 e 659 e 663 c 664 a 664 b 666 a 666 c 671 b 672 b 672 d 673 a [14 σῶμα] 653 d 654 c 654 d 655 b 656 a 659 e 664 e 666 a 668 d 668 d 672 d 672 e 673 a 673 a Lois III [10 ψυχή] 687 c 689 a 689 b 689 b 689 d 691 c 691 c 692 b 696 d 697 b [4 σῶμα] 684 c 684 c 691 c 697 b Lois IV [8 ψυχή] 705 a 710 a 714 a 716 a 716 e 717 c 718 d 724 a [3 σῶμα] 716 a 717 c 724 a Lois V [21 ψυχή] 727 b 727 b 727 d 727 d 727 d 727 e 728 a 728 b 728 c 728 e 731 b 731 c 731 d 734 d

324

735 b 743 d 743 e 747 b 747 e [10 σῶμα] 727 d 728 d 728 d 734 d 735 b 735 c 743 d 743 e 744 c 747 e Lois VI [6 ψυχή] 770 d 775 d 775 d 776 e 777 a 778 e [5 σῶμα] 761 d 775 c 775 d 775 d 775 d Lois VII [28 ψυχή] 788 c 790 c 790 c 790 e 791 a 791 b 791 c 791 c 792 b 793 e 797 e 798 a 798 b 800 d 801 e 803 a 807 c 807 d 808 b 808 c 812 c 812 c 814 e 814 e 815 b 816 d 823 d 824 a [33 σῶμα] 788 c 788 d 789 a 789 a 789 c 789 d 789 d 790 c 790 c 795 d 795 e 796 d 797 b 797 d 797 e 801 e 802 a 807 c 807 d 808 b 813 a 813 d 814 c 814 e 814 e 814 e 815 a 815 b 815 e 816 a 816 d 816 d 824 a Lois VIII [14 ψυχή] 828 d 830 d 831 c 832 a 835 c 836 d 837 c 837 c 837 c 839 c 840 a 840 b 841 c 844 d [10 σῶμα] 828 d 832 e 837 c 837 c 837 c 837 c 839 e 840 b 841 a 841 c Lois IX [15 ψυχή] 862 c 863 b 863 e 864 a 869 b 870 a 870 b 870 b 870 c 872 a 873 a 873 a 873 e 874 d 881 a [11 σῶμα] 857 d 859 d 865 a 865 b 865 c 865 c 870 b 870 b 870 b 873 a 874 d Lois X [51 ψυχή] 886 b 891 c 891 e 892 a 892 a 892 c 892 c 892 c 893 a 893 a 894 b 895 c 895 e 896 a 896a 896 b 896 c 896 c 896 c 896 c 896 d 896 d 896 d 896 e 897 b 897 b 897 c 898 c 898 c 898 c 898 d 898 d 898 e 898 e 899 a 899 a 899 b 899 b 899 c 900 e 903 d 903 d 904 a 904 b 904 c 904 c 904 d 904 e 906 b 906 b 909 a [29 σῶμα] 889 b 892 a 892 a 892 b 892 c 893 a 896 b 896 c 896 c 896 c 896 c 896 d 896 d 897 a 898 d 898 d 898 e 898 e 898 e 899 a 899 a 899 a 899 b 903 d 904 a 904 d 905 e 906 c 908 a Lois XI[11 ψυχή] 913 b 913 b 919 b 919 d 926 b 927 a 927 b 930 a 933 a 935 a 938 b [6 σῶμα] 916 a 925 e 926 b 933 a 933 a 933 c Lois XII [17 ψυχή] 942 a 942 c 956 a 958 a 959 a 959 a 959 b 960 d 961 d 961 d 963 e 963 e 964 e 966 d 967 b 967 d 968 e [13 σῶμα] 942 e 942 e 956 a 958 e 959 a 959 b 959 b 960 d 962 a 962 a 967 b 967 c 967 d

325

Annexe εἶδος ἰδέα

τὸ εἶδος1 ἰδέα2

Les dialogues de jeunesseHippias majeur [1] 289dProtagoras [1] 352aEuthyphron [1] 6dCharmide [2] 154d 154eLysis [1] 204e

Hippias majeur [1] 297bAlcibiade [1] 119cProtagoras [1] 315eEuthyphron [3] 5d 6d 6eCharmide [3] 157d 158b 175d

Les dialogues de maturiteacuteCratyle [4] 389b 390e 411a 440aBanquet [2] 189e 196aPheacutedon [7] 73d 79b 79d 87a 100b 103e 104cReacutepublique III [2] 402d 406c IV [2] 434d 437c V [3] 454c 475b 477c 511a IX [2] 581e 584c X [2] 597a 597cPhegravedre [3] 259d 263b 266cParmeacutenide [20] 129d 129e 131a 131a 131c 132d 132d 132e 132e 132e 132e 133a 133b 133d 134b 134b 134d 135a 149e 158cTheacuteeacutetegravete [2] 162b 178a

Cratyle [3] 389e 418e 439eBanquet [2] 196a 204cPheacutedon [8] 104b 104d 104d 104d 104e 105d 108d 109bReacutepublique II [4] 369a 380d 380d 380e V [1] 479a VI [6] 486d 505a 507b 507b 507e 508e VII[3] 517c 526e 534c VIII [1] 544c IX [3] 588c 588c 588d X [3] 596b 596b 596bPhegravedre [7] 237d 238a 246a 251a 253b 265d 273eParmeacutenide [7] 132a 132c 133c 134c 135a 135c 157dTheacuteeacutetegravete [7] 184d 187c 203c 203e 204a 205c 205d

Les dialogues de vieillesseSophiste [2] 255e 258dTimeacutee [2] 57c 57d

Sophiste [4] 235d 253d 254a 255ePolitique [6] 258c 262b 289b 291b 307c 308cPhilegravebe [7] 16d 16d 25b 60d 64a 65a 67aTimeacutee [14] 28a 35a 39e 40a 46c 49c 50d 57b58d 59c 60b 70c 71b 77aLois VIII [1] 836d XII [1] 965c

1 La statistique est reacutealiseacutee sur ces huit formes du substantif neutre τὸ εἶδος τοῦ εἴδους τοῦ σἴδεος τῷ εἴδει τὰ εἴδη τὰ εἴδέα τῶν εἰδέων τοῖς εἴδεσι(ν)

2 La statistique est reacutealiseacutee sur ces huit formes du substantif feacuteminin ἰδέα ἰδέαν ἰδέας ἰδέᾳ ἰδέαι ἰδεῶν ἰδέαις

326

Annexe ἀθάνατος ἀθανασία

ἀθάνατος άθανασία

Les dialogues de jeunesseApologie ἀθανάτων (35 a) ἀθάνατοί (41 c) Meacutenexegravene ἀθανάτους (247 d) Gorgias ἀθάνατος (481 a) ἀθανάτωνmiddot (484 b) Meacutenon ἀθάνατον (81 b) ἀθάνατός (81 c)ἀθάνατος (86 b) Euthydegraveme ἀθανάτους (289 b)

Euthydegraveme ἀθανασίᾳ (289 b)

Les dialogues de maturiteacuteCratyle ἀθάνατον (417 c) Banquet ἀθανάτου (202 d) ἀθάνατος (203 e) ἀθάνατον (206 c) ἀθάνατον (206 e) ἀθάνατος (207 d) ἀθάνατον (208 b) ἀθάνατον (208 c) ἀθάνατον (208 d) ἀθανάτου (208 d) ἀθανάτου (208 e) ἀθάνατον (209 d) ἀθανάτῳ (212 a) Pheacutedon ἀθάνατον (73 a) ἀθάνατον (79 d) ἀθανάτῳ (80 b) ἀθάνατά (80 d) ἀθάνατον (81 a) ἀθανάτου (86 b) ἀθάνατόν (88 b) ἀθάνατον (95 c) ἀθάνατον (95 d) ἀθάνατόν (95 e) ἀθάνατον (100 b) ἀθάνατον (105 e) ἀθάνατον (105 e) ἀθάνατον (105 e) ἀθανάτου (106 b) ἀθάνατον (106 b) ἀθανάτου (106 c) ἀθάνατος (106 c) ἀθάνατον (106 d)ἀθάνατόν (106 d) ἀθάνατον (106 e) ἀθάνατος (106 e) ἀθάνατον (106 e) ἀθάνατον (106 e) ἀθάνατος (107 c) ἀθάνατος (107 c) ἀθάνατόν (114 d) Reacutepublique III ἀθανάτοισι (386 d) IX ἀθανάτου (585 c) X ἀθανάτῳ (608 c) ἀθάνατος (608 d) ἀθανάτους (610 c) ἀθάνατον (611 a) ἀθανάτων (611 a) ἀθάνατα (611 a) ἀθάνατον (611 b) ἀθανάτῳ (611 e) ἀθάνατον (621 c) Phegravedre ἀθάνατος (245c) ἀθάνατον (245 c) ἀθανάτου (245 e) ἀθάνατον (246 a) ἀθάνατον (246 b) ἀθάνατον (246 c) ἀθάνατόν (246 d) ἀθάνατοι (247 b) ἀθάνατοι (252 c) ἀθάνατος (258 c) ἀθάνατον (277 a)

Banquet ἀθανασίας (206 e) ἀθανασίας (207 a) ἀθανασίας (208 b) ἀθανασίας (208 b) ἀθανασίαν (208 e) Pheacutedon ἀθανασίαν (95 c) Phegravedre ἀθανασίας (246 a)

Les dialogues de vieillessePolitique ἀθάνατον (273 e) Philegravebe ἀθάνατόν (15 d) Timeacutee ἀθάνατοι (41 b) ἀθανάτοις (41 c) ἀθανάτῳ (41 d) ἀθάνατον (42 e) ἀθανάτου (43 a) ἀθάνατά (69 c) ἀθάνατον (69 c) ἀθάνατα (90 c) ἀθάνατα (92 c) Lois II ἀθάνατον (661 b) ἀθάνατον (661 c) IV ἀθάνατοι (718 e) ἀθάνατον (721 c) X ἀθανάτοις (901 d) ἀθάνατός (906 a) XII ἀθάνατον (959 b) ἀθάνατόν (967 d)

Politique ἀθανασίαν (270 a) Timeacutee ἀθανασίας (90 c) Lois II ἀθανασίας (661 e) IV ἀθανασίας (713 e) ἀθανασίας (721 b) ἀθανασίας (721 c) V ἀθανασίας (739 e)

327

Annexe ἡδονή

Alcibiade [1] 122aBanquet [7] 176e 187e 187e 196c 196c 196c 207eCharmide [1] 167eCritias [3] 115b 116b 117aGorgias [37] 462c 462d 474d 474e 475a 475a 478b 484d 491d 492a 494a 495a 495d 496e 497c

497d 498d 498d 499b 499c 499d 499e 500b 500b 501a 501a 501b 501b 501b 501c 501e 502a 502c 507b 513d 513d 522b

Hippias majeur [23] 297e 298e 298e 299a 299d 299d 299d 299d 299d 299d 299d 299e 299e 300a300a 300b 302b 302c 302d 302d 303e 303e 303e

Lachegraves [3] 191d 191e 192bLois I [33] 631e 633d 633e 633e 633e 634a 634b 634b 634c 635b 635c 635c 635c 635d 635d 635d

636b 636c 636c 636d 636d 636e 637a 637a 637a 643c 644c 645d 647a 647c 647d 649d 649e II [32] 653a 653b 653b 653c 653e 654a 654d 655d 655e 656a 657b 658a 658e 659b 659c 659c 659c 660b 662e 663a 665c 667b 667c 667d 667d 667d 667e 667e 667e 668a 670d 673e III [5] 684c 689a 696c 700d 700e IV [2] 710a 714a V [15] 727c 732e 733a 733b 733b 733b 733c 734a 734a 734a 734a 734b 734b 734c 734c VI [2] 763b 782e VII [19] 788b 792c 792c 792d 792e 793a 798a 798e 802c 802d 813a 814e 815e 815e 815e 816b 816c 819b 823c VIII [5] 836d 838b 840c 841a 843d IX [7] 862d 863b 863d 863e 864b 869e 875b X [4] 886a 888a 902b 908c XI [2] 927b 934a

Lysis [1] 222bPheacutedon [17] 59a 59a 64d 65a 65c 68e 69a 69a 69a 69a 69a 69b 81b 83b 83d 84a 114ePhegravedre [19] 232b 233b 233b 237d 238a 238c 238e 240b 240b 240c 240d 240d 240d 250e 251a

251e 258e 258e 259bPhilegravebe [237] 11b 11b 11e 12a 12a 12a 12b 12c 12d 12e 12e 13a 13a 13b 13b 13c 13c 13c 13c

14a 14b 15e 18e 19b 19c 19d 20a 20b 20c 20c 20e 20e 20e 21a 21b 21c 21e 22a 22d 22d 22e 22e 23a 23b 26b 27c 27d 27e 27e 28a 31a 31a 31b 31b 31c 31d 31e 32a 32a 32a 32b 32b 32c 32c 32d 32d 32e 33a 33c 34c 34c 36c 36c 36e 37a 37b 37c 37c 37d 37d 37e 37e 37e 38a 38a 38a 38b 39d 39d 40a 40b 40c 40c 40d 40e 41a 41a 41c 41d 41d 41e 41e 41e 42a 42a 42b 42b 42c 42c 42d 42e 43b 43c 44b 44c 44c 44d 44d 44e 44e 45a 45b 45b 45c 45c 45d 45e 45e 46a 46a 46b 46c 46c 46d 46d 46e 46e 47a 47a 47a 47b 47c 47c 47c 47d 47d 47e 48a 48a 48b 49a 49c 49d 50a 50a 50a 50a 50b 50d 50e 51a 51a 51d 51d 51d 51e 51e 52a 52b 52c 52c 52d 53b 53b 53c 53c 54c 54d 54d 54d 54e 55a 55b 55c 55c 57a 57b 57b 59d 60a 60b 60c 60c 60d 60e 60e 60e 61c 61d 61d 62d 62e 62e 63a 63a 63a 63b 63c 63d 63d 63d 63e 64c 65a 65b 65c 65c 65c 65c 65d 65d 65d 65d 65e 65e 65e 66a 66c 66c 66d 66e 66e 66e 67a 67a 67a 67b

Politique [2] 286d 288cProtagoras [33] 351d 351e 351e 352b 352d 353a 353a 353c 353d 353d 354a 354b 354c 354c 354c

354c 354d 354d 354e 355a 355a 355b 355c 355c 355d 356a 356a 357a 357c 357c 357c 357d 357e

Reacutepublique I [3] 328d 328d 329a II [3] 357b 364c 365a III [7] 389e 390a 402e 403a 403b 413c 413d IV [10] 420e 429d 430a 430e 431c 431d 436a 439d 442a 442c V [7] 462b 462d 464a 464a 464b 464d 464d VI [9] 485d 493d 503a 503e 505b 505c 505c 506b 509a VII [2] 519b 538d VIII [9] 548b 556c 558d 559c 559d 561a 561a 561b 561c IX [56] 571b 573a 574a 574d 580d 581a 581c 581d 581d 581e 581e 581e 582a 582b 582b 582b 582c 582c 582c 583a 583a 583b 583c 583e 583e 584a 584b 584b 584b 584b 584c 584c 584c 584e 585a 585a 585e 585e 586a 586b 586b 586d 586e 587a 587a 587b 587b 587c 587c 587d 587d 587d 588a 588a 589c 591c X [3] 606b 607a 607c

Sophiste [4] 222e 225d 225d 228bTheacuteeacutetegravete [2] 156b 178dTimeacutee [19] 26b 42a 47d 59d 64a 64c 64d 64e 64e 65a 65a 69d 80b 81d 81e 86b 86c 86c 86d

328

Annexe ἐπιστήμη

Alcibiade [3] ἐπιστήμων (109 a) ἐπιστήμη (125 e) ἐπιστήμην (125 e) Apologie [2] ἐπιστήμην (19 c) ἐπιστήμων (20 b) Banquet [11] ἐπιστήμη (186 c) ἐπιστήμη (187 c) ἐπιστήμη (188 b) ἐπιστήμη (202 a) ἐπιστήμας (208

a) ἐπιστήμης (208 a) ἐπιστήμης (208 a) ἐπιστήμην (208 a) ἐπιστήμας (210 c) ἐπιστήμην (210 d) ἐπιστήμη (211 a)

Charmide [69] ἐπιστήμη (165 c) ἐπιστήμη (165 c) ἐπιστήμη (165 c) ἐπιστήμην (165 d) ἐπιστήμην (165 d) ἐπιστήμη (165 e) ἐπιστήμαις (165 e) ἐπιστήμη (166 a) ἐπιστήμης (166 a) ἐπιστήμη (166 b) ἐπιστήμη (166 c) ἐπιστήμη (166 e) ἐπιστήμη (166 e) ἐπιστήμης (166 e) ἐπιστήμη (167 b) ἐπιστήμη (167 c) ἐπιστήμην (168 a) ἐπιστήμη (168 a) ἐπιστήμη (168 a) ἐπιστήμη (168 b) ἐπιστήμη (168 b) ἐπιστήμης (169 a) ἐπιστήμη (169 a) ἐπιστήμης (169 b) ἐπιστήμην (169 b) ἐπιστήμην (169 b) ἐπιστήμης (169 b) ἐπιστήμην (169 d) ἐπιστήμης (169 d) ἐπιστήμην (169 e) ἐπιστήμη (170 a) ἐπιστήμης (170 a) ἐπιστήμη (170 a) ἐπιστήμη (170 a) ἐπιστήμῃ (170 a) ἐπιστήμῃ (170 b) ἐπιστήμη (170 b) ἐπιστήμην (170 b) ἐπιστήμην (170 b) ἐπιστήμην (170 b) ἐπιστήμῃ (170 b) ἐπιστήμη (170 c) ἐπιστήμην (170 d) ἐπιστήμης (170 e) ἐπιστήμη (171 a) ἐπιστήμην (171 a) ἐπιστήμη (171 a) ἐπιστήμη (171 a) ἐπιστήμη (171 a) ἐπιστήμης (171 c) ἐπιστήμη (171 c) ἐπιστήμην (171 e) ἐπιστήμη (172 a) ἐπιστήμην (172 b) ἐπιστήμην (172 b) ἐπιστήμην (172 c) ἐπιστήμας (173 b) ἐπιστήμην (173 c) ἐπιστήμην (174 c) ἐπιστήμη (174 d) ἐπιστήμη (174 d) ἐπιστήμαις (174 e) ἐπιστήμης (174 e) ἐπιστήμης (174 e) ἐπιστήμη (174 e) ἐπιστήμην (175 b) ἐπιστήμης (175 b) ἐπιστήμῃ (175 b) ἐπιστήμων (175 c)

Cratyle [3] ἐπιστήμην (411 a) ἐπιστήμη (412 a) ἐπιστήμης (417 a) Critias [1] ἐπιστήμην (106 b) Euthydegraveme [42] ἐπιστήμην (273 e) ἐπιστήμην (277 b) ἐπιστήμην (277 b) ἐπιστήμην (277 c)

ἐπιστήμην (277 e) ἐπιστήμην (278 a) ἐπιστήμην (278 a) ἐπιστήμῃ (278 a) ἐπιστήμη (281 a) ἐπιστήμη (281 a) ἐπιστήμη (281 a) ἐπιστήμη (281 b) ἐπιστήμη (281 b) ἐπιστήμη (282 a) ἐπιστήμην (282 e) ἐπιστήμης (288 d) ἐπιστήμην (288 d) ἐπιστήμη (289 a) ἐπιστήμης (289 a) ἐπιστήμη (289 a) ἐπιστήμης (289 b) ἐπιστήμης (289 c) ἐπιστήμην (289 e) ἐπιστήμην (292 b) ἐπιστήμης (292 b) ἐπιστήμην (292 c) ἐπιστήμην (292 d) ἐπιστήμην (292 d) ἐπιστήμη (292 e) ἐπιστήμη (293 a) ἐπιστήμην (293 b) ἐπιστήμων (293 c) ἐπιστήμων (293 c) ἐπιστήμων (293 c) ἐπιστήμων (293 c) ἐπιστήμην (293 d) ἐπιστήμων (293 d) ἐπιστήμην (293 d) ἐπιστήμων (295 b) ἐπιστήμων (295 b) ἐπιστήμων (295 b) ἐπιστήμων (297 a)

Euthyphron [2] ἐπιστήμην (14 c) ἐπιστήμη (14 d) Gorgias [17] ἐπιστήμων (448 b) ἐπιστήμων (448 c) ἐπιστήμων (448 e) ἐπιστήμων (449 c) ἐπιστήμη

(449 d) ἐπιστήμη (450 b) ἐπιστήμην (454 e) ἐπιστήμων (459 b) ἐπιστήμη (460 b) ἐπιστήμην (487 a) ἐπιστήμην (495 c) ἐπιστήμης (495 c) ἐπιστήμης (495 c) ἐπιστήμην (495 c) ἐπιστήμην (495 d) ἐπιστήμη (511 c) ἐπιστήμης (511 c)

Hippias mineur [6] ἐπιστήμων (367 e) ἐπιστήμων (368 d) ἐπιστήμας (375 c) ἐπιστήμη (375 d) ἐπιστήμη (375 e) ἐπιστήμην (375 e)

Ion [6] ἐπιστήμῃ (532 c) ἐπιστήμῃ (536 c) ἐπιστήμη (537 d) ἐπιστήμη (537 e) ἐπιστήμη (538 b)ἐπιστήμῃ (541 e)

Lachegraves [19] ἐπιστήμη (182 c) ἐπιστήμης (184 c) ἐπιστήμην (184 c) ἐπιστήμῃ (184 e) ἐπιστήμην (191 b) ἐπιστήμης (193 b) ἐπιστήμης (193 b) ἐπιστήμη (194 e) ἐπιστήμην (195 a) ἐπιστήμην (196 d) ἐπιστήμην (196 d) ἐπιστήμην (198 c) ἐπιστήμη (198 d) ἐπιστήμην (199 a) ἐπιστήμη (199 a) ἐπιστήμη (199 b) ἐπιστήμη (199 b) ἐπιστήμη (199 c) ἐπιστήμην (200 a)

Lettre VII [5] ἐπιστήμην (342 a) ἐπιστήμη (342 b) ἐπιστήμη (342 c) ἐπιστήμης (342 e) ἐπιστήμην (343 e)

Lois I [2] ἐπιστήμην (639 b) ἐπιστήμην (639 b) III [1] ἐπιστήμαις (689 b) IX [1] ἐπιστήμης (875 c) XI [1] ἐπιστήμων (933 c) XII [1] ἐπιστήμην (968 e)

Meacutenexegravene [1] ἐπιστήμη (246 e) Meacutenon [38] ἐπιστήμην (85 d) ἐπιστήμην (85 d) ἐπιστήμην (85 d) ἐπιστήμων (85 d) ἐπιστήμη (87

b) ἐπιστήμην (87 c) ἐπιστήμη (87 c) ἐπιστήμη (87 c) ἐπιστήμης (87 c) ἐπιστήμης (87 d)ἐπιστήμη (87 d) ἐπιστήμη (87 d) ἐπιστήμην (87 d) ἐπιστήμη (88 b) ἐπιστήμης (88 b)

329

ἐπιστήμη (89 c) ἐπιστήμη (89 d) ἐπιστήμη (89 d) ἐπιστήμη (89 d) ἐπιστήμης (96 e) ἐπιστήμην (97 b) ἐπιστήμης (97 c) ἐπιστήμην (97 c) ἐπιστήμη (97 d) ἐπιστήμη (98 a) ἐπιστήμη (98 a) ἐπιστήμη (98 b) ἐπιστήμη (98 b) ἐπιστήμης (98 c) ἐπιστήμην (98 c) ἐπιστήμην (98 c) ἐπιστήμη (98 d) ἐπιστήμην (99 a) ἐπιστήμη (99 a) ἐπιστήμη (99 a) ἐπιστήμη (99 b) ἐπιστήμην (99 b) ἐπιστήμῃ (99 b)

Parmeacutenide [22] ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 b) ἐπιστήμης (134 b) ἐπιστήμης (134 b) ἐπιστήμης (134 c) ἐπιστήμην (134 c) ἐπιστήμης (134 c) ἐπιστήμην (134 c) ἐπιστήμην (134 d) ἐπιστήμη (134 d) ἐπιστήμη (134 e) ἐπιστήμῃ (134 e) ἐπιστήμη (142 a) ἐπιστήμη (155 d) ἐπιστήμην (160 d) ἐπιστήμῃ (160 d) ἐπιστήμη (164 b)

Pheacutedon [20] ἐπιστήμη (73 a) ἐπιστήμη (73 c) ἐπιστήμη (73 c) ἐπιστήμη (73 d) ἐπιστήμην (74 b) ἐπιστήμην (74 c) ἐπιστήμην (75 b) ἐπιστήμην (75 c) ἐπιστήμας (75 d) ἐπιστήμην (75 d) ἐπιστήμης (75 d) ἐπιστήμας (75 e) ἐπιστήμην (75 e) ἐπιστήμην (76 b) ἐπιστήμην (76 c) ἐπιστήμας (76 c) ἐπιστήμης (90 d) ἐπιστήμην (96 b) ἐπιστήμην (97 d) ἐπιστήμων (117 a)

Phegravedre [10] ἐπιστήμης (247 c) ἐπιστήμῃ (247 d) ἐπιστήμην (247 d) ἐπιστήμην (247 e) ἐπιστήμην (268 b) ἐπιστήμην (269 d) ἐπιστήμης (276 a) ἐπιστήμων (276 a) ἐπιστήμας (276 c) ἐπιστήμης (276 e)

Philegravebe [31] ἐπιστήμη (13 e) ἐπιστήμην (14 a) ἐπιστήμῃ (14 a) ἐπιστήμην (19 d) ἐπιστήμης (20 a) ἐπιστήμην (21 b) ἐπιστήμην (21 d) ἐπιστήμην (28 a) ἐπιστήμην (28 c) ἐπιστήμης (38 a) ἐπιστήμης (52 e) ἐπιστήμης (55 c) ἐπιστήμης (55 d) ἐπιστήμης (55 d) ἐπιστήμης (57 b) ἐπιστήμη (57 b) ἐπιστήμας (57 e) ἐπιστήμη (58 c) ἐπιστήμην (58 e) ἐπιστήμη (59 b) ἐπιστήμην (60 d) ἐπιστήμη (61 d) ἐπιστήμης (61 d) ἐπιστήμης (62 a) ἐπιστήμαις (62 b) ἐπιστήμας (62 c) ἐπιστήμας (62 d) ἐπιστήμην (62 d) ἐπιστήμης (65 d) ἐπιστήμας (66 b) ἐπιστήμαις (66 c)

Politique [46] ἐπιστήμας (258 b) ἐπιστήμας (258 c) ἐπιστήμην (258 e) ἐπιστήμας (258 e) ἐπιστήμης (258 e) ἐπιστήμην (259 a) ἐπιστήμη (259 c) ἐπιστήμης (260 a) ἐπιστήμης (261 c) ἐπιστήμην (264 a) ἐπιστήμην (264 d) ἐπιστήμης (265 c) ἐπιστήμης (266 e) ἐπιστήμης (267 a) ἐπιστήμην (267 b) ἐπιστήμην (267 d) ἐπιστήμων (268 b) ἐπιστήμης (277 d) ἐπιστήμης (284 b) ἐπιστήμῃ (288 a) ἐπιστήμης (288 e) ἐπιστήμης (290 c) ἐπιστήμης (292 c) ἐπιστήμην (292 c) ἐπιστήμη (292 d) ἐπιστήμην (292 e) ἐπιστήμην (292 e) ἐπιστήμῃ (293 d) ἐπιστήμην (295 b) ἐπιστήμῃ (295 d) ἐπιστήμην (297 b) ἐπιστήμας (299 d) ἐπιστήμην (300 e) ἐπιστήμης (301 b) ἐπιστήμων (301 b) ἐπιστήμων (301 c) ἐπιστήμης (301 d) ἐπιστήμης (301 e) ἐπιστήμης (303 e) ἐπιστήμην (304 b) ἐπιστήμῃ (304 c) ἐπιστήμῃ (304 d) ἐπιστήμην (305 a) ἐπιστήμας (305 c) ἐπιστήμη (308 c) ἐπιστήμην (309 e)

Protagoras [25] ἐπιστήμων (312 e) ἐπιστήμων (313 e) ἐπιστήμη (330 b) ἐπιστήμης (345 b) ἐπιστήμης (351 a) ἐπιστήμην (352 b) ἐπιστήμης (352 b) ἐπιστήμης (352 b) ἐπιστήμην (352 b) ἐπιστήμης (352 c) ἐπιστήμη (352 c) ἐπιστήμη (352 c) ἐπιστήμην (352 d) ἐπιστήμη (357 a) ἐπιστήμη (357 b) ἐπιστήμη (357 b) ἐπιστήμη (357 b) ἐπιστήμης (357 c) ἐπιστήμης (357 d) ἐπιστήμης (357 d) ἐπιστήμης (357 e) ἐπιστήμη (361 b) ἐπιστήμη (361 b) ἐπιστήμη (361 b) ἐπιστήμην (361 c)

Reacutepublique I [6] ἐπιστήμης (340 e) ἐπιστήμη (342 c) ἐπιστήμης (350 a) ἐπιστήμων (350 a) ἐπιστήμων (350 a) ἐπιστήμων (350 b) II [2] ἐπιστήμην (366 c) ἐπιστήμην (374 d) III [2] ἐπιστήμῃ (409 b) ἐπιστήμην (409 d) IV [22] ἐπιστήμῃ (422 c) ἐπιστήμη (428 b) ἐπιστήμῃ (428 b) ἐπιστήμην (428 b) ἐπιστήμην (428 c) ἐπιστήμη (428 c) ἐπιστήμην (428 d) ἐπιστήμας (428 e) ἐπιστήμῃ (428 e) ἐπιστήμης (429 a) ἐπιστήμας (438 c) ἐπιστήμη (438 c) ἐπιστήμη (438 c) ἐπιστήμην (438 c) ἐπιστήμη (438 c) ἐπιστήμη (438 d) ἐπιστήμη (438 e) ἐπιστήμη (438 e) ἐπιστήμη (438 e) ἐπιστήμην (438 e) ἐπιστήμην (442 c) ἐπιστήμην (443 e) V [12] ἐπιστήμης (477 b) ἐπιστήμης (477 b) ἐπιστήμη (477 b) ἐπιστήμη (477 b) ἐπιστήμην (477 d) ἐπιστήμην (477 e) ἐπιστήμης (477 e) ἐπιστήμη (478 a) ἐπιστήμη (478 a) ἐπιστήμη (478 b) ἐπιστήμην (478 d) ἐπιστήμης (478 d) VI [8] ἐπιστήμης (486 c) ἐπιστήμων (506 b) ἐπιστήμην (506 b) ἐπιστήμης (506 c) ἐπιστήμης (508 e) ἐπιστήμην (508 e) ἐπιστήμην (509 a) ἐπιστήμης (511 c) VII [11] ἐπιστήμης (518 c) ἐπιστήμην (522 a) ἐπιστήμη (522 c) ἐπιστήμη (527 a) ἐπιστήμην (533 c) ἐπιστήμας (533 d) ἐπιστήμηςmdashδιάνοιαν (533 d) ἐπιστήμην (533 e) ἐπιστήμην (534 a) ἐπιστήμῃ (534 c) ἐπιστήμαις (540 a) IX [3] ἐπιστήμης (585 b) ἐπιστήμης (585 c) ἐπιστήμῃ (586 d) X [4] ἐπιστήμην (598 d) ἐπιστήμων (599 b) ἐπιστήμην (602 a) ἐπιστήμην (602 a)

Sophiste [11] ἐπιστήμων (232 a) ἐπιστήμην (233 c) ἐπιστήμας (235 a) ἐπιστήμην (249 c) ἐπιστήμης (253 b) ἐπιστήμης (253 c) ἐπιστήμην (253 c) ἐπιστήμης (253 d) ἐπιστήμη (257 c) ἐπιστήμης (265 c) ἐπιστήμης (267 e)

330

Theacuteeacutetegravete [114] ἐπιστήμης (145 e) ἐπιστήμη (145 e) ἐπιστήμη (145 e) ἐπιστήμη (146 c) ἐπιστήμη (146 d) ἐπιστήμην (146 d) ἐπιστήμην (146 e) ἐπιστήμη (146 e) ἐπιστήμη (146 e) ἐπιστήμην (146 e) ἐπιστήμην (147 b) ἐπιστήμην (147 b) ἐπιστήμην (147 b) ἐπιστήμη (147 b) ἐπιστήμην (147 c) ἐπιστήμης (148 b) ἐπιστήμην (148 c) ἐπιστήμης (148 d) ἐπιστήμας (148 d) ἐπιστήμη (151 d) ἐπιστήμη (151 e) ἐπιστήμη (151 e) ἐπιστήμης (152 a) ἐπιστήμη (152 c) ἐπιστήμην (158 a) ἐπιστήμων (160 d) ἐπιστήμη (160 d) ἐπιστήμην (160 e) ἐπιστήμη (163 a) ἐπιστήμων (163 d) ἐπιστήμων (163 e) ἐπιστήμων (164 a) ἐπιστήμη (164 a) ἐπιστήμων (164 a) ἐπιστήμων (164 b) ἐπιστήμην (164 b) ἐπιστήμη (164 c) ἐπιστήμης (164 d) ἐπιστήμην (165 d) ἐπιστήμη (168 b) ἐπιστήμας (179 c) ἐπιστήμην (179 d) ἐπιστήμη (182 e) ἐπιστήμην (182 e) ἐπιστήμην (182 e) ἐπιστήμη (182 e) ἐπιστήμην (183 c) ἐπιστήμης (184 a) ἐπιστήμης (184 a) ἐπιστήμης (184 b) ἐπιστήμην (184 b) ἐπιστήμων (186 c) ἐπιστήμη (186 d) ἐπιστήμης (186 e) ἐπιστήμη (186 e) ἐπιστήμη (186 e) ἐπιστήμη (187 a) ἐπιστήμη (187 b) ἐπιστήμη (187 b) ἐπιστήμην (187 c) ἐπιστήμης (196 d) ἐπιστήμην (196 d) ἐπιστήμην (196 e) ἐπιστήμης (196 e) ἐπιστήμης (197 b) ἐπιστήμης (197 b) ἐπιστήμην (197 c) ἐπιστήμας (197 e) ἐπιστήμην (197 e) ἐπιστήμη (197 e) ἐπιστήμας (198 b) ἐπιστήμην (198 d) ἐπιστήμην (199 a) ἐπιστήμην (199 b) ἐπιστήμην (199 b) ἐπιστήμην (199 b) ἐπιστήμην (199 d) ἐπιστήμῃ (199 d) ἐπιστήμης (199 d) ἐπιστήμη (199 d) ἐπιστήμας (199 e) ἐπιστήμην (199 e) ἐπιστήμῃ (199 e) ἐπιστήμην (200 a) ἐπιστήμην (200 b) ἐπιστήμης (200 d) ἐπιστήμην (200 d) ἐπιστήμην (200 d) ἐπιστήμην (200 e) ἐπιστήμην (201 a) ἐπιστήμης (201 c) ἐπιστήμη (201 c) ἐπιστήμης (201 c) ἐπιστήμην (201 d) ἐπιστήμης (201 d) ἐπιστήμην (202 c) ἐπιστήμην (202 c) ἐπιστήμη (202 d) ἐπιστήμης (203 b) ἐπιστήμην (206 c) ἐπιστήμης (206 e) ἐπιστήμην (206 e) ἐπιστήμην (208 b) ἐπιστήμης (208 b) ἐπιστήμην (208 c) ἐπιστήμων (208 e) ἐπιστήμης (209 e) ἐπιστήμην (210 a) ἐπιστήμη (210 a) ἐπιστήμης (210 a) ἐπιστήμην (210 a) ἐπιστήμης (210 a) ἐπιστήμη (210 b) ἐπιστήμης (210 b)

Timeacutee [2] ἐπιστήμη (37 c) ἐπιστήμης (46 d)

331

Annexe σοφία

Alcibiade [2] σοφίᾳ (123 d) σοφία (133 b)Apologie [12] σοφίαν (20 d) σοφίαν (20 d) σοφία (20 d) σοφίαν (20 e) σοφία (20 e) σοφίᾳ (22 b)

σοφίαν (22 d) σοφίαν (22 e) σοφία (23 a) σοφίαν (23 b) σοφίαν (29 d) σοφίᾳ (35 a)Banquet [12] σοφία (175 d) σοφία (175 e) σοφίας (175 e) σοφίας (175 e) σοφίαν (184 c) σοφίαν

(184 e) σοφίας (196 d) σοφίαν (197 a) σοφίας (202 a) σοφίας (203 e) σοφία (204 b) σοφίᾳ (206 b)

Charmide [1] σοφίᾳ (153 d)Cratyle [8] σοφίας (396 c) σοφίας (396 d) σοφίας (401 e) σοφία (404 d) σοφίαν (404 d) σοφίας (410

e) σοφία (412 b) σοφίαν (428 d)Critias [0]Criton [0]Euthydegraveme [37] σοφία (271 c) σοφίαν (271 c) σοφίας (272 b) σοφίαν (272 d) σοφίαν (274 a) σοφίας

(274 d) σοφίαν (275 c) σοφίας (276 d) σοφίαν (278 c) σοφίας (278 d) σοφίας (278 d) σοφίαν (279 c) σοφία (279 d) σοφία (280 a) σοφία (280 a) σοφία (280 a) σοφίας (280 b) σοφίας (281 b) σοφία (281 d) σοφία (281 e) σοφίας (282 b) σοφία (282 c) σοφία (282 c) σοφίαν (283 a) σοφίαν (288 b) σοφίας (294 e) σοφίαν (296 e) σοφίαν (297 c) σοφίας (299 a) σοφίας (300 b) σοφία (300 d) σοφίαν (301 b) σοφίᾳ (301 e) σοφίας (303 c) σοφίαν (304 c) σοφίας (305 d) σοφίαν (305 e)

Euthyphron [7] σοφίας (3 c) σοφίαν (3 d) σοφίας (4 b) σοφίᾳ (9 b) σοφίᾳ (11 e) σοφίας (12 a) σοφίας (14 d)

Gorgias [4] σοφίαν (467 e) σοφίας (487 c) σοφίαν (487 c) σοφίας (487 e)Hippias majeur [13] σοφίᾳ (281 c) σοφίαν (281 d) σοφίας (282 d) σοφίας (282 d) σοφίας (283 a)

σοφίας (283 a) σοφία (283 c) σοφίᾳ (287 c) σοφίᾳ (289 b) σοφίᾳ (291 a) σοφία (296 a) σοφία(296 e) σοφίᾳ (300 d)

Hippias mineur [7] σοφίαν (364 a) σοφίας (364 b) σοφίαν (368 b) σοφίας (368 c) σοφίᾳ (368 e) σοφίᾳ (372 b) σοφίας (372 b)

Ion [1] σοφίαν (542 a)Lachegraves [7] σοφίας (188 c) σοφίαν (194 d) σοφίαν (194 d) σοφία (194 e) σοφία (195 a) σοφίαν (197

d) σοφίᾳ (200 a)Lettre II [0] III [0] IV [0] V [0] VIII [0] IX [0] XI [0] XII [0]Lettre VI [3] σοφίᾳ (322 d) σοφίας (322 d) σοφίας (322 e) VII [1] σοφίας (332 c) X [1] σοφίας (358

c) XIII [1] σοφίαν (360 b)Lois II [0] IV [0] VI [0] VII [0] VIII [0] X [0] XI [0] XII [0]Lois I [1] σοφίαν (644 a) III [5] σοφίας (677 c) σοφίαν (679 c) σοφία (689 d) σοφία (691 a) σοφίας

(701 a) V [2] σοφίαν (732 a) σοφίας (747 c) IX [1] σοφίας (863 c)Lysis [2] σοφία (212 d) σοφίας (214 a)Meacutenexegravene [1] σοφία (247 a)Meacutenon [11] σοφίᾳ (70 b) σοφίᾳ (70 b) σοφίας (70 c) σοφία (71 a) σοφία (74 a) σοφίᾳ (81 c) σοφίᾳ

(90 a) σοφίας (91 a) σοφίας (91 d) σοφίαν (93 e) σοφίᾳ (99 b)Parmeacutenide [0] Pheacutedon [2] σοφίας (96 a) σοφίας (101 e)Phegravedre [5] σοφίᾳ (229 e) σοφίαν (236 b) σοφίαν (258 a) σοφίας (274 e) σοφίας (275 a)Philegravebe [5] σοφίας (15 e) σοφίαν (30 b) σοφία (30 c) σοφία (30 c) σοφίας (49 a)Politique [0]Protagoras [26] σοφίαν (321 d) σοφίαν (321 d) σοφία (330 a) σοφία (330 a) σοφία (332 a) σοφίᾳ

(332 e) σοφία (333 a) σοφία (333 b) σοφία (333 b) σοφίας (337 d) σοφία (341 a) σοφίᾳ (342 b) σοφίαν (342 b) σοφίαν (343 a) σοφίας (343 b) σοφίᾳ (343 c) σοφία (349 b) σοφία (350 c) σοφίαν (350 d) σοφίαν (350 d) σοφία (350 e) σοφίαν (352 d) σοφία (358 c) σοφία (360 d)

332

σοφία (360 d) σοφίᾳ (361 e)Reacutepublique I [7] σοφία (338 b) σοφίας (348 e) σοφίᾳ (349 a) σοφίαν (350 d) σοφία (351 a) σοφία

(351 c) σοφία (354 b) II [1] σοφίαν (365 d) III [2] σοφίας (398 a) σοφίας (406 b) IV [5] σοφία (428 b) σοφίαν (429 a) σοφία (431 e) σοφίᾳ (433 d) σοφίαν (443 e) V [1] σοφίας (475 b) VI [5] σοφίᾳ (485 c) σοφίαν (493 a) σοφίαν (493 b) σοφίαν (493 d) σοφίας (504 a) VII [1] σοφίας (516 c) VIII [0] IX [0] X [3] σοφίᾳ (600 d) σοφίαν (602 a) σοφία (605 a)

Sophiste [0]Theacuteeacutetegravete [18] σοφίαν (145 b) σοφίᾳ (145 d) σοφία (145 e) σοφία (145 e) σοφίας (150 c) σοφίᾳ (161

c) σοφίας (161 e) σοφίαν (162 c) σοφίαν (162 e) σοφίαν (165 e) σοφίαν (166 d) σοφίαν (170 b) σοφίαν (170 b) σοφίαν (172 b) σοφία (176 c) σοφίαι (176 c) σοφίαν (180 d) σοφίαν (201 a)

Timeacutee [0]

333

Annexe δόξα

Alcibiade [1] δόξα (117 b) Apologie [2] δόξης (29 e) δόξαν (34 e) Banquet [4] δόξῃ (189 c) δόξης (208 d) δόξαι (216 a) δόξης (218 e) Charmide [4] δόξαι (158 a) δόξα (159 a) δόξαν (168 a) δόξαν (168 a) Cratyle [5] δόξαν (387 b) δόξης (393 b) δόξαι (394 a) δόξαν (401 a) δόξῃ (420 c) Critias [1] δόξαν (107 e) Criton [11] δόξα (44 c) δόξης (44 c) δόξης (44 d) δόξῃ (45 e) δόξας (47 a) δόξῃ (47 b) δόξαν (47 c)

δόξῃ (47 c) δόξης (48 a) δόξης (48 c) δόξαν (49 d) Euthydegraveme [3] δόξα (286 d) δόξαν (305 d) δόξαν (305 d) Euthyphron [1] δόξαν (12 c) Gorgias [9] δόξαν (457 b) δόξα (458 a) δόξῃ (466 e) δόξῃ (469 a) δόξῃ (469 d) δόξῃ (469 d) δόξα

(486 d) δόξαν (501 c) δόξαι (517 e) Hippias majeur [1] δόξαν (301 d) Hippias mineur [1] δόξαν (364 b) Lachegraves [1] δόξῃ (189 a) Lettre II [3] δόξαν (311 e) δόξαν (311 e) δόξαν (313 c) Lettre III [1] δόξα (317 e) Lettre IV [1] δόξης (320 b) Lettre VII [12] δόξαν (324 a) δόξαν (324 b) δόξαν (328 b) δόξαν (329 a) δόξαν (335 d) δόξαν (336

b) δόξης (336 e) δόξαις (340 d) δόξαν (341 c) δόξα (342 c) δόξαν (344 e) δόξῃ (348 c) Lettre XI [1] δόξαι (359 a) Lettre XIII [2] δόξαν (360 d) δόξαν (362 d) Lois I [4] δόξης (632 c) δόξαν (642 a) δόξας (644 c) δόξας (645 e) Lois II [4] δόξας (653 a) δόξαι (660 c) δόξαν (663 b) δόξῃ (667 e) Lois III [6] δόξα (688 b) δόξαν (689 a) δόξαν (689 a) δόξαις (689 b) δόξα (701 a) δόξαν (701 b) Lois V [2] δόξῃ (729 d) δόξαν (746 d) Lois VI [6] δόξῃ (755 d) δόξῃ (767 d) δόξῃ (767 e) δόξης (770 d) δόξῃ (772 b) δόξῃ (772 c) Lois VII [3] δόξῃ (802 b) δόξαν (814 b) δόξῃ (815 d) Lois VIII [3] δόξῃ (829 b) δόξῃ (842 a) δόξῃ (846 c) Lois IX [3] δόξῃ (854 d) δόξῃ (863 c) δόξης (864 b) Lois X [9] δόξαν (888 b) δόξαν (888 c) δόξης (891 c) δόξα (892 b) δόξαι (896 d) δόξαις (899 e)

δόξαν (903 a) δόξης (907 b) δόξῃ (908 c) Lois XI [5] δόξαν (914 a) δόξῃ (919 e) δόξας (928 c) δόξῃ (933 e) δόξῃ (933 e) Lois XII [8] δόξα (948 c) δόξαν (949 a) δόξαις (950 c) δόξαν (950 c) δόξης (951 a) δόξῃ (957 b)

δόξαι (957 e) δόξῃ (961 b) Meacutenexegravene [7] δόξας (238 d) δόξῃ (239 a) δόξαν (239 c) δόξαν (241 b) δόξαν (243 d) δόξῃ (247 b)

δόξαν (247 b) Meacutenon [20] δόξας (84 d) δόξαν (85 b) δόξαι (85 c) δόξαι (85 c) δόξαν (97 b) δόξα (97 b) δόξα (97

c) δόξα (97 c) δόξαν (97 c) δόξαν (97 c) δόξας (97 e) δόξαι (97 e) δόξης (98 a) δόξα (98 b) δόξα (98 b) δόξα (98 c) δόξαν (98 c) δόξα (98 d) δόξαν (99 a) δόξα (99 a)

Parmeacutenide [5] δόξας (130 e) δόξῃ (132 a) δόξα (155 d) δόξα (164 b) δόξα (166 a) Pheacutedon [7] δόξαν (66 b) δόξαν (69 d) δόξαν (70 b) δόξῃ (90 b) δόξης (96 b) δόξης (99 a) δόξαι (102

d) Phegravedre [10] δόξῃ (229 a) δόξης (232 a) δόξης (237 e) δόξης (238 b) δόξης (253 d) δόξαν (257 d)

δόξας (260 c) δόξας (262 c) δόξῃ (268 b) δόξαις (275 d)

334

Philegravebe [29] δόξαν (11 b) δόξαν (21 b) δόξαν (21 c) δόξαι (36 c) δόξας (36 d) δόξα (37 b) δόξῃ (37 b) δόξα (37 c) δόξαν (37 d) δόξαν (37 e) δόξης (37 e) δόξαν (37 e) δόξης (38 a) δόξῃ (38 b) δόξα (38 b) δόξαν (38 e) δόξα (39 a) δόξαν (40 d) δόξας (40 e) δόξαι (42 a) δόξαν (47 b) δόξαν (49 b) δόξαν (57 b) δόξαις (59 a) δόξαν (59 a) δόξαν (60 d) δόξαν (61 d) δόξης (64 a) δόξας (66 b)

Politique [11] δόξαν (272 d) δόξῃ (278 a) δόξαν (278 c) δόξης (278 e) δόξαν (290 d) δόξαν (295 c) δόξῃ (299 c) δόξῃ (300 d) δόξης (301 b) δόξαν (309 c) δόξαις (310 e)

Protagoras [5] δόξαν (314 c) δόξαν (324 b) δόξαν (337 b) δόξαν (353 a) δόξαν (358 c) Reacutepublique I [1] δόξαν (346 a) ReacutepubliqueII [15] δόξαν (358 a) δόξαν (361 a) δόξαν (361 c) δόξαν (362 a) δόξης (363 a) δόξας (363

e) δόξῃ (364 a) δόξαν (365 b) δόξας (366 e) δόξας (367 b) δόξῃ (367 d) δόξας (367 d) δόξας (367 d) δόξας (377 b) δόξαις (378 d)

Reacutepublique III [3] δόξαν (412 e) δόξα (412 e) δόξης (413 a) Reacutepublique IV [7] δόξης (429 c) δόξα (430 a) δόξης (430 b) δόξαν (430 b) δόξης (431 c) δόξα (431

d) δόξης (433 c) Reacutepublique V [16] δόξαν (451 c) δόξης (456 d) δόξα (466 b) δόξαν (467 d) δόξαν (470 a) δόξαν (473

e) δόξαν (476 d) δόξαν (477 b) δόξα (477 b) δόξαν (477 e) δόξα (477 e) δόξα (477 e) δόξα (478 a) δόξα (478 a) δόξα (478 c) δόξα (478 c)

Reacutepublique VI [9] δόξαν (490 a) δόξαν (491 a) δόξαν (499 a) δόξαν (499 e) δόξαν (500 a) δόξαι (502 b) δόξαν (505 d) δόξας (508 d) δόξης (511 d)

Reacutepublique VII [4] δόξας (533 b) δόξαν (534 a) δόξαν (534 c) δόξαν (538 d) Reacutepublique VIII [1] δόξαι (560 c) Reacutepublique IX [9] δόξα (572 d) δόξας (573 b) δόξας (574 d) δόξαν (576 e) δόξαν (580 b) δόξῃ (580

d) δόξης (581 b) δόξας (584 e) δόξης (585 b) Reacutepublique X [6] δόξαν (602 a) δόξας (603 d) δόξαν (606 c) δόξας (612 b) δόξης (612 d) δόξαν (619

a) Sophiste [21] δόξαν (216 d) δόξας (228 b) δόξης (230 b) δόξας (230 b) δόξας (230 d) δόξαν (233 b)

δόξα (240 d) δόξαις (241 b) δόξων (242 b) δόξῃ (260 b) δόξα (260 c) δόξαν (260 d) δόξα (260 e) δόξαν (260 e) δόξαν (261 b) δόξα (263 d) δόξης (264 a) δόξα (264 b) δόξα (264 b) δόξα (264 d) δόξης (267 e)

Theacuteeacutetegravete [53] δόξῃ (149 d) δόξαν (161 d) δόξαν (162 a) δόξας (170 a) δόξαν (171 a) δόξαν (171 b) δόξαν (172 a) δόξαν (172 b) δόξῃ (172 b) δόξαν (174 c) δόξαν (178 c) δόξα (178 d) δόξας (179 b) δόξαν (179 c) δόξαι (179 c) δόξαν (187 b) δόξα (187 b) δόξαν (187 c) δόξης (187 c) δόξα (189 b) δόξαν (189 d) δόξαν (190 a) δόξαν (190 a) δόξαν (190 e) δόξης (193 d) δόξαν (193 e) δόξα (194 b) δόξας (195 b) δόξαν (199 a) δόξαν (200 c) δόξαν (200 e) δόξαν (201 c) δόξα (201 c) δόξαν (201 d) δόξῃ (202 b) δόξαν (202 b) δόξαν (202 c) δόξης (206 c) δόξαν (206 d) δόξα (206 e) δόξης (207 b) δόξῃ (207 c) δόξαν (208 c) δόξης (208 e) δόξαν (209 a) δόξα (209 d) δόξῃ (209 d) δόξαν (209 d) δόξαν (209 d) δόξα (210 a) δόξαν (210 a) δόξα (210 b) δόξης (210 b)

Timeacutee [12] δόξαν (19 d) δόξαν (20 a) δόξαν (21 d) δόξαν (22 b) δόξαν (27 d) δόξῃ (28 a) δόξῃ (28 c) δόξαι (37 b) δόξα (51 d) δόξα (51 d) δόξῃ (52 a) δόξης (77 b)

335

Annexe δίκη δικαιοσύνη

Alcibiade [2] δικαιοσύνην (134 c) δικαιοσύνης (135 e) Apologie [4] δίκην (28 d) δίκην (38 d) δίκῃ (38 e) δίκην (39 b) Banquet [5] δίκην (179 d) δικαιοσύνης (188 d) δικαιοσύνῃ (196 c) δικαιοσύνης (196 d) δικαιοσύνη

(209 a) Cratyle [3] δίκην (400 c) δικαιοσύνην (413 d) δίκῃ (419 d) Critias [4] δίκην (106 b) δίκη (106 b) δίκῃ (112 e) δίκην (121 b) Criton [8] δίκης (45 e) δίκης (45 e) δικαιοσύνη (48 a) δίκην (50 c) δίκῃ (52 c) δίκην (53 c)

δικαιοσύνη (53 c) δικαιοσύνης (54 a) Euthyphron [18] δίκη (2 a) δίκην (2 a) δίκην (3 e) δίκη (3 e) δίκη (4 a) δίκῃ (4 b) δίκῃ (4 b) δίκῃ (4

c) δίκην (5 b) δίκης (5 b) δίκῃ (6 a) δίκην (8 b) δίκην (8 c) δίκην (8 c) δίκην (8 c) δίκην (8 d) δίκην (8 d) δίκην (8 e)

Gorgias [62] δικαιοσύνης (460 e) δικαιοσύνην (464 b) δικαιοσύνη (464 c) δικαιοσύνην (465 c) δικαιοσύνης (470 e) δίκης (472 d) δίκης (472 e) δίκην (472 e) δίκην (472 e) δίκης (472 e) δίκην (473 b) δίκην (473 b) δίκην (473 d) δίκην (474 b) δίκην (476 a) δίκην (476 a) δίκην (476 d) δίκην (476 e) δίκην (477 a) δίκην (477 a) δίκην (478 a) δικαιοσύνῃ (478 a) δίκη (478 b) δίκης (478 b) δίκη (478 b) δίκην (478 d) δίκη (478 d) δίκην (478 e) δίκην (479 a) δίκην (479 a) δίκην (479 b) δίκην (479 c) δίκην (479 d) δίκην (479 d) δίκην (479 e) δίκην (479 e) δίκην (479 e) δίκην (480 a) δίκην (480 c) δίκην (481 a) δίκην (481 a) δίκην (482 b) δίκης (486 a) δίκην (486 c) δικαιοσύνην (492 b) δικαιοσύνης (492 b) δικαιοσύνης (492 c) δικαιοσύνη (504 d) δικαιοσύνη (504 e) δίκην (507 d) δικαιοσύνη (507 d) δικαιοσύνης (508 b) δίκην (509 b) δίκην (510 e) δίκην (515 e) δικαιοσύνης (519 a) δικαιοσύνην (519 d) δίκης (523 b) δίκην (525 b) δίκη (526 e) δίκηνmiddot (527 c) δικαιοσύνην (527 e)

Hippias majeur [4] δικαιοσύνῃ (287 c) δικαιοσύνῃ (287 c) δικαιοσύνη (287 c) δίκην (292 b) Hippias mineur [4] δικαιοσύνη (375 d) δικαιοσύνην (375 e) δικαιοσύνη (375 e) δικαιοσύνης (376 a) Lachegraves [2] δικαιοσύνην (198 a) δικαιοσύνης (199 d) Lettre III [2] δίκην (318 d) δίκην (319 e) Lettre IV [1] δικαιοσύνῃ (320 b) Lettre VI [1] δίκῃ (323 b) Lettre VII [5] δίκῃ (329 a) δικαιοσύνῃ (335 c) δικαιοσύνῃ (335 c) δικαιοσύνῃ (335 d) δίκην (351 c) Lettre VIII [1] δίκῃ (354 e) Lois I [8] δικαιοσύνη (630 a) δικαιοσύνην (630 c) δικαιοσύνη (631 c) δικαιοσύνῃ (632 c) δίκην (637

b) δίκης (643 e) δίκης (644 a) δίκης (647 c) Lois II [3] δικαιοσύνης (660 e) δικαιοσύνης (661 c) δίκης (671 d) Lois III [2] δίκῃ (682 d) δίκην (696 d) Lois IV [5] δίκην (705 e) δίκης (713 e) δίκη (716 a) δίκῃ (716 b) δίκῃ (718 b) Lois V [6] δίκην (728 b) δίκη (728 c) δίκηmdashτιμωρία (728 c) δίκῃ (735 e) δίκης (737 a) δίκης (738 e) Lois VI [17] δίκην (754 e) δίκῃ (754 e) δίκην (757 e) δίκης (762 e) δίκῃ (767 a) δίκην (767 a) δίκην

(767 b) δίκην (767 e) δίκην (767 e) δίκην (767 e) δίκην (767 e) δίκῃ (768 a) δίκης (768 a) δίκην (773 d) δίκην (777 d) δίκῃ (777 e) δίκην (784 e)

Lois VII [2] δίκην (794 c) δίκῃ (808 e) Lois VIII [6] δίκην (838 c) δίκην (843 b) δίκην (844 d) δίκην (845 c) δίκην (846 b) δίκης (849 e) Lois IX [41] δίκην (854 d) δίκη (854 d) δίκην (854 e) δίκη (854 e) δίκην (855 c) δίκην (856 a) δίκῃ

(856 a) δίκην (856 d) δίκης (857 a) δίκην (857 a) δίκην (857 b) δικαιοσύνης (859 d) δικαιοσύνης (859 e) δίκην (861 c) δίκην (862 e) δίκην (865 c) δίκην (866 b) δίκην (868 b) δίκης (869 a) δίκης (869 c) δίκην (870 e) δίκην (870 e) δίκης (871 c) δίκην (871 e) δίκην (871 e) δίκης (871 e) δίκην (872 b) δίκη (872 e) δίκῃ (873 c) δίκην (873 c) δίκης (876 e) δίκην (877 a) δίκην (877 b) δίκης (880 a) δίκην (880 b) δίκην (880 c) δίκην (880 c) δίκην (880 c) δίκην (880 d) δίκην (881 d) δίκην (881 e)

336

Lois X [10] δίκην (885 a) δίκην (887 b) δίκη (904 e) δίκης (905 a) δικαιοσύνη (906 a) δίκης (908 b) δίκης (908 d) δίκην (909 a) δίκην (909 d) δίκην (910 d)

Lois XI [27] δίκην (913 b) δίκης (914 d) δίκῃ (914 d) δίκην (916 b) δίκην (921 a) δίκην (928 c) δίκην (928 c) δίκῃ (929 a) δίκῃ (929 a) δίκην (929 e) δίκην (933 d) δίκην (933 e) δίκηνmdashοὐ (934 a) δίκην (934 b) δίκην (936 e) δίκης (937 a) δίκης (937 a) δίκην (937 a) δίκης (937 b) δίκην (937 b) δίκῃ (937 c) δίκην (937 d) δίκη (937 d) δίκη (937 d) δίκην (937 e) δίκῃ (938 a) δίκην (938 b)

Lois XII [24] δίκης (941 c) δίκης (941 d) δίκην (943 d) δίκῃ (943 e) δίκην (943 e) δίκη (944 d) δίκην (944 e) δίκην (945 a) δίκῃ (945 d) δίκης (945 d) δίκην (948 d) δίκῃ (949 a) δίκῃ (954 e) δίκην (954 e) δίκην (955 b) δίκη (955 c) δίκῃ (955 d) δίκης (956 c) δίκην (956 d) δίκης (956 d) δίκην (957 c) δίκην (958 c) δικαιοσύνη (964 b) δικαιοσύνῃ (965 d)

Meacutenexegravene [2] δίκην (237 d) δικαιοσύνης (247 a) Meacutenon [11] δικαιοσύνῃ (73 b) δικαιοσύνης (73 b) δικαιοσύνη (73 d) δικαιοσύνην (73 e)

δικαιοσύνην (78 d) δικαιοσύνης (78 e) δικαιοσύνην (79 a) δικαιοσύνης (79 b) δικαιοσύνην (79 b) δικαιοσύνης (79 c) δικαιοσύνην (88 a)

Parmeacutenide [1] δικαιοσύνης (131 a) Pheacutedon [14] δίκης (58 a) δίκης (58 a) δίκης (58 c) δίκης (58 c) δίκη (59 d) δίκη (61 a) δικαιοσύνη (69

b) δικαιοσύνη (69 c) δίκην (81 d) δικαιοσύνην (82 b) δίκην (98 e) δίκην (99 a) δίκη (114 b) δικαιοσύνῃ (115 a)

Phegravedre [10] δίκην (235 d) δικαιοσύνην (247 d) δίκην (249 a) δίκην (249 d) δικαιοσύνης (250 b) δίκῃ (266 a) δίκῃ (275 e) δικαιοσύνης (276 e) δίκῃ (277 d) δίκῃ (278 e)

Philegravebe [1] δικαιοσύνης (62 a) Protagoras [29] δίκη (322 a) δίκην (322 c) δίκην (322 c) δίκην (322 c) δίκης (322 d) δικαιοσύνης

(323 a) δικαιοσύνης (323 a) δικαιοσύνῃ (323 b) δικαιοσύνην (323 b) δικαιοσύνη (325 a) δίκης (326 e) δικαιοσύνη (327 b) δικαιοσύνην (329 c) δικαιοσύνη (329 c) δικαιοσύνη (329 c) δικαιοσύνη (330 b) δικαιοσύνη (330 c) δικαιοσύνη (330 c) δικαιοσύνη (330 c) δικαιοσύνη (331 a) δικαιοσύνην (331 b) δικαιοσύνη (331 b) δικαιοσύνη (331 b) δικαιοσύνην (331 c) δικαιοσύνη (331 c) δικαιοσύνη (331 d) δικαιοσύνη (333 b) δικαιοσύνη (349 b) δικαιοσύνη (361 b)

Reacutepublique I [44] δίκην (330 e) δικαιοσύνην (331 c) δικαιοσύνης (331 d) δικαιοσύνης (331 e) δικαιοσύνη (332 d) δικαιοσύνην (332 d) δικαιοσύνη (332 e) δικαιοσύνην (333 a) δικαιοσύνη (333 d) δικαιοσύνη (333 d) δικαιοσύνην (333 d) δικαιοσύνη (333 d) δικαιοσύνη (333 e) δικαιοσύνη (334 b) δικαιοσύνη (334 b) δικαιοσύνη (335 c) δικαιοσύνῃ (335 c) δικαιοσύνη (336 a) δικαιοσύνην (336 e) δικαιοσύνης (337 d) δικαιοσύνης (343 c) δικαιοσύνη (343 c) δικαιοσύνης (344 c) δικαιοσύνης (345 a) δικαιοσύνης (345 a) δικαιοσύνην (345 b) δικαιοσύνης (348 b) δικαιοσύνην (348 c) δικαιοσύνην (348 c) δικαιοσύνην (348 c) δικαιοσύνην (348 e) δικαιοσύνην (350 d) δικαιοσύνη (351 a) δικαιοσύνης (351 a) δικαιοσύνη (351 a) δικαιοσύνης (351 b) δικαιοσύνης (351 b) δικαιοσύνη (351 c) δικαιοσύνης (351 c) δικαιοσύνη (351 d) δικαιοσύνη (352 c) δικαιοσύνην (353 e) δικαιοσύνης (354 a) δικαιοσύνης (354 b)

Reacutepublique II [48] δικαιοσύνην (357 d) δικαιοσύνην (358 c) δικαιοσύνης (358 c) δικαιοσύνην (358 d) δικαιοσύνη (358 e) δικαιοσύνης (359 a) δίκην (359 a) δικαιοσύνης (359 b) δικαιοσύνῃ (360 b) δικαιοσύνης (360 d) δικαιοσύνης (360 e) δικαιοσύνην (361 b) δικαιοσύνης (361 c) δικαιοσύνην (361 c) δικαιοσύνης (361 d) δικαιοσύνης (361 e) δικαιοσύνῃ (362 d) δικαιοσύνην (362 e) δικαιοσύνην (363 a) δικαιοσύνην (363 d) δικαιοσύνης (363 e) δικαιοσύνη (364 a) δικαιοσύνης (365 b) δίκην (365 d) δίκην (366 a) δικαιοσύνην (366 b) δικαιοσύνην (366 c) δικαιοσύνη (366 c) δικαιοσύνης (366 e) δικαιοσύνην (366 e) δικαιοσύνη (366 e) δικαιοσύνης (367 a) δικαιοσύνη (367 b) δικαιοσύνην (367 c) δικαιοσύνης (367 d) δικαιοσύνην (367 d) δικαιοσύνη (367 e) δικαιοσύνης (368 a) δικαιοσύνη (368 b) δικαιοσύνῃ (368 b) δικαιοσύνη (368 e) δικαιοσύνη (368 e) δικαιοσύνην (369 a) δικαιοσύνη (371 e) δικαιοσύνην (372 e) δικαιοσύνην (376 d) δίκην (380 b) δίκην (380 b)

Reacutepublique III [3] δικαιοσύνη (392 b) δικαιοσύνη (392 c) δίκην (405 c) Reacutepublique IV [30] δικαιοσύνην (420 b) δικαιοσύνη (427 d) δικαιοσύνῃ (427 e) δικαιοσύνην (430 c)

δικαιοσύνη (430 d) δικαιοσύνην (430 d) δικαιοσύνη (432 b) δικαιοσύνη (432 b) δικαιοσύνη (433 a) δικαιοσύνη (433 a) δικαιοσύνη (433 b) δικαιοσύνην (433 c) δικαιοσύνην (433 d) δικαιοσύνη (434 a) δικαιοσύνη (434 c) δικαιοσύνη (434 d) δικαιοσύνην (434 d) δικαιοσύνην (435 a) δικαιοσύνης (435 b) δικαιοσύνη (442 d) δικαιοσύνην (443 b) δικαιοσύνης (443 c) δικαιοσύνης (443 c) δικαιοσύνη (443 c) δικαιοσύνην (444 a) δικαιοσύνη (444 c) δικαιοσύνην

337

(444 c) δικαιοσύνην (444 d) δίκην (445 a) δικαιοσύνην (445 b) Reacutepublique V [9] δίκην (457 e) δίκην (471 b) δικαιοσύνην (472 b) δικαιοσύνη (472 b) δικαιοσύνη

(472 b) δικαιοσύνην (472 c) δίκην (474 a) δίκῃ (475 c) δίκῃ (478 e) Reacutepublique VI [5] δικαιοσύνης (487 a) δικαιοσύνης (500 d) δικαιοσύνης (504 a) δικαιοσύνης (504

d) δικαιοσύνης (506 d) Reacutepublique VII [4] δικαιοσύνην (517 e) δίκην (520 b) δίκην (529 c) δίκη (536 b) Reacutepublique VIII [2] δικαιοσύνη (545 a) δικαιοσύνην (545 b) Reacutepublique IX [4] δικαιοσύνης (576 b) δίκην (586 a) δίκην (591 a) δικαιοσύνην (591 b) Reacutepublique X [12] δίκῃ (605 b) δικαιοσύνης (608 b) δίκην (610 d) δικαιοσύνης (612 b) δικαιοσύνην

(612 b) δικαιοσύνῃ (612 b) δικαιοσύνη (612 c) δικαιοσύνης (612 d) δικαιοσύνη (614 a) δίκην (615 a) δίκην (615 e) δικαιοσύνην (621 c)

Sophiste [4] δίκῃ (220 a) δικαιοσύνης (247 a) δικαιοσύνης (247 b) δικαιοσύνης (267 c) Theacuteeacutetegravete [5] δίκην (164 c) δίκην (172 e) δικαιοσύνης (175 c) δίκην (177 a) δίκην (181 a) Timeacutee [5] δίκῃ (41 c) δίκῃ (42 b) δίκῃ (62 d) δίκῃ (77 b) δίκην (92 b)

338

Annexe φρόνησις

Alcibiade [1] φρόνησιν (133 c) Apologie [1] φρονήσεως (29 e) Banquet [6] φρόνησιν (184 d) φρονήσεως (202 a) φρονήσεως (203 d) φρόνησίν (209 a) φρονήσεως

(209 a) φρόνησιν (219 d) Cratyle [6] φρονήσεως (386 c) φρονήσεως (398 c) φρόνησιν (411 a) φρονήσεως (412 a) φρονήσεως

(416 d) φρόνησιν (432 c) Critias [2] φρονήσει (109 d) φρονήσεως (120 e) Euthydegraveme [3] φρονήσεως (281 b) φρόνησίς (281 d) φρονήσεως (306 d) Gorgias [1] φρόνησιν (492 a) Hippias majeur [2] φρονήσει (281 d) φρόνησιν (297 b) Hippias mineur [2] φρονήσεώς (365 e) φρονήσεως (365 e) Lachegraves [3] φρονήσεως (192 c) φρονήσεως (193 a) φρονήσεως (197 e) Lettre II [1] φρόνησίς (310 e) Lettre VII [3] φρονήσεως (335 d) φρόνησις (344 b) φρονήσεώς (345 b) Lois I [5] φρόνησις (630 b) φρονήσει (631 c) φρόνησις (631 c) φρονήσεως (632 c) φρονήσεις (645 e) Lois II [4] φρόνησιν (653 a) φρονήσεως (659 a) φρονήσεσιν (665 d) φρόνησιν (672 c) Lois III [7] φρονήσει (687 e) φρόνησις (688 b) φρόνησιν (688 e) φρονήσεως (689 d) φρόνησιν (693

c) φρονήσεως (693 c) φρονήσεως (693 e) Lois IV [1] φρόνησιν (710 a) Lois V [2] φρονήσεως (730 e) φρονήσεως (732 b) Lois X [3] φρόνησις (886 b) φρονήσεως (890 e) φρονήσεως (906 b) Lois XII [4] φρόνησιν (963 c) φρόνησιν (963 e) φρόνησις (964 b) φρονήσει (965 d) Meacutenexegravene [1] φρονήσεως (239 a) Meacutenon [14] φρόνησις (88 b) φρονήσεως (88 c) φρόνησιν (88 c) φρονήσεως (88 c) φρόνησιν (88 d)

φρόνησις (88 d) φρόνησιν (88 e) φρόνησις (89 a) φρόνησιν (89 a) φρονήσεως (97 b)φρόνησις (97 c) φρόνησις (98 d) φρόνησις (98 d) φρόνησιν (98 e)

Pheacutedon [15] φρονήσεως (65 a) φρόνησιν (66 a) φρονήσεως (66 e) φρονήσεωςmdashᾧ (68 a) φρονήσεως (68 a) φρονήσει (68 b) φρόνησις (69 a) φρονήσεως (69 b) φρονήσεως (69 b) φρόνησις (69 c) φρόνησιν (70 b) φρόνησιν (76 c) φρόνησις (79 d) φρονήσει (111 b) φρονήσεως (114 c)

Phegravedre [2] φρονήσαντες (231 d) φρόνησις (250 d) Philegravebe [40] φρονήσεως (12 a) φρονήσει (12 a) φρόνησις (12 a) φρόνησίς (13 e) φρόνησιν (14 b)

φρονήσεως (18 e) φρονήσεως (19 b) φρονήσεως (20 b) φρονήσεως (20 e) φρόνησις (20 e) φρονήσεως (20 e) φρονήσεως (21 b) φρόνησιν (21 d) φρονήσεως (22 a) φρονήσεως (27 c) φρονήσεως (27 d) φρόνησιν (28 a) φρόνησίν (28 d) φρονήσεως (58 d) φρόνησις (59 d) φρονήσεώς (59 d) φρόνησιν (60 b) φρονήσει (60 c) φρόνησιν (60 c) φρόνησιν (60 d) φρονήσεως (60 e) φρόνησιν (60 e) φρονήσεως (60 e) φρονήσεως (60 e) φρονήσεως (61 c) φρονήσει (61 d) φρονήσεις (63 a) φρονήσεως (63 b) φρόνησιν (63 c) φρόνησιν (63 c) φρονήσεως (65 a) φρονήσεως (65 d) φρόνησις (65 d) φρόνησιν (65 e) φρόνησιν (66 b)

Politique [5] φρονήσεως (261 e) φρόνησιν (269 d) φρονήσεως (272 c) φρόνησιν (278 e) φρονήσεως (294 a)

Protagoras [2] φρονήσεως (337 c) φρόνησιν (352 c) Reacutepublique IV [4] φρονήσεως (431 d) φρονήσει (432 a) φρονήσεως (433 b) φρόνησίς (433 d) Reacutepublique V [1] φρονήσεως (461 a) Reacutepublique VI [4] φρονήσεως (496 a) φρόνησις (505 b) φρόνησις (505 b) φρόνησιν (505 c) Reacutepublique VIII [1] φρόνησιν (559 b) Reacutepublique IX [6] φρονήσεως (571 c) φρονήσει (582 a) φρονήσεως (582 d) φρονήσει (582 e)

φρονήσεως (586 a) φρονήσεως (591 b)

339

Reacutepublique X [3] φρονήσεως (603 a) φρονήσει (621 a) φρονήσεως (621 c) Sophiste [5] φρονήσεως (247 b) φρόνησιν (247 b) φρόνησιν (248 e) φρόνησιν (249 c) φρόνησιν (251

c) Theacuteeacutetegravete [3] φρόνησιν (161 d) φρόνησιν (169 d) φρονήσεως (176 b) Timeacutee [11] φρονήσεως (24 b) φρονήσει (29 a) φρόνησιν (34 a) φρόνησιν (40 a) φρονήσεως (46 e)

φρονήσεως (71 d) φρονήσεως (71 e) φρονήσεως (75 a) φρονήσει (75 e) φρονήσεως (88 b) φρονήσεις (90 b)

340

Annexe πολίτης

Alcibiade [1] πολίταις (134 c) Apologie [1] πολίταις (25 c) Critias [1] πολίτας (108 c) Criton [1] πολίταις (51 d) Euthydegraveme [1] πολίτας (292 b) Gorgias [12] πολῖται (502 e) πολίταις (502 e) πολίταις (504 d) πολίταις (513 e) πολίτας (513 e)

πολῖται (515 c) πολῖται (515 c) πολίτας (515 d) πολίτης (515 d) πολῖται (517 b) πολίτου (517c) πολῖται (518 b)

Hippias majeur [2] πολίτας (282 e) πολίτας (292 b) Lettre VII [2] πολίτας (336 a) πολῖται (350 a) Lois I [6] πολῖται (627 b) πολίτην (629 a) πολίτην (630 a) πολίταις (631 d) πολῖται (635 c) πολίτην

(643 e) Lois II [1] πολίτας (662 c) Lois IV [4] πολίτας (711 b) πολίτας (711 c) πολίτας (715 b) πολίτας (718 a) Lois V [5] πολίτας (729 d) πολίτας (741 a) πολῖται (743 c) πολίτας (746 a) πολίταις (747 a) Lois VI [4] πολίτην (753 a) πολίταις (756 e) πολίταις (767 d) πολίτης (774 c) Lois VII [13] πολίτην (794 b) πολίτην (794 c) πολίτας (799 b) πολίτας (800 d) πολίτας (801 c)

πολίταις (808 c) πολίτην (809 e) πολίτας (814 c) πολίτιδας (814 c) πολίτας (816 d) πολίτας (821 d) πολίτου (822 e) πολίτου (823 a) πολίτην (823 a)

Lois VIII [5] πολίτου (831 c) πολίταις (835 c) πολίτας (840 d) πολίτου (842 e) πολίτης (846 d) Lois IX [9] πολίτην (853 d) πολίτης (854 e) πολῖται (855 d) πολίτην (856 c) πολίτας (857 e)

πολίτης (869 d) πολίτην (869 d) πολίτην (872 c) πολίτας (877 e) Lois XI [3] πολίτην (915 d) πολίτης (917 d) πολίτας (935 d) Meacutenexegravene [2] πολίτας (239 d) πολῖται (243 e) Meacutenon [4] πολῖται (70 b) πολίταις (71 b) πολίτης (90 a) πολίτας (91 a) Politique [1] πολίτας (293 d) Protagoras [6] πολίτας (319 a) πολῖται (324 c) πολῖται (324 c) πολίτας (324 d) πολίτας (337 c)

πολίτης (339 e) Reacutepublique II [2] πολίταις (375 b) πολίτης (378 c) Reacutepublique III [2] πολίτας (416 b) πολίτας (416 d) Reacutepublique IV [2] πολίτας (423 d) πολίταις (426 c) Reacutepublique V [6] πολῖται (462 b) πολίτας (463 a) πολίτας (463 a) πολίτας (463 a) πολῖται (464 a)

πολίτας (471 b) Reacutepublique VI [3] πολῖται (494 b) πολίταις (501 e) πολίτας (502 b) Reacutepublique VII [1] πολίτας (519 e) Reacutepublique VIII [6] πολίταις (555 c) πολίτας (556 a) πολίταις (567 b) πολίταις (567 d) πολίτας (567

e) πολῖται (568 a) Reacutepublique IX [1] πολίταις (579 c) Timeacutee [3] πολίτας (26 c) πολίτας (26 d) πολίτας (27 b)

341

Annexe πολιτεία

Alcibiade [2] πολιτείας (125 d) πολιτείας (125 e) Critias [3] πολιτείας (109 a) πολιτείας (109 d) πολιτείᾳ (112 c) Criton [1] πολιτείᾳ (53 b) Gorgias [3] πολιτείας (510 a) πολιτείᾳ (513 a) πολιτείᾳ (513 b) Lettre IV [1] πολιτείᾳ (320 d)

V [2] πολιτειῶν (321 d) πολιτειῶν (321 e) VII [14] πολιτείας (324 b) πολιτείας (324 c) πολιτείανmdashτά (324 d) πολιτεία (325 a) πολιτείαν (326 a) πολιτείας (326 d) πολιτείας (328 c) πολιτείας (330 d) πολιτείας (330 e) πολιτείαν (330 e) πολιτείας (331 d) πολιτείας (331 e) πολιτείαις (332 e) πολιτείαν (351 c) VIII [2] πολιτείας (355 d) πολιτείαν (356 d) XI [1] πολιτείαν (359 a)

Lois I [6] πολιτείας (625 a) πολιτείας (632 c) πολιτείᾳ (634 d) πολιτείαις (635 e) πολιτείας (636 a) πολιτείας (641 d) II [1] πολιτείαν (666 e) III [18] πολιτείας πολιτείας (676 c) πολιτειῶν (676 c) πολιτείας (678 a) πολιτείας (680 a) πολιτείαν (680 b) πολιτείας (681 d) πολιτείας (681 d) πολιτειῶν (681 d) πολιτειῶν (683 a) πολιτειῶν (684 b) πολιτείαν (685 a) πολιτείας (686 c) πολιτειῶν (693 d) πολιτείας (697 c) πολιτείας (698 a) πολιτεία (698 b) πολιτείας (701 e) IV [19] πολιτεία (707 b) πολιτείας (707 d) πολιτείας (708 c) πολιτείας (709 a) πολιτείαν (710 b) πολιτείας (710 b) πολιτείας (710 e) πολιτείας (712 a) πολιτείαν (712 b) πολιτείαν (712 c) πολιτείαν (712 d) πολιτειῶν (712 e) πολιτείαν (712 e) πολιτειῶν (712 e) πολιτειῶν (714 b) πολιτειῶν (714 b) πολιτεία (714 c) πολιτείαν (714 d) πολιτείας (715 b) V [9] πολιτείας (734 e) πολιτείας (735 a) πολιτείαν (735 d) πολιτείαν (739 a) πολιτείαν (739 b) πολιτεία (739 b) πολιτείας (739 e) πολιτείαν (743 e) πολιτείαν (747 b) VI [10] πολιτείας πολιτείας (751 c) πολιτείας (753 a) πολιτείας (753 b) πολιτείας (756 e) πολιτείαν (756 e) πολιτείαν (762 c) πολιτεία (769 d) πολιτείαν (770 e) πολιτείας (781 d) VII [8] πολιτείας (793 b) πολιτείαν (796 d) πολιτείᾳ (802 b) πολιτείας (805 b) πολιτείας (814b) πολιτεία (817 b) πολιτείας (820 e) πολιτείας (822 e) VIII [5] πολιτείας (832 b) πολιτεία (832 c) πολιτείας (832 c) πολιτείας (832 d) πολιτείᾳ (835 c) IX [7] πολιτείᾳ (855 a) πολιτείας (856 b) πολιτείας (856 c) πολιτείας (858 a) πολιτείας (864 d) πολιτείαν (875 a) πολιτείᾳ (876 c) X [2] πολιτείας (886 b) πολιτείαις (906 c) XI [3] πολιτείας (921 c) πολιτείᾳ (928 e) πολιτείᾳ (936 b) XII [8] πολιτείας (945 c) πολιτείαν (945 d) πολιτείας (951 a) πολιτείᾳ (957 b) πολιτείᾳ (960d) πολιτείᾳ (960 e) πολιτείας (965 c) πολιτείας (968 e)

Meacutenexegravene [5] πολιτείαν (238 b) πολιτεία (238 c) πολιτείᾳ (238 c) πολιτεία (238 c) πολιτείας (238 e) Politique [20] πολιτείας (291 d) πολιτειῶν (292 a) πολιτειῶν (293 c) πολιτείαν (293 c) πολιτείαν

(293 e) πολιτεία (297 a) πολιτείαν (297 c) πολιτείας (297 d) πολιτείας (300 e) πολιτείαν (301 a) πολιτείαν (301 a) πολιτειῶν (301 b) πολιτείαν (301 d) πολιτείας (301 e) πολιτείαις (301 e) πολιτειῶν (302 b) πολιτειῶν (303 a) πολιτειῶν (303 b) πολιτειῶν (303 b) πολιτείᾳ (309 e)

Reacutepublique III [2] πολιτείᾳ (397 e) πολιτεία (412 a) IV [6] πολιτεία (424 a) πολιτείας (424 e) πολιτείας (427 a) πολιτειῶν (445 c) πολιτειῶν (445 d) πολιτείας (445 d) V [10] πολιτείαν (449 a) πολιτείαν (449 d) πολιτείας (449 d) πολιτείας (450 a) πολιτείᾳ (461e) πολιτεία (471 c) πολιτεία (471 e) πολιτεία (472 b) πολιτείας (473 b) πολιτεία (473 e) VI [13] πολιτειῶν (493 a) πολιτείας (497 a) πολιτειῶν (497 a) πολιτείαν (497 b) πολιτεία (497 c) πολιτείας (497 d) πολιτεία (499 b) πολιτεία (499 d) πολιτείας (501 a) πολιτειῶν (501

342

c) πολιτεία (501 e) πολιτείας (502 d) πολιτεία (506 a) VII [4] πολιτείας (520 b) πολιτείαν (536 b) πολιτείας (540 d) πολιτείαν (541 a) VIII [51] πολιτειῶν (544 a) πολιτείας (544 b) πολιτείας (544 b) πολιτεία (544 c) πολιτείας (544 c) πολιτειῶν (544 d) πολιτείας (544 d) πολιτείαν (545 a) πολιτείαις (545 b) πολιτείαν (545 b) πολιτεία (545 d) πολιτεία (547 c) πολιτείαν (547 d) πολιτείαν (548 c) πολιτεία (548 c) πολιτείας (548 c) πολιτείας (548 d) πολιτείαν (548 d) πολιτείας (549 a) πολιτείαν (550 c) πολιτείαν (550 c) πολιτείαν (550 c) πολιτείαν (550 d) πολιτείας (551 a) πολιτείαν (551 b) πολιτείας (551 b) πολιτείᾳ (552 a) πολιτείας (552 e) πολιτεία (553 a) πολιτείᾳ (553 e) πολιτείᾳ (554 b) πολιτείας (557 a) πολιτεία (557 b) πολιτείᾳ (557 c) πολιτειῶν (557 c) πολιτείαν (557 d) πολιτειῶν (557 d) πολιτειῶν (557 d) πολιτείᾳ (558 a) πολιτεία (558 c) πολιτείαν (558 c) πολιτειῶν (561 e) πολιτεία (562 a) πολιτείαν (562 c) πολιτείαις (564 a) πολιτείας (564 a) πολιτείᾳ (564 b) πολιτείᾳ (564 e) πολιτείαν (568 b) πολιτείας (568 c) πολιτειῶν (568 d) IX [2] πολιτείαν (590 e) πολιτείαν (591 e) X [5] πολιτείαν (605 b) πολιτείας (607 d) πολιτειῶν (607 e) πολιτείας (608 b) πολιτείᾳ (619 c)

Timeacutee [4] πολιτείας (17 c) πολιτείας (19 b) πολιτείας (20 b) πολιτείας (25 e)

343

Annexe φύειν φύεσθαι1

Banquet [3] πεφυκέναι (184 b) πεφυκότων (193 c) φύεται (197 a) Charmide [1] πεφυκώς (154 e) Cratyle [18] πεφυκυῖαν (383 a) πεφυκέναι (383 b) πεφυκέναι (384 d) πεφυκότα (386 e) ἐπεφύκει

(387 b) ἐπεφύκει (387 b) ἐπεφύκει (389 a) ἐπεφύκει (389 b) πεφυκὸς (389 c) ἐπεφύκει (389 c) πεφυκὸς (389 c) πεφυκυῖαν (389 c) πεφυκὸς (389 d) πεφυκότα (397 b) πεφυκὸς (398 a) φυόμενα (410 d) πεφυκέναι (411 c) πεφυκέναι (434 a)

Critias [3] πεφυκυῖαν (109 d) πεφυκότι (115 a) πεφυκότος (117 a) Hippias majeur [1] πεφυκότα (301 b) Lachegraves [3] πεφυκὸς (192 c) πεφυκέναι (196 e) φυόμενα (198 e) Lettre VII [4] φυόμεναι (336 e) πεφυκυῖα (343 d) πεφυκότος (343 e) πεφυκότι (343 e)

VIII [1] πεφυκότων (355 a) Lois I [1] πεφύκαμεν (649 c)

II [2] πεφυκὸς (653 d) φύεται (672 c) III [5] πεφυκέναι (688 e) πεφυκότα (689 d) πεφυκυῖαν (690 c) πεφυκότα (690 d) φύεται (696c) IV [2] φύεται (712 a) πεφυκὸς (723 c) V [2] πεφύκασιν (728 c) πεφύκασιν (733 d) VI [5] φύει (766 a) πεφυκότα (773 b) φυόμενον (775 c) πεφύκασι (779 a) πεφυκός (780 c) VII [8] φύεσθαι (788 d) φύεται (788 d) φύοιτο (795 c) φύσαντα (797 e) πεφυκυῖα (803 d) πεφυκότων (807 d) πεφύκασι (819 b) πεφυκὸς (822 d) VIII [4] πεφύκῃ (829 d) φύσεσθαι (831 a) φύεσθαι (839 a) φύειν (848 b) IX [1] φύεται (875 a) X [2] πεφυκότε (902 c) πεφυκός (904 b) XII [2] φυόμενοι (951 b) πεφύκατον (961 d)

Lysis [1] πεφυκός (220 e) Parmeacutenide [2] πεφυκὸς (145 e) πεφυκὸς (153 d) Pheacutedon [11] πεφυκέναι (80 a) πεφυκυῖα (80 d) πεφύκασιν (94 a) πεφυκέναι (102 c) πεφυκέναι

(104 a) φύεται (110 a) φυόμενα (110 d) φύεσθαι (110 d) πεφυκέναι (111 a) πεφυκέναι (111 c) πεφυκότων (113 d)

Phegravedre [9] φύεσθαι (251 b) φύωσιν (251 c) φύουσα (251 c) πεφυκέναι (253 b) φύεται (259 c) πεφυκὸς (266 a) πεφυκόθ᾽ (266 b) φύεται (276 a) φυόμενοι (277 a)

Philegravebe [6] πεφυκότα (14 c) πεφυκὸς (27 e) πεφυκέναι (51 c) πεφυκός (53 d) πεφυκὸς (58 a) πεφυκὸς (65 d)

Politique [9] πεφυκυῖα (266 b) φύεσθαι (269 b) φύεσθαι (274 a) φύειν (274 a) φυόμεθα (274 e) πεφύκασιν (275 c) πεφύκατον (282 b) πεφύκασιν (285 e) φύεσθαι (310 e)

Protagoras [2] πεφυκότος (325 b) πεφυκέναι (330 d) Reacutepublique II [4] πεφυκέναι (358 e) φύεται (370 a) ἐπεφύκει (374 b) φύει (380 a)

III [1] φύσας (405 d) IV [4] φύηται (423 d) φύονται (424 a) πεφυκυῖα (433 a) πεφυκότος (442 e) V [1] πεφύκατον (466 d) VI [6] πεφυκὼς (490 a) φύεσθαι (491 b) πεφυκέναι (494 d) φύεται (503 b) φύεσθαι (503 c)πεφυκός (507 e) VII [1] φύονται (526 b)

1 Liste non complegravete comme il sagit dun verbe reacutegulier une tregraves grande majoriteacute de cas est recenseacutee peut-ecirctre plus de 90

344

VIII [6] πεφυκότας (547 e) πεφυκέναι (548 e) φύοιτο (556 b) φύεται (563 e) φυόμενον (564 b) φύηται (565 d) IX [3] πεφυκέναι (584 b) φύειν (588 c) φύεσθαι (589 b) X [5] φυόμενα (596 c) πεφυκώς (597 e) πεφυκός (601 d) πεφυκότος (609 b) φύει (621 a)

Sophiste [6] πεφυκέναι (232 a) πεφυκὸς (247 e) πεφυκόσιν (265 a) φύεται (265 c) πεφυκότ᾽ (266 b) πεφυκός (266 e)

Theacuteeacutetegravete [5] πεφυκότα (144 a) φύονται (144 b) φύεται (153 b) πεφυκότων (159 c) πεφυκέναι (206 b)

Timeacutee [20] πεφυκότων (30 c) φύεται (50 d) πεφυκέναι (51 a) πεφυκότα (53 b) πεφυκότα (54 c) πεφυκότας (55 d) πεφυκότα (55 d) πεφυκέναι (56 a) πεφυκυῖα (58 a) πεφυκότα (60 e) πεφυκέναι (62 d) πεφυκότος (62 d) πεφυκὼς (62 d) πεφυκότος (62 d) πεφυκυῖα (66 c) πεφυκότα (68 e) ἐπεφύκει (69 e) πεφυκὸς (86 c) φύεται (89 b) φύον (91 d)

345

Annexe φοβεῖσθαι

Alcibiade [2] φοβούμενός (120 d) φοβοῦμαι (132 a) Apologie [4] φοβοῦμαι (18 b) φοβηθεὶς (28 e) φοβήσομαι (29 b) φοβηθέντα (32 c) Banquet [5] φοβηθεὶς (174 a) φοβοῦμαι (189 b) ἐφοβούμην (193 e) φοβοῖο (194 a) ἐφοβούμην (198

c) Charmide [4] φοβούμενος (166 d) φοβεῖται (168 a) φοβεῖται (168 a) φοβοίμην (172 e) Cratyle [6] φοβούμενοι (403 a) φοβεῖσθαι (403 b) φοβοῦνται (403 b) φοβοῦνται (404 c) φοβοῦνται

(405 e) φοβοῦμαι (428 c) Criton [6] φοβῇ (45 a) φοβοῦmdashκαὶ (45 a) φοβούμενος (45 b) φοβεῖσθαι (47 b) φοβεῖσθαι (47 d)

φοβεῖσθαι (47 d) Euthydegraveme [8] φοβῇ (272 b) φοβεῖσθαι (272 b) φοβοῦμαι (272 c) φοβούμενοι (272 c) φοβούμεθα

(275 b) ἐφοβούμην (278 e) φοβεῖσθε (285 c) φοβηθεὶς (288 b) Euthyphron [2] φοβοῦμαι (3 d) φοβῇ (4 e) Gorgias [6] φοβοῦμαι (457 e) φοβούμενος (479 a) φοβοῖτο (510 b) φοβεῖται (522 e) φοβεῖταιmiddot (522

e) φοβούμενοι (525 b) Hippias majeur [5] φοβούμενος (282 a) φοβηθεὶς (292 d) φοβοῦμαι (296 a) φοβῇ (296 b) φοβοῦμαι

(301 e) Lachegraves [1] φοβούμενον (197 a) Lettre III [1] φοβούμενος (319 c)

VII [4] ἐφοβούμεθα (329 c) φοβούμενος (329 d) φοβούμενος (330 b) φοβεῖσθαι (336 d) XIII [1] φοβούμενος (360 d)

Lois I [6] φοβουμένων (642 e) φοβούμεθα (646 e) φοβούμεθα (646 e) φοβεῖσθαι (647 e) φοβούμενος (648 e) φοβησόμεθα (649 c) III [2] φοβούμεθα (685 c) φοβεῖσθαι (701 b) V [1] φοβητέα (746 e) VII [6] φοβεῖται (798 b) φοβεῖται (798 d) φοβηθεὶς (804 e) φοβεῖσθαι (818 e) φοβῇ (818 e) φοβοῦμαι (819 a) VIII [3] φοβηθεὶς (830 d) φοβούμενος (832 c) φοβηθῆναι (835 d) IX [3] φοβεῖσθαι (853 d) φοβουμένῳ (870 e) φοβούμενον (873 a) X [4] φοβοῦμαί (886 a) φοβητέον (891 a) φοβουμένην (897 a) φοβοῦνται (904 d) XI [4] φοβούμενοι (922 e) φοβείσθων (927 b) φοβεῖται (931 e) φοβεῖν (933 c) XII [1] φοβεῖσθαι (943 d)

Lysis [1] φοβοῦμαι (218 d) Meacutenexegravene [4] φοβουμένους (241 b) φοβεῖσθαι (241 c) φοβηθεὶς (245 b) φοβουμένους (248 b) Parmeacutenide [1] φοβεῖσθαι (137 a) Pheacutedon [15] φοβοῖντο (67 e) φοβοῖτο (68 b) φοβούμενοι (68 e) φοβοῦμαι (76 b) φοβεῖται (77 e)

φοβούμενοι (82 c) φοβηθῇ (83 b) φοβηθῇ (84 b) φοβεῖσθε (84 e) φοβεῖται (91 c) φοβεῖσθαι (95 d) φοβεῖσθαι (95 d) φοβούμενος (101 a) φοβοῖο (101 b) φοβοῖο (101 b)

Phegravedre [4] φοβοῖο (232 c) φοβούμενοι (232 c) φοβοῦνται (239 d) φοβούμενοι (257 d) Philegravebe [3] φοβοῦμαι (13 a) φοβηθεὶς (14 a) φοβῇ (16 a) Politique [1] ἐφοβήθημεν (268 c) Protagoras [6] φοβουμένους (316 d) φοβηθέντες (316 e) ἐφοβούμην (339 c) φοβοῦνται (349 e)

φοβοῦνται (360 b) φοβοῦνται (360 b) Reacutepublique I [2] ἐφοβούμην (336 d) φοβούμενοι (344 c)

II [1] φοβεῖται (382 a) III [4] πεφοβημένους (387 b) φοβούμεθα (387 c) φοβούμεθα (387 c) φοβοῦ (414 c)

346

IV [1] φοβουμένους (424 b) V [3] φοβητέον (452 b) ἐφοβούμην (453 d) φοβησόμεθα (470 a) VI [1] πεφοβημένου (503 b) VIII [4] φοβεῖσθαι (547 e) φοβήσαντες (551 b) φοβεῖσθαι (562 e) φοβεῖται (563 a) IX [2] φοβοῦνται (578 d) φοβοῖντο (578 d) X [1] φοβούμενος (606 c)

Sophiste [4] φοβοῦμαι (231 a) φοβούμενος (240 c) φοβοῦμαι (242 a) ἐφοβήθημεν (264 b) Theacuteeacutetegravete [3] ἐφοβούμην (143 e) φοβούμεναι (150 a) φοβοῦμαι (184 a) Timeacutee [2] φοβοῦμαι (19 e) φοβοῖ (71 b)

347

Annexe φόβος

Alcibiade [1] φόβου (121 c) Banquet [4] φόβος (193 a) φόβῳ (197 d) φόβοι (207 e) φόβῳ (221 a) Charmide [2] φόβον (167 e) φόβους (168 a) Ion [1] φόβου (535 c) Lachegraves [4] φόβου (191 b) φόβοιοrdquoHom (191 b) φόβους (191 d) φόβοις (191 e) Lettre VII [5] φόβοςmdashαἱ (328 b) φόβων (329 d) φόβον (333 b) φόβῳ (337 a) φόβῳ (337 a) Lois I [22] φόβοις (632 a) φόβους (633 c) φόβων (635 b) φόβους (635 c) φόβων (635 d) φόβου (639

b) φόβων (640 a) φόβος (644 c) φόβων (646 e) φόβον (647 a) φόβους (647 a) φόβοις (647 a) φόβον (647 a) φόβος (647 b) φόβος (647 b) φόβων (647 c) φόβον (647 c) φόβου (647 e) φόβους (648 b) φόβους (648 d) φόβου (649 a) φόβοις (649 c) II [2] φόβον (671 d) φόβον (671 d) III [3] φόβος (678 c) φόβον (698 b) φόβος (699 c) [1] φόβους (727 c) VI [1] φόβῳ (783 a) VII [4] φόβων (791 b) φόβους (791 c) φόβοις (792 b) φόβον (806 b) VIII [3] φόβου (831 a) φόβου (839 c) φόβος (840 c) IX [6] φόβου (863 e) φόβον (864 b) φόβου (865 e) φόβοι (870 c) φόβῳ (872 c) φόβῳ (874 e) X [3] φόβον (887 a) φόβων (906 a) φόβους (910 a) XI [2] φόβους (933 c) φόβοις (934 a) XII [1] φόβον (963 e)

Meacutenexegravene [1] φόβον (241 b) Pheacutedon [10] φόβων (66 c) φόβῳ (68 d) φόβον (69 a) φόβον (69 a) φόβων (69 b) φόβων (81 a) φόβῳ

(81 c) φόβων (83 b) φόβοις (94 d) φόβος (101 b) Phegravedre [1] φόβῳ (254 e) Philegravebe [7] φόβου (12 c) φόβον (20 b) φόβοι (36 c) φόβων (40 e) φόβον (47 e) φόβον (50 b) φόβοις

(50 d) Politique [1] φόβων (305 b) Protagoras [7] φόβον (352 b) φόβον (358 d) φόβον (358 d) φόβος (358 d) φόβος (358 e) φόβους

(360 b) φόβους (360 b) Reacutepublique II [1] φόβον (360 d)

III [1] φόβου (413 c) IV [2] φόβοις (429 d) φόβος (430 b) V [1] φόβων (471 d) VI [4] φόβῳ (497 d) φόβοις (503 a) φόβους (503 d) φόβοις (503 e) VII [1] φόβοις (537 a) VIII [2] φόβῳ (554 d) φόβον (557 a) IX [4] φόβου (578 a) φόβῳ (578 e) φόβων (579 b) φόβου (579 e) X [1] φόβων (616 a)

Sophiste [1] φόβον (268 a) Theacuteeacutetegravete [3] φόβοι (156 b) φόβῳ (168 d) φόβους (173 a) Timeacutee [3] φόβους (40 c) φόβον (42 a) φόβον (69 d)

348

Annexe ἀνδρεία

Alcibiade [13] ἀνδρεία (115 b) ἀνδρεία (115 c) ἀνδρείαν (115 c) ἀνδρείαν (115 c) ἀνδρείας (115 d)ἀνδρεία (115 d) ἀνδρείαν (115 e) ἀνδρείας (115 e) ἀνδρειότατος (122 a) ἀνδρειότατος (122a) ἀνδρείαν (122 c) ἀνδρεῖον (127 a) ἀνδρεῖα (127 a)

Apologie [1] ἀνδρείᾳ (35 a) Banquet [10] ἀνδρειότατοι (192 a) ἀνδρείας (192 a) ἀνδρείαν (194 b) ἀνδρείαν (196 c)

ἀνδρειοτάτου (196 d) ἀνδρειότατος (196 d) ἀνδρείας (196 d) ἀνδρεῖος (203 d) ἀνδρείαν (212 b) ἀνδρείαν (219 d)

Charmide [1] ἀνδρείως (160 e) Cratyle [11] ἀνδρεῖον (407 d) ἀνδρείαν (413 d) ἀνδρεία (413 e) ἀνδρείαςmdashμάχην (413 e) ἀνδρείας

(413 e) ἀνδρεία (413 e) ἀνδρεία (414 a) ἀνδρείαν (415 c) ἀνδρείως (421 c) ἀνδρείως (440 d) Critias [1] ἀνδρείως (108 c) Criton [1] ἀνδρεῖος (45 d) Euthydegraveme [6] ἀνδρείως (275 b) ἀνδρείως (275 e) ἀνδρεῖον (279 b) ἀνδρεῖος (281 c) ἀνδρειότατα

(294 d) ἀνδρείως (306 d) Gorgias [21] ἀνδρείας (463 a) ἀνδρείως (480 c) ἀνδρεῖοι (491 b) ἀνδρειότεροί (491 c) ἀνδρείους

(491 c) ἀνδρείαν (492 a) ἀνδρεῖος (494 d) ἀνδρείαν (495 c) ἀνδρείαν (495 c) ἀνδρείαν (495 d) ἀνδρείαν (495 d) ἀνδρείους (497 e) ἀνδρεῖοι (498 a) ἀνδρεῖοι (498 b) ἀνδρεῖοι (498 b) ἀνδρείων (498 c) ἀνδρεῖοι (498 c) ἀνδρείους (498 e) ἀνδρεῖόν (499 a) ἀνδρεῖόν (507 b) ἀνδρεῖον (507 c)

Lachegraves [77] ἀνδρειότερον (182 c) ἀνδρεῖος (184 b) ἀνδρείαν (190 d) ἀνδρεία (190 d) ἀνδρεία (190 e) ἀνδρεῖος (190 e) ἀνδρεῖός (191 a) ἀνδρείους (191 d) ἀνδρείους (191 d) ἀνδρεῖοί (191 d) ἀνδρεῖοί (191 d) ἀνδρεῖοιmdash (191 e) ἀνδρεῖοι (191 e) ἀνδρείαν (191 e) ἀνδρείαν (191 e) ἀνδρείαν (192 b) ἀνδρεία (192 b) ἀνδρείας (192 c) ἀνδρεία (192 c) ἀνδρείαν (192 c) ἀνδρείαν (192 d) ἀνδρεία (192 d) ἀνδρεία (192 d) ἀνδρεῖον (192 e) ἀνδρειότερον (193 a) ἀνδρεῖον (193 b) ἀνδρειοτέρους (193 c) ἀνδρεία (193 d) ἀνδρείαν (193 d) ἀνδρείας (193 e) ἀνδρεία (194 a) ἀνδρείως (194 a) ἀνδρεία (194 a) ἀνδρείας (194 b) ἀνδρείαν (194 c) ἀνδρείαν (194 c) ἀνδρεῖος (194 d) ἀνδρείαν (194 d) ἀνδρεία (194 e) ἀνδρείας (195 a) ἀνδρεῖοι (195 b) ἀνδρείους (195 b) ἀνδρεῖοί (195 c) ἀνδρεῖον (195 d) ἀνδρείους (195 e) ἀνδρεῖος (195 e) ἀνδρεῖον (196 a) ἀνδρείαν (196 d) ἀνδρεῖος (196 d) ἀνδρεία (196 d) ἀνδρείαν (196 e) ἀνδρείαν (196 e) ἀνδρείαν (196 e) ἀνδρείαν (196 e) ἀνδρεῖα (197 a) ἀνδρεῖα (197 a) ἀνδρεῖα (197 a) ἀνδρεῖα (197 b) ἀνδρεῖον (197 b) ἀνδρείας (197 b) ἀνδρεῖα (197 b) ἀνδρεῖα (197 c) ἀνδρείους (197 c) ἀνδρεῖοι (197 c) ἀνδρείαν (197 e) ἀνδρείαν (198 a) ἀνδρείᾳ (198 a) ἀνδρείαν (198 c) ἀνδρεία (199 a) ἀνδρεία (199 b) ἀνδρείας (199 c) ἀνδρείαν (199 c) ἀνδρεία (199 c) ἀνδρεία (199 d) ἀνδρείαν (199 e) ἀνδρεία (199 e) ἀνδρείας (200 a)

Lettre IV [1] ἀνδρείᾳ (320 b) V [1] ἀνδρεῖος (321 e) VII [1] ἀνδρείου (336 b)

I [18] ἀνδρείας (630 b) ἀνδρείας (630 b) ἀνδρείας (631 c) ἀνδρεία (631 d) ἀνδρείας (632 e) ἀνδρείαν (633 c) ἀνδρείαν (634 a) ἀνδρείους (634 b) ἀνδρεῖοι (635 d) ἀνδρείαν (635 e) ἀνδρεῖον (640 a) ἀνδρεῖος (640 a) ἀνδρείαν (647 d) ἀνδρειότατον (648 a) ἀνδρείαν (648 a) ἀνδρείας (648 b) ἀνδρείως (648 c) ἀνδρείαν (649 c)

Lois I [18] ἀνδρείας (630 b) ἀνδρείας (630 b) ἀνδρείας (631 c) ἀνδρεία (631 d) ἀνδρείας (632 e) ἀνδρείαν (633 c) ἀνδρείαν (634 a) ἀνδρείους (634 b) ἀνδρεῖοι (635 d) ἀνδρείαν (635 e) ἀνδρεῖον (640 a) ἀνδρεῖος (640 a) ἀνδρείαν (647 d) ἀνδρειότατον (648 a) ἀνδρείαν (648 a) ἀνδρείας (648 b) ἀνδρείως (648 c) ἀνδρείαν (649 c) II [7] ἀνδρείου (655 a) ἀνδρείων (655 b) ἀνδρείας (659 a) ἀνδρείων (660 a) ἀνδρείαν (661 e)ἀνδρεῖος (661 e) ἀνδρείαν (667 a) III [3] ἀνδρειότεροι (679 e) ἀνδρεία (696 b) ἀνδρεῖον (696 b) IV [2] ἀνδρεῖος (709 e) ἀνδρεῖος (710 c) V [4] ἀνδρεῖον (733 e) ἀνδρείας (734 c) ἀνδρεῖος (734 d) ἀνδρεῖον (734 d)

349

VI [1] ἀνδρείως (752 b) VII [7] ἀνδρείας (791 b) ἀνδρείας (791 b) ἀνδρείαν (802 e) ἀνδρείας (807 b) ἀνδρείαν (808 c) ἀνδρείαν (815 e) ἀνδρείας (824 a) VIII [5] ἀνδρείους (831 e) ἀνδρεῖον (832 c) ἀνδρείας (836 d) ἀνδρεῖον (837 c) ἀνδρεῖον (840 a) IX [1] ἀνδρείως (855 a) X [2] ἀνδρείαν (900 e) ἀνδρειότατε (905 c) XI [1] ἀνδρείαις (922 a) XII [9] ἀνδρείας (944 c) ἀνδρείων (945 a) ἀνδρείαν (963 c) ἀνδρείαν (963 e) ἀνδρείας (963 e) ἀνδρεία (963 e) ἀνδρεία (964 b) ἀνδρείᾳ (965 d) ἀνδρειότατος (969 a)

Meacutenexegravene [3] ἀνδρείως (247 d) ἀνδρείων (247 d) ἀνδρεῖος (248 a) Meacutenon [5] ἀνδρεία (74 a) ἀνδρεῖος (81 d) ἀνδρείαν (88 a) ἀνδρεία (88 b) ἀνδρεία (88 b) Parmeacutenide [1] ἀνδρείως (129 e) Pheacutedon [9] ἀνδρεία (68 c) ἀνδρείαν (68 d) ἀνδρεῖοι (68 d) ἀνδρεῖοί (68 d) ἀνδρεῖον (68 d) ἀνδρεία

(69 b) ἀνδρεία (69 c) ἀνδρεῖοι (83 e) ἀνδρείᾳ (115 a) Phegravedre [2] ἀνδρείου (239 a) ἀνδρείων (239 c) Philegravebe [2] ἀνδρείους (53 d) ἀνδρείαν (55 b) Politique [18] ἀνδρειότατα (262 a) ἀνδρειότατε (263 d) ἀνδρείαν (306 a) ἀνδρείας (306 b)

ἀνδρείας (306 e) ἀνδρεῖον (306 e) ἀνδρείας (307 b) ἀνδρείαν (307 c) ἀνδρείαν (308 a) ἀνδρείου (308 e) ἀνδρείαν (309 b) ἀνδρεία (309 d) ἀνδρείαν (310 d) ἀνδρεία (310 d) ἀνδρείας (310 e) ἀνδρείων (310 e) ἀνδρεῖά (311 b) ἀνδρείων (311 b)

Protagoras [41] ἀνδρείαν (310 d) ἀνδρεῖοί (329 e) ἀνδρεία (330 a) ἀνδρεία (330 b) ἀνδρείᾳ (342 b) ἀνδρεία (349 b) ἀνδρεία (349 d) ἀνδρειοτάτους (349 d) ἀνδρείους (349 e) ἀνδρεῖοί (350 b) ἀνδρεία (350 b) ἀνδρείους (350 b) ἀνδρεῖοι (350 c) ἀνδρειότατοι (350 c) ἀνδρεία (350 c) ἀνδρεῖοι (350 c) ἀνδρεῖοι (350 c) ἀνδρείους (350 d) ἀνδρείαν (350 d) ἀνδρείαν (351 a) ἀνδρείους (351 a) ἀνδρείους (351 a) ἀνδρεία (351 b) ἀνδρείας (353 b) ἀνδρείαν (359 b) ἀνδρειοτάτους (359 b) ἀνδρεία (359 b) ἀνδρείους (359 b) ἀνδρείους (359 c) ἀνδρεῖοι (359 c) ἀνδρείους (359 d) ἀνδρεῖοι (359 d) ἀνδρεῖοι (359 e) ἀνδρεῖοι (359 e) ἀνδρεῖος (360 a) ἀνδρεῖοι (360 b) ἀνδρείαν (360 c) ἀνδρεία (360 d) ἀνδρεία (360 d) ἀνδρειότατοι (360 e) ἀνδρεία (361 b)

Reacutepublique II [5] ἀνδρειότατος (357 a) ἀνδρείαν (361 b) ἀνδρεῖόν (375 a) ἀνδρεῖος (375 a) ἀνδρειοτάτην (381 a) III [11] ἀνδρεῖοι (386 a) ἀνδρεῖον (386 b) ἀνδρείους (395 c) ἀνδρείου (399 a) ἀνδρείων (399 c) ἀνδρείου (399 e) ἀνδρείας (402 c) ἀνδρεῖον (410 d) ἀνδρεία (410 e) ἀνδρειότερος (411 c) ἀνδρεῖοι (416 e) IV [20] ἀνδρείας (426 d) ἀνδρεία (427 e) ἀνδρεία (429 a) ἀνδρείαν (429 b) ἀνδρεῖοι (429 b) ἀνδρεία (429 b) ἀνδρείαν (429 c) ἀνδρείαν (429 c) ἀνδρείαν (430 b) ἀνδρείαν (430 b) ἀνδρείαν (430 c) ἀνδρεία (431 e) ἀνδρείαν (432 a) ἀνδρείας (433 b) ἀνδρείᾳ (433 d) ἀνδρεία (435 b) ἀνδρεῖος (441 d) ἀνδρείαν (441 d) ἀνδρείᾳ (442 b) ἀνδρεῖον (442 b) V [4] ἀνδρεῖον (451 c) ἀνδρείως (454 b) ἀνδρειοτέρου (459 c) ἀνδρείῳ (468 d) VI [6] ἀνδρείας (487 a) ἀνδρεία (490 c) ἀνδρείαν (491 b) ἀνδρεία (494 b) ἀνδρείας (504 a) VII [2] ἀνδρειοτάτους (535 a) ἀνδρείαν (536 a) VIII [3] ἀνδρείαν (561 a) ἀνδρειότατον (564 b) ἀνδρεῖος (567 b) IX [2] ἀνδρεῖος (582 c) ἀνδρείᾳ (582 e)

Theacuteeacutetegravete [4] ἀνδρεῖον (144 a) ἀνδρειότεροι (144 b) ἀνδρείως (157 d) ἀνδρεῖον (177 d) Timeacutee [1] ἀνδρείας (70 a)

350

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Sperber Les Belles Lettres Tome III ndash 2e partie 2008 [1923] Texte eacutetabli et traduit par Alfred Croiset avec la collaboration de Louis Bodin

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mdash mdash Hippias mineur GF 870 2005 Introduction traduction et notes par Francesco Fronterotta Les Belles Lettres Tome I 2002 [1920] Texte eacutetabli et traduit par Maurice Croiset

mdashmdash Inon GF 529 2001 [1989] Introduction traduction et notes par Monique Canto-Sperber Les Belles Lettres Tome V ndash 1re Partie 1931 Texte eacutetabli et traduit par Louis Meacuteridier

mdashmdash Lachegraves GF 652 1997 Introduction traduction et notes par Louis-Andreacute Dorion Les Belles Lettres Tome II 20011 [1921] Texte eacutetabli et traduit par Alfred Croiset

mdashmdash Lysis GF 1006 2004 Introduction traduction et notes par Louis-Andreacute Dorion Les Belles Lettres Tome II 20011 [1921] Texte eacutetabli et traduit par Alfred Croiset

mdashmdash Meacutenexegravene GF 1162 2006 Introduction traduction et notes par Daniel Loayza Les Belles Lettres Tome V ndash 1re Partie 1931 Texte eacutetabli et traduit par Louis Meacuteridier

mdashmdash Meacutenon GF 491 1993 [1991] Introduction traduction et notes par Monique Canto-Sperber Les Belles Lettres Tome III ndash 2e partie 2008 [1923] Texte eacutetabli et traduit parAlfred Croiset avec la collaboration de Louis Bodin

mdashmdash Parmeacutenide GF 688 1999 [1994] Introduction traduction et notes par Luc Brisson Les Belles Lettres Tome VIII ndash 1re partie 2010 [1923] Texte eacutetabli et traduit par Auguste Diegraves

mdashmdash Pheacutedon GF 489 1991 Introduction traduction et notes par Monique Dixsaut Les Belles Lettres Tomes IV ndash 1re partie 2006 [1983] Notice de Leacuteon Robin Texte eacutetabli et traduit par Paul Vicaire

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mdashmdash Philegravebe GF 705 2002 Introduction traduction et notes par Jean-Franccedilois Pradeau Les Belles Lettres Tome IX ndash 2e partie 1941 [2002] Texte eacutetabli et traduit par Auguste Diegraves

mdashmdash Protagoras GF 761 1997 Introduction traduction et notes par Freacutedeacuterique Ildefonse Les Belles Lettres Tome II - 1re partie 2002 [1923] Texte eacutetabli et traduit par Alfred Croiset avec la collaboration de Louis Bodin

mdashmdash Reacutepublique GF 653 2002 Introduction traduction et notes par Georges Leroux LesBelles Lettres Tome VI ndash livres I-III 1959 Texte eacutetabli et traduit par Emile Chambry avec introduction dAuguste Diegraves Les Belles Lettres Tome VII ndash 1re partie ndash livres IV-VII 1933 Texte eacutetabli et traduit par Emile Chambry Les Belles Lettres Tome VII ndash 2re

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358

Table des matiegraveres

Introduction51 La structure72 La philosophie93 La Forme104 Lacircme115 Lignorance146 Lἐπιστήμη157 La vertu178 La dialectique199 Questions de meacutethode20Conclusion21

Ch I La Forme25I1 La Forme est-elle preacutesente dans les premiers dialogues 25

I11 Premiegravere description preacuteliminaire de la reacutealiteacute intelligible26I12 Aὐτὸ τὸ x27

I121 Lαὐτὴ ἡ πόλις28I122 Euthyphron et αὐτὸ τὸ εἶδος30I123 Hippias majeur et laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν raquo31I124 Lαὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά32I125 Meacutenon Lysis et Euthydegraveme34

I13 La seacuteparation entre lacircme et le corps35I131 Χρήματα35I132 Gorgias et la seacuteparation explicite entre lacircme et le corps37

I2 La neacutecessiteacute de lexistence des reacutealiteacutes intelligibles38I21 Neacutecessiteacute ontologique39

I211 Lecirctre et le non-ecirctre parmeacutenidiens39I212 Du Soleil au Bien42I213 La mort la meacutemoire limmortaliteacute et la reacuteminiscence44

I22 La neacutecessiteacute eacutepisteacutemologique47I221 Limpossibiliteacute de la science parmeacutenidienne47I222 La neacutecessiteacute de ce qui est50

I23 La neacutecessiteacute eacutethique51I231 Limpossibiliteacute de la participation parmeacutenidienne52I232 La neacutecessiteacute eacutethique de lontologie54

I3 Quest-ce que la Forme 55I31 Intelligible56

I311 Question de lexpression de la Forme56I312 τὸ εἶναι58I313 ἕκαστον ὃ ἔστι60

I32 Trois eacutetapes pour saisir la reacutealiteacute intelligible62I321 Saisie par la sensation62I322 Saisie par le raisonnement64I323 Saisie par lintellection65

I33 Au-delagrave des Formes et la participation67I331 Le jour et la Forme67

359

I332 La penseacutee (νόημα) et la Forme68I333 Le paradigme et la Forme69

I4 Conclusion69

Ch II Lacircme73II1 Lacircme comme la fnaliteacute de laction philosophique73

II11 Apologie donne le contexte des premiers dialogues74II111 La jeunesse75II112 Le savoir78II113 La veacuteriteacute80

II12 Lacircme et le miroir83II121 Le miroir comme producteur dimages83II122 La psychologie comme miroir84II123 Le miroir comme paradigme87

II13 Lacircme corruptible88II131 Confusion entre vrai et faux dans lEuthydegraveme89II132 Confusion entre science et non-science dans lHippias mineur91II133 Confusion entre lacircme et le corps dans le Protagoras94

II14 Lopposition entre lacircme et le corps96II141 Alcibiade le soi-mecircme et lautre97II142 Charmide le tout seacutecable et inseacutecable98II143 Gorgias le corps mortel et lacircme immortelle100

II2 Lacircme comme la fnaliteacute de la connaissance philosophique101II21 Limmortaliteacute de lacircme101

II211 Deacutesir de limmortaliteacute dans le Banquet101II212 Immortaliteacute de lacircme comme solution agrave la mort102II213 Limmortaliteacute de lacircme comme principe de lecirctre104

II22 La structure de lacircme104II221 Lattelage aileacute dans le Phegravedre105II222 La tripartition fonctionnelle dans la Reacutepublique106

II23 Communication entre le sensible et lintelligible107II3 Lorigine de lunivers dans le Timeacutee110

II31 Le deacutemiurge et lunivers112II32 Lacircme humaine114

II4 Conclusion116

Ch III Lignorance121III1 laquo Moi raquo et laquo moi-mecircme raquo121

III11 Alcibiade et laquo connais-toi toi-mecircme raquo122III111 La technique et lignorance124III112 Le deacutesir et lignorance127III113 Le pouvoir et lignorance127

III12 Protagoras et laquo connais-toi toi-mecircme raquo128III121 laquo Rien de trop raquo et Simonide129III122 laquo Rien de trop raquo et Protagoras130III123 laquo Rien de trop raquo et Eacutepimeacutetheacutee131

III13 Philegravebe et laquo Connais-toi toi-mecircme raquo132III131 Quatre eacuteleacutements et le corps134III132 Le plaisir et le deacutesir134

360

III133 La psychologie135III2 Connaicirctre138

III21 Ion linspiration naturelle nest ni art ni science138III211 Folie divine138III212 Folie divine et les arts humains140III213 Rhapsode142

III22 Lignorance en terme ontologique144III221 Diffeacuterence entre laquo τὸ μὴ εἶναι raquo et laquo τὸ μὴ ὄν raquo 144III222 Lopinion fausse146III223 Refus de la veacuteriteacute147

III23 Theacuteeacutetegravete148III231 Oubli sensation meacutemoire148III232 Ce qui nest pas149III233 Le totaliteacute sans uniteacute151

III3 Paradoxe socratique deacuteclaration dignorance152III31 Sans compeacutetence particuliegravere152III32 Faux ou vrai savant153III33 Le philosophe est neacutecessairement laquo ignorant raquo154

III4 Conclusion154

Ch IV Lἐπιστήμη159IV1 Signifcation160

IV11 Tradition160IV12 Sophiste161IV13 Philosophe163

IV2 Τέχνη comme opinion165IV21 Image dimage166

IV211 Peinture166IV212 Eacutecriture168IV213 Sensible171

IV22 Croyance173IV221 Croyance agrave la folie divine174IV222 Croyance au λόγος175IV223 Croyance aux biens particuliers176

IV3 Τέχνη comme utiliteacute179IV31 Lutiliteacute technique et la connaissance180IV32 Lutiliteacute technique et la sensation180IV33 Lutiliteacute technique et le temps183

IV4 La διάνοια185IV41 Discours argumentatifs185

IV411 Hypothegravese185IV412 Raisonnement187IV413 Veacuteriteacute190

IV42 Les matheacutematiques191IV421 Immuabiliteacute192IV422 Preacutecision194IV423 Enseignement194

IV5 La politique195IV51 Conception traditionnelle196

361

IV52 Conception de sophiste197IV53 Conception philosophique200

IV6 La connaissance de lecirctre200IV61 Principes decirctre201IV62 Fonction propre202IV63 Eacuteducation203

IV7 Conclusion204

Ch V La vertu209V1 Sens de lἀρετή210

V11 Excellence sans connotation eacutethique210V12 Excellence technique et eacutethique211V13 Excellence de lacircme212

V2 La justice213V21 La justice et les sophistes215

V211 Luniteacute des vertus215V212 La justice et le bonheur216V213 Deacutepassement de lopposition entre la nature et la loi218

V22 La justice et la tacircche propre219V221 Lexcellence et la fonction propre220V222 La justice et leacuteducation221V223 La justice est lexcellence de toutes les fonctions223

V23 La Justice et la citeacute224V231 Les enfants et les femmes225V232 La citoyenneteacute226V233 Luniteacute de la citeacute230

V3 La tempeacuterance233V31 La loi lunivers et le divin235

V311 La puissance du savoir divin236V312 Eacuteteindre la deacutemesure238V313 Mythe dEr240

V32 Principes cosmologiques242V321 La proportion242V322 La hieacuterarchie244V323 Lharmonie245

V33 Le discours la justice et la tempeacuterance246V331 La loi comme discours247V332 La loi comme distribution de lintellect249

V4 Le courage251V41 Reacutesister agrave la peur252

V411 La peur de la mort254V412 La peur de la veacuteriteacute256

V42 Reacutesister aux deacutesirs et aux plaisirs257V5 Conclusion259

Ch VI La dialectique263VI1 Le mythe264

VI11 Le mythe et la repreacutesentation265VI111 Eacutethique et la repreacutesentation266

362

VI112 Politique et la repreacutesentation271VI113 Lunivers et la repreacutesentation272

VI12 Bon usage du mythe273VI121 Critique du mythe273VI122 Eacuteloge du mythe276

VI13 Philosophe fabricant de mythes278VI131 Valeur politique eacutethique278VI132 Fonction dialectique280

VI2 La reacutefutation282VI21 Laspect eacutepisteacutemologique282

VI211 Proceacutedeacute283VI212 Fonction dialectique284

VI22 Laspect politique287VI221 La reacutefutation et la persuasion288VI222 La reacutefutation contre lennemi interne de la citeacute289

VI23 Laspect eacutethique291VI231 Soi-mecircme et lautre291VI232 Soumettre soi-mecircme agrave examen292VI233 Soumettre les autres agrave examen293

VI3 Principes dialectiques296VI31 Limites de la reacutefutation297

VI311 La limite de la reacutefutation critique297VI312 La limite de lenlegravevement du faux par la reacutefutation298VI313 La limite de la reacutefutation expeacuterimentale299

VI32 La reacuteminiscence301VI33 La contemplation304

VI331 Principe de lUn304VI332 Principe du contraire306VI333 Principe de la division308

VI4 Conclusion309

Conclusion313

Annexe σῶμα ψυχή321

Annexe εἶδος ἰδέα326

Annexe ἀθάνατος ἀθανασία327

Annexe ἡδονή328

Annexe ἐπιστήμη329

Annexe σοφία332

Annexe δόξα334

Annexe δίκη δικαιοσύνη336

Annexe φρόνησις339

Annexe πολίτης341

Annexe πολιτεία342

Annexe φύειν φύεσθαι344

363

Annexe φοβεῖσθαι346

Annexe φόβος348

Annexe ἀνδρεία349

Bibliographie351

364

REacuteSUMEacute

La philosophie de Socrate selon Platon se structure autour de six termes la Forme lacircme

lignorance la science la vertu et la dialectique En effet lacircme immortelle est la source de tous

les biens et de tous les maux parce quelle est le principe du mouvement spontaneacute et par

conseacutequent la cause premiegravere de tous les mouvements aussi bien intellectifs que sensitifs et

physiques Cela eacutetant rendre justes la citeacute et les citoyens cest avant tout rendre juste leur acircme

Or comment rendre meilleure une acircme si lon ne connaicirct pas la cause mecircme des biens et celle

des maux Dans les premiers dialogues Socrate philosophe contre lignorance qui est la cause du

vice lequel prive lacircme de la vertu Dans les dialogues tardifs Socrate philosophe pour la science

cest-agrave-dire la connaissance de ce qui est qui est la source mecircme de la vertu Or comment

connaicirctre ce qui est si la reacutealiteacute ou lecirctre ne cesse de changer De lagrave vient la neacutecessiteacute de

lexistence des reacutealiteacutes intelligibles qui sont universelles et immuables auxquelles participent les

reacutealiteacutes sensibles qui sont particuliegraveres et changeantes Une question se pose si la reacutefutation est

le moyen agrave travers le dialogue de faire apparaicirctre lignorance quel est le moyen de connaicirctre ce

qui est Ce moyen cest la dialectique qui permet agrave travers le dialogue de se remeacutemorer des

reacutealiteacutes veacuteritables que lacircme eut jadis contempleacutees

TITRE EN ANGLAIS

The Structure of Socrates Philosophy according to Plato

MOTS CLEacuteS

Socrate acircme connaissance de soi vertu reacutefutation dialectique dialogue

INTITULEacute ET ADRESSE DE LUFR

LUFR de philosophie (UFR10)

17 rue da la Sorbonne

75005 Paris

Page 2: La structure de la philosophie de Socrate selon Platon

LUniversiteacute Paris I Pantheacuteon-Sorbonne

Thegravese pour lobtention du grade de docteur de lUniversiteacute Paris I

Preacutesenteacutee et soutenue publiquement par

Jacques HAN

La structure de la philosophie de SOCRATE

selon PLATON

Directeur de Thegravese

Luc BRISSONDRCE Centre Jean-Peacutepin CNRS-ENS UMR 8230

Composition du jury

Louis-Andreacute DORIONProfesseur au deacutepartement de philosophie de lUniversiteacute de Montreacuteal

Pierre CAYEResponsable du centre Jean-Peacutepin CNRSndashENS UMR 8230

Monique DIXSAUTProfesseur eacutemeacuterite UFR de philosophie lUniversiteacute Paris I

Luc BRISSONDRCE au centre Jean-Peacutepin CNRSndashENS UMR 8230

Date de soutenance le 27 juin 2018 agrave 14h30

LUniversiteacute Paris I Pantheacuteon-Sorbonne

Thegravese pour lobtention du grade dedocteur de lUniversiteacute Paris I

Preacutesenteacutee et soutenue publiquement par

Jacques HAN

La structure de la philosophie de SOCRATE

selon PLATON

Directeur de Thegravese

Luc BRISSON

DRCE Centre Jean-Peacutepin CNRS-ENS UMR 8230

Composition du jury

Louis-Andreacute DORIONProfesseur au deacutepartement de philosophie de lUniversiteacute de Montreacuteal

Pierre CAYEResponsable du centre Jean-Peacutepin CNRSndashENS UMR 8230

Monique DIXSAUTProfesseur eacutemeacuterite UFR de philosophie lUniversiteacute Paris I

Luc BRISSON

DRCE au centre Jean-Peacutepin CNRSndashENS UMR 8230

2018

Avertissement

Les passages citeacutes des dialogues de Platon sont extraits des traductions parues aux Eacuteditions

Flammarion (Collection laquo GF raquo)1

Alcibiade GF 988 2000 2e eacuted corrigeacutee [1999] trad par C Marboeuf et J-F Pradeau

Apologie Criton GF 848 2005 3e eacuted corrigeacutee [1997] trad par L Brisson

Banquet GF 987 2001 2e eacuted corrigeacutee et mise agrave jour [1998] trad par L Brisson

Charmide Lysis GF 1006 2004 trad par L-A Dorion

Cratyle GF 954 1998 trad par C Dalimier

Euthydegraveme GF 492 1989 trad par M Canto-Sperber

Gorgias GF 1326 1993 et 2007 eacuted revue et augmenteacutee [1987] trad par M Canto-Sperber

Hippias majeur Hippias mineur GF 870 2005 trad par J-F Pradeau amp F Franterotta

Ion GF 529 2001 eacuted mise agrave jour [1989] trad par M Canto-Sperber

Lachegraves Euthyphron GF 652 1997 tard par L-A Dorion

Lettres GF 466 2004 4e eacuted corrigeacutee et mise agrave jour[1987] trad par L Brisson

Lois GF 1059 1257 2006 trad par L Brisson et J-F Pradeau

Meacutenexegravene GF 1162 2006 tard par D Loayza

Meacutenon GF 491 1993 2e eacuted corrigeacutee et mise agrave jour trad par M Canto-Sperber

Parmeacutenide GF 688 1999 2e eacuted revue [1994] trad par L Brisson

Pheacutedon GF 489 1991 trad par M Dixsaut

Phegravedre GF 1268 2004 nouvelle eacuted corrigeacutee et mise agrave jour [1989] trad par L Brisson

Philegravebe GF 705 2002 trad par J-F Pradeau

Politique GF 1156 2003 [2011] Luc Brisson et Jean-Franccedilois Pradeau

Protagoras GF 7611997 trad par F Ildefonse

Reacutepublique GF 653 2002 trad par G Leroux

Sophiste GF 1269 1993 trad par Nestor L Cordero

Theacuteeacutetegravete GF 493 1995 2e eacuted corrigeacutee [1994] trad M Narcy

Timeacutee Critias 618 2001 5e eacuted corrigeacutee et mise agrave jour 1992 trad L Brisson

Comme chacune de ces traductions comprend laquo Introduction raquo laquo Traduction raquo laquo Notes raquo et dans certains cas laquo Annexe raquo pour simplifer la citation nous adoptons la forme suivante de la citation dans la note de bas de page prenons le Sophiste pour exemple

mdash passage Sophiste 239 b2mdash laquo Introduction raquo Sophiste laquo Introduction raquo p 62mdash laquo Notes raquo Sophiste laquo Notes raquo ndeg 141 p 234mdash laquo Annexe raquo Sophiste laquo Annexe II raquo p 286Les passages en grec sont extraits de leacutedition bilingue Les Belles Lettres des œuvres de Platon

1 Par ailleurs nuis suivons cette pratique utile laquo Nous avons pris la liberteacute de modifer tregravesponctuellement quelques-unes des citations de maniegravere agrave accorder le vocabulaire des extraits raquo (Cf Pradeau J-F Platon limitation de la philosophie Paris Aubier 2009 p 7)

2 Il arrive certes exceptionnellement quun passage citeacute est extrait dune autre traduction que celle de la collection GF Flammarion dans ce cas-lagrave le traducteur sera citeacute comme suit par exemple Sophiste 239 b (A Diegraves)

Introduction51 La structure72 La philosophie93 La Forme104 Lacircme115 Lignorance146 Lἐπιστήμη157 La vertu178 La dialectique199 Questions de meacutethode20Conclusion21

4

Introduction

La structure de la philosophie de Socrate selon Platon1 un tel sujet de thegravese invite agrave poser

deux questions 1 pourquoi laquo Socrate selon Platon raquo et non pas selon Aristophane

Xeacutenophon ou Aristote 2 pourquoi laquo la philosophie de Socrate selon Platon raquo et non

pas tout simplement laquo la philosophie de Platon raquo

Pour la premiegravere question il sagit dune question dhistoriciteacute Socrate fut condamneacute

agrave mort en 399 av J-C De ce fait historique reconnu quels que soient les propos

apporteacutes sur le compte de Socrate mdash puisquil na rien eacutecrit ils doivent justifer cette

condamnation or seul Socrate de Platon peut la justifer 1 Socrate soumet tout le

monde agrave examen particuliegraverement les hommes politiques les poegravetes et les artisans2

en montrant leur ignorance en les ironisant et en leur faisant honte publiquement

Cest preacuteciseacutement cette enquecircte Atheacuteniens qui ma valu des inimiteacutes si nombreuses qui preacutesentent une virulence et une graviteacute dune telle importance quelles ont susciteacute maintes calomnies et mont valu de me voir attribuer ce nom celui de laquo savant raquo3

Le Socrate de Platon est parfois peacutenible agrave supporter pour certains interlocuteurs

Cest bien le cas pour Critias dans le Charmide pour Calliclegraves dans le Gorgias et pour

Thrasymaque dans le livre I de la Reacutepublique 2 La nature insolente de Socrate

lorsquil vient decirctre condamneacute agrave mort laquo Eh bien Atheacuteniens quelle contre-

proposition vous ferais-je maintenant comme peine Eacutevidemment celle que je

meacuterite raquo4

Aucun traitement Atheacuteniens ne sied mieux agrave un tel homme que decirctre nourri dans leprytaneacutee5

laquo [hellip] En fait le prytaneacutee eacutetait le foyer commun de la citeacute et la coutume agrave laquelle fait

allusion Socrate eacutetait une survivance de leacutepoque ougrave les rois faisaient lhonneur agrave leur

hocircte en partageant leur table Ce privilegravege eacutetait accordeacute aux vainqueurs des jeux agrave

1 Un tel titre paraicirct preacutetentieux laquo Nous le savons bien pas une seule phrase de Socrate telle quelle a eacuteteacute prononceacutee par lui na surveacutecu Dans ces conditions est-il raisonnable de croire quon puisse en deacutepit de cela en savoir assez sur sa penseacutee et sur son enseignement pour parler seacuterieusement de saphilosophie raquo (Vlastos Gregory laquo Socrate raquo Philosophie grecque Paris PUF Quadrige Manuels sous la direction de M Canto-Sperber 2017 1re eacuted laquo Quadrige Manuels raquo [1997 1998] p 123

2 Voir Apologie 21 b ndash 22 e3 Ibid 22 e Agrave la diffeacuterence de Socrate de Xeacutenophon ne pratique ni lironie ni la reacutefutation (voir la liste

partielle des principales diffeacuterences entre Socrate de Platon et Socrate de Xeacutenophon cf Dorion Louis-Andreacute Socrate Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 98 ndash 102)

4 Apologie 36 b voir surtout le second discours de Socrate dans lApologie (35 e ndash 38 c)5 Ibid 36 d

5

Olympie agrave des strategraveges et aux repreacutesentants de certaines familles par exemple les

descendants dHarmodios et dAristogiton [hellip] raquo1 Une telle insolence est une

provocation la preuve en est que dans lApologie Socrate emploie sept fois le verbe

θορυβεῖν (faire du tapage)2 en invitant les Atheacuteniens au Tribunal agrave ne pas

linterrompre par leurs cris 3 Dans les dialogues platoniciens Socrate dune part

soppose agrave la deacutemocratie mais dautre part il a une bonne relation avec Alcibiade

Charmide et Critias et justement laquo Il semble que les Atheacuteniens naient pas pardonneacute

agrave Socrate ses freacutequentations Il est donc fort probable que le veacuteritable fondement de

son procegraves soit son opposition agrave la deacutemocratie et ses relations avec des personnages

aussi malfaisants quun traicirctre agrave Athegravenes comme Alcibiade et des comploteurs qui

deacuteclenchegraverent une guerre civile comme Critias et Charmide raquo3 En un mot Socrate

selon Platon est plus proche de la reacutealiteacute lieacutee agrave sa condamnation agrave mort

La reacuteponse agrave la seconde question (pourquoi laquo la philosophie de Socrate selon

Platon raquo et non pas tout simplement laquo la philosophie de Platon raquo ) est quil sagit lagrave

dune reacutealiteacute platonicienne agrave respecter En fait 1 Socrate na rien eacutecrit il a seulement

parleacute alors que Platon a beaucoup eacutecrit mais lui-mecircme na jamais parleacute puisquil

nest ni personnage ni narrateur dans ses dialogues Ainsi si lon peut dire que

Socrate est le laquo porte-parole raquo de Platon on peut dire aussi que Platon est le laquo scribe raquo

de Socrate et par conseacutequent 2 sil y a une seule philosophie il est diffcile de

distinguer nettement entre Socrate et Platon du fait que tous deux pensent la mecircme

chose Toutefois leur fonction propre est diffeacuterente lun parle lautre eacutecrit En

revanche si lon considegravere quil existe deux philosophies lune socratique lautre

platonicienne elles ne peuvent ecirctre seacutepareacutees lune de lautre puisque de lune naicirct

lautre et dans lautre se voit lune Cest pourquoi nous choisissons ce titre La

structure de la philosophie de Socrate selon Platon ce choix consistant agrave preacuteserver luniteacute

philosophique de ces deux philosophes Cette uniteacute se structure autour de six termes

agrave savoir la Forme (αὐτὸ καθ᾽ αὐτὸ εἶδος ou τὸ ὄν cest-agrave-dire ce qui est reacutellement)

lacircme (ψυχή) lignorance (ἀγνοία) la science (ἐπιστήμη) la vertu (ἀρετή) et la

1 Apologie laquo Notes raquo ndeg 258 p 1552 Le verbe est plutocirct peu preacutesent dans le corpus platonicien voici la liste de ses occurrences

Apologie θορυβεῖν (17 d) θορυβήσητε (20 e) θορυβεῖτε (21 a) θορυβεῖν (27 b) θορυβείτω (27 b) θορυβεῖτε (30 c) θορυβεῖν (30 c) Banquet θορυβηθῶ (194 a) θορυβήσεσθαι (194 b) Charmideτεθορυβημένοι (154 c) Euthydegraveme τεθορυβημένον (275 d) ἐθορυβήθην (283 d) θορυβουμένου (283 d) Lettre VII τεθορυβημένω (348 e) Lois I θορυβούμενον (640 b) II θορυβώδης (671 a) Lysis τεθορυβημένον (210 e) Phegravedre θορυβείτω (245 b) θορυβουμένη (248 a) Protagoras θορυβοῦσιν (319 c) Reacutepublique IV θορυβήσῃ (438 a) VII θορυβουμένην (518 a) Timeacutee θορυβώδη (42 d)

3 Brisson Luc Platon Paris Cerf 2017 p 32

6

dialectique (διαλεκτιή)

1 La structure

La structure de la philosophie de Socrate est eacutelaboreacutee agrave partir de la ceacutelegravebre ligne

segmenteacutee en quatre sections dans la Reacutepublique (livre VI 509 d ndash 510 a) puis ces

sections sont nommeacutees agrave la fn du livre VI (511 d ndash e) et redeacutefnies dans le livre VII

(533 e ndash 534 a)1 Mais avant danalyser cette ligne il faut reacutesoudre un problegraveme de

segmentation Voici le texte en question

Sur ce prends par exemple une ligne coupeacutee en deux dineacutegale (ἄνισα) longueur coupe

de nouveau suivant la mecircme proportion que la ligne chacun des deux segments mdash celui

du genre visible et celui du genre invisible mdash[hellip]2

Le problegraveme est que la seacutequence ΑΝΙΣΑ peut ecirctre interpreacuteteacutee comme laquo ἄνισα raquo tout

aussi bien qu laquo ἂν ἴσα raquo laquo [hellip] Si le texte est clair et exprime nettement une ineacutegaliteacute

[hellip] le privilegravege du monde intelligible impose une repreacutesentation plus importante et

ainsi en deacutecroissant vers les domaines infeacuterieurs de lontologie[hellip] raquo3 Nous pensons

ainsi quil sagit d laquo ἂν ἴσα raquo Dans ce cas-lagrave pourquoi Socrate ne dirait-il pas

simplement laquo supposons que la ligne soit coupeacutee en quatre sections eacutegales raquo au lieu

de proposer deux fois la mecircme opeacuteration Ce parti pris permet en effet de souligner

la coexistence de deux mondes opposeacutes linvisible et le visible Agrave linteacuterieur de ceux-

ci on pourrait par contre appliquer une division en plusieurs segments et non pas

seulement en deux Lexplication d laquo ἂν ἴσα raquo semble simple lἐναντίον (contraire

ou opposeacute) lui-mecircme est symeacutetrique ce passage du Philegravebe le confrme laquo Divisons

en deux la totaliteacute des choses qui existent actuellement dans lunivers raquo une part a

pour nom lillimiteacute et lautre la limite4 En effet la division du tout en deux en trois

en quatre ou en un autre nombre supeacuterieur donne toujours des parties eacutegales Mais

quel est le sens de leacutegaliteacute En fait leacutegal en soi (αὐτὸ τὸ ἴσον) est une Forme5

supposant la symeacutetrie entre le monde intelligible et le monde sensible La puissance

de lecirctre est la puissance totale de lunivers autrement dit la puissance du monde

intelligible est la puissance de la totaliteacute de lunivers lunivers tire du monde

1 Cf Lafrance Yvon Pour interpreacuteter Platon La ligne en Reacutepublique VI 509 d ndash 511 e Montreacuteal Bellarmin Tome I (Bilan analytique des eacutetudes 1804 ndash 1984) 1987 Tome II (Le texte et son histoire) 1994

2 Reacutepublique VI 509 d3 Reacutepublique laquo Notes livre VI raquo ndeg 142 p 6724 Voir Philegravebe 23 c5 Voir αὐτοῦ τοῦ ἴσου (Parmeacutenide 131 d Pheacutedon 75 b) αὐτὸ τὸ ἴσον (Pheacutedon 74 a c e 78 d) αὐτὰ τὰ ἴσα (Pheacutedon 74 c)

7

intelligible sa puissance

Voici la description de la ligne dans le livre VII de la Reacutepublique (533 e ndash 534 a)

Socrate Il nous plaira donc dis-je comme auparavant de nommer la premiegravere section science (ἐπιστήμη) et la deuxiegraveme penseacutee (διάνοια) la troisiegraveme croyance (πίστις) et la quatriegraveme repreacutesentation (εἰκασία) Il suffra aussi de nommer ces deux derniegraveres prises ensemble opinion (δόξα) et les deux premiegraveres ensemble intellection (νόησις)1

La ligne est en reacutealiteacute une ligne repreacutesentant lacircme car seule lacircme est capable de

lopinion et de lintellection de monter ou descendre dans les deux directions

opposeacutees sur la ligne2 Or quand il est question de lacircme il sagit neacutecessairement de

lecirctre puisque lecirctre est la raison decirctre de lacircme en ce sens cette ligne est aussi une

ligne de lecirctre Cependant nous pouvons constater que cette ligne est incomplegravete

puisque la Forme en haut lignorance et les maux en bas en sont absents En effet

lἐπιστήμη quelle que soit sa porteacutee pratique ou ontologique a neacutecessairement son

objet car la science est toujours science de quelque chose son objet ici en

loccurrence est la Forme et son contraire est lignorance Mais pour que lacircme

humaine maicirctrise cette science contre lignorance il lui faut aussi et surtout des

moyens Comme pour observer des objets ceacutelestes il faut seacutequiper de teacutelescopes de

mecircme il faut avoir le moyen de connaicirctre la veacuteriteacute Ce moyen a pour nom la

dialectique cest-agrave-dire laquo le moyen agrave travers le dialogue de connaicirctre ce qui est raquo3

Voici la reacutecapitulation de la ligne

Bien

Formes

νόησιςἐπιστήμη dialectique

acircme ecirctreδιάνοια raisonnement

δόξαπίστις perception

acircme corps ecirctre τέχνηεἰκασία imitation

ignorance

maux

En prenant les six termes agrave savoir la Forme (τὸ ὄν cest-agrave-dire ce qui est purement

et simplement) lignorance (ἄγνοια ou ἀμαθία) lacircme ψυχή ecirctre (εἶναι) la science

(ἐπιστήμη) et la dialectique (διαλεκτιή) nous obtenons la structure qui incarne la

complexiteacute du tableau Cependant nous remplaccedilons le verbe laquo ecirctre raquo par lἀρετή

1 Notons que agrave la fn du livre VI ces quatre sections sont nommeacutees respectivement νόησις διάνοιαπίστις et εἰκασία

2 laquo Et maintenant adjoints agrave nos quatre sections les quatre eacutetats mentaux de lacircme [hellip] raquo (Reacutepublique livre VI 511 e) autrement dit ces quatre sections sont quatre domaines de lactiviteacute de lacircme humaine

3 Brisson Luc Pradeau Jean-Franccedilois Dictionnaire Platon Paris Ellipses 2007 p 45

8

pour la simple raison suivante agrave tous les niveaux de lecirctre il existe toujours la

question de lexcellence propre (ἀρετή) car chaque reacutealiteacute a sa fonction propre

Notons que lon ne peut faire de lignorance une excellence parce quelle est

deacutepourvue de fonction de mecircme pour les maux

2 La philosophie

Le terme laquo philosophie raquo en tant quaspiration au savoir prend un sens assez large

dans les dialogues de Platon Dans lApologie il sagit dune pratique consistant agrave

soumettre agrave examen soi-mecircme et les autres afn de faire apparaicirctre la veacuteriteacute et

dissiper lignorance qui consiste agrave croire savoir ce que lon ne sait pas en reacutealiteacute Ainsi

laquo une vie agrave laquelle cet examen ferait deacutefaut ne meacuteriterait pas decirctre veacutecue raquo (38 a)

Dans le Banquet la philosophie prend son sens propre agrave savoir laspiration au savoir

(203 d) la contemplation de la reacutealiteacute intelligible (211 d ndash e) le deacutesir de limmortaliteacute

(207 a) Dans la Reacutepublique elle est la dialectique cest-agrave-dire la science de ce qui est

au moyen du dialogue Dans lAlcibiade il sagit de la connaissance de soi et du mecircme

en soi (αὐτὸ τὸ αὐτό 130 d) Dans la premiegravere partie du Parmeacutenide la philosophie est

lontologie quon appellera plus tard la meacutetaphysique Dans le Philegravebe la philosophie

prend un accent aigu sur la psychologie Dans le Theacuteeacutetegravete il sagit dune enquecircte sur

la science (ἐπιστήμη) agrave travers lanalyse de son opposeacute agrave savoir lopinion Dans le

second discours de Socrate du Phegravedre la philosophie est tout simplement une

reacuteminiscence

Il faut en effet que lhomme arrive agrave saisir ce quon appelle laquo forme intelligible raquo en allant

dune pluraliteacute de sensations vers luniteacute quon embrasse au terme dun raisonnement Or

il sagit lagrave dune reacuteminiscence des reacutealiteacutes jadis contempleacutees par notre acircme quand elle

accompagnait le dieu dans son peacuteriple quand elle regardait de haut ce que agrave preacutesent

nous appelons laquo ecirctre raquo et quelle levait la tecircte pour contempler ce qui est reacuteellement Ainsi

est-il juste assureacutement que seule ait des ailes la penseacutee du philosophe car les reacutealiteacutes

auxquelles elle ne cesse dans la mesure de ces forces de sattacher par le souvenir ce

sont justement celles qui parce quil sy attache font quun dieu est un dieu1

En somme dans chaque dialogue de Platon la philosophie semble prendre un sens

un peu diffeacuterent tout en restant la mecircme laquo la philosophie comme ce mode de vie qui

se laisse deacuteterminer par laspiration au savoir et sa pratique raquo2

Sur la ligne de lecirctre ce savoir (σοφία) comprend deux parties agrave savoir les

1 Phegravedre 249 b ndash c Quant agrave savoir pourquoi la philosophie se nomme la folie eacuterotique voir le passage 249 d ndash e qui renvoie en effet au discours de Diotime rapporteacute par Socrate dans le Banquet

2 Dictionnaire Platon p 120

9

matheacutematiques (ce que deacutesigne διάνοια) cest-agrave-dire le raisonnement rigoureux et la

dialectique Les matheacutematiques en tant que telles ne sont pas la fnaliteacute de la

philosophie elles constituent un outil de raisonnement pur qui permet de discerner

les reacutealiteacutes sensibles avec exactitude un outil deacuteducation qui permet deacutelever le sens

de la mesure Cest la raison pour laquelle les matheacutematiques sont neacutecessaires pour

ceux qui ont la tacircche de maicirctriser le monde sensible mais aussi pour tous les ecirctres

humains car un ecirctre humain est neacutecessairement un ecirctre de mesure

Socrate Statuons-nous alors dis-je en disant que cest un enseignement des plus neacutecessaires agrave lhomme de guerre que de pouvoir calculer et compter (λογίζεσθαί τε καὶ ἀριθμεῖν δύνασθαι)

Glaucon Le plus neacutecessaire de tous dit-il sil veut comprendre quoi que ce soit aux positions des troupes pour la bataille ou mecircme sil veut seulement ecirctre un ecirctre humain1

Seule la science du calcul et des nombres permet de calculer et de compter avec

preacutecision et certitude On voit bien que la matheacutematique est agrave la fois une science

(nombre) et une pratique (calcul) Or cette science permet certes de faire gagner une

guerre mais elle ne permet pas de savoir si lon fait une guerre contre ceux qui sont

justes ou injustes2 dougrave la neacutecessiteacute dune autre science plus eacuteleveacutee qui permet de

savoir ce quest le juste ce quest le bien Cette science a pour nom la dialectique elle

est agrave la fois une science (la connaissance de ce qui est) et une pratique (le dialogue)

3 La Forme

Par la Forme nous entendons la reacutealiteacute en soi (αὐτὸ καθ᾽ αὐτὸ εἶδος3) qui est la cause

de son propre ecirctre et de lecirctre de toutes les autres reacutealiteacutes

Dans le Pheacutedon Socrate admet laquo quil existe deux espegraveces decirctres dune part lespegravece

visible et de lautre lespegravece invisible raquo En fait ces deux espegraveces decirctres sont distinctes

Lintelligible se situe au niveau le plus eacuteleveacute laquo ce qui est totalement ecirctre raquo laquo ce qui est

purement et simplement ecirctre raquo laquo ce qui est veacuteritablement ce quil est raquo ou tout

simplement laquo ce qui est reacuteellement raquo Dun tel ecirctre on peut dire laquo simplement quil est raquo

on ne peut en parler quen utilisant le preacutesent deacuteterniteacute car il est laquo pur raquo sans meacutelange

Face aux choses sensibles qui ne cessent de changer qui naissent et peacuterissent la reacutealiteacute

intelligible se caracteacuterise par son identiteacute laquo elle est toujours la mecircme raquo elle laquo garde

toujours les mecircmes rapports et la mecircme nature raquo Et puisquil ne change pas neacutetant

soumis ni agrave la geacuteneacuteration ni agrave la corruption lintelligible est en soi il ne doit donc pas

ecirctre consideacutereacute comme un effet et doit de ce fait ecirctre tenu pour cause de son ecirctre Or ce

1 Reacutepublique VII 522 e2 laquo Quoi donc Contre qui conseilleras-tu aux Atheacuteniens de faire la guerre Contre ceux qui sont

injustes ou contre ceux qui agissent de faccedilon juste raquo (Alcibiade 109 b)3 Parmeacutenide 128 e

10

sont ces reacutealiteacutes en soi qui sont deacutefnies comme des Formes1

Ce qui est reacuteellement veacuteritablement est toujours le mecircme en soi et par soi En effet

dans les dialogues platoniciens on trouve plusieurs formules qui peuvent signifer

une Forme comme par exemple εἶδος ἰδέα αὐτὸ τὸ F αὐτὸ καθ αὑτὸ F ougrave F

deacutesigne une reacutealiteacute intelligible comme par exemple leacutegal le beau chaque chose qui

est (ἕκαστον ὃ ἔστιν) Parfois la formule exprime aussi une chose sensible αὐτὸ τὸ

τεῖχος par exemple2 Cela eacutetant leurs emplois ne signifent pas systeacutematiquement la

Forme En particulier certaines expressions employeacutees dans les premiers dialogues

ressemblent agrave la Forme mais nous le verrons dans la premiegravere partie du chapitre I

laquo La Forme raquo leur sens sen approche tregraves diffcilement3 En effet au fur et agrave mesure

que le volume de dialogues platoniciens augmente (notons que les premiers

dialogues sont peu volumineux) le sens et la deacutefnition de la Forme se preacutecisent4

Cela suppose quune eacutevolution de la penseacutee des formes intelligibles semble eacutevidente

Ainsi en retraccedilant cette eacutevolution on pourrait peut-ecirctre laquo deacuteterminer agrave quel moment

simpose avec eacutevidence la formulation explicite dune seacuteparation entre lintelligible et

le sensible raquo5 Une telle deacutetermination permettrait de voir plus clairement quelles

sont les conditions de la connaissance de la veacuteriteacute Plus preacuteciseacutement il sagit de

reacutepondre aux cinq questions suivantes 1 Comment sopegravere la seacuteparation entre le

sensible et lintelligible Y a-t-il une correacutelation entre ces deux seacuteparations agrave savoir

entre le sensible et lintelligible dune part entre le corps et lacircme dautre part 2 Si

cest par la matheacutematique que les reacutealiteacutes sensibles participent agrave lintelligible

comment rendre compte de la participation de lacircme agrave lintelligible 3 Y a-t-il des

Formes neacutegatives Par exemple pourrait-il y avoir une Forme du Mal cest-agrave-dire un

Mal eacutetant toujours le mecircme en soi et par soi 4 Si cest par la contemplation que lon

pourrait saisir la reacutealiteacute veacuteritable quel est ce mode de contemplation 5 La vie

bonne peut-elle se passer de la veacuteriteacute cest-agrave-dire decirctre veacuteritablement

1 Cf Brisson Luc laquo Comment rendre compte de la participation du sensible agrave lintelligible chez Platon raquo Platon Les formes intelligibles Paris PUF 2001 pp 55 ndash 85 p 58 ndash 59 Notons que dans le texte 15 notes de bas de page sont associeacutees agrave cet extrait Pour des raisons de lisibiliteacute nous ne les reproduisons pas ici

2 Voir Lysis 203 a3 Sur la question de savoir agrave quel moment naicirct lhypothegravese de lexistence des Formes cf Allen

Reginald Edgar Platos Euthyphro and the earlier theory of forms Londres Routlege amp Kegan 19704 Dans sa Meacutetaphysique (alpha 6 987 a 29 ndash b 14) Aristote accuse Platon de ne pas deacutefnir ce quest la

Forme (cf Brisson Luc Platon Paris Cerf 2017 p 145 ndash 146) Nous allons voir dans le Pheacutedon le Phegravedre la Reacutepublique et la premiegravere partie du Parmeacutenide que la Forme est bel et bien deacutefnie mais dans une deacutefnition extrecircmement simple parce que ce qui est est extrecircmement simple Il est purement et simplement

5 Cf supra Brisson ndeg 1 p 56

11

4 Lacircme

La deacutefnition de lacircme nest pas aussi simple que cette de la Forme elle est mecircme

beaucoup plus compliqueacutee lacircme est immortelle1 elle est le principe du mouvement

spontaneacute2 elle est structureacutee en trois fonctions3 elle saisit les reacutealiteacutes veacuteritables par la

reacuteminiscence4 elle est lorigine de tous les biens et de tous les maux5 ou encore bien

dautres qualifcations possibles Chacune de ces deacutefnitions ou descriptions paraicirct

simple quelques mots exprimant lessentiel mecircme de lacircme mais lensemble est

complexe de telle sorte quil est diffcile de construire une deacutefnition unique en les

comprenant toutes Ce qui complique les choses cest que lacircme est lorigine de tous

les problegravemes car elle est elle-mecircme problegraveme En effet elle est immortelle mortelle

elle a une double existence peut-ecirctre mecircme triple une existence immortelle quand

elle se seacutepare dun corps et mortelle en sunissant agrave lui Par exemple en se trouvant

dans un corps la fonction rationnelle de lacircme cohabite avec ses deux autres

fonctions deacutesirante et ardente qui rendent le corps vivant Ainsi seacuteparer la fonction

rationnelle de deux fonctions infeacuterieures seacutepare lacircme du corps Lagrave se trouve toute la

complexiteacute de la doctrine de lacircme comment se seacutepare-t-elle du corps tout en

sunissant agrave lui

Mais quelle est la neacutecessiteacute de deacutefnir lacircme On peut constater que dans les

premiers dialogues Socrate passe tout son temps agrave soumettre agrave examen son acircme et

celle des autres afn de les rendre meilleures sans pour autant deacutefnir ce quest lacircme

comme sil eacutetait possible de gueacuterir un malade de sa maladie sans pour autant ecirctre

meacutedecin (cest dailleurs le cas de la folie teacuteleacutestique dans le Phegravedre6) Le fait de se

soucier de lacircme est-il suffsant pour en prendre soin sans pour autant savoir ce

quelle est Oui semble-t-il car avant Platon il y avait bien des sages sans que lacircme

ne soit bien deacutefnie7 Ainsi la question se pose dans quel objectif faut-il deacutefnir lacircme

de maniegravere rigoureuse

En effet si la doctrine de lacircme semble connaicirctre elle aussi une eacutevolution cette

1 Voir Meacutenon 81 b Phegravedre 245 c Pheacutedon 72 c ndash d2 Voir Phegravedre 245 c ndash 246 a3 Voir Phegravedre 246 a ndash b 253 c Reacutepublique IV 439 d ndash 441 a VIII 550 b IX 580 d ndash e4 Voir Meacutenon 81 d Phegravedre 249 b ndash c Pheacutedon 73 b Philegravebe 34 b5 Voir Charmide 156 e6 Voir Phegravedre 244 d ndash e7 Cf la section laquo Question de lacircme dans la tradition grecque raquo Platon Paris Cerf 2017 pp 194 ndash 211

Rohde Erwin Psycheacute le culte de lacircme chez les grecs et leur croyance agrave limmortaliteacute Paris Les Belles Lettres encre marine traduction franccedilaise dAuguste Reymond (Eacuteditions Payot 1928) eacutedition revue corrigeacutee et augmenteacutee par Alexandre Marcinkowski traduction du grec et du latin par Paul Gaillardon avant propos par Andreacute Hirt 2017

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eacutevolution est-elle parallegravele agrave celle de la Forme ou bien lune preacutecegravede-t-elle lautre

dans la mesure ougrave nous accordons une certaine creacutedibiliteacute agrave la chronologie des

dialogues de Platon1 Y a-t-il une correacutelation entre les deux eacutevolutions

Traditionnellement les dialogues de jeunesse sont consideacutereacutes comme des dialogues

laquo socratiques raquo dans lesquels la question de la Forme est explicitement absente bien

que certaines expressions puissent ecirctre interpreacuteteacutees comme telles En revanche la

question de lacircme est preacutesente dans lensemble des dialogues platoniciens2 elle

constitue presque le noyau sinon la toile de fond de chacun dentre eux Lacircme est

aussi importante pour Socrate que pour Platon mecircme si la faccedilon de rendre meilleure

lacircme paraicirct assez diffeacuterente par la reacutefutation dans les premiers dialogues par la

dialectique dans les autres ou encore par un meacutelange des deux dans certains cas En

effet dans un premier temps philosopher consiste agrave soumettre agrave examen soi-mecircme

et les autres afn de rendre meilleure lacircme de chacun En ce sens la philosophie est

naturellement eacutethique car le fait de soumettre lacircme agrave examen est une belle faccedilon

deacutevaluer la morale de dissiper lignorance et deacuteviter de commettre linjustice Dans

un second temps le fait de rendre meilleure lacircme nest plus une question

dignorance mais une question eacutepisteacutemologique et ontologique La liste suivante

peut donner certains indices pour mener notre recherche

La tripartition de lacircme Reacutepublique (livre IV 439 d ndash 441 a) Phegravedre (426 a ndash b) laseacuteparation entre lacircme et le corps Gorgias (524 b) Pheacutedon (80 b ndash c 88 b) limmortaliteacute de lacircme Gorgias (524 b ndash 525 c)3 Meacutenon (81 b - d) Pheacutedon (70 c) et Phegravedre (245 d ndash e) Reacutepublique (livre X 611 b) et Timeacutee (69 c ndash 72 b 90 c ndash 92 c) la reacuteminiscence Meacutenon (80 e ndash 86 c) Pheacutedon (72 e ndash 77 a) Phegravedre (249 bb ndash c) et Philegravebe (34 b ndash c)

On peut constater que la penseacutee de la seacuteparation entre lacircme et le corps semble

preacuteceacuteder celle de la seacuteparation eacutevidente entre lintelligible et le sensible puisque la

date de la reacutedaction du Gorgias est consideacutereacutee comme bien anteacuterieure agrave celle du

Pheacutedon ougrave les principaux traits de la Forme dessineacutes de faccedilon coheacuterente

1 laquo On a coutume depuis la fn du XIXe siegravecle de reacutepartir les dialogues de Platon en trois groupes chronologiques soit les dialogues de jeunesse (Apologie Criton Hippias mineur Hippias majeur Ion Alcibiade Lachegraves Protagoras Meacutenexegraveme Euthyphron Gorgias Charmide Meacutenon Lysis Euthydegraveme) les dialogues de maturiteacute (Cratyle Banquet Pheacutedon Reacutepublique Phegravedre Parmeacutenide Theacuteeacutetegravete) et les dialogues de vieillesse (Sophiste Politique Philegravebe Timeacutee Critas Lois) raquo (Dorion Louis-AndreacuteSocrate Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 38)

2 Agrave lexception de la seconde partie du Parmeacutenide ougrave le terme et la question de lacircme sont totalement absents

3 Bien que limmortaliteacute de lacircme ne soit pas explicite dans le mythe eschatologique du Gorgias dans la conclusion de Socrate apregraves avoir raconteacute le mythe cette immortaliteacute est implicitement explicite puisque lacircme qui sest seacutepareacutee du corps doit se soumettre au jugement Par exemple les acircmes pleines de deacutesordre et de laideur seraient aussitocirct envoyeacutees dans la prison du Tartare (525 a) Cela suppose au moins que lacircme continue agrave exister apregraves la mort

13

correspondent bel et bien agrave la deacutefnition de la Forme telle quelle sera donneacutee

expliqueacutee et deacutebattue dans la premiegravere partie du Parmeacutenide

5 Lignorance

Le terme laquo ignorance raquo (ἀμαθία ἄγνοια) signife le fait de croire savoir ce quon ne

sait pas en reacutealiteacute Il est paradoxal Socrate est agrave la fois savant et ignorant En effet la

Pythie deacuteclara que Socrate eacutetait le plus savant parmi les ecirctres humains alors que lui-

mecircme pensait quil laquo neacutetait savant ni peu ni prou raquo1 Ce paradoxe conduira Socrate agrave

deacutecouvrir le sens veacuteritable de lignorance agrave savoir simaginer savoir ce que lon ne

sait pas en veacuteriteacute dougrave la confusion le fait que Socrate se reconnaissait ignorant

veut-il dire quil avouait simaginer savoir ce quil ne savait pas Certainement pas

car au fond le paradoxe est facile agrave comprendre puisquil sagit de deux affrmations

opposeacutees de deux parties dune part de la Pythie et dautre part de Socrate Pour la

Pythie Socrate est plus savant que les autres mais lui-mecircme ne se reconnaicirct

compeacutetent dans aucun meacutetier Au fond toute la question est de savoir ce que signife

le savoir puisquune compeacutetence de meacutetier elle aussi est un savoir

En effet la deacuteclaration socratique de lignorance semble connaicirctre eacutegalement une

eacutevolution2 Dans lApologie lorsque la Pythie deacuteclara quil ny avait personne de plus

savant que lui alors que Socrate lui-mecircme se reconnaicirct laquo savant ni peu ni prou raquo il

sagit dune opinion quavait Socrate sur lui-mecircme Ici laquo savant raquo est entendu au sens

courant du terme laquo Jusquagrave Platon en effet le terme σοφία peut recevoir nimporte

quel contenu dans la mesure ougrave la σοφία nest dans le monde sensible lieacutee agrave aucun

contenu particulier Ecirctre σοφός dans ce contexte cest dominer son activiteacute se

dominer soi-mecircme et dominer les autres raquo3 De cette faccedilon il avait raison de se

reconnaicirctre ignorant puisquil na exerceacute semble-t-il aucun meacutetier ni aucune

fonction politique Il neacutetait pas non plus mdash du moins au deacutebut de sa vie

philosophique mdash un sage qui se connaicirct lui-mecircme (le doute de Socrate sur la

deacuteclaration de la Pythie signife quil ne se connaissait alors pas encore)

1 Ibid 21 b2 Socrate se reconnaicirct souvent ignorant voici une liste non exhaustive Apologie 20 c e 21 b d 23 a ndash

b 29 b Euthyphron 5 a ndash c 15 c ndash 16 a Charmide 165 bc 166 c- d Lachegraves 186 b ndash e 200 e Hippias mineur 372 b e Hippias majeur 286 c ndash e 304 d -e Lysis 212 a 223 b Gorgias 509 a Meacutenon 71 a ndash b 80 d 98 b Banquet 216 d Pheacutedon 105 c Reacutepublique I 337 d ndash e 354 c Theacuteeacutetegravete 150 c 210 c Phegravedre 235 c

3 Brisson Luc laquo Mythe eacutecriture philosophie raquo La naissance de la raison de Gregravece Paris PUF Sous la direction de J-F Matteacutei 2006 eacuted Quadrige [1990] pp 49 ndash 58 p 57 Dans sa note de bas de page Brisson note ceci laquo Monique Dixsaut Le naturel philosophe Essai sur les dialogues de Platon Paris Les Belles-Lettres Vrin 1985 p 45 51 raquo

14

Par la suite en soumettant agrave examen lui-mecircme et les autres il a deacutecouvert la

veacuteritable ignorance beaucoup de gens croient savoir ce quils ne savent pas en

reacutealiteacute Lagrave il sagit en effet dune question eacutepisteacutemologique car comment peut-on

connaicirctre la veacuteriteacute Comment distinguer ce que lon sait reacuteellement de ce que lon

croit savoir En ce sens eacutepisteacutemologique Socrate avait bien raison de se reconnaicirctre

ignorant de se soucier de lexactitude de la connaissance de la reacutealiteacute En effet le fait

de preacutetendre connaicirctre la veacuteriteacute avec certitude amegravene le risque de la savoir par la

croyance et non par la science

Enfn lignorance consiste aussi agrave faire ce que lon ne doit pas faire lignorance prend

lagrave aussi une dimension eacutethique et politique puisquil sagit bien dagir Cest

fnalement aussi une question ontologique car comment peut-on agir juste sans se

poser la question de lecirctre Or laquo ecirctre purement et simplement raquo1 ne peut ecirctre

accessible que par contemplation De telle sorte tant que lacircme se lie encore au corps

cette contemplation a toutes les chances de se mecircler dignorance puisque le corps est

synonyme dignorance par le fait quil ne peut que sentir sans savoir ce quest ce quil

sent Cest la raison pour laquelle Socrate a bien raison de se reconnaicirctre ignorant

dans une forme de φρόνησις (reacutefexion et prudence)

Ainsi le fait de se reconnaicirctre ignorant mdash avant tout agrave soi-mecircme et non

expressivement devant les autres tout en eacutetant reconnu comme un savant par les

autres et non par soi-mecircme mdash est en quelque sorte une marque de la philosophie et

pas seulement une marque socratique En dautres termes il vaut mieux se

reconnaicirctre ignorant plutocirct que se reconnaicirctre savant puisque lignorance consiste agrave

ne pas se connaicirctre soi-mecircme Dougrave la question quel est le risque majeur agrave ne pas se

connaicirctre soi-mecircme Il est eacutevident que celui qui na aucun pouvoir sur qui que ce

soit ne risque pas grand-chose agrave ne pas se connaicirctre lui-mecircme Le ceacutelegravebre preacutecepte

delphique laquo connais-toi toi-mecircme raquo apparaicirct dans cinq dialogues agrave savoir lAlcibiade

le Charmide le Phegravedre le Phliegravebe et le Protagoras2 Sagit-il de cinq formes de pouvoirs

Nous le verrons plus preacuteciseacutement dans le chapitre III laquo Lignorance raquo

6 Lἐπιστήμη

Toute connaissance qui preacutesente une certaine stabiliteacute dans les reacutealiteacutes peut ecirctre

qualifeacutee dἐπιστήμη Ainsi de la stabiliteacute moins importante agrave la stabiliteacute eacuteternelle il

1 Cest-agrave-dire τὸ εἰλικρινῶς ὄν Reacutepublique V 477 a2 Alcibiade 129 a 130 e 131 b 132 e Charmide 164b Phegravedre 229 e Philegravebe 48 c Protagoras 343 b

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existe de tregraves nombreuses sciences Le Politique donne une division des sciences1

eacutetablie de maniegravere horizontale En effet on peut bien eacutetablir une autre division des

sciences sous un angle diffeacuterent selon linteacuterecirct quon a pour lobjet de la science dans

son ensemble La philosophie devrait-elle sinteacuteresser plus agrave la division bien raffneacutee

des sciences ou davantage agrave lobjet lui-mecircme dune science En tout cas nous nous

inteacuteressons plus agrave lobjet lui-mecircme dune science et plus cette science est plus eacuteleveacutee

plus nous nous y inteacuteressons En effet nous nous inteacuteressons plutocirct agrave la division de

la science ou dune science et non agrave la division des sciences

Dans les dialogues platoniciens la σοφἰα et lἐπιστήμη sont en geacuteneacuteral

interchangeables degraves lApologie2 Les deux termes dans leur sens le plus eacuteleveacute ont

pour objet la mecircme chose agrave savoir la veacuteriteacute que les dieux possegravedent Le substantif

ἐπιστήμη est freacutequemment preacutesent dans les uns3 peu preacutesent dans les autres et

absent dans les trois dialogues platoniciens agrave savoir le Criton le Hippias majeur et le

Lysis Nous pouvons constater ceci dans le Charmide lEuthydegraveme le Lachegraves le Meacutenon

et le livre IV de la Reacutepublique certaines vertus font lobjet dune science dans les

livres V VI et VII de la Reacutepublique le Parmeacutenide le Pheacutedon et le Phegravedre les formes

intelligibles font lobjet dune science dans le Philegravebe cest plutocirct la psychologie qui

fait lobjet dune science enfn dans le Theacuteeacutetegravete ce triplet laquo sensation opinion droite

et logos raquo fait lobjet dune science dans le Protagoras la sophistique fait lobjet dune

science et dans le Gorgias cest la rheacutetorique On voit bien que cest toujours agrave lobjet

lui-mecircme dune science que Socrate sinteacuteresse

Quest-ce que la science Pour y reacutepondre nous examinerons 1 lopinion 2 le

raisonnement rigoureux cest-agrave-dire les matheacutematiques et 3 la connaissance de ce

qui est Cest pourquoi nous nous attacherons agrave analyser la nature des objets de ces

trois types de connaissance Lopinion trouve sa source dans la sensation qui est

sauvegardeacutee dans la meacutemoire Ainsi en jugeant par sensation on se forge une

opinion Il sagit dune opinion droite puisquaucune sensation nest fausse mais

individuelle particuliegravere spatio-temporelle et non-universelle Inversement en

jugeant par la meacutemoire sur une reacutealiteacute sensible on obtient aussi une opinion mais

fausse car aucune sensation nest identique agrave une autre sensation puisque le monde

1 Cf le Politique laquo Introduction raquo p 21 ougrave on trouve onze niveaux de division des sciences2 Voir Apologie 19 c ndash 20 c3 109 fois dans Theacuteeacutetegravete 72 (Charmide) 67 (Reacutepublique dont 22 dans le livre IV 12 dans V 7 dans VI 12

dans VII) 34 (Euthydegraveme) 37 (Meacutenon) 31 (Philegravebe) 23 (Protagoras) 23 (Parmeacutenide dont 18 dans la seule page 134) 19 (Pheacutedon) 19 (Lachegraves) 12 (Gorgias) En tout lἐπιστήμη apparaicirct 401 fois (hormis les Lois) contre seulement 142 fois pour la σοφἰα Voir aussi laquo Annexe ἐπιστήμη - σοφἰα raquo

16

sensible change sans cesse En revanche la διάνοια nest ni droite ni fausse mais

reacuteelle Ni laquo droite raquo parce que le jugement est obtenu par un raisonnement rigoureux

et non par sensation immeacutediate ni laquo fausse raquo cest parce que tout raisonnement

rigoureux aboutit au reacuteel Cependant on peut bien utiliser les matheacutematiques pour

faire des choses injustes parce quen tant que telles elles sont la connaissance des

autres et non la connaissance de soi-mecircme En effet seulement la connaissance de ce

qui est permet de se connaicirctre veacuteritablement soi-mecircme puisque le veacuteritable soi-

mecircme est la fonction intellective de lacircme

7 La vertu

La vertu est lexcellence de lacircme certes le terme ἀρετή signife aussi lexcellence

dune chose le couteau par exemple1 Le paradoxe de la vertu est quelle est science

mais une science qui ne senseigne pas

laquo Platon chercha tout naturellement sa vie durant agrave jouer un rocircle politique non

seulement agrave Athegravenes mais aussi agrave leacutetranger et notamment en Sicile raquo2 Il sengageait

mecircme activement agrave tenter de convertir le tyran Denys II agrave ses ideacutees 3 Sans doute pour

Platon ce rocircle politique est-il le naturel mecircme du philosophe une responsabiliteacute

eacutethique agrave leacutegard de la politique Mais son effort nest pas payant pour aider Dion

ancien eacutelegraveve de lAcadeacutemie beau-fregravere et gendre du tyran Denys Ancien puisque

leacutechec de Dion est ducirc agrave son ignorance4 Ironie du sort un philosophe comme Platon

neacutetait pas capable de dissiper lignorance dun ancien acadeacutemicien ni de convertir le

tyran en philosophe-roi Cela eacutetant si la vertu est science en tant que science elle

doit senseigner mais lenseignement que Platon prodiguait agrave Dion agrave lAcadeacutemie ne

semblait pas confrmer que cette science senseigne

Car lorsquil a affaire agrave des hommes impies lhomme pieux tempeacuterant et sage ne peut jamais se meacuteprendre entiegraverement sur ce quest lacircme de telles gens mais il ny a riendeacutetonnant sans doute agrave ce quil subisse le sort du bon pilote qui nignore absolument pas limminence dune tempecircte mais qui ne se preacutesente pas sa violence extraordinaire inattendue et qui en raison de cette ignorance sera forceacutement submergeacute Cest bien la

1 Lexcellence du couteau est fabriqueacutee par un humain qui est dirigeacute par son acircme en ce sens la fabrication excellente est commandeacutee par lacircme de son fabricant Ainsi cette excellence relegraveve fnalement de lexcellence de lacircme certes le corps aussi est lagrave pour quelque chose mais lui aussi estdirigeacute par lacircme cest pourquoi un beau corps nest pas une condition neacutecessaire pour exceller dans un meacutetier (τέχνη)

2 Cf laquo Lacadeacutemie de Platon premiegravere tentative dinstitutionnalisation du savoir en Gregravece antique raquo Luniversiteacute Cahiers deacutetudes leacutevinassiennes 10 2011 pp 13 ndash 31 p14

3 Ibid laquo Platon nourrit lespoir de convertir le tyran agrave ses ideacutees Peine perdue car Dion est exileacute et Platon lui-mecircme doit revenir preacutecipitamment agrave Athegravenes En 3610 il revient agrave Syracuse pour aider Dion cest une fois de plus un eacutechec raquo (p 15)

4 Voir Lettre VII 351 d ndash e

17

mecircme cause qui explique aussi leacutechec de Dion qui fut si rapide Certes il nignorait absolument pas queacutetaient meacutechants les gens qui ont causeacute sa perte mais ce quil ignorait ceacutetait la profondeur quavaient atteinte leur ignorance leur perversiteacute en geacuteneacuteral aussi bien que leur rapaciteacute Voilagrave donc pourquoi par suite de son eacutechec il gicirct dans son tombeau et sur la Sicile un deuil immense sest eacutetendu1

La pieacuteteacute la tempeacuterance et la sagesse sont des vertus qui permettent deacuteviter le

malheur en ce sens il est eacutevident que la vertu est science car seule la connaissance

des reacutealiteacutes veacuteritables permet de leacuteviter cest pourquoi soit on est proteacutegeacute par un

dieu soit la science quon possegravede Ou alors quelle est la condition pour que la vertu

senseigne

Socrate est reacuteellement vertueux cependant sa vertu est intransmissible autrement

dit la vertu que possegravede Socrate est attacheacutee agrave lui en ce sens la vertu nest pas

science puisquelle ne senseigne pas En effet Socrate passait toute sa vie agrave dialoguer

avec des personnes de tous bords essayant de rendre lui-mecircme et les autres les

meilleurs possibles comme si la vertu senseignait puisque le dialogue est une forme

denseignement Mais leffcaciteacute de cet enseignement deacutepend de la personnaliteacute de

Socrate Or tout ce qui est intrinsegravequement lieacute agrave la personnaliteacute nest pas science

puisquune science qui senseigne universellement est neacutecessairement indeacutependante

de qui que ce soit Pourtant la vertu de cette personnaliteacute rayonne comme un

excellent enseignement qui attire et transforme plus ou moins les gens et ce

rayonnement disparaicirct en mecircme temps que cette personne disparaicirct Tout cela

semble montrer que la vertu nest pas science mais senseigne ou alors que la vertu

est une science qui ne peut senseigner que par celui qui la possegravede reacuteellement et la

pratique pleinement

Le second paradoxe de la vertu est luniteacute de la vertu Il est inimaginable que le

courageux puisse ecirctre injuste et que le juste ne soit pas savant de mecircme pour les

autres vertus Cela suppose que luniteacute de la vertu existe neacutecessairement car sans

luniteacute des vertus cest-agrave-dire quelque chose en commun agrave toutes les vertus la vertu

na aucun sens elle nest quun nom qui ne deacutesigne aucune reacutealiteacute veacuteritable

Supposons que le courageux puisse ecirctre injuste dans ce cas-lagrave il nest pas toujours

courageux mais ponctuellement ou par hasard car seul le lacircche est capable de

commettre linjustice Ainsi si le courage est incapable dempecirccher de commettre

linjustice il na plus aucune valeur universelle et immuable puisquil ne permet pas

decirctre toujours courageux En effet toute uniteacute est une reacutealiteacute unique par exemple la

1 Ibid nous soulignons

18

fonction propre (ἔργον) est une reacutealiteacute unique agrave laquelle participent toutes les

excellences propres1 Autrement dit chaque fonction propre est deacutepositaire dune

excellence propre agrave ce titre lἔργον est luniteacute des excellences propres Lacircme a trois

fonctions (deacutesirante ardente et rationnelle) et chacune doit avoir son excellence

propre Ainsi pour que lacircme soit excellente il faut que ces trois fonctions soient

harmonieusement excellentes

8 La dialectique

La dialectique consiste agrave analyser les contraires ou les opposeacutes au moyen du

dialogue et par cette analyse on parvient agrave connaicirctre ce qui est

Les reacutealiteacutes sensibles sont visibles et multiples alors que les reacutealiteacutes intelligibles sont

invisibles et sans meacutelange cest pourquoi laquo ni intuition immeacutediate de la reacutealiteacute ni

non plus deacutecouverte de lecirctre de toutes choses la dialectique deacutesigne simplement la

saisie singuliegravere de ce qui fait que telle chose est comme elle est de ce qui la

distingue comme telle dans la multipliciteacute des choses qui sont raquo2 Cette saisie

singuliegravere consiste dabord agrave se demander ce quest une chose elle-mecircme selon la

fameuse formule laquo τί ἐστι raquo (laquo quest-ce que ceci ou cela en soi raquo) On peut toujours

formuler une reacuteponse plus ou moins pertinente mais on na pas la certitude de savoir

si la reacuteponse est unique Non pas que la formulation langagiegravere soit unique

puisquune mecircme reacuteponse peut ecirctre formuleacutee diffeacuteremment tout en disant la mecircme

chose mais que la reacutealiteacute comme lexprime la reacuteponse soit unique La question

suivante se pose quel est le principe qui permet de veacuterifer si la reacuteponse renvoie bien

agrave une reacutealiteacute unique Selon le principe du contraire il sagit de deacutefnir son contraire

En effet une chose sensible na pas de contraire le corps par exemple On pourrait

penser que lacircme est le contraire du corps cela nest peut-ecirctre pas faux mais ce nest

quune opinion ou une conjecture et non une science Pour que la reacuteponse soit de

lordre de la science il faut savoir ce quest lacircme et ce quest le corps Autrement dit

deux deacutefnitions renvoient agrave deux reacutealiteacutes contraires lacircme elle-mecircme en elle-mecircme

le corps lui-mecircme en lui-mecircme Par exemple si lon deacutefnit le corps comme une

eacutetendue son contraire est ineacutetendu Or ce qui est ineacutetendu nest pas neacutecessairement

lacircme par exemple une loi matheacutematique est ineacutetendue mais elle nest pas acircme en

tout cas jusquagrave maintenant cela na pas eacuteteacute deacutemontreacute Si lon deacutefnit lacircme comme la

source du bien et le corps comme la source du mal alors lacircme et le corps ne sont

1 Voir Reacutepublique I 352 d ndash 354 c2 Dictionnaire Platon p 47 Nous soulignons

19

pas contraires puisque chacun des deux est une source En revanche si lon deacutefnit

lacircme comme la source de tous les biens et de tous les maux1 la deacutefnition du corps

comme le contraire de lacircme est plus diffcile Ainsi tant quon ne reacuteussit pas agrave deacutefnir

le corps comme le contraire de laquo la source de tous les maux et de tous les biens raquo on

ne comprend pas encore totalement non pas le corps mais ce quest le corps En

effet connaicirctre le corps relegraveve de la meacutedecine connaicirctre ce quest le corps relegraveve de la

dialectique

Dans la deacutefnition de la dialectique le dialogue est le moyen de connaicirctre ce qui est

un moyen de deacuteclencher des sensations afn de cheminer vers la contemplation des

reacutealiteacutes veacuteritables ce cheminement a pour nom la reacuteminiscence

9 Questions de meacutethode

Comme notre recherche de la philosophie de Socrate selon Platon ne se concentre pas

sur un seul dialogue mais concerne presque tous les dialogues platoniciens et

particuliegraverement ceux ougrave Socrate est le meneur de jeu il est par conseacutequent

impossible danalyser chacun de ces dialogues dans leur ensemble Cest pourquoi

nous adoptons la deacutemarche qui consiste agrave analyser les principaux termes agrave travers

plusieurs dialogues tout en prenant en consideacuteration luniteacute de chacun de ces

dialogues

Connaissant les principaux termes dabord ce sont des termes eacutetroitement lieacutes agrave

chacun des six termes que nous avons retenus dans la structure de la philosophie de

Socrate agrave savoir la Forme lacircme lignorance le science la vertu et la dialectique Par

exemple parler de la Forme eacutequivaut agrave parler de la seacuteparation entre le sensible et

lintelligible de la participation de lecirctre

Ensuite notre recherche ne se borne pas agrave maintenir la deacutemarche dans une

autonomie du dialogue dans la mesure ougrave lon admet le fait que la penseacutee de Socrate

et celle de Platon eacutevoluent Cette eacutevolution est eacutevidente car dans les premiers

dialogues il sagit essentiellement de reacutefutation cest-agrave-dire de critique le but eacutetant

de faire apparaicirctre la veacuteriteacute et de dissiper lignorance et non pas de chercher agrave deacutefnir

reacuteellement une reacutealiteacute en question De lagrave vient en effet la notion dlaquo aporie raquo En ce

sens la deacutefnition dune reacutealiteacute est une meacutethode et non une science dans les premiers

dialogues dans ces conditions il est diffcile de savoir si Socrate possegravede ou non

cette science quand il reacutefute Alors que dans les autres dialogues ougrave la dialectique est

1 Voir Charmide 156 e

20

lenjeu de la recherche le but consiste agrave connaicirctre ce qui est dans ce cas dialectique

une deacutefnition nest plus une meacutethode mais une science En somme nous preacutefeacuterons

lautonomie du meneur de jeu agrave lautonomie des dialogues1

Enfn luniteacute litteacuteraire cest-agrave-dire linteacutegraliteacute textuelle dun dialogue sera prise en

consideacuteration car le discours platonicien eacutecrit ressemble agrave un corps vivant2 Comme

tout corps vivant les membres et les organes forment un uniteacute quest lunion de lacircme

et du corps Nest-il pas paradoxal de prendre en consideacuteration luniteacute litteacuteraire dun

dialogue tout en neacutegligeant lautonomie du dialogue Pas du tout Un citoyen est

une uniteacute dans tous les sens du terme mais il nest pas autonome par rapport agrave la citeacute

dont il est citoyen

Conclusion

La recherche dune philosophie telle quelle se manifeste dans les dialogues

platoniciens suppose que lontologie soit implicitement ou explicitement la boussole

de leacutethique et que leacutethique soit le point de deacutepart de lontologie En effet sans la

fondation de leacutethique il est diffcile dimaginer que lontologie puisse tomber du ciel

Agrave linverse sans lontologie il est aussi diffcile dimaginer que leacutethique puisse ecirctre

fondeacutee solidement Ces deux points semblent dire que la diffeacuterence et laccord entre

Socrate et Platon tels quils se trouvent dans les dialogues sont agrave la fois visibles et

invisibles Peut-ecirctre est-ce dans linvisible que laccord est plus important que ce que

le visible peut montrer car le visible est trop lineacuteaire Cet avis de Catherine Dalimier

semble-t-il bien utile dans la lecture de lensemble des dialogues platoniciens ougrave

Socrate est le meneur de jeu laquo Aucun deacutechiffrement aussi brillant aussi textuel

aussi philosophique aussi coheacuterent soit-il nest indeacutependant dun choix ontologique

eacutethiquement neacutecessaire raquo3 Ce choix est sans doute la science

1 Cest en ce sens que chacun de ces trois dialogue agrave savoir l e Critias l es Lois et le Timeacutee est autonome Lensemble de ces deux dialogues le Politique et le Sophiste est autonome puisque dansceux-ci le meneur de jeu est le mecircme Eacutetranger dEacuteleacutee

2 laquo Mais tu admettras au moins ceci jimagine que tout discours doit ecirctre constitueacute agrave la faccedilon dun ecirctre vivant qui possegravede un corps agrave qui il ne manque ni tecircte ni pieds mais qui a un milieu et des extreacutemiteacutes eacutecrits de faccedilon agrave convenir entre eux et agrave lensemble raquo (Phegravedre 264 c)

3 Cratyle laquo Introduction raquo p 39

21

Ch I La Forme25I1 La Forme est-elle preacutesente dans les premiers dialogues 25

I11 Premiegravere description preacuteliminaire de la reacutealiteacute intelligible26I12 Aὐτὸ τὸ x27

I121 Lαὐτὴ ἡ πόλις28I122 Euthyphron et αὐτὸ τὸ εἶδος30I123 Hippias majeur et laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν raquo31I124 Lαὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά32I125 Meacutenon Lysis et Euthydegraveme34

I13 La seacuteparation entre lacircme et le corps35I131 Χρήματα35I132 Gorgias et la seacuteparation explicite entre lacircme et le corps37

I2 La neacutecessiteacute de lexistence des reacutealiteacutes intelligibles38I21 Neacutecessiteacute ontologique39

I211 Lecirctre et le non-ecirctre parmeacutenidiens39I212 Du Soleil au Bien42I213 La mort la meacutemoire limmortaliteacute et la reacuteminiscence44

I22 La neacutecessiteacute eacutepisteacutemologique47I221 Limpossibiliteacute de la science parmeacutenidienne47I222 La neacutecessiteacute de ce qui est50

I23 La neacutecessiteacute eacutethique51I231 Limpossibiliteacute de la participation parmeacutenidienne52I232 La neacutecessiteacute eacutethique de lontologie54

I3 Quest-ce que la Forme 55I31 Intelligible56

I311 Question de lexpression de la Forme56I312 τὸ εἶναι58I313 ἕκαστον ὃ ἔστι60

I32 Trois eacutetapes pour saisir la reacutealiteacute intelligible62I321 Saisie par la sensation62I322 Saisie par le raisonnement64I323 Saisie par lintellection66

I33 Au-delagrave des Formes et la participation67I331 Le jour et la Forme67I332 La penseacutee (νόημα) et la Forme68I333 Le paradigme et la Forme69

I4 Conclusion69

23

Ch I La Forme

Une Forme une reacutealiteacute unique en soi et par soi (αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ εἶδος ou αὐτὸ τὸ

εἶδος ou tout simplement τὸ εἶδος ou ἡ ἰδέα)1 eacutevoque la neacutecessiteacute de la seacuteparation

entre lintelligible et le sensible puisquune reacutealiteacute sensible est une reacutealiteacute multiple

Ainsi les questions senchaicircnent premiegraverement comment sopegravere la seacuteparation entre

le sensible et lintelligible y a-t-il une correacutelation entre les deux seacuteparations

suivantes entre le sensible et lintelligible dune part entre le corps et lacircme dautre

part deuxiegravemement si cest par la matheacutematique que les reacutealiteacutes sensibles

participent agrave lintelligible comment rendre compte de la participation de lacircme agrave

lintelligible troisiegravemement y a-t-il des Formes neacutegatives par exemple pourrait-il y

avoir une Forme du Mal

I1 La Forme est-elle preacutesente dans les premiers dialogues

Les termes comme εἶδος ἰδέα ou les formules comme αὐτὸ καθ αὑτὸ x αὐτὸ τὸ x

sont bel et bien preacutesents dans les premiers dialogues dits traditionnellement les

dialogues de jeunesse mecircme si leur preacutesence est relativement peu freacutequente par

rapport agrave leur preacutesence dans les dialogues tardifs Voici une reacutecapitulation des

occurrences du terme εἶδος avec ou sans article dans les dialogues2

Les premiers dialogues Les dialogues tardifsavec article sans article avec article sans article

Charmide 2 0 Banquet 2 5Euthyphron 1 0 Cratyle 4 10Gorgias 0 2 Critias 0 2Hippias Majeur 1 1 Lois 0 30Lachegraves 0 1 Parmeacutenide 20 26Lysis 1 1 Pheacutedon 7 8Meacutenon 0 3 Phegravedre 3 22Protagoras 1 1 Philegravebe 0 12

Politique 0 27

1 Dans son article intituleacute laquo Les formes et les reacutealiteacutes intelligibles Lusage platonicien du terme εἶδος raquo J-F Pradeau na pas eacutevoqueacute une seule fois le terme ἰδέα comme si les deux termes neacutetaientpas synonymes (cf Platon les formes intelligibles Paris PUF cordonneacute par J-F Pradeau 2001 pp 17 ndash 60) Pour L Brisson ils sont synonymes (cf son article dans le mecircme livre laquo Comment rendre compte de la participation du sensible agrave lintelligible chez Platon raquo pp 61 ndash 85) Cf laquo Annexe τὸεἶδος ἰδέα raquo la statistique montre que lemploi des deux termes semble assez eacutequilibreacute

2 Notons que sans article certaines formes du terme εἶδος ne signifent pas toujours laquo τὸ εἶδος raquo cest pourquoi nous faisons une statistique seacutepareacutee qui est reacutealiseacutee sur les sept formes suivantes sans article εἶδος εἴδους εἴδεος εἴδει εἴδη εἰδέα εἰδέων εἴδεσι avec article τὸ εἶδος τοῦ εἴδους τοῦ εἴδεος τῷ εἴδει τὰ εἴδη τὰ εἰδέα τῶν εἰδέων τοῖς εἴδεσι

25

Reacutepublique 12 62Sophiste 2 38Theacuteeacutetegravete 2 12Timeacutee 2 52

Premiegraverement avec ou sans article le terme εἶδος est peu preacutesent dans les premiers

dialogues mecircme totalement absent dans la moitieacute des premiers dialogues cela

pourrait confrmer lhypothegravese de labsence de lexistence de la Forme dans les

premiers dialogues Notons que ce nest pas une question de volume car le Gorgias et

le Meacutenon sont plutocirct volumineux comparables au Politique au Sophiste ou au Timeacutee

Deuxiegravemement le Parmeacutenide est une exception car avec ou sans article les 46

occurrences se concentrent particuliegraverement dans la premiegravere partie1 cela confrme

que lεἶδος deacutesigne la Forme cela semble confrmer aussi que la question de la forme

intelligible est absente dans la seconde partie du Parmeacutenide Cela ne doit pas ecirctre

consideacutereacute comme un hasard car rien nest hasard sous la plume de Platon mecircme si

Platon recrute certainement un scribe en tout cas lui-mecircme sait eacutecrire et lire puisque

leacuteducation agrave son eacutepoque commence par la lecture et leacutecriture Troisiegravemement

labsence de lεἶδος avec article dans les quatre dialogues tardifs agrave savoir le Critias

les Lois le Philegravebe et le Politique semble signifer quils seraient de la mecircme peacuteriode de

reacutedaction le Sophiste et le Timeacutee pourraient se trouver dans une autre peacuteriode de

reacutedaction

I11 Premiegravere description preacuteliminaire de la reacutealiteacute intelligible

Il sagit de la laquo premiegravere description raquo que nous donnons dans ce chapitre comme

preacuteliminaire et non pas de la laquo premiegravere raquo dans les dialogues platoniciens ce qui est agrave

deacuteterminer Voici un passage du Pheacutedon (78 d)

αὐτὴ ἡ οὐσία ἧς λόγον δίδομεντοῦ εἶναι καὶ ἐρωτῶντες καὶ ἀποκρινόμενοι πότερον ὡσαύτως ἀεὶ ἔχει κατὰ ταὐτὰ ἢ ἄλλοτ᾽ἄλλως αὐτὸ τὸ ἴσον αὐτὸ τὸ καλόν αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν τὸ ὄν μή ποτε μεταβολὴν καὶ

Cette reacutealiteacute mdash cest de sa maniegravere decirctre dont nous rendonsun juste compte et lorsque nous questionnons et lorsque nous reacutepondons mdash est-ce quelle se comporte toujours semblablement en restant mecircme quelle-mecircme ou est-ce quelle est tantocirct ainsi et tantocirct autrement Leacutegal en soi le beau en soi le laquo ce quest raquo chaque chose en soi-mecircme le veacuteritablement eacutetant est-ce que jamais cela peut accueillir en

1 Parmeacutenide avec article τὰ εἴδη (129 d) τοῖς εἴδεσι (129 e) τοῦ εἴδους (131 a) τὸ εἶδος (131 a) τὰ εἴδη (131 c) τῷ εἴδει (132 d) τὸ εἶδος (132 d) τὸ εἶδος (132 e) τῷ εἴδει (132 e) τὸ εἶδος (132 e) τὸ εἶδος (132 e) τὸ εἶδος (133 a) τὰ εἴδη (133 b) τὰ εἴδη (133 d) τὰ εἴδη (134 b) τοῦ εἴδους (134 b) τὰεἴδη (134 d) τὰ εἴδη (135 a) τῷ εἴδει (149 e) τοῦ εἴδους (158 c) Sans article εἴδη (129 c) εἴδη (130 b) εἶδος (130 b) εἶδος (130 c) εἶδος (130 c) εἶδος (130 d) εἶδος (130 d) εἴδη (130 d) εἴδη (130 e) εἶδος (131 c) εἶδος (132 a) εἶδος (132 a) εἶδος (132 c) εἴδη (132 d) εἴδους (132 e) εἶδος (132 e) εἶδος (133 a) εἴδη (133 a) εἶδος (133 b) εἶδος (135 a) εἴδη (135 b) εἶδος (135 b) εἴδη (135 e) εἴδη (149 e) εἴδη (159 e) εἴδους (160 a)

26

ἡντινοῦν ἐνδέχεται ἢ ἀεὶ αὐτῶνἕκαστον ὃ ἔστι μονοειδὲς ὂναὐτὸ καθ᾽ αὑτό ὡσαύτως κατὰ ταὐτὰ ἔχει καὶ οὐδέποτε οὐδαμῇ οὐδαμῶς ἀλλοίωσιν οὐδεμίαν ἐνδέχεται

soi un changement quel que soit dailleurs ce changement Ou bien comme ce quest chacun de ces ecirctres comporte en soi et par soi une unique forme est-ce que cela ne reste pas toujours semblablement mecircme que soi sans accueillir agrave aucun moment sur aucun point en aucune faccedilon aucune alteacuteration

Mecircme si ce nest quun court passage on pourrait dire de maniegravere geacuteneacuterale que la

Forme (τὸ ὄν) est indiqueacutee agrave laide de ces deux formules αὐτὸ τὸ x αὐτὸ καθ᾽ αὑτό

x ici x deacutesigne une reacutealiteacute (οὐσία) tandis que laquo αὐτὸ τὸ raquo ou laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτό raquo

souligne la nature de la Forme toujours la mecircme en soi et par soi sans jamais subir

aucun changement Pour linstant seules ces deux formules attirent notre attention

nous examinerons le reste plus tard

I12 Aὐτὸ τὸ x

On peut aiseacutement constater dans les premiers dialogues la preacutesence de ces deux

expressions agrave savoir αὐτὸ τὸ x et αὐτὸ καθ αὑτὸ x qui ressemblent agrave celles utiliseacutees

pour deacutesigner les formes intelligibles telles quelles sont deacutefnies exprimeacutees ou

deacutecrites dans le Parmeacutenide le Pheacutedon et la Reacutepublique1 Voici une liste non exhaustive

mais signifcative de ces deux expressions preacutesentes dans la majoriteacute des dialogues

de jeunesse

Apologie αὐτῆς τῆς πόλεως (36 c) Criton αὐτὴ ἡ ἀλήθεια (48 α) αὐτῇ τῇ δίκῃ (52 c)

Hippias majeur αὐτὸ τὸ καλὸν (286 e 288 a 289 c) αὐτοῖς τοῖς θεοῖς (293 a) αὐτὸ

καθ᾽ αὑτὸ τῶν ἡδέων καλὸν (299 c) αὐτὸ τὸ ἑκάτερον (303 a) Ion αὐτοὺς τοὺς

δακτυλίους (533 d) Alcibiade αὐτὸ τὸ αὐτό (129 b 130d) Lachegraves αὐτῷ τῷ ἔργῳ (183

c) αὐτὴ ἡ ἀνδρεία (194 a) αὐτὴ ἡ καρτέρησίς (194 a) Protagoras αὐτῇ τῇ ψυχῇ (314

b) αὐτὸ τὸ πρᾶγμά (330 d) αὐτὰ τὰ ἐρωτώμενα (336 a) αὐτῇ τῇ διανοίᾳ αὐτῷ τῷ

σώματι (337 c) αὐτὸ τὸ πρυτανεῖον αὐτῆς τῆς πόλεως (337 d) αὐτὸ τὸ ἐρωτώμενον

(338 d) αὐτῆς τῆς ἡδονῆς (353 d) αὐτὸ τὸ χαίρειν (354 c) αὐτὸ τὸ χαίρειν αὐτὸ τὸ

λυπεῖσθαι (354 d) αὐτὸ τὸ λυπεῖσθαι (354 e) Meacutenexegravene αὐτῶν τῶν τεθνεώτων (236

d) Euthyphron αὐτὸ τὸ εἶδος (6 d) Gorgias αὐτοῖς τοῖς ἀνθρώποις(452 d) αὐτὸ τὸ

σῶμα (465 d) αὐτὸν τὸν δεσπότην (471 b) αὐτοὺς τοὺς πολίτας (513 e) αὐτῆς τῆς

πόλεως (519 c) αὐτῇ τῇ ψυχῇ αὐτὴν τὴν ψυχὴν θεωροῦντα ἐξαίφνης ἀποθανόντος

1 ldquo Le terme dεἶδος est introduit dans une discussion dont la fn est une deacutefnition il est la reacuteponse donneacutee agrave la question laquo Quest-ce que x raquo (τὶ ἐστι χ) rdquo (Cf J-F Prodeau supra p 35) Or x peut ecirctre une chose sensible le rempart par exemple parfois mecircme un nom propre par exemple dans lelivre III de la Reacutepublique αὐτὸν τὸν Ἀχιλλέα (390 e) Par ailleurs Platon neacutetait pas le premier agrave employer lexpression αὐτὸ τὸ x puisque lon trouve lexpression dans chaque livre des Histoires de Heacuterodote par exemple αὐτὰ τὰ χείλεα dans le livre 31239 (version Les Belles Lettres ougrave Ph-E Legrand se contente de traduire laquo βραχέος τοῦ τεπὶ αὐτὰ τὰ χεῖλεα raquo par laquo celui qui touchait au bord raquo Pas de diffeacuterence entre laquo χεῖλος raquo et laquo αύτὸ τὸ χεῖλος raquo

27

ἑκάστου (523 e) Charmide αὐτῆς τῆς ἐπιστήμης (166 a) αὐτῆς τῆς λογιστικῆς (166 a)

αὐτῆς τῆς σωφροσύνης (166 b) Meacutenon αὐτὴν τὴν οἰκίαν (71 e) αὐτὸ τὸ

παρατεταμένον (78 a) αὐτὰ μὲν καθ αὑτὰ οὔτε ὠφέλιμα οὔτε βλαβερά ἐστιν (88 c)

αὐτὸν τὸν ὑὸν (93 e) αὐτὸ καθ αὑτὸ ζητεῖν (100 b) Lysis αὐτὸ τὸ τεῖχος (203 a) αὐτὸ

τὸ ἐναντίον (215 e) αὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά (220 c) Euthydegraveme

ὅπως αὐτά γε καθ αὑτὰ πέφυκεν ἀγαθὰ (281 d) αὐτοὶ οἱ λογοποιοί αὐτὴ ἡ τέχνη

(289 e) αὐτὸ τὸ πρᾶγμα (307 b)

Le nombre doccurrences de ces deux expressions est important dans les premiers

dialogues mecircme sil est largement infeacuterieur agrave celui des dialogues tardifs Il est utile

de faire une analyse pour voir de quoi il sagit plus preacuteciseacutement pour savoir si dans

αὐτὸ τὸ x il sagit de x en soi ou de x (une reacutealiteacute) elle-mecircme Par laquo x en soi raquo nous

entendons une reacutealiteacute intelligible telle queacutevoqueacutee dans le Pheacutedon laquo elle se comporte

toujours semblablement en restant mecircme quelle-mecircme raquo par laquo x elle-mecircme raquo nous

entendons ce qui est propre agrave x Ainsi par exemple lαὐτὸ τὸ τεῖχος ne peut en

aucun cas signifer le rempart en soi mais le rempart lui-mecircme cest-agrave-dire ce qui est

propre au rempart sa construction Nous seacutelectionnons ici quatre cas agrave examiner agrave

savoir αὐτὴ ἡ πόλις αὐτὸ τὸ εἶδος τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν et αὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε

κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά1

I121 Lαὐτὴ ἡ πόλις

Lexpression napparaicirct que cinq fois dans le corpus platonicien dont une fois

formuleacutee par Hippias dans le Protagoras (αὐτῆς τῆς πόλεως 337 d) et quatre fois par

Socrate dans trois dialogues agrave savoir lApologie (αὐτῆς τῆς πόλεως 36 c) le Gorgias

(αὐτῆς τῆς πόλεως 519 c) et le livre II de la Reacutepublique (αὐτὴν τὴν πόλιν 370 e

αὐτῇ τῇ πόλει 371 b) Sachant que mecircme dans la Reacutepublique ougrave certaines

expressions αὐτὸ τὸ x et αὐτὸ καθ αὑτὸ x signifent effectivement une Forme2

lαὐτὴ ἡ πόλις ne signife pas laquo la citeacute en soi raquo mais la citeacute elle-mecircme nous allons le

voir sous peu

La premiegravere apparition de lexpression se trouve dans lApologie qui se compose de

trois discours le premier sur la culpabiliteacute de Socrate (17 a ndash 35 d) le second sur

leacutetablissement dune peine (35 e ndash 38 b) et le troisiegraveme qui est un discours priveacute sur

leacutethique agrave leacutegard de la mort (38 c ndash 42 a) Voici le passage ougrave est apparue

lexpression αὐτῆς τῆς πόλεως (36 c)

1 Quant agrave lexpression laquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo (Alcibiade 129 b 130d) nous en parlerons dans le chapitre laquo Lacircme raquo

2 Par exemple dans le livre VII αὐτὸ τὸ ἕν (524 e) αὐτὸ τὸ ἀγαθὸν (534 c) αὐτὸ τὸ ὂν (537 d)

28

En essayant de convaincre chacun dentre vous de ne pas se preacuteoccuper de ses affaires

personnelles avant de se preacuteoccuper pour lui-mecircme de la faccedilon de devenir le meilleur et

le plus senseacute possible de ne point se preacuteoccuper des affaires de la citeacute avant de se

preacuteoccuper de la citeacute elle-mecircme (πρὶν αὐτῆς τῆς πόλεως) et de ne se preacuteoccuper de tout

le reste quen vertu du mecircme principe (κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον)1

Ici on trouve deux expressions diffeacuterentes laquo κατὰ τὸν αὐτὸν τρόπον raquo et laquo πρὶν

αὐτῆς τῆς πόλεως raquo Dans la premiegravere laquo en vertu du mecircme principe raquo lαὐτό

comme adjectif met laccent sur le mecircme par rapport aux autres Dans la seconde laquo la

citeacute elle-mecircme raquo lαὐτό comme pronom met laccent sur le rapport du sujet agrave lui-

mecircme autrement dit la citeacute agrave leacutegard delle-mecircme ce qui est propre agrave la citeacute Une telle

interpreacutetation peut ecirctre contesteacutee par les deux passages du livre II de la Reacutepublique

Socrate Mais repris-je fonder cette citeacute (αὐτὴν τὴν πόλιν) dans un endroit tel quelle nait besoin de rien importer cest quasi impossible (370 e)

Socrate Mais alors Au sein de la citeacute elle-mecircme (αὐτῇ τῇ πόλει) comment les citoyens seacutechangeront-ils les biens que chacun aura produit Car cest bien dans ce but que nous avons fondeacute une citeacute (ποιησάμενοι πόλιν) en rendant possible leur association (371 b)

Il est eacutevident que lexpression ne signife pas la citeacute en soi puisquelle concerne la vie

reacuteelle de la citeacute dailleurs ces deux passages soulignent quaucune citeacute ne peut rester

toujours la mecircme en soi et par soi Voici la question que deacutesigne la citeacute elle-mecircme

dans lApologie comme dans la Reacutepublique Ce passage du mythe de Protagoras peut

nous suggeacuterer la reacuteponse

En effet ils ne posseacutedaient pas encore lart politique dont lart de la guerre est une partie

Ils cherchaient bien sucircr agrave se rassembler pour assurer leur sauvegarde en fondant des

citeacutes Mais agrave chaque fois quils eacutetaient rassembleacutes ils se comportaient dune maniegravere

injuste les uns envers les autres parce quils ne posseacutedaient pas lart politique de sorte

que toujours ils se dispersaient agrave nouveau et peacuterissaient2

Pour preacuteserver la race humaine Zeus envoya Hermegraves porter aux hommes la retenue

(αἰδώς) et la justice (δίκη)3 Dapregraves ce mythe sans lαἰδώς et la δίκη la citeacute peacuterirait

Cela admis ces deux termes deacutesignent la citeacute elle-mecircme cest-agrave-dire le fondement de

la citeacute Nous parlerons de la δίκη dans le chapitre V laquo La vertu raquo mais auparavant

1 Ibid 36 c Le ceacutelegravebre propos tenu quelques instants plus tocirct en 30 b traduit en effet ce principe laquo Ce nest pas des richesses que vient la vertu mais cest de la vertu que viennent les richesses et tous les autres biens pour les particuliers comme pour lEacutetat raquo

2 Protagoras 322 b3 Apregraves le reacutecit du mythe Protagoras nemploie plus les termes lart politique mais laquo excellence

politique (πολιτικὴ ἀρετή) chose qui exige toujours sagesse (σωφροσύνη) et justice (δικαιοσύνη) raquo (323 a) Cela eacutetant pour le sophiste τέχνη et ἀρετή sont synonymes lαἰδώς et la σωφροσύνη le sont eacutegalement

29

disons quelques mots sur le sens du terme αἰδώς Pour Protagoras lαἰδώς est une

vertu au mecircme titre que la justice le terme est relativement bien preacutesent dans le

corpus platonicien avec 46 occurrences1 En dehors du mythe de Protagoras lαἰδώς

nest pas consideacutereacutee comme une vertu Voici le sens du terme

Le mot αἰδώς lui nest guegravere traduisible (comme il arrive le plus souvent pour les maicirctres mots qui sont les mots teacutemoins par excellence) mais agrave travers la multipliciteacute de ses emplois on peut dire quil deacutesigne un sentiment de respect ou de retenue qui se rapproche au moins de la reacuteveacuterence religieuse mdash qui en fait peut avoir pour objet la diviniteacute mdash mais vaut essentiellement dans lordre des relations humaines ougrave il commande certaines abstentions ou certaines attitudes vis-agrave-vis dun parent dun ecirctredune eacuteminente digniteacute dun suppliant hellip sentiment agrave la fois social et moral puisque lαἰδώς est agrave la fois soucieuse de lopinion publique dont elle apparaicirct souvent comme la contre-partie et preacuteoccupeacutee dans un sens volontiers aristocratique de ce que le sujet se doit agrave lui-mecircme2

Si lαἰδώς nest pas une vertu peut-on consideacuterer de maniegravere geacuteneacuterale les excellentes

qualiteacutes humaines autres que la vertu comme fondement de la citeacute La reacuteponse

semble neacutegative Il faut distinguer luniteacute individuelle de luniteacute de la citeacute ce qui fait

luniteacute de la citeacute fait neacutecessairement luniteacute individuelle linverse neacutetant pas vrai car

luniteacute de la citeacute est une uniteacute collective qui neacutecessite la philosophie alors que luniteacute

individuelle est une uniteacute simple qui nexige que la justice et la tempeacuterence

I122 Euthyphron et αὐτὸ τὸ εἶδος

En remarquant la preacutesence de ces deux termes εἶδος et ἰδέα3 dans lEuthyphron R E

Allen pensait que la Forme y serait bien preacutesente4 Voici le passage en question

μέμνησαι οὖν ὅτι οὐ τοῦτό σοι διεκελευόμην ἕν τι ἢ δύο με διδάξαι τῶν πολλῶν ὁσίων ἀλλ᾽ ἐκεῖνο αὐτὸ τὸ εἶδος ᾧ πάντα τὰ ὅσια ὅσιά ἐστιν ἔφησθα γάρ που μιᾷ ἰδέᾳ τά τε ἀνόσια ἀνόσια εἶναι καὶ τὰ ὅσια ὅσια

En ce cas te souviens-tu que je texhortais de mapprendrenon pas une ou deux des nombreuses choses pieuses mais plutocirct cette forme mecircme en vertu de laquelle toutes les choses pieuses sont pieuses Car tu as affrmeacute je pense que cest en vertu dune forme unique que les choses impies sont impies et que les choses pieuses sont pieuses Agrave moins

1 Banquet αἰδοῖα (190 a) αἰδοῖα (191 b) Charmide αἰδὼς (160 e) αἰδὼς (161 a) αἰδώς (161 a) αἰδὼς (161 b) Euthyphron αἰδώς (12 b) αἰδώς (12 b) αἰδὼς (12 b) αἰδώς (12 c) αἰδὼς (12 c) αἰδώς (12 c) αἰδοῦς (12 c) αἰδὼς (12 c) Lettre VI αἰδοῖ (323 b) VII αἰδοῖ (337 a) αἰδοῖ (337 a) αἰδοῖ (340 a) Lois I αἰδῶ (647 a) αἰδοῦς (649 c) II αἰδῶ (671 d) αἰδοῦς (672 d) III αἰδώς (698 b) αἰδῶ (699 c) IV αἰδῶ (713 e) V αἰδῶ (729 b) VI αἰδοῦς (772 a) IX αἰδοῦς (867 e) XII αἰδοῖ (943 e) Phegravedre αἰδοῦς (253 d) αἰδοῖ (254 a) αἰδοῦς (256 a) Politique αἰδοῦς (310 d) Protagoras αἰδῶ(322 c) αἰδῶ (322 c) αἰδῶ (322 c) αἰδοῦς (322 d) αἰδῶ (329 c) Reacutepublique V αἰδοῦς (463 d) αἰδώς (465 a) αἰδὼς (465 a) VIII αἰδοῦς (560 a) αἰδῶ (560 d) X αἰδὼς (595 b) Sophiste αἰδοῦς (216 b) αἰδώς (217 d)

2 Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 127 ndash 128

3 Cf laquo Annexe εἶδος ἰδέα raquo4 Cf Allen R E Platos Euthyphro and the Earlier Theory of Form London Routlegde amp Kegan Paul

1970

30

ἢ οὐ μνημονεύεις1 que tu ne ten souviennes pas

Dans ce passage la preacutesence des deux expressions αὐτὸ τὸ εἶδος et που μιᾷ ἰδέᾳ ne

sufft pas pour affrmer quil sagit de la Forme si lon nexplique pas ce terme

laquo ἀνόσια raquo (impieacuteteacute) ce qui est absent dans lanalyse de R E Allen En effet dans les

dialogues de jeunesse agrave aucun moment Socrate ne deacutecrit quelle est la nature dεἶδος

ou dἰδέα comme cest le cas dans les dialogues tardifs en ce qui concerne la Forme

La question se pose peut-il y avoir une forme unique de limpieacuteteacute Par exemple les

gens simaginent-ils savoir ce quils ne savent pas de la mecircme faccedilon Les injustes

sont-ils injustes identiquement Si cela eacutetait vrai on serait ineacutevitablement conduit agrave

admettre que le bien et le mal ont le mecircme statut ontologique cela est inimaginable

car cela suppose que le mal lui aussi soit une forme unique qui est toujours la mecircme

en soi et par soi une telle hypothegravese est ontologiquement impossible En reacutealiteacute

mecircme dans la Reacutepublique laquo μία ἰδέα raquo ne signife pas toujours une Forme telle que

nous lavons vu dans le Pheacutedon Voici le passage en question dans le livre IX de la

Reacutepublique

πλάττε τοίνυν μίαν μὲν ἰδέαν θηρίου ποικίλου καὶ πολυκεφάλου ἡμέρων δὲ θηρίων ἔχοντος κεφαλὰς κύκλῳ καὶ ἀγρίων καὶ δυνατοῦ μεταβάλλειν καὶ φύειν ἐξ αὑτοῦ πάντα ταῦτα2

Faccedilonne donc la forme unique dun animal composite et polyceacutephale posseacutedant agrave la fois les tecirctes danimaux paisibles et danimaux feacuteroces disposeacutees en cercle et accorde-lui le pouvoir de se transformer et de deacutevelopper toutes ces formes par lui-mecircme

En effet par μία ἰδέα on peut entendre laquo τί ἐστι raquo il sagit dun seul genre ou une

seule classe en question3 mais la reacuteponse agrave la question laquo quest-ce que raquo peut bien

deacutesigner une chose sensible Par exemple quest-ce que la boue laquo La boue est de la

terre deacutelayeacutee par leau raquo4 En tout cas tant que la seacuteparation entre le sensible et

lintelligible ne sopegravere pas par une science il nest pas pertinent de dire que la penseacutee

de la Forme est supposeacutee preacutesente

I123 Hippias majeur et laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν raquo

LHippias majeur semble donner une impression de la seacuteparation entre le sensible et la

reacutealiteacute au-delagrave du sensible La discussion entre Socrate et le sophiste Hippias se

deacuteveloppe autour de cette question laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν raquo (laquo quest-ce que le

1 Euthyphron 6 d ndash e2 Reacutepublique IX 588 c3 laquo La question τί ἐστι ne porte donc pas sur les individus dun genre ou dune classe mais sur une

qualiteacute qui posseacutedeacutee par plusieurs individus justife leur appartenance agrave une mecircme classe raquo (J-F Pradeau laquo Les formes et les reacutealiteacutes intelligibles raquo Platon les formes intelligibles p 35)

4 Theacuteeacutetegravete 147 c

31

beau en soi raquo) Hippias donne toujours une reacuteponse concernant une beauteacute sensible

agrave chaque fois une belle vierge lor ou encore la richesse par exemple Voici la

premiegravere apparition du terme καλόν et de la question laquo quest-ce que le beau raquo

Socrate [hellip] Reacutecemment lors dune discussion ougrave je blacircmais comme laides certaines choses et en louais dautres comme belles (καλά) quelquun ma mis dans lembarras Il ma interrogeacute de la sorte avec beaucoup dinsolence laquo Comment fais-tu Socrate pour savoir quelles choses sont belles et lesquelles sont laides Voyons serais-tu capable de dire ce quest le beau (τί ἐστι τὸ καλὸν ) raquo Et moi en revanche je restai dans lembarras sans pouvoirlui faire une reacuteponse convenable Apregraves avoir quitteacute cette reacuteunion jeacutetais en colegravere contre moi-mecircme madressais des reproches et pris la solution degraves que jaurais rencontreacute le premier dentre vous qui ecirctes savants deacutecouter dapprendre et dy consacrer mes efforts avant de retourner ensuite vers celui qui mavait interrogeacute pour reprendre le combat de largument Et aujourdhui je le redis cest une bonne chose que tu sois venu Expose-moi donc comme il faut ce quest le beau lui-mecircme (καί με δίδαξον ἱκανῶς αὐτὸ τὸ καλὸν ὅτι ἐστί)1

Socrate eacutetait inviteacute agrave reacutepondre agrave cette question laquo τί ἐστι τὸ καλὸν raquo dans une

discussion apregraves avoir reacutefeacutechi non sans diffculteacute il ajoute agrave la question poseacutee un

laquo αὐτό raquo pour la transformer en une autre question plus preacutecise laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ

καλὸν raquo En reacutealiteacute les deux questions laquo τί ἐστι τὸ καλὸν raquo et laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ

καλὸν raquo sont eacutequivalentes Mais pourquoi Socrate y ajoute-t-il un laquo αὐτό raquo Cest

pour souligner que cest le beau en soi et non un beau particulier quon cherche En

dautres termes ce quon cherche par la question laquo τί ἐστι x raquo nest rien dautre que

laquo αὐτὸ τὸ x raquo Mais les reacuteponses de Socrate dans la derniegravere partie du dialogue

sembleraient deacutementir notre optimisme sur la seacuteparation entre le beau universel et

immuable que Socrate cherche et des beauteacutes particuliegraveres que le sophiste propose

puisque le dialogue fnit sur la conclusion que le beau est le plaisir avantageux de la

vue et de louiumle

I124 Lαὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά

L e Lysis traite la question de la φιλία laquo lamitieacute raquo en franccedilais laquo Pour les Grecs

ressortissent agrave la φιλία des relations aussi varieacutees et nombreuses que les rapports

familiaux les liaisons amoureuses les liens damitieacutes laffection pour les animaux

lattachement agrave des objets inanimeacutes et mecircme dans le domaine de la physique

lattraction mutuelle des eacuteleacutements raquo2 Demander agrave deux jeunes amis du mecircme acircge de

trouver une unique chose qui est identiquement preacutesente dans toutes sortes de

φιλία cela paraicirct peu raisonnable Comme ils sont amis la recherche sur la φιλία se

1 Hippias majeur 286 c ndash d2 Lysis laquo Introduction raquo p 159

32

concentre plutocirct sur lamitieacute La laquo particulariteacute du Lysis tient peut-ecirctre au fait que la

φιλία nest pas une vertu raquo1 cest mecircme certain car en veacuteriteacute le Lysis ne consiste pas agrave

deacutefnir la φιλία qui se caracteacuterise par lattachement plus ou moins sentimental mais

agrave distinguer la φιλία et le φίλος qui se caracteacuterise plutocirct par un lien plus ou moins

eacutetroit non par le sentiment mais par la sagesse (σοφία) cest pourquoi il sagit de la

question du bien et du mal

Socrate Est-ce agrave cause du mal que le bien est aimeacute et nen va-t-il ainsi si des trois choses dont nous parlions il y a un instant le bien le mal et ce qui nest ni bon ni mauvais il en restait deux et que le mal sen eacutetait alleacute au loin et ne sattachait plus agrave rien ni au corps ni agrave lacircme ni aux autres choses dont nous disons quelles ne sont par elles-mecircmes ni bonnes ni mauvaises (αὐτὰ καθ᾽ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά) est-ce qualors le bien ne nous serait plus daucune utiliteacute eacutetant deacutesormais priveacute dusage (ἆρα τότε οὐδὲν ἂν ἡμῖν χρήσιμον εἴη τὸ ἀγαθόν ἀλλ᾽ ἄχρηστον ἂν γεγονὸς εἴη) Si en effet rien ne nous causait plus de dommage nous naurions plus besoin daucun secours et ainsi ildeviendrait tout agrave fait clair que le mal eacutetait cause de notre affection et de notre amour pour le bien comme si le bien eacutetait un remegravede contre le mal et le mal une maladie mais si la maladie nest plus il ny a plus aucun besoin du remegravede Le bien est-il de cette nature et est-ce agrave cause du mal quil est aimeacute de nous nous qui nous situons entre le bien et le mal alors que le bien lui-mecircme nest daucune utiliteacute en vue de lui-mecircme 2

Les choses qui ne sont ni bonnes ni mauvaises par elles-mecircmes (αὐτὰ καθ᾽ αὑτὰ)

existent-elles vraiment Tout deacutepend de ce quon entend par laquo τὸ ἀγαθόν raquo Ici

Socrate associe le bien agrave lutiliteacute (χρήσιμον) le bien est bien parce quil est utile il

sagit dun bien particulier et non le bien en soi et par soi Autrement dit laquo αὐτὰ καθ᾽

αὑτὰ raquo renvoie agrave lutiliteacute particuliegravere des choses ainsi la phrase peut se lire comme

laquo elles sont par elles-mecircmes ni utiles ni inutiles raquo deacutepourvues de toute fonction elles

ne peuvent exister En revanche un peu avant dans lexpression laquo ni bon ni mauvais raquo

le bon deacutesigne le bon universel et immuable

Socrate Voila bien pourquoi nous pouvons eacutegalement confrmer que ceux qui sont deacutejagrave savantsdieux ou hommes ne recherchent plus le savoir et que ne le recherchent pas non plus ceux qui sont agrave ce point ignorants qursquoils en sont mauvais car il nrsquoy a personne drsquoignorant ni de mauvais qui aspire au savoir Restent donc ceux qui souffrent de ce mal lrsquoignorance mais pas au point drsquoecirctre devenus irreacutefeacutechis et ignorants sous son effet et qui reconnaissent encore qursquoils ne savent pas ce qursquoils ne savent pas Voilagrave pourquoi ceux qui aspirent au savoir sont ceux qui ne sont ni bons (διὸ δὴ καὶ φιλοσοφοῦσιν οἱ οὔτε ἀγαθοὶ οὔτε κακοί πω ὄντες) ni mauvais alors que tous ceux qui sont mauvaisnaspirent pas au savoir non plus que les bons3

Ce passage dit presque la mecircme chose quon entend dans le discours de Diotime

1 Ibid p 1632 Lysis 220 c ndash d3 Ibid 218 a ndash b

33

rapporteacute par Socrate dans le Banquet1 lagrave il sagit du savoir divin dont on tire lutiliteacute

cest-agrave-dire quon devient ainsi utile laquo tu mas entendu exposer souvent quil

nexiste pas de savoir plus eacuteleveacute que la forme du bien et que cest par cette forme que

les choses justes et les choses vertueuses deviennent utiles et beacuteneacutefques raquo2 En

dautres termes ceux qui cherchent agrave contempler les reacutealiteacutes veacuteritables sont utiles

sinon inutiles de mecircme pour la science de nombre laquo Utile en tout cas dis-je pour ce

qui est de la recherche du beau et du bien mais inutile quand on la poursuit dans un

autre but raquo3 cela ne signife pas que le Bien soit utile mais que la recherche du Bien

est utile Dans le corpus platonicien lemploi de ces deux termes laquo ἄχρηστος raquo et

laquo χρηστός raquo est lieacute geacuteneacuteralement aux choses humaines et non pour qualifer une

reacutealiteacute intelligible4

I125 Meacutenon Lysis et Euthydegraveme

En raison de la preacutesence de limmortaliteacute de lacircme et de la reacuteminiscence dans le

Meacutenon on peut penser que la Forme y est preacutesente certes de maniegravere implicite 5

Dapregraves un classement traditionnel des dialogues platoniciens largement admis le

Lysis et lEuthydegraveme auraient eacuteteacute reacutedigeacutes apregraves le Meacutenon Comment expliquer le fait

que la forme intelligible existe dans le Meacutenon et non pas dans les deux autres Tregraves

probablement ce classement fait deacutefaut en raison des critegraveres adopteacutes6 qui ne

correspondent pas parfaitement agrave la reacutealiteacute tregraves complexe des dialogues platoniciens

Nous pensons que le Meacutenon doit ecirctre consideacutereacute comme un dialogue posteacuterieur au

Lysis et agrave lEuthydegraveme Voici une explication relative agrave la faccedilon de deacutefnir la science

(ἐπιστήμη) 1 ce terme est absent dans le Lysis cela dit ni la φιλία ni le φίλος ne

sont science 2dans lEuthydegraveme le substantif ἐπιστήμη apparaicirct 42 fois7 mais cette

science est toujours lieacutee aux affaires humaines voici le passage qui laffrme

Socrate [hellip] En sorte que si mecircme nous avions la science capable de transformer les pierres en or

1 Voir Banquet 203 e ndash 204 a2 Reacutepublique VI 505 a3 Ibid VII 531 c4 Cf laquo Annexe χρηστός - ἄχρηστος raquo On notera que les occurrences de ces deux termes se

concentrent particuliegraverement dans la Reacutepublique avec 22 occurrences sur la totaliteacute de 72 occurrences dans les dialogues platoniciens pour χρηστός et 18 sur 29 pour ἄχρηστος

5 Cf Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81c5 ndash d5) raquo International Plato Studies V 25 2007 pp199 ndash 203

6 G Vlastos eacutecrit ceci laquo [hellip] Je considegravere comme particuliegraverement signifcatif le fait que lorsquonclasse les dialogues en sappuyant seulement sur des critegraveres stylistiques comme dans Brandwood les reacutesultats concordent en gros avec ceux que jatteins en les classant uniquement dapregraves leur contenu philosophique [hellip] raquo (Socrate Ironie et philosophie morale raquo Paris Aubier trad par C Dalimier 1994 p 70 note de bas de page ndeg2)

7 Cf laquo Annexe ἐπιστήμη raquo

34

une telle science naurait aucune valeur Car si nous ne disposons pas eacutegalement dune science qui nous dise comment utiliser cet or il est apparu que cet or ne nous serait en lui-mecircme daucune utiliteacute1

3 Or dans le Meacutenon la science a pour objet la forme intelligible certes de maniegravere

implicite2

Socrate En ce cas sans que personne ne lui ait donneacute denseignement mais parce quon la interrogeacute il en arrivera agrave connaicirctre ayant recouvreacute lui-mecircme la connaissance (ἐπιστήμην) en la tirant de son propre fonds

Meacutenon Oui

Socrate Mais le fait de recouvrer en soi-mecircme une connaissance (ἐπιστήμην) nest-ce pas se la remeacutemorer (ἀναμιμνῄσκεσθαί) 3

En effet la reacutealiteacute intelligible est pure cest-agrave-dire sans meacutelange et par conseacutequent

lacquisition de sa science se fait eacutegalement de maniegravere pure par la reacuteminiscence par

le raisonnement pur Cest pourquoi cette science ne senseigne pas car elle na pas agrave

senseigner dans le Meacutenon alors que la science senseigne dans lEuthydegraveme

I13 La seacuteparation entre lacircme et le corps

La question est de savoir sil y a une correacutelation entre ces deux seacuteparations dune

part entre le sensible et lintelligible dautre part entre le corps et lacircme Une telle

analyse consiste agrave savoir dune part dougrave vient cette seacuteparation entre le sensible et

lintelligible dautre part sil existe une trace de la penseacutee de la Forme dans les

premiers dialogues

I131 Χρήματα

Incontestablement dans ce passage de lApologie lacircme et le corps ne deacutesignent pas la

mecircme chose

Ma seule affaire est daller et de venir pour vous persuader jeunes et vieux de navoir

point pour votre corps et pour votre fortune de souci supeacuterieur ou eacutegal agrave celui que vous

devez avoir concernant la faccedilon de rendre votre acircme la meilleure possible et de vous dire

laquo ce nest pas des richesses que vient la vertu mais cest de la vertu que viennent les

1 Euthydegraveme 288 e ndash 289 a2 En effet la preacutesence de ces deux termes laquoἀθάνατός raquo et laquo ἀνάμνησις raquo dans le Meacutenon (81 c d)

suffrait pour dire que lintelligible est bel et bien preacutesent dans ce dialogue car ils sont seacuteparables avec limmortaliteacute de lacircme or limmortaliteacute de lacircme suppose que lacircme avait la connaissance du monde immortel cest-agrave-dire intelligible et cette affrmation est soutenue par la deacutefnition de lareacuteminiscence comme laquo le fait de chercher et le fait dapprendre raquo ici les deux verbes ne sont pas utiliseacutes comme transitifs mais comme absolus Certes limmortaliteacute de lacircme avait existeacute avant Platon dans laquo ces antiques et saintes doctrines raquo (Voir Lettre VII 335 a) mais le rapport entre cette immortaliteacute et la reacuteminiscence nest pas eacutetabli

3 Menon 85 d

35

richesses (χρήματα) et tous les autres biens pour les particuliers comme pour lEacutetat raquo1

La distinction entre lacircme et le corps se caracteacuterise par le fait que lacircme est associeacutee agrave

la vertu le corps aux richesses (χρήματα) cela souligne surtout que les richesses

sont infeacuterieures agrave la vertu Toute la question est de savoir agrave partir de quel moment le

terme laquo χρήματα raquo deacutesigne les reacutealiteacutes intelligibles dans les dialogues platoniciens2

ougrave il est rarement employeacute au singulier3 voici le tableau de son apparition au

pluriel

Dialogues de jeunesse

Apologie 19d 20a 20a 30b 33a 37c 38b Criton 44c 44c 44e 45b 48c Hippias mineur 364d Hippias

majeur 281b 282b 282c 282e 283d 284a 284b 284c Alcibiade 131b Lachegraves 183a 186c Protagoras

311d 311d 311e 313b 361b Meacutenexegravene 245c Euthyphron 11e Gorgias 465d 466c 466d 468b 468c 468d 468e 470b 479c 508d 511d 511e 514a Charmide 173c Meacutenon 81c 90a 91d 91d Euthydegraveme

282a 294d

Dialogues de maturiteacute

Cratyle 391b 391c 440a 440d Banquet 183a 184b 185a 208d 219e Pheacutedon 66c 72c 78a Reacutepublique

I 330c 330c 331b 338b 344b III 398a IV 422a 422e 423a 432a VI 485e 492d VII 538a VIII 549d 549e 551e 553c 554a 554b 555a 561a 566c 567a 568d IX 591a X 608b Phegravedre 232c Theacuteeacutetegravete 153d 201b

Dialogues de vieillesse

Sophiste 233b Politique 298b Philegravebe 48e Lois I 644a III 695d 697b 697b IV 716a 721b 721b V 727e 739c 741e 743d 744b 745b 746a VI 773c 773e 774b 774d 775a VII 805e VIII 849e IX 855a XI 915c 918d 923a 938a XII 948c 958a 958b

1 Ce tableau montre que dans les dialogues de jeunesse le terme est employeacute dans

presque tous les dialogues en revanche dans les dialogues tardifs il est concentreacute

particuliegraverement dans la Reacutepublique et les Lois 2 Excepteacute dans le Meacutenon le terme

deacutesigne les choses sensibles dans les premiers dialogues cest pourquoi le Meacutenon

devrait ecirctre classeacute dans les dialogues de maturiteacute

1 Apologie 30 a ndash b Cf surtout Apologie laquo Notes raquo ndeg 173 laquo Le sens de cette phrase quil faut mettre en rapport avec un autre passage de lApologie (29 e ndash 30 a) est tregraves controverseacute Suivant en cela G Vlastos (Socrate Ironie et philosophie morale [1991] Paris Aubier 1994 p 303 ndash 308) notamment jestime que Socrate ne recommande pas la vertu comme un moyen dobtenir des avantages mateacuteriels mais rappelle que les biens exteacuterieurs dont il a parleacute preacutesentent une valeur qui sans ecirctre neacutegligeable reste tregraves infeacuterieure agrave celle du bien le plus preacutecieux agrave savoir la perfection de lacircme raquo

2 laquo En effet χρήματα peut preacutesenter le sens geacuteneacuteral de choses mais chez Platon et chez les Platoniciens χρήματα en vient naturellement agrave deacutesigner les reacutealiteacutes intelligibles comme on le constate en Pheacutedon 66 e1 ndash 2 raquo (Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81 c 5 - d 5) raquo International Plato Stadies 25 2007 pp 199 ndash 203 p 201) Cf laquo Annexe χρῆμα raquo notre statistique montre que les occurrences du terme χρῆμα sont plutocirct eacutequilibreacutees entre les trois peacuteriodes 63 occurrences pour la peacuteriode de la jeunesse 76 pour celle de la maturiteacute et 64 pour celle de lavieillesse Alors que nous lavons vu le terme εἶδος est tregraves peu preacutesent dans la peacuteriode de la jeunesse (15) mais abondamment preacutesent dans la maturiteacute (195) et la vieillesse (165)

3 Seulement neuf fois Ion χρῆμα (534 b) Gorgias χρῆμα (485 a) χρῆμα (485 b) Meacutenon χρῆμα (97 e) Cratyle χρῆμα (399 d) Pheacutedon χρῆμα (96 c) Reacutepublique VIII χρῆμα (567 e) Theacuteeacutetegravete χρῆμα (156 e) χρῆμ᾽ (209 e)

36

Dans lAlcibiade il est eacutevident quil ne sagit pas de la reacutealiteacute intelligible laquo Et celui qui

soccupe de ses richesses (χρήματα) il ne soccupe ni de lui-mecircme ni de ce qui lui est

propre mais il est encore plus eacuteloigneacute de qui lui est propre raquo1 De mecircme dans le

Charmide on se preacuteoccupe laquo [hellip] davoir la vie sauve lorsquon affronte des risques

sur mer et agrave la guerre davoir des outils des vecirctements des sandales tous nos biens

(καὶ τὰ χρήματα πάντα) [hellip] raquo2 Cest sans doute agrave partir du Meacutenon que ce terme

deacutesigne la reacutealiteacute intelligible de maniegravere eacutevidente

Or comme lacircme est immortelle et quelle renaicirct plusieurs fois quelle a vu agrave la fois les

choses dici et celles dHadegraves [le monde de lInvisible] cest-agrave-dire toutes les reacutealiteacutes (καὶ

τὰ χρήματα πάντα) il ny a rien quelle nait appris3

Par ailleurs le fait que Socrate neacutevoque pas une seule fois le mot laquo σῶμα raquo dans le

Meacutenon souligne la distinction entre lacircme et le corps4 la saisie des reacutealiteacutes

intelligibles par la voie de reacuteminiscence est une affaire propre agrave lacircme mecircme si une

remeacutemoration peut ecirctre deacuteclencheacutee par une sensation mais lacheminement de la

reacuteminiscence est une affaire propre agrave lacircme

I132 Gorgias et la seacuteparation explicite entre lacircme et le corps

Bien que la diffeacuterence entre lacircme et le corps soit exprimeacutee dans les premiers

dialogues lacircme se nourrit des enseignements (μαθήματα)5 le corps des aliments

(σιτία) et des boissons (ποτά)6 Lacircme associeacutee au savoir (σοφία) le corps au sport 7

Lacircme est le tout et le corps une partie8 Tout meacutetier (τεχνή) est relatif au corps et non

agrave lacircme9 Tout cela ne signife pas la seacuteparation entre lacircme et le corps car on ny

distingue pas dargument philosophique hormis dans le Gorgias et le Meacutenon En effet

sur le plan de la reacutefutation fondeacutee essentiellement sur la question laquo τί ἐστι raquo la

recherche dune reacuteponse ne consiste pas tellement agrave deacutefnir une vertu ou une autre

chose importante mais agrave deacutevoiler lignorance des interlocuteurs de Socrate qui sont

souvent des sophistes Or lignorance est de simaginer savoir ce que lon ne sait pas

en reacutealiteacute ainsi Socrate na pas besoin de faire intervenir la seacuteparation entre le corps

1 Alcibiade 131 b ndash c Notons que dans lAlcibiade laquo lui-mecircme raquo deacutesigne son acircme2 Charmide 173 b ndash c3 Meacutenon 81 c4 Cf laquo Annexe σῶμα ψυχή raquo Notons que le corps nest absent que dans les trois dialogues agrave savoir

le Meacutenon le Parmeacutenide et lEuthyphron qui est le seul dialogue platonicien ougrave sont absents les deux termes laquo corps raquo et laquo acircme raquo

5 Ibid 313 c6 Ibid 314 a7 Hippias mineur 364 a8 Charmide 156 e9 Alcibiade 130 e ndash 131 b

37

et lacircme puisque laquo simaginer savoir raquo relegraveve purement des affaires de lacircme Ce qui

nest pas le cas agrave la fn du Gorgias

La mort nest rien dautre me semble-t-il que la seacuteparation (διάλυσις) de deux choses

lacircme et le corps qui se deacutetachent lune de lautre1

Dans le Pheacutedon (88 b) Socrate utilise ce mecircme terme laquo διάλυσις raquo pour deacutecrire la

seacuteparation entre le corps et lacircme mais la porteacutee semble assez diffeacuterente2 Dans le

Pheacutedon cette seacuteparation est lieacutee agrave limmortaliteacute de lacircme et par conseacutequent agrave la

reacuteminiscence Tandis que dans le Gorgias elle est lieacutee agrave la question de justice En effet

au deacutebut du mythe eschatologique laquo [auparavant] les juges eacutetaient les vivants qui

jugeaient dautres vivants et ils prononccedilaient leur jugement le jour mecircme ougrave les

hommes devaient mourir raquo3 Mais pour Zeus une telle situation est facirccheuse

puisque laquo les jugements sont mal rendus raquo

La raison en est expliqua-t-il que les hommes quon doit juger se preacutesentent tout

enveloppeacutes de leurs vecirctements puisquils sont jugeacutes alors quils sont encore vivants Or

nombreux sont les hommes reprit-il dont lacircme est mauvaise mais qui viennent au juge

tout enveloppeacutes de la beauteacute de leurs corps [hellip] Or cest justement cela tout ce qui

enveloppe les juges et enveloppe les hommes quils jugent cest cela qui fait obstacle4

Pour que lacircme soit proprement jugeacutee il faut regarder exclusivement une acircme

seacutepareacutee de son corps et de toutes les choses avec cest pour cette raison que la

seacuteparation entre lacircme et le corps est neacutecessaire Mais cette seacuteparation est voulue par

un dieu pour des raisons dutiliteacute et non pour une raison ontologique

I2 La neacutecessiteacute de lexistence des reacutealiteacutes intelligibles

La neacutecessiteacute de lexistence des formes intelligibles est une neacutecessiteacute agrave la fois eacutethique

eacutepisteacutemologique et ontologique En effet pour que lon arrive agrave eacutevaluer la morale

afn de savoir si lon doit respecter telles regravegles de conduite mais pas telles autres il

faut faire appel agrave un certain type de connaissance sans laquelle aucune eacutevaluation de

la morale nest possible Par conseacutequent il nest pas possible decirctre toujours juste

dans toutes les circonstances Or toute connaissance a neacutecessairement son objet ainsi

la fabiliteacute de la connaissance deacutepend de son objet et si celui-ci est universel et

1 Gorgias 524 b2 Notons que le terme διάλυσις na que 9 occurrences dans le corpus platonicien (aucune occurrence

avant le Gorgias) agrave savoir Cratyle διαλύσεως (419 c) Gorgias διάλυσις (524 b) Lois I διαλύσεις (632 b) III διάλυσιν (684 d) VI διαλύσεων (758 d) VIII διαλύσεως (828 d) Pheacutedon διάλυσιν (88 b) Philegravebe διάλυσις (32 a) Reacutepublique I διαλύσει (343 d)

3 Gorgias 523 b4 Ibid 523 c ndash d

38

immuable il est alors certain que cette connaissance est vraie Cela est neacutecessaire

pour eacutevaluer les regravegles de conduite car seule la connaissance des reacutealiteacutes veacuteritables

peut guider cette eacutevaluation en raison du fait que les reacutealiteacutes sensibles participent

aux reacutealiteacutes intelligibles

I21 Neacutecessiteacute ontologique

Le mot laquo ontologie raquo renvoie dans une moindre mesure agrave ces termes τὸ ὄν τὸ εἶναι

ἡ οὐσία ἕκαστον ὃ ἔστιν Nous essayons de les examiner agrave travers certains passages

de ces trois dialogues agrave savoir le Parmeacutenide la Reacutepublique et le Pheacutedon

I211 Lecirctre et le non-ecirctre parmeacutenidiens

Une question se pose quel est le statut des deux parties du Parmeacutenide est-ce la

seconde partie qui apporte la solution agrave la premiegravere ou inversement Dans ce dernier

cas il faut renverser lordre de la lecture commencer par la seconde partie En effet

cela est dit degraves le deacutebut mecircme du dialogue

L e Parmeacutenide est une structure assez singuliegravere qui se compose de quatre styles

textuels tregraves diffeacuterents 1 Le dialogue commence par un court dialogue direct (126 a

ndash 127 a7) un certain citoyen de Clazomegravenes nommeacute Ceacutephale1 vient agrave Athegravenes pour

entendre le reacutecit dune conversation qui eut lieu un jour entre Socrate Parmeacutenide et

Zeacutenon dEacuteleacutee En arrivant agrave lagora il rencontra les deux fregraveres de Platon Adimante

et Glaucon qui lamenegraverent aussitocirct jusquagrave chez Antiphon demi-fregravere maternel de

Platon En effet Antiphon avait une relation suivie avec un certain Pythodore un

disciple de Zeacutenon Par le biais de cette relation il avait maintes fois entendu

Pythodore reacutepeacuteter le reacutecit cest pourquoi il le connaissait encore par cœur 2Avant

de commencer le reacutecit Antiphon fait une preacutesentation du contexte de lentretien tenu

entre Socrate Parmeacutenide et Zeacutenon chez Pythodore (127 a8 ndash d5) un jour agrave loccasion

des Grandes fecirctes en lhonneur dAtheacutena Parmeacutenide et Zeacutenon vinrent agrave Athegravenes et

descendirent chez Pythodore laquo Lagrave donc seacutetaient rendus Socrate et avec lui quelques

autres qui deacutesiraient ardemment entendre lire ce quavait eacutecrit Zeacutenon raquo et cest ce

dernier lui-mecircme qui leur ft lecture de son eacutecrit Dapregraves Pythodore lorsque la

lecture tirait agrave sa fn laquo lui-mecircme rentra avec Parmeacutenide accompagneacute dAristote celui

qui fut lun des Trente raquo(127 d)

Si lon considegravere le court dialogue direct qui ouvre le Parmeacutenide comme contexte

1 Qui nest pas le pegravere du ceacutelegravebre orateur Lysias que lon rencontre au deacutebut de la Reacutepublique

39

externe cette preacutesentation dAntiphon peut ecirctre vue comme contexte interne du

dialogue qui porte le nom Parmeacutenide Cependant un problegraveme redoutable apparaicirct

le reacutecit est raconteacute par Pythodore agrave Antiphon mais en raison de labsence de

Pythodore lors de la lecture de Zeacutenon leacutecrit de Zeacutenon na pas pu ecirctre transmis de

Pythadore agrave Antiphon et il ne nous est donc pas connu 3 La partie qui se trouve

entre 127 d et 135 d traditionnellement appeleacutee la premiegravere partie est un veacuteritable

dialogue entre Socrate Parmeacutenide et Zeacutenon sur chaque point de discussion chacun

a son discours sa position sa critique son argument son langage Cest dans cette

partie que Socrate expose la doctrine de la Forme 4 Vient ensuite la seconde partie

du dialogue (135 d ndash 166 c) ougrave Parmeacutenide est le meneur de jeu et cest le jeune

Aristote qui joue le rocircle de reacutepondant Formellement la seconde partie ne ressemble

point agrave un reacutecit mais agrave un dialogue direct puisque les formules de reacutecit sont

totalement absentes comme si le narrateur disparaissait Agrave la limite la seconde

partie est un monologue de Parmeacutenide sur lecirctre et sur le non-ecirctre ou sur lun et sur

la pluraliteacute et non vraiment un dialogue car le rocircle du jeune Aristote comme

reacutepondant est complegravetement effaceacute ou presque1

Revenons au problegraveme redoutable que nous avons eacutevoqueacute preacuteceacutedemment En effet

le renversement de lordre de la lecture sappuie sur ce passage prononceacute par Socrate

au deacutebut de la conversation

Socrate [hellip] Alors que Parmeacutenide dit laquo Il est un raquo Zeacutenon dit laquo Elles ne sont pas plusieurs raquo et chacun de votre cocircteacute vous vous exprimez en ayant lair de ne dire rien de pareil alors que tant sen faut vous dites la mecircme chose Cest par-dessus nos tecirctes agrave nous autres que paraissent se reacutepondre vos arguments2

Rappelons que le reacutecit fait par Pythodore agrave Antiphon commence par eacutevoquer la

lecture par Zeacutenon lui-mecircme de son eacutecrit et dont Socrate est lun des auditeurs 3 Ainsi

les auditeurs de cette lecture de Zeacutenon connaissent la seconde partie avant la

premiegravere partie qui se deacuteroulera par la suite puisque Parmeacutenide et Zeacutenon disent la

mecircme chose Cest pourquoi il faut renverser lordre de lecture du Parmeacutenide afn de

1 laquo Bref le jeune Aristote ne prend linitiative que dans un nombre tregraves limiteacute de reacuteponses lorsquil pose une question agrave Parmeacutenide Dans tous les autres cas ou bien il suspend son jugement ou bien il exprime son accord quil module quelquefois en utilisant un certain nombre de particules ou desvocables exprimant la modaliteacute il lui arrive mecircme deacutetendre cet accord agrave un ensemble de questions poseacutees par Parmeacutenide indiquant par lagrave quil a bien perccedilu luniteacute de largumentation qui vient decirctre deacuteveloppeacutee raquo (Brisson Luc laquo Les reacuteponses du jeune Aristote dans la seconde partie du Parmeacutenidede Platon raquo Revue Informatique et Statistique dans les sciences humaines 20 fasc 1 ndash 4 Liegravege 1984 pp 59 ndash 79 p 66)

2 Parmeacutenide 128 b3 En 129 d1 Socrate deacuteclare ceci laquo dans notre groupe de sept raquo Ils sagit de Pythodore Parmeacutenide

Zeacutenon Socrate le jeune Aristote on ne peut savoir quels eacutetaient les deux autres

40

mieux comprendre le sens du dialogue la doctrine de la Forme consiste agrave reacutepondre agrave

leacutecrit de Zeacutenon cest-agrave-dire agrave la seconde partie du dialogue

En effet lun dont parle Parmeacutenide deacutesigne une reacutealiteacute instable et surtout impossible

derreur

Parmeacutenide Eh bien quoi les non-uns ne sont-ils pas des parties de lun Ou plutocirct ne serait-ce pas encore lagrave pour les non-uns une faccedilon de participer agrave lun 1

Cela eacutetant lun et la pluraliteacute (les non-uns) ne sont pas contraires puisque lun

contient toujours les parties de sorte que lun est perpeacutetuellement instable en raison

du fait que lun ne peut y avoir sa propre identiteacute ni uniteacute comme si le vrai

enveloppait aussi le faux Dans ces conditions on dit toujours vrai mecircme si lon dit

faux puisque le faux est contenu dans le vrai Dailleurs Parmeacutenide ne distingue pas

laquo τὸ μὴ εἶναι raquo de laquo τὸ μὴ ὄν raquo2 En effet τὸ εἶναι signife ce qui existe et son

contraire est ce qui nexiste pas (τὸ μὴ εἶναι) or il y a trois reacutealiteacutes qui existent agrave

savoir 1 ce qui est (τὸ ὄν) cest-agrave-dire les reacutealiteacutes intelligibles 2 le contraire de ce

qui est cest ce qui nest pas (τὸ μὴ ὄν) cest-agrave-dire les reacutealiteacutes sensibles qui sont le

contraire des reacutealiteacutes intelligibles 3 lacircme qui nest ni une reacutealiteacute intelligible ni une

reacutealiteacute sensible Si lon confond ce qui est (τὸ ὄν) et ce qui existe (τὸ εἶναι) qui

deacutesigne les trois types de reacutealiteacutes on confond lintelligible et le sensible Si lon

confond ce qui nexiste pas et ce qui nest pas on confond le faux et le vrai puisque

lon ne peut pas formuler une opinion sur ce qui nexiste pas sinon cest du pur

mensonge alors quon peut bien formuler une opinion droite sur les choses sensibles

cest-agrave-dire ce qui nest pas puisquelles sont la source des sensations Par ailleurs

Parmeacutenide ne distingue pas non plus le laquo τὸ ὄν raquo du laquo τὸ εἶναι raquo3 En veacuteriteacute chez

Parmeacutenide il ny a pas de vrai contraire lecirctre et le non-ecirctre ou ce qui est et ce qui

1 Parmeacutenide 147 a2 Voici la liste de ces deux expressions (τὸ μὴ ὄν et τὸ μὴ εἶναι) dans le Parmeacutenide τῷ μὴ ὄντι (142

a) τὸ μὴ ὄν (160 c) τὸ μὴ ὄν (160 c) τῷ μὴ ὄντι (162 b) τὸ μὴ ὄν (162 d) τῶν μὴ ὄντων (166 a) τῶν μὴ ὄντων (166 a) τοῖς μὴ οὖσιν (166 a) τοῦ μὴ ὄντος (166 a) τοῦ μὴ εἶναι (136 b) τοῦ μὴ εἶναι (157 a) τὸ μὴ εἶναι (160 d) τὸ ἓν μὴ εἶναι (161 e) τὸ μὴ εἶναι (162 a) τοῦ μὴ εἶναι (162 a) τοῦ μὴ εἶναι (162 a) τοῦ μὴ εἶναι (162 b) τοῦ μὴ εἶναι (162 b) τὸ μὴ εἶναι (162 b) τὸ μὴ εἶναι (162 c)

3 Voici la liste de ces deux termes dans le Parmeacutenide τὰ ὄντα (127 e) τῶν ὄντων (133 b) τῶν ὄντων(134 a) τῶν ὄντων (135 a) τῶν ὄντων (135 b) τῶν ὄντων (135 c) τὰ ὄντα (135 e) τῶν ὄντων (142 a) τοῦ ὄντος (142 d) τὸ ὄν (142 e) τὸ ὄν (142 e) τῶν ὄντων (144 a) τῶν ὄντων (144 b) τῶν ὄντων (144 b) τοῦ ὄντος (144 e) τοῦ ὄντος (144 e) τῶν ὄντων (146 d) τῶν ὄντων (146 e) τὰ ὄντα (149 c)τοῖς [150α] οὖσιν (150 a) τῶν ὄντων (150 b) τῶν ὄντων (162 c) τῶν ὄντων (162 d) τῶν ὄντων (163 e) τῶν ὄντων (164 b) τὸ ὄν (165 b) τοῦ εἶναι (136 b) τὸ εἶναι (142 d) τοῦ εἶναι (142 e) τὸ εἶναι (148 b) τὸ δὲ εἶναι (151 e) τοῦ εἶναι (152 a) τοῦ εἶναι (152 e) τοῦ εἶναι (154 a) τοῦ εἶναι (156 a) τοῦ εἶναι (156 e) τὸ εἶναι (160 c) τοῦ εἶναι (162 a) τὸ εἶναι (162 a) τοῦ εἶναι (162 a) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 c)

41

nest pas parmeacutenidien ne sont pas exclusifs alors que pour Socrate les deux choses

contraires sont totalement opposeacutees Cest une condition pour distinguer le vrai du

faux Dailleurs lopinion qui porte sur le non-ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) ou sur ce qui nest

pas (τὰ μὴ ὄντα) na pas dinteacuterecirct philosophique car on ne peut pas en faire une

connaissance veacuteritable Cest pourquoi en dehors du Parmeacutenide et du Sophiste ces

deux expressions ne sont pas freacutequentes voire mecircme plutocirct rares1

I212 Du Soleil au Bien

Dans la Reacutepublique Socrate compare le Bien au Soleil Cela dit si le Soleil est

neacutecessaire pour voir il existe neacutecessairement un laquo Soleil raquo intelligible pour connaicirctre

autrement rien ne serait connaissable

Socrate Quel est selon toi celui des dieux du ciel qui deacutetient le pouvoir (κύριον) de causer ce lien lui dont la lumiegravere donne agrave la vue de voir magnifquement et aux choses visibles decirctre vues

Glaucon Celui-lagrave mecircme que tu deacutesignerait dit-il comme tout le monde car cest le soleil magnifquement que tu me demandes de nommer2

Le soleil est une puissance gracircce agrave laquelle ce qui est visible peut ecirctre vu sans cette

puissance aucune chose nest visible En dautres termes nous ne posseacutedons pas cette

puissance bien au contraire nous tirons delle notre propre puissance pour voir et

ecirctre vu cest lui qui donne agrave voir et donne aux choses sensibles la puissance decirctre

vues il est pour cette raison la cause mecircme de voir et decirctre vu

Socrate Et pourtant de tous les organes relatifs aux sens je pense que lœil est celui qui ressemble le plus au Soleil

Glaucon De beaucoup

Socrate Et en outre la puissance (δύναμιν) quil possegravede ne la tire-t-il pas du Soleil comme une eacutemanation provenant de lui

Glaucon Cest absolument le cas

Socrate Et ainsi le Soleil qui nest pas la vue mais en constitue par ailleurs la cause (αἴτιος) nest-il pas vu par cette vue mecircme 3

Voir est un pouvoir que possegravede lœil cependant cest le Soleil qui lui confegravere ce

pouvoir bien que le Soleil lui-mecircme soit visible il se trouve au-delagrave de toutes les

choses visibles Cela eacutetant le soleil nest pas quelque chose dabsolu puisquil peut

ecirctre vu par la vue Certes il faut prendre des preacutecautions pour le voir afn deacuteviter

1 Reacutepublique V 479 c X 609 d Theacuteeacutetegravete 153 a 185 c Banquet 204 a 205 b Euthydegraveme 284 b 284 b Politique 284 b 286 b Theacuteeacutetegravete 152 a 160 c 167 a 188 d 188 e 189 b

2 Reacutepublique VI 508 a3 Ibid b

42

que lœil ne soit brucircleacute De mecircme pour le Bien

Socrate Mais examine avec plus dattention encore de la faccedilon que voici limage que lon peut se faire du Bien

Glaucon De quelle faccedilon

Socrate Tu admettras jimagine que le soleil apporte aux choses visibles (τοῖς ὁρωμένοις) non seulement la proprieacuteteacute decirctre vue (τὴν τοῦ ὁρᾶσθαι δύναμιν) mais aussi la geacuteneacuteration (γένεσιν) la croissance (αὔξην) et la nourriture (τροφήν) bien quil ne soit pas lui-mecircme geacuteneacuteration (οὐ γένεσιν αὐτὸν ὄντα)

Glaucon Comment le serait-il en effet

Socrate De mecircme pour les choses connues (τοῖς γιγνωσκομένοι) tu admettras donc non seulement quelles tiennent du Bien le fait decirctre connues mais aussi quelles tirent de lui leur ecirctre et leur reacutealiteacute (ἀλλὰ καὶ τὸ εἶναί τε καὶ τὴν οὐσίαν ὑπ᾽ ἐκείνου αὐτοῖς προσεῖναι) mecircme si le Bien nest pas reacutealiteacute (οὐκ οὐσίας ὄντος τοῦ ἀγαθοῦ) mais se trouve au-delagrave de la reacutealiteacute (ἀλλ᾽ ἔτι ἐπέκεινα τῆς οὐσίας) quil surpasse en digniteacute et en puissance (πρεσβείᾳ καὶ δυνάμει ὑπερέχοντος)1

Le Soleil est neacutecessaire agrave la geacuteneacuteration le Bien agrave lecirctre mecircme sil sagit dune

comparaison cest bien par cette comparaison que lon voit ici une opposition entre le

devenir (γένεσις) et la reacutealiteacute (οὐσία) et cest par cette opposition que lon distingue

entre entre la multipliciteacute (la nature du devenir) et lunique (la nature de ce qui est)

entre le visible (le Soleil mecircme est visible) et linvisible (le Bien) entre les reacutealiteacutes

sensibles (qui tirent du Soleil leur puissance) et les reacutealiteacutes intelligibles (qui tirent du

Bien leur digniteacute et leur puissance) Mais cest dans le livre VII que lon verra

clairement lopposition entre le sensible et lintelligible et cela est encore une fois

exposeacute agrave travers le Soleil voici le propos de Socrate sadresse agrave Glaucon

Par conseacutequent Glaucon nest-ce pas justement enfn ce chant (ὁ νόμος) que chante lexercice du dialogue (τὸ διαλέγεσθαι) Ce chant bien quil soit un chant intelligible (ὃν καὶ ὄντα νοητὸν) la puissance de la vue pourrait limiter La vue disons-nous entreprend de porter dabord le regard sur les ecirctres vivants en eux-mecircmes et ensuite sur les astres en eux-mecircmes et puis en dernier de regarder le soleil en lui-mecircme (αὐτὸν τὸν ἥλιον) De cette mecircme maniegravere chaque fois que quelquun entreprend par lexercice du dialogue sans le support daucune perception des sens (ἄνευ πασῶν τῶν αἰσθήσεων) mais par le moyen de la raison de tendre vers cela mecircme que chaque chose est (αὐτὸ ὃ ἔστιν ἕκαστον) et quil ne sarrecircte pas avant davoir saisi par lintellection mecircme (αὐτῇ νοήσει) ce qui est le bien lui-mecircme (αὐτὸ ὃ ἔστιν ἀγαθὸν) il parvient au terme de lintelligible (ἐπ᾽ αὐτῷ γίγνεται τῷ τοῦ νοητοῦ τέλει) comme celui de tout agrave lheure eacutetait parvenu au terme du visible2

Sur les choses sensibles le dialogue doit sinteacuteresser aux choses reacuteguliegraveres (νόμοι) qui

tiennent du Soleil leur reacutegulariteacute Sur les choses intelligibles le dialogue doit

sinteacuteresser aux choses qui sont elles tiennent du Bien leur lecirctre

1 Ibid 509 a ndash b Trad par L Brisson dans laquo Lapproche traditionnelle de Platon par HF Cherniss raquo p 86 ndash 87

2 Reacutepublique VII 532 a ndash b

43

I213 La mort la meacutemoire limmortaliteacute et la reacuteminiscence

Chaque mort est diffeacuterente il ny a jamais de mort identique Mais ny a-t-il pas

quelque chose didentique dans toutes les morts puisquil ne peut y avoir de

diffeacuterence sans le mecircme En effet en participant agrave ce qui est cela donne une

diffeacuterence en dautres termes cest la participation qui est diffeacuterente Comment la

mort est-elle une participation agrave ce qui est Voyons dabord ces quatre termes la

mort la meacutemoire limmortel et la reacuteminiscence

θάνατος θνητός μνήμη ἀθάνατος ἀθανασία ἀνάμνησις

Les dialogues de jeunesse

Apologie 25 Criton 2 Alcibiade 7 Lachegraves 1 Protagoras 4 Meacutenexegravene 1 Euthyphron 1 Gorgias 8

Hippias majeur 1

Alcibiade 1 Lachegraves 1

Meacutenexegravene 1

Gorgias 1 Meacutenon 1

Apologie 1

Gorgias 1 Meacutenon 3 Euthydegraveme 1

Meacutenon 3

Les dialogues de maturiteacuteCratyle 3 Banquet 11 Pheacutedon 43 Reacutepublique II 1 III 8 VI 2 VIII 3 IX 1 X 6 Phegravedre 5 Theacuteeacutetegravete 3

Banquet 4 Pheacutedon 2

Reacutepublique VI 2

X 2 Phegravedre 10 Theacuteeacutetegravete 3

Cratyle 1 Banquet 13 Pheacutedon 24

Reacutepublique X 5 Phegravedre 11

Pheacutedon 9

Phegravedre 1

Les dialogues de vieillesseSophiste 3 Politique 4

Timeacutee 34 Critias 7

Lois III 3 IV 2 V 3 VI 2 VIII 1 IX 25 X 10 XI 5 XII 10

Politique 2 Philegravebe 23 Timeacutee 1 Critias 1 Lois II 1 III 1 IV 1 VI 1 VII 1 VIII 1 IX 3

Politique 2 Philegravebe 1Timeacutee 7

Lois II 3

IV 5 V 1 X 1

XII 2

Philegravebe 2

Lois V 1

Ce tableau fournit beaucoup dinformations agrave interpreacuteter Nous nous inteacuteressons aux

trois points suivants 1 Que signife le fait que le terme μνήμη se concentre

44

particuliegraverement dans ces deux dialogues agrave savoir le Philegravebe et le Phegravedre 2 Il ny a

que cinq dialogues ougrave sont preacutesents les deux termes laquo limmortel raquo et laquo la

reacuteminiscence raquo agrave savoir le Phegravedre le Philegravebe le livre V des Lois et particuliegraverement le

Pheacutedon et le Meacutenon la correacutelation entre limmortaliteacute et la reacuteminiscence semble

eacutevidente 3 Seuls deux dialogues le Pheacutedon et le Phegravedre contiennent les quatre

termes

Sur le premier point la meacutemoire est associeacutee agrave la sensation et donc au monde

sensible et par conseacutequent mortelle Dans le Philegravebe la meacutemoire est deacutefnie comme

laquo sauvegarde de la sensation raquo1 mais dans le Phegravedre comme ailleurs dans le Philegravebe le

terme μνήμη signife plutocirct le souvenir2 La diffeacuterence entre la meacutemoire et le

souvenir reacuteside dans ceci la meacutemoire est la capaciteacute agrave sauvegarder des sensations

alors que le souvenir est la faculteacute qui permet de se souvenir non seulement des

sensations mais aussi et surtout des savoirs3 cest en ce sens de souvenir que la

μνήμη diffegravere de la reacuteminiscence4

Il faut en effet que lhomme arrive agrave saisir ce quon appelle laquo forme intelligible raquo (εἶδος) en allant dune pluraliteacute de sensations vers luniteacute quon embrasse au terme dun raisonnement Or il sagit lagrave dune reacuteminiscence (ἀνάμνησις) des reacutealiteacutes jadis contempleacutees par notre acircme quand elle accompagnait le dieu dans son peacuteriple quand elle regardait de haut ce que agrave preacutesent nous appelons laquo ecirctre raquo et quelle levait la tecircte pourcontempler ce qui est reacuteellement Aussi est-il juste assureacutement que seule ait des ailes la penseacutee du philosophe car les reacutealiteacutes auxquelles elle ne cesse dans la mesure de ses forces de sattacher par le souvenir (μνήμῃ) ce sont justement celles qui parce quil sy attache font quun dieu est un dieu5

La reacuteminiscence des formes intelligibles jadis contempleacutees ne vient pas si facilement

car elle est en effet une remonteacutee de la sensation jusquagrave lintellection Une remonteacutee

diffcile parce que le corps est capable de sensation mais pas dopinion quand agrave

linverse lacircme est capable dopinion mais pas de sensation Ainsi une sensation du

corps doit se transformer en une opinion pour quelle soit transmise agrave lacircme cest le

rocircle de la meacutemoire une convertisseur de sensation agrave opinion Cette transformation

risque dengendrer des erreurs car chaque sensation est individuelle et particuliegravere

En effet eacutetant donneacute que les reacutealiteacutes sensibles participent aux reacutealiteacutes intelligibles

celui-ci leur procurent les proprieacuteteacutes de stabiliteacute alors que le Soleil leur procure les

1 Philegravebe 34 a2 Voici la liste doccurrences du terme μνήμη dans les deux dialogues Phegravedre 249 c 250 a 250 c 251

d 253 a 254 b 267 a 274 e 275 a 275 a Philegravebe 19 d 20 b 21 b 21 c 21 c 21 d 27 b 33 c 33 c 33 c 33 e 34 a 34 b 34 b 35 a 35 c 35 c 35 d 38 b 39 a 60 d 60 e 64 a

3 Dans le Philegravebe il sagit des μαθήματα (34 c)4 Voir ibid 34 c cf surtout laquo Notes raquo ndeg 131 p 2655 Phegravedre 249 b ndash c

45

proprieacuteteacutes de geacuteneacuteration pour devenir De cette faccedilon une sensation veacutehicule ces

deux types de proprieacuteteacutes meacutelangeacutes en une seule impression et le fait de les

distinguer agrave partir dune sensation relegraveve de la science ce qui nest pas une tacircche

facile en tout cas pour la foule

Sur le second point en ce qui concerne le rapport entre limmortaliteacute de lacircme et la

reacuteminiscence la question est complexe Dune part la question concerne lacircme la

penseacutee lintellect qui seront examineacutes dans dautres chapitres dautre part elle

concerne au moins trois dialogues le Phegravedre le Pheacutedon et la Reacutepublique La question

sera eacuteclaircie au cours de la thegravese Ici nous donnons simplement la cleacute dentreacutee agrave

savoir la neacutecessiteacute de limmortaliteacute de lacircme

Or de la mecircme faccedilon Ceacutebegraves mon tregraves cher si tout ce qui a part agrave la vie doit mourir et si

une fois mort tout ce qui est mort conserve ce mecircme aspect sans jamais revenir agrave la vie

nest-ce pas une neacutecessiteacute absolue quagrave la fn tout soit mort et rien ne vive Car si dune

part les choses vivantes proviennent dautres choses vivantes et si dautres choses

vivantes meurent mdash quel moyen deacuteviter que tout ne soit pas agrave la fn englouti dans la

mort 1

Lacircme est neacutecessairement immortelle en tout cas une certaine fonction de lacircme est

immortelle nous en parlerons dans le chapitre suivant

Sur le troisiegraveme point est-ce un hasard que les quatre termes ne se trouvent que dans

deux dialogues agrave savoir le Phegravedre et le Pheacutedon Assurons-nous rien nest hasard chez

Platon La rheacutetorique est lobjet principal de lanalyse du Phegravedre et du Gorgias en

raison du fait que laquo lusage de la rheacutetorique ne peut jamais ecirctre neutre moralement raquo2

surtout elle exerce une infuence sur lacircme de la foule au Tribunal et agrave lAssembleacutee en

ce sens politique elle est eacutethiquement plus dangereuse que les poegravetes pour la citeacute Le

terme ῥητορική a 136 occurrences dans le corpus platonicien dont 106 dans le

Gorgias 21 dans le Phegravedre dont 19 se concentrent sur 8 pages3 sachant que le dialogue

compte 53 pages (227 a ndash 279 c)4 La diffeacuterence entre le Gorgias et le Phegravedre reacuteside dans

ceci le premier est un dialogue reacutefutatif le second dialectique cest-agrave-dire agrave la

recherche dune science veacuteritable agrave lencontre de la rheacutetorique Cest cette recherche

qui conduit agrave penser que limmortaliteacute de lacircme existe neacutecessairement sans laquelle

1 Pheacutedon 72 c ndash d2 laquo Luniteacute du Phegravedre de Platon raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 135 ndash 161 p 1383 Ils sont 260c 260c 261a 263b 263b 266c 266d 269b 269b 269b 269c 269c 269c 269d 269e 270b

271a 271d 272d4 Les 9 autres occurrences sont Cratyle 425 a Euthtdegraveme 307 a Manexegravene 235 e 236 a a Politique 304

d e Reacutepublique VIII 548 e Theacuteeacutetegravete 177 b

46

aucune science veacuteritable nest possible agrave lacircme et par conseacutequent aux ecirctres humains

puisque sa mortaliteacute la rend inaccessible aux reacutealiteacutes veacuteritables qui sont immuables

En dautres termes limmortaliteacute de lacircme est une condition de la connaissance de ce

qui est dans le Phegravedre et dans le Pheacutedon et elle vient naturellement apregraves la

reacuteminiscence qui nest pas synonyme de limmortaliteacute de lacircme laquelle est sa

condition mais elle est synonyme de la science (ἐπιστήμη) la connaissance de ce qui

est

I22 La neacutecessiteacute eacutepisteacutemologique

Une fois admise limmortaliteacute de lacircme on admet neacutecessairement lexistence dune

science qui a pour objet les choses immortelles les reacutealiteacutes intelligibles cest-agrave-dire

uniques universelles et immuables gracircce auxquelles les reacutealiteacutes sensibles trouvent

leur stabiliteacute dans un monde de devenir en permanence

I221 Limpossibiliteacute de la science parmeacutenidienne

Nous allons consacrer un chapitre agrave lἐπιστήμη Ici nous essayons de voir non pas la

science en tant que telle mais limpossibiliteacute de la science chez Parmeacutenide afn de

mieux voir la nature de la science1 Le substantif ἐπιστήμη apparaicirct 23 fois dans le

Parmeacutenide dont 18 fois agrave la seule page 134 et toutes prononceacutees par Parmeacutenide2

Pourquoi Socrate se garde-t-il de le prononcer En effet il faut distinguer ces deux

choses la reacutealiteacute et la science qui a pour objet cette reacutealiteacute Dans la premiegravere partie

du Parmeacutenide il sagit pour Socrate non pas de faire de la Forme une science ce qui

relegraveve de la dialectique3 mais de deacutecrire ce quest la Forme laquo ce qui est le mecircme en

soi et par soi raquo (αὐτὸ καθ᾽ αὐτὸ εἶδος4) ou laquo lecirctre en soi raquo (αὐτὴ ἡ οὐσία5) En effet

1 Linterpreacutetation neacuteoplatonicienne de la seconde partie du Parmeacutenide est une laquo interpreacutetation grandiose raquo (Parmeacutenide laquo Introduction raquo p 9) ce qui est contraire agrave lintention de Platon qui ridiculise Parmeacutenide de maniegravere tregraves seacuterieuse comme il ridiculise Prodicos de Ceacuteos en le citant de nombreuses fois pour ne rien dire sur lui (45 occurrences dans dix dialogues agrave savoir Apologie [1] Banquet[1 ] Charmide [1] Cratyle [1] Euthydegraveme [2] Hippias majeur [2] Meacutenon [2] Phegravedre [2] Protagoras [34] Reacutepublique X [1]) puisque 45 occurrences nous renseignent que tregraves peu sur Prodicas digne de son nom

2 Voici les six autres occurrences 142 a4 155 d6 160 d5 160 d9 164 b13 Notons que dans la premiegravere partie du Parmeacutenide Socrate nest le meneur de jeu que dans un tregraves

court instant entre 127 d 5 et 130 a agrave partir du 130 b il joue le rocircle de reacutepondant4 Parmeacutenide 128 ndash e 129 a5 Pheacutedon 78 d Unique apparition dans le corpus platonicien En dautres termes αὐτὴ ἡ οὐσία et ἡ οὐσία sont synonymes Voici la liste doccurrences de ce substantif employeacute avec larticle Dialogues de jeunesse Criton 44e 53b Hippias majeur 301b 301e 302c Euthyphron 11a Gorgias472b 486c Charmide 168d Dialogues de maturiteacute Cratyle 385e 386a 388c 393d 401c 401c 423e 424b 424b 431d 436e Banquet 218c Pheacutedon 65d 77a 78d 92d Reacutepublique II 372b 374a VI 485b 509b 509b VII 524e 525b 534b VIII 553b 565a 566a IX 573e 591e Phegravedre 237c 270e Parmeacutenide 133c 142b 143b 143b 143b 143b 143b 143c 143c 144b 144c 144c 144c 144d 144d 144e 149e Theacuteeacutetegravete 160b 186a 186a 186b 207c Dialogues de vieillesse Sophiste 246a 246c 248a 248d 248e

47

une science est possible si son objet a une certaine universaliteacute immuabiliteacute et

identiteacute Autrement dit il doit ecirctre neacutecessairement toujours et partout le mecircme Sans

cela cette science ne peut ecirctre une connaissance veacuteritable Prenons un exemple

C=2πR

La formule permet de calculer la circonfeacuterence dun cercle elle renvoie

neacutecessairement et toujours non seulement agrave la mecircme chose universellement et

immuablement valable mais aussi et surtout agrave cette chose qui est une reacutealiteacute unique

Supposons quelle renvoie agrave deux choses diffeacuterentes ou mecircme opposeacutees dans ces

conditions la mecircme formule matheacutematique ne permet pas de produire la mecircme

chose identique Une telle connaissance na plus le statut de la science puisquelle ne

permet pas de savoir agrave quelle reacutealiteacute unique on doit participer En effet plusieurs

formules matheacutematiques peuvent renvoyer identiquement agrave la mecircme reacutealiteacute unique

Cest une question de repreacutesentation on peut toujours repreacutesenter une reacutealiteacute unique

de faccedilon diffeacuterente mais en aucun cas une eacutequation matheacutematique ne permet de

renvoyer agrave plusieurs reacutealiteacutes cest une question de science ce qui est ne peut ecirctre

que la reacutealiteacute ontologique cest-agrave-dire universelle immuable et unique agrave laquelle

participent des reacutealiteacutes sensibles

Le problegraveme de Parmeacutenide reacuteside dans le fait que lecirctre tel quil le propose dans la

seconde partie du Parmeacutenide nest pas une reacutealiteacute ontologique Par exemple

τό τε γὰρ ἓν τὸ ὂν ἀεὶ ἴσχει καὶ τὸ ὂν τὸ ἕν ὥστε ἀνάγκη δύ᾽ ἀεὶ γιγνόμενον μηδέποτε ἓν εἶναι

Lun en effet possegravede toujours lecirctre et lecirctre lun de sorte que neacutecessairement comme il devient toujours deux il nest jamais un (142 e ndash 143 a)

Bien que Parmeacutenide emploie six fois lun en soi1 son un nest pas une reacutealiteacute unique

ni lecirctre (τὸ ὄν) non plus En effet dans le cas ougrave lun est une reacutealiteacute unique lecirctre

eacutegalement les deux mots sont synonymes et non recouvrant deux reacutealiteacutes

diffeacuterentes encore moins lun possegravede lautre en revanche dans le cas ougrave lun

posseacutedant lautre ils sont tous les deux multiples par conseacutequent ils ne sont ni lun

ni lautre une reacutealiteacute unique mais neacutecessairement changeants et non immuables Le

passage suivant montre que lerreur nest pas possible

250b 251d 261e Politique 292a Philegravebe 54a 54a Timeacutee 35b 35b Lois II 668c III 684d 697b IV 717c724a V 736e 737b 741b 744c VI 775a VIII 850a IX 877c X 895d 895d XI 918c 923a 923b XII 955d Trois remarques 1 Le terme est tregraves peu freacutequent dans les premiers dialogues 2 Il est en forte concentration dans les trois dialogues la Reacutepublique le Parmeacutenide et les Lois 3 Dans leParmeacutenide le terme se concentre presque exclusivement dans deux pages agrave savoir les pages 143 et 144

1 Ils sont αὐτὸ τὸ ἕν (143 a) αὐτὸ τὸ ἓν (144 e) αὐτοῦ τοῦ ἑνὸς (153 c) αὐτὸ τὸ ἓν (153 d) αὐτὸ τὸ ἕν (153 e) αὐτῷ τῷ ἑνὶ (158 a) En dehors du Parmeacutenide on trouve deux autres occurrences dans le livre VII de la Reacutepublique αὐτὸ τὸ ἕν (524 e) αὐτὸ τὸ ἓν (525 d ndash 525 e)

48

Παρμενίδης

ἔστιν ἄρα ὡς ἔοικε τὸ ἓν οὐκ ὄν εἰ γὰρ μὴ ἔσται μὴ ὄν ἀλλά πῃ τοῦ εἶναι ἀνήσει πρὸς τὸ μὴ εἶναι εὐθὺς ἔσται ὄν

Ἀριστοτέληςπαντάπασι μὲν οὖν

Παρμενίδηςδεῖ ἄρα αὐτὸ δεσμὸν ἔχειν τοῦ μὴ εἶναι τὸ εἶναι μὴ ὄν εἰ μέλλει μὴ εἶναι ὁμοίως ὥσπερ τὸ ὂν τὸ μὴ ὂν ἔχειν μὴ εἶναι ἵνα τελέως αὖ εἶναι ᾖ οὕτως γὰρ ἂν τό τε ὂνμάλιστ᾽ ἂν εἴη καὶ τὸ μὴ ὂν οὐκ ἂν εἴη μετέχοντα τὸ μὲν ὂν οὐσίας τοῦ εἶναι ὄν μὴ οὐσίας δὲ τοῦ μὴ εἶναι μὴ ὄν εἰ μέλλει τελέως εἶναι τὸ δὲ μὴ ὂν μὴ οὐσίας μὲν τοῦ μὴ εἶναι μὴ ὄν οὐσίας δὲ τοῦ εἶναι μὴ ὄν εἰ καὶ τὸ μὴ ὂν αὖ τελέως μὴ ἔσται

Ἀριστοτέληςἀληθέστατα

Παρμενίδηςοὐκοῦν ἐπείπερ τῷ τε ὄντι τοῦ μὴ εἶναι καὶ τῷ μὴ ὄντι τοῦ εἶναι μέτεστι καὶ τῷ ἑνί ἐπειδὴ οὐκ ἔστι τοῦ εἶναι ἀνάγκη μετεῖναι εἰς τὸ μὴ εἶναι1

Parmeacutenide

Il sensuit semble-t-il quil laquo est raquo cet un mecircme sil nest pas supposons en effet quil ne soit pas un laquo non eacutetant raquo mais quil lui arrive dune faccedilon ou dune autre de quitter lecirctre pour aller vers le non-ecirctre il sera sur-le-champ un laquo eacutetant raquo

Jeune AristoteCest tout agrave fait exact

ParmeacutenidePar voie de conseacutequence il lui faut comme lien avec le non-ecirctre preacutesenter la proprieacuteteacute decirctre un laquo non-eacutetant raquo sil doit necirctre pas de mecircme ce qui nest pas devra preacutesenter la proprieacuteteacute de necirctre pas agrave la faccedilon dun laquo non eacutetant raquo si au contraire il veut pleinement ecirctre Voilagrave de quelle faccedilon en effetce qui est pourra eacuteminemment ecirctre et ce qui nest pas pourra eacuteminemment ne pas ecirctre ce qui est en participant soit agrave lecirctre du fait decirctre un laquo eacutetant raquo soit au non-ecirctre du fait un laquo non eacutetant raquo sil doit pleinement ecirctre ce qui nest pas en participant soit au non-ecirctre du fait de ne pas ecirctre un laquo non eacutetant raquo soit agrave lecirctre du fait decirctre quelque chose qui nest pas si ce qui nest pas doit agrave son tour ne pas ecirctre pleinement

Jeune AristoteCest on ne peut plus vrai

ParmeacutenideDans ces conditions puisque ce qui est participe au non-ecirctre et que ce qui nest pas participe agrave lecirctre cet un de mecircme du fait quil nest pas participera agrave lecirctre pour arriver agrave ne pas ecirctre

La science nest pas possible lagrave ougrave son contraire cest-agrave-dire lerreur nest pas

possible 1 Il est eacutevident que ce qui est (τὸ ὄν) nest pas une reacutealiteacute unique et

immuable puisquil participe agrave lecirctre et au non-ecirctre comme sil eacutetait en mouvement

en devenir une reacutealiteacute sensible dailleurs ce qui est et ce qui nest pas ne sont pas

contraires comme larbre et le non-arbre par exemple de telle sorte que mecircme si

Parmeacutenide dit ce qui nest pas il dit quelque chose de vrai et non de faux 2 De

mecircme pour le non-ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) qui nest pas ce qui nexiste pas puisque selon

Parmeacutenide laquo ce qui est participe au non-ecirctre raquo cela eacutetant le non-ecirctre est

neacutecessairement quelque chose qui est dans ces conditions comme ce qui est et ce qui

nest pas lecirctre et le non-ecirctre ne sont pas contraires le contraire se voit uniquement

1 Parmeacutenide 162 a ndash b

49

en mots ou en apparence (τὸ ὄν τὸ μὴ ὄν τὸ εἶναι τὸ μὴ εἶναι) et non en reacutealiteacute

encore moins en reacutealiteacute veacuteritable Alors que la science doit porter sur ce qui est

reacuteellement et non sur lapparence elle (ἐπιστήμη) consiste agrave laquo rechercher la

deacutefnition qui rendra le nom adeacutequat agrave la reacutealiteacute veacuteritable de la chose quil deacutesigne

ou inversement se demander sil sagit bien du nom qui convient agrave la deacutefnition que

lon donne de la chose raquo1

I222 La neacutecessiteacute de ce qui est

La deacutefnition la plus eacuteclatante de la science se trouve sans doute dans le livre V de la

Reacutepublique sous ces termes laquo Or le savoir (ἐπιστήμη) se rattache par nature agrave ce qui

est (τῷ ὄντι) dans le but de connaicirctre (γνῶναι) de quelle maniegravere est ce qui est (τὸ

ὄν)raquo2 1 La science nest pas quelque chose dautonome cest-agrave-dire le fait decirctre en

soi et par soi elle se rattache agrave son objet 2 Ce sont les reacutealiteacutes intelligibles elles sont

toujours preacutesentes dans notre monde agrave nous et elles ne deacutependent pas de nous mais

nous delles puisquelles sont la cause mecircme de notre existence 3 Nous ne savons

pas comment laquo ce qui est raquo est preacutesent en nous 4 Toute la question est de savoir ce

quest le γνῶναι

Ce passage du livre V de la Reacutepublique envoie en effet agrave la fn du Meacutenon elle consiste

agrave deacutefnir ce quest le fait de connaicirctre

Socrate Or si on suit ce raisonnement Meacutenon il nous apparaicirct que cest par une faveur divine que la vertu est preacutesente chez ceux ougrave elle se trouve Cependant nous le connaicirctrons avec plus grande clarteacute lorsque avant de chercher de quelle faccedilon la vertu se trouve en lhomme nous essaierons de rechercher ce quest la vertu elle-mecircme prise comme telle(πρότερον ἐπιχειρήσωμεν αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ ζητεῖν τί ποτ᾽ ἔστιν ἀρετή)3

Dans cette derniegravere phrase il faudrait lire laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ ζητεῖν raquo comme un

syntagme qui eacutequivaut agrave llaquo αὐτὸ τὸ ζητεῖν raquo Si on associe laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ raquo au

laquo τί ἐστιν ἀρετή raquo (laquo ce quest la vertu raquo) cela est redondant puisque laquo ce quest la

vertu raquo synonyme de laquo la vertu elle-mecircme en tant que telle raquo car si lon pose la

question quest-ce que la vertu La bonne reacuteponse est neacutecessairement de dire la

chose qui concerne uniquement laquo la vertu elle-mecircme en elle-mecircme raquo Il est ainsi

inutile dajouter laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ ζητεῖν raquo par dessus Dailleurs le sujet du Meacutenon

ne consiste pas agrave savoir ce quest la vertu mais de quelle faccedilon on la trouve cest-agrave-

1 Platon Paris Cerf 2017 p 1132 Reacutepublique V 477 b3 Meacutenon 100 b A Croiset traduit la derniegravere phrase par laquo nous commenccedilons par chercher ce quest la

vertu en soi raquo

50

dire de quelle faccedilon elle se trouve en nous Cette faccedilon a pour nom la reacuteminiscence

cest-agrave-dire laquo αὐτὸ καθ᾽ αὑτὸ ζητεῖν raquo ou laquo αὐτὸ τὸ ζητεῖν raquo le fait de chercher lui-

mecircme Autrement dit connaicirctre nest autre chose que la reacuteminiscence le fait de

chercher et le fait dapprendre En effet si les choses agrave connaicirctre changent sans cesse

il y a rien agrave connaicirctre puisquelles sont deacutepourvues de stabiliteacute En revanche si les

choses changent de maniegravere reacuteguliegravere comme par exemple les feuilles de certains

arbres tombant en automne cela suppose que le changement reacutegulier sopegravere autour

de quelque chose qui ne change pas et qui reacutegule le changement peacuteriodique Ainsi

connaicirctre est chercher agrave connaicirctre ce qui est cest-agrave-dire luniversaliteacute et limmuabiliteacute

des choses qui assure la stabiliteacute des reacutealiteacutes sensibles

I23 La neacutecessiteacute eacutethique

Le terme ἠθικός dont parle Diogegravene Laeumlrce dans le chapitre III1 consacreacutee agrave Platon

nexiste pas dans le corpus platonicien Platon emploie le terme ἦθος qui est

paradoxalement absent ou presque dans les premiers dialogues et presque

exclusivement concentreacute dans les Lois et la Reacutepublique2 Lἦθος signife la disposition

de lacircme

Socrate Mais le mode propre agrave la maniegravere de sexprimer repris-je et le discours lui-mecircme ne deacutependent-ils pas du caractegravere du lacircme (οὐ τῷ τῆς ψυχῆς ἤθει ἕπεται)

Glaucon Neacutecessairement

Socrate Et tout le reste ne deacutepend-il pas de la maniegravere de sexprimer

Glaucon Si

Socrate Ainsi lexcellence du discours et de lharmonie la gracircce du geste et du rythme deacutecoulent de lexcellence du caractegravere non de ce que nous deacutesignons ainsi par eupheacutemisme et qui nest quabsence de reacutefexion mais au contraire de cette reacutefexion authentique dun caractegravere ougrave sallient le bien et le beau (ἀλλὰ τὴν ὡς ἀληθῶς εὖ τε καὶ καλῶς τὸ ἦθοςκατεσκευασμένην διάνοιαν)3

Le bon caractegravere de lacircme est la source du plus beau discours mais pour ecirctre bon il

1 Voir Diogegravene Laeumlrce III 49 50 56 58 ndash 61 Dailleurs y est absent le substantif ἠθική qui deacutesigne leacutethique dans le Vocabulaire technique et critique de la philosophie dAndreacute Lalande

2 Gorgias [2] 484 d 513 c Lysis [1] 222 a Cratyle [2] 406 a 407 b Banquet [4] 183 e 195 e 195 e 207 e Pheacutedon [1] 81 e Reacutepublique II [2] 375 c 375 e III [7] 400 d 400 e 401 a 401 b 402 d 409 a 409 d IV [2] 424 d 435 e VI [8] 490 c 492 e 496 b 497 b 500 d 501 a 501 c 503 c VII [2] 535 b 541a VIII [7] 544 e 545 b 548 d 549 a 557 c 558 d 561 e IX [3] 571 c 572 d 577 a X [2] 604 e 605 a Phegravedre [3] 243 c 277 a 279 a Politique [7] 308 e 309 b 310 a 310 c 310 e 311 a 311 b Timeacutee [1] 42 e Critias [1] 121 b Lois I [3] 625 a 636 d 650 a II [7] 655 d 656 b 659 c 664 d 666 c 669 c 670e III [2] 679 b 695 e IV [6] 704 d 705 a 705 b 708 c 711 b 718 b V [2] 735 c 741 e VI [7] 751 c 770 d 773 c 773 c 775 d 776 a 777 d VII [8] 788 b 790 a 790 b 791 d 792 e 793 e 797 c 798 d VIII [3] 832 b 836 d 837 c IX [4] 855 a 859 d 862 b 865 e X [7] 896 c 901 a 903 d 904 c 907 c 908 b 908 e XI [7] 919 c 922 b 924 d 928 e 929 c 930 a 930 a XII [4] 949 e 963 e 967 e 968 d

3 Reacutepublique III 400 d ndash e

51

est neacutecessaire quil existe ce qui est bon en soi et par soi comme paradigme de toutes

les belles choses qui sont bonnes sans ce critegravere du bon universellement et

immuablement valable il est impossible de distinguer ce qui est bon de ce qui est

mauvais

I231 Limpossibiliteacute de la participation parmeacutenidienne

Parmeacutenide ne conteste pas lexistence et la nature des Formes telles que Socrate les

deacutecrit dans la premiegravere partie du Parmeacutenide (128 e ndash 130 d) Ce qui lui pose problegraveme

cest la participation (μετέχειν μεταλαμβάνειν) qui fait le sujet de la discussion

dans la partie comprise entre 130 e ndash 132 d Notons que par la suite entre 132 e ndash 136

d Socrate reacutepond tregraves briegravevement1 comme si ceacutetait par respect pour Parmeacutenide quil

reacutepond et non pas par la neacutecessiteacute du dialogue dailleurs il se garde dinterroger

Parmeacutenide comme sil navait aucune question agrave lui poser

La participation aux Formes est consideacutereacutee comme un enveloppement pour

Parmeacutenide il y a cependant deux sortes denveloppement soit la Forme qui

enveloppe les choses soit ce sont elles qui enveloppent la Forme Mais pour Socrate

la participation na rien agrave voir avec lenveloppement2

Socrate Non point si du moins reacutepliqua Socrate cest agrave la maniegravere du jour qui restant un et identique se trouve en plusieurs endroits en mecircme temps et nen est pour si peu distinctde lui-mecircme Et si ceacutetait ainsi que chacune des Formes se trouve en mecircme temps une et identique en toutes choses

Parmeacutenide Jolie faccedilon Socrate reprit-il de faire que la Forme se trouve une et identique en mecircme temps en plusieurs endroits Cest comme si tu eacutetendais un voile sur plusieurs ecirctres humains et que tu disais laquo Le voile reste un en sa totaliteacute lorsquil est eacutetendu sur plusieurs choses raquo Nest-ce pas dune preacutesence de ce genre que tu veux parler 3

La lumiegravere du Soleil donne le jour ainsi sans le Soleil il ny a pas de jour Gracircce au

jour nous voyons et les choses sensibles peuvent ecirctre vues Agrave vrai dire le jour nest

pas une chose concregravete en tout cas moins concregravete que le Soleil puisquil est agrave la fois

partout et nulle part il donne agrave voir sans que lui-mecircme ne se voie alors que le Soleil

se voit quand mecircme Surtout le jour traverse la totaliteacute du ciel il est partout le mecircme

1 Une seule exception laquo Il me semble en effet reacutepliqua Socrate que du cocircteacute du sensible il ny a aucune diffculteacute agrave montrer que les objets sont aussi bien semblables et dissemblables et quils sontaffecteacutes de toute autre espegravece de contrarieacuteteacute raquo(135 e 5ndash7)

2 Voici un exemple pour mieux comprendre le problegraveme la circonfeacuterence est deacutefnie comme le nombre de π multiplieacute par le diamegravetre Cela eacutetant quels que soient les cercles petits ou grands ilspossegravedent tous le nombre π ainsi on pourrait dire que ce sont les cercles qui enveloppent le π mais on peut dire eacutegalement que cest le π qui enveloppe les cercles particuliers puisque cest en reacutealiteacute le π qui deacutefnit le cercle et non linverse du moins le π existe en dehors du cercle alors que sans le π on ne peut pas calculer le cercle

3 Parmeacutenide 131 b ndash c

52

il est la digniteacute et la puissance mecircmes du Soleil1 lesquelles procurent aux choses

sensibles leurs proprieacuteteacutes et leur nourriture et nul ne peut posseacuteder le jour Alors

que en tout point de vue le voile est le contraire du jour 1 le voile est un produit

humain le jour divin 2 le voile peut ecirctre deacutecoupeacute posseacutedeacute et deacutetruit tandis que le

jour ne peut ecirctre ni deacutecoupeacute ni posseacutedeacute ni deacutetruit 3 le voile reccediloit la proprieacuteteacute

decirctre vu le jour en donne la puissance 4 le voile est inanimeacute le jour animeacute 5 le

voile est une partie de la totaliteacute du sensible le jour domine cette totaliteacute sans en faire

partie comme lacircme qui commande au corps sans en faire partie 6 le voile est

divisible le jour indivisible 7 le voile est une matiegravere sombre le jour brille Sans

doute pourrons-nous lister encore quelques autres oppositions entre le voile et le

jour On voit bien que la diffeacuterence fondamentale entre Socrate et Parmeacutenide agrave

propos de la participation se fonde sur les deux points suivants Dune part pour

Socrate participer agrave une reacutealiteacute cest recevoir delle une puissance pour ecirctre digne

cela suppose que le bien de cette reacutealiteacute rayonne Cela suppose aussi que ce agrave quoi

une chose participe et cette chose ne se trouvent pas au mecircme niveau de reacutealiteacute

alors que pour Parmeacutenide elles sont au mecircme niveau sensible dougrave la neacutecessiteacute de

posseacuteder denvelopper pour participer Dautre part pour Socrate le tout (τὸ ὅλον)

ontologique est inseacutecable donc son rapport agrave la totaliteacute des parties du monde

sensible est un rapport de domination comme lacircme domine le corps dans le

Charminde (156 e) ou lacircme du monde domine lunivers dans le Timeacutee2 ou mecircme dans

certains cas le corps domine lacircme par des plaisirs et des deacutesirs immodeacutereacutes Notons

que ce rapport nest pas un rapport dappartenance puisque lacircme et le corps sont

deux reacutealiteacutes contraires or il ne peut y avoir une appartenance entre deux reacutealiteacutes

contraires Agrave linverse pour Parmeacutenide la participation relegraveve dun rapport

dappartenance par ailleurs Parmeacutenide ne distingue pas le tout ontologique (τὸ

ὅλον) qui est inseacutecable de la totaliteacute sensible (τὸ τᾶν) qui est composeacutee des parties3

1 Notons que la nuit et les nuages sont des pheacutenomegravenes terrestres car au-delagrave luit toujours le mecircme jour

2 Les occurrences du terme dans le Parmeacutenide ὅλον (128 a) ὅλου (131 a) ὅλον (131 a) ὅλον (131 b) ὅλον (131 b) ὅλον (131 c) ὅλον (131 c) ὅλα (131 e) ὅλον (137 c) ὅλου (137 c) ὅλον (137 c) ὅλον (137 c) ὅλον (137 c) ὅλον (137 d) ὅλον (138 b) ὅλον (138 e) ὅλον (138 e) ὅλον (138 e) ὅλον (142 d) ὅλου (142 d) ὅλου (142 d) ὅλον (142 d) ὅλον (144 d) ὅλον (144 d) ὅλου (144 e) ὅλον (144 e)ὅλου (144 e) ὅλον (145 a) ὅλον (145 a) ὅλον (145 a) ὅλον (145 a) ὅλῳ (145 b) ὅλου (145 b) ὅλου (145 c) ὅλον (145 c) ὅλῳ (145 c) ὅλον (145 c) ὅλου (145 c) ὅλον (145 c) ὅλον (145 d) ὅλον (145 d) ὅλον (145 d) ὅλον (145 e) ὅλον (145 e) ὅλον (146 b) ὅλον (146 b) ὅλον (146 c) ὅλον (147 b) ὅλα(147 b) ὅλα (147 b) ὅλῳ (148 d) ὅλῳ (150 a) ὅλῳ (150 a) ὅλου (150 a) ὅλῳ (150 b) ὅλον (150 b) ὅλῳ (150 b) ὅλου (153 c) ὅλον (153 c) ὅλον (153 e) ὅλον (157 c) ὅλον (157 c) ὅλου (157 c) ὅλον (157 e) ὅλου (157 e) ὅλον (157 e) ὅλῳ (158 a) ὅλον (158 a) ὅλου (158 a) ὅλου (158 b) ὅλου (158 b) ὅλον (158 d) ὅλον (158 d) ὅλα (158 d) ὅλον (159 c) ὅλον (159 d) ὅλου (159 d) ὅλον (159 d)

3 Voici les occurrences du terme au masculin et neutre dans le Parmeacutenide πάντα (127 e) πᾶν (128 b)

53

I232 La neacutecessiteacute eacutethique de lontologie

Le terme laquo πλεονεξία raquo cest-agrave-dire deacutesirer davoir toujours plus que ce que lon

doit est plutocirct rare dans le corpus platonicien1 Dans le but dexpliquer ce terme

Glaucon fait appel au mythe de Gygegraves (359 d ndash 360 b) pour montrer combien

linjustice peut paraicirctre irreacutesistible Le mythe peut ecirctre reacutesumeacute en quatre eacutevegravenements

1 un tremblement de terre 2 le berger Gygegraves pille un anneau dor de la main dun

cadavre de geacuteant 3 la deacutecouverte de la magie de lanneau qui peut rendre Gygegraves

visible ou invisible en tournant le chaton de lanneau agrave linteacuterieur ou agrave lexteacuterieur de

sa paume 4avec ce pouvoir magique le berger tue le roi de Lydie sempare du

trocircne et de la reine2 Apregraves le reacutecit du mythe Glaucon donne un commentaire en ces

termes

Supposons agrave preacutesent quil existe deux anneaux de ce genre lun au doigt du juste lautre

au doigt de linjuste il ny aurait personne semble-t-il dassez reacutesistant pour se

maintenir dans la justice et avoir la force de ne pas attenter aux biens dautrui et ne pas y

toucher alors quil aurait le pouvoir de prendre impuneacutement au marcheacute ce dont il aurait

envie de peacuteneacutetrer dans les maisons pour sunir agrave qui lui plairait et de tuer les uns libeacuterer

les autres de leurs chaicircnes selon son greacute et daccomplir ainsi dans la socieacuteteacute humaine tout

ce quil voudrait agrave leacutegal dun dieu3

Deux questions se posent pourquoi est-il injuste dattenter aux biens dautrui

pourquoi le fait-on quand-mecircme en toute connaissance de cause En effet dans le

livre I de la Reacutepublique Socrate parle de la fonction propre (ἔργον) du cheval (352 e)

de la serpette (353 a) des yeux (353 b) et agrave chaque fonction propre est associeacutee une

excellence propre (ἀρετή) laquo cest gracircce agrave son excellence propre que ce qui est doteacute

dune fonction propre accomplit bien ses œuvres (τὰ ἐργαζόμενα) raquo (353 c) Cela

πάντα (129 a) πάντες (129 d) πάντα (129 e) πάντα (130 b) πάντων (130 b) πάντων (130 c) πάντων (130 d) πᾶσιν (131 b) πάντα (132 a) πάντα (132 a) πάντα (132 a) πᾶσιν (132 b) πάντα (132 b) πᾶσιν (132 c) πᾶσιν (132 c) πάντα (132 c) πάντα (134 c) πάντα (134 c) πάντα (135 b) πάντα (135 b) πάντων (136 e) πάντα (143 d) πᾶς (144 a) πάντα (144 b) πάντων (144 b) πάντα (144 e) πάντα (145 b) πάντα (145 c) πάντα (145 c) πάντα (145 c) πάντα (145 c) πάντα (145 c) πᾶσιν (145 c) πᾶσιν (145 d) πᾶσιν (145 d) πάντα (145 e) πᾶν (146 b) πᾶν (148 e) πᾶς (149 b) πάντα (149 d) παντὶ (150 b) πᾶν (152 c) παντὸς (152 e) πάντων (153 b) πάντα (153 b) πάντων (153 c) πάντα (153 c) πάντα (153 c) πᾶσιν (153 e) πάντα (155 c) πάντα (155 d) πάντων (157 d) πάντων (157 d) πάντων (157 d) πάντα (158 e) πάντα (159 a) πάντα (159 c) πάντα (159 c) πάντα (160 b) πᾶν (160 b) πᾶν (160 c) πάντων (160 e) πᾶν (162 b) πᾶν (165 b) πάντα (165 c) πάντα (165 d) πάντα (166 c) mais il ny a que trois occurrences au feacuteminin πᾶσαν (139 a) πασῶν(149 b) πάσας (165 d)

1 Le mot laquo πλεονεξία raquo napparaicirct que sept fois dans le corpus platonicien le Banquet 182 d 188 b le Critias 121 b le Gorgias 508 a la Reacutepublique II 359 c IX 586 b le Timeacutee 82 a

2 Selon Heacuterodote le roi Candaule enivreacute de la beauteacute corporelle de sa femme Nyssla se proposa agrave Gygegraves fls dun de ses gardes de sintroduire dans la chambre royale pour admirer la beauteacute du corps nu de Nyssla agrave son insu (Cf Heacuterodote Histoires Paris Charpentier Libraire-Eacutediteur 1850 Tome premier VIII ndash XIII p 25 ndash 28 Trad du grec par Lacher)

3 Reacutepublique II 360 b ndash c

54

semble montrer que le principe de base decirctre juste est simple se concentrer sur la

reacutealisation de lexcellence de sa fonction Ainsi le fait de piller un bien qui

nappartient pas au berger ne relegraveve pas de la fonction du berger encore moins

lorsquil sagit de tuer le roi et de semparer du trocircne et de la reine Mais

geacuteneacuteralement la fonction propre ne sufft pas pour que lacircme sarrecircte devant les

meacutefaits dont on a souvent conscience cest-agrave-dire en toute connaissance de cause

cela nest pas contradictoire avec le paradoxe socratique laquo personne ne fait le mal

volontairement raquo cest-agrave-dire en toute connaissance de cause En effet il y a deux

faccedilons davoir la connaissance de cause gracircce aux mœurs ou agrave la science 1 Les

mœurs sont une forme de connaissance imposeacutee culturellement dans une

communauteacute elles permettent aux individus deacutevaluer leurs conduites mais une

telle connaissance collective peut heurter contre la volonteacute ou lopinion individuelle

Cest le cas de Gygegraves qui sait bien que ce quil voulait faire est blacircmeacute par les mœurs

cest la raison pour laquelle il se garde de montrer aux autres la magie de son anneau

dor Comme dit Thrasymaque laquo Ce nest pas en effet par crainte de commettre des

actes injustes mais au contraire par crainte de les subir que ceux qui blacircment

linjustice semploient agrave le faire raquo1 En dautres termes par le plaisir on commet

linjustice et par la crainte on la commet discregravetement or ni le plaisir ni la crainte ne

sont science en ce sens personne ne commet linjustice en toute connaissance de

cause 2 Seule la science de ce qui est permet de guider les actions justes en toute

connaissance de cause en effet les actions justes relegravevent de causes justes cest-agrave-

dire de reacutealiteacutes veacuteritables qui sont universelles et immuables Ainsi le fait de ne pas

connaicirctre ces reacutealiteacutes eacutequivaut agrave ne pas connaicirctre les causes des actions justes laquo Si

quelquun connaicirct ce qui est bon et ce qui est mauvais est-ce que rien ne peut le

dominer et lui faire faire des choses diffeacuterentes de celles que la science (ἐπιστήμη) lui

prescrit Est-ce que lintelligence peut constituer un secours suffsant pour

lhomme raquo2 Ce qui est toujours bon ce sont les reacutealiteacutes veacuteritables cest-agrave-dire les

Formes en ce sens quil ne peut y avoir une Forme du Mal

I3 Quest-ce que la Forme

Platon est synonyme de la forme intelligible ou de la Forme puisque cest dans les

dialogues platoniciens que lon trouve cette notion pour la premiegravere fois de la

maniegravere explicite dans lhistoire de la penseacutee occidentale Certes ceci ressemble agrave une

1 Ibid I 344 c2 Protagoras 352 c

55

eacutenigme dune part laquo labsence de deacutefnition de ce que cest quune Forme et

labsence de toute explication de la participation des choses sensibles aux Formes raquo1

dautre part la caracteacuteristique des formes intelligibles reste la mecircme dans la premiegravere

partie du Parmeacutenide du Pheacutedon du Phegravedre de la Reacutepublique et du Philegravebe laquo ce qui est

purement et simplement ecirctre raquo2 laquo ce qui est simplement ecirctre en soi et par soi raquo3 laquo ce

qui est totalement ecirctre raquo4 laquo ce qui est toujours en soi et par soi raquo5 laquo lecirctre en soi raquo6 laquo la

reacutealiteacute en soi raquo7 laquo ce qui est veacuteritablement ce qui est raquo8 laquo lecirctre qui est reacuteellement raquo9

laquo ce qui est reacuteellement raquo10 laquo sans couleur sans fgure intangible raquo11 En un mot la

Forme se caracteacuterise 1 par la nature de son identiteacute immuable elle est unique et

toujours la mecircme en soi et par soi 2 par la nature de son uniteacute universelle dune

part elle est sans meacutelange inseacutecable une uniteacute pure dautre part elle est luniteacute de

toutes les choses sensibles puisque celles-ci y participent 3 par la nature de son

intelligibiliteacute elle est invisible et intangible

I31 Intelligible

Plusieurs termes peuvent renvoyer agrave lintelligible lecirctre (τὸ εἶναι) chaque chose qui

est (ἕκαστον ὃ ἔστιν) la reacutealiteacute (ἡ οὐσία) et ce qui est (τὸ ὄν) Mais y a-t-il une

diffeacuterence entre laquo αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo12 et laquo ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo laquo αὐτὴ ἡ

οὐσία raquo13 et laquo ἡ οὐσία raquo laquo αὐτὸ τὸ ὂν raquo14 et laquo τὸ ὄν raquo Nous verrons que la reacuteponse

nest pas si eacutevidente car elle est parfois oui parfois non tout deacutepend de ce que lon

entend par lexpression Par exemple que signife τὸ εἶναι exister ou ce qui est

I311 Question de lexpression de la Forme

Lexpression laquo αὐτὸ τὸ x raquo ou laquo αὐτὸ καθ αὑτὸ x raquo devient fnalement la marque de

la Forme dans la mesure ougrave x deacutesigne une notion intelligible le beau le bien le juste

par exemple 1 Il faut faire la distinction entre laquo αὐτὸ τὸ x raquo et x Prenons un

1 Platon Paris Cerf 2017 p 1462 Reacutepublique V τοῦ εἰλικρινῶς ὄντος (477 a) τοῦ εἰλικρινῶς ὄντος (478 d)3 Pheacutedon 78 d μονοειδὲς ὂν αὐτὸ καθ᾽ αὑτό4 Reacutepublique V τὸ παντελῶς ὄν (477 a) Sophiste τὰ τάντζσ ὄντα(240 e) τῷ παντελῶς ὄντι (248 e)5 Philegravebe τὰ ἀεὶ κατὰ τὰ αὐτὰ ὡσαύτως (59 c) Pheacutedon ἐκεῖνα ἀεὶ κατὰ ταὐτὰ ὡσαύτω (79 d)6 Reacutepublique VII αὐτὸ τὸ ὂν (537 d)7 Pheacutedon αὐτὴ ἡ οὐσία8 Phegravedre τῷ ὅ ἐστιν ὂν ὄντως (247 e)9 Ibid ἡ οὐσία ὄντως οὖσα (247 c)10 Philegravebe τὸ ὂν ὄντως (59 d) Phegravedre τὰ ὄντα ὄντως (247 e) τὸ ὂν ὄντως (249 c) Reacutepublique VI τῷὄντι ὄντως (490 b) Timeacutee τῷ δὲ ὄντως ὄντι (52 c)

11 Phegravedre 247 c12 Pheacutedon 78 d Reacutepublique VII αὐτοῦ γε ἑκάστου πέρι ὃ ἔστιν (533 b)13 Ibid14 Sophiste αὐτοῦ τοῦ ὄντος οὐσία ἐστίν (258b) Reacutepublique VII αὐτὸ τὸ ὂν (537 d)

56

exemple plus concret pour commencer Si x deacutesigne la fgure x est une classe qui

repreacutesente toutes les fgures particuliegraveres en dautres termes x est un nom qui

deacutesigne les choses du mecircme genre ainsi en prononccedilant ce nom on pense agrave des

choses que ce nom deacutesigne Mais si on demande ce quest la fgure la reacuteponse est

une deacutefnition de la fgure par exemple laquo la fgure est la limite du solide raquo1 En disant

cela on porte lattention non pas sur les choses que sont les fgures particuliegraveres mais

sur la fgure en tant que telle cest-agrave-dire la fgure elle-mecircme agrave savoir laquo αὐτὸ τὸ

σχῆμα raquo Cela eacutetant lexpression laquo αὐτὸ τὸ x raquo est synonyme de la question laquo quest-

ce que x raquo dont la reacuteponse est unique mecircme si le langage utiliseacute pour formuler la

reacuteponse peut bien ecirctre multiple Car ces multiples expressions doivent dire la mecircme

chose Certes laquo αὐτὸ τὸ σχῆμα raquo deacutefnit une classe de fgures en ce sens αὐτὸ τὸ

σχῆμα et σχῆμα sont synonymes mais le premier deacutefnit la fgure par la science le

second par la deacutesignation 2 La distinction entre lUn et le plusieurs

En revanche si ce quest lUn on montre que cela est en soi plusieurs et si par ailleurs on montre que que le Plusieurs est en fait un2 voilagrave ougrave je commencerai agrave meacutetonner et il enva de mecircme pour tout le reste Si ceacutetaient les mecircmes Genres les mecircmes Formes qui paraissaient ecirctre en soi affecteacutes par ces mecircmes caractegraveres contraires il y aurait de quoi seacutetonner3

Chaque Forme est unique sans meacutelange mecircme la Forme de Plusieurs lest eacutegalement

Autrement dit le Plusieurs nest pas plusieurs en tant que Forme il est unique et

indivisible cest dans la participation que la nature du Plusieurs se distingue de celle

de lUn Par exemple un ecirctre humain est un sous laspect dun vivant entier (lunion

entre lacircme et le corps) mais il est aussi plusieurs en raison du fait que le corps se

compose des membres et des organes En dautres termes la participation dune

chose sensible aux Formes est une multipliciteacute de participation Cela eacutetant une

Forme nest pas une classe en effet les membres dune classe se distinguent des

membres dune autre classe un arbre nest pas un cheval Or les choses qui

participent agrave lUn participent en mecircme temps au Plusieurs sous laspect de lUn et du

Plusieurs un arbre ne diffegravere point dun cheval ils sont tout agrave la fois un et plusieurs

3 Une Forme nest pas un concept si lon entend par concept ceci

1 Meacutenon 76 a2 laquo Il faut faire la distinction entre la Forme en tant que Forme et la Forme en tant que Forme de x En

effet en tant que Forme du Plusieurs le Plusieurs ne peut participer agrave lUn en dautres termesaucun des membres de la classe Plusieurs ne se retrouve dans la classe Un et inversement aucun membres de la classe Un ne se retrouve dans la classe Plusieurs eacutetant donneacute la deacutefnition de la contrarieacuteteacute Mais en tant que Forme la Forme Plusieurs est un individu et peut donc ecirctre membre de la classe Un Sur le sujet cf lAnnexe p 302 ndash 304 raquo (Parmeacutenide laquo Notes raquo ndeg 67 p 259)

3 Parmeacutenide 129 b ndash c

57

laquo Concepts sont des ideacutees abstraites ou geacuteneacuterales ou simples raquo1 laquo On appelle concepts des repreacutesentations dans lesquelles nous amenons devant nous un objet ou des domaines entiers dobjets en leur geacuteneacuteraliteacute raquo2 laquo Le concept cest la matiegravere logique raquo3

Quest-ce quune ideacutee Pour Dan Sperber les ideacutees sont des objets mateacuteriels4 pour

Bergson ce sont des objets immateacuteriels mais extraits des objets mateacuteriels5 autrement

dit un concept comme une ideacutee abstraite nest pas quelque chose qui est en soi et par

soi Dapregraves Heidegger un concept est une repreacutesentation ce qui est contraire de la

Forme Selon Lyotard le concept est la matiegravere logique or la logique se trouve au

niveau de διάνοια un niveau infeacuterieur agrave lintellection Finalement toute assimilation

de la Forme au concept consiste agrave abaisser la digniteacute et la puissance de la Forme le

divin agrave lhumain

I312 τὸ εἶναι

Linfnitif laquo εἶναι raquo est abondamment preacutesent dans tous les dialogues platoniciens

sans exception6 En revanche le syntagme laquo τὸ εἶναι raquo est beaucoup moins freacutequent7

avec 39 occurrences dont 17 dans la seconde partie du Parmeacutenide Le propos le plus

ceacutelegravebre sur lecirctre (τὸ εἶναι) se trouve sans doute dans le Protagoras il sagit de

distinguer entre le devenir et lecirctre (τὸ γενέσθαι καὶ τὸ εἶναι)

Socrate Dans le cas preacutesent vois si tu es de mon avis Je ne crois pas que Simonide se contredise Mais donne-nous dabord ton opinion laquo Devenir (τὸ γενέσθαι) raquo et laquo ecirctre (τὸ εἶναι) raquo ont-ils le mecircme sens ou un sens diffeacuterent

Prodicos Un sens diffeacuterent reacutepondit Prodicos

Socrate Ainsi repris-je dans le premier passage Simonide exprimant sa propre penseacutee dit quil est diffcile de devenir vraiment un honnecircte homme

Prodicos Tu as raison dit Prodicos

1 Bergson Henri Introduction agrave la meacutetaphysique Paris PUF Quadrige 2011 p 92 Heidegger Martin Concepts fondamentaux Paris Gallimard NRF 19812001 p 133 Lyotard Jean-Franccedilois La pheacutenomeacutenologie Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 625 2007 14e eacuted[1954 1egravere

eacuted] p 104 Cf Descombes Vincent laquo Lidentifcation des ideacutees raquo Revue Philosophique de Louvain Quatriegraveme

seacuterie Tome 96 Ndeg1 1998 pp 86 ndash 118 Il sagit de la critique de La contagion des ideacutees de Dan Sperber

5 Cf supra6 Les deux dialogues ougrave la freacutequence est la plus faible sont le Critias (13 fois) et le Criton (14) et la plus

forte sont le Gorgias (231) et le Pheacutedon (220)7 Cratyle τοῦ εἶναι (423 e) τὸ εἶναι (433 d) τὸ εἶναι (433 d) Euthydegraveme τῷ εἶναι (305 c) Gorgias τὸ εἶναι (508 b) τὸ εἶναι (527 b) τὸ εἶναι (527 b) Hippias majeur τὸ εἶναι (294 e) Lettre XI τοῦ εἶναί (359 a) Parmeacutenide τοῦ εἶναι (136 b) τὸ εἶναι (142 d) τοῦ εἶναι (142 e) τὸ εἶναι (148 b) τοῦ εἶναι (152 a) τοῦ εἶναι (152 e) τοῦ εἶναι (154 a) τοῦ εἶναι (156 a) τοῦ εἶναι (156 e) τὸ εἶναι (160 c)τοῦ εἶναι (162 a) τὸ εἶναι (162 a) τοῦ εἶναι (162 a) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 b) τοῦ εἶναι (162 c) Pheacutedon τοῦ εἶναι (77 b) τοῦ εἶναι (78 d) Protagoras τὸ εἶναι (340 b) τὸ εἶναι (340 c) τὸ εἶναι (340 c) Reacutepublique II τοῦ εἶναί (369 d) III τοῦ εἶναι (395 c) V τοῦ εἶναί (478 e) VI τὸ εἶναί (509 b) X τοῦ εἶναι (612 d) Sophiste τὸ εἶναι (243 e) Theacuteeacutetegravete τὸ εἶναι (171 d) τὸ εἶναι (188 d)

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Socrate Et quant agrave Pittacos il le blacircme non pas comme le croit Protagoras pour avoir dit la mecircme chose que lui mais pour avoir dit autre chose Car ce que Pittacos deacuteclare ecirctre diffcile ce nest pas de laquo devenir raquo bon mais de l laquo ecirctre raquo Or Protagoras laquo ecirctre raquo et laquo devenir raquo selon Prodicos ici preacutesent sont choses diffeacuterentes et si laquo ecirctre raquo nest pas la mecircme chose que laquo devenir raquo Simonide est exempt de contradiction1

Ici il est certain que lecirctre soppose au devenir mais on ne sait pas encore si le

devenir est le contraire de lecirctre Dans ce passage de la Reacutepublique τὸ εἶναι et τὸ ον

sont synonymes

ἐπειδὴ καὶ τὰ ἀπὸ τοῦ εἶναι ἀγαθὰ διδοῦσα ἐφάνη καὶ οὐκ ἐξαπατῶσα τοὺς τῷ ὄντι λαμβάνοντας αὐτήν2

Nous navons pas montreacute que la justice procure les biens qui deacutecoulent de ce quelle est reacuteellement et quelle ne trompe pas ceux qui laccueillent veacuteritablement

Dans ce passage du Pheacutedon τὸ εἶναι et αὐτὴ ἡ οὐσία sont aussi synonymes

αὐτὴ ἡ οὐσία ἧς λόγον δίδομεν τοῦ εἶναι καὶ ἐρωτῶντες καὶ ἀποκρινόμενοι πότερον ὡσαύτως ἀεὶ ἔχει κατὰ ταὐτὰ ἢ ἄλλοτ᾽ ἄλλως 3

Cette reacutealiteacute en elle-mecircme de lecirctre de laquelle nous rendons raison dans nos interrogations comme dans nos reacuteponses dis-moi se comporte-t-elle toujours de mecircme faccedilon dans son identiteacute ou bien tantocirct ainsi et tantocirct autrement

Ce qui est reacuteellement ecirctre cest-agrave-dire ce qui ne change jamais il est toujours le

mecircme mais quel est le contraire du τὸ εἶναι Voyons le scheacutema suivant

Dans le cas ougrave lon entend laquo τὸ εἶναι raquo par laquo ce qui existe raquo par conseacutequent son

contraire signife neacutecessairement ce qui nexiste pas (τὸ μὴ εἶναι) ainsi on ne peut en

aucun cas formuler une opinion sur ce qui nexiste pas Or il y a trois reacutealiteacutes qui

existent 1 la reacutealiteacute intelligible cest-agrave-dire ce qui est (τὸ ὄν) 2 son contraire la

1 Protagoras 340 b ndash c Trad par A Croiset Paris Les Belles Lettres 19552 Reacutepublique X 612 d3 Pheacutedon 78 d Trad par L Robin Paris Les Belles Lettres 1926

59

les reacutealiteacutes sensibles cest-agrave-dire ce qui nest pas (τὸ μὴ ὄν)

τὸ εἶναι ce qui existe

les reacutealiteacutes intelligibles cest-agrave dire ce qui est (τὸ ὄν)

τὸ μὴ εἶναι ce qui nexiste pas

ψυχήlacircme

fonction intellective

fonction ardente

fonction deacutesirante

le corpsanimant

reacutealiteacute sensible cest-agrave-dire ce qui nest pas 3 lacircme Dans cette perspective τὸ μὴ

εἶναι et τὸ μὴ ὄν ne signifent pas du tout la mecircme chose Dans le cas ougrave on entend

laquo τὸ εἶναι raquo par lecirctre cest-agrave-dire ce qui est ou la reacutealiteacute immuable par conseacutequent

son contraire signife la reacutealiteacute non-immuable les choses sensibles par exemple de

telle sorte quon ne peut formuler une opinion fausse cest-agrave-dire porteacutee sur ce qui

nexiste pas puisque ce qui nest pas est quelque chose qui existe mecircme si elle est

changeante

I313 ἕκαστον ὃ ἔστι

Lexpression ἕκαστον ὃ ἔστι est peu freacutequente dans le corpus platonicien (nous la

recensons onze fois dont six dans les livres V VI et VII de la Reacutepublique)1 cependant

elle apparaicirct lagrave ougrave la question ontologique se pose Dans lexpression le mot ἕκαστον

ne deacutesigne pas une chose sensible mais une reacutealiteacute au mecircme titre que leacutegal le beau

bull Cratyle

Dans le passage suivant lἕκαστον signife une reacutealiteacute en soi cest-agrave-dire tout

simplement lecirctre (τὸ εἶιναι)

Σωκράτης

τί δὲ δὴ τόδε οὐ καὶ οὐσία δοκεῖ σοι εἶναι ἑκάστῳ ὥσπερ καὶ χρῶμα καὶ ἃ νυνδὴ ἐλέγομεν πρῶτον αὐτῷ τῷ χρώματι καὶ τῇ φωνῇ οὐκ ἔστιν οὐσία τις ἑκατέρῳ αὐτῶν καὶ τοῖς ἄλλοις πᾶσιν ὅσα ἠξίωται ταύτης τῆς προσρήσεως τοῦ εἶναι

Ἑρμογένηςἔμοιγε δοκεῖ

Σωκράτηςτί οὖν εἴ τις αὐτὸ τοῦτο μιμεῖσθαι δύναιτο ἑκάστου τὴν οὐσίαν γράμμασί τε καὶ συλλαβαῖς ἆρ᾽ οὐκ ἂν δηλοῖ ἕκαστον ὃ ἔστιν ἢ οὔ2

Socrate

Et que dis-tu de ceci Chaque chose na-t-elle pas selon toi une reacutealiteacute comme elle a une couleur et les autres choses dont nous parlions agrave linstant Et dabord la couleur en soi et le son en soi nont-ils pas chacun une certaine reacutealiteacute comme toutes les autres choses qui meacuteritent cet ajout de preacutedication laquo lecirctre raquo

ProtarqueSi agrave mon avis

SocrateEt alors Si lon eacutetait capable dimiter avec les lettres et les syllabes cet en soi qui appartient agrave chaque chose mdash jentends sa reacutealiteacute mdash ferait-on voir agrave chaque fois ce qui existe oui ou non

La couleur et la couleur elle-mecircme sont deux reacutealiteacutes fondamentalement diffeacuterentes

la couleur comme chose sensible qui existe dans le monde sensible tandis que la

1 Cratyle ἕκαστον ὃ ἔστιν (423 e) Pheacutedon ἕκαστον ὃ ἔστιν (78 d) ἕκαστον ὃ ἔστι (78 d) Reacutepublique V ἕκαστον τὸ ὂν (480 a) VI ἕκαστον τὸ ὄν (484 d) ὃ ἕκαστον εἴη (504 a) VI ὃ ἔστιν ἕκαστον (507 b) VII ὃ ἔστιν ἕκαστον (532 a) ὃ ἔστιν ἕκαστον (533 b) Phegravedre ὃ ἔστιν ἕκαστον (262 b) Sophiste τὸ ὂν ἕκαστον (258 e)

2 Cratyle 423 e

60

couleur elle-mecircme est une deacutefnition qui est la reacuteponse agrave la question laquo quest-ce que

la couleur raquo Socrate la deacutefnit comme laquo leffuve de fgures raquo1 Or une deacutefnition

dune chose sensible relegraveve de la penseacutee qui nest pas une chose sensible

bull Pheacutedon

Dans ce passage du Pheacutedon le sens du terme ἕκαστον ne peut ecirctre plus clair

αὐτὸ τὸ ἴσον αὐτὸ τὸ καλόν αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν τὸ ὄν μή ποτε μεταβολὴν καὶ ἡντινοῦν ἐνδέχεται2

Leacutegal en soi le beau en soi chaque chose qui est en soi ce qui est reacuteellement est-ce que jamais cela peut subir un changement quel quil soit

Agrave la diffeacuterence de la couleur ou du son qui sont des reacutealiteacutes sensibles leacutegal et le beau

ne sont pas des reacutealiteacutes sensibles Si la couleur et la couleur elles-mecircmes ne sont pas

la mecircme chose quel est le statut quon doit donner agrave leacutegal au beau dans la mesure

ougrave laquo leacutegal raquo et laquo leacutegal en soi raquo ou laquo le beau raquo et laquo le beau soi raquo sont deux choses

neacutecessairement diffeacuterentes Examinons ces trois syntagmes laquo αὐτὸ τὸ ἴσον raquo laquo αὐτὸ

τὸ καλόν raquo laquo αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo en leur enlevant laquo αὐτὸ raquo nous en avons ceci

laquo τὸ ἴσον raquo laquo τὸ καλόν raquo laquo ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo autrement dit leacutegal et le beau sont

chacun une chose qui est (ἕκαστον ὃ ἔστιν) mais elle nest ni sensible ni ecirctre en soi

En effet le beau leacutegal le bien sont trois noms qui deacutesignent trois reacutealiteacutes respectives

qui restent agrave deacutefnir et cest par la deacutefnition que lon peut savoir le beau en soi leacutegal

en soi le bien en soi et ainsi de suite pour tous les noms des autres reacutealiteacutes En

dautres termes seulement connaicirctre les noms savoir les prononcer sans les deacutefnir

ne permet pas de connaicirctre encore les reacutealiteacutes que ces noms deacutesignent Or la

deacutefnition dune reacutealiteacute intelligible relegraveve de lintellection On voit bien que la

deacutefnition dune reacutealiteacute intelligible est beaucoup plus diffcile que la deacutefnition dune

reacutealiteacute sensible puisque le niveau de lintellection se trouve supeacuterieure au niveau de

la penseacutee

bull Reacutepublique

Dans ce passage du livre VI de la Reacutepublique laquo ὃ ἔστιν ἕκαστον raquo ne prend pas le

mecircme sens que nous venons dexaminer preacuteceacutedemment

καὶ αὐτὸ δὴ καλὸν καὶ αὐτὸ ἀγαθόν καὶ οὕτω περὶ πάντων ἃτότε ὡς πολλὰ ἐτίθεμεν πάλιν αὖ κατ᾽ ἰδέαν μίαν ἑκάστου ὡς μιᾶς οὔσης τιθέντες laquo ὃ ἔστιν raquo ἕκαστον

Nous affrmons aussi lexistence du beau en soi et du bien en soi et de mecircme pour toutes ces choses que nous avonsdabord poseacutees comme multiples nous les posons maintenant renversant notre approche selon la forme unique de chacune comme une essence unique et nous

1 Meacutenon 76 d2 Pheacutedon 78 d

61

προσαγορεύομεν1 appelons chacune laquo ce qui est raquo

Ici ἕκαστον est le compleacutement dobjet direct du verbe προσαγορεύομεν On voit

bien que le syntagme laquo ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo est eacutequivalant agrave un pronom qui deacutesigne (et

non deacutefnit) une reacutealiteacute intelligible quelconque et laquo ἕκαστον raquo est un pronom qui

deacutesigne une reacutealiteacute sensible quelconque mais en enlevant du syntagme lἕκαστον le

syntagme verbal laquo ὃ ἔστιν raquo est synonyme de laquo τὸ ὄν raquo cest-agrave-dire laquo ce qui est raquo

autrement dit laquo αὐτὸ ἕκαστον ὃ ἔστιν raquo = laquo ὃ ἔστιν raquo = laquo τὸ ὄν raquo On voit bien que

lusage des termes chez Platon est extrecircmement preacutecis

I32 Trois eacutetapes pour saisir la reacutealiteacute intelligible

Les trois eacutetapes pour saisir la reacutealiteacute intelligible sont la saisie laquo par la sensation raquo

laquo par le raisonnement raquo et laquo par lintellection raquo Nous avons dit preacuteceacutedemment que

cest par lintellection que lon peut saisir ce qui est Or lintellection est un

acheminement du sensible vers lintelligible du multiple vers lunique en passant

par le raisonnement (διάνοια) Pourquoi la sensation Pour trois raisons 1 sans la

meacutemoire aucune activiteacute cognitive consciente et spontaneacutee nest possible Or la

meacutemoire est la sauvegarde de la sensation2 2 La sensation ne peut ecirctre fausse

mecircme si la sensation dune mecircme chose la chaleur par exemple est diffeacuterente chez

les sujets diffeacuterents Autrement dit la sensation est une opinion droite 3 Lobjet de

la sensation cest-agrave-dire le sensible participe aux reacutealiteacutes intelligibles Ces trois

points garantissent la possibiliteacute de remonter avec succegraves du sensible vers

lintelligible dans la mesure ougrave est assureacute le bon fonctionnement du niveau

laquo διάνοια raquo et du niveau laquo νάησις raquo Agrave linverse on naura aucune chance de saisir

une reacutealiteacute intelligible agrave partir dune opinion fausse car elle ne participe agrave aucune

reacutealiteacute intelligible

I321 Saisie par la sensation

Le sensible (αἰσθητόν) est saisissable par la sensation (αἴσθησις) cest-agrave-dire par

abstraction du sensible Cest ce que le substantif laquo αἴσθησ-ις raquo indique puisque le

suffxe laquo -ις raquo indique geacuteneacuteralement quelque chose dabstrait Sans cette abstraction

aucun sensible nest connaissable Mais pour que cette abstraction soit possible il

faut aussi que le sensible possegravede une certaine proprieacuteteacute (δύναμις) gracircce agrave laquelle le

sensible est perceptible Du coup la sensation est en effet communication

1 Reacutepublique VI 507 b2 Voir Philegravebe 34 a ndash b

62

La sensation est affaire de communication Ce qui est communiqueacute cest la proprieacuteteacute que manifeste un objet par lintermeacutediaire dun mouvement qui trouve sa source agrave lexteacuterieur Et la transmission de ce mouvement se fait de faccedilon meacutecanique de partie en partie par une circulation agrave travers le vivant en son entier corps et acircme En effet le destinataire fnal de ce processus de transmission est la partie rationnelle de lacircme1

Cela eacutetant dans le fait de connaicirctre le sensible on sinteacuteresse agrave la sensation et non au

sensible mecircme en tout cas dun point de vue philosophique cela semble confrmeacute

par lusage de ces deux termes

αἰσθητόν (le sensible) αἴσθησις (la sensation)

Les dialogues de jeunesse

Meacutenon 76d Apologie 40c c Hippias mineur 374d Hippias majeur 298d eProtagoras 334c Meacutenexegravene 248b Charmide [5] 159a 167d d d d

Les dialogue de maturiteacute

Pheacutedon 83b Reacutepublique VI 507c 511c VII 529bTheacuteeacutetegravete [9] 156b 1b b 6c160d 182a b 184d 202b

Cratyle 430e 431a Pheacutedon [19] 65b d 66a 73c 75a a b b b e 76a d 79a c c 83a 96b 99e 111b Reacutepublique II 375a III 411d V 460d VI [5] 507c c e 508b 511c VII [12] 523a b b c c e 524a a d d 532a 537d VIII 546b Phegravedre [6] 240d 249b 250d d 253e 271eParmeacutenide 142a 155d 164b Theacuteeacutetegravete [67] 151e e 152c c 156b b c d 158a a 159d d e e e 160c d e 161c d 163a d 164a b d 165d d 166c 167c c 168b 179c d 182a a b d e e 183c 184b d 186b e e e 187a 191d 192b b d d a b d e e 194a a a a c d 195c d 196c 210a

Les dialogues de vieillesse

Politique 285e Philegravebe 51b Timeacutee [13] 28b c 37b 51a52a 61d 64a d 65a 67a c 70b 92c

Sophiste [4] 248a 264a b c Politique 286a Philegravebe [12] 33c 34a a a b 35a 38b 39a b 41d 55e 66c Timeacutee [21] 28a c 38a 42a 43c 44a 45d 52a 60e 61c 64a e 65e 67c 69d 71a 75a 75b 77a be Lois I 645e II [7] 653a e 654a 661b 664e 672c 673d X [4] 894a 898e 901d 902c XI 927b XII [6] 943a 961d e e 964d e

Quelques remarques 1 la philosophie semble sinteacuteresser beaucoup moins au

sensible (αἰσθητόν) quagrave la sensation Sans doute est-ce lagrave un point qui distingue la

philosophie des sciences particuliegraveres qui ont pour objet les choses sensibles mecircmes 2

2 Les premiers dialogues sinteacuteressent peu agrave la sensation3 cest probablement parce

que les opinions agrave reacutefuter sont en effet des opinions fausses et non des opinions

1 Brisson Luc laquo Perception sensible et raison dans le Timeacutee raquo Interpreting the Timaeus mdash Critias Proceeding of the IV Symposium Platonicum Selected Papers Tomaacutes Calvo and Luc Brisson (eacuteds) Sankt Augustin Academia Verlag 1997 pp 307 ndash 316 p 311

2 Nous distinguons ces trois termes 1 La chose le corps par exemple il sagit dun nom 2 La chose mecircme le corps mecircme auquel sinteacuteresse la meacutedecine ou la gymnastique 3 La chose elle-mecircme le corps lui-mecircme auquel sinteacuteresse la philosophie dans le cas la chose en question relegravevedu second niveau de reacutealiteacute comme le beau par exemple nous dirons comme lavons souligneacute ci-dessus laquo le beau en soi raquo et non laquo le beau lui-mecircme raquo

3 Les quatre occurrences du terme laquo sensation raquo dans le Charmide se trouvent dans une seule phrase laquo Bref examine toutes les sensations pour deacuteterminer si agrave ton avis il y en a une qui soit sensation des sensations et delle-mecircme mais qui ne perccediloive rien de ce que perccediloivent les autres sensations raquo

63

droites cest-agrave-dire la sensation 3 Le Theacuteeacutetegravete sinteacuteresse particuliegraverement agrave la

sensation avec 67 occurrences il sagit lagrave sans doute dune analyse contrarieacutee pour

dire que la sensation est le contraire de la science 4 Lusage du terme laquo sensation raquo

est assez regroupeacute nous allons voir tout au long de la thegravese que cela apparaicirct dans

beaucoup de cas cest peut-ecirctre une faccedilon suppleacutementaire dauthentifer les œuvres

de Platon ce qui deacutepasse notre tacircche

Pourquoi Socrate parle-t-il autant de la sensation dans un dialogue quest le Theacuteeacutetegravete

ougrave il est senseacute chercher agrave savoir ce quest la science En effet le Theacuteeacutetegravete ne cherche

pas agrave deacutefnir directement ce quest la science (ἐπιστήμη) mais agrave indiquer la premiegravere

marche vers la science agrave savoir connaicirctre ce quest une sensation cest-agrave-dire

connaicirctre une sensation elle-mecircme le chaud lui-mecircme par exemple Si le chaud

relegraveve dune affaire de sensation alors le fait de chercher agrave savoir ce quest le chaud

cest-agrave-dire savoir le chaud lui-mecircme relegraveve de la penseacutee ou du raisonnement En

effet demander ce quest le chaud a pour but de connaicirctre la nature de la sensation

Comme laquo la sensation est affaire de communication raquo il sagit en effet de la

diffeacuterence chacun reccediloit diffeacuteremment la mecircme chose qui est communiqueacutee Telle

est la nature de la sensation la principale source de diffeacuterence de la multipliciteacute

Mais ce sont les diffeacuterences du reacuteel puisque le sensible nest pas irreacuteel en raison du

fait que le sensible participe aux reacutealiteacutes intelligibles qui sont reacuteellement

I322 Saisie par le raisonnement

Lisons dabord ce passage du livre VII de la Reacutepublique

οὕτω καὶ ὅταν τις τῷ διαλέγεσθαι ἐπιχειρῇ ἄνευ πασῶν τῶν αἰσθήσεων διὰ τοῦ λόγου ἐπ᾽ αὐτὸ ὃ ἔστιν ἕκαστον ὁρμᾶν καὶ μὴ ἀποστῇ πρὶν ἂν αὐτὸ ὃ ἔστιν ἀγαθὸν αὐτῇ νοήσει λάβῃ ἐπ᾽ αὐτῷ γίγνεται τῷ τοῦ νοητοῦ τέλει ὥσπερ ἐκεῖνος τότε ἐπὶ τῷ τοῦ ὁρατοῦ1

De cette mecircme maniegravere chaque fois que quelquun entreprend par lexercice du dialogue sans le support daucune perception des sens mais par le moyen de la raison de tendre vers cela mecircme que chaque chose est et quil ne sarrecircte pas avant davoir saisir par lintellection elle-mecircme ce quest le bien lui-mecircme il parvient au terme de lintelligible comme celui de tout agrave lheure eacutetait parvenu au terme du visible2

Cette phrase laquo sans le support daucune perception des sens mais par le moyen de la

raison raquo ne contredit-elle pas ce que nous venons de dire Pas du tout En effet on

1 Reacutepublique VII 532 a ndash b2 Voici la traduction dEacute Chambry laquo De mecircme quand un homme essaye par la dialectique et sans

recours agrave aucun des sens mais en usant de la raison datteindre agrave lessence de chaque chose et quil ne sarrecircte pas avant davoir saisi par la seule intelligence lessence du bien il parvient au terme de lintelligible comme lautre tout agrave lheure parvenait au terme du visible raquo (Paris Les Belles Lettres 1931)

64

passe de sensation agrave la raison (λόγος) cest-agrave-dire agrave la penseacutee En dautres termes au

moment de la penseacutee il faut couper la communication avec le monde sensible en

plongeacutee dans la recherche de la raison dune perception preacuteceacutedemment entreacutee dans

la meacutemoire Nous avons dit que la sensation est la principale source de diffeacuterence or

ce qui est est toujours le mecircme sans jamais subir le moindre changement Cela eacutetant

la sensation est un meacutelange entre luniversel et le particulier il faut donc eacuteliminer les

caracteacuteristiques particuliegraveres pour ne garder que ce qui est universel au moyen de la

raison car la raison decirctre universel est forceacutement diffeacuterente de la raison decirctre

particulier En effet dans ce passage le terme laquo διά τοῦ λόγου raquo peut ecirctre compris

comme laquo au moyen du raisonnement raquo ou tout simplement διάνοια (au moyen de la

penseacutee raquo En effet lexpression διά τοῦ λόγου est rare dans le corpus platonicien1 et

sans pour autant ecirctre clairement deacutefnie nous nous tournons ainsi vers la διάνοια

pour savoir ce que signife le fait de connaicirctre laquo διά τοῦ λόγου raquo

Glaucon Tu appelles donc penseacutee (διάνοια) me semble-t-il et non intellect lexercice habituel des geacuteomeacutetries et des praticiens de disciplines connexes puisque la penseacutee est quelque chosedintermeacutediaire entre lopinion et lintellect

Il sagit particuliegraverement des matheacutematiques En dautres termes le raisonnement

(διάνοια) et la matheacutematique sont synonymes dans le corpus platonicien bien que le

terme μαθηματική y soit entiegraverement absent2 Voici le sens du terme διάνοια

Theacuteeacutetegravete Quest-ce que tu appelles penser (διανοεῖσθαι)

Socrate Une discussion que lacircme elle-mecircme poursuit tout du long avec elle-mecircme agrave propos deschoses quil lui arrive dexaminer Cest en homme qui ne sait pas il est vrai que je te donne cette explication Car voici ce que me semble faire lacircme quand elle pense rien dautre que dialoguer sinterrogeant elle-mecircme et reacutepondant affrmant et niant Et quand ayant trancheacute que ce soit avec une certaine lenteur ou en piquant droit au but elle parle dune seule voix sans ecirctre partageacutee nous pensons que cest lagrave son opinion De sorte que moi avoir des opinions jappelle cela parler et que lopinion je lappelle un langage prononceacute non pas bien sucircr agrave lintention dautrui ni par la voix mais en silence agravesoi-mecircme Et toi quappelles-tu penser 3

Ce passage explique la nature de la penseacutee le silence la solitude le rapport agrave soi-

mecircme la preacutecision du langage la concentration sur une seule voie un veacuteritable

dialogue avec soi-mecircme ce qui est opposeacute agrave la sensation Cela eacutetant la nature de la

penseacutee est apparenteacutee agrave la nature de luniversel

1 Apologie 17 c Gorgias 449 b 502 e Lettre III 315 e VII 343 a Reacutepublique VII 532 a Sophiste 253 b

2 Seulement deux occurrences de ladjectif μαθηματικόν lune dans le Sophiste 219 c lautre dans le Timeacutee 88 c

3 Theacuteeacutetegravete 189 e ndash 190 a

65

I323 Saisie par lintellection

La matheacutematique est un langage bien preacutecis rigoureux fable et puissant

Cependant aucun matheacutematicien nest capable de deacutemontrer calculer de maniegravere

matheacutematique ce qui est bon et ce qui est mauvais Cest en ce sens que la

matheacutematique nest ni bonne ni mauvaise par conseacutequent son bon usage deacutepend

dune science du Bien Elle est ainsi fondamentalement diffeacuterente de la connaissance

de ce qui est totalement ecirctre car ce qui est totalement ecirctre ne peut ecirctre que la reacutealiteacute

du Bien Le mode dacquisition de cette connaissance a pour nom lintellection

(νόησις) Dans le corpus platonicien on voit partout le terme νοῦς (intellect) qui est

mecircme freacutequent dans les premiers dialogues mais le νόησις (intellection) est plutocirct

rare De plus parce que toutes les occurrences sont presque concentreacutees dans le livre

VII de la Reacutepublique1 et regroupeacutees dans ces deux blocs le premier avec 10

occurrences se trouve entre 523 a et 526 b le second avec 4 occurrences au

paragraphe 534 a ougrave Socrate re-deacutecrit la Ligne deacutecrite pour la premiegravere agrave la fn du

livre VI Les deux descriptions sont un peu diffeacuterentes

Livre VI 511 d ndash e Livre VII 534 a

Sans nommer νόησις ἐπιστήμη νόησις διάνοια διάνοια

Sans nommer πίστις πίστις δόξα εἰκασία εἰκασία

laquo On dira alors que lopinion concerne le devenir alors que lintellection vise lecirctre raquo2

Or les reacutealiteacutes que vise le raisonnement (διάνοια) et celles que vise la science

(ἐπιστήμη) ne sont pas les mecircmes puisque en tant que lexcellence du

raisonnement la matheacutematique ne permet pas de faire la distinction entre le bien et

le mal alors que la science le peut Cela pose un problegraveme car nous lavons lu dans

la sous-section preacuteceacutedente on saisit ce qui est bon en soi (αὐτὸ ὃ ἔστιν ἀγαθὸν) par

lintellection (νοήσει)3 en dautres termes si on entend par lintellection ce qui est

exprimeacute sur le tableau du livre VI cela ne pose de problegraveme mais si lon lentend par

rapport au tableau du livre VII cela reste agrave preacuteciser puisque lintellection deacutesigne

lἐπιστήμη et διάνοια Ou alors lorsquun terme qui comprend plusieurs termes est

1 Cratyle νόησιν (407 b) νόησιν (407 b) νόησις (411 d) Lettre I νόησις (310 a) Reacutepublique VI νόησιν (511 d) VII [16] νόησιν (523 a) νόησιν (523 b) νόησιν (523 d) νοήσεως (523 d) νόησιν(524 b) νοήσει (524 c) νόησις (524 c) νοήσεως (524 d) νοήσει (525 c) νοήσει (526 b) νοήσει (529 b) νοήσει (532 b) νόησιν (534 a) νόησιν (534 a) νόησιν (534 a) νόησις (534 a) Timeacutee νοήσει (28 a) νόησις (52 a)

2 Reacutepublique VII 534 a laquo καὶ δόξαν μὲν περὶ γένεσιν νόησιν δὲ περὶ οὐσίαν raquo3 Voir ibid 532 a ndash b

66

prononceacute sans preacutecision par lagrave on entend toujours le terme dont le degreacute est le plus

eacuteleveacute et non linverse ainsi par la δόξα on entend la πίστις plutocirct que lεἰκασία1

Cela semble justifeacute par le mythe de la caverne par lequel on entend la neacutecessiteacute de

remonter vers la lumiegravere du Soleil et non pas dencourager de rester dans lombre

Peut-on lentendre dans le sens inverse2 Philosophiquement non en tout cas non

chez Socrate et chez Platon En effet le tableau du livre VII de la Reacutepublique est plus

pertinent ougrave lintellection deacutesigne la διάνοια et lἐπιστήμη pour dire que

lintellection est la science veacuteritable qui ne peut se passer de la διάνοια Comme en

matheacutematique il faut apprendre agrave connaicirctre les nombres avant de calculer

I33 Au-delagrave des Formes et la participation

Le ceacutelegravebre passage du livre VI de la Reacutepublique (509 b) montre que le Bien se trouve

au-delagrave des Formes Cela eacutetant les choses sensibles participent aux Formes qui

participent au Bien Ainsi il ny a pas de participation mutuelle entre les Formes En

effet si les Formes participent mutuellement entre elles chacune delles est

neacutecessairement multiple cela est contraire agrave leur nature unique

I331 Le jour et la Forme

La vraie diffculteacute de la theacuteorie de la Forme est la question de la participation laquo Est-

ce donc agrave la Forme en sa totaliteacute ou agrave lune des partie de cette Forme que participe

chaque chose qui participe agrave cette Forme Ou y aurait-il une autre faccedilon de

participer agrave part de ces deux-lagrave raquo3 demanda Parmeacutenide Une Forme est unique

cest-agrave-dire une chose purement et simplement une sans partie aucune Par

conseacutequent si elle se trouve en une chose autre quelle-mecircme cette Forme ne peut se

trouver en une autre chose En quelque sorte pour Parmeacutenide participer cest

posseacuteder

Parmeacutenide Si tel est le cas cest par conseacutequent en restant une et identique quelle se trouverait en sa totaliteacute en plusieurs choses distinctes et que en mecircme temps elle se trouverait ainsielle-mecircme distincte delle-mecircme

Socrate Non point si du moins reacutepliqua Socrate cest agrave la maniegravere du jour qui restant un et

1 Cf Brisson Luc laquo La pistis chez Plotin et chez Porphyre philosophie et religion raquo2 Par exemple le tableau du peintre primitif famand Michiel Coxcie intituleacute La grotte de Platon

preacutefegravere donner la place agrave la repreacutesentation de prisonniers plutocirct quagrave la la puissance et agrave la digniteacute du Soleil peut-ecirctre ces deux derniegraveres sont-elles diffciles agrave imaginer agrave repreacutesenter DailleursSocrate reproche lusage incorrect du terme νόησις laquo Il risque de constituer un de ces enseignements que nous cherchons et qui conduisent naturellement agrave lintellection (νόησιν) mais dont personne ne fait un usage correct alors quil est tout agrave fait apte agrave tirer vers lecirctre (οὐσίαν) raquo (Reacutepublique VII 523 a)

3 Parmeacutenide 131 a

67

identique se trouve en plusieurs endroits en mecircme temps et nen est pour si peu distinct de lui-mecircme Et si ceacutetait ainsi que chacune des Formes se trouvait en mecircme temps une et identique en toutes choses1

Si nous consideacuterons le Soleil comme une Forme nous recevons de lui le jour en aucun

cas nous ne posseacutedons le Soleil ni le jour cest-agrave-dire le rayonnement du Soleil qui

est partout le mecircme En effet la penseacutee humaine est largement conditionneacutee par les

conditions sensibles et personne ne doute du rayonnement du Soleil puisque cela

est une eacutevidence Pourtant il y a beaucoup dautres ondes du monde sensible qui

sont insensibles aux organes des sens humains il faut les laquo sentir raquo au moyen dun

certain appareil scientifque ce nest plus une question de sensation mais de savoir

et savoir-faire Le passage du livre VI de la Reacutepublique (509 a ndash b) veut dire clairement

que le Soleil apporte aux choses visibles tout ce qui est neacutecessaire agrave leur existence

gracircce au rayonnement du Soleil Ainsi le fait de participer au Soleil consiste agrave

sexposer au Soleil pour recevoir son rayonnement De mecircme dans le domaine

intelligible il faut que lacircme sexpose aux Formes pour recevoir leur rayonnement Si

lon reste dans une caverne on ne reccediloit jamais le rayonnement du Soleil La caverne

dans le domaine intelligible est lignorance

I332 La penseacutee (νόημα) et la Forme

Le terme νόημα est rare dans le corpus platonicien2 et Socrate ne le prononce quune

seule fois en ces termes3

Socrate Agrave moins Parmeacutenide reacutetorqua Socrate que chacune de ces Formes ne soit une penseacutee (νόημα) et que nulle part ailleurs que dans les acircmes il ne convienne quelle ne vienne agrave existence De la sorte en effet chaque Forme serait une chose et naurait plus agrave subir les diffculteacutes de tout agrave lheure

Parmeacutenide En ce cas reacutepliqua Parmeacutenide chacune de ces penseacutees est une chose mais ce nest la penseacutee de rien 4

La penseacutee est une faculteacute de lacircme En effet une chose deacutepourvue dacircme ne peut en

1 Ibid 131 a ndash b2 laquo Le terme grec que traduit le franccedilais penseacutee est νόημα Ce terme est rare dans le corpus

platonicien Il ne se trouve que dans le Politique (206 d) le Banquet (197 e) le Meacutenon (95 e) et le Sophiste ( 237 d et 258 d qui est une citation de Parmeacutenide (DK 28 B 71-2)) Cela dit le sens agrave donner agrave νόημα nest pas clair Le suffxe -μα quon peut accrocher agrave divers thegravemes ἧ- πρᾶγ- par exemple preacutesente deux sens il peut indiquer dans son sens actif lactiviteacute de et dans son senspassif le reacutesultat de cette activiteacute Par voie de conseacutequence νόημα peut indiquer soit lacte de penser soit la penseacutee comme reacutesultat dun acte de penser Cest ce second sens quil faut semble-t-il ici privileacutegier et non le premier qui cependant ne peut ecirctre exclu raquo (Parmeacutenide laquo Introduction raquo p39)

3 Dans le Meacutenon Socrate cite quelques vers du poegravete Theacuteognis ougrave se trouve le νόημα qui semble synonyme du νόος citeacute dans le vers preacuteceacutedent Dans le Banquet le mot est prononceacute par Agathon dans le Politique par lEacutetranger aussi bien dans le Sophiste mais il sagit dune citation de Parmeacutenide

4 Parmeacutenide 132 b

68

aucun cas ecirctre capable de penser Cela eacutetant une Forme est une acircme qui ne pense

rien dautre que decirctre elle-mecircme en elle-mecircme en ce sens quelle est agrave la fois

immobile et en mouvement Immobile car elle est absolument autonome en restant

elle-mecircme en elle-mecircme sans jamais ecirctre en devenir ce qui est contraire aux reacutealiteacutes

sensibles sans cesse en devenir cest-agrave-dire au mouvement le ceacutelegravebre preacutecepte

delphique laquo connais-toi toi-mecircme raquo teacutemoigne de la puissance et de la digniteacute du fait

de se connaicirctre soi-mecircme en effet seule la Forme se connaicirct parfaitement

absolument elle-mecircme En mouvement car toute penseacutee est un mouvement mecircme si

le sujet reste au repos en fait lacircme ne se trouve jamais au repos cest la raison pour

laquelle elle est le principe du mouvement spontaneacute dont nous parlerons dans le

chapitre suivant Comme la Forme est une penseacutee pure toute penseacutee consistant agrave se

connaicirctre soi-mecircme est une participation agrave la Forme

I333 Le paradigme et la Forme

Le troisiegraveme thegraveme que propose Socrate pour expliquer la nature de la participation agrave

la Forme est le paradigme

Socrate En bien cette solution-lagrave repris Socrate nest pas raisonnable non plus Mais voici Parmeacutenide ce qui me semble agrave moi ecirctre la meilleure explication Alors que ces Formes sont des modegraveles (παραδείγματα) qui subsistent dans leur nature les autres choses entretiennent avec elles un rapport de ressemblance et en sont les copies en outre la participation que les autres choses entretiennent avec les Formes na pas dautreexplication que celle-ci elles en sont les images1

La Forme est un paradigme dont les choses sensibles sont les images ici la deacutefnition

du paradigme est claire Formes images le-mecircme-en-soi-et-par-soi devenir

immuable changeant intelligible sensible universel particulier de la sorte tout

mouvement consistant agrave se lancer vers luniversaliteacute limmuabiliteacute agrave se connaicirctre soi-

mecircme est une participation agrave veacuteriteacute cest-agrave-dire agrave la reacutealiteacute veacuteritable

I4 Conclusion

La question de la Forme est dabord une question de lexpression Dans les premiers

dialogues les expressions telles que εἶδος ἰδέα αὐτὸ τὸ x ou αὐτὸ καθ᾽ αὐτὸ x sont

bien preacutesentes mais elles ne deacutesignent pas les reacutealiteacutes intelligibles qui seront deacutefnies

notamment agrave travers le Phegravedre le Pheacutedon et la Reacutepublique La question de la Forme est

avant tout une question de la seacuteparation entre le corps et lacircme ensuite entre le

sensible et lintelligible et la distinction entre la sensation et lintellection

1 Ibid 132 c ndash d

69

La deacutefnition de la Forme est extrecircmement simple ce qui est totalement ecirctre sans

couleur ni fgure intangible et sans meacutelange Ce sont les reacutealiteacutes qui sont en soi et par

soi absolument autonomes Les matheacutematiques teacutemoignent que de telles reacutealiteacutes

existent reacuteellement et ne sont pas une fction ni une hypothegravese mecircme si la

deacutemonstration matheacutematique recourt agrave lhypothegravese Mais les matheacutematiques ne sont

pas des reacutealiteacutes qui sont totalement en soi et par soi puisquon a besoin dun autre

niveau de reacutealiteacute plus eacuteleveacute pour assurer le bon usage des matheacutematiques On voit

bien la neacutecessiteacute de connaicirctre ce qui est

La diffculteacute redoutable ne consiste pas agrave deacutefnir la Forme mais agrave expliquer la

participation des choses sensibles aux Formes Dans le monde sensible le fait de

participer agrave quelque chose agrave une reacuteunion par exemple cest dy prendre une place

une forme de possession ce qui est le contraire de la participation aux Formes Nous

recevons du Soleil le rayonnement de la sorte la participation au Soleil consiste agrave

sexposer au Soleil afn de recevoir son rayonnement de mecircme pour la participation

aux Formes

Nous navons pas examineacute la question de la Forme du Mal pour une raison tregraves

simple aucun mal ne peut ecirctre en soi et par soi un mal est un mal parce quil ne

participe aucunement agrave ce qui est il ne reccediloit aucun rayonnement de lEcirctre en raison

du fait quil se retranche dans lignorance comme les prisonniers se contentent de

rester enchaineacutes ligoteacutes au fond de la caverne sans jamais sexposer au Soleil

70

Ch II Lacircme73II1 Lacircme comme la fnaliteacute de laction philosophique73

II11 Apologie donne le contexte des premiers dialogues74II111 La jeunesse75II112 Le savoir78II113 La veacuteriteacute80

II12 Lacircme et le miroir83II121 Le miroir comme producteur dimages83II122 La psychologie comme miroir84II123 Le miroir comme paradigme87

II13 Lacircme corruptible88II131 Confusion entre vrai et faux dans lEuthydegraveme89II132 Confusion entre science et non-science dans lHippias mineur91II133 Confusion entre lacircme et le corps dans le Protagoras94

II14 Lopposition entre lacircme et le corps96II141 Alcibiade le soi-mecircme et lautre97II142 Charmide le tout seacutecable et inseacutecable98II143 Gorgias le corps mortel et lacircme immortelle100

II2 Lacircme comme la fnaliteacute de la connaissance philosophique101II21 Limmortaliteacute de lacircme101

II211 Deacutesir de limmortaliteacute dans le Banquet101II212 Immortaliteacute de lacircme comme solution agrave la mort102II213 Limmortaliteacute de lacircme comme principe de lecirctre104

II22 La structure de lacircme104II221 Lattelage aileacute dans le Phegravedre105II222 La tripartition fonctionnelle dans la Reacutepublique106

II23 Communication entre le sensible et lintelligible107II3 Lorigine de lunivers dans le Timeacutee110

II31 Le deacutemiurge et lunivers112II32 Lacircme humaine114

II4 Conclusion116

71

Ch II Lacircme

Le terme laquo acircme raquo1 deacutefni dans le Phegravedre comme le principe du mouvement (245 c ndash d)

est abondamment preacutesent dans les dialogues de Platon2 surtout sa preacutesence est en

quelque sorte agrave la maniegravere du centre de graviteacute dont les dialogues constituent le

champ de gravitation Ce champ platonicien est caracteacuteriseacute par son heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute

probleacutematique les premiers dialogues sont exclusivement critiques ou aporeacutetiques

et les derniers doctrinaux Premiegravere question comment soumettre agrave lexamen lacircme

sans savoir ce quest lacircme Puisque dans les premiers dialogues lacircme nest pas

deacutefnie alors que rendre lacircme humaine meilleure est lunique action socratique

Deuxiegraveme question si lon peut rendre meilleure lacircme sans savoir ce quelle est

pour quelle neacutecessiteacute faut-il la deacutefnir clairement dans le Pheacutedon la Reacutepublique et le

Phegravedre Troisiegraveme question dans la mesure ougrave la chronologie de la composition des

dialogues platoniciens nest pas remise en question selon laquelle le Timeacutee se trouve

bien apregraves ces trois dialogues citeacutes ougrave limmortaliteacute de lacircme est rigoureusement

deacutefnie alors pour quelle raison faut-il remettre en cause dans le Timeacutee cette

immortaliteacute de lacircme Puisque du moins lacircme du monde dans le Timeacutee eut eacuteteacute

fabriqueacutee par le deacutemiurge3 Cest autour de ces trois questions que nous essayons

danalyser la nature de lacircme

II1 Lacircme comme la fnaliteacute de laction philosophique

Dun point de vue de la chronologie dramatique lApologie peut se lire comme un

reacutesumeacute de la vie philosophique ou de la vie tout court de Socrate La construction la

plus simple du reacutesumeacute dune vie peut prendre la forme suivante le commencement

ou la cause la fn ou laboutissement et lessentiel entre les deux 1 Le

commencement de cette vie philosophique cest le ceacutelegravebre oracle delphique qui

1 Au sujet de lacircme rien nest plus complet que la psycheacute le culte de lacircme chez les grecs et leur croyance agrave limmortaliteacute dErwin Rohde (Paris Les Belles Lettres encre marine 2017) Nous tentons ici un exercice obligatoire quand il sagit dun travail sur les dialogues platoniciens

2 Cf la section intituleacutee laquo La question de lacircme dans la tradition grecque raquo du chapitre 16 laquo Lacircmechez Platon raquo (Brisson Luc Platon Paris Cerf 2017 pp 194 ndash 211) Par rapport aux modegraveles traditionnels de lacircme Platon opegravere deux renversements agrave savoir le monde sensible nest quune image du monde intelligible et la veacuteritable identiteacute des ecirctres humains cest son acircme et non soncorps (p 197 ndash 198)

3 Si laquo le deacutemiurge nest pas un individu mais une fonction raquo (Cf Le mecircme et lautre dans la structure ontologique du Timeacutee de Platon IPS2 1998 3e eacuted p 32) comment une fonction pourrait sexeacutecuter spontaneacutement Nous en parlerons dans la section III laquo Lacircme du monde comme lorigine de lunivers raquo

73

prononccedila que Socrate eacutetait le plus savant parmi les ecirctres humains1 2 La fn cest sa

condamnation agrave mort comme si la mort mecircme eacutetait laboutissement de la

philosophie et non pas une cause de peur 3 Voici lessentiel

Ma seule affaire est daller et de venir pour vous persuader jeunes et vieux de navoir point pour votre corps et votre fortune de souci supeacuterieur ou eacutegal agrave celui que vous devez avoir concernant la faccedilon de rendre votre acircme la meilleure possible et de vous dire laquo ce nest pas de la richesse que vient la vertu mais cest de la vertu que viennent les richesses et tous les autres biens pour les particuliers comme pour lEacutetat raquo2

Ce passage souligne que 1 lacircme est supeacuterieure au corps comme la vertu est

supeacuterieure aux richesses et agrave tous les autres biens particuliers 2 La seacuteparation entre

lacircme et le corps est deacutejagrave perceptible certes la nature et le sens de cette seacuteparation

restant agrave deacuteterminer 3 La connaissance de la vertu et des richesses est diffeacuterente

puisque lune se rapporte agrave lacircme lautre au corps bien que cette distinction ne soit

pas encore explicite Ces trois points illustrent que le fait que rendre lacircme meilleure

consiste en veacuteriteacute agrave nourrir lacircme de la vertu Cela eacutetant lenjeu est la nourriture de

lacircme En effet si la nourriture du corps peut se vendre sacheter il ny a pas de

raison de ne pas penser que la nourriture de lacircme ne peut pas se vendre sacheter

dailleurs le meacutetier de sophiste le prouve Par contre si cette nourriture de lacircme ne se

vend pas ni sachegravete nulle part la tacircche premiegravere consiste eacutevidemment agrave combattre

les sophistes mdash ce qui est la tacircche des premiers dialogues mdash avant de chercher agrave

connaicirctre comment acqueacuterir cette nourriture de lacircme mdash ce qui est la mission des

dialogues tardifs Mais dans cette section (II1) nous nous concentrons sur la tacircche

critique et dans la section suivante (II2) sur la mission doctrinale

II11 Apologie donne le contexte des premiers dialogues

En 399 av J-C Socrate fut condamneacute agrave mort3 Voici les chefs daccusation

Cela eacutetant4 Atheacuteniens il est juste que je me deacutefende dabord contre les premiegraveres accusations mensongegraveres qui ont eacuteteacute porteacutees contre moi et contre mes premiers accusateurs et ensuite contre les accusations qui ont eacuteteacute reacutecemment porteacutees contre moicontre mes accusateurs reacutecents raquo5

1 Voir Apologie 21 a2 Apologie 30 a ndash b3 Pour connaicirctre le contexte historique et politique du procegraves la conseacutequence de la condamnation et

le sens philosophique de la mort de Socrate cf laquo La deacutefaite dAthegravenes et la condamnation agrave mort de Socrate raquo supra Platon pp 37 ndash 43 Voir aussi Lettre VII de Platon 324 c ndash 325 c

4 Il sagit de ceci laquo La seule chose quil vous faut consideacuterer et agrave laquelle vous devez precircter votreattention cest de deacuteterminer si mes alleacutegations sont justes ou non Telle est en effet la vertu du juge tandis que celle de lorateur est de dire la veacuteriteacute raquo (18 a)

5 Apologie 18 a Parmi ces trois chefs daccusations on ne voit pas le motif politique du procegraves dapregraves Platon le procegraves semble politique laquo Mais je ne sais par quel hasard de nouveau ce Socrate notre compagnon des gens au pouvoir le traduisent devant un tribunal la plus impie des accusations et

74

Il y a deux choses en commun entre laquo les premiegraveres accusations raquo cest-agrave-dire les

accusations anciennes colporteacutees dans Les Nueacutees dAristophane depuis 426 av J-C et

laquo les accusations reacutecentes raquo (en 399) agrave savoir 1 les trois chefs daccusation sont

identiques corruption de la jeunesse meacutepris des dieux de la citeacute et reconnaissance

des diviniteacutes nouvelles1 2 la cause des accusations anciennes et reacutecentes est la

mecircme agrave savoir la jalousie En effet loriginaliteacute de lApologie cest lanalyse de la

cause des accusations mensongegraveres laquo Tous ceux qui pousseacutes par la jalousie ont eu

recours agrave la calomnie raquo (18 d) La question se pose de quoi ces accusateurs anciens et

reacutecents eacutetaient-ils jaloux envers Socrate La reacuteponse se trouve dans les trois chefs

daccusation jaloux de la jeunesse du savoir et de la preacutedilection dun dieu pour

Socrate En effet tout pouvoir peut susciter la jalousie puisque la socieacuteteacute humaine est

fondamentalement une socieacuteteacute de pouvoir Or le fait decirctre entoureacute de la jeunesse est

un signe de puissance le plus beau pouvoir2 Ensuite la capaciteacute de reacutefuter les gens

reacuteputeacutes pour leur savoir dans la citeacute est un signe de puissance le plus noble pouvoir

Enfn le courage de dire la veacuteriteacute est un signe de puissance cest la raison pour

laquelle la Pythie lui accorda sa faveur en le deacuteclarant lhomme le plus savant de son

temps3 Cela souligne un puissant pouvoir un pouvoir divin puisque cest un dieu

qui le lui accorda Par conseacutequent il est diffcile en disposant agrave la fois de ces trois

pouvoirs de ne pas susciter la jalousie

II111 La jeunesse

Dans les Nueacutees dAristophane il sagit dune fction qui met en scegravene un certain

Socrate laquo qui se balanccedilait en preacutetendant quil se deacuteplaccedilait dans les airs et en deacutebitant

plein dautres becirctises concernant des sujets sur lesquels je ne suis un expert ni peu ni

prou raquo4 Certes ce nest quune fction mais la conseacutequence sur limage de Socrate est

reacuteelle puisque la reacutepercussion de la piegravece dans la socieacuteteacute agrave leacutepoque est consideacuterable

En effet dans cette fction Socrate dirige une eacutecole imagineacutee par Aristophane et

celle qui de toutes convenait le moins agrave Socrate raquo (Lettres 325 b) laquo Il est donc fort probable que le veacuteritable fondement de son procegraves soit son opposition agrave la deacutemocratie et ses relations avec les personnages aussi malfaisants quun traicirctre agrave Athegravenes comme Alcibiade et des comploteurs qui deacuteclenchegraverent une guerre civile comme Critias et Charmide raquo supra Platon p 32

1 Voir Apologie 24 b ndash c2 laquo Aristophane mdash Agrave mon avis en effet les ecirctres humains ne se rendent absolument pas compte du

pouvoir dEacuteros car sils avaient vraiment conscience de limportance de ce pouvoir ils lui auraient eacuteleveacute les temples les plus somptueux raquo (Banquet 189 c) Notons que dans le discours dAristophaneprononceacute dans le Banquet les amants sont laquo les garccedilons et les adolescents raquo (192 a)

3 Voir Apologie 21 a Par ailleurs dans sa Lettre VII Platon eacutecrit ceci laquo Entre autres choses Socrate mon ami qui eacutetait plus acircgeacute que moi et dont je pense je ne rougirais pas de dire quil eacutetait lhomme le plus juste de cette eacutepoque raquo (324 d ndash e)

4 Apologie 19 c

75

nommeacutee laquo Pensoir raquo (φροντιστήριον) qui nadmet au moyen dun fnancement que

les jeunes et exclut les vieux car les laquo vieilles tecirctes raquo sont laquo oublieuses raquo1 Le but de

cet enseignement consisterait agrave faire triompher toutes les causes bonnes ou

mauvaises

Strepsiade Des acircmes sages cest leacutecole le laquo Pensoir raquo Lagrave dedans habitent des gens qui parlant dun ciel vous persuadant que cest un eacutetouffoir quil est autour de nous et que nous sommes les charbons Ces gens-lagrave vous apprennent moyennant de largent agrave faire triompher par la parole toutes les causes justes et injustes2

Cela reacutepond parfaitement au besoin dun paysan Strepsiade qui cherchait agrave eacutechapper

agrave ses creacuteanciers et il fnit par envoyer son jeune fls Phidippide au Pensoir Le succegraves

du fls permet au pegravere de se deacutebarrasser des ses creacuteanciers Et surtout le succegraves de la

piegravece des Nueacutees deacutesormais ceacutelegravebre engendra dans la socieacuteteacute atheacutenienne une image

tregraves neacutegative de Socrate alors vue comme un corrupteur Cette image sera fortement

approuveacutee et renforceacutee par quelques personnages deacutesormais ceacutelegravebres mais perccedilus

comme des traicirctres agrave leacutegard de la deacutemocratie atheacutenienne agrave savoir Alcibiade

Charmide et Critias qui avaient effectivement freacutequenteacute Socrate3 Il semble

quAristophane sinteacuteressait particuliegraverement au sujet des jeunes gens aupregraves de

Socrate

Il exerce un tel ascendant sur les jeunes gens qui forment le cortegravege de ses admirateurs que ceux-ci en viennent agrave adopter certaines de ses habitudes ils se promegravenent nu-pieds cessent de se laver etc Pour deacutecrire ce comportement digne de laquo groupies raquo Aristophane a mecircme creacuteeacute un verbe agrave partir du nom de Socrate dans les Oiseaux il se moque en effet de ceux qui laquo portaient longue chevelure souffraient de la faim eacutetaient sales faisaient les Socrates (ἐσωκράτουν) raquo4

Comme si Socrate eacutetait un redoutable seacuteducteur de jeunes gens Mais en reacutealiteacute

laquo avec un jeune homme ou avec un plus vieux quel que soit celui sur lequel je

tomberai avec quelquun dailleurs ou avec un habitant dAthegravenes mais surtout avec

vous mes concitoyens eacutetant donneacute que par le sang vous mecirctes plus proches voilagrave

comment je comporterai raquo5 Le Banquet de Platon dont la date dramatique se situe en

1 Voir Aristophane Les Nueacutees 789 ndash 795 trad par H Van Daele Paris Les Belles Lettres 19522 Ibid 95 ndash 1003 Les trois dialogues platoniciens qui portent respectivement leurs noms teacutemoignent de cette

freacutequentation Mais il faut reconnaicirctre que laquo dans lentourage de Socrate on trouve aussi deslaquo penseurs raquo qui fondegraverent des eacutecoles deacutefendant des positions tregraves diverses et mecircme opposeacutees raquo (Platon Paris Cerf 2017 p 31) En effet laquo sil arrive que parmi ces gens-lagrave lun devienne un homme de bien et lautre non je ne saurais moi au regard de la justice en ecirctre tenu pourresponsable raquo (Apologie 33 b) car laquo je nai jamais eacuteteacute le maicirctre de personne raquo (33 a) La justice cest que chacun a une acircme qui laquo est la source de tous les maux et de tous les biens raquo (Charmide 165 e) autrement dit chacun est responsable de son ecirctre en bien ou en mal

4 Dorion Louis-Andreacute Socrate Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 9 ndash 105 Apologie 30 a

76

416 soit sept ans apregraves la preacutesentation des Nueacutees en 4231 semble dire que Socrate et

Aristophane se connaissent bien se comportant au Banquet comme amis2 Pourquoi

Aristophane avait-il le plaisir de calomnier son ami quest Socrate laquo Mais le plaisir

pris aux maux de nos amis navons-nous pas dit quil est lœuvre de la jalousie raquo3

La jalousie est une douleur de lacircme4 elle laquo suppose quon eacuteprouve du chagrin

devant le bien qui eacutechoit agrave autrui raquo5 Ce bien qui eacutechoit agrave Socrate ce sont les jeunes

gens dont beaucoup sont beaux et issus dune belle famille

En effet dans Athegravenes classique la παιδεραστία joue un rocircle social et eacuteducatif Par le

rocircle social ladulte introduit ladolescent dans le monde masculin et dominant de la

socieacuteteacute Par le rocircle eacuteducatif le maicirctre transmet agrave leacutelegraveve ou au disciple un savoir ou

une vertu laquo par lintermeacutediaire dun contact physique (simple touche ou peacuteneacutetration

et eacutejaculation dans lunion sexuelle) raquo6 Comme il sagit dune culture on a toutes les

raisons de penser que Socrate pratiquerait aussi ce modegravele eacuteducatif Mais en veacuteriteacute

cest le contraire car Socrate reacutesiste agrave la plus belle tentative de ce genre Cest

dailleurs le jeune et beau Alcibiade qui la raconteacute

Alcibiade Je me soulevai donc et sans lui laisser la possibiliteacute dajouter le moindre mot jeacutetendis sur lui mon manteau mdash en effet ceacutetait lhiver mdash je mallongeai sous son grossier manteau jenlaccedilai de mes bras cet ecirctre veacuteritablement divin et extraordinaire et je restai coucheacute contre lui toute la nuit Lagrave-dessus non plus Socrate tu ne diras pas que je mens Au vu des efforts que moi javais consentis sa supeacuterioriteacute agrave lui saffrmait dautant il deacutedaigna ma beauteacute il sen moqua et se montra insolent agrave son eacutegard Et ceacutetaitpreacuteciseacutement lagrave que jimaginais avoir quelque chance messieurs les juges car vous ecirctes juges de la superbe de Socrate Sachez-le bien Je le jure par les dieux par les deacuteesses je me levai apregraves avoir dormi aux cocircteacute de Socrate sans que rien de plus ne se fucirct passeacute que si javais dormi aupregraves de mon pegravere ou de mon fregravere7

Dans une socieacuteteacute tellement masculine et impreacutegneacutee dune culture de paiderastia

sachant que cette culture avait perdureacute depuis leacutepoque minoenne8 le fait dexercer

un tel ascendant socratique sur les jeunes gens suscite ineacutevitablement de la jalousie agrave

toute sorte de gens poegravetes artisans et politiques que repreacutesentent en effet les trois

accusateurs contre Socrate

Et cest en sappuyant sur ces calomnies que Meacuteleacutetos de concert avec Anytos et Lycon me

1 Cf Banquet laquo Introduction raquo p 232 Les Nueacutees montre que Socrate et Aristophane se connaissaient bien avant 4233 Phliegravebe 50 a4 Voir Philegravebe 47 e ndash 49 e5 laquo La notion de PHTHOacuteNOS chez Platon raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 219 ndash 234 p 221 ndash

2226 Dictionnaire Platon Paris Ellipses 2007 lentreacutee laquo Paiderastia raquo p 1127 Banquet 219 b ndash d8 Supra Dictionnaire Platon p 111

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sont tombeacutes dessus Meacuteleacutetos exprime lhostiliteacute des poegravetes Anytos celle des gens de meacutetier et Lycon celle des orateur cest-agrave-dire des dirigeants politiques1

Certes ici Socrate na pas citeacute les sophistes cest probablement parce quils

sinteacuteressent plus agrave leur salaire quaux attraits de la jeunesse Or leurs clients sont les

jeunes gens Ainsi lorsque Socrate critique lenseignement des sophistes et

deacuteconseille les jeunes gens de le suivre2 et par conseacutequent moins deacutelegraveves moins de

reacutetribution agrave gagner moins de reconnaissance agrave teacutemoigner tout cela ne pouvait pas

plaire aux sophistes Au fond le veacuteritable corrupteur de lacircme des jeunes ce sont les

sophistes puisque chacun deux vend un enseignement nocif pour lacircme et

particuliegraverement pour lacircme des jeunes gens Cest pourquoi dans les premiers

dialogues les sophistes sont les premiers agrave combattre pour Socrate car ils sont

beaucoup plus dangereux pour les jeunes gens que les autres types dignorance

II112 Le savoir

Agrave cette eacutepoque le fait decirctre savant comme les sophistes signife quon laquo leur donne

de largent en leur teacutemoignant en plus de la reconnaissance raquo3 largent et la

reconnaissance sont source de jalousie Or en effet Socrate ne possegravede pas un tel

savoir

Dans lApologie Socrate cite dabord Aristophane en faisant un tregraves court reacutesumeacute des

Nueacutees dont nous avons deacutejagrave lu la premiegravere moitieacute

Un Socrate qui se balanccedilait en preacutetendant quil se deacuteplaccedilait dans les airs et en deacutebitant plein dautres becirctises concernant des sujets sur lesquels je suis un expert ni peu ni prou En disant cela je nai pas lintention de deacutenigrer ce genre de savoir agrave supposer que lontrouve quelquun de savant en de telle matiegravere puisseacute-je navoir pas agrave me disculper en plus de plaintes en ce sens deacuteposeacutees par Meacuteleacutetos raquo4

Les sujets sur lesquels Socrate est un expert ni peu ni prou deacutesignent tout au plus les

savoirs particuliers ou les compeacutetences techniques Peu apregraves Socrate cite le nom de

trois grands sophistes agrave savoir Gorgias Prodicos Hippias et puis le nom dun

rheacuteteur peu connu Eacuteveacutenos de Paros5 Il est citeacute pour cette raison

Socrate Qui est-ce repartis-je dougrave est-il et combien prend-il pour enseigner

1 Apologie 23 e ndash 24 a2 Cest le cas dans la premiegravere partie du Protagoas ougrave Socrate deacuteconseille le jeune Hippocrate de

suivre lenseignement du sophiste dAbdegravere en raison du fait que cet enseignement est dangereux pour lacircme

3 Apologie 20 a4 Apologie 19 c5 Il est citeacute dans le Pheacutedon comme philosophe (60 c ndash d 61c) cest un sujet agrave caution puisque nous

allons le voir il enseigne contre une reacutetribution non neacutegligeable mais dans le Phegravedre il est citeacute comme rheacuteteur (267 a)

78

Callias Socrate reacutepondit-il cest Eacuteveacutenos de Paros et il prend 5 mines1

Sil sgit du salaire journalier qui seacutelegraveve agrave 5 mines2 cela eacutequivaut agrave deux ans de

salaire dun ouvrier qualifeacute car il fallait 100 drachmes pour faire 1 mine certes laquo ce

qui ne semble pas excessif raquo3 mais le rapport des salaires (1 sur 500) semble

consideacuterable sans compter le fait que la notorieacuteteacute dEacuteveacutenos est incomparable avec

celle de Gorgias ou Protagoras par exemple Une drachme repreacutesente le salaire

journalier moyen dun ouvrier qualifeacute cest la valeur de son œuvre qui est quelque

chose dutile un bien utile pour ainsi dire Lenseignement sophiste produit-il 500

fois plus de biens utiles que ce que produit un ouvrier qualifeacute Cest peut-ecirctre

incomparable puisque lun produit une technique sur un objet quand lautre est

censeacute produire un savoir sur lacircme Justement la piegravece des Nueacutees dAristophane a fait

de Socrate un vendeur du savoir comme les sophistes cest pourquoi apregraves avoir citeacute

les quatre sophistes il se deacutefend de posseacuteder un tel savoir

En effet Atheacuteniens cest tout simplement parce que je suis censeacute posseacuteder un savoir que jai reccedilu ce nom De qelle sorte de savoir peut-il bien sagir De celui preacuteciseacutement jesuppose qui se rapporte agrave lecirctre humain Car en veacuteriteacute il y a des chances que je sois un savant en ce domaine En revanche il est fort possible que ceux que je viens deacutevoquer soient des savants qui possegravedent un savoir dun rang plus eacuteleveacute que celui qui se rapporte agrave lecirctre humain autrement je ne sais que dire Car cest un fait que moi je ne possegravede point ce savoir quiconque preacutetend le contraire profegravere un mensonge et cherche agrave me calomnier4

Le fait que Socrate ne possegravede point ce savoir sophistique signife quil ne pratique

jamais le meacutetier de sophiste Cest une question doublement eacutethique 1 Si on vend

un savoir on risque fort decirctre escroc car pour avoir un bon salaire et une bonne

reacuteputation on vante ineacutevitablement son enseignement autrement dit on ment pour

son propre inteacuterecirct ce qui est le contraire du mensonge vrai qui est pratiqueacute pour

linteacuterecirct des autres cest le sens politique du mensonge vrai tel quon peut le lire

dans le livre III de la Reacutepublique5 2 Le savoir du sophiste est un poison pour lacircme il

corrompt lacircme de ceux qui le reccediloivent en les rendant plus ignorants car les

sophistes ne savent pas ce quest la vertu quils preacutetendent enseigner En effet laquo de la

1 Apologie 20 b2 Cf Hansen Mogens-Herman La deacutemocratie atheacutenienne agrave leacutepoque de Deacutemosthegravene Structure principes et

ideacuteologie Paris Tallandier Texo 2009 laquo Peacutericlegraves introduisit le salaire journalier dabord pour les jureacutes sieacutegeant au Tribunal du Peuple 150 puis pour les membres du Conseil et les autres magistrats raquo (p 62) laquo Le salaire journalier par exemple eacutetait le mecircme sans consideacuteration de statut agrave la fn du Ve siegravecle un citoyen un meacutetegraveque et un esclave gagnaient semblablement leur drachme quotidienne (p 89)

3 Apologie laquo Notes raquo ndeg 54 p 1354 Apologie 20 d ndash e5 Voir Reacutepublique III 414 b ndash 415 c

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vertu personne nest le maicirctre raquo1 ni mecircme Socrate

Pour ma part je nai jamais eacuteteacute le maicirctre de personne [hellip] Et sil arrive que parmi ces gens-lagrave lun devienne un homme de bien et lautre non je ne saurais moi au regard de la justice en ecirctre tenu pour responsable car je nai jamais promis agrave aucun deux denseignerrien qui sapprenne et je nai pas donneacute un tel enseignement Et si quelquun preacutetend avoir jamais en priveacute appris quelque chose de moi ou mavoir entendu parler de quelque chose dont personne dautre nest au courant sachez bien quil ne dit pas la veacuteriteacute2

Cest sur ce point concernant lenseignement de la vertu que Socrate et les sophistes

sont diameacutetralement opposeacutes Pour Socrate la vertu ne senseigne pas (nous en

discuterons dans le chapitre V laquo La vertu raquo) mais pour les sophistes oui cest

justement ce en quoi consiste le savoir des sophistes agrave savoir enseigner ce qui ne

senseigne pas en tout cas il est absurde denseigner ce que lenseignant ne possegravede

pas sinon il doit savoir ce quest la chose quil preacutetend enseigner la vertu par

exemple Cest la raison pour laquelle la reacutefutation est une neacutecessiteacute dans les premiers

dialogues car il est absolument neacutecessaire de deacutetruire limage du savoir telle quelle

eacutetait graveacutee dans la meacutemoire collective agrave Athegravenes en soumettant les gens reacuteputeacutes

pour leur savoir

II113 La veacuteriteacute

Si nous reacutesumons lApologie dune maniegravere minimaliste avec quelques mots cela

pourrait ecirctre ceci Socrate dit la veacuteriteacute alors que les orateurs ne disent que le

vraisemblable Cest en ce sens que lApologie nest pas laquo un discours de type

judiciaire raquo3 car dans une plaidoirie judiciaire laccuseacute cherche des circonstances

atteacutenuantes ainsi il ne peut dire toute la veacuteriteacute alors que le discours de Socrate est

insolent mecircme jusquagrave ce quil propose laquo decirctre nourri dans le prytaneacutee raquo comme

contre-proposition agrave laquo la peine agrave laquelle Meacuteleacutetos propose de me condamner est la

mort raquo4 Par ce procegraves Socrate se transforme du statut daccuseacute agrave celui de juge il juge

les accusants anciens et reacutecents et les citoyens qui ont voteacute contre lui On voit bien

que Socrate ne cherche pas agrave apaiser lanimositeacute de ses accusateurs mais en quelque

sorte agrave lamplifer un peu plus car le prytaneacutee laquo eacutetait une survivance de leacutepoque ougrave

les rois faisaient lhonneur agrave leur hocircte de partager leur table raquo5 Mais pourquoi une

1 Reacutepublique X 617 e2 Apologie 33 a 33 b3 Cf Foucault Michel Le courage de la veacuteriteacute Le gouvernement de soi et des autres Paris Gallimard mdash

Seuil Cours au Collegravege de France 1984 2009 p 68 Voici son argument laquo comme tout bon discours judiciaire en tout cas beaucoup de plaidoirie [par la proposition] Mes adversaires mentent moi je dis la veacuteriteacute raquo (p 68)

4 Voir Apologie 36 b ndash 37 a5 Apologie laquo Notes raquo ndeg 258 p 155 laquo [hellip] Il faut dire que le prytaneacutee neacutetait pas le mecircme bacirctiment

80

telle insolence Cest parce que la veacuteriteacute est insolente celui qui cherche linteacuterecirct

personnel sous quelque forme que ce soit ne peut dire toute la veacuteriteacute Par dessus

tout celui qui est eacutetroitement attacheacute agrave linteacuterecirct personnel a certainement pour

habitude de ne pas dire toute la veacuteriteacute En effet dire la veacuteriteacute est diffcile car il faut agrave

la fois honnecircteteacute (παρρησία) et courage1

Lhonnecircteteacute cest le franc-parler dire-vrai cest une condition neacutecessaire pour dire la

veacuteriteacute puisque toute veacuteriteacute est franche vraie La question se pose comment peut-on

savoir si quelquun dit la veacuteriteacute cest-agrave-dire la concordance entre son dire et sa penseacutee

qui doit agrave son tour ecirctre en concordance avec la reacutealiteacute La reacuteponse semble se trouver

dans ce passage

Ces gens-lagrave nont donc je le reacutepegravete rien dit de vrai ou presque tandis que de ma bouchecest la veacuteriteacute toute la veacuteriteacute que vous entendrez sortir Non bien sucircr Atheacuteniens ce ne sont pas par Zeus des discours eacuteleacutegamment tourneacutes comme les leurs ni mecircme des discours quembellissent des expressions et des termes choisis que vous allez entendre mais des choses dites agrave limproviste dans les termes qui me viendront agrave lesprit2

Les discours eacuteleacutegamment tourneacutes embellis et agreacuteables agrave entendre cest une question

dhonnecircteteacute envers soi-mecircme envers les auditeurs et surtout envers la veacuteriteacute (la

reacutealiteacute ou lοὐσία) comme si soi-mecircme les auditeurs et la veacuteriteacute eacutetaient des amis Or

il ne peut y avoir damitieacute sans honnecircteteacute En effet dire cest dire quelque chose qui

correspond agrave ce quon pense et non pas dire une chose alors quon en pense une

autre cest lhonnecircteteacute agrave eacutegard de soi-mecircme Dire ensuite cest aussi et surtout dire

quelque chose quon peut connaicirctre comprendre ou identifer et non pas quon en est

incapable de saisir ou discerner cest lhonnecircteteacute agrave leacutegard de ceux qui precirctent

loreille Dire enfn cest dire quelque chose duniversel et immuable plutocirct que

quelque chose de particulier qui devient en permanence cest lhonnecircteteacute agrave leacutegard de

la reacutealiteacute cest-agrave-dire de la veacuteriteacute

que la Tholos avec lequel il fut parfois confondu [hellip] En effet le prytaneacutee eacutetait le foyer commun de la citeacute et la coutume agrave laquelle fait allusion Socrate eacutetait une survivance de leacutepoque ougrave les rois faisaient lhonneur agrave leur hocircte de partager leur table Ce privilegravege eacutetait accordeacute aux vainqueurs des jeux agrave Olympie agrave des strategraveges et aux repreacutesentants de certaines familles par exemple les descendants dHarmodios et dAristogiton [hellip] raquo

1 Voici la liste du substantif laquoπαρρησίαraquo et le verbe laquoπαρρησιάζεσθαιraquo Banquet παρρησίᾳ (222 c)Gorgias παρρησίαν (487 a) παρρησίας (487 b) Lachegraves παρρησίας (189 a) Lettre VIII παρρησίᾳ (354 a) Lois I παρρησίας (649 b) II παρρησίας (671 b) III παρρησίαν (694 b) VII παρρησίας (806 d) VIII παρρησίαν (829 d) παρρησίας (829 e) παρρησίαν (835 c) X παρρησίας (908 c) Phegravedreπαρρησίᾳ (240 e) Reacutepublique VIII παρρησίας (557 b) Charmide παρρησιάσομαι (156 a) Gorgias παρρησιάζεσθαι (487 d) παρρησιαζόμενος (491 e) παρρησιαζόμενοςmiddot (492 d) παρρησιάζεσθαι (521 a) Lachegraves παρρησιάζεσθαι (178 a) παρρησιασόμεθα (179 c) Lettre XIII παρρησιάσομαι (362 c) Lois VII παρρησιαζόμενον (811 a) Reacutepublique VIII παρρησιάζεσθαι (567 b)

2 Apologie 17 b ndash c

81

Dire la veacuteriteacute cest aussi et surtout une question de courage Dans lApologie Socrate

cite au moins trois formes de courage en ce qui le concerne 1 Le courage agrave

lencontre du populisme ignorant et de la tyrannie au peacuteril de sa vie Laffaire

dArginuses (32 b)1 en 406 sous le reacutegime deacutemocratique et celle de Salamine Leacuteon (32

c)2 sous la tyrannie de Trente montrent que Socrate risquait sa vie pour faire

respecter la loi et la justice contre toute forme de tyrannie3 2 Le courage envers son

inteacuterecirct personnel La piegravece des Nueacutees dAristophane dont Socrate parle dans

lApologie (19 c) a eacuteteacute repreacutesenteacutee pour la premiegravere fois en 423 av J-C et il fut

condamneacute agrave mort en 399 cette condamnation mecircme prouve que Socrate navait pas

lintention pendant 23 ans de dissiper la calomnie4 que colportaient les Nueacutees cest

parce que cette calomnie relegraveve de son inteacuterecirct personnel alors que la philosophie est

son unique preacuteoccupation deacutepassant son inteacuterecirct personnel Dailleurs Socrate insiste

sur sa pauvreteacute (31 c 36 d 38 b)5 Au deacutebut du chapitre nous avons dit que la

richesse est une valeur du corps elle est une source de deacutesirs et de plaisirs ainsi

laquo ecirctre courageux cest non seulement affronter la peur ou la douleur mais aussi

reacutesister aux deacutesirs et aux plaisirs raquo6 qui relegravevent en effet de linteacuterecirct personnel 3 Le

courage vis-agrave-vis de la politique

Car sachez-le Atheacuteniens si javais entrepris de me mecircler des affaires de la citeacute il y a longtemps que je serais mort et que je ne serais plus daucune utiliteacute ni pour vous ni pour moi-mecircme7

Comment comprendre cette situation quelque peu paradoxale Dune part il navait

pas peur de mourir en disant la veacuteriteacute mais dautre part il eacutevitait de faire de la

politique Et surtout quel est le rapport entre le courage et le renoncement agrave la

1 Cf Apologie laquo Notes raquo ndeg 202 p 150 laquo [hellip] En fait ils neacutetaient pas dix mais six seulement en effet Conon ne fut pas accuseacute Archestratos eacutetait mort au combat et deux autres strategraveges avaient refuseacute de rentrer agrave Athegravenes et furent condamneacutes par contumace[hellip] raquo

2 Couramment on parle de laquo [hellip] Leacuteon de Salamine raquo laquo Leacutepithegravete ldquode Salaminerdquo utiliseacutee par Platon ici et par Xeacutenophon dans ses Helleacuteniques (II 3 39) ne signife pas que ce neacutetait pas un Atheacutenien Leacuteon eacutetait un citoyen atheacutenien (Lettre VII 324 e ndash 325 c) et il seacutetait reacutefugieacute dans licircle de Salamine qui nest pas tregraves eacuteloigneacutee dAthegravenes (Apologie 32 c 32 d Lettre VII 325 c) raquo (Apologie laquo Notes raquo ndeg 210 p 151)

3 Mecircme dans la deacutemocratie tout pouvoir qui ne respecte pas la loi et qui meacuteprise la justice est une forme de tyrannie

4 Socrate insiste sur le lien entre sa condamnation et la calomnie des Nueacutees laquo Et ce qui est susceptiblede me faire condamner si je suis condamneacute ce nest ni Meacuteleacutetos ni Anytos mais la calomnie transmise par beaucoup de gens et leur jalousie raquo (28 a)

5 laquo Cela dit le fait que Socrate ait participeacute agrave des campagnes militaires comme hoplite implique quildevait payer son armure lourde qui coucirctait assez cher et donc quil posseacutedait quelques biens Peut-ecirctre eacutetait-il devenu pauvre par la suite raquo (Apologie laquo Notes raquo ndeg 95 p 140)

6 Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81c5-d5) raquo International Plato Studies V 25 2007 pp 199 ndash 203 p 202

7 Apologie 31 d ndash e

82

politique En veacuteriteacute Socrate est destineacute agrave philosopher et non pas agrave faire de la

politique cest pourquoi il ne sagit pas dun renoncement agrave la politique Cela admis

sil faisait autre chose que de philosopher laquo ce serait lagrave deacutesobeacuteir au dieu raquo (38 a)

cest-agrave-dire refuser sa destineacutee ainsi il commettrait une injustice agrave leacutegard du dieu

mais aussi de lui-mecircme Au fond chaque vie humaine est destineacutee simplement tregraves

souvent on na pas assez de courage pour reacutesister aux tentatives dabandonner le

chemin de la destineacutee

II12 Lacircme et le miroir

Le terme κάτοπτρον (miroir) nest pas rare mais pas tregraves freacutequent non plus dans le

corpus platonicien avec seize occurrences dont trois dans lAlcibiade trois dans le

Sophiste et quatre dans le Timeacutee et surtout dans ces trois cas lemploi du terme est

tregraves regroupeacute1 On y trouve trois regards porteacutes sur le miroir pour illustrer trois

niveaux de reacutealiteacute de lacircme agrave savoir le miroir comme producteur dimage la

psychologie comme miroir et le miroir comme paradigme

II121 Le miroir comme producteur dimages

Toute surface reluisante et lisse est un miroir qui refegravete des images LEacutetranger du

Sophiste compare le sophiste agrave un producteur dimages

LEacutetranger Eh bien si tu es daccord mettons-nous de cocircteacute toi et moi Et jusquagrave ce que nous trouvions quelquun qui soit capable daccomplir cette tacircche disons que le sophiste sestcacheacute le plus habillement du monde dans un endroit ougrave il est diffcile agrave acceacuteder

Theacuteeacutetegravete Il semble bien

LEacutetranger Voilagrave donc pourquoi si nous affrmons quil maicirctrise une certaine technique des illusions il lui sera facile de nous contredire en utilisant nos arguments il les retournera contre nous et enfn lorsque nous dirons quil est un producteur dimages il nous demandera ce que nous appelons en fait image Il faut donc examiner Theacuteteacutetegravete ce que nous reacutepondrons agrave cet insolent

Theacuteeacutetegravete Il est eacutevident que nous eacutevoquerons les images que lon voit sur leau et sur les miroirs (κατόπτροις) ainsi que les images peintes ou sculpteacutees et dautres choses analogues et du mecircme genre2

1 Alcibiade κάτοπτρά (132 e) κατόπτρῳ (133 a) κάτοπτρά (133 c) Lois X κατόπτροις (905 b)Phegravedre κατόπτρῳ (255 d) Reacutepublique III κατόπτροις (402 b) X κάτοπτρον (596 d) Sophiste κατόπτροις (239 d) κατόπτροις (239 e) κάτοπτρα (239 e) Theacuteeacutetegravete κατόπτροις (193 c) κάτοπτρον (206 d) Timeacutee κατόπτρων (46 a) κατόπτρων (46 c) κατόπτρῳ (71 b) κατόπτρῳ (72 c) En revanche le terme ἔσοπτρον qui veut dire aussi le miroir est totalement absent dans le corpus platonicien Par ailleurs lauthenticiteacute de ces paragraphes entre 132 c et 133 c de lAlcibiade semble confrmeacutee car lemploi du terme dans les trois dialogues agrave savoir le Sophiste lAlcibiade et le Timeacutee est tregraves regroupeacute

2 Sophiste 249 c ndash d

83

Le miroir est laquo reluisant et lisse raquo1 laquo un lieu sans lieu raquo2 il produit des images

illusoires cest-agrave-dire qui ne participent nullement agrave lintelligible En effet il y a deux

sortes dimages 1Les reacutealiteacutes sensibles sont les images des reacutealiteacutes intelligibles elles

sont en effet les lieux reacuteels car laquo la χώρα donne donc son mode dexistence agrave la chose

sensible en lui fournissant un lieu ougrave elle apparaicirct et dougrave elle disparaicirct raquo3 le lieu est

une condition de travail (ἔργον) 2 Les images produites par le refet du miroir sont

deacutepourvues de lieu4 certes la surface dun miroir est un lieu mais pas les images

refeacuteteacutees Prenons un exemple pour ecirctre preacutecis est une image du Lit un lit particulier

sur lequel on peut se reposer alors quune toile en laine tendue sur un chacircssis en bois

est un lieu ougrave un peintre peut peindre un lit ou autres choses mais cest la toile qui

est un lieu et non limage peinte sur la toile autrement dit comme image la toile en

laine est un lieu reacuteel deacutedieacute agrave œuvrer comme image un lit peint sur la toile est un

lieu illusoire fait pour tromper heacutelas involontairement comme la peinture en

perspective

La diffeacuterence fondamentale entre ces deux types dimages reacuteside aussi dans le point

suivant En tant quimages du monde intelligible les choses sensibles se trouvent

structureacutees matheacutematiquement physiquement chimiquement cest pourquoi elles

sont objets de connaissance alors que les images se trouvant refeacuteteacutees sur la surface

du miroir sont deacutepourvues de ces proprieacuteteacutes si ce nest que les proprieacuteteacutes du miroir

cest la raison pour laquelle ces images ne peuvent faire lobjet daucune

connaissance

II122 La psychologie comme miroir

Nous parlons ici dabord de la question de la psychologie avant danalyser le rapport

entre la psychologie et le miroir Dans le Philegravebe Socrate eacutenumegravere sept fgures

psychologiques agrave savoir la colegravere (ὀργή) la peur (φόβος) le regret (πόθος) le deuil

(θρῆνος) le deacutesir (ἔρως) lenvie (ζῆλος) et la jalousie (φθόνος)5 qui sont laquo les

douleurs de lacircme elle-mecircme raquo (47 e) auxquelles se meacutelangent des plaisirs6 comme

1 Timeacutee 46 a2 Foucault Michel laquo Des espaces autres raquo Empan ndeg 54 2004 pp 12 ndash 19 p 153 Brisson Luc laquo Agrave quelles conditions peut-on parler de matiegravere dans le Timeacutee de Platon raquo Revue de

meacutetaphysique et morale 2003 ndeg 1 pp 5 ndash 21 p 74 Cf Merker Anne laquo Miroir et χώρα dans le Timeacutee de Platon raquo Eacutetudes platoniciennes ndeg 2 2006 pp 27

ndash 92)5 Philegravebe 47 e 50 b ndash c Agrave propos de la diffeacuterence entre lenvie et la jalousie cf laquo La notion de φθόνος

chez Platon raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 219 ndash 2346 Ibid 48 a laquo ἡδονὰς ἐν λύπαις οὔσας ἀναμεμειγμένας raquo

84

cest le cas lors que lon assister agrave une trageacutedie on se reacutejouit et pleure agrave la fois1 et

laquo leacutetat de notre acircme lors des comeacutedies ne vois-tu pas quil est lui aussi un meacutelange

de douleur et de plaisir raquo2 En effet dans le Philegravebe on peut constater que de trois

maniegraveres lacircme entretient son rapport avec les formes intelligibles agrave savoir 1 de la

maniegravere sensible qui est une maniegravere reacuteelle mais indirecte agrave travers la sensation mais

toute sensation elle-mecircme nest quun mouvement qui permet de transmettre agrave lacircme

certaines affections (πάθη ou παθήματα) perccedilues par le corps afn de deacuteclencher

dautres mouvements supeacuterieurs quest lintellection3 en dautres termes toute

connaissance par sensation nest pas encore science 2 de la maniegravere intelligible agrave

travers des reacuteminiscences (ἀναμνήσεις)4 qui constituent une science (ἐπιστήμη)

cest-agrave-dire la connaissance de ce qui est 3 de la maniegravere psychologique il sagit de

simaginer par plaisir lexistence dune reacutealiteacute qui nexiste nulle part par exemple

ceux laquo qui se croient plus grands et plus beaux quils ne le sont raquo eacutetaient emporteacutes par

la jalousie5 qui est un meacutelange de douleur et de plaisir

En effet la psychologie est le fait de simaginer une reacutealiteacute qui ne correspond pas agrave la

reacutealiteacute Le passage suivant deacutecrit mieux le meacutecanisme de leacutetat psychologique de

maniegravere plus geacuteneacuterale

Socrate Et maintenant pose dans lacircme elle-mecircme lopinion par anticipation (προσδόκημα) de ces impressions dune part lattente plaisante et confante qui preacutecegravede les choses plaisantes et dautre part lattente craintive et peacutenible qui preacutecegravede les choses douloureuses6

Le terme προσ-δόκημα dit clairement la nature de la psychologie avoir de lopinion

par fantaisie une opinion qui soppose dune part agrave lopinion par sensation dautre

part agrave lopinion par raisonnement Dans le Timeacutee la psychologie est deacutecrite comme

un feu inteacuterieur qui produit des simulacres

En effet la protection des yeux que les dieux ont ameacutenageacutee mdash les paupiegraveres mdash

1 Ibid2 Ibid3 En ce qui concerne la deacutefnition de la sensation voir Philegravebe 33 e ndash 34 a le meacutecanisme de la

sensation voir Timeacutee 61 c ndash 69 a cf aussi Brisson Luc laquo L e Timeacutee de Platon et le traiteacute hippocratique Du reacutegime sur le meacutecanisme de la sensation raquo Eacutetudes platoniciennes 10 2013 etudesplatoniciennesrevuesorg

4 La question de la reacuteminiscence nest eacutevoqueacutee que dans trois courtes reacutepliques (Philegravebe 34 b ndash c)notons que le terme laquo ἀνάμηνσις raquo y est eacutevoqueacute dans le but de le distinguer des souvenirs (μνήμας) qui sont lieacutes agrave la sensation cela eacutetant par lopposition cette distinction souligne explicitement que la reacuteminiscence est lieacutee agrave lintellection mecircme si Platon ne donne aucuneexplication sur la reacuteminiscence dans le Philegravebe En effet le Philegravebe est lun des tous derniers dialogues reacutedigeacutes par Platon agrave lAcadeacutemie cela suppose que les lecteurs de lAcadeacutemie lisaient certainement ces trois dialogues qui preacutecegravedent le Philegravebe agrave savoir le Meacutenon le Pheacutedon et le Phegravedre

5 Voir Philegravebe 48 e ndash 49 a6 Ibid 32 b ndash c

85

lorsquelles se ferment enferment agrave linteacuterieur la puissance du feu inteacuterieur qui se reacutepand et apaise les mouvements qui se produisent agrave linteacuterieur de lecirctre humain Quand ces mouvements sont apaiseacutes survient le repos et sil sest installeacute un repos profond un sommeil presque sans recircve survient En revanche sil subsiste des mouvements assez violents ces mouvements suivant leur nature et les lieux ougrave ils persistent produisent des simulacres (φαντάσματα) de mecircme nature et en mecircme nombre qui sont des repreacutesentations inteacuterieures et des souvenirs de choses exteacuterieures dont on a fait lexpeacuterience agrave leacutetat de veille

Comprendre ce qui concerne la production dimages sur les miroirs et sur les surfacesreluisantes et lisses noffre plus aucune diffculteacute apregraves ce quon vient de dire1

Que signife ici le miroir Pas facile agrave comprendre dans ce contexte en tout cas cest

Timeacutee lui-mecircme qui annonce quon aurait de la diffculteacute agrave comprendre le miroir si

on ne precirctait pas loreille agrave laquo ce quon vient de dire raquo Or laquo ce quon vient de dire raquo

concerne particuliegraverement les mouvements du feu inteacuterieur qui peuvent produire

des simulacres cest-agrave-dire des images deacutepourvues de reacutealiteacute quand ils sont violents

cest-agrave-dire deacutepourvus dharmonie Cela eacutetant 1 tout feu est illimiteacute cest la raison

pour laquelle le fait de maicirctriser le feu exige de la mesure de mecircme pour le feu

inteacuterieur qui est la source de tous mouvements inteacuterieurs mais cest lacircme qui est

responsable de lusage mesureacute ou deacutemesureacute de cette source Dans le cas de la

deacutemesure le feu inteacuterieur ne peut ecirctre reacutepandu harmonieusement sur la totaliteacute du

corps ainsi quand il se concentre par exemple sur le foie cela produit certains

mouvements de colegravere sur le cœur certains mouvements de tristesse ou de joie

excessive et ainsi de suite laquo suivant leur nature et les lieux raquo En dautres termes tous

ces mouvements inteacuterieurs apaiseacutes ou violents sont des mouvements

psychologiques puisque cest lacircme qui est le maicirctre du feu inteacuterieur 2 Quand il

sagit de mouvements violents qui produisent des simulacres ils ont la mecircme nature

que le miroir qui lui aussi produit des simulacres cest-agrave-dire des images qui ne

correspondent agrave aucune reacutealiteacute 3 Le miroir synonyme du narcissisme permet

quon sappreacutecie soi-mecircme sans limite et la beauteacute y perd du sens puisque limage

refeacuteteacutee paraicirct au sujet beaucoup plus belle que la reacutealiteacute ne lest En reacutealiteacute ce nest

pas le miroir qui rend le sujet plus beau ou plus laid mais cest la psychologie En

effet comme un miroir la psychologie seacuteduit soi-mecircme cest la raison pour laquelle

la jalousie est diffcile agrave eacuteteindre et cest pourquoi plus geacuteneacuteralement beaucoup de

gens se contentent de vivre dans la psychologie comme si elle eacutetait un abri qui les

protegravegerait Agrave la diffeacuterence du miroir sophistique dont lillusion porte sur la

connaissance des choses le miroir psychologique porte sur lacircme elle-mecircme et

1 Timeacutee 45 d ndash 46 a

86

quand le feu inteacuterieur est mal maicirctriseacute il fait subir lacircme et corps

II123 Le miroir comme paradigme

Toute chose sensible nest pas toujours bonne ou mauvaise cest une question de bon

usage De mecircme pour le miroir qui en tant que tel est une chose sensible au mecircme

titre quun lit ou un cercle particulier Or une chose sensible a une certaine fonction

propre ainsi la question se pose quel est le bon usage du miroir Dans le passage

suivant de lAlcibiade le miroir est consideacutereacute comme un paradigme

Socrate Comment pourrions-nous maintenant savoir le plus clairement possible ce quest laquo soi-mecircme raquo Il semble que lorsque nous le saurons nous nous connaitrons nous-mecircmes Mais par les dieux cette heureuse parole de linscription delphique que nous rappelions agrave linstant ne la comprenons-nous pas

Alcibiade Quas-tu agrave lesprit en disant cela Socrate

Socrate Je vais texpliquer ce que je soupccedilonne que nous dit et nous conseille cette inscription Il ny en a peut-ecirctre pas beaucoup de paradigmes (παράδειγμα) si ce nest la vue

Alcibiade Que veux-tu dire par lagrave

Socrate Examine la chose avec moi Si ceacutetait agrave notre regard comme agrave un homme que cette inscription sadressait en lui conseillant laquo Regarde-toi toi-mecircme raquo comment comprendrions-nous cette exhortation Ne serait-ce pas de regarder un objet dans lequel lœil se verrait lui-mecircme

Alcibiade Eacutevidemment

Socrate Quel est parmi les objets celui vers lequel nous pensons quil faut tourner notre regard agrave la fois le voir et nous voir nous-mecircme

Alcibiade Cest eacutevidemment un miroir Socrate ou quelque chose de semblable

Socrate Bien dit Mais dans lœil gracircce auquel nous voyons ny a-t-il pas quelque chose de cette sorte

Alcibiade Bien sucircr

Socrate Nas-tu pas remarqueacute que lorsque nous regardons lœil de quelquun qui nous fait face notre visage se reacutefeacutechit dans sa pupille comme dans un miroir (ἐν κατόπτρῳ) ce quon appelle aussi la poupeacutee car elle est une image de celui qui regarde

Alcibiade Tu dis vrai

Socrate Donc lorsquun œil observe un autre œil et quil porte son regard sur ce quil y a de meilleur en lui cest-agrave-dire ce par quoi il voit il sy voit lui-mecircme1

Lœil est un double miroir non seulement la pupille reacutefeacutechit lautre mais aussi et

surtout elle se reacutefeacutechit sur lautre non seulement la pupille lit lautre pupille mais

aussi et surtout elle se lit dans lautre Pour quune acircme se connaisse soi-mecircme il faut

quelle lise le miroir dune autre acircme et se lise dans ce miroir de lautre acircme le miroir

1 Alcibiade 132 c ndash 133 a

87

(la pupille) de lacircme cest-agrave-dire lexcellence de lacircme cest le savoir cest-agrave-dire la

vertu En effet cest ce que deacuteveloppe la derniegravere partie de lAlcibiade (133 b ndash 135 e)

la pupille est lexcellence de lœil le savoir lexcellence de lacircme ou plus

geacuteneacuteralement lexcellence dune chose constitue en quelque sorte un miroir ainsi

pour mieux se connaicirctre soi-mecircme il faut porter le regard sur les excellences des

autres1

II13 Lacircme corruptible

Dans la Reacutepublique et dans les premiers dialogues la critique de Socrate agrave leacutegard des

poegravetes et des sophistes se montre tregraves deacutetermineacutee cest parce que lacircme humaine est

corruptible et particuliegraverement lacircme des enfants et des jeunes gens Cest en effet

cette nature corruptible de lacircme humaine dont Socrate se preacuteoccupait notamment

dans les premiers dialogues Voici un exemple laquo Il sappelle Clinias Et il est jeune

nous craignons donc pour lui ce quil est naturel de craindre pour un jeune homme

mdash quon nous devance pour deacutetourner son esprit vers une autre occupation et quon

le corrompe raquo2 Mais par quel moyen peut-on corrompre lacircme dun jeune homme

Par lenseignement cest-agrave-dire la nourriture de lacircme laquo Mais Socrate de quoi lacircme

se nourrit-elle raquo demanda Hippocrate laquo Denseignements (μαθήμασιν) bien sucircr raquo

reacutepondit Socrate3 Cela eacutetant celui qui est capable denseigner est susceptible de

corrompre en raison du fait que le mauvais enseignement est nocif pour lacircme

comme la mauvaise nourriture lest pour le corps Cest pourquoi 1 Socrate nie

cateacutegoriquement le fait quil donne un enseignement agrave qui que ce soit

Et sil arrive que parmi ces gens-lagrave lun devienne un homme de bien et lautre non je ne saurais moi au regard de la justice en ecirctre tenu pour responsable car je nai jamais promis agrave aucun deux denseigner rien qui sapprenne et je nai pas donneacute un tel enseignement Et si quelquun preacutetend avoir jamais en priveacute appris quelque chose de moi ou mavoir entendu parler de quelque chose dont personne dautre nest au courant sachez bien quil ne dit pas la veacuteriteacute4

1 Cf Brunschwig Jacques laquo La deacuteconstruction du Connais-toi toi-mecircme dans lAlcibiade Majeur raquo Reacutefexions contemporaines sur lantiquiteacute classique Grenoble Recherche sur la philosophie et le langage ndeg 18 1996 pp 61 ndash 84 Voici un extrait laquo De faccedilon forte paradoxale quand on pense agrave la suite du dialogue [Alcibiade I] et agrave la formule ulteacuterieure du γνῶθι σαυτόν connais-toi toi-mecircme ici cenest nullement se regarder dans un miroir Ou du moins ce nest pas seulement se regarder dans un miroir cest regarder les autres et notamment ces autres par excellence que sont les ennemis et se regarder soi-mecircme dans un miroir pour se comparer agrave eux raquo (Nous soulignons) Les autres parexcellence ne sont-ils pas les amis plutocirct que les ennemis car on connaicirct mieux les excellences chez les amis que celles chez les ennemis

2 Euthydegraveme 275 b3 Protagoras 313 c4 Apologie 33 b

88

Et si ceacutetait le cas il devrait deacutemontrer neacutecessairement que son enseignement est une

bonne nourriture de lacircme mais pour cela Socrate est obligeacute de deacutefnir ce quest

lacircme or dans le cadre de la reacutefutation cest au reacutefuteacute de deacutefnir ce quil preacutetend

savoir 2 Socrate faisait de la destruction du pouvoir des sophistes un combat

philosophique en deacutemontrant par reacutefutation quils ne possegravedent pas le savoir quils

preacutetendent posseacuteder quils savent ce quils ne savent pas en reacutealiteacute

Les sophistes sont reacuteputeacutes pour le fait quils enseignent la vertu lexcellence de lacircme

Comme ils enseignent en reacutealiteacute autre chose que la vertu puisquils ne savent pas ce

quest la vertu leur enseignement est en veacuteriteacute une tromperie sans que leurs

auditeurs ne le sachent Dans la suite nous analysons la nature des enseignements

des sophistes agrave travers lEuthydegraveme lHippias mineur et le Protagoras sans aborder la

question de la reacutefutation qui sera examineacutee dans le chapitre VI laquo La dialectique raquo afn

de voir une partie de la nature de lacircme humaine

II131 Confusion entre vrai et faux dans lEuthydegraveme

Pour les deux fregraveres sophistes Euthydegraveme et Dionysodore il est impossible de

mentir

Euthydegraveme Eh quoi Cteacutesippe repartit Euthydegraveme agrave ton avis est-il possible de mentir

Cteacutesippe Oui par Zeus reacutepliqua-t-il sinon cest que je suis fou

Euthydegraveme En disant la chose sur laquelle porte ce quon dit ou bien sans la dire

Cteacutesippe En la disant reacutepondit-il

Euthydegraveme Donc si on la dit parle-t-on daucune autre reacutealiteacute (οὐκ ἄλλο τῶν ὄντων) que celle preacuteciseacutement quon dit

Cteacutesippe Comment pourrait-il en ecirctre autrement reacutepondit Cteacutesippe

Euthydegraveme Par ailleurs cette reacutealiteacute dont on parle est bien une seule et unique chose prise parmi les autres choses dont elle est seacutepareacutee

Cteacutesippe Oui parfaitement

Euthydegraveme Donc quand quelquun dit cette chose demanda-t-il il dit une chose qui est (τὸ ὄν)

Cteacutesippe Oui

Euthydegraveme Mais alors si on dit vraiment une chose qui est et des choses qui sont on dit la veacuteriteacute en sorte que Dionysodore sil parle bien des choses qui sont dit la veacuteriteacute et ne profegravere aucune mensonge contre toi

Cteacutesippe Oui admit-il Mais Euthydegraveme reacutepliqua Cteacutesippe quand Dionysodore dit ce quil dit il ne dit pas des choses qui sont

Alors Euthydegraveme

Euthydegraveme Que sont les choses qui ne sont pas (τὰ δὲ μὴ ὄντα) sinon celles qui nexistent pas

89

Cteacutesippe Ce sont celles qui nexistent pas (τά γε μὴ ὄντα)

Euthydegraveme Or les choses qui ne sont pas (τὰ μὴ ὄντα) le sont-elles ailleurs que nulle part (τὰμηδαμοῦ ὄντα)

Cteacutesippe Nulle part

Euthydegraveme Y aurait-il donc moyen que quelquun agicirct quoi que ce soit sur ces choses qui ne sont pas de faccedilon quon pucirct en faire des choses qui sont je veux dire que nimporte qui puisse agir ainsi sur les choses qui ne sont nulle part

Cteacutesippe Il me semble que non reacutepondit Cteacutesippe

Euthydegraveme Que font alors les orateurs quand ils parlent devant le peuple est-ce quils nagissent pas (οὐδὲω πράττουσι )

Cteacutesippe Certes lagrave ils agissent affrma-t-il

Euthydegraveme Or sils agissent cest donc quils font quelque chose

Cteacutesippe Oui

Euthydegraveme Donc parler cest agrave la fois agir et faire (πράττειν τε και ποιεῖν)

Il fut daccord

Euthydegraveme En conseacutequence reprit-il les choses qui ne sont pas personne agrave coup sucircr ne les dit car on en ferait deacutejagrave quelque chose mais toi tu es daccord pour dire quune chose qui nest pas (τὸ μὴ ὂν) il nest possible agrave personne den faire une chose qui est De sorte que dapregraves ce que tu dis personne ne peut mentir et sil est vrai que Dionysodore parle il ditla veacuteriteacute et ce qui est1

Ici la reacutealiteacute (τὸ ὄν) ne veut pas dire la forme intelligible2 Dans les premiers

dialogues elle signife plutocirct la chose qui existe reacuteellement sa neacutegation nexiste que

dans ce passage et nulle part ailleurs dans les premiers dialogues τὰ δὲ μὴ ὄντα

(284 b) τά γε μὴ ὄντα (284 b) τὰ μὴ ὄντα (284 b) τὰ μηδαμοῦ ὄντα (284 b) τὸ μὴ

ὂν (284 c) Lemploi de ces deux expressions laquo τὸ ὄν raquo et laquo τὸ μὴ ὂν raquo illustre la

capaciteacute speacuteculative des deux sophistes Une speacuteculation fondeacutee sur certaines

confusions qui ne sont pas aiseacutees agrave deacuteceler 1 La confusion entre la reacutealiteacute de la

1 Euthydegraveme 283 e ndash 284 c2 La preacutesence du terme dans les premiers dialogues est importante voici la liste des occurrences

Apologie τῷ ὄντι (17 d) τῷ ὄντι (20 d) τῷ ὄντι (23 a) τῷ ὄντι (32 a) τῷ ὄντι (36 c) Hippias majeur τῷ ὄντι (282 b) τῷ ὄντι (285 a) τῷ ὄντι (294 c) τῷ ὄντι (294 c) τῶν ὄντων (300 b) τῶν ὄντων (301 b) τῷ ὄντι (303 e) Alcibiade τῷ ὄντι (104 d) τῷ ὄντι (119 e) τῶν ὄντων (132 d) τῶν ὄντων (133 a) Lachegraves τῷ ὄντι (188 d) τῷ ὄντι (196 d) Protagoras τῷ ὄντι (323 a) τῷ ὄντι (328 d) Meacutenexegravene τῷ ὄντι (237 b) τῷ ὄντι (238 a) τῷ ὄντι (244 a) τῷ ὄντι (247 d) τῷ ὄντι (247 e) Euthyphron τῷ ὄντι (6 b) Gorgias τῶν ὄντων (449 d) τῶν ὄντων (449 d) τῶν ὄντων (451 d) τῶν ὄντων (467 e) τῶν ὄντων (477 e) τῶν ὄντων (477 e) τῷ ὄντι (482 e) τῷ ὄντι (492 d) τῷ ὄντι(493 a) τὰ ὄντα (495 a) τῷ ὄντι (495 b) τὰ ὄντα (506 a) τῶν ὄντων (506 e) τὰ ὄντα (511 a) τῷ ὄντι (517 e) τῷ ὄντι (520 d) τῷ ὄντι (526 d) τῷ ὄντι (527 d) Charmide τῶν ὄντων (166 d) τῶν ὄντων (169 a) τῶν ὄντων (174 b) τῶν ὄντων (175 b) Meacutenon τῶν ὄντων (75 b) τῶν ὄντων (76 c)τῶν ὄντων (86 b) Lysis τῷ ὄντι (205 e) τῷ ὄντι (216 c) τῷ ὄντι (220 b) τῷ ὄντι (220 b) τῷ ὄντι (220 e) τῷ ὄντι (221 d) Euthydegraveme τῶν ὄντων (279 a) τῶν ὄντων (282 c) τῶν ὄντων (284 a) τῶν ὄντων (284 a) τὸ ὄν (284 a) τὸ ὂν (284 a) τὰ ὄντα (284 a) τὰ ὄντα (284 a) τὰ ὄντα (284 b) τὰ ὄντα (284 c) τὰ ὄντα (284 c) τῶν ὄντων (285 e) τὰ ὄντα (290 c) τῶν ὄντων (293 b) τῶν ὄντων (293 e) τῷ ὄντι (294 b) τῷ ὄντι (296 d) τῷ ὄντι (303 e) τῷ ὄντι (306 c)

90

parole et la reacutealiteacute exprimeacutee par la parole laquo si on dit vraiment une chose qui est et

des choses qui sont on dit la veacuteriteacute raquo1 Par exemple laquo des gens qui seraient capables

de mettre au-dessus de tout le fait que leur bien-aimeacute peacuterisse raquo une telle reacutealiteacute peut

bien exister quand on est jaloux de son bien-aimeacute qui eacutechoyait aux bras dun autre

mais ce nest pas la reacutealiteacute de Cteacutesippe 2 La confusion entre lacte de parler (λέγειν)

et lacte de reacutealiser (πράττειν et ποιεῖν) Quand un orateur parle agrave lAssembleacutee certes

cest une faccedilon dagir mais agir en parole qui renvoie agrave une reacutealiteacute qui peut bien ecirctre

imaginaire comme si la parole neacutetait quun index qui est supposeacute pointer sur une

reacutealiteacute mais agrave veacuterifer pour savoir sil pointe sur aucune chose ou sur une chose qui

est autre que ce que la parole preacutetend pointer En revanche le fait de travailler agrave

(πράττειν) et le fait de fabriquer (ποιεῖν) une œuvre consistent agrave faire apparaicirctre

reacuteellement une reacutealiteacute Par exemple dans le cas dun lit fabriqueacute par un menuisier il

sagit de reacutealiser une reacutealiteacute sensible dans le cas dune loi matheacutematique deacutemontreacutee

par un matheacutematicien il sagit de deacutecouvrir une reacutealiteacute intelligible Tandis que la

parole prononceacutee nest ni une reacutealiteacute sensible certes le son qui veacutehicule la parole est

sensible ni une reacutealiteacute intelligible certes le sens veacutehiculeacute par la parole nest pas

sensible mais simplement une image dun discours de lacircme 3 La confusion entre

une chose qui nexiste pas (τὸ μὴ ὂν) et une chose qui nest pas (autre chose) (τὸ μὴ

ὂν) Par cette ambiguiumlteacute du syntagme laquo τὸ μὴ ὂν raquo laquo il nest possible agrave personne de

faire dune chose qui nexiste pas une chose qui est raquo simplement Dionysodore faisait

cest-agrave-dire disait de quelque chose une autre chose

II132 Confusion entre science et non-science dans lHippias mineur

Dans lEuthydegraveme la confusion pratiqueacutee semble volontaire puisque les deux

sophistes jouent avec des mots mais peut-ecirctre involontaire entre les mots et les

reacutealiteacutes Alors que dans lHippias mineur la confusion entre diffeacuterentes reacutealiteacutes semble

involontaire car le sophiste dEacutelis est incapable de distinguer entre la ruse

(πανουργία) et la reacutefexion (φρόνησις) entre la science qui se rapporte au corps au

monde sensible et celle qui se rapporte agrave lacircme la vertu

Dapregraves Socrate le sophiste est compeacutetent dans un nombre impressionnant de

1 Agrave propos de cette phrase dans la traduction de son eacutedition bilingue Louis Meacuteridier note laquo Icileacutequivoque porte sur τὸ ὄν La reacutealiteacute de parole est prise pour la reacutealiteacute de chose exprimeacutee raquo (Tome V ndash 1re partie Paris Belles Lettre 1931 p 162 note ndeg 1) Voir aussi Euthydegraveme laquo Notes raquo ndeg 109 p 199 laquo hellip Dans cet argument le verbe laquo dire raquo (ou parler) (λέγειν) reccediloit deux signifcations diffeacuterentes selon quon le rapporte agrave la chose dont on parle ou bien agrave ce quon dit de cette chose quand on en parle hellip raquo

91

domaines1 sauf dans le domaine de la vertu La thegravese dHippias est simple ceux qui

savent sont les plus capables de tromper Nous commenccedilons ici par la fn du

dialogue

Socrate Alors cest agrave lhomme qui est bon quil revient de commettre linjustice volontairement et agrave lhomme qui est mauvais de le faire involontairement sil est vrai que lhomme qui est bon possegravede une bonne acircme

Hippias Mais il le possegravede certainement

Socrate Celui qui se conduit et travaille de maniegravere honteuse et injuste Hippias celui-lagrave sil existe ne peut ecirctre que lhomme qui est bon

Hippias Mais je refuse de te conceacuteder cela Socrate2

Hippias a bien raison de ne pas conceacuteder cela agrave Socrate mais le sophiste ne sait pas

pourquoi En effet un tel homme nexiste pas car un homme qui est vraiment bon ne

commet jamais linjustice encore moins volontairement Notons que le fait decirctre un

homme bon et le fait decirctre un homme bon en telle ou telle compeacutetence technique ou

scientifque sont deux choses diffeacuterentes Effectivement celui qui est le plus

compeacutetent en quelque chose est le plus capable de tromperie en la matiegravere Le ceacutelegravebre

faussaire neacuteerlandais Han Van Meegeren (1889 ndash 1947) est surtout connu pour sa

creacuteation de faux Vermeer (1632 ndash 1675) en trompant les meilleurs experts de son

temps mais aussi et surtout les acheteurs qui lui en ont acheteacute agrave prix dor Une telle

tromperie implique une maicirctrise excellente de plusieurs compeacutetences et il trompait

volontairement les acheteurs et les experts dart Cependant la tromperie na pas en

reacutealiteacute de rapport avec la compeacutetence technique ou scientifque qui elle-mecircme ne sait

pas tromper car laquo est-il possible agrave qui sait de ne pas savoir ce quil sait raquo3

autrement dit il nest pas possible agrave qui sait de se tromper volontairement Par

exemple si quelquun fait mentalement un calcul de laquo cinq fois six raquo et il sait bien

que laquo cinq fois six font trente raquo ainsi il lui est impossible de se tromper

volontairement en se disant que cinq fois six font autre chose que trente En

revanche sil sait et quil trompe cest quil trompe volontairement cela relegraveve de

leacutethique et non pas dun savoir quil possegravede de sorte quil est mauvais eacutethiquement

mecircme sil est excellent dans certains domaines speacutecifques cest pourquoi la

tromperie relegraveve de la vertu

Socrate Cest pourquoi Hippias je te posais des questions degraves le deacutebut narrivant pas agrave comprendre lequel de ces deux hommes [Achille et Ulysse] a eacuteteacute repreacutesenteacute comme le

1 Voir Hippias mineur 368 b ndash 369 b2 Ibid 376 b3 Theacuteeacutetegravete 165 b

92

meilleur par le poegravete en jugeant quils eacutetaient tous les deux excellents et quil eacutetait diffcile de distinguer lequel eacutetait le meilleur en matiegravere de tromperie (ψεύδους) de sinceacuteriteacute (ἀληθείας) et des autres qualiteacutes (τῆς ἄλλης ἀρετῆς) car de ce point de vue aussi les deux se ressemblent1

Cest la seule apparition de lἀληθεία dans le dialogue il sagit dune vertu ici

synonyme de lhonnecircteteacute laquo παρρησία raquo ce qui correspond par ailleurs agrave la citation

dans le Pheacutedon2 le terme soppose au terme laquo ψεῦδος raquo Et cest agrave partir de lagrave que le

propos de Socrate oriente vers la question de justice en tant que vertu et dinjustice en

tant que vice3 En effet il y a deux termes auxquels soppose le terme laquo ψεῦδος raquo dans

le dialogue agrave savoir laquo ἀληθής raquo4 et laquo ἀληθεία raquo 1 Lἀληθής signife vrai par

exemple deux fois cinq font dix cest vrai et ce nest pas faux ici laquo vrai raquo signife

correct laquo faux raquo incorrect Cela eacutetant celui qui possegravede une compeacutetence speacutecifque

permettant de faire une chose correctement en la matiegravere nest pas pour autant

neacutecessairement plus vertueux que ceux qui ne le sont pas sinon Hippias serait le

plus vertueux parmi les hommes car ses compeacutetences si nombreuses dans de

diffeacuterents domaines particuliers sont choses vraies et non pas fausses 2 Comme une

vertu lἀληθεία (la veacuteriteacute) est la rectitude du jugement sur la reacutealiteacute autrement dit

laccord entre la penseacutee et la reacutealiteacute Cela eacutetant la veacuteriteacute est agrave la fois une capaciteacute de

penser de dire la veacuteriteacute et une science (ἐπιστήμη)

Socrate Figure-toi Hippias que je croyais que ceacutetait ton opinion aussi Mais reacuteponds-moi encore une fois la justice nest-elle pas une capaciteacute (δύναμις) ou une science (ἐπιστήμη) ou lesdeux choses ensemble Nest-il pas neacutecessaire en effet quelle soit lune de ces choses 5

La question de Socrate est valable pour la veacuteriteacute et les autres vertus en dautres

termes la vertu est science qui permet de procurer agrave lacircme la puissance Cest

pourquoi nous pouvons penser que le but de lHippias mineur ne consiste pas agrave deacutefnir

ce quest la tromperie mais agrave deacutemontrer que le sophiste confond la science de la

vertu quil ne possegravede pas et les sciences particuliegraveres dont il est compeacutetent En

confondant lexcellence de lacircme et les excellences du corps ou la science et la non-

science on arrive fnalement agrave une conclusion absurde lacircme sera meilleure si elle

fait le mal volontairement mais mauvaise si elle le fait involontairement en

1 Hippias mineur 370 d ndash e2 Socrate eacutenumegravere cinq vertus agrave savoir modeacuteration justice courage liberteacute et veacuteriteacute (Pheacutedon 114 e ndash

115 a laquo σωφροσύνῃ τε καὶ δικαιοσύνῃ καὶ ἀνδρείᾳ καὶ ἐλευθερίᾳ καὶ ἀληθείᾳ raquo)3 Voici les huit occurrences de trois mots lieacutes agrave la racine laquo δίκ raquo δικαίως (373 a) δικαιοσύνη (375 d

e e 376 a) δικαιοτέρα (trois fois en 375 e) neuf lieacutes au verbe ἀδικεῖν (371 e 372 d 375 d 372 a 376 a a a a b) et deux pour ladjectif ἀδικωτέρα (375 e e)

4 Le terme est employeacute 22 fois dans le dialogue dont 19 fois avant 370 e (365 b c 366 a d e 367 c c c c c 367 d 368 a e 369 a a b b b e) et trois fois seulement apregraves (371 e 372 a 375 a)

5 Hippias mineur 375 d ndash e

93

confondant la nature de lexcellence de lacircme et la nature des excellences du corps 1

En effet lexcellence technique peut bien ecirctre employeacutee pour tromper et plus on est

excellent en une matiegravere speacutecifque plus on est meilleur dans la tromperie en la

matiegravere si lon le vaut bien Cet argument ne peut sappliquer agrave lexcellence de lacircme

car par deacutefnition la vertu est le contraire de la tromperie en dautres termes la vertu

empecircche par la nature toute forme de tromperie si ce nest involontairement

II133 Confusion entre lacircme et le corps dans le Protagoras

Les plaisirs peuvent ecirctre une source de clarteacute mais aussi une source de confusion

surtout dans le domaine de leacuteducation Cest ce quon peut voir dans le Protagoras

Nous parlons ici dabord de leacuteducation ensuite du plaisir Protagoras est maicirctre de

vertu Cest agrave ce titre que leacuteducation qui a pour objet principal lexcellence de lacircme

peut ecirctre consideacutereacutee comme luniteacute du Protagoras puisque le jeune Hippocrate

voulait recevoir lenseignement du ceacutelegravebre sophiste dAbdegravere En effet cest

Hippocrate lui-mecircme qui est initiateur du dialogue puisque cest lui qui a demandeacute

agrave Socrate de laccompagner afn de le preacutesenter au sophiste qui enseigne lexcellence

de lacircme Cest en ce sens que la conversation entre Protagoras et Socrate sadresse agrave

Hippocrate en particulier et aux autres jeunes gens preacutesents en geacuteneacuteral dans laquelle

le sophiste joue le rocircle du maicirctre eacuteducatif Socrate joue le rocircle dun double disciple agrave

savoir disciple du sophiste et celui des jeunes gens qui ont precircteacute loreille agrave cette

conversation Autrement dit dans le Protagoras il y a deux modegraveles deacuteducation en

matiegravere de lexcellence de lacircme agrave savoir le modegravele reacutetributif que preacutesente

lenseignement du sophiste et le modegravele maiumleutique2 quexerce Socrate Dans le

modegravele reacutetributif ce qui motive vraiment le sophiste ce sont le salaire et la

reacuteputation et non la recherche de savoir ce quest la vertu et dans ce modegravele le

sophiste est maicirctre mais ce modegravele est diffeacuterent de la paiderstia comme eacuteducation car

lenseignement du sophiste nest pas associeacute agrave leacutejaculation puisquil est associeacute agrave la

reacutetribution et agrave la reconnaissance Alors que 1 le modegravele maiumleutique soppose dune

part 2 au modegravele reacutetributif puisque Socrate nest pas maicirctre et donc pas question

de reacutetribution encore moins de deacutesir de la reconnaissance et 3au modegravele de la

paiderastia car Socrate refuse tout rapport sexuel avec les jeunes gens qui le suivent

1 Ibid 375 d2 Ces deux modegraveles sont diffeacuterents de deux autres modegraveles opposeacutes de leacuteducation agrave savoir masculin

ou feacuteminin tels quils sont preacutesenteacutes dans le Banquet cf laquo Eacuteros eacuteducateur entre paiderastia et philosophia raquo International Plato Studies 35 2016 pp 24 ndash 35 notamment la section laquo VIII Le discours de Socrate Remplacer la paiderastia par la philosophia raquo p 32 ndash 34

94

4 au modegravele feacuteminin ougrave dapregraves le discours de Diotime dans le Banquet laquo cest le

maicirctre qui est enceint de beau discours et de belles actions en preacutesence du disciple

qui tient lieu de cette beauteacute permettant de laccouchement et qui amegravene lacircme du

maicirctre agrave enfanter de beaux discours sur le savoir et sur la vertu raquo1 En effet dans le

modegravele maiumleutique

Socrate ne peut en aucune faccedilon devenir ce maicirctre qui dans le processus eacuteducatif est susceptible dengendrer ces enfants que seraient les discours vrais et les belles actions Il ne peut donc jouer le rocircle du maicirctre tel que deacutecrit Diotime Et il est forceacute dinverser la relation Il doit prendre la place du jeune homme qui par ses questions permet agrave son maicirctre daccoucher On notera dailleurs que dans sa relation avec les jeunes hommes Socrate inverse les rapports le meilleur exemple est Alcibiade qui raconte dans son eacuteloge de Socrate agrave la fn du Banquet que cest lui le plus jeune qui pourchasse Socrate quieacutetant plus acircgeacute devrait lui faire la cour Bref Socrate joue le rocircle du disciple et non celui du maicirctre2

Dans ces quatre modegraveles eacuteducatifs le second (reacutetributif) et le troisiegraveme (eacutejaculatif)

sont lieacutes au corps certes de nature diffeacuterente mais comme le salaire et lhonneur

sont lieacutes au monde sensible cela revient au mecircme puisque la paiderstia a pour

fonction de transmettre du savoir des richesses et du pouvoir et cette transmission a

un coucirct pour un jeune homme agrave savoir le rapport sexuel une forme de monnaie En

revanche le premier et le quatriegraveme sont lieacutes agrave lacircme au savoir

La question se pose si leacuteducation est luniteacute du Protagoras pourquoi le dialogue

consacre-t-il sept longues pages (351 b ndash 358 d) agrave la question de plaisir3 Quel est le

rapport avec leacuteducation En effet la question de plaisir dans le Protagoras est lieacutee agrave

la question de laquo se laisser vaincre par les plaisirs raquo4 ce qui nest rien dautre que

lignorance (358 c 359 d) cest-agrave-dire incapable de se dominer soi-mecircme Cela eacutetant

les plaisirs de lacircme et du corps doivent se soumettre agrave leurs bons usages

Socrate En veacuteriteacute tous lacircches et courageux vont vers ce qui leur inspire confance et en ce sens les tacircches et les courageux vont vers les mecircmes choses (ἐπὶ τὰ αὐτὰ ἔρχονται)

Protagoras Pourtant Socrate dit-il il y a une totale opposition entre ce vers quoi vont les lacircches et ce

1 Ibid p 332 Platon Paris Cerf 2017 p 1113 Les 32 occurrences du terme ἡδονή dans le Protagoras sont exclusivement concentreacutees entre 351 d et

357 e δονῆς (351 d) ἡδονήν (351 e) ἡδονὴν (351 e) ἡδονήν (352 b) ἡδονῆς (352 d) ἡδονῶν (353 a) ἡδονῆς (353 a) ἡδονῶν (353 c) ἡδονὴν (353 d) ἡδονῶν (354 a) ἡδονὰς (354 b) ἡδονάς (354 c) ἡδονὴν (354 c) ἡδονήν (354 c) ἡδονῶν (354 c) ἡδονῶν (354 d) ἡδονὰς (354 d) ἡδονῶν (354 e)ἡδονήν (355 a) ἡδονῶν (355 a) ἡδονάς (355 b) ἡδονῆς (355 c) ἡδονῆς (355 c) ἡδονῶν (355 d) ἡδονῇ (356 a) ἡδονῇ (356 a) ἡδονῆς (357 a) ἡδονῆς (357 c) ἡδονὴν (357 c) ἡδονῆς (357 c) ἡδονῶν (357 d) ἡδονῆς (357 e) Les travaux sur la question heacutedoniste dans les pages concerneacutees sont nombreux cf Protagoras laquo Introduction raquo p 49 ndeg 2

4 Voir 352 e 353 a c 354 e 355 b d 357 c 358 c et 359 d

95

vers quoi vont les courageux1

Si cest la science qui inspire confance agrave ceux qui sont courageux ce nest

eacutevidemment pas la science qui inspire confance agrave ceux qui sont lacircches mais cest

lignorance Or la science et lignorance ne sont pas les mecircmes choses Ainsi la

question se pose que deacutesignent laquo les mecircmes choses raquo dans la reacuteplique de Socrate

En effet les gens courageux ont le plaisir decirctre courageux et la peine decirctre lacircches

par contre les gens lacircches ont la peine decirctre courageux et le plaisir decirctre lacircches

Cela eacutetant les lacircches et les courageux vont vers les mecircmes choses agrave savoir vers les

plaisirs car personne ne va volontairement vers la peine Or les plaisirs de lacircme et

les plaisirs du corps sont radicalement diffeacuterents par nature autrement dit le mecircme

terme ἡδονή qui deacutesigne deux sortes de plaisir opposeacutees Ce passage du Gorgias dit

en effet la mecircme chose

Socrate Donc les hommes raisonnables autant que ceux qui ne le sont pas les lacircches comme lescourageux ressentent de la peine et du plaisir Pour les uns comme pour les autres laquo cest pareil agrave peu de chose pregraves raquo mdash comme tu dis mdash mais les lacircches neacuteprouvent-ils pas davantage de peine et de plaisir que les hommes courageux

Calliclegraves Oui en effet

Socrate Mais pourtant ce sont bien les hommes raisonnables les hommes courageux qui sontbons tandis que les ecirctres lacircches et deacuteraisonnables sont mauvais

Calliclegraves Oui

Socrate Les ecirctres bons comme les mauvais ressentent donc laquo agrave peu de chose pregraves raquo la mecircme peine et le mecircme plaisir 2

Le passage du Protagoras et celui du Gorgias semblent montrer quon peut confondre

facilement lacircme et le corps en confondant les deux sortes de plaisir En un mot il est

facile de corrompre une acircme par confusion

II14 Lopposition entre lacircme et le corps

Dans les premiers dialogues mecircme si on peut apercevoir la diffeacuterence entre le corps

et lacircme puisque le corps et lacircme ne deacutesignent pas la mecircme chose lopposition entre

le corps et lacircme nest pas eacutevidente du moins pas explicite cest-agrave-dire fondeacutee sur

une science Cependant dans lAlcibiade le Charmide et le Gorgias cette diffeacuterence

entre lacircme et le corps est par nature visible3

1 Protagoras 359 d ndash e Nous soulignons2 Gorgias 498 b ndash c3 Cf laquo Annexe σῶμα ψυχή raquo ougrave sont eacutenumeacutereacutes les numeacuteros de pages ougrave apparaissent les deux

termes

96

II141 Alcibiade le soi-mecircme et lautre

Degraves le deacutebut du dialogue Socrate annonce une phrase quelque peu eacutenigmatique en

ce qui concerne le corps et lacircme laquo en commenccedilant par le corps et en fnissant par

lacircme raquo1 Mais il faut attendre le paragraphe laquo 117 b raquo pour voir la deuxiegraveme

apparition du terme ψυχή et le paragraphe laquo 126 a raquo pour lire la seconde apparition

du σῶμα sachant que la ψυχή apparaicirct 22 fois et le σῶμα 21 fois dans le dialogue Le

passage suivant semble dire que le soi-mecircme est lacircme et que le corps est lautre

Socrate Lacircme le corps ou les deux ensemble forment un tout (συναμφότερον)

Alcibiade Sans doute

Socrate Mais neacutetions-nous pas convenus que ce qui commande en propre au corps cest lhomme

Alcibiade Nous en eacutetions convenus

Socrate Est-ce donc le corps qui se commande agrave lui-mecircme

Alcibiade Nullement

Socrate Nous avons en effet dit quil est lui-mecircme commandeacute

Alcibiade Oui

Socrate Le corps ne serait donc pas ce qui est rechercheacute

Alcibiade Il ne semble pas non

Socrate Est-ce alors lensemble qui commande au corps et agrave cet ensemble est-il lhomme

Alcibiade Oui peut-ecirctre

Socrate Pas du tout Car si lun des deux composants ne participe pas au commandement il ny a aucun moyen pour que ce soit le composeacute qui commande

Alcibiade Cest exact

Socrate Donc puisque ni le corps ni lensemble nest lhomme je crois quil reste que lhomme nest rien ou bien sil est quelque chose il faut reconnaicirctre que ce ne peut ecirctre rien dautre que lacircme

Alcibiade Parfaitement

Socrate Faut-il maintenant te prouver avec encore plus de clarteacute que lacircme est lhomme

Alcibiade Non par Zeus cela me paraicirct suffsamment prouveacute

Socrate Si je ne lai pas fait avec exactitude mais de maniegravere satisfaisante cela nous sufft Nous lexaminerons avec exactitude lorsque nous aurons trouveacute ce que nous avons agrave linstant laisseacute de cocircteacute agrave cause de lampleur de la recherche

Alcibiade Quoi donc

Socrate Ce dont on parlait tout agrave lheure quil faut dabord rechercher ce que peut ecirctre le soi-mecircme lui-mecircme (αὐτὸ τὸ αὐτό) Or au lieu du soi-mecircme nous avons rechercheacute ce quest chaque soi (νῦν δὲ ἀντὶ τοῦ αὐτοῦ αὐτὸ ἕκαστον ἐσκέμμεθα ὅτι ἐστ) Peut-ecirctre cela

1 Alcibiade 104 a

97

sufft-il car nous pourrions sans doute affrmer quil ny a rien en nous qui ait davantage dautoriteacute que lacircme1

Si cest toujours lacircme qui commande elle reste toujours laquo αὐτὴ ἡ αὐτή raquo Si elle se

laisse commander par le corps cest-agrave-dire par les plaisirs du corps elle devient

autre elle nest plus elle-mecircme puisque le corps est deacutepourvu de llaquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo

II142 Charmide le tout seacutecable et inseacutecable

Ce qui semble le plus diffcile agrave comprendre dans les dialogues platoniciens ce nest

peut-ecirctre pas la Forme (εἴδος ἰδέα) mais le tout (τὸ ὅλον) La question se pose y a-

t-il un tout sans partie tout en dominant les parties tout entiegraveres Sachant quune

telle question ontologique est aussi socratique que platonicienne

Il en va de mecircme Charmide de cette incantation Je lai appris lagrave-bas agrave larmeacutee dun des meacutedecins Thraces qui se reacuteclament de Zalmoxis dont on dit quils rendent immortel Or ce Thrace disait que les meacutedecins grecs avaient raison de tenir le langage que je viens de rappeler agrave linstant mais poursuivit-il Zalmoxis notre roi qui est un dieu affrme que de mecircme quil ne faut pas entreprendre de soigner les yeux indeacutependamment de la tecircteni la tecircte indeacutependamment du corps de mecircme il ne faut pas non plus entreprendre de soigner le corps indeacutependamment de lacircme et que la raison pour laquelle de nombreuses maladies eacutechappent aux meacutedecins grecs est quils meacuteconnaissent le tout (τοῦ ὅλου) dont il faudrait quils prennent soin car lorsque le tout va mal il est impossible que la partie (τὸ μέρος) se porte bien2

Voici la note de traduction sur le terme laquo τοῦ ὅλου raquo

Aussi curieux et eacutetrange que cela puisse paraicirctre le laquo tout raquo dont est ici question nest pasle corps ni le composeacute de lacircme et du corps mais lacircme seule Le meacutedecin qui se reacuteclame de Zalmoxis approuve certes lapproche laquo holistique raquo preacuteconiseacutee par les bons meacutedecins grecs et que Socrate a deacutecrite en 156 b ndash c mais comme les meacutedecins grecs meacuteconnaissent (ἀγνοοῖεν) la veacuteritable nature du laquo tout raquo leur approche holistique sarrecircte agrave mi-chemin pour ainsi dire puisquelle considegravere agrave tort que le corps est le tout alors que le corps peut et doit lui-mecircme ecirctre traiteacute comme la partie dun tout agrave savoir lacircme Lidentifcation de lacircme au laquo tout raquo est confrmeacutee par la suite du texte [hellip]3

Dans le corpus platonicien lὅλον nest jamais apparu au pluriel parce quil est

inseacutecable alors que le corps en tant que tout (πᾶν) est seacutecable cest pourquoi le πᾶν

apparaicirct plus souvent comme substantif au pluriel laquo τὰ πάντα raquo (le terme met plutocirct

laccent sur les parties) quau singulier (accent sur le tout)4 Le rapport entre τὸ ὅλον

1 Ibid 130 a ndash d2 Charmide 156 d ndash e Agrave propos de Zalmoxis cf laquo Lincantation de Zalmoxis dans le Charmide (156 d ndash

157 c) raquo Plato Euthydemus Lysis Charmides Sankt Augustin Academia Verlag Proceeding of the VSymposium Platonicum (International Plato Studies 13) L Brisson amp TM Robinson (eacuteds) 2000 pp 278 ndash 286

3 Ibid laquo Notes raquo ndeg 34 p 118 ndash 1194 Le substantif au singulier laquo τὸ πᾶν raquo nest preacutesent que dans neuf dialogues Apologie 32 d Banquet

202 e Cratyle 395 c 408 c 412 d Critias 109 a Euthydegraveme 288 e Gorgias 451 b Phegravedre 273 e

98

(le tout et non la totaliteacute) et τὰ μέρη (les parties) nest pas un rapport

denveloppement dappartenance comme cest le cas entre τὸ πᾶν et τὰ μέρη mais

un rapport de pouvoir dorigine lacircme commande au corps comme le Soleil

commande agrave la croissance des choses sur la Terre cependant les choses terrestres ne

font pas partie du Soleil dailleurs laquo lacircme est la source de tous les maux et de tous

les biens raquo (laquo πάντα γὰρ ἔφη ἐκ τῆς ψυχῆς ὡρμῆσθαι καὶ τὰ κακὰ καὶ τὰ

ἀγαθὰ raquo)1 On voit bien que degraves le Charmide Socrate distingue deacutejagrave le tout inseacutecable

(lacircme) et le tout seacutecable (le cops) la question sera poseacutee plus clairement dans le

Theacuteeacutetegravete sous ces termes

Σωκράτης

ὅτι οὗ ἂν ᾖ μέρη τὸ ὅλον ἀνάγκη τὰ πάντα μέρη εἶναι ἢ καὶ τὸ ὅλον ἐκ τῶν μερῶν λέγεις γεγονὸς ἕν τι εἶδος ἕτερον τῶν πάντων μερῶν

Socrate

En ce qui a parties le tout est neacutecessairement la totaliteacute des parties Ou bien ce que tu entends par le tout est-ce encore issue des parties une certaine forme unique diffeacuterente de la totaliteacute des parties 2

Nous lavons deacutejagrave vu dans le Parmeacutenide pour Parmeacutenide le tout sans partie est

impossible En effet le rapport entre lacircme et le corps tel quil est deacutecrit dans le

Charmide ressemble au rapport entre le paradigme et les images dont il est lorigine

les images ne font nullement partie de leur paradigme il nest point non plus la

totaliteacute des images dont il est lorigine Cest la raison pour laquelle au sens

meacutetaphysique du terme ne se pose pas la question de la ressemblance entre le

paradigme et les images dont il est lorigine sauf si on redeacutefnit la notion de

ressemblance qui est diffeacuterente de celle du sensible En effet il est vrai quune photo

de quelquun lui ressemble agrave un certain point mais cette ressemblance ressortit au

mecircme niveau sensible puisquune photo de lui et son apparence physique relegravevent

lune et lautre du sensible Alors que le paradigme tel que nous lentendons dans le

Parmeacutenide et les images dont il est lorigine relegravevent de deux niveaux de reacutealiteacute

contraires Le Lit par exemple tel que Socrate fait entendre dans la premiegravere partie du

livre X de la Reacutepublique ne ressemble agrave aucun lit particulier sauf au niveau

fonctionnel mais dans ce cas-lagrave il ne sagit plus de ressemblance mais de

concordance De mecircme il ny a aucune ressemblance entre un cercle particulier et

leacutequation C = 2πR ougrave C = Circonfeacuterence et R = Rayon du cercle cest parce que plus

Sophiste 242 e 243 e 244 b 244 b 249 d 249 d 250 a 252 a 156 a 175 a183 d183 e 204 b 204 d 204 e 204 e 205 a 205 a Timeacutee 29 d 30 b 36 d 37 d 41 a 41 c 41 d 48 a 53 a 53 b 55 c 62 c 64 c72 b74 a

1 Ibid 156 e2 Theacuteeacutetegravete 204 a Trad par A Diegraves

99

geacuteneacuteralement les matheacutematiques et les choses sensibles matheacutematiquement

structureacutees ne se trouvent pas sur le mecircme niveau de reacutealiteacute

II143 Gorgias le corps mortel et lacircme immortelle

La distinction entre le corps et lacircme dans le Gorgias est eacutevidente la mort nest rien

dautre que la seacuteparation entre le corps et lacircme

Voilagrave ce que jai entendu dire Calliclegraves et je crois que cest vrai La conclusion que je tire de cette histoire est la suivante La mort nest rien dautre me semble-t-il que laseacuteparation de deux choses lacircme et le corps qui se deacutetachent lune de lautre1

Cette seacuteparation signife dune part que le corps (σῶμα) devient cadavre (νεκρός)

cela signife que le corps est mortel dautre part lacircme sera jugeacutee apregraves la mort cela

signife que lacircme nest pas mortelle Notons que cette conclusion explicite est donneacutee

par Socrate elle nest pas explicitement preacutesente dans laquo cette histoire raquo qui preacutecegravede sa

conclusion Voici le point de deacutepart de laquo cette histoire raquo

Or au temps de Cronos et mecircme au commencement du regravegne de Zeus les juges eacutetaient des vivants qui jugeaient dautres vivants et ils prononccedilaient leur jugement le jour mecircmeougrave les hommes devaient mourir2

Pour Zeus un tel jugement ne peut ecirctre juste en raison du fait que laquo la beauteacute de

leurs corps des hommes qui font voir la noblesse de leur origine leurs richesses raquo3

peuvent bien peser dans le jugement laquo cest pourquoi on doit les juger morts Et leur

juge doit ecirctre eacutegalement mort rien quune acircme qui regarde une acircme raquo4 Cela suppose

neacutecessairement que lacircme nest pas morte apregraves la mort des hommes bien que

limmortaliteacute de lacircme ne soit pas prononceacutee ni par Socrate ni dans le mythe

eschatologique agrave la fn du Gorgias Sans doute limmortaliteacute de lacircme est

laboutissement de la penseacutee de la seacuteparation entre lacircme et le corps5 et la forme

intelligible est laboutissement de limmortaliteacute de lacircme Car si lacircme est immortelle

elle voyait neacutecessairement toutes les reacutealiteacutes mortelles et immortelles ainsi la

question se pose comment cela peut-il eacutechapper agrave Socrate de poser la question agrave sa

maniegravere preacutefeacutereacutee quest-ce que la reacutealiteacute immortelle autre que lacircme Nous lavons

vu ce sont les dieux et les formes intelligibles dont leur acircme se nourrit

1 Gorgias 524 b2 Ibid 523 b3 Ibid 523 c4 Ibid 523 e5 Limmortaliteacute de lacircme est explicitement prononceacutee dans le Meacutenon 81 c Pheacutedon 73 a Phegravedre 245 c

Reacutepublique X 608 c ndash d

100

II2 Lacircme comme la fnaliteacute de la connaissance philosophique

LApologie peut se lire comme lintroduction des dialogues platoniciens Lisons ce

passage

Mais vous aussi juges il vous faut ecirctre pleins de confance devant la mort et bien vous mettre dans lesprit une seule veacuteriteacute agrave lexclusion de toute autre agrave savoir quaucun mal ne peut toucher un homme de bien ni pendant sa vie ni apregraves sa mort et que les dieux ne se deacutesinteacuteressent pas de son sort1

Si ce nest de le croire par croyance il est diffcile de comprendre vraiment ce passage

sans jamais lire le Pheacutedon la Reacutepublique et le Phegravedre La veacuteriteacute de la mort est que lacircme

existe encore apregraves la mort ce qui ne signife autre chose que laquo cest un changement

et pour lacircme un changement de domicile qui fait quelle passe dun lieu agrave un

autre raquo2 et elle sera jugeacutee par les dieux cest pourquoi il est neacutecessaire pendant sa

vie humaine dameacuteliorer son acircme3 de rendre son acircme la meilleure possible4 Tout

cela suppose que lacircme est immortelle mais comment une chose immortelle a-t-elle

la possibiliteacute de commettre linjustice

II21 Limmortaliteacute de lacircme

Lapparition du terme laquo immortel (ἀθάνατος) ou immortaliteacute (ἀθανασία) raquo dans les

dialogues platoniciens est tregraves singuliegravere le terme est absent dans les uns tregraves peu

preacutesent dans les autres nombreux mais de faccedilon concentreacutee dans cinq dialogues 5

Nous essayons de comprendre cette singulariteacute agrave travers les quatre dialogues agrave

savoir le Banquet le Pheacutedon le Phegravedre et le la Reacutepublique 6

II211 Deacutesir de limmortaliteacute dans le Banquet

Le Banquet se compose de sept discours dont six parlent de lamour eacutetroitement lieacute au

deacutesir sexuel Mecircme dans celui de Phegravedre certes lamour incite agrave la vertu mais ce

nest pas pour la vertu que Orpheacutee a le courage de mourir cest pour sa femme

Eurydice Pourquoi Platon fait-il prononcer autant de discours concernant le deacutesir

1 Ibid 41 c ndash d2 Apologie 40 c3 Ibid 29 e4 Ibid 30 b5 Apologie 35 a 41 c Banquet 202 d 203 e 206 c e e 207 a d 208 b b b c d d e e 209 d 212 a

Cratyle 417 c Euthydegraveme 289 b b Gorgias 481 a 484 b Lois II 661 b c e IV 713 e 718 e 721b c c V 739 e X 901 d 906 a XII 959 b 967 d Meacutenexegravene 247 d Meacutenon 81 b c 86 b Pheacutedon 73 a 79d 80 b d 81 a 86 b 88 b 95 c c d e 100 b 105 e e e 106 b b c c d d e e e e 107 c c 114 d Phegravedre 245 c c e 246 a a b c d 247 b 252 c 258 c 277 a Philegravebe 15 d Politique 270 a 273 e Reacutepublique III 386 d IX 585 c X 608 c d c 611 a 611 a a b e 621 c Timeacutee 41 b c d 42 e 43 a 69 c c 90 c c 92 c Voir les deacutetails lexiques laquo Annexe ἀθάνατος άθανασία raquo

6 Nous analyserons le terme dans le Timeacutee dans la troisiegraveme partie du chapitre

101

sexuel dans ce dialogue Si lhomme a autant de deacutesirs sexuels il doit avoir autant

de deacutesirs pour le savoir Cest en ce sens que le Banquet de Platon a parfaitement

eacuterotiseacute le savoir philosopher cest deacutesirer limmortaliteacute qui est laquo belle en elle-mecircme

simple pure sans meacutelange eacutetrangegravere agrave linfection des chairs humaines des couleurs

et dune foule dautres futiliteacutes mortelles raquo1 cela eacutequivaut agrave dire que toutes les formes

intelligibles sont immortelles Si lon a le deacutesir de sunir agrave la beauteacute du corps dun

autre ecirctre humain on doit en avoir autant pour sunir agrave la beauteacute immortelle de

lacircme cest comme cela que les mortels participent agrave limmortaliteacute

Ne sens-tu pas dit-elle [Diotime] que cest agrave ce moment-lagrave uniquement quand il verra la beauteacute par le moyen de ce qui la rend visible (ὁρῶντι ᾧ ὁρατὸν τὸ καλόν) quil sera en mesure denfanter non point des images de la vertu car ce nest pas une image quil touche mais les reacutealiteacutes veacuteritables car cest la veacuteriteacute quil touche Or sil enfante la vertu veacuteritable et quil la nourrit ne lui appartient-il pas decirctre aimeacute des dieux Et si entre tous les hommes il en est un qui meacuterite de devenir immortel nest-ce pas lui 2

Comment cette beauteacute invisible peut-elle se rendre visible En effet avoir recours au

corps cest avoir recours au visible3 Or philosopher cest-agrave-dire dialoguer laquo par

lacte de raisonnement propre agrave la reacutefexion raquo4 cest avoir recours au visible pour

toucher linvisible En deacutefnitive philosopher cest deacutesirer limmortaliteacute immortaliser

une vie mortelle

II212 Immortaliteacute de lacircme comme solution agrave la mort

Parler de la mort avant de boire la cigueuml pour mourir cest quelque peu dramatique

mais le fait de condamner agrave la mort dun homme devient le commencement de la

philosophie cest quelque peu ironique car laquo Socrate a consacreacute sa vie agrave la recherche

de la vie bonne au point mecircme de la perdre de sorte quil fut non seulement le pegravere

de la philosophie mais aussi son premier et plus ceacutelegravebre martyr raquo5 Cest pourquoi

nous pouvons consideacuterer que la mort est lobjet du Pheacutedon6 La mort rend souvent

1 Banquet 211 d ndash e Voir aussi Phegravedre 247 c les formes intelligibles sont sans couleur sans fgure et intangibles

2 Ibid 212 a3 Voir Pheacutedon 79 a ndash 80 e4 Ibid 79 a5 Dorion Louis-Andreacute Socrate Paris PUF laquo que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 66 Voici la liste des passages ougrave le θάνατος apparaicirct Alcibiade 112 b c 115 b c d e e Apologie [25

fois] 28 c d d e 29 a a a a c d 34 e 36 b 37 a 38 c d 39 a a a b b c 40 d e e 41 c Banquet 179 d Critias 120 d Criton 46 c 52 c Euthyphron 9 c Gorgias 480 d 481 a 486 b 511 c 516 a 522 e 523 d 524 b Lachegraves 195 e Lois III 682 e 698 c V 735 e VI 778 d VII 838 c IX [23 fois] 854c e 855c c 856 c d 863 a 866 c 869 b b c 870 d 871 d 872 a 874 c 874 d e 877 a b c e 881 a d X 904 e 908 e 909 a 910 d XI 914 a 915 c 933 d 937 c 938 c XII 942 a 944 c 946 e 949 c 955 b c c 958 a c Pheacutedon [35 fois] 57 a 58 c c e 63 b 64 b b c c 67 d 68 b d d 71 d 77 d e 81 a 85 a a 86 d 88 a b b 91 a b d 95 d 105 d e e 106 b b e e 107 c Politique 297 e 309 a Protagoras 325 b 325 b c Reacutepublique II 361 d III 386 a b b 387 b 399 b 406 b VI 486 b 492 d VIII 558 a 566 b c

102

tristes les vrais amis joyeux les meacutechants ennemis Surtout la mort fait souvent peur

parce quon ne sait pas ce quest la reacutealiteacute de la mort En effet savoir la mort est

dabord une question ontologique laquo Dabord raquo parce que sans reacutesoudre le problegraveme

ontologique de la mort toute question eacutethique et eacutepisteacutemologique na pas de sens

Ou encore si toutes les choses se rassemblaient sans jamais se diviser la parole dAnaxagore laquo ensemble sont toutes choses raquo aurait vite fait de saccomplir Or de la mecircme faccedilon Ceacutebegraves mon tregraves cher si tout ce qui a part agrave la vie doit mourir et si une fois mort tout ce qui est mort conserve ce mecircme aspect sans jamais revenir agrave la vie nest-ce pas une neacutecessiteacute absolue quagrave la fn tout soit mort et rien ne vive Car si dune part les choses vivantes proviennent dautres choses vivantes et si dautre part les chosesvivantes meurent mdash quel moyen deacuteviter que tout ne soit agrave la fn englouti dans la mort 1

Autrement dit limmortaliteacute de lacircme est une neacutecessiteacute ontologique car sans cela

lecirctre nest pas possible et cest de lagrave que la question eacutethique et eacutepisteacutemologique se

pose En effet la fonction de limmortaliteacute de lacircme est double Dune part elle est

eacutethique laquo les morts sy font juger ainsi bien ceux qui ont veacutecu une existence pleine

de deacutecence et de pieacuteteacute que ceux qui ont veacutecu tout autrement raquo2 et chacun meacuterite son

traitement approprieacute laquo ecirctre jeteacutes au Tartare raquo pour les criminels et les demeures les

plus belles reacuteserveacutes pour ceux qui ont meneacute une vie vertueuse3 Dautre part elle est

eacutepisteacutemologique car limmortaliteacute est coupleacutee avec la reacuteminiscence cest-agrave-dire

chercher et apprendre au fond de lacircme Cest gracircce agrave la reacuteminiscence que les reacutealiteacutes

intelligibles sont connaissables4 Or il ne peut y avoir de reacuteminiscence sans

limmortaliteacute de lacircme

Bien plus Socrate intervint Ceacutebegraves cela va aussi dans le sens de la formule (si elle est vraie ) que tu as lhabitude de reacutepeacuteter que pour nous lacquisition dun savoir (μάθησις) se trouve necirctre rien dautre quune reacuteminiscence (ἀνάμνησις) Dapregraves cette formule il est neacutecessaire je pense que dans un temps anteacuterieur nous ayons appris ce dont nous ressouvenons agrave preacutesent Ce qui aurait impossible si notre acircme nexistait pas en quelque faccedilon avant decirctre entreacutee dans cette forme humaine De sorte que par cette voie aussi lacircme semble ecirctre quelque chose dimmortel (ὥστε καὶ ταύτῃ ἀθάνατον ἡ ψυχή τι ἔοικεν εἶναι)5

Cela admis la reacuteminiscence est la cleacute de lecirctre cest-agrave-dire dune belle existence

humaine puisquelle deacutesigne agrave la fois les reacutealiteacutes veacuteritables jadis contempleacutees et le

fait de sy assimiler cest-agrave-dire de se les remeacutemorer Cela eacutetant le fait de sassimiler

au Bien est une question eacutepisteacutemologique et non une question pratique

X 609 d 610 c 615 b 620 a Theacuteeacutetegravete 142 c 176 d Timeacutee 41 b 81 e e 84 c1 Pheacutedon 72 c ndash d2 Ibid 113 d3 Voir 113 d ndash 114 c4 Le substantif ἀνάμνησις apparaicirct 11 fois dans le Pheacutedon 72 e 73 b c d e 74 a d 76 a 91 e 92 c d5 Ibid 72 e ndash 73 a

103

II213 Limmortaliteacute de lacircme comme principe de lecirctre

Le Phegravedre commence par parler de lamour ensuite de lacircme puis de la rheacutetorique et

fnalement de leacutecriture La question se pose quel est le rapport entre limmortaliteacute

de lacircme et les trois autres thegravemes (amour rheacutetorique et eacutecriture) Nous lisons

dabord ce passage

Toute acircme est immortelle En effet ce qui se meut toujours est immortel Or pour lecirctre qui en meut un autre et qui est mucirc par autre chose la cessation du mouvement eacutequivautagrave la cessation de la vie Seul lecirctre qui se meut lui-mecircme puisquil ne fait pas deacutefaut agrave lui-mecircme ne cesse jamais decirctre mucirc mieux encore il est source et principe de mouvement pour tout ce qui est mucirc1

laquo Comment parler pourquoi eacutecrire raquo2 De mecircme pour lamour comment et

pourquoi aimer En effet laquo la cessation du mouvement eacutequivaut agrave la cassation de la

vie raquo La mort annonce la fn de la vie cela eacutetant tout ce qui est mortel ne doit pas

faire les objets de lamour de la parole et de leacutecriture car la nature de lacircme est

immortelle Ainsi dans la vie lamour la parole et leacutecriture doivent sinteacuteresser aux

choses qui sapparentent agrave limmortaliteacute cest-agrave-dire aux reacutealiteacutes veacuteritables Puisque

lacircme elle-mecircme est immortelle il est par conseacutequent senseacute quelle soit amie des

choses immortelles Mais si lacircme est immortelle elle laquo est neacutecessairement

incorruptible raquo3 pourquoi faut-il se montrer critique agrave leacutegard des corrupteurs que

sont les sophistes les rheacuteteurs et les poegravetes Comment se fait-il que lacircme immortelle

soit corruptible En veacuteriteacute ce nest pas limmortaliteacute de lacircme qui est corruptible

mais cest lacircme incarneacutee dans une vie mortelle dougrave la neacutecessiteacute de concevoir la

structure fonctionnelle de lacircme pour comprendre comment lacircme humaine est

corruptible

II22 La structure de lacircme

La tripartition fonctionnelle de lacircme est explicite dans le Phegravedre et la Reacutepublique4

mais les termes employeacutes pour nommer les trois fonctions sont un peu diffeacuterents

dans la Reacutepublique elles sont laquo λογιστικόν ou λογισμός raquo laquo θυμοειδές ou θυμός raquo et

laquo ἐπιθυμία raquo5 En revanche les trois termes laquo λογιστικόν θυμοειδές θυμός raquo sont

1 Phegravedre 245 c ndash d2 Phegravedre laquo Introduction raquo p 133 Ibid 245 d4 Nous reparlerons des trois parties de lacircme du Timeacutee agrave la troisiegraveme partie laquo Lacircme du monde comme

lorigine de lunivers raquo5 laquo Lusage du terme λογιστικόν pour deacutesigner la partie rationnelle de lacircme humaine nest pas

platonicien mais stoiumlcien raquo(Cf Luc Brisson Diogegravene Laeumlce Vies et doctrines des philosophes illustres note ndeg 5 p 439) Par ailleurs bien que le terme λογιστικόν ne soit pas tregraves freacutequent dans les dialogues platoniciens cependant on le trouve concentreacute dans la Reacutepublique voici la liste des

104

absents dans le Phegravedre ougrave la tripartition fonctionnelle de lacircme est deacutecrite de maniegravere

meacutetaphorique agrave savoir lacircme repreacutesenteacutee laquo comme une puissance composeacutee par

nature dun attelage aileacute et dun cocher raquo1

II221 Lattelage aileacute dans le Phegravedre

Dans le Phegravedre la nature de la structure fonctionnelle de lacircme des dieux est quelque

peu diffeacuterente de celle de lacircme humaine Voici la premiegravere description de cette

structure de lacircme

Il faut donc se repreacutesenter lacircme comme une puissance composeacutee par nature dun attelage aileacute et dun cocher Cela eacutetant chez les dieux les chevaux et les cochers sont tous bons et de bonne race alors que pour le reste de vivants il y a un meacutelange Chez nous mdash premier point mdash celui qui commande (ἄρχων) est le cocher dun eacutequipage apparieacute deces deux chevaux mdash second point mdash lun est beau et bon pour celui qui commande et dune race bonne et belle alors que lautre est le contraire et dune race contraire Degraves lors dans notre cas cest quelque chose de diffcile et dingrat que decirctre cocher2

Le cocher le bon cheval et le mauvais cheval mais agrave quoi correspondent chacuns de

ces trois termes En fait un peu plus loin nous avons cette phrase

ζῷον τὸ σύμπαν ἐκλήθη ψυχὴ καὶ σῶμα παγέν θνητόν τ᾽ ἔσχεν ἐπωνυμίαν3

Ce quon appelle laquo vivant raquo cest cet ensemble une acircme et un corps fxeacute agrave elle ensemble qui a reccedilu le nom de laquo mortel raquo

Le corps est par nature une uniteacute deacutesirante qui est deacutepourvue de la raison cest

pourquoi ce dernier est appeleacute agrave gouverner le corps animeacute4 En fait lacircme humaine

dans son eacutetat dincarnation peut avoir deux eacutetats 1 en se deacuteliant du corps lacircme se

trouve dans son eacutetat propre tout en eacutetant fxeacutee au corps5 ainsi cest lacircme qui

passages des dialogues ougrave il apparaicirct Charmide 165 e 166 a a 174 b Euthydegraveme 290 c Gorgias 450 d 451 b c c Hippias mineur 366 c d 367 c Lois III 689 c Philegravebe 56 e Politique 259 e e 260 a Reacutepublique I 340 d IV 439 d 440 e e e 441 a a e 442 c VII 525 a b c 526 b VIII 550 b 553 d IX 571 c d 580 d 587 d X 602 e 605 b Theacuteeacutetegravete 145 a Timeacutee 37 c

1 Phegravedre 246 a2 Ibid 246 a ndash b3 Ibid 246 c4 laquo Socrate mdash Il ne le pourrait en aucune faccedilon Mais si quelque chose manque encore agrave notre

meacutelange cest agrave toi et agrave Philegravebe de le dire Car pour ma part je crois que notre raisonnement (λόγος) est acheveacute comme une sorte dordre incorporel (κόσμος τις ἀσώματος) agrave gouverner (ἄρξων) comme il convient un corps animeacute raquo(Philegravebe 64 b Il faut distinguer entre laquo κόσμος raquo et laquo κόσμος τις ἀσώματος raquo car le κόσμος est un corps laquo Conccedilois donc la mecircme chose agrave propos de ce que nous appelons le monde (κόσμον) il sera eacutegalement un corps (σῶμα) puisquil estconstitueacute des mecircmes eacuteleacutements raquo (Philegravebe 29 e Les mecircmes eacuteleacutements deacutesignent le feu leau lair et la terre cf 29 a) Cf eacutegalement Brisson Luc laquo Le discours comme univers lunivers comme discours raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 209 ndash 218

5 laquo Dans le texte consideacutereacute [Phegravedre 248 a ndash c] Platon distingue trois cateacutegories 1deg les acircmes qui voient lensemble des Formes mais pour peu de temps 2deg les acircmes qui nen voient quune partie 3deg les acircmes qui se contentent de lopinion parce quelles nont rien vu raquo (Brison Luc laquo Le corps animal comme signe de la valeur dune acircme chez Platon raquo Lanimal dans lantiquiteacute Paris Vrin B Cassin amp J-L Labarriegravere (eacuteds) sous la direction de Gilbert Romeyer Dherbey 1997 pp 227 ndash 245 p 230)

105

commande au corps 2 en se liant davec le corps lacircme se met dans un eacutetat

desclave du corps Cest la reacuteminiscence qui fait la diffeacuterence entre ces deux eacutetats

Il faut en effet que lhomme arrive agrave saisir ce quon appelle laquo les formes intelligibles raquo en allant dune pluraliteacute de sensations vers luniteacute quon embrasse au terme dun raisonnement (λογισμῷ) Or il sagit lagrave dune reacuteminiscence (ἀνάμνησις) des reacutealiteacutes jadis contempleacutees par notre acircme quand elle accompagnait le dieu dans son peacuteriple quand elleregardait de haut ce que agrave preacutesent nous appelons laquo ecirctre raquo et quelle levait la tecircte pour contempler ce qui est reacuteellement1

Dans son eacutetat propre lacircme contemple directement les formes intelligibles mais dans

son eacutetat dincarnation elle ne peut les contempler que par le moyen de la

reacuteminiscence Ainsi nous avons trois termes qui correspondent respectivement au

cocher qui gouverne par la raison au bon cheval qui obeacuteit agrave la raison et au mauvais

cheval qui obeacuteit non pas agrave la raison mais agrave lopinion De sorte que celui qui nest pas

capable de se gouverner par la raison possegravede deux chevaux mauvais et par

conseacutequent apregraves la mort son acircme naura pas doccasion de contempler les reacutealiteacutes

veacuteritables puisquelle est deacutepourvue de qualiteacute pour laquo accompagner le dieu dans son

peacuteriple raquo Cela admis mecircme si lattelage aileacute semble meacutetaphorique il nest pas moins

fonctionnel En effet pour lacircme humaine la fonction du cocher est immortelle

mecircme sil peut bien sagir dun mauvais cocher2 les deux chevaux sont

fonctionnellement mortels

II222 La tripartition fonctionnelle dans la Reacutepublique

Dans le Phegravedre la question de lacircme ne semble pas politique mais ontologique qui

permet de diviser les acircmes humaines en neuf cateacutegories selon la distance quelles ont

avec ces deux extreacutemiteacutes plus elle est proche de lintelligible plus son rang est

eacuteleveacutee dans le cas contraire son rang est abaisseacute On voit bien que dans le Phegravedre la

plupart des temps lacircme dont Socrate parle ne se trouve pas dans son incarnation

Tandis que dans la Reacutepublique la question de lacircme est politique et eacutethique lacircme

humaine est apparenteacutee agrave la citeacute ougrave se distinguent les trois groupes fonctionnels agrave

savoir le groupe des producteurs celui des guerriers et celui des philosophes3

Politique car il sagit de lorganisation de la citeacute en trois groupes fonctionnels

Eacutethique parce que ecirctre juste avant tout cest que chacun accomplit sa tacircche propre

1 Phegravedre 249 b ndash c Ici lἀνάμνησις est la seule apparition dans le dialogue2 Comment une mauvaise chose peut-elle ecirctre immortelle En effet quand lacircme se trouve dans

leacutetat pur ougrave elle se seacutepare du corps la fonction rationnelle de lacircme retrouve son eacutetat dintellect cest dans son eacutetat dincarnation que sa fonction rationnelle peut fonctionner mal

3 Cf Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon 1 De la justice Paris Vrin Sous la direction de Monique Dixsaut 2005 pp 25 ndash 41

106

et seulement sa tacircche propre dans la citeacute Cest dans cette perspective que la

tripartition fonctionnelle de lacircme humaine est eacutelaboreacutee

Socrate Nous naurions donc pas tort repris-je de soutenir quil sagit de deux principes et quils diffegraverent lun de lautre lun celui par lequel lacircme raisonne (λογίζεται) nous le nommerons le principe rationnel (λογιστικόν) de lacircme lautre celui par lequel elle aime a faim a soif et qui lexcite de tous les deacutesirs (ἐπιθυμίας) celui-lagrave nous lenommerons le principe deacutepourvu de raison et deacutesirant (ἀλόγιστόν τε καὶ ἐπιθυμητικόν) lui qui accompagne un ensemble de satisfaction et de plaisir

Glaucon Non nous naurions pas tort de penser de cette maniegravere

Socrate Par conseacutequent repris-je distinguons ces deux espegraveces qui se trouvent dans lacircme Mais pour ce qui est du cœur (τοῦ θυμοῦ) cette espegravece par laquelle nous nous emportonssagit-il dune troisiegraveme espegravece ou alors de quelle espegravece parmi les deux premiegraveres est-elle la plus parente par nature 1

Un peu plus loin cette troisiegraveme espegravece dans lacircme τὸ θυμοειδές a pour fonction

naturelle laquo decirctre un auxiliaire du principe rationnel raquo2 cela eacutetant τὸ θυμοειδές nest

pas irrationnel mais se trouve entre le λογιστικός et lἐπιθυμία un tel naturel est

tout agrave fait pertinent pour les acircmes des guerriers En effet la citeacute exige

fonctionnellement deux vertus aux producteurs agrave savoir la justice et la modeacuteration

Par la justice ils ne doivent pas envisager autre meacutetier que decirctre producteurs et par

la modeacuteration ils ne doivent pas produire plus que lon ne leur demande En dautres

termes ecirctre fonctionnellement juste et modeacutereacute pour les producteurs cest ecirctre

docilement dirigeacute dans la mesure ougrave la citeacute elle-mecircme est juste cest-agrave-dire dirigeacutee

par les philosophes ou plus pertinemment par la science (ἐπιστήμη) En revanche

pour les guerriers les choses se compliquent car dans une bataille par exemple ils

doivent ecirctre non seulement capables dobeacuteir aux ordres mais aussi et surtout

capables de juger la situation qui deacutepasse les ordres de distinguer entre laquo ce quil

faut redouter et ce quil ne faut pas craindre raquo3 cest pourquoi le courage est

indispensable pour les guerriers Mais agrave la diffeacuterence de la justice et de la modeacuteration

qui consistent agrave obeacuteir docilement agrave ce que la tacircche propre exige (sur le plan eacutethique

ecirctre juste et modeacutereacute na pas vraiment besoin de reacutefexion lobeacuteissance sufft mais sur

le plan professionnel il est neacutecessaire de reacutefeacutechir pour exceller dans la tacircche propre)

le courage exige le raisonnement et la sagesse (σοφία) lintellection

1 Reacutepublique IV 439 d ndash e2 Ibid 441 a3 Ibid 433 c

107

II23 Communication entre le sensible et lintelligible

Voici la structure de la communication entre les deux mondes sensible et intelligible

reacutealiteacutes

intelligibles

acircme

immortelle

ecirctre humain

reacutealiteacutes

sensiblesau niveau de lacircme au niveau du corps

intellect reacuteminiscence raisonnement meacutemoire sensation

La sensation est linterface entre le monde sensible et la meacutemoire qui est linterface

entre la meacutemoire et la faculteacute de raisonnement de mecircme que la reacuteminiscence est une

interface lintellect eacutegalement Le tableau montre les cinq termes qui constituent la

structure de la communication entre le sensible et lintelligible agrave savoir lintellect

(νοῦς) la reacuteminiscence (ἀνάμνησις) le raisonnement (διάνοια) la meacutemoire (μνήμη)

et la sensation (αἴσθησις)

bull Intellect

Dans ce passage du livre VI de la Reacutepublique lintellect est deacutefni comme la faculteacute de

lacircme agrave voir les reacutealiteacutes intelligibles cest-agrave-dire les Formes

Σωκράτης

οὕτω τοίνυν καὶ τὸ τῆς ψυχῆς ὧδε νόει ὅταν μὲν οὗ καταλάμπει ἀλήθειά τε καὶτὸ ὄν εἰς τοῦτο ἀπερείσηται ἐνόησέν τε καὶ ἔγνω αὐτὸ καὶ νοῦν ἔχειν φαίνεται ὅταν δὲ εἰς τὸ τῷ σκότῳ κεκραμένον τὸ γιγνόμενόν τε καὶ ἀπολλύμενον δοξάζει τε καὶ ἀμβλυώττει ἄνω καὶ κάτω τὰς δόξας μεταβάλλον καὶ ἔοικεν αὖ νοῦν οὐκ ἔχοντι1

Socrate

Conccedilois donc maintenant quil en est de mecircme pour la vision de lacircme Lorsquelle se tourne vers ce que laveacuteriteacute et lecirctre illuminent alors elle le pense elle le connaicirct et elle semble posseacuteder lintellect Lorsquelle se tourne cependant vers ce qui est mecircleacute dobscuriteacute sur ce qui devient et se corrompt alors elle a des opinions dans lesquelles elle sembrouille en les revirant en tous sens et on dirait quelle est alors deacutepourvue dintellect

Les reacutealiteacutes intelligibles illuminent comme le soleil rayonne Si lacircme ne les voit pas

cest parce quon est dans lobscuriteacute comme les hommes enchaicircneacutes se trouvant au

fond de la caverne Or le fait dilluminer de rayonner cest eacuteclairer cest la clarteacute

Cela admis quand un esprit est incapable ou beaucoup moins capable de clarteacute cest

que lintellect cest-agrave-dire la vision de lacircme ne fonctionne pas ou pas correctement

bull Reacuteminiscence

Dans le Meacutenon la reacuteminiscence est clairement deacutefnie comme le fait de chercher et le

1 Ibid VI 508 d

108

fait dapprendre ce que lacircme voit avant de simplanter dans un corps1 Ainsi laquo la

reacuteminiscence est distincte de la deacutecouverte qui reacutesulte de leacuteducation et de

lapprentissage raquo2 cela eacutetant la reacuteminiscence nest pas une acquisition dun savoir

fondeacutee sur le modegravele laquo maicirctre-eacutelegraveve raquo En effet le modegravele laquo maicirctre-eacutelegraveve raquo deacutepend en

partie du corps (les organes des sens par exemple) mais aussi de certaines conditions

mateacuterielles Par contre la reacuteminiscence est entiegraverement indeacutependante du corps

Socrate Lorsque lacircme au mieux quelle le peut parvient agrave saisir indeacutependamment du corps et par elle-mecircme ce dont elle a jadis pacircti conjointement avec le corps ne dit-on pas nest-ce pas quelle a une reacuteminiscence 3

En reacutealiteacute la reacuteminiscence est synonyme de lintellect puisquelle signife

lintellection

bull Raisonnement ou penseacutee

Les choses les plus approprieacutees pour deacutesigner le raisonnement (διάνοια) sont les

matheacutematiques

Glaucon Tu appelles donc penseacutee (διάνοια) me semble-t-il et non intellect lexercice habituel des geacuteomeacutetries et des praticiens de disciplines connexes puisque la penseacutee est quelque chose dintermeacutediaire entre lopinion et lintellect

Socrate Mais tu me suis parfaitement repris-je4

Les matheacutematiques sont infeacuterieures agrave lintellect pour une raison simple elles sont

incapables de dire ce quest le Bien dindiquer ce que sont les maux deacutevaluer la

morale dempecirccher le mauvais usage des biens particuliers de convaincre les gens

de ne pas commettre linjustice deacuteduquer les gens de ne jamais causer du tort agrave qui

que ce soit En dautres termes les matheacutematiques en tant que telles ne sont pas

bonnes en soi ce sont des biens speacutecifques Cependant elles sont utiles pour former

la rigueur dont la philosophie a besoin dans ses argumentations5 et pour aider agrave

mieux comprendre lunivers dont la totaliteacute ordonneacutee toujours en mouvement de

maniegravere harmonieuse constitue une inspiration politique Mais sur le plan politique

et eacutethique les matheacutematiques permettent dapprendre agrave former une habitude de

lobeacuteissance aux lois puisque les matheacutematiques sont les lois auxquelles lunivers

1 Voir Meacutenon 81 c ndash d2 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 1313 Philegravebe 34 b4 Reacutepublique VI 511 d5 Le Timeacutee est le dialogue le plus matheacutematique parmi les dialogues platoniciens mais ce nest pas

pour autant que le discours de Timeacutee est le plus rigoureux dans largumentation philosophique car la fabrication de lacircme du monde pose un grand problegraveme ontologique nous en parlerons sous peu dans la section laquo II 3 Lorigine de lunivers dans le Timeacutee raquo

109

obeacuteit dougrave limportance des matheacutematiques dans leacuteducation dans la citeacute il semble

que cest sous cet angle que Socrate parle delles dans la Reacutepublique

bull Meacutemoire et sensation

Dans le Philegravebe la meacutemoire est deacutefnie comme laquo sauvegarde de la sensation raquo

Socrate Mon opinion est alors quon sexprimerait droitement en nommant la meacutemoire laquo sauvegarde de la sensation raquo1

Ainsi la meacutemoire signife agrave la fois la faculteacute de sauvegarder et son objet sauvegardeacute

cest gracircce agrave la meacutemoire que la sensation peut ecirctre transmise agrave lacircme

La sensation est affaire de communication Ce qui est communiqueacute cest la proprieacuteteacute que manifeste un objet par lintermeacutediaire dun mouvement qui trouve sa source agrave lexteacuterieurEt la transmission de ce mouvement se fait de faccedilon meacutecanique de partie en partie par une circulation agrave travers le vivant en son entier corps et acircme En effet le destinataire fnal de ce processus de transmission est la partie rationnelle de lacircme2

Bien que la sensation soit eacutetroitement lieacutee au corps elle nen est pas moins une

fonction de lacircme car la chose deacutepourvue de lacircme ne peut avoir la sensation cette

fonction permet agrave lacircme de remonter du sensible jusquagrave lintelligible par la sensation

puisque le sensible participe agrave lintelligible

II3 Lorigine de lunivers dans le Timeacutee

laquo L e Timeacutee devait avec le Critias et Hermocrate faire partie dune trilogie deacutecrivant

lorigine de lunivers celle de lhomme et celle de la socieacuteteacute raquo3 Y a-t-il vraiment une

origine de lunivers Notre position est que lunivers en tant que la totaliteacute du monde

sensible ordonneacute na ni commencement ni fn Si ceacutetat le cas pour quelle raison

existerait-il des formes intelligibles avant la naissance de lunivers Si ceacutetait

vraiment le cas il nexisterait pas le contraire de lintelligible avant la naissance de

lunivers cela semble inimaginable pour Socrate Mais cette position ne remet pas en

cause le fait que lunivers soit perpeacutetuellement en mouvement et en devenir et par

conseacutequent tout ce qui se trouve dans lunivers a un commencement et une fn En

effet supposons quil existe une origine de lunivers comme ce que preacutetend lexposeacute

de Timeacutee dans le dialogue qui porte son nom agrave savoir que cest le deacutemiurge qui a

fabriqueacute lunivers (son acircme et son corps) en regardant les formes intelligibles pour

1 Philegravebe 34 a2 Brisson Luc laquo Perception sensible et raison dans le Timeacutee raquo Interpreting the Timaeus mdash Critias

Proceeding of the IV Symposium Platonicum Selected Papers Tomaacutes Calvo and Luc Brisson (eacuteds) Sankt Augustin Academia Verlag 1997 pp 307 ndash 316 p 311

3 Timeacutee laquo Introduction raquo p 9

110

assurer la ressemblance entre lunivers et son modegravele1 Notons que le corps de

lunivers a eacuteteacute fabriqueacute agrave partir de quatre eacuteleacutements (le feu la terre leau et lair) 2 et il

contient en totaliteacute3 Cela eacutetant les quatre eacuteleacutements existent neacutecessairement avant la

formation de lunivers cest-agrave-dire avant sa fabrication par le deacutemiurge 1 Agrave

commencement aucun corps ceacuteleste nexistait4 ainsi la question se pose ougrave et

comment eacutetait laquo stockeacutee raquo la totaliteacute des quatre eacuteleacutements Sils se trouvaient sous une

forme deacutenergie pure il aurait fallu que le deacutemurge la transforme en quatre eacuteleacutements

distincts sous forme sensible avant de les utiliser pour fabriquer le corps de lunivers

Dans ces conditions le deacutemurge est lorigine de lunivers dans la mesure ougrave il peut

reacutesoudre le point suivant 2 Les quatre eacuteleacutements signifent deacutesordre puisquils sont

deacutepourvus de toute forme de toute limite et de tout ordre cela eacutetant avant quils

prennent la forme du corps de lunivers ils se trouvent dans leur eacutetat pur de

deacutesordre cela signife que le deacutesordre a le mecircme statut que la Forme autrement dit

le deacutesordre est bel et bien un ecirctre en soi et par soi tout en restant toujours le mecircme agrave

savoir le deacutesordre jusquagrave ce que le deacutemiurge le transforme en quatre eacuteleacutements

sensibles Comment ces deux choses contraires (la Forme et le deacutesordre pur)

pourraient-elles avoir la mecircme nature et ainsi le mecircme statut

Reste agrave savoir laquo agrave quelles conditions le monde sensible peut-il devenir connaissable

Voila la question agrave laquelle cherche agrave reacutepondre Platon dans le Timeacutee raquo5 Si nous

admettons le premier point que nous venons dexposer tant que nous ne savons pas

comment une eacutenergie pure de deacutesordre se transforme en la totaliteacute des quatre

eacuteleacutements sensibles le sensible reste diffcilement connaissable car les proprieacuteteacutes des

quatre eacuteleacutements devraient se former pendant cette transformation Or dans le Timeacutee

il ny a rien sur la formation mecircme des quatre eacuteleacutements ni sur leur origine mecircme En

revanche si lunivers ne connaicirct ni commencement ni fn il est perpeacutetuellement en

mouvement en devenir dun eacutetat cosmologique en un autre eacutetat sans changer sa

nature dordre (de κόσμος) alors le sensible est tout agrave fait connaissable en raison du

fait que les quatre eacuteleacutements ne sont pas le reacutesultat dune transformation de nature ils

sont tels quils sont dans lunivers Cela eacutetant il sufft deacutetudier ces quatre eacuteleacutements

mecircmes pour connaicirctre leurs proprieacuteteacutes En revanche dans le cas ougrave les quatre

1 Voir Timeacutee 28 a ndash b 29 a2 Ibid 31 b ndash 33 a3 Ibid 32 c ndash 33 b4 Supposons que le ciel existe mais pas lespace-temps puisque lunivers est caracteacuteriseacute par lespace-

temps Ainsi on a bonne raison de supposer que le ciel avant la naissance de lunivers est totalement vide

5 Timeacutee laquo Introduction raquo p 14

111

eacuteleacutements connaissent leur origine il faut non seulement eacutetudier les quatre eacuteleacutements

mecircmes mais aussi et surtout leur origine afn de connaicirctre leur proprieacuteteacute ce qui est

impossible scientifquement si lon ne recourt pas agrave la mythologie De mecircme pour

lunivers il est connaissable sil na ni commencement ni fn car dans ces conditions

sa nature ne peut ecirctre forgeacutee que par la science mais inconnaissable si lhypothegravese

dexistence dune origine de lunivers est admise car dans ce cas-lagrave il faut chercher

aussi et surtout agrave connaicirctre la volonteacute du pegravere de lunivers puisquil sagit de

connaicirctre lorigine de lunivers or ce pegravere est inconnaissable par la science

II31 Le deacutemiurge et lunivers

Pour quoi le deacutemiurge fabrique-t-il lunivers Voici la reacuteponse laquo deacutepourvu de

jalousie il [le deacutemiurge] souhaita que toutes choses devinssent le plus possible

semblables agrave lui raquo1 Cest quelque peu paradoxal et mecircme contradictoire car

pourquoi fabriqua-t-il lunivers qui est synonyme de devenir alors quil est lui-mecircme

toujours le mecircme identique agrave lui-mecircme Eh bien pour que le sensible lui ressemble

Creacuteer un monde qui lui est infeacuterieur cest pour quil lui ressemble cest plus que la

jalousie cest la source mecircme de la jalousie car il cherchait agrave ecirctre admireacute moins

noble que la rose2

Bien que le deacutemiurge soit capable de fxer ses regard sur les formes intelligibles pour

fabriquer lunivers3 nous devons nous demander si Timeacutee cet illustre italien du sud

posseacutedait vraiment la science de ce qui est cest-agrave-dire des formes intelligibles

Effectivement tous les vivants intelligibles ce vivant les tient enveloppeacutes (περιλαβὸν) en lui-mecircme la mecircme faccedilon que notre monde nous contient nous et toutes les autres creacuteatures visibles4

Agrave noter dans le Timeacutee les deux verbes περιλαμβάνειν et περιέχειν sont

synonymes puisque un peu plus loin Timeacutee dit ceci laquo En effet ce qui enveloppe

(περιέχον) tout ce quil y a de vivants intelligibles ne saurait jamais venir apregraves un

autre au second rang raquo5 Envelopper nous lavons vu dans le chapitre preacuteceacutedent cest

une conception parmeacutenidienne cest-agrave-dire sensible de la participation du monde

sensible au monde intelligible participer cest envelopper6 Timeacutee et Parmeacutenide

1 Ibid 29 e2 laquo La rose est sans pourquoi feurit parce quelle feurit Na souci delle mecircme ne deacutesire ecirctre vue raquo

(un poegraveme latin citeacute par M Heidegger dans son livre Le principe de raison Paris Gallimard Tel2013 p 107)

3 Voir Timeacutee 28 d ndash 29 a4 Timeacutee 30 c5 Ibid 31 a6 Voir particuliegraverement Parmeacutenide 138 a ndash b

112

confondent les deux choses ce qui est et la connaissance de ce qui est Nous

pouvons posseacuteder une connaissance de ce qui est mais pas ce qui est Cela est

dautant plus eacutetonnant que ce sont presque exclusivement Parmeacutenide et Timeacutee qui

emploient ces deux verbes1 Cela montre agrave tel point la coheacutesion de lensemble des

œuvres de Platon est forte le mecircme esprit emploie des mecircmes mots

Le deacutemiurge laquo souhaitait en premier lieu que le monde fucirct avant tout un vivant

parfait (τέλεον) constitueacute de parties parfaites (τελέων) raquo2 Contradiction comment

laquo un monde visible et tangible raquo qui repreacutesente le devenir peut-il ecirctre parfait

Comment le feu leau lair et la terre qui sont eux-mecircmes deacutepourvus dintellect

peuvent-ils ecirctre parfaits Si le monde et ses parties sont tous parfaits agrave quoi sert

lintellect que le deacutemiurge met dans lacircme du monde 3 Pour Timeacutee ecirctre parfait cest

ecirctre laquo exempt de vieillesse et de maladie raquo4 et non pas exempt de commettre

linjustice Lagrave encore Timeacutee rejoint Parmeacutenide en ce qui concerne lemploi de ladjectif

τέλεος (parfait) qui nest pas associeacute au Bien5 Tandis que pour Socrate le terme est lieacute

au Bien puisque lhomme qui arrive agrave saisir les formes intelligibles devient vraiment

parfait6

laquo En effet celui qui la constitueacute a consideacutereacute que le monde serait bien meilleur sil se

suffsait (αὔταρκες) agrave lui-mecircme plutocirct que sil eacutetait deacutependant de quoi que ce soit raquo7

Comment les vivants dieux ou hommes peuvent-ils se suffre moralement sans les

reacutealiteacutes intelligibles dont lunivers tout entier deacutepend La liste des contradictions des

propos de Timeacutee sur la fabrication de lunivers par le deacutemiurge est longue nous nous

arrecirctons lagrave En effet lunivers est quelque chose de tellement complexe qui deacutepasse

1 Voici la liste de lapparition de ces deux verbes dans le corpus platonicien Critias 118 a (περιέχον) Lois IV 718 c (περιλαβόντα) VIII 837 a (περιλαβὸν) 841 c (περιλαβόντα) XI 927 a (περιέχοντες) Meacutenon 85 a (περιέχουσαι) 87 d (περιέχει) Parmeacutenide [13 fois] 138 a (περιέχοιτο) 138 a (περιέχον) 138 b (περιέχοντι) 138 b (περιέχον) 144 e (περιέχεται) 145 a (περιέχον) 145 c (περιέχεται) 145 c (περιέχεται) 145 c (περιέχοιτο) 150 a (περιέχουσα) 150 a (περιέχουσα) 150 e (περιέχον) 151 b (περιέχοντα) Phegravedre 273 e (περιλαμβάνειν) Politique 282 a (περιλαμβάνειν) 294 b (περιλαβὼν) 305 e (περιλαβόντες) Reacutepublique VIII 546 b (περιλαμβάνει) Sophiste 220 c (περιέχον) 226 e (περιλαβεῖν) 246 a (περιλαμβάνοντε) Theacuteeacutetegravete 148 a (περιλαμβάνει) Timeacutee [9 fois] 25 a (περιέχουσα) 30 c (περιλαβὸν) 31 a (περιέχον) 31 a (περιέχοντι) 33 b (περιέχειν) 56 e (περιλαμβανόμενον) 57 a (περιλαμβανόμενα) 81 c (περιλαμβανόμενα) 92 c (περιέχον)

2 Timeacutee 32 e3 Voir Ibid 31 b4 Ibid 33 a Nous allons voir dans la derniegravere section du chapitre que pour que le ciel soit parfait il

faut introduire dans le ciel les espegraveces mortelles (Voir 41 c)5 Voir Parmeacutenide 136 c 157 e 157 e 162 a 162 b 162 b Timeacutee 27 b 30 d 32 d 32 d 33 a 34 b 34 b 39

d 39 d 39 e 416 Voir Phegravedre 249 b ndash d7 Timeacutee 33 d Cf aussi Timeacutee laquo Notes raquo ndeg 151 p 233 laquo Lideacuteal dαὔταρκες comme capaciteacute morale

autant queacuteconomique de suffre agrave ses besoins est deacutejagrave preacutesent chez Deacutemocrite (DK 68 B 246) raquo

113

de tregraves tregraves loin tout entendement humain que toute hypothegravese consistant agrave lui

attribuer un commencement une naissance venue de nulle part ne peut eacutechapper agrave

de nombreuses contradictions et que seule lhypothegravese consistant agrave reconnaicirctre

limmortaliteacute du monde en tant quunivers sans commencement ni fn peut eacuteviter les

contradictions fagrantes

II32 Lacircme humaine

Lunivers et les dieux que le deacutemiurge creacutea sont en effet laquo ni immortels ni totalement

indissolubles raquo1 cela semble confrmer notre analyse preacuteceacutedente ils ne sont ni bons

ni mauvais comme Eacuteros qui a exactement la mecircme nature agrave savoir ni immortels ni

totalement indissolubles En ce sens les dieux du Timeacutee sont infeacuterieurs aux dieux

dont Socrate parle qui sont tous bons beaux sages immortels puisquils sont

veacuteritablement savants2 Ce sont ces dieux ou les fls du deacutemiurge qui furent chargeacutes

par leur pegravere de faire naicirctre les espegraveces mortelles qui ne sont pas encore neacutees

Eh bien maintenant voici les instructions que je vous donne tenez-en compte Parmi les espegraveces mortelles il en reste trois qui ne sont pas encore neacutees Or si elles ne viennent pas agrave lexistence le ciel ne sera pas parfait Car il naura pas en lui toutes les espegraveces devivants il faut que ces espegraveces mortelles naissent si le ciel doit ecirctre absolument parfait Or sils tenaient de moi leur naissance et leur participation agrave la vie ces ecirctres seraient les eacutegaux des dieux Afn donc que ces ecirctres soient mortels et pour que le tout soit reacuteellement tout appliquez-vous selon votre nature agrave ecirctre les deacutemiurges de ces vivants prenant modegravele sur la puissance que jai deacuteployeacutee pour assurer votre naissance Et en ce qui concerne la partie qui en eux doit porter le mecircme nom que les immortels cette partie quon appelle laquo divine raquo et qui commande chez ceux dentre eux qui ne cessent depratiquer la justice et qui souhaitent vous suivre cette partie que jai semeacutee et que jai pris initiative de faire venir agrave lexistence je vais vous la confer Pour le reste enlacez agrave cette partie immortelle une partie mortelle fabriquez les vivants faites-les naicirctre donnez-leur de la nourriture faites-les croicirctre et quand ils peacuteriront recevez-les de nouveau aupregraves de vous raquo3

Premiegraverement laquo ces ecirctres seraient eacutegaux des dieux raquo il semble que lon nest plus

dans lunivers platonicien en tout cas pas chez le Socrate de Platon On pourrait dire

que dans le Phegravedre lacircme des dieux est en quelque sorte similaire agrave celle des ecirctres

humains la structure de leur acircme est la mecircme un attelage aileacute un cocher avec deux

chevaux4 Simplement chez les dieux les chevaux sont bons et de bonne race ce qui

1 Ibid 41 b2 Voir Apologie 23 a laquo le vrai savant ce soit le dieu raquo Banquet 230 e ndash 204 a laquo Aucun dieu ne tend

vers le savoir ni ne deacutesire devenir savant car il lest raquo Phegravedre 246 d ndash e laquo Or le divin est beau sage bon et possegravede toutes les qualiteacutes de cet ordre raquo

3 Ibid 41 b ndash d4 Voir Phegravedre 246 a ndash b

114

nest pas le cas chez les ecirctres humains en plus lacircme des dieux est aileacutee ce qui nest

pas le cas non plus chez les ecirctres humains pas mecircme chez les philosophes sauf

exception faite pour lhomme qui a aspireacute loyalement au savoir ou qui a aimeacute les jeunes gens pour les faire aspirer au savoir Lorsquelles ont accompli trois reacutevolutions de mille ans chacune les acircmes de cette sorte si elles ont choisi trois fois de suite ce genre de vie se trouvent pour cette raison pourvues dailes et agrave la trois milliegraveme anneacutee ellesseacutechappent1

Enfn le dieu a un corps laquo laile est dune certaine maniegravere la reacutealiteacute corporelle qui

participe le plus au divin raquo cest-agrave-dire agrave limmortaliteacute Cela eacutequivaut agrave dire que laile

nest pas une meacutetaphore mais un corps immortel Au fond on trouve peu de choses

eacutegales entre lacircme des dieux et lacircme des ecirctres humains agrave part la structure

fonctionnelle de lacircme En revanche pour le deacutemiurge cette eacutegaliteacute vient de sa

volonteacute Une telle conception de leacutegaliteacute entre les ecirctres humains et les dieux semble

revenir agrave la tradition mythologique des dieux laquo lacircme des dieux traditionnels est en

tout point similaire agrave celle des des ecirctres humains cest pourquoi les dieux peuvent

ecirctre sujets agrave lagressiviteacute et connaicirctre sentiments et passions raquo2 une telle conception

de dieu nest pas possible pour Socrate

Deuxiegravemement rendre mortels ces ecirctres cest pour rendre le ciel parfait sinon le tout

(τὸ τᾶν) ne serait pas vraiment le tout puisquil manquerait de choses imparfaites

Cest une eacutetonnante conception du parfait qui a besoin de lexistence de choses

imparfaites pour ecirctre parfait Si ces ecirctres neacutetaient pas mortels le ciel ou plutocirct le

deacutemiurge qui le creacutea sennuierait La question se pose ainsi si lon a le pouvoir de

rendre quiconque immortel pourquoi faudrait-il le rendre mortel Eacuteros est tantocirct

immortel cest la volonteacute de sa megravere mortelle Peacutenia il est tantocirct mortel cest parce

que son pegravere Peacuteros un dieu le ft involontairement puisquil laquo se traicircna dans le

jardin de Zeus et appesanti par livresse sy endormit raquo3 On peut aiseacutement constater

que dans les dialogues platoniciens ougrave Socrate est le meneur de jeu le fait decirctre

parfait est volontaire et le fait decirctre imparfait est involontaire

Troisiegravemement laquo faites-les naicirctre donnez-leur de la nourriture faites-les croicirctre et

quand ils peacuteriront recevez-les de nouveau aupregraves de vous raquo Que lon ait eu une vie

juste ou injuste on serait accueilli par le dieu ayant donneacute la vie Cest absolument

bienveillant de la part du deacutemiurge et des dieux agrave leacutegard des mortels et plutocirct

1 Phegravedre 249 a2 Brisson Luc laquo Le corps des dieux raquo Les dieux de Platon Caen Presses Universitaires de Caen 2012

[2003] pp 11 ndash 23 p 193 Banquet 203 b

115

rassurant Par rapport aux dieux de la Reacutepublique du Phegravedre ou du Pheacutedon les dieux

d u Timeacutee sont beaucoup plus sympathiques indulgents et solidaires Par exemple

dans le mythe dEr les dieux sont seacutevegraveres impitoyables mecircme laquo de la vertu

personne nest le maicirctre chacun selon quil lhonorera ou la meacuteprisera en recevra

une part plus ou moins grande La responsabiliteacute appartient agrave celui qui choisit Le

dieu quant agrave lui nest pas responsable raquo1 Pourquoi le dieu est-il si dur Cest parce

que lacircme est immortelle elle est entiegraverement responsable de son immortaliteacute Le

dieu est lagrave pour juger les acircmes des mortels cest sans doute une des fonctions decirctre

dieu

En revanche le deacutemiurge semble beaucoup moins rigoureux car il est le premier agrave

ne pas tenir la promesse laquo ces ecirctres seraient les eacutegaux des dieux raquo

Ainsi parla-t-il puis revenu au crategravere dans lequel il avait auparavant composeacute par un meacutelange de lacircme de lunivers il semploya agrave fondre le reste des ingreacutedients utiliseacutesanteacuterieurement en reacutealisant presque le mecircme meacutelange un meacutelange dont les ingreacutedients neacutetaient plus aussi purs quavant mais qui eacutetait de second et de troisiegraveme ordre Apregraves avoir meacutelangeacute le tout il divisa le meacutelange en autant dacircmes quil y a dastres et il affecta chaque acircme agrave un astre2

Ces ecirctres ne seraient plus eacutegaux des dieux comme si le deacutemiurge maitrisait mal son

sujet cela ressemble quelque peu aux fregraveres Eacutepimeacutetheacutee et Promeacutetheacutee dans le mythe

de Protagoras

II4 Conclusion

Lacircme est luniteacute des dialogues platoniciens (sauf dans la seconde partie du

Parmeacutenide) Sans acircme les dialogues platoniciens nont plus de sens Mais la faccedilon

daborder lacircme est tregraves diffeacuterente selon les diffeacuterentes peacuteriodes

Dans les premiers dialogues le souci principal de Socrate est lacircme des jeunes gens

puisquelle est agrave la fois bonne et mauvaise bonne parce quelle ne sait pas dire ce

quelle ne sait pas dailleurs rarement les enfants mentent mauvaise parce quelle ne

sait pas ce quelle sait comme si elle eacutetait ignorante Par conseacutequent elle est

relativement facile agrave eacuteduquer ou corrompre Cest la raison pour laquelle Socrate fait

des sophistes un adversaire ideacuteal cest-agrave-dire un combat philosophique puisque les

sophistes vendent la mauvaise nourriture de lacircme agrave des gens jeunes

particuliegraverement agrave des jeunes gens ayant un bon naturel futures eacutelites de la citeacute Il

faut dire quagrave cette peacuteriode le but nest pas de savoir ce quest lacircme mais de deacutetruire

1 Reacutepublique X 617 e2 Timeacutee 41 d

116

limage du savoir et du pouvoir des sophistes cest pourquoi dans cette peacuteriode on

nentend pas Socrate parler de la nature de lacircme Par exemple agrave aucun moment

Socrate ny a dit que lacircme est invisible Le mot invisible (ἀόρατος ἀιδής ou le verbe

ὁρῆν sous forme neacutegative)1 pour qualifer une chose invisible est totalement absent

dans les premiers dialogues Mais ce nest pas pour autant que nous nous permettons

de dire que Socrate navait aucune intuition de ce quest lacircme agrave cette eacutepoque Cela

semble trompeur Premiegraverement Socrate passait son temps agrave demander ce quest une

chose concregravete ou abstraite il est impensable quil ne se soit jamais demandeacute ce

quest lacircme inimaginable Deuxiegravemement dans le Charmide Socrate accorde la foi agrave

la penseacutee meacutedicale de Zalmoxis laquo lacircme est la source des tous les maux et des tous

les biens raquo Nous autorisons-nous agrave penser que Socrate accorde la foi agrave Zalmoxis par

la croyance et non pas par le raisonnement Troisiegravemement dans lApologie dans ce

ceacutelegravebre passage il souligne quil passait son temps agrave essayer de rendre lacircme des gens

la meilleure possible sachant bien ceci

Ce nest pas des richesses que vient la vertu mais cest de la vertu que viennent les richesses et tous les autres biens pour les particuliers comme pour lEacutetat2

Gagner des richesses sans que lacircme ne soit vertueuse cest un mal Le bon usage de

toutes les richesses en tant que biens deacutepend de la vertu Lagrave on voit deacutejagrave que Socrate

distingue entre ce qui est propre agrave lacircme la vertu et ce qui est propre agrave la vie

sensible les richesses et les autres biens particuliers

Apregraves les premiers dialogues lacircme nest plus objet de critique mais de

connaissance Dabord lacircme est invisible et immortelle 1 Tout ce qui est est

invisible cest-agrave-dire non sensible cest une neacutecessiteacute ontologique 2 Limmortaliteacute

de lacircme est la neacutecessiteacute agrave fois eacutepisteacutemologique et eacutethique sans cette neacutecessiteacute les

formes intelligibles sont inconnaissables puisquon ne peut connaicirctre quelques

choses quon na jamais vues et avec cette neacutecessiteacute lacircme a toute la raison decirctre

1 Apologie μηδὲν ὁρᾷ (40 d) Cratyle ἀιδὲς (403 a) ἀιδοῦς (404 b) Criton οὐχ ὁρᾷς (45 a) Gorgias ἀιδὲς (493 b) Hippias majeur μηδένα ὁρᾶν (299 a) Lois I ἀόριστον (643 d) XI ἀορίστως (916 e) ἀόριστον (916 e) Parmeacutenide οὐχ ὁρᾷς (136 d) Pheacutedon ἀιδῆ (79 a) ἀιδές (79 a) ἀιδὲς (79 a) ἀιδές (79 b) ἀόρατον (79 b) ἀιδὲς (79 b) ἀιδεῖ (79 b) ἀιδές (80 d) ἀιδῆ (80 d) ἀιδὲς (81 a) ἀιδές (81 b) ἀιδοῦς (81 c) ἀιδές (83 b) ἀόρατον (85 e) ὁρατὸν μηδέποτε (79 a) μὴ ὁρῶν (115 e) Phegravedre οὐχ ὁρᾷς (242 a) οὐχ ὁρᾶται (250 d) Philegravebe οὐχ ὁρᾷς (16 a) Republique III οὐχ ὁρᾷς (404 a) οὐχ ὁρᾷς (408 a) V μὴ ὁρῶντας (479 e) VI ἀόρατα (507 e)VII ἀόρατον (529 b) οὐχ ὁρῶσιν (527 e) VIII οὐχ ὁρᾷς (552 d) μὴν ὁρᾷς (577 c) Sophiste ἀοράτου (246 a) ἀοράτου (246 b) ἀόρατα(247 b) Theacuteeacutetegravete ἀόρατον (155 e) οὐχ ὁρᾶν (163 b) οὐχ ὁρᾷ (164 a) οὐχ ὁρᾷ (164 b) οὐχ ὁρᾷς (165 c) οὐχ ὁρᾷς (165 c) μὴ ὁρᾶν (165 c) οὐχ ὁρῶντες (176 e) μὴ ὁρᾶν (182 e) οὐχ ὁρῶ (205 d) Timeacutee ἀόρατος (36 e) ἀιδίων (37 c) ἀοράτοις (43 a) ἀόρατον (46 d) ἀόρατον (52 a) ἀοράτων (83 d) ἀόρατα (91 d)

2 Apologie 30 b

117

juste puisquelle savait jadis ce quest la justice et la neacutecessiteacute decirctre juste Ensuite la

structure fonctionnelle de lacircme permet de connaicirctre les raisons de la source de tous

les biens (gracircce agrave la fonction rationnelle) et de tous les maux (agrave cause de la fonction

deacutesirante) Enfn la connaissance de lacircme est aussi la connaissance de la citeacute

puisque laquo lindividu et la citeacute sont deux supports identiques qui ne diffegraverent que par

la taille et sur lesquels sont inscrites les mecircmes lettres celles de la justice raquo1

Il faut souligner troisiegravemement que avant le Timeacutee limmortaliteacute de lacircme signife

que celle-ci ne connaicirct ni commencement ni fn elle nest pas une volonteacute de qui que

ce soit elle est une reacutealiteacute qui nest ni une Forme ni sensible mais capable de saisir les

Formes et de comprendre les sensibles En revanche si cette immortaliteacute eacutetait voulue

et fabriqueacutee par un ecirctre supeacuterieur2 cela pose un problegraveme triplement insoluble

Ontologiquement le deacutemiurge serait capable de rendre ce qui nest pas est puisque

avant lintervention du deacutemurge lacircme neacutetait pas Mais dans le cas ougrave lunivers et les

acircmes ne connaissent ni commencement ni fn toutes les reacutealiteacutes existent dans le

monde sensible et dans le monde intelligible existent toujours il ny a rien agrave inventer

simplement agrave deacutecouvrir ainsi il est impossible de rendre ce qui nest pas est

Eacutepisteacutemologiquement nous ne pouvons pas connaicirctre vraiment lacircme du monde des

dieux et des hommes sans connaicirctre le deacutemiurge qui est lorigine mecircme de lunivers

sauf si nous faisons entiegraverement confance agrave lexposeacute de Timeacutee Dans ce cas-lagrave

comment peut-on croire que le deacutemiurge ne change pas davis un jour pour rendre

mortels lunivers et toutes les acircmes Eacutethiquement nous ne sommes pas entiegraverement

responsables ni de linjustice commise ni de la justice faite car les creacuteateurs des ecirctres

humains en ont leur part de responsabiliteacute

1 Pradeau Jean-Franccedilois Platon et la citeacute Paris PUF 2010 [1997] p 61 ndash 622 Certes on peut dire que le deacutemiurge est une fonction et non un individu mais aucune fonction ne

peut fonctionner sans aucune intervention dun ecirctre pourvu dacircme

118

Ch III Lignorance121III1 laquo Moi raquo et laquo moi-mecircme raquo121

III11 Alcibiade et laquo connais-toi toi-mecircme raquo122III111 La technique et lignorance124III112 Le deacutesir et lignorance127III113 Le pouvoir et lignorance127

III12 Protagoras et laquo connais-toi toi-mecircme raquo128III121 laquo Rien de trop raquo et Simonide129III122 laquo Rien de trop raquo et Protagoras130III123 laquo Rien de trop raquo et Eacutepimeacutetheacutee131

III13 Philegravebe et laquo Connais-toi toi-mecircme raquo132III131 Quatre eacuteleacutements et le corps134III132 Le plaisir et le deacutesir134III133 La psychologie135

III2 Connaicirctre138III21 Ion linspiration naturelle nest ni art ni science138

III211 Folie divine138III212 Folie divine et les arts humains140III213 Rhapsode142

III22 Lignorance en terme ontologique144III221 Diffeacuterence entre laquo τὸ μὴ εἶναι raquo et laquo τὸ μὴ ὄν raquo 144III222 Lopinion fausse146III223 Refus de la veacuteriteacute147

III23 Theacuteeacutetegravete148III231 Oubli sensation meacutemoire148III232 Ce qui nest pas149III233 Le totaliteacute sans uniteacute151

III3 Paradoxe socratique deacuteclaration dignorance152III31 Sans compeacutetence particuliegravere152III32 Faux ou vrai savant153III33 Le philosophe est neacutecessairement laquo ignorant raquo154

III4 Conclusion154

119

Ch III Lignorance

Lignorance nest pas le fait de ne rien savoir dailleurs ce nest peut-ecirctre mecircme pas

bien grave de ne pas savoir grand-chose pourvu que lon ne preacutetende pas savoir ce

que lon ne sait pas Lignorance cest simaginer savoir ce que lon ne sait pas en

reacutealiteacute Comment se fait-il que lon puisse savoir ce quon ne sait pas Le fait de

savoir ce que lon ne sait pas nest-il pas une forme de mensonge En effet celui qui

a perdu sa meacutemoire ne peut savoir ce quil dit De mecircme celui qui ne se connaicirct pas

soi-mecircme ne peut savoir si ce quil a dit relegraveve du mensonge ou de la veacuteriteacute car le fait

de se connaicirctre soi-mecircme nest autre chose que la reacuteminiscence cest-agrave-dire la

connaissance de la veacuteriteacute dougrave le sens mecircme du ceacutelegravebre preacutecepte delphique laquo γνῶθι

σαυτόν raquo laquo connais-toi toi-mecircme raquo1 Ce qui est eacutetonnant cest cette forme de

dialogue par laquelle le preacutecepte sexprime toi dis-moi connais-toi toi-mecircme

Socrate nous dira que connaicirctre laquo moi raquo et connaicirctre laquo moi-mecircme raquo sont deux choses

diffeacuterentes Agrave vrai dire le laquo moi raquo cest-agrave-dire un ecirctre humain est moins un objet

philosophique que le laquo moi-mecircme raquo cest-agrave-dire laquo mon acircme raquo car sur les choses qui

appartiennent agrave laquo moi raquo les richesses par exemple on na pas vraiment besoin de

philosophe pour mieux sen preacuteoccuper le fait den perdre par hasard ou par

inattention ou par une autre raison sera une leccedilon effcace puisque la perte des

richesses ou dautres biens particuliers est visiblement sensible alors que la perte des

biens de lacircme est insensible dougrave linstallation facile et durable de lignorance dans

lacircme Voici le plan du chapitre mdash laquo Moi et moi-mecircme raquo mdash laquo Connaicirctre raquo mdash

laquo Paradoxe socratique deacuteclaration dignorance raquo

III1 laquo Moi raquo et laquo moi-mecircme raquo

Si lon considegravere Socrate comme laquo le pegravere de la philosophie raquo2 le commencement de

la philosophie paraicirct bien surprenant Dapregraves lApologie ce commencement fut

deacuteclencheacute par un acte anodin de son ami denfance Cheacutereacutephon (21 a) qui est citeacute dans

lApologie et le Charmide et cest au deacutebut du Gorgias que Platon lui accorde la parole

1 Lexpression est aussi mentionneacutee en Alcibiade 124 a ndash b 129 a 130 e 131 b et 132 e en Protagoras343 b en Charmide 164 b 169 d e en Philegravebe 48 c en Phegravedre 229 e et en Lois XI 923 a La reacuteminiscence et le preacutecepte laquo connais-toi toi-mecircme raquo peuvent ecirctre consideacutereacutes comme synonymes simplement le contexte dusage est diffeacuterent la reacuteminiscence est doctrinale tandis que le preacutecepte delphique est aporeacutetique

2 Cf Louis-Andreacute Dorions Socrate p 3

121

un personnage quelque peu impeacutetueux1 laquo un jour quil seacutetait rendu agrave Delphes il osa

consulter loracle pour lui demander mdash et nallez pas je le reacutepegravete minterrompre par

vos cris citoyens mdash si en fait il pouvait exister quelquun de plus savant que moi

Or la Pythie reacutepondit quil ny avait personne de plus savant raquo2 Notons que le but de

cette consultation nest ni savoir son propre sort ni savoir le sort du peuple mais

savoir le vrai sens du savoir En ce sens on peut dire que Cheacutereacutephon nest pas un

ignorant car du moins il se doutait que Socrate eacutetait un sage et cest la raison pour

laquelle il alla consulter loracle Et cest cette consultation qui donne le premier sens

de la philosophie agrave savoir le fait de savoir le vrai sens du savoir Il sagit de

distinguer le savoir de lignorance

En effet lorsque je fus informeacute de cette reacuteponse je me fs agrave moi-mecircme cette reacutefexion laquo Que peut bien vouloir dire la reacuteponse du dieu et quel en est le sens cacheacute Car jai bien conscience moi (ἐμαυτῷ) de necirctre savant ni peu ni prou Que veut donc dire le dieu quand il affrme que je suis le plus savant (τί οὖν ποτε λέγει φάσκων ἐμὲ σοφώτατον εἶναι) En tout cas il ne peut mentir car cela ne lui est pas permis raquo3

Quand il sagit dune communication inteacuterieure on sadresse agrave soi-mecircme en

employant le pronom reacutefeacutechi laquo ἐμαυτόν raquo qui na pas de rapport au corps Le laquo moi-

mecircme raquo cest laquo mon acircme raquo une acircme sadresse agrave elle-mecircme cette communication

inteacuterieure eacutechappe au corps comme si le corps eacutetait au repos Tandis que dans une

communication exteacuterieure on sadresse agrave autres en employant le pronom personnel

laquo ἐγώ raquo qui a un rapport au corps car lἐγώ deacutesigne un ecirctre humain en tant quunion

dune acircme avec un corps4 Ainsi le fait deacutechapper agrave lignorance cest se connaicirctre

soi-mecircme seacuteloigner du corps distinguer laquo ἐγώ raquo et laquo ἐμαυτόν raquo par le moyen du

dialogue En effet chaque fois quon sadresse agrave autres ou agrave soi-mecircme sans dialogue

cest-agrave-dire sans avoir recours agrave la raison on manque une occasion de se connaicirctre

soi-mecircme car le propre de lacircme cest de raisonner cest chercher et apprendre Cest

pourquoi nous parlons ici de lignorance agrave travers lanalyse du ceacutelegravebre preacutecepte

delphique laquo connais-toi toi-mecircme raquo

III11 Alcibiade et laquo connais-toi toi-mecircme raquo

Nous avons expliqueacute dans le chapitre preacuteceacutedent ces trois choses lacircme le corps et le

vivant Voici la question quelles choses de ce vivant sont-elles propres agrave lacircme et

1 Agrave propos du personnage cf Apologie laquo Notes raquo ndeg 66 p 1362 Apologie 21 a3 Ibid 21 b4 Nous preacutefeacuterons ici ne pas traduire en franccedilais le pronom personnel laquo ἐγώ raquo (laquo moi raquo ou laquo je raquo) car

nous sommes dans un corpus platonicien et non dans un corpus psychanalytique

122

quelles autres choses sont-elles propres au corps 1 Cest une question importante de

lAlcibiade Degraves le deacutebut du dialogue Socrate fait observer agrave Alcibiade quil est beau et

dominant sur ses amoureux quil a une famille riche et puissante et fnalement quil

a des ambitions politiques2 En effet toutes ces belles choses lui sont propres cest-agrave-

dire propre agrave un humain qui a une histoire particuliegraverement singuliegravere car les autres

nont pas la mecircme beauteacute la mecircme puissance familiegravere la mecircme fortune les mecircmes

preacutetendants les mecircmes ambitions politiques Lorsque lon prend soin de ces belles

choses propres agrave lui prend-on soin de lui-mecircme Cest ce que Socrate demande

Socrate Eh bien voyons Quest-ce que prendre soin de soi-mecircme Ne nous cachons pas que souvent croyant prendre soin de nous-mecircmes nous ne le faisons pas Quand donc un homme le fait-il Prend-il soin de lui-mecircme agrave chaque fois quil prend soin des chose qui lui sont propres 3

Lui-mecircme lui et les choses qui sy rapportent La cordonnerie permet dameacuteliorer la

chaussure la gymnastique le corps la vertu lacircme Cela eacutetant personne ne peut

savoir ameacuteliorer laquo la chaussure sans savoir ce quest une chaussure raquo4 puisque la

technique deacutepend de son objet lart musical deacutepend de son instrument laquo Mettons La

technique qui permet de sameacuteliorer soi-mecircme pourrions-nous la connaicirctre sans

savoir ce que nous sommes nous-mecircmes raquo5 Se connaicirctre soi-mecircme est la condition

pour prendre soin de soi-mecircme

Socrate Seulement est-ce une chose facile que de se connaicirctre soi-mecircme et est-ce un insouciant qui a mis cette inscription de Delphes ou bien est-ce une tacircche diffcile qui nest pas agrave la porteacutee de tous

Alcibiade Moi Socrate jai souvent penseacute quelle eacutetait agrave la porteacutee de tous mais souvent aussi tregraves diffcile

Socrate Mais quelle soit facile ou pas Alcibiade nous en sommes neacuteanmoins lagrave en nous connaissant nous-mecircmes nous pourrions sans doute connaicirctre la maniegravere de prendre soin de nous-mecircmes Sans cela nous ne le pourrions pas6

La question se pose quelles sont les choses qui nous empecircchent de nous connaicirctre

nous-mecircmes Nous en citons ici trois qui se rapportent au corps pour ainsi dire la

technique le deacutesir et le pouvoir

1 Dans le chapitre preacuteceacutedent nous avons montreacute quagrave travers une lecture du Philegravebe la psychologieest une chose propre agrave ce vivant Pourtant ici dans lAlcibiade la question ne se pose pas en raison du fait que lacircme du jeune Alcibiade nest pas aveugleacutee par des douleurs de lacircme mais par larrogance

2 Alcibiade 104 a ndash c3 Ibid 127 e ndash 128 a4 Ibid 128 e5 Ibid6 Ibid 129 a

123

III111 La technique et lignorance

Dans le corpus platonicien laquo la politique nest pas une τέχνη cest-agrave-dire un savoir

se fondant sur lopinion dont lobjet est le sensible qui est persuasive et agrave la quelle

peuvent effectivement participer tous les hommes raquo1 La question se pose pourquoi

Socrate megravene-t-il quatre seacuteries dexamens sur la technique alors que lambition

dAlcibiade est la politique En effet la technique est un paradigme qui permet de

voir ce qui est invisible comme lexamen de lignorance permet de voir la veacuteriteacute dans

les premiers dialogues et lexamen de lopinion de voir plus clairement la nature de

la science dans le Theacuteeacutetegravete

La premiegravere seacuterie dexamens porteacutes sur la technique se trouve entre les paragraphes

108 b - d ougrave on trouve la premiegravere apparition du terme τέχνη avec six occurrences 2

Le but consiste agrave faire voir lignorance dAlcibiade en termes de τέχνη

Socrate Allons agrave toi Il te faudrait en effet aussi raisonner convenablement Dis-moi dabord quelle est la technique dont deacutependent le jeu de la cithare le chant et la marche correct Quest-ce qui la deacutesigne en entier Ne peux-tu pas encore le dire

Alcibiade Vraiment non

Socrate Essaie de cette maniegravere quelles sont les deacuteesses dont deacutepend cette technique

Alcibiade Ce sont les Muses dont tu parles Socrate3

Le jeu de la cithare le chant et la danse deacutependent de lart du rythme En dautres

termes lart du rythme rend meilleur le jeu de la cithare le chant et la danse Toute

technique est speacutecifque acquise par la pratique sans neacutecessairement poser la

question laquo quest-ce que raquo de la sorte dans sa speacutecifciteacute technique Une technique

est une compeacutetence qui reste quand mecircme une ignorance puisquelle na pas

doccasion de poser la question laquo quest-ce que raquo en ce qui concerne les choses dans

sa propre speacutecifciteacute Par exemple le cordonnier na pas agrave se poser la question

laquo quest-ce que le beau raquo pour fabriquer de belles chaussures

La deuxiegraveme seacuterie dapparition du terme τέχνη se trouve entre les passages 125 d -

126 d avec cinq occurrences Dans la seacuterie preacuteceacutedente la question de la technique

eacutetait abordeacutee sous son aspect individuel alors quil sagit deacutesormais de la technique

1 Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 124

2 Voici la liste des 22 occurrences Premier groupe τέχνην (108 b) τέχνη (108 b) τέχνη (108 c)τέχνη (108 c) τέχνη (108 d) τέχνην (108 d) Second groupe τέχνῃ (124 b) τέχνη (125 d) τέχνη (125 d) τέχνην (126 c) τέχνην (126 c) τέχνη (126 d) Troisiegraveme groupe τέχνη (128 b) τέχνῃ (128 d) τέχνη (128 d) τέχνη (128 e) τέχνη (128 e) τέχνη (128 e) Quatriegraveme groupe τέχνας (131 b) τέχνην (131 b) τέχναι (131 b) τέχνης (133 e)

3 Alcibiade 108 c ndash d

124

du chef chef de chœur chef de navire il sagit de lart de commander Lagrave encore

Alcibiade ne sait pas reacutepondre pertinemment1 Dans lart de lharmonie il ne se

permet pas de jouer ce qui lui semble bon et agrave lui seul Cest de lagrave que deacutecoule cette

phrase

Σωκράτης

οὐδ᾽ εὖ ἄρα ταύτῃ οἰκοῦνται αἱ πόλεις ὅταν τὰ αὑτῶν ἕκαστοι πράττωσιν2

Socrate

Alors les citeacutes ne sont pas bien administreacutees tant que chacun y participe ce qui lui est propre

Un bon chef dorchestre est un chef qui sait ce quest lharmonie musicale et maicirctrise

cet art dorchestrer De la sorte si un musicien dans lorchestre jouait ce qui lui

plaisait et agrave lui seul cela relegraveverait de lignorance de ce musicien (puisque le fait

dobeacuteir aux ordres du chef dorchestre est une question eacutethique et non une question

technique) cela relegraveve aussi et surtout dune certaine ignorance du chef dorchestre

car gouverner les ecirctres humains musiciens matelots ou citoyens cest gouverner

leur acircme Quand une acircme eacutechappe agrave cette gouvernance cest la question laquo quest-ce

quune acircme humaine raquo qui lui eacutechappe De mecircme pour gouverner la citeacute cest

pourquoi le fait de gouverner la citeacute ne relegraveve pas de lart mais de la science

La troisiegraveme seacuterie se concentre sur quatre paragraphes 128 b ndash e avec six occurrences

Socrate Quelle est la technique qui ameacuteliore les chaussures

Alcibiade La cordonnerie

Socrate Cest donc par le moyen de la cordonnerie que nous prenons soin des chaussures

Alcibiade Oui

Socrate Et de nos pieds est-ce aussi par le moyen de la cordonnerie ou bien est-ce une autre technique qui lameacuteliore

Alcibiade Une autre

Socrate La technique qui ameacuteliore les pieds nest-elle pas aussi celle qui ameacuteliore le reste du corps

Alcibiade Oui cest ce quil me semble

Socrate Nest-ce pas la gymnastique

Alcibiade Preacuteciseacutement

Socrate Cest donc par le moyen de la gymnastique que nous prenons soin du pied puis par le moyen de la cordonnerie de toutes les choses qui sy rapportent

Alcibiade Bien sucircr

Socrate Par le moyen de gymnastique de nos mains puis par la ciselure de bague de toutes les

1 Voir 126 e2 Ibid 127 b

125

choses qui se rapportent agrave la main

Alcibiade Oui

Socrate Et par le moyen de la gymnastique du corps puis par le tissage et par dautres techniques de toutes les choses qui sy rapportent

Alcibiade Oui absolument

Socrate Nous prenons donc soin dune chose par le moyen dune technique puis de toutes les choses qui sy rapportent par le moyen dune autre

Alcibiade Cest ce quil semble

Socrate Ce nest donc pas lorsque tu prends soin de toutes les choses qui se rapportent agrave toi que tu prends soin de toi-mecircme

Alcibiade Certes non

Socrate En effet il est apparu que ce nest pas par le moyen de la mecircme technique que lon prendsoin de soi-mecircme et de toutes les choses qui se rapportent agrave soi

Alcibiade Non effectivement

Socrate Maintenant par le moyen de quelle technique pourrions-nous prendre soin de soi-mecircme

Alcibiade Je ne saurait pas le dire1

Aucune technique ne peut permettre de prendre soin de soi-mecircme cest-agrave-dire de

connaicirctre le propre de son acircme (αὐτὸ τὸ αὐτό)2 mais quelle est la chose qui est

veacuteritable propre agrave lacircme Cest lagrave que nous trouvons la quatriegraveme seacuterie de trois

apparitions de la τέχνη dans le seul paragraphe laquo 131 b raquo Voici la deuxiegraveme et la

plus signifcative

Σωκράτης

εἰ ἄρα σωφροσύνη ἐστὶ τὸ ἑαυτὸνγιγνώσκειν οὐδεὶς τούτων σώφρων κατὰ τὴν τέχνην3

Socrate

De sorte que si la tempeacuterance consiste agrave seconnaicirctre soi-mecircme aucun dentre eux nest tempeacuterant du fait de son meacutetier

Pourquoi Cest parce que les techniques sont relatives au corps4 comme la vertu agrave

lacircme cest en ce sens que llaquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo deacutesigne aussi la vertu qui est le reacutesultat

de lintellection

1 Ibid 128 b ndash d2 Voir 130 d laquo quil faut dabord rechercher ce que peut ecirctre le soi-mecircme lui-mecircme raquo (laquo ὅτι πρῶτονσκεπτέον εἴς αὐτὸ τὸ αὐτό raquo) laquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo deacutesigne lintellect cest-agrave-dire la fonction immortelle de lacircme sachant que les deux autres fonctions infeacuterieures sont mortelles Une telle lecture peut paraicirctre improbable agrave leacutepoque de lAlcibiade pourtant cest bien la reacutealiteacute laquo En effetcher Alcibiade le particulier ou la citeacute qui auraient la liberteacute de faire tout ce quils veulent alors quils sont deacutepourvus dintellect que leur arrivera-t-il raquo (134 e et agrave propos de lintellect et laquo αὐτὸ τὸ αὐτό raquo cf Alcibiade laquo Notes raquo ndeg 161 p 217)

3 Ibid 131 b4 Ibid 131 a ndash b

126

III112 Le deacutesir et lignorance

Maicirctriser les choses sensibles relegraveve de la technique Maicirctriser soi-mecircme relegraveve de

lintellection Entre les deux nous avons le deacutesir

Mais tregraves cher laisse-moi convaincre par moi et linscription de Delphes CONNAIT-TOI TOI-

MEcircME que ce sont eux tes rivaux et non pas ceux que tu crois Et nous ne pouvons lemporter sur eux par rien dautre que par le soin et par la technique Si tu te prives de ces choses tu te prives aussi dun nom chez les Grecs et chez barbares ce que tu me sembles deacutesirer (δοκεῖς) comme personne au monde1

Si lon deacutesire la technique il faut la travailler (ἀσκεῖν) lexercer Si lon deacutesire ecirctre

savant il faut prendre soin de soi-mecircme Si lon na que le deacutesir de ne pas travailler ni

prendre soin de soi-mecircme ce nest quune opinion En effet ici Socrate na pas

employeacute le verbe ἐπιθυμεῖν mais δοκεῖν Lἐπιθυμεία est une puissance de lacircme

heacutelas tantocirct positive tantocirct neacutegative alors que la δόξα qui vient du verbe δοκεῖν nest

pas une puissance de lacircme mais du corps Cest en ce sens que lopinion est une

forme de lignorance puisque le corps est deacutepourvu de toute capaciteacute de penser de

raisonner de reacutefeacutechir Autrement dit deacutesirer les choses sensibles relegraveve plus ou

moins de lignorance

III113 Le pouvoir et lignorance

Sur le plan individuel ecirctre juste et tempeacuterant nexige pas vraiment lintellection la

penseacutee (διάνοια) sufft pour obeacuteir agrave qui vaut mieux que soi En revanche quand il

sagit de gouverner de commander lexigence est beaucoup plus eacuteleveacutee Lisons ce

passage

Σωκράτης

τί δ᾽ ἐν νηί εἴ τῳ ἐξουσία εἴη ποιεῖν ὃ δοκεῖ νοῦ τε καὶ ἀρετῆς κυβερνητικῆς ἐστερημένῳ καθορᾷς ἃ ἂν συμβαίη αὐτῷ τε καὶ τοῖς συνναύταις2

Socrate

Et sur un navire si un passager avait la liberteacute de faire ce que bon lui semble en eacutetant priveacute de lintellect et de lexcellence du pilote ne vois-tu pas ce qui lui arriverait agrave lui et comme agrave ses compagnons

Dans le corpus platonicien le mot laquo pilote raquo (κυβερνήτης) a une connotation bien

politique3 gouverner la citeacute comme on pilote un navire Seulement piloter la citeacute

1 Ibid 124 a ndash b2 Ibid 135 a3 Voici la liste doccurrences du substantif Alcibiade κυβερνήτῃ (117 d) κυβερνήτῃ (117 d) κυβερνητῶν (125 e) Banquet κυβερνήτης (197 e) Charmide κυβερνήτης (173 b) Cratyle κυβερνήτης (390 c) κυβερνήτου (390 d) Euthydegraveme κυβερνητῶν (279 e) Gorgias κυβερνήτην(512 b) κυβερνήτου (512 b) Ion κυβερνήτης (540 b) κυβερνήτης (540 b) Lettre VII κυβερνήτου (351 d) Lois I κυβερνήτης (640 e) II κυβερνήτας (674 b) X κυβερνήταις (902 d) κυβερνῆται (905 e) κυβερνήταις (906 e) XII κυβερνήτης (961 e) Phegravedre κυβερνήτῃ (247 c) Politique κυβερνήτης (272 e) κυβερνήτου (273 c) κυβερνήτης (296 e) κυβερνήτην (297 e) κυβερνῆται (298 b) κυβερνητῶν (298 d) κυβερνητῶν (302 a) Protagoras κυβερνήτην (344 d) Reacutepublique I

127

exige une intellection beaucoup plus eacuteleveacutee que de piloter un navire La question se

pose agrave leacutepoque de lAlcibiade la forme intelligible neacutetant pas encore neacutee dans les

dialogues platoniciens dapregraves la chronologie des œuvres de Platon

traditionnellement admise quel est lobjet de lintellection dans lAlcibiade La vertu

en geacuteneacuteral la justice et la tempeacuterance en particulier

Socrate Il faut donc dabord que tu tappropries toi-mecircme lexcellence comme le doit quiconque entend commander et prendre soin non seulement de lui-mecircme et de ce qui lui propre mais aussi de la citeacute et de ce qui lui est propre

Alcibiade Tu dis vrai

Socrate Ainsi tu ne dois te preacuteparer ni agrave la licence ni au pouvoir (βούλῃ) comme tu lesouhaiterais pour toi et pour la citeacute mais agrave la justice et agrave la tempeacuterance1

Faire de la justice et de la tempeacuterance un pouvoir (δύναμις) et non linverse

Autrement dit avant dacceacuteder au pouvoir il faut dabord posseacuteder ces deux vertus

agrave savoir la justice et la tempeacuterance En effet ecirctre orateur (ῥήτωρ2) et strategravege implique

la possession dun important pouvoir dans la citeacute3 Lhistoire montrera quAlcibiade

na pas du tout pris soin de ce pouvoir cest-agrave-dire de la justice et d ela tempeacuterance

mecircme sil a promis de le faire agrave la fn de lAlcibiade laquo La chose est entendue je vais

degraves agrave preacutesent commencer agrave prendre soin de la justice raquo (135 e) Dapregraves le livre IV de

l a Reacutepublique celui qui accegravede au pouvoir politique doit prendre soin des quatre

vertus agrave savoir de la justice de la tempeacuterance du courage et de la sagesse Cela

admis deacutepourvu de ces vertus tout pouvoir est une forme dignorance

III12 Protagoras et laquo connais-toi toi-mecircme raquo

Agrave lopposeacute dAlcibiade le sophiste Protagoras dAbdegravere est reacuteputeacute pour son savoir

cest pourquoi son enseignement coucircte cher Alors pour quelle raison Socrate lui

parle-t-il de ces deux preacuteceptes delphiques laquo Connais-toi toi-mecircme raquo et laquo Rien de

trop raquo Voudrait-il dire que celui qui ne comprend pas laquo Rien de trop raquo ne se connaicirct

κυβερνήτης (332 e) κυβερνήτης (332 e) κυβερνήτης (333 c) κυβερνήτης (341 c) κυβερνήτης (341 c) κυβερνήτης (341 d) κυβερνήτης (342 d) κυβερνήτης (342 e) κυβερνήτῃ (342 e) II κυβερνήτης (360 e) III κυβερνήτην (389 c) κυβερνήτην (397 e) VI κυβερνήτου (488 d) κυβερνήτην (489 b) κυβερνήταις (489 c) VIII κυβερνήτας (551 c)

1 Ibid 134 c2 laquo Le rhegravetocircr est celui qui fait des propositions agrave lAssembleacutee au Conseil aux tribunaux ou devant les

nomothegravetes mais le mot peut eacutegalement signifer celui qui soutient ou combat une initiative prise par un autre raquo (Mogens-HermanHansen La deacutemocratie atheacutenienne agrave leacutepoque de DeacutemosthegraveneStructure principes et ideacuteologie Paris Tallandier Texo 2009 p 309

3 laquo Theacutemistocle Aristide Cimon Peacutericlegraves Cleacuteon Nicias et Alcibiade furent eacutelus et reacuteeacutelus strategraveges tout en menant une carriegravere dorateurs politiques et en proposant des projets de lois agrave lAssembleacutee raquo Dailleurs laquo il semble que les strategraveges aient eu le droit dassister aux reacuteunions du Conseil et dy prendre la parole sans autorisation speacuteciale raquo (Ibid p 310)

128

pas soi-mecircme Le savant humain a-t-il tendance agrave dire beaucoup trop de ce quil sait

laquo Trop raquo est-il une forme dignorance Dans la suite nous essayons de montrer que

le poegravete Simonide le sophiste Protagoras et le dieu Eacutepimeacutetheacutee repreacutesentent le mecircme

type dignorance agrave savoir loubli du preacutecepte laquo Rien de trop raquo

III121 laquo Rien de trop raquo et Simonide

Sans doute est-ce le mythe de Protagoras qui a rendu ceacutelegravebre le dialogue qui porte

son nom et agrave son tour cest ce dialogue qui a rendu ceacutelegravebre le sophiste Apregraves le

mythe le sophiste a prononceacute un magnifque discours Apregraves le discours sont

arriveacutees les questions pas toujours faciles de Socrate Agrave un moment Socrate demande

agrave Protagoras decirctre bref quand il reacutepond Cela a un peu eacutenerveacute le sophiste qui na pas

souhaiteacute continuer la discussion avec Socrate Sous la contrainte de lhospitaliteacute il

accepte de poser des questions agrave Socrate pour continuer la discussion Cest dans ce

contexte que Protagoras cite pour la premiegravere fois une ode de Simonide

ἄνδρ᾽ ἀγαθὸν μὲν ἀλαθέως γενέσθαι χαλεπόν

χερσίν τε καὶ ποσὶ καὶ νόῳ τετράγωνον ἄνευ ψόγου

τετυγμένον1

Sans doute devenir veacuteritablement un homme de valeur est

diffcile carreacute des mains des pieds

et de lesprit bacircti sans reproche

Le sophiste constate que le poegravete se contredit parce quil dit quelque part ceci

οὐδέ μοι ἐμμελέως τὸ Πιττάκειον νέμεται

καίτοι σοφοῦ παρὰ φωτὸς εἰρημένον χαλεπὸν φάτ᾽ ἐσθλὸν

ἔμμεναι

Pas plus quagrave mon oreille ne sonne juste

la parole de Pittacos pourtant prononceacutee

par un savant mortel il est diffcile dit-il decirctre valeureux

Les commentaires se focalisaient beaucoup sur les deux verbes agrave savoir devenir

(γενέσθαι ) et ecirctre (ἔμμεναι) alors que Socrate sinteacuteresse plutocirct agrave la diffeacuterence des

deux mots laquo ἀγαθόν raquo (eacutethiquement bon) et laquo ἐσθλόν raquo (sensiblement beau)

Ladjectif ἐσθλός est totalement absent dans le corpus platonicien sauf dans les

poegravemes citeacutes par Platon dans les dialogues2 En veacuteriteacute le poegravete Simonide a

1 Protagoras 399 b2 Voici la liste Cratyle (Heacutesiode) ἐσθλοί (398 a) Meacutenon (Theacuteogis) ἐσθλῶν (95 d) ἐσθλὰ (95 d)

Protagoras (Simonide) ἐσθλὸν (339 c) ἐσθλὸν (339 d) ἐσθλόν (340 c) ἐσθλὸν (341 c) ἐσθλὸν (343

129

surinterpreacuteteacute la formule de Pittacos laquo Il est diffcile decirctre valeureux raquo en particulier

surinterpreacuteteacute ladjectif ἐσθλός en faisant le parallegravele avec son propre poegraveme laquo Sans

doute devenir veacuteritablement un homme de valeur est diffcile raquo En effet Simonide fait

dire agrave Pittacos ce quil na pas dit laquo Ocirc homme il est diffcile decirctre valeureux raquo1

remarqua Socrate alors que dans la formule de Pittacos citeacutee par Simonide ladjectif

ἐσθλός est employeacute pour qualifer une chose sensible plutocirct quun ecirctre humain en

tout cas le sujet nest pas preacuteciseacute Pour mieux comprendre cette remarque de Socrate

il est bien utile de poser cette question pourquoi Platon nemploie-t-il jamais

ladjectif ἐσθλός dans ses propres textes pas mecircme dans ses lettres Sans doute un

homme de bien et une chose de valeur ne sont pas la mecircme chose La philosophie

sinteacuteresse au premier mecircme si une chose sensible de valeur nest pas agrave meacutepriser

L e Protagoras donne une leccedilon dinterpreacutetation rien de trop laquo Trop raquo ne veut pas

dire laquo court raquo ou laquo laconique raquo mais une analyse complegravete En effet pour celui qui

exprime sa propre penseacutee sur une reacutealiteacute il est preacutefeacuterable decirctre court En revanche

pour celui qui interpregravete la penseacutee dun autre penseur il vaut mieux ecirctre prudent

cest-agrave-dire proceacuteder agrave une analyse la plus complegravete possible

III122 laquo Rien de trop raquo et Protagoras

Quand Protagoras pose la question agrave Socrate sur la diffeacuterence de sens entre les deux

verbes devenir et ecirctre Socrate avoue dans un premier temps que la question du

sophiste est redoutable laquo comme si je venais de prendre un coup de poing dun bon

pugiliste raquo2 cest une faccedilon de reconnaicirctre Protagoras comme un savant mortel

Dailleurs Socrate ne la pas citeacute dans lApologie ougrave apparaissent Gorgias de Leacuteontinoi

Prodicos de Ceacuteos Hippias dEacutelis et Eacuteveacutenos de Paros comme les ecirctres qui sont laquo en

mesure de transmettre aux gens un enseignement raquo laquo en exigeant de largent raquo3 Le

mythe de Protagoras (320 c ndash 322 d) teacutemoigne quil est un savant redoutable car il

laquo illustre une doctrine eacutethique et politique tregraves eacutelaboreacutee raquo en eacutetablissant les quatre

oppositions suivantes 1laquo dieux mortel raquo 2 laquo hommes becirctes raquo 3 laquo technique

deacutemiurge technique politique raquo 4

Cette doctrine eacutethique et politique est caracteacuteriseacutee par ce passage

b) ἐσθλὸν (343 d) ἐσθλὸν (343 e) ἐσθλῷ (344 d) ἐσθλός (344 d) ἐσθλὸν (344 e) ἐσθλόν (344 e) Reacutepublique II (Homegravere) ἐσθλῶν (379 d) ἐσθλῷ (379 d) Reacutepublique V (Heacutesiode) ἐσθλοί (469 a)

1 Protagoras 343 e2 Ibid 339 e3 Voir Apologie 19 d ndash e4 Brisson Luc laquo Sur le Protagoras le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de

Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 113 ndash 122

130

Aussi Zeus de peur que notre espegravece nen vicircnt agrave peacuterir tout entiegravere envoie Hermegraves apporter agrave lhumaniteacute la Vergogne (αἰδῶ) et la Justice (δίκην) pour constituer lordre des citeacutes et les liens damitieacute qui rassemblent les hommes1

Jusque-lagrave les choses sont parfaites la justice pour eacutetablir lordre de la citeacute la retenue

pour maintenir la bonne relation humaine Il ny a rien agrave ajouter pourtant notre

Protagoras paraicirct un peu trop bavard Peu apregraves la fn du mythe le sophiste dit ceci

laquo Lorsquen revanche il sagit de chercher conseil en matiegravere politique chose qui

exige toujours sagesse (σωφροσύνη) et justice [hellip] raquo2 et plus tard dans son discours il

ajoute encore la pieacuteteacute (ὅσιον) Cest ce deacutetail qui a bien eacutetonneacute Socrate laquo Est-ce que la

justice la sagesse et la pieacuteteacute sont les parties ou bien est-ce que toutes les qualiteacutes que

je viens de citer ne sont que les noms dune mecircme reacutealiteacute unique raquo3 Pour

Protagoras la justice la sagesse et la pieacuteteacute ne sont pas tout agrave fait la mecircme chose laquo Agrave

mon avis il y a lagrave une diffeacuterence raquo4 Mais de quelle maniegravere Agrave la maniegravere du visage

ou de lor Le sophiste reacutepondit que ceacutetait agrave la maniegravere du visage Une telle penseacutee

trahit la rigueur et la simpliciteacute du mythe car lorsquun or se divise en quatre

morceaux leur nature et leur fonction sont identiques alors que la nature et la

fonction des yeux de la bouche du nez et des oreilles sont fondamentalement

diffeacuterentes Or le dieu na envoyeacute que deux choses dont chacune est une reacutealiteacute

unique dans sa nature

En effet si Protagoras se concentrait uniquement sur la justice et la vertu telles

quelles sont introduites dans le mythe tout en distinguant entre la justice et la

retenue sans ajouter dans son discours laquo rien de trop raquo que le dieu na pas apporteacute

ainsi le sophiste serait un savant mortel parfait car un vrai savant sait comment ecirctre

fdegravele agrave la parole divine Le discours de Protagoras montre que laquo Rien de trop raquo cest

facile agrave dire mais diffcile agrave faire surtout quand on a beaucoup agrave dire et le plaisir de

bavarder la ferteacute ou la confance excessive peut se transformer facilement en

ignorance

1 Paotagoras 322 b ndash c laquo Le mot αἰδώς lui nest guegravere traduisible (comme il arrive le plus souvent pour les maicirctres mots qui sont les mots teacutemoins par excellence) mais agrave travers la multipliciteacute de ses emplois on peut dire quil deacutesigne un sentiment de respect ou de retenue qui se rapproche au moins de la reacuteveacuterence religieuse mdash qui en fait peut avoir pour objet la diviniteacute mdash mais vaut essentiellement dans lordre des relations humaines ougrave il commande certaines abstentions oucertaines attitudes vis-agrave-vis dun parent dun ecirctre dune eacuteminente digniteacute dun suppliant hellip sentiment agrave la fois social et moral puisque lαἰδώς est agrave la fois soucieuse de lopinion publique dont elle apparaicirct souvent comme la contre-partie et preacuteoccupeacutee dans un sens volontiers aristocratiquede ce que le sujet se doit agrave lui-mecircme raquo (Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 127 ndash 128)

2 Ibid 322 e ndash 323 a3 Ibid 329 c ndash d4 Ibid 331 c

131

III123 laquo Rien de trop raquo et Eacutepimeacutetheacutee

laquo Il fut un temps raquo raconta Protagoras au deacutebut du mythe qui porte son nom ougrave les

dieux chargegraverent les deux fregraveres Promeacutetheacutee et Eacutepimeacutetheacutee laquo de reacutepartir les capaciteacutes

entre chacune des races mortelles en bon ordre comme il convient Eacutepimeacutetheacutee

demande alors avec insistance agrave Promeacutetheacutee de le laisser seul opeacuterer la reacutepartition raquo

Promeacutetheacutee lui donna le feu vert Lorsque toutes les capaciteacutes furent reacuteparties

Eacutepimeacutetheacutee deacutecouvrit le fait quil ny en avait plus aucune pour les ecirctres humains

Cependant comme il neacutetait pas preacuteciseacutement sage (σοφός) Eacutepimeacutetheacutee sans y prendre garde avait deacutepenseacute toutes les capaciteacutes pour les becirctes qui ne parlent pas il reste encore la race humaine qui navait rien reccedilu et il ne savait pas quoi faire1

Certes Eacutepimeacutetheacutee neacutetait pas sage il eacutetait quand mecircme une diviniteacute posseacutedant une

puissance divine En effet le preacutecepte delphique sadresse agrave ceux qui ont une certaine

capaciteacute de faire ou de dire quelque chose celui qui nest capable de rien na pas

besoin decirctre prudent modeacutereacute car personne ne lui precircte loreille ni lui confe quoi

que ce soit ni chose ni tacircche Cest en effet quand on a un certain pouvoir que laquo Rien

de trop raquo simpose ecirctre savant veacuteritable cest necirctre laquo rien de trop raquo Cest peut-ecirctre le

seul point agrave critiquer dans le mythe de Protagoras comment se fait-il quune diviniteacute

puisse manquer de mesure et ecirctre oublieux Cest en ce sens que Protagoras nest pas

radical agrave leacutegard de la tradition puisque ses dieux ressemblent agrave lhumain comme

cest le cas dans la mythologie traditionnelle En fait le fait que les dieux soient

parfaits signife quils connaissent la reacutealiteacute veacuteritable et par conseacutequent quil ne leur

arrive jamais decirctre laquo de trop raquo en quoi que ce soit Cela eacutetant laquo rien de trop raquo signife

la connaissance de la veacuteriteacute synonyme de laquo se connaicirctre soi-mecircme raquo cest-agrave-dire le

contraire de lignorance

III13 Philegravebe et laquo Connais-toi toi-mecircme raquo

Dans le Philegravebe Socrate aborde un nombre consideacuterable de thegravemes qui concernent

presque lensemble du corpus platonicien ici nous en listons quelques uns pour

illustrer la complexiteacute du dialogue2 Dans le domaine ontologie limite illimiteacute

devenir cause Dans le domaine eacutepisteacutemologique νοῦς σοφία ἐπιστήνη

φρόνησις μνήμη τέχνη opinion sensation Dans le domaine cosmologique

κόσμος πᾶν feu eau air terre Dans le domaine eacutethique et politique bien mal

courage justice ecirctre utile (ὠρελεῖν) laquo politique raquo car les verbes comme κοσμεῖν

1 Ibid 321 b ndash c2 Les thegravemes tellement divers importants eacutetudieacutes dans IPS 26 en sont le teacutemoignage (Cf Platos

Philebus J Dillon L Brisson (Eds) Sankt Augustin Academia Verlag 2010)

132

ἄρκειν et συντασσειν relegravevent de la politique1 Dans le domaine psychologique

colegravere peur regret chagrin amour envie jalousie Ou encore lacircme la reacuteminiscence

deacutesir (ὁρμή) plaisir meacutethodes dialectiques De telle sorte quil est diffcile deacutetablir

luniteacute du dialogue2 Certes le thegraveme ἡδονή est tregraves freacutequemment preacutesent dans

presque toutes les pages3 ainsi il peut bien ecirctre consideacutereacute comme connecteur de tous

ces divers thegravemes mais ici nous laissons de cocircteacute la question de luniteacute du Philegravebe car

la tacircche deacutepasse lobjectif de la section Ce qui nous inteacuteresse ici cest lapparition du

ceacutelegravebre preacutecepte delphique laquo Connais-toi toi-mecircme raquo dans le dialogue La question

se pose quel est le rapport avec le plaisir Lisons ce passage dabord

Σωκράτης

ἔστιν δὴ πονηρία μέν τις τὸ κεφάλαιον ἕξεώς τινος ἐπίκλην λεγομένη τῆς δ᾽ αὖ πάσης πονηρίας ἐστὶ τοὐναντίον πάθος ἔχον ἢ τὸ λεγόμενον ὑπὸ τῶν ἐν Δελφοῖς γραμμάτων

Πρώταρχος

τὸ lsquoγνῶθι σαυτὸν λέγεις ὦ Σώκρατες

Σωκράτης

ἔγωγε τοὐναντίον μὴν ἐκείνῳ δῆλον ὅτι τὸ μηδαμῇ γιγνώσκειν αὑτὸν λεγόμενον ὑπὸτοῦ γράμματος ἂν εἴη4

Socrate

Cest en somme une sorte de vice qui tient son nom dune disposition particuliegravere dans lensemble du vice il sagit de celui dont laffection est opposeacutee agrave ce que prescrit linscription de Delphes

Protarque

Tu veux dire le laquo Connais-toi toi-mecircme raquo Socrate

Socrate

Oui cest ce dont je parle Et le preacutecepte opposeacute agrave linscription de Delphes serait eacutevidemment de nepas du tout nous connaicirctre nous-mecircmes

Dans ce passage le terme laquo plaisir raquo (ἡδονή) ne se voit pas mais laffection (πάθος)

qui deacutesigne dans le corpus platonicien ce qui affecte le corps et est transmis agrave lacircme

ainsi elle peut ecirctre le plaisir ou la souffrance La faim est une souffrance mais aussi le

froid le chaud la maladie et ainsi de suite Lorgasme est un plaisir mais aussi le

plaisir deacutecouter une belle musique ou un beau discours le plaisir de voir une œuvre

dart ou dautres belles choses du monde sensible En un mot laffection (πάθος) est

lieacute au corps au monde exteacuterieur cest la raison pour laquelle elle soppose agrave

linscription de Delphes puisque laquo connais-toi toi-mecircme raquo consiste agrave connaicirctre

1 Puisque laquo les verbes les verbes κοσμοῦσα (Philegravebe 30 c 5) συντάττουσα (Philegravebe 30 c 5) et ἄρχει (Philegravebe 30d8) sont du cocircteacute de lorganisation de ladministration raquo (cf Luc Brisson laquo Lecture duPhilegravebe 29 a 6 ndash 30 d 5 raquo Platos Philebus IPS 26 pp 336 ndash 341 p 336)

2 Hans-Gerog Gadamer a consacreacute au Philegravebe la moitieacute de son livre intituleacute Leacutethique dialectique de Platon Paris Actes Sud 1994 [eacutedition originale 1931 1983] laquo Degraves le deacutebut le Philegravebe prend commethegraveme le concept du bien plus preacuteciseacutement du bien dans la vie humaine raquo(p 63)

3 Le terme apparaicirct 237 fois dans le dialogue ce chiffre deacutepasse tregraves largement sa freacutequence dans les autres dialogues par exemple la seconde place revient au livre IX de la reacutepublique pour 56 fois la troisiegraveme au Gorgias pour 37 fois cf laquo Annexe ἡδονή raquo pour le deacutetail

4 Philegravebe 48 c ndash d

133

lacircme elle-mecircme il sagit de la connaissance du monde inteacuterieur cest-agrave-dire du

monde qui ne peut ecirctre accessible que par lintellect

III131 Quatre eacuteleacutements et le corps

Sans feu rien nest visible puisque cest le feu qui donne la lumiegravere 1 Dans un

incendie on voit bien la nature illimiteacutee du feu il brucircle jusquagrave ce quil ny ait plus

rien agrave brucircler Cest parce que le feu est apparenteacute agrave lillimiteacute qui est une chose

deacutepourvue de terme (ἀτελής)2 Autrement dit le feu est deacutepourvu de toute mesure

(μέτριον) Cest pourquoi il faut ecirctre prudent chaque fois quon le manipule La

maicirctrise du feu consiste agrave ajouter une qualiteacute deacutetermineacutee (ποσόν) dans le feu cela

relegraveve de la science et de la technique Car dabord le fait de deacuteterminer une quantiteacute

de feu par rapport agrave la nature dune chose qui doit recevoir le feu relegraveve du

scientifque3 puisque toute mesure relegraveve du nombre et du calcul Ensuite la mise en

œuvre relegraveve de la technique cest-agrave-dire du savoir pratique qui consiste agrave maicirctriser

les objets sensibles en question Il en va de mecircme pour les trois autres eacuteleacutements agrave

savoir leau lair et la terre Cest ainsi que toutes les choses sensibles sont constitueacutees

de telle sorte que connaicirctre les choses sensibles cest connaicirctre la nature de ces quatre

eacuteleacutements et la faccedilon dont une chose sensible est constitueacutee y compris le corps vivant

Σωκράτης

τὰ περὶ τὴν τῶν σωμάτων φύσιν ἁπάντων τῶν ζῴων πῦρ καὶ ὕδωρ καὶ πνεῦμα καθορῶμέν που καὶ γῆν καθάπερ οἱχειμαζόμενοι φασίν ἐνόντα ἐν τῇ συστάσει4

Socrate

Pour ce qui est de la nature des corps de tous les vivants nous nous rendons bien compte que le feu leau lair laquo et la terre raquo comme disent lesmarins dans la tempecircte entrent aussi dans leur constitution

Un corps deacutepourvu dacircme une fois fabriqueacute reste relativement stable peut-ecirctre

mecircme pendant un temps tregraves long de maniegravere statique comme une œuvre

ceacuteramique par exemple En revanche un corps vivant nest pas statique puisquil

devient sans cesse comme si lacircme eacutetait un artisan qui constitue et anime le corps en

lui Cest pourquoi connaicirctre le vivant lecirctre humain en particulier cest connaicirctre

son acircme et non son corps

1 Voir Reacutepublique VII 514 b Timeacutee 31 b2 Philegravebe 24 b3 Au sens platonicien du terme laquo une explication scientifque doit preacutesenter un caractegravere de neacutecessiteacute

et dideacutealiteacute qui ne peut ecirctre deacuteduit de faccedilon immeacutediate des donneacutees fournies par la perception sensible raquo (Platon Paris Cerf 2017 p 180)

4 Philegravebe 29 a - b

134

III132 Le plaisir et le deacutesir

Le corps vivant devient sans cesse cest parce que son acircme a le deacutesir (ἐπιθυμία) de

manger de boire deacutecouter de regarder de bouger en un mot de satisfaire aux

appels du corps En effet deacutesirer (ἐπιθυμεῖν) est une activiteacute de lacircme elle a pour

nom la fonction deacutesirante1 Cest gracircce agrave cette fonction que lacircme anime le corps et

cest en ce sens quelle est un mouvement de lacircme vers le corps de linteacuterieur vers

lexteacuterieur ce qui soppose agrave la sensation qui est un mouvement du corps vers lacircme

de lexteacuterieur vers linteacuterieur Cela eacutetant le deacutesir est un mouvement qui transmet une

communication de lacircme au corps alors que laffection (πάθος le plaisir ou la

souffrance) est un mouvement qui transmet une communication du corps agrave lacircme

Cest pourquoi deacutesirer cest deacutesirer des plaisirs eacuteprouveacutes auparavant par le corps

Σωκράτης

ὁ κενούμενος ἡμῶν ἄρα ὡς ἔοικεν ἐπιθυμεῖ τῶν ἐναντίων ἢ πάσχει κενούμενος γὰρ ἐρᾷ πληροῦσθαι2

Socrate

Celui de nous qui est vide semble deacutesirer le contraire de ce qui laffecte puisquil est vide et quil deacutesire se remplir

Ou encore

Σωκράτης

οὐκοῦν τὸ μὲν ἐπιθυμοῦν ἦν ἡ ψυχὴ τῶν τοῦ σώματος ἐναντίων ἕξεων τὸ δὲ τὴν ἀλγηδόνα ἤ τινα διὰ πάθος ἡδονὴν τὸ σῶμα ἦν τὸ παρεχόμενον3

Socrate

Et neacutetait-ce pas lacircme qui deacutesirait alors et qui deacutesirait des eacutetats contraires agrave ceux du corps alors que ceacutetait ce dernier qui eacuteprouvait la souffrance ou le plaisir relatifs agrave telle ou telle affection

Cela eacutetant le deacutesir et le plaisir sont deux proprieacuteteacutes dun ecirctre vivant ils sont

inseacuteparables lun de lautre car pour un ecirctre vivant lacircme et le corps sont

inseacuteparablement unis Cependant ils sont diffeacuterents le deacutesir trouve son origine dans

lacircme gracircce agrave la fonction deacutesirante et laffection trouve son origine dans le corps gracircce

agrave la sensation De telle sorte connaicirctre ses deacutesirs et ses plaisirs on ne se connaicirct pas

encore soi-mecircme puisque le deacutesir et le plaisir ne sont pas choses propres agrave lacircme

Mecircme si la fonction deacutesirante est une puissance de lacircme mais elle a pour but

danimer le corps La question se pose la reacuteminiscence cest-agrave-dire le fait de chercher

et le fait dapprendre nest-elle pas une forme de deacutesir En effet lorsque lacircme se

deacutelie davec le corps elle se deacutelie davec la fonction deacutesirante et la sensation

autrement dit elle se deacutelie davec le deacutesir et le plaisir et retrouve ainsi son eacutetat

propre cest-agrave-dire son eacutetat dintellection

1 Voir Reacutepublique livre IV 439 d2 Philegravebe 35 a3 Ibid 41 c

135

III133 La psychologie

La particulariteacute du Philegravebe se trouve dans lanalyse de la psychologie humaine qui

empecircche lintellection Le terme laquo psychologie raquo en franccedilais est formeacute agrave partir de deux

termes lacircme (ψυχή) et le discours (λόγος) de telle sorte on peut naturellement

deacutefnir la psychologie comme la science de lacircme1 Or lacircme a deux formes decirctre

complegravetement diffeacuterentes agrave savoir 1 lacircme dans sa forme dincarnation ougrave elle

partage une vie commune avec le corps et 2 lacircme dans sa forme pure apregraves avoir

quitteacute le corps et avant une autre incarnation Dans le Pheacutedre le Pheacutedon la Reacutepublique

et le Meacutenon lacircme est deacutecrite dans sa forme pure comme un objet de la connaissance

des reacutealiteacutes intelligibles sans prendre en compte son rapport avec le corps autrement

dit laccent porte sur laspect immortel ou positif de lacircme Alors que dans le Philegravebe

lacircme est analyseacutee dans sa forme dincarnation laccent porte sur laspect mortel ou

neacutegatif de lacircme incarneacutee dans un corps humain

Socrate Il ne nous reste alors plus quagrave examiner une sorte de meacutelange de douleur et de plaisir

Protarque Laquelle dis-moi

Socrate Ce meacutelange dont nous avons dit auparavant que lacircme leacuteprouve souvent en elle-mecircme

Protarque Et de quoi parlerons-nous au juste titre

Socrate La colegravere la peur le regret le chant de deuil lamour lenvie la jalousie et tout ce qui leur est semblable ne sont-ce pas lagrave tes yeux comme les douleurs de lacircme elle-mecircme 2

Socrate appellera peu apregraves ces fgures psychologiques eacutenumeacutereacutees ici la douleur de

lacircme3 comme neacutegatives pour la vie humaine En effet cest lagrave ougrave le psychologue

intervient parce que lagrave ougrave il y a un problegraveme psychologique qui pourrait mettre en

diffculteacute mecircme en danger la vie dun individu ou dun collectif La question se

pose si le fait de jouir est un fait psychologique est-il aussi neacutegatif que la jalousie

par exemple Selon Socrate oui car laquo le jaloux ne prend-il pas manifestement le

plaisir aux malheurs de son entourage raquo4 Chaque fait psychologique est laquo un

meacutelange de douleur et de plaisir raquo5 que ce soit un fait de souffrir ou un fait de jouir

Si lon considegravere que la psychologie est laquo la science qui deacutecrit ces faits

[psychologiques] les analyse les rattache agrave leurs causes et les soumet agrave des lois raquo6 la

1 Cest le cas dans Vocabulaire technique et critique de la philosophie dAndreacute Lalande voir lentreacuteelaquo psychologie raquo Paris PUF Quadrige 1997

2 Philegravebe 47 d ndash e3 Ibid 48 b4 Ibid5 Ibid 48 a6 laquo Nous appelons faits psychologiques ceux qui occupent la dureacutee et pas lespace [hellip] On appelle

psychologie la science qui deacutecrit ces faits les analyse les rattache agrave leurs causes et les soumet agrave des lois raquo (Bergson Henri Cours de psychologie de 1892 ndash 1893 au Lyceacutee Henri IV Paris Seacuteha | Milan

136

cause psychologique cest-agrave-dire ce meacutelange de douleur et de plaisir est la vie

commune de lacircme davec le corps Ainsi une fois seacutepareacutee du corps lacircme retrouve

son eacutetat propre cest-agrave-dire leacutetat intellectif dans lequel il ne peut y avoir de problegraveme

psychologique Ce meacutelange psychologique le plus illustratif cest la jalousie Voici les

trois formes de jalousie dont Socrate parle

Σωκράτης

πρῶτον μὲν κατὰ χρήματα δοξάζειν εἶναι πλουσιώτερον ἢ κατὰ τὴν αὑτῶν οὐσίαν

Πρώταρχος

πολλοὶ γοῦν εἰσὶν τὸ τοιοῦτον πάθος ἔχοντες

Σωκράτης

πλείους δέ γε οἳ μείζους καὶ καλλίους αὑτοὺς δοξάζουσι καὶ πάντα ὅσα κατὰ τὸ σῶμα εἶναι διαφερόντως τῆς οὔσης αὐτοῖς ἀληθείας

Πρώταρχος

πάνυ γε

Σωκράτης

πολὺ δὲ πλεῖστοί γε οἶμαι περὶ τὸ τρίτον εἶδος τὸ τῶν ἐν ταῖς ψυχαῖςδιημαρτήκασιν ἀρετῇ δοξάζοντες βελτίους ἑαυτούς οὐκ ὄντες1

Socrate

Dabord quant aux richesses lorsque quelquun se croit plus riche que ne lest sa fortune

Protarque

Voilagrave une affection queacuteprouve en effet bon nombre de gens

Socrate

Et il y en a encore plus qui se croient plus grands et plus beaux quils ne le sont et qui croient encore se distinguer par toutes sortes de qualiteacutes corporelles quils ne possegravedent veacuteritablement pas

Protarque

Parfaitement

Socrate

Mais les plus nombreux jimagine sont ceux qui se trompent de la troisiegraveme maniegravere quant aux qualiteacutesde lacircme en croyant quils lemportent en vertu alors que ccedila nest pas le cas

Pourquoi simagine-t-on posseacuteder plus que lon na Cest parce que les maux des

autres font plaisir agrave son acircme et inversement les biens des autres donnent de la

douleur agrave son acircme En un mot un fait psychologique douleur ou plaisir nest pas un

bonheur (εὐδαιμονία) car la psychologie est un meacutelange au niveau du fait

psychologique comme au niveau de la connaissance psychologique Or le bonheur

est un bien divin (εὐ-δαιμονία) cest-agrave-dire un bien sans meacutelange Nous lavons vu

dans le chapitre I seules les reacutealiteacutes veacuteritables sont sans meacutelange autrement dit

quand lacircme se nourrit de ces reacutealiteacutes intelligibles elle est heureuse neacutecessairement

En somme la partie immortelle de lacircme ne permet pas agrave qui veut se connaicirctre soi-

mecircme de se connaicirctre soi-mecircme puisque cette partie est caracteacuteriseacutee par le corps

Cest pourquoi cest au moment preacutecis ougrave Socrate parle de ces fgures de la douleur

Archegrave 2008 p 59)1 Philegravebe 48 e ndash 49 a

137

de lacircme quil eacutevoque le ceacutelegravebre preacutecepte delphique1 cest parce que le veacuteritable soi-

mecircme est une acircme qui se deacutelie davec le corps qui est lorigine des faits

psychologiques En ce sens les faits psychologiques occupent non seulement la dureacutee

mais aussi lespace quest le corps

III2 Connaicirctre

Dans le preacutecepte laquo γνῶθι σαυτόν raquo on lit dabord le verbe γιγνώσκειν qui veut

dire au preacutesent laquo apprendre agrave connaicirctre agrave force defforts raquo agrave laoriste laquo reconnaicirctre

discerner comprendre raquo2 Nous essayons de voir ce que signife le fait de ne pas

connaicirctre agrave travers trois dialogues platoniciens agrave savoir lIon le livre V de la

Reacutepublique et le Theacuteeacutetegravete Pourquoi ces trois dialogues Parce que le verbe y est le plus

abondamment preacutesent3

III21 Ion linspiration naturelle nest ni art ni science

Le dialogue ne compte que treize pages le fait de lire ce verbe (γιγνώσκειν) 33 fois

dans un si court texte paraicirct assez signifcatif mecircme eacutetonnant De plus leur

apparition est tregraves regroupeacutee dans trois blocs4 LIon est traditionnellement interpreacuteteacute

comme la critique de la rhapsodie et de la poeacutesie5 mais ici nous nous penchons

plutocirct sur une lecture de la critique des rhapsodes En effet certes Ion et Socrate ont

citeacute quelques vers dHomegravere6 mais Socrate na fait aucun commentaire ni analyse et

encore moins critique sur les poegravemes citeacutes ce qui est bien le cas par exemple dans le

livre III de la Reacutepublique ou dans lHippias mineur7 La critique que Socrate adresse agrave

Ion consiste agrave dire que les rhapsodes en particulier les interpregravetes en geacuteneacuteral

eacutechappent diffcilement au fait de connaicirctre ce que lon ne connaicirct pas en reacutealiteacute

1 Voir ibid 48 c2 Cf lentreacutee laquo γιγνώσκω raquo du Dictionnaire eacutetymologique de la langue grecque P Chantraine 19993 44 fois dans le Theacuteeacutetegravete 33 fois dans lIon et 25 fois dans le livre V de la Reacutepublique4 Premier groupe γιγνώσκοντα (530 c) γνώσεται (531 d) γνώσεται (531 e) γνώσεται (531 e) γνώσεται (532 a) γιγνώσκεις (532 a) γιγνώσκοις (532 b) γνῶναι (532 e) Second groupe γιγνώσκειν (537 b) γιγνώσκομεν (537 b) γνωσόμεθα (537 b) γιγνώσκομεν (537 d) γνωσόμεθα (537 d) γιγνώσκω (537 e) γιγνώσκεις (537 e) γιγνώσκομεν (537 e) γιγνώσκειν (538 a) γιγνώσκειν (538 a) γιγνώσκειν (538 a) γνώσῃ (538 b) Troisiegraveme groupe γνώσεσθαι (540 a) γνώσεται (540 a) γνώσεται (540 b) γνώσεται (540 b) γνώσεται (540 c) γνώσεται (540 c)γνώσεται (540 d) γνώσεται (540 d) ἔγνως (540 d) γιγνώσκεις (540 e) γιγνώσκεις (540 e) γιγνώσκεις (540 e) γιγνώσκεις (541 c)

5 Cf Ion laquo Introduction raquo p 9 ndash 13 et p 42 ndash 546 Cf 537 b (Iliade XXIII 335) 538 c ndash d (Iliade XI 639 ndash 640 XXIV 80 ndash 82) 539 a ndash c (Odysseacutee XX 351 ndash

357 Iliade XII 200 ndash 207)7 Notons que dans lHippias mineur lanalyse du poegraveme dHomme consiste agrave deacutemontrer que le

sophiste avait mal compris Homegravere il sagit de critiquer le sophiste et non pas Homegravere Tandis que dans la Reacutepublique il sagit bien de critiquer les poegravetes en geacuteneacuteral et Homegravere en particulier

138

III211 Folie divine

Le rhapsode Ion deacutecrit dans le dialogue qui porte son nom est un interpregravete de

poegravemes particuliegraverement de poegravemes homeacuteriques Il na pas dœuvre poeacutetique

proprement agrave lui son laquo art consiste entre autres agrave repreacutesenter et agrave dramatiser gracircce agrave

diverses mimiques et gesticulations les passages quil deacuteclame raquo1 Homegravere est

exclusivement le dieu dIon puisque les autres poegravetes le mettent laquo tout simplement agrave

somnoler raquo2 Dapregraves Socrate le rhapsode est interpregravete laquo agrave la fois critique

commentateur et acteur raquo3 cest en ce sens que la rhapsodie est un art qui

exige que vous passiez votre vie en compagnie de plusieurs bons poegravetes surtout en compagnie dHomegravere le meilleur le plus divin des poegravetes et que vous connaissiez agrave fond sa penseacutee et pas seulement ses vers Voilagrave ce qui est enviable Car on ne deviendrait jamais rhapsode si on narrivait agrave comprendre ce que veut dire le poegravete Cest donc au rhapsode de se faire linterpregravete aupregraves de ses auditeurs de la penseacutee du poegravete Mais il estimpossible de bien accomplir cette tacircche si on ne sait pas (μὴ γιγνώσκοντα) ce que le poegravete veut dire Tout cela est bien digne denvie4

Largumentation de Socrate est quelque peu eacutetonnante Il ne soumet pas Ion agrave

examen agrave travers dune analyse de certains vers homeacuteriques pour savoir si le

rhapsode comprend vraiment la penseacutee dHomegravere mais il lui fait deacutecouvrir la cause

de sa somnolence en eacutecoutant parler dautres poegravetes Au fond le rhapsode ne

comprend pas vraiment Homegravere pas plus que lui-mecircme seulement il croit connaicirctre

ce quil ne connaicirct pas il ne sait mecircme pas que lart quil preacutetend posseacuteder nest pas

un art

Car ce nest pas un art mdash je te lai dit agrave linstant mdash qui se trouve en toi et te rend capable de bien parler dHomegravere Non cest une puissance divine qui te met en mouvement comme cela se produit dans la pierre quEuripide a nommeacutee Magneacutetis et que la plupartdes gens appellent Heacuteracleacutee5

Le pouvoir magique de cette pierre nest pas seulement quelle est magique mais

aussi et surtout quelle procure aux anneaux lieacutes agrave elle le mecircme pouvoir magique 6

Cest un peu comme le fait decirctre platonicien peu importe si lon comprend vraiment

Platon il peut procurer une aura aux gens qui parlent de lui Sans cette pierre les

anneaux eux-mecircmes en fer deacutepourvus de pouvoir ne peuvent avoir en aucun cas un

pouvoir magique Cest exactement le cas dans lequel lanneau dor procure au berger

1 Ion laquo Introduction raquo p 202 Ibid 532 c3 Ibid laquo Introduction raquo p 204 Ibid 530 b ndash c5 Ibid 533 d6 Voir Ibid 533 d ndash e Agrave propos de la pierre qui symbolise laimant seacuteducteur cf Ion laquo Notes raquo ndeg 44

p 146 ndash 147

139

Gygegraves un pouvoir magique et une seacuteduction irreacutesistible1 De mecircme un poegravete divin

pourrait procurer une puissance divine agrave un rhapsode si cela plaicirct agrave un dieu En effet

pour que des messages divins passent dans des cœurs humains il faudrait non

seulement les poegravetes divins mais eacutegalement les rhapsodes divins Tout cela na rien agrave

se reprocher puisque lon na aucune raison de reprocher aux dieux de donner des

dons divins ou des folies divines agrave certains humains sans creacuteer de jalousie En

revanche ce qui a beaucoup agrave se reprocher cest de consideacuterer cette folie reccedilue dun

dieu comme une compeacutetence acquise par soi-mecircme laquo Tu dis vrai Socrate Pour moi

en tout cas cest la partie de mon art qui ma coucircteacute le plus de travail et je crois ecirctre

de tous les hommes celui qui dit les plus belles choses au sujet dHomegravere raquo2 Le

rhapsode preacutetend comprendre la penseacutee du poegravete non seulement son art est un art

mais aussi une science puisque le fait de comprendre la penseacutee dHomegravere relegraveve

dune certaine science et mecircme la plus eacuteleveacutee car dans les poegravemes dHomegravere il y a

des choses que le dieu lui a fait dire Mais comment peut-on comprendre ce que

veulent dire les dieux sans la science En tout cas cela nest pas possible ni pour

Socrate ni pour Platon

III212 Folie divine et les arts humains

Toute compeacutetence particuliegravere exige un exercice soutenu elle ne sacquiert pas du

jour au lendemain et on la perd progressivement si lon ne la pratique plus En

revanche concernant une folie divine elle reste en homme ou lui eacutechappe cela

deacutepend dun dieu Dautre part la compeacutetence porte toujours sur certains objets

alors que la folie divine peut porter sur un nombre dobjets qui deacutepasse leffort

humain pour acqueacuterir sa compeacutetence Or laquo ce qui se rapporte aux arts surtout mdash et

tu sais bien quHomegravere en traite souvent et avec abondance raquo3 La question se pose

ainsi Homegravere possegravede-t-il ces compeacutetences arts ou sciences dont il parle dans ses

poegravemes Pour savoir sil les connaicirct ou pas il faut se demander sil est possible que

Homegravere maicirctrise les objets de tous ces arts ou de toutes ces sciences dont il parle

Σωκράτης

οὐκοῦν ἑκάστῃ τῶν τεχνῶν ἀποδέδοταί τι ὑπὸ τοῦ θεοῦ ἔργον οἵᾳ τε εἶναι γιγνώσκειν οὐ γάρ που ἃ κυβερνητικῇ γιγνώσκομεν

Socrate

Alors agrave chacun des arts le dieu na-t-il pas donneacute en partage la faculteacute de connaicirctre un certain objet Car agrave coup sucircr nous ne le connaicirctrons pas aussi

1 Voir le mythe de Gygegraves Reacutepublique II 359 d ndash 260 b2 Ion 530 c3 Ibid 536 e ndash 537 a

140

γνωσόμεθα καὶ ἰατρικῇ1 par lart du meacutedecin

Un peu avant ce passage Socrate eacutevoque lart du cocher dans les vers homeacuteriques

que le rhapsode cite par cœur Par la suite Socrate lui demande en ce qui concerne

cet art laquo qui saurait le mieux dire si Homegravere a raison ou tort un meacutedecin ou un

cocher raquo Eacutevidemment cest le cocher Rappelons que le Lit est lœuvre dun dieu et

un lit particulier est lœuvre dun menuisier2 Cela eacutetant le dieu est lauteur de la

forme unique de lit et le menuisier est lauteur de la technique de fabrication de lits

particuliers3 Il est ainsi impossible pour Homegravere de posseacuteder un art particulier sil

est vraiment poegravete divin pourquoi Lagrave il faut revenir au mot ἔργον qui signife agrave la

fois lobjet dun art le travail par lequel on peut acqueacuterir lart en question et

lexcellence de cet art Ce dernier point a une porteacutee eacutethique eacutepisteacutemologique et

ontologique Peut-on ecirctre excellent si lon fait plusieurs meacutetiers en mecircme temps

Dailleurs si un ecirctre humain recevait une puissance divine le dieu se permettrait-il

de le laisser ecirctre meacutediocre en raison du fait quil samuse agrave faire dautres choses que

ce que le dieu lui confe En effet Socrate ne remet pas en cause la folie divine

poeacutetique ou autre mais il reproche aux poegravetes de dire ce que les dieux ne lui feraient

pas dire Comment peut-on savoir Lintellection du dieu est pure parfaite et

veacuteridique par conseacutequent il ne se permettrait pas de faire dire agrave un poegravete ce qui ne

correspond pas agrave la veacuteriteacute Est-ce que le dieu tel que Socrate nous le laisse entendre

dans les dialogues platoniciens pourrait sinteacuteresser aux arts humains Le fait quun

poegravete divin ne distingue pas ce qui est propre au dieu et ce qui est propre agrave lui en

particulier agrave lhomme en geacuteneacuteral relegraveve de lignorance puisque la science commence

par distinguer le dieu de lhomme Un exemple dans le livre III de la Reacutepublique (393 a

ndash b)

hellip et il conjurait tous les Acheacuteenset surtout les deux Atrides reacutegisseurs des peuples4

1 Ibid 537 c Agrave propos du terme laquo ἔργον raquo cf laquoNotes raquo ndeg 106 p 157 ndash 158 laquo Le texte est deacutelicat agrave traduire et peut sinterpreacuteter de deux faccedilons Soit on lit un certain objet (τι ἔργον) (dans ce cas la proposition qui suit est un infnitif de but un certain objet lequel consiste agrave connaicirctre) Soit on fait du verbe un impersonnel et τι ἔργον devient alors lobjet de γιγνώσκειν Nous choisissons la deuxiegraveme solution Par ailleurs le terme ἔργον est toujours diffcile agrave traduire il peut deacutesigner lobjet leffet ou produit de lactiviteacute du δημιουργός homme qui pratique toute activiteacute capable deproduire un effet reacuteel que cet homme soit meacutedecin ou menuisier raquo

2 Voir Reacutepublique X 597 b3 Dans le mythe de Protagoras Cest Promeacutetheacutee qui deacuteroba lart du feu pour lHomme (321 e) et cest

Hermegraves qui apporta lart politique agrave lHomme Ce qui est tregraves diffeacuterent de la Reacutepublique Il est quand mecircme eacutetrange de penser que le dieu aurait besoin de lart du feu pour faire quoi Les dieux se nourrissent des formes intelligibles cest la raison pour laquelle ils sont capables dapporter aux hommes les formes uniques des choses particuliegraveres le Lit la Table le Cocher et ainsi de suite

4 Iliade I 15 ndash 16

141

le poegravete parle en son nom propre et nentreprend pas dorienter notre penseacutee dans un autre sens comme si un autre que lui-mecircme parlait Pour les vers qui viennent ensuite au contraire il parle comme sil eacutetait lui-mecircme Chrysegraves et il sefforce le plus possible de nous donner lillusion que ce nest pas Homegravere qui sexprime mais le precirctre cest-agrave-dire un vieillard Et cest principalement de cette maniegravere quil a composeacute lensemble du reacutecit des eacuteveacutenements qui se sont passeacute agrave Ilion agrave Ithaque et dans toute lOdysseacutee

Cest probablement gracircce agrave la critique platonicienne de la poeacutesie que les grands

poegravetes occidentaux modernes comme Houmllderlin Rilke Baudelaire Ceacutelan ou encore

Reneacute Char par exemple faisaient de leur poeacutesie une philosophie1 Ce ne sont plus le

reacutecit le sentiment et le sensible qui attirent leur eacutenergie poeacutetique comme le dit Gide

quelque part laquo le beau sentiment est une mauvaise litteacuterature raquo

III213 Rhapsode

Beaucoup dœuvres dauteurs franccedilais furent traduites du franccedilais agrave langlais puis de

langlais au chinois Derrida par exemple est peu mecircme en franccedilais 2 Certaines de

ses œuvres sont traduites du franccedilais agrave langlais et de langlais au chinois De plus

certains traducteurs chinois nayant pas eu un cursus philosophique occidental on

peut imaginer la diffculteacute des lecteurs chinois de Derrida Les rhapsodes sont en

quelque sorte comme ces seconds traducteurs chinois car laquo les poegravetes ne sont rien

que les interpregravetes des dieux et chacun deux est posseacutedeacute par le dieu qui sempare de

lui raquo3 Or nous lavons vu les rhapsodes sont les interpregravetes des poegravetes Le poegravete

mecircme divin est un ecirctre humain Il lui est diffcile deacutechapper agrave certaines neacutegligences

dans ses interpreacutetations de son dieu et par voie de conseacutequence il faudrait que le

rhapsode comprenne non seulement le langage poeacutetique du poegravete mais aussi le dieu

pour quil interpregravete correctement le poegravete Cela est impossible pour le rhapsode car

sil connaicirct le dieu du poegravete il nest plus le second interpregravete mais le premier comme

1 La preuve est que certains philosophes faisaient eacuteloge de certains poegravetes par exemple Heidegger Martin Approche de Houmlderlin Paris Gallimard 1996 [1973] Derrida Jacques Shibboleth avec pour sous titre pour Paul Ceacutelan Paris Galileacutee 1986 le philosophe Alain a mecircme commenteacute un poegraveme de Paul Valeacutery La Jeune Parque avec pour sous titre Poegraveme de Paul Valeacutery commenteacute par Alain Paris Gallimard 1936 (nouvelle eacutedition) Sartre Jean-Paul Baudelaire Paris Gallimard 1988 (Folio Essais) [1947] La liste peut ecirctre plus longue Linverse est aussi vrai les grands poegravetes modernes contemporains lisaient Platon par exemple Franccedilois Feacutedier a porteacute le titre de laquo professeur de philosophie raquo jusquagrave sa retraite en 2001 il a mecircme enseigneacute Platon au lyceacutee Pasteur de Neuilly-sur-Seine (cf Feacutedier Franccedilois Lire Platon avec sous titre Quatre leccedilons sur le Meacutenon Paris Pocket 2011) Quant agrave Reneacute Char cest chez lui au Thor que Heidegger a donneacute en septembre 1968 les seacuteminaires deacutesormais ceacutelegravebres

2 Derrida lui-mecircme dit ceci agrave la fn de sa vie laquo[hellip] many very good readers (a few dozen in the world perhaps people who are also writers-thinkers poets) [hellip] raquo (Peeters Benoicirct Derrida A Biography Cambridge - UK Polity Press 2013 [Flammarion 2012] Translated by Andrew Brown p 542)

3 Ion 534 e

142

le poegravete Exactement comme le second traducteur chinois sil parle franccedilais il nest

plus second traducteur mais restant le second il lui est impossible de savoir si la

premiegravere traduction est bonne

Dans le cas ougrave Homegravere eacutevoque beaucoup de choses concernant les arts lagrave encore

mecircme avec sa bonne volonteacute Ion na pas de moyen pour savoir si Homegravere a raison

ou tort car le rhapsode ne possegravede pas ces arts dont Homegravere parle Supposons quil

pratiquait tous ces arts dont parle le poegravete Ion les connaitrait moins bien que les

meacutediocres Heureusement il a fnalement reconnu quil ne connaissait pas tous ces

arts1 agrave lexception en dernier lieu du strategravege quil ne renonce pas agrave ecirctre en tout cas

pas explicitement dans la derniegravere partie du dialogue ougrave il en est question 2 Voici les

derniegraveres lignes de lIon

Socrate [hellip] Choisis donc si tu veux que nous te consideacuterions comme un homme qui agit mal ou comme un homme divin

Ion Cela fait une grande diffeacuterence Socrate Car il est beaucoup plus beau decirctre consideacutereacute comme un homme divin

Socrate Eh bien dans ce cas nous te confeacuterons Ion cette plus grande beauteacute decirctre quand tu fais la louage dHomegravere un homme divin au lieu dhomme de lart (μὴ τεχνικὸν)3

Le propos de Socrate est quelque peu ironique puisque Socrate sait que Ion est un

τεχνικὸν et ne sera jamais un homme devin laquo car il faut que je fasse attention agrave eux

et mecircme tregraves attention En effet si je les fais pleurer cest moi qui serait content en

recevant mon argent mais si je les fais rire alors cest moi qui vais pleurer en

pensant agrave largent que jaurais perdu raquo4 Le terme laquo τεχνικόν raquo nest pas tregraves freacutequent

dans le corpus platonicien5 il semble sil se lit comme substantif quil deacutesignerait ce

qui possegravede un art qui na pas son nom propre parfois avec certain caractegravere

ironique En effet chaque art particulier a son nom propre comme par exemple lart

de la cordonnerie (σκυτική) Ainsi celui qui exerce cet art a un nom de meacutetier agrave

savoir le cordonnier lart de la guerre (πολεμική) et celui qui lexerce a pour nom

laquo strategravege raquo et celui qui pratique lart de limitation (μιμητική) est appeleacute imitateur

1 Voir Ibid 540 a ndash c2 Ibid 540 d ndash 542 b3 Ibid laquo Notes raquo ndeg155 p 166 laquo Nous traduisons litteacuteralement τεχνικός Il sagit eacutevidemment de

lart rhapsodique raquo4 Ibid 353 e5 Voici la liste Banquet τεχνικὸς (186 c) Cratyle τεχνικὸν (426 a) Euthyphron τεχνικόν (14 e)

Gorgias τεχνικὸν (463 a) τεχνικοῦ (500 a) τεχνικαί (501 b) τεχνικός (504 d) Ion τεχνικὸς (542 a) τεχνικὸς (542 a) τεχνικὸς (542 a) τεχνικὸς (542 a) τεχνικὸν (542 b) Lachegraves τεχνικὸς (185 a) τεχνικὸς (185 b) τεχνικός (185 d) τεχνικὸς (185 e) Lois III τεχνικὸν (696 c) X τεχνικὰ (889 a) XI τεχνικοί (921 d) Phegravedre τεχνικὸς (262 b) τεχνικοὶ (270 d) τεχνικοὶ (273 a) τεχνικὸν (273 b) τεχνικὸς (273 e) Reacutepublique II τεχνικὴ (374 b) X τεχνικῆς (620 c) Theacuteeacutetegravete τεχνικόν (207 c)

143

LIon semble montrer que le rhapsode ne possegravede aucun art digne du nom τέχνη si

ce nest une pratique dont lobjet nest rien dautre que largent Si les sophistes

gagnent de largent dans le monde den haut les rhapsodes le trouvent dans le

monde den bas sans doute moins dangereux pour les acircmes humaines que les

premiers Cest probablement pourquoi Platon ne leur consacre quun petit dialogue

qui porte le nom du ceacutelegravebre rhapsode afn de montrer lignorance des rhapsodes

Cette ignorance paraicirct pourtant plus ridicule que dangereuse dailleurs le fait de

faire pleurer les gens sans les rendre tristes ou de les faire rire sans jouir est

certainement beaucoup moins dangereux que ce que pratiquent les sophistes

III22 Lignorance en terme ontologique

Nous allons parler de la question de lignorance sous langle ontologique agrave travers

une analyse des quatre derniegraveres pages du libre V de la Reacutepublique (476 b ndash 480 a) Le

paragraphe (449 a) marque le deacutebut du livre V mais dans les 26 premiegraveres pages les

deux verbes (γιγνώσκειν1 et δοξάζειν2) et les deux substantifs (ἄγνοια3 et

ἐπιστήμη4) sont absents laquo Ontologique raquo car cest bien au cœur de ces quatre pages

que se trouvent laquo μὴ εἶναι raquo et laquo μὴ ὄν raquo5

III221 Diffeacuterence entre laquo τὸ μὴ εἶναι raquo et laquo τὸ μὴ ὄν raquo

Nous avons dit dans le chapitre premier que lemploi du participe preacutesent du verbe

laquo εἶναι raquo avec larticle deacutetermineacute signife ce qui est toujours eacuteternellement

immuablement preacutesent ainsi il deacutesigne neacutecessairement la forme intelligible Alors

que linfnitif laquo εἶναι raquo neacutechappe ni au changement de modes (indicatif impeacuteratif

subjonctif optatif ou participe) ni au changement de personnes (premier deuxiegraveme

ou troisiegraveme de ce point de vue lεἶναι est caracteacuteriseacute par son aspect existentiel) Or

1 γνώσεται (466 c) γνῶσιν (476 c) γιγνώσκοντος (476 d) γιγνώσκειν (476 d) γιγνώσκων (476 e) γιγνώσκει (476 e) γιγνώσκει (476 e) γνωσθείη (477 a) γνωστόν (477 a) γνῶναι (477 b) γνῶναι (478 a) γιγνώσκει (478 a) γνωστόν (478 b) γνῶσιν (478 c) γνῶσιν (478 c) γνώσεως (478 c) γιγνώσκειν (479 e) γιγνώσκειν (479 e) Nous reparlerons dans le chapitre laquo La dialectique raquo de ce cas γνώσεται (466 c) deacutetacheacute du groupe Notons aussi quun nombre aussi important des adjectifs et substantifs deacuteriveacutes du verbe jalonne les verbaux de γιγνώσκειν

2 δοξάζοντος (476 d) δοξάζειν (476 d) δοξάζειν (477 e) δοξάζειν (478 a) δοξάζει (478 b) δοξάσαι (478 b) δοξάζων (478 b) δοξάζειν (478 b) δοξάζειν (478 b) δοξάζει (478 b) δοξάζων (478 b)δοξάζει (478 c) δοξάζειν (479 e) δοξάζουσιν (479 e) δοξάζειν (479 e)

3 ἀγνοίας (477 b) ἄγνοιαν (478 c) ἄγνοια (478 c) ἄγνοιαν (478 c) ἀγνοίας (478 c) ἄγνοιαν (478 d) ἀγνοίας (478 d)

4 ἐπιστήμης (477 b) ἐπιστήμης (477 b) ἐπιστήμη (477 b) ἐπιστήμη (477 b) ἐπιστήμην (477 d) ἐπιστήμην (477 e) ἐπιστήμης (477 e) ἐπιστήμη (478 a) ἐπιστήμη (478 a) ἐπιστήμη (478 b) ἐπιστήμην (478 d) ἐπιστήμης (478 d)

5 laquo μὴ εἶναι raquo 477 a 478 e 479 c c c laquo μὴ ὄν raquo 477 a a 478 b b b b c d laquo μὴ ὄντι raquo 477 a laquo μὴ ὄντος raquo 478 c d d

144

le beau en soi ne peut ecirctre agrave la fois beau et son contraire laid car une chose sans

meacutelange ne peut ecirctre autre chose quecirctre elle-mecircme en elle-mecircme tandis quecirctre beau

peut bien ecirctre laid cest le cas de Socrate dont le corps laid lacircme belle Cela eacutetant ce

qui nest pas (τὸ μὴ ὄν) veut dire ce qui ne participe pas agrave ce qui est autrement dit

laquo τὸ μὴ ὄν raquo ne veut absolument pas dire que laquo ce qui en soi nest pas raquo Cest en ce

sens que τὸ μὴ ὄν existe le mal par exemple est ce qui ne participe pas au Bien Par

contre laquo τὸ μὴ εἶναι raquo veut dire agrave preacutesent et sous tous les modes laquo ne exister pas raquo

lillusion par exemple renvoie agrave quelque chose qui nexiste nulle part Tout cela

admis on peut dire quil y a des choses qui sont agrave la fois ecirctre (τὸ ὄν) et ne pas (τὸ μὴ

ὄν) cest-agrave-dire participant et ne pas participant agrave ce qui est par exemple agrave la fois

grandes et petites mais on ne peut pas dire quelles sont agrave la fois ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) et

ne pas ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) cest-agrave-dire agrave la fois exister et ne pas exister La question se

pose agrave τὸ μὴ ὄν ou τὸ μὴ εἶναι ou les deux correspond lignorance Lisons ce

passage

mdash εἶεν εἰ δὲ δή τι οὕτως ἔχει ὡς εἶναί τε καὶ μὴ εἶναι οὐ μεταξὺ ἂν κέοιτο τοῦ εἰλικρινῶς ὄντος καὶ τοῦ αὖ μηδαμῇ ὄντος

mdash μεταξύ

mdash οὐκοῦν ἐπὶ μὲν τῷ ὄντι γνῶσις ἦν ἀγνωσία δ᾽ ἐξ ἀνάγκης ἐπὶ μὴ ὄντι ἐπὶ δὲ τῷ μεταξὺ τούτῳ μεταξύ τι καὶ ζητητέον ἀγνοίας τε καὶἐπιστήμης εἴ τι τυγχάνει ὂν τοιοῦτον1

mdash Bien Mais si une certaine chose est ainsi disposeacutee quelle est et nest pas agrave la fois ne se trouve-t-elle pas au milieu entre ce qui est purement et simplement et ce qui au contraire nest aucunement

mdash Si au milieu

mdash Par conseacutequent comme nous avons convenu que la connaissance seacutetablit sur ce qui est et que neacutecessairement la non-connaissance seacutetablit sur ce qui nest pas pour ce qui concerne cela qui se trouve au milieu il faut chercherquelque intermeacutediaire entre ignorance et savoir sil existe par hasard quelque chose de ce genre

Si nous lisons dans ce passage laquo τὸ εἶναι raquo comme le synonyme de laquo τὸ ὄν raquo et laquo τὸ

μὴ εἶναι raquo comme celui de laquo τὸ μὴ ὄν raquo cela eacutequivaut agrave dire que lἀγνωσία est

synonyme de lἀγνοία autrement dit laquo connaicirctre ce qui nexiste pas raquo (ignorance) est

synonyme de laquo connaicirctre ce qui nest pas raquo (opinion ou science) Sils ne sont pas

synonymes lobjet de lἀγνωσία est neacutecessairement diffeacuterent de celui de lἀγνοία

Dans la derniegravere reacuteplique lobjet de lἀγνωσία est laquo ce qui nest pas raquo en dautres

termes lἀγνωσία signife le fait de connaicirctre ce qui nest pas ce nest pas impossible

Connaicirctre le mal est possible simplement nous ne savons pas quil ne participe pas

au Bien pour le reste personne ne sait vraiment entiegraverement pourquoi Par contre il

est absurde de dire que lon peut connaicirctre ce qui nexiste mecircme pas en ce sens le

1 Reacutepublique V 477 a ndash b

145

fait de connaicirctre le non-ecirctre (τὸ μὴ εἶναι) relegraveve de lignorance (ἀγνοία) de la pure

illusion comme recircver (ὀνειρώττειν)

τὸ ὀνειρώττειν ἆρα οὐ τόδε ἐστίν ἐάντε ἐν ὕπνῳ τις ἐάντ᾽ ἐγρηγορὼς τὸ ὅμοιόν τῳ μὴ ὅμοιον ἀλλ᾽ αὐτὸ ἡγῆται εἶναι ᾧ ἔοικεν1

Recircver nest-ce pas la chose suivante que ce soit dans leacutetat de sommeil ou eacuteveilleacute croire que ce qui est semblable agrave quelque chose ne lui est pas semblable mais constitue la chose mecircme agrave quoi cela ressemble

Prendre le non-ecirctre pour lecirctre personne nest capable de connaicirctre vraiment le non-

ecirctre En effet nous avons une science speacutecifque du cheval une science speacutecifque de

larbre Si nous disons que le cheval nest pas larbre ou larbre nest pas cheval il

nexiste ni une science du non-cheval ni une science du non-arbre car on ne sait pas

ce que deacutesigne le non-cheval ni non plus le non-arbre puisque tous ceux qui ne sont

pas chevaux y compris larbre entrent dans la nomination du non-cheval de mecircme

pour le non-arbre ou plus geacuteneacuteralement pour le non-ecirctre

III222 Lopinion fausse

Dans le passage que nous avons citeacute preacuteceacutedemment (477 a ndash b) le terme laquo μεταξύ raquo

apparaicirct trois fois Il deacutesigne un peu plus tard lopinion laquo μεταξὺ ἄρα ἂν εἴη

τούτοιν δόξα raquo2 (laquo Lopinion serait donc quelque chose dintermeacutediaire entre eux

deux raquo) Lopinion nest donc ni lignorance ni la science mais entre les deux Or

nous lavons dit lignorance se rapporte au non-ecirctre et non pas agrave proprement parler

agrave ce qui nest pas alors que dans le texte en question (entre 476 b ndash 480 a) lopinion se

trouve tantocirct entre ce qui est et ce qui nest pas (477 a7) tantocirct entre ce qui est et le

non-ecirctre cest-agrave-dire ente la science et lignorance (477 b2) Comment comprendre

cela La reacuteponse paraicirct simple cest parce que le non-ecirctre lignorance ou lillusion

est la cause de ce qui nest pas Par conseacutequent dire ce qui nest pas renvoie

directement au non-ecirctre par quoi ce qui nest pas nest pas neacutecessairement Dire du

mal de quelquun par jalousie est causeacute par la jalousie Toute science a son objet de

mecircme lopinion elle aussi a son objet qui se trouve neacutecessairement entre les objets de

la science et le neacuteant auquel se rapporte lignorance Cela eacutetant le fait davoir une

opinion semble avoir le mecircme statut que la philosophie qui est elle aussi entre le

savoir et lignorance Nest-ce pas un peu eacutetrange En effet il ny a pas une seule

maniegravere de se trouver entre les choses contraires Une opinion droite ou fausse doit

ecirctre deacutemontreacutee pour savoir sil sagit dune opinion droite ou fausse avant cela on ne

1 Ibid 476 c2 Ibid 478 d

146

sait pas si elle est droite ou fausse Si elle est deacutemontreacutee fausse elle relegraveve de

lignorance Si elle est droite elle nest ni science puisquelle mecircme ne sait pas ce

quelle est ni ignorance puisquelle dit quelque chose qui nest pas faux Si la

philosophie consiste agrave aspirer au savoir cest-agrave-dire quelle se lance vers la veacuteriteacute agrave

partir de ce quelle se trouve entre le savoir et lignorance on peut dire que la

philosophie tend vers le Bien Quant agrave lopinion

ττοὺς ἄρα πολλὰ καλὰ θεωμένους αὐτὸ δὲ τὸ καλὸν μὴ ὁρῶντας μηδ᾽ ἄλλῳ ἐπ᾽ αὐτὸ ἄγοντι δυναμένουςἕπεσθαι καὶ πολλὰ δίκαια αὐτὸ δὲ τὸ δίκαιον μή καὶ πάντα οὕτω δοξάζειν φήσομεν ἅπαντα γιγνώσκειν δὲ ὧν δοξάζουσιν οὐδέν1

Ceux qui regardent les nombreuses choses belles mais qui ne voient pas le beau lui-mecircme et ne sont pas capables de suivre quelquun qui les megravene vers lui ceux quiregardent les nombreuses choses justes mais pas le juste lui-mecircme et ainsi de tout le reste nous affrmons quils ont des opinions sur toutes choses mais quils ne connaissent rien de ce sur quoi ils opinent

En dautres termes lopinion est une capaciteacute intermeacutediaire qui na aucune bonne

utiliteacute si ce nest pour le plaisir de donner une opinion puisquelle ne cherche pas agrave

connaicirctre ce dont elle parle Comme il sagit quand-mecircme dune capaciteacute sans la

science elle ne peut eacuteviter de tomber dans lignorance On voit bien quil y a deacutejagrave au

moins deux maniegraveres opposeacutees de se trouver entre la science et lignorance agrave savoir

la philosophie qui se trouve entre le savoir et lignorance mais si proche du savoir et

lopinion qui se trouve eacutegalement entre la science et lignorance mais si proche de

lignorance

III223 Refus de la veacuteriteacute

Dans le passage preacuteceacutedent nous avons remarqueacute que nombreux sont ceux qui ont

une opinion sur toutes sortes des choses et qui sont incapables de suivre les chemins

qui megravenent agrave la veacuteriteacute Dans un autre passage Socrate dit presque la mecircme chose

τί οὖν ἐὰν ἡμῖν χαλεπαίνῃ οὗτος ὅν φαμεν δοξάζειν ἀλλ᾽ οὐ γιγνώσκειν καὶ ἀμφισβητῇ ὡς οὐκ ἀληθῆ λέγομεν2

Mais alors que dire si celui-ci se facircche contre nous lui dont nous disons quil a une opinion mais quil ne connaicirct pas et que dire encore sil conteste que nousdisons vrai

Dans le cas dune meacutemoire normale ou mieux encore une bonne meacutemoire celui qui

est dans lignorance est moins pire que ces gens-lagrave car lillusion est beaucoup plus

fragile et facile agrave deacutemolir que lopinion Ainsi il se rend senseacute plus facilement que les

gens meacutediocres cest dailleurs la deacutefnition de la meacutediocriteacute

1 Ibid 479 e2 Ibid 476 d

147

Socrate Ah Criton si seulement les gens eacutetaient capables des pires des maux de sorte quils fussent capables des biens les plus grands ce serait parfait En fait ils sont incapables de lun et de lautre car impuissants agrave rendre quelquun senseacute ou insenseacute ils font nimporte quoi1

Les dialogues ougrave la discussion a lieu entre Socrate et les sophistes semblent montrer

que ces derniers sont beaucoup plus faciles agrave persuader que laccusateur Meacuteleacutetos

laquo Ce que tu dis est incroyable Meacuteleacutetos et tu ne crois mecircme pas toi-mecircme agrave ce que tu

dis jen ai bien limpression raquo2 Cest en ce sens que ces gens-lagrave qui refusent de

connaicirctre la veacuteriteacute parce quils ont une opinion sont les pires de lignorance

III23 Theacuteeacutetegravete

Le dialogue est connu pour la question de savoir ce quest la science (ἐπιστήμη)

mais les trois reacuteponses donneacutees par Theacuteeacutetegravete sont formuleacutees agrave partir dune part dans

la premiegravere reacuteponse de la sensation (αἴσθησις) dautre part dans les deux autres

reacuteponses de lopinion (δόξα) Ainsi lexamen ne peut eacutechapper agrave lanalyse de la

sensation et lopinion

III231 Oubli sensation meacutemoire

La meacutemoire ne signife pas automatiquement le savoir ce nest quune condition

parmi dautres Sans meacutemoire est agrave coup sucircr synonyme dignorance Commenccedilons

par la question du dialogue quest-ce que la science Dans sa premiegravere deacutefnition

pour Theacuteeacutetegravete laquo la science nest pas autre chose que la sensation raquo3 Or la sensation

est une affection ou plus exactement un mouvement qui affecte agrave la fois le corps et

lacircme4 La meacutemoire est deacutefnie comme la sauvegarde de la sensation5 Troisiegravemement

loubli signife laquo la disparition de la meacutemoire raquo6 Le passage suivant d u Theacuteeacutetegravete

semble ecirctre un commentaire de cette theacuteorie deacuteveloppeacutee dans le Philegravebe

Σωκράτης

τί δέ ἡ τῶν σωμάτων ἕξις οὐχ ὑπὸ ἡσυχίας μὲν καὶ ἀργίας διόλλυται ὑπὸ γυμνασίων δὲ καὶ κινήσεως ἐπὶ πολὺ σῴζεται

Θεαίτητος

Socrate

Mais quoi Leacutetat du corps nest-il pas ruineacute par le repos et loisiveteacute preacuteserveacute au contraire pour une dureacutee appreacuteciable par les exercices et les mouvements

Theacuteeacutetegravete

1 Criton 44 d2 Apologie 26 e3 Theacuteeacutetegravete 151 e4 Voir Philegravebe 34 a5 Ibid6 Ibid 33 e

148

ναί

Σωκράτηςἡ δ᾽ ἐν τῇ ψυχῇ ἕξις οὐχ ὑπὸ μαθήσεως μὲν καὶ μελέτης κινήσεων ὄντων κτᾶταί τε μαθήματα καὶ σῴζεται καὶ γίγνεται βελτίων ὑπὸ δ᾽ ἡσυχίας ἀμελετησίας τεκαὶ ἀμαθίας οὔσης οὔτε τι μανθάνει ἅ τε ἂν μάθῃ ἐπιλανθάνεται1

Si

SocrateEt leacutetat qui regravegne dans lacircme Nest-ce pas gracircce agrave lapprentissage et agrave lactiviteacute intellectuelle choses qui sont des mouvements quelle acquiert des connaissances et que son eacutetat est preacuteserveacute etameacutelioreacute tandis que sous leffet du repos qui consiste agrave nappliquer son esprit agrave rien et agrave ne pas apprendre agrave la fois elle napprend aucune chose et elle oublie celle quelle a pu apprendre

Dans ce passage lignorance (ἀμαθία) signife le fait de ne pas apprendre ou loubli

Comme la sensation deacutepend de leacutetat du corps et de celui de lacircme si la science est

sensation il ny aura jamais une science universellement valable Cela rejoint en effet

lhomme-mesure de Protagoras sujet du chapitre prochain Or comme nous en

avons deacutejagrave lu un passage du Philegravebe2 dans la section laquo III133 La jalousie raquo lopinion

naicirct de la sensation et de la meacutemoire cest-agrave-dire de la sensation du preacutesent et des

sensations du passeacute puisque cest dans la meacutemoire que les sensations du passeacute se

conservent Or lapparaicirctre cest sentir (laquo τὸ δέ γε φαίνεται αἰσθάνεσθαί ἐστιν raquo)3

de sorte que la meacutemoire garde des diffeacuterentes sensations lieacutees au mecircme apparaicirctre

Puisque leacutetat du corps et celui de lacircme ne sont pas toujours identiques selon le

temps lespace et les circonstances ou autres la sensation ne serait jamais identique

Par conseacutequent en jugeant par la sensation il est ineacutevitable de donner des opinions

contradictoires sur la mecircme chose Par exemple le vin mecircme rouge de bonne qualiteacute

ne donne pas de sensations identiques cela deacutepend de beaucoup de paramegravetres

III232 Ce qui nest pas

Une tautologie est un dire qui ne donne pas de possibiliteacute de le juger en raison du fait

que le sujet et le preacutedicat expriment la mecircme chose

Σωκράτης

ἆρ᾽ οὖν οὐ ταύτῃ σκεπτέον ὃ ζητοῦμεν κατὰ τὸ εἰδέναι καὶ μὴ εἰδέναι ἰόντας ἀλλὰ κατὰ τὸ εἶναικαὶ μή

Θεαίτητος

Socrate

Serait-ce quil ne faudrait pas diriger notre recherche de ce point de vue mais au lieu de poursuivre lopposition entre savoir et ne pas savoir nous attacher agrave lecirctre et au non-ecirctre

Theacuteeacutetegravete

1 Theacuteeacutetegravee 153 b ndash c2 Philegravebe 38 b3 Theacuteeacutetegravete 152 b

149

πῶς λέγεις

Σωκράτηςμὴ ἁπλοῦν ᾖ ὅτι ὁ τὰ μὴ ὄντα περὶ ὁτουοῦν δοξάζων οὐκ ἔσθ᾽ ὡς οὐ ψευδῆ δοξάσει κἂν ὁπωσοῦν ἄλλως τὰ τῆς διανοίας ἔχῃ1

Que veux-tu dire

SocrateQue lexplication simple pourrait bien ecirctre celle-ci lopinion qui sur quelque objet que ce soit affrme ce qui nest pas ne peut pas ne pas ecirctre une opinion fausse quelque soit la penseacutee ougrave elle se forme2

Deux questions Pourquoi preacutefeacuterer lopposition entre lecirctre et le non-ecirctre agrave

lopposition entre savoir et ne pas savoir Pourquoi laffrmation est-celle

tautologique

1 Nous avons dit preacuteceacutedemment que quelconque opinion attend un examen pour

savoir si elle est vraie ou fausse Cest pourquoi Socrate annonce sans tarder le verbe

εἰδέναι sous forme dopposition laquo Or ne sommes-nous pas en cette alternative

devant toutes les questions comme devant chacune ou de savoir (εἰδέναι) ou de ne

pas savoir (μὴ εἰδέναι) raquo (188 a) Nous ne pouvons pas savoir si une opinion est

vraie ou fausse si nous ne connaissons mecircme pas ce quest cet objet sur lequel porte

cette opinion Mais la question de savoir (εἰδέναι) est tregraves compliqueacutee peut-ecirctre

mecircme peacuterilleuse Car le sens du verbe εἰδέναι est aussi double que μανθάνειν dans

lEuthydegraveme que nous avons deacutejagrave analyseacute dans la premiegravere partie du chapitre En voici

le sens eacutetymologique

εἰδέναι deacutesignant (sauf exception cf Il 7 238) une connaissance theacuteorique (cf le rapportavec ἰδεῖν laquo voir raquo) et ἐπίστασθαι une connaissance pratique3

En effet dans un premier temps Socrate emploie le verbe au premier degreacute cest-agrave-

dire au sens propre

Σωκράτης

ἀλλ᾽ ἆρα ἃ μὴ οἶδεν ἡγεῖται αὐτὰ εἶναι ἕτερα ἄττα ὧν μὴ οἶδε καὶ τοῦτ᾽ ἔστι τῷ μήτεΘεαίτητον μήτε Σωκράτη εἰδότι εἰς τὴν διάνοιαν λαβεῖν ὡς ὁ Σωκράτης Θεαίτητος ἢ ὁ Θεαίτητος Σωκράτης 4

Socrate

Serait-ce donc que lon prendrait les choses mecircmes que lon sait pour dautres que lon ne sait pas etpeut-on si lon ne connaicirct ni Theacuteeacutetegravete ni Socrate venir agrave penser que Socrate est Theacuteeacutetegravete ou Theacuteeacuteegravete Socrate 5

Eacutevidemment si lon na jamais vu Theacuteeacutetegravete on ne peut le connaicirctre En revanche

lorsque lon connaicirct quelquun en le voyant on se dit tient cest lui impossible de ne

pas le reconnaicirctre dans la mesure ougrave lon na pas perdu la meacutemoire On voit bien que

1 Ibid 188 c ndash d2 Trad par A Diegraves3 Cf lentreacutee laquo εἶδα raquo Dictionnaire eacutetymologique de la langue grecque P Chantraine 1999 [1968]4 Theacuteeacutetegravete 188 b5 Trad par A Diegraves

150

ici οἶδεν οἶδε et εἰδότι ne deacutesignent pas une connaissance theacuteorique Cest en ce sens

concret quil faut entendre le verbe dans la reacuteplique qui suit le preacuteceacutedent laquo Et

pourtant ce quon sait on ne peut le prendre pour ce quon ne sait pas ni ce quon ne

sait pas pour ce quon sait raquo1 Cest dans cette perspective concregravete que lopinion

fausse nest pas possible puisque la sensation ne peut ecirctre fausse

2 Dans la premiegravere reacuteplique Socrate emploie laquo τὸ εἶναι καὶ μή raquo (laquo ce qui est et ce

qui nest pas raquo) Si lon lit laquo ce qui nest pas raquo comme laquo ce qui nexiste pas raquo la

proposition est toujours fausse Car comme le dit Socrate laquo ὁ ἄρα ἕν γέ τι ὁρῶν ὄν

τι ὁρᾷ raquo (laquo par conseacutequent qui voit ne serait-ce quune seule chose voit quelque

chose qui est raquo)2 celui qui voit une certaine chose voit eacutevidemment certaine chose

qui existe et non pas certaine chose qui nexiste pas Autrement dit on ne peut pas

formuler une opinion sur ce qui nexiste pas Dans la seconde reacuteplique Socrate

emploie laquo τὰ μὴ ὄντα raquo Si lon lit laquo ce qui nest pas raquo (τὸ μή ὄν) comme le contraire

de ce qui est (τὸ ὄν) cest-agrave-dire comme les choses qui deviennent les choses

sensibles pour ainsi dire alors laquo ce qui nest pas raquo est toujours vrai puisque les

choses sensibles existent toujours elles deviennent toujours mais on ne peut pas non

plus formuler une opinion sur ce qui devient sans cesse Cest la raison pour laquelle

laquo ce qui nest pas raquo ne peut pas ne pas ecirctre une opinion fausse En somme formuler

une opinion sur ce qui nest pas na pas de sens Cest sans doute une critique visant

Parmeacutenide

III233 Le totaliteacute sans uniteacute

La troisiegraveme reacuteponse agrave la question de savoir ce quest la science est la science est

lopinion vraie accompagneacutee de la raison Les reacuteponses de Theacuteeacutetegravete ressemblent agrave un

bricolage cest-agrave-dire au goucirct de la pluraliteacute sans uniteacute Au deacutebut quand Socrate lui

demanda laquo la science en quoi peut-elle bien consister raquo3 le jeune Theacuteeacutetegravete disciple

du geacuteomegravetre Theacuteodore et en plus ami de Protagoras4 a citeacute toutes les belles choses

sauf la science Dans une sorte de bricolage on ramasse tout ce qui peut ecirctre utile agrave

un assemblage En dautres termes au lieu de chercher luniteacute Theacuteeacutetegravete tacircchait de

chercher la pluraliteacute

Socrate De bonne race et geacuteneacutereux mon cher celui qui quand on lui demande une seule chose

1 Ibid 188 c2 Ibid 188 e laquo Celui donc qui voit une certaine chose voit certaine chose qui est raquo (Trad par A Diegraves)3 Ibid 145 e4 Voir ibid 161 b et 162 c

151

en donne plusieurs et toute une varieacuteteacute agrave la place dune chose simple1

Ainsi Socrate lui apprend comment deacutefnir une chose donner une reacuteponse banale et

bregraveve ou tout simplement une reacuteponse simple Exemple agrave lappui la boue est un

meacutelange deau et de terre2 Dans cette deacutefnition usage et utilisation de la boue sont

absents Inspireacute de cet exemple Theacuteeacutetegravete donne la premiegravere deacutefnition de la science

comme sensation Au fond il a nommeacute sensation toutes les choses quil avait citeacutees

auparavant de la mecircme faccedilon quon nomme bricolage toutes sortes dactiviteacutes

manuelles non professionnelles aussi diverses que possible Ensuite il change de

couleur deacutefnissant la science comme lopinion vraie qui nest en reacutealiteacute autre chose

quune sorte de sensation Finalement Theacuteeacutetegravete fnit par ajouter la raison agrave lopinion

vraie pour deacutefnir la science Lagrave encore la science est une sorte de bricolage une

totaliteacute sans uniteacute

III3 Paradoxe socratique deacuteclaration dignorance

Lun des paradoxes socratiques le plus paradoxal est que dune part non seulement

la Pythie deacuteclara Socrate lhomme le plus savant mais aussi et surtout dans les

dialogues platoniciens Platon fait de lui un personnage savant veacuteritablement3

III31 Sans compeacutetence particuliegravere

Dans lIon Socrate dit ceci laquo Quant agrave moi je ne dis que des veacuteriteacutes vraies comme

cest naturel chez un homme deacutepourvu de toute compeacutetence particuliegravere (οἷον εἰκὸς

ἰδιώτην ἄνθρωπον) raquo4 Les Nueacutees dAristophane dont Socrate est le personnage

principal dans la piegravece sous son vrai nom remportegraverent le troisiegraveme prix en 423 av

J-C au concours des Grands Dionysies Cela eacutetant Socrate neacute en 470469 eacutetait deacutejagrave

tregraves connu agrave Athegravenes dans les anneacutees 420 Dans le Parmeacutenide Socrate eacutetait un tout

jeune homme5 Tout cela paraicirct plausible car si le dieu assigna agrave Socrate la tacircche de

vivre en philosophie6 il ny a pas de raison de penser que le dieu len assigna

tardivement Dailleurs dans lApologie on peut lire ceci laquo Les deacutebuts en remontent agrave

mon enfance Cest une voix qui lorsquelle se fait entendre me deacutetourne toujours de

ce que je vais faire mais qui jamais ne me pousse agrave laction raquo7 Dans lhistoire de

1 Ibid 146 d2 Voir ibid 147 c3 Agrave propos des paradoxes socratiques cf L-A Dorion laquo II mdash La deacuteclaration dignorance raquo (p 43 ndash

55) et laquo VI mdash Les paradoxes socratiques raquo (p 76 ndash 89) Socrate Paris PUF 20044 Ion 532 d ndash e5 Voir Parmeacutenide 127 c et 130 e Sur la question de son acircme cf Parmeacutenide laquo Introduction raquo p 13 ndash 146 Voir Apologie 28 e laquo τοῦ δὲ θεοῦ τάττοντος raquo (laquo quand le dieu ma assigneacute pour tacircche raquo)7 Apologie 31 d

152

lHumaniteacute on constate que les geacutenies les grands talents se manifestent degraves le tregraves

jeune acircge Il est ainsi tout agrave fait coheacuterent que Socrate soit un homme deacutepourvu de

toute compeacutetence particuliegravere puisque le dieu ne le lui permet pas Certes il est

compeacutetent dans la philosophie mais il ne fait pas de la philosophie un meacutetier

reacutetribueacute Le mot ἰδιώτης deacutesigne en effet celui qui est deacutepourvu de compeacutetence

professionnelle cest-agrave-dire reacutetribueacutee

III32 Faux ou vrai savant

LApologie le Cratyle les deux Hippias le Protagoras et le Theacuteeacutetegravete nous apprennent que

lenseignement eacutetait un commerce tregraves lucratif1 Ecirctre savant agrave cette eacutepoque signife

que les savants enseignaient leur savoir contre beaucoup dargent laquo en leur

teacutemoignant en plus de la reconnaissance raquo2 Or largent et lhonneur sont choses

illimiteacutes on en veut toujours plus Cela pose problegraveme pour gagner toujours plus de

largent et de lhonneur on a ineacutevitablement tendance agrave gonfer la valeur de son

enseignement Ainsi lobjet du savant nest plus le savoir mais dargent et dhonneur

Dans ces conditions plus on est reacuteputeacute pour son savoir plus on en est le contraire

cest-agrave-dire savant ignorant doublement ignorant lui-mecircme ignorant du savoir les

autres ignorent aussi quil nest pas savant en reacutealiteacute sinon personne ne lui donnerait

de largent contre son enseignement

Socrate est plus savant que ces savants-lagrave Dabord il ne simagine pas savoir ce quil

ne sait pas Ensuite il ignore largent et lhonneur dailleurs il est tregraves pauvre 3 et

surtout pour lui ecirctre philosophe cest seacutecarter de tous les appeacutetits du corps

Voilagrave donc Simmias et Ceacutebegraves mes chers pourquoi ceux qui philosophent droitement se tiennent agrave leacutecart de touts les appeacutetits du corps sans exception leur reacutesistent et refusent de sy abandonner Concernant la perte de leurs biens ou la pauvreteacute ils neacuteprouvent autant dire aucune crainte agrave la diffeacuterence de la plupart des gens qui eux aiment largent4

Enfn il ne donne pas denseignement laquo car je nai jamais promis agrave aucun deux

denseigner rien qui sapprenne raquo5 cest en ce sens quil est ignorant car celui qui est

incapable denseigner rien qui sapprenne est eacutevidemment un ignorant En effet on

ne peut qualifer dignorant celui qui possegravede vraiment une certaine compeacutetence

1 Voir Apologie 19e ndash 20 b Cratyle 391 b Hippias majeur 281 b 284 a Hippias mineur 364 d Protagoras310 d 328 b ndash c Theacuteeacutetegravete 167 d 179 d

2 Apologie 20 a Cratyle 391 b3 Voir Apologie 23 c 31 c4 Pheacutedon 82 c5 Apologie 33 b

153

particuliegravere puisque toute compeacutetence particuliegravere senseigne et sapprend Cela ne

veut pas dire que Socrate ne possegravede pas un certain savoir mais qui ne senseigne

pas en tout cas il ne lenseigne pas puisquun savoir non particulier tel quil le

possegravede est accessible agrave tous Il na donc pas de raison de lenseigner nous en

parlerons dans le prochain chapitre En conclusion les sophistes savants ignorants

sont les savants qui tendent vers lignorance Socrate ignorant savant est un ignorant

qui tend vers le savoir

III33 Le philosophe est neacutecessairement laquo ignorant raquo

Le philosophe est celui qui aspire au savoir cela eacutetant il nest ni savant ni ignorant

laquo Voici en effet ce qui en est Aucun dieu ne tend vers le savoir ni ne deacutesire devenir

savant car il lest or si lon est savant on na pas besoin de tendre vers le savoir Les

ignorants ne tendent pas davantage vers le savoir ni ne deacutesirent devenir savants raquo1

Ce propos de Diotime est en contradiction avec la reacutealiteacute de Socrate qui est agrave la fois

ignorant et savant En effet la contradiction vient de la porteacutee du terme laquo savoir raquo

Nous savons quil y a deux sortes de savoir le savoir que le dieu possegravede il sagir du

savoir de ce qui est et le savoir que les hommes possegravedent ce sont les savoirs

particuliers ou speacutecifques Celui qui possegravede le savoir de ce qui est ignore les savoirs

particuliers et celui qui possegravede les savoirs particuliers ne peut eacutechapper agrave

lignorance du savoir de ce qui est Cela eacutetant il ny a rien de contradictoire et encore

moins de paradoxal dans la deacuteclaration socratique decirctre ignorant agrave leacutegard du

savoir divin il est le plus savant parmi les hommes agrave leacutegard des savoirs particuliers

il est ignorant

III4 Conclusion

Lignorance est synonyme du fait de simaginer savoir ce quon ne sait pas en reacutealiteacute

Il est en fait question de se connaicirctre soi-mecircme autrement dit le fait de ne pas se

connaicirctre soi-mecircme est la marque de lignorance En effet si lon ne se connaicirct pas

soi-mecircme on ne peut savoir ce qui est propre agrave soi-mecircme cest-agrave-dire agrave son acircme Or

ce qui est propre agrave lacircme est neacutecessairement immortel puisque lacircme est immortelle

Cela eacutetant mecircme si les fonctions Ardente et deacutesirante de lacircme sont propres agrave lacircme

car aucune chose deacutepourvue dacircme ne peut ecirctre spontaneacutement Ardente ou deacutesirante

elles ne sont pas immortelles De la sorte le fait de posseacuteder une technique une

compeacutetence particuliegravere ou une science speacutecifque ne signife pas pour autant quon

1 Banquet 203 e ndash 204 a

154

se connaicirct soi-mecircme puisque les objets de ces savoirs particuliers se trouvent dans le

monde sensible Cest pourquoi formuler une opinion mecircme droite sur les choses

sensibles ne peut eacuteviter decirctre ignorant De lagrave vient le paradoxe socratique Socrate

est agrave la fois savant et ignorant Il est savant par rapport agrave ceux qui naspirent pas au

savoir il est ignorant par rapport au savoir divin mais aussi parce quil ne possegravede

aucune science particuliegravere ou speacutecifque en raison du fait quil nexerce aucun

meacutetier

155

Ch IV Lἐπιστήμη159IV1 Signifcation160

IV11 Tradition160IV12 Sophiste161IV13 Philosophe163

IV2 Τέχνη comme opinion165IV21 Image dimage166

IV211 Peinture166IV212 Eacutecriture168IV213 Sensible171

IV22 Croyance173IV221 Croyance agrave la folie divine174IV222 Croyance au λόγος175IV223 Croyance aux biens particuliers176

IV3 Τέχνη comme utiliteacute179IV31 Lutiliteacute technique et la connaissance180IV32 Lutiliteacute technique et la sensation180IV33 Lutiliteacute technique et le temps183

IV4 La διάνοια185IV41 Discours argumentatifs185

IV411 Hypothegravese185IV412 Raisonnement187IV413 Veacuteriteacute190

IV42 Les matheacutematiques191IV421 Immuabiliteacute192IV422 Preacutecision194IV423 Enseignement194

IV5 La politique195IV51 Conception traditionnelle196IV52 Conception de sophiste197IV53 Conception philosophique200

IV6 La connaissance de lecirctre200IV61 Principes decirctre201IV62 Fonction propre202IV63 Eacuteducation203

IV7 Conclusion204

157

Ch IV Lἐπιστήμη

Geacuteneacuteralement la science peut ecirctre deacutefnie comme la connaissance de lexcellence des

reacutealiteacutes Or il existe les reacutealiteacutes sensibles les reacutealiteacutes intelligibles et entre les deux les

reacutealiteacutes de lacircme dont lexcellence est la vertu agrave laquelle nous consacrons le chapitre V

laquo La vertu raquo 1 Dans le monde sensible chaque chose a sa propre utiliteacute gracircce agrave son

excellence le marbre par exemple est extrecircmement compact ferme solide reacutesistant

au vent agrave la pluie agrave la chaleur et au temps et capable de recevoir un tregraves beau poli

cest pourquoi le marbre est une matiegravere de luxe en architecture et en art mais il est

diffcile agrave tailler Ainsi tailler le marbre constitue une technique ou une science

particuliegravere De mecircme pour toutes les autres choses sensibles 2 Agrave la diffeacuterence des

choses sensibles dont les proprieacuteteacutes sont tregraves stables et relativement simples la

socieacuteteacute humaine relevant elle aussi du monde sensible est beaucoup plus complexe

Sa nature est instable et complexe en raison de la complexiteacute de la structure

fonctionnelle de lacircme humaine la solidariteacute la productiviteacute la culture la

civilisation la paix ou encore bien dautres belles choses constituent lexcellence de la

socieacuteteacute humaine Toutefois pour quelle vive toujours dans son excellence il lui est

neacutecessaire de posseacuteder lart dorganiser la citeacute afn de faire exister son excellence cet

art a pour nom la politique 3 Les matheacutematiques font partie du monde intelligible

Leur excellence commune est leffcaciteacute la puissance la rigueur la fabiliteacute et elles

peuvent senseigner Mais lexcellence matheacutematique comme lexcellence des choses

sensibles nest ni bonne ni mauvaise cela deacutepend de lusage elle peut bien servir

pour faire des biens comme pour faire des maux 4 En revanche lexcellence de ce

qui est est toujours bonne en soi et par soi elle ne peut en aucun cas servir pour

causer du tord elle est le bien mecircme Cest pourquoi la veacuteritable science est la science

du Bien

Comme les choses sensibles participent agrave ce qui est cest-agrave-dire la veacuteriteacute ou la reacutealiteacute

intelligible ou la reacutealiteacute universelle et immuable ou la reacutealiteacute qui est toujours la mecircme

en soi et par soi ou dautres qualifcatifs de mecircme genre le fait de posseacuteder la

technique qui maicirctrise lexcellence dune chose sensible si aussi une belle faccedilon de

participer agrave ce qui est De mecircme pour la politique et les matheacutematiques cest une

question de degreacute cest pourquoi nous en parlons sous le titre de la science

159

IV1 Signifcation

Le tableau suivant donne une reacutecapitulation de la freacutequence des deux termes

parfois synonymes ἐπιστήμη et σοφία dans les œuvres de Platon1

0 [ἐπιστήμη] Criton Hippias majeur toutes les Lettres sauf VII Lois II V VIII Lysis Reacutepublique VIII

[σοφία] Critias Criton Lettre II III IV V VIII IX XI XII Lois II IV VI VII VIII X XI XII Parmeacutenide Politique Reacutepublique VIII IX Sophiste Timeacutee

lt 6 [ἐπιστήμη] 1 Critias Lois III IV VI VII IX X XI Meacutenexegravene 2 Apologie Euthyphron Lois I XII Reacutepublique II III Timeacutee 3 Alcibiade Cratyle Reacutepublique IX 5 Lettre VII Reacutepublique X

[σοφία] 1 Charmide Ion Lettre VII X XIII Lois I IX Meacutenexegravene Reacutepublique II V VII 2 Alcibiade Lois V Lysis Pheacutedon Reacutepublique III 3 Lettre VI Reacutepublique X 4 Gorgias 5 Lois III Phegravedre Philegravebe Reacutepublique IV VI

ge 6 [ἐπιστήμη] Ion (6) Reacutepublique I (7) Hippias mineur (8) Reacutepublique VI (8) Phegravedre (11) Reacutepublique V (12) Sophiste (12) Reacutepublique VII (13) Banquet (14) Gorgias (19) Pheacutedon (20) Lachegraves (21) Parmeacutenide (23) Reacutepublique IV (26) Protagoras (30) Philegravebe (36) Meacutenon (40) Euthydegraveme (45) Politique (56) Charmide (85) Theacuteeacutetegravete (125)

[σοφία] Euthyphron (7) Hippias mineur (7) Lachegraves (7) Reacutepublique I (7) Cratyle (8) Meacutenon (11) Apologie (12) Banquet (12) Hippias majeur (13) Theacuteeacutetegravete (18) Protagoras (26) Euthydegraveme (37)

Pour le sophiste Protagoras les deux termes ne sont pas synonymes puisque pour

lui la vertu nest pas lobjet dune science mecircme si dun meacutetier consiste agrave enseigner la

vertu cependant il reconnaicirct le savoir comme vertu Agrave linverse dans le Theacuteeacutetegravete par

exemple les deux termes sont synonymes

IV11 Tradition

La toute premiegravere reacuteponse du jeune Theacuteeacutetegravete agrave la question laquo quest-ce que la science raquo

reacutevegravele la signifcation traditionnelle du terme

Theacuteeacutetegravete Ce qui me semble donc cest agrave la fois que les choses quon peut apprendre de Theacuteodore sont des sciences la geacuteomeacutetrie et les disciplines que tu eacutenumeacuterais il y a un instant et quela cordonnerie aussi ainsi que les meacutetiers des autres artisans tous et aussi bien chacun dentre eux ce nest pas autre chose que de la science2

Dapregraves ce propos tout ce qui sapprend par lenseignement ou par la pratique peut

ecirctre consideacutereacute comme ἐπιστήμη Par ailleurs agrave la question de savoir si la science et le

savoir sont-ils identiques Theacuteeacutetegravete reacutepondit quils sont identiques (145 e) Pourquoi

ce propos exprime-t-il la signifcation traditionnelle du terme Premiegraverement il ne

correspond ni agrave la signifcation sophistique du terme (le savoir et la science ne sont

pas la mecircme chose) ni agrave la signifcation philosophique (lἐπιστήμη est la science de

1 Pour voir les deacutetails lexicologiques cf laquo Annexe ἐπιστήμη raquo et laquo Annexe σοφία raquo2 Theacuteeacutetegravete 146 c ndash d

160

ce qui est bien au-delagrave de la matheacutematique et de la τέχνη) Deuxiegravemement la

deacutefnition que donne ici Theacuteeacutetegravete ne deacutesigne pas la science ni une science mais

lensemble des sciences ce qui semble correspondre agrave ce passage du Politique

LEacutetranger Divise alors lensemble des sciences (ἐπιστήμας) de la faccedilon que voici en donnant aux unes le nom de laquo pratiques (πρακτικήν) raquo et aux autres celui de laquo purement cognitives (τὴν δὲ μόνον γνωστική) raquo1

Nous pouvons mecircme dire ceci de maniegravere geacuteneacuterale le fait de nommer les diffeacuterentes

choses par le mecircme nom sans les distinguer les unes des autres relegraveve plus ou moins

de la tradition puisque cest lhabitude qui parle et non la science Troisiegravemement

laquo jusquagrave Platon en effet le terme σοφία peut recevoir nimporte quel contenu dans

la mesure ougrave la σοφία nest dans le monde sensible lieacutee agrave aucun contenu

particulier raquo2 de mecircme pour lἐπιστήμη puisque les deux termes ne diffegraverent pas

IV12 Sophiste

Le sophiste (σοφιστής) nest pas aussi facile agrave deacutefnir Dabord le terme σοφιστής a

un radical composeacute de σοφ deacuteriveacute de ladjectif σοφός (savant) ou du nom σοφία

(savoir) et de la racine ιστ (savoir)3 Deacutejagrave la composition ressemble agrave une ironie

savant + savoir comme si le savant ne sufft pas pour exprimer la possession du

savoir Ensuite en ce qui concerne le savoir du sophiste leacutecart est inconciliable entre

ce quen pense la foule Socrate et le sophiste lui-mecircme qui preacutetend enseigner la

vertu

mdash λέγε δή τί ἡγῇ εἶναι τὸν σοφιστήν

mdash ἐγὼ μέν ἦ δ᾽ ὅς ὥσπερ τοὔνομα λέγει τοῦτον εἶναι τὸν τῶν σοφῶν ἐπιστήμονα4

mdash Dis-moi donc quest-ce quun sophiste agrave ton avis

mdash Pour ma part dit-il comme le nom lindique je pense que cest quelquun qui sy connaicirct en choses savantes

Les sophistes sont reacuteputeacutes pour leur savoir mais comme le jeune Hippocrate la

foule ne sait pas en reacutealiteacute quelles sont laquo ces choses savantes raquo Dailleurs dans les

Nueacutees dAristophane le personnage de Socrate ressemble agrave la fois agrave un sophiste

rheacuteteur et physicien Dans le Banquet Diotime associe le sorcier au sophiste laquo δεινὸς

γόης καὶ φαρμακεὺς καὶ σοφιστής raquo (laquo cest un sorcier redoutable un magicien et

un sophiste raquo)5 pour dire le charme du discours de sophiste Dans le Timeacutee Timeacutee

1 Politique 258 e2 Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question de des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin

2000 pp 113 ndash 133 p 1303 Cf Protagoras trad par Alfed Croiset note 1 p 24 Les Belles Lettres 2002 [1923]4 Protagoras 312 c5 Banquet 203 e

161

deacutecrit les sophistes en ces termes critiques

Quant aux sophistes jestime quils font preuve dun remarquable savoir-faire qui leur permet de produire une multitude de discours et de reacutealiser dautres choses admirables mais je crains que vagabondant de ville en ville et nayant nulle part eacutelu domicile ils nesoient hors deacutetat de comprendre agrave propos dhommes qui sadonnent agrave la fois agrave la philosophie et agrave la politique limportance et la qualiteacute de tout ce que ces hommes peuvent dans les combats et dans les discussions faire et dire dans laction par leurs actes et par la parole dans leurs reacuteunions respectives1

Limage des sophistes semble ironiquement fatteuse car inteacuteresseacutes par largent ils

sont venus pour parler et non pour eacutecouter Mais il faut dire aussi que Timeacutee brosse

cette image de maniegravere quelque peu caricaturale Il est vrai que en geacuteneacuteral les

sophistes sont sucircrs de leur savoir tel Euthydegraveme

Euthydegraveme Cest la vertu Socrate reacutepondit-il Nous pensons pouvoir la transmettre mieux que personne et au plus vite2

laquo Mais si maintenant vous posseacutedez reacuteellement une telle connaissance (τὴν

ἐπιστήμην) ayez pitieacute de nous mdash vous le voyez cest absolument comme agrave deux

dieux que je madresse agrave vous en vous priant de me pardonner ce que jai dit

avant raquo3 Eacutevidemment les deux sophistes affrment quils possegravedent cette science Or

Protagoras soutient que la vertu senseigne mais nest pas science Y a-t-il une

diffeacuterence fondamentale entre Euthydegraveme et Protagoras En effet les sophistes en

geacuteneacuteral nont pas dhabitude de deacutefnir les choses concregravetes ou abstraites afn de les

distinguer cest en ce sens quils ne sont pas diffeacuterents Enfn agrave leacutepoque de Socrate

comme agrave leacutepoque actuelle le sophiste a mauvaise reacuteputation Si on qualife

aujourdhui un intellectuel de sophiste ce serait entendu comme une insulte Les

sophistes eacutetaient-ils vraiment si mauvais que ccedila Le rocircle des sophistes dans les

dialogues platoniciens ressemble agrave celui des avocats dans la deacutemocratie moderne Le

Protagoras illustre un portait du sophiste assez complexe Dans la premiegravere partie du

dialogue nous avons deux images opposeacutees de Protagoras agrave savoir laquo il est seul agrave ecirctre

savant raquo (310 d) aux yeux du jeune Hippocrate mais pour Socrate il ressemble agrave un

charlatan laquo une sorte de neacutegociant qui vend en gros ou en deacutetail les marchandises

dont lacircme se nourrit raquo (313 c) Ce propos de Socrate ressemble agrave un preacutejugeacute car au

deacutebut de lentretien le mythe et le discours de Protagoras semblent montrer que le

sophiste est un intellectuel reacutefeacutechi puisque lart politique quil propose comprend la

vertu mecircme sil ne sait pas la deacutefnir mdash dailleurs cela nest philosophiquement pas

1 Timeacutee 19 e2 Euthydegraveme 273 d3 Ibid 273 e

162

une tacircche facile quand laquo le plus souvent dans la citeacute deacutemocratique les

responsabiliteacutes politiques sont tireacutees au sort raquo1 Toutefois dans le Phegravedre le sophiste

fait partie du huitiegraveme rand un peu mieux que le tyran2 Bref il est diffcile de

deacuteterminer le rapport des sophistes agrave la science En tout cas sans eux le volume des

dialogues platoniciens serait largement reacuteduit et Socrate sennuierait

IV13 Philosophe

Une science se deacutefnit par son objet Dans les premiers dialogues platoniciens cest la

vertu qui est lobjet de la science mais ce passage du Lachegraves semble donner loccasion

de constater que Socrate assimilerait le courage aux autres savoirs techniques3

Σωκράτης

οὐ μόνον ἄρα τῶν δεινῶν καὶ θαρραλέων ἡ ἀνδρεία ἐπιστήμη ἐστίνοὐ γὰρ μελλόντων μόνον πέρι τῶνἀγαθῶν τε καὶ κακῶν ἐπαΐει ἀλλὰ καὶ γιγνομένων καὶ γεγονότων καὶ πάντως ἐχόντων ὥσπερ αἱ ἄλλαι ἐπιστῆμαι4

Socrate

Le courage nest donc pas seulement la connaissance des choses redoutables et de celles qui inspirent confancecar sa compeacutetence seacutetend non seulement aux biens et aux maux futurs mais aussi agrave ceux du preacutesent et du passeacute bref de toutes les eacutepoques comme cest le cas pour les autres connaissances

Premiegraverement on ne sait pas avec certitude ce que pourrait deacutesigner le syntagme laquo αἱ

ἄλλαι ἐπιστῆμαι raquo5 Supposons quil deacutesigne les autres savoirs techniques chacun

ayant son objet Cependant en raison de leacutevolution constante des outils techniques

mecircme si les objects techniques ne changent pas (le marbre pour le tailleur de pierre

le bois pour le menuisier par exemple) les savoirs techniques eacutevoluent

reacuteguliegraverement en ce sens quaucun savoir ne peut reacutesister aux vicissitudes

temporelles Deuxiegravemement laquo il nest pas du tout eacutevident que le courage se rapporte

aussi bien au passeacute quau preacutesent et au futur Peut-on vraiment ecirctre courageux agrave

lendroit deacuteveacutenements passeacutes raquo6 En effet le courage est agrave la fois comportement et

science Du point de vue du comportement on ne peut ecirctre courageux agrave lendroit

1 Reacutepublique VIII 557 a2 Voir Phegravedre 248 d ndash e3 Cf Lachegraves laquo Notes raquo ndeg 196 p 167 laquo Lindiffeacuterenciation temporelle de lobjet du courage provient

donc dune analogie avec les savoirs techniques (agriculture meacutedecine etc) Il est pour le moins deacuteconcertant de voir Socrate assimiler le cas du courage agrave celui de tous les autres savoirs lui qui sest plus tocirct eacutevertueacute agrave faire comprendre agrave Lachegraves que le courage nest preacuteciseacutement pas un savoir dece genre On voit que la position de Socrate relativement au statut du courage en tant que connaissance est ambivalente tantocirct il oppose le courage aux diffeacuterents savoirs techniques tantocirct il fait comme si le courage eacutetait un simple savoir technique parmi dautres raquo

4 Ibid 199 b ndash c 5 Ne faut-il pas distinguer laquo la connaissance de leacutequitation raquo et laquo leacutequitation raquo La premiegravere semble

ecirctre une connaissance theacuteorique qui senseigne la seconde une τέχνη que lon acquiert par la pratique

6 Lachegraves laquo Notes raquo ndeg 195 p 167

163

deacuteveacutenements passeacutes ou pas encore arriveacutes mais du point de vue de la science cest-

agrave-dire la connaissance de ce qui est le courage est indeacutependant du temps celui qui

possegravede cette science est neacutecessairement courageux en tout temps Troisiegravemement

Socrate parle souvent de savoirs techniques cest une faccedilon de faire comprendre les

notions philosophiques qui ne sont toujours pas faciles agrave comprendre comme on

montrerait agrave un enfant une image dun pont pour lui apprendre le mot laquo pont raquo

Quatriegravemement il faut se meacutefer de ce que Socrate dit Dans le Protagoras il soutient

que la vertu est science mais qui ne senseigne pas ce qui est diameacutetralement opposeacute

agrave la thegravese de Protagoras Sagit-il dune ruse de la part de Socrate Certainement pas

En effet lagrave ougrave la diffculteacute est importante la chance de trouver la veacuteriteacute est grande

cest la raison pour laquelle Socrate passe son temps agrave mettre lui-mecircme et les autres

en embarras en diffculteacute

Dans les dialogues tardifs la science a pour objet les formes intelligibles Si lon

considegravere que laquo la science platonicienne ne se deacutefnit que meacutediatement raquo1 alors

toutes les choses qui se trouvent entre lillimiteacute (le feu leau lair et la terre) et la

limite (les formes intelligibles)2 sont intermeacutediaires pas seulement le langage

matheacutematique les fgures geacuteomeacutetriques et les proceacutedeacutes de construction En effet

lintermeacutediaire existe en raison des deux extreacutemiteacutes les quatre eacuteleacutements et les formes

intelligibles Cela eacutetant on distingue trois sortes de connaissances 1 lopinion qui

est connaissance des choses intermeacutediaires ou immeacutediates cest-agrave-dire des choses

sensibles qui deviennent sans cesse 2 La connaissance de lunivers qui se forme par

les quatre eacuteleacutements dont la quantiteacute est deacutetermineacutee par les lois matheacutematiques et

physiques En dautres termes la connaissance de lunivers est fondamentalement

matheacutematique et physique ce que le Timeacutee exprime mais aussi logique ce que la

seconde partie du Parmeacutenide exprime 3 La science de ce dont lobjet est la forme

intelligible cela eacutetant la science ne se deacutefnit pas meacutediatement puisque la forme

intelligible est accessible de maniegravere directe par la fonction intellective de lacircme

Cependant si la science senseigne cet enseignement et non cette science mecircme ne

peut se fonder que meacutediatement car cet enseignement ne peut se faire que par des

moyens intermeacutediaires comme leacutecriture la parole la musique la danse la

1 Cf Henri Joly laquo La science platonicienne ne se deacutefnit que meacutediatement et suppose lutilisation deces intermeacutediaires que sont le langage matheacutematique les fgures geacuteomeacutetriques et les proceacutedeacutes de construction Bref toute une technique scientifque est agrave lœuvre dans la science platonicienne et la theacuteorie de la science est inseacuteparable des pratiques theacuteoriques qui en constituent lorgane raquo (Le renversement platonicien Logos eacutepisteacutemegrave polis Paris Vrin 1994 [1974] p 191)

2 Cf le chapitre preacuteceacutedent laquo III131 Quatre eacuteleacutements et le corps raquo

164

repreacutesentation symbolique

IV2 Τέχνη comme opinion

laquo La technique est le paradigme du rapport que lhomme entretient avec les objets

dans le sensible raquo1 Cest en ce sens que la technique est la forme de lopinion qui est

le jugement formuleacute agrave partir de la sensation actuelle et des sensations du passeacute qui

sont sauvegardeacutees dans la meacutemoire Autrement dit lexcellence technique est obtenue

non pas au moyen de la mesure mais au moyen de conjectures cest-agrave-dire

dopinions

Socrate Ainsi en premier lieu la musique en est pleine elle qui najoute pas ses harmonies au moyen de la mesure mais au moyen de conjectures comme cest le cas de lensemble de lart de la fucircte et chacun cherche agrave deacutecouvrir par la conjecture de la bonne mesure et de la corde qui vibre de sorte quelle mecircle une part consideacuterable de confusion agrave bien peu de certitude

Protarque Cest on ne peut plus vrai

Socrate Et ne verrons-nous pas que la meacutedecine lagriculture la navigation et la strateacutegie sont dans le mecircme cas

Protarque Bien sucircr

Socrate Quant agrave la construction le fait quelle emploie davantage de mesures et doutils lui confegravere gracircce agrave sa plus grande exactitude une techniciteacute supeacuterieure agrave la plupart des autres sciences2

Cest pourquoi nous analysons ici la technique comme opinion Autrement dit nous

nous inteacuteressons plutocirct agrave laspect geacuteneacuteral de la technique et non aux regravegles

speacutecifques de chaque technique particuliegravere Notons que la grande exactitude de

mesures et doutils des mesures ne relegraveve pas de la technique mecircme mais avant tout

de matheacutematiques Par exemple en musique la complexiteacute matheacutematique et la

techniciteacute des accordeurs modernes ne relegravevent pas de lart de jouer un instrument

Si la sensation ne peut ecirctre fausse lopinion peut lecirctre la technique aussi Mais ici

nous nexaminons pas lopinion du point de vue de la sensation mais de la source de

la sensation cest-agrave-dire de limage et de la croyance qui sont nommeacutees opinion dans

la Reacutepublique3

La terme δόξα est sans doute lun des termes les plus eacutetudieacutes dans le vocabulaire de

Platon plus de trente ans apregraves sa premiegravere publication La reacuteeacutedition augmenteacutee en

1 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 1462 Philegravebe 56 a ndash b Notons ici que laquo la plupart des autres sciences raquo deacutesignent les techniques

caracteacuteriseacutees par la forte conjecture que Socrate eacutevoque preacuteceacutedemment3 Reacutepublique livre VII 533 e ndash 534 a

165

2015 de La theacuteorie platonicienne de la doxa1 en est la preuve La question se pose si

lopinion nest pas un objet pour la science pourquoi le terme est-il aussi

freacutequemment preacutesent dans les dialogues platoniciens2 Cest parce que lopinion est

une connaissance des choses sans savoir ce quelles sont en reacutealiteacute une forme

dignorance pour ainsi dire En effet mecircme sil sagit dune opinion droite elle est

individuelle et changeante ce qui est agrave eacuteviter dans leacuteducation et dans la

gouvernance de la citeacute Cest dans cette perspective que nous analysons le terme

δόξα agrave travers lexamen de limage de la croyance et de la τέχνη sans faire le lien

avec le logos ni faire de lopinion une theacuteorie

IV21 Image dimage

Ladjectif εἰκαστικός le substantif εἰκασία et le verbe εἰκάζειν ne sont pas tregraves

freacutequents dans les dialogues platoniciens3 Les exemples les plus ceacutelegravebres sont 1 le

troisiegraveme lit eacutevoqueacute au deacutebut du livre X de la Reacutepublique mecircme si lon ny trouve pas

ses trois termes puisque Socrate y parle de ce que fabrique le peintre (ζωγράφος)

2le mythe de Theuth dans le Phegravedre 3 la copie du paradigme dans le Parmeacutenide4

En effet le verbe γράφειν deacutesigne agrave la fois lacte deacutecrire et celui de peindre5 cest en

ce sens que le texte lui aussi est une image Peindre un texte eacutecrire une peinture cela

nous paraicirct eacutetrange mais pas pour les grecs

IV211 Peinture

Le lit le plus cher est sans doute celui peint par Vincent Van Gogh dans son tableau

intituleacute La chambre agrave coucher (Museacutee dOrsay6) Si ce tableau se vendait le prix

1 Lafrance Yvon La theacuteorie platonicienne de la doxa Paris Les Belles Lettres 2015 [1981]2 Cf laquo Annexe δόξα raquo3 Alcibiade εἰκάζω (105 c) Banquet εἰκάσειεν (190 a) ᾔκασα (216 c) Cratyle εἰκάζομεν (425 c) εἰκάζει (432 b) εἴκασται (439 a) Ion εἰκάσαι (532 c) Lettre VII εἰκάζων (324 a) Lois II εἰκαστικαί (667 c) εἰκαστικήν (668 a) Meacutenon ᾔκασας (80 c) εἰκάζοντες (89 e) εἰκάζοιμεν (89 e) εἰκάζων (98 b) εἰκάζειν (98 b) Parmeacutenide εἰκασθῆναι (132 d) εἰκασθέντι (132 d) Pheacutedon εἰκάζω (99 e) Phegravedre εἰκασμένη (248 a) εἰκασθέντος (250 b) Philegravebe εἰκάζειν (55 e) Reacutepublique II εἰκάζῃ (377 e) Reacutepublique VI εἰκάζω (488 a) εἰκάζοντα (488 a) εἰκασίαν (511 e) Reacutepublique VII εἰκασίαν (534 a) εἰκασίαν (534 a) Sophiste εἰκαστικὴν (235 d) εἰκαστικήν (236 b) εἰκαστικὴν (236 c) εἰκαστικήν (264 c) εἰκαστικόν (266 d)

4 Dans le Parmeacutenide il sagit du terme ὁμοιώματα qui est plutocirct rare dans le corpus platonicien Cratyle ὁμοιώματι (434 a) Lois VII ὁμοιώματα (812 c) Parmeacutenide ὁμοιώματα (132 d)ὁμοιώματα (133 d) Phegravedre ὁμοίωμα (250 a) ὁμοιώμασιν (250 b) Notons que lὁμοίωμα et lεἰκασία semblent synonymes

5 Cf laquo Le discours eacutecrit sur un rouleau de papyrus peut ecirctre assimileacute agrave une image peinte dautantplus facilement que le cest le mecircme verbe γράφειν qui deacutesigne en grec ancien lacte deacutecrire et celui de peindre raquo (Brisson Luc laquo Annexe 1 Phegravedre 278 b - c raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 74 ndash 76 p 74)

6 Il existe trois versions de La chambre agrave coucher par rapport celle du Museacutee dOrsay les deux autres semblent moins abouties en terme de couleur

166

pourrait seacutelever agrave une centaine de millions deuros celon la cote de lartiste Aucun

lit particulier ne pourrait coucircter aussi cher Ce lit inutile coucircte donc plus cher quun

lit utile tel est le charme de limage Certes il nest pas tout agrave fait inutile du moins

cette œuvre de Van Gogh constitue un objet de grande valeur pour le Museacutee dOrsay

mais il nest pas utile en tant que lit dans sa fonction propre puisquil est entiegraverement

deacutepourvu de toute fonction dun lit particulier

En effet un lit particulier est une image du Lit dont un dieu est lauteur et un lit

peint est lui aussi une image La question se pose ainsi agrave leacutegard de la veacuteriteacute

pourquoi Socrate accorde-t-il agrave un lit particulier plus de place quagrave un lit peint alors

que tous les deux sont images Le Lit est une forme unique il a le mecircme statut que

la veacuteriteacute Cest pourquoi laquo le fabricant de lits ne produit pas la forme (εἶδος) qui est ce

quest le lit mais un lit particulier raquo1 Puisque le dieu qui laquo a produit ce lit qui est par

nature unique raquo (laquo μίαν φύσει αὐτὴν ἔφυσεν raquo)2 Mais que doit-on entendre par ce

lit divin qui est une forme unique Le lit se dit diffeacuteremment dans des diffeacuterents

langues en grec cest ἡ κλίνη en franccedilais le lit et ainsi de suite dans les autres

langues Autrement dit chaque langue a son propre nom pour deacutesigner le lit mais

quelque soit le nombre de mots diffeacuterents ils deacutesignent tous la mecircme fonction qui est

propre au lit universellement la mecircme Cest cette fonction propre qui est lœuvre

dun dieu (θεὸν ἐργάσασθαι3) Par la suite quand un menuisier fabrique un lit

particulier cest cette fonction propre du lit quil reacutealise Par conseacutequent si lon

considegravere ce lit particulier comme lopinion dun menuisier cest une opinion droite

puisque la fonction propre du lit correspond agrave la veacuteriteacute cest-agrave-dire agrave la fonction

propre telle quun dieu la deacutefnie comme nature unique du Lit

Par contre lorsque le peintre peint un lit dans son tableau celui-ci est deacutepourvu de

toute fonction propre du lit En dautres termes le lit peint est une imitation de

lapparence mecircme si lart de cette imitation est excellent alors quun lit particulier

fabriqueacute par un menuisier est une imitation de la veacuteriteacute De mecircme un lit peint est

aussi une opinion mais une opinion fausse puisquil ne dit pas la veacuteriteacute du lit Si le

Lit est lœuvre dun dieu il nest pas absurde de penser que la Peinture elle aussi est

lœuvre dun dieu La question se pose quelle est la fonction propre de la peinture

cest-agrave-dire la nature unique de la peinture Tant que lartiste nest pas capable de

reacutepondre agrave cette question il ne peut eacuteviter de fabriquer des opinions fausses Cest en

1 Reacutepublique X 5976 e ndash 597 a2 Ibid 597 d3 Ibid 597 b

167

ce sens que Socrate ne critique pas lart de la peinture mais les mauvais peintres les

mauvais imitateurs et non limitation en tant que telle Limitation doit en effet avoir

sa fonction propre par exemple les enfants commencent par imiter Cest la raison

pour laquelle devant les enfants les adultes en geacuteneacuteral et les parents en particulier

doivent avoir un comportement responsable Imiter cest aussi le moyen de devenir

meilleur En effet si lon peut devenir meilleur par son propre moyen on na nul

besoin dimitation ce qui nest pas le cas pour beaucoup mais on peut imiter les

sages afn de devenir meilleur De plus on peut bien imiter les reacutealiteacutes veacuteritables par

la peinture ou par la poeacutesie nest-ce pas en ce sens que lart conceptuel faisait un pas

Autrement dit ce que Socrate critique dans la premiegravere partie du livre X de la

Reacutepublique cest que limitation laquo nous tient eacuteloigneacutes de la reacutealiteacute veacuteritable raquo laquo et nous

aliegravene raquo1 parce quelle nimite pas la veacuteriteacute mais lapparence Et surtout limitation

dapparence exerce une infuence importante sur lesprit humain notamment dans

les domaines de lart et de la poeacutesie qui sont des instruments indispensables de

leacuteducation Dailleurs le fait que les enfants en geacuteneacuteral seraient beaucoup plus

sensibles agrave lart conceptuel que les adultes montre que leacuteducation joue un rocircle

important dans lorientation de la sensibiliteacute dans leacuteducation traditionnelle on

trouvait peu denseignements relatifs agrave lart conceptuel comme si leacuteducation eacutetait un

moyen de priver les enfants de la sensibiliteacute conceptuelle

IV212 Eacutecriture

Agrave la fn du Phegravedre Socrate compare le discours eacutecrit agrave la peinture laquo Car agrave mon avis

ce quil y a de terrible Phegravedre cest la ressemblance quentretient leacutecriture avec la

peinture raquo2 Mais cela ne doit pas effacer la diffeacuterence entre leacutecriture et la peinture

dimitation dont parle Socrate dans le livre X de la Reacutepublique En effet le texte est

une image du discours de lacircme3 alors que la peinture dimitation est une image

dune apparence du monde sensible Dailleurs dans le cas de trois lits il y a trois

types dἔργον diffeacuterents effectueacutes par trois vivants diffeacuterents Le dieu implante une

fois pour toute la nature unique du Lit4 cest-agrave-dire la fonction propre du lit le

fabricant peut fabriquer autant des lits particuliers que besoin et fnalement le

1 Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon 1 Paris Vrin Sous la direction de Monique Dixsaut 2005 pp 25 ndash 41 p 34

2 Phegravedre 275 d3 Ibid 276 a4 Implanter (ἐργάζεσθαι) signife laquo mettre en œuvre raquo au sens ougrave le dieu en est auteur mais

laquo auteur raquo ne signife pas qui aurait fabriqueacute la Forme car elle ne se fabrique nullement Cf Luc Brisson laquo Divin planteur raquo KAIROS ndeg 19 2002 pp 31 ndash 48

168

peintre peut en peindre autant quil veut Agrave linverse le texte et son modegravele agrave savoir

le discours de lacircme relegravevent du mecircme auteur Nous ne distinguons ici que deux

niveaux et non trois Ougrave se cache un autre niveau Pourquoi la mecircme personne ne

parvient-elle pas agrave produire un texte fdegravele au discours de sa propre acircme Lagrave le

Phegravedre peut eacuteclairer la question

laquo Le Phegravedre est un dialogue si divers dans son fond (thegravemes de lamour de lacircme de

la rheacutetorique de leacutecriture) comme dans sa forme (dialogues discours descriptions

mythes priegraveres) et tellement travailleacute que lun des problegravemes majeurs quil soulegraveve

est preacuteciseacutement celui de son uniteacute Problegraveme insoluble si on ne tient pas compte agrave la

fois de laspect dramatique et de laspect doctrinal qui dans le Phegravedre plus que dans

tout autre dialogue sont indissociables raquo1 Cette indissociabiliteacute du dialogue se

manifeste degraves la premiegravere phrase

Socrate Phegravedre mon ami ougrave vas-tu et dougrave viens-tu

Phegravedre vient de passer aupregraves du maicirctre de la rheacutetorique Lysias laquo plusieurs heures

daffleacutee raquo il tient encore dans sa main gauche sous son manteau le discours eacutecrit de

Lysias sur lamour au moment ougrave il croisa Socrate2 laquo toi tu cherches la position que

tu imagines ecirctre la meilleure pour lire et quand tu lauras trouveacute lis raquo3 En dautres

termes le discours eacutecrit de Lysias est lorigine du Phegravedre et ce nest pas par hasard

que le dialogue se termine par une critique de leacutecriture Ainsi on pourrait dire que

leacutecriture est le sujet du Phegravedre la rheacutetorique lobjet lacircme lenjeu

laquo Quest-ce que la culture sinon un systegraveme speacutecifque dactes de communication raquo4

La culture pour ainsi dire simplement cest la communication Parler publier cest

ecirctre entendu ecirctre lu eacutequivaut agrave communiquer peu importe si lon a vraiment

quelque chose agrave dire puisque lexistence se caracteacuterise degraves lors par la

communication Par conseacutequent la question deffcaciteacute se pose dembleacutee autrement

dit la rheacutetorique devient ineacutevitablement dune grande importance dans la

communication De mecircme pour leacutecriture qui est une technique ou un moyen de

communication Cest lagrave que se trouve le problegraveme En effet dans une

communication il y a dun cocircteacute leacutemetteur de lautre les reacutecepteurs Un art de la

communication est jugeacute effcace ou non par rapport aux effets produits chez les

1 Ibid laquo Introduction raquo p 13 ndash 142 Phegravedre 228 d3 Ibid 230 e4 Brisson Luc laquo Mythe eacutecriture philosophie raquo La connaissance de la raison en Gregravece Paris PUF Sous

la direction de J-F Matteacutei 2006 [1990] pp 49 ndash 58 p 49

169

reacutecepteurs Or tout effet peut ecirctre agrave la limiteacute faste ou neacutefaste ou entre les deux Dougrave

la neacutecessiteacute de savoir ce quest lacircme si lon ne connaicirct pas lacircme on ne peut savoir

ce qui est bon (faste) ou mauvais (neacutefaste) pour elle car tout discours sadresse agrave

lacircme et non au corps

Nous lavons vu dans le chapitre II la tripartition de lacircme est une structure

fonctionnelle Les parties de la structure fonctionnent plus ou moins bien

deacutependamment du type de vie incarneacutee par exemple pour lespegravece humaine il existe

neuf cateacutegories1 Les fonctions de ces trois parties sont respectivement rationnelle

Ardente et deacutesirante la premiegravere sattache au monde intelligible les deux derniegraveres

sont lieacutees au monde sensible Plus preacuteciseacutement laquo la partie Ardente (θυμός) assure les

fonctions de deacutefense et la partie deacutesirante (ἐπιθυμία) assure les fonctions de

nutrition et de reproduction raquo2 tandis que la partie rationnelle dans la vie incarneacutee

consiste agrave commander aux deux parties infeacuterieures en contemplant les reacutealiteacutes

intelligibles Cela eacutetant le fait de savoir si un discours de lacircme dit la veacuteriteacute ou non se

traduit par le fait de savoir si la partie rationnelle fonctionne comme il faut cest-agrave-

dire comme ce que la fonction propre de la partie rationnelle exige agrave savoir

lintellection Rappelons que lacircme est immortelle dans son eacutetat pur elle a vu la

veacuteriteacute Cela lui garantit la condition decirctre rationnel Ainsi nous distinguons trois

niveaux du texte agrave savoir la veacuteriteacute ou la reacutealiteacute veacuteritable le discours de lacircme et le

texte Autrement dit le discours de lacircme imite la veacuteriteacute et le texte imite le discours

de lacircme tous les deux sont images mais leur fonction propre est diffeacuterente Le

discours de lacircme est un instrument de la rationaliteacute tel un pilote il faut naviguer

pour perfectionner son commandement alors que le texte est un instrument de

leacuteducation

les discours qui servent agrave lenseignement qui sont prononceacutes pour instruire et qui sont en reacutealiteacute eacutecrits dans lacircme ougrave ils parlent du juste du beau et du bien sont les seuls agravecomporter clarteacute et perfection et agrave meacuteriter decirctre pris au seacuterieux 3

Le but de lenseignement consiste agrave instruire agrave entraicircner lacircme vers le haut puisque

le Bien se trouve hors du ciel4 cest-agrave-dire encore plus haut que les hauteurs du ciel

laquo ougrave la race des dieux a eacutetabli sa demeure raquo5 Si ces conditions ne sont pas remplies

1 Voir Phegravedre 248 d ndash e2 Brisson Luc laquo Perception sensible et raison dans le Timeacutee raquo Interpreting the Timaeus mdash Critias

Sankt Augustin Academia Verlag IPS 9 Tomaacutes Calvo and Luc Brisson (eacuteds) 1997 pp 307 ndash 316 p 308

3 Phegravedre 278 a4 Ibid 247 b5 Ibid 246 d

170

aucun discours eacutecrit nest neacutecessaire En conclusion laquo leacutecriture est un moyen de

linformation elle nassure daucune faccedilon la connaissance effective de cette

information raquo1 Parce que leacutecriture produit une image de limage elle est fgeacutee alors

que le discours de lacircme est animeacute

Agrave la diffeacuterence des matheacutematiques qui sont absolument preacutecises cest-agrave-dire sans

ambiguiumlteacute aucune le langage naturel est ambigu dautant plus quand il sagit dun

discours eacutecrit 1 ambiguiumlteacute morphologique face agrave une suite continue de lettres

majuscules sans accent ni ponctuation la combinaison issue de la deacutecoupe en une

suite de mots pour former une phrase est multiple 2 ambiguiumlteacute syntaxique 3

ambiguiumlteacute seacutemantique 4 ambiguiumlteacute pratique (le fait quun nouveau-neacute apprend agrave

parler puis agrave eacutecrire et agrave lire montre que la maicirctrise naturelle du langage relegraveve de la

pratique) Les diffeacuterents courants du platonisme montrent que cette ambiguiumlteacute

langagiegravere sapplique eacutegalement aux textes de Platon en effet le mecircme texte

platonicien bien que rigoureusement eacutelaboreacute construit et reacutedigeacute ne donne pas la

mecircme lecture car chaque lecteur de Platon porte ses propres lunettes culturelles

Cest pourquoi dans la lecture des dialogues platoniciens luniteacute est primordiale

sans quoi ils peuvent avoir de nombreuses interpreacutetations

IV213 Sensible

Toute chose sensible est source de sensation et par conseacutequent source dopinion

Comme toutes les choses sensibles sont les images des paradigmes (παραδείγματα)

le mecircme paradigme donne le mecircme type des images Mais il ny a que deux types de

paradigmes les paradigmes qui deacutesignent les reacutealiteacutes veacuteritables et ceux qui deacutesignent

les choses sensibles De la sorte il y a neacutecessairement deux types de choses sensibles

celles qui sont les images des reacutealiteacutes veacuteritables et celles qui sont les images des

images Dans ce passage du Parmeacutenide les paradigmes deacutesignes les formes

intelligibles

Socrate Eh bien cette solution-lagrave reprit Socrate nest pas raisonnable non plus Mais voici Parmeacutenide ce qui me semble agrave moi ecirctre la meilleure explication Alors que les Formes sont comme des modegraveles (παραδείγματα) qui subsistent dans la nature les autres choses entretiennent avec elles un rapport de ressemblance et en sont les copies (ὁμοιώματα) en outre la participation que les autres choses entretiennent avec les Formes na pasdautre explication que celle-ci elles en sont les images (εἰκασθῆναι)2

1 Phegravedre laquo Introduction raquo p 602 Ibid 132 c ndash d Notons que le substantif laquo ὁμοίωμα raquo est rare dans le corpus platonicien Cratyle ὁμοιώματι (434 a) Lois VII ὁμοιώματα (812 c) Parmeacutenide ὁμοιώματα (132 d) ὁμοιώματα (133 d) Phegravedre ὁμοίωμα (250 a) ὁμοιώμασιν (250 b)

171

Lapparition du terme παράδειγμα dans le corpus platonicien est assez importante

mais particuliegraverement concentreacutee sur les dialogues tardifs1 Lusage des paradigmes

semble deacutemonstratif le but consiste agrave faire voir si lon a raison ou tort Il sagit dune

meacutethode dialectique nous en parlerons dans le dernier chapitre laquo La dialectique raquo ici

nous donnons simplement un exemple pour illustrer la puissance de lusage des

paradigmes Apregraves le discours de Protagoras dans le dialogue qui porte son nom

Socrate demande agrave Protagoras si les diffeacuterentes vertus laquo ne sont que les noms dune

mecircme reacutealiteacute unique raquo2 Le sophiste reacutepond que la vertu est chose unique et que ses

parties sont les vertus Mais de quelle maniegravere Agrave la maniegravere des parties du visage

ou agrave la maniegravere de lor Pour Protagoras cest agrave la maniegravere du visage Or les organes

des sens ont chacun leur fonction speacutecifque lun nest pas lautre

Est-ce quil nen est pas de mecircme pour les parties de la vertu lune nest pas telle que lautre ni en elle-mecircme ni pour ce qui est de sa capaciteacute (δύναμις) Nen est-il pas ainsi de toute eacutevidence si elle ressemble agrave son modegravele (παραδείγματι)3

Ici le παραδείγματι deacutesigne le modegravele fourni par le visage et ses parties Si ce modegravele

dit la veacuteriteacute cela signife que les vertus ne sont pas de la mecircme nature car laquo la φύσις

dune chose est reacuteveacuteleacutee par sa δύναμις raquo4 autrement dit une δύναμις diffeacuterente

correspond agrave une nature diffeacuterente Par conseacutequent dapregraves le paradigme de la vertu

proposeacute par Protagoras il est ineacutevitable darriver agrave cette conclusion quelque peu

absurde on peut bien ecirctre courageux sans ecirctre juste dailleurs cest la thegravese de

Protagoras5

Ce terme δύναμις (puissance) caracteacuterise les choses sensibles En effet si une chose

sensible na aucune puissance de communiquer de se manifester aucune sensation

de cette chose nest possible mecircme si lon a les meilleurs organes des sens6 Or toute

1 Alcibiade [1] 132 d Apologie [1] 23 b Euthydegraveme [1] 282 d Euthyphron [1] 6 e Gorgias [4] 525 b 525 c 525 c 525 d Lachegraves [1] 187 a Lettre VII [1] 332 b Lois I [1] 632 e Lois II [1] 663 e Lois III [1] 692 c Lois IV [1] 722 a Lois V [3] 735 c 739 e 746 b Lois VII [6] 794 e 795 a 801 b 811 b 811 c 811 d Lois IX [3] 855 a 862 e 876 e Lois XI [1] 927 d Lois XII [1] 961 e Meacutenon [2] 77 a 79 a Parmeacutenide [1] 132 d Phegravedre [3] 262 c 262 d 264 e Philegravebe [3] 13 c 53 b 53 c Politique [14] 275 b 277 b 277 d 277 d 277 d 278 b 278 c 278 e 278 e 278 e 279 a 279 a 287 b 305 e Protagoras [2] 326 c 330 b Reacutepublique III [3] 409 b 409 c 409 d Reacutepublique V [3] 472 c 472 d 472 d Reacutepublique VI [2] 484 c 500 e Reacutepublique VII [2] 529 d 540 a Reacutepublique VIII [3] 557 e 559 a 561 e Reacutepublique IX [1] 592 b Reacutepublique X [2] 617 d 618 a Sophiste [6] 218 d 221 c 226 c 233 d 235 d 251 a Theacuteeacutetegravete [3] 154 c 176 e 202 e Timeacutee [12] 24 a 28 a 28 b 28 c 29 b 31 a 37c 38 b 38 c 39 e 48 e 49

2 Protagoras 329 d3 Ibid 330 a ndash b4 Brisson Luc laquo Luniteacute du Phegravedre de Platon raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 135 ndash 155 p

1405 Voir Protagoras 329 e6 Cf L Brisson laquo Perception sensible et raison dans le Timeacutee raquo particuliegraverement ce passage laquo La

sensation est affaire de communication Ce qui est communiqueacute cest la proprieacuteteacute que manifeste un

172

puissance peut ecirctre positive ou neacutegative La question se pose comment faire la part

entre les choses sensibles positives et celles neacutegatives en dautres termes celles qui

sont bonnes et celles qui sont mauvaises pour lacircme Il est eacutevident que sont bonnes

pour lacircme les choses sensibles qui sont les images des reacutealiteacutes veacuteritables car elles

sont en harmonie avec la partie rationnelle de lacircme puisque la partie rationnelle

reconnaicirct le paradigme de ces images quest la reacutealiteacute veacuteritable Il est aussi eacutevident

que sont mauvaises pour lacircme les choses sensibles qui sont les images des images

car elles sont en disharmonie avec la partie rationnelle de lacircme puisque la partie

rationnelle ne peut reconnaicirctre le paradigme qui est en reacutealiteacute une certaine image et

non la reacutealiteacute veacuteritable

IV22 Croyance

Le substantif πίστις (croyance) nest pas freacutequent dans le corpus platonicien1 il est

connu pour sa preacutesence sur la fameuse Ligne de παθήματα agrave la fn du livre VI de la

Reacutepublique2 Le terme παθήματα deacutesigne quatre types dactiviteacutes de lacircme humaine

nommeacutes respectivement νόησις (intellection) διάνοια (penseacutee) πίστις (croyance) et

εἰκασία (repreacutesentation) La croyance signife le fait de croire quelque chose sans

savoir ou la confance agrave quelque chose que lon ne connaicirct pas en reacutealiteacute

βούλει οὖν δύο εἴδη θῶμεν πειθοῦς τὸ μὲν πίστιν παρεχόμενον ἄνευ τοῦ εἰδέναι τὸ δ ἐπιστήμην3

Dans ce cas veux-tu que nous posions quil existe deux formes de convictions lune qui permet de croire sans savoir et lautre qui fait connaicirctre

objet par lintermeacutediaire dun mouvement qui trouve sa source agrave lexteacuterieur Et la transmission de ce mouvement se fait de faccedilon meacutecanique de partie en partie par une circulation agrave travers le vivant en son entier corps et acircme En effet le destinataire fnal de ce processus de transmission est la partie rationnelle de lacircme raquo (p 311)

1 Critias πίστιν (117 d) πίστεις (119 d) Gorgias πίστις (454 d) πίστις (454 d) πίστιν (454 e) Lois III πίστεων (701 c) XII πίστιν (966 c) πίστιν (966 d) Pheacutedon πίστεως (70 b) Phegravedre πίστεις (256 d) πίστιν (275 a) Philegravebe πίστεως (50 c) Reacutepublique VI πίστει (505 e) πίστιν (511 e) VII πίστιν (534 a) πίστιν (534 a) X πίστιν (601 e) Timeacutee πίστιν (29 c) πίστεις (37 b)

2 Nous avons parleacute de cette ligne dans l laquo Introduction raquo En fait agrave la fn du livre VI Socrate dit ceci laquo Et maintenant adjoins agrave notre quatre sections les quatre παθήματα raquo ils sont dans lordre lintellection la penseacutee la croyance et la repreacutesentation cest une faccedilon de nommer les quatre sections de la fameuse ligne Cela eacutetant chacun de ces quatre noms est un πάθημα le terme est assez preacutesent dans le corpus platonicien mais sa preacutesence est tregraves singuliegravere car il est absent dans la moitieacute des dialogues et particuliegraverement preacutesent dans le Philegravebe et le Timeacutee Voici la liste Alcibiade [2] 109 a 116 e Banquet [1] 189 d Gorgias [4] 481 d 483 b 524 b 524 d Hippias majeur [1] 300 b Hippias mineur [1] 372 e Lettre VII [1] 342 d Lois I [2] 632 a 648 b Lois III [3] 681 d 687 e 695 e Lois IV [1] 708 b Lois VI [1] 777 c Lois VII [1] 812 c Lois IX [3] 859 e 860 b 866 b Lois X [1] 894 c Parmeacutenide [1] 157 b Pheacutedon [2] 79 d 103 a Phegravedre [1] 271 b Philegravebe [13] 35 c 35 c 35 c 36 a 39 a 39 a 41 c 42 a 47 c 50 d 52 b 52 b 54 e Politique [3] 270 d 270 e274 a Protagoras [2] 353 a 357 c Reacutepublique II [1] 382 b Reacutepublique III [1] 388 d Reacutepublique V [1] 462 c Reacutepublique VI [2] 504 c 511 d Reacutepublique IX [1] 577 c Reacutepublique X [2] 602 d 610 b Sophiste [4] 228 e 248 b 248 d 252 b Theacuteeacutetegravete [2] 186 c 186 d Timeacutee [18] 43 b 44 a 57 c 61 c 61 d 61 d 62 a 63 e 64 a 64 d 65 b 65 c 67 b 67 e 69 d 80 c 84 e 88 e

3 Gorgias 454 e

173

Dans ce passage la croyance soppose agrave la science cest-agrave-dire lἐπιστήμη ou la

μάθησις eacutevoqueacute un peu plus tocirct1 La diffeacuterence reacuteside dans le fait que la croyance

peut bien ecirctre fausse ou vraie et donc il existe donc deux croyances la vraie et la

fausse (πίστις ψευδὴς καὶ ἀληθής)2 Si lon considegravere que limage est source de la

sensation actuelle la croyance trouve sa source dans des sensations du passeacute cest-agrave-

dire dans la meacutemoire ainsi la sensation actuelle nest pas seacutelective mais la croyance

lest puisque la meacutemoire est seacutelective Nous examinons ici trois formes de croyance

agrave savoir la croyance aux folies divines au logos et aux biens particuliers afn de

comprendre pourquoi fait-on confance agrave telle chose et non pas agrave telle autre

IV221 Croyance agrave la folie divine

Au deacutebut du second discours sur lamour dans le Phegravedre Socrate liste quatre formes

de folie divines agrave savoir la mantique (lart de la divination) la teacutelestique (lart non-

meacutedical de deacutelivrer des gens de leurs maladies) la poeacutetique (linspiration des Muses)

et leacuterotique (laspiration au savoir) Mais on ne peut connaicirctre les folies divines que

par la croyance dans la mesure ougrave elles sont dispenseacutees par les dieux car les dieux ne

disent pas la veacuteriteacute par le discours mais par limplantation de la veacuteriteacute3 or lecirctre

humain ne peut connaicirctre la veacuteriteacute sans discours Certes la reacuteminiscence permet de

connaicirctre la veacuteriteacute mais elle est le reacutesultat des discours rigoureux de lacircme

Quand on est alleacute interroger loracle particuliegraverement loracle de Delphes cest parce

quon a la croyance en la Pythie laquo Agrave leacutepoque classique Delphes ougrave preacutesidait

Apollon eacutetait la reacutefeacuterence suprecircme en matiegravere doracle le site lui-mecircme eacutetait censeacute

se trouver au centre du monde lequel eacutetait mateacuteriellement symboliseacute par lὀμφαλός

(la pierre sacreacutee consideacutereacutee comme son nombril) Les reacuteponses oraculaires eacutetaient

profeacutereacutees par la Pythie qui formulait dans un eacutetat de transe eacutetat dont on narrive pas

agrave deacuteterminer la cause avec certitude raquo4 Pourquoi accordait-on une telle croyance agrave

loracle de Delphes Pourquoi la Pythie rencontrait-elle une telle adheacutesion

pheacutenomeacutenale Cest sans doute parce quelle disait la veacuteriteacute Cest aussi et surtout

parce que beaucoup de gens ne se connaissaient pas eux-mecircme En effet le vrai sage

nira pas consulter une diviniteacute pour savoir ce quil doit faire ou ne pas faire 5 car

1 Ibid 454 d laquo Πότερον οὖν ταὐτὸν δοκεῖ σοι εἶναι μεμαθηκέναι καὶ πεπιστευκέναι καὶ μάθησις καὶ πίστις ἢ ἄλλο τι raquo (laquo Bon agrave ton avis savoir et croire est-ce pareil Est-ce que savoir etcroyance sont la mecircme chose Ou bien deux choses diffeacuterentes raquo)

2 Ibid3 Cf Brisson Luc laquo Le divin planteur raquo Kairos ndeg 19 2002 pp 31 ndash 484 Phegravedre laquo Notes raquo ndeg 151 p 2075 En terme de temps la mantique soccupe du futur la teacuteleacutestique du passeacute la poeacutetique du passeacute-

174

dune part il se connaicirct justement lui-mecircme et si un dieu a quelque chose agrave lui

communique agrave laide dun signe il est capable de saisir le vrai sens de ce signe divin

Le paradoxe semble eacutetonnant Agrave leacutepoque classique Athegravenes eacutetait le centre

intellectuel du monde cependant lagrave aussi la divination eacutetait prospegravere des Atheacuteniens

ne se fatiguaient pas daller agrave Delphes pour consulter la Pythie cest ce qua fait

Cheacutereacutephon ami denfance de Socrate Dailleurs la question de la divination est une

cause de la mort de Socrate puisquil avait la faveur dun dieu qui lui faisait souvent

un signe Diffcile de dire si la performance de la Pythie eacutetait une cause qui favorisait

lignorance mais elle renforcerait la croyance agrave loracle de Delphes de mecircme pour la

teacutelestique la poeacutetique et leacuterotique (oui la philosophie peut bien devenir une source

de croyance) En veacuteriteacute les folies divines en tant que telles sont de bonnes choses

mais lorsquelles deviennent des croyances cest plutocirct une mauvaise chose non pas

que la folie divine est une mauvaise chose mais la croyance lest En effet lhomme

nest pas infaillible mecircme Homegravere dit de choses meacuteritant decirctre critiqueacutees cela eacutetant

en gagnant de la croyance on peut bien faire confance au mensonge

IV222 Croyance au λόγος

Faire confance agrave dautres est une chose normale il est inimaginable que dans une

socieacuteteacute humaine il ny ait point de confance Mais si lon accorde une confance

excessive on risque de fnir par devenir misanthrope

Agrave ne pas nous mettre agrave haiumlr les raisonnements (μισόλογοι) comme certains se prennent agrave haiumlr les hommes (μισάνθρωποι) Car il nexiste pas de plus grand mal dit-il que decirctre en proie agrave cette haine des raisonnements Or toutes deux misologie et misanthropie naissent de la mecircme faccedilon Voici comme sinsinue en nous la misanthropie on accorde agrave quelquun son entiegravere confance sans secirctre donneacute aucun moyen de le connaicirctre (ἐνδύεταιἐκ τοῦ σφόδρα τινὶ πιστεῦσαι ἄνευ τέχνης) on le tient pour un homme parfaitement loyal droit digne de confance (πιστόν) quon lui porte et on ne tarde pas agrave deacutecouvrir quil ne vaut rien quon ne peut sy fer (ἄπιστον) Et on recommence avec un autre Quand on fait plusieurs fois cette expeacuterience surtout quand on a eacuteteacute victime de ceux quon tenait pour ses amis les plus proches on fnit agrave force de deacuteceptions par deacutetester tous les hommes et par estimer quen aucun cas il ny a rien de rien qui vaille quelque chose 1

Ici Socrate fait le parallegravele entre la misologie et la misanthropie si on fait son entiegravere

confance agrave certains raisonnements sans raisonner par soi-mecircme on fnira par haiumlr les

discours Agrave vrai dire un raisonnement se fait pour faire raisonner et non pas pour

futur et leacuterotique se preacuteoccupent de ce qui se trouve hors du temps cf Luc Brisson laquo Du bon usage du deacuteregraveglement raquo Divination et rationaliteacute Paris Seuil 1974 pp 220 ndash 248 p 226

1 Pheacutedon 89 d

175

faire croire cest en ce sens que lauteur dun discours a sa part de responsabiliteacute dans

la misologie les sophistes ayant une mauvaise reacuteputation en partie parce quils

faisaient croire quils eacutetaient maicirctres des discours Quant aux misologues incapables

de raisonner ils nont pas dautre choix que de faire confance agrave certains

raisonnements des autres dont ils int besoin La vie est dure si lon ne sait pas

raisonner ni ne fait confance agrave aucun raisonnement eacutetabli par les autres dont on a

besoin En effet laquo dextrecircmement bons comme extrecircmement mauvais il y en a tregraves

peu et que la grande majoriteacute se situe entre ces deux extrecircmes raquo1 peut-ecirctre seuls ces

deux extrecircmes nauraient pas besoin des raisonnements dautres Le blanc na pas

besoin du noir pour ecirctre blanc le noir non plus mais le gris a besoin des deux pour

ecirctre gris Cela eacutetant la majoriteacute des gens ne peut sempecirccher de faire confance aux

discours des autres Or un raisonnement ou un discours peut se reacuteveacuteler vrai ou faux

si laquo on accorde son entiegravere confance agrave un raisonnement (πιστεύσῃ λόγῳ) et agrave le

tenir pour vrai on ne tarde pas agrave juger quil est faux il peut lecirctre en effet comme il

ne peut pas lecirctre raquo2 Ici on voit bien que le λόγος a le mecircme statut que lopinion il

peut ecirctre vrai comme faux mecircme si le faux λόγος est produit par un raisonnement

alors quune opinion mecircme vraie est deacutepourvue de raisonnement Mais chez certains

philosophes particuliegraverement chez Heidegger le λόγος a le mecircme statut que la

veacuteriteacute laquo Or le deacutevoilement est lἈλήθεια Celle-ci et le Λόγος sont une mecircme

chose raquo3

IV223 Croyance aux biens particuliers

Il est tout agrave fait senseacute de consideacuterer les choses utiles avantageuses comme un bien

mais ce sont alors des biens particuliers Agrave ce titre que les choses avantageuses ne

sont pas neacutecessairement justes et les choses justes sont neacutecessairement avantageuses

Mais la croyance traditionnelle sur le sujet semble dire le contraire

Alcibiade Je pense Socrate que les Atheacuteniens et les autres Grecs deacutelibegraverent rarement de ce qui est plus juste ou injuste ils pensent que ce sont lagrave des eacutevidences Ainsi laissant cesconsideacuterations ils examinent ce quil conviendra de faire Je pense que les choses justes ne sont pas identiques aux choses avantageuses mais il a eacuteteacute avantageux au grand nombre de commettre de grandes injustices et pour dautres je crois qui ont œuvreacute dans le juste cela na pas eacuteteacute avantageux4

1 Ibid 90 a2 Ibid 90 b3 Heidegger Martin laquo Logos (Heacuteraclite fragment 50) raquo Essai et confeacuterences Paris GallimardTel

1958 pp 249 ndash 278 p 2674 Alcibiade 113 c ndash d Nous soulignons

176

Ici laquo les choses avantageuses raquo deacutesignent les biens particuliers la richesse par

exemple Ce propos dAlcibiade est identique agrave celui tenu par Thrasymaque dans le

livre I de la Reacutepublique Nous avons en effet sept termes pour exprimer lutile et

lavantageux dans le corpus platonicien particuliegraverement concentreacutes dans les neuf

dialogues Voici le tableau de freacutequences

χρηστός ὠφέλιμος ὠφέλεια ὠφελεῖν χρήσιμος συμφέρον συμφέρειν

Alcibiade1 0 0 0 19

Charmide 5 23 2 1

Euthydegraveme 5 10 2 0

Gorgias 9 21 3 2

Hippis Majeur 0 18 15 0

Lois VII 0 5 8 1

Meacutenon 0 30 1 0

Phegravedre 2 11 1 3

Reacutepublique I2 5 26 12 47

On peut constater que lemploi de ces termes est particuliegraverement regroupeacute dans

lAlcibiade et dans le livre I de la Reacutepublique En effet ce passage de lAlcibiade renvoie

au livre I de la Reacutepublique ougrave dans un premier temps il sagit de la question

davantage Pour le vieux et riche Ceacutephale laquo quand le moment est venu de partir lagrave-

bas sereinement agrave tout cela la possession des richesses peut contribuer pour une

large part Elle preacutesente eacutegalement dautres avantages mais si on eacutevalue les uns et les

autres je dirais pour ma part Socrate que la richesse nest pas le moindre pour un

homme reacutefeacutechi raquo3 Cest une croyance et non une connaissance de la reacutealiteacute car pour

ecirctre avantageux dans lHadegraves il faut plaire au dieu Or le dieu ne devrait pas avoir le

goucirct pour les richesses puisque laquo le dieu se nourrit dintellection et de connaissance

sans meacutelange raquo laquo dans la contemplation de la veacuteriteacute raquo4 Il est eacutevident quil faut ecirctre

juste pour plaire au dieu car

un dieu nest injuste daucune faccedilon sous aucun aspect mais entiegraverement juste au plus haut degreacute et il ny a rien qui lui soit plus semblable que celui dentre nous qui pourrait agrave

1 συμφέρον συμφέρειν 113 d 113 d 113 d 113 e 113 e 114 a 114 a 114 a 114 b 114 d 114 e 115 a 116 c 116 c 116 d 116 d 116 e 117 a 118 a

2 χρηστός 334 c 334 c 334 c 334 e 334e ὠφέλιμος ὠφέλεια ὠφελεῖν 332 d 332 e 334 b 334 b334 d 334 d 334 e 335 e 336 a 336 d 343 c 343 e 345 e 346 a 346 c 346 c 346 c 346 c 346 c 346 d 346 d 346 d 346 e 346 e 347 d 347 d χρήσιμος 331 b 332 e 333 a 333 a 333 b 333 b 333 c 333 c 333 d 333 d 333 d 333 e συμφέρον συμφέρειν 336 d 338 c 338 c 338 c 338 d 338 e 338 e339 a 339 a 339 a 339 b 339 c 339 d 339 d 340 a 340 b 340 b 340 b 340 b 340 c 340 c 341 a 341 b 341 d 341 d 341 d 341 e 342 a 342 a 342 b 342 b 342 b 342 c 342 c 342 d 342 e 342 e 342 e 343 c 343 c 344 a 344 c 344 c 346 b 346 e 347 d 347 e

3 Reacutepublique I 331 b4 Pheacutedre 247 d

177

son tour devenir le plus juste possible1

Sur la question de la justice Poleacutemarque prend le relais de son pegravere qui sen est alleacute

pour laquo soccuper des offrandes sacreacutees raquo2 Selon Poleacutemarque laquo Sil faut Socrate

reacutepondit-il ecirctre conseacutequent avec ce que nous venons de dire la justice rend aux amis

(φίλοις) et aux ennemis respectivement des biens et des maux raquo3 Ici au lieu de

deacutefnir lami (φίλος) par rapport agrave la justice (δικαιοσύνη)4 Poleacutemarque deacutefnit la

justice par rapport agrave lami Du coup dans sa deacutefnition de la justice les biens ne

deacutesignent pas les biens universels mais particuliers puisque les amis sont de gens

particuliers lamitieacute est une relation particuliegravere De telle sorte la justice est deacutefnie

pour ecirctre au service des amis et non les amis au service de la justice Cela eacutetant il est

absurde de penser que le fait de causer de linjustice aux ennemis soit justice car

comment se fait-il que la justice soit capable de causer du tort agrave qui que ce soit ami

ou ennemi En effet toute la question est de savoir laquo quentends-tu par amis raquo voici

la reacuteponse de Poleacutemarque laquo Il est naturel daimer ceux quon estime utile (οὓς ἄν τις

ἡγῆται χρηστοὺς φιλεῖν) et eacuteprouver de la haine agrave leacutegard de ceux quon juge

malhonnecirctes raquo5 De telle sorte lutile est ami par conseacutequent lutile est justice et non

pas la justice est utile On voit bien que la croyance en tant quopinion mecircme sil

sagit dune opinion droite est partielle alors que la justice au sens philosophique du

terme doit ecirctre totale elle est utile pour tous et dans tous les temps universellement

laquo en aucun cas il ne nous a sembleacute juste de faire du mal agrave qui que ce soit raquo6

Apregraves cette phrase Thrasymaque intervient mais il semble quil ne la pas entendue

puisque pour lui laquo le juste (τὸ δίκαιον) nest rien dautre que linteacuterecirct (συμφέρον) du

plus fort raquo7 En effet cette deacutefnition est semblable agrave celle de Poleacutemarque dans

laquelle lutile est la justice ici laquo cest donc linteacuterecirct Thrasymaque qui est le juste raquo8

Dans les deux cas lutiliteacute partielle (par rapport aux amis) ou linteacuterecirct partiel (par

rapport au plus fort) deacutefnit toujours la justice et non linverse Bien que

1 Theacuteeacutetegravete 176 b ndash c2 Reacutepublique I 331 d3 Ibid 332 d4 Les deux substantifs δικαιοσύνη δίκη sont absents dans le Lysis on y trouve une seule fois ladjectif δικαιότερος (207 d) lorsque Socrate demande agrave Meacutenexegravene laquo lequel de vous deux [Meacutenexegravene et Lysis] eacutetait le plus juste (δικαιότερος) et le plus savant raquo Labsence de reacuteponse agrave cette question estsubtile laquo Sur ces entrefaites quelquun sapprocha et ft lever Meacutenexegravene preacutetextant que le peacutedotribe le reacuteclamait raquo En effet ils eacutetaient encore trop jeunes (cf Lysis laquo Introduction raquo p 163 ndash 164) pour discuter de la question de la justice cest plutocirct des termes intermeacutediaires entre la justiceet la philia comme χρήσιμος ὠφέλεια ὠφέλιμος ὠφελεῖν par exemple qui leur convienaient

5 Reacutepublique I 334 c6 Ibid 335 e7 Ibid 338 c8 Ibid 339 a

178

Thrasymaque soit un laquo reacuteel contradicteur raquo1 tregraves proceacutedural cest-agrave-dire utilisant

certaines regravegles plus ou moins rigoureuses pour se deacutefendre ou mecircme attaquer2 ce

nest pas le cas pour Poleacutemarque bien que sa deacutefnition de la justice relegraveve du mecircme

acabit agrave savoir de la croyance ou de limagination deacutepourvue de valeur universelle

Cependant comme opinion la croyance est tregraves diffeacuterente de limage dimitation En

effet limage dimitation maintient un rapport plus ou moins eacutetabli avec le monde

sensible qui est une copie du monde intelligible Limitateur doit regarder un objet

sensible pour limiter alors que lobjet de la croyance est dans la meacutemoire imagineacute

En ce sens la croyance est infeacuterieure agrave limage dimitation mais limagination est

vecirctue dun caractegravere speacuteculatif cest-agrave-dire de la capaciteacute dabstraction elle est ainsi

plus proche de valeur universelle que limage cest en ce sens que la croyance est

supeacuterieure agrave limage

IV3 Τέχνη comme utiliteacute

Le terme τέχνη est abondamment preacutesent dans les dialogues platoniciens la

recherche dAnne Balansard sur le sujet semble exhaustive3 Ici nous examinons la

τέχνη sous langle de son utiliteacute

Socrate Tregraves bien mais mon cher Poleacutemarque le meacutedecin na guegravere dutiliteacute pour ceux qui ne sont pas soufrants

Poleacutemarque Cest vrai

Socrate Le pilote nest guegravere utile agrave ceux qui ne sont pas en mer

Tant que le corps humain ne peut eacutechapper agrave la maladie la meacutedecine a toujours son

utiliteacute Lhomme aime la musique il y a ainsi toujours des musiciens utiles pour les

meacutelomanes et des fabricants dinstruments utiles pour les musiciens Ainsi lutiliteacute

technique est un facteur important dans lameacutelioration de la performance dune

technique Travailler moins pour gagner plus exige neacutecessairement une performance

technique cest pourquoi dans le mecircme meacutetier la technique eacutevolue

consideacuterablement dans le temps sous limpulsion du deacutesir de gagner toujours plus

mais de travailler moins En ce sens la τέχνη a son aspect neacutegatif

Mais lutiliteacute dune technique deacutepend de la connaissance de lobjet technique de la

1 Reacutepublique laquo Introduction raquo p 202 Par exemple transformer une reacuteponse en question pour seacutevader de la diffculteacute au lieu de

deacutefendre une position le sophiste attaque en proposant de nouvelles choses afn de seacuteloigner de la position initiale indeacutefendable jouer sur le mot soit en sappuyant sur lambiguiumlteacute du mot soit en lui attribuant un sens nouveau faire un long discours agrave la place de reacuteponse

3 Balansard Anneacutee Technegrave dans les Dialogues de Platon mdash lempreinte de la sophistique Sankt Augustin Academia Verlag 2001

179

sensation et du temps

IV31 Lutiliteacute technique et la connaissance

Une technique est deacutefnie par son objet Par conseacutequent elle est aussi deacutefnie par la

connaissance de cet objet Or cette connaissance est elle-mecircme double agrave savoir la

connaissance qui porte sur son objet et la connaissance elle-mecircme

Socrate Tu dis vrai lui ai-je reacutepondu Je peux toutefois te montrer que chacune de ces sciences porte sur son objet qui est distinct de la science elle-mecircme Par exemple le calcul a pourobjet si je ne mabuse le pair et limpair et les relation que les nombres entretiennent avec eux-mecircmes et entre eux1

Si le nombre (rationnel irrationnel) est un objet du calcul quest-ce que le calcul lui-

mecircme Par exemple leacutequation C = 2πR permettant de calculer la circonfeacuterance dun

cercle est une connaissance elle-mecircme elle est indeacutependante de la valeur de la

variable R (rayon dun cercle) Autrement dit laquo 2πR raquo est une connaissance pure

laquo Ainsi le meacutedecin doit-il savoir ce quest un corps humain mais aussi connaicirctre les

reacutegimes et les remegravedes adeacutequats agrave la santeacute ainsi le fucirctiste doit-il savoir ce quest une

fucircte savoir quel est le bois le plus approprieacute agrave sa fabrication mais aussi en maicirctriser

lusage raquo2 Mais la bonne utiliteacute dune technique exige aussi une connaissance

eacutethique par exemple le fait de jouer au fucircte en pleine nuit dans lhabitation peut

deacuteranger les voisins au repos dans leur sommeil

IV32 Lutiliteacute technique et la sensation

Le rapport de la τέχνη agrave la sensation est un double rapport agrave lhomme et au sensible

Le menuisier connaicirct ses bois par la perception agrave travers certains organes des sens

comme par exemple le toucher la vue louiumle en tapant sur le bois sentant par le nez

De mecircme pour les autres meacutetiers Cela eacutetant la τέχνη ne consiste pas seulement agrave

produire car avant la production il faut connaicirctre neacutecessairement lobjet sensible (le

bois le corps humain le meacutetal et ainsi de suite) sur lequel on travaille mais aussi les

outils et surtout ce quest la chose agrave produire (le lit la santeacute le couteau par exemple)

Sans ces connaissances aucune qualiteacute de production ne peut ecirctre assureacutee quand

bien mecircme on deacutetient une bonne technique productive relevant eacutegalement de la

sensation Certes beaucoup de techniques productives modernes sont remplaceacutees par

des machines deacutepourvues de sensation nous en parlerons dans la prochaine sous-

section laquo Lutiliteacute technique et le temp raquo Cela eacutetant la τέχνη relegraveve agrave la fois de la

1 Charmide 166 a2 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 146

180

sensation et de la meacutemoire et donc de lopinion Cest pourquoi une τέχνη est laquo un

savoir se fondant sur lopinion dont lobjet est sensible qui est persuasive et agrave

laquelle peuvent effectivement participer tous les hommes raquo1 En dautres termes la

τέχνη lαἴσθησις et la δόξα cest-agrave-dire un jugement immeacutediat sont synonymes

Ainsi pour connaicirctre la τέχνη il est preacutefeacuterable dexaminer lαἴσθησις qui est

beaucoup moins preacutesente dans les dialogues platoniciens2 que les deux autres termes

τέχνη et δόξα Sa preacutesence se concentre surtout dans les cinq dialogues ougrave son

apparition est relativement bien regroupeacutee Voici les cinq dialogues Theacuteeacutetegravete3 Timeacutee4

Pheacutedon5 Philegravebe6 et Reacutepublique VII7

Agrave la question quest-ce que la science La premiegravere deacutefnition donneacutee par Theacuteeacutetegravete

est que la science nest rien dautre que la sensation8 qui est en veacuteriteacute exactement le

contraire de la science puisque la sensation est geacuteneacuteration

Σωκράτης

ἐγέννησε γὰρ δὴ ἐκ τῶν προωμολογημένων τό τε ποιοῦν καὶ τὸ πάσχον γλυκύτητά τε καὶ αἴσθησιν ἅμα φερόμενα ἀμφότερα καὶ ἡ μὲν αἴσθησις πρὸς τοῦ πάσχοντος οὖσα αἰσθανομένην τὴν γλῶτταν ἀπηργάσατο ἡ δὲ γλυκύτης πρὸς τοῦ οἴνου περὶ αὐτὸν φερομένηγλυκὺν τὸν οἶνον τῇ ὑγιαινούσῃ γλώττῃ ἐποίησεν καὶ εἶναι καὶ φαίνεσθαι9

Socrate

Eh bien agrave partir de ce que nous avons deacutejagrave accordeacute cest parce que lagent et le patient ont engendreacute la douceur et sa sensation toutes deux effectuant simultaneacutement une translation et la sensation dont lecirctre procegravede du patient a rendu sentante la langue tandis que agrave partir du vin ladouceur en translation autour de lui a fait le vin agrave la fois ecirctre et paraicirctre doux agrave la langue saine

Dans ce passage le participe singulier nominatif feacuteminin οὖσα est synonyme de

lοὐσία qui deacutesigne ici la reacutealiteacute γλυκύς (doux) Ici nous avons trois oppositions

entre douceur et doux entre sensation et reacutealiteacute entre paraicirctre et ecirctre Ces trois

1 Cf Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 113 ndash 133 p 124

2 Voici la liste de freacutequences Apologie 2 Charmide 5 Cratyle 2 Hippias majeur 2 Hippias mineur 1 Lettre II 1 Lettre VII 2 Lois I 1 Lois II 7 Lois X 4 Lois XI 1 Lois XII 6 Meacutenexegravene 1 Parmeacutenide 3 Pheacutedon 19 Phegravedre 6 Philegravebe 12 Politique 1 Protagoras 1 Reacutepublique II 1 Reacutepublique III 1 Reacutepublique V 1 Reacutepublique VI 5 Reacutepublique VII 12 Reacutepublique VIII 1 Sophiste 4 Theacuteeacutetegravete 67 Timeacutee 21 On peut constater que le terme αἴσθησις est presque absent dans les premiers dialogues

3 Theacuteeacutetegravete [67] 151 e 151 e 152 c 152 c 156 b 156 b 156 c 156 d 158 a 158 a 159 d 159 d 159 e 159 e 159 e 160 c 160 d 160 e 161 c 161 d 163 a 163 d 164 a 164 b 164 d 165 d 165 d 166 c 167 c 167 c 168 b 179 c 179 d 182 a 182 a 182 b 182 d 182 e 182 e 183 c 184 b 184 d 186 b 186 e 186 e 186 e 187 a 191 d 192 b 192 b 192 d 192 d 193 a 193 b 193 d 193 e 193 e 194 a 194 a 194 a 194 a 194 c 194 d 195 c 195 d 196 c 210

4 Timeacutee [21] 28 a 28 c 38 a 42 a 43 c 44 a 45 d 52 a 60 e 61 c 64 a 64 e 65 e 67 c 69 d 71 a 75 a 75 b 77 a 77 b 77 e

5 Pheacutedon [19] 65 b 65 d 66 a 73 c 75 a 75 a 75 b 75 b 75 b 75 e 76 a 76 d 79 a 79 c 79 c 83 a 96 b99 e 111 b

6 Philegravebe [12] 33 c 34 a 34 a 34 a 34 b 35 a 38 b 39 a 39 b 41 d 55 e 66 c7 Reacutepublique VII [12] 523 a 523 b 523 b 523 c 523 c 523 e 524 a 524 a 524 d 524 d 532 a 537 d8 Theacuteeacutetegravete 151 e laquo οὐκ ἄλλο τί ἐστιν ἐπιστήμη ἢ αἴσθησις raquo9 Ibid 159 c ndash d

181

oppositions peuvent ecirctre reacutesumeacutees en une seule cest lopposition entre la τέχνη et

lἐπιστήμη En effet le passage preacuteceacutedent peut ecirctre compleacuteteacute par ce passage du

Pheacutedon

Σωκράτης

ἀλλὰ μὲν δὴ ἔκ γε τῶν αἰσθήσεων δεῖἐννοῆσαι ὅτι πάντα τὰ ἐν ταῖς αἰσθήσεσιν ἐκείνου τε ὀρέγεται τοῦ ὃ ἔστιν ἴσον καὶ αὐτοῦ ἐνδεέστερά ἐστιν ἢ πῶς λέγομεν

Σιμμίαςοὕτως

Σωκράτηςπρὸ τοῦ ἄρα ἄρξασθαι ἡμᾶς ὁρᾶν καὶ ἀκούειν καὶ τἆλλα αἰσθάνεσθαι τυχεῖν ἔδει που εἰληφότας ἐπιστήμην αὐτοῦ τοῦ ἴσου ὅτι ἔστιν εἰ ἐμέλλομεν τὰ ἐκ τῶν αἰσθήσεων ἴσα ἐκεῖσε ἀνοίσειν ὅτι προθυμεῖται μὲν πάντα τοιαῦτ᾽ εἶναι οἷον ἐκεῖνο ἔστιν δὲ αὐτοῦ φαυλότερα1

Socrate

Alors en veacuteriteacute cest agrave partir des sensations elles-mecircmesquon doit reacutefeacutechir agrave ce fait toutes les proprieacuteteacutes sensibles agrave la fois aspirent agrave une reacutealiteacute du genre de celle de leacutegal en soi et restent pourtant passablement deacutefcientes par rapport agrave cette reacutealiteacute Sinon que dire

SimmiasCela mecircme

SocrateAvant davoir commenceacute agrave voir agrave entendre agrave user de nos autres sens il fallait bien que de quelque maniegravere nous nous trouvons en possession dun savoir de ce quest leacutegal en soi si nous devons par la suite lui rapporter les eacutegaliteacutes perccedilues agrave partir des sensations puisquelles sefforcent toutes avec belle ardeur de ressembler agrave ce quil est lui alors que compareacutees agrave lui elles sont bien imparfaites

Toute reacutealiteacute est dabord reacutealiteacute sensible cest par la sensation que lon aperccediloit deux

choses eacutegales en longueur par exemple Ensuite pour savoir si elles le sont reacuteellement

on utilise un megravetre afn de deacuteterminer leur longueur or le megravetre est en effet un outil

cest-agrave-dire une technique La sensation de leacutegaliteacute est une opinion le megravetre permet

de formuler une opinion vraie Pourquoi le fait de mesurer les deux choses en

employant un megravetre est-il une opinion et non pas une penseacutee Aujourdhui le megravetre

est un objet banal sensible comme un autre mais ceux qui lutilisent et le fabriquent

ne savent pas comment leacutegal en soi se transforme en uniteacute de mesure de longueur

Autrement dit le fait dutiliser le megravetre (niveau 3 certes celui qui utilise un megravetre

peut bien obtenir une langueur exacte mais il ne se demande pas ce quest la

longueur) le fait de fabriquer le megravetre (niveau 2) et le fait dinventer luniteacute de

mesure (niveau 1) sont trois actes fondamentalement diffeacuterents Cela est similaire agrave la

structure des trois lits le niveau 3 est une image du niveau 2 agrave son tour cette

derniegravere est une image du niveau 1 Voici la diffeacuterence entre le niveau 1 et les deux

autres niveaux

1 Pheacutedon 75 a ndash b

182

Σωκράτης

τὰ μὲν οὐ παρακαλοῦντα ἦν δ᾽ ἐγώ ὅσα μὴ ἐκβαίνει εἰς ἐναντίαν αἴσθησιν ἅμα τὰ δ᾽ ἐκβαίνοντα ὡς παρακαλοῦντατίθημι ἐπειδὰν ἡ αἴσθησις μηδὲν μᾶλλον τοῦτο ἢ τὸ ἐναντίον δηλοῖ εἴτ᾽ ἐγγύθεν προσπίπτουσα εἴτε πόρρωθεν ὧδε δὲ ἃ λέγω σαφέστερον εἴσῃ οὗτοί φαμεν τρεῖς ἂν εἶεν δάκτυλοι ὅ τε σμικρότατος καὶ ὁ δεύτερος καὶ ὁ μέσος2

Socrate

Les choses qui ne sollicitent pas lintellection dis-je sont celles qui ne suscitent pas simultaneacutement une perception contraire celles qui suscitent une perception contraire je considegravere quelles sollicitent lintellection puisqualors leur perception ne manifeste pas plus la chose que ce que ce qui lui est opposeacutee quil sagisse de choses qui se preacutesentent de pregraves ou de loin Ce que je dis lagrave deviendra plus clair si je prends cet exemple disons que nous avons lagrave trois doigts le pluspetit le second et le moyen

Dans la vie quotidienne on voit entend et sent une grande quantiteacute de choses

sensibles Si chaque sensation devrait susciter lintellection on ne pourrait plus faire

autre chose que de penser car agrave chaque instant en marchant dans la rue on voit

entend ou sent une chose il faudrait sarrecircter fermer les yeux bien reacutefeacutechir sur ce

quon voit entend ou sent en se plongeant dans la reacuteminiscence Ainsi on passerait

pour un fou1 Si chaque fois quon utilise un outil pour faire quelque chose on

sarrecircte pour solliciter lintellection afn de comprendre quels contraires peuvent

susciter en utilisant un outil qui produit certaines sensations dans ce cas on risque

fort de perdre son salaire Cela eacutetant la τέχνη empecircche lintellection puisque le

temps dun meacutetier ne permet pas de sarrecircter pour faire autre chose que ce que le

meacutetier exige

IV33 Lutiliteacute technique et le temps

Le couteau est utile parce quil est un outil absolument neacutecessaire dans la cuisine par

exemple Or chaque eacutepoque a sa techniciteacute pour fabriquer le couteau qui est un

produit agrave commercialiser mecircme si son utiliteacute dans la cuisine reste pratiquement la

mecircme Pourquoi a-t-on le deacutesir constant dameacuteliorer la techniciteacute de fabrication

Cest une question de productiviteacute car dans la cuisine et chez le fabriquant un

couteau na pas du tout la mecircme utiliteacute En dautres termes le rapport de la τέχνη au

temps est essentiellement un rapport agrave la productiviteacute cest-agrave-dire au deacutesir du gain

Autrefois scier le bois dans une menuiserie eacutetait une technique aujourdhui elle est

externaliseacutee remplaceacutee par la machine agrave scier elle est rapide preacutecise et deacutetacheacutee de

2 Reacutepublique VII 523 b ndash c1 Rappelons ce passage du Phegravedre laquo Voilagrave donc ougrave en vient tout ce discours sur la quatriegraveme forme

de folie Dans ce cas quand en voyant la beauteacute dici-bas et en se remeacutemorant la vraie (beauteacute) on prend des ailes et que pourvu de ces ailes on eacuteprouve un vif deacutesir de senvoler sans y arriver quand comme loiseau on porte son regard vers le haut et quon neacuteglige les choses dici-bas on a ce quil faut pour se faire accuser de folie raquo (249 d)

183

ceux qui lutilisent Autrefois il fallait un temps plus ou moins important pour un

apprenti afn de maicirctriser la technique de sciage manuel du bois ce temps est reacuteduit

agrave quelques courts instants ougrave on apprend comment utiliser la machine agrave scier Il en

va de mecircme pour beaucoup dautres techniques transformeacutees en outils par

conseacutequent le temps dapprentissage dun meacutetier pour atteindre le mecircme niveau

technique est ainsi reacuteduit de quelques anneacutees agrave quelques semaines tout au plus de

telle sorte que la productiviteacute saccroit consideacuterablement De plus en externalisant

une technique on prive en mecircme temps les techniciens dune compeacutetence quils

deacutetenaient car une compeacutetence sans utiliteacute nest plus une compeacutetence Ainsi leur

gain de productiviteacute est transfeacutereacute vers celui qui les en prive Le malheur des uns fait

le bonheur des autres telle est la caracteacuteristique de la τέχνη En effet tout cela nest

pas nouveau

laquo Tous les arts en geacuteneacuteral ne sont dirigeacutes vers rien dautre que vers les opinions et lesappeacutetits des hommeshellip raquo (Reacutepublique 533b) Et sans appeacutetit sans besoin (χρεία) il ny aurait jamais eu de technegrave puisquaucune technegrave naurait eu de raison decirctre (Reacutepublique 369 b) Les technai sont neacutees des appeacutetits se multiplient avec eux et nont dautre fn queux1

La τέχνη est bien utile pour ameacuteliorer lexistence humaine mais elle est aussi utile

pour commettre des injustices car lignorance humaine ne connaicirct pas de limite le

deacutesir sans scrupules est geacuteneacuteralement sans pitieacute la compeacutetition dans tous les

domaines est souvent impitoyable Tout cela ne signife pas que la τέχνη a quelque

chose agrave se reprocher ou agrave meacutepriser elle nest quun instrument et comme tout

instrument elle nest ni un bien ni un mal cest lacircme humaine qui est maicirctre de cet

instrument En effet dun point de vue de lutiliteacute la meacutedecine est un bien pour les

les malades le meacutetier de charpentier lest aussi pour la construction de maisons celui

de menuisier eacutegalement de mecircme pour la musique et la litteacuterature2 laquo Sur tout ce

genre de choses nous eacutetions lun et avec lautre daccord raquo poursuit Socrate

Σωκράτης

ἐν κεφαλαίῳ δ᾽ ἔφην ὦ Κλεινία κινδυνεύει σύμπαντα ἃ τὸ πρῶτον ἔφαμεν ἀγαθὰ εἶναι οὐ περὶ τούτου ὁ λόγος αὐτοῖς εἶναι ὅπως αὐτά γε καθ᾽ αὑτὰ πέφυκεν ἀγαθὰ εἶναι ἀλλ᾽ ὡς ἔοικεν ὧδ᾽ ἔχει ἐὰν μὲν αὐτῶν ἡγῆται ἀμαθία μείζω κακὰ

Socrate

En somme Clinias repris-je pour toutes ces reacutealiteacutes que nous avons dites dabord ecirctre des biens il y a des chances que la question agrave leur sujet ne soit pas de savoir comment elles sont elles-mecircmes et par elles-mecircmes des biens au contraire voici semble-t-il ce quil en est si elles sont dirigeacutees par lignorance ce sont des maux plus grands que leurs contraires mdash dautant plus que ces reacutealiteacutes mettent

1 Dixsaut Monique Le naturel philosophe ndash Essai sur les dialogues de Platon Paris Vrin 2001 [1998 Les Belles Lettres ndash Vrin 1985 1994] p 65

2 Voir Euthydegraveme 279 e ndash 281 a

184

εἶναι τῶν ἐναντίων ὅσῳ δυνατώτεραὑπηρετεῖν τῷ ἡγουμένῳ κακῷ ὄντι ἐὰν δὲ φρόνησίς τε καὶ σοφία μείζω ἀγαθά αὐτὰ δὲ καθ᾽ αὑτὰ οὐδέτερα αὐτῶν οὐδενὸς ἄξια εἶναι1

davantage de capaciteacutes au service dune direction mauvaiseen elle-mecircme mais si elles sont dirigeacutees par le savoir et la raison ce sont des biens fort grands au lieu quelles-mecircmes et par elles-mecircmes elles nont ni les uns ni les autres une quelconque valeur2

Cela eacutetant le bon usage de la τέχνη relegraveve de la φρόνησις (reacutefexion) et de la σοφία

(la vertu laquo sagesse raquo) En dautres termes apprendre une compeacutetence particuliegravere doit

se faire en mecircme temps que dapprendre agrave reacutefeacutechir et agrave connaicirctre lusage juste de

cette compeacutetence

IV4 La διάνοια

laquo La διάνοια est la penseacutee discursive Cest le discours silencieux que lacircme se tient agrave

elle-mecircme raquo3 Dans le livre VII de la Reacutepublique la διάνοια se trouve entre lἐπιστήμη

et le πίστις4 mais lἐπιστήμη et la διάνοια ont pour nom la νόησις5 qui laquo vise lecirctre

ce que lecirctre (οὐσία) est par rapport au devenir lintellection lest par rapport agrave

lopinion et ce que lintellection est par rapport agrave lopinion la science lest par rapport

agrave la croyance et la penseacutee par rapport agrave la repreacutesentation raquo6 Cela eacutetant il y a

neacutecessairement deux types dοὐσία (reacutealiteacute) lun fait lobjet de la διάνοια dont la

repreacutesentation est son opposeacute lautre celui de lἐπιστήμη dont la croyance est son

opposeacute Ainsi nous avons trois oppositions ou plutocirct une seule (1) et deux sous-

oppositions (2 et 3) 1 lintellection lopinion 2 la science la croyance 3 la

penseacutee la repreacutesentation Dans la suite nous analysons certaines questions de

discours et de matheacutematique pour voir la nature de la διάνοια

IV41 Discours argumentatifs

Le discours argumentatif se fonde sur un processus rigoureux agrave savoir lhypothegravese

le raisonnement et la veacuteriteacute Le soleil brille cest une eacutevidence on na nul besoin

dhypothegravese et de raisonnement pour dire cette veacuteriteacute

IV411 Hypothegravese

Le terme ὑπόθεσις est relativement bien preacutesent dans le corpus platonicien avec 44

1 Ibid 281 d ndash e2 Sur les choses qui ne sont ni bonnes ni mauvaises cf Gorgias 467 e ndash 468 a Lachegraves 195 c Reacutepublique

IV 439 a3 Dictionnaire Platon p 1174 Voir Reacutepublique VII 533 e ndash 534 a5 Notons que agrave la fn du livre VI les quatre sections sont νόησις διάνοια πίστις et εἰκασία alors

que dans le livre VII elles sont lintellection (ἐπιστήμη et διάνοια) lopinion (πίστις et εἰκασία)6 Reacutepublique VII 534 a

185

occurrences1 le sens du terme ὕπο (dessous en dessous) + θέσις (thegravese thesis en

anglais) semble se donner dans la premiegravere reacuteplique que prononce Socrate au deacutebut

du Parmeacutenide

Socrate Socrate donc une fois laudition fnie aurait prieacute quon relucirct la premiegravere hypothegravese du premier argument et cela fait aurait poseacute la question suivante laquo Que veux-tu dire Zeacutenon raquo laquo Si les choses sont plusieurs il sensuit dis-tu quelles ne peuvent manquer decirctre agrave la fois semblables et dissemblables ce qui est eacutevidemment impossible Il nest possible en effet ni que ce qui est dissemblable soit semblable ni que ce qui est semblablesoit dissemblable Nest-ce pas ce que tu veux dire raquo2

Agrave propos du terme laquo hypothegravese raquo dans ce passage voici la note de traduction3

En grec ancien ὑπόθεσις Dans ce passage le sens de ce terme preacutesente une leacutegegravere ambiguiumlteacute Au sens strict ὑπόθεσις deacutesigne la protase dune proposition conditionnelle cest eacutevidemment le sens du terme en 128 d 4 ndash 5 laquo Sil [lunivers] est un raquo et laquo sils [τὰ ὀντά] sont plusieurs raquo Par extension le terme ὑπόθεσις peut deacutesigner non seulement la protase de largument mais largument en son entier cest le cas ici semble-t-il cardemander de relire seulement la protase naurait eu aucun sens

Agrave vrai dire dans une hypothegravese la protase nest pas beaucoup dimportance puisque

la mecircme proposition conditionnelle peut ecirctre formuleacutee de diffeacuterentes maniegraveres

Alors que Parmeacutenide dit laquo Il est un raquo Zeacutenon dit laquo Elles ne sont pas plusieurs raquo et chacun de votre cocircteacute vous vous exprimez en ayant lair de ne dire rien de pareil alors que tant sen faut vous dites la mecircme chose4

La vraie question consiste agrave savoir quel est lacheminement dune hypothegravese puisque

laquo ὕπο + θέσις raquo veut dire implicitement laquo raisonnement conduit par une thegravese raquo car

une simple thegravese sans argumentation na aucun inteacuterecirct agrave se faire entendre en terme

de la penseacutee Ce passage de la Reacutepublique semble poser la regravegle de lacheminement de

lhypothegravese

Socrate Examine aussi comment il faut couper la section de lintelligible

1 Euthyphron ὑποθέσεις (11 c) Gorgias ὑπόθεσιν (454 c) Hippias majeur ὑπόθεσιν (302 e) Lois V ὑπόθεσις (743 c) Lois VII ὑπόθεσιν (812 a) Meacutenon ὑποθέσεως (86 e) ὑποθέσεως (86 e) ὑπόθεσιν (87 a) ὑπόθεσις (87 d) ὑπόθεσιν (89 c) Parmeacutenide ὑπόθεσιν (127 d) ὑπόθεσις (128 d) ὑποθέσεως (136 a) ὑποθέσεως (136 a) ὑποθέσεως (136 b) ὑποθέσεως (137 b) ὑπόθεσιν (142 b) ὑπόθεσις (142 c) ὑπόθεσιν (142 c) ὑπόθεσις (160 b) ὑπόθεσις (161 b) Pheacutedon ὑποθέσεως (92 d) ὑπόθεσις (94 b) ὑποθέσεως (101 d) ὑποθέσεως (101 d) ὑπόθεσιν (101 d) ὑποθέσεις (107 b) Politique ὑποθέσθαι (295 c) Reacutepublique VI ὑποθέσεων (510 b) ὑποθέσεως (510 b) ὑποθέσεις (510 c) ὑποθέσεσι (511 a) ὑποθέσεων (511 a) ὑποθέσεις (511 b) ὑποθέσεις (511 b) ὑποθέσεις (511 c) ὑποθέσεων (511 d) Reacutepublique VII ὑποθέσεσι (533 c) ὑποθέσεις (533 c)Reacutepublique VIII ὑπόθεσιν (550 c) Sophiste ὑποθέσθαι (237 a) ὑπόθεσιν (244 c) Theacuteeacutetegravete ὑπόθεσιν (183 b) Timeacutee ὑποθέσθαι (26 a)

2 Parmeacutenide 127 d ndash e3 Ibid laquo Notes raquo ndeg 35 p 257 Cf Aussi Meacutenon laquo Notes raquo ndeg 188 p 281 ndash 281 ougrave M Canto-Sperber

eacutenumegravere quatre signifcations du terme hypothegravese chez Platon 1 Une proposition sattache agrave eacutetudier les conseacutequences 2 Une proposition destineacutee agrave examiner sa coheacuterence interne 3 Hypothegravese sans reacutefeacuterence darcheacutetype 4 Un proceacutedeacute de reacutefutation agrave lusage ironique

4 Ibid 128 b

186

Glaucon De quelle faccedilon

Socrate Voici Dans une partie de cette section lacircme traitant comme des images les objets quidans la section preacuteceacutedente eacutetaient les objets imiteacutes se voit contrainte dans sa recherche de proceacuteder agrave partir dhypothegraveses elle ne chemine pas vers un principe mais vers une conclusion Dans lautre section toutefois celle ougrave elle sachemine vers un principe anhypotheacutetique lacircme procegravede agrave partir de lhypothegravese et sans recours agrave ces images elle accomplit son parcours agrave laide des seules formes prises en elles-mecircmes1

Dans ce passage nous avons deux cheminements dune hypothegravese 1 Celui ougrave

lhypothegravese est consideacutereacutee comme chose connue comme si elle est un principe cest-

agrave-dire la veacuteriteacute mais on nen a pas la certitude Dans ce cas-lagrave le raisonnement

sachemine vers la conclusion en se fondant sur les conseacutequences Cest le cas pour la

deacutemonstration de geacuteomeacutetrie dans le Meacutenon supposons une surface de quatre pieds

carreacutes dont chaque cocircteacute a pour longueur deux pieds quelle est la longueur de chaque

cocircteacute pour avoir une surface double cest-agrave-dire huit pieds carreacutes Si elle est agrave trois

pieds la conseacutequence est que trois fois trois font neuf et non pas huit pieds carreacutes Un

tel raisonnement est adapteacute pour la reacutefutation Par exemple si la vertu senseigne en

examinant les conseacutequences de cette hypothegravese on constate que les gens reacuteputeacutes

pour leur sagesse ne parvenaient pas agrave transmettre leur sagesse ou les autres vertus agrave

leurs fls2 Cela permet de conclure que la vertu ne senseigne pas 2 Une hypothegravese

chemine par la reacuteminiscence agrave travers le dialogue En effet dans ce raisonnement

lhypothegravese nest pas vraiment une proposition mais laquo des points dappui et des

tremplins pour seacutelancer jusquagrave ce qui est anhypotheacutetique jusquau principe du

tout raquo3 Autrement dit on accegravede au principe anhypotheacutetique par la reacuteminiscence et

non par des proceacutedeacutes logiques car laquo des points dappui et des tremplins raquo peuvent

deacuteclencher agrave tout moment une reacuteminiscence

IV412 Raisonnement

Le substantif λογισμός (raisonnement syllogisme calcul4) est une activiteacute spontaneacutee

propre agrave lacircme un acheminement vers la veacuteriteacute5 Voici le tableau de freacutequences du

1 Reacutepublique VI 510 b2 Voir Meacutenon 93 a ndash 94 d3 Reacutepublique VI 511 b4 Notons au passage que le calcul cest-agrave-dire lanalyse des rapports entre les nombres est un type de

raisonnement rigoureux Par exemple 2 31415 5 sont trois nombres alors que leacutequation laquo 2 fois 31415 fois 5 raquo deacutecrit un rapport entre ces trois nombres et si on remplace 5 par une variable R(Rayon) on obtient une eacutequation qui permet de calculer la circonfeacuterence de tous les cercles C = 2πR

5 Le terme τὸ λογιστικόν (calcul) est aussi une forme de raisonnement Ici nous examinons le principe du raisonnement et non les meacutethodes du raisonnement qui seront examineacutees dans le dernier chapitre

187

terme λογισμός dans les dialogues platoniciens

Dialogues de jeunesse [12]Hippias mineur [7] λογισμῶν (366 c) λογισμοὺς (367 a) λογισμόν (367 a) λογισμῶν (367 b) λογισμῶν (367 c) λογισμῶν (367 c) λογισμὸν (367 c) Hippias majeur λογισμῶν (285 c) Protagoras λογισμούς (318 e) Euthyphron λογισμὸν (7 b) Meacutenon λογισμῷ (98 a) λογισμοῦ (100 b)

Dialogues de maturiteacute [26]Banquet λογισμοῦ (207 b) Pheacutedon λογισμοῦ (66 a) λογισμῷ (79 a) λογισμῷ (84 a) Reacutepublique

[18] I λογισμῷ (340 d) IV λογισμῷ (431 c) λογισμοῦ (439 d) λογισμὸν (440 b) λογισμοῦ (441 a) VI λογισμῷ (496 d) λογισμοὺς (510 c) VII λογισμόν (522 c) λογισμόν (524 b) λογισμοὺς (525 d) λογισμῶν (526 d) λογισμῶν (536 d) VIII λογισμῷ (546 b) IX λογισμοῦ (586 d) λογισμὸν (587 e) Xλογισμῷ (603 a) λογισμῷ (604 d) λογισμῷ (611 c) Phegravedre λογισμῷ (249 c) λογισμὸν (274 c) Parmeacutenide λογισμῷ (130 a) Theacuteeacutetegravete λογισμούς (145 d)

Dialogues de vieillesse [34]Sophiste λογισμοῦ (248 a) λογισμῶν (254 a) Politique λογισμοὺς (257 a) λογισμοὺς (257 b) Philegravebe [5] λογισμούς (11 b) λογισμοῦ (21 c) λογισμοῖς (52 a) λογισμοῦ (52 b) λογισμῶν (57 a) Timeacutee [11] λογισμὸν (30 b) λογισμὸν (33 a) λογισμὸς (34 a) λογισμοῦ (36 e) λογισμῶν (47 c) λογισμῷ (52 b) λογισμῷ (57 e) λογισμῷ (72 a) λογισμοῦ (72 e) λογισμοῦ (77 b) λογισμοῦ (86 c) Critias λογισμοῦ (121 a) Lois [13] I λογισμὸς (644 d) λογισμοῦ (645 a) λογισμοῦ (645 a) III λογισμῷ (697 e) VII λογισμὸν (805 a) λογισμῶν (809 c) λογισμῷ (813 d) λογισμοὶ (817 e) λογισμοὺς (819 b) X λογισμοὶ (896 c) λογισμοῖς (897 c) XII λογισμοῖς (967 b)

En tout 72 occurrences cest un bon chiffre Trois remarque 1 les occurrences sont

concentreacutees sur cinq dialogues agrave savoir Philegravebe [5] Hippias mineur [7] Timeacutee [11] Lois

[13] Reacutepublique [18] 2 il semble que plus lacircge de Platon avance plus la freacutequence

de lemploi de ce terme augmente 12 dans les premiers dialogues 26 dans les

dialogues intermeacutediaires et 34 dans les derniers dialogues 3 le terme signife tantocirct

laquo calcul raquo comme cest le cas au tout deacutebut du Politique tantocirct ce qui est associeacute agrave laquo la

penseacutee intellective (νόησις) comme cest le cas dans le livre VII de la Reacutepublique1

Dans la navigation sur la mer si lon navigue agrave vue on narrive probablement jamais

au port agrave amarrer ou lon perd eacutenormeacutement du temps inutilement car sur la mer on

ne distingue pas le port mais seulement les horizons qui changent constamment

cest lagrave que le raisonnement devient une neacutecessiteacute pour le pilote afn de deacuteterminer

lhorizon vers lequel se trouve le port De mecircme pour lacircme qui peut ecirctre compareacutee agrave

un navire dun point de vue de la navigation puisque laquo lacircme se meut toujours raquo2 Or

1 Cf Lois laquo Notes raquo livre I ndeg 110 p 346 laquo Cette traduction [la raison qui calcule] permet deconserver le sens tregraves bien preacutesenteacute dans les textes de λογισμός comme laquo calcul raquo Toutefois agrave tout le moins dans la Reacutepublique (VII 524 b) λογισμός est associeacute agrave la penseacutee intellective raquo

2 Phegravedre 245 c Si la navigation moderne sur la mer peut ecirctre guideacutee par un systegraveme de navigation parsatellite un tel systegraveme est impossible pour lacircme dune part lacircme est invisible dautre part lunivers tout entier est la sphegravere du mouvement de lacircme or limmensiteacute de lunivers deacutepasse tout entendement humain de en plus lacircme peut passer agrave lexteacuterieur de lunivers et seacutetablir sur son dos pour contempler la veacuteriteacute (Voir Phegravedre 247 b) Avec le progregraves technologique cet exemple semble dire que le pilotage souvent eacutevoqueacute dans les dialogues platoniciens perd peu a peu son sens

188

lacircme a trois laquo ports raquo dits rationnel ardant et deacutesirant

Socrate Nous naurions donc pas tort repris-je de soutenir quil sagit de deux principes et quils diffegraverent lun de lautre lun celui par lequel lacircme raisonne nous le nommons le principe rationnel de lacircme lautre celui par lequel elle aime a faim a soif et qui lexcitede tous les deacutesirs celui-lagrave nous le nommons le principe deacutepourvu de raison et deacutesirant lui qui accompagne un ensemble de satisfactions et de plaisirs

Glaucon Non nous naurions pas tort de penser de cette maniegravere

Socrate Par conseacutequent repris-je distinguons ces deux espegraveres qui se trouvent dans lacircme Mais pour ce qui est du cœur cette espegravere par laquelle nous nous emportons sagit-il dunetroisiegraveme espegravece ou alors de quelle espegravece parmi les premiegraveres est-elle la plus parente par nature 1

Dans un corps dont les deacutesirs sont illimiteacutees la question du pilotage se pose

neacutecessairement car lacircme peut bien ecirctre attireacutee par le corps cest-agrave-dire par

lensemble des satisfactions et des plaisirs lieacutes au corps Or piloter cest raisonner

Mais pour raisonner (λογίζεσθαι) il faut la matiegravere du raisonnement cest-agrave-dire les

notions les deacutefnitions les principes par exemple Si on va aux maux il ny a rien agrave

connaicirctre sauf parfois quelques technique neacutecessaire2 si on va au Bien il faut

connaicirctre ce quest le bien

Or un principe est chose inengendreacutee Car cest dun principe que vient neacutecessairement agrave lecirctre tout ce qui vient agrave lecirctre tandis que le principe lui ne vient de rien En effet si un principe venait agrave lecirctre agrave partir de quelque chose ce ne serait pas agrave partir dun principequil viendrait agrave lecirctre Or comme cest une chose inengendreacutee cest aussi neacutecessairement une chose incorruptible Agrave supposer en effet que le principe soit aneacuteanti jamais ne pourrait venir agrave lecirctre ni ce principe agrave partir de quelque chose ni autre chose agrave partir de ce principe sil est vrai que toutes choses viennent agrave lecirctre agrave partir dun principe3

Le chemin du raisonnement se fait vers le principe et non vers ce qui vient agrave lecirctre

Ainsi pour une hypothegravese donneacutee la premiegravere chose agrave faire cest de poser la

question laquo quest-ce que raquo linterrogation portant avant tout sur le preacutedicat ou sur

le compleacutement dobjet et non sur le sujet Par exemple si la science est sensation il

faut poser la question laquo quest-ce que la sensation raquo autrement dit la sensation elle-

mecircme indeacutependante du sensible et des individus capables de sentir comme

laboutissement du raisonnement Ainsi la question peut bien ecirctre bien poseacutee 1 de

maniegravere explicite par exemple agrave propos de la justice pour Poleacutemarque cest

dorigine1 Reacutepublique IV 439 d ndash e La troisiegraveme sera nommeacutee laquo lespegravece de lardeur morale raquo (voir 440 e ndash 441

a)2 Le vol dans les meacutetros le cambriolage dans les villes le braquage dune agence bancaire le piratage

informatique lescroquerie fnanciegravere le mensonge politique etc tout cela demande une maicirctrise technique En ce sens la sophistique est une τέχνη simplement les sophistes ne travaillent pas avec la main mais avec la langue sans pour autant savoir vraiment ce quils disent

3 Phegravedre 245 d

189

laquo comme le fait de rendre service agrave ses amis et nuire agrave ses ennemis raquo1 Socrate pose

tout de suite la question laquo quentends-tu par amis raquo2 2 de maniegravere implicite cest

le cas dans le Theacuteeacutetegravete par exemple quand Theacuteeacutetegravete deacutefnit la science comme la

sensation Socrate na pas poseacute la question laquo quest-ce que la sensation raquo pourtant

ses examens meneacutes du paragraphe 152 a au celui 187 b sont fondeacutes sur la question

qui nest pas explicitement poseacutee

En un mot dans un dialogue les questions et les reacuteponses sont impreacutevisibles en

raison du fait que lacircme est le principe du mouvement spontaneacute cest la raison pour

laquelle il ny a pas agrave eacutetablir des regravegles rigoureuses pour preacutevoir lapparition des

inconnus Linconnu est impreacutevisible les dialogues dits aporeacutetiques le prouvent ce

qui est fondamentalement diffeacuterent de la logique formelle

IV413 Veacuteriteacute

Tout raisonnement consiste agrave faire paraicirctre la veacuteriteacute (ἀλήθεια) Elle a deux niveaux

de sens dabord elle deacutesigne ce qui est la reacutealiteacute (οὐσία) ensuite elle deacutesigne

laccord entre ce qui est et ce quon en pense ou ce dont on parle mecircme si cela revient

au mecircme car dire la veacuteriteacute cest dire la reacutealiteacute

La nature de la veacuteriteacute mdash ouverte sans meacutelange directe et immuable mdash est la

condition de la penseacutee et de la parole Autrement dit parler cest parler des choses

immuables de maniegravere ouverte simple et directe sans quoi il vaut vieux se taire

Mais pour parler ainsi il faut neacutecessairement penser ainsi Sur ce point le Socrate

dans les premiers dialogues et dans les autres dialogues est le mecircme car la seule

chose agrave la quelle il sinteacuteresse ce sont les choses immuables cest-agrave-dire toujours les

mecircmes et non tantocirct une chose tantocirct une autre Cest eacutegalement sur ce point que le

Socrate de Platon diffegravere du Socrate de Xeacutenophon Un exemple pour lexpliquer un

jour le sophiste Antiphon dit ceci agrave Socrate laquo Je croyais Socrate que ceux qui

sadonnent agrave la philosophie devenaient forceacutement plus heureux mais cest le

contraire que tu me donnes limpression davoir retireacute de la philosophie Tu vis de

telle sorte que pas mecircme un esclave ne resterait chez un maicirctre qui lui imposerait ton

reacutegime raquo Antiphon continue agrave eacutenumeacuterer les aliments manquants et meacutediocres le

vecirctement grossier le manque dargent et ainsi de suite3 Mais la longue reacuteponse de

1 Reacutepublique livre I 334 b2 Ibid 334 c3 Voir Xeacutenophon Les meacutemorables livre I VI1 ndash 3 Paris Les Belles Lettres 2003 [2000] Trad par

Louis-Andreacute Dorion

190

Socrate campe fdegravelement aux choses sensibles1 sans se demander ce quest le

bonheur ou le fait decirctre heureux et agrave la fn de sa reacuteponse Socrate conclut laquo Pour ma

part je considegravere que labsence de besoin est divin et quavoir le minimum de besoins

est ce qui sapproche le plus du divin et comme le divin est parfait ce qui sen

approche le plus sapproche eacutegalement de la perfection raquo La conclusion de Socrate

peut ecirctre qualifeacutee de syllogisme sauf quici la preacutemisse majeure laquo le minimum de

besoins est ce qui sapproche le plus du divin raquo nest pas vraie en tout cas pas

toujours vraie car dune part mecircme le dieu a besoin de se nourrir dautre part des

prisonniers des esclaves et de tregraves pauvres gens vivent en reacutealiteacute dans le strict

minimum ceux-ci sapprochent-t-ils plus du divin quun roi qui obeacuteit agrave la loi En

effet Socrate comme beaucoup dautres sages dailleurs eacutetait pauvre parce quil se

consacrait entiegraverement agrave philosopher de telle sorte quil navait plus de loisirs pour

soccuper des affaires Thalegraves a montreacute qulaquo il eacutetait facile de senrichir raquo sauf que cela

nest pas lobjet de lambition des philosophes2

Notons que le fait de ne pas dissimuler ne veut pas dire ecirctre transparent mais

ouvert Une maison construite avec des pierres nest pas transparente mais quand

ses portes sont ouvertes au public elle est ouverte Chaque dialogue platonicien est

une maison ouverte mais pas transparente Cela diffegravere de leacutesoteacuterisme qui nest pas

ouvert Mais ce qui est ouvert ne veut pas dire non plus facile agrave connaicirctre Par

exemple le ciel est ouvert pourtant on en connaicirct peu de chose

Ce qui est sans meacutelange est neacutecessairement pur et ce qui est pur est neacutecessairement

simple sans contradiction Dire une chose de maniegravere compliqueacutee arrive sans doute

lorsquon na pas encore saisi la veacuteriteacute En effet moins on ne va directement agrave la

chose agrave dire ou agrave penser plus la chance de la contradiction augmente Par exemple si

la richesse rend les gens heureux il faut poser ou se poser directement la question de

ce quest le bonheur sans se confondre dans les choses sensibles car le monde

sensible est contradictoire par exemple la richesse est agrave la fois un bien et un mal une

chose est agrave la fois grande et petite Autrement dit la veacuteriteacute ne se trouve pas dans la

reacutealiteacute sensible

IV42 Les matheacutematiques

Limmuabiliteacute la preacutecision et lenseignement sont trois qualiteacutes en commun dans

1 Voir ibid 4 ndash 102 Voir Diogegravene Laeumlrce Vies et doctrines des philosophes illustres I 26 Paris Le Livre de Poche 1999 p

83

191

matheacutematiques Cela correspond parfaitement agrave la recherche philosophique sur les

formes intelligibles la rectitude et leacuteducation En dautres termes la philosophie

sinspire des matheacutematiques dans une certaine mesure tregraves limiteacutee en tant quun

instrument de la philosophie Pourquoi laquo tregraves limiteacutee raquo En effet un matheacutematicien

peut ecirctre excellent dans son domaine mais pas neacutecessairement vertueux ou heureux

De plus la connaissance matheacutematique nest que partiellement universelle elle nest

universelle que dans un domaine speacutecifque en question alors que la citeacute juste a

besoin de la connaissance du Bien par-dessus de tous les biens speacutecifques dont les

matheacutematiques et de tous les biens particuliers dont la richesse Dailleurs les

matheacutematiques sont certes tregraves puissantes mais cette puissance ne permet pas de

reconnaicirctre le Bien et les maux

IV421 Immuabiliteacute

La terme μαθηματική est totalement absent dans les dialogues platoniciens on na

que deux occurrences de μαθηματικόν (qui sadonne agrave eacutetudier et agrave pratiquer) lune

dans le Sophiste (219 c) lautre dans le Timeacutee (88 c) En revanche les deux branches

des matheacutematiques agrave savoir γεωμετρία (geacuteomeacutetrie) et ἀρμονία (harmonie) ont une

preacutesence importante dans le corpus platonicien1 Pourquoi la philosophie sinteacuteresse-

t-elle particuliegraverement agrave ces deux branches des matheacutematiques 2 Eacutetudions le cas de

1 Charmide γεωμετρικῆς (165 e) Gorgias γεωμετρικὴ (450 d) γεωμετρίαν (450 e) γεωμετρικὴ (508 a) γεωμετρίας (508 a) Hippias majeur γεωμετρίας (285 c) Hippias mineur γεωμετρίας(367 d) γεωμετρίᾳ (367 d) γεωμετρικός (367 d) Meacutenon γεωμετρίαις (76 a) γεωμετρεῖν (85 e) γεωμετρίας (85 e) Pheacutedon γεωμετρίᾳ (92 d) Phegravedre γεωμετρίαν (274 d) Philegravebe γεωμετρίας (56 e) Politique γεωμετρικὰ (257 a) γεωμετρίας (266 a) Protagoras γεωμετρίαν (318 e) Reacutepublique V γεωμετρικαῖς (458 d) Reacutepublique VI γεωμετρίας (510 c) γεωμετρίαις (511 b) γεωμετρικῶν (511 d) Reacutepublique VII [14] γεωμετρίαν (526 c) γεωμετρικός (526 d) γεωμετρίας (526 d) γεωμετρίας (527 a) γεωμετρικὴ (527 b) γεωμετρίας (527 c) γεωμετρίας (527 c) γεωμετρίᾳ (528 a) γεωμετρίαν (528 d) γεωμετρίαν (528 d) γεωμετρίας (529 e) γεωμετρίαν (530 b) γεωμετρίας (533 b) γεωμετριῶν (536 d) Reacutepublique VIII γεωμετρικός (546 c) Theacuteeacutetegravete [9] γεωμετρίαν (143 d) γεωμετρίας (143 e) γεωμετρικός (145 a) γεωμετρίας (145 c) γεωμετρία (146 c) γεωμετρῶν (162 e) γεωμετρεῖν (162 e) γεωμετρίαν (165 a) γεωμετροῦσα (173 e)

ἀρμονία mdash Banquet [8] 187 a 187 a 187 b 187 b 187 c 187 c 187 d 188 a Charmide [1] 170 c Cratyle [4] 405 d 405 d 405 d 416 b Hippias majeur [2] 285 d 285 d Hippias mineur [1] 368 d Ion [1] 534 a Lachegraves [2] 188 d 188 d Lois II [11] 653 e 655 a 660 a 661 c 665 a 669 e 670 b 670 d 670 e 672 c 672 e Lois VII [5] 800 d 802 e 802 e 810 b 812 c Lois VIII [1] 835 a Pheacutedon [43] 85 e 85 e 86 a 86 a 86 b 86 b 86 c 86 c 88 d 91 d 92 a 92 a 92 b 92 b 92 c 92 c 92 c 92 e 92 e 93 a 93 a 93 a 93 a 93 b 93 c 93 c 93 c 93 c 93 d 93 d 93 d 93 d 93 e 93 e 94 a 94 a 94 a 94 b 94 c 94 e 94 e 95 a 95 a Phegravedre [5] 268 d 268 e 268 e 268 e 268 e Philegravebe [3] 17 d 31 c 31 dProtagoras [1] 326 b Reacutepublique III [17] 397 b 397 b 397 c 398 d 398 d 398 e 398 e 399 a 399 a 399 c 399 c 399 e 400 a 400 a 400 d 401 d 411 a Reacutepublique IV [4] 430 e 431 e 442 a 443 d Reacutepublique VII [3] 522 a 531 a 531 b Reacutepublique VIII [1] 546 c Reacutepublique IX [1] 591 dReacutepublique X [3] 601 a 617 b 617 c Theacuteeacutetegravete [2] 145 d 175 e Timeacutee [5] 37 a 47 d 47 d 80 b 90 d

2 Certes le terme ἀριθμητιή (science des nombres) est aussi preacutesent dans le corpus platonicien mais beaucoup moins important que la geacuteomeacutetrie et lharmonie voici la liste doccurrences dἀριθμητιή Alcibiade 114 c 126 c Gorgias 450 d 450 e 450 e 451 b 451 c 453 e 453 e 453 e Ion 531 e 537 e Philegravebe 55 e 56 c 56 d 56 d 57 d Politique 258 d 299 e Protagoras [1 ] 357 a Reacutepublique VII

192

la geacuteomeacutetrie dabord lunivers est un monde geacuteomeacutetrique cest pourquoi la vision

de lunivers est dicteacutee par le deacuteveloppement des matheacutematiques et particuliegraverement

par le deacuteveloppement de la geacuteomeacutetrie Par exemple les fgures telles que deacutecrites

dans le Timeacutee1 correspondent agrave la geacuteomeacutetrie euclidienne (les rotations les symeacutetries

les translations qui deacuteterminent la variation des distances et lhomotheacutetie)

Dailleurs sans la geacuteomeacutetrie carteacutesienne ou la geacuteomeacutetrie analytique fondement de la

physique il ny aurait pas de gravitation newtonienne Sans la geacuteomeacutetrie

diffeacuterentielle il ny aurait pas de theacuteorie de la relativiteacute geacuteneacuterale2 En dautres termes

tant quune nouvelle approche de la geacuteomeacutetrie nest pas trouveacutee notre connaissance

de lunivers reste dans leacutetat actuel si ce nest certaines hypothegraveses non approuveacutees

comme les trous noirs par exemple Dun point de vue cosmologique la geacuteomeacutetrie

permet de comprendre la structure et le fonctionnement de lunivers Dun point de

vue philosophique la geacuteomeacutetrie permet de penser et dapprouver que la reacutealiteacute

immuable existe (par exemple la circonfeacuterence du cercle = 2πr existe

indeacutependamment de tous les cercles quils soit grands ou petits) Dun point de vue

eacuteducatif lenseignement de la geacuteographie permet de structurer la penseacutee de la

maniegravere visuelle ce qui favorise aussi la meacutemoire qui est plus sensible agrave la fgure

quagrave la reacutealiteacute abstraite

Ensuite lharmonie On peut constater que dans le Pheacutedon les 43 occurrences du

terme ἀρμονία se concentrent sur deux blocs de maniegravere tregraves dense agrave savoir entre 85

e et 86 c (8 fois) et entre 91 d et 95 a (34 fois) Dun point de vue sensible lharmonie

est universellement belle Dun point de vue philosophique lharmonie est

immuable

Simmias [hellip] On dirait de la mecircme faccedilon lharmonie est une chose quon ne voit pas et qui na pasde corps qui est tregraves belle divine mecircme quand la lyre a eacuteteacute bien accordeacutee alors que la lyre elle et ses cordes ce sont des corps elles relegravevent de lespegravece corporelle elles sont composeacutees terreuses apparenteacutees agrave ce qui est mortel Supposons alors quon casse la lyre quon coupe ses cordes ou encore quon larrache On pourrait soutenir ensuite agrave laide dun raisonnement identique au tien que neacutecessairement lharmonie en question existe encore et quelle na pas peacuteri3

Une citeacute juste doit ecirctre neacutecessairement une citeacute harmonieuse en rassurant lharmonie

entre les trois parties fonctionnelles de lacircme lharmonie entre lacircme et le corps

525 a Theacuteeacutetegravete [3 ] 198 a 198 b 198 e en tout 24 occurrences1 Cf Timeacutee laquo Annexe 2 raquo laquo Annexe 3 raquo laquo Annexe 5 raquo laquo Annexe 6 raquo2 Agrave propos de la geacuteomeacutetrie et la relativiteacute cf Souriau J-M Geacuteomeacutetrie et relativiteacute Paris Hermann

19643 Pheacutedon 85 e ndash 86 a

193

lharmonie entre les ecirctres humains lharmonie entre les ecirctres humains et la nature

Par conseacutequent la citeacute tend vers limmortaliteacute Dun point de vue eacuteducatif lharmonie

permet de structurer lacircme au moyen sensible ce qui favorise la reacuteminiscence qui

nest laquo sensible raquo quaux choses harmonieuses cest-agrave-dire des reacutealiteacutes veacuteritables

neacutecessairement harmonieuses en raison du fait quelles tiennent toutes dune seule et

unique chose leur ecirctre et leur reacutealiteacute agrave savoir le Bien

IV422 Preacutecision

La caracteacuteristique propre aux matheacutematiques est sa preacutecision quantifeacutee et veacuterifable

Dans le Meacutenon la fameuse partie consacreacutee agrave la geacuteomeacutetrie (82 b ndash 85 c) consiste agrave

deacutemontrer lexistence de la reacuteminiscence mais cette deacutemonstration se fonde

justement sur la preacutecision de la geacuteomeacutetrie

Socrate Eh bien justement essaie de me dire quelle sera la longueur de chacun des cocircteacutes de cenouvel espace En effet dans le premier espace ceacutetait deux pieds mais dans ce nouvel espace double du premier quelle sera la longueur de chaque cocircteacute

Garccedilon Il est bien eacutevident Socrate quelle sera double

Quatre fois quatre font seize pieds carreacutes cela eacutequivaut exactement agrave une surface

carreacutee composeacutee de quatre surfaces de quatre pieds carreacutes Ensuite le jeune garccedilon

propose une longueur de trois pieds pour une surface carreacutee double dune surface de

quatre pieds carreacutes Trois fois trois font neuf et non pas huit pieds carreacutes

Socrate Mais agrave partir de quelle ligne Essaie de nous le dire avec exactitude (ἀκριβῶς) Et si tu preacutefegraveres ne pas donner un chiffre montre en tout cas agrave partir de quelle ligne on lobtient

Garccedilon Mais par Zeus Socrate je ne le sais pas

Il sagit de la diagonale de la surface de quatre pieds carreacutes comme la longueur de

chaque cocircteacute de la surface de huit pieds carreacutes Avec le theacuteoregraveme de Pythagore de

Samos1 on peut obtenir le chiffre exact de la diagonale (d) dune surface carreacutee (a fois

a par exemple) agrave savoir d=radic2sdota

IV423 Enseignement

La deacutemonstration de Socrate sur la geacuteomeacutetrie montre que dune part la preacutecision

matheacutematique est irreacutefutable puisquelle est une eacutevidence dautre part que la

geacuteomeacutetrie senseigne cest-agrave-dire sapprend sur le modegravele maicirctre-eacutelegraveve En effet la

formule a2+b2=c2 est le modegravele de tous les triangles rectangles sensibles cela

eacutetant un triangle rectangle particulier exprime en reacutealiteacute une loi matheacutematique

1 Soit c la diagonale dun triangle rectangle a et b deacutesignent deux cocircteacutes rectangles on a ainsi la formule suivante a

2+b2=c2

194

certes de maniegravere implicite agrave savoir a2+b2=c2 En ce sens lenseignement consiste

agrave expliciter une connaissance quon possegravede deacutejagrave sans le savoir cest pourquoi

apprendre cest chercher agrave se remeacutemorer par lincitation dun enseignement Mais

quelle est la valeur philosophique de lenseignement des matheacutematiques dans

leacuteducation Voici une reacuteponse

Socrate Il serait degraves lors approprieacute de faire de cet enseignement lobjet dune leacutegislation Glaucon et de convaincre ceux qui deacutesirent pendre part aux tacircches les plus eacuteleveacutees de la citeacute de se porter vers lart du calcul (λογιστικήν) et de sy appliquer non pas comme un exercice utile aux affaires priveacutees mais dans le but datteindre la contemplation de la nature des nombres par lintellection elle-mecircme Non pas donc comme un exercice en vue de la vente ou de lachat comme le font les marchands et les commerccedilants mais en ayant pour fnaliteacute de la guerre et au bout du compte cette conversion naturelle de lacircme qui sedeacutegage du devenir et se tourne vers la veacuteriteacute et vers lecirctre (ἐπ᾽ ἀλήθειάν τε καὶ οὐσίαν)1

Ici on voit bien que les matheacutematiques ne sont ni bonnes ni mauvaises elles peuvent

ecirctre bien utiles pour linteacuterecirct de la citeacute mais aussi pour linteacuterecirct priveacute utiles pour le

bien comme pour le mal Lagrave se pose la question eacutethique de lenseignement dans

leacuteducation il ne sufft pas denseigner les matheacutematiques dans leacutecole et dans

luniversiteacute il faut surtout enseigner en mecircme temps le principe du bon usage des

matheacutematiques et les autres disciplines scientifques Autrement dit la philosophie

devrait ecirctre une obligation pour tous les eacutelegraveves et tous les eacutetudiants quelque soit leur

discipline Cest parce quil y a deux sortes de connaissances la connaissance de lacircme

et la connaissance du corps Les matheacutematiques par exemple sont une connaissance

du monde sensible une connaissance qui se deacutetache de lecirctre car celui qui deacutetient

cette connaissance sait certes comment lunivers se meut mais en aucun cas il na la

possibiliteacute dintervenir pour modifer le mouvement de lunivers pas plus que le

meacutedecin sur ses patients mecircme sil peut les gueacuterir de la maladie Autrement dit la

connaissance du corps du monde sensible ou de lunivers nest pas une connaissance

de lecirctre

IV5 La politique

Quelle que soit la conception de la politique traditionnelle progressiste (repreacutesenteacutee

par les sophistes) ou philosophique la justice est le fondement de la politique ainsi

la conception de la politique est avant tout la conception de la justice Cest pourquoi

la Reacutepublique a pour sujet la justice

1 Reacutepublique VII 525 b ndash c

195

IV51 Conception traditionnelle

Degraves le deacutebut de la Reacutepublique la conception traditionnelle de la justice est prononceacutee

par Ceacutephale sous ces termes laquo Ne pas tromper ni mentir mecircme involontairement

navoir aucune dette quil sagisse de loffrande dun sacrifce agrave un dieu ou dune

creacuteance agrave quelquun quand le moment est venu de partir lagrave-bas sereinement agrave tout

cela la possession des richesses peut contribuer pour une large part raquo1 Pour un

homme de bien cest-agrave-dire un homme qui ne trompe pas ni ne ment ni na aucune

dette envers qui que ce soit homme ou dieu si en plus il est riche cet homme est le

plus juste Est-il vraiment possible de gagner une grande fortune sans tromper ni

mentir Ceacutephale est un marchand darme comme tout marchand il laquo vent en gros

ou en deacutetail les marchandises raquo2 il ne peut pas connaicirctre le bon usage des toutes les

marchandises quil vend en gros ou en deacutetail ainsi il ne peut pas ne pas tromper

involontairement puisquil nest ni fabricant ni militaire mecircme sil a la bonne volonteacute

decirctre juste Mais la reacuteponse de Socrate est beaucoup plus probleacutematique

Socrate Tu parles tregraves bien Ceacutephale dis-je Mais en ce qui concerne cette chose-lagrave elle-mecircme la justice dirons-nous degraves lors quil sagit simplement de dire la veacuteriteacute et de rendre agrave chacun ce quon en a reccedilu Ces deux actes mecircmes ne les faisons-nous pas tantocirct de maniegravere juste tantocirct de maniegravere injuste Je propose le cas suivant si quelquun recevait desarmes de la part dun ami tout raisonnable mais que celui-ci eacutetant devenu fou les lui redemande tout le monde serait daccord pour dire quil ne faut pas les lui rendre et que celui qui les rendrait ne ferait pas un acte juste pas plus que celui qui se proposerait de dire la veacuteriteacute agrave un homme dans un tel eacutetat3

Cela admis un marchand darmes ne devrait pas vendre des armes agrave la citeacute qui megravene

une guerre injuste Si cest le cas il fait un acte injuste de mecircme quil se propose de

dire la veacuteriteacute sur la guerre car il ne peut pas dire la veacuteriteacute en raison du fait que la

guerre juste ou injuste ne relegraveve pas de la compeacutetence dun marchand darmes Pour

juger une guerre juste ou injuste il faut savoir avant tout ce quest la justice

Justement laquo ce nest donc pas une deacutefnition de la justice que de la deacutefnir comme

eacutetant le fait de dire la veacuteriteacute et de rendre ce quon a reccedilu raquo4 En dautres termes la

conception traditionnelle de la justice nest pas une conception mais une opinion

Cest le cas pour Poleacutemarque qui deacutefnit la justice comme le fait de laquo rendre aux amis

et aux ennemis respectivement des biens et des maux raquo5 ce que nous avons deacutejagrave

examineacute preacuteceacutedemment En un mot la conception traditionnelle de la justice se fonde

1 Reacutepublique I 331b2 Voir Protagoras 313 c ndash d3 Reacutepublique I 331 c4 Ibid 331 d5 Ibid 332 d

196

sur lopinion ainsi chacun peut avoir une opinion sur la justice Si une loi est

leacutegifeacutereacutee agrave partir de la conception traditionnelle de la justice cette loi nest en fait

quune traduction de la coutume ou de la convention

Par ailleurs le terme νομός traduit par laquo loi raquo laquo coutume raquo laquo convention raquo preacutesente une signifcation varieacutee et plus subtile Ce substantif deacuterive de la racine qui a donneacute le verbe νομίζω laquo je pense raquo laquo jaccepte raquo au sens de laquo japprouve raquo νομίζεται qui deacutesigne ce qui laquo est accepteacute comme correct raquo et νέμεται ce qui laquo est assigneacute comme juste part raquo la Νέμεσις eacutetant la deacuteesse qui accorde agrave chaque ecirctre sa juste part1

La diviniteacute est juste et savante elle na pas besoin dune loi pour ecirctre juste Si les ecirctres

humains ont besoin de la loi pour vivre ensemble en paix cest parce quils sont

potentiellement injustes en raison du fait quils ne savent pas vraiment ce quest la

justice encore faut-il du courage pour ecirctre juste Par conseacutequent ils ne peuvent eacuteviter

de ne pas commettre linjustice involontairement comme par exemple le marchand

darmes ne peut eacuteviter de vendre des armes agrave la citeacute qui fait une guerre injuste non

par volonteacute de commettre linjustice mais par par ignorance

IV52 Conception de sophiste

La conception de la justice des sophistes est progressiste cest-agrave-dire dans un certain

deacutepassement de la tradition du moins pour deux raisons Dune part leur

conception de la justice est intellectuellement eacutelaboreacutee ce nest plus une simple

opinion Dautre part leur conception de la justice nest pas lieacutee agrave leur propre inteacuterecirct

en tout cas pas directement Prenons lexemple de Thrasymaque pour examiner ces

deux points2 Agrave premiegravere vue sa deacutefnition de la justice paraicirct quelque peu

eacutetonnante

φημὶ γὰρ ἐγὼ εἶναι τὸ δίκαιον οὐκ ἄλλο τι ἢ τὸ τοῦ κρείττονος συμφέρον3

Je soutiens moi que le juste nest rien dautre que linteacuterecirct du plus fort

La reacutealiteacute humaine depuis 2400 ans ne semble pas beaucoup changer le laquo juste raquo nest

effectivement rien dautre que linteacuterecirct du plus fort mecircme laquo dans une socieacuteteacute ouverte

que reacutegente une deacutemocratie oligarchique (qui deacutepend surtout de la richesse) qui se

veut pluraliste raquo4 Le juste est donc la liberteacute sans entrave laquo sans entrave raquo pour les

plus forts raquo et non pour les plus faibles comme si la thegravese de Thrasymaque eacutetait une

1 Brisson Luc laquo Les sophistes et la justice raquo La justice Paris Ellipses Dirigeacute par Guy Samama 2001pp 19 ndash 24 p 21

2 Protagoras est aussi un bon exemple Comme nous avons deacutejagrave pas mal parleacute de lui jusquici nous preacutefeacuterons examiner la conception de la justice de Thrasymaque

3 Reacutepublique I 338 c4 Platon Paris Cerf 2017 p 177

197

prescription de la nature Une thegravese valable dans toutes les socieacuteteacutes humaines depuis

plus de 2400 ans est indeacuteniablement une puissance laquo Or ce que la nature prescrit

cest la satisfaction maximale des besoins raquo1 Il sagit lagrave de la nature deacutesirante du

sensible Ainsi pour limiter encadrer et controcircler cette satisfaction maximale des

besoins il faut que la loi soit fondeacutee sur la nature de lintelligible Nous examinons

maintenant les deux points que nous avons avanceacutes agrave savoir leacutelaboration

intellectuelle et le deacutesinteacuteressement personnel de la thegravese du sophiste

Eh bien ne sais-tu pas dit-il que parmi les citeacutes certaines sont de reacutegime tyrannique dautres de reacutegime deacutemocratique dautres de reacutegime aristocratique 2

La thegravese du sophiste se fonde sur une reacutefexion sur les reacutegimes politiques Dans

certain sens il annonce une enquecircte politique meneacutee par Socrate dans le livre VIII de

l a Reacutepublique sur la timocratie loligarchie la deacutemocratie et la tyrannie laquo Or tout

gouvernement institue les lois selon son inteacuterecirct propre la deacutemocratie institue des lois

deacutemocratiques la tyrannie des lois tyranniques et ainsi pour les autres reacutegimes raquo3

Thrasymaque Voilagrave donc excellent homme ce que je soutiens dans toutes les citeacutes le juste est la mecircme chose cest linteacuterecirct du gouvernement en place Or cest ce gouvernement qui exerce en quelque sorte le pouvoir de sorte quagrave quiconque raisonnant avec bon sens simpose la conclusion suivante partout cest la mecircme chose qui est juste cest-agrave-dire linteacuterecirct du plus fort4

On voit bien que linteacuterecirct du plus fort ici ne veut pas dire automatiquement linteacuterecirct

personnel des dirigeants Cest pourquoi Socrate reconnaicirct que laquo le juste consiste en

un certain inteacuterecirct raquo5 On voit bien aussi que la thegravese de Thrasymaque se fonde sur

une certaine analyse politique et intellectuelle sur une certaine eacutelaboration Par

ailleurs les sophistes neacutetaient pas les plus forts dans les citeacutes ougrave ils donnaient des

enseignements Pour mieux comprendre ce que Thasymarque veut dire Socrate

prend largument que les dirigeants ne sont pas infaillibles ainsi dans le cas ougrave ils se

trompent ils font le contraire non pas laquo le juste est linteacuterecirct du plus fort raquo mais le

juste est linteacuterecirct des plus faibles Voici largument du sophiste sur la notion du plus

fort

Absolument pas dit-il Crois-tu par hasard que jappelle le plus fort celui qui se trompe alors mecircme quil se trompe6

1 Supra laquo Les sophistes et la justice raquo p 232 Reacutepublique I 338 d3 Ibid 338 d ndash e4 Ibid 338 e ndash 339 a5 Ibid 339 b6 Ibid 340 c

198

Le plus fort cest celui qui ne se trompe pas Le sophiste ne sait pas comment un

gouverneur reacuteussit agrave ne jamais se tromper cela dit sa reacuteponse est une deacutefense

intelligente et non une science Au fond cette reacuteponse est la position de toute la

Reacutepublique seule la philosophie ne se trompe pas dougrave la neacutecessiteacute du philosophe-

dirigeant Mais Socrate semble garder cette position pour son propre exposeacute dans la

Reacutepublique car il ninterroge pas le sophiste pour savoir le moyen par lequel on peut

ne pas se tromper ce quil devrait faire mais Socrate ne la pas fait En effet si lon

comprend laquo le plus fort raquo comme celui qui est bon noble et sage la thegravese de

Thrasymaque peut se deacutefendre Dailleurs le juste peut se deacutefnir comme lobeacuteissance

agrave qui vaut mieux que soi1 le sophiste sen est simplement mal deacutefendu il est mecircme

tombeacute en quelque sorte dans le piegravege de Socrate En fait le corps peut ecirctre malade

cest la raison pour laquelle on a besoin de la meacutedecine Lorsque la meacutedecine elle

aussi est deacutefciente elle a besoin dun autre art dont la fonction consiste agrave examiner

linteacuterecirct de lart meacutedical2 laquo Ainsi dis-je lart meacutedical nexamine pas ce qui est linteacuterecirct

de la meacutedecine mais linteacuterecirct du corps raquo demanda-t-il Socrate3 Thrasymaque

reacutepondit oui

Ainsi donc aucune science nexamine pas plus quelle ne le prescrit ce qui est linteacuterecirct du plus fort mais bien ce qui est linteacuterecirct de ce qui est plus faible et qui est dirigeacute par elle4

En reacutealiteacute largument de Socrate est trompeur Linteacuterecirct de la meacutedecine consiste agrave ne

pas se tromper dans sa science aucune autre science na pas de compeacutetence pour

juger si la meacutedecine se trompe dailleurs linteacuterecirct du corps et linteacuterecirct de la

meacutedecine sont le mecircme agrave savoir la santeacute De mecircme il ny a pas deux inteacuterecircts opposeacutes

entre les plus forts et les plus faibles cest le mecircme inteacuterecirct pour chacun agrave savoir la

justice Dans cette perspective le livre I de la Reacutepublique ne devrait pas ecirctre interpreacuteteacute

comme meacuteprisant agrave leacutegard du sophiste Thrasymaque mais comme un hommage Il

souligne que la politique est une histoire et que la conception progressiste de la

politique proposeacutee par les sophistes fait partie de cette histoire mecircme si cette

conception a sa limite eacutevidente agrave savoir sans solution pour eacuteviter que le plus fort ne

se trompe En effet sans ecirctre dieu on peut eacuteviter de se tromper la question est de

1 Dans lApologie Socrate dit ceci laquo Ce que je sais en revanche cest que commettre linjustice cest-agrave-dire deacutesobeacuteir agrave qui vaut mieux que soi dieu ou homme est un mal une honte raquo (29 b) Cela admisle dirigeant doit ecirctre lhomme ou la femme le meilleur dans la citeacute de sorte quil est absolument juste que tous lui obeacuteissent

2 Voir ibid 342 a ndash b3 Ibid 342 b ndash c4 Ibid 342 c ndash d

199

savoir quelles sont les conditions La vie mecircme de Socrate et la Reacutepublique ont deacutejagrave

donneacute reacuteponses

IV53 Conception philosophique

Si lon reste dans la position de Thrasymaque agrave savoir que le plus fort ne se trompe

pas la question se pose comment le gouvernement eacutevite-t-il de se tromper Quelles

sont les conditions pour que les dirigeants ne se trompent pas Ou alors quelle est la

science qui ne peut se tromper En effet le problegraveme de Thrasymaque est quil na

pas chercheacute agrave faire de la politique une science car il na pas chercheacute agrave deacutefnir ce quest

la justice (δίκη δικαιοσύνη) mais ce quest le juste (τὸ δίκαιον) cest-agrave-dire ce quest

ecirctre juste Or on ne peut ecirctre juste sans savoir ce quest la justice si ce nest quon

devient parfois juste ccedila et lagrave sans le savoir La tacircche de la Reacutepublique fonder une

veacuteritable science la science des reacutealiteacutes veacuteritables sur laquelle se fonde la politique

afn que les dirigeants ne se trompent pas

Comme la politique reste dans le domaine de la technique administrer une citeacute

relegraveve de quelque chose bien technique Ainsi le philosophe-dirigeant ne signife pas

quil est agrave la fois philosophe et dirigeant ce qui est contraire au principe de lἔργον

mais dabord philosophe aboutissant agrave la contemplation des reacutealiteacutes veacuteritables et

ensuite dirigeant comme un pilote de navire il commence par apprendre des choses

theacuteoriques en la matiegravere avant decirctre maicirctre agrave bord du navire Ou alors laquo les

dirigeants ne seront pas mus par la compeacutetition mais reacutepondront agrave un devoir

impeacuterieux de justice Ne posseacutedant rien les philosophes dirigeront la citeacute et les

gardiens eux aussi deacutepourvus de biens se garderont dutiliser leur force pour

sapproprier les biens des producteurs raquo1 Notons que la doctrine politique telle

quelle est deacutecrite dans la Reacutepublique agrave savoir que la politique doit se fonder sur

lintelligible est un paradigme destineacute agrave ecirctre laquo regardeacute raquo par les politiques qui

administrent la citeacute Comme dans le Timeacutee le deacutemiurge fabrique lunivers en

regardant les formes intelligibles Dans cette perspective lunivers est une image du

monde intelligible la citeacute est une image de la Reacutepublique qui est une science des

reacutealiteacutes veacuteritables ou intelligibles

IV6 La connaissance de lecirctre

Nous entendons lecirctre sur trois niveaux 1 Lecirctre comme ce qui est purement et

simplement ce agrave quoi nous avons consacreacute dans le chapitre premier laquo La Forme raquo 2

1 Platon Paris Cerf 2017 p 157

200

Lecirctre comme existence cest une question eacutethique puisque mener une bonne

existence cest ecirctre vertueux nous nous consacrerons agrave cette question dans le chapitre

V laquo La vertu raquo 3 Nous examinons ici lecirctre comme raison mecircme de lexistence

IV61 Principes decirctre

Le mouvement rationnel de lacircme se fonde sur la connaissance des principes car sans

principe rien ne peut venir agrave ecirctre or

un principe est chose inengendreacutee Car cest dun principe que vient neacutecessairement agrave lecirctre tout ce qui vient agrave lecirctre tandis que le principe lui ne vient de rien En effet si le principe venait agrave lecirctre agrave partir de quelque chose ce ne serait pas agrave partir dun principequil viendrait agrave lecirctre Or comme cest une chose inengendreacutee cest aussi neacutecessairement une chose incorruptible Agrave supposer en effet que le principe soit aneacuteanti jamais ne pourraient venir agrave lecirctre ni ce principe agrave partir de quelque chose ni autre chose agrave partir de ce principe sil est vrai que toutes choses viennent agrave lecirctre agrave partir dun principe 1

En effet quand on atteint le principe laquo il sattache agrave suivre les conseacutequences qui

deacutecoulent de ce principe et il redescend ainsi jusquagrave la conclusion sans avoir recours

daucune maniegravere agrave quelque chose de sensible mais uniquement agrave ces formes en soi

qui existent par elles-mecircmes et pour elles-mecircmes et sa recherche sachegraveve sur ces

formes raquo2 Cela eacutetant les formes en soi sont les matiegraveres des principes ainsi non

seulement il faut connaicirctre les formes en soi mais aussi les principes qui sont en

quelque sorte les relations entre les Formes comme le nombre et le calcul par

exemple Sans nombre aucun calcul nest possible sans calcul le nombre ne peut

indiquer une loi matheacutematique Cest pourquoi un principe nest pas vraiment une

hypothegravese dont la valeur de veacuteriteacute reste agrave veacuterifer Alors quun principe eacutenonce

ouvertement la veacuteriteacute Prenons ce ceacutelegravebre passage que nous avons deacutejagrave lu

Socrate Tu admettras jimagine que le soleil apporte aux choses visibles non seulement la proprieacuteteacute decirctre vues mais aussi la geacuteneacuteration la croissance et la nourriture bien quil ne soit pas lui-mecircme geacuteneacuteration

Glaucon Comment le serait-il en effet

Socrate De mecircme pour les choses connues tu admettras donc non seulement quelles tiennent du Bien le fait decirctre connues mais aussi quelles tiennent de lui leur ecirctre et leur reacutealiteacute mecircme si le Bien nest pas reacutealiteacute mais se trouve au-delagrave de la reacutealiteacute quil surpasse en

1 Phegravedre 245 d laquo Les principes cest lorganisation de la matiegravere logique cest-agrave-dire le concept raquo (Lyotard Jean-Franccedilois La pheacutenomeacutenologie Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 625 2007 14e eacuted [1954 1egravere eacuted] p 10) Dans une telle deacutefnition les principes ne sont pas inengendreacutes puisque touteorganisation est engendreacutee De plus laquo on appelle concepts des repreacutesentations dans lesquelles nous amenons devant nous un objet ou des domaines entiers dobjets en leur geacuteneacuteraliteacute raquo (Heidegger Martin Concepts fondamentaux Paris Gallimard NRF 2001[1981] p 13) En aucun cas un principe nest une repreacutesentation

2 Reacutepublique VI 511 b ndash c

201

digniteacute et en puissance1

Le Soleil apporte aux choses visibles la proprieacuteteacute decirctre vues cest la veacuteriteacute et non pas

une hypothegravese dont si introduit geacuteneacuteralement la protase En ayant recours aux

reacutealiteacutes comme la geacuteneacuteration (γένεσις) la croissance (αὔξη) et la nourriture (τροφή)

le raisonnement invite agrave poser la question pourquoi le Soleil lui-mecircme nest-il pas

geacuteneacuteration Il faut lire la seconde reacuteplique de Socrate sur le Bien pour saisir la

reacuteponse parce que le Soleil se trouve au-delagrave de la geacuteneacuteration quil surpasse en

digniteacute et en puissance comme le Bien surpasse la reacutealiteacute (οὐσία) en digniteacute et en

puissance puisque cest du Bien que les choses connues procurent la digniteacute et la

puissance Sans cela elles ne peuvent venir agrave ecirctre encore moins ecirctre connues

Autrement dit le Bien est le principe de lecirctre

IV62 Fonction propre

Chaque chose a sa fonction ainsi le fait de ne pas connaicirctre sa fonction eacutequivaut agrave

dire que lon ne connaicirct pas la nature de cette chose par conseacutequent on ne peut pas

connaicirctre la raison decirctre de cette chose Mais parfois ou mecircme souvent la fonction

dune chose nest pas facile agrave saisir Par exemple agrave la fn du Pheacutedon Socrate dit ceci

laquo Criton nous devons un coq agrave Esculape Payez cette dette ne soyons pas

neacutegligents raquo2 Linterpreacutetation traditionnelle de cette fameuse phrase laquo est que Socrate

veut sacrifer un coq agrave ce dieu pour le remercier de lavoir gueacuteri de la vie raquo3 Voici le

propos de Nietzsche agrave propos de ce sacrifce socratique quelque peu eacutenigmatique

Je deacutesirerais quil se fucirct eacutegalement tu dans les derniers moments de sa vie - peut-ecirctre appartiendrait-il alors agrave un ordre des esprits encore plus eacuteleveacute Est-ce que ce fut la mort ou le poison la pieacuteteacute ou la meacutechanceteacute - quelque chose lui deacutelia agrave ce moment la langue et il se mit agrave dire laquo Oh Criton je dois un coq agrave Esculape raquo Ces laquo derniegraveres paroles raquoridicules et terribles signifent pour celui qui a des oreilles laquo Oh Criton la vie est une maladie raquo Est-ce possible Un homme qui a eacuteteacute joyeux devant tous comme un soldat mdash un tel homme eacutetait pessimiste Cest quau fond durant toute sa vie il navait fait que bonne mine agrave mauvais jeu et cacheacute tout le temps son dernier jugement son sentiment inteacuterieur Socrate Socrate a souffert de la vie Et il sen est vengeacute mdash avec ces paroles voileacutees eacutepouvantables pieuses et blaspheacutematoires Un Socrate mecircme eut-il encore besoin de se venger Manquait-il un grain de geacuteneacuterositeacute agrave sa vertu si riche - Heacutelas mes amis Il faut aussi que nous surmontions les Grecs 4

1 Ibid 509 a ndash b Trad par Luc Brisson (cf laquo Lapproche traditionnelle de Platon par HF Cherniss raquo New Image of Plato Dialogues on the Idea of the Good Sankt Augustin Academia Verlag 2002 p 86 ndash87 ou encore Platon Paris Cerf 2017 p 237)

2 Pheacutedon 118 a3 Ibid laquo Notes raquo ndeg 382 p 4084 Nietzsche Friedrich laquo sect340 Socrate mourant raquo Le gai savoir Les eacutechos du maquis Trad par Henri

Albert Eacutedition eacutelectrique 2011 p 178

202

Pour comprendre correctement la phrase de Socrate il faut comprendre la fonction

du coq et celle du dieu de la meacutedecine Agrave leacutegard de lactiviteacute humaine la fonction du

coq consiste agrave reacuteveiller des gens le matin tocirct agrave lheure preacutecise pour aller au travail

Socrate est reacuteveilleur des acircmes qui sendorment reacuteguliegraverement plus ou moins

longtemps dans lignorance en ce sens Socrate est un meacutedecin de lacircme Mais

pourquoi un sacrifce agrave Esculape le dieu de meacutedecine et non pas agrave un autre dieu La

fonction du dieu de la meacutedecine nest pas de gueacuterir les hommes des maladies ce qui

est la fonction des meacutedecins ou des gens dispenseacutes dune folie teacutelestique mais de

dispenser un don de meacutedecine aux gens Autrement dit la fonction dEsculape

consiste agrave veiller sur les meacutedecins et non pas sur les malades Cest pourquoi il est

senseacute sacrifer un coq agrave Esculape dune part car gracircce lui Socrate avait la chance

decirctre philosophe un meacutedecin de lacircme reacuteveilleur de lacircme ignorante dautre part

pour remercier le dieu afn quil envoie un autre meacutedecin de lacircme apregraves la mort de

Socrate Peut-ecirctre ceci avait-il eu lieu avant mecircme sa mort En effet la vie est sans

doute une maladie pour les gens dont lacircme souffre de douleurs cest la raison pour

laquelle ces gens ont geacuteneacuteralement besoin de se venger pour soulager leur jalousie

Or ni Socrate ni aucun vrai philosophe ne souffrent de la douleur de lacircme

La question se pose ainsi existe-t-il la fonction du mal celle de lignorance ou celle

de la douleur de lacircme Par deacutefnition il ne peut y en avoir car le mal est mal parce

quil est deacutepourvu de toute fonction En dautres termes il y a deux sortes dactiviteacute

les activiteacutes au service dune fonction cest-agrave-dire au service du Bien et celles

deacutepourvues de fonction cest-agrave-dire celles qui ne participent nullement au Bien Mais

tregraves souvent un acte est composeacute plus ou moins dune part de bien et dune part de

mal Cela donne parfois limpression que le mal pourrait mener au bien ou

inversement une confusion de choses conduit facilement agrave une confusion de

jugement Par exemple le fait de renverser le dictateur libyen Kadhaf semblait ecirctre agrave

la fois une bonne et mauvaise chose car il est juste de faire disparaicirctre la dictature

mais il nest pas juste de faire une guerre injuste cest dailleurs une des leccedilons

dAlcibiade faire une guerre juste

IV63 Eacuteducation

Leacuteducation nest pas seulement un programme elle est une reacutealiteacute humaine comme

le π est une reacutealiteacute du cercle sans le π on ne peut faire un cercle juste De mecircme

sans eacuteducation eacutethiquement et politiquement on ne peut eacutechapper agrave lignorance et

203

par conseacutequent agrave ecirctre injuste Pour bien deacutevelopper la citeacute on a besoin des

matheacutematiques de la meacutedecine des sciences naturelles de lastronomie et toutes les

autres disciplines particuliegraveres qui remplient le programme de leacuteducation Mais

laquo cest dans une tout autre perspective non plus individuelle mais civique que dans

l a Reacutepublique et dans les Lois Platon envisage leacuteducation raquo1 Eacuteduquer cest eacutelever

lacircme En effet une bonne loi nempecircche pas linciviliteacute et linjustice si lacircme est mal

eacuteduqueacutee et domineacutee par le vice Agrave linverse une mauvaise loi nengendre pas

neacutecessairement linciviliteacute et linjustice si lacircme est bien eacuteduqueacutee et saccorde au Bien

Cela eacutetant eacutelever lacircme vers le Bien doit ecirctre le principe du programme de

leacuteducation Autrement dit aspirer au savoir doit ecirctre le fondement de leacuteducation et

commencer degraves lacircge eacuteducatif Y a-t-il un acircge de laspiration au savoir A priori non

car lacircme na ni le sexe ni lacircge En effet la philosophie ne trouve sa place quagrave la

classe terminale cela montre queacutelever lacircme par la science de ce qui est nest pas une

prioriteacute dans leacuteducation

Le livre VII de la Reacutepublique commence par le ceacutelegravebre mythe de la caverne qui est

preacuteceacutedeacute par cette phrase laquo En bien apregraves cela dis-je compare notre nature

consideacutereacutee sous langle de leacuteducation agrave la situation suivante raquo2 La vie commune

sans eacuteducation est une vie de la caverne ougrave la grande majoriteacute de gens vivent dans

lombre ils sont entraicircneacutes les cous ligoteacutes les acircmes manipuleacutees par un petit nombre

de gens qui savent utiliser la lumiegravere dun feu pour creacuteer des illusions Autrement

dit la citeacute sans eacuteducation est une caverne lindividu sans eacuteducation est un

prisonnier Cest pourquoi leacuteducation est un fondement eacutethique et politique car

leacuteducation permet de rendre lacircme du citoyen excellente et par conseacutequent de

rendre la citeacute harmonieuse Encore faut-il que leacuteducation se fonde sur le Bien comme

principe

IV7 Conclusion

Le terme τέχνη et dautres noms de meacutetiers comme lart de tisser (ὑφαντική) de

jouer (αὐλητική) de naviguer (κυβερνητική) ou encore de la meacutedecine (ἰατρική)

sont abondamment preacutesents dans les dialogues platoniciens Mais nous avons

examineacute la techniques comme opinion et comme utiliteacute En effet il y a trois sortes de

technique agrave savoir 1 la technique conjecturale cest-agrave-dire sans recours agrave la mesure

ni aux outils de mesure la lutte ou lart de jouer la fucircte par exemple comme si la

1 Dictionnaire Platon Ellipses p552 Reacutepublique VII 514 a

204

technique eacutetait opinion 2 La technique plus scientifque cest-agrave-dire recours agrave

lexactitude au moyens des outils de mesure il sagit principalement des

matheacutematiques comme la construction par exemple Dans ce cas-lagrave il faut distinguer

deux choses agrave savoir la technique proprement dite et les disciplines scientifques

dont la technique a besoin pour ameacuteliorer sa techniciteacute pour lesquelles le technicien

nen a pas de compeacutetence 3 la technique externaliseacutee en machine dans ce cas-lagrave le

fait dutiliser la machine relegraveve dune autre technique Toute technique a son utiliteacute

particuliegravere dont la performance deacutepend de la connaissance en la matiegravere de la

sensation de la pratique mais aussi du temps qui peut rendre danciennes

techniques ou des machine-outils inutiles

La doctrine politique telle quelle est exposeacutee dans la Reacutepublique semble simple agrave

savoir la citeacute est une image du monde intelligible et par conseacutequent dune part la

politique doit faire laquo reacutefeacuterence agrave un systegraveme de valeurs universelles et immuables raquo1

et dautre part les dirigeants doivent ecirctre impeacuterieux de justice tout en eacutetant hors de

toute compeacutetition et deacutepourvus de richesses Il faut bien distinguer entre la

Reacutepublique et la politique comme il faut bien distinguer entre lintelligible et le

sensible entre le modegravele et ses images La Reacutepublique est destineacutee agrave ecirctre lue pour

gouverner la citeacute comme le deacutemiurge a fabriqueacute lunivers en regardant les formes

intelligibles Autrement dit la Reacutepublique est la science de ce qui est sur laquelle doit

se fonder la politique Sans une telle distinction on risque ineacutevitablement de

confondre les reacutealiteacutes intelligibles et les reacutealiteacutes politiques cest-agrave-dire historiques

De la connaissance des reacutealiteacutes sensibles agrave la connaissance des reacutealiteacutes intelligibles le

parcours est long diffcile mais beacuteneacutefque Long parce que dune part la

connaissance humaine avance de maniegravere progressive par exemple de la geacuteomeacutetrie

euclidienne agrave la geacuteomeacutetrie carteacutesienne presque deux mille ans eacutecouleacutes dautre part

le monde sensible coloreacute fguratif et tangible est plus seacuteduisant que laquo lecirctre qui est

sans couleur sans fgure et intangible raquo2 le sensible reacuteduit le courage de chercher et

dapprendre Diffcile parce que dune part le chemin entre le sensible et lintelligible

est vertical alors que lhomme marche horizontalement dautre part le sensible et

lintelligible sont seacutepareacutes alors que lhomme est une union de deux parties lacircme et le

corps ainsi il na ni la capaciteacute de marcher verticalement sans avoir recours agrave un

certain moyen la dialectique par exemple dont nous parlerons dans le chapitre VI

1 Brisson Luc Platon Paris Cerf 2017 p 1692 Phegravedre 247 c

205

laquo La dialectique raquo ni lhabitude de la seacuteparation dont la solitude peut ecirctre bien

diffcile agrave supporter Beacuteneacutefque parce quil sagit dun voyage vers lecirctre vers le Bien

gracircce agrave lἐπιστμήμη

206

Ch V La vertu209V1 Sens de lἀρετή210

V11 Excellence sans connotation eacutethique210V12 Excellence technique et eacutethique211V13 Excellence de lacircme212

V2 La justice213V21 La justice et les sophistes215

V211 Luniteacute des vertus215V212 La justice et le bonheur216V213 Deacutepassement de lopposition entre la nature et la loi218

V22 La justice et la tacircche propre219V221 Lexcellence et la fonction propre220V222 La justice et leacuteducation221V223 La justice est lexcellence de toutes les fonctions223

V23 La Justice et la citeacute224V231 Les enfants et les femmes225V232 La citoyenneteacute226V233 Luniteacute de la citeacute230

V3 La tempeacuterance233V31 La loi lunivers et le divin235

V311 La puissance du savoir divin236V312 Eacuteteindre la deacutemesure238V313 Mythe dEr240

V32 Principes cosmologiques242V321 La proportion242V322 La hieacuterarchie244V323 Lharmonie245

V33 Le discours la justice et la tempeacuterance246V331 La loi comme discours247V332 La loi comme distribution de lintellect249

V4 Le courage251V41 Reacutesister agrave la peur252

V411 La peur de la mort254V412 La peur de la veacuteriteacute256

V42 Reacutesister aux deacutesirs et aux plaisirs257V5 Conclusion259

207

Ch V La vertu

Si la vertu est science pourquoi parlons-nous encore de la science dont nous venons

de terminer lexamen En effet la science est du cocircteacute de lecirctre en soi (τὸ ὄν ou τὸ

εἶναι) la vertu est du cocircteacute de lecirctre (εἶναι) cest-agrave-dire du cocircteacute de leacutethique soit deux

faccedilons de voir la mecircme chose lune nommeacutee lἐπιστήμη lautre lἀρετή qui est agrave la

fois ontologique et eacutethique Ontologique car le degreacute le plus eacuteleveacute de lexcellence est

lecirctre ontologique cest-agrave-dire laquo ce qui est purement et simplement ecirctre raquo1 Eacutethique

car lexcellence de lacircme humaine a pour nom la vertu Il sagit agrave deux reprises de

connaicirctre ce qui est Nous devrions eacutetudier dabord la vertu ensuite la science En

effet dans les premiers dialogues il sagit principalement de questions concernant la

vertu et non pas de la science de ce qui est Dailleurs la Reacutepublique commence par des

questions sur la vertu Comme si ceacutetait de la vertu queacutetait neacutee la science et que la

vertu serait en quelque sorte la megravere de la science La flle est toujours plus belle que

la megravere cest pourquoi nous avons dabord preacutesenteacute la flle et delle nous remontons

vers la megravere comme si la flle preacutesentait la megravere pour montrer que toute la beauteacute de

la flle vient de la megravere En tout cas cest ce que fait Platon lui-mecircme il nous preacutesente

Socrate sans se mettre lui-mecircme en avant comme si toute sa splendeur venait de

Socrate

Le substantif laquo vertu raquo traduit lἀρετή qui exprime agrave la fois lexcellence (dune chose)

et la vertu (de lacircme)2 mais elle signife aussi la nature dune responsabiliteacute dans la

citeacute3 Un brigand peut bien exceller dans sa briganderie mais en aucun cas il nest

vertueux Un couteau est fait pour couper et son excellence est donc la lame ou plus

exactement en cet endroit quest la lame se trouve lexcellence du couteau Mais cette

excellence peut bien ecirctre utiliseacutee pour assassiner et elle se manifeste aussi

parfaitement dans la cuisine que dans lassassinat puisquil sagit de sa fonction

propre agrave savoir couper En effet lἀρετή peut avoir trois niveaux de signifcation 1

Lexcellence dune chose relegraveve de la fonction propre de cette chose 2 La maicirctrise de

1 Cest-agrave-dire τὸ εἰλικρινῶς ὄν Reacutepublique V 4772 Par exemple dans les deux pages 353 et 354 du livre I de la Reacutepublique lἀρετή deacutesigne lexcellence

dune chose mais dans le livre IV elle deacutesigne la vertu3 Par exemple la citeacute exige aux producteurs decirctre 1 justes et 2 tempeacuterants aux guerriers decirctre 1

justes 2 tempeacuterants et 3 courageux aux philosophes 1 justes 2 tempeacuterants 3 courageux et 4 sages Cf Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon Parisi Vrin 2005 pp 25 ndash 41 particuliegraverement p 27

209

cette excellence constitue une autre fonction propre qui a pour but lusage correct de

cette excellence relegraveve du professionnalisme 3 Le bon usage de cette excellence ce

qui relegraveve de leacutethique En effet lexcellence dune chose est le reacutesultat dune

production soit par un dieu (lexcellence poeacutetique dHomegravere par exemple) soit par la

nature soit par les ecirctres humains ou encore par dautres mortels (le nid est sans

doute une forme dexcellence) mais toute excellence ne se manifeste pas si elle nest

pas au service Agrave linverse elle se manifeste parfaitement lorsquelle est au service

dans sa fonction propre Cest dans cette triple perspective que nous deacuteveloppons ce

chapitre

V1 Sens de lἀρετή

Dans les dialogues platoniciens le sens de lἀρετή est multiple mais assez structureacute

Dabord il signife lexcellence dune chose sans connotation eacutethique ensuite avec une

contrainte eacutethique et enfn en tant que science

V11 Excellence sans connotation eacutethique

Les yeux sont faits pour voir voir est la fonction propre des yeux mais cette fonction

propre nempecircche nullement que lon voit une mauvaise chose Les oreilles sont

faites pour entendre entendre est la fonction propre des oreilles mais elles entendent

les mauvaises paroles aussi bien que les bonnes paroles

Socrate Mais voilagrave est-ce que les yeux pourraient accomplir convenablement leur fonction propre sils eacutetaient deacutepourvus de leur excellence propre et quagrave la place de lexcellence ils aient le deacutefaut

Thrasymaque Comme est-ce possible dit-il Tu fais sans doute allusion au fait quau lieu de proceacuteder la vision ce serait la ceacuteciteacute

Socrate Peu importe ce quest leur excellence dis-je Ce nest pas lobjet particulier de mon questionnement mais je demande plutocirct si cest gracircce agrave son excellence propre que ce qui est doteacute dune fonction propre accomplit bien ses œuvres ou si cest par le deacutefaut quil laccompli mal 1

Lexcellence des yeux est la pupille ou plutocirct se trouve dans la pupille 2 Si la pupille a

un deacutefaut on voit mal Cest lagrave que reacuteside la diffeacuterence entre lexcellence du corps et

lexcellence de lacircme ce nest pas parce quon voit mal quon est mauvais et laid ni

non plus quon voit bien quon est neacutecessairement bon et beau Exemple

Socrate Mais encore ne pourrait-tu tailler le sarment de vigne avec un coutelas une hachette et beaucoup dautres outils

1 Reacutepublique I 353 b ndash c2 Voir Alcibiade 133 b

210

Thrasymaque Pourquoi pas

Socrate Mais aucun je pense ne ferait le travail aussi bien quune serpette faite expregraves pourcette tacircche

Thrasymaque Cest vrai

Socrate Nadmettons-nous pas degraves lors que cest lagrave la fonction propre de la serpette 1

Mais avec cette excellente serpette on peut bien mal tailler un sarment lexcellence

de la serpette ne peut garantir la qualiteacute de la taille Mecircme si un viticulteur possegravede

une excellente serpette et une excellente technique de taille cela ne pourrait pas

lempecirccher de produire le vin avec malhonnecircteteacute Le controcircle rigoureux et la sanction

seacutevegravere de lautoriteacute en la matiegravere montrent que la fraude est toujours preacutesente Dans

le cas opposeacute un viticulteur peut bien tailler les sarments avec un coutelas cest sans

doute moins effcace peut-ecirctre mecircme un peu peacutenible mais cela nempecircche pas non

plus quil produise du bon vin agrave un prix tout agrave fait correct Cela dit lexcellence

technique est dissocieacutee de la vertu cest-agrave-dire de lexcellence morale parce que la

fonction propre en question est simplement technique

V12 Excellence technique et eacutethique

Dans le cas du pilotage de navire lexcellence technique du pilote est inseacuteparable de

la reacutefexion car deacutepourvu de reacutefexion il peut causer du tort agrave son eacutequipage et par

conseacutequent mettre en peacuteril de son navire

Socrate Et sur un navire si un passager avait la liberteacute de faire ce que bon lui semble en eacutetant priveacute de lintellect et de lexcellence du pilote ne vois-tu pas ce qui lui arriverait agrave luicomme agrave ses compagnons

Alcibiade Agrave mon avis ils peacuteriraient tous

Socrate De la mecircme maniegravere dans une citeacute comme dans tout pouvoir et dans toute liberteacute daction labsence dexcellence ne conduit-il pas agrave mal agir 2

Ici laquo mal agir raquo a une valeur eacutethique Pourquoi Car le pouvoir de commander aux

autres est un pouvoir sur lacircme des autres laquo Et tant quon ne possegravede pas lexcellence

mieux vaut non seulement pour un enfant mais aussi pour un homme obeacuteir agrave un

meilleur que soi de commander raquo3 Or

Ce que je sait en revanche cest que commettre linjustice cest-agrave-dire deacutesobeacuteir agrave qui vaut mieux que soi dieu ou homme est un mal une honte4

Autrement dit commettre une injustice eacutequivaut agrave ne pas laisser celui qui est

1 Reacutepublique I 352 e ndash 353 a2 Alcibiade 135 a ndash b3 Ibid 135 b4 Apologie 29 b

211

meilleur que soi agrave commander Cest eacutevidemment une question eacutethique cest-agrave-dire

deacutevalution rationnelle de la morale est-ce que lautre est meilleur que soi en

matiegravere de commandement Il sagit lagrave dune eacutevaluation faite par soi-mecircme et non

par dautres et encore moins par ceux qui se trouvent sous son commandement On

voit bien que la κυβερνητική comme ce que le composition du mot indique mdash lart

(+τική) de gouverner ou de piloter (κυβερνᾶν) mdash relegraveve du domaine de la technique

mais avec une exigence eacutethique aussi importante quune exigence technique car

gouverner consiste avant tout agrave gouverner les autres acircmes Cela eacutetant lart de piloter

nest pas simplement une technique mais est bien connoteacute par une valeur eacutethique

mecircme si le pilote ne devient pas pour autant sage (σοφός) puisque le sage ne

possegravede aucune compeacutetence particuliegravere

V13 Excellence de lacircme

Dans le premier cas il sagit dune excellence simplement technique sans connotation

eacutethique Dans le second cas lart de piloter est eacutethiquement connoteacute sans pour autant

que le pilote ne devienne sage cest parce que laquo le vrai pilote doit neacutecessairement se

soucier du temps des saisons du ciel des astres des vents et de tous eacuteleacutements qui

ont de limportance dans lexerce de son art raquo1 On peut imaginer que toutes ces

compeacutetences empecircchent sans doute le pilote de se soucier de sa propre acircme et de son

excellence cest-agrave-dire de la vertu qui na rapport avec aucune technique puisque

lexcellence de lacircme (ἀρετή) deacutesigne lintellect qui est la faculteacute de connaicirctre ce qui

est En ce sens la vertu lintellect (νοῦς) et la science (ἐπιστήμη) sont synonymes

Ainsi faire lusage constant de lintellect revient agrave posseacuteder lexcellence de lacircme de

lagrave se manifeste le paradoxe socratique la vertu est science

Selon les quatre eacutetats de lacircme (τέτταρα παθήματα ἐν τῇ ψυχῇ2) telles quelles sont

preacutesenteacutees agrave la fn du livre VI et au milieux du livre VII agrave savoir la repreacutesentation la

croyance la penseacutee et lintellection la question se pose y a-t-il une excellence de

chacun de ces quatre eacutetats Le terme παθήματα deacutesigne les proprieacuteteacutes (δυνάμεις)

des reacutealiteacutes sensibles gracircce agrave ces proprieacuteteacutes la sensation dune reacutealiteacute sensible peut se

produire en corps et ecirctre transmise agrave lacircme3 Les quatre παθήματα correspondent en

effet aux quatre types dactiviteacutes de lacircme lesquelles consistent agrave remontrer la

sensation jusquagrave lintellect Comme il sagit dactiviteacute il existe neacutecessairement

1 Reacutelublique VI 488 d2 Ibid VI 511 d3 Cf Timeacutee laquo Notes raquo ndeg 266 p 143 ndeg 526 p 263

212

lexcellence dune activiteacute voici la correspondance entre les quatre activiteacutes et les

quatre excellences de lacircme

quatre activiteacutes repreacutesentation croyance penseacutee intellection

quatre vertus juste tempeacuterant courage sagesse

En dautres termes lorsquil sagit de repreacutesentation il est neacutecessaire decirctre juste sans

quoi la sensation ne peut remonter jusquagrave lintellect afn de saisir les reacutealiteacutes

veacuteritables de mecircme pour la croyance la penseacutee et lintellection

V2 La justice

Le terme laquo justice raquo traduit les deux termes δίκη et δικαιοσύνη leur apparition dans

le corpus platonicien est assez caracteacuteristique voici le tableau pour lillustrer1

Les dialogues de jeunesse de maturiteacute de vieillesse

δίκη δικαιοσύνη δίκη δικαιοσύνη δίκη δικαιοσύνη

ApologieCritonHippias minHippias majIonAlcibiadeLachegravesProtagorasMeacutenexegraveneEuthyphronGorgiasCharmideMeacutenonLysisEuthydegraveme

45010006118460000

034302223101601100

CratyleBanquetPheacutedonReacutepublique IReacutep IIReacutep IIIReacutep IVReacutep VReacutep VIReacutep VIIReacutep VIIIReacutep IXReacutep XPhegravedreParmeacutenideTheacuteeacutetegravete

21101511503024704

1444343229451228311

SophistePolitiquePhilegravebeTimeacuteeCritiasLois ILois IILois IIILois IVLois VLois VILois VIILois VIIILois IXLois XLois XILois XII

100544125617263992722

30100420000002102

Premiegravere remarque la δίκη se concentre particuliegraverement dans lEuthyphon dans le

Gorgias dans les Lois VI IX XI et XII Deuxiegraveme remarque la δικαιοσύνη se

concentre dans le Protagoras dans le Gorgias dans la Reacutepublique I II et IV Troisiegraveme

remarque dans la Reacutepublique la δίκη est presque neacutegligeable par contre dans les

Lois la δικαιοσύνη est presque absente Pourquoi y a-t-il une telle diffeacuterence de

distribution caracteacuteriseacutee de ces deux termes particuliegraverement contrasteacutee entre la

Reacutepublique et les Lois Cest probablement parce que leur fondement est diffeacuterent La

justice (δικαιοσύνη) dans la Reacutepublique se fonde sur la science (ἐπιστήμη) tandis que

1 Cf laquo Annexe δίκη δικαιοσύνη raquo pour les deacutetails

213

la justice (δίκη) dans les Lois se fonde sur la loi (νόμος) Toutefois cela revient au

mecircme car comment peut-on faire une bonne loi sans la science1 Mais dans la

pratique les deux termes sont tregraves diffeacuterents le fait de ne pas respecter la loi sera

jugeacute par les juges et recevra un chacirctiment approprieacute tandis que le fait de mal reacutealiser

sa tacircche propre est certes injuste mais pas sanctionneacute par la loi plutocirct reprocheacute par

lopinion par la socieacuteteacute ou encore par les autoriteacutes morales (les parents les anciens

les maicirctres les sages etc) Voici la distribution de ces deux termes ἐπιστήμη et νόμος

dans la Reacutepublique et dans les Lois

Lois νόμος ἐπιστήμη νόμος ἐπιστήμη Reacutepublique

I II III IV V VI VII VIII IX X XI XII

401234572345584976326142

201000001001

26181454654

6222212811034

I II III IV V VI VII VIII IX X

Le tableau montre que la science est quasiment absente dans les Lois2 cela semble

confrmer notre interpreacutetation En revanche le terme νόμος est bien preacutesent dans la

Reacutepublique3 mais il nest pas lobjet de la Reacutepublique cependant il est agrave lorigine de la

recherche dune science de ce qui est

Socrate [hellip] Mais quand il sagit des gardiens des lois et de la citeacute qui paraissent tels sans lecirctre tu vois bien quils peuvent deacutetruire toute la citeacute de fond en comble tout comme ils sont par ailleurs les seuls capables de saisir loccasion de la bien gouverner et de lui procurer du bonheur[hellip]4

1 laquo Dans la tradition la δίκη cest la justice telle quelle se manifeste avant tout dans le jugement dans la condamnation dans lexeacutecution et elle est rattacheacutee agrave lαἰδώς qui se reacutefegravere agrave lopinion publique dont elle apparaicirct souvent comme la contrepartie comme devoir du sujet agrave leacutegard de soi-mecircme raquo (Dictionnaire Platon Paris Ellipses 2007 p 81)

2 Lois I ἐπιστήμην (639 b) ἐπιστήμην (639 b) III ἐπιστήμαις (689 b) IX ἐπιστήμης (875 c) XI ἐπιστήμων (933 c) XII ἐπιστήμην (968 e)

3 Reacutepublique I νόμους (338 e) νόμους (339 c) II νόμους (359 a) νόμου (359 a) νόμων (365 e) νόμου (380 c) νόμων (380 c) νόμοις (383 c) III νόμοις (415 e) IV νόμων (421 a) νόμων (424 c) νόμους(424 e) νόμων (425 e) νόμων (427 a) νόμου (429 c) νόμους (430 a) νόμων (445 e) V νόμος (451 b) νόμου (452 c) νόμου (453 d) νόμον (456 c) νόμου (457 b) νόμος (457 c) νόμοις (458 c) νόμος (461 b) νόμος (461 e) νόμους (462 a) νόμος (463 d) νόμος (465 a) νόμων (465 b) νόμον (471 b) VI νόμους (484 b) νόμους (497 d) νόμους (501 a) νόμους (502 b) νόμων (504 c) VII νόμου (531 d) νόμος (532 a) νόμον (532 d) νόμοις (541 a) VIII νόμον (548 b) νόμους (550 d) νόμον (551 a) νόμον (556 a) νόμος (557 e) νόμων (563 d) IX νόμων (571 b) νόμοις (574 e) νόμου (587 a) νόμον (587 c) νόμος (590 e) X νόμος (604 a) νόμος (604 b) νόμος (604 b) νόμου (607 a)

4 Ibid IV 421 a

214

Qui sont laquo les gardiens des lois et de la citeacute raquo sinon les philosophes Autrement dit

dans la Reacutepublique la justice est science cela est mecircme eacutenonceacute vers la fn du livre I

laquo la justice est vertu et sagesse (σοφία) raquo1 ce qui est tout agrave fait platonicien agrave savoir

que la justice est le fondement de la loi et de la citeacute la science est le fondement de la

politique

V21 La justice et les sophistes

Trois entretiens de Socrate avec des sophistes concernent particuliegraverement la justice

agrave savoir le Protagoras le Gorgias et le live I de la Reacutepublique Concernat la section

laquo III122 Rien de trop et Protagoras raquo nous avons deacutejagrave analyseacute la conception de la

justice exposeacutee par Protagoras sous forme de mythe et de discours dans le dialogue

qui porte son nom Dans la section laquo IV42 Conception progressiste raquo nous avons

eacutegalement analyseacute la conception de la justice exposeacutee par Thrasymaque dans le livre

I de la Reacutepublique Nous avons montreacute que leur conception de la justice est plus ou

moins eacutelaboreacutee du moins que ce nest pas un coup de sensation mais quils

deacutefendaient mal leur thegravese parce quils neacutetaient pas dialecticiens Ici nous ne

revenons plus agrave lanalyse de leur conception de la justice mais nous nous inteacuteressons

agrave la suite de leur entretien avec Socrate afn de voir plus clairement la nature de la

vertu

V211 Luniteacute des vertus

Luniteacute des vertus est lun des cinq principaux paradoxes socratiques2 La vertu est

science la vertu est une uniteacute ces deux affrmations sont deacutejagrave explicites dans le

Protagoras mais Socrate et Protagoras narrivent pas agrave se mettre daccord sur la nature

de la science et celle de luniteacute3 Pour Socrate la vertu est science mais elle ne

senseigne pas Agrave lopposeacute Proragoras pense quelle senseigne mais elle nest pas

science4 De mecircme sur luniteacute des vertus pour Protagoras luniteacute se compose des

parties comme le visage qui se compose du nez des oreilles de la bouche des yeux

En revanche pour Socrate luniteacute des vertus nest pas composeacutee comme une forme

1 Ibid I 350 d2 Agrave savoir laquo 1 la vertu est une connaissance 2 personne ne fait le mal volontairement 3 les

vertus constituent une uniteacute 4 il vaut mieux subir linjustice que la commettre 5 il ne faut jamais reacutepondre agrave linjustice par linjustice ni faire du mal agrave autrui pas mecircme agrave celui qui nous enaurait raquo Cf Dorion Louis-Andreacute laquo Les paradoxes socratiques raquo Socrate Paris PUF 2006 [2004] pp 76 ndash 89

3 Cf OBrien Denis laquo Socrates and Protagoras on Virtue raquo Oxford Studies in Ancient Philosophy 24 2003 p 59 ndash 131

4 Protagoras 330 b

215

intelligible En tout cas luniteacute des vertus et luniteacute de la forme intelligible sont de

mecircme nature comme le jour dans le Parmeacutenide ou lor dans le Protagoras1 Quelle est

la diffeacuterence entre le visage et lor en terme de nature En effet si lon divise le

visage en quatre parties nous trouvons les oreilles le nez les yeux et la bouche Ces

quatre organes des sens sont fonctionnellement et structuralement diffeacuterents chacun

a un nom diffeacuterent une fonction diffeacuterente et une forme diffeacuterente Par ailleurs si

lon divise un lingot dor en mille morceaux leur nom leur fonction et leur structure

sont strictement identiques comme si lor eacutetait indivisible quand bien mecircme il est

physiquement divisible Reste agrave savoir comment expliquer la diffeacuterence des vertus

avec la repreacutesentation de lor Puisquon a diffeacuterentes vertus et que chacune a un

nom diffeacuterent la justice la tempeacuterance le courage la sagesse pour ne citer que ces

quatre vertus dites cardinales En effet un or peut servir agrave fabriquer une bague une

statuette un pendentif une piegravece de monnaie ou autres choses tout en restant or

Pourtant le nom de ces œuvres est diffeacuterent parce que leur fonction est diffeacuterente

une piegravece de monnaie en or na pas la mecircme fonction quune bague en or Cest

exactement la mecircme chose pour les vertus qui portent chacune un nom diffeacuterent tout

en restant identiques

V212 La justice et le bonheur

Lassociation entre la justice et le bonheur est eacutevoqueacutee pour la premiegravere fois dans la

Reacutepublique par Thrasymaque sous ces termes

Et tu [Socrate] as fait tellement de progregraves dans la connaissance du juste et de la justice de linjuste et de linjustice que tu ignores que la justice et le juste constituent en reacutealiteacute le bien dun autre cest linteacuterecirct du plus fort et de celui qui dirige et que ce qui revient en propre agrave celui qui obeacuteit et qui sert cest le dommage que linjustice est le contraire quelle commande agrave ceux qui sont authentiquement moraux et justes que les subordonneacutes contribuent agrave linteacuterecirct de celui qui est le plus fort quils font son bonheur (εὐδαίμονα) en eacutetant agrave son service mais quil ne font aucunement leur propre bonheur2

1 Dans le Protagoras pour Socrate luniteacute des vertus est agrave la maniegravere de lor Dans le Parmeacutenide agrave propos de la participation agrave la Forme Socrate pense que laquo cest agrave la maniegravere du jour raquo (131 b) alors que la position de Parmeacutenide est similaire agrave celle de Protagoras agrave savoir que le tout est la totaliteacute des parties Tandis que la position de Socrate dans les deux dialogues est identique luniteacute est non-composeacutee Pourtant si on en croit la chronologie des dates de composition des dialoguesplatoniciens celle du Protagoras se situe avant 388387 (premier voyage de Platon en Sicile cf Lachegraves laquo Introduction raquo p 23) et celle du Parmeacutenide laquo peu danneacutees apregraves 370 raquo (Parmeacutenide laquo Introduction raquo 14) cela eacutetant plus de vingt ans deacutecart seacutetant eacutecouleacutes entre ses deux dialogues lapenseacutee meacutetaphysique de Socrate (lun pur) semblerait ne pas changer

2 Reacutepublique I 343 b ndash d Dans le livre III Socrate reproche aux poegravetes de laquo commettre les plus grandes erreurs raquo en avanccedilant que laquo nombreux sont ceux qui sont heureux tout en eacutetant injustes quil y a des justes malheureux que linjustice est proftable pour peu quelle demeure cacheacutee et quau contraire la justice constitue un bien pour autrui mais un dommage pour soi-mecircme raquo (492 b)

216

Pour Thrasymaque le bonheur est lieacute agrave la possession de la richesse alors que pour

Timeacutee le bonheur est la participation agrave limmortaliteacute1 Les termes qui se constituent agrave

partir dlaquo εὐδαίμον raquo sont relativement bien preacutesent dans les dix livres de la

Reacutepublique (tregraves regroupeacutes dans le livre IV)2 Au fond pour Thrasymaque ce sont les

injustes les plus forts puisque ce sont eux qui commandent en reacutealiteacute aux gens qui

sont authentiquement moraux et justes et comme ils en proftent le plus possible

pour senrichir en eacutetant injustes ils seraient plus heureux que les justes Il sagit lagrave

dune conception du bonheur fondeacutee sur les biens exteacuterieurs cest-agrave-dire les biens

particuliers se rapportant en veacuteriteacute au corps et non agrave lacircme Si ceacutetait vraiment comme

ce que Thrasymarque venait de dire cela signiferait quil ne sagit pas dune citeacute

juste Une citeacute juste doit ecirctre neacutecessairement gouverneacutee par la justice en tant que

science puisque la connaissance de la justice en soi relegraveve de la science et par

conseacutequent une citeacute juste doit ecirctre une citeacute ougrave la justice la rend heureuse tout entiegravere

Socrate [hellip] Nous affrmons en effet quil ny aurait rien deacutetonnant agrave ce que ces hommes soient dans ces circonstances tout agrave fait heureux et que nous neacutetablissons pas cette citeacute enayant pour seule perspective quun groupe unique soit chez nous exceptionnellement heureux mais bien la citeacute tout entiegravere autant que possible Nous avons penseacute en effet que cest dans une telle citeacute que nous trouverions vraiment la justice et agrave linverse que nous trouverions linjustice dans la citeacute eacutetablie de la pire faccedilon de sorte quen les examinant de pregraves nous pourrions porter un jugement sur ce que nous recherchons depuis si longtemps3 [hellip]

La justice procure du bonheur agrave la citeacute linjustice lui procure du malheur4 agrave

condition que les gardiens de la loi et de la citeacute soient capables de bien gouverner la

citeacute et de lui procurer du bonheur5 laquo Bien gouverner raquo procure du bonheur agrave la citeacute

1 Voir Timeacutee 90 c2 Reacutepublique I εὐδαίμονα (343 c) εὐδαιμονέστατον (344 a) εὐδαίμονες (344 b) εὐδαιμονέστεροί

(352 d) εὐδαίμονα (354 a) II εὐδαιμονέστερος (361 d) εὐδαιμονίζειν (364 a) εὐδαιμονίας (365 c) εὐδαιμονήσειν (365 d) III εὐδαίμονες (392 b) εὐδαίμονα (395 e) IV εὐδαίμονας (419 a) εὐδαίμονες (420 a) εὐδαιμονέστατοί (420 b) εὐδαίμονα (420 c) εὐδαιμονίαν (420 d) εὐδαιμονῇ (420 e) εὐδαιμονεῖν (421 a) εὐδαίμονας (421 b) εὐδαιμονία (421 b) εὐδαιμονίας (421 c) εὐδαίμονα (427 d) V εὐδαιμονίζονται (465 d) εὐδαίμονας (465 e) εὐδαιμονεστάτην (466 a) εὐδαιμονίας (466 b) εὐδαιμονίας (472 c) εὐδαιμονήσειεν (473 e) VI εὐδαιμονήσειε (500 e) VII εὐδαιμονίζειν (516 c) εὐδαιμονίσειεν (518 b) εὐδαίμονα (521 a) εὐδαιμονέστατον (526 e) εὐδαιμονήσειν (541 a) VIII εὐδαιμονέστατος (544 a) εὐδαιμονίας (545 a) εὐδαιμονίαν (566 d) IX εὐδαιμονίᾳ (576 c) εὐδαιμονίας (576 d) εὐδαιμονεστέρα (576 e) εὐδαιμονίας (577 b) εὐδαιμονίᾳ (580 b) εὐδαιμονίᾳ (580 b) εὐδαιμονέστατον (580 b) X εὐδαιμονέστεροι (606 d)εὐδαιμονέστατος (619 b) εὐδαιμονεῖν (619 e)

3 Reacutepublique IV 420 b ndash c4 Voir Theacuteeacutetegravete 175 c5 Voir Reacutepublique IV 421 a laquo Si ce sont en effet des savetiers qui deviennent meacutediocres et se

corrompent et preacutetendent remplir leur fonction sans ecirctre ce quil preacutetendent cela na rien de bon pour une citeacute Mais quand il sagit des gardiens de la loi et de la citeacute qui paraissent tels sans lecirctre tu vois bien quils peuvent deacutetruire toute la citeacute de fond en comble tout comme ils sont les seuls capables de saisir loccasion de la bien gouverner et de lui procurer du bonheur raquo

217

Dans lAlcibiade (134 a -d) le Gorgias (508 b ndash c) le Pheacutedon (82 a - b) et le Phegravedre (250 b

ndash c) le bonheur deacuterive de la justice (δκαιοσύνη) et de la tempeacuterance (σωφροσύνη)

autrement dit si lon veut que la citeacute baigne tout entiegravere dans le bonheur il faut dune

part que tous ses habitants soient justes et tempeacuterants et dautre part quelle soit

gouverneacutee par la science (ἐπιστήμη) puisque la connaissance des reacutealiteacutes en soi

relegraveve de la science En effet il y a deux faccedilons dacceacuteder au bonheur cest-agrave-dire de

posseacuteder la justice et la tempeacuterance 1 Par la pratique

Mais reprit Socrate mecircme si on ne considegravere que ces gens-lagrave les plus heureux ceux qui sachemineront vers le meilleur ne sont-ils pas ceux qui auront cultiveacute la vertu publique et sociale celle quon appelle modeacuteration et aussi bien justice (σωφροσύνην τε καὶ δκαιοσύνην) vertu qui naicirct de lhabitude et de lexercice sans que la philosophie et lintelligence (φιλοσοφίας τε καὶ νοῦ) y aient part 1

La philosophie et lintelligence ne sont pas donneacutees agrave tout le monde mais seulement

agrave laquo un petit nombre decirctres humains raquo2 Heureusement on peut bien cultiver la justice

et la tempeacuterance par lhabitude et par lexercice mais pour cela il faut commencer par

la formation cest-agrave-dire leacuteducation car il est diffcile par exemple de pratiquer la

gymnastique sans maicirctre et de prendre une bonne habitude sans savoir ce quelle

est 2 Dougrave la neacutecessiteacute de faire gouverner la citeacute par les philosophes qui savent ce

que sont la justice et la tempeacuterance

V213 Deacutepassement de lopposition entre la nature et la loi

laquo Nature et loi le plus souvent se contredisent raquo3 dit Calliclegraves au deacutebut de la seconde

partie du Gorgias et il place la nature contre la loi laquo En effet dans lordre de la

nature le plus vilain est aussi le plus mauvais cest de subir linjustice en revanche

selon la loi le plus laid cest de la commettre raquo4 Par la nature nous entendons ceci

Le terme φύσις recouvre un sens particulier et un sens geacuteneacuteral Lorsquil en est fait un usage particulier le terme sapplique agrave des individus ou agrave des espegraveces et deacutesigne laquo unemaniegravere decirctre raquo Mais le terme peut aussi sappliquer agrave la totaliteacute des ecirctres et des pheacutenomegravenes il en arrive alors agrave deacutesigner lunivers et tout naturellement on vient de le dire lecirctre en geacuteneacuteral5

Cela eacutetant connaicirctre laquo la totaliteacute des ecirctres et des pheacutenomegravenes raquo relegraveve de la

connaissance de ce qui est de lintellect Dans le discours de Calliclegraves il sagit bien du

1 Pheacutedon 82 a ndash b2 Voir Phegravedre 250 b ndash c3 Gorgias 482 e4 Ibid 483 a Ce qui est le contraire de la thegravese de Socrate agrave savoir laquo commettre linjustice est pire que

la subir et que ne pas ecirctre puni est pire quecirctre puni raquo (474 b)5 Brisson Luc laquo Nature phusis et natura dans lantiquiteacute grecque et latin raquo La nature Cahiers

deacutetudes leacutevinassiennes ndeg 11 2012 pp 28 ndash 43 p 31

218

sens particulier puisquil parle de la nature humaine

Lhomme qui se trouve dans la situation de devoir subir linjustice nest pas un homme cest un esclave pour qui mourir est mieux que vivre sil nest mecircme pas capable de se porter assistance agrave lui-mecircme ou aux ecirctres qui lui sont chers quand on lui fait un tortinjuste et quon loutrage1

Pour le sophiste2 le fait de subir linjustice est contre la nature humaine Mais

comment peut-on porter assistance agrave soi-mecircme ou agrave un ami contre linjustice subie ou

commise sil ny a pas de loi Dans le corpus platonicien laquo La loi est un discours qui

sexerce sur lacircme des citoyens de telle sorte que leurs mœurs sen retrouvent

rationnellement forgeacutes raquo3 Or tout discours eacutecrit comme dans la loi laquo preacutesente un

certain nombre de deacutefauts qui sont autant dinconveacutenients 1) il ne peut choisir ses

destinataires 2) il ne peut reacutepondre aux questions quon aimerait lui poser 3) et

surtout il ne peut se deacutefendre sans lassistance de celui qui la composeacute raquo4 Par

exemple si la loi exige de tous les citoyens decirctre justes et tempeacuterants la question se

pose comment le mecircme discours eacutecrit peut-il sadresser de la faccedilon pertinente aux

diffeacuterents groupes fonctionnels agrave savoir les producteurs les guerriers et les

dirigeants politiques En effet si la fonction de la loi consiste agrave laquo rendre lacircme

individuelle vertueuse et agrave la mecircler agrave dautres acircmes vertueuses de faccedilon agrave constituer

une citeacute vertueuse gage de bonheur individuel et collectif raquo5 cela eacutequivaut agrave dire que

la connaissance du bonheur cest-agrave-dire de la loi et la connaissance de lecirctre cest-agrave-

dire de la nature au sens geacuteneacuteral sont semblables la connaissance de ce qui est et au

mecircme moyen lintellect Cela admis non seulement la nature et la loi ne sont pas

opposeacutees elles se rejoignent vers la mecircme chose agrave savoir le Bien

V22 La justice et la tacircche propre

Ecirctre juste cest avant tout ecirctre fdegravele agrave sa tacircche propre Cela eacutetant le monde

platonicien nest pas ouvert puisque chacun doit rester dans sa fonction propre pour

y ecirctre excellent En effet mecircme si lunivers est infni le ciel est ouvert Cependant

chaque astre dans lunivers ne tourne que sur une orbite bien deacutetermineacutee

1 Gorgias 483 b2 Certes il est diffcile daffrmer que Calliclegraves est sophiste car avant tout le sophiste est un meacutetier

or issu dune famille aristocratique Calliclegraves na pas agrave exercer un meacutetier pour gagner sa vie cest en ce sens quil nest pas sophiste Mais sa penseacutee argumentative (avec certaine proceacutedure de raisonnement) intellectuelle (le fait de deacutefnir le thegraveme agrave discuter de maniegravere abstrait) etcontradictoire (une thegravese deacutefendue de maniegravere contradictoire) relegraveve du sophisme

3 Dictionnaire Platon Paris Ellipses 2007 p 844 laquo Annexe 1 Phegravedre 278 b - e raquo Lectures de Platon Paris Vrai 2000 pp 74 ndash 76 p 745 Brisson Luc laquo La loi selon Platon et la plupart des philosophes de lAntiquiteacute raquo Cahiers deacutetudes

leacutevinassiennes ndeg 13 LEacutetat de Ceacutesar 2015 pp 6 ndash 20 p 9

219

V221 Lexcellence et la fonction propre

Chaque chose a sa fonction propre cest dans sa fonction propre que lexcellence se

manifeste ainsi il est tout agrave fait juste que cette chose semploie dans sa fonction

propre Cest le fondement mecircme de la justice et ainsi sachegraveve le livre I de la

Reacutepublique

Socrate Bien dis-je Or pour toute chose agrave laquelle une fonction particuliegravere (ἔργον) est associeacutee nexiste-t-il pas selon toi eacutegalement une excellence (ἀρετή) Et pour enrevenir agrave ce que je disais tantocirct existe-t-il bien disons-nous une fonction propre des yeux

Thrasymaque Elle existe

Socrate Il existe donc eacutegalement une excellence des yeux

Thrasymaque Une excellence aussi

Socrate Et alors y avait-il aussi une fonction propre des oreilles

Thrasymaque Oui

Socrate Et donc une excellence aussi

Thrasymaque Une excellence aussi

Socrate Et il en va de mecircme pour toutes les autres choses Nest-ce pas le cas

Thrasymaque Cest le cas

Socrate Mais voilagrave est-ce que les yeux pourraient accomplir convenablement leur fonction propre sils eacutetaient deacutepourvus de leur excellence propre et quagrave la place de lexcellence ils aient un deacutefaut 1

Dans les dialogues platoniciens la fn du livre I de la Reacutepublique est le seul endroit ougrave

les deux termes ἔργον et ἀρετή sont parfaitement regroupeacutes et coupleacutes

ἔργον [21] ἀρετή [27]

330 c 332 e 335 d 335 d 346 d 351 d 352 d 352 e 352 e 353 a 353 a 353 b 353 b 353 b 353 b 353 b 353 c 353 c 353 d 353 d 353 e

335 b 335 b 335 c 335 c 335 d 342 a 348 c 348 c 348 e 349 a 350 d 351 a 353 b 353 b 353 b 353 b 353 b 353 c 353 c 353 c 353 c 353 c 353 d 353 e 353 e 354 b 354 c

Autrement dit lἔργον et lἀρετή sont inseacuteparables2 Lexcellence de Socrate est

immortelle parce quil ne faisait rien dautre que la tacircche propre quun dieu lui avait

assigneacutee agrave savoir philosopher mecircme si dans sa jeunesse il sinteacuteressait agrave la nature et

eacutetudiait Anaxagore3 mais tregraves rapidement il a abandonneacute cette fausse route De

1 Reacutepublique I 353 b ndash c2 Sur le sujet cf leacutetude complegravete Maceacute Arnaud Platon philosophie de lagir et du pacirctir Sankt

Augustin Academia Verlag International Platon Studies 24 20063 Voir Pheacutedon 96 a ndash 99 d ces pages sont traditionnellement consideacutereacutees comme une autobiographie

En fait Socrate neacute en 470469 (agrave propos de cette datation quelque peu eacutetrange voir Platon Paris Cerf 2017 p 12) Platon 428427 il est donc eacutevident que Platon ne peut avoir connu la jeunesse de son maicirctre si ce nest ce que ce dernier lui racontait

220

mecircme pour Platon son excellence est immortelle parce que sa vie durant il eacutetait

purement et simplement un eacutecrivain de philosophie et rien que cela mecircme sil avait

parallegravelement une vocation politique Toutefois comme pour son maicirctre la fausse

route fut vite abandonneacutee La question se pose si lexcellence des yeux la pupille

est donneacutee par la nature lexcellence de lacircme est-elle elle aussi donneacutee par la nature

ou est-elle comme lexcellence dun art qui est forgeacutee par la pratique Le propos

suivant de Socrate semble dire quelle se trouve naturellement dans lacircme

Socrate Est-ce que lacircme accomplira jamais bien ses fonctions propres Thrasymaque si elle est priveacutee de son excellence propre ou est-ce impossible 1

Cest son excellence propre qui permet agrave lacircme daccomplir ses fonctions propres En

effet comme nous lavons vu dans le chapitre laquo Lacircme raquo les trois parties

fonctionnelles sont propres agrave lacircme autrement dit leur excellence propre est

naturellement posseacutedeacutee par lacircme Or il y a des gens qui sont plus vertueux les

autres moins parce que lexcellence propre de lacircme lintellect fonctionne bien chez

les uns mal chez les autres

V222 La justice et leacuteducation

Cest dans leacuteducation que se manifeste lexcellence propre de la citeacute car laquo cest

leacuteducation qui degraves lenfance oriente vers lexcellence inspire le deacutesir et la passion de

devenir un citoyen parfait sachant commander et obeacuteir comme lexige la justice raquo2

En dautres termes il ne sagit pas lagrave dune eacuteducation au niveau individuel puisque

laquo leacuteducation professionnelle ne fait pas leacuteducation vertueuse et civique raquo3 La

question se pose quelle est cette eacuteducation civique Ce passage de la Reacutepublique

semble donner le principe

Socrate Quand ils sont des enfants et des jeunes gens il faudrait quils sengagent dans une formation (παιδείαν) et dans une philosophie (φιλοσοφίαν) qui soient propres agrave la jeunesse il faudrait aussi quils aient grand soin de leur corps alors quils grandissent et deviennent des hommes sassurant de la sorte un soutien pour la philosophie Agrave mesure quils avancent en acircge vers ce moment ougrave lacircme commence agrave atteindre sa maturiteacute il faut les astreindre aux exercices qui sont propres agrave celle-ci Enfn lorsque la force vient agrave manquer et quils sont exclus des activiteacutes politiques et militaires quon les laisse vaqueren liberteacute et sans rien faire dautre ltque de la philosophiegt si ce nest comme activiteacute secondaire eux qui deacutesirent mener une existence heureuse et qui alors quils sapprecirctent agrave mourir couronnent la vie quils ont veacutecu par le destin qui est agrave leur mesure lagrave-bas4

1 Ibid 353 e2 Lois I 643 e3 Cf Lois I laquo Notes raquo ndeg 103 p 3464 Reacutepublique VI 498 b ndash c Nous soulignons

221

Une citeacute juste cest-agrave-dire excellente prend neacutecessairement soin du corps et de lacircme

des citoyen depuis leur naissance jusquagrave la fn de leur vie incarneacutee Mais comment

comprendre cette phrase laquo vers ce moment ougrave lacircme commence agrave atteindre sa

maturiteacute raquo alors que lacircme est immortelle En effet les deux parties infeacuterieures de

lacircme ne sont pas fonctionnellement immortelles puisque leur fonction est lieacutee agrave une

vie incarneacutee seules la fonction intellective et la structure en tripartie de lacircme sont

immortelles Ainsi dans une vie incarneacutee lacircme doit apprendre agrave cohabiter avec le

corps or agrave la naissance le corps humain ressemble agrave une masse de chair non encore

pourvue de toutes les excellences propre au corps cest pourquoi il faut prendre

grand soin du corps car laquo la qualiteacute de la condition physique constitue une condition

essentielle pour lexercice de la vie intellectuelle raquo1 En effet pendant la premiegravere

peacuteriode de la vie humaine avant lacircge de raison la fonction intellective de lacircme nest

pas activeacutee en raison du fait que son fonctionnement deacutepend dun minimum de

condition physique Mais les fonctions deacutesirante et celle ardente sont en pleine

activiteacute cest pourquoi les enfants avant lacircge de raison ont le deacutesir de tout la

curiositeacute de tout ce qui est nouveau original et inconnu gracircce aux organes de sens

Ils sont infatigables de parler de courir de manger de pleurer de se bagarrer et

ainsi de suite tout cela agrave cause de ces deux fonctions deacutesirante et Ardente Agrave partir

de lacircge de raison vers sept ans il faut reacuteactiver la fonction intellective cest la raison

pour laquelle il faut eacuteduquer les enfants agrave aspirer au savoir puisque le savoir ou la

science est lexcellence mecircme de la fonction intellective En ce sens leacuteducation est

synonyme de la reacuteminiscence cest-agrave-dire de la reacuteactivation de la fonction intellective

en mettant en rapport les diffeacuterents eacuteleacutements fonctionnels

Pour le Socrate de Platon la possibiliteacute de leacuteducation reacuteside donc dans la possibiliteacute de mettre en rapport ces trois eacuteleacutements la nature (φύσις) lexercice (ἄσκησις) et le fait dapprendre (μάθησις) Or ces trois eacuteleacutements font reacutefeacuterence aux trois notions suivantes la possession leffort et la connaissance Cest par lagrave que lon retrouve les trois fonctions mecircme dans leacuteducation platonicienne conccedilue comme reacuteminiscence2

Dans le Meacutenon la reacuteminiscence est deacutefnie comme le fait de chercher et le fait

dapprendre raquo3 mais laquo agrave condition de ne pas perdre courage au cours de la

recherche raquo4 Or le courage est une vertu cest-agrave-dire agrave la fois science et belle

habitude Cela eacutetant leacuteducation consiste dune part agrave former lesprit des jeunes gens agrave

1 Reacutepublique VI laquo Notes raquo ndeg 83 p 6632 Brisson Luc laquo La tri-fonctionnaliteacute indo-europeacuteenne chez Platon raquo Philosophie compareacutee Gregravece Inde

Chine Paris Vrin 2005 Joachim Lacrosse (Coordination scientifque) pp121 ndash 142 p 1363 Meacutenon 81 d4 Ibid

222

aspirer au savoir et dautre part agrave modeler le comportement des citoyens agrave obeacuteir aux

lois par habitude

V223 La justice est lexcellence de toutes les fonctions

laquo La citeacute de la Reacutepublique comprend trois groupes fonctionnels les producteurs qui

approvisionnent la citeacute les guerriers qui la deacutefendent et les philosophes qui la

gouvernent raquo1 Parmi les producteurs les uns ont pour fonction de produire des

ceacutereacuteales les autres du vin les autres encore des vases des tissures des vecirctements

des chaussures des navires des maisons des eacutedifces publics de la santeacute et ainsi de

suite Dans le Gorgias mecircme le rheacuteteur est consideacutereacute comme producteur certes

producteur de persuasion (πειθοῦς δημιουργός)2 cest-agrave-dire un producteur neacutegatif

En tout cas le sophisme eacutetait une fonction dans la deacutemocratie atheacutenienne en dautres

termes les maux du sophisme trouvent leur origine dans cette deacutemocratie

fonctionnant au tirage au sort On comprend pourquoi Socrate soppose agrave la

deacutemocratie Dans le deuxiegraveme groupe il y a des soldats dont les uns sont eacutequipeacutes du

bouclier et de leacutepeacutee les autres de la lance de larc il y a aussi des sous-

commandants et fnalement des strategraveges Chacun a sa fonction speacutecifque Dans le

troisiegraveme groupe il y a eacutevidemment des philosophes mais aussi des matheacutematiciens

On voit bien que pour quune citeacute comme Athegravenes soit bien administreacutee il faut

disposer dans la citeacute un grand nombre de fonctions particuliegraveres et speacutecifques qui

laquo doivent correspondre agrave la preacutedominance dune capaciteacute deacutetermineacutee en chacun des

membres qui composent raquo les trois groupes3

En effet dans chaque socieacuteteacute humaine les uns sont doueacutes dans telles ou telles

fonctions les autres dans telles ou telles autres autrement dit chacun possegravede un

don naturel peut-ecirctre mecircme plusieurs Mais pour que ce don naturel soit bien

deacuteveloppeacute au service de la citeacute il faut aussi et surtout que celui qui le possegravede

reccediloive un savoir correspondant un meacutedecin ne devient pas meacutedecin sans posseacuteder

aucun savoir de la meacutedecine mecircme sil est extrecircmement doueacute dans leacutetude de la

meacutedecine gracircce agrave un don divin encore faut-il maicirctriser cette science quest la

meacutedecine et de la pratiquer Et enfn il faut que chacun exerce sa fonction pour que

son excellence soit effective On voit bien ici trois niveaux de justice 1 la justice

divine consiste agrave dispenser agrave chacun un don naturel plus ou moins important selon la

1 Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes dur la Reacutepublique de Platon I Paris Vrin 2005 pp 25 ndash 41 p 26

2 Voir Gorgias 454 e ndash 455 a3 Ibid

223

qualiteacute reacutetributive afn que chaque ecirctre humain puisse exercer une fonction propre

pour exister En effet dieu est parfaitement juste et savant il ne se permettrait pas de

renvoyer une acircme agrave incarnation humaine sans donner agrave lincarnation aucun moyen

dexistence si vraiment un ecirctre humain se trouve deacutepourvu de don Cela nest pas la

faute de dieu mais un deacutefaut deacuteducation En revanche le fait de gacirccher ce don

naturel eacutequivaut agrave commettre une injustice agrave leacutegard dun dieu 2 la justice politique

consiste agrave donner agrave chacun loccasion dacqueacuterir un savoir qui correspond au don

naturel quon possegravede et dexercer une fonction approprieacutee selon le meacuterite 3 la

justice individuelle consiste agrave ecirctre fdegravele agrave sa fonction propre

Il est eacutevident quun citoyen ainsi dispenseacute eacuteduqueacute et disposeacute il ne se permet pas

dabandonner son poste par quelle que raison que ce soit1 Cest une question de

justice agrave leacutegard du dieu de la citeacute et de soi-mecircme

V23 La Justice et la citeacute

Dapregraves le mythe de Protagoras cest Zeus qui envoya Hermegraves apporter agrave la citeacute la

justice (δίκη) et lharmonie (αἰδώς)2 La suite du Protagoras montre que Socrate ne

conteste pas le mythe comme si la δίκη et lαἰδώς constituaient une loi divine de la

citeacute Cette loi a pour but de preacuteserver luniteacute de la citeacute car sans elle laquo en se

comportant dune maniegravere injuste les uns envers les autres raquo laquo les hommes se

dispersaient agrave nouveau et peacuterissaient raquo3 Mais comment preacuteserver luniteacute de la citeacute ougrave

il y a tellement de fonctions diffeacuterentes cest-agrave-dire dinteacuterecircts diffeacuterents Le propos

suivant de Protagoras semble donner une suggestion en terme dart politique

De mecircme songe agrave preacutesent que lhomme qui te paraicirct le plus injuste de tous ceux qui ont eacuteteacute eacuteleveacutes parmi des hommes soumis agrave des lois serait encore juste et compeacutetent en la matiegravere sil fallait le comparer agrave des hommes qui nauraient ni eacuteducation ni tribunaux ni lois et qui nauraient eacuteteacute contraints daucune maniegravere de se soucier de la vertu mais seraient de vrais sauvages4

Ecirctre sauvage cest ecirctre deacutepourvu deacuteducation de tribunal de loi et de souci de la

1 Voir Apologie 28 e2 Voir Protagoras 322 c F Ildefonse le traduit par la laquo vergogne raquo L Brisson par la laquo retenue raquo V

Cousin Eacute Chambry et A Croiset par la laquo pudeur raquo Agrave propos de la complexiteacute de ce terme cfBrisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lecturee de Platon Paris Vrin 2000 p 127 ndash 128 Nous employons ici laquo lharmonie raquo cest plutocirct une interpreacutetation quune traduction mecircme si toute traduction est une interpreacutetation En effet tout comportement individuelet spontaneacute qui favorise lharmonie au sein de la famille dune groupe ou de la citeacute peut ecirctre qualifeacute de lαἰδώς Cf aussi Dover K J Greek Popular Morality in the Time of Plato and Aristotle Oxford Blackwell 1974 (mais Dover na pas traiteacute lαἰδώς ni lἀρμονία)

3 Ibid 332 b4 Ibid 327 c ndash d

224

vertu Autrement dit Protagoras oppose le sauvage agrave la civilisation et non agrave une

qualiteacute individuelle1 mecircme si on ne sait pas ce que tout cela veut dire pour le

sophiste agrave savoir leacuteducation le tribunal la loi la vertu et le souci de soi-mecircme En

effet on ne va pas jusquagrave demander au sophiste decirctre philosophe de savoir ce quil

sait mais cela ne devrait pas effacer linteacuterecirct de son propos agrave savoir le fondement de

la citeacute leacuteducation (les enfants flles comme garccedilons) la citoyenneteacute (se soucier de la

vertu) et luniteacute de la citeacute (la constitution les lois les tribunaux) Ce sont ces trois

points que nous essayons analyser pour comprendre la justice et la citeacute

V231 Les enfants et les femmes

Dans le livre X de la Reacutepublique Homegravere est consideacutereacute comme leacuteducateur de la

Gregravece laquo ce grand poegravete a eacuteduqueacute la Gregravece raquo2 Marrou reacutesume leacutethique eacuteducative

homeacuterique en ces termes

Oui une eacutethique de lhonneur bien eacutetrange parfois pour une acircme chreacutetienne elle implique lacceptation de lorgueil μεγαλοψυχία qui nest pas un vice mais le haut deacutesirde qui aspire agrave ecirctre grand ou chez le heacuteros la prise de conscience de sa supeacuterioriteacute reacuteelle lacceptation de la rivaliteacute de la jalousie cette noble Ἔρις inspiratrice de grandes actions que ceacuteleacutebrera Heacutesiode et avec elle de la haine comme la reconnaissance dune supeacuterioriteacute affrmeacutee voyez comment Thucydide fait parler Peacutericlegraves laquo la haine et lhostiliteacute sont toujours sur le moment le lot de ceux qui preacutetendent commander aux autres Mais sexposer agrave la haine pour noble but est bien inspireacute raquo3

Telle est leacutethique eacuteducative traditionnelle Cest pourquoi il est neacutecessaire de

commencer par critiquer Homegravere en particulier et les poegravetes en geacuteneacuteral avant

deacutetablir une eacutethique eacuteducative philosophique En effet laquo dans lAthegravenes que connaicirct

Platon leacuteducation proprement dite commence vers sept ans lacircge ougrave le garccedilon est

envoyeacute agrave leacutecole Jusque-lagrave on parle surtout deacutelever un enfant Lenfant reste agrave la

maison ougrave il est sous le controcircle des femmes sa megravere dabord sa nourrice ensuite

dans les milieux aiseacutes Puis on passe agrave leacuteducation collective qui se fait chez un

1 Notons que dans le Cratyle le sauvage (τὸ ἄγριον) est deacutecrit non pas par opposition agrave une civilisation (cest le cas ici dans le propos de Protagoras) mais comme la nature dun individu laquo Cest ainsi Hermogegravene quὈρέστης risque bien decirctre un nom correct que cette nomination soit due agrave quelque hasard ou agrave quelque poegravete indiquant par lagrave sa nature farouche (τὸ θηριῶδες τῆς φύσεως) son caractegravere rustique (τὸ ἄγριον αὐτοῦ) autrement dit montagnard (τὸ ὀρεινόν) raquo (494e) Le substantif ἄγριον nest pas tregraves freacutequent dans le corpus platonicien voici la liste doccurrences Cratyle ἄγριον (394 e) Lois I ἀγρίας (649 e) VII ἀγρία (791 d) ἄγριον (824 a) VIII ἀγρία (837 b) XII ἄγριον (950 b) Pheacutedon ἄγριον (113 b) Philegravebe ἀγρίαν (46 d) Politique ἄγριον(271 e) Reacutepublique I ἄγριον (329 c) III ἄγριον (410 d) VI ἀγρία (486 b) IX ἄγριον (571 c) ἄγριον (572 b) Sophiste ἄγριον (218 a) ἄγριον (222 b) Theacuteeacutetegravete ἀγρίαινε (151 c) Timeacutee ἄγριον (70 e)

2 Reacutepublique X 606 e3 Marrou Henri-Ireacuteneacutee Histoire de leacuteducation dans lAntiquiteacute Paris Seuil 1948 p 43 Notons au

passage que le terme μεγαλοψυχία est absent dans le corpus platonicien

225

maicirctre priveacute raquo1 Eacutelever un enfant nest pas seulement le nourrir de ce dont son corps a

besoin cest aussi et surtout de ce dont son acircme a besoin car un enfant ne commence

pas agrave voir eacutecouter et apprendre agrave lacircge de sept ans mais degraves la naissance En ce sens

la megravere et la nourrice sont les premiegraveres eacuteducatrices des enfants cest pourquoi il est

aussi neacutecessaire que les flles reccediloivent laquo les mecircmes soins et la mecircme eacuteducation raquo que

les garccedilons Cest une condition pour bien eacutelever les enfants de la citeacute mdash puisque les

flles deviendront megraveres agrave leur tour mais eacutegalement une condition pour que les

femmes puissent exercer les mecircmes fonctions que les hommes dans la citeacute

Socrate Est-il degraves lors possible repris-je davoir recours agrave quelque ecirctre vivant pour les mecircmes tacircches si on ne lui a pas procureacute les mecircmes soins et la mecircme eacuteducation

Glaucon Non ce nest guegravere possible

Socrate Si donc nous devons avoir recours aux femmes pour les mecircmes fonctions que les hommes il faut leur enseigner les mecircmes choses2

Si lon compare lacircme agrave la citeacute3 il ne peut y avoir de consideacuteration diffeacuterente dans la

citeacute agrave leacutegard des flles et des garccedilons des femmes et des hommes puisque lacircme na

pas de sexe puisque le sexe est une identiteacute du corps Cest pourquoi il est juste de

dire ceci

Lindividu et la citeacute sont deux supports identiques qui ne diffegraverent que par la taille et sur lesquels sont inscrits les mecircmes lettres celles du terme laquo justice raquo Cest donc simplement une comparaison entre le grand et le petit et la diffeacuterence entre lacircme et la citeacute nest au regard de la justice quune diffeacuterence quantitative dans lordre strictement anthropologique (et anthropomorphique la citeacute est un grand individu) Ainsi ce qui estvrai pour lacircme en matiegravere de bien de justice et de veacuteriteacute devra lecirctre pour la citeacute qui rassemble les acircmes dans une mecircme communauteacute4

En effet le Bien la vertu et la veacuteriteacute ont le mecircme eacutegard agrave lendroit de toutes les acircmes

humaines de mecircme la citeacute juste doit avoir le mecircme eacutegard agrave lendroit des flles et des

garccedilons des femmes et des hommes

V232 La citoyenneteacute

Le terme laquo citoyen raquo ou laquo citoyenneteacute raquo peut renvoyer agrave trois termes dans les

dialogues platoniciens agrave savoir ἀστός πολίτης et ἐπιχώριος voici leurs occurrences

dans les dialogues platoniciens

ἀστός Apologie ἀστῶν (23 b) ἀστῷ (30 a) ἀστοῖς (30 a) Gorgias ἀστῶν (514 e) ἀστός (515

1 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 542 Reacutepublique V 452 a3 Ibid II 368 e laquo La justice disons-nous existe pour un homme individuel Elle existe donc aussi

dune certaine maniegravere pour la citeacute entiegravere raquo4 Pradeau Jean-Franccedilois Platon et la citeacute Paris PUF 2010 [1997] p 61 ndash 62 (souligneacute par lauteur)

226

a) Lois VIII ἀστοῖς (849 a) ἀστοῖς (849 b) ἀστοῖς (849 c) IX ἀστὸν (866 c) ἀστὸς (869 d) ἀστὸν (869 d) ἀστόν (882 a) XI ἀστῶν (917 c) ἀστὸν (938 c) XII ἀστὸν (942 a) Meacutenon ἀστὸν (91 c) ἀστός (92 b) Protagoras ἀστῷ (309 c) Reacutepublique VIII ἀστῷ (563 a) ἀστὸν (563 a) X ἀστῶν (613 e) Theacuteeacutetegravete ἀστοὺς (145 b)

πολίτης Alcibiade [1] 134 c Apologie [1] 25 c Critias [1] 108 c Criton [1] 51 d Euthydegraveme

[1] 292 b Gorgias [12] 502 e 502 e 504 d 513 e 513 e 515 c 515 c 515 d 515 d 517 b 517 c 518 b Hippias majeur [2] 282 e 292 b Lettre VII [2] 336 a 350 a Lois I [6] 627 b 629 a 630 a 631 d 635 c 643 e II [1] 662 c IV [4] 711 b 711 c 715 b 718 a V [5] 729 d 741 a 743 c 746 a 747 a VI [4] 753 a 756 e 767 d 774 c VII [13] 794 b 794 c 799 b 800d 801 c 808 c 809 e 814 c 814 c (πολίτιδας citoyennes est la seule forme de la πολῖτις preacutesente dans les œuvres de Platon) 816 d 821 d 822 e 823 a 823 a VIII [5] 831 c 835 c 840 d 842 e 846 d IX [9] 853 d 854 e 855 d 856 c 857 e 869 d 869 d 872 c 877 e XI [3] 915 d 917 d 935 d Meacutenexegravene [2] 239 d 243 e Meacutenon [4] 70 b 71 b 90 a 91 a Politique

[1] 293 d Protagoras [6] 319 a 324 c 324 c 324 d 337 c 339 e Reacutepublique II [2] 375 b 378 c III [2] 416 b 416 d IV [2] 423 d 426 c V [6] 462 b 463 a 463 a 463 a 464 a 471 b VI [3] 494 b 501 e 502 b VII [1] 519 e VIII [6] 555 c 556 a 567 b 567 d 567 e 568 a IX [1] 579 c Timeacutee [3] 26 c 26 d 27 b Cf laquo Annexe πολίτης raquo pour voir le deacutetail lexical

ἐπιχώριος Alcibiade ἐπιχωρίους (123 b) Banquet ἐπιχώριον (189 b) Critias ἐπιχώριον (114 b)Hippias majeur ἐπιχωρίαν (285 a) Lois I ἐπιχώριον (639 d) V ἐπιχωρίων (730 a) ἐπιχώρια (730 b) ἐπιχωρίους (738 c) ἐπιχώριον (742 b)VI ἐπιχώριος (764 b) VIII ἐπιχώριον (834 b) ἐπιχώριος (846 d) ἐπιχωρίου (846 d) ἐπιχώριον (847 a) IX ἐπιχώριον (879 d) ἐπιχώριον (879 e) ἐπιχώριος (881 c) XI ἐπιχώριος (923 e) Meacutenon ἐπιχωρίων (94 d) Pheacutedon ἐπιχωριάζει (57 a) ἐπιχωρίων (59 b) ἐπιχωρίων (59 b) notons que les deux autres termes sont absents dans le Pheacutedon Phegravedre ἐπιχωρίῳ (230 c) Protagoras ἐπιχωρίων (315 b) ἐπιχωρίων (316 b) Reacutepublique I ἐπιχωρίων (327 a) VI ἐπιχώριον (497 b)

laquo Alors que pour deacutesigner le citoyen le terme πολίτης semble aller de soi le terme

ἀστός peut vouloir dire le citadin et le terme ἐπιχώριος le compatriote raquo1 La

citoyenneteacute est un statut une fonction un devoir mais aussi une image de la citeacute2

Dans la Reacutepublique nous avons laquo les trois groupes fonctionnels entre lesquels se

reacutepartissent les citoyens raquo3 alors que dans les Lois les producteurs (agriculteurs les

commerccedilants et les artisans) sont exclus du rang de citoyen et laquo les citoyens sont

libres de tout travail raquo pour se consacrer laquo aux repas en commun agrave la ceacuteleacutebration des

fecirctes (qui sont nombreuses) agrave lactiviteacute politique et au service militaire quil sagisse

de lentraicircnement ou de la participation agrave une compagne raquo4 On voit bien que la

fonction des producteurs dans la Reacutepublique et dans les Lois est la mecircme agrave savoir

1 Brisson Luc Pradeau Jean-Franccedilois Les Lois de Platon Paris PUF 2007 p 1232 laquo Deacutefnir le citoyen ou le deacutecrire est ainsi procurer une image de la citeacute mecircme de lambition de qui

la creacutee et de la faccedilon dont la fonction du politique est envisageacutee raquo (Bertrand Jean-Marie laquo Le citoyen des citeacutes platoniciennes raquo Cahiers Glotz 11 2000 pp 37 ndash 55 p 38)

3 Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon I Paris Vrin Sous la direction de Monique Disxaut 2005 pp 24 ndash 41 p 27

4 Supra Les Lois de Platon p 102

227

produire mais leur statut a changeacute ils sont passeacutes de citoyens agrave non-citoyens Cest

en ce sens que la conception de la citoyenneteacute est beaucoup plus eacutelitiste dans les Lois

que dans la Reacutepublique

Voici comment se reacutepartissent les vertus dans la Reacutepublique ougrave la justice ne peut reacutegner dans la citeacute que si elle regravegne en chaque individu de chacun des diffeacuterents groupes fonctionnels qui doivent pratiquer ces vertus deacutetermineacutees

Citeacute Vertusproducteurs justice + modeacuterationgardiens justice + modeacuteration + couragephilosophes justice + modeacuteration + courage + science1

Ce tableau montre que la vertu est associeacutee agrave la tacircche propre quon occupe Plus la

fonction propre est importante plus lrsquoexigence dexcellence morale est grande Le

compte du chantier de lErechtheacuteion agrave Athegravenes montre que la mecircme tacircche est payeacutee

au mecircme salaire quelle quelle soit reacutealiseacutee par un citoyen un meacutetegraveque ou un esclave

(il est vrai quil ny avait pas darchitecte meacutetegraveque ou esclave au chantier)2 La

question se pose un esclave-producteur a-t-il le devoir de posseacuteder les deux vertus

agrave savoir la justice et la tempeacuterance comme un citoyen-producteur En effet un

esclave nest quune marchandise vivante

Lacceptation de lineacutegaliteacute des hommes a eacuteteacute une donneacutee fondamentale de lhistoire grecque donneacutee qui fut jamais seacuterieusement remise en question Qui plus est lhistoire grecque a mecircme intensifeacute les ineacutegaliteacutes en deacuteveloppant agrave la fois la notion du citoyen libre et celle de lesclave-marchandise que lon achetait sur le marcheacute quitte agrave eacutelever ses enfants agrave la maison et qui (en theacuteorie du moins) navait aucun droit Agrave notre sens il y a lagrave une contradiction fagrante entre la liberteacute des uns et lesclavage des autres Le point de vue grec eacutetait autre la liberteacute des uns ne pouvait se concevoir sans lesclavage des autres les deux extrecircmes neacutetaient pas contradictoires mais compleacutementaires et indeacutependants3

Cela eacutetant lesclave na aucun devoir agrave leacutegard de la citeacute puisquil na aucun droit

La freacutequence du terme est relativement importante dans le corpus platonicien mais

concentreacutee sur trois dialogues (le Gorgias la Reacutepublique et les Lois) et absente dans

presque la moitieacute des dialogues Voici la reacutepartition des occurrences du substantif

δοῦλος dans les dialogues platoniciens

Dialogues de jeunesse [19 dont 8 dans le Gorgias]

Criton δοῦλος (50 e) δοῦλος (52 d) Hippias mineur δούλων (375 c) Alcibiade δοῦλον (119 a) δοῦλον(122 a) Lachegraves δοῦλοι (186 b) Meacutenexegravene δοῦλοι (239 a) Euthyphron δοῦλοι (13 d) Gorgias [8] δοῦλον

1 Brisson Luc laquo Le mythe de Protagoras et la question des vertus raquo Lectures de Platon Paris Vrin2000 pp 113 ndash 133 p 131

2 Cf Orrieux Claude Pantel Pauline Schmitt Histoire grecque Paris PUF Quadrige Manuels 2014 2e eacuted [2013 1re eacuted laquo Quadrige raquo 1995] p 264

3 Austin Michel amp Vidal-Naquet Pierre Eacuteconomies et socieacuteteacutes en Gregravece ancienne Paris Armand Colin 2007 [1972 1996] p 32

228

(452 e) δοῦλον (452 e) δοῦλος (471 a) δοῦλος (484 a) δούλων (489 c) δούλων (502 d) δοῦλος (514 d) δοῦλος (515 a) Meacutenon δοῦλος (73 d) Lysis δοῦλον (208 b) δοῦλος (208 c)

Dialogues de maturiteacute [15 dont 12 dans la Reacutepublique]

Banquet δοῦλος (183 a) Reacutepublique I δούλοις (351 d) III δούλων (395 e) V δοῦλον (469 c) VIII δούλοις (549 a) δούλων (549 a) δούλοις (569 a) δούλων (569 c) δούλων (569 c) IX δοῦλον (577 c) δούλων (579 a) δοῦλος (579 d) δοῦλον (590 c) Parmeacutenide δοῦλος (133 e) Theacuteeacutetegravete δοῦλοι (175 a)

Dialogues de vieillesse [76 dont 72 dans les Lois]

Politique δούλων (289 b) δούλων (289 c) δούλων (298 c) δοῦλοι (308 a) Lois II δοῦλον (665 c) δούλων (669 c) δοῦλον (674 a) IV δοῦλοι (715 d) δοῦλοι (720 b) δούλων (720 b) δοῦλοι (720 c) Vδούλοις (742 a) VI [8] δοῦλοι (757 a) δοῦλος (761 e) δοῦλον (764 b) δούλων (776 c) δοῦλοι (776 d) δούλων (776 e) δούλων (777 b) δούλων (777 d) VII [7] δούλων (793 e) δοῦλον (794 b) δούλων (805 e) δούλοις (806 e) δοῦλον (808 e) δούλοις (816 e) δούλων (817 e) VIII [9] δούλοις (838 d) δοῦλος (845 a) δοῦλος (845 b) δοῦλον (845 b) δούλοις (848 b) δούλοις (848 c) δοῦλοι (849 b) δούλοις (849 c) δούλοις (849 d) IX [25] δοῦλοι (853 d) δοῦλος (854 d) δούλοις (857 c) δούλων (857 c) δοῦλον (865 c) δοῦλον (865 d) δοῦλον (865 d) δοῦλον (868 a) δοῦλος (868 b) δοῦλος (868 c) δοῦλον (868 c) δοῦλος (869 d) δοῦλον (869 d) δοῦλος (869 d) δούλοις (872 a) δοῦλος (872 b) δοῦλον (872 c) δοῦλον (875 d) δοῦλος (877 b) δοῦλος (879 a) δοῦλον (879 a) δοῦλος (881 c) δοῦλος (882 a) δοῦλος (882 b) δοῦλος (882 c) XI [12] δοῦλος (914 a) δοῦλος (914 b) δοῦλον (914 e) δοῦλον (914 e) δοῦλος (917 d) δοῦλος (932 d) δοῦλος (932 d) δοῦλον (934 d) δοῦλον (936 b) δοῦλος (936 b) δοῦλος (936 c) δοῦλον (936 e) XII δοῦλον (941 d) δοῦλον (954 e) δοῦλοί (962 e)

Dans les dialogues platoniciens le terme laquo esclave raquo nest pas theacutematiseacute cest-agrave-dire

deacutefni et analyseacute Il est souvent employeacute en opposition agrave lhomme libre (ἐλεύθερον) 1

mais cela ne veut pas dire que les esclaves ne meacuteritent pas decirctre bien traiteacutes et

respecteacutes Dans un passage du livre VIII de la Reacutepublique Socrate deacutecrit ceci un

homme timocratique laquo est brutal envers les esclaves (δούλοις) au lieu de marquer

simplement sa supeacuterioriteacute comme le fait celui qui a reccedilu une eacuteducation adeacutequate Par

contre il se montre doux envers les hommes libres (ἐλευθέροις) et entiegraverement

soumis aux gouvernants raquo2 comme si les esclaves eacutetaient une cateacutegorie de

travailleurs Ce passage du livre XI des Lois semble encourager les esclaves agrave ecirctre

vertueux afn decirctre libres

Si la personne maltraiteacutee ne peut porter plainte le premier teacutemoin de condition libre venu devra faire la deacutenonciation aux magistrats sinon il sera coupable et nimporte quipourra le poursuivre pour dommage Si le deacutenonciateur est un esclave il sera deacuteclareacute libre Si cet esclave est celui des coupables ou celui des victimes il sera libeacutereacute par les magistrats mais sil appartient agrave un autre citoyen le Treacutesor public remboursera au maicirctre sa valeur Le magistrats veilleront agrave ce que personne ne lui fasse du mal pour le

1 Dans les paragraphes suivants les deux termes sont employeacutes en opposition particuliegraverement dans les Lois Alcibiade 119 a 122 a Gorgias 502 d 514 d 515 a Ion 540 b Lachegraves 186 b Lettre VIII 354 d XI 359 a Lois I 635 d II 665 c 669 c IV 720 b 720 b VI 761 e 777 b 777 e VII 790 a 808 a 808 e816 e 817 e VIII 838 d 845 b 848 c IX 865 d 865 d 868 c 869 d 872 b 875 d 879 a 881 c 882 a 882 b XI 914 a 930 d 930 d 932 d 932 d 934 d 936 b 936 b 937 a XII 954 e 962 e Lysis 208 b 208 c Politique 289 e 298 c 308 a 311 c Reacutepublique I 351 d IV 433 d VIII 549 a 569 c IX 577 c 577 c 577 d

2 Reacutepublique VIII 548 e ndash 549 a

229

punir de sa deacutenonciation1

Si les flles et les garccedilons doivent recevoir la mecircme eacuteducation et les femmes et les

hommes doivent exercer les mecircmes fonctions dans la citeacute agrave cause du fait que lacircme

na pas de sexe De mecircme lacircme ne se distingue pas par le statut desclave ou de

citoyen Dailleurs ces deux substances (δοῦλος πολίτης) sont absentes dans le

Phegravedre ougrave les acircmes humaines sont classeacutees en neuf cateacutegories selon un systegraveme

reacutetributif en ce qui concerne proprement lacircme En effet le statut politique ou social

est une identiteacute du corps et non celle de lacircme qui se caracteacuterise par la possession de

la vertu et de la science Cela eacutetant la question de lesclave est une question

deacuteducation si tous les ecirctres humains recevaient la mecircme eacuteducation il ne devrait pas

y avoir desclaves dailleurs un citoyen peut bien se reacuteduire agrave ecirctre lesclave de ses

propres plaisirs

V233 Luniteacute de la citeacute

Quest-ce que la citeacute sinon luniteacute politique culturelle eacuteconomique sociale En effet

une citeacute est la communauteacute dune multipliciteacute de puissances de faiblesses de goucircts

de fonctions et de natures diffeacuterentes parfois mecircme opposeacutees radicalement Cela

eacutetant pour quune citeacute devienne luniteacute dune telle multipliciteacute il faut un noyau

auquel adhegraverent harmonieusement tous les eacuteleacutements de cette multipliciteacute Le systegraveme

solaire est une uniteacute puisque tous les astres qui sy trouvent tournent autour dune

mecircme chose agrave savoir le Soleil La Terre est une uniteacute puisque tout ce qui se trouve

sur la Terre suit le mecircme mouvement orbital de la Terre mecircme si les animaux

terrestres y ont leur propre mouvement De mecircme un ecirctre humain ou plus

geacuteneacuteralement tout ecirctre vivant est une uniteacute puisque la multipliciteacute des mouvements

corporels (les mouvements des membres des organes du sang par exemple) est

commandeacutee par une seule chose agrave savoir lacircme De mecircme la multipliciteacute de la citeacute

doit ecirctre piloteacutee par une seule et unique chose agrave savoir la constitution politique

(πολιτεία) qui est lacircme de la citeacute La freacutequence du terme πολιτεία est assez eacuteleveacutee

mais tregraves concentreacutee dans la Reacutepublique et les Lois et le Politique2 et particuliegraverement

dans le livre VIII de la Reacutepublique avec 51 occurrences et les livres III et IV des Lois

avec respectivement 18 et 19 occurrences Quest-ce quune Constitution Nous

1 Lois XI 932 c ndash d2 Voici la liste doccurrences du terme πολιτεία Alcibiade [2] Critias [3] Criton [1] Gorgias [3] Lettre

IV [1] V [2] VII [14] VIII [2] XI [1] Lois I [6] II [1] III [18] IV [19] V [9] VI [10] VII [8] VIII [5] IX [7] X [2] XI [3] XII [8] Meacutenexegravene [5] Politique [20] Reacutepublique III [2] IV [6] V [10] VI [13] VII [4] VIII [51] IX [2] X [5] Timeacutee [4] Cf laquo Annexe πολιτεία raquo pour voir le deacutetail

230

donnons ici une reacutecapitulation de la reacutepartition des occurrences du terme πολιτεία

dans ces trois dialogues

πολιτεία δικαιοσύνη δίκη

Reacutepublique VIII Introduction 544 a 544 b 544 b 544 c 544 c 544 d 544 d 545 a 545 b 545 b Timocratie 545 d 547 c 547 d 548 c 548 c 548 c 548 d 548 d 549 a Oligarchie 550 c 550 c 550 c 550 d 551 a 551 b 551 b 552 a 552 e 553 a 553 e 554 b Deacutemocratie 557 a 557 b 557 c 557 c 557 d 557 d 557 d 558 a 558 c 558 c 561 e Tyrannie 562 a 562 c 564 a 564 a 564 b 564 e 568 b 568 c 568 d

545 a 545 b Absent

Lois III Origine et histoire de la constitution 676 c 676 c 678 a 680 a 680 b 681 d 681 d 681 d 683 a 684 b 685 a 686 c 693 d 697 c 698 a 698 b 701 e

Absent 682 d 696 d

Lois IV Constitution de la citeacute vertueuse 707 b 707 d 708 c 709 a 710 b 710 b 710 e 712 a 712 b 712 c 712 d 712 e 712 e 712 e 714 b 714 b 714 c 714 d 715 b

Absent 705 e 713 e 716 a 716 b 718 b

Politique Constitutions rivales 291 d 292 a 293 c 293 c 293 e 297 a 297 c 297 d 300 e 301 a 301 a 301 b 301 d 301 e 301 e 302 b 303 a 303 b 303 b 309 e

Absent Absent

Les hommes politiques doivent obeacuteir aux lois qui sont eacutetablies selon la constitution

politique or cette derniegravere eacutetait est toujours dicteacutee par les hommes politiques mecircme

dans la deacutemocratie ancienne ou moderne1 Cela ressemble au serpent qui se mord la

queue La solution est que la constitution politique doit ecirctre eacutetablie par les

philosophes et non par les hommes politiques agrave condition que les philosophes ne

font partie daucune socieacuteteacute de compeacutetition

Le but de lanalyse de diverses constitutions politiques est bien preacuteciseacute dans

lintroduction du livre VIII de la Reacutepublique

Socrate Si donc il existe cinq espegraveces de citeacutes il devrait exister eacutegalement cinq dispositions de lacircme pour les individus particuliers

Glaucon Sans doute

Socrate Ne convient-il pas ensuite de passer en revue les espegraveces infeacuterieures le type dhomme qui recherche la victoire et les honneurs lui dont lexistence est confrmeacutee agrave la constitution politique de Laceacutedeacutemone et ensuite lhomme oligarchique lhomme deacutemocratique et lhomme tyrannique Quand nous aurons observeacute lequel est le plus injuste nous pourrons alors lopposer agrave lhomme le plus juste et notre discussion sera complegravete si elle nous permet de voir comment la justice pure par comparaison avec linjustice sans meacutelange deacutetermine le bonheur ou le malheur de qui la possegravede De cette maniegravere si nous sommes convaincus par la position de Thrasymaque nous pourrons nous engager sur la

1 Dans lancienne comme dans la moderne le peule a le pouvoir de voter mais cest le politique qui deacutetient le pouvoir de persuader le peuple

231

voie de linjustice ou au contraire si la discussion qui commence maintenant agrave nous eacuteclairer nous en persuade nous mette en chemin vers la justice1

Cela eacutetant laquo une constitution doit ordonner lacircme et la citeacute au moyen dinstitutions et

agrave la faveur dune eacuteducation adeacutequate pour faire que les meilleurs y exercent

lautoriteacute dans linteacuterecirct de tous raquo2 La citeacute est avant tout une communauteacute dacircmes

dindividus et dinteacuterecircts distincts ainsi pour en faire une uniteacute harmonieuse il faut

quils se lient les uns avec les autres sous lautoriteacute de la constitution politique

Voici en effet comment se preacutesente la chose Il y a bien des circonstances ougrave les liensdune constitution risquent de se deacutelier comme ceux dun vaisseau ou dun ecirctre vivant liens que nous appelons tendeurs ou preacuteceintes chez lun muscles extenseurs chez lautre donnant ainsi agrave une seule chose partout disperseacutee des noms multiples Or cest ici lune des circonstances et non la moindre ougrave une constitution peut assurer sa sauvegarde ou courir agrave la deacutesagreacutegation3

Toute lautoriteacute est un pouvoir laquo lorsque dans un individu lautoriteacute suprecircme rejoint

la reacutefexion (φρονεῖν) et la tempeacuterance (σωφρονεῖν) pour sy associer alors on voit

naicirctre la constitution la meilleure et des lois qui sont agrave lavenant raquo4 La reacutefexion

(φρόνησις) est synonyme de sagesse (σοφία) cela est explicite dans le livre IV de la

Reacutepublique (voir particuliegraverement IV 433 b ndash d) Dans le Banquet dapregraves Diotime dont

le discours fut rapporteacute par Socrate ces quatre termes sont synonymes agrave savoir le

savoir (σοφία) la science (ἐπιστήμη) la reacutefexion (φρόνησις) la reacutealiteacute veacuteritable (τὸ

ὄν)

Διοτίας

ἦ καὶ ἂν μὴ σοφόν ἀμαθές ἢ οὐκ ᾔσθησαι ὅτι ἔστιν τι μεταξὺ σοφίαςκαὶ ἀμαθίας

Σωκράτηςτί τοῦτο

Διοτίαςτὸ ὀρθὰ δοξάζειν καὶ ἄνευ τοῦ ἔχειν λόγον δοῦναι οὐκ οἶσθ᾽ ἔφη ὅτι οὔτε ἐπίστασθαί ἐστιν mdash ἄλογον γὰρπρᾶγμα πῶς ἂν εἴη ἐπιστήμη mdash οὔτε ἀμαθία mdash τὸ γὰρ τοῦ ὄντος τυγχάνον πῶς ἂν εἴη ἀμαθία mdash ἔστι δὲ δήπου τοιοῦτον ἡ ὀρθὴ δόξα μεταξὺ

Diotime

Timagines-tu de mecircme que celui qui nest pas un expert est stupide Nas-tu pas le sentiment que entre scienceet ignorance il y a un intermeacutediaire

SocrateLequel

DiotimeAvoir une opinion droite sans ecirctre agrave mecircme den rendre raison Ne sais-tu pas poursuivit-elle que ce nest lagrave ni savoir mdash car comment une activiteacute dont on narrive pasagrave rendre raison saurait-elle ecirctre une connaissance sucircre mdash ni ignorance mdash car ce qui atteint la reacutealiteacute ne saurait ecirctre ignorance Lopinion droite est bien quelque chose de ce genre quelque chose dintermeacutediaire entre le

1 Reacutepublique VIII 545 a ndash b2 Brisson Luc laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo eacutetudes sur la reacutepublique de

platon 1 de la justice Paris Vrin sous la direction de Monique Dixsaut 2005 pp 25 ndash 41 p 31 3 Lois XII 945 c4 Ibid IV 712 e ndash 712 a

232

φρονήσεως καὶ ἀμαθίας5 savoir et lignorance

Seul le philosophe est capable de connaicirctre les reacutealiteacutes intelligibles decirctre sage

tempeacuterant courageux et juste et cest lui qui est le plus capable deacutetablir luniteacute de la

citeacute et de la maintenir durablement En dautres termes en placcedilant la constitution

politique sous lautoriteacute du philosophe il ny aura plus de possibiliteacute au sein de la

citeacute dengendrer le pouvoir qui se mord la queue

V3 La tempeacuterance

Par sa structure fonctionnelle lacircme humaine possegravede trois puissances agrave savoir

lintellection la reacutesistance et le deacutesir La puissance deacutesirante est la source mecircme de

toutes sortes de plaisirs du corps et de lacircme Degraves lors la question de la maicirctrise des

plaisirs se pose Cette capaciteacute de juger de controcircler les plaisirs et decirctre maicirctre de

soi-mecircme sappelle la tempeacuterance ou la modeacuteration (σωφροσύνη) mais quel est le

rapport avec la loi puisque dans le passage suivant la tempeacuterance signife la

conformiteacute agrave la loi

Σωκράτης

Ταῖς δέ γε τῆς ψυχῆς τάξεσιν καὶ κοσμήσεσιν νόμιμόν τε καὶ νόμοςὅθεν καὶ νόμιμοι γίγνονται καὶ κόσμιοιmiddot ταῦτα δ ἔστιν δικαιοσύνη τε καὶ σωφροσύνη Φῂς ἢ οὔ1

Socrate

Mais dans lacircme lordre et la bonne disposition sappellent loi et conformiteacute agrave la loi De lagrave il reacutesulte queles citoyens se comportent selon lordre et selon la loi Cest en cela que consistent la justice et la tempeacuterance Es-tu daccord oui ou non 2

Dans ce passage nous avons deux lignes parallegraveles

Justice τάξις νόμιμον νόμιμοι δικαιοσύνη

Tempeacuterance κόσμησις νόμος κόσμιοι σωφροσύνη

Le terme τάξις de la racine τακ met laccent sur laction sous une certaine autoriteacute

placer les choses lagrave ougrave il faut autrement dit eacutetablir lordre en donnant des ordres

Ainsi la justice veut dire que lacircme donne lordre agrave une action de faire ce quil faut

faire ni plus ni moins dans lordre En revanche le terme κόσμησις deacuteriveacute du

κόσμος dont le sens premier est celui dordre dharmonie au sens abstrait (σις) de

5 Banquet 202 a1 Gorgias 504 d2 Trad par A Croiset laquo Dans lacircme lordre et lharmonie sappellent la discipline et la loi qui font

les bons citoyens et les honnecirctes gens et cest cela qui constitue la justice et la sagesse Sommes-nous daccord raquo Trad par V Cousin laquo Et quon appelle leacutegitime et loi tout ce qui met de lordre et de la regravegle dans lacircme dougrave se forment les hommes justes et reacutegleacutes Leffet produit cest ici la justice et la tempeacuterance Est-ce bien cela raquo Trad par Eacute Chambry laquo Lordre et la regravegle dans lacircme sappellent leacutegaliteacute et loi et cest ce qui fait les hommes justes et reacutegleacutes et cest cela qui constitue la justice et la tempeacuterance Laccordes-tu ou non raquo

233

beauteacute (dougrave vient le terme laquo cosmeacutetique raquo) met laccent sur leacutetat la disposition ou la

qualiteacute dailleurs lunivers est beau Ainsi la tempeacuterance veut dire que lacircme peut

bien avoir une bonne disposition gracircce agrave laquelle on peut mener de belles actions

avec constance et non par hasard comme les lois matheacutematiques et physiques gracircce

auxquelles lunivers tourne toujours et harmonieusement en beauteacute Si cette bonne

disposition est neacutecessaire agrave lacircme juste par comparaison elle est dautant plus

neacutecessaire agrave la citeacute juste Cela eacutetant pour que lacircme comme la citeacute puisse posseacuteder

une bonne disposition en conformiteacute agrave la Loi il est neacutecessaire de prendre

connaissance des lois fondamentales cest-agrave-dire divines Le terme νόμος est

abondamment preacutesent dans la moitieacute des dialogues platoniciens voici une

reacutecapitulation doccurrences du terme

Occurrence(s)

du νόμοςDialogues1

0 Alcibiade Euthydegraveme Ion Lysis Meacutenon Parmeacutenide

1 Charmide Euthyphron Hippias mineur Lachegraves Pheacutedon Philegravebe Reacutepublique III Sophiste

entre 2 et 8 Reacutepublique I [2]Theacuteeacutetegravete [3] Meacutenexegravene [5] Reacutepublique IX [5] Reacutepublique VI [5] Reacutepublique VII [5] X [5] Cratyle [6] Phegravedre [6] Protagoras [7] Reacutepublique VIII [7] II [8] IV [8]

ge 10 Apologie [10] Critias [11] Hippias majeur [12] Timeacutee [13] Banquet [15] Reacutepublique V [15] Criton [22] Gorgias [23] Politique [38] Lois I [40] II [15] III [34] IV [59] V [25] VI [50] VII [61] VIII [54] IX [87] X [36] XI [67] XII [45]

On peut constater que les occurrences dans le Politique (38) et les Lois (573) sont trois

fois plus nombreuses que dans le reste des dialogues (201) alors quil est

relativement peu preacutesent dans la Reacutepublique Cest sans doute parce que la Reacutepublique

est le fondement des Lois qui sont un instrument de ladministration de la citeacute en

dautres termes la constitution politique est theacuteorique les lois ont un aspect pratique

Dans la suite nous essayons danalyser trois types de lois agrave savoir les lois divines les

lois cosmologiques et les lois eacutecrites par les leacutegislateurs

1 Voici la liste doccurrences dans les Lettres III νόμων (316 a) VI νόμῳ (323 d) VII νόμους (324 b) νόμους (325 c) νόμων (325 d) νόμων (326 a) νόμους (326 c) νόμων (328 c) νόμους (332 b)νόμοις (332 e) νόμοις (334 c) νόμοις (336 a) νόμους (337 a) νόμοις (337 a) νόμοις (337 a) νόμους (337 c) νόμων (337 c) νόμων (337 c) νόμοις (344 c) νόμους (345 d) νόμων (351 c) VIII νόμος (354 b) νόμων (354 c) νόμοις (354 c) νόμων (354 c) νόμον (354 e) νόμῳ (354 e) νόμος (355 a) νόμους (355 a) νόμος (355 c) νόμων (355 c) νόμους (355 c) νόμων (355 e) νόμους (356 d) XI νόμων (359 a)

234

V31 La loi lunivers et le divin

laquo La loi est un discours qui sexerce sur lacircme des citoyens de telle sorte que leurs

mœurs sen trouvent rationnellement forgeacutees raquo1 afn de mettre la citeacute en ordre cest-agrave-

dire en uniteacute Or lunivers (κόσμος) est lordre parfait dans le monde sensible par

possession de cette qualiteacute parfaite lunivers est divin puisque le divin est parfait

laquo Degraves lors cest dans le divin que la loi politique et eacutethique trouve son fondement et

son origine cest en lui que reacuteside le principe de toute reacutetribution lieacutee au respect ou

au viol de la loi raquo2 Cela eacutetant lunivers est un modegravele parfait de la tempeacuterance car la

moindre deacutemesure dun astre agrave leacutegard de la loi universelle causera sa destruction

dans le ciel Dougrave viennent le sens et limportance de lattention precircteacutee aux signes

divins

Les deacutebuts en remontent agrave mon enfance Cest une voix qui lorsquelle se fait entendreme deacutetourne toujours de ce que je vais faire mais qui jamais ne me pousse agrave laction3

Plus tard cette voix quil appellera laquo τὸ τοῦ θεοῦ σημεῖον raquo (le signe dun dieu)4

laquo τὸ δαιμόνιον σημεῖον raquo (le signe divin)5 laquo τὸ εῖωθὸς σημεῖον raquo (le signe habituel)6

ou tout simplement laquo τὸ σημεῖον raquo (le ou un signe)7 qui ne signife pas toujours cette

voix que Socrate a lhabitude dentendre8 mais quelques fois le substantif neutre

δαιμόνιον deacutesigne aussi cette voix divine9 Le fait que Socrate ait lhabitude

dentendre cette voix signife trois choses 1 la puissance du savoir humain a sa

1 Dictionnaire Platon Ellipses 2007 p 842 Brisson Luc laquo La loi dans Les Lois de Platon et dans le monde Grec ancien raquo Orient-Occident racines

spirituelles de lEurope Paris Cerf Sous la direction de Mariano Delgado Charles Meacutela et Freacutedeacuteric Moumlri 2014 pp 21 ndash 34 p 30

3 Apologie 31 d4 Ibid 40 a ndash b5 Reacutepublique VI 496 c6 Apologie 40 c Euthydegraveme 272 e7 Apologie 41 d Agrave propos de cette voix divine cf Dorion L-A laquo Socrate le Daimonion et la

divination raquo Les dieux de Platon Caen PUC 2012 [2003] pp 169 ndash 192 8 Voici la liste doccurrences du terme σημείου Apologie σημεῖον (40 b) σημεῖον (40 c) σημεῖον

(41 d) Cratyle σημεῖον (395 a) σημεῖον (415 a) σημείου (427 c) σημεῖόν (427 c) Critias σημεῖα (111 d) Euthydegraveme σημεῖον (272 e) Gorgias σημεῖον (520 e) Lachegraves σημεῖα (195 e) Lettre VII σημεῖον (332 c) Lois VII σημεῖα (792 a) IX σημεῖα (856 a) σημεῖα (856 a) Phegravedre σημεῖόν (242 b) σημείων (244 c) Philegravebe σημεῖον (24 e) Politique σημεῖον (268 e) Reacutepublique II σημείων (382 e) VI σημεῖον (496 c) X σημεῖα (607 c) σημεῖα (614 c) σημεῖα (614 c) Sophiste σημεῖον (237 d) σημεῖον (262 a) σημεῖα (262 d) Theacuteeacutetegravete σημεῖα (153 a) σημεῖα (191 d) σημεῖον (192 b) σημεῖον (192 b) σημεῖα (193 c) σημεῖον (193 c) σημεῖον (193 c) σημείω (194 a) σημείων (194 a) σημεῖα (194 d) σημεῖα (194 d) σημεῖον (208 c) Timeacutee σημεῖα (40 c) σημεῖον (71 e) σημεῖα (72b)

9 Il y en a trois agrave savoir Euthyphron 3b Theacuteeacutetegravete 151 a Apologie 40 a Voici la liste doccurrences du terme δαιμόνιον comme substantif ou adjectif neutre Alcibiade δαιμόνιον (103 a) Apologie δαιμόνια (24 c) δαιμόνια (26 b) δαιμόνια (27 c) δαιμόνια (27 c) δαιμόνια (27 c) δαιμόνια (27 e) δαιμόνιον (31 d) Banquet δαιμόνιον (202 d) δαιμονίῳ (219 c) Cratyle δαιμόνιον (398 c) Critias δαιμόνιον (117 b) Euthydegraveme δαιμόνιον (272 e) Euthyphron δαιμόνιον (3 b) Politique δαιμονίῳ (309 c) Reacutepublique VI δαιμόνιον (496 c) VII δαιμόνιον (531 c) X δαιμόνιον (614 c) Theacuteeacutetegravete δαιμόνιον (151 a)

235

limite eacutevidente puisque mecircme Socrate reconnu par la Pythie comme lhomme le

plus savant de son temps ne peut se passer dun signe divin pour eacuteviter de faire ce

quil ne faut pas faire 2 le savoir divin est puissant agrave tel point que non seulement

le dieu sait agrave ce que pense Socrate mais aussi et surtout la faccedilon par laquelle le signe

parvient chaque fois agrave Socrate semble eacutechapper agrave toute contrainte cosmologique

comme si la vitesse de la communication entre lacircme divin et lacircme de Socrate

nexistait pas ce qui diffegravere de la communication dans lunivers 3 le signe divin

nest communiqueacute quagrave ceux qui auront la faveur dun dieu autrement dit aux

philosophes agrave ceux qui sont veacuteritablement vertueux

V311 La puissance du savoir divin

Le terme δύναμις est tregraves bien preacutesent dans les dialogues platonicien1

Dialogues de jeunesse

Criton [1] 46c Hippias mineur [2] 375e 376a Hippias majeur [2] 295e 296c Ion [5] 533d 533d 533e 535e 536a Alcibiade [5] 103a 104b 105d 105e 121b Lachegraves [3] 192b 192b 194c Protagoras

[12] 320e 330a 330a 330a 330b 331d 349b 349c 351a 351b 356d 359a Meacutenexegravene [3] 240d 240d 246c Gorgias [9] 447c 455d 456c 470a 509d 509d 509d 511a 514a Charmide [7] 156b 168b 168b 168d 168d 168e 169a Meacutenon [2] 78c 95d Euthydegraveme [2] 274d 296c

Dialogues de maturiteacute

Cratyle [14] 393e 394b 394b 394b 399e 404e 405e 412e 417b 425c 427b 427b 435d 438c Banquet

[9] 183a 188d 188d 189c 189d 202e 212b 216c 218e Pheacutedon [2] 70b 99c Reacutepublique I [5] 346a 346b 351b 351e 351e II [8] 358b 359d 360a 364b 366c 366d 367a 374e IV [7] 427e 429b 429e 430b 433b 433d 443b V [9] 454a 458e 466c 473b 477b 477b 477d 477e 478a VI [8] 494c 497b 507a 507c 508a 508b 508e 509b VII [7] 518c 518e 521d 532a 532c 533a 535a IX [4] 587d 588b 590d 591a X [1] 602c Phegravedre [14] 231a 232d 237c 246c 246d 249c 253b 257a 258c 265d 268a 270d 271c 273e Parmeacutenide [4] 133e 134d 135c 150d Theacuteeacutetegravete [6] 156a 158e 168c 185c 185c 197c

Dialogues de vieillesse

Sophiste [13] 219a 219b 232e 236b 244b 247d 247e 248c 248c 251e 252d 263a 265b Politique [20] 261d 262a 266b 272c 273b 279c 287e 289a 291b 293d 300c 300d 301a 304d 305b 305e 308c 308c 308e 310c Philegravebe [18] 16b 24c 25a 28d 29b 30d 31a 31c 32a 44c 44d 49b 49c 57e 58d 63c 64e 67a Timeacutee [35] 18d 24e 25a 25b 25b 26d 28a 30a 32c 37d 38c 38d 41c 42e 45e 46e 48d 49a 54b 63b 64b 64c 65e 66d 71b 71d 71e 74d 75d 76a 83e 85d 85e 89c 89d Critias [4] 109a 113a 115d 120d Lois I [5] 635b 637a 643a 644b 648e II [3] 655d 657b 671a III [12] 686b 686e 688d 688e 690d 691c 691d 692a 692a 694b 697b 702d IV [9] 706b 706b 712a 716c 717c 718c 720e 723a 724b V [9] 728a 730d 731a 736c 739d 739e 741a 747a 747b VI [16] 752a 752d 754c 760a 760b 760e 763c 766a 768b 768b 769d 770b 777d 778a 780b 783d VII [9] 789e 791b

1 Cf Souilheacute Joseph Eacutetude sur le terme ΔΥΝΑΜΙΣ dans les dialogues de Platon Paris Librairie Feacutelix Alcan 1919 Cf aussi Maceacute Arnaud laquo La surpuissance morale des acircmes savantes agrave laune de la proceacutedure atheacutenienne dexamen public des compeacutetences techniques raquo Eacutetudes platoniciennes 2007 pp 69 ndash 102

236

792b 792d 793c 795c 809b 816d 817b VIII [4] 829a 831d 838d 840c IX [9] 856a 865e 869e 870a 874d 876c 877e 880c 881b X [10] 887c 888c 889d 890c 891a 892a 893c 903b 903d 905d XI [12] 918b 919c 923c 924c 924e 926d 927a 927c 930a 931d 938b XII [13] 942d 942e 943e 944b 944d 947d 949e 950e 952c 956b 960d 960d 964c

Dapregraves leacutetude de J Souilheacute dans les premiegraveres œuvres de la litteacuterature grecque le

terme δύναμις est peu preacutesent il deacutesigne une force sensiblement perceptible

Le terme δύναμις est relativement peu employeacute dans les premiers monuments de la litteacuterature grecque qui sont parvenus jusquagrave nous On le trouve quatre fois dans l Iliade cinq fois dans lOdysseacutee avec le sens de pouvoir puissance mais lideacutee semble exclusivement restreinte agrave la force physique la force des bras ou des armes1

Deacutejagrave chez Xeacutenophon la δύναμις prend un sens abstrait laquo La connaissance de soi-

mecircme est pour les hommes une source de grands biens car ils savent ce quils

peuvent faire et ce qui nest pas en leur pouvoir raquo (Meacutemorables IV227)2 Le premier

point tournant dans la mutation du sens de la δύναμις est de consideacuterer les

matheacutematiques comme une forme de puissance3 Or les matheacutematiques ne sont pas

une science agrave caractegravere technique certes ce sont les matheacutematiciens qui ont deacutecouvert

des lois matheacutematiques mais ce ne sont pas eux qui les ont inventeacute Les vrais auteurs

des lois matheacutematiques comme lauteur du Lit dans le livre X de la Reacutepublique sont

sans doute certains dieux ou plus preacuteciseacutement le deacutemiurge puisque cest lui qui

fabriqua lunivers si on en croit ce que Timeacutee raconte dans le dialogue portant son

nom Cela eacutetant les matheacutematiques relegravevent dune puissance divine Dailleurs on

peut constater que lunivers est beaucoup plus complexe que nimporte quelle socieacuteteacute

humaine cependant lunivers est beau non seulement sensiblement mais aussi et

surtout intelligiblement sa beauteacute est matheacutematique En dautres termes lunivers

fournit matheacutematiquement certaines lois fondamentales pour administrer la citeacute

puisquil est physiquement administreacute par des lois matheacutematiques et logique dougrave

linteacuterecirct du Timeacutee (matheacutematique) et de la seconde partie du Parmeacutenide (logique) En

effet les lois matheacutematiques par lesquelles lunivers est administreacute peuvent inspirer agrave

eacutelaborer des modegraveles de justice et de tempeacuterance encore faut-il connaicirctre ces lois

Le signe divin reccedilu par Socrate montre eacutegalement que le dieu connaicirct aussi

parfaitement lunivers cest-agrave-dire les lois matheacutematiques car sans cette

connaissance il ne pourrait pas deacutetecter les signaux de la penseacutee dun homme qui va

faire une chose juste ou injuste et lui envoyer agrave travers la totaliteacute du ciel4 un signal

1 Ibid p 12 Ibid p 93 Cf Ibid laquo sect2 Le sens matheacutematique raquo p 23 ndash 314 Notons que la race des dieux eacutetablit sa demeure dans les hauteurs du ciel (voir Phegravedre 246 c ndash d)

237

pour lempecirccher de commettre une injustice sans cette connaissance comment la

race des dieux pourrait-elle administrer lunivers tout entier (laquo πάντα τὸν κόσμον

διοικε raquo1) Si les lois matheacutematiques peuvent ecirctre montreacutees et deacutemontreacutees

neacutecessairement rationnellement il est tout agrave fait certain que la puissance divine

supeacuterieure agrave la puissance matheacutematique peut et doit ecirctre montreacutee et deacutemontreacutee

rationnellement cette science a pour nom la philosophie2

V312 Eacuteteindre la deacutemesure

Heacuteraclite disait qulaquo il faut eacuteteindre la deacutemesure plus encore quun incendie raquo3 De

mecircme dans les dialogues platoniciens ceacuteder agrave la deacutemesure dans lacircme et dans la citeacute

est aussi tragique que la deacutefaite dAthegravenes4 Ce passage dApologie illustre que cest la

deacutemesure qui a conduit agrave la condamnation agrave mort de Socrate le tort causeacute agrave Socrate

et agrave sa citeacute le fut par la deacutemesure dun citoyen

Ce que tu dis est incroyable Meacuteleacutetos et tu ne crois mecircme pas toi-mecircme agrave ce que tu dis jen ai bien limpression Le fait est Atheacuteniens que jai limpression que mon adversaire aperdu toute mesure et toute retenue et que tout compte fait laction judiciaire quil a intenteacute est due agrave un manque de mesure agrave un manque de retenue et agrave la jeunesse5

La deacutemesure (ὕβρις)6 est est due agrave la meacuteconnaissance de soi-mecircme cest dailleurs

lun des traits de la jeunesse7 que lon peut lire aussi agrave travers lAlcibiade le Charmide

1 Phegravedre 246 c Un signal est une information dapregraves la relativiteacute restreinte en tant quinformation il ne peut deacutepasser la vitesse de la lumiegravere puisque le facteur multiplicatif dune masse en repos ou en vitesse est deacutetermineacute par ceci 1radic1minus(v2c2) Cela eacutetant si vgtc (la vitesse dune informationdivine est supeacuterieure agrave celle de la lumiegravere) alors le nombre 1minus(v2c2) est neacutegatif Toutefois cela est interdit par la racine carreacutee Or lacircme est sans doute une uniteacute sans masse de ce fait le dieu peut bien envoyer un signal (une information) sans masse aucune une telle hypothegravese nest possible ni pour la theacuteorie de la relativiteacute ni pour la physique quantique

2 Cf Brisson Luc laquo Socrates and the Divine Signal According to Platos Testimony Philosophical Practice as Rooted in Religious Tradition raquo Apeiron 38 2005 pp 1 ndash 12

3 Vies et doctrines des philosophes illustres livre IX 24 Cf laquo La deacutefaite dAthegravenes et la condamnation agrave mort de Socrate deux trageacutedies fondatrices raquo

Platon Paris Cerf 2017 pp 37 ndash 435 Apologie 26 e6 Cf Alcibiade ὑβριστὴς (114 d) ὕβρεως (114 d) Apologie ὑβριστὴς (26 e) ὕβρει (26 e) Banquet ὑβριστὴς (175 e) ὕβρεως (181 c) ὕβρεως (188 a) ὑβριστὴς (215 b) ὑβριστοῦ (221 e) Charmide ὑβριστικῶς (175 d) Cratyle ὑβριστικὸν (396 b) ὑβριστικὰ (426 b) Euthydegraveme ὑβριστὴς (273 a) Gorgias ὕβρεως (525 a) Hippias majeur ὑβριστικῶς (286 c) Lettre III ὕβριν (315 c) ὑβριστικῶς (319 b) Lois I ὑβρισταὶ (630 b) ὕβρεσι (637 a) ὑβριστότεροι (641 c) ὕβριν (641 c) ὕβρις (649 d) Lois II ὕβριν (661 e) ὑβριστής (662 a) Lois III ὕβρις (679 c) ὕβρεως (691 c) Lois IV ὕβρεως (716 a) Lois VI ὕβρις (774 c) ὕβρεως (775 d) ὕβριν (777 d) ὕβρει (783 a) Lois VII ὕβρεως (793 e)ὑβριστότατον (808 d) Lois VIII ὕβριν (835 e) ὕβριν (837 c) ὕβρεως (849 a) Lois X ὕβρεις ὕβρεως (885 a) ὕβρις (906 a) Meacutenon ὑβριστής (76 a) Pheacutedon ὕβρεις (81 e) Phegravedre ὕβρις (238 a) ὕβρις (238 a) ὕβρει (250 e) ὑβριστικὸν (252 b) ὕβρεως (253 e) ὑβριστὴν (254 c) ὑβριστοῦ (254 e)ὕβρεως (254 e) Philegravebe ὕβριν (26 b) ὕβρει (45 d) ὑβριστῶν (45 e) Politique ὑβριστικὰ (307 b) ὕβριν (309 a) Protagoras ὑβριστὴς (355 c) Reacutepublique III ὕβρεως (400 b) ὕβρει (403 a) Reacutepublique VIII ὕβριν (560 e) ὕβριν (560 e) Reacutepublique IX ὕβριν (572 c) Sophiste ὕβρεις (216 b) ὕβριν (229 a) Timeacutee ὕβρει (24 e)

7 Puisque Meacuteleacutetos est jeune dapregraves un propos de Socrate au deacutebut de lEuthyphron laquo Je ne le

238

le Lysis le Meacutenon le Phegravedre ou encore le Theacuteeacutetegravete En effet quand on est jeune on na

pas encore suffsamment dexpeacuterience cest-agrave-dire de capaciteacute agrave distinguer par la vie

veacutecue le bien du mal agrave ce titre il nest mecircme pas tregraves raisonnable de demander agrave de

jeunes gens de se connaicirctre eux-mecircme decirctre tempeacuterants dougrave limportance de

leacuteducation Et plus geacuteneacuteralement ceux qui jeunes ou vieux hommes ou femmes ne

savent pas encore penser reacutefeacutechir contempler ne peuvent eacuteviter la deacutemesure dougrave

la neacutecessiteacute de forcer ces gens-lagrave agrave acqueacuterir certaines vertus par habitude et par

exercice

Socrate Degraves alors les autres vertus (ἄλλαι ἀρεταί) quon appelle vertus de lacircme risquent bien decirctre assez proches de celles du corps car en reacutealiteacute elles ny sont pas dabord preacutesentes elles sont produites plus tard par leffet des habitudes et des exercices La vertu qui sattache agrave la penseacutee (τοῦ φρονῆσαι) appartient toutefois apparemment plus que tout agrave quelque principe divin quelque chose qui ne perd jamais sa puissance mais qui en fonction du retournement quil subit devient utile et beacuteneacutefque ou au contraire inutile et nuisible1

La sagesse (φρόνησις ou σοφία) ne peut sacqueacuterir seulement par habitude ou par

exercice mais de preacutefeacuterence par la contemplation des reacutealiteacutes intelligibles par la

connaissance de la veacuteriteacute dougrave son aspect laquo inutile et nuisible raquo Car dire la veacuteriteacute

posseacuteder laquo quelque principe divin raquo peuvent bien susciter la haine la jalousie qui

sont inutiles et nuisibles sachant que la sagesse elle-mecircme est toujours utile et

beacuteneacutefque

Analyser la deacutemesure constitue mecircme un motif profond du Phegravedre dougrave vient la

deacutemesure Avant mecircme de raconter le mythe de lattelage aileacute Socrate parle deacutejagrave de

la cause de la deacutemesure

[hellip] quand cest une opinion rationnelle qui megravene vers ce quil y a de meilleur et qui domine cette domination sappelle laquo tempeacuterance raquo Mais quand cest un deacutesir (ἐπιθυμίας) qui entraicircne deacuteraisonnablement vers le plaisir (ἐπὶ ἡδονὰς) et qui gouverne en nous ce gouvernement a pour nom laquo deacutemesure raquo (ὕβρις) Or on le sait la deacutemesure a beaucoup de noms car elle preacutesente une grande diversiteacute deacuteleacutements et de formes et celle de ces formes qui vient agrave preacutedominer sert agrave nommer lhomme qui la possegravededeacutenomination qui nest ni belle ni honorable Si cest le deacutesir de bonne chegravere qui lemporte sur ce que la raison preacutesente comme le meilleur et sur le reste des deacutesirs voilagrave la gourmandise dougrave le nom de laquo gourmand raquo qui deacutesignera celui qui a ce vice2

[Meacuteteacutelos] connais pas tregraves bien moi-mecircme Euthyphron car je jai limpression quil est plutocirct jeune et inconnu raquo (2 b)

1 Reacutepublique VII 518 d ndash e Dans le Pheacutedon Socrate dit agrave peu pregraves la mecircme chose les deux vertus la justice et la tempeacuterance peuvent sacqueacuterir par habitude et par exercice (82 a ndash b)

2 Phegravedre 238 a ndash b Dans le Phegravedre la deacutemesure est consideacutereacutee Le contraire de la tempeacuterance (σωφροσύνη) voir aussi Charmide 175 d (cf aussi laquo Notes raquo ndeg 223 p 154) Lois I 630 a ndash b VIII 859 a

239

Dougrave vient ce deacutesir qui est agrave lorigine de la deacutemesure Il est lune des raisons de

concevoir rigoureusement lacircme comme un attelage aileacute laquo Rappelons-nous Au

commencement de ce mythe nous avons dans chaque acircme distingueacute trois

eacuteleacutements deux qui ont la forme dun cheval et un troisiegraveme qui a laspect dun

cocher Voici donc que de ces deux chevaux lun disons-nous est bon et lautre

non Mais nous navons pas expliqueacute en quoi consiste lexcellence du bon ou le vice

du mauvais cest ce quil faut dire agrave preacutesent raquo1 Le bon cheval laquo aime lhonneur en

mecircme temps que la tempeacuterance et la retenue raquo (laquo τιμῆς ἐραστὴς μετὰ σωφροσύνης

τε καὶ αἰδοῦς raquo 253 d) tandis que le mauvais cheval laquo a le goucirct de la deacutemesure et de

la vantardise raquo (laquo ὕβρεως καὶ ἀλαζονείας ἑταῖρος raquo 253 e) Ainsi toute la question

consiste agrave savoir comment eacuteteindre la deacutemesure voici la proposition de Socrate

Mais le cocher encore plus eacutemu cette fois-ci se rejette en arriegravere comme sil avait devant lui une corde tire encore plus violemment le frein du cheval emporteacute par la deacutemesure lui arrache de ses dents fait saigner sa langue injurieuse et ses macircchoires et forccedilant ses jambes et sa croupe agrave toucher la terre laquo il le livre aux douleurs raquo

Or quand traiteacutee plusieurs fois de la mecircme faccedilon la becircte vicieuse a renonceacute agrave la deacutemesure elle suit deacutesormais leacutechine basse la deacutecision reacutefeacutechie du cocher et lorsquelle aperccediloit le bel objet elle meurt deffroi2

La fonction deacutesirante de lacircme est une puissance qui par nature ne connaicirct pas la

mesure et si elle se trouve au service de la deacutemesure cest parce que le cocher (la

fonction intellective) na pas accompli sa mission de gouverner de commander de

contempler

V313 Mythe dEr

Recevoir un signe divin et linterpreacuteter correctement nest pas une affaire de tous

cela relegraveve de la science de la connaissance de la veacuteriteacute car le signe divin est un

message envoyeacute par un veacuteritable savant cest-agrave-dire un dieu qui connaicirct reacuteellement

ce qui est De mecircme eacuteteindre la deacutemesure nest pas non plus une affaire pour la

grande foule car cela relegraveve de la connaissance de soi-mecircme ou de la tempeacuterance 3 or

se connaicirctre soi-mecircme relegraveve de la science de la connaissance de ce qui est de la

philosophie La question se pose ainsi comment faire comprendre au grand nombre

certaines lois divines 4 Au moyen du mythe (car une loi divine est inveacuterifable ce

1 Phegravedre 253 253 c ndash d2 Phegravedre 254 d ndash e3 Voir Alcibiade 131 b laquo la tempeacuterance consiste agrave se connaicirctre soi-mecircme raquo Comme le contraire de la

tempeacuterance est la deacutemesure qui est eacutegalement le contraire de laquo se connaicirctre soi-mecircme raquo4 Agrave propos du mythe dEr J Annas eacutecrit ceci laquo Il est diffcile de savoir ce que Platon cherche agrave nous

communiquer en ayant recours au mythe On dit dordinaire quil utiliserait le mythe pour exprimer

240

qui correspond mieux au langage mythologique) particuliegraverement des trois mythes

eschatologiques agrave la fn de la Reacutepublique du Pheacutedon et du Gorgias Nous parlons ici

briegravevement du mythe dEr dont le sens du mythe saffche clairement degraves le deacutebut il

sagit laquo du reacutecit dun homme vaillant dont le nom eacutetait Er originaire de

Pamphylie raquo

Il se trouve quil mourut au combat Dix jours avaient passeacute quand on vint ramasser les cadavres deacutejagrave putreacutefeacutes mais quand on le releva lui il eacutetait bien conserveacute On le porte chez les siens pour les funeacuterailles mais le douziegraveme jour alors quon lavait placeacute sur le bucirccher funeacuteraire il revint agrave la vie une fois revenu agrave la vie il raconta ce quil avait vu lagrave-bas 1

Pourquoi revint-il agrave la vie laquo il lui fallait devenir le messager aupregraves des hommes de

ce qui se passait dans ce lieu raquo2 ougrave les acircmes sont soumises sans exception au

jugement des juges des morts3 En effet laquo Platon cherche maintenant agrave montrer que

les reacutecompenses de la justice dans cette vie sont dune importance mineure en

comparaison agrave celles qui attendent lacircme apregraves sa mort raquo4 Au fond dans la vie

incarneacutee la punition subie par les pires injustes jugeacutes par un tribunal sont

principalement des chacirctiments subis par le corps et non par lacircme la prison la dureacutee

passeacutee dans la prison les conforts priveacutes dans la prison labsence de vie sexuelle ou

de liberteacute de se promener lagrave ougrave on veut de deacutepenser de voir les parents et les amis

bref le chacirctiment consiste agrave priver les injustes des deacutesirs de choses sensibles de

mecircme pour la reacutecompense il sagit de la richesse de lhonneur et dautres belles

choses du monde sensible tout cela en reacutealiteacute na pas de rapport avec lacircme puisque

laquo lacircme se situe en-deccedilagrave de lintelligible et au-delagrave du sensible raquo5 Sil existe les

tribunaux dans les citeacutes il existe neacutecessairement une forme de tribunal qui se trouve

au-delagrave du monde sensible au-delagrave de lHumaniteacute dans la mesure ougrave on reconnaicirct la

reacutealiteacute de lacircme pour deux raisons 1 Un tribunal est une copie du Tribunal

autrement dit le fait de juger la vie est une loi divine cest-agrave-dire un principe divin

et selon ce principe chaque citeacute eacutelabore des lois qui conformeacutement agrave sa constitution

politique afn de punir les pires injustes ou de reacutecompenser les grands justes 6 2 La

des veacuteriteacutes religieuses dun ordre plus eacuteleveacute au-delagrave de la porteacutee des arguments raquo (Annas Julia Introduction agrave la Reacutepublique de Platon Paris PUF 2006 [1994 (2e tirage) 1981 (Oxford University Presse)] p 442

1 Reacutepublique X 614 b Nous soulignons2 Ibid 614 d3 Cf Reacutepublique X laquo Notes raquo ndeg 60 p 7254 Supra J Annas p 441 Voir la note de bas de page 7685 Platon Paris Cerf 20017 p 956 Notons au passage que laccusateur principal du procegraves intenteacute contre Socrate Meacuteleacutetos nest pas un

criminel ni mecircme un homme injuste volontairement cest en effet le reacutegime politique qui permet agrave un citoyen de faire une chose aussi absurde Cest en ce sens que lApologie de Socrate de Platon est en veacuteriteacute une critique des institutions atheacuteniennes Le nom Meacuteleacutetos au tribunal du procegraves agrave leacutepoque

241

vie est une communauteacute de lacircme davec le corps un ecirctre humain est jugeacute dans la vie

agrave travers les chacirctiments subis par le corps pour les injustices commises ou les

reacutecompenses gratifeacutees agrave lhonneur du corps pour les justices faites

V32 Principes cosmologiques

Au deacutebut de la section laquo V3 Tempeacuterance raquo en analysant un passage du Gorgias (504

d) nous avons vu que la tempeacuterance (σωφροσύνη) est apparenteacutee agrave la κόσμησις

(lharmonie en tout cas une forme dharmonie peut-ecirctre la plus belle harmonie) qui

veut dire plus preacuteciseacutement ceci cest lordre naturellement eacutetabli qui donne

lharmonie1 Lordre naturellement eacutetabli cest eacutevidemment le κόσμος dont la

preacutesence du terme dans le corpus platonicien se concentre principalement sur les

quatre dialogues agrave savoir le Gorgias (9 fois) le Politique (11) les Lois (15) et le Timeacutee

(17)2 Cependant dans le Gorgias le κόσμος ne veut pas dire lunivers mais lordre

eacutetabli par leffort humain En effet agrave leacutevidence lordre de lunivers est un ordre

parfait Si on veut que lordre dans lacircme et lordre dans la citeacute le soient aussi il faut

que lordre de lacircme humaine et lordre de la citeacute soient reacuteunis agrave lordre de lunivers

dougrave linteacuterecirct philosophique pour les principes cosmologiques Ici nous en analysons

trois dans une perspective eacutethique agrave savoir la proportion la hieacuterarchie et lharmonie

En effet leacutethique a bien un rapport intrinsegraveque avec lhieacuterarchie et lharmonie pas

seulement avec la mesure

V321 La proportion

Lunivers est un espace geacuteomeacutetrique or la proportionnaliteacute est une proprieacuteteacute

fondamentale de la geacuteomeacutetrie Dailleurs ce que montre Socrate dans le Meacutenon agrave

avait certainement un sens puisquil y eacutetait preacutesent mais ce nom na aucun sens pour les geacuteneacuterations qui viennent si ce nest un miroir de la reacutealiteacute des institutions agrave leacutepoque

1 Le terme κόσμησις na que quatre occurrences dans le corpus platonicien Critias κοσμήσεως (117 b) Gorgias κοσμήσεσιν (504 d) Lois X [1] κοσμήσεως (904 a) XII κοσμήσεων (949 d)

2 Voici la liste complegravete Alcibiade κόσμον (123 c) κόσμων (123 c) κόσμος (123 c) Banquet κόσμος (197 e) κόσμῳ (223 b) Critias κόσμῳ (117 a) κόσμου (121 c) Gorgias [9] κόσμου (504 a) κόσμου (504 b) κόσμου (504 b) κόσμου (504 c) κόσμος (506 e) κόσμον (506 e) κόσμον (506 e) κόσμον (508 a) κόσμον (523 e) Lettre II κόσμος (312 c) Lois [15] IV κόσμον (717 e) V κόσμον (736 e) VI κόσμον κόσμου (759 a) κόσμον (759 a) κόσμος (761 d) κόσμον (764 b) κόσμου (764 d) κόσμος (769 e) VII κόσμοι (800 e) κόσμον (821 a) VIII κόσμον (846 d) X κόσμου (897 c) κόσμῳ (898 b) XII κόσμου (967 c) Lysis κόσμος (205 e) Meacutenexegravene κόσμον (236 d) κόσμος (236e) Pheacutedon κόσμους (114 e) κόσμῳ (114 e) Phegravedre κόσμοις (239 d) κόσμον (246 c) Philegravebe κόσμου (28 e) κόσμον (29 e) κόσμον (59 a) κόσμος (64 b) κόσμον (66 c) Politique [11] κόσμον (269 d) κόσμον (269 e) κόσμου (271 d) κόσμον (272 e) κόσμου (273 a) κόσμον (273 b) κόσμου(273 e) κόσμῳ (274 a) κόσμος (274 d) κόσμον (288 c) κόσμον (289 b) Protagoras κόσμῳ (315 b) κόσμοι (322 c) Reacutepublique II κόσμον (373 c) IV κόσμος (430 e) VI κόσμῳ (500 c) Timeacutee [17] κόσμον (24 c) κόσμου (27 a) κόσμος (28 b) κόσμος (29 a) κόσμον (29 b) κόσμου (29 e) κόσμον (30 b) κόσμος (30 d) κόσμους (31 b) κόσμου (32 c) κόσμου (32 c) κόσμον (40 a) κόσμου (42 e) κόσμου (48 a) κόσμους (55 c) κόσμου (62 d) κόσμος (92 c)

242

propos du calcul geacuteomeacutetrique relegraveve de la proportionnaliteacute geacuteomeacutetrique Autrement

dit la proportion est un critegravere de la mesure et elle est perceptible plus facilement

quune notion purement abstraite labsolu par exemple Cela (cest-agrave-dire la

geacuteomeacutetrie dans le Meacutenon ougrave on cherche agrave savoir comment sacqueacuterir la vertu) sous-

tend que la proportion (συμμετρία) est quelque chose de commun entre la geacuteomeacutetrie

et la vertu cest sans doute un point possible de luniteacute du Meacutenon Le substantif συμ-

μετρία (avec-mesure) est peu preacutesent dans le corpus platonicien mais le sens

philosophique du terme y est prononceacute1 avec clarteacute dans le Philegravebe

Σωκράτης

νῦν δὴ καταπέφευγεν ἡμῖν ἡ τοῦ ἀγαθοῦ δύναμις εἰς τὴν τοῦ καλοῦ φύσιν μετριότης γὰρ καὶ συμμετρία κάλλος δήπου καὶ ἀρετὴ πανταχοῦ συμβαίνει γίγνεσθαι

Πρώταρχοςπάνυ μὲν οὖν

Σωκράτηςκαὶ μὴν ἀλήθειάν γε ἔφαμεν αὐτοῖς ἐν τῇ κράσει μεμεῖχθαι

Πρώταρχοςπάνυ γε

Σωκράτηςοὐκοῦν εἰ μὴ μιᾷ δυνάμεθα ἰδέᾳ τὸ ἀγαθὸν θηρεῦσαι σὺν τρισὶ λαβόντες κάλλει καὶ συμμετρίᾳ καὶ ἀληθείᾳ λέγωμεν ὡς τοῦτο οἷον ἓν ὀρθότατ᾽ ἂν αἰτιασαίμεθ᾽ ἂν τῶν ἐν τῇ συμμείξει καὶ διὰ τοῦτο ὡς ἀγαθὸν ὂν τοιαύτην αὐτὴν γεγονέναι2

Socrate

Nous voyons deacutesormais que la puissance du bien sest reacutefugieacutee dans la nature du beau car je suppose que la mesure et la proportion accompagnent partout la beauteacute et la vertu

ProtarqueOui Parfaitement

SocrateEt nous avons dit que dans le meacutelange cest aussi la veacuteriteacute qui leur est ajouteacutee

ProtarqueOui Parfaitement

SocrateAinsi si nous ne pouvons nous servir dune unique nature afn de capturer le bien employons-en trois agrave la fois la beauteacute la proportion et la veacuteriteacute Et disons quil est on ne peut plus juste de reconnaicirctre agrave cette sorte duniteacute la cause de ce qui se trouve dans le meacutelange puisque cest sa bonteacute qui est la cause de cemeacutelange

laquo La beauteacute la proportion et la veacuteriteacute raquo signife que ce qui est beau est proportionnel

et reacuteellement ecirctre ce qui est veacuteritablement proportionnel est certainement beau et

reacuteel et ce qui est est neacutecessairement beau et proportionnel En effet la proportion

entre le jour et la nuit nest pas la mecircme que celle entre le jour et le mois ni non plus

que celle entre le mois et lanneacutee3 et ainsi de suite Si la proportion est presque

1 Voici la liste Lois XI συμμετρίαν (925 a) Philegravebe συμμετρία (64 e) συμμετρίᾳ (65 a)Reacutepublique VII συμμετρίας (530 a) συμμετρίαν (530 a) Sophiste συμμετρίας (228 c) συμμετρίας (235 d) συμμετρίαν (235 e) συμμετρίας (236 a) Timeacutee συμμετρίαν (66 a) συμμετρία (66 d) συμμετρίας (69 b) συμμετρία (87 d) συμμετρίαις (87 d)

2 Philegravebe 64 e ndash 65 a3 Voir Reacutepublique VII 530 a

243

symeacutetrique entre la nuit et le jour ce nest pas le cas entre le jour et le mois

autrement dit la proportion geacuteomeacutetrique1 peut aller de la symeacutetrie jusquagrave un

rapport infniment petit ou grand comme la proportion entre limmortaliteacute et la

mortaliteacute entre lintelligible et le sensible entre limmuabiliteacute et le devenir

Autrement dit tout ce qui participe agrave lintelligible est conforme agrave la proportion

consideacuterant que lon distingue ce qui participe activement agrave lintelligible de ce qui

lest passivement comme la distinction entre ce qui est tempeacuterant par habitude et par

exercice et ce qui lest par la reacutefexion

V322 La hieacuterarchie

Dapregraves lastronomie moderne dans le systegraveme solaire cest le Soleil qui est le centre

gravitationnel autour de lui les corps ceacutelestes solaires trouvent leur orbite Dans le

Timeacutee le centre est la Terre2 Dans la Reacutepublique la cause de ce qui se passe sur la

Terre est le Soleil sans lequel il ne peut y avoir la geacuteneacuteration la croissance et la

nourriture3 On voit bien que dans ces trois cas la hieacuterarchie du systegraveme solaire nest

pas la mecircme Dun point de vue astrophysique le systegraveme solaire est un systegraveme

certes hieacuterarchiseacute selon certains critegraveres astrophysiques la masse le volume la

distance au Soleil la reacutevolution la rotation lorbite le nombre de satellites etc mais

dune telle hieacuterarchisation laquo objective raquo il est diffcile pour ne pas dire impossible de

tirer proft au service de la politique et de leacutethique car dun point de vue

astrophysique la structure de lunivers est deacutetermineacutee par la gravitation dont la loi

est deacutetermineacutee par la masse Autrement dit le mouvement des corps ceacutelestes dans le

champ de la gravitation est deacutetermineacute par leur masse et la pesanteur (qui elle aussi

est deacutetermineacutee par la masse du corps autour duquel les corps ceacutelestes tournent) En

un mot la notion de masse est le fondement mecircme de lastrophysique Alors que

lacircme est deacutepourvue de toute masse

En revanche dans le Timeacutee le centre de lunivers est la Terre cela peut faire rire dans

le corps eacuteducatif moderne En fait dans les mythes platoniciens la Terre est le centre

de lunivers pour une raison tregraves simple elle est le foyer de la vie des mortels en tout

cas jusquagrave preacutesent car mecircme avec de puissants teacutelescopes spatiaux on na pas

1 Oui la proportion entre le jour et la nuit entre le jour et le mois entre le jour et lanneacutee mecircme au-delagrave peut bien ecirctre repreacutesenteacutee de maniegravere geacuteographique puisque les mouvements orbitaux des astres sont bel et bien repreacutesenteacutes de la maniegravere geacuteographique

2 Cf Timeacutee laquo Annexe 3 Figure 5 raquo voir aussi 38 c ndash d 40 b ndash c Dans le Pheacutedon Socrate dit ceci laquo si la Terre est au centre du ciel et si elle est ronde raquo (108 e)

3 Voir Reacutepublique VI 509 b

244

encore trouveacute ailleurs un tel foyer et on ne le trouvera peut-ecirctre mecircme jamais Cette

reacutealiteacute scientifquement approuveacutee ressemble agrave un mythe Peut-ecirctre mecircme quun jour

les mythes platoniciens serontt scientifquement approuveacutes Effectivement le Timeacutee

est un mythe mais il raconte une reacutealiteacute peut-ecirctre plus laquo objective raquo quun discours

scientifque en la matiegravere parce que dans un discours scientifque moderne lacircme

nest pas prise en compte certains scientifques comme Stephen Hawking nient

lexistence mecircme de lacircme

Dans la Reacutepublique Socrate propose une autre hieacuterarchisation des choses agrave savoir le

principe selon lequel le Soleil est la source de la geacuteneacuteration de la croissance et de la

nourriture Cette hieacuterarchisation se fonde sur le critegravere de la puissance de la lumiegravere

la lumiegravere du Soleil la lumiegravere du feu artifcielle dans la caverne et lombre au fond

de la caverne Or dans le livre VI de la Reacutepublique (509 a ndash b) le Soleil est compareacute au

Bien Le Bien comme critegravere de la hieacuterarchisation des choses sera encore plus preacutecis

dans le Phegravedre les acircmes humaines sont hieacuterarchiseacutees en neuf cateacutegories selon la

connaissance de la veacuteriteacute il sagit dune hieacuterarchisation verticale dune proportion

verticale En effet le fait de respecter la hieacuterarchie verticale est deacutejagrave une tempeacuterance

V323 Lharmonie

Lharmonie peut donner une inspiration politique et eacutethique Dans le Cratyle elle est

deacutefnie par laccord ou la consonance (συμφωνία)1 il sagit de lharmonie musicale et

astronomique2 qui deacutesigne les mouvements par rotation simultaneacutee autour dun

motif dun centre ou de quelque autre chose3 Dans un passage du livre IV de la

Reacutepublique ces quatre termes sont synonymes agrave savoir la modeacuteration (σωφροσύνη)

laccord (συμφωνία) lharmonie (ἁρμονία) et lordre harmonieux (κόσμος)

Socrate Comment faire degraves lors pour deacutecouvrir la justice de telle sorte que nous nayons pas agrave nous preacuteoccuper plus avant de la modeacuteration (σωφροσύνης)

Glaucon Pour lheure je nen ai aucune ideacutee dit-il et je ne souhaiterais pas que la justice soit mise en lumiegravere si cela doit avoir pour conseacutequence que nous renoncions agrave lexamen de la modeacuteration Mais si tu deacutesires me faire plaisir examine ce point avant lautre

Socrate Mais au contraire dis-je je le souhaite ce serait une faute que de ne pas le faire

1 Cratyle 405 d laquo καὶ τὴν περὶ τὴν ἐν τῇ ᾠδῇ ἁρμονίαν ἣ δὴ συμφωνία καλεῖται raquo Le terme estpeu preacutesent dans le corpus platonicien concentreacute dans les Lois et la Reacutepublique cela semble dire que le terme a une forte connotation politique et eacutethique Banquet συμφωνία (187 b) συμφωνία (187 b) Cratyle συμφωνία (405 d) Lois II συμφωνία (653 b) συμφωνίαν (659 e) συμφωνίαν (662 b)III συμφωνίας (689 d) IX συμφωνίας (860 c) Reacutepublique III συμφωνίαν (401 d) IV συμφωνίᾳ (430 e) συμφωνίαν (432 a) συμφωνίᾳ (442 c) VII συμφωνίας (531 a) συμφωνίαις (531 c) IX συμφωνίας (591 d) συμφωνίαν (591 d) Timeacutee συμφωνίαν (47 d) συμφωνίας (67 c)

2 Ibid laquo περὶ μουσικὴν καὶ ἀστρονομίαν raquo3 Ibid laquo ἁρμονίᾳ τινὶ πολεῖ ἅμα πάντα raquo

245

Glaucon Alors examine la question dit-il

Socrate Il faut faire cet examen dis-je Autant quon puisse lentrevoir de notre position lamodeacuteration semble constituer un certain accord (συμφωνίᾳ) une harmonie (ἁρμονίᾳ) plus que les ltvertusgt preacuteceacutedentes

Glaucon Comment

Socrate La modeacuteration dis-je est une certaine forme dordre harmonieux (κόσμος) elle est la maicirctrise de certains plaisirs et deacutesirs Cest un peu ce quon veut dire quand on recourt agravedes expressions telles que laquo plus fort que soi-mecircme raquo je ne sais trop en quel sens ou encore agrave toutes les expressions de ce genre qui en constituent pour ainsi dire les indices dans le langage Nest-ce pas le cas 1

Une acircme harmonieuse est une acircme qui maicirctrise les plaisirs et les deacutesirs mais

comment les maicirctriser Le terme κόσμος signife au sens cosmologique les

mouvements harmonieux par rotation simultaneacutee autour de quelque chose la Lune

tourne autour de la Terre la Terre du Soleil et ainsi de suite jusquagrave lunivers tout

entier qui tourne sans doute sur lui-mecircme comme la Terre tourne eacutegalement sur elle-

mecircme mais lunivers tourne aussi autour de ce qui est supeacuterieur agrave lui le Bien parce

que lunivers est un ecirctre vivant doteacute dun corps et dune acircme qui est pourvue de

lintellect parfait2 Cela dit lacircme se trouve neacutecessairement dans lharmonie quand 1

elle suit constamment une acircme qui est verticalement supeacuterieure agrave elle donc

eacutevidemment lacircme dun dieu ou dun philosophe 2 en mecircme temps elle cherche agrave se

connaicirctre elle-mecircme en permanence

V33 Le discours la justice et la tempeacuterance

Nous lavons vu dans la section laquo V232 La citoyenneteacute raquo les deux vertus agrave savoir

la justice et la tempeacuterance sont deux excellences morales que tous les citoyens

doivent posseacuteder Cela eacutetant la justice et la tempeacuterance doivent ecirctre le fondement sur

lequel les lois doivent ecirctre eacutelaboreacutees et leacutegifeacutereacutees

LEacuteTRANGER DATHEgraveNES

Apregraves quoi le leacutegislateur doit surveiller de quelle faccedilon les citoyens acquiegraverent les richesses et les deacutepensent il doit examiner chez tous les citoyens les relations quils nouent entre eux et quils rompent de leur plein greacute ou non pour deacuteterminer dans chacun de ces cas la nature de la relation quils instaurent entre eux et ougrave dans ces eacutechanges se trouve ou non le juste puis il doit distribuer les honneurs agrave ceux qui respectent les lois et infiger aux deacutelinquants des peines fxeacutees jusquagrave ce que arrivant par eacutetapes au terme de lorganisation de la citeacute il considegravere quel type de seacutepultureconvient agrave chacun des deacutefunts et quels honneurs il faut accorder Au terme de cet examen celui qui a eacutedicteacute ces lois eacutetablira pour sauvegarder cet ensemble des gardiens

1 Reacutepublique IV 430 d ndash e2 Voir Timeacutee 30 b

246

dont les uns se guideront sur la reacutefexion et les autres sur lopinion vraie afn que lintellect qui a conduit cet ensemble fasse apparaicirctre quil est reacuteagi par la tempeacuterance (σωφροσύνη) et la justice (δικαιοσύνη) et non par la richesse et lambition1

Avant de forcer les citoyens agrave ecirctre reacutegis par la tempeacuterance et la justice il faut que le

leacutegislateur le soit lui-mecircme cela est une condition de leacutediction des lois Dans le

corpus platonicien ces deux vertus sont souvent employeacutees ensemble2 mecircme dans la

bouche de Calliclegraves3 Au tout deacutebut de la section laquo V3 La tempeacuterance raquo nous avons

fait une introduction au rapport entre la loi la justice et la tempeacuterance Voici le

passage qui considegravere que la loi et lordre comme unique objectif du discours

particuliegraverement pour les orateurs

Socrate Donc le bon orateur qui dispose dun art et qui est homme de bien preacutesentera aux acircmes les discours quil prononce en prenant la loi et lordre comme unique objectif et il secomportera de mecircme sur cet objectif quil donnera une faveur sil doit la donner quil la retirera sil doit la retirer tout cela sera fait avec lideacutee de mettre de la justice dans lacircme des ses citoyens de les deacutelivrer de linjustice de leur inculquer la tempeacuterance et de les deacutebarrasser du deacuteregraveglement (ἀκολασία) Bref que dans leur acircmes sinstallent toutes sortes de vertus et que le vice sen aille Es-tu daccord oui ou non 4

Linjustice consiste agrave causer du tort aux autres en causant du tort agrave soi-mecircme

lintempeacuterance (ἀκολασία) consiste agrave causer du tort agrave soi-mecircme en ceacutedant aux

plaisirs et aux deacutesirs de la sorte elle peut causer du tort aux autres En effet

linjustice commise trouve sa cause dans lignorance mais aussi sa source dans

lintempeacuterance cest-agrave-dire laquo le deacutesir qui entraine deacuteraisonnablement (ἀλόγως) vers

le plaisir raquo Cest pourquoi ces deux vertus sont souvent employeacutees ensemble

Ladverbe ἀλόγως est formeacute agrave partir de ladjectif ἄλογος cela dit lintempeacuterance

trouve sa source dans une acircme qui est deacutepourvue de λόγος Cest pourquoi la loi doit

sadresser agrave lacircme des citoyens comme un discours vrai

V331 La loi comme discours

laquo La loi est le seul discours qui puisse embrasser ainsi toutes les activiteacutes le seul qui

puisse prescrire la totaliteacute des conduites Le seul discours surtout qui puisse

sadresser avec autoriteacute agrave tous les citoyens raquo5 La liste suivante donne le numeacutero des

1 Lois I 632 b ndash c2 Voici la liste non exhaustive des paragraphes ougrave ces deux termes sont employeacutes ensemble

Alcibiade 134 c Banquet 188 d 196 c 196 d 209 a Gorgias 492 b 492 c 504 d 504 e 507 d 508 b 519 a Lachegraves 198 a 199 d Lois I 632 c XII 964 b 965 d Meacutenon 73 b 73 b 78 d 79 a 88 a Pheacutedon 69b 69 c 82 b Phegravedre 247 d 250 b Protagoras 323 a 323 b 325 a 329 c 329 c 330 b 333 b 349 b 361 b Reacutepublique II 364 a IV 430 d 430 d 433 b 433 d 442 d VI 487 a 500 d 504 a 506 d IX 591 b

3 Voir Gorgias 492 b ndash c4 Gorgias 504 d ndash e5 Brisson Luc laquo La loi dans les Lois de Platon raquo Orient-Occident racines spirituelles de lEurope Paris

247

paragraphes ougrave apparaissent les deux termes νόμος et λόγος dans un mecircme

paragraphe

Banquet 210 c Charmide 161 e Criton 52 c 53 c 53 e Gorgias 482 e 483 a 483 a 484 d 489 b 492 b 504 d 523 a Hippias majeur 298 d Lettre VII 326 c 328 c 334 c 344 c VIII 354 c 355 a 355 c 355 c Lois I 627 d 631 a 634 d 641 d 642 b 645 b II 656 c 659 d 663 a 671 c 673 e 674 b III 678 a 682 e 683 a 683 b 684 a 689 b 691 a 695 c 699 c IV 712 b714 a 714 d 715 c 719 d 719 e 722 a 722 d 723 a 723 a 723 b 723 b 723 c 723 e V 734 e 735 a 739 b 743 c 743 e 746 e VI 751 b 769 e 772 e 773 c 783 a 783 b VII 793 b 797 a 799 d 800 b 802 e 804 c 805 c 812 a 814 c 817 a 822 e 823 a 824 a VIII 832 d 835 e 836 c 837 e 839 d 844 a IX 853 c 854 a 857 c 858 c 858 c 860 a 862 d 872 e 880 e X 885 b 887 a 887 a 887 c 888 d 890 b 890 c 890 d 890 d 891 a 891 b 891 e 907 d 907 d 907 e 909 d XI 918 a 922 e 926 b 927 e 932 a 933 d 934 e 935 c 938 a XII 941 c 952 a 952 d 957 c 959 b 966 b 968 a Meacutenexegravene 236 d Phegravedre 277 d 278 c Politique 294 c 296 a 302 eProtagoras 322 d Reacutepublique IV 421 a 445 e V 451 b 453 d 457 c 461 e VII 532 a VIII 548 b IX 571 b 587 a 587 c X 604 a 607 a Timeacutee 27 b 27 b 60 e

En tout 152 occurrences dapparition des deux termes ensemble dans un mecircme

paragraphe dont 107 se trouvent dans les douze livres des Lois Cela semble

souligner encore une fois que seule la loi est lobjet du discours comme ce que

souligne Socrate dans le Gorgias (504 d ndash e) La question se pose comme discours

comment une loi sadresse-t-elle aux citoyens agrave leur acircme puisquil y a plusieurs

types de discours Voici le tableau qui montre les caracteacuteristiques des trois types de

discours1

Type lieu temps nature but

judiciaire Tribunal passeacute jugement juste ou injuste

deacutelibeacuteratif Assembleacutee avenir deacutecision opportun ou non

eacutepidictique reacuteunion civique preacutesent ceacuteleacutebration seacuteduisant ou non

La loi concerne le passeacute puisque ceux qui sont jugeacutes dans les tribunaux sont

supposeacutes enfreindre la loi dans le passeacute elle concerne aussi lavenir car la loi est un

guide vers lavenir qui est souvent inconnu cest pourquoi le leacutegislateur doit avoir la

vision du futur de la citeacute la loi concerne eacutegalement le preacutesent car la loi est aussi un

instrument de leacuteducation qui a pour lobjectif de rendre excellente lacircme du citoyen

En dautres termes la loi est aussi une laquo distribution de lintellect raquo2 Ainsi on peut

ajouter une ligne sur le tableau ci-dessus

Type lieu temps nature but

Cerf 2014 Acte du colloque scientifque international 16 ndash 19 nov 2009 pp 21 ndash 34 p 261 Le tableau est eacutetabli agrave partir dun passage du livre intituleacute Platon Paris Cerf 2017 p 97 ndash 982 Supra laquo La loi dans les Lois de Platon et dans le monde grec ancien raquo p 27

248

loi citeacute passeacute preacutesent futur deacutecret de la citeacute1 rendre vertueuse les acircmes

Tout discours est destineacute agrave communiquer comment la loi prononce-t-elle son

discours

Lorsquil prononce un discours judiciaire deacutelibeacuteratif ou eacutepidictique lorateur doit remplir les cinq tacircches suivantes invention disposition eacutelocution meacutemoire et action Linvention consiste agrave reacuteunir les mateacuteriaux qui seront utiliseacutes la recherche des ideacutees La disposition cest lorganisation de ces mateacuteriaux la recherche dun plan Leacutelocution fait passer les ideacutees dans les mots cest donc dans leacutelocution que se posent les problegravemes de style Lorsque le discours est reacutedigeacute en partie ou en totaliteacute lorateur doit le confer agrave la meacutemoire Enfn les preacuteceptes concernant laction cest-agrave-dire de la parole publiqueportent sur la voix et le geste2

La loi comme discours neacutechappe pas agrave ces cinq tacircches 1 Toute citeacute eacutevolue et

chaque eacutevolution pourrait correspondre agrave certaines reacutealiteacutes diffeacuterentes ainsi le

leacutegislateur doit ecirctre capable de deacutecouvrir ces reacutealiteacutes afn de reacuteunir les nouveaux

mateacuteriaux pour repreacutesenter ces reacutealiteacutes 2 La loi est un discours eacutecrit comme tout

discours eacutecrit la force du discours deacutepend dun plan 3 Une loi sadresse agrave tous pas

seulement aux citoyens mais tous nont pas le mecircme niveau dentendement or un

discours eacutecrit est fgeacute il sadresse agrave tous de la mecircme maniegravere dougrave la question de

leacutelocution et du style 4 Agrave la diffeacuterence de lorateur qui doit confer son discours agrave la

meacutemoire une loi leacutegifeacutereacutee doit confer son discours agrave la meacutemoire des citoyens 5 La

loi est une parole civique elle a aussi sa voix la reacutetribution son geste distribuer les

honneurs agrave ceux qui respectent les lois et infiger aux deacutelinquants des peines fxeacutees

par cette voix de la reacutetribution la loi sadresse agrave tous et ce sont eux qui se chargent

de propager le discours de la loi

V332 La loi comme distribution de lintellect

laquo Leacuteducation faut-il donc dire consiste agrave orienter les enfants selon la meacutethode

(λόγον) que la loi dit ecirctre bonne raquo3 ici la loi est deacutefnie comme un discours ayant

pour objectif dorienter les enfant vers le Bien en acqueacuterant la vertu agrave travers

leacuteducation Pourtant le Bien (τὸ ἀγαθόν) napparaicirct pas dans la deacutefnition puisque

laquo vers le Bien raquo est la fnaliteacute mecircme de leacuteducation cest ce que montre clairement le

mythe de la caverne eacuteduquer cest faire remonter les prisonniers de lombre de la

caverne vers le Soleil en passant par la zone eacuteclaireacutee par un feu Celui-ci est certes

incomparable avec le feu du Soleil mais la lumiegravere de ce feu permet aux yeux dune

1 Cf ibid la section laquo La loi comme deacutecret de la citeacute raquo pp 22 ndash 262 Ibid p 983 Lois II 659 d

249

part de voir le chemin qui megravene agrave la sortie de la caverne dautre part de shabituer agrave

la lumiegravere car la lumiegravere du Soleil est tregraves puissante et mecircme brucirclante en dautres

termes eacuteduquer cest faire remonter les ignorants de lobscuriteacute intellectuelle vers le

Bien en passant par leacutetude des matheacutematiques entre autres (la gymnastique la

musique) du vice vers la vertu en les forgeant agrave apprendre agrave ecirctre juste et agrave ecirctre

tempeacuterant par lhabitude et lexercice Mais tregraves souvent les gens confondent les

biens et les maux comme les prisonniers de la caverne confondent lombre et la

reacutealiteacute

LEacuteTRANGER DATHEgraveNES

[hellip] Voyez un peu Je le dis en effet avec toute la clarteacute neacutecessaire ce que lon considegravere comme des maux sont des biens pour les hommes injustes alors que pour les justes ce sont les maux tandis que les biens sont reacuteellement des biens pour les hommes de bien alors que ce sont des maux pour les meacutechants Je reacutepegravete donc ma question sommes-nous daccord lagrave-dessus vous et moi oui ou non 1

Or connaicirctre reacuteellement ce quest le bien relegraveve de lintellection (νόησις) dont le Bien

est son unique objet2 Le tableau suivant montre que leacutecart des occurrences du terme

ἀγαθόν dans la Reacutepublique et les Lois est sensiblement important

Reacutepublique [54] Lois [16]

I ἀγαθοῦ (335d) ἀγαθῷ (349d) ἀγαθῷ 350c) II ἀγαθοῦ 357c) ἀγαθῷ(358e) ἀγαθοῦ (360c) ἀγαθά 363a) ἀγαθοῖς (364b) III ἀγαθοῦ 396c)ἀγαθοῦ (401a) ἀγαθοῦ (401b) ἀγαθοῖς (409c) IV ἀγαθοῦ (439a) Vἀγαθοῦ 452e) ἀγαθοῖς (460b) ἀγαθοῦ (462a) ἀγαθοῦ (464b) ἀγαθῷ(468c) ἀγαθά 471d) ἀγαθοῦ (476a) VI ἀγαθῷ (491d) ἀγαθῷ 491d)ἀγαθοῦ (493c) ἀγαθά 495a) ἀγαθοῦ (505a) ἀγαθοῦ 505b) ἀγαθοῦ505b) ἀγαθοῦ (505b) ἀγαθοῦ 505c) ἀγαθοῦ (505c) ἀγαθά (506a)ἀγαθοῦ (506d) ἀγαθοῦ (506e) ἀγαθοῦ (507a) ἀγαθοῦ (508b) ἀγαθοῦ (508e) ἀγαθοῦ (509a) ἀγαθοῦ (509b) ἀγαθοῦ 509b) VII ἀγαθοῦ (517c) ἀγαθοῦ (520d) ἀγαθοῦ (526e) ἀγαθοῦ (531c) ἀγαθοῦ (534b)ἀγαθοῦ (534c) ἀγαθοῦ (538e) VIII ἀγαθοῦ 548c) ἀγαθοῦ (549c)ἀγαθοῦ 555b) IX ἀγαθοῦ (578c) X ἀγαθοῦ (604b) ἀγαθοῖς (607a)ἀγαθοῖς (614a) ἀγαθά 621c

I ἀγαθά (631b) II ἀγαθά 653b) ἀγαθοῖς (661d) ἀγαθά 661d) ἀγαθῷ (663d) ἀγαθά 665d) III ἀγαθά 697b) IV ἀγαθῷ (716d) V ἀγαθά (730e) VIIἀγαθοῖς (802a) ἀγαθά 815e) XI ἀγαθοῖς (932a) XII ἀγαθοῖς (955c) ἀγαθοῖς (957e) ἀγαθῷ (959b) ἀγαθοῦ (966a)

Peut-ecirctre la diffeacuterence reacuteside-t-elle dans ceci les lois de la citeacute sadressent agrave tous pas

seulement aux citoyens Nous lavons vu le Treacutesor public peut bien rembourser au

maicirctre la valeur de son esclave pour le rendre libre sil a fait ce que la loi exige dans

certaines circonstances alors que la constitution politique telle quelle est eacutelaboreacutee

1 Ibid II 661 c c- d2 Dans la sous-section laquo I323 Saisie par lintellection raquo nous avons montreacute que le terme νόησις

napparaicirct que 14 fois dans trois dialogues agrave savoir la Reacutepublique VI [1] VII [9] le Cratyle [3] et le Timeacutee [1] Par ailleurs dans Cratyle Socrate a consacreacute un paragraphe agrave faire une eacutetymologie sur la νόησις quon appelle laquo intelligence du dieu raquo (laquo λέγων θεοῦ νόησιν raquo) cest-agrave-dire laquo divine intelligence raquo (laquo ἁ θεονόα raquo) (407 b)

250

dans la Reacutepublique sadresse aux futures eacutelites de la citeacute juste En revanche la

freacutequence du terme νοῦς (intellect) est plus importante dans les Lois que dans la

Reacutepublique

Reacutepublique [35] Lois [81]

I 331b II 358b 358d 366b 376a III 396b 399b 406d 407b 416c IV 427c 431c 432b V 450b 477e VI 490b 494d 494d 506c 508c 508d 508d 511d 511d 511d VII 517c 518a 531b 534b VIII 549d IX 580a 585b 585b 586d 591c

I 628c 628d 631c 631d 632c 638e 644a II 652b 667a 672c 674b III 686e 687e 688b 688b 694b 694c 701d 702d IV 713a 714a V 736b 736b 737b 738b 742d 747e VI 753c 768e 772d 776e 781c 783e 783e 783e VII 801a 802c 809e 823e VIII 829b 834b IX 858d 859a 875c X 887e 889c 890d 892b 892b 897b 897c 897d 897d 897e 898a 898b 900d 901b 905d 909d XI 913a 919c 925b 926d 927c 930e 931e XII 948d 961d 961d 961e 962a 963a 963a 963b 963e 966e 967b 967b 967e 969b

Comment comprendre ce renversement par rapport agrave ἀγαθόν En effet lintellect

est la faculteacute de connaicirctre ce qui est cest la fonction intellective de lacircme cest elle

qui est immortelle or toute acircme humaine est pourvue de cette fonction ou de cette

faculteacute quest lintellect Par conseacutequent si un citoyen laisse cette fonction dans

loubli cest la responsabiliteacute des lois puisque leacuteducation relegraveve de lautoriteacute des

lois

[LOIS] Et aux lois qui regraveglent les soins de lenfant venu au monde et son eacuteducation cette eacuteducation qui fut la tienne agrave toi aussi Eacutetaient-elles mauvaises les lois qui sy rapportent elles qui prescrivaient agrave ton pegravere de faire de la gymnastique et de la musique la base de ton eacuteducation 1

Dans le monde platonicien eacuteduquer cest reacuteactiver lintellect Dans les premiers

dialogues platoniciens Socrate se preacuteoccupait de sa citeacute en soumettant lui-mecircme et

les autres agrave examen afn de rendre meilleur le plus grand nombre de gens possible

supposons que tous les citoyens se preacuteoccupent de leur citeacute comme le fait Socrate il

ny aurait pas de raison que la citeacute peacuterisse En revanche dans le Criton et les Lois ce

sont les lois qui se preacuteoccupent des citoyens Mais dans les dialogues de maturiteacute

Socrate se preacuteoccupe de la veacuteriteacute de la science de ce qui est En effet sans cette

science ni les lois ni les citoyens narrivent agrave se preacuteoccuper reacuteellement les uns des

autres

V4 Le courage

Au lieu de demander ce quest le courage on peut se demander quelle est la chose

qui soppose au courage Il y en a trois agrave savoir 1 la peur (φόβος) cest-agrave-dire

lignorance de la reacutealiteacute dun danger dune maladie de la mort ou de toutes les

1 Criton 50 d

251

choses du mecircme genre qui parassent terrifantes et qui empecircchent de prendre une

deacutecision senseacutee spontaneacutee et originale dagir de maniegravere juste et courageuse 2 les

plaisirs qui paradoxalement ne sont pas des choses qui font peur les gens qui ont le

plus grand plaisir agrave posseacuteder des richesses nen ont pas peur mais sans doute ont-ils

peur de les perdre de mecircme pour ceux qui ont plaisir agrave boire agrave aimer les honneurs

agrave saccrocher au pouvoir et ainsi de suite au fond toutes ces passions des belles

choses du monde sensible sont une forme de deacutemesure dintempeacuterance elles

empecircchent de se connaicirctre soi-mecircme puisque lacircme est attireacutee par le monde

sensible 3 la paresse intellectuelle (ἀργία ou βραδύτης) qui nest ni une forme de

peur ni une forme de deacutesir (moteur des plaisirs) mais une forme deacutetat dacircme

empecircchant de chercher et dapprendre

V41 Reacutesister agrave la peur

Comme le courage soppose agrave la peur parler de la peur revient agrave parler du courage

Ici nous analysons dans les trois sous-sections suivantes trois types de peur agrave savoir

la peur de la mort la peur de soi-mecircme et la peur de la veacuteriteacute

La peur (φόβος φοβεῖσθαι ou φοβερός) laquo une certaine anticipation dun mal raquo1 est

un terme tregraves freacutequent dans le corpus platonicien Cependant le substantif2 est moins

freacutequent que le verbe3 par exemple dans lApologie le substantif φόβος est absent en

revanche Socrate y prononce quatre fois le verbe4 Quant agrave ladjectif par rapport au

substantif et au verbe sa preacutesence nest pas importante5 Dapregraves le Dictionnaire

eacutetymologique de la langue grecque de P Chantraine le substantif φόβος est deacuteriveacute du

1 Protagoras 358 d Dans le Philiegravebe dune maniegravere geacuteneacuterale la douleur de lacircme est une opinion par anticipation dun mal cest de lagrave quon a le sentiment craintif indeacutependamment du corps (voir 32 c) Il semble que entre le Praotagoras et le Philegravebe la notion de la peur nait pas eacutevalueacute un iota

2 Voici la liste des freacutequences du substantif Alcibiade [1] Banquet [4] Charmide [2] Ion [1] Lachegraves [4] Lettre VII [5] Lois I [22] II [2] III [3] V [1] VI [1] VII [4] VIII [3] IX [6] X [3] XI [2] XII [1] Meacutenexegravene [1] Pheacutedon [10] Phegravedre [1] Philegravebe [7] Politique [1] Protagoras [7] Reacutepublique II [1] III [1]IV [2] V [1] VI [4] VII [1] VIII [2] IX [4] X [1] Sophiste [1] Theacuteeacutetegravete [3] Timeacutee [3] Cf laquo Annexe φόβος raquo

3 Voici la liste des freacutequences du verbe Alcibiade [2] Apologie [4] Banquet [5] Charmide [4] Cratyle [6] Criton [6] Euthydegraveme [8] Euthyphron [2] Gorgias [6] Hippias majeur [5] Lachegraves [1] Lettre III [1] VII [4] XIII [1] Lois I [6] III [2] V [1] VII [6] VIII [3] IX [3] X [4] XI [4] XII [1] Lysis [1] Meacutenexegravene [4] Parmeacutenide [1] Pheacutedon [15] Phegravedre [4] Philegravebe [3] Politique [1] Protagoras [6] Reacutepublique I [2] II [1] III [4] IV [1] V [3] VI [1] VIII [4] IX [2] X [1] Sophiste [4] Theacuteeacutetegravete [3] Timeacutee [2] Cf laquo Annexeφοβεῖσθαι raquo

4 Apologie φοβοῦμαι (18 b) φοβηθεὶς (28 e) φοβήσομαι (29 b) φοβηθέντα (32 c)5 Banquet φοβερώτεροι (194 b) Gorgias φοβερώτατα (525 c) Ion φοβερὸν (535 c) Lois I φοβερὸν (647 b) φοβερὸν (647 c) φοβεροὺς (649 d) III φοβερὰν (677 e) φοβερόν (698 d) VI φοβερὸν (780 c) VII φοβερὰν (791 a) φοβεροὶ (808 c) XI φοβεροῦ (922 c) φοβεροί (932 a) XII φοβερόν (959 b) Pheacutedon φοβερόν (67 e) Phegravedre φοβερὰς (268 c) Philegravebe φοβερὸν (32 c) φοβεροὺς (49 b) Protagoras φοβεραὶ (321 d) Reacutepublique III φοβερὰ (387 b) φοβεροί (413 d) V φοβερόν (451 a)

252

verbe φέβεσθαι qui signife ceci laquo fuir speacutecialement en parlant dune troupe saisie

par la panique fuir dans la preacutecipitation et le deacutesordre ce verbe nest attesteacute quau

preacutesent et agrave limparfait et seulement chez Homegravere et ses imitateurs raquo Le substantif

garde le sens du verbe mais reccediloit un autre sens laquo comme puissance divine raquo

puisque Φόβος est fls dAregraves et dAphrodite Le tableau suivant montre que lemploi

du substantive progresse de maniegravere signifcatif de la peacuteriode de jeunesse vers la fn

Dialogues de jeunesse [15]

Ion 535c Alcibiade 121c Lachegraves 191b 191b 191d 191e Protagoras 352b 358d 358d 358d 358e 360b360b Meacutenexegravene 241b Charmide 167e 168a

Dialogues de maturiteacute [29]

Banquet 193a 197d 207e 221a Pheacutedon 66c 68d 69a 69a 69b 81a 81c 83b 94d 101b Reacutepublique II 360d III 413c IV 429d 430b V 471d VI 497d 503a 503d 503e 537a VIII 554d 557a IX 578a 578e 579b 579e X 616a Phegravedre 254e Theacuteeacutetegravete 156b 168d 173a

Dialogues de vieillesse [61]

Sophiste 268a Politique 305b Philegravebe 12c 20b 36c 40e 47e 50b 50d Timeacutee 40c 42a 69d Lois I[22] 632a 633c 635b 635c 635d 639b 640a 644c 646e 647a 647a 647a 647a 647b 647b 647c 647c 647e 648b 648d 649a 649c II 671d 671d III 678c 698b 699c V 727c VI 783a VII 791b 791c 792b 806bVIII 831a 839c 840c IX 863e 864b 865e 870c 872c 874e X 887a 906a 910a XI 933c 934a XII 963e

Les occurrences se concentrent dans cinq dialogues agrave savoir les Lois [47] dont 22

dans le livre I (tregraves regroupeacutees) des Lois la Reacutepublique [17] le Pheacutedon [10] le Philegravebe et

le Protagoras [7]

Le courage en forme substantive (ἀνδρεία) aussi bien quen forme adjective

(ἀνδρεῖος) est abondamment preacutesent dans les œuvres de Platon mais agrave la diffeacuterence

du verbe φοβεῖσθαι le verbe ἀνδρειοῦν sous quelque forme verbale que ce soit est

absent dans le corpus platonicien1 Peut-ecirctre le verbe ἀνδρειοῦν ou ἀνδρειοῦσθαι

nexiste-t-il que virtuellement Plus geacuteneacuteralement pour les douleurs de lacircme comme

la colegravere la peur le regret la tristesse lenvie et la jalousie il existe pour chacune des

ces douleurs un substantif un adjectif et un verbe2 et particuliegraverement dans le cas du

verbe φθονεῖν ou φθονεῖσθαι3 Alors quil ny pas de verbe speacutecifquement deacutedieacute

1 Cf laquo Annexe ἀνδρεία raquo comme il y a de nombreuse formes de substantifs et dadjectifs identiques nous ne les seacuteparons pas dans l laquo Annexe ἀνδρεία raquo

2 ὀργιζειν et ὀργιζεσθαι pour la colegravere φοβεῖν et φοβεῖσθαι pour la peur ποθεῖν et ποθεῖσθαι pour le regret θρηνεῖν et θρηνεῖσθαι pour la tristesse ζηλοῦν et ζηλοῦσθαι pour lenvie φθονεῖνet φθονεῖσθαι pour la jalousie

3 Banquet φθονῶν (213 d) φθονήσῃς (223 a) Euthydegraveme φθονήσῃς (297 b) φθονῶν (297 d) Euthyphron φθονοῦσιν (3 c) Hippias majeur φθονεῖν (283 e) Hippias mineur φθονήσει (363 c)φθονήσῃς (372 e) Ion φθονήσεις (530 d) Lachegraves φθονήσω (200 b) Lois V φθονοῦντα (730 e) Meacutenon φθονήσῃς (71 d) φθονεῖν (93 c) Phegravedre φθονοῖεν (232 d) φθονεῖν (240 a) Philegravebe φθονῶν (48 b) Protagoras φθονήσῃς (320 c) φθονήσω (320 c) φθονεῖ (327 a) Reacutepublique I φθονήσῃς (338 a) VI φθονεῖν (500 a) VII φθονοῖς (528 a) IX φθονῶν (579 c) Theacuteeacutetegravete φθονήσῃς (169 c)

253

aux quatre vertus cardinales agrave savoir la σοφία lἀνδρεία la σωφροσύνη et la

δικαιοσύνη Pourquoi une telle diffeacuterence On peut penser quune douleur de lacircme

est un comportement qui ne se produit pas toujours de la mecircme maniegravere dans la

mecircme circonstance ainsi cest le verbe qui convient le mieux pour lexprimer Agrave

linverse la vertu se produit toujours identiquement quelle que soit la circonstance

V411 La peur de la mort

Nous avons dit plusieurs fois que la mort nest autre chose que la seacuteparation de lacircme

davec le corps1 Pourquoi une telle seacuteparation fait-elle peur

Socrate Si tu veux bien reacutefeacutechir au courage et agrave la modeacuteration dit Socrate du moins agrave ceux des autres hommes ils te paraicirctront bien deacuteconcertants

Simmias Comment cela Socrate

Socrate Tu sais dit-il ce que tous les autres pensent de la mort que parmi les maux cest lun des plus grands

Simmias Et comment ft-il

Socrate Cest donc par peur de maux encore plus grands que les gens courageux affrontent la mort quand ils laffrontent2

La peur est une panique qui se produit au fond de lacircme La peur de la mort est due

au fait quon ignore la reacutealiteacute de la mort cest-agrave-dire ce quest la mort Comme un

enfant qui se trouve tout seul dans le noir linconnu fait peur linconnu agrave

limagination aux expeacuteriences agrave la connaissance rationnelle En effet laquo personne ne

sait ce quest la mort ni mecircme si elle ne se trouve pas ecirctre pour lhomme le plus

grand des biens et pourtant les gens la craignent comme sils savaient parfaitement

quil sagit du plus grand des malheurs raquo3 En effet on a toutes les raisons davoir

peur de quelque chose dont on na aucune connaissance Ici Socrate eacutelabore agrave travers

la mort une conception plus geacuteneacuterale de la peur et de la mort la peur nest rien

dautre que lignorance de la reacutealiteacute de ce qui fait peur Concernat la mort les choses

se compliquent

Dabord la mort est une seacuteparation laquo Se peut-il quelle soit autre chose que la

seacuteparation de lacircme davec le corps Cest bien cela ecirctre mort le corps seacutepareacute davec

lacircme en vient agrave necirctre que lui-mecircme en lui-mecircme tandis que lacircme seacutepareacutee davec le

corps est elle-mecircme en elle-mecircme Se peut-il que la mort soit autre chose que

1 Voir Pheacutedo 67 c ndash d laquo Donc ce que preacuteciseacutement on nomme mort cest une deacuteliaison et une seacuteparation de lacircme davec le corps raquo

2 Pheacutedon 68 d3 Apologie 29 a

254

cela raquo1 Les expeacuteriences humaines montrent que le corps commence aussitocirct agrave se

deacutecomposer peu apregraves la mort mais que devient lacircme apregraves sa seacuteparation davec le

corps

Ensuite la mort implique la neacutecessiteacute de limmortaliteacute de lacircme car laquo si tout ce qui a

part agrave la vie doit mourir et si une fois mort tout ce qui est mort conserve ce mecircme

aspect sans jamais revenir agrave la vie nest-ce pas une neacutecessiteacute absolue quagrave la fn tout

soit mort et rien ne vive raquo2 Le fait que lacircme soit immortelle et quil y ait la

naissance et la mort pose neacutecessairement la question de la reacuteincarnation

Cest lagrave [au lac Acheacuterousias] quarrivent les acircmes de la plupart des morts et elles y demeurent le temps que la destineacutee leur a assigneacute (temps qui peut ecirctre plus long ou plus court selon les acircmes) pour ecirctre renvoyeacutees de nouveau vers de nouvelles naissance sous forme decirctres vivants3

Pourquoi laquo la plupart raquo laquo le temps plus long raquo et laquo le temps plus court raquo Si les

tribunaux sont neacutecessaires dans la citeacute pour juger les gens qui enfreignent la loi ils

sont aussi neacutecessaires pour juger les acircmes apregraves la mort Socrate le raconte dans les

trois mythes eschatologiques agrave la fn des trois dialogues agrave savoir le Gorgias le Pheacutedon

et la Reacutepublique Pour laquo ceux qui sont jugeacutes incurables en raison de leacutenormiteacute de leurs

fautes raquo laquo le lot qui leur convient est decirctre jeteacutes au Tartare dougrave jamais ils ne

sortent raquo4 Pour laquo ceux qui ont reacuteussi agrave se purifer autant quil faut gracircce agrave la

philosophie ils vivent pour tout le temps agrave venir absolument sans corps raquo5 En

dautres termes limmortaliteacute de lacircme a une fonction reacutetributive laquo puisque lecirctre

humain se deacutefni non par le corps mais par lacircme reacutecompenses et chacirctiments ne

peuvent se reacuteduire agrave un contexte corporel et social raquo6 Comme lacircme est immortelle

les reacutecompenses ou les chacirctiments de lacircme devraient se fonder sur les critegraveres qui

sont propres au monde intelligible la contemplation de ce qui est cest dailleurs la

fonction de lintellect

Enfn la fonction intellective suppose quil existe neacutecessairement les formes

intelligibles car il ne peut exister une fonction une science un art sans objet On voit

bien quune simple question sur la mort entraicircne une seacuterie de questions diffciles la

peur rarr la mort rarr la seacuteparation de lacircme davec le corps rarr la reacutetribution de lacircme rarr

1 Pheacutedon 64 c2 Ibid 72 c ndash d3 Ibid 113 a4 Pheacutedon 113 e5 Ibid 114 c6 Platon Paris Cerf 2017 p 204

255

limmortaliteacute de lacircme rarr la structure fonctionnelle de lacircme rarr lintellect rarr les formes

intelligibles rarr la participation du sensible agrave lintelligible rarr et ainsi de suite

Commenccedilons par la question dougrave vient la peur En effet si on a peur cest parce

quon ne se connaicirct pas soi-mecircme en mecircme temps quon ne connaicirct pas la reacutealiteacute

V412 La peur de la veacuteriteacute

La veacuteriteacute est une double conformiteacute dune part entre la penseacutee et la reacutealiteacute que la

penseacutee preacutetend saisir et dautre part entre ce quon pense et ce quon dit Ainsi si

lon dit vraiment la veacuteriteacute on doit dire toujours la mecircme chose sur le mecircme sujet

sinon ce quon dit nest pas la veacuteriteacute en tout cas pas entiegraverement En effet tregraves

souvent on pense une chose mais la reacutealiteacute autre on pense une chose mais on dit

une autre laquo Non bien sucircr Atheacuteniens ce ne sont pas par Zeus des discours

eacuteleacutegamment tourneacutes comme les leurs ni mecircme des discours quembellissent des

expressions et des termes choisis que vous allez entendre mais chose dites agrave

limproviste dans les termes qui me viendront agrave lesprit raquo1 La condition est de savoir

si lon dit exactement ce quon pense spontaneacutement Si lon dit toujours la mecircme

chose sur un mecircme sujet quelle que soit la reacutefutation agrave coup sucircr ce qui a eacuteteacute dit est

en conformiteacute avec la reacutealiteacute

Mais la question se pose Socrate fut condamneacute agrave mort en 399 av J-C parce quil

disait toujours la veacuteriteacute2 cela suppose que les autres navaient pas le courage de dire

la veacuteriteacute pourquoi En effet nous avons deacutejagrave parleacute plus haut de la question des

honneurs en citant un propos de LEacutetanger dAthegravenes (Lois I 632 b) les honneurs

comme reacutecompenses dans un systegraveme reacutetributif pour ceux qui respectent les lois Or

justement le fait de dire la veacuteriteacute devant Socrate risque fortement decirctre humilieacute et

deacutevaloriseacute publiquement ce qui est contraire agrave la valeur reacutetributive cest tout agrave fait

compreacutehensible il est mecircme senseacute pour les gens ordinaires de preacutefeacuterer les honneurs

agrave lexposition agrave la honte Dailleurs lemploi du substantif τιμή dans les Lois et la

Reacutepublique est diffeacuterent

Reacutepublique [33] Lois [67]

I τιμήν( 347 a) τιμῆς( 347 b) τιμῆς (347 b) II τιμήν( 359 c)

I τιμὰς (632 b) τιμὰς (632 c) τιμαῖς (634 a) τιμῇ (647 a) τιμῶν( 648 c) III τιμὰς (687 b) τιμὴν (696 a) τιμὰς (696 b) τιμαί

1 Apologie 17 b ndash c2 Le vrai motif de sa condamnation agrave mort est ailleurs et non dans laccusation offcielle laquo Il est fort

probable que le veacuteritable fondement de son procegraves soit son opposition agrave la deacutemocratie et ses relations avec des personnages aussi malfaisants quun traicirctre agrave Athegravenes comme Alcibiade et des comploteurs qui deacuteclenchegraverent une guerre civile comme Critias et Charmide raquo (Platon Paris Cerf 2017 p 32)

256

τιμαὶ (361 c) τιμῶν (361 c) τιμῆς( 365 a) τιμὰς (366 e) τιμὴν (371 e) III τιμὴν (390 e) τιμὰς (414 a) τιμὴν (415 c) V τιμὴν (468 d) τιμῆς (475 b) VI τιμῆς (503 d) VII τιμαὶ (516 c)τιμῶν( 519 d) τιμὰς (521 b) τιμὰς (537 d) τιμῇ( 538 e) τιμῆς (538 e) τιμῶν (540 d) VIII τιμὰς (549 c) τιμή( 568 d) IX τιμὴν (581 d) τιμὴ (582 c) τιμῇ (582 e) τιμῆς (586 d) τιμῶν( 591 c) X τιμὴ (599 b) τιμῇ (608 b) τιμῶν(617 e) τιμὰς (620 b)

(696 d) τιμὰς (696 e) τιμὰς (697 b) τιμαῖς (697 c) IV τιμὰς (707 a) τιμὰς (707 b) τιμαῖς( 716 a) τιμὰς (717 a) τιμαὶ (717 b) τιμῶν (721 d) τιμῆς (723 e) V τιμή( 727 a) τιμῶν (727 b) τιμὴ (728 c) τιμῇ( 728 d) τιμήν( 728 d) τιμὰς (728 d) τιμῶν (729 c) τιμῆς (730 d) τιμῆς (738 e) τιμαῖς (740 d) τιμὰς (743 e) τιμὴν (744 b) τιμή( 744 e) VI τιμαῖς (757 a) τιμὰς (757 b) τιμὰς (757 c) τιμῆς(774 b) τιμῆς (775 e) τιμῶν (784 d) VII τιμὰς (809 d) τιμῶν( 810 a) VIII τιμῶν (835 c) τιμὴν (837 c) τιμῆς( 845 a) τιμὰς (848 d) IX τιμῶν (862 d) τιμὴν (879 c) X τιμὰς (886 c) τιμαῖς (900 a) XI τιμήν( 914 a) τιμῆς (914 b) τιμῆς (914 c) τιμήν( 915 d) τιμήν (915 e) τιμῆς (916 b) τιμὴν (916 c) τιμῆς (916 d) τιμὰς (917 b) τιμῆς (917 d) τιμὴν (921 a) τιμαῖς (927 b) τιμαῖς (927 e) τιμαῖς( 931 d) τιμαῖς (932 a) τιμὴν (932 d) XII τιμῶν( 948 a)τιμαῖς (952 c) τιμαῖς (953 d)

On constate dabord la diffeacuterence des occurrences 33 dans la Reacutepublique et 67 dans

l e s Lois ensuite leacutegard est diffeacuterent dans la Reacutepublique le fait de chercher les

honneurs est plutocirct une chose reacutepreacutehensible laquo Ne sais-tu pas que lamour des

honneurs et de la richesse passe pour une attitude reacutepreacutehensible et elle lest de

fait raquo1 alors quelle est est encourageacute dans les Lois En effet dans la Reacutepublique la

justice est une question philosophique une question au-delagrave de la pratique alors

que dans les Lois la justice est une question politique cest-agrave-dire pratique

V42 Reacutesister aux deacutesirs et aux plaisirs

Ecirctre courageux cest aussi laquo exceller dans la lutte contre les deacutesirs (ἐπιθυμίας) et les

plaisirs (ἡδονάς) raquo au mecircme titre que decirctre laquo courageux face aux douleurs et aux

craintes raquo2 En effet les douleurs et les craintes sont plutocirct occasionnelles en tout cas

pas constantes alors que lon a affaire quotidiennement avec les deacutesirs et les plaisirs

Dans le Philegravebe le plaisir est deacutefni comme le contraire de la douleur 3 Ainsi il y a

deux espegraveces de douleur et deux espegraveces de plaisir les douleurs et les plaisirs du

corps sont des sensations les douleurs et les plaisirs de lacircme sont des opinions par

anticipation (προσδοκίας)4 La diffeacuterence entre la sensation (αἴσθησις) et lopinion

anticipeacutee (προσδοκία) reacuteside dans ceci la sensation affecte immeacutediatement agrave la fois

1 Reacutepublique I 347 b2 Lachegraves 191 d ndash e3 Voir Philegravebe 32 b4 Ibid 32 b - c Le terme nest pas tregraves freacutequent dans le corpus platonicien Banquet προσδοκίαν (194

a) Lachegraves προσδοκίαν (198 b) Philegravebe προσδοκίας (32 c) προσδοκίας (36 a) προσδοκίαι (36 c)Protagoras προσδοκίαν (358 d) Reacutepublique IX προσδοκίας (584 c) Sophiste προσδοκίαν (264 b) Timeacutee προσδοκίᾳ (70 c) Voir aussi Reacutepublique IX 584 c ougrave Socrate emploie ces deux termes προησθήσεις (jouissances anticipeacutees) et προλυπήσεις (souffrances anticipeacutees) lemploi de ces deux termes est rare Reacutepublique IX προησθήσεις (584 c unique occurrence) Phegravedre προλυπηθῆναι (258 e) Philegravebe προλυπεῖσθαι (39 d) Reacutepublique IX προλυπηθέντι (584 b) προλυπήσεις (584 c)

257

le corps et lacircme1 il ne sagit pas dune attente et il ne peut y avoir de fausse

sensation soit il y en a soit il ny en a pas alors que lopinion par anticipation ici en

question est lieacutee agrave la meacutemoire deacutefnie comme sauvegarde de la sensation 2 Ainsi

lutter contre les deacutesirs et les plaisirs cest lutter contre les bons souvenirs des plaisirs

parce que deacutesirer cest deacutesirer les plaisirs

Socrate Et as-tu limpression quil existe un deacutesir qui ne soit deacutesir daucun plaisir mais qui soit deacutesir de lui-mecircme et des autres deacutesirs 3

Dans le livre VIII de la Reacutepublique Socrate distingue deux sortes de deacutesirs agrave savoir le

deacutesir de deacutepense et le deacutesir dacquisition de richesses (χρηματιστικὰς)

Socrate Ce deacutesir de nourriture est en quelque sorte neacutecessaire pour deux raisons il sagit dun deacutesir utile et dautre part cest un deacutesir auquel un ecirctre vivant ne peut reacutesister

Adimante Oui

Socrate Mais quen est-il du deacutesir qui va au-delagrave de cette limite le deacutesir de mets plus eacutelaboreacutes que ceux que nous venons de deacutecrire un deacutesir dont on peut se deacutebarrasser pour la plupart dentre nous si degraves lenfance on a appris agrave le reacuteprimer Ce deacutesir nest-il pas nuisible pour le corps comme il lest pour lacircme si on pense agrave la sagesse et agrave la modeacuteration Ne lappellerait-on pas agrave juste titre non neacutecessaire

Adimante Nous aurions tout agrave fait raison de le faire

Socrate Eh bien ne dirons-nous pas que ces deacutesirs sont des deacutesirs de deacutepense (ἀναλωτικὰς) alors que les autres sont des deacutesirs dacquisition (χρηματιστικὰς) puisque nos travaux en proftent 4

Par rapport au terme ἡδονή dont le nombre doccurrences (237) est tregraves important

dans le Philegravebe5 qui ne compte que 57 pages lemploi du terme laquo deacutesir raquo ou laquo deacutesirer raquo

est tregraves controcircleacute regroupeacute6 les seize occurrences dont douze sont regroupeacutes dans

deux pages (sept paragraphes conseacutecutifs) et deux dans un seul paragraphe donnent

une deacutefnition de deacutesir tregraves preacutecise le deacutesir est le fait de deacutesirer le contraire de la

sensation

1 Voir Philegravebe 34 a2 Ibid3 Charmide 167 e4 Reacutepublique VIII 559 b ndash c5 Voici la liste doccurrences dans le corpus platonicien Alcibiade [1] Banquet [7] Charmide [1]

Critias [3] Gorgias [37] Hippias majeur [23] Lachegraves [3] Lettre III [3] VII [5] VIII [1] Lois I [33] II [32] III [5] IV [2] V [15] VI [2] VII [19] VIII [5] IX [7] X [4] XI [2] Lysis [1] Pheacutedon [17] Phegravedre[19] Philegravebe [237] Politique [2] Protagoras [33] Reacutepublique I [3] II [3] III [7] IV [10] V [7] VI [9] VII [2] VIII [9] IX [56] X [3] Sophiste [4] Theacuteeacutetegravete [2] Timeacutee [19] Notons au passage quun tel terme plutocirct banal est absent dans dix dialogues Apologie Cratyle Criton Euthydegraveme Euthyphron Hippias mineur Ion Meacutenexegravene Meacutenon Parmeacutenide

6 Le substantif et le verbe confondus nont que 16 occurrences ἐπιθυμίαν (34 c) ἐπιθυμίαν (34 d) ἐπιθυμίας (34 e) ἐπιθυμία (34 e) ἐπιθυμεῖ (35 a) ἐπιθυμῶν (35 b) ἐπιθυμεῖ (35 b) ἐπιθυμεῖ (35 b) ἐπιθυμεῖ (35 b) ἐπιθυμίαν (35 c) ἐπιθυμούμενα (35 d) ἐπιθυμίαν (35 d) ἐπιθυμίαι (41 c) ἐπιθυμοῦν (41 c) ἐπιθυμίαι (45 b) ἐπιθυμεῖ (47 c)

258

Σωκράτης

ὁ κενούμενος ἡμῶν ἄρα ὡς ἔοικεν ἐπιθυμεῖ τῶν ἐναντίων ἢ πάσχει κενούμενος γὰρ ἐρᾷ πληροῦσθαι7

Socrate

Celui de nous qui est vide semble donc deacutesirer le contraire de ce qui laffecte puisquil est vide et quil deacutesire se remplir

laquo Le constat de Socrate est dune importance cruciale le deacutesir ne porte pas sur un

objet mais bien sur un eacutetat raquo1 De la sorte lutter contre les deacutesirs et les plaisirs revient

agrave supprimer de tels eacutetats deacutesirants Pour ce faire Socrate propose une solution

Socrate Lorsque lacircme au mieux quelle le peut parvient agrave saisir indeacutependamment du corps et par elle-mecircme ce dont elle a jadis pacircti conjointement avec le corps ne dit-on pas nest-cepas quelle a une reacuteminiscence 2

En dautres termes dans un eacutetat de reacuteminiscence tout eacutetat deacutesirant disparaicirct parce

que la reacuteminiscence nest pas un eacutetat deacutesirant qui est deacutefni comme deacutesirer le

contraire de ce qui laffecte

V5 Conclusion

Dans le livre IV de la Reacutepublique les quatre vertus dites cardinales sont la sagesse

(σοφία la connaissance de ce qui est) le courage (ἀνδρεία savoir distinguer entre ce

qui est agrave redouter et ce qui ne lest pas) la tempeacuterance (σωφροσύνη la maicirctrise des

plaisirs) et la justice (δικαιοσύνη lexcellence dans sa fonction propre) Dapregraves

Socrate parmi elles laquo cest la sagesse (ἡ σοφία) qui se manifeste clairement en

premier raquo3 Cependant si nous ne lavons pas analyseacutee cest parce que le savoir ou la

sagesse est synonyme de la science (ἐπιστήμη) En tant que qualiteacute du philosophe

elle ne peut sacqueacuterir que par la dialectique alors que la justice et la tempeacuterance

peuvent sacqueacuterir par lhabitude et lexercice ce qui est agrave la porteacutee de tous

La vertu peut senseigner dans la mesure ougrave elle est science agrave condition que ceux qui

lenseignent la possegravedent reacuteellement Mais non seulement la vertu est science aussi et

surtout une conduite Or toute conduite est une interaction entre lacircme et le corps et

si une science est la mecircme pour tous linteraction nest pas la mecircme chez les uns et

les autres en raison du fait que chaque corps est particulier Par exemple dans le

Banquet Socrate a sans doute bu autant quAristophane et Agathon pourtant agrave la fn

d u Banquet ces deux derniers ne peuvent plus tenir debout tandis que Socrate

comporte comme si de rien neacutetait Autrement dit la modeacuteration agrave leacutegard du vin ne

7 Philegravebe 35 a1 Ibid laquo Notes raquo ndeg 134 p 2652 Ibid 34 b3 Reacutepublique IV 428 a ndash b

259

se mesure pas par quantiteacute de vin bue mais par leacutetat de lecirctre agrave savoir livresse qui

relegraveve de la deacutemesure En un mot la vertu nest pas entiegraverement enseignable il faut

aussi et surtout la pratiquer comme le philosophe pratique la dialectique

Quant agrave luniteacute des vertus chez les Perses il semble quelle nexisterait pas puisque

les vertus eacutetaient enseigneacutees seacutepareacutement par diffeacuterents maicirctres en la matiegravere1 Pour

Protagoras on peut bien ecirctre courageux sans ecirctre juste cela signife que les vertus ne

constituent pas une uniteacute puisque deux vertus peuvent bien sopposer Chez Socrate

les vertus sont hieacuterarchiseacutees selon le statut des citoyens la justice et la tempeacuterance

sont deux excellences morales eacuteleacutementaires tous les citoyens doivent les posseacuteder

ensuite les gardiens doivent posseacuteder le courage en plus et enfn les philosophes

doivent posseacuteder les quatre vertus cardinales Cette hieacuterarchie ne doit pas ecirctre

interpreacuteteacutee comme une hieacuterarchie des vertus comme sil y avait une vertu plus

eacutethique quune autre En effet une vertu est une fonction morale qui est associeacutee agrave

une fonction propre quon exerce dans la citeacute un cordonnier na pas le mecircme statut

que le philosophe mais si le cordonnier est vraiment juste et tempeacuterant il a agrave ce titre

la mecircme excellence morale que le philosophe dougrave luniteacute des vertus agrave savoir

lharmonie morale entre lacircme et le corps entre lhomme et la citeacute entre son existence

et la tacircche propre quil reacutealise

1 Voir Alcibiade 121 a ndash 124 b

260

Ch VI La dialectique263VI1 Le mythe264

VI11 Le mythe et la repreacutesentation265VI111 Eacutethique et la repreacutesentation266VI112 Politique et la repreacutesentation271VI113 Lunivers et la repreacutesentation272

VI12 Bon usage du mythe273VI121 Critique du mythe273VI122 Eacuteloge du mythe276

VI13 Philosophe fabricant de mythes278VI131 Valeur politique eacutethique278VI132 Fonction dialectique280

VI2 La reacutefutation282VI21 Laspect eacutepisteacutemologique282

VI211 Proceacutedeacute283VI212 Fonction dialectique284

VI22 Laspect politique287VI221 La reacutefutation et la persuasion288VI222 La reacutefutation contre lennemi interne de la citeacute289

VI23 Laspect eacutethique291VI231 Soi-mecircme et lautre291VI232 Soumettre soi-mecircme agrave examen292VI233 Soumettre les autres agrave examen293

VI3 Principes dialectiques296VI31 Limites de la reacutefutation297

VI311 La limite de la reacutefutation critique297VI312 La limite de lenlegravevement du faux par la reacutefutation298VI313 La limite de la reacutefutation expeacuterimentale299

VI32 La reacuteminiscence301VI33 La contemplation304

VI331 Principe de lUn304VI332 Principe du contraire306VI333 Principe de la division308

VI4 Conclusion309

261

Ch VI La dialectique

Le chapitre se fonde sur cette deacutefnition la dialectique consiste agrave analyser les

contraires ou les opposeacutes au moyen du dialogue Elle est agrave la fois une science et une

pratique Science (ἐπιστήμη) car le but de la dialectique consiste agrave connaicirctre ce qui

est agrave travers la saisie dlaquo ἐναντία raquo Pratique car tout dialogue relegraveve de la pratique

cest-agrave-dire de la technique en raison du fait que les questions et les reacuteponses dans

une conversation ne peuvent en aucun cas ecirctre deacutetermineacutees agrave lavance puisque lacircme

est le principe du mouvement spontaneacute Dougrave la neacutecessiteacute de certaines regravegles

eacutelaboreacutees qui permettent de conduire le dialogue agrave la deacutecouverte de la veacuteriteacute cest-agrave-

dire la reacutealiteacute elle-mecircme tout en eacutevitant le deacutebordement Nous avons deacutejagrave consacreacute

un chapitre agrave la science ici nous parlons en revanche de la dialectique au sens

meacutethodologique du terme

Habituellement la meacutethodologie dialectique comprend trois principaux moyens agrave

savoir laquo linvention et linterpreacutetation de reacutecits ou de mythes lusage de la division et

enfn le recours agrave des paradigmes fonctionnels raquo1 Mais ici le chapitre se compose de

trois termes un peu diffeacuterents agrave savoir le mythe la reacutefutation et les principes

dialectiques Ce choix se fonde sur notre deacutefnition de la dialectique qui se centre sur

la notion du contraire qui est le seul contraire veacuteritable agrave savoir entre le Bien et le mal

ou plutocirct entre le Bien et les maux2 Or quand il sagit des biens et des maux il sagit

de lacircme puisque lacircme est la source de tous les biens et de tous les maux cest

pourquoi au point de deacutepart la dialectique porte en effet sur un objet qui nest pas

intelligible agrave savoir lacircme intermeacutediaire entre lintelligible et le sensible 3 dougrave la

neacutecessiteacute fonctionnelle du mythe de la reacutefutation et des principes dialectiques Le

1 Politique laquo Introduction raquo p 142 Strictement parlant le mal nexiste pas puisque chaque mal reacutesulte dun fait de non-participation agrave

lintelligible dans la mesure ougrave laquo le mal se deacutefnit comme un eacutecart par rapport agrave lintelligible raquo (p 17) cf Brisson Luc laquo Dougrave vient le mal chez Platon raquo χώρα 13 2015 pp 15 ndash 31 cf aussi Dixsaut Monique laquo Platon et la question du mal raquo Cahiers deacutetudes leacutevinassiennes 8 2009 pp 171 ndash 189 Parailleurs mecircme sil existe une longue liste doppositions comme laquo mecircme autre raquo laquo veacuteriteacute erreur raquo laquo bien mal raquo laquo proportion disproportion raquo laquo immortel mortel raquo laquo acircme corps raquo etc au-delagrave de la reacutealiteacute (laquo ἔτι ἐπέκεινα τῆς οὐσίας raquo Reacutepublique VI 509 b) il ny a rien dautre que leBien en ce sens il ny a quun seul contraire agrave savoir entre le Bien et les maux De ce contraire sont deacuteduits les autres contraires comme par exemple laquo science ignorance raquo laquo juste injuste raquo laquo bon mauvaise raquo et ainsi de suite

3 Cf Brisson Luc laquo Lacircme ou lintelligible Comment interpreacuteter Sophiste 253 d5 ndash e2 raquo Meacutelanges offerts agrave M Dixsaut Paris Vrin 2010 pp 387 ndash 396

263

mythe se situe au niveau de la repreacutesentation mais vise de maniegravere spectaculaire la

partie infeacuterieure de lacircme1 la persuasion La reacutefutation se situe au niveau de la

penseacutee (διάνοια) mais vise de maniegravere rigoureuse lopinion cest-agrave-dire le jugement

incapable de rendre raison de ce dont il parle Les principes dialectiques se situent au

niveau de lintellect en visant la contemplation du Bien2

VI1 Le mythe

Un mythe est une fabrication (ποίησις) de meacutemoires collectives il sagit dun

discours non argumentatif dont le but consiste agrave persuader laquo agrave modeler ou agrave

modifer de faccedilon plus ou moins spectaculaire le comportement de lacircme de ceux qui

lui precirctent loreille raquo3 Ici notre travail ne portera pas sur le vocable μῦθος lui-mecircme4

mais sur lusage vertical des mythes dans les dialogues platoniciens Le principe de

cet usage vertical semble clair simple et preacutecis

Socrate Dabord il nous faut donc semble-t-il controcircler les fabricants de mythes (μυθοποιοῖς) Et sils fabriquent un [mythe] avantageux (καλὸν [μῦθον] ποιήσωσιν) il faut laccepter mais sils en font un qui ne lest pas il faut le rejeter5

Mais sur quelle base comment et qui peut juger si un mythe est avantageux ou non

Premiegraverement eacutetant donneacute que le mythe se rapporte geacuteneacuteralement agrave une meacutemoire

collective6 lutiliteacute des mythes doit ecirctre avantageuse pour la communauteacute de la

1 laquo Degraves quintervient la repreacutesentation sensible on peacutenegravetre dans le domaine du mythe et lon passe ainsi du livre VIIe de la Reacutepublique au Xe raquo (Schuhl Pierre-Maxime Eacutetudes sur la fabulationplatonicienne Paris PUF 1947 p 83)

2 Cest pourquoi nous ne consideacuterons pas la dialectique comme un savoir horizontal cest-agrave-dire la connaissance des eacuteleacutements dun ensemble dont le critegravere ne se fonde pas sur le rapport au Bien mais sur le rapport entre eux-mecircmes Autrement dit la dialectique est un savoir vertical dont le critegravere se fonde sur le rapport au Bien Par exemple la classifcation scientifque des espegraveces est un savoir horizontal de mecircme la division opeacutereacutee dans la premiegravere partie du Politique (258 b ndash 268 d) est une division horizontale alors que dans le Phegravedre (248 d - e) la division des ecirctres humains en neuf cateacutegories relegraveve dun savoir vertical ils sont diffeacuterents par rapport au Bien et non par rapport aux caractegraveres speacutecifquement diffeacuterents entre eux

3 Platon les mots et les mythes Paris Eacuteditions la Deacutecouverte 1994 [1982] p 1714 Sur le sujet cf Brisson Luc Platon les mots et les mythes sous-titre comment et pourquoi Platon nomma

le mythe Paris La Deacutecouverte 1994 (eacutedition revue et mise agrave jour) [1982 Librairie Franccedilois Maspero] Cf encore Calame Claude Quest-ce que la mythologie grecque Paris Gallimard Folio Ineacutedit Essais 2015

5 Reacutepublique II 377 b ndash c6 Une meacutemoire collective peut ecirctre collectivement oublieacutee cest le cas de lhistoire de la guerre

soutenue par lAthegravenes ancienne contre lAtlantide Cette meacutemoire collective fut maintenue pendant1000 ans dans lAthegravenes ancienne mais perdue agrave leacutepoque ougrave Saiumld fut fondeacute en Eacutegypte il y eut 8000 ans jusquau moment Solon y rendit visite et quun precirctre eacutegyptien lui ft ce reacutecit Cela eacutetant une meacutemoire collective perdue dans une population peut bien continuer agrave exister dans une autrepopulation agrave travers la transmission Mais on ne sait pas pendant 8000 ans si ce reacutecit a eacuteteacute transmis de maniegravere collective ou priveacutee (du pegravere au fls ou du maicirctre au disciple par exemple) car de Solon (au moment ougrave Solon fut informeacute du reacutecit par le precirctre eacutegyptien) jusquagrave la peacuteriode de la reacutedaction du Timeacutee et du Critias (environ entre 358 et 356) 270 ans sont eacutecouleacutes pendant lesquels le reacutecit fut transmis de maniegravere obscure de Solon agrave Platon (cf laquo Moyens de transmission raquo Platon les mots et les

264

meacutemoire collective la citeacute en loccurrence En dautres termes lutiliteacute des mythes est

eacutethique et politique Deuxiegravemement si un mythe est inacceptable il faut le rejeter en

le critiquant sil est acceptable il faut en faire eacuteloge Troisiegravemement seul le

philosophe est qualifeacute pour accomplir toutes ces tacircches En effet le philosophe doit

sinteacuteresser agrave toutes les acircmes de la citeacute comme Socrate le faisait et sadresser agrave eux de

la faccedilon qui leur convient En ce sens le mythe et la reacutefutation font partie de la

dialectique

VI11 Le mythe et la repreacutesentation

Si un mythe qui est une repreacutesentation a une fonction eacutethique et politique la

question se pose quelle repreacutesentation peut-on faire de leacutethique et de la politique

La question suppose quil ny ait pas par nature une seule repreacutesentation quon

puisse en faire La repreacutesentation (εἰκασία) signife quelque chose qui se fait

repreacutesenter au moyen dimage (εἰκάζειν)1 En effet il y a deux sortes dimages 1

Limage vraie si le monde sensible est limage du monde intelligible une telle image

est une image vraie parce quelle tient sa reacutealiteacute sensible des reacutealiteacutes intelligibles et

cest au niveau fonctionnel quelle ressemble agrave son modegravele Par exemple un lit

particulier a pour fonction le support agreacuteable du sommeil leffcaciteacute du repos

Certes sensiblement un lit particulier ne ressemble pas agrave la notion du Lit (comme

par exemple un cercle particulier ne ressemble point visuellement agrave leacutequation c =

2πR) mais sur le plan fonctionnel un lit particulier correspond plus ou moins agrave ce

que le Lit demande decirctre Cela eacutetant il y a une concordance fonctionnelle entre tous

les lits particuliers et le Lit quun dieu eut planteacute2 2 Limage trompeuse limage

dimage la peinture dun lit particulier par exemple Une telle image est trompeuse

parce que fonctionnellement il ny a aucune concordance cest-agrave-dire ressemblance

entre un lit particulier et son image en peinture

La question se pose comment faire dun mythe une repreacutesentation vraie de leacutethique

ou de la politique La question concerne dune part le sensible et dautre part

lintelligible Sensible car toute repreacutesentation relegraveve du domaine du sensible

mythes pp 32 ndash 49) Cest agrave partir de la publication de ces deux dialogues platoniciens que ce reacutecitde lAtlantide redevient une meacutemoire collective vivante

1 Le substantif εἰκασία nest employeacute que trois fois dans le corpus platonicien (Reacutepublique VI 511 e VII 534 a 534 a) pour nommer la quatriegraveme section de la Ligne Dans le Sophiste seulement ladjectifεἰκαστικός est employeacute (235 d 236 b 236 c 264 c 266 d) Dans les autres cas Platon emploie le verbe εἰκάζειν (Alcibiade 105 c Banquet 190 a Cratyle 425 c 432 b 439 a Ion 532 c Lettre VII 324 a Lois II 667 c 668 a Meacutenon 89 e 89 e 98 b 98 b Parmeacutenide 132 d 132 d Pheacutedon 99 e Phegravedre 248 a 250 b Philegravebe 55 e Reacutepublique II 377 VI 488 a 488 a)

2 Cf Brisson Luc laquo Le divin planteur (φυτουργός) raquo KAIROS Ndeg 19 2002 pp 31 ndash 48

265

Intelligible puisque tout ce qui est sensiblement vrai et non illusoire relegraveve de la

participation du sensible agrave lintelligible Cela eacutetant faire dun mythe une

repreacutesentation vraie de leacutethique ou de la politique peut susciter chez les sujets qui

precirctent loreille au mythe une certaine psychologie permettant dorienter le

comportent de leur acircme

VI111 Eacutethique et la repreacutesentation

La question eacutethique est une question dautonomie morale individuelle si lon deacutefnit

leacutethique comme lrsquoeacutevaluation rationnelle de la morale1 Ainsi sur le plan eacutethique un

mythe doit donner une repreacutesentation du jugement des acircmes apregraves la mort ce

quillustrent les mythes eschatologiques du Gorgias du Pheacutedon et de la Reacutepublique qui

permettent aux sujets de faciliter cette eacutevaluation rationnelle de la morale laquo mecircme si

un deacutelinquant est assez puissant assez riche ou assez violent pour eacutechapper aux

sanctions en ce monde il sera puni dans un autre monde raquo2 Ici nous donnons deux

repreacutesentations opposeacutes lune le Tartare est une repreacutesentation de linjustice punie

qui suscite la peur engendre le sentiment de frayeurs lautre lHadegraves est une

repreacutesentation de la justice reacutecompenseacutee qui inspire la confance engendre le deacutesir

du beau et de lespeacuterance

bull Tartare (Τάρταρος)

Le sens eacutetymologique de ce nom propre semble simple laquo grand gouffre qui se trouve

sous la terre raquo il napparaicirct que deux fois dans lIliade (VIII 14 et 481) il est absent

dans lOdysseacutee on le trouve mecircme au pluriel dans la Theacuteogonie dHeacutesiode3 il

apparaicirct 11 fois dans le corpus platonicien mais exclusivement dans les trois mythes

eschatologiques4 Cette phrase de Socrate citeacutee dans le Pheacutedon reacutesume le sens et la

porteacutee du terme

Cest celui dont Homegravere a parleacute disant laquo Fort loin lagrave ougrave sous la terre se trouve le gouffre le plus profond raquo Lui-mecircme en dautres passages et beaucoup dautres poegravetes appellent Tartare cet abicircme5

Agrave propos de cette phrase laquo au dessus [du Tartare] ont pousseacute les racines de la terre

1 laquo Si lrsquoon considegravere la morale comme un systegraveme de conduites admises et encourageacutees dans une socieacuteteacute on peut deacutefnir lrsquoeacutethique comme lrsquoeacutevaluation rationnelle de la morale raquo (Brisson Luclaquo Platon raquo Histoire de la philosophie Paris Seuil sous la direction de J-F Pradeau 2009 p40)

2 Platon Paris Cerf 2017 p 963 Theacuteogonie Τάρταρος 682 721 725 763 807 822 868 Τάρταρα 119 8414 Gorgias 523 b 524 a 526 b Pheacutedon 112 a 112 d 113 b 113 c 113 e 114 a 114 b Reacutepublique X 616 a5 Pheacutedon 111 e

266

et de la mer infeacuteconde raquo1 la note de traduction de Paul Mazon donne un reacutesumeacute de

la description du Tartare dans la Theacuteogonie

Le poegravete se repreacutesente le Tartare comme une sorte de jarre termineacutee par un col eacutetroit δειρή) dougrave sortent les laquo racines du monde raquo Celui-ci se deacuteploie donne avec ses terres et ses mers au-dessus de cette bouche infernale comme un bouquet au-dessus dun vase Limage est saisissante Elle a frappeacute un autre aegravede qui a voulu prolonger la descriptionet qui a imagineacute agrave linteacuterieur de cette jarre close un reacutegime de vents souterrains souffant en tourbillon qui ne permettent pas agrave un objet jeteacute dans le Tartare den jamais atteindre le fond Mais il est clair que ce nouveau poegravete ne songe plus aux Titans sans quoi il neucirct pas manqueacute de les peindre jouets dune tempecircte eacuteternelle au milieu des plus noires teacutenegravebres2

Dans le mythe eschatologique du Pheacutedon le Tartare a quatre niveaux verticaux de

plus en plus violents et effroyables agrave savoir le feuve Oceacutean lAcheacuteron le

Pyriphleacutegeacutethon et le Cocyte En effet dans la mythologie traditionnelle le Tartare est en

quelque sorte un instrument de Zeus laquo cest lagrave que les Titans sont cacheacutes dans

lombre brumeuse par le vouloir de Zeus assembleur de nueacutees raquo3 En revanche dans

les trois mythes eschatologiques platoniciens le Tartare est reacuteserveacute aux injustes ainsi

il ne peut y avoir dun dieu sy trouvant puisque les dieux platoniciens sont tous

parfaitement bons et sages Voici trois extraits pour illustrer la fonction du Tartare

Voici quelle est cette loi si un homme meurt apregraves avoir veacutecu une vie de justice et depieacuteteacute quil se rende aux Icircles des bienheureux et quil vive lagrave-bas dans la plus grande feacuteliciteacute agrave labri de tout malheur mais sil a veacutecu sans justice ni respect des dieux quil se dirige vers la prison ougrave on paye sa faute ougrave lon est puni mdash cette prison quon appelle le Tartare4

Le Tartare est lenfer ougrave on paye ses injustices commises subit la punition dans des

conditions effroyables En veacuteriteacute le Tartare remplit une fonction de gueacuterison de

certaines maladies de lacircme puisquau fond du gouffre le meacutedecin est un feuve dont

la sauvagerie est effroyable et le remegravede est le temps quil faut pour purifer une acircme

afn de la deacutelivrer de toutes les injustices commises Cela illustre aussi la limite

purement punitive

Mais ceux qui sont jugeacutes incurables en raisons de leacutenormiteacute de leurs fautes mdash quils se soient agrave maintes reprises livreacutes agrave de graves pillages dans les lieux sacreacutes quils aient de

1 Theacuteogonie 726 ndash 7272 Theacuteogonie ndash Les travaux et les jours ndash Le bouclier Paris Les Belles Lettres 1928 p 57 ndeg 4 Le Tartare

se distingue de lHadegraves chez Homegravere comme chez Heacutesiode laquo [hellip] au Tartare brumeux tout au fond de labicircme qui plonge au plus bas sous terre ougrave sont les portes de fer et le seuil de bronzeaussi loin au-dessous de lHadegraves que le ciel lest au-dessus de la terre raquo (Iliade VIII 13 ndash 16 Trad par Paul Mazon)

3 Ibid 729 ndash 730 Au deacutebut du chant VIII de lIliade la parole de Zeus est claire il jettera au fond du noir Tartare les dieux et les deacuteesses qui ne lui obeacuteissent pas

4 Gorgias 523 a ndash b

267

nombreuses fois tueacute sans motif et au meacutepris de toutes les lois ou commis tout ce quil peut y avoir dabomination de cet ordre mdash ceux-lagrave le lot qui leur convient est decirctre jeteacutes au Tartare dougrave jamais ils ne sortent1

Le Tartare a pour une fonction de proteacuteger la citeacute en retenant les acircmes incurables

Cela admis si vraiment laquo jamais ils ne sortent raquo agrave la fn il ne devrait pas semble-t-il

y avoir de criminels dabomination atroce dans la citeacute Agrave condition de reprendre le

mecircme argument que voici laquo si tout ce qui a part agrave la vie doit mourir et si une fois

mort tout ce qui est mort conserve ce mecircme aspect sans jamais revenir agrave la vie nrsquoest-

ce pas une neacutecessiteacute absolue qursquoagrave la fn tout soit mort et rien ne vive raquo (Pheacutedon 72 c-

d) Peut-ecirctre ny a-t-il pas lieu pour un lecteur dappliquer le raisonnement sur un

reacutecit qui sadresse aux fonctions infeacuterieures de lacircme cest dailleurs la fonction du

mythe Voici une autre fonction dissuasive du Tartare

En revanche les hommes qui ont commis les plus extrecircmes injustices et qui sont devenus de ce fait incurables sont des hommes qui servent dexemples mecircme si en fait ils ne peuvent parce quincurables tirer le moindre profl de leur chacirctiment Mais il y a bien dautres hommes qui tirent proft du fait de les subir eacuteternellement en punition de leursfautes les souffrances les plus graves les plus douloureuses les plus effroyables2

En reacutealiteacute peu nombreux sont les grands criminels atroces de mecircme que les

philosophes qui nont commis aucune injustice envers qui que ce soit dieu ou

homme autrement dit la majoriteacute des gens sont meacutediocres cest-agrave-dire ne pouvant

eacutevider de commettre quelques injustices plus graves pour les uns et moins graves

pour les autres au cours de leur existence Cela eacutetant apregraves la mort excepteacutes les

philosophes et ceux qui ont reccedilu une faveur divine (par exemple les heacuteros les poegravetes

divins) les acircmes humaines ayant commis dinjustices passent neacutecessairement

quelque temps approprieacute dans les diffeacuterents endroits du Tartare afn de voir

comment les acircmes incurables sont chacirctieacutees3

bull Hadegraves (Ἅιδης)

Agrave lopposeacute au Tartare lHadegraves deacutesigne le royaume des morts4 Dapregraves leacutetymologie

du Cratyle laquo Eh oui et il sen faut de beaucoup que le nom Ἅιδης vienne dἀιδής ( in-

visible) il vient plutocirct du fait de savoir toutes (πάντα εἰδέναι) les belles choses cest

1 Pheacutedon 113 e2 Gorgias 252 c3 Voir Pheacutedon 112 e ndash 114 c4 Chez Heacutesiode comme chez Homegravere lopposition ne semble pas nette entre le Tartare et lHadegraves bien

que lun se distingue de lautre elle porte seulement sur le statut des habitants agrave savoir que les morts sont agrave lHadegraves et les Titans au Tartare laquo Hadegraves freacutemissait le souverain des morts dans les enfers et aussi les Titans dans le fond du Tartare autour Gronos eacutebranleacutes par lincoercible fracas et la funeste rencontre raquo (Theacuteogonie 850 ndash 853 Trad par Paul Mazon) Il sagit dune opposition horizontale et non verticale puisque tous les morts justes ou injustes se trouvent tous agrave lHadegraves

268

de lagrave que le leacutegislateur a tireacute lappellation Ἅιδης (tout-savant) raquo1 Appuyeacute sur cette

eacutetymologie platonicienne lHadegraves correspond au moins agrave trois repreacutesentations agrave

savoir celle dun dieu celle dun royaume ougrave les morts peuvent voir toutes les

reacutealiteacutes intelligibles et en dernier lieu celle de la justice Une telle repreacutesentation de

lHadegraves seacutecarte de la repreacutesentation traditionnelle de lHadegraves2 comme le dieu que

laquo les hommes haiumlssent le plus raquo

[Agamemnon] Quil cegravede mdash Hadegraves reste seul implacable infexible mais cest aussi pourquoi il est de tous les dieux celui que les hommes haiumlssent le plus mdash et quil se soumette agrave moi dautant que je suis plus grand roi que lui et que par mon acircge je me fatte decirctre avant lui 3

En revanche dans la bouche de Socrate la description de lHadegraves laquo ce dieu est bien

agrave ce compte un sage parfait raquo4 laisse aspirer au savoir

Pour ma part citoyens cest probablement bien en cela et dans cette mesure que je me distingue de la plupart des gens et si apregraves tout je me deacuteclarais supeacuterieur agrave quelquun en ce qui concerne le savoir ce serait en ceci que ne sachant pas assez agrave quoi men tenir sur lHadegraves je ne mimagine pas posseacuteder ce savoir aussi5

Par contre dans la mythologie Hadegraves est un dieu puissant en force et non en savoir

dans la Theacuteogonie dHeacutesiode Hadegraves peut mecircme fuir de peur (τρεῖν 850) son chien

aux cinquante tecirctes est feacuteroce6 Dailleurs Hadegraves lui-mecircme nest pas invisible mais

son casque teacuteneacutebreux le rend invisible comme lanneau de Gygegraves quand le chaton

est tourneacute vers la paume de sa main il rend invisible Alors pour Socrate lHadegraves est

un royaume invisible par nature son dieu eacutegalement

Socrate Mais lacircme elle linvisible qui seacutelance vers un autre lieu pareil agrave elle noble pur invisible qui seacutelance vers lInvisible veacuteritable Hadegraves pour le nommer le dieu bon et sage chez qui sil plaicirct au dieu mon acircme devra bientocirct aussi aller 7

Autrement dit lHadegraves est un monde ougrave les habitants peuvent voir toutes les reacutealiteacutes

intelligibles cest ce que confrme ce passage du Meacutenon

Or comme lacircme est immortelle et quelle renaicirct plusieurs fois quelle a vu agrave la fois leschoses dici et celles de lHadegraves [le monde de lInvisible] cest-agrave-dire toutes les reacutealiteacutes

1 Cratyle 404 b2 Cf Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81 c 5 ndash d 5) raquo Gorgias ndash Meacutenon International

Plato Stadies 25 2007 p 200 ndash 201 pp 199 ndash 2033 Homegravere Iliade IX 158 ndash 161 Trad par Paul Mazon Par ailleurs au deacutebut de la Reacutepublique agrave propos

de lHadegraves le vieux Ceacutephale dit ceci laquo Les reacutecits quon raconte sur lHadegraves et le fait quon doive lagrave-bas rendre compte des injustices commises ici-bas il sen moquait jusque-lagrave mais deacutesormais son acircme est troubleacutee agrave lideacutee que ces reacutecits soient veacuteridiques raquo (livre I 330 d ndash e)

4 Ibid 403 e5 Apologie 29 b6 Voir Heacutesiode Le Bouclier 311 ndash 3147 Pheacutedon 80 d Notons que dans la mythologie traditionnelle certes lHadegraves est aussi un lieu mais

pas toujours invisible pour tous par exemple dans le mythe Eurydice il est visible pour Orpheacutee

269

(καὶ τάντα χρήματα) il ny a rien quelle nait appris1

Cela eacutetant lHadegraves est un endroit pur mais comment peut-on imaginer que les

choses impures puissent y peacuteneacutetrer En dautres termes une tregraves grande majoriteacute

des acircmes humaines ne sautorisent pas agrave parvenir agrave lHadegraves pour la raison suivante

Agrave force de confrmer ses jugements agrave ceux du corps et de se plaire aux mecircmes objets il est ineacutevitable agrave mon avis quelle [acircme] se conforme agrave lui dans son comportement et dans ses goucircts bref quelle devienne incapable darriver jamais chez Hadegraves en eacutetat de pureteacute chaque fois au contraire quelle sort du corps elle reste infecteacutee par lui De sorte quimmeacutediatement elle retombe dans un autre corps et sy enracine comme une nouvelle semence en conseacutequence de quoi elle est exclue de la freacutequentation de ce qui est divin pur et unique en sa forme2

Cela eacutetant pour ecirctre accueilli dans lHadegraves non seulement il ne faut jamais

commettre dinjustice envers qui que ce soit dieu ou homme mais aussi et surtout ne

pas lecirctre envers sa propre acircme car le fait dattacher excessivement son acircme agrave son

corps constitue une injustice agrave leacutegard de lintellect de son acircme

La troisiegraveme repreacutesentation de lHadegraves est celle de la justice En arrivant dici-bas

laquo aux portes de lHadegraves raquo3 toute acircme humaine est soumise au jugement

En effet si en arrivant chez Hadegraves on se trouve deacutebarrasseacute de ces gens qui preacutetendent ecirctre des juges et quon y trouve des juges qui sont reacuteellement des juges et notamment ceux-lagrave qui dit-on rendent lagrave-bas la justice Minos Rhadamante et Eacuteaque Triptolegraveme aussi et tous ceux qui parmi les demi-dieux ont eacuteteacute des justes durant leur existence sur terre pensez-vous que le voyage nen vaudrait pas la peine Et encore la compagnie dOrpheacutee de Museacutee dHeacutesiode et dHomegravere que ne donneriez-vous pas pour jouir 4

Ce qui correspond aux trois mythes eschatologiques celui du Gorgias repreacutesente la

neacutecessiteacute que lacircme humaine soit jugeacutee dans sa propre forme cest-agrave-dire apregraves avoir

eacuteteacute seacutepareacutee du corps humain celui de la Reacutepublique preacutesente lorganisation du

royaume des morts de lHadegraves et celui du Pheacutedon preacutesente la structure sans

organisation interne du Tartare

bull Problegraveme

Consideacuterant que certaines acircmes retombent immeacutediatement dans un autre corps et

que les acircmes qui ont purgeacute leur peine dans le Tartare retombent directement du

Tartare dans un corps sans passer par lHadegraves ces acircmes-lagrave nont donc pas doccasion

1 Meacutenon 81 c laquo En effet χρήματα peut preacutesenter le sens geacuteneacuteral de choses mais chez Platon et chez les Platoniciens χρήματα en vient naturellement agrave deacutesigner les reacutealiteacutes intelligibles comme on leconstate en Pheacutedon 66 e 1 ndash 2 raquo (Brisson Luc laquo La reacuteminiscence dans le Meacutenon (81 c 5 ndash d 5) raquo Gorgias ndash Meacutenon International Plato Stadies 25 2007 pp 199 ndash 203 p 201)

2 Pheacutedon 83 d ndash e3 Lexpression du Gorgias 522 e4 Apologie 40 e ndash 41 a

270

de voir les reacutealiteacutes intelligibles1 Ainsi dans une nouvelle incarnation elles ne

pourraient contempler les reacutealiteacutes veacuteritables par la reacuteminiscence Peut-ecirctre les mythes

sont-ils creacutes pour croire et non pas pour ecirctre soumis agrave examen

VI112 Politique et la repreacutesentation

Le fait que la citeacute juste ne puisse se passer de leacuteducation eacutequivaut agrave dire que

leacuteducation est synonyme de politique Mais avant deacuteduquer les citoyens il faut

savoir quelle est la nature de leacuteducation et comment organiser la citeacute pour que tous

les citoyens puissent recevoir une bonne eacuteducation Cest la tacircche du mythe de la

caverne qui est preacuteceacutedeacute par ces mots

Socrate En bien apregraves cela dis-je compare notre nature consideacutereacutee sous langle de leacuteducation et de labsence deacuteducation agrave la situation suivante2

Le mythe de la caverne peut ecirctre consideacutereacute comme le noyau de la Reacutepublique peut-

ecirctre mecircme le noyau de lœuvre entiegravere de Platon si lon le mesure par sa ceacuteleacutebriteacute qui

reacutesiste agrave leacutecoulement du temps et aux vicissitudes humaines laquo il nest rien de plus

ceacutelegravebre dans lœuvre entiegravere de Platon que le mythe de la caverne raquo3

La justice est lobjet de la Reacutepublique ainsi une citeacute juste ne doit pas avoir de

prisonniers puisquils nont aucune fonction propre4 dougrave la neacutecessiteacute de leacuteducation

par laquelle chaque citoyen est formeacute pour soccuper dune tacircche propre une citeacute

juste ne doit pas connaicirctre les citoyens ignorants dans la mesure chaque acircme

humaine seacutequipe de lintellect Ici nous essayons de donner une autre image du

mythe de la caverne en quatre tripartitions

Lumiegravere Ecirctre Mouvement Savoir

soleil homme libre science

feu marionnette mobile restreint technique

ombre image immobile ignorance

Le processus de la remonteacutee semble simple pour ceux qui se trouvent au niveau le

1 Voir Timeacutee laquo Au contraire sil se montre neacutegligent si dun bout agrave lautre de son existence il megravene une vie sans eacutequilibre cest sans avoir eacuteteacute initieacute cest-agrave-dire priveacute de raison quil retourne dans lHadegraves raquo (44 c) Cest la seule apparition de lHadegraves dans le Timeacutee cela eacutetant mieux agrave larriveacute delHadegraves lacircme retombera immeacutediatement dans un autre corps pire elle retombera dans un autre corps apregraves avoir passeacute quelque temps au Tartare Ici il est diffcile de savoir quelle est la position de Timeacutee sur lHadegraves Comme Socrate ou comme les poegravetes

2 Reacutepublique VII 514 a3 Schuhl Pierre-Maxime Eacutetudes sur la fabulation platonicienne Paris PUF 1947 p 454 laquo Deacutefnir un statut pour les hommes lui [Platon] importe moins que deacutecrire quelles fonctions

doivent leur ecirctre deacutevolues par la citeacute raquo (Bertand Jean-Marie laquo Les citoyens des citeacutes platoniciennes raquo Cahiers du Centre Gustave Glotz 11 2000 pp 37-55 p 55)

271

plus bas il faut dabord leur apprendre une technique leur imposer des mouvement

restreints leur faire apprendre agrave obeacuteir en quelque sorte comme une marionnette et

les inviter agrave voir et agrave manipuler le feu En effet le tableau donne une repreacutesentation

de lorganisation horizontale verticale et parallegravele de la citeacute

VI113 Lunivers et la repreacutesentation

Le discours de Timeacutee dans le dialogue qui porte son nom est un mythe sur lunivers 1

mais il nest pas facile de faire de ce mythe une repreacutesentation simple puisque le

mythe est trop long et trop complexe Cest la raison pour laquelle nous nous

tournons vers le mythe du Politique il sagit dun mythe cosmo-politique2 qui raconte

trois cycles cosmo-politiques agrave savoir celui de Kronos (271 c ndash 272 d) celui autonome

(272 d ndash 273 e) et celui de Zeus (273 e ndash 274 d) Voici une repreacutesentation voulue

scheacutematique

Kronos Autonomie Zeus

Sens de rotation horaire inverse horaire

Organisation providentielle dordre agrave deacutesordre semi-providentielle

Paix harmonie du meilleur au pire hasard

Savoir ni technique ni philosophie

oubli progressif technique et science

Biens pleins de moins en moins chercheacutes3

Maux absents de plus en plus agrave deacutebarrasser

Voie de naissance surgie du sol surgie du sol sexuelle

Marche de lacircge normale inverse normale

Nourriture abondante abondante insuffsante

La liste peut ecirctre encore allongeacutee mais plus elle est longue plus les choses se

compliquent dailleurs les travaux sur le mythe du Politique sont nombreux4 Nous

donnons ici un bref commentaire En terme dharmonie et dabsence de maux le

cycle de Kronos semble excellent mais comment un tel cycle peut-il ecirctre excellent

sans technique ni philosophie Par contre le cycle autonome est le pire sans

1 Cf Brisson Luc Platon les mots et les mythes Paris La Deacutecouverte 1982 p 213 2 Cf mdashmdash laquo Interpreacutetation du mythe du Politique raquo Lectures de Platon Paris Vrin 2000 pp 169 ndash 2053 Dans le texte la question du bien et du mal nest pas explicitement eacutevoqueacutee puisque lEacutetranger

dEacuteleacutee dit ceci laquo Mais en ce qui concerne les hommes lexposeacute sera plus bref et plus agrave propre raquo (274 b) Cependant comme les dieux laquo y joignirent lenseignement et lapprentissage indispensables (ἀναγκαίας διδαχῆς καὶ παιδεύσεως) raquo (274 c) on peut supposer que lon est conscient de questions de maux et de biens puisque dans lenseignement et lapprentissage il y a toujours de reacuteussites et deacutechecs cela donne ineacutevitablement aux hommes agrave penser

4 Cf Politique laquo Bibliographie raquo p 297 ndash 298

272

intervention du dieu agrave la fn lunivers autonome fnira par se deacutetruire En revanche

le cycle de Zeus ni mieux ni pire est un meacutelange de deux preacuteceacutedents Cependant en

terme cosmo-politique le cycle de Zeus est un modegravele politique puisquil est

gouverneacute par la technique et la science

VI12 Bon usage du mythe

Comme le mythe est un instrument de persuasion spectaculaire il est neacutecessaire de

prendre soin davoir recours au mythe ici nous prenons deux positions opposeacutees

critique et eacuteloge du mythe

VI121 Critique du mythe

Certes les eacuteveacutenements raconteacutes dans les mythes sont inveacuterifables puisquils laquo se sont

deacuterouleacutes dans un passeacute tregraves eacuteloigneacute raquo et ils ne sont connus que laquo par lintermeacutediaire

de la tradition raquo1 Mais la nature de certains eacuteleacutements primitifs des mythes peut ecirctre

soumise agrave examen afn de deacuteterminer si celui-ci est bon ou mauvais pour les acircmes

humaines cest le premier niveau de la critique du mythe Mais si on considegravere les

trois transformations du mythe telles quelles sont eacutecrites comme suit

[hellip] le mythe est aussi devenu mythologie entendue non seulement comme la collection des reacutecits fabuleux drsquoune culture particuliegravere mais aussi comme la science que requiert leur interpreacutetation Mythe mdash fable primitive mythe mdash mode de penseacutee mais agrave la faveur drsquoune troisiegraveme meacutetamorphose le mythe est transformeacute en substance pour susciter la science du mythe et devenir lrsquoobjet de la mythologie2

nous avons ainsi le second niveau de la critique du mythe agrave savoir la critique de

linterpreacutetation du mythe Restons sur ces deux niveaux en deacutelaissant le troisiegraveme

1 La critique qui condamne le mythe comme un instrument de corruption de lacircme

des enfants se concentre particuliegraverement dans la partie se trouvant entre 376 d du

livre II et 392 c du livre III de la Reacutepublique La raison de cette critique est eacutenonceacutee degraves

le deacutebut de cette partie laquo Mais de quelle maniegravere seront eacuteleveacutes chez nous ces

gardiens et comment seront-ils formeacutes Et pour nous examiner ce point est-il une

sorte de travail preacuteliminaire pour saisir le but ultime de toutes nos recherches

comment la justice et linjustice adviennent dans la citeacute raquo3 Voici le plan avec un

court reacutesumeacute

1 Platon les mots et les mythes p 1272 Calame Claude Quest-ce que la mythologie Paris Gallimard Folio Ineacutedit Essais 2015 p 46

(format epub teacuteleacutechargeacute du site genlibrusec dont la pagination peut ecirctre tregraves diffeacuterente de celle du livre papier)

3 Reacutepublique II 367 c ndash d

273

Le mythe est un discours (376 d ndash 392 c)Introduction (376 e ndash 377 d)

Le mythe est un discours Comme tout discours il ya du vrai et du faux Les faux sont dangereux pour les acircmes humaines et particuliegraverement pour les acircmes denfant et donc il faut les rejeter

Les cinq sujets de mythes traditionnels (377 e ndash 392 c)bull Dieux (377 e ndash 383 c)

laquo Le dieu tout comme les choses qui concernent le dieu est absolument parfait raquo (381 b) Ainsi le fait de raconter que les dieux peuvent commettre des erreurs des maux faire la guerre entre eux se tendre des piegraveges se battre les uns contre les autres ecirctre imparfaits de toute maniegravere tout cela relegraveve du pur mensonge Tout cela est mauvais pour leacuteducation dans la citeacute

bull Deacutemons (382 e 391 e ndash 392 a)Le substantif δαίμων napparaicirct quune seule fois dans le livre II sous forme dadjectif substantiveacute (τὸ δαιμόνιόν 382 e) et deux fois dans le livre III (δαιμόνων 391 e ndash 392 a) Le deacutemon en franccedilais deacutesigne parfois le mauvais esprit ou encore le monstre Mais dans le corpus platonicien le δαίμων est divin (θεῖον 382 e) il est aussi divin que les dieux en qualiteacute Sa fonction en serait probablement diffeacuterente1

bull LHadegraves (386 a ndash 387 c)Dapregraves Homegravere lHadegraves est laquo la demeure eacutepouvantable remplie de teacutenegravebres celle quont en horreur les dieux raquo (Il XX 64 ndash 65 citeacute en 386 d) Un tel discours fait peur devant la mort Les gens sont terrifeacutes par la mort degraves leur enfance Pour Socrate au contraire il faut faire leacuteloge de lHadegraves car lagrave ougrave se trouvent les dieux est certainement beau pur et parfait ougrave les acircmes peuvent contempler les formes intelligibles

bull Les heacuteros (387 d ndash 392 a)Dans des poegravemes homeacuteriques mecircme un heacuteros ne se prive pas des plaintes et des lamentations cela est tout simplement inacceptable pour Socrate puisquune telle meacutediocriteacute nest pas coheacuterente avec le caractegravere heacuteroiumlque des hommes ou des femmes un tel discours contre la veacuteriteacute nest ni bon pour les enfants ni bon pour les meacutediocres

bull Les hommes du passeacute (392 a ndash c)Les plus grandes erreurs que commettent les poegravetes et les prosateurs (λογοποιοί) consistent agrave raconter que beaucoup de gens eacutetaient heureux tout en eacutetant injustes et beaucoup dautres justes mais malheureux Alors que ce est au contraire la veacuteriteacute que la citeacute doit prescrire de chanter

Conclusion (392 c)Cest la veacuteriteacute quil faut dire dans les discours Reste agrave examiner quelle est la faccedilon (λέξις) par laquelle la veacuteriteacute doit ecirctre dite

Immeacutediatement Socrate analyse les trois formes de reacutecit traditionnelles agrave savoir

simple imitative et un meacutelangeacutee de deux premiegraveres Par quelle neacutecessiteacute faut-il

distinguer les formes de reacutecit Cest une question eacutethique agrave leacutegard de lauditoire

mais aussi agrave leacutegard des eacutevegravenements raconteacutes Le reacutecit pur et simple est le plus

objectif car laquo le poegravete parle en son nom propre et nentreprend pas dorienter notre

1 Voir le mythe dEr (617 d ndash e 620 d ndash e)

274

penseacutee dans un autre sens comme si ceacutetait un autre que lui-mecircme qui parlait raquo1 Ce

qui nest pas le cas pour la forme imitative ougrave Homegravere laquo sefforce le plus possible de

nous donner lillusion raquo en imitant les dieux les heacuteros ou dautres personnages

comme sil eacutetait eux-mecircmes agrave chaque fois En langage moderne cette forme imitative

a pour nom le reacutecit omniscient Mais la critique du mythe est dabord la critique du

fond

Socrate Il est donc impossible dis-je mecircme pour un dieu de vouloir salteacuterer lui-mecircme mais il semble au contraire que chacun des dieux parce quil est le plus beau et le meilleur possible demeure dans sa forme propre eacuteternellement et absolument2

Cest pourquoi laquo le dieu est le moins susceptible de recevoir plusieurs formes raquo3

decirctre Tout cela eacutetant sur la forme comme sur le fond le mythe doit ecirctre une

repreacutesentation ou une image pure et simple et non une image dimage Pour cela il

faut adopter une exposition objective et il est interdit de raconter nimporte quoi sur

le compte des dieux En effet sil existe les reacutealiteacutes intelligibles il existe

neacutecessairement des ecirctres parfaits purs sages et beaux ce sont les dieux

2 Tous les mythes sont soumis agrave interpreacutetation car en tant que discours inveacuterifable

laquo son reacutefeacuterent se situe soit agrave un niveau de reacutealiteacute inaccessible aussi bien agrave lintellect

quaux sens soit au niveau des choses sensibles mais dans un passeacute dont celui qui

tient ce discours ne peut faire lexpeacuterience directement ou indirectement raquo4 Or

linterpreacutetation alleacutegorique (ὑπονοία) est elle aussi une interpreacutetation Voici la raison

pour laquelle Socrate refuse toute interpreacutetation alleacutegorique

Socrate Mais de raconter que Heacutera a eacuteteacute enchaineacutee par son fls que Heacutephaiumlstos a eacuteteacute jeteacute dans un preacutecipice par son pegravere parce quil avait voulu proteacuteger sa megravere assaillie de coupe et tous ces combats de dieux que Homegravere a mis dans ses poegravemes cela il ne faut pas ladmettre dans la citeacute que ces poegravemes aient eacuteteacute composeacutes ou non avec une intention alleacutegoriqueCar un jeune nest pas en mesure de discerner une intentions alleacutegorique de ce qui nen possegravede pas et ce quil ressent agrave son acircge en formant ses opinions a tendance agrave devenir ineffaccedilable et immuable Cest sans doute la raison pour laquelle il convient par-dessus tout de composer les premiegraveres histoires comme des reacutecits superbement raconteacutes en vue de les disposer agrave la vertu5

Pourquoi ce refus En effet laquo lalleacutegorie raquo a pour but de reacuteinterpreacuteter la tradition

pour ladapter aux ideacutees nouvelles6 En dautres termes oui la critique de la tradition

1 Ibid 393 a2 Reacutepublique II 381 c3 Ibid 381 b4 Platon les mots et les mythes p 127 ndash 1285 Reacutepublique II 378 d ndash e Agrave propos de ce passage particuliegraverement du terme ὑπονοία cf le chapitre

12 laquo Refus de toute interpreacutetation alleacutegorique raquo de Platon les mots et les mythes pp 152 ndash 1596 Cf Phegravedre laquo Notes raquo ndeg 36 p 195

275

que faisaient Socrate et Platon mais non agrave sa falsifcation

Le mythe de lAtlantide na quune seule version parce que pendant 270 ans le

mythe na eacuteteacute transmis que lineacuteairement oralement de pegravere agrave fls de Solon agrave Platon

dans une mecircme famille et avant Platon ce mythe navait jamais couru dans la sphegravere

publique1 Cela eacutetant ce mythe ne serait-il pas subi une modifcation volontaire car

dans une transmission non communicante quel serait linteacuterecirct de le modifer Agrave

moins que cela nadvienne par neacutegligence ou par oubli mais cela est peu probable

car de Solon agrave Platon une ligneacutee illustre la rigueur et la meacutemoire ne nous permettent

pas en douter Dailleurs le prologue du Parmeacutenide montre quAntiphon le beau fregravere

maternel de Platon avait une excellente meacutemoire et un eacutegard neutre agrave leacutegard du

reacutecit puisquil ne sinteacuteressait quaux chevaux2

En fait les mythes platoniciens se composent geacuteneacuteralement de deux parties agrave savoir

une fable primitive cest-agrave-dire des donneacutees narratives traditionnellement

transmises et un savoir dinterpreacutetation Par exemple le mythe de la caverne se

deacutelimite entre 514 a et 517 a mais depuis cette phrase laquo imagine aussi le long de ce

muret [hellip] raquo(415 b 9) jusquagrave la fn (517 a) il sagit dune interpreacutetation que donne

Socrate En revanche dans les mythes eschatologiques les deux parties jalonnent

conjointement le mythe sans faire la moindre confusion entre la partie primitive et la

partie interpreacutetative Cest ce savoir interpreacutetatif qui relegraveve de la dialectique En

veacuteriteacute ce que Socrate reproche aux poegravetes particuliegraverement agrave Homegravere et agrave Heacutesiode

cest quils interpreacutetaient mal les fables primitives Nous analyserons sous peu un

exemple

VI122 Eacuteloge du mythe

Le fait davoir recours au mythe pour eacutepauler la raison est en reacutealiteacute un eacuteloge du

mythe mais laquo la valeur de veacuteriteacute ou fausseteacute dun mythe en est une de second ordre

dans la mesure ougrave un mythe est vrai ou faux selon quil saccorde ou non avec le

discours que tient le philosophe sur le mecircme sujet raquo3 Nous prenons ici lexemple du

mythe des cigales Avant le mythe nous avons ces trois reacutepliques

Socrate Voilagrave donc qui est clair pour le monde non il ny a pas en soi rien de laid agrave eacutecrire des discours

1 Cf laquo Moyen de transmission raquo Platon les mots et les mythes pp 32 ndash 49 surtout pp 32 ndash 392 laquo Le fait quAntiphon ne sinteacuteresse quaux chevaux donne peut-ecirctre plus de poids agrave son reacutecit si tel

est le cas Antiphon rapporte sans en rien modifer et sans les interpreacuteter les propos eacutechangeacutes raquo (Parmeacutenide laquo Notes raquo ndeg 15 p 256)

3 Platon les mots et les mythes p 158

276

Phegravedre Pourquoi serait-ce le cas en effet

Socrate Mais lagrave ougrave reacuteside la laideur cest jimagine dans le fait de parler et deacutecrire dune faccedilonqui nest pas belle cest-agrave-dire vilainement et mal1

Toute suite apregraves le mythe Socrate dit ceci laquo alors la question que nous proposions

dexaminer tout agrave lheure quest-ce qui caracteacuterise le fait de bien ou de mal parler de

bien ou de mal eacutecrire Cette question examinons-la raquo2 Mais en reacutealiteacute le mythe des

cigales a deacutejagrave fourni une reacuteponse Voici le mythe3

Mythe des cigales

Fable primitive Interpreacutetation de Socrate

Jadis les cigales eacutetaient des hommes ceux qui

existegraverent avant que ne naissent les Muses Puis

quand les Muses furent neacutees et que leur chant eut

commenceacute de se faire entendre certains des

hommes de ce temps-lagrave furent raconte-t-on agrave ce

point mis par le plaisir hors deux-mecircmes que de

chanter leur ft neacutegliger de manger et de boire si

bien quils moururent sans sen apercevoir Cest

de ces hommes que par la suite a surgi la race

des cigales elle a reccedilu des Muses le privilegravege de

navoir degraves la naissance besoin daucune

nourriture et de se mettre agrave chanter tout de suite

sans manger ni boire jusquagrave leur mort apregraves

leur mort elles vont trouver les Muses pour leur

faire savoir qui les honore ici-bas et agrave laquelle

dentre elles va cet hommage

Ainsi agrave Terpsichore leur rapport indique ceux

qui lont honoreacutee dans les chœurs et elles les lui

rendent plus chers Agrave Eacuteratocirc elles parlent de ceux

qui lont honoreacutee dans les choses de lamour Et

elles font de mecircme pour les autres selon la

forme de lhommage qui est le sien Agrave laicircneacutee

Calliope et agrave sa cadette Ourania elles signalent

ceux qui passent leur vie agrave aspirer agrave la sagesse et

qui honorent le type de laquo musique raquo auquel elles

preacutesident Car entre toutes les Muses ce sont

elles qui soccupent du ciel et des discours

profeacutereacutes aussi bien par les dieux que par les

hommes et qui font entendre les plus beaux

accents Nous avons donc tu vois mille raison

de parler et de ne pas ceacuteder au sommeil agrave lheure

de midi

Le mythe se compose de deux parties eacutetonnamment eacutegales En effet dans un mythe

la partie de la fable primitive et la partie de linterpreacutetation ont le mecircme poids Si le

mythe des cigales a une fonction dialectique4 cest bien cette partie interpreacutetative que

donne Socrate une belle danse est une danse qui plait neacutecessairement agrave la Muse

Terpsichore car elle preacuteside agrave la danse la belle poeacutesie lyrique doit plaire agrave la Muse

Eacuteratocirc de mecircme ceux qui passent leur vie agrave philosopher plaisent agrave Calliope et agrave

Ourania Agrave la diffeacuterence des autres arts qui honorent respectivement une Muse qui

preacuteside agrave leur art la philosophie honore deux Muses dailleurs dans la fable

1 Phegravedre 258 c ndash d2 Phegravedre 259 e3 Ibid 259 b ndash d4 Cf Assaeumll Jacqueline laquo Siregravenes cigales Muses raquo Revue de lhistoire des religions Vol 222 ndeg 2 (Avril

ndash Juin 2003) pp 131 ndash 151

277

primitive une seule Muse laquo agrave laquelle dentre elles va cet hommage raquo et non pas

plusieurs Mais quand il sagit de deux Muses les choses se compliquent Le

problegraveme majeur est la hieacuterarchie Dans la Theacuteogonie parmi les neuf Muses Calliope

la Muse de la persuasion est laquo la premiegravere de toutes raquo1 dans le contexte du Phegravedre

Calliope est synonyme de lart de parole et deacutecriture En dautres termes Calliope

repreacutesente la Muse de la forme Ourania la Muse ceacuteleste cest-agrave-dire de la veacuteriteacute En

effet dans le ciel il y a trois niveaux 1 plus bas se trouvent les oiseaux qui

repreacutesentent lopinion puisquils agissent par sensation 2 au milieux se trouvent les

nueacutees qui repreacutesentent lastronomie et dautres sciences particuliegraveres 3 dans les

hauteurs du ciel laquo la race des dieux a eacutetabli sa demeure raquo2 afn de passer laquo sur le dos

du ciel raquo3 pour contempler le Bien Cela eacutetant la philosophie honore agrave la fois la

beauteacute de la forme cest-agrave-dire de la persuasion que repreacutesente laquo laicircneacutee Calliope raquo

preacuteceacutedant la cadette Ourania qui repreacutesente la science Bien sucircr cest un point agrave

caution puisquon est dans le mythe qui plus est chez Platon qui est un grand

strategravege litteacuteraire dont les nombreux piegraveges sont invisibles et chez Socrate un

malicieux qui ne cesse dironiser sur les morts et les vivants En effet dans la seconde

partie du Phegravedre le fait que le mythe des cigales preacutecegravede la critique de la rheacutetorique

et de leacutecriture semble prouver que la rheacutetorique et leacutecriture sont utiles Mais avant

de profter de leur utiliteacute il faut les critiquer cest-agrave-dire soumettre agrave examen la

rheacutetorique et leacutecriture afn de voir ce qui est beau et ce qui est laid en elles

VI13 Philosophe fabricant de mythes

Si le mythe sadresse aux fonctions infeacuterieures de lacircme la fabrication du mythe

relegraveve par contre de la raison car laquo pour celui qui fabrique et ou raconte un mythe

le passeacute nest pas un objet comme lhistorien mais un projet qui doit sadapter aux

circonstances de sa reacutealisation raquo4 Un projet de fabrication dune certaine meacutemoire

collective Ici nous prenons comme exemple les deux versions tregraves diffeacuterentes du

mythe de Gygegraves pour voir deux exigences philosophiques de la fabrication de

mythes agrave savoir laquo valeur politique et eacutethique raquo et laquo fonction dialectique raquo

VI131 Valeur politique eacutethique

Nous donnons dabord les deux reacutesumeacutes du mythe de Gygegraves que voici

1 Heacutesiode Theacuteogonie 792 Phegravedre 246 d3 Ibid 247 b4 Platon les mots et les mythes p 31

278

Version dHeacuterodote (reacutesumeacute) Version de Glaucon (reacutesumeacute)Le dernier roi de Lydie aimait tellement la beauteacute de sa femme quil fnit par proposer agrave Gygegraves un de ses gardes de regarder en cachette la reine nue Gygegraves en eacutetait ainsi indigneacute Mais il na pas pu reacutesister aux insistances du roi Dailleurs obeacuteir agrave son maicirctre cest la moindre de choses pour un esclave Chose faite dans lordre simplement la reine laperccedilut sortant en se glissant hors de la chambre Eacutevidemment elle ne doute pas un instant que ceacutetait agrave linitiative de son mari Pour se venger du roi sur sa nuditeacute la reine ordonna agrave Gygegraves de faire ce choix sur lechamp soit obtenir sa main et le trocircne de Lydie par le meurtre du roi soit il peacuterit agrave mecircme pour ecirctre fdegravele agrave son maicirctre Encore une fois Gygegraves eacutetait indigneacute agrave lideacutee de tuer son maicirctre mais il a preacutefeacutereacute fnalement la vie agrave la mort Chose ainsi faite il devient le maicirctre de la Lydie1

Un berger de Lydie nommeacute Gygegraves a deacutecouvert par hasard un cadavre geacuteant apregraves un gros orage dans un effondrement de terre agrave lendroit ougrave il avait lhabitude de faire paicirctre son troupeau Rien sur ce geacuteant mort si ce nest un anneau dor agrave la main que Gygegraves prit avant de remonter Un jour dans une reacuteunion des bergers il a deacutecouvert par hasard le fait quil devenait invisible aux yeux des autres en tournant le chaton de lanneau vers la paume et agrave linverse il redevenait visible en le retournant vers lexteacuterieur Conscient de ce pouvoir il refaitplusieurs fois la mecircme chose ce qui confrme ce pouvoir magique laquo Fort de cette observation il sarrangea aussitocirct pour faire partie des messagers deacuteleacutegueacutes aupregraves du roi et parvenu au palais il seacuteduit la reine Avec sa compliciteacute il tua le roi et sempara ce faisant du pouvoir raquo2

Entre les deux versions deux points sont opposeacutes

1 Gygegraves dHeacuterodote eacutetait contraint de commettre linjustice alors que Gygegraves de

Glaucon ne la commise sous aucune contrainte En effet cest une question politique

agrave savoir que la citeacute doit ecirctre organiseacutee dans son ensemble pour que personne ne soit

contraint agrave commettre une injustice Cest aussi une question eacutethique car personne ne

devrait preacutefeacuterer la vie agrave linjustice la passion deacutemesureacutee pour la femme ou pour le

gain agrave la fonction propre quon occupe Cest eacutegalement un deacutef de la thegravese socratique

qui est que personne nest injuste de plein greacute3 car dans les deux versions du mythe

Gygegraves est bien conscient de commettre linjustice Dailleurs Glaucon conclut par ces

mots laquo On pourrait alors affrmer quon tient lagrave une preuve de poids que personne

nest juste de son plein greacute raquo4 la position de Glaucon est antitheacutetique de la thegravese

socratique En effet il y a deux sortes de plein greacute le plein greacute sensible et le plein greacute

intelligible tout plein greacute lieacute aux maux est sensible mdash le faux plein greacute pour ainsi

dire et celui lieacute au Bien est intelligible mdash veacuteritable plein greacute Cela eacutetant la thegravese

socratique nest pas secoueacutee par Glaucon car personne ne peut commettre une

injustice en contemplant les reacutealiteacutes intelligibles en raison du fait que cette

contemplation est neacutecessairement une deacuteliaison de lacircme davec le corps Or sans le

1 Voir Heacuterodote Histoire VII ndash XIV2 Voir Reacutepublique II 359 d ndash 360 b3 On peut lire une thegravese plus ou moins similaire dans ces passages Gorgias 468 c 509 d ndash e Lois V

731 c 734 b IX 861 c -e Meacutenon 70 d Protagoras 352 b ndash 353 a 358 d Reacutepublique II 382 a III 413 a Timeacutee 86 d ndash e

4 Reacutepublique II 360 c

279

corps lacircme ne pourrait deacutesirer les choses sensibles puisque sa fonction deacutesirante

consiste agrave animer le corps

2 Gygegraves dHeacuterodote eacutetait motiveacute par la vie alors que Gygegraves de Glaucon eacutetait motiveacute

par le gain (πλεονεξία)1 En effet le fait de preacutefeacuterer la justice agrave la vie ou la mort agrave

linjustice demande beaucoup de courage cela narrive pas agrave tout le monde En

revanche le fait de preacutefeacuterer la justice au gain est une chose relativement facile agrave

reacutealiser puisquon ne risque rien du tout dans ces conditions pour rester juste en

dautres termes dans une grande majoriteacute de cas le fait decirctre juste nest pas un acte

heacuteroiumlque mais ordinaire que chacun peut reacutealiser pourvu quil ne soit pas

excessivement motiveacute par le gain

VI132 Fonction dialectique

La fonction dialectique des mythes platoniciens est sans doute la marque

mythologique platonicienne Nous avons preacuteceacutedemment montreacute quun mythe

platonicien se compose de deux parties celle de la fable primitive et celle de

linterpreacutetation comme si les deux parties constituaient un laquo dialogue raquo Cest gracircce agrave

la partie interpreacutetative que se pose la question ontologique (de quoi parle-t-on ) et

eacutepisteacutemologique (agrave quelle type de connaissance doit-on avoir recours) de la partie

primitive Dailleurs la forme de la partie interpreacutetative est tregraves variable selon le

mythe elle se trouve dans le mythe de Gygegraves scindeacute en deux dont une partie se

trouve avant la fable primitive et lautre apregraves Voici avant et apregraves le mythe de

Gygegraves selon Heacuterodote et selon Glaucon

Avant le mythe de Gygegraves (Heacuterodote)laquo Introduction raquo

Avant le mythe de Gygegraves (Glaucon)laquo Introduction raquo

laquo Voici comment la souveraine puissance qui appartient aux Heacuteraclides passa en la maison des Mermnades dont eacutetait Creacutesus Candaule que les Grecs appellent Myrisile fut tyran de Sardes Il descendait dHercule par Alceacutee fls dece heacuteros car Agron fls de Ninus petit fls de Beacutelus arriegravere-petit-fls dAlceacutee fut le premier des Heacuteraclides qui regravegna agrave Sardes et Candaule fls de Myrsus fut le dernier Les rois de ce pays anteacuterieurs agrave Agron descendaient de Lydus fls

laquo Que ceux qui pratiquent la justice le fassent contre leur greacute et par impuissance agrave commettre linjustice nous le saisirons tregraves bien si nous nous repreacutesentons en penseacutee la situation suivante3 Accordont agrave lhomme juste et agrave lhomme injusteun mecircme pouvoir de faire ce quils souhaitent ensuite accompagnons-les et regardons ougrave le deacutesir de chacun va les guider Nous trouverons lhomme juste sengageant agrave deacutecouvert sur le mecircme chemin que lhomme injuste mucirc par son

1 Le terme est employeacute par Glaucon avant de raconter le mythe de Gygegraves pour expliquer le motif de linjustice commise Le terme est peu freacutequent dans le corpus platonicien avec 10 occurrences Banquet πλεονεξίᾳ (182 d) πλεονεξίας (188 b) Critias πλεονεξίας (121 b) Gorgias πλεονεξίαν (508 a) Lois III πλεονεξίας (677 b) IX πλεονεξίαν (875 b) X πλεονεξίαν (906 c) Reacutepublique II πλεονεξίαν (359 c) IX πλεονεξίας (586 b) Timeacutee πλεονεξία (82 a)

280

dAtys qui donna le nom de Lydiens agrave tous les peuples de cette contreacutee quon appelait auparavant Meacuteoniens Enfn les Heacuteraclides agrave qui ces princes avaient confeacute ladministration du gouvernement et qui tiraient leur origine dHercule et dune esclave de Jardanus obtinrent la loyauteacute en vertu dun oracle Ils reacutegnegraverent de pegravere en fls cinq cent cinq ans en quinze geacuteneacuterations jusquagrave Candaule fls de Myrsus raquo2

appeacutetit du gain cela mecircme que toute la nature poursuit naturellement comme un bien mais qui se voit rameneacute par la force de la loi au respect de leacutequiteacute Pour que le pouvoir dont je parle soit porteacute agrave sa limite il faudrait leur donner agrave tous les deux les capaciteacutes qui autrefois selon ce quon rapporte eacutetaient eacutechues agrave lancecirctre de Gygegraves le Lydien raquo1

Apregraves le mythe de Gygegraves (Heacuterodote)laquo Conclusion raquo

Apregraves le mythe de Gygegraves (Glaucon)laquo Conclusion raquo

laquo Gygegraves eacutetant monteacute de la sorte sur le trocircne il y fut affermi par loracle de Delphes Les Lydiensindigneacutes de la mort de Candaule avaient pris les armes mais ils convinrent avec les partisans de Gygegraves que si loracle le reconnaissait pour roi de Lydie la couronne lui resterait quautrement elle retournerait aux Heacuteraclides Loracle prononccedila et le trocircne fut par ce moyen assureacute agrave Gygegraves Mais la Pythie ajouta que les Heacuteraclides seraientvengeacutes sur le cinquiegraveme descendant de ce prince Ni les Lydiens ni leurs rois ne tinrent aucun compte de cette reacuteponse avant quelle eut eacuteteacute justifeacutee par leacuteveacutenement Ce fut ainsi que les Mermnades semparegraverent la couronne et quils lenlevegraverent aux Heacuteraclides raquo2

laquo Supposons agrave preacutesent quil existe deux anneaux de ce genre lun au doigt du juste lautre audoigt de linjuste il ny aurait personne semble-t-il dassez reacutesistant pour se maintenir dans la justice et avoir la force de ne pas attenter aux biens dautrui et ne pas y toucher alors quil aurait le pouvoir de prendre impuneacutement au marcheacute ce dont il aurait envie de peacuteneacutetrer dans les maisons pour sunir agrave qui lui plairait et detuer les uns libeacuterer les autres de leurs chaicircnes selon son greacute et daccomplir ainsi dans la socieacuteteacute humaine tout ce quil voudrait agrave leacutegal dun dieu Sil se comporte de la sorte il ne ferait rien de diffeacuterent de lautre et de fait les deux tendraient au mecircme but raquo3

Llaquo Introduction raquo du mythe de Gygegraves selon Heacuterodote deacutecrit en effet un contexte

laquo historique raquo de leacuteveacutenement il sagit dun cas particulier En revanche celle selon

Glaucon est une proposition lhomme juste sengagerait agrave deacutecouvert sur le mecircme

chemin que lhomme injuste mucirc par le deacutesir du gain Il sagit lagrave dune question

universelle qui sinterroge sur la nature des ecirctres humains ordinaires

La laquo Conclusion raquo de la version dHeacuterodote indique comment cette histoire de Gygegraves

se termine elle ninvite pas les lecteurs agrave poser la moindre question puisque cette

histoire lointaine ne les concerne pas Tandis que la laquo Conclusion raquo de la version de

Glaucon concerne tout le monde puisque chacun peut bien ecirctre victime de lanneau

de Gygegraves

En effet dans la version dHeacuterodote le mythe de Gygegraves deacutepourvu de partie

2 Heacuterodote Histoire livre premier VII Trad par Larcher (Source BnF ndash Gallisa Bibliothegraveque Numeacuterique)

3 Traditionnellement le mythe de Gygegraves ne commence pas ci-apregraves (359 c 1) mais agrave 359 d 1 En effet la partie interpreacutetative dun mythe peut bien se trouver en partie avant le mythe

1 Reacutepublique II 359 b ndash d2 Histoire I 133 Reacutepublique II 360 b ndash c

281

interpreacutetative ne comprend que la partie primitive qui se passait dans un passeacute tregraves

lointain laquo inaccessible aussi bien agrave lintellect quaux sens raquo mecircme Heacuterodote lui-mecircme

se contente de terminer le mythe avec ses mots

Lorsque ce prince se vit maicirctre du royaume il entreprit une expeacutedition contre les villes de Milet et de Smyrne et prit celle de Colophon Mais comme il ne ft aucune autre chose de meacutemorable pendant un regravegne de trente-huit ans nous nous contenterons davoir rapporteacute ces faits et nen parlerons pas davantage1

Agrave linverse le mythe de Gysgegraves rapporteacute par Glaucon se compose de deux parties

celle primitive qui renvoie agrave une reacutealiteacute lointaine inaccessible aussi bien agrave lintellect

quaux sens et celle interpreacutetative qui est accessible agrave lintellect puisque les

problegravemes exposeacutes dans la partie interpreacutetative ne sont pas des eacutevegravenements mais

une analyse probleacutematique posant certaines questions simples preacutecises claires et en

mecircme temps pas facile agrave reacutesoudre

VI2 La reacutefutation

Traditionnellement lἔλεγχος (reacutefutation) est synonyme du laquo socratique raquo et la

διαλεκιτιή (la dialectique) du laquo platonicien raquo Cependant elles possegravedent trois points

communs 1Tous les deux ont pour instrument le dialogue cest dans le dialogue

que lon pratique lun ou lautre 2 Si la reacutefutation a pour but de faire apparaicirctre

lignorance la dialectique et la science (ἐπιστήμη) tous les deux sont

argumentatives mecircme si les proceacutedeacutes sont diffeacuterents Ils sont constitueacutes dans un cas

autour de la question laquo quest-ce que x raquo dans lautre agrave partir de certaines

propositions ou affrmations 3La fnaliteacute est la mecircme (rendre meilleure lacircme)

mecircme si lapproche est diffeacuterente lun est aporeacutetique lautre eacutepisteacutemologique

Cependant la diffeacuterence entre la reacutefutation et la dialectique semble eacutevidente car dans

la reacutefutation les interlocuteurs de Socrate ignorent ce quil cherche agrave savoir tandis

que dans la dialectique ils le savent Cest pourquoi nous analysons seacutepareacutement la

reacutefutation et la dialectique

VI21 Laspect eacutepisteacutemologique

La Pythie a reconnu que Socrate eacutetait le plus savant parmi les hommes Au fond la

diffeacuterence entre loracle de Delphes ou la boule de cristal nest pas grande ou na en

tout cas pas beaucoup dimportance la seule chose qui compte cest de savoir sils

disent vrai Cest une question eacutepisteacutemologique de quel type de connaissance

1 Histoire I 14 3

282

Socrate est-il savant et pour quel type de connaissance ces gens-lagrave (poegravetes hommes

politiques ou encore artisans) eacutetaient-il reacuteputeacutes

VI211 Proceacutedeacute

La reacutefutation est proceacutedurale elle suit un certain ordre de deacuteroulement argumentatif

On a ainsi mecircme essayeacute de geacuteneacuteraliser de maniegravere formelle la structure logique de

reacutefutation1 mais laquo la dimension logique de la reacutefutation est subordonneacutee agrave une

fnaliteacute morale raquo2 Cest pourquoi sa dimension logique nest pas tellement stricte elle

peut varier selon linterlocuteur le sujet ou mecircme leacutemotion provoqueacutee par la

reacutefutation3 En effet le principe de la reacutefutation ou de la contradiction semble assez

simple agrave savoir laquo la marque du savoir est de toujours dire les mecircmes choses sur les

mecircmes sujets raquo de telle sorte que lorsquon ne dit pas la mecircme chose sur le mecircme

sujet on trahit agrave coup sucircr son ignorance Agrave la diffeacuterence de la logique classique qui

cherche la valeur vraie ou fausse dune veacuteriteacute la reacutefutation socratique ne cherche pas

vraiment la valeur vraie ou fausse dune veacuteriteacute car Socrate ne peut savoir si ce que

dit le reacutepondant est vrai ou faux puisquil preacutetend ecirctre ignorant sur le sujet en

question La seule chose quil sait est que la veacuteritable connaissance ne permet pas de

dire tantocirct une chose tantocirct une autre sur le mecircme sujet sinon elle nest quune

opinion et non une science Ainsi tout proceacutedeacute de reacutefutation socratique consiste agrave

faire dire la mecircme chose Le problegraveme est que le reacutepondant narrive pas agrave dire

toujours la mecircme chose

Alcibiade Mais par les dieux Socrate je ne sais plus ce que je dis mais il me semble avoir un comportement absolument eacutetrange Car quand tu minterroges tantocirct je crois dire une chose tantocirct une autre4

Ce proceacutedeacute qui consiste agrave faire dire la mecircme chose est souvent mal interpreacuteteacute comme

si Socrate cherchait agrave embecircter ses interlocuteurs pour leur faire dire des

contradictions (cest lavis de Meacutenon laquo Socrate tu ne fais rien dautre que

tembarrasser toi-mecircme et mettre les autres dans lembarras raquo5) ou agrave avoir le plaisir agrave

pratiquer la reacutefutation pour contredire son interlocuteur sur quelle que thegravese que ce

soit comme le pense Thrasymaque6

1 Cf Dorion Louis-Andreacute Socrate Paris PUF laquo Que sais-je raquo ndeg 899 2006 [2004] p 55 ndash 662 Platon Paris Cerf 2017 p 1063 Cf Collobert Catherine laquo La rheacutetorique au cœur de lexamen reacutefutatif socratique le jeu des

eacutemotions dans le Gorgias raquo Phronesis 58 2013 pp 137 ndash 1384 Alcibiade 116 e Voir aussi Reacutepublique I 334 b ougrave Poleacutemarque dit agrave peu pregraves la mecircme chose5 Meacutenon 79 d ndash 80 a6 Voir Reacutepublique I 336 b ndash c

283

En effet ce proceacutedeacute de la reacutefutation socratique deacutepend dune part dune longue

pratique cest en ce sens quil ne peut ecirctre geacuteneacuteraliseacute dautre part dune reacutefexion

complexe et dune connaissance culturelle sur chaque sujet important La

connaissance cultuelle permet agrave Socrate de savoir agrave lavance agrave peu pregraves ce que

pourrait reacutepondre son interlocuteur sur la question poseacutee par exemple quand

Thrasymaque deacutefnit le juste comme linteacuterecirct du plus fort cela ne devrait pas

surprendre Socrate puisque laquo il est connu depuis longtemps que le plus faible se

trouve sous la domination du plus fort raquo1 Quant agrave la reacutefexion complexe lagrave aussi il

sagit dune longue pratique de la penseacutee ce nest pas certainement par un coup du

hasard que la notion de la fonction propre (ἔργον) comme un principe fondamental

de la justice vient agrave lesprit de Socrate agrave la fn du livre I de la Reacutepublique De mecircme

pour le principe de la connaissance vraie dire toujours la mecircme chose sur le mecircme

sujet cela eacutetant agrave la peacuteriode reacutefutative ou aporeacutetique Socrate reacutefeacutechissait deacutejagrave agrave ce

quest la nature de la connaissance vraie universelle et immuable car seule cette

nature immuable et universelle permet agrave une connaissance de dire toujours la mecircme

chose sur le mecircme sujet

VI212 Fonction dialectique

Nous avons dit que les mythes platoniciens ont une fonction dialectique en raison du

fait que leur partie interpreacutetative est dialectiquement accessible Nous examinons ici

la reacutefutation pour savoir sous quel rapport elle a une fonction dialectique Le

substantif ἔλεγχος et le verbe ἐλέγχεσθαι sont relativement bien preacutesents dans le

corpus platonicien voici le tableau

Dialogues de jeunesse

Apologie ἐλέγχειν (18 d) ἔλεγχον (39 c) ἐλέγχοντες (39 d) Hippias mineur ἐλέγχεις (363 a) Hippias majeur ἐλέγχειν (288 b) ἐλέγχειν (289 e) ἐλέγχοντος (304 d) Lachegraves ἐλέγχειν (189 b) Protagoras ἐλέγχεσθαι (331 c) ἐλέγχεσθαι (331 d) ἐλέγχοις (331 e) ἔλεγχός (344 b) Gorgias

ἐλέγχεσθαι (461 a) ἔλεγχέ (462 a) ἐλέγχου (462 a) ἔλεγχε (467 b) ἔλεγχε (470 c) ἐλέγχειν (470 d) ἐλέγχειν (471 e) ἐλέγχειν (471 e) ἐλέγχειν (471 e) ἔλεγχος (471 e) ἐλέγχου (472 c) ἐλέγχειν (473b) ἐλέγχεται (473 b) ἐλέγχειςmiddot (473 d) ἐλέγχου (473 e) ἐλέγχειν (473 e) ἔλεγχον (474 a) ἐλέγχου (474 a) ἔλεγχον (474 b) ἔλεγχος (475 e) ἔλεγχον (475 e) ἐλέγχων (486 c) ἐλέγχοντας (486 c) ἔλεγχε (504 c) ἐλέγχειν (506 a) Charmide ἐλέγχειν (166 c) ἐλέγχω (166 c) ἐλέγχειν (166 c) Meacutenon

ἐλέγχειν (75 d) Lysis ἐλέγχειν (211 b)

Dialogues de maturiteacute

Banquet ἔλεγχος (220 a) Pheacutedon ἐλέγχειν (85 c) Reacutepublique I ἐλέγχων (336 c) ἐλέγχῃ (337 e) ἐλέγχεις (349 a) VII ἐλέγχων (534 c) ἐλέγχειν (534 c) ἐλέγχων (538 d) ἐλέγχουσι (539 b) Phegravedre

1 Thucydide Histoire de la guerre du Peacuteloponnegravese laquo ἀλλ᾽ αἰεὶ καθεστῶτος τὸν ἥσσω ὑπὸ τοῦ δυνατωτέρου κατείργεσθαι raquo(I 76 2)

284

ἔλεγχόν (267 a) ἐλέγχειν (273 b) ἔλεγχόν (273 c) ἔλεγχον (278 c) Theacuteeacutetegravete ἐλέγχεσθαι (157 e) ἐλέγχειν (161 e) ἐλέγχεσθαι (162 a) ἐλέγχομαι (166 b)

Dialogues de vieillesse

Sophiste ἐλέγχων (230 d) ἔλεγχον (230 d) ἔλεγχος (231 b) ἐλέγχοντα (238 d) ἐλέγχειν (238 d) ἔλεγχον (239 b) ἔλεγχον (242 a) ἐλέγχειν (242 b) ἐλέγχωμεν (242 b) ἔλεγχον (242 b) ἐλέγχοντες (256 c) ἐλέγχοντα (259 c) ἔλεγχος (259 d) Philegravebe ἐλέγχῃ (14 e) ἐλέγχειν (15 a) ἐλέγχων (52 d) Critias ἐλέγχομεν (107 c) Lois I ἐλέγχων (648 b) III ἔλεγχος (702 b) V ἐλέγχων (727 d) X ἔλεγχον (891 a) XI ἐλέγχων (917 d) XII ἐλέγχοντες (963 b)

Les occurrences se concentrent sur deux dialogues agrave savoir le Gorgias [25] et le

Sophiste [13] La fonction premiegravere de la reacutefutation socratique est aporeacutetique elle

permet de contredire une thegravese soumettre une thegravese agrave leacutepreuve provoquer un

sentiment de honte cest le cas avec Hippias dans les deux Hippias avec Critias dans

le Charmide avec Calliclegraves dans le Gorgias et avec Thrasymaque dans le livre I de la

Reacutepublique La seconde est dialectique cest-agrave-dire quelle consiste agrave appreacutehender la

veacuteriteacute au moyen du dialogue cela eacutetant la reacutefutation socratique ne semble pas avoir

pour seul objectif de faire apparaicirctre lignorance des interlocuteurs mais aussi faire

comprendre et dire la reacutealiteacute veacuteritable (οὐσία) Lisons cette phrase connue du Gorgias

(472 c)

Tu sais il y a deux sortes de reacutefutations lune est celle que toi et beaucoup dautres tenez pour vraie lautre est celle que moi agrave mon tour je crois ecirctre vraie

Lune est la reacutefutation rheacutetorique laquo ce gens de reacutefutation na aucune valeur pour la

recherche de la veacuteriteacute raquo1

Mais sache que moi je ne suis pas daccord avec toi mecircme si je suis le seul agrave ne pas lecirctre En effet tu ne peux pas me forcer agrave ecirctre daccord Seulement avec tous les faux teacutemoignages que tu preacutesentes contre moi tu essaies de me deacuteposseacuteder de tout mon bien la veacuteriteacute (ἐκβάλλειν με ἐκ τῆς οὐσίας καὶ τοῦ ἀληθοῦς)2

Ici il est clair que la reacutealiteacute veacuteritable (ἡ οὐσία) et la veacuteriteacute (τὸ ἀληθές) sont

synonymes3 Un peu plus haut agrave la fn du paragraphe 471 e et au deacutebut du

1 Gorgias 471 e2 Ibid 472 b3 Beaucoup moins que lἀλήθεια ladjectif neutre substantiveacute est aussi tregraves freacutequent Banquet τοῦ ἀληθοῦς (212 a) τοῦ ἀληθοῦς (215 a) Cratyle τὸ ἀληθὲς (384 c) τοῦ ἀληθοῦς (385 c) τῷ ἀληθεῖ (397 d) τὸ ἀληθές (405 c) τῷ ἀληθεῖ (421 b) Gorgias τὸ ἀληθὲς (462 e) τοῦ ἀληθοῦς (472 b) τὸ ἀληθὲς (505 e) τὸ ἀληθὲς (522 b) Hippias majeur τὸ ἀληθὲς (287 e) τὸ ἀληθές (288 d) Lettre VII τὸ ἀληθὲς (343 c) Lois II τῷ ἀληθεῖ (668 a) V τοῦ ἀληθοῦς (732 a) VI τῷ ἀληθεῖ (783 a) VIIIτῶν ἀληθῶν (830 e) Parmeacutenide τὸ ἀληθές (136 c) τῷ ἀληθεῖ (136 e) Pheacutedon τὸ ἀληθές (66 b) τὸ ἀληθές (67 b) τὸ ἀληθὲς (84 a) τὸ ἀληθὲς (102 b) Phegravedre τῶν ἀληθῶν (248 c) τοῦ ἀληθοῦς (249 d) τὸ ἀληθὲς (259 e) τὸ ἀληθὲς (262 d) τῶν ἀληθῶν (267 a) τῷ ἀληθεῖ (272 e) τοῦ ἀληθοῦς (273d) τὸ ἀληθὲς (278 c) Philegravebe τοῖς ἀληθέσιν (39 a) τῶν ἀληθῶν (39 c) τοῦ ἀληθοῦς (58 d) τὸ ἀληθὲς (61 e) τῶν ἀληθῶν (62 d) Politique τὸ ἀληθές (300 d) Protagoras τὸ ἀληθὲς (356 e) τῷ ἀληθεῖ (356 e) Reacutepublique I τοῦ ἀληθοῦς (337 c) II τῷ ἀληθεῖ (382 d) VI τὸ ἀληθὲς (499 a) VII τὸ ἀληθὲς (515 c) τὰ ἀληθῆ (519 b) τοῖς ἀληθέσι (529 d) τὸ ἀληθές (533 a) τὸ ἀληθὲς (538 b) IX τοῦ ἀληθοῦς (586 c) X τοῦ ἀληθοῦς (598 b) Sophiste τὸ ἀληθὲς (236 a) Theacuteeacutetegravete τὸ ἀληθές (150

285

paragraphe 472 a Socrate utilise le substantif ἀλήθεια pour souligner quil dit

toujours la veacuteriteacute Agrave noter que lemploi ici de lοὐσία avec τὸ ἀληθές et ἡ ἀλήθεια

souligne que non seulement Socrate dit la veacuteriteacute cest-agrave-dire la reacutealiteacute mais la reacutealiteacute

veacuteritable et non la reacutealiteacute sensible Cest pourquoi le Gorgias nest pas un dialogue de

reacutefutation aporeacutetique puisque Socrate na jamais poseacute la question laquo quest-ce que la

rheacutetorique raquo1 mais un dialogue de reacutefutation dialectique une reacutefutation qui

consiste agrave exposer la diffeacuterence entre ce quest la rheacutetorique et ce quest son contraire

agrave savoir la dialectique2 la rheacutetorique fait croire ce quest une reacutealiteacute la dialectique

fait connaicirctre ce quest la veacuteriteacute

Tout cela admis on peut dire quil y a en effet trois sortes de reacutefutations 1 la

reacutefutation rheacutetorique fondeacutee sur la parole de toutes sortes de teacutemoins (pas

uniquement les teacutemoins citeacutes aux tribunaux mais aussi fctifs citeacutes dans un discours

non judiciaire) 2 la reacutefutation aporeacutetique qui consiste agrave faire apparaicirctre lignorance

aux ignorants eux-mecircmes dapregraves leurs propos discours 3 la reacutefutation dialectique

il sagit de faire apprendre agrave connaicirctre ce quest la veacuteriteacute des reacutealiteacutes veacuteritables (ἡ

ἀλήθεια τῶν ὄντων)

Σωκράτης

οὐκοῦν εἰ ἀεὶ ἡ ἀλήθεια ἡμῖν τῶν ὄντων ἐστὶν ἐν τῇ ψυχῇ ἀθάνατος ἂν ἡ ψυχὴ εἴη ὥστε θαρροῦντα χρὴ ὃ μὴ τυγχάνειςἐπιστάμενος νῦν mdash τοῦτο δ᾽ ἐστὶν ὃ μὴ μεμνημένος mdash ἐπιχειρεῖν ζητεῖν καὶ ἀναμιμνῄσκεσθαι3

Socrate

Donc si la veacuteriteacute des ecirctres est depuis toujours dans notre acircme lacircme doit ecirctre immortelle en sorte que ce que tu te trouves ne pas savoir maintenant cest-agrave-dire ce dont tu ne te souviens pas cest avec assurance que tu dois tefforcer de le chercher et de te le remeacutemorer

Bien que la reacuteminiscence ne soit pas encore apparue avant le Meacutenon le fait de la

reacuteminiscence est mentionneacute dans le Lachegraves qui est un exemple combinant les deux cas

2 et 3

Socrate Alors quest ce que le courage et la lacirccheteacute Voilagrave ce que je cherchais agrave savoir Essaie donc

b) τοῦ ἀληθοῦς (150 e) τὸ ἀληθὲς (158 d) Timeacutee τῶν ἀληθῶν (44 a)1 La fameuse formule laquo τί ἐστι raquo napparaicirct que 5 fois dans le Gorgias τί ἐστιν (447 c) τί ἐστιν (452 c) τί ἐστιν (452 d) τί ἐστιν (476 d) τί ἐστιν (505 e) mais il ne sagit pas de demander agrave linterlocuteur de Socrate de deacutefnir une reacutealiteacute comme le beau la pieacuteteacute le courage lamitieacute par exemple par ailleurs la formule laquo τί φῂς εἶναι raquo y est absente qui est utiliseacutee dans le Charmide (159 a)lEuthyphron (5 d) lHippias mineur (364 b) le Meacutenon (71 d 79 e) le Protagoras (359 d) et le livre I de la Reacutepublique (331 e 336 c)

2 Ladjectif διαλεκτιός (ή όν) est absent dans le dialogue mais on trouve 14 occurrences avec leverbe διαλέγεσθαι (448 d) διαλεγόμεθα (449 b) διαλέγεται (453 b) διαλέγεσθαι (457 c) διαλεγώμεθα (458 b) διαλεγώμεθα (458 c) διαλέγεσθαι (458 d) διαλέγου (458 e) διαλέγεσθαι (461 a) διαλέγεσθαι (471 d) διαλέγομαι (474 b) διαλέγεσθαι (485 b) διαλεγομένου (485 b) διαλεγόμεθα (517 c)

3 Meacutenon 86 a ndash b

286

agrave nouveau de dire en commenccedilant par le courage en quoi il demeure identique dans tous les cas Ou bien ne sais-tu pas encore ce que je veux dire

Lachegraves Non pas tregraves bien1

Socrate lui a montreacute un exemple concret dune deacutefnition qui doit satisfaire agrave

lexigence demandeacutee agrave savoir laquo demeurer identique dans tous les cas raquo la vitesse est

deacutefnie comme la capaciteacute de faire plusieurs choses en mecircme temps2 Cest comme

cela que Nicias parvient agrave donner une deacutefnition correcte du courage

Nicias Jaffrme Lachegraves que le courage est la connaissance (ἐπιστήμην) de ce qui inspire lacrainte ou la confance que ce soit agrave la guerre ou en toutes autres circonstances3

En effet le fait de parvenir agrave donner une deacutefnition demeurant valable dans tous les

cas au moyen du dialogue relegraveve deacutejagrave de la dialectique car cette connaissance (la

deacutefnition du courage donneacutee par Nicias) est universelle et immuable4

VI22 Laspect politique

Ne pas croire aux dieux de la citeacute introduire de nouvelles diviniteacutes (contre les dieux

de la citeacute) et corrompre la jeunesse (qui est lavenir de la citeacute) sont trois chefs

daccusation intenteacutes contre Socrate On voit bien que le motif politique est explicite

puisque lenjeu dans laccusation cest la citeacute5 Or lorigine de laccusation se trouve

dans le fait que Socrate pratique la reacutefutation

Cest preacuteciseacutement cette enquecircte Atheacuteniens qui ma valu des inimitieacutes si nombreuses quipreacutesentaient une virulence et une graviteacute dune telle importance quelles ont susciteacute maintes calomnies et mont valu de me voir attribuer ce nom celui de laquo savant raquo6

Cette enquecircte commence par reacutefuter loracle de Delphes

Jallai trouver un de ceux qui passent pour ecirctre des savants en pensant que lagrave plus que partout je pourrais reacutefuter (ἐλέγξων) la reacuteponse oraculaire et faire savoir agrave oracle laquo Cet individu-lagrave est plus savant que moi alors que toi tu as deacuteclareacute que cest moi qui leacutetait raquo7

1 Lachegraves 191 e2 Ibid 192 a ndash b3 Ibid 194 e ndash 195 a4 Agrave propos de la reacutefutation et la dialectique cf Dorion Louis-Andreacute laquo Elenchos dialectique et

elenchos rheacutetorique dans la deacutefense de Socrate raquo Antiquorum philosophia 1 2007 pp 75 ndash 90 et Dixsaut Monique laquo Reacutefutation et dialectique raquo Agonistes Essays in honour of Denis OBrien Dublin Ashgate John Dillon (Ed) 2005 pp 53 ndash 74

5 Dans le procegraves intenteacute contre Socrate il y a trois accusateurs pour une seule plainte agrave savoir Meacuteleacutetos Anytos et Lycon Cela correspond agrave une accusation publique pour deacutefendre linteacuterecirctgeacuteneacuteral il sagit dont dune accusation au motif politique laquo La tradition a attribueacute agrave Solon une reacuteforme fondamentale deacutesormais tout citoyen pouvait introduire une affaire en justice agrave la place de la personne leacuteseacutee Cependant la nouvelle regravegle ne sappliquait pas agrave toutes les causes maisseulement lorsque la victime eacutetait pour une raison ou pour une autre empecirccheacutee dobtenir elle-mecircme justice ou bien lorsque cest la communauteacute dans son ensemble qui se trouvait leacuteseacutee raquo (Hansen Mogens-Herman La deacutemocratie atheacutenienne Paris Tallandier Texto 2009 p 227 Nous soulignons)

6 Apologie 22 e ndash 23 a7 Ibid 21 b ndash c

287

Les reacutefutations que Socrate avait fait subir dabord aux hommes politiques ensuite

aux poegravetes et fnalement aux artisans1 ont ainsi un sens politique eacutevident la

reacutefutation socratique a pour fnaliteacute morale de rendre plus justes la citeacute et les

citoyens sa face positive est opposeacute agrave sa face neacutegative agrave savoir au fait que les

reacutefutations ont valu agrave Socrate des inimiteacutes si nombreuses ayant susciteacute par

conseacutequent maintes calomnies2

VI221 La reacutefutation et la persuasion

La persuasion est lune des caracteacuteristiques essentielles de la deacutemocratie atheacutenienne

peut-ecirctre mecircme la plus originale en raison du fait quelle donne naissance au meacutetier

de sophiste maicirctre de la rheacutetorique qui produit la persuasion3 En effet la persuasion

est une question de temps car au Conseil agrave lAssembleacutee et aux tribunaux le temps

de la parole est limiteacute cest la raison pour laquelle la rheacutetorique eacutetait prospegravere Dans

lApologie le temps de la parole devient mecircme un enjeu deacuteterminant de la

condamnation agrave mort de Socrate

En bien il faut bien Atheacuteniens que je me deacutefende et que je tente de deacutetruire en vous la calomnie qui y est enracineacutee depuis longtemps et je nai pour ce faire que si peu de temps (ἐν οὕτως ὀλίγῳ χρόνῳ) 4

Aussi serais-je eacutetonneacute comme je le disais en commenccedilant si je parvenais agrave deacutetruire chez vous en un laps de temps aussi court (ἐν οὕτως ὀλίγῳ χρόνῳ) une calomnie qui a pris tant dampleur5

Eh bien je pense en ce qui me concerne que si chez vous comme cest le cas ailleurs la loi voulait que soient consacreacutes agrave juger une affaire impliquant la peine de mort non pas un jour mais plusieurs je serais arriveacute agrave vous convaincre Mais en fait il nest pas facileen si peu de temps (ἐν χρόνῳ ὀλίγῳ) de me laver de calomnies si graves6

Au tout deacutebut du troisiegraveme discours adresseacute agrave ceux qui ont voteacute pour acquitter

Socrate il eacutevoque une derniegravere fois la question du temps7 Dans ce si court discours

quest lApologie Socrate eacutevoque six fois le terme laquo si peu de temps raquo cela signife 1

une critique des institutions car une vie se jouant entre une heure et trois heures 8

cest une neacutegligence institutionnelle eacutevidente 2 le recours ineacutevitable agrave la rheacutetorique

1 Voir ibid 21 c ndash 22 d2 Voir Ibid 22 e ndash 23 a3 Voir Gorgias 453 a4 Apologie 18 e ndash 19 a5 Ibid 24 a Socrate reprendra les mecircmes termes en 32 a (ὀλίγον χρὀνον) et en 37 a (ὀλίγον γὰρχρὀνον)

6 Ibid 37 a ndash b7 Voir Ibid 38 c8 Certes une affaire publique dure une journeacutee mais le deacutefenseur na tout au plus que trois heures

pour se deacutefendre Cf La deacutemocratie Atheacutenienne p 235

288

aux tribunaux parce que dans les tribunaux agrave lAssembleacutee ou au Conseil1 la

contrainte importante du temps de parole favorise ineacutevitablement le deacuteveloppement

de la rheacutetorique Cela eacutetant leffcaciteacute de persuasion devient une effcaciteacute politique

De mecircme pour la reacutefutation socratique qui elle aussi subit la contrainte du temps

reacutefutatif puisque dans un dialogue le reacutefuteacute na pas la patience de se faire honte

publiquement de lagrave que la question de la persuasion se pose comment persuader

effcacement sans avoir recours agrave la rheacutetorique dans une reacutefutation La fn du

Protagoras semble montrer que la reacutefutation socratique na pas reacuteussi agrave persuader le

sophiste puisque ce dernier prend congeacute de Socrate avant de sen aller de mecircme

pour Thrasymaque dans le livre I de la Reacutepublique

VI222 La reacutefutation contre lennemi interne de la citeacute

La fnaliteacute politique de la reacutefutation consiste agrave dissiper lignorance qui est la plus

grande ennemie interne de la citeacute L e Criton est un exemple illustratif Criton ami

denfance de Socrate propose agrave Socrate de seacutevader de la prison Voici les trois

arguments de Criton 1 Luniteacute de soi-mecircme laquo Jestime que ce que tu entreprends

de faire nest mecircme pas conforme agrave la justice quand tu te trahis toi-mecircme raquo (45 c) 2

Luniteacute de la famille laquo Jestime encore que ce sont tes propres fls que tu trahis eux

que en partant tu abandonnes alors que tu pourrais les eacutelever et assurer leur

eacuteducation jusquau bout raquo (45 c ndash d) 3Luniteacute de la citeacute laquo Or tu me donnes

limpression toi de choisir le parti qui donne le moins de peine tandis que le parti

quil faut prendre cest le parti que prendrait un homme de bien et un homme

courageux surtout lorsquon fait profession de navoir souci dans sa vie que de la

vertu raquo (45 d) la vertu est luniteacute de lacircme et de la citeacute cest gracircce agrave la vertu que les

trois fonctions de lacircme peuvent sharmoniser de mecircme cest gracircce agrave la vertu que les

trois groupes fonctionnels de la citeacute peuvent sentendre harmonieusement

Justement cest pour sauvegarder ces trois uniteacutes que Socrate refuse de seacutevader

Dabord luniteacute de soi-mecircme La premiegravere fois Socrate courrait des risques de la mort

en votant seul contre la proceacutedure illeacutegale qui consistait agrave juger en bloc les dix

strategraveges de bataille aux icircles Arginuses en 406 av J-C2 La seconde fois il courrait des

risques encore plus grands en deacutesobeacuteissant aux Trente pour proteacuteger Salamine Leacuteon

de la mort3 La troisiegraveme fois il preacutefegravere la mort agrave la vie sil ne peut plus philosopher

1 Voir aussi Gorgias 455 a Les Lois VI 766 e2 Voir Apologie 32 b mais aussi laquo Notes raquo ndeg 202 p 1503 Voir Ibid 32 c ndash d mais aussi laquo Notes raquo ndeg 210 p 151

289

lorsquune peine de substitution ne lui permet pas de continuer agrave soumettre les gens

agrave examen1 La quatriegraveme fois Socrate choisit daffronter la mort plutocirct que de

commettre linjustice en seacutevadant de prison On voit bien que luniteacute de Socrate est

toujours la mecircme laquo limportance nest pas de vivre mais de vivre dans le bien raquo

cest-agrave-dire dans la vertu2

Voici les propos concernant luniteacute de la famille et de la citeacute

[LOIS] Allons donc que nous reproches-tu agrave nous et agrave la citeacute pour entreprendre de nous deacutetruire Nest-ce pas agrave nous en premier lieu que tu dois ta naissance nest-ce pas nous qui avons marieacute ta megravere et ton pegravere et leur avons permis de tengendrer Dis-nous donc si tu blacircmes celles dentre nous qui regraveglent les mariages Les tiens-tu pour mal faites raquo laquo Et aux lois qui regraveglent les soins de lenfant venu au monde et son eacuteducation cette eacuteducation qui fut la tienne agrave toi aussi Eacutetaient-elles mauvaises les lois qui sy rapportent elles qui prescrivaient agrave ton pegravere de faire de la gymnastique et de la musique la base de ton eacuteducation 3

[LOIS] Allons Socrate fais nous confance agrave nous les Lois qui tavons eacuteleveacute ne mets ni tes enfants ni ta vie ni quoi que ce soit dautre au-dessus de la justice afn de pouvoir agrave ton arriveacutee dans lHadegraves alleacuteguer tout cela pour ta deacutefense devant ceux qui lagrave-bas gouvernent4

La reacutefutation socratique dans le Criton consiste agrave monter que luniteacute de lacircme de la

famille et de la citeacute est la mecircme agrave savoir la vertu puisque laquo la vertu et la justice sont

ce quil y a de plus estimable pour lhomme et quil en va de mecircme pour les

coutumes (νόμομα) et pour les lois raquo5 En effet lhomme est caracteacuteriseacute par son acircme

une bonne ou mauvaise habitude commence agrave la maison dans une famille et les lois

sont leacutegifeacutereacutees par la citeacute Ainsi nous pouvons eacutetablir le tableau suivant

vertus acircme famille citeacute

justice+modeacuteration fonction deacutesirante enfants producteurs

justice+modeacuteration+courage fonction Ardente megravere guerriers

justice+modeacuteration+courage+sagesse fonction pensante pegravere philosophes

En dautres termes ce sont donc les mecircmes vertus qui doivent ecirctre mises en œuvre

dans la citeacute dans la famille et dans lacircme individuelle6

1 Voir le second discours de Socrate dans lApologie (35 e ndash 38 b)2 Criton 38 b3 Ibid 50 d4 Ibid 54 b5 Ibid 54 c6 Cf laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute Aspect eacutethique politique et ontologique de

la critique de Platon raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon 1 Paris Vrin Sous la direction de Monique Dixsaut 2005 pp 25 ndash 41 Nous ajoutons la colonne laquo famille raquo

290

VI23 Laspect eacutethique

Rendre lacircme meilleure est la fnaliteacute morale de la reacutefutation cest pourquoi son effet

eacutethique prime sur la validiteacute de son argumentation logique1 laquo Si lon considegravere la

morale comme un systegraveme de conduites admises et encourageacutees dans une socieacuteteacute on

peut deacutefnir leacutethique comme leacutevaluation rationnelle de la morale raquo2 Si la question

eacutethique se pose quotidiennement cest parce quon vit dans une socieacuteteacute ougrave la relation

entre soi-mecircme et les autres se manifeste constamment Ainsi leacutethique qui est

leacutevaluation de la morale consiste en effet agrave eacutevaluer rationnellement soi-mecircme les

autres et les reacutealiteacutes

VI231 Soi-mecircme et lautre

Soi-mecircme cest lacircme Or lacircme est structuralement tri-fonctionnelle agrave savoir

intellective Ardente et deacutesirante une telle structure fonctionnelle suppose que lacircme

peut ecirctre agrave la fois le mecircme et lautre ou encore jamais le mecircme mais toujours lautre

En effet 1 le mecircme de lacircme deacutesigne la fonction intellective qui a pour

fonctionnaliteacute de contempler et saisir ce qui est cest-agrave-dire ce qui est toujours le

mecircme en soi par soi Cest gracircce agrave cette fonction que non seulement lacircme peut rester

toujours elle-mecircme en elle-mecircme mais aussi et surtout toutes les acircmes qui vivent de

cette maniegravere sont les mecircmes identiquement divines En fait ecirctre juste cest ecirctre

toujours juste de la mecircme maniegravere dailleurs les justes sont toujours justes de la

mecircme maniegravere dans la mecircme situation tel le savant qui affrme toujours la mecircme

chose sur le mecircme sujet et de mecircme pour les autres vertus Cela eacutetant le fait decirctre

toujours soi-mecircme cest-agrave-dire le mecircme est aussi bien eacutethique (question deacutevaluation

des regravegles de conduite) queacutepisteacutemologique (question de connaissances) et

ontologique (question de reacutealiteacutes) 2 Lautre signife ce qui devient il deacutesigne en

effet les deux fonctions infeacuterieures de lacircme agrave savoir Ardente et deacutesirante qui

animent conjointement le corps lequel devient sans cesse 3 Lorsque la fonction

intellective fonctionne mal ou pas du tout lacircme est commandeacutee par les deacutesirs et les

plaisirs par les autres pour ainsi dire 4 Pour que lacircme reste toujours elle-mecircme en

elle-mecircme la fonction intellective doit dune part contempler constamment les

reacutealiteacutes universelles et immuables dautre part commander aux deacutesirs et aux plaisirs

cest-agrave-dire aux reacutealiteacutes particuliegraveres et changeantes

1 Cf Brisson Luc laquo Une reacutefutation contagieuse Banquet (199 c ndash 201 c et 201 e ndash 203 a) raquo Antiquorum philosophia 2007 V1 pp 91 ndash 97

2 Brisson Luc laquo Platon raquo Histoire de la philosophie Paris Seuil sous la direction de J-F Pradeau Paris 2009 p40

291

VI232 Soumettre soi-mecircme agrave examen

Si la reacutefutation est une forme de dialogue agrave caractegravere aporeacutetique avec lautre

comment lacircme procegravede-t-elle agrave la question-reacuteponse avec elle-mecircme de maniegravere

critique Peut-elle se reacutefuter elle-mecircme comme un autre

Il sagit en effet dun dialogue entre la fonction intellective et la fonction deacutesirante de

lacircme Notons que la fonction Ardente est double si lacircme est domineacutee par lintellect

dans ce cas-lagrave lardeur se trouve du cocircteacute de la raison par contre si elle est domineacutee

par la fonction deacutesirante cest-agrave-dire par la sensation qui est agrave la fois une faculteacute de

sentir des reacutealiteacutes sensibles et ce qui est senti dans ces conditions lardeur se trouve

du cocircteacute de lopinion dougrave le qualifcatif laquo auxiliaire raquo pour deacutesigner le statut de la

fonction Ardente De ces deux fonctions nous pouvons lister une seacuterie de termes qui

sopposent Voici les cinq oppositions que nous choisissons

fonction intellective εἶδος νοῦς νόησις διάνοια λογιστικόν

fonction deacutesirante αἴσθητόν ἡδονή αἴσθησις δόξα ἐπιθυμία

Sur la ligne de la fonction intellective nous trouvons les Formes lintellect

lintellection la penseacutee et la rationaliteacute agrave lopposeacute sur la ligne de la fonction

deacutesirante le sensible le plaisir la sensation lopinion et le deacutesir En dautres termes

verticalement les cinq oppositions (cinq colonnes dans le tableau) sont synonymes

εἶδος αἴσθητόν νοῦς ἡδονή νόησις αἴσθησις διάνοια δόξα λογιστικόν

ἐπιθυμία horizontalement les cinq termes synonymes sur chacune de deux lignes

sont diffeacuterents leacutegegraverement sans la reacutealiteacute intelligible (εἶδος) lintellect (νοῦς) na pas

de sens et par conseacutequent il ne peut y avoir dintellection (νόησις) de mecircme sans

la reacutealiteacute sensible (αἴσθητόν) aucune sensation nest possible et par conseacutequent il

ne peut y avoir de deacutesir et de plaisir Voici un exemple pour montrer comment une

acircme humaine peut dialoguer avec elle-mecircme

Socrate Ainsi si nous ne pouvons nous servir dune unique nature afn de capturer le bien employons-en trois agrave la fois la beauteacute la proportion et la veacuteriteacute Et disons quil est on ne peut plus juste de reconnaicirctre agrave cette sorte duniteacute decirctre la cause de ce qui se trouve dans le meacutelange puisque cest sa bonteacute qui est la cause de celle du meacutelange

Protarque Cest on ne peut plus juste

Socrate Alors Protarque nimporte qui serait deacutesormais agrave mecircme de juger lequel du plaisir et de la reacutefexion est le plus apparenteacute au bien le meilleur et lequel est le plus estimeacute parmi les hommes comme parmi les dieux

Protarque Cest eacutevident mais il serait toutefois preacutefeacuterable de le deacutemonter entiegraverement

Socrate Examinons alors chacune des ideacutees selon le rapport quelle entretient avec le plaisir (τὴν

292

ἡδονήν) et lintellect (τόν νοῦς) puisquil nous faut voir auquel des deux il faut davantage apparenter chacune dentre elles

Protarque Tu veux parler de la beauteacute de la veacuteriteacute et de la mesure (μετριότητος)

Socrate Oui Prends donc dabord la veacuteriteacute Protarque et layant saisie observe ces trois termes lintellect la veacuteriteacute et le plaisir Prends longtemps pour y reacutefeacutechir et reacuteponds-toi agrave toi-mecircme lequel du plaisir ou de lintellect est le plus apparenteacute agrave la veacuteriteacute 1

Dun cocircteacute on a lintellect mdash la faculteacute de saisir lintelligible de lautre cocircteacute le plaisir

mdash la faculteacute de sentir le sensible au milieu il y a le meacutelange Comme dans la

reacutefutation se reacutefuter cest dabord se dire quelque chose sur certaines reacutealiteacute quon

connaicirct puis se poser certaines questions et essayer de se reacutepondre en cherchant la

cause en classant les choses Si lintelligible est la cause de tous les biens est-ce que le

sensible est la cause de tous les maux Si lintellect est un bien absolu est-ce que le

plaisir est un mal absolu

VI233 Soumettre les autres agrave examen

Les autres sont les opinions Ce passage du Pheacutedon deacutecrit la nature de lopinion mecircme

si le terme laquo opinion raquo napparaicirct pas

Socrate Donc les choses qui toujours sont mecircmes quelles-mecircmes et semblables agrave elles-mecircmes ilest plus que probable que ce sont les choses non composeacutees Alors que celles qui sont tantocirct dune faccedilon et tantocirct dune autre et qui jamais ne sont mecircmes quelles-mecircmes celles-lagrave sont composeacutees 2

Les choses qui ne sont jamais mecircmes quelles-mecircmes sont des opinions Cest la

raison pour laquelle dans une reacutefutation la question porte toujours sur ce quest une

chose elle-mecircme dougrave la fameuse formule laquo τί ἐστι raquo par exemple laquo τί ἐστι τὸ

καλόν raquo (laquo quest-ce que le beau raquo) La liste suivante (non exhaustive) montre que

cette fameuse formule semploie principalement dans un contexte de reacutefutation et

tregraves majoritairement dans les premiers dialogues (72 sur la totaliteacute de 109

occurrences)3

Alcibiade [7] τίς ἐστιν (109 d) τίς ἐστιν (109 d) τί ἐστιν (116 e) τί ἐστιν (126 a) τίς ἐστι (126 d) τί ἐστιν (127 e) τί ἐστι (130 c)

Apologie [6] τίς ἐστιν (19 c) τί ἐστι (20 c) [20δ] ἐστιν (20 d) τίς ἐστιν (20 e) τίς ἐστι (23 d) τίς ἐστιν (24 d)

Banquet [4] τί ἐστιν (188 c) τίς ἐστιν (199 c) τίς ἐστιν (201 e) τί ἐστι (217 c) Charmide [5] τίς ἐστιν (160 a) τί ἐστιν (161 e) τί ἐστιν (161 e) τί ἐστιν (165 c) τί ἐστιν (165 e) Cratyle [6] τίς ἐστιν (387 c) τί ἐστι (388 a) τί ἐστιν (388 b) τίς ἐστιν (415 c) τί ἐστιν (439 d) τί ἐστιν

(440 a)

1 Philegravebe 65 a ndash b2 Pheacutedon 78 c 3 Notons que laquo τί ἐστι raquo ne signife pas toujours la fameuse formule laquo quest-ce que x raquo cest bien le

cas par exemple dans le Lysis et le Protagoras

293

Criton [1] τίς ἐστιν (47 d) Euthydegraveme [5] τίς ἐστιν (272 d) τί ἐστι (273 d) τίς ἐστι (277 d) τί ἐστιν (281 a) τί ἐστι (285 d) Euthyphron [5] τίς ἐστιν (8 d) τί ἐστιν (10 a) τί ἐστιν (10 c) τί ἐστιν (11 b) τί ἐστι (15 c) Gorgias [10] τί ἐστιν (447 c) [451b] ἐστιν (451 b) τί ἐστιν (452 c) τί ἐστιν (452 d) τίς ἐστιν (453 c) τί

ἐστιν (476 d) τίς ἐστιν (502 c) τίς ἐστιν (503 b) τίς ἐστιν (503 b) τί ἐστιν (505 e) Hippias majeur [10] τί ἐστι (286 d) τί ἐστι (287 d) τί ἐστι (287 d) ὅτι ἐστι (287 e) τί ἐστιν (288 a) τί

ἐστι (289 c) τί ἐστι (289 d) τίς ἐστιν (290 e) τίς ἐστιν (290 e) τί ἐστι (294 c) Hippias mineur [4] τί ἐστιν (366 a) τί ἐστι (373 d) τίς ἐστιν (375 d) τίς ἐστιν (376 b) Ion [1] τίς ἐστι (532 e) Lachegraves [3] τί ἐστι (180 c) τί ἐστιν (190 c) τί ἐστιν (190 e) Lois III [1] τίς ἐστιν (696 b) Lysis [1] τί ἐστιν (216 e) Meacutenon [11] τί ἐστιν (71 b) τί ἐστιν (73 e) τί ἐστιν (75 b) τί ἐστιν (77 a) τί ἐστιν (79 c) τί ἐστιν (85 a)

τί ἐστιν (85 a) τί ἐστιν (86 e) τί ἐστιν (87 b) τί ἐστιν (87 d) τί ἐστιν (88 c) Parmeacutenide [1] τί ἐστιν (151 e) Pheacutedon [6] τί ἐστιν (58 a) τί ἐστιν (63 d) τίς ἐστι (73 e) τί ἐστιν (95 c) τί ἐστι (99 b) τί ἐστιν (100 c) Phegravedre [1] τίς ἐστι (229 c) Politique [1] τίς ἐστι (282 a) Protagoras [3] τί ἐστιν (329 c) τί ἐστιν (330 c) τί ἐστιν (334 b) Reacutepublique I [1] τίς ἐστιν (328 e) II [1] τί ἐστιν (369 a) IV [2] τίς ἐστιν (428 b) τί ἐστιν (442 d) VI [1]

τί ἐστιν (504 e) VII [1] τί ἐστι (538 d) IX [1] τίς ἐστιν (571 a) X [2] τί ἐστιν (602 c) τί ἐστιν (602 c)

Sophiste [1] τίς ἐστιν (265 b) Theacuteeacutetegravete [6] τί ἐστιν (147 b) τί ἐστιν (147 b) τί ἐστιν (151 e) τί ἐστιν (160 d) τί ἐστι (203 a) τί ἐστιν

(210 a)

Timeacutee [1] τίς ἐστιν (21 e)

La vraie diffculteacute de la reacutefutation consiste agrave construire de maniegravere impreacutevisible un

dialogue pour faire apparaicirctre la veacuteriteacute laquo impreacutevisible raquo puisque dans un dialogue

chaque reacuteponse de linterlocuteur est impreacutevisible laquo construire raquo parce que

limpreacutevisible peut conduire un dialogue dans tous les sens En effet pour celui qui

interroge il ne se permettrait pas de douter de la premiegravere reacuteponse agrave la question laquo τί

ἐστι raquo car Socrate ne peut savoir a priori quel est le sens exact que le reacutepondant

pourrait accorder agrave sa reacuteponse Supposons que cette premiegravere reacuteponse dise la veacuteriteacute

dans ce cas-lagrave elle est neacutecessairement universelle et immuable et non tantocirct une

chose tantocirct une autre Mais avant dentrer dans la reacutefutation il y a deux regravegles pour

celui qui interroge 1 dans le cas ougrave le reacutepondant a mal compris la question il est

neacutecessaire de lui faire comprendre le sens mecircme de la question cest le cas dans

lHippias majeur ougrave le sophiste a compris la question laquo ce quest le beau raquo comme laquo ce

qui est beau raquo1 2 Dans le cas ougrave le reacutepondant ne sait pas formuler une deacutefnition

demandeacute par Socrate il est neacutecessaire de lui montrer quelle est la bonne forme de la

deacutefnition Cest le cas aussi dans le Theacuteeacutetegravete ougrave Socrate montre agrave jeune Theacuteeacutetegravete

1 Hippias majeur 287 d

294

comment formuler une deacutefnition en question

Socrate Pour celui agrave qui lon demande laquo La science quest-ce que cest raquo la reacuteponse est par conseacutequent ridicule quand il donne en reacuteponse le nom de tel ou tel meacutetier Car il reacutepond laquo science de quelque chose raquo alors que ce nest pas ce quon lui demande

Theacuteeacutetegravete Cela en a lair

Socrate Ensuite un autre point alors quil lui est permis de reacutepondre agrave peu de frais et briegravevement il parcourt une route sans fn Par exemple dans la question justement de la glaise cela ne coucirctait vraiment rien et ne precirctait pas agrave eacutequivoque de dire que la glaise cest en tout cas de la terre peacutetrie avec un liquide et la glaise de qui laisser cela dans levague1

On peut constater que montrer un exemple pour donner une deacutefnition dune chose

sensible de maniegravere aussi originale pertinente banale bregraveve preacutecise et claire nest

pas toujours chose facile et cela peut ecirctre consideacutereacute comme une regravegle de dialogue Agrave

partir du moment ougrave le reacutepondant a bien compris le sens de la question et la bonne

formule dune deacutefnition la vraie diffculteacute de la reacutefutation commence En effet

jusquici ce que nous avons dit sur la reacutefutation tient plutocirct de principes ou de

regravegles mais une fois entreacute dans des deacutetails de reacuteponses les choses sont diffciles agrave

geacuteneacuteraliser La seule chose qui guide le deacuteroulement cest la fnaliteacute morale et non la

techniciteacute Or comment guider une acircme vers cette fnaliteacute alors quelle peut reacutepondre

agrave toute question de maniegravere irreacuteguliegravere inattendue Prenons un simple exemple

Socrate Voyons donc Tu meacutedites donc comme je laffrme daller prochainement donner des conseils aux Atheacuteniens Si donc au moment ougrave tu es precirct agrave monter agrave la tribune je tarrecircte pour te dire agrave quel sujet quand les Atheacuteniens deacutecident de deacutelibeacuterer te legraveves-tu pour les conseiller Nest-ce pas lorsque tu ty connais mieux queux sur le sujet Que me reacutepondrais-tu

Alcibiade Je dirais eacutevidement que sur ce sujet je my connais mieux queux2

Dans la reacuteplique de Socrate il y a trois questions 1 agrave quel sujet Alcibiade

donnerait-il les conseils agrave la deacutelibeacuteration 2 quel niveau de connaissance du sujet

quil avait 3 par rapport agrave qui avait-il cette compeacutetence Logiquement Alcibiade

devrait reacutepondre dabord agrave la premiegravere question Eh bien non Dans ce cas-lagrave Socrate

devrait insister pour savoir quel est le sujet sur lequel Alcibiade sy connaicirct mieux

que les Atheacuteniens et pourtant Socrate sinteacuteresse agrave autre chose

Socrate Cest donc au sujet des choses que tu connais que tu es de bon conseil

Alcibiade Comment nen serait-il pas ainsi

Socrate Ces choses les connais-tu uniquement par dautres ou les as-tu deacutecouvertes (ἐξηῦρες)

1 Theacuteeacutetegravete 147 b ndash c Voir aussi Lachegraves 192 a ndash b agrave propos dune deacutefnition de la vitesse Meacutenon 76 a agrave propos dune deacutefnition de la fgure 76 d agrave propos dune deacutefnition de la couleur

2 Alcibiade 106 c ndash d

295

par toi-mecircme

Alcibiade Que pourrais-je connaicirctre dautre 1

Cest une autre faccedilon dinterroger sur le sujet en question Par son arrogance et son

ignorance Alcibiade ne se permet pas daffrmer quil les connaicirct par dautres mais

par lui-mecircme Cest ce point qui semble ecirctre le fl conducteur de la reacutefutation meneacutee

par Socrate Supposons que ce quaffrme Alcibiade est vrai cest-agrave-dire quil a

deacutecouvert par lui-mecircme ce que sont les choses importantes concernant la citeacute cela

signife quil se connaicirct lui-mecircme puisquil sait distinguer entre ce qui est agrave lui et ce

qui est aux autres Cest pourquoi le dialogue se conduit progressivement vers le

preacutecepte laquo connais-toi toi-mecircme raquo (129 a 130 e) Connaicirctre une chose cest connaicirctre

lexcellence de cette chose Se connaicirctre soi-mecircme cest connaicirctre la vertu puisquelle

est lexcellence de lacircme Cest la raison pour laquelle apregraves le preacutecepte delphique le

dialogue se tourne vers la question de lacircme avant de sinteacuteresser agrave la justice et la

tempeacuterance et sachegraveve apregraves cette phrase dAlcibiade laquo La chose est entendue je

vais degraves agrave preacutesent commencer agrave prendre soin de la justice raquo2 Lhistoire dAlcibiade3

confrmera la derniegravere phrase de lAlcibiade

Socrate Et jaimerais ty voir preacuteserver Ce nest pas que je me meacutefe de ta nature mais je vois la puissance de notre citeacute et je redoute quelle ne lemporte sur moi comme sur toi4

LAlcibiade semble montrer que la fnaliteacute morale de la reacutefutation est parfois

impuissante face agrave une certaine ignorance puissante En effet tant quon ne cherche

pas et ni napprend pas spontaneacutement on ne sort pas de lignorance Ainsi la

question se pose comment amener les ignorants agrave chercher et agrave apprendre

spontaneacutement Cest la tacircche de la dialectique

VI3 Principes dialectiques

Comment connaicirctre agrave travers le dialogue ce qui est Telle est la premiegravere question

de la dialectique Mais avant de reacutepondre longuement agrave cette question nous

essayons de reacutepondre dabord agrave la question suivante quelle est preacuteciseacutement la limite

1 Ibid 106 d2 Ibid 135 e3 laquo La vie dAlcibiade aura pris la forme tregraves tocirct dune biographie de la chute dAthegravenes de son

heacutegeacutemonie et de son ambition sans eacutegale mais aussi et en mecircme temps pour les historiens de sa grandeur hors du commun raquo (Alcibiade laquo Introduction raquo p 16 pp 15 ndash 19 laquo Alcibiade raquo) Cf Hatzfeld Jean Alcibiade Eacutetudes sur lhistoire dAthegravenes agrave la fn du Ve siegravecle Paris PUF 1951 Brisson Luc laquo Alcibiade raquo Dictionnaire des philosophes antiques I Paris Eacuted CNRS Sous la direction de R Goulet 1989 pp 100 ndash 101 Cf aussi Hatzfeld Jean Alcibiade Eacutetudes sur lhistoire dAthegravenes agrave la fn du Ve siegravecle Paris PUF 1951

4 Alcibiade 135 e

296

de la reacutefutation En dautres termes dougrave vient la dialectique

VI31 Limites de la reacutefutation

Il y a principalement trois types de personnages dont les opinions font lobjet dune

reacutefutation agrave savoir 1 les sophistes qui repreacutesentent les hommes politiques 2 les

jeunes gens qui repreacutesentent dans un sens les poegravetes puisquils sont eacuteduqueacutes par les

poegravemes et 3 les hommes dexpeacuterience (les artisans les geacuteneacuteraux mecircme les sophistes

par exemple) Dans le premier cas les sophistes sont reacuteputeacutes pour leur savoir mais

leur savoir est nocif pour lacircme et la citeacute ainsi la reacutefutation doit se montrer tregraves

critique montrer la valeur neacutegative du savoir de sophiste cest ce que nous allons

analyser dans un premier temps Dans le cas de jeunes gens non aspireacutes au savoir ils

ne simaginent pas ce quils ne savent pas mais il ne savent pas non plus ce quils

savent dans ces conditions la maiumleutique permet de faire naicirctre quelque chose de

leur acircme et si cette chose se reacutevegravele fausse il faut lenlever par la reacutefutation nous

montrerons dans un deuxiegraveme temps la limite de cet enlegravevement par la reacutefutation

Dans le cas des hommes dexpeacuterience comme Lachegraves dans le Lachegraves par exemple

lexpeacuterience mecircme permet de savoir dans la pratique ce qui ne marchera pas et non

pas de savoir ce qui marcheraCest pourquoi dans le discours de Lachegraves il y a

beaucoup de neacutegations alors que dans celui de Nicias il y en a tregraves peu cela eacutetant

lexpeacuterience nest pas un veacuteritable savoir mais lopinion droite ainsi le fait de parler

agrave partir dexpeacuteriences eacutequivaut agrave exprimer des opinions dans ces conditions la

reacutefutation est eacuteducative elle permet deacutelever quelque chose au-delagrave de ce quelle

eacutetait nous analyserons dans un troisiegraveme temps la limite de la reacutefutation eacuteducative

VI311 La limite de la reacutefutation critique

Dans le Phegravedre1 le sophiste fgure au huitiegraveme rang devant le tyran derniegravere le rang

dartisan et agrave deux rangs deacutecart du poegravete Si Socrate arrive agrave promouvoir les

sophistes de deux rangs ils auraient alors le mecircme statut que le poegravete qui est

responsable de la deacutecheacuteance de la citeacute2 Cela semble montrer que le but de la

reacutefutation critique ne consiste pas agrave promouvoir les sophistes au rang supeacuterieur pour

rejoindre les poegravetes Dailleurs la reacutefutation socratique na pas fait eacutevaluer un iota le

statut de sophiste en tout cas les dialogues ougrave les sophistes sont les principaux

interlocuteurs de Socrate montrent quagrave la fn ils nont fnalement rien changeacute En

1 Voir Phegravedre 248 d ndash e2 Cf laquo Les poegravetes responsables de la deacutecheacuteance de la citeacute raquo Eacutetudes sur la Reacutepublique de Platon I Paris

Vrin Sous la direction de M Dixsaut 2005 pp 26 ndash 41

297

effet le but de la reacutefutation critique consiste agrave combattre la corruption de la jeunesse

par les sophistes et non les sophistes eux-mecircmes Cela est parfaitement illustreacute dans

le prologue du Protagoras1 Nous ne savons pas ce que pensent tous ces jeunes gens

preacutesents dans la confeacuterence du sophiste Protagoras puisquils ne sont pas interrogeacutes

pour exprimer leur avis sur la confeacuterence ni quils nont doccasion dinterroger Mais

il est certain que mecircme si les jeunes gens eacutetaient deacutecideacutes agrave ne plus suivre

lenseignement des sophistes apregraves cette confeacuterence ils ne deviendraient pas pour

autant savants car le fait de jeter une mauvaise nourriture ne signife pas de ce fait

que lon en possegravede une bonne

Le corps des jeunes a tout le temps faim si lon ne leur donne pas de bons aliments agrave

manger ils mangent nimporte quoi afn de nourrir leur corps De mecircme pour lacircme

des jeunes gens si lon la prive du mauvais enseignement il faut quelle se nourrisse

du bon lorsquelle a faim sinon elle se nourrira du mauvais Or la reacutefutation critique

nest pas une science bien que lon puisse tirer de la reacutefutation critique de bons

enseignements Mais cela nest pas pour ceux qui ne savent pas encore distinguer le

bon du mauvais

VI312 La limite de lenlegravevement du faux par la reacutefutation

Dans la reacutefutation critique il sagit en reacutealiteacute dune confrontation de penseacutees Les

sophistes nont pas dhabitude de ceacuteder un iota mecircme si parfois ils concegravedent

quelques positions agrave Socrate sans jamais reconnaicirctre reacuteellement leur ignorance Par

exemple

Protagoras Je ne suis pas vraiment davis Socrate dit-il que laffaire soit assez simple pour que je puisse taccorder que la justice est chose pie et que la pieacuteteacute est juste Non Agrave mon avis il y a une diffeacuterence Enfn quimporte dit-il Admettons si tu veux que la justice est chose pie et que la pieacuteteacute est juste2

Par contre dans lenlegravevement du faux par la reacutefutation il ne sagit pas dune

confrontation intellectuelle puisque les jeunes deacutesirent suivre Socrate Dailleurs la

jeunesse leur permet de reconnaicirctre facilement leurs embarras et leur ignorance et se

montrer spontaneacutement inteacuteresseacutes par laspiration au savoir Cest pourquoi le langage

de telle reacutefutation est diffeacuterent du langage de la reacutefutation critique (qui consiste agrave

embarrasser) Le Lysis est un bon exemple voici le point de deacutepart

Socrate En bien Hippothalegraves repris-je cest un amour noble et grand sous tous rapports que tu as trouveacute Allons fais-moi une deacutemonstration de ce dont tu leur as deacutejagrave fait eacutetalage pour

1 Voir Proragoras 310 b ndash 314 e2 Ibid 331 b ndash c

298

que je vois si tu sais ce quun amant doit dire de son bien-aimeacute lorsquil lui adresse la parole ou lorsquil en parle agrave dautres1

Par pudeur sans doute Hippothalegraves ny arrive pas mais fnalement par sinceacuteriteacute de

son amour pour Lysis il fnit par demander agrave Socrate de lui donner un bon conseil

Hippothalegraves Non par Zeus reacutepondit-il car ce serait le comble de laberration Mais cest bien pour cela Socrate que je te mets dans la confdence et si tu sais quelque chose dautre donne-moi un conseil sur ce que lon peut dire ou faire pour se rendre aimable aux yeux de son bien-aimeacute

Socrate Ce nest pas facile agrave dire reacutepondis-je mais si tu eacutetais precirct agrave faire en sorte quil sentretienne avec moi je pourrais peut-ecirctre te faire une deacutemonstration de ce dont il faut lentretenir au lieu des louanges quau dire de ceux-ci tu lui reacutecites et chantes2

Bien quil ny ait dans le Lysis aucune question du type laquo quest-ce quune chose raquo

la demande dHippothalegraves et la reacuteponse de Socrate forment en reacutealiteacute implicitement

la question quest-ce que lamour La suite du dialogue consiste agrave reacutepondre agrave cette

question comme une reacutefutation agrave la thegravese de lamour dHippothalegraves thegravese

implicitement formuleacutee agrave travers la bouche de son ami Cteacutesippe lamour cest faire

leacuteloge du bien-aimeacute Dans le Lysis tout semble implicite les questions (laquo quest-ce

que lamour raquo laquo quest-ce que lamitieacute (φιλία) raquo) la thegravese agrave reacutefuter et la reacutefutation

mecircme sont toutes implicites Mais pour quelle raison le dialogue prend-il une telle

forme implicite cest-agrave-dire maiumleutique En effet bien que Lysis et Meacutenexegravene soient

les principaux interlocuteurs de Socrate dans le Lysis la discussion sadresse agrave

Hippothalegraves pour lui faire naicirctre de son acircme un amour pour le savoir3

Mais la maiumleutique neacutecessite un accouchement qui peut 1 se reacuteveacuteler faux (lacircme est

vide comme si la femme neacutetait pas enceinte) 2 donner la fausseteacute (lacircme accouche

dune image de la veacuteriteacute et non pas de la veacuteriteacute mecircme) 3 dans ces conditions il

faut enlever lenfant agrave la naissance et 4 cet enlegravevement par la reacutefutation nempecircche

nullement cette acircme decirctre enceinte de nouveau de la fausseteacute

VI313 La limite de la reacutefutation expeacuterimentale

La question laquo quest-ce que le courage raquo4 neacutecessite une reacutefutation quelle que soit la

reacuteponse bonne ou mauvaise Car mecircme dans le cas dune bonne reacuteponse la

1 Lysis 204 e ndash 205 a2 Ibid 206 b ndash c3 Entre 207 d et 210 d Socrate interroge Lysis reacutepond par cette seacuterie de questions-reacuteponses on

apprend que le pegravere et la megravere de Lysis ne lui permettent de faire autre chose que ce qui concerne leacutecriture et la lecture cest lἔργον des enfants un premier pas vers le savoir En dautres termes quel que soit le type de la φιλία la valeur la plus eacuteleveacutee de la φιλία est son rapport agrave la σοφία

4 Ibid 190 e

299

reacutefutation permet de savoir sil sagit de la science ou de la conjecture cest-agrave-dire

sans savoir rendre raison agrave ce quon sait En ce sens le Lachegraves est un dialogue

reacutefutatif en raison des trois deacutefnitions du courage donneacutees par Lachegraves et Nicias1

Or luniteacute du Lachegraves est leacuteducation2 de mecircme pour le Lysis et le Protagoras3 Mais

pourquoi deacutefnir le courage avec deux geacuteneacuteraux pour parler de leacuteducation sous la

forme de la reacutefutation 1 Quel est le rapport entre les geacuteneacuteraux et leacuteducation 2

Parler du courage avec les geacuteneacuteraux cest compreacutehensible puisque la mort pourrait

advenir agrave tout moment dans une bataille ainsi affronter les ennemis est affronter sa

propre mort Mais le fait de donner une deacutefnition du courage nest pas une

compeacutetence des geacuteneacuteraux dailleurs ils ne preacutetendent pas enseigner le courage agrave

leurs soldats Pour quelle raison demander alors agrave deux geacuteneacuteraux de deacutefnir le

courage 3 Quel est le but de la reacutefutation

Sur le premier point il y a un point en commun entre les geacuteneacuteraux et les enfants agrave

lacircge eacuteducatif cest lexpeacuterience En effet degraves la naissance peut-ecirctre mecircme avant le

beacutebeacute commence agrave eacutecouter agrave voir agrave sentir agrave parler agrave pleurer agrave exprimer surtout agrave

imiter jusquagrave lacircge eacuteducatif Cela eacutetant pendant sept ans par lexpeacuterience lenfant

acquiert une infniteacute de choses cela est une condition de leacuteducation De lagrave on voit la

diffeacuterence entre lexpeacuterience et leacuteducation agrave savoir lexpeacuterience reste au niveau de

lopinion leacuteducation permet deacutelever au niveau intelligible ce quon acquiert par

expeacuterience Ce que les geacuteneacuteraux acquieegraverent par leurs expeacuteriences militaires est de

mecircme nature la connaissance acquise par expeacuterience Ainsi sans une eacuteducation

approprieacutee lexpeacuterience reste au niveau de lopinion

Une fois admis ce qui vient decirctre dit le second point est relativement simple En

effet la question de courage se pose partout et pas uniquement agrave la guerre

Socrate Et je minteacuteressais non seulement agrave ceux qui sont courageux agrave la guerre mais aussi agrave ceux qui font preuve de courage agrave leacutegard des peacuterils de la mort et bien entendu agrave tous ceux qui sont courageux face aux maladie agrave la pauvreteacute agrave la politique et je pensais en outre non seulement agrave ceux qui sont courageux face aux douleurs et au craintes mais aussi agrave ceux qui excellent dans la lutte contre les deacutesirs et les plaisirs que ce soit en tenant ferme ou en faisant volte-face4

1 Voir Ibid 190 e 192 b ndash c et 194 e ndash 195 a Traditionnellement le Lachegraves est consideacutereacute comme maiumleutique et non comme reacutefutatif

2 Cf Lachegraves laquo Introduction raquo p 71 ndash 743 Notons que cest agrave la demande du jeune Hippocrate que Socrate laccompagne pour aller rencontrer

le sophiste Protagoras chez Callias Cest pourquoi la discussion entre Socrate et Protagoras sadresse en reacutealiteacute agrave Hippocrate en particulier et agrave la jeunesse en geacuteneacuteral du moins au jeune auditoire preacutesent dans le dialogue

4 Lachegraves 191 d ndash e Nous soulignons

300

Nous avons deacutejagrave parleacute de ce passage dans le chapitre preacuteceacutedent Dans le domaine de

leacuteducation pour les enfants comme pour les adultes ce qui empecircche la progression

ce sont surtout les deacutesirs et les plaisirs qui lemportent souvent sur les efforts

neacutecessaires comme la concentration la meacutemoire les exercices savoir lire et lire bien

et beaucoup savoir eacutecrire et eacutecrire bien et beaucoup Tout cela neacutecessite un grand

courage une grande maicirctrise de soi

Le troisiegraveme point le but de la reacutefutation est un exercice eacuteducatif Sil est absolument

neacutecessaire pour les eacutelegraveves agrave leacutecole de faire suffsamment dexercices il est aussi

neacutecessaire les adultes de faire certains exercices afn deacutelever au rang intelligible ce

quon acquiert par expeacuterience Dans le cas du Lachegraves Socrate ressemble en quelque

sorte agrave un instituteur et les deux geacuteneacuteraux agrave des eacutelegraveves Cela eacutetant il ny a pas dacircge

pour seacuteduquer

La limite de la reacutefutation eacuteducative reacuteside dans ceci une expeacuterience peut ecirctre

promue au rang de connaissance denseignement une connaissance deacutetacheacutee

dexpeacuterience mais tout en restant une connaissance speacutecifque au trompe-lœil dune

connaissance universelle et immuable Exemple

Nicias Jaffrme Lachegraves que le courage est connaissance (ἐπιστήμη) de ce qui inspire la crainte ou la confance que ce soit agrave la guerre ou en toute circonstance1

La deacutefnition donneacutee par Nicias est bonne encore faut-il savoir ce que deacutesigne

lἐπιστήμη est-ce une connaissance speacutecifque ou universelle et immuable

Lachegraves Non plus que les agriculteurs je crois Et pourtant ce sont bien eux jimagine qui saventce qui est agrave craindre en agriculture de mecircme que tous les autres artisans savent ce qui dans leurs arts respectifs inspire la crainte ou la confance mais ils ne sont pas plus courageux pour autant2

Le vrai message du Lachegraves est ceci si par expeacuterience on acquiert une certaine

compeacutetence speacutecifque et quon peut la transformer en une connaissance il ny a

aucune raison de ne pas penser ceci lacircme eacutetant immortelle elle a neacutecessairement

lexpeacuterience de toutes les reacutealiteacutes intelligibles

VI32 La reacuteminiscence

Le dialogue est une communication qui consiste agrave faire renaicirctre de nouveau ou agrave

nouveau ce quon a connu auparavant autrement dit dialoguer nest pas enseigner

cest la raison pour laquelle Socrate insiste sur ceci laquo Et si quelquun preacutetend en

1 Lachegraves 194 e2 Ibid 195 b ndash c

301

priveacute avoir appris quelque chose de moi ou mavoir entendu parler de quelque chose

dont personne dautre nest au courant sachez bien quil ne dit pas la veacuteriteacute raquo1 En

dautres termes dialoguer consiste agrave inciter lintellection Mais comment se fait-il que

les reacutealiteacutes dont lacircme qui est immortelle avait connaissance puissent ecirctre oublieacutees

Quelle est la cause de cet oubli de lacircme En effet quand lacircme est en incarnation

elle est attireacutee par lapparence des choses sensibles cela eacutequivaut agrave oublier la fonction

intellective2 Cest la raison pour laquelle la reacuteminiscence consiste agrave retrouver la

fonction intellective

Le substantif άνάμνησις (reacuteminiscence) napparaicirct que 15 fois dans le corpus

platonicien dont 9 dans le Pheacutedon3 Cela eacutetant il y a un rapport eacutetroit entre la mort et

la reacuteminiscence puisque la mort est luniteacute du Pheacutedon En effet la mort nest rien

dautre que la seacuteparation de lacircme davec le corps4 De cette seacuteparation deacutecoulent

cinq termes ontologiques agrave savoir 1 limmortaliteacute de lacircme5 2 la reacutealiteacute veacuteritable

(αὐτὴ ἡ οὐσία)6 3 la seacuteparation entre le sensible et lintelligible 4 la participation

du sensible agrave lintelligible et 5 la reacuteminiscence

Σωκράτης Socrate

εἰ δέ γε οἶμαι λαβόντες πρὶν γενέσθαιγιγνόμενοι ἀπωλέσαμεν ὕστερον δὲ ταῖς αἰσθήσεσι χρώμενοι περὶ αὐτὰ ἐκείνας ἀναλαμβάνομεν τὰς ἐπιστήμας ἅς ποτε καὶ πρὶν εἴχομεν ἆρ᾽ οὐχ ὃ καλοῦμεν μανθάνειν οἰκείαν ἂν ἐπιστήμην ἀναλαμβάνειν εἴη τοῦτο δέ που ἀναμιμνῄσκεσθαι λέγοντες ὀρθῶς ἂν λέγοιμεν7

Mais supposons que ayant acquis ces savoirs avant denaicirctre nous les ayons perdus en naissant par la suite lorsque nous usons de nos sens pour percevoir des choses qui en relegravevent nous reprenons agrave nouveau possession des savoirs que nous avions anteacuterieurement agrave un certain moment degraves lors ce que nous nommons laquo apprendre raquo ne serait-ce pas reprendre possession dune science qui nous est propre Et quand nous disons que cest lagrave une sorte de ressouvenir nemployons-nous pas le mot correct 8

1 Apologie 33 b2 Le terme λήθη est peu freacutequent dans le corpus platonicien presque absent dans les premiers

dialogues Banquet λήθη (208 a) Gorgias λήθην (493 c) Lettre III λήθην (315 c) Lois II λήθῃ (666 b) III λήθη (682 b) Meacutenexegravene λήθῃ (248 c) Pheacutedon λήθην (75 d) Phegravedre λήθης (248 c) λήθην (250 a) λήθην (275 a) λήθης (276 d) Philegravebe λήθης (33 e) λήθη (33 e) λήθην (33 e) λήθης (52 a) λήθη (52 b) λήθην (63 e) Politique λήθης (273 c) Reacutepublique VI λήθης (486 c) X Λήθης (621 a) Λήθης (621 c) Theacuteeacutetegravete λήθης (144 b) Timeacutee λήθης (87 a)

3 Lois V ἀνάμνησις (732 b) Meacutenon ἀνάμνησις (81 d) ἀνάμνησιν (82 a) ἀνάμνησις (98 a) Pheacutedon ἀνάμνησις (72 e) ἀνάμνησιν (73 c) ἀνάμνησις (73 d) ἀνάμνησιν (74 a) ἀνάμνησιν (74 d) ἀνάμνησις (76 a) ἀνάμνησιν (91 e) ἀνάμνησιν (92 c) ἀναμνήσεως (92 d) Phegravedre ἀνάμνησις (249 c) Philegravebe ἀνάμνησιν (34 b)

4 Pheacutedon 64 c5 Ibid 73 a6 Ibid 78 d7 Ibid 75 e8 Voici les trois autres traductions laquo Si par contre lon suppose que nous avons perdu en naissant

cette acquisition anteacuterieure agrave notre naissance mais quensuite gracircce agrave lusage de nos sens dans les choses en question nous ressaisissons les connaissances dont nous disposions dans un temps anteacuterieur alors ce que nous nommons sinstruire ne consisterait-il pas agrave ressaisir une connaissance

302

Ce passage est un aboutissement dune seacuterie de comparaisons entre le sensible et

lintelligible1 Bien que le terme de la participation ne soit pas eacutevoqueacute celui de la

seacuteparation entre le sensible et lintelligible non plus Dans le passage que nous

venons de lire quatre notions ne sont pas explicites 1 lobjet de la sensation et sa

nature agrave savoir le sensible (αἴσθητόν) et le visible (ὁρατόν) 2 Lobjet de la science

et sa nature agrave savoir lintelligible (νοητόν) et linvisible (ἀιδές) 3 La seacuteparation entre

le sensible et lintelligible lun est visible lautre est invisible lun devient lautre est

4 La participation du sensible agrave lintelligible car le fait duser de laquo nos sens pour

percevoir des choses qui en relegravevent raquo signife que les choses sensibles ont part aux

choses intelligibles

En effet laquo aussi bien dans nos questions quand nous questionnons que dans nos

reacuteponses quand nous reacutepondons raquo2 chaque fois que nous avons une sensation nous

devons demander ce quest cette sensation elle-mecircme par exemple la question

laquo leacutegal en soi raquo se pose agrave partir dune sensation (une perception) de leacutegaliteacute

Σωκράτης

ἀλλὰ μὲν δὴ ἔκ γε τῶν αἰσθήσεων δεῖἐννοῆσαι ὅτι πάντα τὰ ἐν ταῖς αἰσθήσεσιν ἐκείνου τε ὀρέγεται τοῦ ὃ ἔστιν ἴσον καὶ αὐτοῦ ἐνδεέστερά ἐστιν ἢ πῶς λέγομεν3

Socrate

Alors en veacuteriteacute cest agrave partir des sensations elles-mecircmesquon doit reacutefeacutechir agrave ce fait toutes les proprieacuteteacutes sensibles agrave la fois aspirant agrave une reacutealiteacute du genre de celle de leacutegal en soi et restent pourtant passablement deacutefcientes par rapport agrave cette reacutealiteacute Sinon que dire

La sensation est double dune part elle nous retient dans le monde sensible agrave travers

les plaisirs que procurent au corps des choses sensibles dautre part elle nous donne

agrave chaque fois loccasion de se demander ce quest cette sensation elle-mecircme en

deacutebarrassant les opinions par exemple une belle chose vue est une sesnation De lagrave

apparaicirct le sens eacutethique de la reacuteminiscence le courage de deacutebarrasser les opinions

pour aller au-delagrave du sensible condition fondamentale du fait de se remeacutemorer cest-

agrave-dire chercher et apprendre

qui nous est propre Et ne serait-il pas juste dappeler cela se ressouvenir raquo (Paul Vicaire)laquo Mais si je suppose nous avons perdu en naissant les connaissances que nous avions acquises avant de naicirctre mais quen appliquant nos sens aux objets en question nous ressaisissions ces connaissances que nous posseacutedions preacuteceacutedemment nest-il pas vrai que ce que nous appelons apprendre cest ressaisir une science qui nous appartient Et en disant que cela cest seressouvenir nemploierions-nous pas le mot juste raquo (Eacutemilie Chambry)laquo Que si ayant eu ces connaissances avant de naicirctre et les ayant perdues en naissant nous venons ensuite agrave les rapprendre ces connaissances que nous avions jadis en nous servant du ministegravere denos sens ce que nous appelons apprendre nest-ce pas ressaisir des connaissances qui nous appartiennent et naurons-nous pas raison dappeler cela ressouvenir raquo (Victor Cousin)

1 Voir 74 a ndash 75 d2 Ibid 75 d3 Ibid 75 a ndash b

303

VI33 La contemplation

Nous ne savons pas par quel moyen lacircme contemple les formes intelligibles

lorsquelle laquo faisait partie du cortegravege dun dieu raquo1 puisque dans le second discours de

Socrate du Phegravedre il sagit dune repreacutesentation et non un exposeacute2 En revanche nous

avons un grand nombre de meacutethodes dialectiques employeacutees dans les dialogues

platoniciens comme par exemple la division le rassemblement lusage de

paradigmes linterpreacutetation de mythes lusage doppositions la recherche du

contraire la comparaison la deacutefnition la distinction la repreacutesentation la seacuteparation

Mais nous ne les preacutesentont pas ici pour la raison suivante agrave lopposeacute de leacutecriture

qui est statique le dialogue est dynamique par conseacutequent chaque meacutethode

dialectique employeacutee deacutepend de la situation dans un dialogue et varie selon

linterlocuteur lauditoire3 le sujet le deacuteveloppement impreacutevu ou autres eacuteleacutements

Cest la raison pour laquelle nous essayons de preacutesenter ici quelques principes de

meacutethodes dialectiques4

VI331 Principe de lUn

Une chose sensible est toujours multiple parce quelle est un meacutelange de diffeacuterents

eacuteleacutements (eau feu terre air) de diffeacuterents qualiteacutes (grand petit dur mou brillant

sombre beau laid utile inutile hellip) de diffeacuterentes couleurs de diffeacuterentes fgures ou

dautres proprieacuteteacutes Ce qui nous inteacuteresse ici cest le meacutelange de qualiteacutes

Socrate Or nous affrmons bien que la vue voit le grand et le petit non pas comme quelque chose qui est seacutepareacute mais comme quelque chose qui est confondu nest-ce pas

Glaucon Oui

Socrate Mais pour produire cette clarifcation lintellection (ἡ νόησις) a eacuteteacute contrainte de voir grand et petit non pas comme confondus mais comme seacutepareacutes contrairement agrave ce que faisait la vue

Glaucon Cest vrai

Socrate Par conseacutequent nest-ce pas de lagrave que nous vient dabord lideacutee de demander ce que peut bien ecirctre le grand et aussi le petit 5

Lintellection consiste agrave chercher ce quest une qualiteacute en tant que telle cest-agrave-dire

1 Phegravedre 248 c2 Voir Phegravedre 246 a surtout laquo Notes raquo ndeg 173 p 209 Lexposeacute a pour tacircche de deacutecrire lacircme laquo telle

quelle est raquo tandis que la repreacutesentation consiste agrave dire laquo ce agrave quoi elle ressemble raquo3 Par exemple dans le Pheacutedon lauditoire se compose de gens qui aspirent au savoir alors que dans le

Protagoras nous lavons vu lauditoire est impressionnant mais ce ne sont pas des gens qui aspirent au savoir

4 Agrave propos de meacutethodes dialectiques cf Dixsaut Monique Meacutetamorphoses de la dialectique dans les dialogues de Platon Paris Vrin 2001

5 Reacutepublique VII 524 c

304

quelque chose proprement une non-composeacutee unique originale universelle et

immuable Par exemple laquo lacircme est le principe du mouvement spontaneacute raquo Certes la

phrase est composeacutee de mots mais ce quelle exprime est unique cest-agrave-dire elle ne

deacutesigne pas agrave fois plusieurs choses Un cercle particulier nest pas unique on peut

mecircme fabriquer deux cercles particuliers identiques mais la deacutefnition matheacutematique

du cercle est unique bien que lon puisse utiliser plusieurs maniegraveres matheacutematiques

pour deacutefnir le cercle (par la geacuteomeacutetrie analytique et par la geacuteomeacutetrie diffeacuterentielle

par exemple)

Dans la derniegravere reacuteplique nous trouvons cette phrase laquo τί οὖν ποτ᾽ ἐστὶ τὸ μέγα αὖ

καὶ τὸ σμικρόν raquo (laquo que peut bien ecirctre le grand et aussi le petit raquo) Nous avons dit

que laquo τί ἐστι raquo est une marque de la reacutefutation alors que dans le livre VII de la

Reacutepublique il sagit de la dialectique La dialectique emprunte-t-elle certaines

meacutethodes agrave la reacutefutation En effet laquo τί ἐστι raquo na pas la mecircme porteacutee dans la

reacutefutation que dans la dialectique Dans la reacutefutation les interlocuteurs de Socrate ne

connaissaient pas encore la nature des reacutealiteacutes veacuteritables dans ces conditions lusage

de la formule laquo τί ἐστι raquo ne consiste pas agrave chercher une reacuteponse unique mais agrave

deacutemontrer que linterlocuteur ne savait pas ce quil preacutetendait savoir puisquil disent

sur le mecircme sujet tantocirct une chose tantocirct une autre En ce sens laquo τί ἐστι raquo est une

meacutethode qui permet de faire apparaicirctre lignorance Or dans le cadre de la

dialectique la nature de laquo ce qui est totalement ecirctre raquo1 est connue Sachant que ce

nest pas parce que cette nature est connue (sans couleur sans fgure intangible2

sans meacutelange ni seacuteparable3 sans subir aucun changement4) que lon arrive agrave deacutefnir

une reacutealiteacute intelligible le beau par exemple quelle est sa deacutefnition qui remplit ces

conditions sans couleur sans fgure intangible sans meacutelange ni seacuteparable et sans

subir aucun changement Ainsi dans le cadre de la dialectique laquo τί ἐστι raquo est une

invitation agrave chercher ce quest une reacutealiteacute intelligible Dailleurs apregraves cette

interrogation laquo ce que peut bien ecirctre le grand et aussi le petit raquo ni Socrate ni Glaucon

ne cherchent agrave reacutepondre parce que dans la dialectique cette formule laquo τί ἐστι raquo

nest pas une meacutethode En revanche laquo τὸ μέγα αὖ καὶ τὸ σμικρόν raquo un couple

contraire est une meacutethode

1 Cest-agrave-dire τὸ παντελῶς ὄν Reacutepublique V 477 a Sophiste 248 e (τῷ παντελῶς ὄντι) pour les autresexpressions qui expriment la nature de lintelligible cf laquo La participation du sensible agrave lintelligible raquo Platon les formes intelligibles Paris PUF 2001 pp 55 ndash 84 p 58 ndash 59

2 Phegravedre 247 c3 Parmeacutenide 129 e4 Pheacutedon 78 d

305

VI332 Principe du contraire

Lἐναντίον le contraire peut ecirctre consideacutereacute comme second principe de la

dialectique En effet si on arrive agrave deacutefnir une reacutealiteacute inteacutelligible mais pas son

contraire on a toutes les chances de ne pas entiegraverement ou pas du tout saisir ce

quelle est En veacuteriteacute toute chose sensible en tant que sensible na pas de contraire Le

corps par exemple comme une entiteacute sensible na point de contraire tandis que le

corps lui-mecircme le corps deacutefni comme une chose inanimeacutee alors lagrave il a son

contraire agrave savoir la chose animeacutee lacircme Par ailleurs si lon deacutefnit le corps comme

mouvement passif le corps a son contraire agrave savoir le mouvement actif ou spontaneacute

lacircme de telle sorte que le corps reste immobile sil ne reccediloit aucun mouvement

Ainsi tous les corps quels quils soient ont la mecircme nature agrave savoir inanimeacute ou en

mouvement passif Mais cela ne sufft pas pour confrmer que la deacutefnition du corps

est bonne il faut neacutecessairement veacuterifer si le contraire de ces deacutefnitions renvoie

toujours agrave la mecircme chose ici en loccurrence lacircme La physique classique deacutefnit le

corps comme une eacutetendue ainsi son contraire devrait ecirctre ce qui est ineacutetendu mais

cela ne renvoie pas neacutecessairement agrave lacircme par exemple une loi matheacutematique en

tant que telle est ineacutetendue mais elle nest pas une acircme en tout cas jusquagrave

maintenant cela nest pas encore philosophiquement deacutemontreacute Cela admis la

deacutefnition du corps comme une eacutetendue nest pas fable (οὐδὲν ὑγιές) lexpression

est peu preacutesente dans le corpus platonicien1 Voici son sens

Socrate Eh bien si tu peux lobserver dis-je jattire ton attention sur le fait que dans les perceptions certaines choses ninvitent pas lintellection (οὐ παρακαλοῦντα τὴν νόησιν) agrave un examen suppleacutementaire puisquelles sont jugeacutees de maniegravere satisfaisante par la perception tandis que dautres lincitent tout agrave fait agrave cet examen puisque la perception ny fabrique rien de ferme (ὡς τῆς αἰσθήσεως οὐδὲν ὑγιὲς ποιούσης)2

Lintellection (νόησις) semble ne pas venir toute seule il faut lappeler linciter la

solliciter cest ce que dit le verbe παρακαλεῖν Dans ce passage lintellection consiste

agrave examiner (ἐπισκέψασθαι) les contraires ou les oppositions de ce quon a aperccedilu

Ainsi il est neacutecessaire quune connaissance fable renvoie toujours agrave la mecircme reacutealiteacute

de mecircme que son contraire renvoie toujours agrave elle Si cela nest pas le cas cette

connaissance nest pas fable autrement dit lintellect nest pas suffsamment

mobiliseacute Cela eacutetant en dialectique ces trois termes sont eacutetroitement lieacutes agrave savoir

νόησις ἐπισκέψασθαι et τὸ ἐναντίον

1 Voici la liste non exhaustive de lexpression οὐδὲν ὑγιές dans le corpus platonicien Cratyle 440 c Gorgias 524 e Lois VI 776 e (ὑγιὲς οὐδὲν) Pheacutedon 69 b 89 e 90 c 90 e Reacutepublique VI 496 c VII 523 b IX 584 a 589 c Sophiste 323 a Theacuteeacutetegravete 173 b (ὑγιὲς οὐδὲν)

2 Ibid 523 a ndash b

306

Le substantif τὸ ἐναντίον est abondamment preacutesent dans les œuvres de Platon voici

le tableau qui reacutecense sa preacutesence

Apologie τὰ ἐναντία (27 a)Cratyle τὸ ἐναντίον (432 b) τὸ ἐναντίον (434 d)Critias τῶν ἐναντίων (109 a)Criton τῶν ἐναντίων (48 a)Euthydegraveme τῶν ἐναντίων (281 d)Euthyphron τὰ ἐναντία (6 a) τὸ ἐναντίον (9 e) τὸ ἐναντίον (10 b) τὸ ἐναντίον (12 a)Gorgias τὸ ἐναντίον (468 b) τῷ ἐναντίῳ (475 a) τὰ ἐναντία (481 c)Lachegraves τῷ ἐναντίῳ (193 a) τῷ ἐναντίῳ (193 b)Lettre VII τοῦ ἐναντίου (343 a) τὰ ἐναντία (345 b)Lois I τοῦ ἐναντίου (644 d) τῶν ἐναντίων (648 b) τὸ ἐναντίον (649 c) τοῖς ἐναντίοις (649

c) III τῶν ἐναντίων (678 b) τὸ ἐναντίον (700 b) V τὰ ἐναντία (732 d) τὰ ἐναντία (733c) τοῦ ἐναντίου (734 e) τὰ ἐναντία (743 b) VII [816ε] ἐναντίων (816 e) τὰ ἐναντία (816 e) VIII τὸ ἐναντίον (850 a) X τῶν ἐναντίων (889 c) τῷ ἐναντίῳ (894 b) τῶν ἐναντίων (896 a) τῶν ἐναντίων (896 d) τῶν ἐναντίων (902 c) τῶν ἐναντίων (906 a) XI τοῦ ἐναντίου (935 b ) XII τῶν ἐναντίων (942 d) τοῦ ἐναντίου (944 b)

Lysis τὸ ἐναντίον (215 e) τὸ ἐναντίον (215 e) τῷ ἐναντίῳ (215 e) τὸ ἐναντίον (216 a) τῷ ἐναντίῳ (216 a) τὸ ἐναντίον (216 b) τῷ ἐναντίῳ (216 b) τὸ ἐναντίον (218 b) τοῦ ἐναντίου (218 b)

Meacutenexegravene τοῖς ἐναντίοις (238 d)Meacutenon τὸ ἐναντίον (70 c) τὸ ἐναντίον (91 c)Parmeacutenide τὸ ἐναντίον (146 a) τὸ ἐναντίον (155 a) τὸ ἐναντίον (155 a) τὰ ἐναντία (157 b) τὰ

ἐναντία (159 a)Pheacutedon τῶν ἐναντίων (70 e) τὰ ἐναντία (70 e) τὰ ἐναντία (71 a) τῶν ἐναντίων (71 a) τὸ

ἐναντίον (102 e) τῶν ἐναντίων (102 e) τὸ ἐναντίον (103 a) τοῖς ἐναντίοις (103 a) τῶνἐναντίων (103 a) τοῦ ἐναντίου (103 b) τὸ ἐναντίον (103 b) τὸ ἐναντίον (103 b) τὰ ἐναντία (103 b) τὸ ἐναντίον (103 c) τὰ ἐναντία (104 b) τὰ ἐναντία (104 c) τὰ ἐναντία (104 c) τὸ ἐναντίον (104 e) τὸ ἐναντίον (105 a) τὸ ἐναντίον (105 a) τὸ ἐναντίον (105 d)

Phegravedre τοῖς ἐναντίοις (246 e) τὸ ἐναντίον (262 a)Philegravebe τὸ ἐναντίον (18 a) τοῦ ἐναντίου (19 b) τὰ ἐναντία (25 a) τὸ ἐναντίον (33 b) τῶν

ἐναντίων (35 a)Politique τοῦ ἐναντίου (261 a) τοῦ ἐναντίου (269 a) τῶν ἐναντίων (273 d) τῶν ἐναντίων (307

c) τὰ ἐναντία (310 a)Protagoras τὸ ἐναντίον (324 a) τοῦ ἐναντίου (332 c) τῶν ἐναντίων (332 c) τὸ ἐναντίον (354 a)Reacutepublique I τοῦ ἐναντίου (335 d) τοῦ ἐναντίου (335 d) τοῦ ἐναντίου (335 d) τοῦ ἐναντίου (335

d) τοῖς ἐναντίοις (348 e) τοῦ ἐναντίου (350 b) τῷ ἐναντίῳ (352 a) III τὰ ἐναντία (395 e) τῶν ἐναντίων (397 c) τοῖς ἐναντίοις (400 b) τοῦ ἐναντίου (401 a) IV τῶν ἐναντίων (437 b) τῶν ἐναντίων (437 b) V τὰ ἐναντία (454 e) τοῦ ἐναντίου (472 c) VII τὸ ἐναντίον (523 c) τοῖς ἐναντίοις (524 d) IX τῷ ἐναντίῳ (580 b ) X τῷ ἐναντίῳ (605 d)

Sophiste τῶν ἐναντίων (247 a) τῶν ἐναντίων (247 b) τοῦ ἐναντίου (255 b)Theacuteeacutetegravete τοῦ ἐναντίου (189 d)Timeacutee τὰ ἐναντία (39 b) τοῖς ἐναντίοις (46 b) τῶν ἐναντίων (50 a)

Deux remarques 1 Dans les premiers dialogues ou plus preacuteciseacutement dans le

contexte de reacutefutation le substantif ne signife pas le contraire mais plutocirct la

307

contradiction1 laquo car il est clair que celui qui maccuse se contredit lui-mecircme (τὰ

ἐναντία λέγειν αὐτὸς ἑαυτῷ) dans laction quil a intenteacutee raquo2 En revanche dans le

contexte de la dialectique le substantif veux dire le contraire laquo Les choses contraires

agrave partir de rien dautre que de leurs contraires mdash cela vaut pour tout ce qui se trouve

entrer dans une relation de ce genre par exemple le beau je pense est le contraire

du laid le juste de linjuste et il y a des milliers dexemples semblables raquo3 2 Dans la

reacutefutation τὸ ἐναντίον (la contradiction) nest pas une meacutethode mais plutocirct une

affrmation car le but de la reacutefutation consiste agrave chercher une unique reacuteponse et non

une contradiction qui est en reacutealiteacute le reacutesultat de cette recherche Tandis que dans la

dialectique τὸ ἐναντίον (le contraire) est un principe dialectique

VI333 Principe de la division

Diviser une chose permet y voir plus clair Mais il y a un grand nombre de faccedilons de

diviser une chose agrave connaicirctre cest la raison pour laquelle un principe est neacutecessaire

pour que la division sopegravere afn de connaicirctre mieux ce qui est Voici ce principe

diviser la chose en question en deux choses contraires signife que la chose agrave diviser

nest pas une chose sensible Ce principe est bien illustreacute dans le Philegravebe laquo Divisons

en deux la totaliteacute des choses qui existent actuellement dans lunivers raquo4 en deux

choses contraires agrave savoir la limite (τὸ περας) et lillimiteacute (τὸ ἄπειρον) 5 Or laquo cest agrave

partir de leurs contraires que viennent agrave exister les choses contraires raquo6 cela eacutetant il

existe neacutecessairement une troisiegraveme chose qui est un meacutelange (σύμμειξις) de deux

contraires car sans elle il ne peut y avoir laquo les choses contraires viennent agrave exister agrave

partir de leurs contraires raquo Par exemple un bien vient agrave exister agrave partir de son

contraire non pas que le bien vienne agrave exister agrave partir de son contraire le mal si

ceacutetait le cas il naurait plus du mal dans le monde mais quelque chose qui eacutetait un

mal devient maintenant un bien Cest pourquoi dans le Phlegravebe le meacutelange est

synonyme de γίγνεσθαι (devenir) Or devenir a neacutecessairement une cause (αἰτία)

entre la limite et lillimiteacute la cause de devenir est la mesure ou la deacutemesure

Agrave premiegravere vue ce principe de la division paraicirct simple diviser une chose en deux

choses contraires chercher une reacutealiteacute qui devient entre ces deux choses contraires et

1 Il sagit dun couple de choses sensibles noir et blanc par exemple le substantif veut dire lopposition et non le contraire

2 Apologie 27 a3 Pheacutedon 70 e ndash 71 a4 Philegravebe 23 c laquo πάντα τὰ νῦν ὄντα ἐν τῷ παντὶ διχῇ διαλάβωμεν raquo5 Ibid6 Pheacutedon 71 a

308

eacutetablir la cause qui la pousse vers lune des deux choses contraires Mais en reacutealiteacute

lapplication de ce principe est diffcile Par exemple est-ce que le plaisir et la douleur

sont contraires Supposons que la reacuteponse soit oui quelle est cette troisiegraveme chose

qui est un meacutelange des plaisirs et des douleurs Le quatriegraveme paraicirct encore plus

diffcile agrave savoir la cause Par exemple quelle est la cause de la jalousie Dans le

contexte de la mondialisation afn de mieux comprendre ce monde et de mieux

preacuteparer le deacutef une question se pose quelles sont les deux choses contraires que

lon peut obtenir en divisant ce monde en deux Quelle est la chose qui pourrait ecirctre

le meacutelange de ces deux choses contraires Et quelle est la cause qui peut bien

engendrer un mouvement de ce meacutelange vers lune ou vers lautre On peut

constater quune telle division et lanalyse pertinente ne se font pas en quelques

minutes Si lon ne preacutepare pas ces questions depuis longtemps dans un dialogue un

tel sujet peut deacutesorienter ou mecircme rendre ridicule la discussion Tout cela semble

montrer que la dialectique est tregraves diffcile Dailleurs il y a plusieurs faccedilons de

diviser une chose horizontale et verticale ou un meacutelange de deux dans la premiegravere

partie du Politique la division est horizontale dans le second discours de Socrate du

Phegravedre la division des ecirctres humains est verticale dans le Philegravebe Socrate compte sept

douleurs principales de lacircme agrave savoir la colegravere la peur le regret le chant de deuil

lamour (ἔρως) lenvie (ζῆλος) la jalousie1 Il semble quil sagisse dune division

meacutelangeacutee dailleurs une douleur (λύπη) de lacircme nest pas toujours mauvaise par

exemple lamour paraicirct tantocirct bonne tantocirct mauvaise cela deacutepend de gens de leur

nature et leur culture tandis que la jalousie est absolument mauvaise

VI4 Conclusion

Le chapitre intituleacute laquo La dialectique raquo commence par le mythe ensuite la reacutefutation et

termine par la dialectique En effet le mythe sadresse agrave la fonction infeacuterieure de

lacircme il sagit de la fonction deacutesirante et donc irrationnelle cependant la fabrication

du mythe au service de la philosophie relegraveve de la raison cest en ce sens que le

philosophe est un fabricant de mythe il invente ou reacuteinvente interpregravete ou

reacuteinterpregravete des mythes pour persuader la foule De ce point de vue de fabrication le

mythe a une fonction dialectique En fait en tant que repreacutesentation de lintelligible

le mythe a le mecircme statut quune chose sensible qui est une image de lintelligible

Ainsi pour que cette repreacutesentation soit une image vraie de lintelligible il faut

neacutecessairement que le philosophe contemple lintelligible en fabriquant un mythe

1 Philegravebe 47 e

309

(comme le deacutemiurge fxe ses yeux sur les formes intelligibles pour fabriquer

lunivers) On voit bien ici une double opposition entre la fonction sensible agrave qui

sadresse le mythe et la fonction intelligible par laquelle le mythe est fabriqueacute et

entre la foule et le philosophe

Quant agrave la reacutefutation certes elle sadresse agrave la fonction croyante ou Ardente de lacircme

de maniegravere neacutegative mais elle-mecircme relegraveve du domaine de leacutethique En effet laquo pour

Socrate limportant dans la reacutefutation est davantage son effet eacutethique qui peut se

propager dun interlocuteur agrave un autre que la validiteacute de son argumentation

logique raquo1 Or leacutethique est leacutevaluation de la morale ainsi celui qui reacutefute doit ecirctre

neacutecessairement juste courageux tempeacuterant et sage car celui qui pratique la

reacutefutation ne se permet pas decirctre infeacuterieur en terme de vertu agrave ceux qui sont reacutefuteacutes

Cette supeacuterioriteacute eacutethique est contagieuse en ce sens que la reacutefutation est une fonction

dialectique permettant de progresser vers le Bien Ici nous avons aussi une double

opposition dans la reacutefutation agrave savoir entre lopinion et la penseacutee entre les ignorants

cest-agrave-dire ceux qui croient savoir ce quils ne savent pas et ceux qui aspirent au

savoir

La dialectique sadresse agrave la fonction intellective de lacircme Agrave la diffeacuterence du mythe

(dont la fabrication est une science speacutecifque dont lobjet est une image) et de la

reacutefutation (dont la pratique relegraveve dun savoir lui aussi science speacutecifque dont lobjet

est une opinion) la dialectique nest pas une science speacutecifque car son objet la

forme intelligible ne lest pas et y participent toutes les choses particuliegraveres (les

choses sensibles) et speacutecifques (les connaissances speacutecifques) Dailleurs la

dialectique nest ni une fabrication2 ni une destruction (des opinions par la reacutefutation

par exemple) puisque le dialogue dialectique a pour fonction dinciter la

reacuteminiscence afn de ressaisir les reacutealiteacutes veacuteritables que lacircme contemplait jadis

Effectivement agrave propos de cette contemplation persiste une certaine incoheacuterence

entre le mythe et la dialectique Comme nous lavons vu selon les mythes

eschatologiques certaines acircmes en arrivant aux portes de lHadegraves retombent

1 Brisson Luc laquo Une reacutefutation contagieuse Banquet (199 c ndash 201 c et 201 e ndash 203 a) raquo Antiquorumphilosophia V 1 2007 pp 91 ndash 07 p 91

2 Le deacutemiurge est un exemple typique de toutes les fabrications mecircme si lon peut bien supposer que lunivers nait ni commencement ni fn En effet laquo en fabriquant lunivers les yeux fxeacutes sur lesformes intelligibles et notamment sur celle du Vivant-en-en soi (Timeacutee 28 a ndash b 29 a) qui est le modegravele de lunivers le deacutemiurge garantit dans le monde sensible lexistence dune certaine stabiliteacute permettant quon le connaisse et quon en parle raquo (Timeacutee laquo Introduction raquo p 20) cest parce que laquo le mateacuteriau livreacute agrave une causaliteacute meacutecanique laquelle laisseacutee agrave elle-mecircme priveacutee de toute structure matheacutematique raquo (p 16)

310

immeacutediatement dans un autre corps cela suppose quelles nauraient jamais

doccasion de connaicirctre les reacutealiteacutes veacuteritables mais dapregraves la dialectique agrave travers la

reacuteminiscence (notion fondamentale de la dialectique) lacircme avait tout vu les choses

de lHadegraves et celles dici-bas cest-agrave-dire le Bien et les maux Il semble que la

dialectique soit plus rigoureuse et coheacuterente que le mythe

311

Conclusion

Chaque dialogue platonicien est une uniteacute philosophique Cela est deacutejagrave reconnu en

antiquiteacute puisque dans le catalogue de Thrasylle on trouve a deacutejagrave deux titres pour

chaque dialogue laquo le premier dapregraves le nom (de linterlocuteur principal) et le

second dapregraves le sujet raquo1 bien que le sujet ait connu quelques variantes2 En

revanche il est diffcile deacutetablir luniteacute des œuvres de Platon car 1 la seconde partie

du Timeacutee et le Critias les deux mythes pour ainsi dire ne sont pas des dialogue mais

un long reacutecit deacutepourvu de reacutefutation et de dialectique lesquelles ne peuvent se

passer du dialogue De plus en tant que mythe ils sont deacutepourvus de partie

interpreacutetative puisque ni Timeacutee ni Critias ninterpregravetent leur reacutecrit agrave leur propre

nom alors que Socrate le fait agrave chaque fois quil introduit un mythe dans le dialogue

2 la seconde partie du Parmeacutenide naspire pas au savoir cest-agrave-dire agrave la

connaissance de ce qui est puisque laquo ce qui est purement et simplement ecirctre raquo nest

pas possible selon lecirctre parmeacutenidien qui est en fait une reacutealiteacute multiple cest-agrave-dire

sensible 3 les Lois semblent trop speacutecifques pour ne pas dire non universelles3

bien que lon puisse y deacutecouvrir laquo des eacuteleacutements dignes dinteacuterecirct raquo4 Ces trois points

semblent illustrer une diffeacuterence entre Socrate et Platon

Du cocircteacute de Socrate ce quil dit dans les dialogues platoniciens est coheacuterent et luniteacute

se tient5 puisque sa vie durant il na fait quune seule chose agrave savoir philosopher

cest-agrave-dire aspirer ou faire aspirer au savoir ou se soumettre lui-mecircme et les autres agrave

examen afn de rendre meilleure leur acircme Traditionnellement dans les premiers

dialogues Socrate est eacutethique reacutefutatif et deacutepourvu de la connaissance de ce qui est

En revanche dans les dialogues tardifs il est eacutepisteacutemologique dialectique et pourvu

1 Diogegravenes Laeumlrce III 57 ndash 58 laquo Il semble que le premier des titres vient de Platon lui-mecircme Platon renvoie au Sophiste dans le Politique et Aristote cite le titre de huit dialogue raquo (ndeg 3 p 431) En effet le nom est moins important que le sujet puisque le nom deacutesigne une eacutecriture le sujet luniteacute de cette eacutecriture Si le sujet ne vient pas de Platon lui-mecircme cela signife que degraves lantiquiteacute les lecteurs de Platon eacutetaient attentifs agrave luniteacute des dialogues platonicien

2 Cf Phegravedre laquo Introduction raquo ndeg 1 p 63 ndash 463 Chaque citeacute a son histoire sa culture ses mœurs sa langue et autres speacutecifciteacutes ainsi il ne peut y

avoir de citeacutes qui ont des lois identiques En plus la mecircme citeacute na pas les mecircmes lois agrave les diffeacuterents peacuteriodes de son histoire On ne peut pas dire que tout cela eacutechappe agrave Platon

4 Lois laquo Introduction raquo p 14 5 Pour beaucoup une telle uniteacute est illusoire cf Vlastos Gregory Socrate Ironie et philosophie morale

Paris Aubier 1994 Trad par Catherine Dalimier voir particuliegraverement le chapitre II laquo Socrate contre Socrate chez Platon raquo ougrave lauteur identife dix thegravemes pour deacutemontrer quun Socrate de Platon est contre un autre ou mecircme Socrate de Platon

313

de la connaissance des reacutealiteacutes intelligibles En effet une telle distinction de Socrate

est trompeuse voici les trois raisons 1 Dans les premiers dialogues Socrate emploie

souvent la fameuse question laquo quest-ce que x raquo Ainsi on reconnaicirct que la bonne

reacuteponse agrave une telle question concerne neacutecessairement ce qui est universel et

immuable Cela prouve que mecircme dans les premiers dialogues Socrate a bien la

conscience de lexistence des reacutealiteacutes universelles et immuables Toutefois les

situations des dialogues ne lui permettent pas den parler car ses interlocuteurs

preacutetendent les connaicirctre eacutegalement Cest de lagrave que vient la question laquo τί ἐστι raquo cela

permet aussi de montrer que tout au plus leur savoir est une connaissance

particuliegravere et changeante et non universelle et immuable 2 Si la vertu est science

il ne peut y avoir de diffeacuterence eacutepisteacutemologique entre leacutethique et la connaissance de

ce qui est car on ne peut eacutevaluer veacuteritablement la morale sans connaissance de

reacutealiteacutes veacuteritables Cela admis sans cette connaissance cette eacutevaluation ne permet

pas de conduire la morale agrave ecirctre toujours la mecircme le juste est toujours juste quelle

que soit la situation et de mecircme pour le tempeacuterant le courageux et le sage Dailleurs

Platon lui-mecircme dit ceci dans la Lettre VII laquo Socrate mon ami qui eacutetait plus acircgeacute que

moi et dont je pense je ne rougirais pas de dire quil eacutetait lhomme le plus juste de

cette eacutepoque raquo1 Comment un homme peut-il ecirctre toujours le plus juste sans connaicirctre

aucune reacutealiteacute veacuteritable de la justice 3 La reacutefutation et la dialectique sont deux

moyens philosophiques du dialogue Leur diffeacuterence nest en reacutealiteacute quune

apparence puisque le but est le mecircme faire apparaicirctre la veacuteriteacute et rendre lacircme

meilleure En fait les interlocuteurs de Socrate sont diffeacuterents Dun cocircteacute sont ceux

qui simaginent savoir ce quils ne savent pas en reacutealiteacute de lautre cocircteacute sont ceux qui

aiment agrave aspirer au savoir Au fond il ny a pas de laquo Socrate contre Socrate chez

Platon raquo parce que les outils utiliseacutes pour philosopher sont diffeacuterents Socrate

soumet les opinions agrave examen soit par la science avec ceux qui precirctent attentivement

loreille aux discours de veacuteriteacute soit par opinion contre les discours de fausseteacute tenus

par ceux qui preacutetendent ecirctre savants lesquels nont aucune intention de precircter

loreille aux discours de veacuteriteacute La diffeacuterence est apparente car la reacutefutation est une

dialectique par le moyen des opinions et la dialectique est une reacutefutation par le

moyen de la science

Du cocircteacute de Platon les choses se compliquent en raison du fait quil est diffcile de

faire de ses œuvres une uniteacute Une question se pose pourquoi Platon qui sait faire

1 Lettres VII 324 d ndash e

314

dun dialogue une uniteacute de Socrate une uniteacute ne ferait-il pas de ses œuvres une

uniteacute

Premiegraverement luniteacute des dialogues ougrave Socrate est le meneur de jeu est eacutevidente

cette uniteacute cest la philosophie qui a deux objets contraires agrave savoir lignorance qui

fait lobjet de la reacutefutation et la science qui fait lobjet de la dialectique Il y a encore

un troisiegraveme objet qui est un meacutelange de ces deux objets contraires agrave savoir la

croyance qui fait lobjet de la persuasion pour laquelle le mythe est effcace Le

personnage de Socrate dans les dialogues platoniciens incarne ainsi parfaitement la

philosophie en maicirctrisant avec perfection la reacutefutation contre lignorance la

dialectique pour aspirer au savoir et le mythe pour persuader la foule Ainsi on peut

consideacuterer cette laquo triniteacute raquo socratique comme luniteacute philosophique cest en ce sens

que luniteacute de Socrate selon Platon se tient dans ses dialogues En revanche les autres

personnages jouant le rocircle de meneur de jeu ne semblent pas incarner cette laquo triniteacute raquo

philosophique Cest le cas pour lEacutetranger dAthegravenes dans les Lois pour lEacutetranger

dEacuteleacutee dans le Sophiste et le Politique pour Parmeacutenide dans la seconde partie du

Parmeacutenide pour Timeacutee dans le Timeacutee et pour Critias dans le Critias

Deuxiegravemement si Platon se considegravere comme historien de la penseacutee luniteacute de ses

œuvres tient parfaitement En effet le Critias les Lois le Sophiste la seconde partie du

Parmeacutenide le Politique la seconde partie du Timeacutee repreacutesenteraient six autres

courants de penseacutee Un historien de la penseacutee est neacutecessairement agrave la fois historien

eacutecrivain et penseur Comme historien les dialogues platoniciens sont eacutecrits en simple

reacutecit cest-agrave-dire en son propre nom puisquil en est auteur sans quil ne se fonde agrave

aucun personnage1 Comme eacutecrivain il a un langage authentique facilement

identifable par des lecteurs Comme penseur il comprend les autres penseurs tout

en soulignant quil partage la mecircme philosophie avec Socrate qui prononce deux fois

son nom dans lApologie2 Agrave la diffeacuterence de lApologie ougrave Socrate est au tribunal qui

est un lieu public le Pheacutedon est dans un cadre priveacute Labsence de Platon dans le

Pheacutedon souligneacutee par le narrateur Pheacutedon laquo Platon je crois eacutetait malade raquo3 souligne

la position neutre de lhistorien fdegravele au reacutecit simple En effet ne pas se mecircler au

personnage cest aussi ne pas entrer dans le cadre priveacute du personnage En tout cas

1 Voir la deacutefnition de trois formes de reacutecit agrave savoir le reacutecit simple le reacutecit dimitation et le reacutecit mixtela Reacutepublique III 392 d ndash 394 c

2 Voir Apologie 34 a 38 b3 Voir Pheacutedon 59 b laquo Beaucoup (Brunet Robin Loriaux entre autres) jugent quil ny a pas lieu de

chercher dans cette phrase un sens cacheacute raquo (Pheacutedon laquo Notes raquo ndeg 29 p 319 cf aussi laquo Introduction raquo p 37)

315

chez Platon rien nest hasard plus le deacutetail est insolent plus le sens meacuteriterait decirctre

chercheacute Comme chez les grands peintres les deacutetails sont souvent reacuteveacutelateurs par

exemple le tableau Mars et Veacutenus surpris par Vulcain de Tintoret devient une peinture

morale justement par un effet de deacutetails1 Mais en dehors des dialogues platoniciens

comment expliquer quil ny a pas ou peu de trace de ces six courants de penseacutee En

effet la transmission est seacutelective Dans le mecircme domaine plus leacutecart de porteacutee des

œuvres dauteur est grand plus les auteurs eacutelimineacutes dans la transmission sont

nombreux Les œuvres de Platon constituent une valeur incomparable cette valeur

mecircme devient le critegravere seacutelectif de la transmission Dailleurs en dehors des œuvres

de Platon et dAristote les penseurs anteacuterieurs agrave Socrate laissent peu ou pas

dheacuteritage Par exemple en dehors de certains dialogues platoniciens2 on ne connaicirct

presque rien le ceacutelegravebre sophiste Protagoras Agrave vrai dire cest Platon qui le rend

ceacutelegravebre

Troisiegravemement une fois accepteacute le fait de consideacuterer Socrate comme porte-parole de

Platon on devrait admettre eacutegalement comme porte-paroles de Platon Timeacutee Critias

Parmeacutenide lEacutetranger dAthegravene lEacutetranger dEacuteleacutee dans le Politique et le Sophiste

puisque comme Socrate ils sont aussi meneurs de jeu dans les dialogues respectifs

Dans ce cas-lagrave une question se pose pour quelle raison Platon changeait-il autant de

porte-paroles pourquoi Platon repris-il Socrate comme porte-parole dans le Philegravebe

alors quil ne leacutetait plus depuis le Sophiste et le Politique Une chose est certaine

Parmeacutenide dans la seconde partie du dialogue qui porte son nom ne peut ecirctre porte-

parole de Platon puisque Parmeacutenide ne comprend pas la chose en soi En effet le

cercle en soi (αὐτὸς ὁ κύκλος) dont Platon parle dans la Lettre VII3 nest pas

concevable pour Parmeacutenide4 Dailleurs il ne peut ecirctre porte-parole de Platon cest

parce que Parmeacutenide est un penseur historiquement identifable En conclusion les

personnages principaux des dialogues platoniciens ne sont pas des porte-paroles de

1 Cf le ceacutelegravebre petit livre intituleacute On ny voit rien de Daniel Arasse Paris Denoeumll 20002 Dans le Cratyle lEuthydegraveme lHippias majeur le Meacutenon le Phegravedre le Protagoras le livre X de la

Reacutepublique le Sophiste et le Theacuteeacutetegravete3 Voir Lattre VII 342 b ndash c Cf laquo La Lettre VII de Platon une autobiographie raquo Lectures de Platon La

reacuteponse est oui cest bien une autobiographe de Platon Notons que la Lettre VII est en reacutealiteacute undialogue sous forme de reacutecit de son second voyage en Sicile (352 a) mecircme si les reacutepliques du dialogue qui jalonnent la lettre ne sont pas nombreuses Agrave noter quil est de trouver un dialogue dans une lettre cela montre agrave tel point Platon est attacheacute au dialogue dailleurs lAcadeacutemie estavant tout un lieu de dialogue Cest pourquoi il est diffcile de penser que le monologue de Timeacutee et de Critias est un goucirct de Platon

4 Voir Parmeacutenide 138 a ndash b Le cercle cest-agrave-dire le cercle en soi qui est deacutepourvu de fgure est impossible pour Parmeacutenide car laquo il est impossible de se trouver en quelque chose sans en ecirctre enveloppeacute raquo (138 b) cest-agrave-dire impossible decirctre en soi et par soi

316

Platon particuliegraverement Socrate Ce passage de la Lettre VII peut le confrmer

indirectement

Pourtant il y a au moins une chose que je puis affrmer avec force concernant tous ceux qui ont eacutecrit ou qui eacutecriront eux qui tous se deacuteclarent compeacutetents sur ce qui fait lobjet de mes preacuteoccupations soit quils en aient entendu parler par moi ou par dautres soit quils preacutetendent en avoir fait eux-mecircmes la deacutecouverte ces gens du moins cest mon avis nepeuvent rien comprendre en la matiegravere

Lagrave-dessus en tout cas de moi du moins il ny a aucun ouvrage eacutecrit et il ny en aura mecircme jamais car il sagit lagrave dun savoir qui ne peut absolument pas ecirctre formuleacute de la mecircme faccedilon que les autres savoirs mais qui agrave la suite dune longue familiariteacute avec lactiviteacute en quoi il consiste et lorsquon y a consacreacute sa vie soudain agrave la faccedilon de la lumiegravere qui jaillit dune eacutetincelle qui bondit se produit dans lacircme et saccroit deacutesormais tout seul1

Or justement Socrate passe toute sa vie agrave philosopher Comment une telle vie pure

ne fait-elle pas jaillir la lumiegravere toute seule dans son acircme Au fond Socrate et Platon

font la mecircme chose toute leur vie penser la mecircme chose agrave savoir comment rendre

meilleurs la citeacute et les citoyens Ils font la mecircme chose agrave savoir aspirer au savoir

Mais cela ne doit pas effacer la diffeacuterence entre Socrate et Platon 1 Socrate parle

sans rien eacutecrire Platon eacutecrit sans jamais parler 2 Socrate navait aucune ambition

politique alors que Platon ne sen deacutebarrassait jamais2 Au fond il ny a pas vraiment

de diffeacuterence entre Socrate et Platon car au niveau de lacircme la mecircme lumiegravere jaillit

tous les jours certes soudaine du fond de leur acircme au niveau de la citeacute Socrate

aspire au savoir contre lignorance qui est le plus grand malheur pour sa citeacute alors

que Platon aspire au savoir contre lignorance au-delagrave de son temps et de sa citeacute au

niveau de la dialectique Socrate dialogue nimporte ougrave avec nimporte qui riche ou

pauvre homme ou femme savant ou ignorant alors que Platon dialogue agrave

lAcadeacutemie avec toutes sortes de savants particuliegraverement les matheacutematiciens

Ces trois points soulignent que luniteacute des œuvres de Platon se constitue autour du

statut de Platon comme historien de philosophie En effet la premiegravere vertu dun

historien de philosophie est decirctre juste agrave leacutegard de lhistoire de la penseacutee Agrave la fn de

son testament Platon dit ceci laquo Je ne dois rien agrave personne raquo3 Il est eacutevident que

Platon ne se permet pas de faire dire dans ses œuvres aux principaux personnages

historiquement identifables ce quils navaient jamais penseacute sinon il risquerait de

1 Lettre VII 341 b ndash d Nous soulignons Le titre de la section suivante intituleacute laquo La lumiegravere qui jaillit deacutetincelle raquo est extrait de cette phrase souligneacutee

2 laquo Neacute agrave Athegravenes dans une famille de haute ligneacutee Platon chercha tout naturellement sa vie dutant agrave jouer un rocircle politique non seulement agrave Athegravenes mais aussi agrave leacutetranger et notamment en Sicile raquo (Brisson Luc laquo LAcadeacutemie de Platon premiegravere tentative dinstitutionnalisation du savoir en Gregravece antique raquo Cahiers dEacutetudes Leacutevinassiennes 10 2011 pp 13 ndash 31 p 13 et 14

3 Diogegravene Laeumlrce III 43

317

leur devoir beaucoup En ce sens les deux Eacutetrangers meneurs de jeu dans les Lois le

Politique et le Sophiste1 pourraient deacutesigner Platon lui-mecircme cela est tout agrave fait

possible Dans ce cas-lagrave lEacutetranger (ξένος) ne signife pas citoyen dune autre citeacute

mais prend son sens original celui dun hocircte laquo lieacute par des relations reacuteciproques

daccueil confrmeacutees par des dons ce qui peut lier les descendants raquo2 Les

descendants platoniciens sont dabord les laquo acadeacutemiciens raquo dont il est pegravere ensuite

les autres platoniciens

Consideacuterant Platon comme historien de la philosophie autour de ce statut luniteacute de

ses œuvres peut ecirctre fondeacutee car en tant quhistorien de la penseacutee Platon ne se

permet pas de nommer un meneur de jeu non identifable dans ces trois dialogues

importants3 En fait si vraiment tous ces meneurs de jeu des dialogues platoniciens

sont les fdegraveles porte-paroles de Platon cela signife que tous ces jaillissements

deacutetincelle humaine relegravevent du seul geacutenie de Platon dans ces conditions non pas

que lhistoire soit trop belle pour ecirctre vraie mais que le terme laquo histoire raquo nait plus

aucun sens

Pour que la lumiegravere jaillisse deacutetincelles qui bondissent du fond de lacircme il faut

dabord avoir une bonne meacutemoire Cest la raison pour laquelle pour Socrate comme

pour Platon la meacutemoire (μνήμη) la faciliteacute dapprendre (εὐμάθεια) et la grandeur

de lacircme sont eacutetroitement lieacutees4 Voici la raison

Ou bien nest-ce rien de tout cela mais plutocirct le cerveau il nous procure les sensations (αἰσθήσεις) auditives visuelles olfactives desquelles naissent meacutemoire (μνήμη) et opinion (δόξα) puis quand la meacutemoire et lopinion ont acquis de la stabiliteacute (τὸ ἠρεμεῖν) elles donnent en vertu de cette mecircme stabiliteacute naissance agrave du savoir (ἐπιστήμην)5

Ce passage souligne le rapport intrinsegraveque entre la meacutemoire et la science (ἐπιστήμη)

En effet la meacutemoire est un embryon de connaissance sans lequel aucune naissance

de la science nest possible De lagrave naicirct la pertinence de la critique de leacutecriture

puisque leacutecriture est une externalisation de la meacutemoire La diffeacuterence entre la

meacutemoire et leacutecriture reacuteside dans ceci leacutecriture est lineacuteaire statique et passive alors

1 Puisque lEacutetranger du Politique et celui du Sophiste sont le mecircme agrave savoir lEacutetranger dEacuteleacutee2 Chantraine Pierre Dictionnaire eacutetymologique de la langue grecque histoire des mots Paris Klincksieck

1990 lentreacutee laquo ξένος raquo3 Certes le personnage de Timeacutee nest historiquement pas identifable nous ne le connaissons que

par une courte preacutesentation de Timeacutee par Socrate (Timeacutee 20 a cf aussi Critias laquo Introduction raquo p 334 ndash 335) Il est un philosophe originaire de la citeacute de Locres en Italie du sud laquo eacuteleveacute au sommet de la philosophie en son ensemble raquo (quelque peu une ironie socratique)

4 Voir Lettre VII 344 a Lois IV 709 e 710 c Meacutenon 88 a Reacutepublique VI 494 b5 Pheacutedon 96 b Pour mieux comprendre ce passage voir Philegravebe 33 e ndash 35 d

318

que la meacutemoire est un reacuteseau parallegravele extrecircmement complexe dynamique et

spontaneacute elle est en quelque sorte lacircme corporelle Le problegraveme fondamental de la

meacutemoire externe cest-agrave-dire leacutecriture est que ce quelle sauvegarde est incapable de

venir agrave se stabiliser de plus en plus puisquelle est fgeacutee son lien avec lacircme est

coupeacute rendant ainsi impossible loubli les souvenirs1 de sinterroger dapprendre

de nouveau et agrave nouveau de la reacuteminiscence En dautres termes sans la meacutemoire ce

processus de la naissance dune connaissance stable ne peut ecirctre possible

1 La meacutemoire (μνήμη) signife agrave la fois la faculteacute de sauvegarder de se souvenir de se remeacutemorer et lobjet de cette faculteacuteVoir particuliegraverement Philegravebe 33 e ndash 34 c Cf Dictionnaire Platon Ellipses lentreacutee laquo Meacutemoire μνήμη raquo

319

Annexe σῶμα ψυχή

Les dialogue de jeunesseApologie

[3 ψυχή] 29 e 30 b 40 c [1 σῶμα] 30 a Criton [0 ψυχή] [4 σῶμα] 47 c 47 e 47 e 47 e Hippias mineur [15 ψυχή] 364 a 372 e 373 a 375 a 375 a 375 a 375 a 375 b 375 c 375 e 375 e 375 e 376 a 376 b 376 b [11 σῶμα] 364 a 364 a 368 b 373 a 374 a 374 a 374 b 374 b 374 b 374 c 375 b Hippias majeur [2 ψυχή] 296 d 300 c [3 σῶμα] 295 c 296 e 301 b Ion

[5 ψυχή] 534 a 535 a 535 c 536 a 536 b [1 σῶμα] 530 b Alcibiade [22 ψυχή] 104 a 117 b 120 b 123 e 130 a 130 a 130 c 130 c 130 d 130 d 130 d 130 e 130 e 131 c 131 d 132 c 133 b 133 b 133 b 133 c 133 c 133 c [22 σῶμα] 104 a 126 a 128 a 128 c 128 c 128 d 129 e 129 e 129 e 130 a 130 a 130 b 130 b 130 c 131 a 131 b 131 b 131 c 131 c 131 d 132 c 135 a Lachegraves

[6 ψυχή] 185 e 185 e 186 a 186 a 190 b 192 b [1 σῶμα] 181 e Protagoras

[15 ψυχή] 312 b 312 c 313 a 313 a 313 b 313 c 313 c 313 e 313 e 314 b 326 b 329 c 337 b 351 b 356e [13 σῶμα] 313 a 313 a 313 c 313 d 314 a 326 b 326 c 334 b 334 c 337 c 351 a 352 a 354 b Meacutenexegravene [1 ψυχή] 235 a [2 σῶμα] 240 e 246 e Euthyphron [0 ψυχή] [0 σῶμα]Gorgias

[72 ψυχή] 453 a 463 a 464 a 464 a 464 a 464 b 464 c 465 c 465 e 477 a 477 a 477 b 477 c 477 c 477 c 477 e 477 e 478 d 478 d 479 b 480 b 485 e 486 d 486 d 486 e 487 a 491 b 493 a 493 b 493 c 493 c 496 e 501 b 501 b 501 b 501 c 501 d 503 a 504 b 504 c 504 d 504 d 504 e 505 b 505 b 505 b 506 d 506 e 507 a 511 a 511 d 512 a 512 a 513 c 513 d 513 e 517 d 518 a 522 e 523 c 523 d 523 e 523 e 524 b 524 d 524 d 524 d 524 e 524 e 525 a 525 a 526 d [70 σῶμα] 450 a 452 b 456 d 464 a 464 a 464 a 464 b 464 b 464 c 464 d 465 c 465 d 465 e 474 d 474 d 474 d 477 b 477 c 478 a 478 c 478 d 479 a 479 b 479 b 489 c 490 c 493 a 495 e 496 e 499 d 499 d 499 d 501 c 504 a 504 a 504 b 504 b 504 c 504 c 504 e 505 a 506 d 508 e 511 d 512 a 512 a 512 a 513 d 513 e 514 d 514 e 517 d 517 d 517 d 517 e 517 e 518 a 518 a 518 b 518 b 518 c 523 c

321

523 d 524 b 524 b 524 c 524 c 524 c 524 d 524 d Charmide [11 ψυχή] 154 e 156 e 156 e 157 a 157 a 157 b 157 c 160 a 160 a 160 b 175 d [12 σῶμα] 156 c 156 c 156 e 156 e 156 e 157 a 157 b 159 c 159 d 159 d 160 b 173 b Meacutenon [19 ψυχή] 80 b 81 b 81 b 81 c 81 d 86 a 86 b 86 b 87 b 88 a 88 c 88 c 88 c 88 d 88 d 88 e 88 e 88 e 98 a [0 σῶμα] Lysis [4 ψυχή] 218 b 220 c 222 a 222 a [8 σῶμα] 209 a 217 a 217 b 217 b 217 b 218 c 219 a 220 c Euthydegraveme [8 ψυχή] 287 d 287 d 287 d 295 b 295 e 302 a 302 e 302 e [3 σῶμα] 271 d 271 d 279 b

Les dialogue de maturiteacuteCratyle [33 ψυχή] 396 d 399 d 399 d 400 a 400 a 400 c 400 c 400 c 400 c 403 b 404 a 405 b 411 e 412 a 412 b 415 b 415 c 415 c 415 c 415 d 417 a 419 c 419 d 419 d 419 e 419 e 420 a 420 b 420 c 432 c 437 a 437 b 440 c [16 σῶμα] 399 d 399 d 399 e 400 a 400 b 403 b 403 e 404 a 404 a 405 b 419 c 419 c 422 e 423 a423 a 423 b Banquet

[24 ψυχή] 179 c 181 b 181 e 182 d 183 e 186 a 192 c 195 e 195 e 196 a 196 b 206 b 206 c 207 e 209 a 209 a 209 a 209 b 209 b 210 b 210 b 215 e 218 a 218 a [32 σῶμα] 181 b 181 e 183 e 183 e 186 a 186 b 186 b 186 c 186 c 186 c 186 d 189 a 196 b 206 b 206 c 207 e 207 e 208 b 208 e 209 a 209 b 210 a 210 a 210 b 210 b 210 b 210 b 210 b 210 c 211 a 211 c 211 c Pheacutedon [138 ψυχή] 64 c 64 c 64 c 64 e 65 a 65 b 65 c 66 a 66 b 66 e 67 a 67 c 67 d 67 d 67 e 70 a 70 b 70 c 70 d 71 e 72 a 72 d 73 a 73 a 76 c 76 c 76 e 76 e 77 a 77 b 77 b 77 c 77 d 78 b 78 b 79 b 79 b 79 b 79 b 79 c 79 e 79 e 79 e 80 a 80 a 80 b 80 b 80 d 80 d 81 c 81 c 81 d 81 d 82 d 82 e 83 a 83 b 83 c 83 d 84 a 86 b 86 c 86 c 86 c 86 d 87 a 87 a 87 d 87 d 87 d 87 e 87 e 87 e 88 a 88 a 88 a 88 b 88 b 88 b 88 d 88 d 90 e 91 c 91 d 91 d 91 d 92 a 92 a 92 b 92 c 92 d 92 e 93 b 93 b 93 b 93 b 93 c93 c 93 d 93 d 93 d 93 e 94 a 94 a 94 a 94 a 94 a 94 a 94 b 94 b 94 c 94 e 95 b 95 c 95 c 99 e 100 b 105 c 105 d 105 d 105 e 105 e 106 b 106 c 106 e 106 e 107 a 107 c 107 c 107 d 108 a 108 b 113 a 114 d 114 d 114 d 114 e 115 e [104 σῶμα] 64 c 64 c 64 c 64 d 64 d 64 e 65 a 65 a 65 a 65 b 65 b 65 c 65 d 65 d 65 e 66 a 66 b 66 b 66 c 66 d 66 e 67 a 67 a 67 a 67 c 67 c 67 d 67 d 67 d 67 e 68 c 70 a 70 a 76 c 77 b 77 d 79 b 79 b 79 b 79 c 79 c 79 c 79 e 80 a 80 a 80 b 80 b 80 c 80 c 80 c 80 d 80 d 80 e 81 b 81 b 81 c 81 e 82 c 82 d 82 e 83 d 83 d 83 d 83 d 83 d 83 e 84 b 86 a 86 b 86 c 86 c 86 d 87 a 87 d 87 d 87 d 87d 87 e 88 b 88 b 91 d 91 d 91 d 91 d 91 d 92 a 92 a 92 b 92 d 94 b 94 c 94 e 95 d 95 d 98 c 105 b 105 c 105 c 107 c 108 a 114 c 114 e 115 e 115 e Reacutepublique I[10 ψυχή] 330 e 345 b 353 d 353 d 353 d 353 d 353 e 353 e 353 e 353 e [8 σῶμα] 328 d 332 c 338 c 341 e 341 e 341 e 342 c 342 d Reacutepublique II [14 ψυχή] 358 b 365 a 366 c 366 e 366 e 375 b 375 b 376 e 377 b 377 c 381 a 382 b 382 b 382 b [8 σῶμα] 366 c 369 d 371 c 371 e 375 b 376 e 377 c 380 e

322

Reacutepublique III [29 ψυχή] 386 d 387 a 400 d 401 c 401 d 401 e 402 d 402 d 403 d 403 d 404 e 408 e 409 a 409 a 409 a 409 b 409 c 410 a 410 a 410 c 410 c 411 a 411 a 411 b 411 d 411 e 412 a 415 b 416 e [25 σῶμα] 389 c 395 d 401 a 402 d 403 d 403 d 403 d 404 c 404 d 404 e 406 e 407 b 407 c 407 c 407 d 408 d 408 e 408 e 408 e 409 a 410 a 410 a 410 c 411 c 411 e Reacutepublique IV [25 ψυχή] 431 a 435 c 435 c 436 b 437 c 437 d 439 a 439 c 439 d 439 e 440 e 440 e 441 a 441 c 441 e 442 a 442 b 442 e 443 d 444 b 444 c 444 d 444 e 445 c 445 d [7 σῶμα] 425 b 442 a 442 b 443 e 444 c 444 d 445 a Reacutepublique V [4 ψυχή] 449 a 454 d 458 a 462 c [9 σῶμα] 455 b 459 c 461 a 462 c 464 b 464 d 464 e 469 d 476 a Reacutepublique VI[20 ψυχή] 484 c 485 d 486 a 486 b 486 d 486 e 490 b 491 a 491 b 491 e 494 b 495 e 496 b 498 b 504 a 505 d 508 d 510 b 511 a 511 d [6 σῶμα] 485 d 491 c 494 b 495 d 496 c 498 b Reacutepublique VII [34 ψυχή] 517 b 517 c 518 a 518 c 518 c 518 c 518 d 519 b 521 c 521 d 523 d 524 a 524 a 524 b 524 b 524 e 525 c 525 d 526 b 526 e 527 b 527 d 529 a 529 b 529 c 530 c 532 c 533 d 533 e 535 b 535 e 536 e 538 d 540 a [12 σῶμα] 518 c 518 d 521 e 525 d 530 b 532 c 535 b 535 c 535 d 536 e 536 e 539 d Reacutepublique VIII [14 ψυχή] 544 e 545 c 546 a 547 b 550 b 553 c 554 e 556 c 559 b 560 a 560 b 560 c 560 e 563 d [8 σῶμα] 546 a 556 b 556 e 559 b 564 a 564 b 566 b 567 c Reacutepublique IX [28 ψυχή] 571 c 573 b 573 d 575 d 577 d 577 d 577 e 577 e 578 a 579 b 579 e 580 d 581 a 581 b 583 a 583 c 583 e 584 c 585 b 585 d 585 d 586 e 588 b 590 a 591 b 591 b 591 c 591 d [10 σῶμα] 579 c 579 d 584 c 585 b 585 d 585 d 591 b 591 b 591 c 591 d Reacutepublique X [45 ψυχή] 595 a 602 d 602 e 603 a 603 a 603 d 604 c 605 a 605 b 605 b 605 b 606 d 608 d 609 b 609 c 609 d 610 a 610 a 610 a 610 b 610 c 610 c 610 c 610 e 610 e 611 b 611 b 611 b 611 d 612 b 612 c 614 b 614 d 618 b 618 d 618 d 618 d 619 d 620 a 620 a 620 b 620 b 620 d 621 c 621 c [15 σῶμα] 609 a 609 c 609 c 609 c 609 d 609 e 609 e 609 e 610 a 610 a 610 b 610 b 611 c 611 d 621b Phegravedre [55 ψυχή] 241 c 242 c 245 a 245 c 245 c 245 e 245 e 246 a 246 a 246 b 246 c 246 d 246 d 246 d 246 e 247 b 247 c 247 d 248 a 248 b 248 c 248 c 248 e 249 b 249 c 249 e 250 b 251 b 251 c 251 d 252 e 253 a 253 c 253 e 254 c 254 e 255 c 255 d 256 b 256 c 257 a 270 b 270 c 270 e 271 a 271 b 271 c 271 d 275 a 276 a 276 e 277 b 277 c 278 a 278 b [22 σῶμα] 232 e 238 c 239 c 239 d 241 c 245 e 246 c 246 c 246 d 246 d 248 d 250 c 250 d 251 a256 d 258 e 264 c 266 a 268 a 270 b 270 c 271 a Parmeacutenide [2 ψυχή] 132 a 132 b [0 σῶμα]Theacuteeacutetegravete [35 ψυχή] 145 b 150 b 150 d 153 b 153 c 155 b 158 d 167 b 172 e 173 a 173 a 175 b 175 d 180 b 184 d 185 d 185 e 185 e 186 a 186 b 186 c 187 a 189 e 190 c 191 c 192 a 194 c 194 c 197 d 197 d 198 b 199 d 199 e 200 c 202 c [11 σῶμα] 145 a 150 b 153 b 153 c 167 b 173 e 184 e 184 e 185 d 185 e 186 c

Les dialogue de vieillesse

323

Sophiste [36 ψυχή] 223 e 223 e 224 a 227 c 227 c 227 d 227 d 227 d 228 b 228 b 228 c 228 d 228 d 228 d 228 e 230 c 231 b 231 d 231 e 240 d 243 c 246 e 247 a 247 b 247 b 248 a 248 d 248 e 249 a 249 a 250 b 254 a 263 d 263 e 264 a 264 a [26 σῶμα] 219 a 220 e 223 e 225 a 225 a 226 e 226 e 227 a 227 b 227 c 228 a 228 e 230 c 230 c 246 b 246 b 246 b 246 c 246 e 247 b 247 b 247 c 247 d 248 a 265 c 267 a Politique [13 ψυχή] 258 c 259 c 270 e 272 e 278 c 286 a 301 e 306 d 307 c 309 c 309 c 309 d 310 d [19 σῶμα] 258 e 259 c 269 d 269 e 270 e 270 e 270 e 273 e 288 d 288 e 288 e 288 e 293 b 294 d 294 e 294 e 301 e 306 c 306 e Philegravebe [48 ψυχή] 11 d 26 b 30 a 30 b 30 c 30 d 32 b 32 c 33 c 33 d 33 d 33 e 34 a 34 b 34 c 35 b 35 d 36 a 38 e 39 a 39 b 39 b 39 d 40 c 41 c 41 c 45 e 46 c 46 c 46 c 47 c 47 d 47 d 47 e 48 a 48 b 48 e 50a 50 d 50 d 51 a 52 c 55 b 55 b 58 d 63 d 66 b 66 c [44 σῶμα] 17 d 21 c 29 a 29 d 29 e 29 e 29 e 30 a 30 a 30 b 32 c 33 d 33 d 33 e 34 a 34 b 34 b 34 c 35 b 35 c 35 d 36 a 39 d 41 c 41 c 41 c 42 d 42 e 45 a 45 b 45 e 46 b 46 c 46 c 47 c 47 c 47 d 48 e 50 d 50 d 51 a 52 c 55 b 64 b Timeacutee [67 ψυχή] 18 a 22 b 30 b 30 b 30 b 34 b 34 b 34 c 36 d 37 a 37 b 37 c 41 d 41 d 42 d 43 a 43 c 43 d 44 a 44 a 44 c 45 b 45 d 46 d 47 d 47 d 60 a 61 c 61 d 65 a 67 b 69 c 69 c 69 e 70 a 70 d 71 d72 d 73 b 73 c 73 d 73 d 75 a 77 b 81 d 85 e 86 b 86 b 86 b 86 d 86 d 86 e 87 a 87 a 87 a 87 d 87 d 87 e 88 b 88 b 88 b 88 c 89 e 90 a 90 a 91 e 92 b [150 σῶμα] 19 b 28 b 30 b 31 b 32 a 32 c 33 a 34 a 34 b 34 b 34 b 34 c 35 a 35 a 36 e 38 c 38 e 42 a 42 a 42 d 43 a 43 a 43 c 43 c 44 b 44 c 44 d 44 d 44 e 45 a 45 b 45 c 45 d 46 d 50 b 51 c 51 d 53 c 53 c 53 d 53 e 53 e 53 e 54 b 55 a 55 c 55 e 56 a 56 d 56 e 56 e 57 c 60 a 60 b 60 e 61 a 61 b 61 c 61 d 61 d 62 a 62 a 62 c 64 a 64 a 64 d 64 e 65 b 65 b 67 c 69 c 69 c 69 e 70 b 70 d 70 e 72 c 72 d 72 e 73 a 73 b 73 d 74 b 74 c 74 c 74 e 75 c 75 e 77 c 77 d 77 e 77 e 77 e 78 d 78 d 78 e 79 a 79 c 79 c 79 d 80 d 80 e 80 e 82 a 83 a 83 a 83 b 83 e 84 b 84 c 84 d 84 d 84 e 85 a 85 a 85 b 85 c 85 e 85 e 86 a 86 a 86 b 86 b 86 d 86 d 86 e 86 e 86 e 87 c 87 d 87 e 88 a 88 a 88 b 88 b 88 b 88 c 88 c 88 d 88 d 88 d 88 e 88 e 89 a 89 a 89 d 90 a 90 b 91 c 92 a Critias [2 ψυχή] 109 c 112 e [7 σῶμα] 107 b 107 d 109 b 109 c 111 b 111 b 112 e Lois I [11 ψυχή] 631 c 632 a 635 d 643 d 645 e 646 b 649 b 649 e 650 a 650 a 650 b [9 σῶμα] 628 d 628 d 631 c 636 a 636 a 636 a 646 b 646 c 646 d Lois II [17 ψυχή] 653 a 653 b 654 e 655 b 655 d 659 d 659 e 659 e 663 c 664 a 664 b 666 a 666 c 671 b 672 b 672 d 673 a [14 σῶμα] 653 d 654 c 654 d 655 b 656 a 659 e 664 e 666 a 668 d 668 d 672 d 672 e 673 a 673 a Lois III [10 ψυχή] 687 c 689 a 689 b 689 b 689 d 691 c 691 c 692 b 696 d 697 b [4 σῶμα] 684 c 684 c 691 c 697 b Lois IV [8 ψυχή] 705 a 710 a 714 a 716 a 716 e 717 c 718 d 724 a [3 σῶμα] 716 a 717 c 724 a Lois V [21 ψυχή] 727 b 727 b 727 d 727 d 727 d 727 e 728 a 728 b 728 c 728 e 731 b 731 c 731 d 734 d

324

735 b 743 d 743 e 747 b 747 e [10 σῶμα] 727 d 728 d 728 d 734 d 735 b 735 c 743 d 743 e 744 c 747 e Lois VI [6 ψυχή] 770 d 775 d 775 d 776 e 777 a 778 e [5 σῶμα] 761 d 775 c 775 d 775 d 775 d Lois VII [28 ψυχή] 788 c 790 c 790 c 790 e 791 a 791 b 791 c 791 c 792 b 793 e 797 e 798 a 798 b 800 d 801 e 803 a 807 c 807 d 808 b 808 c 812 c 812 c 814 e 814 e 815 b 816 d 823 d 824 a [33 σῶμα] 788 c 788 d 789 a 789 a 789 c 789 d 789 d 790 c 790 c 795 d 795 e 796 d 797 b 797 d 797 e 801 e 802 a 807 c 807 d 808 b 813 a 813 d 814 c 814 e 814 e 814 e 815 a 815 b 815 e 816 a 816 d 816 d 824 a Lois VIII [14 ψυχή] 828 d 830 d 831 c 832 a 835 c 836 d 837 c 837 c 837 c 839 c 840 a 840 b 841 c 844 d [10 σῶμα] 828 d 832 e 837 c 837 c 837 c 837 c 839 e 840 b 841 a 841 c Lois IX [15 ψυχή] 862 c 863 b 863 e 864 a 869 b 870 a 870 b 870 b 870 c 872 a 873 a 873 a 873 e 874 d 881 a [11 σῶμα] 857 d 859 d 865 a 865 b 865 c 865 c 870 b 870 b 870 b 873 a 874 d Lois X [51 ψυχή] 886 b 891 c 891 e 892 a 892 a 892 c 892 c 892 c 893 a 893 a 894 b 895 c 895 e 896 a 896a 896 b 896 c 896 c 896 c 896 c 896 d 896 d 896 d 896 e 897 b 897 b 897 c 898 c 898 c 898 c 898 d 898 d 898 e 898 e 899 a 899 a 899 b 899 b 899 c 900 e 903 d 903 d 904 a 904 b 904 c 904 c 904 d 904 e 906 b 906 b 909 a [29 σῶμα] 889 b 892 a 892 a 892 b 892 c 893 a 896 b 896 c 896 c 896 c 896 c 896 d 896 d 897 a 898 d 898 d 898 e 898 e 898 e 899 a 899 a 899 a 899 b 903 d 904 a 904 d 905 e 906 c 908 a Lois XI[11 ψυχή] 913 b 913 b 919 b 919 d 926 b 927 a 927 b 930 a 933 a 935 a 938 b [6 σῶμα] 916 a 925 e 926 b 933 a 933 a 933 c Lois XII [17 ψυχή] 942 a 942 c 956 a 958 a 959 a 959 a 959 b 960 d 961 d 961 d 963 e 963 e 964 e 966 d 967 b 967 d 968 e [13 σῶμα] 942 e 942 e 956 a 958 e 959 a 959 b 959 b 960 d 962 a 962 a 967 b 967 c 967 d

325

Annexe εἶδος ἰδέα

τὸ εἶδος1 ἰδέα2

Les dialogues de jeunesseHippias majeur [1] 289dProtagoras [1] 352aEuthyphron [1] 6dCharmide [2] 154d 154eLysis [1] 204e

Hippias majeur [1] 297bAlcibiade [1] 119cProtagoras [1] 315eEuthyphron [3] 5d 6d 6eCharmide [3] 157d 158b 175d

Les dialogues de maturiteacuteCratyle [4] 389b 390e 411a 440aBanquet [2] 189e 196aPheacutedon [7] 73d 79b 79d 87a 100b 103e 104cReacutepublique III [2] 402d 406c IV [2] 434d 437c V [3] 454c 475b 477c 511a IX [2] 581e 584c X [2] 597a 597cPhegravedre [3] 259d 263b 266cParmeacutenide [20] 129d 129e 131a 131a 131c 132d 132d 132e 132e 132e 132e 133a 133b 133d 134b 134b 134d 135a 149e 158cTheacuteeacutetegravete [2] 162b 178a

Cratyle [3] 389e 418e 439eBanquet [2] 196a 204cPheacutedon [8] 104b 104d 104d 104d 104e 105d 108d 109bReacutepublique II [4] 369a 380d 380d 380e V [1] 479a VI [6] 486d 505a 507b 507b 507e 508e VII[3] 517c 526e 534c VIII [1] 544c IX [3] 588c 588c 588d X [3] 596b 596b 596bPhegravedre [7] 237d 238a 246a 251a 253b 265d 273eParmeacutenide [7] 132a 132c 133c 134c 135a 135c 157dTheacuteeacutetegravete [7] 184d 187c 203c 203e 204a 205c 205d

Les dialogues de vieillesseSophiste [2] 255e 258dTimeacutee [2] 57c 57d

Sophiste [4] 235d 253d 254a 255ePolitique [6] 258c 262b 289b 291b 307c 308cPhilegravebe [7] 16d 16d 25b 60d 64a 65a 67aTimeacutee [14] 28a 35a 39e 40a 46c 49c 50d 57b58d 59c 60b 70c 71b 77aLois VIII [1] 836d XII [1] 965c

1 La statistique est reacutealiseacutee sur ces huit formes du substantif neutre τὸ εἶδος τοῦ εἴδους τοῦ σἴδεος τῷ εἴδει τὰ εἴδη τὰ εἴδέα τῶν εἰδέων τοῖς εἴδεσι(ν)

2 La statistique est reacutealiseacutee sur ces huit formes du substantif feacuteminin ἰδέα ἰδέαν ἰδέας ἰδέᾳ ἰδέαι ἰδεῶν ἰδέαις

326

Annexe ἀθάνατος ἀθανασία

ἀθάνατος άθανασία

Les dialogues de jeunesseApologie ἀθανάτων (35 a) ἀθάνατοί (41 c) Meacutenexegravene ἀθανάτους (247 d) Gorgias ἀθάνατος (481 a) ἀθανάτωνmiddot (484 b) Meacutenon ἀθάνατον (81 b) ἀθάνατός (81 c)ἀθάνατος (86 b) Euthydegraveme ἀθανάτους (289 b)

Euthydegraveme ἀθανασίᾳ (289 b)

Les dialogues de maturiteacuteCratyle ἀθάνατον (417 c) Banquet ἀθανάτου (202 d) ἀθάνατος (203 e) ἀθάνατον (206 c) ἀθάνατον (206 e) ἀθάνατος (207 d) ἀθάνατον (208 b) ἀθάνατον (208 c) ἀθάνατον (208 d) ἀθανάτου (208 d) ἀθανάτου (208 e) ἀθάνατον (209 d) ἀθανάτῳ (212 a) Pheacutedon ἀθάνατον (73 a) ἀθάνατον (79 d) ἀθανάτῳ (80 b) ἀθάνατά (80 d) ἀθάνατον (81 a) ἀθανάτου (86 b) ἀθάνατόν (88 b) ἀθάνατον (95 c) ἀθάνατον (95 d) ἀθάνατόν (95 e) ἀθάνατον (100 b) ἀθάνατον (105 e) ἀθάνατον (105 e) ἀθάνατον (105 e) ἀθανάτου (106 b) ἀθάνατον (106 b) ἀθανάτου (106 c) ἀθάνατος (106 c) ἀθάνατον (106 d)ἀθάνατόν (106 d) ἀθάνατον (106 e) ἀθάνατος (106 e) ἀθάνατον (106 e) ἀθάνατον (106 e) ἀθάνατος (107 c) ἀθάνατος (107 c) ἀθάνατόν (114 d) Reacutepublique III ἀθανάτοισι (386 d) IX ἀθανάτου (585 c) X ἀθανάτῳ (608 c) ἀθάνατος (608 d) ἀθανάτους (610 c) ἀθάνατον (611 a) ἀθανάτων (611 a) ἀθάνατα (611 a) ἀθάνατον (611 b) ἀθανάτῳ (611 e) ἀθάνατον (621 c) Phegravedre ἀθάνατος (245c) ἀθάνατον (245 c) ἀθανάτου (245 e) ἀθάνατον (246 a) ἀθάνατον (246 b) ἀθάνατον (246 c) ἀθάνατόν (246 d) ἀθάνατοι (247 b) ἀθάνατοι (252 c) ἀθάνατος (258 c) ἀθάνατον (277 a)

Banquet ἀθανασίας (206 e) ἀθανασίας (207 a) ἀθανασίας (208 b) ἀθανασίας (208 b) ἀθανασίαν (208 e) Pheacutedon ἀθανασίαν (95 c) Phegravedre ἀθανασίας (246 a)

Les dialogues de vieillessePolitique ἀθάνατον (273 e) Philegravebe ἀθάνατόν (15 d) Timeacutee ἀθάνατοι (41 b) ἀθανάτοις (41 c) ἀθανάτῳ (41 d) ἀθάνατον (42 e) ἀθανάτου (43 a) ἀθάνατά (69 c) ἀθάνατον (69 c) ἀθάνατα (90 c) ἀθάνατα (92 c) Lois II ἀθάνατον (661 b) ἀθάνατον (661 c) IV ἀθάνατοι (718 e) ἀθάνατον (721 c) X ἀθανάτοις (901 d) ἀθάνατός (906 a) XII ἀθάνατον (959 b) ἀθάνατόν (967 d)

Politique ἀθανασίαν (270 a) Timeacutee ἀθανασίας (90 c) Lois II ἀθανασίας (661 e) IV ἀθανασίας (713 e) ἀθανασίας (721 b) ἀθανασίας (721 c) V ἀθανασίας (739 e)

327

Annexe ἡδονή

Alcibiade [1] 122aBanquet [7] 176e 187e 187e 196c 196c 196c 207eCharmide [1] 167eCritias [3] 115b 116b 117aGorgias [37] 462c 462d 474d 474e 475a 475a 478b 484d 491d 492a 494a 495a 495d 496e 497c

497d 498d 498d 499b 499c 499d 499e 500b 500b 501a 501a 501b 501b 501b 501c 501e 502a 502c 507b 513d 513d 522b

Hippias majeur [23] 297e 298e 298e 299a 299d 299d 299d 299d 299d 299d 299d 299e 299e 300a300a 300b 302b 302c 302d 302d 303e 303e 303e

Lachegraves [3] 191d 191e 192bLois I [33] 631e 633d 633e 633e 633e 634a 634b 634b 634c 635b 635c 635c 635c 635d 635d 635d

636b 636c 636c 636d 636d 636e 637a 637a 637a 643c 644c 645d 647a 647c 647d 649d 649e II [32] 653a 653b 653b 653c 653e 654a 654d 655d 655e 656a 657b 658a 658e 659b 659c 659c 659c 660b 662e 663a 665c 667b 667c 667d 667d 667d 667e 667e 667e 668a 670d 673e III [5] 684c 689a 696c 700d 700e IV [2] 710a 714a V [15] 727c 732e 733a 733b 733b 733b 733c 734a 734a 734a 734a 734b 734b 734c 734c VI [2] 763b 782e VII [19] 788b 792c 792c 792d 792e 793a 798a 798e 802c 802d 813a 814e 815e 815e 815e 816b 816c 819b 823c VIII [5] 836d 838b 840c 841a 843d IX [7] 862d 863b 863d 863e 864b 869e 875b X [4] 886a 888a 902b 908c XI [2] 927b 934a

Lysis [1] 222bPheacutedon [17] 59a 59a 64d 65a 65c 68e 69a 69a 69a 69a 69a 69b 81b 83b 83d 84a 114ePhegravedre [19] 232b 233b 233b 237d 238a 238c 238e 240b 240b 240c 240d 240d 240d 250e 251a

251e 258e 258e 259bPhilegravebe [237] 11b 11b 11e 12a 12a 12a 12b 12c 12d 12e 12e 13a 13a 13b 13b 13c 13c 13c 13c

14a 14b 15e 18e 19b 19c 19d 20a 20b 20c 20c 20e 20e 20e 21a 21b 21c 21e 22a 22d 22d 22e 22e 23a 23b 26b 27c 27d 27e 27e 28a 31a 31a 31b 31b 31c 31d 31e 32a 32a 32a 32b 32b 32c 32c 32d 32d 32e 33a 33c 34c 34c 36c 36c 36e 37a 37b 37c 37c 37d 37d 37e 37e 37e 38a 38a 38a 38b 39d 39d 40a 40b 40c 40c 40d 40e 41a 41a 41c 41d 41d 41e 41e 41e 42a 42a 42b 42b 42c 42c 42d 42e 43b 43c 44b 44c 44c 44d 44d 44e 44e 45a 45b 45b 45c 45c 45d 45e 45e 46a 46a 46b 46c 46c 46d 46d 46e 46e 47a 47a 47a 47b 47c 47c 47c 47d 47d 47e 48a 48a 48b 49a 49c 49d 50a 50a 50a 50a 50b 50d 50e 51a 51a 51d 51d 51d 51e 51e 52a 52b 52c 52c 52d 53b 53b 53c 53c 54c 54d 54d 54d 54e 55a 55b 55c 55c 57a 57b 57b 59d 60a 60b 60c 60c 60d 60e 60e 60e 61c 61d 61d 62d 62e 62e 63a 63a 63a 63b 63c 63d 63d 63d 63e 64c 65a 65b 65c 65c 65c 65c 65d 65d 65d 65d 65e 65e 65e 66a 66c 66c 66d 66e 66e 66e 67a 67a 67a 67b

Politique [2] 286d 288cProtagoras [33] 351d 351e 351e 352b 352d 353a 353a 353c 353d 353d 354a 354b 354c 354c 354c

354c 354d 354d 354e 355a 355a 355b 355c 355c 355d 356a 356a 357a 357c 357c 357c 357d 357e

Reacutepublique I [3] 328d 328d 329a II [3] 357b 364c 365a III [7] 389e 390a 402e 403a 403b 413c 413d IV [10] 420e 429d 430a 430e 431c 431d 436a 439d 442a 442c V [7] 462b 462d 464a 464a 464b 464d 464d VI [9] 485d 493d 503a 503e 505b 505c 505c 506b 509a VII [2] 519b 538d VIII [9] 548b 556c 558d 559c 559d 561a 561a 561b 561c IX [56] 571b 573a 574a 574d 580d 581a 581c 581d 581d 581e 581e 581e 582a 582b 582b 582b 582c 582c 582c 583a 583a 583b 583c 583e 583e 584a 584b 584b 584b 584b 584c 584c 584c 584e 585a 585a 585e 585e 586a 586b 586b 586d 586e 587a 587a 587b 587b 587c 587c 587d 587d 587d 588a 588a 589c 591c X [3] 606b 607a 607c

Sophiste [4] 222e 225d 225d 228bTheacuteeacutetegravete [2] 156b 178dTimeacutee [19] 26b 42a 47d 59d 64a 64c 64d 64e 64e 65a 65a 69d 80b 81d 81e 86b 86c 86c 86d

328

Annexe ἐπιστήμη

Alcibiade [3] ἐπιστήμων (109 a) ἐπιστήμη (125 e) ἐπιστήμην (125 e) Apologie [2] ἐπιστήμην (19 c) ἐπιστήμων (20 b) Banquet [11] ἐπιστήμη (186 c) ἐπιστήμη (187 c) ἐπιστήμη (188 b) ἐπιστήμη (202 a) ἐπιστήμας (208

a) ἐπιστήμης (208 a) ἐπιστήμης (208 a) ἐπιστήμην (208 a) ἐπιστήμας (210 c) ἐπιστήμην (210 d) ἐπιστήμη (211 a)

Charmide [69] ἐπιστήμη (165 c) ἐπιστήμη (165 c) ἐπιστήμη (165 c) ἐπιστήμην (165 d) ἐπιστήμην (165 d) ἐπιστήμη (165 e) ἐπιστήμαις (165 e) ἐπιστήμη (166 a) ἐπιστήμης (166 a) ἐπιστήμη (166 b) ἐπιστήμη (166 c) ἐπιστήμη (166 e) ἐπιστήμη (166 e) ἐπιστήμης (166 e) ἐπιστήμη (167 b) ἐπιστήμη (167 c) ἐπιστήμην (168 a) ἐπιστήμη (168 a) ἐπιστήμη (168 a) ἐπιστήμη (168 b) ἐπιστήμη (168 b) ἐπιστήμης (169 a) ἐπιστήμη (169 a) ἐπιστήμης (169 b) ἐπιστήμην (169 b) ἐπιστήμην (169 b) ἐπιστήμης (169 b) ἐπιστήμην (169 d) ἐπιστήμης (169 d) ἐπιστήμην (169 e) ἐπιστήμη (170 a) ἐπιστήμης (170 a) ἐπιστήμη (170 a) ἐπιστήμη (170 a) ἐπιστήμῃ (170 a) ἐπιστήμῃ (170 b) ἐπιστήμη (170 b) ἐπιστήμην (170 b) ἐπιστήμην (170 b) ἐπιστήμην (170 b) ἐπιστήμῃ (170 b) ἐπιστήμη (170 c) ἐπιστήμην (170 d) ἐπιστήμης (170 e) ἐπιστήμη (171 a) ἐπιστήμην (171 a) ἐπιστήμη (171 a) ἐπιστήμη (171 a) ἐπιστήμη (171 a) ἐπιστήμης (171 c) ἐπιστήμη (171 c) ἐπιστήμην (171 e) ἐπιστήμη (172 a) ἐπιστήμην (172 b) ἐπιστήμην (172 b) ἐπιστήμην (172 c) ἐπιστήμας (173 b) ἐπιστήμην (173 c) ἐπιστήμην (174 c) ἐπιστήμη (174 d) ἐπιστήμη (174 d) ἐπιστήμαις (174 e) ἐπιστήμης (174 e) ἐπιστήμης (174 e) ἐπιστήμη (174 e) ἐπιστήμην (175 b) ἐπιστήμης (175 b) ἐπιστήμῃ (175 b) ἐπιστήμων (175 c)

Cratyle [3] ἐπιστήμην (411 a) ἐπιστήμη (412 a) ἐπιστήμης (417 a) Critias [1] ἐπιστήμην (106 b) Euthydegraveme [42] ἐπιστήμην (273 e) ἐπιστήμην (277 b) ἐπιστήμην (277 b) ἐπιστήμην (277 c)

ἐπιστήμην (277 e) ἐπιστήμην (278 a) ἐπιστήμην (278 a) ἐπιστήμῃ (278 a) ἐπιστήμη (281 a) ἐπιστήμη (281 a) ἐπιστήμη (281 a) ἐπιστήμη (281 b) ἐπιστήμη (281 b) ἐπιστήμη (282 a) ἐπιστήμην (282 e) ἐπιστήμης (288 d) ἐπιστήμην (288 d) ἐπιστήμη (289 a) ἐπιστήμης (289 a) ἐπιστήμη (289 a) ἐπιστήμης (289 b) ἐπιστήμης (289 c) ἐπιστήμην (289 e) ἐπιστήμην (292 b) ἐπιστήμης (292 b) ἐπιστήμην (292 c) ἐπιστήμην (292 d) ἐπιστήμην (292 d) ἐπιστήμη (292 e) ἐπιστήμη (293 a) ἐπιστήμην (293 b) ἐπιστήμων (293 c) ἐπιστήμων (293 c) ἐπιστήμων (293 c) ἐπιστήμων (293 c) ἐπιστήμην (293 d) ἐπιστήμων (293 d) ἐπιστήμην (293 d) ἐπιστήμων (295 b) ἐπιστήμων (295 b) ἐπιστήμων (295 b) ἐπιστήμων (297 a)

Euthyphron [2] ἐπιστήμην (14 c) ἐπιστήμη (14 d) Gorgias [17] ἐπιστήμων (448 b) ἐπιστήμων (448 c) ἐπιστήμων (448 e) ἐπιστήμων (449 c) ἐπιστήμη

(449 d) ἐπιστήμη (450 b) ἐπιστήμην (454 e) ἐπιστήμων (459 b) ἐπιστήμη (460 b) ἐπιστήμην (487 a) ἐπιστήμην (495 c) ἐπιστήμης (495 c) ἐπιστήμης (495 c) ἐπιστήμην (495 c) ἐπιστήμην (495 d) ἐπιστήμη (511 c) ἐπιστήμης (511 c)

Hippias mineur [6] ἐπιστήμων (367 e) ἐπιστήμων (368 d) ἐπιστήμας (375 c) ἐπιστήμη (375 d) ἐπιστήμη (375 e) ἐπιστήμην (375 e)

Ion [6] ἐπιστήμῃ (532 c) ἐπιστήμῃ (536 c) ἐπιστήμη (537 d) ἐπιστήμη (537 e) ἐπιστήμη (538 b)ἐπιστήμῃ (541 e)

Lachegraves [19] ἐπιστήμη (182 c) ἐπιστήμης (184 c) ἐπιστήμην (184 c) ἐπιστήμῃ (184 e) ἐπιστήμην (191 b) ἐπιστήμης (193 b) ἐπιστήμης (193 b) ἐπιστήμη (194 e) ἐπιστήμην (195 a) ἐπιστήμην (196 d) ἐπιστήμην (196 d) ἐπιστήμην (198 c) ἐπιστήμη (198 d) ἐπιστήμην (199 a) ἐπιστήμη (199 a) ἐπιστήμη (199 b) ἐπιστήμη (199 b) ἐπιστήμη (199 c) ἐπιστήμην (200 a)

Lettre VII [5] ἐπιστήμην (342 a) ἐπιστήμη (342 b) ἐπιστήμη (342 c) ἐπιστήμης (342 e) ἐπιστήμην (343 e)

Lois I [2] ἐπιστήμην (639 b) ἐπιστήμην (639 b) III [1] ἐπιστήμαις (689 b) IX [1] ἐπιστήμης (875 c) XI [1] ἐπιστήμων (933 c) XII [1] ἐπιστήμην (968 e)

Meacutenexegravene [1] ἐπιστήμη (246 e) Meacutenon [38] ἐπιστήμην (85 d) ἐπιστήμην (85 d) ἐπιστήμην (85 d) ἐπιστήμων (85 d) ἐπιστήμη (87

b) ἐπιστήμην (87 c) ἐπιστήμη (87 c) ἐπιστήμη (87 c) ἐπιστήμης (87 c) ἐπιστήμης (87 d)ἐπιστήμη (87 d) ἐπιστήμη (87 d) ἐπιστήμην (87 d) ἐπιστήμη (88 b) ἐπιστήμης (88 b)

329

ἐπιστήμη (89 c) ἐπιστήμη (89 d) ἐπιστήμη (89 d) ἐπιστήμη (89 d) ἐπιστήμης (96 e) ἐπιστήμην (97 b) ἐπιστήμης (97 c) ἐπιστήμην (97 c) ἐπιστήμη (97 d) ἐπιστήμη (98 a) ἐπιστήμη (98 a) ἐπιστήμη (98 b) ἐπιστήμη (98 b) ἐπιστήμης (98 c) ἐπιστήμην (98 c) ἐπιστήμην (98 c) ἐπιστήμη (98 d) ἐπιστήμην (99 a) ἐπιστήμη (99 a) ἐπιστήμη (99 a) ἐπιστήμη (99 b) ἐπιστήμην (99 b) ἐπιστήμῃ (99 b)

Parmeacutenide [22] ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 a) ἐπιστήμη (134 b) ἐπιστήμης (134 b) ἐπιστήμης (134 b) ἐπιστήμης (134 c) ἐπιστήμην (134 c) ἐπιστήμης (134 c) ἐπιστήμην (134 c) ἐπιστήμην (134 d) ἐπιστήμη (134 d) ἐπιστήμη (134 e) ἐπιστήμῃ (134 e) ἐπιστήμη (142 a) ἐπιστήμη (155 d) ἐπιστήμην (160 d) ἐπιστήμῃ (160 d) ἐπιστήμη (164 b)

Pheacutedon [20] ἐπιστήμη (73 a) ἐπιστήμη (73 c) ἐπιστήμη (73 c) ἐπιστήμη (73 d) ἐπιστήμην (74 b) ἐπιστήμην (74 c) ἐπιστήμην (75 b) ἐπιστήμην (75 c) ἐπιστήμας (75 d) ἐπιστήμην (75 d) ἐπιστήμης (75 d) ἐπιστήμας (75 e) ἐπιστήμην (75 e) ἐπιστήμην (76 b) ἐπιστήμην (76 c) ἐπιστήμας (76 c) ἐπιστήμης (90 d) ἐπιστήμην (96 b) ἐπιστήμην (97 d) ἐπιστήμων (117 a)

Phegravedre [10] ἐπιστήμης (247 c) ἐπιστήμῃ (247 d) ἐπιστήμην (247 d) ἐπιστήμην (247 e) ἐπιστήμην (268 b) ἐπιστήμην (269 d) ἐπιστήμης (276 a) ἐπιστήμων (276 a) ἐπιστήμας (276 c) ἐπιστήμης (276 e)

Philegravebe [31] ἐπιστήμη (13 e) ἐπιστήμην (14 a) ἐπιστήμῃ (14 a) ἐπιστήμην (19 d) ἐπιστήμης (20 a) ἐπιστήμην (21 b) ἐπιστήμην (21 d) ἐπιστήμην (28 a) ἐπιστήμην (28 c) ἐπιστήμης (38 a) ἐπιστήμης (52 e) ἐπιστήμης (55 c) ἐπιστήμης (55 d) ἐπιστήμης (55 d) ἐπιστήμης (57 b) ἐπιστήμη (57 b) ἐπιστήμας (57 e) ἐπιστήμη (58 c) ἐπιστήμην (58 e) ἐπιστήμη (59 b) ἐπιστήμην (60 d) ἐπιστήμη (61 d) ἐπιστήμης (61 d) ἐπιστήμης (62 a) ἐπιστήμαις (62 b) ἐπιστήμας (62 c) ἐπιστήμας (62 d) ἐπιστήμην (62 d) ἐπιστήμης (65 d) ἐπιστήμας (66 b) ἐπιστήμαις (66 c)

Politique [46] ἐπιστήμας (258 b) ἐπιστήμας (258 c) ἐπιστήμην (258 e) ἐπιστήμας (258 e) ἐπιστήμης (258 e) ἐπιστήμην (259 a) ἐπιστήμη (259 c) ἐπιστήμης (260 a) ἐπιστήμης (261 c) ἐπιστήμην (264 a) ἐπιστήμην (264 d) ἐπιστήμης (265 c) ἐπιστήμης (266 e) ἐπιστήμης (267 a) ἐπιστήμην (267 b) ἐπιστήμην (267 d) ἐπιστήμων (268 b) ἐπιστήμης (277 d) ἐπιστήμης (284 b) ἐπιστήμῃ (288 a) ἐπιστήμης (288 e) ἐπιστήμης (290 c) ἐπιστήμης (292 c) ἐπιστήμην (292 c) ἐπιστήμη (292 d) ἐπιστήμην (292 e) ἐπιστήμην (292 e) ἐπιστήμῃ (293 d) ἐπιστήμην (295 b) ἐπιστήμῃ (295 d) ἐπιστήμην (297 b) ἐπιστήμας (299 d) ἐπιστήμην (300 e) ἐπιστήμης (301 b) ἐπιστήμων (301 b) ἐπιστήμων (301 c) ἐπιστήμης (301 d) ἐπιστήμης (301 e) ἐπιστήμης (303 e) ἐπιστήμην (304 b) ἐπιστήμῃ (304 c) ἐπιστήμῃ (304 d) ἐπιστήμην (305 a) ἐπιστήμας (305 c) ἐπιστήμη (308 c) ἐπιστήμην (309 e)

Protagoras [25] ἐπιστήμων (312 e) ἐπιστήμων (313 e) ἐπιστήμη (330 b) ἐπιστήμης (345 b) ἐπιστήμης (351 a) ἐπιστήμην (352 b) ἐπιστήμης (352 b) ἐπιστήμης (352 b) ἐπιστήμην (352 b) ἐπιστήμης (352 c) ἐπιστήμη (352 c) ἐπιστήμη (352 c) ἐπιστήμην (352 d) ἐπιστήμη (357 a) ἐπιστήμη (357 b) ἐπιστήμη (357 b) ἐπιστήμη (357 b) ἐπιστήμης (357 c) ἐπιστήμης (357 d) ἐπιστήμης (357 d) ἐπιστήμης (357 e) ἐπιστήμη (361 b) ἐπιστήμη (361 b) ἐπιστήμη (361 b) ἐπιστήμην (361 c)

Reacutepublique I [6] ἐπιστήμης (340 e) ἐπιστήμη (342 c) ἐπιστήμης (350 a) ἐπιστήμων (350 a) ἐπιστήμων (350 a) ἐπιστήμων (350 b) II [2] ἐπιστήμην (366 c) ἐπιστήμην (374 d) III [2] ἐπιστήμῃ (409 b) ἐπιστήμην (409 d) IV [22] ἐπιστήμῃ (422 c) ἐπιστήμη (428 b) ἐπιστήμῃ (428 b) ἐπιστήμην (428 b) ἐπιστήμην (428 c) ἐπιστήμη (428 c) ἐπιστήμην (428 d) ἐπιστήμας (428 e) ἐπιστήμῃ (428 e) ἐπιστήμης (429 a) ἐπιστήμας (438 c) ἐπιστήμη (438 c) ἐπιστήμη (438 c) ἐπιστήμην (438 c) ἐπιστήμη (438 c) ἐπιστήμη (438 d) ἐπιστήμη (438 e) ἐπιστήμη (438 e) ἐπιστήμη (438 e) ἐπιστήμην (438 e) ἐπιστήμην (442 c) ἐπιστήμην (443 e) V [12] ἐπιστήμης (477 b) ἐπιστήμης (477 b) ἐπιστήμη (477 b) ἐπιστήμη (477 b) ἐπιστήμην (477 d) ἐπιστήμην (477 e) ἐπιστήμης (477 e) ἐπιστήμη (478 a) ἐπιστήμη (478 a) ἐπιστήμη (478 b) ἐπιστήμην (478 d) ἐπιστήμης (478 d) VI [8] ἐπιστήμης (486 c) ἐπιστήμων (506 b) ἐπιστήμην (506 b) ἐπιστήμης (506 c) ἐπιστήμης (508 e) ἐπιστήμην (508 e) ἐπιστήμην (509 a) ἐπιστήμης (511 c) VII [11] ἐπιστήμης (518 c) ἐπιστήμην (522 a) ἐπιστήμη (522 c) ἐπιστήμη (527 a) ἐπιστήμην (533 c) ἐπιστήμας (533 d) ἐπιστήμηςmdashδιάνοιαν (533 d) ἐπιστήμην (533 e) ἐπιστήμην (534 a) ἐπιστήμῃ (534 c) ἐπιστήμαις (540 a) IX [3] ἐπιστήμης (585 b) ἐπιστήμης (585 c) ἐπιστήμῃ (586 d) X [4] ἐπιστήμην (598 d) ἐπιστήμων (599 b) ἐπιστήμην (602 a) ἐπιστήμην (602 a)

Sophiste [11] ἐπιστήμων (232 a) ἐπιστήμην (233 c) ἐπιστήμας (235 a) ἐπιστήμην (249 c) ἐπιστήμης (253 b) ἐπιστήμης (253 c) ἐπιστήμην (253 c) ἐπιστήμης (253 d) ἐπιστήμη (257 c) ἐπιστήμης (265 c) ἐπιστήμης (267 e)

330

Theacuteeacutetegravete [114] ἐπιστήμης (145 e) ἐπιστήμη (145 e) ἐπιστήμη (145 e) ἐπιστήμη (146 c) ἐπιστήμη (146 d) ἐπιστήμην (146 d) ἐπιστήμην (146 e) ἐπιστήμη (146 e) ἐπιστήμη (146 e) ἐπιστήμην (146 e) ἐπιστήμην (147 b) ἐπιστήμην (147 b) ἐπιστήμην (147 b) ἐπιστήμη (147 b) ἐπιστήμην (147 c) ἐπιστήμης (148 b) ἐπιστήμην (148 c) ἐπιστήμης (148 d) ἐπιστήμας (148 d) ἐπιστήμη (151 d) ἐπιστήμη (151 e) ἐπιστήμη (151 e) ἐπιστήμης (152 a) ἐπιστήμη (152 c) ἐπιστήμην (158 a) ἐπιστήμων (160 d) ἐπιστήμη (160 d) ἐπιστήμην (160 e) ἐπιστήμη (163 a) ἐπιστήμων (163 d) ἐπιστήμων (163 e) ἐπιστήμων (164 a) ἐπιστήμη (164 a) ἐπιστήμων (164 a) ἐπιστήμων (164 b) ἐπιστήμην (164 b) ἐπιστήμη (164 c) ἐπιστήμης (164 d) ἐπιστήμην (165 d) ἐπιστήμη (168 b) ἐπιστήμας (179 c) ἐπιστήμην (179 d) ἐπιστήμη (182 e) ἐπιστήμην (182 e) ἐπιστήμην (182 e) ἐπιστήμη (182 e) ἐπιστήμην (183 c) ἐπιστήμης (184 a) ἐπιστήμης (184 a) ἐπιστήμης (184 b) ἐπιστήμην (184 b) ἐπιστήμων (186 c) ἐπιστήμη (186 d) ἐπιστήμης (186 e) ἐπιστήμη (186 e) ἐπιστήμη (186 e) ἐπιστήμη (187 a) ἐπιστήμη (187 b) ἐπιστήμη (187 b) ἐπιστήμην (187 c) ἐπιστήμης (196 d) ἐπιστήμην (196 d) ἐπιστήμην (196 e) ἐπιστήμης (196 e) ἐπιστήμης (197 b) ἐπιστήμης (197 b) ἐπιστήμην (197 c) ἐπιστήμας (197 e) ἐπιστήμην (197 e) ἐπιστήμη (197 e) ἐπιστήμας (198 b) ἐπιστήμην (198 d) ἐπιστήμην (199 a) ἐπιστήμην (199 b) ἐπιστήμην (199 b) ἐπιστήμην (199 b) ἐπιστήμην (199 d) ἐπιστήμῃ (199 d) ἐπιστήμης (199 d) ἐπιστήμη (199 d) ἐπιστήμας (199 e) ἐπιστήμην (199 e) ἐπιστήμῃ (199 e) ἐπιστήμην (200 a) ἐπιστήμην (200 b) ἐπιστήμης (200 d) ἐπιστήμην (200 d) ἐπιστήμην (200 d) ἐπιστήμην (200 e) ἐπιστήμην (201 a) ἐπιστήμης (201 c) ἐπιστήμη (201 c) ἐπιστήμης (201 c) ἐπιστήμην (201 d) ἐπιστήμης (201 d) ἐπιστήμην (202 c) ἐπιστήμην (202 c) ἐπιστήμη (202 d) ἐπιστήμης (203 b) ἐπιστήμην (206 c) ἐπιστήμης (206 e) ἐπιστήμην (206 e) ἐπιστήμην (208 b) ἐπιστήμης (208 b) ἐπιστήμην (208 c) ἐπιστήμων (208 e) ἐπιστήμης (209 e) ἐπιστήμην (210 a) ἐπιστήμη (210 a) ἐπιστήμης (210 a) ἐπιστήμην (210 a) ἐπιστήμης (210 a) ἐπιστήμη (210 b) ἐπιστήμης (210 b)

Timeacutee [2] ἐπιστήμη (37 c) ἐπιστήμης (46 d)

331

Annexe σοφία

Alcibiade [2] σοφίᾳ (123 d) σοφία (133 b)Apologie [12] σοφίαν (20 d) σοφίαν (20 d) σοφία (20 d) σοφίαν (20 e) σοφία (20 e) σοφίᾳ (22 b)

σοφίαν (22 d) σοφίαν (22 e) σοφία (23 a) σοφίαν (23 b) σοφίαν (29 d) σοφίᾳ (35 a)Banquet [12] σοφία (175 d) σοφία (175 e) σοφίας (175 e) σοφίας (175 e) σοφίαν (184 c) σοφίαν

(184 e) σοφίας (196 d) σοφίαν (197 a) σοφίας (202 a) σοφίας (203 e) σοφία (204 b) σοφίᾳ (206 b)

Charmide [1] σοφίᾳ (153 d)Cratyle [8] σοφίας (396 c) σοφίας (396 d) σοφίας (401 e) σοφία (404 d) σοφίαν (404 d) σοφίας (410

e) σοφία (412 b) σοφίαν (428 d)Critias [0]Criton [0]Euthydegraveme [37] σοφία (271 c) σοφίαν (271 c) σοφίας (272 b) σοφίαν (272 d) σοφίαν (274 a) σοφίας

(274 d) σοφίαν (275 c) σοφίας (276 d) σοφίαν (278 c) σοφίας (278 d) σοφίας (278 d) σοφίαν (279 c) σοφία (279 d) σοφία (280 a) σοφία (280 a) σοφία (280 a) σοφίας (280 b) σοφίας (281 b) σοφία (281 d) σοφία (281 e) σοφίας (282 b) σοφία (282 c) σοφία (282 c) σοφίαν (283 a) σοφίαν (288 b) σοφίας (294 e) σοφίαν (296 e) σοφίαν (297 c) σοφίας (299 a) σοφίας (300 b) σοφία (300 d) σοφίαν (301 b) σοφίᾳ (301 e) σοφίας (303 c) σοφίαν (304 c) σοφίας (305 d) σοφίαν (305 e)

Euthyphron [7] σοφίας (3 c) σοφίαν (3 d) σοφίας (4 b) σοφίᾳ (9 b) σοφίᾳ (11 e) σοφίας (12 a) σοφίας (14 d)

Gorgias [4] σοφίαν (467 e) σοφίας (487 c) σοφίαν (487 c) σοφίας (487 e)Hippias majeur [13] σοφίᾳ (281 c) σοφίαν (281 d) σοφίας (282 d) σοφίας (282 d) σοφίας (283 a)

σοφίας (283 a) σοφία (283 c) σοφίᾳ (287 c) σοφίᾳ (289 b) σοφίᾳ (291 a) σοφία (296 a) σοφία(296 e) σοφίᾳ (300 d)

Hippias mineur [7] σοφίαν (364 a) σοφίας (364 b) σοφίαν (368 b) σοφίας (368 c) σοφίᾳ (368 e) σοφίᾳ (372 b) σοφίας (372 b)

Ion [1] σοφίαν (542 a)Lachegraves [7] σοφίας (188 c) σοφίαν (194 d) σοφίαν (194 d) σοφία (194 e) σοφία (195 a) σοφίαν (197

d) σοφίᾳ (200 a)Lettre II [0] III [0] IV [0] V [0] VIII [0] IX [0] XI [0] XII [0]Lettre VI [3] σοφίᾳ (322 d) σοφίας (322 d) σοφίας (322 e) VII [1] σοφίας (332 c) X [1] σοφίας (358

c) XIII [1] σοφίαν (360 b)Lois II [0] IV [0] VI [0] VII [0] VIII [0] X [0] XI [0] XII [0]Lois I [1] σοφίαν (644 a) III [5] σοφίας (677 c) σοφίαν (679 c) σοφία (689 d) σοφία (691 a) σοφίας

(701 a) V [2] σοφίαν (732 a) σοφίας (747 c) IX [1] σοφίας (863 c)Lysis [2] σοφία (212 d) σοφίας (214 a)Meacutenexegravene [1] σοφία (247 a)Meacutenon [11] σοφίᾳ (70 b) σοφίᾳ (70 b) σοφίας (70 c) σοφία (71 a) σοφία (74 a) σοφίᾳ (81 c) σοφίᾳ

(90 a) σοφίας (91 a) σοφίας (91 d) σοφίαν (93 e) σοφίᾳ (99 b)Parmeacutenide [0] Pheacutedon [2] σοφίας (96 a) σοφίας (101 e)Phegravedre [5] σοφίᾳ (229 e) σοφίαν (236 b) σοφίαν (258 a) σοφίας (274 e) σοφίας (275 a)Philegravebe [5] σοφίας (15 e) σοφίαν (30 b) σοφία (30 c) σοφία (30 c) σοφίας (49 a)Politique [0]Protagoras [26] σοφίαν (321 d) σοφίαν (321 d) σοφία (330 a) σοφία (330 a) σοφία (332 a) σοφίᾳ

(332 e) σοφία (333 a) σοφία (333 b) σοφία (333 b) σοφίας (337 d) σοφία (341 a) σοφίᾳ (342 b) σοφίαν (342 b) σοφίαν (343 a) σοφίας (343 b) σοφίᾳ (343 c) σοφία (349 b) σοφία (350 c) σοφίαν (350 d) σοφίαν (350 d) σοφία (350 e) σοφίαν (352 d) σοφία (358 c) σοφία (360 d)

332

σοφία (360 d) σοφίᾳ (361 e)Reacutepublique I [7] σοφία (338 b) σοφίας (348 e) σοφίᾳ (349 a) σοφίαν (350 d) σοφία (351 a) σοφία

(351 c) σοφία (354 b) II [1] σοφίαν (365 d) III [2] σοφίας (398 a) σοφίας (406 b) IV [5] σοφία (428 b) σοφίαν (429 a) σοφία (431 e) σοφίᾳ (433 d) σοφίαν (443 e) V [1] σοφίας (475 b) VI [5] σοφίᾳ (485 c) σοφίαν (493 a) σοφίαν (493 b) σοφίαν (493 d) σοφίας (504 a) VII [1] σοφίας (516 c) VIII [0] IX [0] X [3] σοφίᾳ (600 d) σοφίαν (602 a) σοφία (605 a)

Sophiste [0]Theacuteeacutetegravete [18] σοφίαν (145 b) σοφίᾳ (145 d) σοφία (145 e) σοφία (145 e) σοφίας (150 c) σοφίᾳ (161

c) σοφίας (161 e) σοφίαν (162 c) σοφίαν (162 e) σοφίαν (165 e) σοφίαν (166 d) σοφίαν (170 b) σοφίαν (170 b) σοφίαν (172 b) σοφία (176 c) σοφίαι (176 c) σοφίαν (180 d) σοφίαν (201 a)

Timeacutee [0]

333

Annexe δόξα

Alcibiade [1] δόξα (117 b) Apologie [2] δόξης (29 e) δόξαν (34 e) Banquet [4] δόξῃ (189 c) δόξης (208 d) δόξαι (216 a) δόξης (218 e) Charmide [4] δόξαι (158 a) δόξα (159 a) δόξαν (168 a) δόξαν (168 a) Cratyle [5] δόξαν (387 b) δόξης (393 b) δόξαι (394 a) δόξαν (401 a) δόξῃ (420 c) Critias [1] δόξαν (107 e) Criton [11] δόξα (44 c) δόξης (44 c) δόξης (44 d) δόξῃ (45 e) δόξας (47 a) δόξῃ (47 b) δόξαν (47 c)

δόξῃ (47 c) δόξης (48 a) δόξης (48 c) δόξαν (49 d) Euthydegraveme [3] δόξα (286 d) δόξαν (305 d) δόξαν (305 d) Euthyphron [1] δόξαν (12 c) Gorgias [9] δόξαν (457 b) δόξα (458 a) δόξῃ (466 e) δόξῃ (469 a) δόξῃ (469 d) δόξῃ (469 d) δόξα

(486 d) δόξαν (501 c) δόξαι (517 e) Hippias majeur [1] δόξαν (301 d) Hippias mineur [1] δόξαν (364 b) Lachegraves [1] δόξῃ (189 a) Lettre II [3] δόξαν (311 e) δόξαν (311 e) δόξαν (313 c) Lettre III [1] δόξα (317 e) Lettre IV [1] δόξης (320 b) Lettre VII [12] δόξαν (324 a) δόξαν (324 b) δόξαν (328 b) δόξαν (329 a) δόξαν (335 d) δόξαν (336

b) δόξης (336 e) δόξαις (340 d) δόξαν (341 c) δόξα (342 c) δόξαν (344 e) δόξῃ (348 c) Lettre XI [1] δόξαι (359 a) Lettre XIII [2] δόξαν (360 d) δόξαν (362 d) Lois I [4] δόξης (632 c) δόξαν (642 a) δόξας (644 c) δόξας (645 e) Lois II [4] δόξας (653 a) δόξαι (660 c) δόξαν (663 b) δόξῃ (667 e) Lois III [6] δόξα (688 b) δόξαν (689 a) δόξαν (689 a) δόξαις (689 b) δόξα (701 a) δόξαν (701 b) Lois V [2] δόξῃ (729 d) δόξαν (746 d) Lois VI [6] δόξῃ (755 d) δόξῃ (767 d) δόξῃ (767 e) δόξης (770 d) δόξῃ (772 b) δόξῃ (772 c) Lois VII [3] δόξῃ (802 b) δόξαν (814 b) δόξῃ (815 d) Lois VIII [3] δόξῃ (829 b) δόξῃ (842 a) δόξῃ (846 c) Lois IX [3] δόξῃ (854 d) δόξῃ (863 c) δόξης (864 b) Lois X [9] δόξαν (888 b) δόξαν (888 c) δόξης (891 c) δόξα (892 b) δόξαι (896 d) δόξαις (899 e)

δόξαν (903 a) δόξης (907 b) δόξῃ (908 c) Lois XI [5] δόξαν (914 a) δόξῃ (919 e) δόξας (928 c) δόξῃ (933 e) δόξῃ (933 e) Lois XII [8] δόξα (948 c) δόξαν (949 a) δόξαις (950 c) δόξαν (950 c) δόξης (951 a) δόξῃ (957 b)

δόξαι (957 e) δόξῃ (961 b) Meacutenexegravene [7] δόξας (238 d) δόξῃ (239 a) δόξαν (239 c) δόξαν (241 b) δόξαν (243 d) δόξῃ (247 b)

δόξαν (247 b) Meacutenon [20] δόξας (84 d) δόξαν (85 b) δόξαι (85 c) δόξαι (85 c) δόξαν (97 b) δόξα (97 b) δόξα (97

c) δόξα (97 c) δόξαν (97 c) δόξαν (97 c) δόξας (97 e) δόξαι (97 e) δόξης (98 a) δόξα (98 b) δόξα (98 b) δόξα (98 c) δόξαν (98 c) δόξα (98 d) δόξαν (99 a) δόξα (99 a)

Parmeacutenide [5] δόξας (130 e) δόξῃ (132 a) δόξα (155 d) δόξα (164 b) δόξα (166 a) Pheacutedon [7] δόξαν (66 b) δόξαν (69 d) δόξαν (70 b) δόξῃ (90 b) δόξης (96 b) δόξης (99 a) δόξαι (102

d) Phegravedre [10] δόξῃ (229 a) δόξης (232 a) δόξης (237 e) δόξης (238 b) δόξης (253 d) δόξαν (257 d)

δόξας (260 c) δόξας (262 c) δόξῃ (268 b) δόξαις (275 d)

334

Philegravebe [29] δόξαν (11 b) δόξαν (21 b) δόξαν (21 c) δόξαι (36 c) δόξας (36 d) δόξα (37 b) δόξῃ (37 b) δόξα (37 c) δόξαν (37 d) δόξαν (37 e) δόξης (37 e) δόξαν (37 e) δόξης (38 a) δόξῃ (38 b) δόξα (38 b) δόξαν (38 e) δόξα (39 a) δόξαν (40 d) δόξας (40 e) δόξαι (42 a) δόξαν (47 b) δόξαν (49 b) δόξαν (57 b) δόξαις (59 a) δόξαν (59 a) δόξαν (60 d) δόξαν (61 d) δόξης (64 a) δόξας (66 b)

Politique [11] δόξαν (272 d) δόξῃ (278 a) δόξαν (278 c) δόξης (278 e) δόξαν (290 d) δόξαν (295 c) δόξῃ (299 c) δόξῃ (300 d) δόξης (301 b) δόξαν (309 c) δόξαις (310 e)

Protagoras [5] δόξαν (314 c) δόξαν (324 b) δόξαν (337 b) δόξαν (353 a) δόξαν (358 c) Reacutepublique I [1] δόξαν (346 a) ReacutepubliqueII [15] δόξαν (358 a) δόξαν (361 a) δόξαν (361 c) δόξαν (362 a) δόξης (363 a) δόξας (363

e) δόξῃ (364 a) δόξαν (365 b) δόξας (366 e) δόξας (367 b) δόξῃ (367 d) δόξας (367 d) δόξας (367 d) δόξας (377 b) δόξαις (378 d)

Reacutepublique III [3] δόξαν (412 e) δόξα (412 e) δόξης (413 a) Reacutepublique IV [7] δόξης (429 c) δόξα (430 a) δόξης (430 b) δόξαν (430 b) δόξης (431 c) δόξα (431

d) δόξης (433 c) Reacutepublique V [16] δόξαν (451 c) δόξης (456 d) δόξα (466 b) δόξαν (467 d) δόξαν (470 a) δόξαν (473

e) δόξαν (476 d) δόξαν (477 b) δόξα (477 b) δόξαν (477 e) δόξα (477 e) δόξα (477 e) δόξα (478 a) δόξα (478 a) δόξα (478 c) δόξα (478 c)

Reacutepublique VI [9] δόξαν (490 a) δόξαν (491 a) δόξαν (499 a) δόξαν (499 e) δόξαν (500 a) δόξαι (502 b) δόξαν (505 d) δόξας (508 d) δόξης (511 d)

Reacutepublique VII [4] δόξας (533 b) δόξαν (534 a) δόξαν (534 c) δόξαν (538 d) Reacutepublique VIII [1] δόξαι (560 c) Reacutepublique IX [9] δόξα (572 d) δόξας (573 b) δόξας (574 d) δόξαν (576 e) δόξαν (580 b) δόξῃ (580

d) δόξης (581 b) δόξας (584 e) δόξης (585 b) Reacutepublique X [6] δόξαν (602 a) δόξας (603 d) δόξαν (606 c) δόξας (612 b) δόξης (612 d) δόξαν (619

a) Sophiste [21] δόξαν (216 d) δόξας (228 b) δόξης (230 b) δόξας (230 b) δόξας (230 d) δόξαν (233 b)

δόξα (240 d) δόξαις (241 b) δόξων (242 b) δόξῃ (260 b) δόξα (260 c) δόξαν (260 d) δόξα (260 e) δόξαν (260 e) δόξαν (261 b) δόξα (263 d) δόξης (264 a) δόξα (264 b) δόξα (264 b) δόξα (264 d) δόξης (267 e)

Theacuteeacutetegravete [53] δόξῃ (149 d) δόξαν (161 d) δόξαν (162 a) δόξας (170 a) δόξαν (171 a) δόξαν (171 b) δόξαν (172 a) δόξαν (172 b) δόξῃ (172 b) δόξαν (174 c) δόξαν (178 c) δόξα (178 d) δόξας (179 b) δόξαν (179 c) δόξαι (179 c) δόξαν (187 b) δόξα (187 b) δόξαν (187 c) δόξης (187 c) δόξα (189 b) δόξαν (189 d) δόξαν (190 a) δόξαν (190 a) δόξαν (190 e) δόξης (193 d) δόξαν (193 e) δόξα (194 b) δόξας (195 b) δόξαν (199 a) δόξαν (200 c) δόξαν (200 e) δόξαν (201 c) δόξα (201 c) δόξαν (201 d) δόξῃ (202 b) δόξαν (202 b) δόξαν (202 c) δόξης (206 c) δόξαν (206 d) δόξα (206 e) δόξης (207 b) δόξῃ (207 c) δόξαν (208 c) δόξης (208 e) δόξαν (209 a) δόξα (209 d) δόξῃ (209 d) δόξαν (209 d) δόξαν (209 d) δόξα (210 a) δόξαν (210 a) δόξα (210 b) δόξης (210 b)

Timeacutee [12] δόξαν (19 d) δόξαν (20 a) δόξαν (21 d) δόξαν (22 b) δόξαν (27 d) δόξῃ (28 a) δόξῃ (28 c) δόξαι (37 b) δόξα (51 d) δόξα (51 d) δόξῃ (52 a) δόξης (77 b)

335

Annexe δίκη δικαιοσύνη

Alcibiade [2] δικαιοσύνην (134 c) δικαιοσύνης (135 e) Apologie [4] δίκην (28 d) δίκην (38 d) δίκῃ (38 e) δίκην (39 b) Banquet [5] δίκην (179 d) δικαιοσύνης (188 d) δικαιοσύνῃ (196 c) δικαιοσύνης (196 d) δικαιοσύνη

(209 a) Cratyle [3] δίκην (400 c) δικαιοσύνην (413 d) δίκῃ (419 d) Critias [4] δίκην (106 b) δίκη (106 b) δίκῃ (112 e) δίκην (121 b) Criton [8] δίκης (45 e) δίκης (45 e) δικαιοσύνη (48 a) δίκην (50 c) δίκῃ (52 c) δίκην (53 c)

δικαιοσύνη (53 c) δικαιοσύνης (54 a) Euthyphron [18] δίκη (2 a) δίκην (2 a) δίκην (3 e) δίκη (3 e) δίκη (4 a) δίκῃ (4 b) δίκῃ (4 b) δίκῃ (4

c) δίκην (5 b) δίκης (5 b) δίκῃ (6 a) δίκην (8 b) δίκην (8 c) δίκην (8 c) δίκην (8 c) δίκην (8 d) δίκην (8 d) δίκην (8 e)

Gorgias [62] δικαιοσύνης (460 e) δικαιοσύνην (464 b) δικαιοσύνη (464 c) δικαιοσύνην (465 c) δικαιοσύνης (470 e) δίκης (472 d) δίκης (472 e) δίκην (472 e) δίκην (472 e) δίκης (472 e) δίκην (473 b) δίκην (473 b) δίκην (473 d) δίκην (474 b) δίκην (476 a) δίκην (476 a) δίκην (476 d) δίκην (476 e) δίκην (477 a) δίκην (477 a) δίκην (478 a) δικαιοσύνῃ (478 a) δίκη (478 b) δίκης (478 b) δίκη (478 b) δίκην (478 d) δίκη (478 d) δίκην (478 e) δίκην (479 a) δίκην (479 a) δίκην (479 b) δίκην (479 c) δίκην (479 d) δίκην (479 d) δίκην (479 e) δίκην (479 e) δίκην (479 e) δίκην (480 a) δίκην (480 c) δίκην (481 a) δίκην (481 a) δίκην (482 b) δίκης (486 a) δίκην (486 c) δικαιοσύνην (492 b) δικαιοσύνης (492 b) δικαιοσύνης (492 c) δικαιοσύνη (504 d) δικαιοσύνη (504 e) δίκην (507 d) δικαιοσύνη (507 d) δικαιοσύνης (508 b) δίκην (509 b) δίκην (510 e) δίκην (515 e) δικαιοσύνης (519 a) δικαιοσύνην (519 d) δίκης (523 b) δίκην (525 b) δίκη (526 e) δίκηνmiddot (527 c) δικαιοσύνην (527 e)

Hippias majeur [4] δικαιοσύνῃ (287 c) δικαιοσύνῃ (287 c) δικαιοσύνη (287 c) δίκην (292 b) Hippias mineur [4] δικαιοσύνη (375 d) δικαιοσύνην (375 e) δικαιοσύνη (375 e) δικαιοσύνης (376 a) Lachegraves [2] δικαιοσύνην (198 a) δικαιοσύνης (199 d) Lettre III [2] δίκην (318 d) δίκην (319 e) Lettre IV [1] δικαιοσύνῃ (320 b) Lettre VI [1] δίκῃ (323 b) Lettre VII [5] δίκῃ (329 a) δικαιοσύνῃ (335 c) δικαιοσύνῃ (335 c) δικαιοσύνῃ (335 d) δίκην (351 c) Lettre VIII [1] δίκῃ (354 e) Lois I [8] δικαιοσύνη (630 a) δικαιοσύνην (630 c) δικαιοσύνη (631 c) δικαιοσύνῃ (632 c) δίκην (637

b) δίκης (643 e) δίκης (644 a) δίκης (647 c) Lois II [3] δικαιοσύνης (660 e) δικαιοσύνης (661 c) δίκης (671 d) Lois III [2] δίκῃ (682 d) δίκην (696 d) Lois IV [5] δίκην (705 e) δίκης (713 e) δίκη (716 a) δίκῃ (716 b) δίκῃ (718 b) Lois V [6] δίκην (728 b) δίκη (728 c) δίκηmdashτιμωρία (728 c) δίκῃ (735 e) δίκης (737 a) δίκης (738 e) Lois VI [17] δίκην (754 e) δίκῃ (754 e) δίκην (757 e) δίκης (762 e) δίκῃ (767 a) δίκην (767 a) δίκην

(767 b) δίκην (767 e) δίκην (767 e) δίκην (767 e) δίκην (767 e) δίκῃ (768 a) δίκης (768 a) δίκην (773 d) δίκην (777 d) δίκῃ (777 e) δίκην (784 e)

Lois VII [2] δίκην (794 c) δίκῃ (808 e) Lois VIII [6] δίκην (838 c) δίκην (843 b) δίκην (844 d) δίκην (845 c) δίκην (846 b) δίκης (849 e) Lois IX [41] δίκην (854 d) δίκη (854 d) δίκην (854 e) δίκη (854 e) δίκην (855 c) δίκην (856 a) δίκῃ

(856 a) δίκην (856 d) δίκης (857 a) δίκην (857 a) δίκην (857 b) δικαιοσύνης (859 d) δικαιοσύνης (859 e) δίκην (861 c) δίκην (862 e) δίκην (865 c) δίκην (866 b) δίκην (868 b) δίκης (869 a) δίκης (869 c) δίκην (870 e) δίκην (870 e) δίκης (871 c) δίκην (871 e) δίκην (871 e) δίκης (871 e) δίκην (872 b) δίκη (872 e) δίκῃ (873 c) δίκην (873 c) δίκης (876 e) δίκην (877 a) δίκην (877 b) δίκης (880 a) δίκην (880 b) δίκην (880 c) δίκην (880 c) δίκην (880 c) δίκην (880 d) δίκην (881 d) δίκην (881 e)

336

Lois X [10] δίκην (885 a) δίκην (887 b) δίκη (904 e) δίκης (905 a) δικαιοσύνη (906 a) δίκης (908 b) δίκης (908 d) δίκην (909 a) δίκην (909 d) δίκην (910 d)

Lois XI [27] δίκην (913 b) δίκης (914 d) δίκῃ (914 d) δίκην (916 b) δίκην (921 a) δίκην (928 c) δίκην (928 c) δίκῃ (929 a) δίκῃ (929 a) δίκην (929 e) δίκην (933 d) δίκην (933 e) δίκηνmdashοὐ (934 a) δίκην (934 b) δίκην (936 e) δίκης (937 a) δίκης (937 a) δίκην (937 a) δίκης (937 b) δίκην (937 b) δίκῃ (937 c) δίκην (937 d) δίκη (937 d) δίκη (937 d) δίκην (937 e) δίκῃ (938 a) δίκην (938 b)

Lois XII [24] δίκης (941 c) δίκης (941 d) δίκην (943 d) δίκῃ (943 e) δίκην (943 e) δίκη (944 d) δίκην (944 e) δίκην (945 a) δίκῃ (945 d) δίκης (945 d) δίκην (948 d) δίκῃ (949 a) δίκῃ (954 e) δίκην (954 e) δίκην (955 b) δίκη (955 c) δίκῃ (955 d) δίκης (956 c) δίκην (956 d) δίκης (956 d) δίκην (957 c) δίκην (958 c) δικαιοσύνη (964 b) δικαιοσύνῃ (965 d)

Meacutenexegravene [2] δίκην (237 d) δικαιοσύνης (247 a) Meacutenon [11] δικαιοσύνῃ (73 b) δικαιοσύνης (73 b) δικαιοσύνη (73 d) δικαιοσύνην (73 e)

δικαιοσύνην (78 d) δικαιοσύνης (78 e) δικαιοσύνην (79 a) δικαιοσύνης (79 b) δικαιοσύνην (79 b) δικαιοσύνης (79 c) δικαιοσύνην (88 a)

Parmeacutenide [1] δικαιοσύνης (131 a) Pheacutedon [14] δίκης (58 a) δίκης (58 a) δίκης (58 c) δίκης (58 c) δίκη (59 d) δίκη (61 a) δικαιοσύνη (69

b) δικαιοσύνη (69 c) δίκην (81 d) δικαιοσύνην (82 b) δίκην (98 e) δίκην (99 a) δίκη (114 b) δικαιοσύνῃ (115 a)

Phegravedre [10] δίκην (235 d) δικαιοσύνην (247 d) δίκην (249 a) δίκην (249 d) δικαιοσύνης (250 b) δίκῃ (266 a) δίκῃ (275 e) δικαιοσύνης (276 e) δίκῃ (277 d) δίκῃ (278 e)

Philegravebe [1] δικαιοσύνης (62 a) Protagoras [29] δίκη (322 a) δίκην (322 c) δίκην (322 c) δίκην (322 c) δίκης (322 d) δικαιοσύνης

(323 a) δικαιοσύνης (323 a) δικαιοσύνῃ (323 b) δικαιοσύνην (323 b) δικαιοσύνη (325 a) δίκης (326 e) δικαιοσύνη (327 b) δικαιοσύνην (329 c) δικαιοσύνη (329 c) δικαιοσύνη (329 c) δικαιοσύνη (330 b) δικαιοσύνη (330 c) δικαιοσύνη (330 c) δικαιοσύνη (330 c) δικαιοσύνη (331 a) δικαιοσύνην (331 b) δικαιοσύνη (331 b) δικαιοσύνη (331 b) δικαιοσύνην (331 c) δικαιοσύνη (331 c) δικαιοσύνη (331 d) δικαιοσύνη (333 b) δικαιοσύνη (349 b) δικαιοσύνη (361 b)

Reacutepublique I [44] δίκην (330 e) δικαιοσύνην (331 c) δικαιοσύνης (331 d) δικαιοσύνης (331 e) δικαιοσύνη (332 d) δικαιοσύνην (332 d) δικαιοσύνη (332 e) δικαιοσύνην (333 a) δικαιοσύνη (333 d) δικαιοσύνη (333 d) δικαιοσύνην (333 d) δικαιοσύνη (333 d) δικαιοσύνη (333 e) δικαιοσύνη (334 b) δικαιοσύνη (334 b) δικαιοσύνη (335 c) δικαιοσύνῃ (335 c) δικαιοσύνη (336 a) δικαιοσύνην (336 e) δικαιοσύνης (337 d) δικαιοσύνης (343 c) δικαιοσύνη (343 c) δικαιοσύνης (344 c) δικαιοσύνης (345 a) δικαιοσύνης (345 a) δικαιοσύνην (345 b) δικαιοσύνης (348 b) δικαιοσύνην (348 c) δικαιοσύνην (348 c) δικαιοσύνην (348 c) δικαιοσύνην (348 e) δικαιοσύνην (350 d) δικαιοσύνη (351 a) δικαιοσύνης (351 a) δικαιοσύνη (351 a) δικαιοσύνης (351 b) δικαιοσύνης (351 b) δικαιοσύνη (351 c) δικαιοσύνης (351 c) δικαιοσύνη (351 d) δικαιοσύνη (352 c) δικαιοσύνην (353 e) δικαιοσύνης (354 a) δικαιοσύνης (354 b)

Reacutepublique II [48] δικαιοσύνην (357 d) δικαιοσύνην (358 c) δικαιοσύνης (358 c) δικαιοσύνην (358 d) δικαιοσύνη (358 e) δικαιοσύνης (359 a) δίκην (359 a) δικαιοσύνης (359 b) δικαιοσύνῃ (360 b) δικαιοσύνης (360 d) δικαιοσύνης (360 e) δικαιοσύνην (361 b) δικαιοσύνης (361 c) δικαιοσύνην (361 c) δικαιοσύνης (361 d) δικαιοσύνης (361 e) δικαιοσύνῃ (362 d) δικαιοσύνην (362 e) δικαιοσύνην (363 a) δικαιοσύνην (363 d) δικαιοσύνης (363 e) δικαιοσύνη (364 a) δικαιοσύνης (365 b) δίκην (365 d) δίκην (366 a) δικαιοσύνην (366 b) δικαιοσύνην (366 c) δικαιοσύνη (366 c) δικαιοσύνης (366 e) δικαιοσύνην (366 e) δικαιοσύνη (366 e) δικαιοσύνης (367 a) δικαιοσύνη (367 b) δικαιοσύνην (367 c) δικαιοσύνης (367 d) δικαιοσύνην (367 d) δικαιοσύνη (367 e) δικαιοσύνης (368 a) δικαιοσύνη (368 b) δικαιοσύνῃ (368 b) δικαιοσύνη (368 e) δικαιοσύνη (368 e) δικαιοσύνην (369 a) δικαιοσύνη (371 e) δικαιοσύνην (372 e) δικαιοσύνην (376 d) δίκην (380 b) δίκην (380 b)

Reacutepublique III [3] δικαιοσύνη (392 b) δικαιοσύνη (392 c) δίκην (405 c) Reacutepublique IV [30] δικαιοσύνην (420 b) δικαιοσύνη (427 d) δικαιοσύνῃ (427 e) δικαιοσύνην (430 c)

δικαιοσύνη (430 d) δικαιοσύνην (430 d) δικαιοσύνη (432 b) δικαιοσύνη (432 b) δικαιοσύνη (433 a) δικαιοσύνη (433 a) δικαιοσύνη (433 b) δικαιοσύνην (433 c) δικαιοσύνην (433 d) δικαιοσύνη (434 a) δικαιοσύνη (434 c) δικαιοσύνη (434 d) δικαιοσύνην (434 d) δικαιοσύνην (435 a) δικαιοσύνης (435 b) δικαιοσύνη (442 d) δικαιοσύνην (443 b) δικαιοσύνης (443 c) δικαιοσύνης (443 c) δικαιοσύνη (443 c) δικαιοσύνην (444 a) δικαιοσύνη (444 c) δικαιοσύνην

337

(444 c) δικαιοσύνην (444 d) δίκην (445 a) δικαιοσύνην (445 b) Reacutepublique V [9] δίκην (457 e) δίκην (471 b) δικαιοσύνην (472 b) δικαιοσύνη (472 b) δικαιοσύνη

(472 b) δικαιοσύνην (472 c) δίκην (474 a) δίκῃ (475 c) δίκῃ (478 e) Reacutepublique VI [5] δικαιοσύνης (487 a) δικαιοσύνης (500 d) δικαιοσύνης (504 a) δικαιοσύνης (504

d) δικαιοσύνης (506 d) Reacutepublique VII [4] δικαιοσύνην (517 e) δίκην (520 b) δίκην (529 c) δίκη (536 b) Reacutepublique VIII [2] δικαιοσύνη (545 a) δικαιοσύνην (545 b) Reacutepublique IX [4] δικαιοσύνης (576 b) δίκην (586 a) δίκην (591 a) δικαιοσύνην (591 b) Reacutepublique X [12] δίκῃ (605 b) δικαιοσύνης (608 b) δίκην (610 d) δικαιοσύνης (612 b) δικαιοσύνην

(612 b) δικαιοσύνῃ (612 b) δικαιοσύνη (612 c) δικαιοσύνης (612 d) δικαιοσύνη (614 a) δίκην (615 a) δίκην (615 e) δικαιοσύνην (621 c)

Sophiste [4] δίκῃ (220 a) δικαιοσύνης (247 a) δικαιοσύνης (247 b) δικαιοσύνης (267 c) Theacuteeacutetegravete [5] δίκην (164 c) δίκην (172 e) δικαιοσύνης (175 c) δίκην (177 a) δίκην (181 a) Timeacutee [5] δίκῃ (41 c) δίκῃ (42 b) δίκῃ (62 d) δίκῃ (77 b) δίκην (92 b)

338

Annexe φρόνησις

Alcibiade [1] φρόνησιν (133 c) Apologie [1] φρονήσεως (29 e) Banquet [6] φρόνησιν (184 d) φρονήσεως (202 a) φρονήσεως (203 d) φρόνησίν (209 a) φρονήσεως

(209 a) φρόνησιν (219 d) Cratyle [6] φρονήσεως (386 c) φρονήσεως (398 c) φρόνησιν (411 a) φρονήσεως (412 a) φρονήσεως

(416 d) φρόνησιν (432 c) Critias [2] φρονήσει (109 d) φρονήσεως (120 e) Euthydegraveme [3] φρονήσεως (281 b) φρόνησίς (281 d) φρονήσεως (306 d) Gorgias [1] φρόνησιν (492 a) Hippias majeur [2] φρονήσει (281 d) φρόνησιν (297 b) Hippias mineur [2] φρονήσεώς (365 e) φρονήσεως (365 e) Lachegraves [3] φρονήσεως (192 c) φρονήσεως (193 a) φρονήσεως (197 e) Lettre II [1] φρόνησίς (310 e) Lettre VII [3] φρονήσεως (335 d) φρόνησις (344 b) φρονήσεώς (345 b) Lois I [5] φρόνησις (630 b) φρονήσει (631 c) φρόνησις (631 c) φρονήσεως (632 c) φρονήσεις (645 e) Lois II [4] φρόνησιν (653 a) φρονήσεως (659 a) φρονήσεσιν (665 d) φρόνησιν (672 c) Lois III [7] φρονήσει (687 e) φρόνησις (688 b) φρόνησιν (688 e) φρονήσεως (689 d) φρόνησιν (693

c) φρονήσεως (693 c) φρονήσεως (693 e) Lois IV [1] φρόνησιν (710 a) Lois V [2] φρονήσεως (730 e) φρονήσεως (732 b) Lois X [3] φρόνησις (886 b) φρονήσεως (890 e) φρονήσεως (906 b) Lois XII [4] φρόνησιν (963 c) φρόνησιν (963 e) φρόνησις (964 b) φρονήσει (965 d) Meacutenexegravene [1] φρονήσεως (239 a) Meacutenon [14] φρόνησις (88 b) φρονήσεως (88 c) φρόνησιν (88 c) φρονήσεως (88 c) φρόνησιν (88 d)

φρόνησις (88 d) φρόνησιν (88 e) φρόνησις (89 a) φρόνησιν (89 a) φρονήσεως (97 b)φρόνησις (97 c) φρόνησις (98 d) φρόνησις (98 d) φρόνησιν (98 e)

Pheacutedon [15] φρονήσεως (65 a) φρόνησιν (66 a) φρονήσεως (66 e) φρονήσεωςmdashᾧ (68 a) φρονήσεως (68 a) φρονήσει (68 b) φρόνησις (69 a) φρονήσεως (69 b) φρονήσεως (69 b) φρόνησις (69 c) φρόνησιν (70 b) φρόνησιν (76 c) φρόνησις (79 d) φρονήσει (111 b) φρονήσεως (114 c)

Phegravedre [2] φρονήσαντες (231 d) φρόνησις (250 d) Philegravebe [40] φρονήσεως (12 a) φρονήσει (12 a) φρόνησις (12 a) φρόνησίς (13 e) φρόνησιν (14 b)

φρονήσεως (18 e) φρονήσεως (19 b) φρονήσεως (20 b) φρονήσεως (20 e) φρόνησις (20 e) φρονήσεως (20 e) φρονήσεως (21 b) φρόνησιν (21 d) φρονήσεως (22 a) φρονήσεως (27 c) φρονήσεως (27 d) φρόνησιν (28 a) φρόνησίν (28 d) φρονήσεως (58 d) φρόνησις (59 d) φρονήσεώς (59 d) φρόνησιν (60 b) φρονήσει (60 c) φρόνησιν (60 c) φρόνησιν (60 d) φρονήσεως (60 e) φρόνησιν (60 e) φρονήσεως (60 e) φρονήσεως (60 e) φρονήσεως (61 c) φρονήσει (61 d) φρονήσεις (63 a) φρονήσεως (63 b) φρόνησιν (63 c) φρόνησιν (63 c) φρονήσεως (65 a) φρονήσεως (65 d) φρόνησις (65 d) φρόνησιν (65 e) φρόνησιν (66 b)

Politique [5] φρονήσεως (261 e) φρόνησιν (269 d) φρονήσεως (272 c) φρόνησιν (278 e) φρονήσεως (294 a)

Protagoras [2] φρονήσεως (337 c) φρόνησιν (352 c) Reacutepublique IV [4] φρονήσεως (431 d) φρονήσει (432 a) φρονήσεως (433 b) φρόνησίς (433 d) Reacutepublique V [1] φρονήσεως (461 a) Reacutepublique VI [4] φρονήσεως (496 a) φρόνησις (505 b) φρόνησις (505 b) φρόνησιν (505 c) Reacutepublique VIII [1] φρόνησιν (559 b) Reacutepublique IX [6] φρονήσεως (571 c) φρονήσει (582 a) φρονήσεως (582 d) φρονήσει (582 e)

φρονήσεως (586 a) φρονήσεως (591 b)

339

Reacutepublique X [3] φρονήσεως (603 a) φρονήσει (621 a) φρονήσεως (621 c) Sophiste [5] φρονήσεως (247 b) φρόνησιν (247 b) φρόνησιν (248 e) φρόνησιν (249 c) φρόνησιν (251

c) Theacuteeacutetegravete [3] φρόνησιν (161 d) φρόνησιν (169 d) φρονήσεως (176 b) Timeacutee [11] φρονήσεως (24 b) φρονήσει (29 a) φρόνησιν (34 a) φρόνησιν (40 a) φρονήσεως (46 e)

φρονήσεως (71 d) φρονήσεως (71 e) φρονήσεως (75 a) φρονήσει (75 e) φρονήσεως (88 b) φρονήσεις (90 b)

340

Annexe πολίτης

Alcibiade [1] πολίταις (134 c) Apologie [1] πολίταις (25 c) Critias [1] πολίτας (108 c) Criton [1] πολίταις (51 d) Euthydegraveme [1] πολίτας (292 b) Gorgias [12] πολῖται (502 e) πολίταις (502 e) πολίταις (504 d) πολίταις (513 e) πολίτας (513 e)

πολῖται (515 c) πολῖται (515 c) πολίτας (515 d) πολίτης (515 d) πολῖται (517 b) πολίτου (517c) πολῖται (518 b)

Hippias majeur [2] πολίτας (282 e) πολίτας (292 b) Lettre VII [2] πολίτας (336 a) πολῖται (350 a) Lois I [6] πολῖται (627 b) πολίτην (629 a) πολίτην (630 a) πολίταις (631 d) πολῖται (635 c) πολίτην

(643 e) Lois II [1] πολίτας (662 c) Lois IV [4] πολίτας (711 b) πολίτας (711 c) πολίτας (715 b) πολίτας (718 a) Lois V [5] πολίτας (729 d) πολίτας (741 a) πολῖται (743 c) πολίτας (746 a) πολίταις (747 a) Lois VI [4] πολίτην (753 a) πολίταις (756 e) πολίταις (767 d) πολίτης (774 c) Lois VII [13] πολίτην (794 b) πολίτην (794 c) πολίτας (799 b) πολίτας (800 d) πολίτας (801 c)

πολίταις (808 c) πολίτην (809 e) πολίτας (814 c) πολίτιδας (814 c) πολίτας (816 d) πολίτας (821 d) πολίτου (822 e) πολίτου (823 a) πολίτην (823 a)

Lois VIII [5] πολίτου (831 c) πολίταις (835 c) πολίτας (840 d) πολίτου (842 e) πολίτης (846 d) Lois IX [9] πολίτην (853 d) πολίτης (854 e) πολῖται (855 d) πολίτην (856 c) πολίτας (857 e)

πολίτης (869 d) πολίτην (869 d) πολίτην (872 c) πολίτας (877 e) Lois XI [3] πολίτην (915 d) πολίτης (917 d) πολίτας (935 d) Meacutenexegravene [2] πολίτας (239 d) πολῖται (243 e) Meacutenon [4] πολῖται (70 b) πολίταις (71 b) πολίτης (90 a) πολίτας (91 a) Politique [1] πολίτας (293 d) Protagoras [6] πολίτας (319 a) πολῖται (324 c) πολῖται (324 c) πολίτας (324 d) πολίτας (337 c)

πολίτης (339 e) Reacutepublique II [2] πολίταις (375 b) πολίτης (378 c) Reacutepublique III [2] πολίτας (416 b) πολίτας (416 d) Reacutepublique IV [2] πολίτας (423 d) πολίταις (426 c) Reacutepublique V [6] πολῖται (462 b) πολίτας (463 a) πολίτας (463 a) πολίτας (463 a) πολῖται (464 a)

πολίτας (471 b) Reacutepublique VI [3] πολῖται (494 b) πολίταις (501 e) πολίτας (502 b) Reacutepublique VII [1] πολίτας (519 e) Reacutepublique VIII [6] πολίταις (555 c) πολίτας (556 a) πολίταις (567 b) πολίταις (567 d) πολίτας (567

e) πολῖται (568 a) Reacutepublique IX [1] πολίταις (579 c) Timeacutee [3] πολίτας (26 c) πολίτας (26 d) πολίτας (27 b)

341

Annexe πολιτεία

Alcibiade [2] πολιτείας (125 d) πολιτείας (125 e) Critias [3] πολιτείας (109 a) πολιτείας (109 d) πολιτείᾳ (112 c) Criton [1] πολιτείᾳ (53 b) Gorgias [3] πολιτείας (510 a) πολιτείᾳ (513 a) πολιτείᾳ (513 b) Lettre IV [1] πολιτείᾳ (320 d)

V [2] πολιτειῶν (321 d) πολιτειῶν (321 e) VII [14] πολιτείας (324 b) πολιτείας (324 c) πολιτείανmdashτά (324 d) πολιτεία (325 a) πολιτείαν (326 a) πολιτείας (326 d) πολιτείας (328 c) πολιτείας (330 d) πολιτείας (330 e) πολιτείαν (330 e) πολιτείας (331 d) πολιτείας (331 e) πολιτείαις (332 e) πολιτείαν (351 c) VIII [2] πολιτείας (355 d) πολιτείαν (356 d) XI [1] πολιτείαν (359 a)

Lois I [6] πολιτείας (625 a) πολιτείας (632 c) πολιτείᾳ (634 d) πολιτείαις (635 e) πολιτείας (636 a) πολιτείας (641 d) II [1] πολιτείαν (666 e) III [18] πολιτείας πολιτείας (676 c) πολιτειῶν (676 c) πολιτείας (678 a) πολιτείας (680 a) πολιτείαν (680 b) πολιτείας (681 d) πολιτείας (681 d) πολιτειῶν (681 d) πολιτειῶν (683 a) πολιτειῶν (684 b) πολιτείαν (685 a) πολιτείας (686 c) πολιτειῶν (693 d) πολιτείας (697 c) πολιτείας (698 a) πολιτεία (698 b) πολιτείας (701 e) IV [19] πολιτεία (707 b) πολιτείας (707 d) πολιτείας (708 c) πολιτείας (709 a) πολιτείαν (710 b) πολιτείας (710 b) πολιτείας (710 e) πολιτείας (712 a) πολιτείαν (712 b) πολιτείαν (712 c) πολιτείαν (712 d) πολιτειῶν (712 e) πολιτείαν (712 e) πολιτειῶν (712 e) πολιτειῶν (714 b) πολιτειῶν (714 b) πολιτεία (714 c) πολιτείαν (714 d) πολιτείας (715 b) V [9] πολιτείας (734 e) πολιτείας (735 a) πολιτείαν (735 d) πολιτείαν (739 a) πολιτείαν (739 b) πολιτεία (739 b) πολιτείας (739 e) πολιτείαν (743 e) πολιτείαν (747 b) VI [10] πολιτείας πολιτείας (751 c) πολιτείας (753 a) πολιτείας (753 b) πολιτείας (756 e) πολιτείαν (756 e) πολιτείαν (762 c) πολιτεία (769 d) πολιτείαν (770 e) πολιτείας (781 d) VII [8] πολιτείας (793 b) πολιτείαν (796 d) πολιτείᾳ (802 b) πολιτείας (805 b) πολιτείας (814b) πολιτεία (817 b) πολιτείας (820 e) πολιτείας (822 e) VIII [5] πολιτείας (832 b) πολιτεία (832 c) πολιτείας (832 c) πολιτείας (832 d) πολιτείᾳ (835 c) IX [7] πολιτείᾳ (855 a) πολιτείας (856 b) πολιτείας (856 c) πολιτείας (858 a) πολιτείας (864 d) πολιτείαν (875 a) πολιτείᾳ (876 c) X [2] πολιτείας (886 b) πολιτείαις (906 c) XI [3] πολιτείας (921 c) πολιτείᾳ (928 e) πολιτείᾳ (936 b) XII [8] πολιτείας (945 c) πολιτείαν (945 d) πολιτείας (951 a) πολιτείᾳ (957 b) πολιτείᾳ (960d) πολιτείᾳ (960 e) πολιτείας (965 c) πολιτείας (968 e)

Meacutenexegravene [5] πολιτείαν (238 b) πολιτεία (238 c) πολιτείᾳ (238 c) πολιτεία (238 c) πολιτείας (238 e) Politique [20] πολιτείας (291 d) πολιτειῶν (292 a) πολιτειῶν (293 c) πολιτείαν (293 c) πολιτείαν

(293 e) πολιτεία (297 a) πολιτείαν (297 c) πολιτείας (297 d) πολιτείας (300 e) πολιτείαν (301 a) πολιτείαν (301 a) πολιτειῶν (301 b) πολιτείαν (301 d) πολιτείας (301 e) πολιτείαις (301 e) πολιτειῶν (302 b) πολιτειῶν (303 a) πολιτειῶν (303 b) πολιτειῶν (303 b) πολιτείᾳ (309 e)

Reacutepublique III [2] πολιτείᾳ (397 e) πολιτεία (412 a) IV [6] πολιτεία (424 a) πολιτείας (424 e) πολιτείας (427 a) πολιτειῶν (445 c) πολιτειῶν (445 d) πολιτείας (445 d) V [10] πολιτείαν (449 a) πολιτείαν (449 d) πολιτείας (449 d) πολιτείας (450 a) πολιτείᾳ (461e) πολιτεία (471 c) πολιτεία (471 e) πολιτεία (472 b) πολιτείας (473 b) πολιτεία (473 e) VI [13] πολιτειῶν (493 a) πολιτείας (497 a) πολιτειῶν (497 a) πολιτείαν (497 b) πολιτεία (497 c) πολιτείας (497 d) πολιτεία (499 b) πολιτεία (499 d) πολιτείας (501 a) πολιτειῶν (501

342

c) πολιτεία (501 e) πολιτείας (502 d) πολιτεία (506 a) VII [4] πολιτείας (520 b) πολιτείαν (536 b) πολιτείας (540 d) πολιτείαν (541 a) VIII [51] πολιτειῶν (544 a) πολιτείας (544 b) πολιτείας (544 b) πολιτεία (544 c) πολιτείας (544 c) πολιτειῶν (544 d) πολιτείας (544 d) πολιτείαν (545 a) πολιτείαις (545 b) πολιτείαν (545 b) πολιτεία (545 d) πολιτεία (547 c) πολιτείαν (547 d) πολιτείαν (548 c) πολιτεία (548 c) πολιτείας (548 c) πολιτείας (548 d) πολιτείαν (548 d) πολιτείας (549 a) πολιτείαν (550 c) πολιτείαν (550 c) πολιτείαν (550 c) πολιτείαν (550 d) πολιτείας (551 a) πολιτείαν (551 b) πολιτείας (551 b) πολιτείᾳ (552 a) πολιτείας (552 e) πολιτεία (553 a) πολιτείᾳ (553 e) πολιτείᾳ (554 b) πολιτείας (557 a) πολιτεία (557 b) πολιτείᾳ (557 c) πολιτειῶν (557 c) πολιτείαν (557 d) πολιτειῶν (557 d) πολιτειῶν (557 d) πολιτείᾳ (558 a) πολιτεία (558 c) πολιτείαν (558 c) πολιτειῶν (561 e) πολιτεία (562 a) πολιτείαν (562 c) πολιτείαις (564 a) πολιτείας (564 a) πολιτείᾳ (564 b) πολιτείᾳ (564 e) πολιτείαν (568 b) πολιτείας (568 c) πολιτειῶν (568 d) IX [2] πολιτείαν (590 e) πολιτείαν (591 e) X [5] πολιτείαν (605 b) πολιτείας (607 d) πολιτειῶν (607 e) πολιτείας (608 b) πολιτείᾳ (619 c)

Timeacutee [4] πολιτείας (17 c) πολιτείας (19 b) πολιτείας (20 b) πολιτείας (25 e)

343

Annexe φύειν φύεσθαι1

Banquet [3] πεφυκέναι (184 b) πεφυκότων (193 c) φύεται (197 a) Charmide [1] πεφυκώς (154 e) Cratyle [18] πεφυκυῖαν (383 a) πεφυκέναι (383 b) πεφυκέναι (384 d) πεφυκότα (386 e) ἐπεφύκει

(387 b) ἐπεφύκει (387 b) ἐπεφύκει (389 a) ἐπεφύκει (389 b) πεφυκὸς (389 c) ἐπεφύκει (389 c) πεφυκὸς (389 c) πεφυκυῖαν (389 c) πεφυκὸς (389 d) πεφυκότα (397 b) πεφυκὸς (398 a) φυόμενα (410 d) πεφυκέναι (411 c) πεφυκέναι (434 a)

Critias [3] πεφυκυῖαν (109 d) πεφυκότι (115 a) πεφυκότος (117 a) Hippias majeur [1] πεφυκότα (301 b) Lachegraves [3] πεφυκὸς (192 c) πεφυκέναι (196 e) φυόμενα (198 e) Lettre VII [4] φυόμεναι (336 e) πεφυκυῖα (343 d) πεφυκότος (343 e) πεφυκότι (343 e)

VIII [1] πεφυκότων (355 a) Lois I [1] πεφύκαμεν (649 c)

II [2] πεφυκὸς (653 d) φύεται (672 c) III [5] πεφυκέναι (688 e) πεφυκότα (689 d) πεφυκυῖαν (690 c) πεφυκότα (690 d) φύεται (696c) IV [2] φύεται (712 a) πεφυκὸς (723 c) V [2] πεφύκασιν (728 c) πεφύκασιν (733 d) VI [5] φύει (766 a) πεφυκότα (773 b) φυόμενον (775 c) πεφύκασι (779 a) πεφυκός (780 c) VII [8] φύεσθαι (788 d) φύεται (788 d) φύοιτο (795 c) φύσαντα (797 e) πεφυκυῖα (803 d) πεφυκότων (807 d) πεφύκασι (819 b) πεφυκὸς (822 d) VIII [4] πεφύκῃ (829 d) φύσεσθαι (831 a) φύεσθαι (839 a) φύειν (848 b) IX [1] φύεται (875 a) X [2] πεφυκότε (902 c) πεφυκός (904 b) XII [2] φυόμενοι (951 b) πεφύκατον (961 d)

Lysis [1] πεφυκός (220 e) Parmeacutenide [2] πεφυκὸς (145 e) πεφυκὸς (153 d) Pheacutedon [11] πεφυκέναι (80 a) πεφυκυῖα (80 d) πεφύκασιν (94 a) πεφυκέναι (102 c) πεφυκέναι

(104 a) φύεται (110 a) φυόμενα (110 d) φύεσθαι (110 d) πεφυκέναι (111 a) πεφυκέναι (111 c) πεφυκότων (113 d)

Phegravedre [9] φύεσθαι (251 b) φύωσιν (251 c) φύουσα (251 c) πεφυκέναι (253 b) φύεται (259 c) πεφυκὸς (266 a) πεφυκόθ᾽ (266 b) φύεται (276 a) φυόμενοι (277 a)

Philegravebe [6] πεφυκότα (14 c) πεφυκὸς (27 e) πεφυκέναι (51 c) πεφυκός (53 d) πεφυκὸς (58 a) πεφυκὸς (65 d)

Politique [9] πεφυκυῖα (266 b) φύεσθαι (269 b) φύεσθαι (274 a) φύειν (274 a) φυόμεθα (274 e) πεφύκασιν (275 c) πεφύκατον (282 b) πεφύκασιν (285 e) φύεσθαι (310 e)

Protagoras [2] πεφυκότος (325 b) πεφυκέναι (330 d) Reacutepublique II [4] πεφυκέναι (358 e) φύεται (370 a) ἐπεφύκει (374 b) φύει (380 a)

III [1] φύσας (405 d) IV [4] φύηται (423 d) φύονται (424 a) πεφυκυῖα (433 a) πεφυκότος (442 e) V [1] πεφύκατον (466 d) VI [6] πεφυκὼς (490 a) φύεσθαι (491 b) πεφυκέναι (494 d) φύεται (503 b) φύεσθαι (503 c)πεφυκός (507 e) VII [1] φύονται (526 b)

1 Liste non complegravete comme il sagit dun verbe reacutegulier une tregraves grande majoriteacute de cas est recenseacutee peut-ecirctre plus de 90

344

VIII [6] πεφυκότας (547 e) πεφυκέναι (548 e) φύοιτο (556 b) φύεται (563 e) φυόμενον (564 b) φύηται (565 d) IX [3] πεφυκέναι (584 b) φύειν (588 c) φύεσθαι (589 b) X [5] φυόμενα (596 c) πεφυκώς (597 e) πεφυκός (601 d) πεφυκότος (609 b) φύει (621 a)

Sophiste [6] πεφυκέναι (232 a) πεφυκὸς (247 e) πεφυκόσιν (265 a) φύεται (265 c) πεφυκότ᾽ (266 b) πεφυκός (266 e)

Theacuteeacutetegravete [5] πεφυκότα (144 a) φύονται (144 b) φύεται (153 b) πεφυκότων (159 c) πεφυκέναι (206 b)

Timeacutee [20] πεφυκότων (30 c) φύεται (50 d) πεφυκέναι (51 a) πεφυκότα (53 b) πεφυκότα (54 c) πεφυκότας (55 d) πεφυκότα (55 d) πεφυκέναι (56 a) πεφυκυῖα (58 a) πεφυκότα (60 e) πεφυκέναι (62 d) πεφυκότος (62 d) πεφυκὼς (62 d) πεφυκότος (62 d) πεφυκυῖα (66 c) πεφυκότα (68 e) ἐπεφύκει (69 e) πεφυκὸς (86 c) φύεται (89 b) φύον (91 d)

345

Annexe φοβεῖσθαι

Alcibiade [2] φοβούμενός (120 d) φοβοῦμαι (132 a) Apologie [4] φοβοῦμαι (18 b) φοβηθεὶς (28 e) φοβήσομαι (29 b) φοβηθέντα (32 c) Banquet [5] φοβηθεὶς (174 a) φοβοῦμαι (189 b) ἐφοβούμην (193 e) φοβοῖο (194 a) ἐφοβούμην (198

c) Charmide [4] φοβούμενος (166 d) φοβεῖται (168 a) φοβεῖται (168 a) φοβοίμην (172 e) Cratyle [6] φοβούμενοι (403 a) φοβεῖσθαι (403 b) φοβοῦνται (403 b) φοβοῦνται (404 c) φοβοῦνται

(405 e) φοβοῦμαι (428 c) Criton [6] φοβῇ (45 a) φοβοῦmdashκαὶ (45 a) φοβούμενος (45 b) φοβεῖσθαι (47 b) φοβεῖσθαι (47 d)

φοβεῖσθαι (47 d) Euthydegraveme [8] φοβῇ (272 b) φοβεῖσθαι (272 b) φοβοῦμαι (272 c) φοβούμενοι (272 c) φοβούμεθα

(275 b) ἐφοβούμην (278 e) φοβεῖσθε (285 c) φοβηθεὶς (288 b) Euthyphron [2] φοβοῦμαι (3 d) φοβῇ (4 e) Gorgias [6] φοβοῦμαι (457 e) φοβούμενος (479 a) φοβοῖτο (510 b) φοβεῖται (522 e) φοβεῖταιmiddot (522

e) φοβούμενοι (525 b) Hippias majeur [5] φοβούμενος (282 a) φοβηθεὶς (292 d) φοβοῦμαι (296 a) φοβῇ (296 b) φοβοῦμαι

(301 e) Lachegraves [1] φοβούμενον (197 a) Lettre III [1] φοβούμενος (319 c)

VII [4] ἐφοβούμεθα (329 c) φοβούμενος (329 d) φοβούμενος (330 b) φοβεῖσθαι (336 d) XIII [1] φοβούμενος (360 d)

Lois I [6] φοβουμένων (642 e) φοβούμεθα (646 e) φοβούμεθα (646 e) φοβεῖσθαι (647 e) φοβούμενος (648 e) φοβησόμεθα (649 c) III [2] φοβούμεθα (685 c) φοβεῖσθαι (701 b) V [1] φοβητέα (746 e) VII [6] φοβεῖται (798 b) φοβεῖται (798 d) φοβηθεὶς (804 e) φοβεῖσθαι (818 e) φοβῇ (818 e) φοβοῦμαι (819 a) VIII [3] φοβηθεὶς (830 d) φοβούμενος (832 c) φοβηθῆναι (835 d) IX [3] φοβεῖσθαι (853 d) φοβουμένῳ (870 e) φοβούμενον (873 a) X [4] φοβοῦμαί (886 a) φοβητέον (891 a) φοβουμένην (897 a) φοβοῦνται (904 d) XI [4] φοβούμενοι (922 e) φοβείσθων (927 b) φοβεῖται (931 e) φοβεῖν (933 c) XII [1] φοβεῖσθαι (943 d)

Lysis [1] φοβοῦμαι (218 d) Meacutenexegravene [4] φοβουμένους (241 b) φοβεῖσθαι (241 c) φοβηθεὶς (245 b) φοβουμένους (248 b) Parmeacutenide [1] φοβεῖσθαι (137 a) Pheacutedon [15] φοβοῖντο (67 e) φοβοῖτο (68 b) φοβούμενοι (68 e) φοβοῦμαι (76 b) φοβεῖται (77 e)

φοβούμενοι (82 c) φοβηθῇ (83 b) φοβηθῇ (84 b) φοβεῖσθε (84 e) φοβεῖται (91 c) φοβεῖσθαι (95 d) φοβεῖσθαι (95 d) φοβούμενος (101 a) φοβοῖο (101 b) φοβοῖο (101 b)

Phegravedre [4] φοβοῖο (232 c) φοβούμενοι (232 c) φοβοῦνται (239 d) φοβούμενοι (257 d) Philegravebe [3] φοβοῦμαι (13 a) φοβηθεὶς (14 a) φοβῇ (16 a) Politique [1] ἐφοβήθημεν (268 c) Protagoras [6] φοβουμένους (316 d) φοβηθέντες (316 e) ἐφοβούμην (339 c) φοβοῦνται (349 e)

φοβοῦνται (360 b) φοβοῦνται (360 b) Reacutepublique I [2] ἐφοβούμην (336 d) φοβούμενοι (344 c)

II [1] φοβεῖται (382 a) III [4] πεφοβημένους (387 b) φοβούμεθα (387 c) φοβούμεθα (387 c) φοβοῦ (414 c)

346

IV [1] φοβουμένους (424 b) V [3] φοβητέον (452 b) ἐφοβούμην (453 d) φοβησόμεθα (470 a) VI [1] πεφοβημένου (503 b) VIII [4] φοβεῖσθαι (547 e) φοβήσαντες (551 b) φοβεῖσθαι (562 e) φοβεῖται (563 a) IX [2] φοβοῦνται (578 d) φοβοῖντο (578 d) X [1] φοβούμενος (606 c)

Sophiste [4] φοβοῦμαι (231 a) φοβούμενος (240 c) φοβοῦμαι (242 a) ἐφοβήθημεν (264 b) Theacuteeacutetegravete [3] ἐφοβούμην (143 e) φοβούμεναι (150 a) φοβοῦμαι (184 a) Timeacutee [2] φοβοῦμαι (19 e) φοβοῖ (71 b)

347

Annexe φόβος

Alcibiade [1] φόβου (121 c) Banquet [4] φόβος (193 a) φόβῳ (197 d) φόβοι (207 e) φόβῳ (221 a) Charmide [2] φόβον (167 e) φόβους (168 a) Ion [1] φόβου (535 c) Lachegraves [4] φόβου (191 b) φόβοιοrdquoHom (191 b) φόβους (191 d) φόβοις (191 e) Lettre VII [5] φόβοςmdashαἱ (328 b) φόβων (329 d) φόβον (333 b) φόβῳ (337 a) φόβῳ (337 a) Lois I [22] φόβοις (632 a) φόβους (633 c) φόβων (635 b) φόβους (635 c) φόβων (635 d) φόβου (639

b) φόβων (640 a) φόβος (644 c) φόβων (646 e) φόβον (647 a) φόβους (647 a) φόβοις (647 a) φόβον (647 a) φόβος (647 b) φόβος (647 b) φόβων (647 c) φόβον (647 c) φόβου (647 e) φόβους (648 b) φόβους (648 d) φόβου (649 a) φόβοις (649 c) II [2] φόβον (671 d) φόβον (671 d) III [3] φόβος (678 c) φόβον (698 b) φόβος (699 c) [1] φόβους (727 c) VI [1] φόβῳ (783 a) VII [4] φόβων (791 b) φόβους (791 c) φόβοις (792 b) φόβον (806 b) VIII [3] φόβου (831 a) φόβου (839 c) φόβος (840 c) IX [6] φόβου (863 e) φόβον (864 b) φόβου (865 e) φόβοι (870 c) φόβῳ (872 c) φόβῳ (874 e) X [3] φόβον (887 a) φόβων (906 a) φόβους (910 a) XI [2] φόβους (933 c) φόβοις (934 a) XII [1] φόβον (963 e)

Meacutenexegravene [1] φόβον (241 b) Pheacutedon [10] φόβων (66 c) φόβῳ (68 d) φόβον (69 a) φόβον (69 a) φόβων (69 b) φόβων (81 a) φόβῳ

(81 c) φόβων (83 b) φόβοις (94 d) φόβος (101 b) Phegravedre [1] φόβῳ (254 e) Philegravebe [7] φόβου (12 c) φόβον (20 b) φόβοι (36 c) φόβων (40 e) φόβον (47 e) φόβον (50 b) φόβοις

(50 d) Politique [1] φόβων (305 b) Protagoras [7] φόβον (352 b) φόβον (358 d) φόβον (358 d) φόβος (358 d) φόβος (358 e) φόβους

(360 b) φόβους (360 b) Reacutepublique II [1] φόβον (360 d)

III [1] φόβου (413 c) IV [2] φόβοις (429 d) φόβος (430 b) V [1] φόβων (471 d) VI [4] φόβῳ (497 d) φόβοις (503 a) φόβους (503 d) φόβοις (503 e) VII [1] φόβοις (537 a) VIII [2] φόβῳ (554 d) φόβον (557 a) IX [4] φόβου (578 a) φόβῳ (578 e) φόβων (579 b) φόβου (579 e) X [1] φόβων (616 a)

Sophiste [1] φόβον (268 a) Theacuteeacutetegravete [3] φόβοι (156 b) φόβῳ (168 d) φόβους (173 a) Timeacutee [3] φόβους (40 c) φόβον (42 a) φόβον (69 d)

348

Annexe ἀνδρεία

Alcibiade [13] ἀνδρεία (115 b) ἀνδρεία (115 c) ἀνδρείαν (115 c) ἀνδρείαν (115 c) ἀνδρείας (115 d)ἀνδρεία (115 d) ἀνδρείαν (115 e) ἀνδρείας (115 e) ἀνδρειότατος (122 a) ἀνδρειότατος (122a) ἀνδρείαν (122 c) ἀνδρεῖον (127 a) ἀνδρεῖα (127 a)

Apologie [1] ἀνδρείᾳ (35 a) Banquet [10] ἀνδρειότατοι (192 a) ἀνδρείας (192 a) ἀνδρείαν (194 b) ἀνδρείαν (196 c)

ἀνδρειοτάτου (196 d) ἀνδρειότατος (196 d) ἀνδρείας (196 d) ἀνδρεῖος (203 d) ἀνδρείαν (212 b) ἀνδρείαν (219 d)

Charmide [1] ἀνδρείως (160 e) Cratyle [11] ἀνδρεῖον (407 d) ἀνδρείαν (413 d) ἀνδρεία (413 e) ἀνδρείαςmdashμάχην (413 e) ἀνδρείας

(413 e) ἀνδρεία (413 e) ἀνδρεία (414 a) ἀνδρείαν (415 c) ἀνδρείως (421 c) ἀνδρείως (440 d) Critias [1] ἀνδρείως (108 c) Criton [1] ἀνδρεῖος (45 d) Euthydegraveme [6] ἀνδρείως (275 b) ἀνδρείως (275 e) ἀνδρεῖον (279 b) ἀνδρεῖος (281 c) ἀνδρειότατα

(294 d) ἀνδρείως (306 d) Gorgias [21] ἀνδρείας (463 a) ἀνδρείως (480 c) ἀνδρεῖοι (491 b) ἀνδρειότεροί (491 c) ἀνδρείους

(491 c) ἀνδρείαν (492 a) ἀνδρεῖος (494 d) ἀνδρείαν (495 c) ἀνδρείαν (495 c) ἀνδρείαν (495 d) ἀνδρείαν (495 d) ἀνδρείους (497 e) ἀνδρεῖοι (498 a) ἀνδρεῖοι (498 b) ἀνδρεῖοι (498 b) ἀνδρείων (498 c) ἀνδρεῖοι (498 c) ἀνδρείους (498 e) ἀνδρεῖόν (499 a) ἀνδρεῖόν (507 b) ἀνδρεῖον (507 c)

Lachegraves [77] ἀνδρειότερον (182 c) ἀνδρεῖος (184 b) ἀνδρείαν (190 d) ἀνδρεία (190 d) ἀνδρεία (190 e) ἀνδρεῖος (190 e) ἀνδρεῖός (191 a) ἀνδρείους (191 d) ἀνδρείους (191 d) ἀνδρεῖοί (191 d) ἀνδρεῖοί (191 d) ἀνδρεῖοιmdash (191 e) ἀνδρεῖοι (191 e) ἀνδρείαν (191 e) ἀνδρείαν (191 e) ἀνδρείαν (192 b) ἀνδρεία (192 b) ἀνδρείας (192 c) ἀνδρεία (192 c) ἀνδρείαν (192 c) ἀνδρείαν (192 d) ἀνδρεία (192 d) ἀνδρεία (192 d) ἀνδρεῖον (192 e) ἀνδρειότερον (193 a) ἀνδρεῖον (193 b) ἀνδρειοτέρους (193 c) ἀνδρεία (193 d) ἀνδρείαν (193 d) ἀνδρείας (193 e) ἀνδρεία (194 a) ἀνδρείως (194 a) ἀνδρεία (194 a) ἀνδρείας (194 b) ἀνδρείαν (194 c) ἀνδρείαν (194 c) ἀνδρεῖος (194 d) ἀνδρείαν (194 d) ἀνδρεία (194 e) ἀνδρείας (195 a) ἀνδρεῖοι (195 b) ἀνδρείους (195 b) ἀνδρεῖοί (195 c) ἀνδρεῖον (195 d) ἀνδρείους (195 e) ἀνδρεῖος (195 e) ἀνδρεῖον (196 a) ἀνδρείαν (196 d) ἀνδρεῖος (196 d) ἀνδρεία (196 d) ἀνδρείαν (196 e) ἀνδρείαν (196 e) ἀνδρείαν (196 e) ἀνδρείαν (196 e) ἀνδρεῖα (197 a) ἀνδρεῖα (197 a) ἀνδρεῖα (197 a) ἀνδρεῖα (197 b) ἀνδρεῖον (197 b) ἀνδρείας (197 b) ἀνδρεῖα (197 b) ἀνδρεῖα (197 c) ἀνδρείους (197 c) ἀνδρεῖοι (197 c) ἀνδρείαν (197 e) ἀνδρείαν (198 a) ἀνδρείᾳ (198 a) ἀνδρείαν (198 c) ἀνδρεία (199 a) ἀνδρεία (199 b) ἀνδρείας (199 c) ἀνδρείαν (199 c) ἀνδρεία (199 c) ἀνδρεία (199 d) ἀνδρείαν (199 e) ἀνδρεία (199 e) ἀνδρείας (200 a)

Lettre IV [1] ἀνδρείᾳ (320 b) V [1] ἀνδρεῖος (321 e) VII [1] ἀνδρείου (336 b)

I [18] ἀνδρείας (630 b) ἀνδρείας (630 b) ἀνδρείας (631 c) ἀνδρεία (631 d) ἀνδρείας (632 e) ἀνδρείαν (633 c) ἀνδρείαν (634 a) ἀνδρείους (634 b) ἀνδρεῖοι (635 d) ἀνδρείαν (635 e) ἀνδρεῖον (640 a) ἀνδρεῖος (640 a) ἀνδρείαν (647 d) ἀνδρειότατον (648 a) ἀνδρείαν (648 a) ἀνδρείας (648 b) ἀνδρείως (648 c) ἀνδρείαν (649 c)

Lois I [18] ἀνδρείας (630 b) ἀνδρείας (630 b) ἀνδρείας (631 c) ἀνδρεία (631 d) ἀνδρείας (632 e) ἀνδρείαν (633 c) ἀνδρείαν (634 a) ἀνδρείους (634 b) ἀνδρεῖοι (635 d) ἀνδρείαν (635 e) ἀνδρεῖον (640 a) ἀνδρεῖος (640 a) ἀνδρείαν (647 d) ἀνδρειότατον (648 a) ἀνδρείαν (648 a) ἀνδρείας (648 b) ἀνδρείως (648 c) ἀνδρείαν (649 c) II [7] ἀνδρείου (655 a) ἀνδρείων (655 b) ἀνδρείας (659 a) ἀνδρείων (660 a) ἀνδρείαν (661 e)ἀνδρεῖος (661 e) ἀνδρείαν (667 a) III [3] ἀνδρειότεροι (679 e) ἀνδρεία (696 b) ἀνδρεῖον (696 b) IV [2] ἀνδρεῖος (709 e) ἀνδρεῖος (710 c) V [4] ἀνδρεῖον (733 e) ἀνδρείας (734 c) ἀνδρεῖος (734 d) ἀνδρεῖον (734 d)

349

VI [1] ἀνδρείως (752 b) VII [7] ἀνδρείας (791 b) ἀνδρείας (791 b) ἀνδρείαν (802 e) ἀνδρείας (807 b) ἀνδρείαν (808 c) ἀνδρείαν (815 e) ἀνδρείας (824 a) VIII [5] ἀνδρείους (831 e) ἀνδρεῖον (832 c) ἀνδρείας (836 d) ἀνδρεῖον (837 c) ἀνδρεῖον (840 a) IX [1] ἀνδρείως (855 a) X [2] ἀνδρείαν (900 e) ἀνδρειότατε (905 c) XI [1] ἀνδρείαις (922 a) XII [9] ἀνδρείας (944 c) ἀνδρείων (945 a) ἀνδρείαν (963 c) ἀνδρείαν (963 e) ἀνδρείας (963 e) ἀνδρεία (963 e) ἀνδρεία (964 b) ἀνδρείᾳ (965 d) ἀνδρειότατος (969 a)

Meacutenexegravene [3] ἀνδρείως (247 d) ἀνδρείων (247 d) ἀνδρεῖος (248 a) Meacutenon [5] ἀνδρεία (74 a) ἀνδρεῖος (81 d) ἀνδρείαν (88 a) ἀνδρεία (88 b) ἀνδρεία (88 b) Parmeacutenide [1] ἀνδρείως (129 e) Pheacutedon [9] ἀνδρεία (68 c) ἀνδρείαν (68 d) ἀνδρεῖοι (68 d) ἀνδρεῖοί (68 d) ἀνδρεῖον (68 d) ἀνδρεία

(69 b) ἀνδρεία (69 c) ἀνδρεῖοι (83 e) ἀνδρείᾳ (115 a) Phegravedre [2] ἀνδρείου (239 a) ἀνδρείων (239 c) Philegravebe [2] ἀνδρείους (53 d) ἀνδρείαν (55 b) Politique [18] ἀνδρειότατα (262 a) ἀνδρειότατε (263 d) ἀνδρείαν (306 a) ἀνδρείας (306 b)

ἀνδρείας (306 e) ἀνδρεῖον (306 e) ἀνδρείας (307 b) ἀνδρείαν (307 c) ἀνδρείαν (308 a) ἀνδρείου (308 e) ἀνδρείαν (309 b) ἀνδρεία (309 d) ἀνδρείαν (310 d) ἀνδρεία (310 d) ἀνδρείας (310 e) ἀνδρείων (310 e) ἀνδρεῖά (311 b) ἀνδρείων (311 b)

Protagoras [41] ἀνδρείαν (310 d) ἀνδρεῖοί (329 e) ἀνδρεία (330 a) ἀνδρεία (330 b) ἀνδρείᾳ (342 b) ἀνδρεία (349 b) ἀνδρεία (349 d) ἀνδρειοτάτους (349 d) ἀνδρείους (349 e) ἀνδρεῖοί (350 b) ἀνδρεία (350 b) ἀνδρείους (350 b) ἀνδρεῖοι (350 c) ἀνδρειότατοι (350 c) ἀνδρεία (350 c) ἀνδρεῖοι (350 c) ἀνδρεῖοι (350 c) ἀνδρείους (350 d) ἀνδρείαν (350 d) ἀνδρείαν (351 a) ἀνδρείους (351 a) ἀνδρείους (351 a) ἀνδρεία (351 b) ἀνδρείας (353 b) ἀνδρείαν (359 b) ἀνδρειοτάτους (359 b) ἀνδρεία (359 b) ἀνδρείους (359 b) ἀνδρείους (359 c) ἀνδρεῖοι (359 c) ἀνδρείους (359 d) ἀνδρεῖοι (359 d) ἀνδρεῖοι (359 e) ἀνδρεῖοι (359 e) ἀνδρεῖος (360 a) ἀνδρεῖοι (360 b) ἀνδρείαν (360 c) ἀνδρεία (360 d) ἀνδρεία (360 d) ἀνδρειότατοι (360 e) ἀνδρεία (361 b)

Reacutepublique II [5] ἀνδρειότατος (357 a) ἀνδρείαν (361 b) ἀνδρεῖόν (375 a) ἀνδρεῖος (375 a) ἀνδρειοτάτην (381 a) III [11] ἀνδρεῖοι (386 a) ἀνδρεῖον (386 b) ἀνδρείους (395 c) ἀνδρείου (399 a) ἀνδρείων (399 c) ἀνδρείου (399 e) ἀνδρείας (402 c) ἀνδρεῖον (410 d) ἀνδρεία (410 e) ἀνδρειότερος (411 c) ἀνδρεῖοι (416 e) IV [20] ἀνδρείας (426 d) ἀνδρεία (427 e) ἀνδρεία (429 a) ἀνδρείαν (429 b) ἀνδρεῖοι (429 b) ἀνδρεία (429 b) ἀνδρείαν (429 c) ἀνδρείαν (429 c) ἀνδρείαν (430 b) ἀνδρείαν (430 b) ἀνδρείαν (430 c) ἀνδρεία (431 e) ἀνδρείαν (432 a) ἀνδρείας (433 b) ἀνδρείᾳ (433 d) ἀνδρεία (435 b) ἀνδρεῖος (441 d) ἀνδρείαν (441 d) ἀνδρείᾳ (442 b) ἀνδρεῖον (442 b) V [4] ἀνδρεῖον (451 c) ἀνδρείως (454 b) ἀνδρειοτέρου (459 c) ἀνδρείῳ (468 d) VI [6] ἀνδρείας (487 a) ἀνδρεία (490 c) ἀνδρείαν (491 b) ἀνδρεία (494 b) ἀνδρείας (504 a) VII [2] ἀνδρειοτάτους (535 a) ἀνδρείαν (536 a) VIII [3] ἀνδρείαν (561 a) ἀνδρειότατον (564 b) ἀνδρεῖος (567 b) IX [2] ἀνδρεῖος (582 c) ἀνδρείᾳ (582 e)

Theacuteeacutetegravete [4] ἀνδρεῖον (144 a) ἀνδρειότεροι (144 b) ἀνδρείως (157 d) ἀνδρεῖον (177 d) Timeacutee [1] ἀνδρείας (70 a)

350

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Sperber Les Belles Lettres Tome III ndash 2e partie 2008 [1923] Texte eacutetabli et traduit par Alfred Croiset avec la collaboration de Louis Bodin

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mdash mdash Hippias mineur GF 870 2005 Introduction traduction et notes par Francesco Fronterotta Les Belles Lettres Tome I 2002 [1920] Texte eacutetabli et traduit par Maurice Croiset

mdashmdash Inon GF 529 2001 [1989] Introduction traduction et notes par Monique Canto-Sperber Les Belles Lettres Tome V ndash 1re Partie 1931 Texte eacutetabli et traduit par Louis Meacuteridier

mdashmdash Lachegraves GF 652 1997 Introduction traduction et notes par Louis-Andreacute Dorion Les Belles Lettres Tome II 20011 [1921] Texte eacutetabli et traduit par Alfred Croiset

mdashmdash Lysis GF 1006 2004 Introduction traduction et notes par Louis-Andreacute Dorion Les Belles Lettres Tome II 20011 [1921] Texte eacutetabli et traduit par Alfred Croiset

mdashmdash Meacutenexegravene GF 1162 2006 Introduction traduction et notes par Daniel Loayza Les Belles Lettres Tome V ndash 1re Partie 1931 Texte eacutetabli et traduit par Louis Meacuteridier

mdashmdash Meacutenon GF 491 1993 [1991] Introduction traduction et notes par Monique Canto-Sperber Les Belles Lettres Tome III ndash 2e partie 2008 [1923] Texte eacutetabli et traduit parAlfred Croiset avec la collaboration de Louis Bodin

mdashmdash Parmeacutenide GF 688 1999 [1994] Introduction traduction et notes par Luc Brisson Les Belles Lettres Tome VIII ndash 1re partie 2010 [1923] Texte eacutetabli et traduit par Auguste Diegraves

mdashmdash Pheacutedon GF 489 1991 Introduction traduction et notes par Monique Dixsaut Les Belles Lettres Tomes IV ndash 1re partie 2006 [1983] Notice de Leacuteon Robin Texte eacutetabli et traduit par Paul Vicaire

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mdashmdash Philegravebe GF 705 2002 Introduction traduction et notes par Jean-Franccedilois Pradeau Les Belles Lettres Tome IX ndash 2e partie 1941 [2002] Texte eacutetabli et traduit par Auguste Diegraves

mdashmdash Protagoras GF 761 1997 Introduction traduction et notes par Freacutedeacuterique Ildefonse Les Belles Lettres Tome II - 1re partie 2002 [1923] Texte eacutetabli et traduit par Alfred Croiset avec la collaboration de Louis Bodin

mdashmdash Reacutepublique GF 653 2002 Introduction traduction et notes par Georges Leroux LesBelles Lettres Tome VI ndash livres I-III 1959 Texte eacutetabli et traduit par Emile Chambry avec introduction dAuguste Diegraves Les Belles Lettres Tome VII ndash 1re partie ndash livres IV-VII 1933 Texte eacutetabli et traduit par Emile Chambry Les Belles Lettres Tome VII ndash 2re

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358

Table des matiegraveres

Introduction51 La structure72 La philosophie93 La Forme104 Lacircme115 Lignorance146 Lἐπιστήμη157 La vertu178 La dialectique199 Questions de meacutethode20Conclusion21

Ch I La Forme25I1 La Forme est-elle preacutesente dans les premiers dialogues 25

I11 Premiegravere description preacuteliminaire de la reacutealiteacute intelligible26I12 Aὐτὸ τὸ x27

I121 Lαὐτὴ ἡ πόλις28I122 Euthyphron et αὐτὸ τὸ εἶδος30I123 Hippias majeur et laquo τί ἐστι αὐτὸ τὸ καλὸν raquo31I124 Lαὐτὰ καθ αὑτὰ οὔτε κακὰ εἶναι οὔτε ἀγαθά32I125 Meacutenon Lysis et Euthydegraveme34

I13 La seacuteparation entre lacircme et le corps35I131 Χρήματα35I132 Gorgias et la seacuteparation explicite entre lacircme et le corps37

I2 La neacutecessiteacute de lexistence des reacutealiteacutes intelligibles38I21 Neacutecessiteacute ontologique39

I211 Lecirctre et le non-ecirctre parmeacutenidiens39I212 Du Soleil au Bien42I213 La mort la meacutemoire limmortaliteacute et la reacuteminiscence44

I22 La neacutecessiteacute eacutepisteacutemologique47I221 Limpossibiliteacute de la science parmeacutenidienne47I222 La neacutecessiteacute de ce qui est50

I23 La neacutecessiteacute eacutethique51I231 Limpossibiliteacute de la participation parmeacutenidienne52I232 La neacutecessiteacute eacutethique de lontologie54

I3 Quest-ce que la Forme 55I31 Intelligible56

I311 Question de lexpression de la Forme56I312 τὸ εἶναι58I313 ἕκαστον ὃ ἔστι60

I32 Trois eacutetapes pour saisir la reacutealiteacute intelligible62I321 Saisie par la sensation62I322 Saisie par le raisonnement64I323 Saisie par lintellection65

I33 Au-delagrave des Formes et la participation67I331 Le jour et la Forme67

359

I332 La penseacutee (νόημα) et la Forme68I333 Le paradigme et la Forme69

I4 Conclusion69

Ch II Lacircme73II1 Lacircme comme la fnaliteacute de laction philosophique73

II11 Apologie donne le contexte des premiers dialogues74II111 La jeunesse75II112 Le savoir78II113 La veacuteriteacute80

II12 Lacircme et le miroir83II121 Le miroir comme producteur dimages83II122 La psychologie comme miroir84II123 Le miroir comme paradigme87

II13 Lacircme corruptible88II131 Confusion entre vrai et faux dans lEuthydegraveme89II132 Confusion entre science et non-science dans lHippias mineur91II133 Confusion entre lacircme et le corps dans le Protagoras94

II14 Lopposition entre lacircme et le corps96II141 Alcibiade le soi-mecircme et lautre97II142 Charmide le tout seacutecable et inseacutecable98II143 Gorgias le corps mortel et lacircme immortelle100

II2 Lacircme comme la fnaliteacute de la connaissance philosophique101II21 Limmortaliteacute de lacircme101

II211 Deacutesir de limmortaliteacute dans le Banquet101II212 Immortaliteacute de lacircme comme solution agrave la mort102II213 Limmortaliteacute de lacircme comme principe de lecirctre104

II22 La structure de lacircme104II221 Lattelage aileacute dans le Phegravedre105II222 La tripartition fonctionnelle dans la Reacutepublique106

II23 Communication entre le sensible et lintelligible107II3 Lorigine de lunivers dans le Timeacutee110

II31 Le deacutemiurge et lunivers112II32 Lacircme humaine114

II4 Conclusion116

Ch III Lignorance121III1 laquo Moi raquo et laquo moi-mecircme raquo121

III11 Alcibiade et laquo connais-toi toi-mecircme raquo122III111 La technique et lignorance124III112 Le deacutesir et lignorance127III113 Le pouvoir et lignorance127

III12 Protagoras et laquo connais-toi toi-mecircme raquo128III121 laquo Rien de trop raquo et Simonide129III122 laquo Rien de trop raquo et Protagoras130III123 laquo Rien de trop raquo et Eacutepimeacutetheacutee131

III13 Philegravebe et laquo Connais-toi toi-mecircme raquo132III131 Quatre eacuteleacutements et le corps134III132 Le plaisir et le deacutesir134

360

III133 La psychologie135III2 Connaicirctre138

III21 Ion linspiration naturelle nest ni art ni science138III211 Folie divine138III212 Folie divine et les arts humains140III213 Rhapsode142

III22 Lignorance en terme ontologique144III221 Diffeacuterence entre laquo τὸ μὴ εἶναι raquo et laquo τὸ μὴ ὄν raquo 144III222 Lopinion fausse146III223 Refus de la veacuteriteacute147

III23 Theacuteeacutetegravete148III231 Oubli sensation meacutemoire148III232 Ce qui nest pas149III233 Le totaliteacute sans uniteacute151

III3 Paradoxe socratique deacuteclaration dignorance152III31 Sans compeacutetence particuliegravere152III32 Faux ou vrai savant153III33 Le philosophe est neacutecessairement laquo ignorant raquo154

III4 Conclusion154

Ch IV Lἐπιστήμη159IV1 Signifcation160

IV11 Tradition160IV12 Sophiste161IV13 Philosophe163

IV2 Τέχνη comme opinion165IV21 Image dimage166

IV211 Peinture166IV212 Eacutecriture168IV213 Sensible171

IV22 Croyance173IV221 Croyance agrave la folie divine174IV222 Croyance au λόγος175IV223 Croyance aux biens particuliers176

IV3 Τέχνη comme utiliteacute179IV31 Lutiliteacute technique et la connaissance180IV32 Lutiliteacute technique et la sensation180IV33 Lutiliteacute technique et le temps183

IV4 La διάνοια185IV41 Discours argumentatifs185

IV411 Hypothegravese185IV412 Raisonnement187IV413 Veacuteriteacute190

IV42 Les matheacutematiques191IV421 Immuabiliteacute192IV422 Preacutecision194IV423 Enseignement194

IV5 La politique195IV51 Conception traditionnelle196

361

IV52 Conception de sophiste197IV53 Conception philosophique200

IV6 La connaissance de lecirctre200IV61 Principes decirctre201IV62 Fonction propre202IV63 Eacuteducation203

IV7 Conclusion204

Ch V La vertu209V1 Sens de lἀρετή210

V11 Excellence sans connotation eacutethique210V12 Excellence technique et eacutethique211V13 Excellence de lacircme212

V2 La justice213V21 La justice et les sophistes215

V211 Luniteacute des vertus215V212 La justice et le bonheur216V213 Deacutepassement de lopposition entre la nature et la loi218

V22 La justice et la tacircche propre219V221 Lexcellence et la fonction propre220V222 La justice et leacuteducation221V223 La justice est lexcellence de toutes les fonctions223

V23 La Justice et la citeacute224V231 Les enfants et les femmes225V232 La citoyenneteacute226V233 Luniteacute de la citeacute230

V3 La tempeacuterance233V31 La loi lunivers et le divin235

V311 La puissance du savoir divin236V312 Eacuteteindre la deacutemesure238V313 Mythe dEr240

V32 Principes cosmologiques242V321 La proportion242V322 La hieacuterarchie244V323 Lharmonie245

V33 Le discours la justice et la tempeacuterance246V331 La loi comme discours247V332 La loi comme distribution de lintellect249

V4 Le courage251V41 Reacutesister agrave la peur252

V411 La peur de la mort254V412 La peur de la veacuteriteacute256

V42 Reacutesister aux deacutesirs et aux plaisirs257V5 Conclusion259

Ch VI La dialectique263VI1 Le mythe264

VI11 Le mythe et la repreacutesentation265VI111 Eacutethique et la repreacutesentation266

362

VI112 Politique et la repreacutesentation271VI113 Lunivers et la repreacutesentation272

VI12 Bon usage du mythe273VI121 Critique du mythe273VI122 Eacuteloge du mythe276

VI13 Philosophe fabricant de mythes278VI131 Valeur politique eacutethique278VI132 Fonction dialectique280

VI2 La reacutefutation282VI21 Laspect eacutepisteacutemologique282

VI211 Proceacutedeacute283VI212 Fonction dialectique284

VI22 Laspect politique287VI221 La reacutefutation et la persuasion288VI222 La reacutefutation contre lennemi interne de la citeacute289

VI23 Laspect eacutethique291VI231 Soi-mecircme et lautre291VI232 Soumettre soi-mecircme agrave examen292VI233 Soumettre les autres agrave examen293

VI3 Principes dialectiques296VI31 Limites de la reacutefutation297

VI311 La limite de la reacutefutation critique297VI312 La limite de lenlegravevement du faux par la reacutefutation298VI313 La limite de la reacutefutation expeacuterimentale299

VI32 La reacuteminiscence301VI33 La contemplation304

VI331 Principe de lUn304VI332 Principe du contraire306VI333 Principe de la division308

VI4 Conclusion309

Conclusion313

Annexe σῶμα ψυχή321

Annexe εἶδος ἰδέα326

Annexe ἀθάνατος ἀθανασία327

Annexe ἡδονή328

Annexe ἐπιστήμη329

Annexe σοφία332

Annexe δόξα334

Annexe δίκη δικαιοσύνη336

Annexe φρόνησις339

Annexe πολίτης341

Annexe πολιτεία342

Annexe φύειν φύεσθαι344

363

Annexe φοβεῖσθαι346

Annexe φόβος348

Annexe ἀνδρεία349

Bibliographie351

364

REacuteSUMEacute

La philosophie de Socrate selon Platon se structure autour de six termes la Forme lacircme

lignorance la science la vertu et la dialectique En effet lacircme immortelle est la source de tous

les biens et de tous les maux parce quelle est le principe du mouvement spontaneacute et par

conseacutequent la cause premiegravere de tous les mouvements aussi bien intellectifs que sensitifs et

physiques Cela eacutetant rendre justes la citeacute et les citoyens cest avant tout rendre juste leur acircme

Or comment rendre meilleure une acircme si lon ne connaicirct pas la cause mecircme des biens et celle

des maux Dans les premiers dialogues Socrate philosophe contre lignorance qui est la cause du

vice lequel prive lacircme de la vertu Dans les dialogues tardifs Socrate philosophe pour la science

cest-agrave-dire la connaissance de ce qui est qui est la source mecircme de la vertu Or comment

connaicirctre ce qui est si la reacutealiteacute ou lecirctre ne cesse de changer De lagrave vient la neacutecessiteacute de

lexistence des reacutealiteacutes intelligibles qui sont universelles et immuables auxquelles participent les

reacutealiteacutes sensibles qui sont particuliegraveres et changeantes Une question se pose si la reacutefutation est

le moyen agrave travers le dialogue de faire apparaicirctre lignorance quel est le moyen de connaicirctre ce

qui est Ce moyen cest la dialectique qui permet agrave travers le dialogue de se remeacutemorer des

reacutealiteacutes veacuteritables que lacircme eut jadis contempleacutees

TITRE EN ANGLAIS

The Structure of Socrates Philosophy according to Plato

MOTS CLEacuteS

Socrate acircme connaissance de soi vertu reacutefutation dialectique dialogue

INTITULEacute ET ADRESSE DE LUFR

LUFR de philosophie (UFR10)

17 rue da la Sorbonne

75005 Paris

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