384

La renaissance du stoicisme au XVIe siecle

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Tese sobre o renascimento do estoicismo no século XVI de Zanta, Leontine

Citation preview

  • Digitized by the Internet Archivein 2010 with funding from

    University of Ottawa

    http://www.archive.org/details/larenaissanceduOOzant

  • LA RENAISSANCE DU STOCISME

    AU XVI" SICLE

  • LA

    RENAISSANCE DU STOCISMEAU

    XVP SIECLE

    THKSE POTR LE DOCTORAT KS LETTRESPRSENTi: A LA FACULTE DES LETTRES DE l'cM VllRSlT DE l'AKIS

    PAR

    LEONTINK ZANTA

    ILVRIS

    LIBRAIRIE ANCIENxXH HONOR CHAMPIONEDOUARD CHAMPION

    C), QUAI MALAQLAIS

    I9I4

    Tous Jroits rserves.

  • A LA MEMOIRE DE MON VERV

    MON iRKMIER MAITRK

  • JUN 1 2 1958

  • AVANT-PROPOS

    Depuis quelque temps dj, la question d'un courant sto-cien qui aurait pntr le wi'' et le xvn'^ sicle proccupe biendes esprits. M. Strowski Ta nettement pose dans ses

    Etudes sin^ le sentiment ^eli^'ieiix an Xl^IP sicle en France.M. Victor Giraud a fait ce sujet de nombreuses et fr-quentes allusions dans ses ouvrages. C'est leurs excellents

    travaux que je dois d'avoir choisi ce champ d'tudes, ainsiqu'aux conseils de M. Gabriel Sailles, mon premier matreen philosophie, et de M. Creorges Goyau, qui m'a suggr

    l'ide de chercher du ct de la Rforme l'explication de cer-tains aspects du no-stocisme.

    Cette tude, je devrais plutt dire cet essai sur la Renais-

    sance du stocisme au x\r" sicle, est loin d'tre complet,

    mais il offrira tout au moins l'avantage de provoquer denouvelles recherches sur un problme qui garde toujoursun intrt d'actualit, celui des rapports de la philosophie

    antique et de la philosophie chrtienne.

    Cette rencontre entre stocisme et christianisme, c'est--

    dire entre deux philosophies essentiellement morales et reli-

    gieuses, s'tait dj produite aux premiers sicles de l're

  • II

    chrtienne et avait t signale avec beaucoup de clart dans

    les thses de M. de F'a3'e sur Clment d'Alexandrie de

    M. Thamin sur saint Ambroise et la morale chrtienne au

    IV'^ sicle, de M. Pichon sur Lactance.

    A ces matres, je dis toute ma gratitude; ils ont t pourmoi, soit par leurs livres, soit par leurs conseils, des guides

    prcieux, sans lesquels il m'et t difficile, dans un sicle

    aussi riche, aussi divers que le xvi'-^ sicle, de rassembler les

    lments pars du stocisme et d'y apporter quelque unit.

  • INTRODUCTION

    LE MOUVEMENT STOCIEN DE LA RENAISSANCE

    Des tudes intressantes ont dj sii^nal, ces dernires annes,l'existence d'une restauration partielle du stocisme au xvf sicle \ i).Nous avons vu l l'indication d'un mouvement plus vaste qu'ilserait utile de prciser et d'tudier dans son ensemble. La renais-sance du stocisme fera donc l'objet de cette tude; nous essaieronsde l'analyser dans ses causes profondes et souvent caches, de lareplacer dans le milieu o elle s'est produite, racontant son his-toire, depuis ses humbles dbuts, jusqu'au moment o elle se fixeet s'panouit en quelque sorte dans les uvres de deux hommes :Juste Lipse et Guillaume Du Vair, qu'on peut considrer commeles reprsentants authentiques d'un stocisme n(juveau qu'il resteraalors caractriser et dfinir.

    Rappelons tout d'abord qu'au dbut de la Renaissance, l'homme,remis en face de lui-mme, a repris conscience de sa force, et sur-tout de la f

  • 2 INTRODUCTION

    d'homme, il est immdiatement rcompens. Nul besoin dessanctions de l'au-del : la paix, l'harmonie intrieure sont rserves

    ceux qui se rangent aux lois de la Nature, et le Seqiiej^e natu?'am

    devient le principe universel d'action.

    Il V a plus encore : les sanctions sociales viennent s'ajouter auxsanctions individuelles; il semble alors, en Italie surtout, que leshonneurs, les dignits soient les rcompenses immdiates del'intelligence et du travail. Ces hommes de la Renaissance,qu'ils soient rudits, peintres, sculpteurs, potes ou historiens,

    quelque degr que les place d'ailleurs leur gnie, ont lutt coura-

    geusement contre les obstacles qui menacent leurs dbuts tous les

    talents, mais ils en ont triomph.Telles sont les tendances nouvelles. Elles vont rencontrer et

    heurter des forces contraires, celles du pass et de la tradition, etun combat doit invitablement s'engager entre cet esprit nouveau,tout teint de paganisme, et celui des sicles passs, tout imprgnde christianisme, entre l'Autorit et la Raison. Cependant, commele Christianisme ne peut pas ignorer l'art antique dont il sent etcomprend toute la beaut, la lutte ne saurait tre violente pour lesesprits, du moins, qui ont dvelopp leur sens esthtique et parti-cip d'une manire quelconque ce grand mouvement de laRenaissance; aussi aboutira-t-elle en dfinitive une heureuseconciliation. Mais encore faut-il que parmi les tendances philoso-phiques, celles-l soient choisies, qui, par nature, rpugneront lemoins au christianisme; or, de toutes les morales anciennes, cellequi s'accorde le mieux avec les aspirations gnrales du mondereligieux chrtien, c'est la morale stocienne. Son succs, par cefait mme, est donc assur; et comme, d'autre part, l'humanismevulgarise les uvres des stociens, nous pouvons reconnatre dansl'humanisme l'une des sources les plus fcondes du courantstocien.

  • CHAPITRE PREMIER

    Le mouvement stocien en italie

    L'croulement de FEmpire en i25o, la Papaut transfre enFrance partir de i 3o6, avaient laiss Tltalie, ds le commencementdu xive sicle, livre Tanarchie. C'est alors que commencent lesguerres civiles, les tyrannies locales; le pouvoir devient Fapanagede la force, qui s'exerce, plus soucieuse del fin que de la moralitdes moyens, et c'est l, certes, une condition favorable au dvelop-pement des nergies, la glorification de l'effort; c'est la meilleuretraduction pratique du tonos stocien. Les humanistes setrouvent alors comme envehjpps d'une atmosphre de stocisme :partout la lutte, l'effort, et l'efi'ort suivi de succs; partout cet pa-nouissement de l'individualisme, qui permet chacun de donnerpleinement sa mesure.

    L'Italie en effet fourmille de personnalits marquantes qui sontles artisans de leur propre fortune. Voyez ce Cosme de Mdicis ( i ),simple marchand, qui arrive blouir Florence avec de l'argent,de l'ambition, l'exprience des hommes et des atiaires; il occupe lapremire place, il se fait le protecteur des lettres, encourageantleurs progrs par ses largesses; Niccolo Niccoli (2) pan du mmedegr de l'chelle sociale; son luxe est tout entier dans les

  • 4 INTRODUCTION

    Laurent le Magnifique, donne Michel-Ange pour compagnon ses fils et ses neveux. Charles-Quint accorde Titien le titre etles privilges de comte palatin et de conseiller imprial. Quelleinfluence, quel crdit que ceux de ces secrtaires pontificaux,

    presque tous humanistes! Ils rendent de continuels services dansla vie publique, jouent un rle politique dans les conciles de Bleet de Constance, sans perdre de vue les intrts des lettres :Pogge, au moment des dmls entre le monastre de Hersfeld etle Pape, promet d'arranger TafFaire s'il obtient le manuscrit qu'ildsire ( i).

    La culture intellectuelle permet donc d'esprer tous les honneurs,elle assure tous les avantages. C'est elle qui, dans l'Eglise,conduit aux dignits; rappelons la rapide fortune d'Enea SilvioPiccolomini (2) qui s'leva d'une situation voisine de la misre celle de secrtaire particulier des grands dignitaires de l'Eglise; ilse fit connatre et apprcier par lui-mme, prpara sa grandeurfuture, alors que rien cependant, dans le rle hostile qu'il avaitjou contre le Pape au concile de Ble, ne l'y avait destin, nonplus que sa vie facile, au milieu d'amis vous au culte de l'Anti-quit, mais adonns des murs rien moins qu'irrprochables.Moins haute, mais pourtant aussi rapide, est la fortune de Bessa-rion (3). Lui aussi, de modeste extraction, s'lve de dignit endignit, jusqu'au mjoment o, archevque de Nice, il accompagnel'empereur grec en Italie, travaille la runion des deux Eglises, etenfin obtient la pourpre cardinalice.

    Une telle exprience devait modifier l'idal que concevait leMoyen Age. A la Renaissance, on est d'autant plus got que l'onse distingue davantage de la masse. La meilleure des rgles de vieest alors de se fier sa nature propre, dont il s'agit simplement dedvelopper librement et harmonieusement toutes les forces. Danscet idal, rien d'impersonnel, rien d'absolu : il est relatif chaqueindividu, soucieux du qiiiddam siium ac proprium, soucieux parsuite de surpasser les autres. Qu'on se rappelle ce sujet les terribles

    (i) Cf. Pastor, Histoire des Papes depuis la fin du Moyen Age, trad.Furcy Raynaud, vol. I (Paris, 1901).

    (2) Cf. G. Voigt, Enea Silvio de' Piccolomini as Papst Pins derZweite und sein Zeitalter, 3 vol. (Berlin, i85G-i863); Die Wiederbele-bung des classischen Alterthunis, 2 vol. (Berlin, 1880-1881). Cf. Burck-hardt, La civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad.Schmiit, vol. I, chap. m (Paris, i885).

    (3j Cf. Vast, Le cardinal Bessarion (Paris, 1878).

  • LE MOUVEMENT STOCIEN EN ITALIE D

    querelles de pamphlets des Pogge, des Filclfe, des Valla. Quellesinvectives, quelles injures grossires soulve leur jalouse haine (i ) !

    Et cependant, cette expansion du moi, o Tintelligence tient lapremire place, ne manque pas de grandeur. On est capable desacrifier des intrts d'un ordre matt'riel pour conqurir la rputa-tion d'homme de lettres. Filelfe, dont nous connaissons lesgots de luxe, incompatibles avec la vie peu lucrative d'un lettr,abandonne une position brillante Constantinople pour revenirchercher la gloire en Italie, ce foyer intellectuel d'o ravonnaitalors la lumire qui clairait le monde. C'est aprs sept ans et demid'honneurs et de bien-tre qu'il quitta Jean Palologue pourpoursuivre 'Venise un avenir incertain (2j.Mais cette conception d'un idal de vie est relative tout individu

    et n'a rien, semble-t-il, qui rappelle la loi autonome du Sagestocien. Ce dernier, en etet, ne relve que de sa seule volont,mais condition d'entendre cette volont comme l'expression dela raison universelle. Or, pour les hommes de la Renaissance, cettevolont n'est au contraire apprcie que dans la mesure o elle neressemble aucune autre. Cependant cette diffrence n'est pointaussi absolue qu'elle le parat au premier abord : toute conceptionindividualiste de la vie peut crer, dans une certaine mesure, unemanire de penser, de sentir et d'agir vraiment stocienne. Cher-cher en soi, pour les dvelopper, les forces de la nature, c'est djsubstituer un idal objectif un idal purement subjectif; c'est,avant de prendre l'habitude de la rflexion profonde, tourner sonregard vers le dedans et se prparer l'examen de conscience; c'estencore apprendre marcher seul dans la vie, sans se soucier d'unedirection extrieure ; c'est enrin croire l'efficacit de Tertort.N'est-ce point l une conclusion pratique de cette vertu stocienne,o la force d'me joue le plus grand rle, o l'optimisme trouveson application directe dans l'identit des deux termes : vertu etbonheur?Chez les hommes de la Renaissance, l'idal de la gloire vient

    fortifier la foi en l'efficacit de l'etfort et rendre inutiles les sanc-

    tions de l'au-del. Ils ont tous plus ou moins caress ce rved'immortalit. Dante parlait dj de l'pre dsir d'exceller '3\ de

    (i) Ch. Nisard, Ls gLiJi.itturs Je la Rf^ubliqHc Jcs Lcitrcs (Paris,1860).

    (2) Ibiil.

    (M Cf. Hruneticrc, Mauufl de l'Histoire de Li littrature frati^aisf(Paris, i8()C)), p. ^o.

  • D INTRODUCTION

    Fambition de se survivre soi-mme; Boccace, du dsir de perp-tuer son nom (i); et Ptrarque avoue que la gloire, ds Tenfance,fut le but de ses travaux .

    Mais, s'il est possible de rapprocher ainsi, par une certaineattitude du dedans et du dehors les hommes du xvf sicle desstociens de Tantiquit, gardons-nous cependant de conclure qu'ilsaient t capables de faire revivre l'me stocienne. Il leur manquece qui fait la force de toute doctrine, la foi en des dogmes compriset librement accepts. Les humanistes se contentent, le plus souvent,d'une philosophie superficielle et pratiquent, surtout, cet art devivre heureux dans lequel la vertu stocienne, glorifie par denombreux exemples, tient une grande place. Pourquoi ce vieuxCaton, dont rasme jette aux Chrtiens l'orgueilleux dfi, ne serepent-il pas d'avoir vcu? C'est parce que, citoyen intgre, magis-trat incorruptible, il a laiss la postrit de vrais monuments desa vertu et de son gnie (2).

    Il entre dans la conception de cet idal ce qu'il y a de plusdiscutable dans la vertu stocienne : la foi orgueilleuse en la forcede l'individu; et comme cette force n'est point nettement dtermi-ne, l'idal trop vague laissera souvent place bien des compromis, moins qu'il ne vienne se retremper dans les rgles nettes etprcises du Manuel d'pictte (3).Voil comment, au milieu de conditions extrieures favorables

    en somme au stocisme, on n'aboutira parfois qu' un picurismesusceptible de prendre des formes bien diffrentes, depuis l'picu-risme grossier de la jouissance des sens, dont Valla (4) et lePanormite (5) se font les apologistes, jusqu' l'picurisme plusraffin de la jouissance esthtique et intellectuelle dont les huma-nistes sont les reprsentants.

    Mais, supposer mme que cet picurisme intellectuel ait tl'idal de certains humanistes, tait-il suffisant en lui-mme pourdiscipliner les forces de la nature? Si nous interrogeons l'histoire,un exemple, mais un seul, nous revient l'esprit qui nous permet-

    (i) (^f. Brunetire, ouvr. cit, p. 5o.

    (2) Cf. Feugre, rasme (Paris, 1874).(3) La premire traduction latine qui vraiment vulgarise le Manuel

    d'pictte est celle de Politien (Opra, Venise, 1498).(4) Cf. Valla, De Vouptate {Opra, Basile, iSig, p. 896-999).(5) Antonio Beccadelli dit Panormita. Cf. ce sujet Voigt, Wieder-

    helebung, 2 d.. t. I, p. 484 et suiv.

  • LE MOUVEMENT STOCIEN EN ITALIE 7

    trait une rponse affirmative, c'est celui de Lonard de Vinci (i y, pourlui la nature avait pris plaisir montrer en un homme l'hommemme , c'est--dire l'homme pleinement, harmonieusement ralis;mais comme la nature ne renouvelle point tous les jours pareil chef-d'uvre, il est dangereux de la prendre pour guide et de suivreindistinctement ses appels. Les instincts bas sont trop proches destendances les plus leves, pour ne pas conduire un picurismegrossier, plus vite qu'on ne le pense. La plupart des humanistesitaliens en firent l'exprience; car chez eux l'picurisme intellectuelmarcha souvent de pair avec un rel picurisme de conduite.Pour ragir contre cette corruption gnrale des murs, il fallait

    donc se tourner vers un autre idal. O le choisir? Dans l'antiquit,non pas : l'exprience qui venait d'tre tente avait autoris trop decompromis; dans la religion, pas davantage : elle se prsentait alorssous des dehors trop austres, trop dpourvus d'art. Le peuple semontre bien, il est vrai, encore fort attach la papaut et au clergen gnral, il garde une foi trs vivante et trs orthodoxe (2), maisune religion sans art le rebute, et il la laisse l'arrire-plan tandisqu'elle devrait pntrer sa vie tout entire. Il faut autre chose ceshommes du xvi^ sicle qui sont, tous, lettrs et illettrs, entrans,sans qu'ils s'en doutent, par le courant de cette civilisation puissantede l'antiquit qui change les mes en les affinant, en les emplissantde sentiments nouveaux par des jouissances esthtiques sans cesserenouveles.

    Voil pourquoi l'heure est venue de parler d'un christianismeimprgn d'un esprit tout nouveau : c'est celui de l'humanismechrtien. Il reste d'abord dans l'orthodoxie. Ptrarque s'attaquant la scolastique eut le courage de renier ces docteurs gonHs denant qui font du syllogisme le but mme de la science (3). Maiscette critique n'empcha point qu'il ne restt profondment chr-tien: il suffit de relire ses annotations aux Tiisculancs ou auDe Natura Deoriim pour comprendre que son cave si souventrpt vient avertir le lecteur que le chrtien chez lui surveillel'humaniste et qu'il v a lieu de se mettre sur ses gardes si l'on veutrespecter l'orthodoxie. Mais peu peu la libert devient plus

    (i) Cf. Gabriel Scailles, Lonard de Vinci; l\irtisic- rt le savant (Paris,KJO).

    (2) Cf. Dcjol), La foi religieuse en Italie au A'\'A sicle, chap. i.x(Paris, 190).

    (3) Cf. P. de Nolhac. Ptrarijue et rhuinantsnie, IH)U\ . cd (Pins.

    1907), p. r.-7.

  • 8 INTRODUCTION

    grande. L'humanisme est moins timide avec Sadolet (i). Nul plusne fut que lui ami de la culture antique, empress la faire partoutrenatre. Vivant d'une religion toute d'art, de charit, de beaut etd'amour, confiant jusqu' l'excs dans la bont de la nature humaine,dont il tait, du reste, un si noble et si sympathique reprsentant,il crovait les hommes humains possibles toucher et lever parles humanits (2). Convaincu que pour faire des chrtiens il fautd'abord faire des hommes, il prcha une sagesse toute dedouceur, de modration, une sagesse laque, d'un stocismetrs adouci, plus proche de celui d'Horace que de celui d'Epictte.Elle devait conduire d'abord au bonheur prsent, puis servir d'che-lon pour aller Dieu. Son programme politique, d'accord aveccelui de Lon X, fut de crer un monde d'honntes gens, o unelite seule gouvernerait, o par consquent la politique se confon-drait avec la morale (3). Eh bien! cet humaniste chrtien parutsuspect quelques-uns; on accusa Sadolet d'picurisme ou d'indif-frence, parce c[u'il aima trop la vie en ce qu'elle a de vraimentbeau et que, pour ne pas sentir les amertumes de l'existence poli-tique, il prfra se rejeter avec passion sur ses livres et ses amis etse dsintresser des querelles de dogme. A ct de lui, combienfurent jugs plus suspects encore les Bembo, les Contarini, lesFregoso, les Ple, lorsque l'intransigeant et autoritaire Caraffadevint pape sous le nom de Paul IV (4) !

    S'il y eut donc, d'une part, mfiance vis--vis de ces humanistes,souvent trop proches d'un paganisme picurien, et, de l'autre, dgotou antipathie pour ces catholiques trop rigoureux qui s'taientveills la voix de Savonarole cherchant faire revivre sans artla pure et simple morale chrtienne, il ne restait plus qu' revenir une morale moyenne faite de stocisme, mais d'un stocismemitig capable de ragir contre l'picurisme, mais aussi capable des'adapter l'esprit nouveau et la tradition chrtienne. L'histoireest l, du reste, pour prouver la possibilit de cette adaptation.

    Le stocisme tait en effet la seule philosophie qui convnt auxmes de ce temps en qute d'un idal, car il a toujours t le refugedes mes nobles, aux priodes de troubles.Que demandent Cicron, Snque ou Marc-Aurle cette belle

    (i) Cf. K. de Maulde La Clavire, Saint Gatan (Paris, 1902).(2) Ibid., chap. v. Sadolet, Hortensias, dans les Opra oninia (Vero-

    nae, 1737-1738).

    (3) De Maulde La Clavire, op. cit.(4) Ibid., chap. IX.

  • LK MOUVEMENT STOCIEN EN ITALIE

    et saine doctrine? La paix de Tme au milieu des orages de la viepolitique, quelques lumires sur les grands problmes de notredestine. Mais c'est prcisment ce que Ton cherche en pleineRenaissance italienne, lorsque chacun sent le bcs(jin de se refaire,un peu sa guise, il est vrai, une vie morale et religieuse, assezproche de la vie chrtienne, sans tre en opposition avec lesconceptions et les sentiments nouveaux.Le stocisme offrait tout cela la fois. Il avait un point de

    contact avec le christianisme : la notion du Dieu Providence, et ilrvlait, de plus, au travers de ces Mes iies philosophes de Diognede Larte que traduit de bonne heure Ambrogio Traversari (i), destypes d'une grandeur et d'une beaut singulire, tout glorieux de leurseule vertu et agrandis encore par le recul du pass. Ces exemplesconcrets permettent de pntrer jusqu' l'me stocienne. Cicron,Snque, n'apparatront plus seulement comme de parfaits modlesd'un latin pur et lgant, mais comme des amis, des conseillers,auprs desquels on peut trouver consolation et apprendre cetart de la vie, si difficile des poques troubles comme celle queTon traverse alors, o le malheur guette les plus heureux, o lesfortunes sont si rapides qu'un rien suffit pour les jeter par terre.Il est donc bon d'apprendre se fortifier contre les coups inattendusdu sort, et de prendre exemple sur les hommes illustres qui lesont courageusement supports.Pogge crit dans cette pense les Historie de varietate

    fortun (2); Tristano Caracciolo reprend le mme sujet. De varie-ate fortune (3), sous une forme plus historique et plus philoso-phique peut-tre. C'est encore un De fortiina que nous prsentesous forme de lettre Enea Silvio (41. Ils rendent ainsi t^us plusou moins hommage au destin stocien, auquel il est ncessaire dese soumettre et dont il faut accepter avec rsignation les inexo-rables arrts. Les vertus stociennes sont l, du reste, pourdonner la force morale. Rappelons seulement quelques titres de

    (i) Ambrogio Traversari, gnral de l'ordre des Camaldulcs, traduisitsur les instances de Cosme de Mcdicis les Vies des philosophes deDiogcnc de Larte. 11 en parut ensuite une dition corrige par Bene-detto Brognoli (Venise, 1473).

    il) CA. PogL^ii Bracciolini l'Moreniiii /lisfor i.r Je i\ui

  • 10 INTRODUCTION

    chapitres d'un petit trait de morale de Gioviano Pontano la

    manire stocienne, le De fortitudine (i) : quas passionesfortitudo moderatur, de toleranda paupertate, de tolerandis incu-

    riis et contumeliis. Ils nous indiquent nettement ce que

    Ton va chercher dans cette morale si bien approprie au temps

    prsent.

    Elle peut donc tre accepte par tous, car elle convient merveille aux besoins nouveaux : elle suffira aux irrligieux pour

    vivre une vie d'honnte homme et les dispenser en mme tempsde toute religion; elle peut, d'autre part, pour les mes religieusesqui veulent rester fidles au catholicisme, servir d'chelon pour

    parvenir une vie plus haute : la vie chrtienne, dans ce qu'elle a

    de surnaturel.

    Mais cette reprise du stocisme, telle que nous venons de l'indi-

    quer, n'est que superficielle; elle ne va pas au-del de la morale

    pratique. Il serait donc intressant d'tudier si les philosophes et

    les vrais penseurs n'ont point pouss jusqu' la mtaphysique cetterestauration du stocisme. Pour cela, rappelons d'abord comment

    la pense philosophique s'tait transforme, sous l'impulsion du

    grand courant de la Renaissance. Brisant les cadres anciens, dans

    lesquels elle semblait tout jamais fixe, elle s'tait, la suite desefforts patients et courageux des prdcesseurs de Copernic, orien-

    te vers une mthode vraiment scientifique. D'une part, reconnais-sant l'insuffisance des expriences antrieures, elle cherche

    dtruire la science du pass pour prparer la science de l'avenir; de

    l'autre, luttant contre la vaine logomachie du syllogisme, qu'elle

    poursuit de ses railleries, elle veut la remplacer par un certain

    rationalisme, qui se trouvera tout proche du rationalisme stocien,

    ou bien encore elle fait effort pour abattre cette orgueilleuse raison,

    dans ses manifestations les plus belles de la philosophie antique, et

    lui substituer la foi en la rvlation. Sous ces trois aspects, la pen-

    se philosophique sembla aboutir aune sorte de scepticisme, appa-

    rent sans doute, car il consiste surtout lever un dogmatisme sur

    les ruines d'un autre dogmatisme.Voyons le grand Lonard de Vinci, qui inaugure la science

    moderne. Il se proccupe fort peu de scolastique et de thologie; son heureuse ignorance l'affranchit sans qu'il y songe (2) . Il est

    tout entier ses dcouvertes, interrogeant la nature avec un esprit

    (i) Joannes Jovianus Pontanus, De fortitudine {Opra, Lyon, i5i4).

    (2) Cf. Sailles, ouvr. cit, chap. i.

  • LE MOUVP:mENT stocien en ITALIE I I

    d'observation vraiment scientifique, sans craindre de contredirel'exprience du pass. Il ouvrait ainsi, en combinant ingnieusementl'exprience avec la pense exacte, une voie nouvelle la science.Mme genre de scepticisme chez Pomponace, esprit hardi, lucide,lorsqu'il distingue subtilement le spculatif du pratique; le philo-sophe, chez lui, se dsintresse du croyant. Il n'accepte aucuneentrave au libre mouvement de l'esprit; il se trouve alors que laraison le conduit la mtaphysique stocienne. Les rformsaboutirent au mme point lorsque, entrans par leur esprit de libreexamen, ils secourent le joug de l'autorit et de la tradition, et setrouvrent, comme les humanistes et comme les philosophes, enface du stocisme; tant il est vrai que cette doctrine, profondmentpratique et profondment humaine, est aussi rexpression la pluspure du rationalisme.

    Franois Pic de la Mirandole ne rencontrera pas directement lestocisme, mais il lui laissera une certaine place en montrant lavanit de toutes les autres philosophies anciennes, qui ne sontpas le dveloppement direct de la rvlation. D'autres pourront,aprs lui, profiter de la partie ngative de son uvre sans utiliserson dogmatisme, et ceux-l pourront tre des stociens (i).

    Le scepticisme, entendu de cette sorte, c'est--dire comme scepti-cisme relatif, quoiqu'il ne fasse pas toujours appel direct au sto-cisme, lui est cependant favorable en ce sens que, rompant avec lepass, il laisse le champ libre un nouveau dogmatisme. Pourquoice dogmatisme ne serait-il pas le dogmatisme stocien? Cette phi-losophie se rpand sous une forme pratique; pourquoi ne serpandrait-elle pas sous une f(jrme plus philosophique? Peut-trey aurait-il lieu de distinguer, ct d'une renaissance de lamorale stocienne, une renaissance plus complte de la philosophiestocienne, o la mtaphvsique aurait sa place i2J.

    (i) Jean-Franois Pie de la Mirandole, neveu du grand Jean Picde la Mirandole, voyant, d'un ct, rhumanisme grandir et oublier lechristianisme, et, de l'autre, la philosophie d'Aristote appuyer Tautoritd'une faon excessive, publia ce fameux ouvrage dont le titre est pres-que un rstim de ce qu'il contient : Examen variirtaiis Joctrirur gftt-tiuffi et veritiitis christian disciplintz distinctuin in libros VI : quorumtics priorcs oninein philosophorum sect

  • 12 INTRODUCTION

    Ainsi de tons cts, et par les tranformations extrieures desconditions de vie, et par le travail intrieur qui se fait dans l'homme,sous cette double pousse du dedans et du dehors, une place estfaite au stocisme. C'est qu'il rpond aux besoins nouveaux, auxexigences de la raison, en mme temps qu'il ragit contre desmurs dissolues et contre un pass qui semble peser trop lour-dement sur ces intelligences avides de lumire et de libert.Comme, d'autre part, les partisans de ce pass ne se sont pointmontrs hostiles une restauration du stocisme, condition tou-tefois de l'entendre d'une certaine manire, c'est leur attitude quiprvaudra, car elle est toute de conciliation. Ptrarque est l'ini-tiateur de ce mouvement qui aboutira une sorte de stocismechristianis, et que nous pourrons appeler le no-stocisme.

    Le no-stocisme, quelque degr qu'on l'envisage, qu'on leconsidre en Italie, en France ou en Allemagne ses dbuts, qu'ilsoit dfendu par un Ptrarque (i) ou un Sadolet (2), par dessavants ou pdagogues clbres, comme Ambrogio Traversari (3)ou Victorin de Feltre (4), ou par de consciencieux humanistesfoncirement chrtiens, comme Gaguin (5) et Bud (6) en France, ouencore par un sceptique comme rasme (7), met en relief les points

    (i) Ptrarque prendra comme garantie de la mthode de conciliationsaint Augustin, dont il dira : Ce grand docteur de l'glise ne rougis-sait pas de prendre Cicron pour guide, bien que celui-ci poursuivt unbut diffrent du sien.

    (2) Cf. VHortensius, dj cit.(3) Celui qui fit la traduction de Diogne de Larte. Son monas-

    tre de Sainte-Marie-des-Anges, Florence, tait le rendez-vous de tous

    les lettrs et savants.

    (4) Victorin de Feltre tient une cole clbre Mantoue, et de tous

    cts, de France, d'Allemagne et des Pays-Bas on accourt auprs de luidans sa Casa giocosa.

    (5) Gaguin a reconnu dans ses Epistol et Orationes (dition Thuasne,2 vol. in-i6, 1903) que chez les Anciens on peut trouver des penses iso-les propres illustrer les vrits chrtiennes, que mme certainsd'entre eux professent des doctrines qu'il est facile de concilier avec les

    dogmes de la foi, entre autres Platon et les Stociens.(6) Bud, dans son De transitu hellenismi ad christianismum (Paris,

    i535) trs en vogue au xvie sicle, ainsi que sa traduction de la fameuselettre de saint Basile De vita per solitudinem transigenda (Paris, 1502,in-8), soutient que la culture profane, loin d'tre un obstacle la tho-logie, en est. en quelque sorte le prologue naturel (et dans cette cultureprofane nous savons la place qu'occupent les stociens latins).

    (7) rasme pose aussi en fait que l'exemple des sages stociens pourra

  • LE MOUVEMENT STOCIEN EN ITALIE l3

    communs aux deux doctrines, laissant volontiers dans l'ombre lesdivergences de dogme. L'assimilation se fait alors d'elle-mme.Christianisme et stocisme (jnt accord tous deux une place pr-pondrante la morale, au devoir dont ils ont dgag les caractressacrs d'obligation et d'universalit, en les rattachant, l'un, au DieuRaison se confondant avec la Nature, l'autre, au Dieu personnel,dictant ses lois dans le Dcalogue, et les prcisant par l'enseigne-ment du Christ-Dieu, dans l'Evangile de la loi nouvelle. De part etd'autre, ce Dieu, qu'il soit Nature ou Personne, est Providence,infiniment bon, tout-puissant. Sa volont est la suprme rgulatricede nos vies; en dernire analyse, la loi morale peut donc se formulerainsi : conformer sa volont la volont de Dieu.

    Pre, que ta volont soit faite et non la mienne! >, dira simple-ment Jsus au Jardin des Oliviers.

    O monde, j'aime ce que tu aimes, donne-moi ce que tu veux,reprends-moi tout ce que tu rcuses, ce qui l'accommode m'accom-mode; tout vient de toi, rentre en toi , dira Marc-Aurle, danssa foi panthiste.

    Si l'on veut rsumer d'un mot ce qui fait le lien entre les deuxphilosophies, il faut reconnatre que toutes deux rpondent auxbesoins les plus profonds du coeur de l'homme par leur moralevraiment religieuse. Personne mieux qu'Epictte n'a parl de lapit envers les dieux, qui consiste croire qu'ils existent et qu'ilsgouvernent toutes choses avec un ordre et une justesse admira-bles , de l'obissance qu'on leur doit < parce que tout est rglpar une pense souverainement sage , des rites religieux qu'ilfaut otfrir suivant les coutumes de son pays avec un cieur pur,sans retard et sans ngligence, sans avarice et sans dpasser sesmovens (i) . O chercher une formule plus nette et plus com-plte d'une morale religieuse? Les Italiens de la Renaissance lecomprirent (2).

    La restauration du stocisme s'imposait cette socit brillante,

    faire honte aux mauvais chrtiens : Combien peu de chrtiens viventde manire a pouvoir rpter pour eux-mmes la parole du vieux Caion :nec vie vixisse pivnitrbit l

    (i) Cf. M.iiiuel d'pictie. ch. xxxi.(2) La tentative de Pomp(mius Lxius tcmoignc de ce besalon; il se rend des l'aube l'Universit, o l'aitendaienl une fouled'leves avides de ses paroles; il fonde une sorte d'Acadmie o l'onentrait avec des noms jviens; certaines ftes paennes fuient mmein5-iitues par lui. Cf. Pastor. ouvr. cite t. IV. ch. 11.

  • 14 INTRODUCTION

    mais corrompue, comme une discipline ncessaire (i). Elle offraitaussi un aliment aux aspirations les plus leves de Tme, et c'est cequi contribua son succs, plus peut-tre que les travaux de vul-

    garisation des rudits, qui se multiplirent en Allemagne.

    (i) Pour s'en rendre compte, il suffit de relire les prfaces des pre-

    mires rditions du Manuel d'pictte, celle de Politien, par exemple. Cf. dition d'ensemble : Omnia opra Angeli Polittant (Venise, 1498.in-folio); le quatrime ouvrage, qui est une traduction latine du Manuel,est accompagn, en guise de prface, de deux lettres fort significatives,adresses, l'une, Laurent de Mdicis, l'autre, Bartolommeo Scala,protg de Cosme et de Laurent de Mdicis et qui devint l'ennemipersonnel de Politien. Partout pictte est lou de la fermet et del'lvation de ses prceptes et de sa pit envers les dieux.

  • CHAPITRE II

    LE MOUVEMENT STOCIEN EN ALLEMAGNE

    L'Allemagne, avec son souci d'exactitude, ses aptitudes au travailsoutenu et consciencieux, allait, en effet, donner ces besoinsnouveaux un e'iment substantiel. Elle rditera les textes, ferarevivre, dans toute son intgrit, la pense des Anciens et. par cefait mnne, donnera aux esprits la vraie nourriture qu'ils attendent.L'Allemagne travaillera la renaissance du stocisme par la vul-garisation du livre, et c'est en ce sens que cette doctrine lui devrapeut-tre ses plus rapides progrs.Sans doute la premire version latine du Manuel est publie

    Venise, si nous voulons parler de la plus importante, de cellequi servira de point de dpart toutes les ditions qui vont suivre :c'est celle de Politien (i). Mais elle est incomplte, le texte estdfectueux, l'auteur y supple comme il peut par des conjectures.C'est encore un Italien, Ambroise le Camaldulc, qui publia, lepremier, les Vies des philosophes de Diogne de Lacrte (2),et Trincavelli (3j Venise donna la premire dition des Entre-tiens et celle du Florilegium de Stobe. Ce fait tmoigne, bondroit, de cette passion qu'eurent les Italiens de la Renaissancepour la dcouverte de la pense antique. Que n'auraient-ils pasdonn pour un manuscrit nouveau? Mais, esprits trop spontans,trop brillants, ils manquent de persvrance, lorsqu'ils n'ont plusl'aiguillon de la nouveaut pour continuer les patientes recherchesque demande l'tablissement d'un texte.

    (1) Cf. note 3, page

  • l6 INTRODUCTION

    Les ditions postrieures (i), qui auront vraiment le caractred'ditions critiques, nous les devrons TAllemagne. Elle con-tribuera pour une large part l'orientation de ce mouvement philo-sophique vers le no-stocisme, car elle joindra la restitution destextes profanes celle des textes sacrs. Les premiers humanistes (2)en Allemagne seront nettement chrtiens; ils prsenteront Tanti-quit non point sous son jour brillant de pur esthtique, mais sousun jour tout utilitaire, car ils se montreront avant tout soucieux duprofit que peut en tirer la jeunesse pour sa formation morale etreligieuse.

    Tous les grands pdagogues allemands (3), dont le nom est restclbre dans l'histoire de l'humanisme, mettent en avant cetteproccupation. Ce n'est pas l'tude de l'Antiquit classique enelle-mme, crivait Jacques Wimpheling, qui est dangereuse pourl'ducation chrtienne, c'est la manire fausse de l'envisager, c'estle mauvais usage qu'on peut en faire. Sans aucun doute, elle seraitfuneste si, comme il arrive frquemment en Italie, on propageaitau cours des tudes une manire paenne de juger et de penser.Mais, au contraire, l'antiquit bien comprise peut rendre lamorale et la science thologique des services les plus prcieux.

    Trithme recommande, en toute scurit, l'tude des anciens ceux qui ne s'y livrent pas dans un esprit frivole, ou pour le

    simple amusement de leur esprit, mais pour la srieuse formationde leur intelligence et pour amasser, grce elle, l'exemple des

    Pres de l'glise, des semences prcieuses, propres servir ledveloppement des sciences chrtiennes . Et il regarde cette tude comme indispensable la thologie . Agricola Heidelbergrunit, lui aussi, toutes les connaissances classiques : il est pote,

    latiniste distingu, il ne se montre nullement ddaigneux de science,mais sa pense demeure chrtienne et ses contemporains rendenthommage en lui au chrtien autant qu'au lettr et au penseur.

    (i) dition de Ble, due Cratander (i53i, in-8), jointe l'dition deHaloander (Nuremberg, 1529, in-80); le texte grec y est peu prs tabli.

    L'dition de Ble (i554, in-40), par Schegk, contient le Manuel et lesEntretiens et des notes.

    L'dition de Ble (i36i, in-8o), par Wolf, est reprise et corrigedans la suite par Wolf lui-mme, peu prs complte et exacte;les Commentaires de Simplicius sont joints au Manuel et auxEntretiens.

    (2) Cf. Janssen, L'Allemagne et la Rforme (traduction Paris, 1887).(3) Cf. ibid., vol. I, ch. m.

  • LE MOUVEMENT STOCIEN EN ALLEMAGNE I7

    L'influence de ces humanistes est norme, car ils ouvrent descoles. La jeunesse se presse compacte et avide leurs leons, et,par eux, se propage une manire toute chrtienne de penser l'anti-quit. Tous, en effet, travaillent activement la ditiusion del'humanisme, et, comme beaucoup d'entre eux appartiennent auhaut clerg et sont anims d'un esprit de foi sincre jusque dansles rformes qu'ils veulent introduire dans l'Eglise, ils joignent ausouci de rpandre les ides nouvelles celui de les mettre au servicedu catholicisme; ils donnent ainsi comme une confuse bauche dece que pourrait tre la synthse future de leurs dogmes religieux etdes dogmes stociens. Il suffira, en effet, pour que cette svnthse seproduise, que les lments stociens, qui paraissent d'abord noysau sein de cette riche antiquit, renaissant tout entire avec sespotes, ses historiens, ses philosophes, se dgagent sous la nces-sit pressante d'un besoin gnral, moral et religieux.Ce besoin se fera bientt sentir en Allemagne, car ct de ce

    courant d'humanisme chrtien que nous venons de signaler, il s'enpropage un autre tout paen, qui ne tarda pas encourager unecertaine corruption dans les murs. La jeunesse, mesure qu'ellese laisse sduire par la beaut antique, se dsintresse des tudesphilosophiques et thologiques, et glisse sur la pente de l'picu-risme, d'une pratique morale si facile et si commode.

    Aussi bien, Alberto Pio de Carpi crivait-il avec raison Erasme (i) : Peux-tu nier que chez vous, ainsi qu'en Italie (et celadepuislongiemps dj), partout o les prtendues belles-lettres sontcultives avec une ardeur exclusive, partout o les disciplinesphilosophiques et thologiques d'autrefois sont mprises, unetriste confusion ne s'introduise entre les vrits chrtiennes et lesmaximes paennes? Ce dsordre regrettable se glisse partout,l'esprit de discorde s'empare des esprits, et les murs ne s'accor-dent plus en rien avec les prescriptions morales du christianisme.

    Cette lettre allait droit au coupable : Erasme avait t, en grandepartie, cause, par ses railleries (2 , de ce discrdit de la moralecatholique. Il a beau protester de son attachement au christianisme,prendre comme devise : Cliristin)i ex fontibus pra'Jicare; lorsqu'il

    (i) Cf. Janssen, ouvr. cit, t. H.

    (2) L'ctfct avait dpasse ses prvisions. Il est possible qu'il ait eu sin-crement le dessein de reformer l'Kglise, en la conservant, mais laviolence de ses attaques et son enthousiasme pour les sages antiquespouvaient aisment tromper sur ses intentions. M. Imbarl de la Tourmet la question au point. C(. Revue df^ Prux MonJes, i? mars i)i3.

    i

  • l8 INTRODUCTION

    nous expose que ses travaux doivent nous rendre la vraie paroledes aptres et la vraie figure du Christ et qu'il travaille avec zle,du reste, restaurer la philosophie des Pres de TEglise : saintJrme, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint Basile,saint Athanase, du Nouveau Testament dont il fait une ditiongrco-latine, il donne nanmoins la morale catholique un blmesvre et trop rude, en raillant sans prudence les convoitises duclerg pour les richesses et les biens temporels (i).Avant rasme, Nicolas de Cusa avait senti ce besoin de rforme

    dans rglise; il avait lutt contre la corruption des murs, lasuperstition, mais avec combien de dlicatesse! Il ne voulait pointsecouer une autorit qui lui semblait Tunique condition de rforme : Il ne faut ni fouler aux pieds ni dtruire, mais au contraire puri-fier et renouveler; et ce n'est pas Thomme de changer ce quiest saint, mais bien ce qui est saint de changer l'homme (2). rasme a ignor cette mesure; et, comme l'a si bien dit un

    critique moderne, il a manqu de cur , c'est--dire de l'explo-sion d'une sainte douleur, du frmissement et du trouble d'uncur apostolique, de la pieuse indignation d'une me dvoue l'glise, en un mot, il a manqu quelques larmes son bon sens, sa raison si droite (3). Contre la thologie scolastique, il atoujours eu les violentes rpulsions du lettr, qui aimait jusqu' lapassion les belles lettres antiques. Ds sa jeunesse, au couvent deStein, ou au collge de Montaigu, il lui semblait dj, quand ilretombait d'une page de Cicron ou de Lucien dans les froidessubtilits de Duns Scot ou d'Occam, qu'il n'avait entrevu lalumire, comme Eurydice, que pour retomber aussitt dans lestnbres de l'enfer scolastique (4).Ce scepticisme, fait d'une prudence qui affecte de ne pas toucher

    aux principes, mais en indique, comme par distraction, les ctsfaibles, les points vulnrables, et se plait retrouver chez les paensdes vertus trop oublies par les chrtiens, aboutit tout naturelle-ment cette sagesse laque, qui n'est qu'une forme attnue de lamorale stocienne rendue pratique; sagesse qui n'est point hostileau christianisme, mais peut fort bien s'en passer, car elle laisse dect tout ce qui est surnaturel; sagesse enfin, qui cherche sous-traire une autorit que la conscience de son infaillibilit rend

    (i) Cf. rasme, Adagia, passim.(2) Cf. Janssen, op. cit. Introduction.

    (3) Cf. Feugre, op. cit.(4) Ihid.

  • LE MOUVEMENT STOCIEN EN ALLEMAGNE I9

    jalouse de ses droits tout ce qui peut relever directement de laraison humaine (ij. Le scepticisme d'rasme aboutit donc bienau triomphe de la raison pratique, et la morale stocienne v trouvelargement sa place. Plus tard, lorsque la sparation, commencepai" Erasme, entre la morale et la religion, se sera fortement accentueet que, par un brusque revirement, les thologiens de Cologne (2)prenant peur devant les progrs de l'incrdulit, eurent entranpresque toute l'Allemagne dans une violente raction, il sembleraqu'il n'y ait plus de conciliation possible entre l'esprit nouveauet celui qui reprsente le pass avec la tradition chrtienne.

    Cette impression fut de courte dure, car Epictte, en se vulgari-sant grce aux ditions savantes, parut excellent pour rveiller lafoi dans les coeurs amollis. Un pasteur protestant, Thomas Nao-georgius (3), donna Strasbourg en ]55j\., avec la traduction duManuel, des commentaires qui n'taient rien de moins qu'une intro-duction au christianisme par le stocisme : c'est dans cette intention,du reste, qu'il confronte les textes sacrs de la Bible, deTvangile,de l'Ancien et du Nouveau Testament avec les grandes penses duManuel et des Entretiens. C'est alors que se Ht plus intimementencore cette synthse dont les humanistes avaient prpar leslments par la restauration des textes sacrs et profanes. Larenaissance du stocisme aboutit en Allemagne, nous venons de levoir, sous les formes les plus diverses, cette fusion de deuxphilosophies, qui semblent si proches lorsqu'on se borne unexamen supcrticiel, et c'est ce que nous appellerons le no-sto-cisme.

    (i) Cf. tbid. rasme reprenait la thse de l'humanisme : lamorale antique se retrouve dans la morale chrtienne. Cf. Imbart dela Tour, rasme, dans la Revue des Deux Mondes, ib mars i()i3.

    {21 Cf. Janssen, op cit., tome II. En chaire, un Dominicain de Coloi^nedisait en i3i : a Dans l'intrt de la jeunesse, il faut tarir cette sourced'o s'panche un fleuve d'indignits. Avec Keuchlin, cette lutte devintpolitique et s'tendit sur toute l'Allemagne.

    (3) De son vrai nom Thomas Kirchmaier, ne en Bavicre en i3ii, pol-miste et philologue.

  • CHAPITRE III

    LE MOUVEMENT STOCIEN EN FRANCE

    La France va, elle aussi, prendre part ce mouvement; mais dansquelle mesure? C'est ce qu'il faut claircir. Il semble, premirevue, qu'elle n'ait plus qu' se laisser entraner des deux cts lafois. L'esprit souple, ferme et clair de ses moralistes saura s'assi-miler la brillante sensibilit des Italiens, aussi bien que la sagerudition des savants allemands. Et, de fait, les choses se passrentainsi. La France se laissa emporter par ce vigoureux courant de laRenaissance, d'un ct, parce qu'elle se trouvait direcienieni sasource pendant les guerres d'Italie, de l'autre, parce qu'indirecte-ment elle voisinait avec l'Allemagne, par la ditilision du livre, parles mthodes d'enseignement, par les rapports constants de savant savant.

    Les tudes secondaires se transformeront en France peu prssuivant le programme compos par Jean Sturm pour le collge deStrasbourg, programme qui n'est autre que celui des vieilles huma-nits. Or on sait la place qu'y occupent les auteurs anciens,reprsentants du stc/icisme latin (il. La PVance aura donc, ainsi quel'Italie et l'Allemagne, sa culture classique, si favorable au sto-

    cisme. Comment pourra-t-elle et voudra-t-elle l'accueillir?Allons-nous retrouver chez elle cet individualisme caractristi-

    que de la Renaissance italienne, qui se manifeste par la culture dumoi, libre, sans frein, et par un hommage constant rendu lanature, sans distinction de ses tendances, sans souci de hirar-

    chiser ses puissances; ou celte proccupation d'art, cet idal debeaut, qui soutient l'etlori et permet pour un temps l'individu de se

    (i) Cf. Jansscn, ouvr. cite. vol. I.

  • 22 INTRODUCTION

    dpasser lui-mme; ou bien, au contraire, la France va-t-elle nousoffrir le spectacle de ces consciencieuses recherches d'rudition,

    mises au service d'un sentiment religieux encore trs vif, qu'il soit

    celui des rforms ou des catholiques? Ce sont ces dispositionsque nous avions, jusqu' prsent, juges favorables au stocisme :nous allons les retrouver en France, mais sensiblement adoucies.La France n'otre point un terrain propice cette culture exclu-

    sive du moi. Sans doute, l aussi s'panouit le dsir de l'excel-lence^ de surpasser les autres. On a le souci de la gloire, on ytravaille au prix des efforts les plus pnibles. Si nous lisons la

    vie d'Etienne Dolet, par exemple, nous verrons qu'elle fut une

    lutte de tous les instants, vie pnible s'il en ft, et o le succsentre pour une bien faible part (i). Mais il n'est pas facile, alors,de se distinguer. Les Mcnes, en France, sont plus rares qu'enItalie. Il n'y a qu'un soleil, celui de la cour d'un Franois V^ oud'une Marguerite de Navarre, et encore n'est-on point assur dejouir en paix de ses rayons. La Sorbonne est l pour veiller l'orthodoxie, et les nouveauts en matire philosophique et reli-gieuse ne sont gure de son got. Que de difficults pour fonder leCollge de France, et lui garder ce qui fit, ds le dbut, sonoriginalit et sa valeur, cet esprit, bien marqu, de la libre recherchedgage de tout autre proccupation!Le gouvernement de la France, tat monarchique, ne devait

    point tre favorable l'closion de l'individualisme, car le catholi-

    cisme, religion d'tat, servait la monarchie. La monarchie nepouvait donc pas, sans lser ses propres intrts, abandonner lecatholicisme. Il y avait ainsi tout avantage rester dans le sillontrac, ne point se signaler par trop d'originalit. L'individualis-me prendra donc une forme trs adoucie. On parle de soi, on sedonne en spectacle dans ses vers, comme Clment Marot, parexemple, dans son premier recueil : L'Adolescence Clmentine,ou dans des contes, des anecdotes, comme Marguerite de Navarredans son Heptamron. Cet individualisme est assez pauvre d'ides,et ne semble qu'un reflet de ce puissant individualisme, dont l'Italienous donnait l'exemple ds les premiers jours de la Renaissance.

    Si, d'autre part, l'on penche vers la Rforme, attir par samthode de libre examen, son esprit critique, sa patiente ruditiondans les recherches de textes, sa volont si droite de rformer lesmurs, on risque fort d'encourir les foudres de la Sorbonne.

    (i) Cf. Richard Copley Christie, Etienne Dolet, traduction CasimirStryenski (Paris, 1886).

  • LE MOUVEMENT STOCIEN EN FRANCE 2 3

    Marot sait ce qu'il en cote de paraphraser les Psaumes lamanire des rforms! L'vque de Mcaux, Brionnet, russit grouper autour de lui Lefvre d'Etaples et ses amis; mais il estprotg par le roi et sa sur et se tient prt, au premier signald'alarme, reculer et redevenir soumis l'Eglise.

    C'est que l'Eglise, en France, garde son autorit; elle aurait pul'exercer tout en donnant l'humanisme cette direction qui futcelle de l'humanisme allemand ses dbuts, et considrer l'tudedes lettres profanes comme une excellente prparation celle deslettres sacres. Les premiers humanistes, Pierre d'Ailly, Gaguin (i),un peu plus tard Bud (2), l'avaient entendu ainsi. L'Universit futlongue le comprendre et fit mauvais accueil au Collge de Cler-mont qui, sous la direction des Jsuites et du savant Maldonat,allait donner aux lettres un si bel essor et dans un sens toutchrtien (3). Or, de cette lutte contre les anciennes mthodes, quepersistait dfendre l'Universit de Paris, devait natre une ractionviolente contre la philosophie qui tait Tme de la scolastique : laphilosophie d'Aristote. Stocisme et platonisme pouvaient profiterde ce discrdit d'une philosophie rivale.La fameuse querelle du ramisme le fit bien voir. Ramus (4),

    outr contre l'ignorance de ses anciens matres, attaque leur ensei-gnement en bloc et en dtail. Il ne comprend point la vogueaccorde la morale d'Aristote, pas plus qu' sa logique. Il fautrelire, dans son discours de i 55 i , sur l'enseignement de la philos(^-phie (5 1, comment il juge VEthique Nicomaquc et, dans les Scholdialectic, ce qu'il pense de la logique. Aprs avoir consacrtrois ans et six mois la philosophie scolastique, il s'aperi;oii

    (i) C. note

  • 24 INTRODUCTION

    que la logique ne Ta rendu ni plus savant dans l'histoire et la con-

    naissance de Tantiquit, ni plus habile dans Part de la parole, ni

    plus apte la posie, ni plus sage en quoi que ce ft ( i ).C'est bien le manque de sens esthtique, de sagesse pratique, que

    Ton reproche aux vieilles mthodes; il est donc tout naturel queTon se spare de ceux qui veulent tout prix les maintenir, pour

    retourner la source de la vraie sagesse, cette antiquit de jouren jour mieux comprise et qu'Amyot allait si bien faire revivre entraduisant les Vies de Plutarque. A cette cole o, dans une belle,riche et vritable peinture, les cas humains sont reprsents auvif , l'homme apprendra vivre d'une vie qui ne sera plus l'expan-sion brutale d'un individualisme mal disciplin, mais celle del'homme entrevu au travers de sa forme la plus permanente, laplus universelle. Cet homme, les stociens de Plutarque l'ontincarn dans des types immortels.Mais il y a un autre stocisme, tout proche de l'picurisme, celui-

    l, qui viendra sduire en France les hommes de la Renaissance :c'est celui qui clbrera la bont de la nature et s'exprimera dansla formule naturaliste du vivre conformment la Nature . Lebon Rabelais ne demandait rien d'autre ses Thlmites 1 De laNature ne pouvait rien maner que d'excellent, et comme lesThlmites taient d'autre part gens raisonnables et clairs, ilsn'avaient qu' suivre ses leons. Une conception aussi simple etcommode de la morale pouvait convenir sans doute une socitde murs lgres et dissolues. Or la France, ds le dbut duxvi^ sicle, commenait, elle aussi, sentir les atteintes de la corrup-tion du luxe et du bien-tre; le clerg n'tait point capable de lasauver du pril, car il y tait lui-mme trop expos. Ml la cour,il en voit de trop prs les murs corrompues et les tolre avectrop d'indulgence. Qu'on relise les Mmoires du temps : L'Estoile,La Noue, d'Aubign, etc; on n'y verra que dpravations, bassesses,

    (i) Cf. Schol diahciic {Francon, i38i), pilogue du livre IV : Apresavoir consacr trois ans et six mois la philosophie scolastique..., aprsavoir lu. discut, mdit les divers traits de l'Organon..., aprs, dis-je,avoir ainsi employ tout ce temps, venant faire le compte des annesentirement occupes par l'tude des arts scolastiques, je cherchais quoi je pourrais dans la suite appliquer les connaissances que j'avaisacquises au prix de tant de sueurs et de fatigue. Je m'aperusbientt que toute cette logique ne m'avait rendu ni plus savant dansl'histoire et dans la connaissance de l'antiquit, ni plus habile dansl'art de la parole, ni plus apte la posie, ni plus sage en quoi quece ft...

  • LE MOUVEMENT STOCIEN EN FRANCE 2D

    turpitudes, honteux compromis de pratiques superstitieuses,jointes une immoralit sans nom.

    Il est facile de comprendre comment se Ht sentir ce besoin dernovation morale et relii^ieuse, qui rapproche, pour un temps,catholiques et rforms dans la recherche d'un idal chrtien toutmystique; mais cette aspiration commune, purement idale, devaittomber devant le dogmatisme protestant (i). Il en rsulta pour lescatholiques penchant vers la Rforme qu'ils se trouvrent tout coup privs de ce soutien moral et religieux, qu'ils avaient cru

    retrouver dans le protestantisme; ils n'eurent donc plus qu'unrecours : la sagesse laque avec la morale stocienne que

    l'humanisme vulgarisait par des ditions de jour en jourplus nombreuses. Ils y vont tout droit et n'ont du reste

    aucune peine le faire. Ils ont t forms l'cole des lettres,ils se sont nourris de leur suc substantiel, car nous parlons

    ici de ceux qui, dans la seconde moiti du xvi' sicle, ont dj pro-fit des bienfaits de la culture classique, mais se sont aussi mlsaux luttes sanglantes des guerres civiles et religieuses. Ils ont bris

    avec la Rforme par patriotisme, c'est par patriotisme qu'ils restentfidles l'glise, en ce sens qu'ils obissent ses lois, comme tout

    bon citoven obit aux lois de son pays, comme Cicron le prescritlui-mme dans son De Legibiis. La foi religieuse est accepte avectoutes ses consquences, obie dans toutes ses prescriptions, maisclic n'est gucrc obie que comme une loi, une loi qui s'applique

    certains cas dtermins cl n'a pas la prtention de pnircr ai^cur de l'homme pour le rendre meilleur et plus saint (2). Ces demi-crovants n'ont donc point l'me chrtienne, ils ont

    l'me remplie d'un autre idal, et c'est de cet idal tout paen qu'ils

    vivent au dedans, tandis qu'au dehors ils n'omettent rien des pres-criptions de l'glise, et voil aussi pourquoi nous trouverons par-mi ces sages un Montaigne, qui tmoignera en toute occasion de sasoumission au catholicisme, mais dont l'idal moral n'a rien dechrtien. Ne nous tonnons donc point de cette floraison d'(L'Uvresmorales tendances stociennes qui va s'panouir; elles sont

    l'expression des ides gnrales qui circulent partout; elles vont

    d'autre part se rencontrer avec les ides philosophiques chrtiennesque les phih^logues, par leurs ditions savantes, avaient remises en

    honneur.Ce chrisiianisme, que la morale pratique n'avait point su utiliser,

    (i) StrowsUi, Saint J-'f\in{ois de SaUa (Paris, i8()8). Introduction.

    (2) IhtJ.

  • 20 INTRODUCTION

    cause de Tincomptence ou de l'immoralit de ses reprsentants,reprendra vigueur au contact des textes mieux tablis de FAncienet du Nouveau Testament et des Pres de l'Eglise. Un rapproche-ment peut s'oprer ainsi et permettre de fondre dans une seule

    personnalit le chrtien et le sage laque. C'est alors que se pro-

    duira la fusion de ces deux courants, de la Renaissance chrtienneet de la Renaissance paenne, dans ce stocisme tout nouveau et

    vraiment original, que nous avons dj appel le no-stocisme.Il sera donc intressant d'analyser d'abord les manifestations

    isoles de ce mouvement, o nous ne trouvons en quelque sorteque les lments dissocis du stocisme, chez les moralistes, lesphilosophes et les rforms; puis d'tudier ensuite comment ceslments avaient t, une premire fois, intgrs dans le christianis-me, en pleine socit paenne, par les Pres de l'glise, afin de mieuxcomprendre pourquoi au xvi^ sicle, en cette priode de renouveaupaen, des sages chrtiens ont pu prcher semblable conciliation.

  • PREMIERE PARTIE

    DISSOCIATION DES ELP:MENTS STOCIENS

  • DISSOCIATION DES ELEMENTS STOCIENS

    Dans l'tude rapide que nous venons de faire, le

    no-stocisme se dessine dj avec une teinte mi-partiechrtienne, mi-partie paenne. Les no-stociens, la fois

    chrtiens et humanistes, se trou\rent en effet dans la double

    obligation de suivre la tradition dont, par esprit de foi, ils

    ne pouvaient se dtourner, et de satisfaire aux gots nou-

    veaux: de l, chez eux, ce souci constant de rapprocher

    dogmes chrtiens et dogmes stociens, et par consquent, lecaractre tout clectique de leurs uvres, dont il reste

    maintenant dterminer les lments.C^es lments vinrent de tous les cts la fois : les cri-

    tiques, les commentateurs et savants diteurs de textes; les

    philosophes dsireux de passer au crible de la raison leurs

    croyances; les thologiens rforms, proccups d'expliquer

    rationnellement leur dfection au catholicisme; les moralistes,

    en qute de rgles pratiques de vie, apportrent, les uns

    aprs les autres, souvent leur insu, des pierres l'difice.

    Ils accomplirent ainsi, sous la pousse de motifs le plus

    souvent trangers ceux qui animaient les no-stociens,

    un vritable tiavail de dissociation qu'il est important

    d'tudier.

    A priori, cette dissociation parait impossible. Commentoprer un choix dans une philosophie aussi merveilleuse-

    ment une et simple que le stocisme, sans ruiner de fond

    en comble une doctrine qui semble en elVet ne se soutenir

    que par la feimet de ses principes mtaphysiques : le

  • .^O DISSOCIATION DES ELEMENTS STOCIENS

    Dieu Raison se confondant avec le monde, d'o viennentet o retournent tres et choses; l'individu, considr commeune parcelle du grand Tout, soumis l'ordre inflexible duDestin qui rgit l'Univers? Comprendre cette vie de l'en-semble afin de s'y adapter, n'est-ce point le premier mot dela morale? Et partant, est-il possible de concevoir cettescience autrement que lie indissolublement la mtaphy-sique et aux conceptions qui en sont la base : monisme,panthisme, dterminisme et mme matrialisme stocien?Comment encore admettre dans la pratique des rglesaussi efficaces, aussi admirables que celles du stocisme,prcisant les devoirs que nous avons envers nous-mmes etenvers les dieux, et oublier qu'elles sont l'expression de notre

    raison, fraction de la Raison universelle, c'est--dire fractionde Dieu lui-mme?

    Cette dissociation entre mtaphysique et morale nousparat ainsi incomprhensible. Elle se fit pourtant; et demme qu'il se produit l'heure actuelle des ouvrages, deplus en plus nombreux, de morale indpendante, c'est--direde morale dgage de toute mtaphysique, il y eut alorsabondance d'opuscules de morale nettement stocienne, sansaucune proccupation mtaphysique. C'est le positivismeintroduit en morale, ds le xvi^ sicle, avec la mthode induc-tive. Des causes d'ordre pratique, telles que l'exprience en

    dgage alors de la vie et du commerce avec l'antiquit,tournrent esprits et mes vers la morale stocienne.Ne nous attendons pas trouver parmi ces restau-

    rateurs du stocisme de vrais philosophes, soucieux de fairerevivre dans toute son intgrit la pense antique, maisplutt des littrateurs, des moralistes, des historiens, des

    humanistes.

    Les philosophes et les thologiens rforms participrent ce mouvement de tout autre sorte. Ils rencontrrent le

  • DISSOCIATION DES LMEN IS STOCIENS 3 I

    Stocisme comme par hasard, lorsqu'ils examinrent lalumire de leur raison certaines vrits mtaphysiques, quise trouvaient proches des dogmes chrtiens. Ils s'en dfen-dirent, il est vrai, soit en attaquant de front les dogmesstociens, comme le fit si souvent le rformateur de Genvedans son Institution chrtienne ou ses opuscules, soit, au

    contraire, en les acceptant sous rserve de garder intacte

    soumission l'Eglise en matire de foi, comme le fit

    Pomponace, un des promoteurs de la libre-pense la

    Renaissance. Mais peu importe cette attitude d'hostilit :

    philosophes et rforms n'en travaillrent pas moins l'uvre de dissociation du stocisme, en attirant l'attention

    d'un public assez tendu sur certains points de doctrine qui

    proccupaient tout particulirement alors les esprits et les

    curs.

  • chapitrp: premier

    stocisme et philosophie

    Le mouvement philosophique fut caractris la Renais-

    sance parle dveloppement de Tesprit critique qui fit eVort detous les cts la fois pour assurer son indpendance. Il se

    marque par une raction violente contre l'autorit troitement

    lie la philosophie d'Arisiote, il examine de plus prs les

    questions philosophiques, remises au jour par les luttesd'cole. Or, de quelque manire que se rvle cet esprit cri-tique, on y retrouve toujours une pointe de scepticisme, quilaisse le champ libre quelque dogmatisme.On a Phorreur de la scolastique (i), et ce sentiment four-

    nit d'excellenies armes Tesprit critique pour Tauioriser

    faire le procs la philosophie dWristote, ou plutt ceux

    qui l'interprtent mal. C'est ime faon de remettre en faveur

    le christianisme au moyen du vritable Aristote, de Platonou du stocisme, tandis que la scolastique l'avait discrdit.

    Le monde savant, crit Marsile Eicin, dans le.|uel domi-nent les pi ipatliciens. est gnralement divis en deuxsectes : la premire est celle des alexandrins, la deuxime

    (i) Ct. Pi'tri Rjini odlio tnitio su.r pro/tssonis h.ibita (Paris.i53i). ct Sihohv dLicctic.r (pilogue du livre IV). - J. I.aunoi, />Viiria Aristott'is fortuna (Paris, iij?'>). Prat. M.iIJon.it ' .V.;/: x-/.-'

    de Piiris, ouvr. dj cite.

  • ^4 CHAPITRE I

    celle des averrostes. Les premiers opinent que notre enten-

    dement est mortel, les seconds prtendent qu'il est unique

    pour tous les hommes; les uns et les autres renversent toutereligion, principalement parce qu'ils nient que la Providence

    de Dieu s'exerce l'gard des hommes; et en ces deux points

    ils s'loignent galement d'Aristote (i).

    Bessarion juge au mme point de vue dogmatique ledbat qui se prolonge, assez violent, entre les partisans

    d'Aristote et ceux de Platon. Pour lui, Platon a t merveil-

    leusement aid parles lumires naturelles, il a prpar le chris-

    tianisme; son Dieu est plus vivant que celui d'Aristote; il

    donne des preuves formelles d'immortalit, tandis qu'Aristote

    ce sujet s'est prononc avec quelque obscurit, dmontrant

    seulement que l'me est incorruptible. Quant au DieuProvidence, la doctrine de Platon semble tout fait nette :

    il priait, faisait des sacrifices, croyant fermement que Dieu

    rgit et gouverne tout. Aristote ne s'est jamais expliqua propos de la fatalit, il a souvent parl du destin sans

    le dfinir (2).

    Pour le stocisme, c'est autre chose : il se fit d'abord l'alli

    de la libre-pense, et la question touche d'assez prs notre

    sujet pour que nous puissions cette fois entrer dans de plus

    amples dtails.

    Un libre-penseur, qui n'eut de chrtien que le nom, audire de beaucoup de ses contemporains, mais qui jouit du

    moins d'une rputation universelle de philosophe, Pierre

    Pomponace, sut, par un esprit critique, subtil et brillant, se

    gagner l'enthousiasme de la jeunesse universitaire Padoueet Bologne dans les environs de i5oo. Il attaqua de front

    les questions mtaphysiques, au nom desquelles on jugeait

    (i) Cf. Plotin, Opra Marsilio Ficino interprte^ prologue la versiondes Ennades (Florence, 1492)

    (2) Cf. Vast, ouvr. cit.

  • stocisme et philosophie 35

    alors les grands philosophes de l'antiquit, et c'est avec saseule raison, en dehors de toute proccupation de religion etd'cole, qu'il examina ces trois questions capitales qui for-mrent l'objet ordinaire de ses cours et de ses publications :l'immortalit de l'me, les enchantements ou l'influence dumonde spirituel sur le monde matriel; enfin les rapportsde la Providence avec la libert et avec le destin. Il setrouva pris ainsi dans ce redoutable dilemme, ou d'avouersa raison impuissante, ou de renier sa foi. Mais comme si lecourage lui et manqu d'opter rsolument pour l'un oul'autre parti, il se tira d'affaire par un faux-fu\ant : il soutintque l'on peut nier en philosophe ce que l'on peut admettreen croyant. La science pour lui dpend de la raison et deses lois inflexibles: la foi dpend de la volont qui peut sesoustraire la raison. C'est en somme la distinction trs

    nette entre le point de vue du philosophe et celui du lgis-tcur, distinction qui permet de laisser la philosophie la

    connaissance des choses abstraites, des vrits naturelles etdes principes absolus, et la religion le soin de diriger la vie

    et les murs, c'est--dire ce qui importe le plus. La religion

    ne s'adresse qu' la raison pratique, la philosophie la

    raison spculative. La raison spculative peut admettre que

    l'me sensible aussi bien qu'intelligente informe le corps,

    que les images perues par les sens sont les conditions de lavie; que l'me mme est le principe de la vie et la formepremire du corps organis; que la volont, qui ne peut agirsans organe, a besoin du corps comme objet et comme sujet,qu'il n'y a donc aucune de nos facults qui puisse se passer

    du corps et s'exercer sans le concours des organes, et rien

    n'autorise plus croire que l'iiie survive au corps.

    Mais voil la conire-pai lie de la raison pratique, u IIme parait, dit Pomponace, qu'il n'y a aucune raison

    naturelle qui puisse tre allgue aflirmant que l'me est

  • 36 CHAPITRE I

    mortelle comme le dclarent plusieurs docteurs affirmant

    qu'elle est immortelle; nous dirons donc, comme Platon au

    livre des Lois, que la solution appartient Dieu seul. Il y a,

    en eifet, tant d'hommes de valeur qui ont eu des doutes ausujet de la destine de l'me, que sans la foi, il n'y aurait

    aucune raison de trancher la question (i).

    D'autre part, il se trouve que ce problme, d'ordre mta-

    physique, a des liens troits avec la morale; le besoin de

    sanction peut en effet peser dans la balance du bien et dumal, et la faire osciller dans un sens plutt que dans un

    autre. Mais l encore, la solution est double, suivant qu'on

    l'envisage du point de vue spculatif ou du point de vue

    pratique.

    Non seulement la sanction n'apporte aucun lment lamoralit, si on l'envisage spculativement, mais encore elle

    diminue la vertu. C'est pourquoi, ajoute Pomponace, ceuxqui affirment que l'me est mortelle me semblent mieuxsauvegarder la raison de la vertu que ceux qui affirment

    qu'elle est immortelle, car l'espoir de la rcompense et lacrainte de la peine me semblent introduire une certaine

    servilit qui est contraire l'essence de la vertu (2).

    Comment se fait-il que certains philosophes aient soutenul'opinion de l'immortalit de l'me, quand la raison ne leur

    (i) Cf. Pomponatius, De Immortalitate (Bononiae, i5i6), cap. xv,p. 124 : Mihi namque videtur quod nullae rationes naturales adducipossunt cogentes animam esse mortalem... sicut quamplures doctorestenentes eam mmortalem dclarant; quapropter dicemus sicut Platode Legihus : a certificare de aliquo, cum multi ambigunt, solius est Dei

    ;

    cum itaque tam illustres viri inter se ambigant, nisi per Deum hoccertificari posse existimo.

    (2) Cf. Pomponatius. op. cit. cap. xrv. p. 121 : Quare perfectiusasserentes animam mortalem melius videntur salvare rationem virtutisquam asserentes ipsam immortalem; spes namque prmii et pncetimor videntur servilitatem quamdam importare, qu rationi virtutiscontrariatur.

  • stocisme et philosophie 37

    fournissait point d'arguments probants? C'est, semble dire

    Pomponace, une consquence de la raison pratique. La

    sanction est un argument trs efficace en cette matire et

    ce n'est plus la ncessit d'une sanction qui entrane

    les consquences de la vie future, mais la crainte de la vie

    future qui devient un mobile d'action morale. Ce fait est

    du reste facilement explicable. Nous constatons chaque

    jour et dans tous les temps des diffrences profondes d'intel-ligence entre les hommes. Pomponace pose en principe

    qu'il y a trois degrs dans l'intelligence : l'intelligence sp-

    culative nous sert discerner le vrai du faux, et permet la

    critique philosophique; l'intelligence pratique nous claire

    sur la distinction du bien et du mal, et l'intelligence opra-

    tive nous rend capables de toutes sortes d'industries ou

    d'arts pratiques.

    L'intelligence spculative est en somme celle de l'lite, celle

    du philosophe; celle de la foule est pratique et oprative.

    L'intelligence spculative suffirait sans doute pour pratiquer

    la vertu si tous les hommes en taient capables, mais ellen'appartient pas la masse : cette dernire il faut donc un

    autre mobile d'action. \'oil une manire toute particulire

    d'entendre en principe la morale indpendante sans l'admettre

    en pratique, de rendre hommage la raison sans la fairergle souveraine, car elle n'est pas galement rpartie entre

    les hommes. C'est admettre en thorie le stocisme dans

    son rationalisme, dans son intellectualisme, dans sa doctrine

    du Souverain Bien, et en constater l'impuissance pratique.

    Pomponace dit en effet (i) : La rcompense essentielle de

    la vertu est la vertu elle-mme qui fait l'homme vertueux;

    (1) Cf. l'omponatius, op. cit., cap. xiv, p. 104 : Pra*miiim csscnlialc

    virtuiis est ipsamcl virtus, qiia* homincm fcliccm facit...; pna viiiosiest ipsum vitium... ; et p. io

  • 38 CHAPITRE I

    la peine du vice est le vice lui-mme... Quand accidentel-lement le bien est rcompens, il en est diminu, il negarde plus son entire perfection. On ne peut direplus clairement que la parfaite moralit doit tre en dehors

    de toute considration de sanction. La vertu se suffit elle-

    mme, par consquent n'implique nullement la cro3^ance enune survie, croyance qui nous conduirait la mtaphysique.

    En principe, la morale de Pomponace est indpendante etstocienne; en pratique, elle ne l'est plus, car elle implique

    des conceptions mtaph3^siques qui ne sont pas accessibles

    la masse. Beaucoup d'hommes, dit-il, ont pens que l'me

    tait mortelle, qui pourtant ont crit qu'elle tait immor-telle; mais ils ont fait cela cause de la tendance au mal

    des hommes qui ont peu d'intelligence, ne connaissentpas les biens de l'me, ne les aiment pas, ne s'occupent

    que des choses corporelles. C'est pourquoi il est ncessaire

    de soigner ces esprits comme le mdecin soigne le malade,la nourrice l'enfant priv de raison (i). Le fond de sa

    pense est-il que plus tard un nivellement se fera dans les

    intelligences? Nous ne pouvons le dire. Les sicles qui sui-

    vront, enthousiastes du progrs, ayant foi en la culture

    intellectuelle, lveront la morale indpendante la dignit

    de science. Ils dgageront mieux ainsi une loi morale uni-verselle, mais l'exprience rpondra-t-elle leur espoir, et ne

    donnera-t-elle pas raison au contraire Pomponace, et au

    stocisme tel qu'il l'interprte, lorsqu'il rserve la morale

    intellectuelle une lite seule? En un mot, l'exprience ne

    (i) Ibid.^ p. 120 : Existimandum est multos viros snsisse animammortalem, qui tamen scripserunt ipsam esse immortalem, sed hocfecisse ex pronitate virorum ad malum, qui parum aut nihil habentde intellectu. bonaque animi non cognoscentes, nec amantes, tantumcorporalibus. incumbunt; quare hujusmodi ingenii necesse est eossanare, sicut et medicus ad aegrum et nutrix ad puerum ratione carentemse habent.

  • stocisme et PHiLC)SOPHn:

    constatera-t-elle pas la droute de cette morale indpendantequ'il est intressant de voir, en quelque sorte, jaillir dustocisme?

    Si l'intelligence spculative n'est chue qu' un petit nom-bre, l'intelligence pratique ne fait point dfaut chaque

    homme en particulier : c'est elle qui dicte cette loi naturelledont parlait dj Cicron et qui est la voix de la conscience,mais c'est au lgislateur l'veiller en sanctionnant quel'me est immortelle. Attentif au bien commun, frapp du

    facile accs des voies qui conduisent au mal, ne s'occupant

    pas de vrit mais seulement d'honntet, il a donn deslois qui mnent les hommes la vertu (i). Ces lois, rpondant prcisment aux besoins de la nature

    humaine, firent son succs pratique, mais il n'en

    restera pas moins incapable de rpandre et de dvoiler la

    vrit. Cette vrit est rserve au philosophe; ce dernier,

    tout proche parent du sage stocien, ce demi-dieu d'autrefois,

    restera dans sa tour d'ivoire comme dans une forteresse, se

    drapant dans son orgueil de sage : il est bien au-dessus des

    autres hommes : les philosophes sont des dieux vritables,ils savent ce que le vulgaire ne peut savoir, ils connaissent

    les arcanes sacrs, aussi diffrent-ils des autres hommes,comme 'diffrent des peintures les hommes rels, et ne doi-vent-ils pas rvler leurs secrets au vulgaire (2) . Mais ici

    une remarque s'impose : une diffrence profonde spare les

    stociens des philosophes, tels que les envisage Pomponace.

    (i) Ibici., p. loS : Respiciens legislator pronitatem viarum ad malum,intendens commun! bono, sanxii animam esse immortalem, nonciirans de vcritate sed tantum de probitate, ut inducat hermines aJ

    virtutem, neque accusandus est politicus.(2) Cf. l^omponalius, I)f InCiintiitiotubus, {Opt-tii, liasilea*. I3';),

    p. 33 : (^ua* omnia, quanquam a profano vulgo non percipiantur,ab istis tamen philosophis qui soli suni Dii terrestres, et tantum distant

    a cxteris, cujuscunque ordinis sive condiiionis sint, sicut homincs vcriab liominibus picti'^, sunt concessa ac demonsirata.

  • CHAPITRE I40

    Les premiers avaient eu du moins le mrite d'avoir foi en

    l'efficacit de leurs dogmes, qu'ils croyaient accessibles tous,

    car ils les enseignaient sans restriction aucune; les seconds

    sont tristement rsigns leur insuccs.

    Avec Pomponace l'esprit critique a branl toutes croyan-

    ces mtaphysiques, et le seul avantage dont puisse, suivant

    lui, jouir le philosophe est. purement ngatif : c'est celui de

    se dire qu'il ne peut rien prouver, et d'en souffrir. Prom-the, c'est le philosophe qui, cherchant dcouvrir les

    secrets de Dieu, est rong par des soucis et des penses

    qui ne lui laissent pas de relche; il ne connat ni la faim,

    ni la soif, ni le sommeil, objet de railleries pour tous; il

    passe pour un insens et un sacrilge, perscut par les

    inquisiteurs, livr en spectacle la foule; tels sont les avan-

    tages qui sont rservs aux philosophes, telle est leur

    rcompense (i). Pomponace ouvre ainsi la voie ceux qui, devant une rai-

    son impuissante, se jetteront dans la foi; mais de quelle autre

    manire? C'est avec son cur, son me tout entire, qu'unPascal embrassera ce christianisme o se rfugie sans doute

    Pomponace, mais par bon sens pratique et, qui sait? peut-tre

    par simple prudence.

    Ainsi, de cette critique du concept de l'Immortalit de

    l'me et du problme du Souverain Bien, il reste deux con-

    (i) Pomponatius, De Fato, lib. III. {Opra, p. 709) :(( Sunt virtutes, sunt vitia nostra, non naturae, non fortunae. Ista igitur

    sunt, quae me premunt, quae me augustant, quae me insomnem et insa-num reddunt, ut vera sit interpretatio fabulae Promethei, qui dum studetclam surripere ignem Jovis, eum relegavit Jupiter in rupe Scytica, inqua corde assidue pascit vulturem rodentem ejus cor. Prometheus veroest Philosophus qui, dum vult scire Dei arcana, perpetuis curis et cogi-tationibus roditur, non sitit, non famescit, non dormit, non comedit,non expuit, ab omnibus irridetur et tanquam stultus et sacrilegus habe-tur, ab inquisitoribus prosequutus, est spectaculum vulgi : hsec igitursuntjucra Philosophorum, ha^c est eorum merces.

  • stocisme et philosophie 41

    clusions, qui semblent bien toutes deux de couleur stocienne :

    l'une, positive, constate l'identit de vertu et bonheur; l'autre,

    ngative, affirme l'impossibilit de prouver rationnellement

    notre existence future; et si nous suivons Pomponace dans

    sa critique des questions mtaphysiques qui proccupaient

    alors tous les esprits, nous verrons s'affirmer davantage

    encore cette affinit de son esprit pour certains dogmesstociens.

    Examine-t-il le problme de la Providence? Il l'admet

    certes en principe, mais la manire stocienne, dans toutesses consquences. Ce n'est pas, selon lui, une rponse

    l'argument de la Providence que de nier Dieu comme Dia-

    goras, ou d'en douter comme Pythagore : Or poser queDieu est et qu'il ne prvoit pas tout et surtout les destines

    des hommes, comme Epicure et Cicron Tont soutenu,c'est dire qu'il \' a du feu et qu'il ne rchauffe pas. Dieu n'est

    pas autre chose en effet que celui qui prvoit, anime et

    rgle tout (i). Mais si Dieu prvoit tout, qu'en adviendra-

    t-il de la libert humaine? Ne faut-il pas donner gain de

    cause au dterminisme stocien, au destin?

    Kn bon critique, Pomponace ne prendra point directe-

    ment parti dans le dbat, il se contentera d'examiner et de

    rfuter tour tour les diverses opinions des philosophes.

    Trois philosophies ont en effet abord cette question si

    importante des rapports de la Providence avec la libert

    humaine; Pomponace les confronte toutes trois : celle

    d'Aristote, o, tout tant li et s'enchanant avec rigueur,

    il semble qu'il n'v ait point de place pour la Providence

    et la libert, celle des stociens acceptant l'ide de Provi-

    (1) Cf. ibi\i., \\h. IL p. (to; : Deuin esse cl non cunclis providcreet maxime hominilnis, ut l^piciirus el Cicer posucrunt, est diccreigncm esse et non esse calefactivum ; quid enim aliud est Oeus quamcuncta prospiciens et ciincla fovens et regulansr

  • 42 CHAPITRE I

    dence, admise comme ncessit, et repoussant la libert; etenfin le christianisme essa^^ant de concilier Providence et

    libert.

    De ces trois philosophies^ c'est le stocisme qu'il exami-

    nera de plus prs, le comparant sans cesse au christianisme.

    Aristote, dont le systme ne peut gure admettre le DieuProvidence, reste dans l'ombre, tandis que stocisme et

    christianisme, qui ont eu ce point commun de faire ce

    dogme une large place, attirent toute son attention. Sansdoute, il y a bien des nuances dans la manire d'entendre laProvidence; mais n'est-ce point le stocisme qui l'aurait lemieux comprise?Ce qui fait la force et la valeur de cette philosophie sur ce

    point comane sur les autres, c'est sa logique impeccable.

    Tout se tient admirablement dans ce systme, Pomponacel'a compris. Le Destin est en effet pour le stocien l'ordre de

    l'univers, et cet ordre ne peut pas tre autrement qu'il n'est :

    la nature de l'univers l'exige ainsi. Par consquent, il n'y a

    pas lieu de s'tonner si des maux et des vices se trouvent

    mlangs aux biens. L'exprience et la raison le montrent.L'exprience, parce qu'il n'y a jamais eu de monde sans bienni mal; la raison, parce que les choses humaines tiennent deleur nature mme qu'elles peuvent tre faites ou bien oumal. Avec la ncessit, et Pomponace insiste sur ce point, les stociens chappent aux objections mieux que les chr-tiens (i) . Dieu ne peut tre accus avec eux ni de cruaut

    ni d'injustice. Si des maux sont dans l'univers. Dieu ne

    peut agir autrement qu'il ne fait, car c'est la nature mmede l'univers qui le veut ainsi. Suivant les chrtiens au

    (i) Ibid., lib. II, p. 624. : Videtur quod facilius Stoici vadantdiiicultates quam Christiani, Nam si quis videatur peccare, quoniamaliter fieri non potest, utpote si quis claudicat, quoniam libiam habetextortam, excusabilior est eo qui claudicat voluntate.

  • STOCISME ET PHILOSOPHIE 43

    contraire, Dieu peut mais ne veut pas agir autrement, ce

    qui le rend un Dieu cruel (i).

    Malgr tous ces raisonnements, Pomponace ne veut point

    cependant accepter la conclusion des stociens, non, car il ya une grave objection leur concept d'universelle ncessit.Ils font de Dieu l'auteur du pch; suivant le stocisme,

    Dieu concourt effectivement au mal, alors qu'il ne fait que

    le permettre suivant le christianisme (2).

    Pourtant cette objection n'est point dcisive : il y amoyen de la lever, en admettant, comme le tirent certains

    stociens, la mortalit de l'me. Dieu est alors sauv du

    reproche de cruaut, car pch et sanction sont supprims du

    mme coup. L'homme soumis la ncessit n'a plus porterle poids de ses actes. Mais supprimer les sanctions futures,

    n'est-ce point aussi supprimer ces sanctions temporelles

    dont la nature donne sans cesse des exemples? Et Pomponace

    rappelle que les scorpions sont tus ainsi que les animauxnuisibles, tandis que le contraire advient des animaux utiles.La nature l'exige ainsi et, au moyen du destin, fait que le loup

    qui a dvor une brebis se trouve son tour tu par le

    matre de la brebis. Ce fait ne peut point se produire par

    un jeu de hasard; autrement il faudrait admettre que l'uni-

    vers tout entier est l'uvre du hasard, et Pomponace s'esttoujours lev fortement contre cette opinion. La natureadmet donc la sanction

    ; pourquoi les hommes ne l'adinet-traient-ils pas au point de vue pratique? Le lgislateur

    (1) IbiJ., lih. II, cap. vu, p. hi'y cl seq. s Deus videlur pcccare;quoniam concurril ellective ad peccatum; secundum vero Chrisiianos,si iXiis non concurrai elfcctive, j'>ermitiil lainen peccaivmi feri.

  • 44 CHAPITRE I

    rappelle fort heureusement l'anecdote cite par Diogne deLarte au livre VU de ses Vies des Philosophes. A son esclavequi l'a vol, et qui se dfend en allguant qu'il n'a agi que

    pouss par le destin, Zenon rpond que lui aussi le bat,pouss par le destin. Les peines comme les fautes sont donc

    fatales, et vertus et vices portent en eux-mmes leurssanctions (i).

    S'il existe une loi morale qui est d'accord avec le destin,

    elle est le mo3Tn par lequel le destin s'accomplit, et demme que le feu ne peut point se produire sans une chaleurinitiale, de mme on ne peut obir aux lois sans le secoursde ces lois mmes (2). Les ingalits qu'on constate parmiles hommes, comme dans l'univers en gnral, ne provien-nent que de la nature et non de l'injustice de Dieu (3). Le

    seul moyen de rparer ces ingalits ne serait-il pas encored'admettre rh3^pothse stocienne de la succession des

    mondes, qui permettrait la rincarnation et par consquent

    le rtablissement de l'ordre de justice? C'est alors que le roi

    deviendrait son tour pauvre, et le pauvre, roi... Les guerres,

    les pidmies, les dluges, tous ces maux seraient expliqus (4),La ncessit stocienne avec ses consquences logiques :

    ngation de notre libert, suppression de la vie future,

    (i) Cf. Pomponatius, De Fato, lib I, cap. xr, p. 481.(2) Cf. ib/d., lib. T, cap. xvii, p. 52 1. Veluti si ignis dbet generari,

    oportet caliditatem praecedere; qua non prcdente, non esset ignis. Sicqui parent legibus mediantibus legibus faciunt vel non faciunt nequealiter quam per taies leges possunt facere illa quae faciunt .

    (3) Cf. bid., lib. II, cap. vu, p. 612. propos d'Origne : Quodridiculosum est, oportet dicere hoc provenire ex natura universi et nonex Dei injustitia, imo magis ex Dei jus^itia... Ordo igitur universiexigit tantam diversitatem, nulla existente injustitia vel enormitatein Dei providentia.

    (4) Cf. l'bid. lib. II, chap. vu, p. 65i : Unde necessario et inevita-biliter proveniunt bella, mortalitates, diluvia per ignem et per aquam,quia iterum renovatur mundus; et non tantum Stoici dicunt hoc,verum et Peripatetici, de necessitate fatentur hoc.

  • STOICISMK ET PHILOSOPHIK

    apparat ainsi rationnellement ce philosophe comme la

    solution la meilleure, la plus loigne de toute contradic-

    tion (i). Il ne lui donne pas entirement gain de causepuisqu'il la discute; mais enfin il trouve qu'elle soulve

    moins d'objections que le dogme chrtien de la presciencedivine, lorsqu'il doit s'accorder avec notre libert et le dogmede la vie future. Le problme du mal trouve, pour lui, unesolution assez satisfaisante dans l'hypothse stocienne de

    l'harmonie de l'univers, rsultant de la diversit des parties,

    de ce mlange de bien et de mal, qui dure depuis des siclesinfinis et durera de mme; qui a par consquent une causencessaire et par soi : qui n'est pas en notre pouvoir, mais dans

    l'ordre du destin. Le mal est aussi ncessaire que le bien.

    Supprimer l'un, c'est supprimer l'autre. Les grandes lignesdu stocisme sont ainsi remises en lumire. Le scepticisme

    aboutit au dogmatisme stocien.Est-ce dire que Pomponace en admette le systme dans

    sa totalit? Non, il a spar le domaine de la foi de celui dela science: si sa raison l'attire vers le stocisme, sa religion,

    laquelle il veut rester fidle, l'en loigne et lui enseigne de

    croire la ncessit ou prscience divine et la libert. Il

    dira donc que la vrit tant sauve, il reconnat, en se

    soumettant la loi de l'Eglise romaine, que Dieu est la

    fois cause et non cause de nos actes (2).

    Cette solution peut paratre originale, nul ne le contestera,

    mais non satisfaisante; elle peut suffire un sceptique peut-

    tre, mais non un croyant; elle n'est en dfinitive que

    provisoire. Si elle ouvre la voie la morale indpendante en

    rejetant l'autorit des sicles passs, elle prpare un autre

    dogmatisme, celui du rationalisme spculatif de Dcscartcs et

    (i) Cf. Pomponaiius, op. cit., pilogue, p. loio : r magis remoia aconlradiciione.

    (2) Cf ibiii., lib. III, cap. xii, p. 783-784.

  • 46 CHAPITRE I

    du rationalisme pratique de Kant. Ces deux rationalismes,

    o les lments stociens sont en si grand nombre, sont en

    effet des expressions de cette morale laque qu'a prpare le

    xvi^ sicle, et qui se prcisera dans les affirmations pratiques

    de la conscience d'un Kant, ou dans la foi absolue en la

    raison d'un Descartes.

    Le xvn^ sicle recueillit, en effet, l'hritage stocien que

    les philosophes avaient morcel, et partant, restitu au

    domaine commun. Les rforms inconsciemment ont tra-

    vaill dans le mme sens. Presque tous humanistes, ils sontincapables de dpouiller cette forme de leur personnalit.

    Lorsque, pour les besoins de leur cause, ils cherchent ta-

    blir un certain dogmatisme religieux, ils sparent si nette-

    ment le domaine de la foi de celui de la raison, qu'ils

    creusent, entre le spculatif et le pratique, un foss infran-

    chissable. D'une part, la raison les amne au stocisme; del'autre, les exigences de la vie pratique les conduisent la

    morale indpendante, si proche de la morale stocienne, et

    c'est ainsi que, par deux voies diffrentes, ils apportent leur

    part d'effort au grand travail de dissociation du stocisme.

  • CHAPITRE II

    LE stocisme et LA REFORME

    LVeuvre de la Rforme revt ses dbuts, comme celle dela philosophie, une forme minemment critique. Il s'agit, eneffet, de dmler, pour les rejeter ensuite, les lments impurs

    ou trangers e^ui ont altr la doctrine de la primitive

    Eglise pendant des sicles d'existence. Cela revient, en

    somme, a examiner nouveau les dogmes chrtiens; et c'estce que fit Luther : il procda immdiatement la critiquedes principes fondamentaux du christianisme. Mais comme

    ces principes ont plus d'un point commun avec les questions

    mtaphysiques les plus discutes alors, il arriva que lesrforms furent entrans dans le mme courant d'idesstociennes que les philosophes. Le problme de la chute etde la rdemption quivaut en somme au problme de l'ori-gine du mal et de la possibilit de le vaincre, c'est--dire celui de notre libert.

    Il importe, en effet, tout chrtien de savoir si l'hommeest responsable de sa premire faute, nu s'il ne l'est pas.

    Dieu a-t-il. oui ou non, dans sa toute-puissance, dcrt

    cette faute de toute ternit, comme il a dcrt la rhabili-

    tation du pcheur, de certains pcheurs seulement, suivant

    la doctrine de la Prdestination? Si l'on ne veut point

    accepter la solution moyenne et concihatrice de l'Eglise

  • z}8 CHAPITRE II

    catholique, il ne reste que deux partis absolument opposs

    choisir : ou nier la puissance de Dieu, et laisser toute

    libert Thomme, ou l'admettre pleine et entire et ne pluslaisser place k la libert.

    Nous allons voir cominent les rforms, tandis qu'ils

    dfendaient avec la rigueur absolue des logiciens la toute-

    puissance divine, versrent dans le stocisme au point d'en

    tre accuss par leurs adversaires. Luther engagea le dbat :

    (( Le libre arbitre, dira-t-il, ne peut convenir qu' la seule

    majest de Dieu; car c'est sa puissance qui fait et veut toutdans le ciel et sur la terre. Si on l'attribue Thomme, onne lui attribue rien moins que la divinit elle-mme; or il

    ne pe