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1 SMC Research Awards – Andria Andriuzzi La conversation de marque, une sphère d’influence ? Impact de la qualité de la conversation sur le bouche à oreille Andria Andriuzzi Doctorant Chaire Marques & Valeurs IAE de Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Proposition pour les SMC Research Awards – Décembre 2013 Introduction Le terme de « conversation » a investi l’univers du marketing depuis une dizaine d’années pour désigner les échanges entre internautes. Avec le développement des médias sociaux, les marques interagissent aujourd’hui avec les consommateurs sur des services comme Twitter et Facebook. Cette situation, à laquelle le terme de conversation de marque paraît adapté (Guillot, 2011), est peu documentée dans la littérature académique et présente des contours incertains. Dans le discours marketing actuel, la notion aurait même une acceptation essentiellement métaphorique, qualifiant de « conversationnelle » toute forme d’interaction (De Montety et Patrin-Leclère, 2011; Berthelot-Guiet, 2011). Deux études présentent des résultats paradoxaux : la première avance que 69% des individus « attendent que les marques entrent en conversation avec eux » 1 ; la deuxième indique qu’ils ne sont que 16% à suivre des marques sur les médias sociaux 2 . Parmi eux, seuls 11% commentent les informations diffusées par les marques, et 10% les relayent à leurs contacts. Malgré sa popularité chez les praticiens, la conversation de marque ne concernerait-t-elle finalement qu’un nombre réduit d’internautes ? Quel en est alors le bénéfice pour les marques ? Le fait que certains internautes rediffusent des informations à leurs contacts offre un accès à une plus large audience. La conversation de marque pourrait trouver là une légitimité en tant que technique de marketing viral. La proximité entre ces concepts nous incite à explorer cette piste, 1 Etude W & Cie / CSA : « Observatoire de marques en conversation 3 ème vague », Novembre 2010 2 Etude Ifop : « Observatoire des réseaux sociaux - Vague 6 », Novembre 2011

La conversation de marque, une sphère d’influence ? Impact de la qualité de la conversation sur le bouche à oreille. Par Andria Andriuzzi

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Article de Andria Andriuzzi, chercheur à la Chaire Marques & Valeurs, IAE de Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Proposition pour les SMC Research Awards - Social Media Club - Décembre 2013

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1 SMC Research Awards – Andria Andriuzzi

La conversation de marque, une sphère d’influence ?

Impact de la qualité de la conversation sur le bouche à oreille

Andria Andriuzzi

Doctorant Chaire Marques & Valeurs

IAE de Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Proposition pour les SMC Research Awards – Décembre 2013

Introduction

Le terme de « conversation » a investi l’univers du marketing depuis une

dizaine d’années pour désigner les échanges entre internautes. Avec le

développement des médias sociaux, les marques interagissent

aujourd’hui avec les consommateurs sur des services comme Twitter et

Facebook. Cette situation, à laquelle le terme de conversation de

marque paraît adapté (Guillot, 2011), est peu documentée dans la

littérature académique et présente des contours incertains. Dans le

discours marketing actuel, la notion aurait même une acceptation

essentiellement métaphorique, qualifiant de « conversationnelle » toute

forme d’interaction (De Montety et Patrin-Leclère, 2011; Berthelot-Guiet,

2011). Deux études présentent des résultats paradoxaux : la première

avance que 69% des individus « attendent que les marques entrent en

conversation avec eux »1 ; la deuxième indique qu’ils ne sont que 16% à

suivre des marques sur les médias sociaux2. Parmi eux, seuls 11%

commentent les informations diffusées par les marques, et 10% les

relayent à leurs contacts. Malgré sa popularité chez les praticiens, la

conversation de marque ne concernerait-t-elle finalement qu’un nombre

réduit d’internautes ? Quel en est alors le bénéfice pour les marques ? Le

fait que certains internautes rediffusent des informations à leurs contacts

offre un accès à une plus large audience. La conversation de marque

pourrait trouver là une légitimité en tant que technique de marketing

viral. La proximité entre ces concepts nous incite à explorer cette piste,

1 Etude W & Cie / CSA : « Observatoire de marques en conversation – 3

ème vague », Novembre

2010 2 Etude Ifop : « Observatoire des réseaux sociaux - Vague 6 », Novembre 2011

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en nous demandant s’il existe un lien entre conversation de marque et

bouche à oreille. Répondre à cette question permettrait, d’une part, de

faire progresser les connaissances académiques sur cette tendance

émergente et, d’autre part, de proposer des recommandations

managériales.

Dans une première partie, nous développons un modèle conceptuel qui

établit une relation entre conversation de marque et bouche à oreille.

Dans une deuxième partie, le modèle est testé en analysant les

conversations visibles sur la page Facebook d’une marque de banque

bien connue du grand public, la Caisse d’Epargne. Pour ce faire, nous

procédons à une étude netnographique, complétée par la collecte de

données quantitatives fournies par la banque. L’ensemble des données

est soumis à une analyse statistique. Les résultats montrent que la qualité

de la conversation a une influence sur le bouche à oreille. La

conversation de marque a ainsi des effets au-delà du cercle restreint de

ses participants, ce qui présente un intérêt certain pour les organisations.

Développement conceptuel

La conversation de marque peut être définie comme un échange de

propos en ligne entre plusieurs individus, dont un au moins représente une

marque et agit ouvertement en tant que tel (Andriuzzi, 2012). Grâce à

Internet, les marques développent depuis plusieurs années une

communication « plus rapide, continue, interactive et personnalisée »

(Michel et Vergne, 2004). Cette tendance semble s’être accentuée avec

l’essor des médias sociaux et l’utilisation du mode de la conversation par

les marques. Parmi les effets potentiels de la conversation de marque,

nous nous intéressons au bouche à oreille. Notre modèle conceptuel

(Figure 1) met en perspective la littérature marketing consacrée aux

communautés de marque en ligne et au bouche à oreille avec les

travaux d’Historiens des Lettres. Ces derniers étudient la conversation des

salons mondains, activité sociale et codifiée qui a connu son âge d’or en

France, aux 17ème et 18ème siècles. Ces travaux, à notre connaissance

ignorés par la recherche en marketing, nous paraissent présenter une

grille de lecture intéressante. Des travaux issus des sciences de la

communication sont également mobilisés.

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Figure 1 – Modèle conceptuel

La conversation, une sphère d’influence

Bien qu’elle ne rassemble qu’un nombre limité d’interlocuteurs, la

conversation de salon a, sous une apparente frivolité, influencé une large

partie de la société, comme l’atteste par exemple son rôle dans la

diffusion des idées des Lumières (Fumaroli, 1994). Ce phénomène peut

être comparé aux effets produits par les conversations de

consommateurs au sein de communautés de marque en ligne. Leurs

membres, animés par un sentiment d’appartenance interindividuel et

collectif (Amine et Sitz, 2007), échangent de nombreuses informations.

Ces conversations ont par exemple des conséquences sur la fidélisation

des consommateurs et peuvent aider l’entreprise dans la connaissance

de ses marchés et dans la définition de son offre (Amine et Sitz, 2007). Elles

ont aussi un impact sur le comportement d’achat, en réduisant

l’incertitude des consommateurs (Adjei et al., 2010). Certains auteurs

attribuent aux communautés de marque le bénéfice de la diffusion de

bouche à oreille positif (ibid.). Le bouche à oreille, en ligne ou en face-à-

face, est considéré comme une importante source d’information pour les

consommateurs. Il joue un rôle dans la diffusion de nouveaux produits

(Arndt, 1967) et sur la recommandation de services (Godes et Mayzlin,

2004). Pour Adjei et al. (2010), c’est la qualité de la conversation qui

produit des effets sur le comportement des consommateurs. Dans un

article traitant des interactions entre salariés et clients dans les centres

d’appels, Fielding (2003) évoque lui aussi la nécessité de mesurer la

qualité des échanges, plutôt que leur seule quantité. En nous inspirant de

ces travaux, nous formulons l’hypothèse suivante :

H1 : Plus la conversation de marque est de qualité, plus le bouche à

oreille est important

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Type d’ouverture et qualité de la conversation

L’analyse de conversation, discipline apparue aux Etats-Unis au milieu des

années 60, s’intéresse au langage dans un contexte social. Parmi ses

précurseurs, Sacks3 (cité par De Fornel et Léon, 2000) étudie les phases qui

ont pour but de faire démarrer la conversation, appelées ouvertures. Sur

Internet aussi, notamment au sein d’espaces de discussion instantanée,

des phases préliminaires ont lieu au début d’une conversation, mais elles

sont plus laborieuses qu’en face-à-face (Markman, 2009). La

conversation de marque présente une particularité, en raison de son

caractère asynchrone: les phases d’ouverture sont résumées dans le

message initial posté par la marque, qui définit immédiatement le sujet -

tout en recherchant l’adhésion des « fans »4 (Guillot, 2011). Nous pouvons

donc penser que l’ouverture a une incidence sur le reste de la

conversation. Pour faire émerger différents types d’ouvertures, nous en

étudions la forme et le fond. Les Historiens des Lettres considèrent que la

forme de la conversation est un élément déterminant de sa réussite.

Contrairement à la conversation quotidienne, la conversation de salon

est soigneusement préparée, tout en conservant une apparence

naturelle (Crenscenzo et al., 2000). C’est en fait une mise en scène du

spontané. En ce qui concerne le fond, on constate que les marques

abordent des thèmes variés : promotions, actualité culturelle, centres

d’intérêts, etc. Ces sujets génèrent-ils le même genre de conversation ?

L’analyse de la conversation de salon faite par les Historiens des Lettres

suggère que certains thèmes n’étaient pas les bienvenus, notamment les

sujets trop sérieux (Bercegol, 1998). Une conversation réussie impose donc

finalement une sélection du contenu. Ce principe coïncide avec les

préconisations des experts du brand content, qui conseillent aux marques

de privilégier des contenus intéressants, utiles ou divertissants (Bô et

Guével, 2009). Nous faisons ainsi l’hypothèse suivante :

H2 : Le type d’ouverture a une influence sur la qualité de la conversation

de marque

Effet médiateur de la qualité de la conversation

Le message posté par la marque peut être partagé par les internautes,

même s’il n’a pas généré de conversation. Cette situation évoque le

marketing viral, où la marque diffuse un message en espérant que les

internautes le rediffusent à leur propre réseau de contacts (Maunier,

2008). On peut ainsi formuler l’hypothèse suivante :

H3 : Le type d’ouverture a une influence sur le bouche à oreille

Nous avons émis les hypothèses suivantes : le type d’ouverture a un effet

sur la qualité de la conversation (H2) ; la qualité de la conversation influe

sur le bouche à oreille (H1). En complément de l’hypothèse H3, nous

pouvons donc envisager l’hypothèse suivante :

3 Schegloff, E., Sacks, H. (1973) « Opening up closings », Semiotica, 7, 289-327

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H4 : La qualité de la conversation est une variable médiatrice des effets

de l’ouverture sur le bouche à oreille.

Effet modérateur de la participation de la marqueLa conversation de

salon est présentée comme un art de l’interaction. Participer à une

conversation nécessite de s’adapter aux attentes des autres en les

anticipant (Bachellier et al., 1979). Si l’on applique ces recommandations

à un contexte marketing, on peut penser que la marque a intérêt à

participer activement aux conversations pour en garantir la qualité.

Plusieurs chercheurs recommandent d’ailleurs aux praticiens de

s’engager dans les conversations des consommateurs (Keller, 2007 ;

Kaplan et Haenlein, 2009). Nous proposons donc l’hypothèse suivante :

H5 : La participation de la marque aux conversations modère

positivement les effets de l’ouverture sur la qualité de la conversation

Ces hypothèses sont testées lors d’une étude empirique, dont nous

présentons ci-après la méthodologie. Elle consiste à combiner une étude

qualitative et une étude quantitative.

Méthodologie

Afin de tester notre modèle, nous avons étudié la page Facebook de la

Caisse d’Epargne (Groupe BPCE). Le secteur bancaire est pertinent dans

le cadre de notre étude, car les consommateurs y sont particulièrement

sensibles au bouche à oreille (Maunier, 2008). La méthodologie comporte

3 phases : la collecte et le codage de données lors d’une netnographie

(A), la collecte de données secondaires (B) et l’analyse statistique de cet

ensemble de données (C).

Phase A : Netnographie

Les interactions visibles sur la page Facebook ont été analysées dans la

cadre d’une netnographie, définie comme « une méthode d’enquête

qualitative qui utilise Internet comme source de données en s’appuyant

sur les communautés virtuelles de consommation » (Bernard, 2004). La

période observée correspond à celle pour laquelle la banque nous a

fourni des données secondaires, du 6 février au 29 juin 2012. Nous avons

ainsi étudié 108 messages postés par la marque, dont 69 ont généré une

conversation, c'est-à-dire une ouverture suivie d’au moins un

commentaire. Les commentaires suivant les posts de la marque sont au

nombre de 753, soit une moyenne de 7 commentaires par ouverture, et

de 11 commentaires par conversation effective.

Le codage de ces interactions était composé de deux tâches (voir un

exemple en Annexe 1). La première a consisté à coder les ouvertures,

pour évaluer leur fond et leur forme, selon la méthode de l’analyse de

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contenu (Bardin, 1977). Certaines catégories étaient basées sur des

éléments théoriques présentés dans le développement conceptuel,

d’autres sont apparues de façon inductive, au fur et à mesure de

l’analyse. Par exemple, des catégories [centre d’intérêt] et [marque]

étaient envisagées dès le départ. A l’inverse, la catégorie [vie pratique],

qui comprend par exemple des discussions sur l’emploi ou le coût de la

vie, est apparue en cours d’analyse. Les catégories concernant la forme

des ouvertures ont été limitées à la présence d’indices explicites

déterminés pendant l’analyse, à savoir leur caractère [impératif],

[interrogatif] ou [exclamatif]. Ces signes grammaticaux correspondent

aux éléments théoriques issus de l’étude de la conversation de salon,

respectivement une incitation à l'action, un intérêt pour les autres et un

ton enjoué (Fumaroli, 1994).

La seconde tâche a consisté à mesurer la qualité des conversations en

codant les commentaires suivant chacune des publications. Pour cela,

nous avons repris les critères définis par Adjei et al. (2010), qui envisagent

la conversation comme un construit composé de quatre mesures -

fréquence, pertinence, rapidité et durée. Nous avons adaptés ces

critères au contexte d’une page Facebook. La fréquence (1) correspond

au nombre de commentaires émis par les internautes à la suite d’une

ouverture, et les éventuelles réponses de la marque. Notons que la

fréquence est par la suite exprimée de façon relative par rapport au

nombre de « fans » de la page au jour de la publication, afin de lisser les

différences d’audience d’une publication à l’autre ; la pertinence (2) est

le pourcentage de commentaires en rapport avec le sujet initial. Par

exemple, un commentaire est jugé non pertinent quand un internaute

fait état d’un problème sur son compte bancaire alors que la marque a

évoqué un événement sportif ; la rapidité (2) est le délai entre le post de

la marque et le premier commentaire ; la durée correspond au nombre

moyen de mots par commentaire, dans une conversation donnée. Ces

quatre mesures ont été standardisées sur une base 1. La note de rapidité

a été inversée (une réponse immédiate, c'est-à-dire un délai de 0 minute,

donne la note de maximum). Une note de qualité de la conversation est

attribuée à chaque publication, constituée de la somme des quatre

mesures, divisée par quatre. Par ailleurs, nous avons relevé la participation

de la marque aux conversations, en déterminant le pourcentage de

commentaires publiés par la marque dans chaque conversation.

Phase B : Collecte de données secondaires

La banque nous a transmis des données fournies par Facebook aux

administrateurs de la page, permettant d’évaluer la performance des

posts. Les données fournies couvrent une période de cinq mois, du 6

février au 29 juin 2012. Pour mesurer les effets de la conversation de

marque, nous avons retenu des indicateurs couramment utilisés dans la

mesure de l’efficacité du marketing digital. Ainsi, pour évaluer l’attention

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que les internautes portent aux messages des marques, Florès (2012)

propose de considérer le « nombre de personnes potentiellement

touchées par un statut Facebook ». Pour mesurer le bouche à oreille,

Hoffman et Fodor (2010) recommandent de prendre en compte le

nombre des personnes qui ont vu des contenus liés aux publications de la

marque dans le fil d’actualité de leurs amis. Pour évaluer l’intérêt de ces

publications, on peut prendre en compte le nombre des personnes qui

interagissent avec elles, par exemple en cliquant sur des liens hypertextes.

En suivant ces recommandations, nous avons identifié les indicateurs

correspondants dans les données de Facebook : l’attention correspond à

la portée organique [a] de la publication (« Nombre de personnes qui ont

vu une publication de la Page dans le fil d’actualité ou le télex, ou sur le

mur de la Page ») ; le bouche à oreille est la portée virale [b] (« Nombre

de personnes qui ont vu la publication de la Page dans l’actualité d’un

ami » ; l’intérêt [c] correspond aux utilisateurs engagés (« Nombre de

personnes ayant cliqué n’importe où dans les publications [de la

marque] »). Comme précédemment pour la fréquence, nous avons

exprimé ces mesures sous leur forme relative, c’est-à-dire rapportées au

nombre de « fans » de la page au moment de chaque publication. Ayant

déterminé trois variables [a, b et c], nous détaillons l’hypothèse H1 en H1-

a, H1-b et H1-c., et l’hypothèse H3 en H3-a, H3-b et H3-c.

Phase C : Analyse statistique Les données secondaires ont été combinées

aux données codées lors de la netnographie, sur un tableur. En face de

chaque publication de la marque, nous avons indiqué le codage de son

fond et de sa forme, la mesure de qualité de la conversation générée,

ainsi que ses performances. L’ensemble de ces données a été traité avec

le logiciel d’analyse statistique SPSS.

Résultats

La cohérence de l’échelle de qualité de la conversation étant fiable

(alpha de Cronbach = 0,821), la variable unique [qualité] peut être

utilisée. Un test est effectué sur les trois critères de performance choisis.

Une faible fiabilité (alpha de Cronbach = 0,148) confirme qu’il s‘agit de

dimensions différentes et que le modèle demande bien à être testé sur les

trois variables. Quatre observations ont été exclues en raison de valeurs

extrêmes. Les résultats de l’étude des 104 conversations sont présentés

dans la Figure 2.

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Figure 2 – Résultat de l’étude quantitative

Note : la significativité est représentée comme suit : ***=p<0,001 ;

**=p<0,01 ; *=p<0,05

Pour tester les effets de la qualité des conversations sur leurs

performances, nous effectuons trois régressions linéaires (Tableau 1).

Tableau 1 – Régressions linéaires

Les résultats sont significatifs pour les trois dimensions. La qualité de la

conversation a un effet sur la portée organique (a), la portée virale (b) et

l’intérêt (c) : les hypothèses H1 (a, b et c) sont validées. Les résultats les

plus probants sont ceux des effets de la qualité de la Les conversation sur

la portée virale, la variance expliquée étant de 19,2%.

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Tableau 2 – Classification en nuées dynamiques – Centres de classes

finaux

Une classification en nuées dynamiques permet de déterminer trois

grands types d’ouvertures (Tableau 2), qui présentent des différences de

moyennes de qualité de conversation significatives (F=5,06, p<0,01). Nous

pouvons valider H2 : certains types d’ouvertures génèrent une

conversation de meilleure qualité. Les ouvertures qui génèrent une plus

grande qualité évoquent ici la marque, sur un mode exclamatif (classe

3).

Tableau 3 – Anova à 1 facteur

Une ANOVA à un facteur est utilisée pour analyser l’effet du type

d’ouverture sur le bouche à oreille (Tableau 3). L’effet du type

d’ouverture sur la portée organique n’étant pas significatif (p=0,405),

l’hypothèse H3-a est rejetée. En revanche, certaines ouvertures ont une

portée virale plus importante et paraissent plus intéressantes. Les

hypothèses H3-b et H3-c sont donc validées.

Nous avons montré que le type d’ouverture influe, d’une part, sur la

qualité de la conversation (H2) et, d’autre part, sur la portée virale et

l’intérêt (H3-b et H3-c). Par ailleurs, la qualité de la conversation influe sur

(a), (b) et (c) (H1) Nous pouvons donc valider H4 : la qualité de la

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conversation est une variable médiatrice des effets de l’ouverture sur le

bouche à oreille. La validité est partielle pour les effets sur la portée virale

et sur l’intérêt. Par contre, la médiation semble être parfaite pour la

portée organique, H3-a n’ayant pas été validée. La qualité de la

conversation semble être une condition indispensable de la visibilité du

message de la marque auprès des abonnés de la page.

Tableau 4 : Analyses univariées de la variance (Ancova)

Enfin, nous effectuons deux analyses univariées de la variance intégrant

la qualité de la conversation en variable dépendante et le type

d’ouverture en variable indépendante (Tableau 4). Dans la deuxième

analyse, nous introduisons la participation de la marque à la conversation

en covariable. Ce deuxième modèle explique une plus grande part de la

variance (R2=0,263 ; p<0,001). Des précautions sont à prendre dans

l’interprétation de ces résultats, la signification de la statistique de Levène

du deuxième modèle ne permettant pas d’accepter l’hypothèse nulle

d’égalité des variances (p=0,046). Cependant, le modèle étant très

significatif (p<0,001), nous pouvons valider H5 : la marque a intérêt à

participer activement aux conversations.

Conclusion

D’un point de vue théorique, cet article permet d’établir un lien entre

qualité de la conversation de marque et bouche à oreille. La mobilisation

des travaux de l’Histoire des Lettres offre une grille de lecture originale, qui

pourrait être explorée davantage. Le modèle de la conversation de salon

pourrait être plus pertinent que ne l’est celui de la conversation

quotidienne. La conversation de marque n’est en effet ni vraiment

naturelle, ni complètement spontanée. D’un point de vue

méthodologique, la méthode de la nethnographie appliquée à une

page Facebook peut produire des résultats intéressants. Si elle a ici surtout

consisté à collecter et coder des données, des études incluant une

observation participante pourraient permettre de mieux comprendre les

motivations des internautes.

D’un point de vue managérial, cet article offre un éclairage sur

l’utilisation du mode de la conversation par les marques, en évoquant ses

conditions de réussite et la façon d’en mesurer les effets. Plus

particulièrement, les recommandations aux gestionnaires de pages

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Facebook de marque sont de trois ordres : (1) sélectionner

rigoureusement les sujets de conversations et travailler leur forme; (2)

participer aux conversations des internautes, et non se contenter de

poster le message initial ; (3) prendre en compte la qualité de la

conversation et ses différentes dimensions, au-delà de sa simple quantité.

Enfin, ces résultats peuvent conduire à une réflexion sur les stratégies

d’acquisition de « fans » des pages Facebook : mieux vaut sans doute

privilégier un recrutement « organique » d’internautes intéressés par la

marque, plutôt que de recourir à des mécanismes permettant un

recrutement plus large d’abonnés moins impliqués. Si certains effets de la

conversation de marque ont ici été mis en évidence, cette recherche

ouvre des perspectives pour une étude plus approfondie des autres

bénéfices de la conversation de marque, comme peuvent l’être la

cocréation ou la connaissance des consommateurs. Cet article permet

d’envisager la conversation de marque comme un objet de recherche et

une technique marketing spécifiques.

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SMC Research Awards – Andria Andriuzzi

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MAUNIER Cécile (2008) « Les communications interpersonnelles,

fondement des nouvelles techniques de communication en marketing

? », Revue Des Sciences De Gestion, Novembre, n° 234, pp. 85-95

MICHEL Géraldine, VERGNE Jean-François (2004) « La construction du

capital-marque des e-marques », Décisions Marketing, n° 34, Avril-Juin,

pp. 7-16

MOUSSEAU Jacques (1998) « Un art en perdition : la conversation »,

Communication et langages, n°118, 4ème trimestre, pp. 4-12

Page 14: La conversation de marque, une sphère d’influence ? Impact de la qualité de la conversation sur le bouche à oreille. Par Andria Andriuzzi

SMC Research Awards – Andria Andriuzzi

Annexe 1 : exemple d’une conversation et de son codage

CONVERSATION

Ouverture :

[Banque] « Si vous deviez ouvrir une franchise, laquelle choisiriez-vous

? »

(9 février, 17:25)

Commentaires :

[Internaute 1] « Services aux personnes... » (9 février, 17:35)

[Internaute 2] « Je choisirais une célèbre entreprise de chocolats, ou

une enseigne de téléphonie. Doit-on les nommer ? » (9 février, 18:34 )

[Internaute 3] «tryba » (9 février, 19:21)

[Banque] > « [Internaute 1] : un service en particulier ? Plutôt personnes

âgées ? Soutien scolaire ? Une enseigne en tête peut-être ? [Internaute 2]

: vous pouvez les nommer si vous le souhaitez, pas de soucis ;) [Internaute

3] : précis, parfait. Qu'est-ce qui manque pour vous lancer ? » (9 février,

19:33)

[Internaute 2] « Alors, ce serait Jeff de Bruges ou PhoneHouse ! » (9

février, 20:00 )

CODAGE

Ouverture : fond : [vie pratique] ; forme : [interrogatif]

Conversation :

Fréquence : cinq commentaires. Suivant la méthodologie d’Adjei et.al

(2010), seuls les commentaires postés dans les premières 72heures sont pris

en compte. ;

Pertinence : les cinq commentaires se rapportent au sujet du message

et/ou répondent à la question posée : la pertinence est de 100% ;

Délais : Le premier commentaire intervient 10 minutes après l’ouverture

(soit 0,2 heure) ;

Durée : la conversation est constituée de 78 mots, soit 16 mots par

commentaire ;

Participation de la marque à la conversation : 1 commentaire, soit 20% de

la conversation.

Note : Les noms des internautes sont masqués par souci de

confidentialité.