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La réception française de la Raffaella d'Alessandro Piccolomini Versions "urbaines" et lectures "érotiques" Author(s): Daniela Costa Source: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 14, No. 2 (1996), pp. 237-246 Published by: Librairie Droz Stable URL: http://www.jstor.org/stable/25598830 . Accessed: 14/06/2014 05:09 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Nouvelle Revue du XVIe Siècle. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.77.82 on Sat, 14 Jun 2014 05:09:56 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

La réception française de la Raffaella d'Alessandro Piccolomini Versions "urbaines" et lectures "érotiques"

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La réception française de la Raffaella d'Alessandro Piccolomini Versions "urbaines" et lectures"érotiques"Author(s): Daniela CostaSource: Nouvelle Revue du XVIe Siècle, Vol. 14, No. 2 (1996), pp. 237-246Published by: Librairie DrozStable URL: http://www.jstor.org/stable/25598830 .

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Nouvelle Revue du Seizieme Siecle -1996 - N? 14/2, pp. 237-246

LA RECEPTION FRANCAISE DE LA RAFFAELLA D'ALESSANDRO PICCOLOMINI

VERSIONS ?URBAINES? ET LECTURES ? EROTIQUES ?

En 1581, la meme annee ou Abel L'Angelier editait VInstitution

morale, traduite d'Alessandro Piccolomini par Pierre de Larivey1, Frangois d'Amboise faisait paraitre, sous le titre Dialogues et Devis des damoiselles2, la traduction, ou plutot Padaptation d'un autre

ouvrage du savant siennois, la Raffaella o Dialogo della bella creanza delle donne3. Mais la traduction de D'Amboise n'etait pas la premiere offerte au lecteur frangais. Elle marquait, bien au contraire, la fin du

parcours deja assez long qu'avait suivi la Raffaella en France, et dont nous ne donnerons ici qu'une esquisse. Ouvrage badin, souvent asso cie a ceux de PAretin, dont pourtant il ne partage pas les intentions

1 L'lnstitution morale du seigneur Alexandre Piccolomini, mise en frangais par Pierre de Larivey. A Paris, chez Abel L'Angelier, 1581; l'ouvrage fut re^dite" en 1585, par le meme libraire sous le titre de La Philosophic et Institution morale du S. Alexandre Piccolomini, mise en frangais par Pierre de Larivey. II s'agit de la traduction de Delia institution morale, di M. Alessandro Piccolomini libri XII, Venetia, appresso Francesco Ziletti, 1560, dont une premiere version avait paru sous le titre De la Insti tution di tutta la vita de I'homo nato nobile e in citta libera.... Venetijs, apud Hierony

mum Scotum, 1542. Sur la traduction de Larivey, voir J. Balsamo,? Larivey traducteur de l'lnstitution morale: les enjeux de l'italianisme ?, Actes du colloque Pierre de Lari

vey (1541-1619). Champenois, chanoine, traducteur, auteur de comedies et astrologue, (1991), Paris, Klincksieck, 1993, pp. 73-81. Sur Alessandro Piccolomini, voir F. Cer

reta, Alessandro Piccolomini Letterato efilosofo senese del Cinquecento, Siena, Acca demia senese degli Intronati, 1960; M. Celse, ? Alessandro Piccolomini, l'homme du ralliement?, in Les ecrivains et le pouvoir en Italie a l'epoque de la Renaissance, Paris,

Universite de la Sorbonne Nouvelle, 1973, pp. 7-76. 2

Dialogues et Devis des damoiselles, pour les rendre vertueuses et bienheureuses en la vraye et parfaicte amitie. Contenans plusieurs bons enseignemens, tres-utiles et

profitables a toutes personnes: enrichis de quelques histoires facetieuses, et discours de la nature d'amour, pour bien et honnestement se gouverner en toutes compagnies. Par

Thierry de Timophile, gentilhomme Picard. Paris, Vincent Norment, 1581, B.N. [Res. Z 2449 ]; Paris, Robert Le Mangnier, 1583, Arsenal [8? S 3749].

3 Sur cette oeuvre et sa place dans la vie culturelle de la haute societe siennoise, voir M.-F. Piejus, ? Venus bifrons. Le double ideal feminin dans la Raffaella d'Ales sandro Piccolomini ?, in Images de la femme dans la litterature italienne de la Renais sance. Prejuges misogynes et aspirations nouvelles, Paris, Universite de la Sorbonne

Nouvelle, 1980, pp. 41-156.

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scabreuses, la Raffaella d'Alessandro Piccolomini, publiee en 1539, connut un remarquable succes editorial. Elle fut aussi rapidement imi tee que critiquee4. Dans differents passages de son Institutione di tutta la vita delVhuomo nato nobile e in cittd libera (1542), Piccolomini lui

meme essaya de justifier la legerete de son dialogue, considere par certains de ses premiers lecteurs comme un ouvrage immoral. II

temoignait ainsi de Pecho immediat de cette oeuvre, qu'il excusait en la

qualifiant de jeu litteraire, de pause ludique dans Pactivite serieuse a

laquelle il se vouait, celle de traducteur des auteurs anciens et de vul

garisateur du savoir scientifique5. Piccolomini en effet, traduisit

Ovide, Virgile, Xenophon et Aristote, sur la Poetique duquel il ecrivit un des plus importants commentaires du XVP siecle, que Ronsard lut avec interet. Dans son oeuvre scientifique en langue toscane, consa cree a Pastronomie et aux sciences naturelles, il fit la synthese du savoir des anciens et de celui de son temps, et la diffusa, en italien, en

toscan, a l'usage des couches cultivees de la societe qui ne connais saient pas les langues anciennes, en particulier le public feminin. Plu sieurs de ses ouvrages sont adresses a une dame de Paristocratie sien

noise, d'une grande intelligence et dont il evoquait les commentaires sur le Paradis de Dante, Laudomia Forteguerri, parfaite represen tante de ces lectrices d'elite, auxquelles pouvaient etre adressees les initiatives les plus savantes des hommes de lettres. La Forteguerri etait aussi la dedicataire de la premiere version de Vlnstitutione

(1542), et l'on peut penser qu'elle joua un role de conseil dans la com

position de la Raffaella. Sous ses apparences badines, la Raffaella etait un ouvrage lui aussi

fort savant, nourri de la comedie latine, des traites medievaux de cos

metologie, riche de references a VArs amatoria d'Ovide, a la Deifira et

YEcatonfilea de Leon Battista Alberti, d'allusions aux Ragionamenti

4 Venezia, per Curzio Navo e fratelli. Le dialogue est designe par le prenom de

son personnage principal par A.Piccolomini dans Ylnstitutione et par ses contempo rains, mais jusqu'aux editions du XIXe siecle, le titre restera celui de Dialogo...: a par tir du XIXe il aura le double titre que nous avons indique (voir F. Cerreta, op. cit, pp.

175-176). Voir G. Zonta, Trattati del Cinquecento sulla donna, Bari, Laterza, 1913, qui etablit le texte du dialogue de Piccolomini, et sert de reference aux editions successives de D. Valeri, Firenze, Le Monnier, 1944 et de A. Di Benedetto, in Prose di Giovanni Della Casa e altri trattatisti cinquecenteschi di comportamento, Torino, Utet, 1970 et

1991. Le dialogue de Piccolomini fut imite dans le Ragionamento d'Amore de F. San

sovino (1545) et le Specchio d'Amore de B. Gottifredi (1547). 5 Cf. Institutione (1542), IX, 207. Dans la dedicace de La Sfera del mondo (1548)

Piccolomini explique sa methode de vulgarisation, en pronant le vulgaire et, en cas de

necessite, Pusage des neologismes (voir F. Cerreta, op.cit, pp. 67-124). Son Institutione fut un modele stylistique pour la constitution d'une prose philosophique frangaise (voir J. Balsamo, cit, p. 80).

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de PAretin et surtout au Cortegiano de Castiglione, sur le theme

duquel elle est comme une variation parfois parodique. Elle met en scene deux personnages fortement types, la vieille entremetteuse Raf faella et la jeune mariee Margarita, que son mari, toujours par les routes pour ses affaires, laisse seule dans sa maison, de longs mois durant. A la fin du dialogue Margarita se declare convaincue par Pha bile rhetorique de Raffaella, et elle decide d'accorder ses faveurs a un

amant, le sieur Aspasio6. Le dialogue, fort concret, renferme un riche

repertoire, une summa de conseils sur la tenue, le maquillage, la toi lette. II presente les portraits bien caracterises des hommes que les

jeunes femmes doivent eviter dans leur recherche de l'amant parfait, et le portrait de cet amant qu'elles aimeront toute leur vie, lorsqu'elles auront appris a dissimuler leur bonheur a leur mari et a la societe.

La premiere traduction frangaise parut, sans nom d'imprimeur ni de

libraire, a la date de 1572. Elle avait pour titre Instruction pour les

jeunes dames. Publiee sous les initiales M.D.R., elle est generalement attribute a Marie de Romieu ou a Madeleine Des Roches;. Elle fut reeditee Pannee suivant, en 1573, a Lyon par lean Dieppi, puis connut une nouvelle edition, parisienne, en 15977. Cette traduction suivait de

6 Pour le prenom des personnages, voir M-F.Piejus, cit, p. 127. 7 Instruction pour les jeunes dames, (s.l., s.n.), 1572, Bibliotheque Mazarine

[266431 Ve piece; 28019 Ve piece]; Instruction pour les jeunes dames. Par la Mere et Fille d'Alliance. A Paris, sur la copie imprimee a Lyon par lean Dieppi, 1597, B.N. [Res. Y2

3603]. Le texte de 1597, avec les variantes de 1572, a ete edite par C. Menna Scogna miglio, Instruction pour les jeunes dames, Bari-Paris, ed. Schena-Nizet, 1992. Sur l'at tribution du texte a Marie de Romieu, a partir des initiales M.D.R., voir ibid., pp. 21 26. Pour l'edition de 1573, voir Brunet, Manuel du libraire et de I'amateur de livres, Paris, 1860, t. II, p. 668, et Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes, Paris, 1872, t.

I, p. 932; Baudrier, Bibliographic lyonnaise, Paris, 1964, t. Ill, p. 338, qui cite le cata

logue Behague et donne comme titre Instruction pour les jeunes dames, sur l'amour, le

mariage, Lyon, J. Dieppi, 1573, in-16. Les appellatifs de ?mere? et ?fille ? figuraient deja dans le texte italien: cf. A. Di Benedetto, cit., (1970) pp. 439 et 441. Je me

permets ici de m'ecarter de la lecture que donne C. Menna Scognamiglio de la traduc tion de M.D.R., en laissant de cote le theme de Pemancipation de la femme et en insis tant plutot sur les modifications de la structure du dialogue en rapport avec le texte ita lien : le final? ouvert? de VInstruction souligne le caractere normatif du texte qui sera

repris par le Notable discours, ou le dialogue licencieux se transforme en entretien sur I'amitie honneste et devient traite de savoir vivre pour les damoiselles de la haute societe. Voir D. Ughetti, Frangois d'Amboise (1550-1619), Roma, Bulzoni, 1974, p. 195: d'Amboise a ?une vision peut-etre plus restreinte et moins critique que celle de

Piccolomini, mais certainement plus sure et univoque: il a choisi le parti de Pidealisme

platonicien, du culte de l'esprit, ?qui est infiny et de puissance infinie?, le parti de {'education du coeur et de Pintelligence ?. Ughetti cite quelques passages tires de la dedicace et du texte des Dialogues de d'Amboise, qu'il croit etre une traduction origi nate de la Raffaella (en ne citant pas les autres traductions) et dont il releve l'interet, en souhaitant une etude approfondie de l'oeuvre, ibid., pp. 199-200.

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tres pres le texte italien, bien que l'auteur, une dame, presentat l'oeuvre non pas comme une version de Pitalien, mais comme la transcription fidele d'une conversation qui avait effectivement eu lieu entre elle

meme et une de ses parentes. La dedicace ?aux jeunes dames ? faisait de l'ouvrage le resultat de son propre apprentissage de l'amour, d'apres les conseils de sa parente, et entendait mettre son experience au service de ses consoeurs afin de les rendre aussi heureuses qu'elle-meme. Les

personnages du dialogue sont designes simplement comme mere et

fille,? d'alliance ?. La vieille femme initiait la plus jeune aux plaisirs de

l'amour, et lui donnait ainsi, comme une autre mere, une nouvelle vie. La dedicace suit un plan rigoureux, qui revele chez celle qui l'avait ecrite la connaissance des regies de la rhetorique: exposition de la

genese de l'oeuvre, indication du but poursuivi, et enfin une captatio benevolentiae a Pattention des lectrices, ou la dame anonyme alleguait son jeune age et son peu d'experience du monde pour justifier les

manques eventuels du texte. Dans la version frangaise toutefois, la mere n'avait pas, comme dans l'ouvrage italien, le caractere trop mar

que de Pentremetteuse, personnage de comedie, mais personnage infame: plus discrete que le personnage italien, elle gardait le silence sur sa situation financiere, alors que la Raffaella montrait son avidite et

laissait deviner au lecteur le desir de tirer un profit materiel de son

intervention au service du sieur Aspasio. Aussi la traduction due a

M.D.R. peut-elle se concevoir, par rapport au dialogue italien, comme une oeuvre ?ouverte?: la conversation entre la mere et la fille n'avait

pas une finalite immediate et limitee, la seduction de la jeune femme

par l'amant qui avait envoye dans ce but Pentremetteuse. Elle se quali fiait au contraire dyinstruction, et elle avait Pambition de donner une

legon plus que de raconter une histoire, elle voulait servir plus genera lement a initier toute jeune dame a la douceur de la vie amoureuse.

Ce noyau normatif et non pas seulement narratif, servit de point de depart a la traduction suivante de la Raffaella, a propos de

laquelle on peut aussi parler d'adaptation, qui rendait le texte quatre fois plus long que Poriginal. Le Notable discours fut publie a Lyon par Benoist Rigaud en 15778. II reduisait les aspects moralement dou

8 Notable Discours, en forme de Dialogue, touchant la vraye et parfaicte amitie,

Duquel toutes personnes, et principalement les Dames, peuvent tirer instruction utile et

profitable, d'autant que par la plaisante lecture d'iceluy elles y sont deuement informees du moyen qu'il faut tenir pour bien et honnestement se gouverner en amour. Lyon, Benoist Rigaud, 1577, B.N. [Res. p.R. 668] et 1583, Mazarine [Res. N. 23110]. A pro

pos de cet ouvrage, Brunet affirme qu'il ?parait etre le meme que celui que cite Du

Verdier, t. II, p.561, sous le titre: Instruction aux jeunes Dames, en forme de dialogue, ecrite premierement en italien, pour laquelle elles sont apprises comme il se faut bien

gouverner en amour. Lyon, s.d., in-16??.

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LA RECEPTION FRANCAISE DE LA RAFFAELLA 241

teux de VInstruction et du dialogue italien jusqu'a devenir un

ouvrage fort convenable. La dedicace, signee T.D.C.9, citait comme source un ouvrage frangais, que l'auteur aurait ?reveu et corrige?. C'etait, bien entendu, VInstruction de 1572-1573, mais le second tra

ducteur devait aussi avoir eu sous les yeux l'ouvrage de Piccolomini,

puisque les personnages prenaient des prenoms, Beatrice et Flori monde. Le Notable discours du a T.D.C. developpait le noyau didac

tique de la Raffaella et de VInstruction, dont il suivait la succession des arguments, tout en inserant des digressions theoriques sur les sources philosophiques et savantes des positions proposees. Par ce

procede d'insistance et d'amplification, il voulait mettre en relief les causes des phenomenes, par exemple lorsque Beatrice cherche a retrouver les principes rationnels de la ?difformite?, du ?ie ne sgay quoy? qui peuvent rendre ridicules meme les femmes les mieux habillees. L'anonyme T.D.C. ajoutait aussi une longue partie sur la mode feminine de l'epoque, en comparant les usages frangais avec ceux des autres pays et en pretant une grande attention aux details des vetements et du maquillage; de la meme maniere, il rapportait la revue de types d'hommes a eviter a la societe frangaise de son temps. Le ton philosophique du Notable discours etait done bien different de l'expression enjouee et parfois meme licencieuse de VInstruction ou de la Raffaella. Le texte de T.D.C. se presentait plutot comme un

entretien, une conversation polie entre deux dames, comme Pillus tration de Vurbanitas pronee par Castiglione dans la conversation a la cour. Cette conversation mondaine etait en fait comme la mise en scene d'un discours normatif visant a offrir a la damoiselle un canevas

pour le role qu'elle etait appelee a jouer sur le theatre du monde et

qui lui permettrait d'etre applaudie. Mais loin de proposer une atti tude exclusivement fondee sur les gestes exterieurs et la dissimula

tion, Beatrice soulignait la necessite pour la damoiselle de cultiver son esprit en frequentant des ? gentilshommes honnestes?, aupres de

qui ses vertus autant que sa seule beaute seraient celebrees et dont elle-meme tirerait gloire et honneur. Entre la simulation et la dissi

mulation, il y avait le ?faire apparoir?, Part de mettre en evidence

qualites et vertus authentiques, la bonne economie des talents et des dons de nature. La damoiselle que Beatrice proposait comme modele de perfection, se rapprochait de la donna dipalazzo, et de longs pas

9 [A2 r?] A BELLE, HONESTE / ET VERTUEUSE / Damoyselle C. / D.B.

Salut. / [A3 v?] A Lyon en vostre maison ce sixiesme d'Aoust, 1576. / Par vostre plus humble et fidelle serviteur, / T.D.C.

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sages du Courtisan de Castiglione etaient cites a cette fin. Mais cet ideal etait deja comme en attente chez Florimonde elle-meme, a qui ne manquait qu'une vie de societe pour qu'elle put faire fleurir les

perfections qu'elle portait en germe. Comme un miroir, elle refletait

l'image de Beatrice, dont elle etait le portrait rajeuni. Beatrice n'avait plus rien a voir avec Pentremetteuse de Poriginal italien, Flo rimonde n'etait plus la fille de ^Instruction ou la Margarita de la Raf faella, une creature un peu sotte et sans caractere. Elle se trouvait ici, au contraire, dans une condition de parite sociale, intellectuelle et culturelle avec Beatrice, et elle montrait sa propre habilete rheto

rique et la force de sa ?doctrine? dans de longues tirades philoso phiques sur la vieillesse, la mort, la gloire et l'amour. A Paccomplis sement des vertus de Florimonde ne manquait que leur realisation en

societe; la conversation savante entre Beatrice et Florimonde visait ainsi a evoquer par la parole un monde absent, une societe de gen tilshommes et damoiselles, vivant dans Pespace imaginaire cree par le

langage, afin de preparer Florimonde a la vie reelle et, dans Pimme

diat, de lui rendre plus supportable sa condition de femme provisoi rement vouee a la solitude. Le Notable discours se presentait en effet comme conversation qui visait a distraire Florimonde de la ? melan colie ?, des sombres idees de la vieillesse et de la mort. Beatrice detournait les yeux de la jeune Florimonde de la triste contemplation de la caducite humaine, en lui rappelant les plaisirs de la vie; l'homme, tantot comme un pelerin oblige a une longue marche, tan tot place dans un jardin de delices, etait par sa propre nature livre a

la ?conversation de ce monde ?, sujet aux passions terrestres, dont l'amour etait la plus sublime et la plus desirable. Conversation mon daine et non pas seulement familiere, traitant de la ? douceur de la vie humaine?, de l'?amitie honneste?, l'oeuvre de T.D.C. se ratta

chait tres precisement a ^Institution de Piccolomini, dont le neu

vieme livre etait entierement consacre a l'amour, defini par sa situa tion humaine, entre Pinstinct animal et la charite des anges. En introduisant de longs passages tires de VInstitution, l'auteur anonyme du Notable discours confirmait ainsi la continuite entre les deux

ouvrages de Piccolomini. II transformait aussi le Notable discours en

un veritable dialogue philosophique consacre a l'amour, en un guide vers la felicite amoureuse. T.D.C. allait meme plus loin, il operait en

effet une veritable contaminatio de tous les textes les plus fameux du

neoplatonisme de la Renaissance. Dans le discours de Beatrice sur

l'? amour honneste?, affleurent de longs passages tires des Asolains de Bembo, du quatrieme livre du Courtisan de Castiglione, du Dia

logue d'amour de Speroni, du Commentaire sur le Banquet de Platon

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LA RECEPTION FRANCHISE DE LA RAFFAELLA 243

de Marsile Ficin, et surtout du neuvieme livre de VInstitution de Pic

colomini, textuellement repris10. Le texte du Notable discours fut a son tour repris par Frangois

d'Amboise dans ses Dialogues et devis des damoiselles, edites sous le

pseudonyme de Thierry de Timophile, en 1581. Toutefois, le texte de T.D.C. n'etait pas la seule source de l'ouvrage. Si le texte reprenait effectivement celui du Notable discours, avec peu de modifications, si l'on retrouvait les noms des deux personnages, on retrouvait aussi, dans un des deux sonnets que D'Amboise ajoutait apres sa dedicace,

?N'approchez point Censeurs?, une des pieces liminaires de VInstruc tion de 1572, due a M.D.R. D'Amboise avait done eu sous les yeux les deux traductions11, et peut-etre aussi le texte italien, puisqu'il connais sait bien cette langue: dans le meme temps, il traduisait les Sermoni

funebri d'Ortensio Landi sous le titre de Regrets facetieux etplaisantes harangues funebres sur la mort de divers animaux (Paris, Bonfons,

1583), publies sous le meme pseudonyme ? Thierry de Timophile ?, et il se servit de la comedie VAmor costante de Piccolomini pour ecrire ses

propres Neapolitaines (1584). Le texte des Dialogues n'etait ainsi que la reprise de celui du Notable discours, dont D'Amboise avait change le titre. De surcroit, la structure de la conversation entre les deux dames etait distribute sur deux journees. II presentait quelques differences dans le prologue et dans la conclusion. Le debut des Dialogues fait

apparaitre, en effet, un aspect theatral marque: Beatrice et Florimonde s'adressent au public, l'une en pronongant une reflexion morale des son entree, l'autre en faisant allusion a l'espace physique qui la separe de l'autre personnage et en qualifiant madame Beatrice de ?mere ?. La

10 Les nombreux et longs passages du neuvieme livre de TInstitutione repris par T.D.C. puis par d'Amboise, posent la question de la diffusion de Pouvrage moral de Piccolomini en France: avant la traduction de Larivey, (voir note 1), des extraits de TInstitution furent traduits en 1579 par A. de Saint-Andre, sous le titre de Traite de

Tamitie, auquel est discouru de la distinction qui est entre l'amour et Tamitie: la cause ou

commencement, et de la diffinition, ou de ses especes, contenant quatorze chapitres, pris du neuvieme Livre de TInstitution du meme Piccolomini. Plus un Traite de la nature

d'Amour, traduit de Flaminio Nobili, in-16, Paris, Nicolas Bonfons, 1579 (voir Du Ver

dier, Bibliotheque, ed. 1770, I, 179). Aucun exemplaire de cette traduction n'a ete retrouve. T.D.C. a du consulter un exemplaire italien de TInstitution, ou bien il a eu Poccasion de voir cette traduction avant son impression.

11 D'Amboise etait en contact avec les cercles italianisants du Palais de justice de

Paris, et il collabora aux pieces liminaires a la traduction de Larivey de l'ouvrage de Piccolomini: voir D. Ughetti, op. cit, (1974), p. 189 n. et pp. 200-205, et id., Frangois d'Amboise. (Euvres completes I (1568-1584). Napoli, Edizioni Scientifiche Italiane, 1973, Introduction, p. XIX; voir egalement R.T. De Rosa, Frangois d'Amboise. (Euvres completes II (1585-1620), Roma, Bulzoni, 1979, pp. 264-266; sur ses liens avec le milieu italianisant du Palais, voir J. Balsamo, op. cit.

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244 DANIELA COSTA

reprise du texte de T.D.C. suivait ces premisses: en essayant de rendre la conversation plus vive et lui donner un aspect theatral, d'Amboise

coupait les longs monologues de Beatrice en attribuant quelques phrases a Florimonde, et la premiere reprenait a partir de Pinterrup tion. Tout en decalquant le texte meme du Notable discours, D'Am boise parvenait a donner une marque originale au profil de l'oeuvre, en

accentuant la tendance narrative deja presente dans son modele. La

repartition de la conversation en deux journees servait ainsi de pre texte stylistique pour ajouter de longues digressions narratives. Les contes presentes, a valeur d'exempla, visaient a la demonstration d'une these morale. Ils avaient une fonction didactique marquee, en fixant dans la memoire le discours theorique des pages precedentes, mais ser

vaient aussi de divertissement, d'occasion de badinage a travers les mots de Beatrice. L'ouvrage de Frangois d'Amboise reaffirmait ainsi son caractere de livre a Pusage des lectrices, leur offrant divertisse

ment, modele de conversation mondaine, mais aussi de traite de savoir vivre pour damoiselles de la haute societe. Cette ambition etait confir mee par l'auteur des sa dedicace a Anne d'Aquaviva, duchesse d'Atri, une dame d'honneur de la reine mere, epouse du riche financier Ludo

vico Da Diaceto, et que Ronsard avait chantee. Cette dame, aimee par le feu roi Charles IX, illustrait par avance, et mieux que toute autre, le

modele de la perfection feminine que Beatrice et Florimonde allaient tracer dans le livre. La dedicace du Notable discours accentuait aussi les

pretentions philosophiques de l'oeuvre et soulignait l'idee d'?amitie

honneste?. D'Amboise evoquait la ? felicite humaine ? et il definissait

expressement le dialogue comme un ?tableau? des perfections femi

nines, en accentuant ainsi le cote normatif du texte. Les versions de T.D.C. et d'Amboise constituaient ce qu'on pourrait

definir comme le courant? urbain ? de la reception frangaise de la Raf

faella. Editee la meme annee que la traduction de VInstitution du meme

Piccolomini par Larivey, le dialogue traduit par Frangois d'Amboise

voulait etre son complement: traite destine aux damoiselles de la bonne

societe, presente sous la forme de conversation polie, il voulait etre un

guide au bonheur terrestre, exactement comme VInstitution morale, dans laquelle le gentilhomme lettre pouvait trouver une summa de

conseils moraux a suivre pour s'integrer harmonieusement dans la

societe12.

12 Dans les annees 1580, le libraire parisien Abel L'Angelier, editeur de TInstitu

tion morale traduite par Larivey, se specialisait dans l'edition de traites de savoir-vivre

destines a la noblesse: cf. J. Balsamo, cit, pp. 76-77 et id., ? Abel L'Angelier, libraire

italianisant ?, Bulletin du bibliophile, 1,1991, pp.371-390.

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LA RECEPTION FRANCAISE DE LA RAFFAELLA 245

Au debut du XVIP siecle, dans une periode marquee par l'esprit ? satyrique ?, ces deux versions qui representaient Pheritage police de

Pitalianisme de la cour des Valois, furent laissees de cote. On leur pre fera la premiere traduction, due a M.D.R., qui, par son cote plus pro vocant, offrit aux lecteurs un tout autre interet, et fut le point de

depart du courant que l'on peut qualifier d'? erotique ? dans la recep tion frangaise de la Raffaella. Le texte de M.D.R. connut un certain succes: il fut reedite sous divers titres, qui en masquaient Porigine, en

1607, celui des Devis amoureux de Mariende et Florimonde13, en 1612, celui de La Messagere d'amour14. En 1618, ce texte reapparut sous ce

meme titre dans un recueil de textes scabreux, parmi lesquels on trou vait aussi la traduction d'un Dialogue de VAretin. Ou sont desduites les

vies, et desportemens de Lays, et Lamia courtisanes de Rome. Un ultime temoignage de la fortune de ce courant? erotique ? de la

Raffaella nous est donne par Alcide Bonneau, auteur, en 1884, de la derniere traduction frangaise du dialogue15. Attire par le caractere curieux de l'ouvrage de Piccolomini, dans lequel il voyait une mine de

renseignements sur la mode et les usages de la societe siennoise du XVP siecle, Alcide Bonneau refusait de considerer la Raffaella comme un simple ouvrage licencieux, a Pinstar de ceux de P Aretin ou de Vignale, mais il admettait son caractere badin et immoral. La der niere traduction frangaise de la Raffaella constituait ainsi un precieux temoignage sur la diffusion tardive des editions du XVIP siecle, qui presentaient a nouveau, sous des titres differents, la vieille traduction de M.D.R., en lui attribuant une etiquette destinee a attirer le chaland, celle d'ouvrage erotique, que la Raffaella allait etre condamnee a gar der jusqu'au seuil du vingtieme siecle. La version Bonneau, qui en etait Pheritiere, etait destinee aux amateurs de curiosa. A Pinverse, les versions qui illustraient le courant ? urbain ? furent oubliees dans les

13 Les Devis amoureux de Mariende et Florimonde, Mere etfille d'Allience [sic]. A

Paris, chez lean Corrozet, 1607, Arsenal [8? BL 20094]. La presence du prenom Flori monde dans le titre montre que les differentes traductions de la Raffaella ont connu une diffusion parallele; le texte est celui de M.D.R.

14 La Messagere d'amour, ou instruction pour inciter les jeunes dames a aymer. En

forme de dialogue par la mere etfille d'Alliance; le texte se trouve aux pages 1 a 92 du recueil Le cabinet des secrettes ruses d'amour: ou est monstre le moyen de faire les

approches, et entrer aux plus fortes places de son Empire. Y compris Les Paradoxes d'amour. Le Dialogue de I'Aretin. La messagere d'amour. Le manuel d'amour. Par le S.D.M.A.P. Iouxte la copie Imprime [sic] a Rouen, 1618, B.N. [Res. p. Y22836].

15 La Raffaella. Dialogue de gentille education des femmes. Par Alessandro Pic colomini Archeveque de Patras et Coadjuteur de Sienne (XVIe siecle). Traduction

nouvelle, texte italien en regard. Par Alcide Bonneau. Paris, Isidore Liseux editeur, 1884, B.N. [Res. p. Y2154]. Voir l'Avertissement du Traducteur, p. X.

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246 DANIELA COSTA

marges de la fortune frangaise du dialogue de Piccolomini. La coexis tence de ces deux courants, qui determinent la reception de la Raf

faella en France, montre toutefois que le dialogue de Piccolomini se

pretait a differentes lectures, complementaires et qui repondaient au

gout frangais. Offrant une invitation a Padultere, dont il faisait Papo logie, le dialogue pouvait facilement etre rapproche, bien qu'il ne fut en rien pornographique, des textes licencieux de P Aretin, qui connais saient entre 1580 et 1610 un reel succes. En meme temps, insistant sur

Peducation de la jeune femme, revelant les secrets de Pelegance, de la

tenue, servant a Papprentissage de la feminite, il confirmait la force du modele de la gentildonna, clairement rattache a celui de la donna di

palazzo de Castiglione. La Raffaella ainsi pouvait etre lue comme un

elegant traite de savoir-vivre pour les damoiselles; la traduction de T.D.C allait du reste amplifier ses developpements normatifs par des

reprises du troisieme livre du Courtisan. De plus, les passages ou Raf faella exprimait son reve d'un espace sans feinte, harmonieux, repre sente par la relation amoureuse, d'un lieu preserve de la simulation

imposee par la societe, etaient eux aussi susceptibles d' etre amplifies. La Raffaella se transformait ainsi en un long discours sur Vamitie hon neste et offrait de nouveau au public frangais les textes fondamentaux de la conception neoplatonicienne de l'amour, en vogue au XVP siecle. Ce dernier point constitue aussi un temoignage de la reception parallele, en France, du dialogue de Piccolomini et de son traite de

philosophic morale, dont l'etude ainsi que celle de la circulation des differentes traductions, merite d'etre approfondie.

Universite de Turin. Daniela Costa.

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