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La conscience, Marie et les Zombies

Ce que penser veut direséance 11

M. Cozic

M. Cozic La conscience, Marie et les Zombies Ce que penser veut dire séance 11

1. La conscience


le mystère de la conscience

. D. Dennett, Consciousness Explained, 1991, trad.fr. P.Engel, La conscience expliquée, O. Jacob, Paris, 1993

“La conscience humaine est peut-être le dernier mystèrequi reste. Un mystère est un phénomène dont on ne saitquoi penser - dont on ne sait pas encore quoi penser.D’autres grands mystères ont existé : celui de l’origine del’univers, celui de la vie et de la reproduction, celui dudessein qu’on peut lire dans la nature, celui du temps, del’espace et de la gravitation. Ce n’étaient pas seulementdes zones d’ignorance scientifique ; c’étaient des sujets deperplexité extrême et d’étonnement.”


le mystère de la conscience

. D. Dennett, Consciousness Explained, 1991, trad.fr. P.Engel, La conscience expliquée, O. Jacob, Paris, 1993

“ Nous n’avons toujours pas de réponse ultime auxquestions que posent la cosmologie et la physique desparticules, la génétique moléculaires et la théorie del’évolution, mais nous savons au moins les aborder. Lesmystères ne se sont pas évanouis, mais on les aapprivoisés. Mais avec la conscience, nous sommestoujours terriblement embourbés. La question de la naturede la conscience est aujourd’hui le seul sujet qui laissesouvent perplexes et muets les penseurs les plus subtils.”


multiplicité des aspects de la conscience

I quelques usages du terme “conscient’:• Pierre est conscient• Pierre reprend conscience• Pierre est conscient de l’urgence de la situation• Un animal ne peut pas être conscient• On peut être avide de pouvoir sans en être conscient• On ne peut pas ressentir une douleur sans en être

conscientI on qualifie de conscient tantôt une créature (conscience de

créature), tantôt un état mental (conscience d’état)


conscience de créature

X créature consciente =I créature sentanteI créature réveillée, alerteI créature qui jouit de la conscience d’elle-mêmeI créature telle qu’il existe un effet que cela fait d’être cette

créature, qu’il existe une certaine façon subjective depercevoir le monde pour cette créature

I créature qui a des états mentaux conscients


conscience d’état

X état mental M conscient =I = celui qui a M sait qu’il a MI = M a des propriétés qualitatives (qualia)I = il y a un effet que cela fait d’être dans l’état mental MI = M apparaît dans le "courant de la conscience"


les 4 notions de conscience selon Block

I selon Block, 4 notions de conscience:(C1) la conscience phénomènale ou P-conscience(C2) la conscience d’accès ou A-conscience(C3) la conscience de soi(C4) la conscience de surveillance ou la conscience réflexive ou

R-conscience


(C1): P-conscience

I A quelles conditions un état mental M est-il P-conscient ?I il y a certains états mentaux tels que cela fait un certain

effet d’avoir cet état mental. Pour le dire autrement, on a uncertain type d’expérience en ayant ces états mentaux. Lescaractéristiques de l’expérience de M sont ses propriétésexpérientielles ou ses propriétés phénoménales.

I exemple : cela fait un certain effet d’entendre un tambour,c’est une expérience d’un certain type que d’entendre untambour


(C1): P-conscience

I on peut proposer la caractérisation suivante :M est P-conscient s’il y a un effet que cela fait d’être dansl’état M

I ou encore:M est P-conscient si M a certaines propriétésphénoménales ou expérientielles

I les propriétés expérientielles ou phénoménales d’un étatmental = qualia - au singulier, quale.


(C1): P-conscience

I Quels sont les états mentaux typiquement P-conscients ?• expériences perceptuelles• sensations corporelles (douleur, faim...)• passions, émotions• humeursI attention : une croyance, une intention, un désir, peuvent

être P-conscients à un certain moment. Mais ce ne sontpas des états mentaux qui semblent caractérisés par leurspropriétés phénomènales

I on identifie par une croyance par les propriétésphénoménales présentes quand on l’a ; cela semble être lecas pour une sensation


(C2): A-conscience

. Block (1995)“Un état est A-conscient s’il est [disponible] pour le contrôledirect de la pensée et de l’action. Pour être plus précis,une représentation est A-consciente si elle est disponiblepour être librement utilisée dans le raisonnement et lecontrôle "rationnel" direct de l’action et de la parole.”

I les états mentaux A-conscients sont disponibles pourinteragir inférentiellement, que ce soit dans leraisonnement "théorique" ou dans le raisonnementpratique (le raisonnement qui se situe en amont de la prisede décision). On dit aussi parfois que ces étatsA-conscients sont disponibles pour l’intelligence (resp. lesmécanismes cognitifs) centrale (resp. centraux).


(C2): A-conscience

I un état mental qui est A-conscient est intentionnel oureprésentationnel : il a un contenu. Pour cette raison, lesétats mentaux A-conscients paradigmatiques sont lesattitudes propositionnelles (croyances, désirs).

I pourquoi ? Découle de leur aptitude inférentielle(définition) et de l’hypothèse selon laquelle seul uncontenu propositionnel peut entrer dans un raisonnement.

I La notion de A-conscience est fonctionnelle : ce qui faitqu’un état mental est A-conscient est le rôle qu’il peut jouerdans l’économie cognitive de l’individu ou de l’organisme.Ce qui fait qu’un état est conscient n’est pas une propriétéintrinsèque de cet état mais ses relations aux autres étatset capacités de l’individu ou de l’organisme.


La conscience de soiI caractérisation de la conscience de soi

(self-consciousness):. N. Block (2002)

“Par [le terme de conscience de soi], j’entends lapossesion du concept du soi et la capacité de se servir dece concept en pensant à soi-même.”

I il s’agit d’une conscience de créature. Selon Block, il estconcevable qu’on attribue des états mentaux P-conscientsà une créature à laquelle on attribue pas la conscience desoi.

I exemple: on peut supposer qu’un hamster n’a pas deconscience de soi, mais qu’il a des états mentauxP-conscients - quand il mange des graines, cela lui fait uncertain effet, quand il se fait mordre par son compagnon decage, cela lui fait un autre effet, etc.


(C4), la conscience réflexive

I conscience de contrôle ou de surveillance. Je suis laterminologie d’un article plus récent où Block parle de"conscience réflexive". Je parlerai également deR-conscience.

I première approximation: un état mental M est R-conscientquand l’invididu qui a M sait qu’il a M ou perçoit qu’il a Mou pense qu’il a M.


la conscience et le physicalisme

I après cette discussion préliminaire, nous allons voir lechallenge que constitue la conscience pour lephysicalisme en général

I c’est principalement la notion de P-conscience qui seramobilisée dans les deux arguments anti-physicalistes quenous allons aborder


2. La chambre de Marie


le scénarioI argument antiphysicaliste proposé par F. Jackson en 1982

dans "Epiphenomenal Qualia"• Marie est une jeune femme qui a toujours vécu dans une

pièce très particulière (la "pièce de Jackson"): tout y est ennoir et blanc. Ses seules communications visuelles avec lemonde extérieur se font par l’intermédiaire d’un écran detélévision en noir et blanc.

• Marie trouve des compensations intellectuelles : elleétudie la neurophysiologie de la vision au point demaîtriser toutes les connaissances physiques (ou"informations physiques") relatives à la vision. Passeulement les connaissances dont nous disposonsaujourd’hui, mais toutes les connaissances physiquespertinentes possibles . Ces connaissances incluent laconnaissance des différentes relations fonctionnelles.


le scénario, suite• Le jour de son quarantième anniversaire, le jour J, Marie

est libérée de la pièce de Jackson, et à l’instant de sasortie, on lui montre une tomate bien mûre.

black and white

Mary

Figure by MIT OCW.

Figure by MIT OCW.


l’argument

I L’argument : le jour J, quand Marie voit la tomate qu’on luiprésente, elle apprend quelque chose : elle apprend l’effetque cela fait de voir du rouge. Par conséquent, sesconnaissances préalables sur la vision sont incomplètes.Les connaissances physiques sur la vision n’épuisent doncpas les connaissances sur la vision. Donc le physicalismeest faux.

I Décomposition de l’argument

(P1) Avant le jour J, Marie une connaissance physique complètede la vision

(P2) Le jour J, Marie apprend quelque chose de nouveau(C1) Toutes les connaissances pertinentes pour la vision ne sont

pas physiques(C2) Le physicalisme est faux


la leçon qu’en tire Jackson

I Jackson (1982) adopte une position épiphénoménaliste àl’égard des qualia : les qualia ne sont pas des propriétésphysiques, sont (au moins parfois) causés par desévénements physiques mais ne sont pas causalementefficaces vis-à-vis du monde physique.

I c’est une façon de concilier (1) le principe de complétudedu monde physique et (2) l’argument de la connaissance.


réponses physicalistes

I réponse ]1 : l’hypothèse de capacité (Lewis)• accepte que Marie apprend quelque chose, mais à rejette

l’hypothèse selon laquelle Marie apprend une nouvelleinformation, ou encore qu’elle acquiert une nouvelleconnaissance.

• Lewis ne soutient pas pour autant que Marie n’apprendrien : ce qu’elle acquiert, ce n’est pas un savoir que(knowing that) mais un savoir faire (knowing how) ouencore une capacité (ability ).

• le type de savoir que Marie acquiert est le type de savoirqu’un enfant acquiert quand il apprend à faire du vélo,qu’un néophyte en oenologie apprend à reconnnaître uncépage, etc. Pour cette raison, Lewis baptise sonhypothèse l’hypothèse de capacité.



I réponse ]1 : l’hypothèse de capacité (Lewis)I Les capacités que Marie acquiert sont les suivantes:• capacité de se souvenir de l’expérience du rouge• capacité d’imaginer l’expérience du rouge• capacité de reconnaître l’expérience du rouge


réponse ] 2

I réponse ] 2 : de nouvelles connaissances d’anciens faits• une bonne partie des philosophes physicalistes ont

soutenu que l’on pouvait maintenir le physicalisme etreconnaître que Marie acquiert d’authentiques nouvellesconnaissances (pas seulement des savoirs-faire).

• Idée générale : Marie apprend quelque chose qu’en uncertain sens elle connaissait déjà, mais qu’elle possèdemaintenant sous une nouvelle forme, à l’aide de nouveauxconcepts

• Marie s’approprie avec de nouveaux concepts des faitsqu’elle connaît déjà sous une autre conceptualisation.


réponse ] 2

I réponse ] 2 : de nouvelles connaissances d’anciens faits• ces nouveaux concepts dont Marie dispose sont souvent

appelés des concepts phénoménaux.• les concepts phénoménaux sont des concepts

recognitionels qui dénotent des propriétésphysico-fonctionnelles

• les concepts phénoménaux sont indépendants desconcepts physiques


réponse ]3

I réponse ] 3 : "il doit y avoir une réponse !"• La réponse que privilégient Braddon-Mitchell et Jackson

(1996) met en avant une sorte d’incompatibilité entrecertaines considérations épistémologiques très généraleset la conclusion de l’argument.

• Plus précisément, elle fait valoir qu’une épistémologieépiphénoménaliste n’est pas tenable

• idée de base: il doit y avoir une origine causale à toutchangement des croyances d’un individu. Il doit donc yavoir une origine causale aux changements dans lescroyances de Marie quand elle voit son premier objet "encouleur". Mais si les qualia sont épiphénoménaux, alors ilsne peuvent intervenir causalement dans l’apparition descroyances à propos des qualia.


3. l’argument des zombies



reconstruction de l’argument

I l’argument:(Def) un zombie = un être qui est physiquement identiqueà nous mais qui n’a pas d’expériences conscientes (d’étatsmentaux P-conscients)(P1) un zombie est concevable(C1) un zombie est possible(C2) les phénomènes mentaux ne surviennent pas sur lesphénomènes physiques(C3) le physicalisme est faux


qu’est-ce que la survenance ?

I (C2) les phénomènes mentaux ne surviennent pas sur lesphénomènes physiques

I survenance du mental sur le physique:(S) deux choses qui sont identiques du point de vuephysique sont identiques du point de vue mental(S’) si deux choses diffèrent du point de vue mental, alorselles diffèrent du point de vue physique

I pas de différence mentale sans différence physiqueI Chalmers (1996): “une fois que Dieu a déterminé les faits

physiques du monde, il a tout déterminé”


qu’est-ce que la survenance ?

I exemple: la propriété d’être chauve survient sur ladistribution des cheveux

• si Pierre et Jean ont la même distribution de cheveux, alorsou bien ils sont tous les deux chauves, ou bien aucun desdeux n’est chauve

• si l’un est chauve et l’autre pas, alors ils n’ont pas la mêmedistribution de cheveux


survenance et physicalisme

I on considère en général que la survenance du mental surle physique est une exigeance physicaliste minimale

I pour le dire autrement: si le physicalisme est vrai, alors lathèse de survenance (du mental sur le physique) est vraie

I ou encore: si la thèse de survenance est fausse, alors lephysicalisme est faux

I c’est cette implication qui est utilisée dans l’argument deszombies



I deux façons principales de contrer l’argument deszombies:

I réponse ]1: rejeter le passage de la caractérisation deszombies (Def) à leur concevabilité (P1)

I réponse ]2: rejeter le passage de la concevabilité deszombies (P1) à leur possibilité (C1)


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