La bataille des cartes - Note d’analyse géopolitique n°13

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  • 8/7/2019 La bataille des cartes - Note danalyse gopolitique n13

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    La bataille des cartesLa mondialisation comme choc des reprsentations du monde

    Cet essai relate une vritable bataille des cartes, prvient le gographeMichel Foucher pour prsenter son dernier ouvrage consacr la guerre

    des reprsentations qui se droule dans un monde en transformation.

    En effet, la mondialisation rebat les cartes obligeant chaque puissance

    rvaluer sa position et ses ambitions sur lchiquier mondial. Face

    cette exigence tous ne sont pas galement laise. Pour lauteur,

    le grand clivage contemporain spare ceux qui regardent lhistoireen cours avec le sentiment den tre, davoir un avenir et de pouvoir la faonner, et ceux qui croient - tort ou raison - la subir parce quilsdoutent deux-mmes. La seconde catgorie est bien sr constituedes vieux pays industriels saisis de vertige face lmergence

    de nouvelles puissances issues de ce quils qualifiaient il ny a pas

    si longtemps de Tiers-monde De fait, ces nouvelles puissances

    conomiques nentendent pas en rester l. Elles ont aussi des ambitions

    gopolitiques et dfendent ds prsent une vision alternative du monde

    qui sinscrit dans des cartes mentales. Pour Michel Foucher,

    ce mouvement de fond est porteur dun impratif : lOccident et lEurope

    doivent redfinir leur rle et leur statut, trouver de nouveaux vecteursdtre au monde, choisir le reclassement pour viter le dclassement.Mais nous nen sommes pas encore l. Aujourdhui, ce sont plutt les

    autres qui pensent le monde et sy projettent.

    A u cours des deux derniers sicles,cest lOccident qui faonnait le monde.Dans le contexte de lexpansion coloniale europenne au sud de la mer Mdi-terrane amorce par lexpdition dgypte, lOccident inventa lOrient,rgion adnominations variables. Puis, il diffusa les notions de monde musulman et de monarabe ,rappelle MichelFoucher.Cette prminence tait telle que les concepts for-gs taient mme repris par ceux qui contestaient la tutelle europenne.Ainsi dumouvement nationaliste arabe dont les revendications portrent sur une aire go-graphique dfinie par ladversaire europen.Comme le note lauteurla dialectiqueliant linvention dune reprsentation vocation de domination sa critique libratoire ple domin est une ruse de lHistoire,faite de contradictions,de ricochets et de rsonances

    Un moment cl :linvention des BRIC par un Occident inquiet

    certains gards,le phnomne sest reproduit plus rcemment lorsquil a fallu ca-ractriser les bouleversements induits par la mondialisation.Cest encore en Occi-dent que se forgrent des notions neuves qui simposrent rapidement pourt dsigner lenouveaux tats de fait situs ailleurs que sur les rives de lAtlantique Nord :conomies

    Cest encore en Occident que se forgrent des notions

    neuves qui simposrent rapidement pour dsignerles nouveaux tats de fait

    situs ailleurs que sur les rivesde lAtlantique Nord :

    conomies et pays mergentsavec un noyau pilote connu

    sous lappellation de BRIC.

    CC omprendreLLes EE njeuxSS tratgiquesNote hebdomadaire danalyse gopolitiquede lESC Grenoble. 07 janvier 2011

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    CLES - Comprendre Les Enjeux Stratgiques - Note danalyse n13 - 07 janvier 2011 - www.grenoble-em.com - 1 -

    Par Jean-Franois

    Fiorina

    Directeur de lEcole Suprieurede Commercede Grenoble

    CLES

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    pays mergents avec un noyau pilote connu sous lappellation de BRIC (Brsil, Russie, IChine). Le mouvement fut progressif. Forg dans les annes 1980 New York parle banquier nerlandais Antoine Van Agtmael le terme demarchs mergents vi-sait vaincre les rticences des investisseurs amricains sintresser aux BoursesdAsie orientale. Il ne traduit pas encore la prise de conscience dun basculement, linverse du terme de BRIC qui rvle dj une certaine inquitude, accentue en-core par le fait que le terme fut invent en 2001 dans le contexte des attentats sansprcdent perptrs contre les tats-Unis.

    Lorsquil inventa la notion de BRIC, Jim ONeil, conomiste en chef de GoldmanSachs est persuad dassister une bifurcation dans le mouvement de globalisation :Celui-ci, jusquici positif pour les tats-Unis, allait se poursuivre dans lavenir sans trnonyme damricanisation ni imposer des structures et des croyances philosophiques et sciales amricaines. Cette date charnire marquait selon lui la preuve de limportancecroissante du monde non occidental [].La thse tait la suivante : en 2041, le poids deces quatre tats dans le PNB mondial dpasserait les six premires conomies occidental; ils seraient les piliers du XXIe sicle. Ce moment est donc rvlateur dun bascule-ment conomique mais aussi psychique : en effet, avec linvention des BRIC, lOcci-dent continue dimposer sa carte mentale du monde, mais loin de toute tentationhgmonique, cest son propre dclassement quil dcrit et conceptualise.

    La mondialisation,

    thtre de nouvelles affirmations nationalesDs lors,on comprend qu linverse, les pays ainsi dsigns se soient empars aussi-tt du concept au point de lintgrer dans leur pratique diplomatique, les dirigeants deces pays ayant entrepris de se rencontrer rgulirement, comme Iekaterinbourg en2009 et Brasilia en avril 2010. De la sorte, observe le gographe, ils portrentle mes-sage dune runion au sommet o ne figurent ni Amricains ni Europens, avec lambition faire de ces acteurs un groupe de coordination conomique susceptible de peser sur les r-formes du systme montaire international et les dossiers examins dans le cadre du G20. Toutefois, pour Michel Foucher, il ne faut pas se laisser abuser par la photognie deces poignes de main au sommet. Si elles traduisent incontestablement un dsir com-mun dmancipation lgard de lOccident, elles ne crent pas pour autant un blochomogne.Les contradictions gopolitiques structurelles de ce regroupement conomique[] se traduisent par une profonde mfiance rciproque. Les experts brsiliens jugent lIndetrs complique, et la Chine autocratique et prdatrice en Afrique et au Brsil. LInde et lChine sont fondamentalement rivales mais peuvent sallier sur des positions de ngociatioconcernant les questions climatiques tout en divergeant sur la valeur du yuan - lInde se rapprochant alors du Brsil et des tats-Unis. Ces pays sont tous candidats la rorganisation du monde, mais ils dfendent chacunune vision propre conforme leur culture, leur histoire et bien entendus ce quilsestiment tre leurs intrts. Michel Foucher y peroit un paradoxe trop souvent ngligen Occident :La phase actuelle de ce quil est convenu dappeler la mondialisation cono-mique et technique produit non pas un monde mais de nouvelles affirmations nationales.[]Cela invite se dfier de lillusion dun monde qui se substituerait toutes les autres instanco tout serait dtermin par une seule chelle de rfrence.[]Car il ny a pas le monde ausens o il serait unique, structur par des valeurs et des intrts partags, mais une scne ou,

    mieux, une arne o se dploient des activits et des stratgies dinspiration dabord nationaleUne ligne de fracture psychique dans la mondialisationOr, dans cette arne et ce monde en voie de recomposition, les diffrents protago-nistes ne se sentent pas galement laise. Michel Foucher salue la capacit desmergents btir des projections gopolitiques denvergure et des reprsentations col-lectives de lavenir . Il observela confiance en soi presque condescendante des lites in-diennes, la certitude incontestable dun moment brsilien, la conviction indiscutable djeunes Chinois duqus que la Chine sera bientt le numro 1.Autant de visions conqurantes et optimistes que lon est aujourdhui bien en peinede retrouver en Occident et singulirement en Europe. Ici,bien des proccupations re-lvent plutt de la crainte dune fin du monde, avec les peurs de lan 2000, cologique (lefameux rchauffement de la plante) et frumentaire (les crises agricoles rptition), m-

    dicales (les pandmies) ou dmographique (allongement de la dure de vie se traduisant parun vieillissement et un dclin et des flux migratoires inluctables). Et de conclure :Le r-frentiel monde en Europe, connote dabord ces grandes peurs millnaristes. Autant de ver-rous mentaux qui empchent bien sr de se projeter sereinement dans lavenir et quil

    Avec linvention des BRIC,lOccident continue dimposer

    sa carte mentale du monde,mais loin de toute tentation

    hgmonique, cest son propredclassement quil dcrit

    et conceptualise.

    La phase actuelle de ce quilest convenu dappeler

    la mondialisation conomiqueet technique produit non pas

    un monde mais de nouvellesaffirmations nationales. []

    Cela invite se dfier de lillu-sion dun monde qui se subs-

    tituerait toutes les autres

    instances, o tout serait dtermin par une seule

    chelle de rfrence.

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    Le rfrentiel mondeen Europe, connote

    dabord de grandes peursmillnaristes. Autant

    de verrous mentauxqui empchent de se projeter

    sereinement dans lavenir

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    va bien falloir faire sauter sous peine de voir les pays du Vieux Continent sortir pourde bon de lhistoire.LEurope, puissance utile dinfluence mondialePourtant, selon Michel Foucher, notre continent ne manque pas datouts valoriser.Nulle part ailleurs dans le monde on ne rencontre ce degr dintgration politique, qui agcomme un multiplicateur de puissance et dinfluence pour les tats europens les plus engagdans cette dmarche cooprative. Mieux, les gouvernements europens animent entre eux unemanire de laboratoire de multilatralisme dont lexprience et les acquis peuvent servir drfrence pour la gestion des affaires dintrt commun au niveau mondial. Enfin, il y a aussides donnes dont les Europens ont trop peu conscience mais qui infirment lidedun continent en dcadence : lUnion europenne est le premier march du monde,le premier exportateur mondial, le premier bailleur daide publique au dveloppement.Elle est aussi le premier contributeur au budget des Nations unies et dans les opra-tions de maintien de la paix sous mandat de lONU, les Europens envoient dix foisplus de troupes que les tats-Unis Comment expliquer alors que les Europensnaient pas conscience de leur rang rel et quils doutent de leur capacit faonnerle monde ? Michel Foucher voque une certainerticence europenne se doter desoutils de la puissance et les exercer . La volont de surmonter et dpasser les conflitstant dans son ADN, lEurope est laise dans unmonde forum , mais beaucoup moinsdans unmonde arne. Cette limite dessine une feuille de route : rapprendre les rap-ports de forces et les conflits sans pour autant perdre son me.I

    Pour aller plus loin :La Bataille des cartes. Analyse critique des visions du monde,par Michel Foucher,Franois Bourin diteur, 176 p., 29 .

    La volont de surmonteret dpasser les conflits tant

    dans son ADN, lEuropeest laise dans un monde

    forum, mais beaucoup moinsdans un monde arne.

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    EXTRAIT :

    Rquilibrage de la carte du monde - Aprs sept ans et demi de gouvernement du prsident Lula, limage du pays lextrieur a chang. [] Depuis prs de huit ans, le Brsil a effectivement uvr avec audace et, linstar dautres paysveloppement, nous avons chang notre importance sur la carte du monde. Nos pays sont vus aujourdhui, mme par les cventuels, comme des acteurs dont les responsabilits sont croissantes et dont le rle est de plus en plus central dans les dqui affectent lavenir de la plante. Celso Amorim, ministre des Affaires trangres du Brsil, cit inLa Bataille des cartes,op. cit.

    CC omprendreLL es EE njeux SS tratgiquesPourquoi CLES ?

    Depuis 2007, Grenoble cole deManagement a introduit dans soncursus un enseignement de gopo-litique. Cette initiative novatricesappuie notamment sur la convic-tion que, face un monde com-plexe et en mutation permanente,lentreprise et les managers ont be-soin du prisme de la gopolitiquepour se positionner, prendre lesbonnes dcisions et engager lesstratgies adquates.

    Il sagit toutefois dune approche ori-ginale de la gopolitique. traversses enseignements et ses activitsde recherche, Grenoble cole deManagement envisage celle-ci sousun angle oprationnel.Lobjectif est doffrir aux dcideursconomiques les outils daide ladcision ncessaires pour naviguer dans un environnement au sein du-quel les risques et les opportunitsvoluent sans cesse.

    Avec la publication des notes CLES,Grenoble Ecole de Managementsouhaite partager, chaque semaine,avec ses partenaires, le fruit de sesrecherches en matire de gopoli-tique.Elle souhaite aussi stimuler leschanges dides et les partagesdexprience. Car, dans le mondequi est le ntre, cest aussi de laconfrontation des visions que pro-vient la performance.I

    Retrouvez dautres analyses gopolitiques sur www.diploweb.comet sur www.grenoble-em.com/geopolitique.