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1 « Le journal de Lou » Écrit par LOU REIMER Copyright 2009 :Lou Reimer

Journal de Lou par Lou Reimer

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Ce journal fait partager mon expérience de ce voyage inoubliable, cet échange entre deux cultures aussi différentes en mode de vie qu'en paysages.

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« Le journal de Lou »

Écrit par LOU REIMER

Copyright 2009 :Lou Reimer

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Bonnieux

Bonnieux le 5 juin 2008, 11h30

Je m’appelle Lou, j’ai 13ans en novembre, le 17 novembre plus précisément. J’ai des yeux bleus en-tourés de cheveux lisses blonds foncés. Je m’habille bizarrement (avec des moustiques alcooliques, ou un panda/cochon/vache...). Je n’aime pas les habits simples, ça me confondrait trop aux autres. Je ne veux pas me cacher dans la foule, là où tout le monde s’habille en noir ou blanc. Je rentre en 4e en septembre prochain et je me languis de retrouver mes amies proches.

J’habite Bonnieux un petit village du Vaucluse où pas grand-chose ne se passe, mais pourtant je l’a-dore. Quand mes amies viennent chez moi, on va souvent dans ce petit bourg et on s’amuse tellement qu’on ne voit pas passer les heures. Je me sens très proche du petit « trou paumé » comme diraient mes camarades. Dans ce village, tout le monde se connait, le boulanger, la pharmacienne, les habi-tants... Quand je suis partie de mon école primaire, j’étais si triste que je voulais même redoubler pour y rester. Mais je n’aurais pas pu redoubler indéfiniment et puis je n’arrivais pas vraiment à avoir de mauvaises notes. Maintenant, je suis heureuse d’être au Collège, j’ai rencontré pleins de gens supers et pleins de gens idiots. Ça me donne chaud au cœur quand je revois mon école maternel-le/primaire. J’ai l’impression de revivre les souvenirs de la cantine ou même de la cour de récréa-tion. J’aimerais pouvoir parfois remonter le temps et revoir plein de bons souvenirs. J’ai adoré cette école mais, je suis certaine, que lorsque je quitterais le collège, cela me fera pareil, je suis déjà imprégnée de souvenirs.

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Ma classe de 6e a été une bande d’idiots incapables d’aligner une phrase en vrai français alors qu’en 5e la générosité était au pouvoir, tout le monde s’adorait. Les professeurs nous aimaient bien mais en dehors des cours car sinon c’était un peu le « foutoir ».

Ma mère est artiste. Elle travaille sur un projet qui va nous mener au Vietnam. Lorsque ma mère m’a annoncée la date du départ je me suis effondrée en larmes et toute ma classe s’est réunie pour m’offrir des cadeaux (lettres, oreillers en cœur, peluche lapins, bagues...). Ils m’ont beaucoup manqué et je serais très heureuse le jour où je les reverrais. Vivement la rentrée !!!

Voici mes amis de la fameuse 5e3

Cette photo m’a accompagnée au Vietnam. Elle était toujours dans une poche de mon panta-lon. La photo a été prise lors d’une sortie organisé par notre professeur d’art plastique, Monsieur Empereur et accom-pagnée par notre professeur d’anglais Madame Maklouka.

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Aujourd’hui, à cet instant même, je me souviens de l’étrange sensation que j’ai ressentie, lorsque ma mère m’a expliqué son magnifique projet. Celui-ci consiste à sensibiliser le regard d’enfants handica-pés vietnamiens, par une approche artistique, un éveil. J’ai de suite été accrochée même si je n’arrive pas à tout comprendre. Cette émotion, mêlait à la fois la peur, l’angoisse, l’impatience et aussi une forme de joie. Je trouve maman tellement généreuse et si battante que parfois elle me semble bizarre. En parlant de photos ou de projets elle s’emballe et je dois parfois l’arrêter, elle est si passionnée qu’elle s’em-porte et se lance dans des explications détaillées, que cela en devient parfois incompréhensible. D’après ma mère, mon regard va changer. Le Vietnam est un pays contrasté, qui oscille entre pauvreté et richesse. Je vais rencontrer l’organisation non gouvernementale (ONG) Enfants du monde avec qui maman est en contact pour mener ce projet. Cette ONG aide les enfants handicapés, construit des centres pour des activités ou des travaux de rééducation, fournit du matériel pour rendre moins contraignant le han-dicap, intervient sur un plan médical... Pour l’instant je ne sais juste que cela. J’espère en savoir davantage lorsque je serais sur place.

Les préparatifs Bonnieux le 6 juin 2008

Ce voyage m’angoisse. Je suis comme paralysée. La peur de l’inconnu. Dans quel univers allons-nous basculer ? Je passe une partie de l’après-midi dans un magasin de sport. J’achète des T-shirt anti-transpiration, des pantalons de randonnée, des chemises à manches longues pour se protéger des mousti-ques. Au Vietnam, beaucoup de maladies sont transmissibles par les moustiques, comme par exemple le pa-lud et la dingue, comme je devrais le découvrir à mes dépends par la suite. Là-bas il fera chaud. Je n’aime pas ces vêtements. Ils ne sont pas assez féminins. Ils ne correspondent franchement pas à mon style qui est beaucoup plus léger, fantaisiste et rigolo. Je laisse maman préparer nos affaires. Je prends soin de ne pas oublier mon collier jamaïquain porte-bonheur. Nous partons demain de la gare TGV d’Avignon pour Paris gare de Lyon. Départ 16h08.

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Roissy et le grand déballage Roissy le 8 juin 2008

A l’aéroport de Roissy la queue est interminable. Les gens sont de plus en plus nombreux et l’odeur sem-ble nous imprégner. Il fait si chaud et cette odeur de transpiration qui émane de la foule est vraiment très désagréable.

A la douane, nous sommes obligés de tout déballer. Certainement qu’on n’a que ça à faire que de cacher des bombes dans des sacs photos ! Les douaniers exagèrent, nous voir charger comme ça, ils n’ont aucune pitié, ce ne sont pas eux, qui doivent tout remballer. Ça m’énerve ! Le mot pardon ne leur est même pas venu à la bouche... Je me demande si les douaniers savent ce que ce mot veut dire ! Maman me trouve ex-cessive, pour elle qui a été témoin d’un attentat dans les années soixante-dix commis dans un magasin à Francfort par la bande à Baader, la sécurité dans les avions mérite bien ces quelques désagréments.

Après des heures d’attente, l’avion arrive enfin ! Encore une queue de 15 mètres ! Les passeports sont vérifiés et on peut enfin s’installer dans l’avion ! Sur la carlingue de grandes lettres bleues et blan-ches révèlent le nom de la compagnie : « Vietnam Airlines ». J’essaye de m’imaginer ce beau pays. Qu’al-lais-je découvrir de si particulier ? Par delà les différences qui devaient exister, y avait-il des points communs ? Je suis vraiment très excitée.

Premier contact avec la douceur vietnamienne

 

Vers Ho Chi Minh Ville, le 08 juin 2008

A l’intérieur de l’appareil je m’installe entre ma mère et une inconnue. C’est une franco-vietnamienne, qui se prénomme Anne. Pendant les douze heures de vol, j’ai peu à peu appris à la connaître. Anne est une jeune femme, belle et sympathique. La douceur domine son caractère et elle est d’une incroyable gé-nérosité. Elle me permet de dormir sur elle, car je suis vraiment très à l’étroit, dans mon siège exigu.

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Le repas que l’on nous sert ne me plaît pas, je n’aime pas l’odeur et cet aspect peu appétissant. Ce sont des nouilles sautées et du riz agrémenté de substances vertes. Tout cela ne m’inspire pas beau-coup. A cet instant, j’ignorais que quelques jours plus tard j’allais me régaler en dégustant du ser-pent. Pour découvrir réellement un pays, rien de tel que de savourer sa cuisine. Mais pour l’heure j’é-tais sans doute trop enfermée dans mes habitudes françaises et pas assez à l’écoute du nouveau monde, que j’allais bientôt découvrir.

Quand j’ai vu à la fenêtre qu’il faisait nuit alors que ma montre indiquait la fin de l’après-midi, j’ai réalisé qu’on s’approchait du Vietnam. Quelques heures plus tard j’ai entendu l’hôtesse de l’air prononcer quelques mots incompréhensibles en anglais et en vietnamien. Lorsque le pictogramme de la ceinture s’éclaira au plafond, j’ai compris que nous étions en train d’atterrir. On perdait peu à peu de la vitesse. De loin, à travers le hublot, la ville de Ho Chi Minh Ville donnait une impression d’im-mensité, elle devait bien faire le double de Paris. C’est toujours très impressionnant le moment où les roues de l’avion se posent au sol.

Aéroport design Ho Chi Minh Ville le 9 juin 2008

L’aéroport moderne en verre d’Ho Chi Minh Ville m’a complètement « bluffée ». Autant l’aménagement de l’aéroport Charles de Gaulle me semblait quelconque, autant celui d’Ho Chi Minh Ville tout en verre ex-primait quelque chose de contemporain, qui me touchait. Une impression de vide dominait, dans un blanc total. J’ai dis à ma mère « cet aéroport pourrait être ma maison ». J’adore le design contemporain et l’aéroport d’Ho Chi Minh Ville correspond tout à fait à mes goûts.

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Chaleur Aéroport d’Ho Chi Minh Ville, le 9 juin 2008, aux alentours de 7h

En sortant de l’aéroport climatisé, franchissant la porte, je me sens envahie par la touffeur. La chaleur n’est pas trop intense, mais elle est humide, une sensation poisseuse m’est franchement désa-gréable. Mes vêtements se collent à moi. Ma peau dégouline de sueur. Cette atmosphère moite remue les odeurs polluantes, comme celles qui proviennent des pots d’échappement. J’attends avec impatience une salle réfrigérée avec un lit. Habituellement, j’aime la chaleur, mais là c’est trop. Même en France si je la trouve parfois incommodante, elle n’est pas si humide, c’est plus agréable. En partant de France je me plaignais quelquefois de la température élevée, mais aujourd’hui je suis un peu nostalgique de cette douce chaleur française. Je connais déjà mon emploi du temps de l’hôtel, actionner la clim, prendre une douche et dormir. J’espère qu’au Vietnam on trouvera des piscines !

Une étrange circulation Ho Chi Minh Ville, le 9 juin 2008, 8h30

Un taxi vient nous chercher, je tombe de plus en plus de fatigue. La circulation est très différente de ce que je connais. Cela me semble étrange. En France, la circulation routière est assez bien orga-nisée (les feux rouges sont respectés, il y existe un système de priorité...) Au Vietnam les feux rouges semblent transparents aux habitants et le code de la route est comme une réalité inconnue. Quand tu traverses, tu fonces tête baissée sans regarder si un véhicule s’arrête pour te laisser pas-ser, puisque de toute façon il ne s’arrêtera jamais pour toi. Les habitants d’ici savent très bien t’éviter. Si tu traverses en fermant les yeux rien ne t’arrivera. Ici, personne ne roule à plus de 40 km/h, ça parait pourtant si rapide. Les accidents sont peu fréquents, les véhicules à deux roues sont très présents. Les voitures sont plutôt rares, à l’exception des taxis.

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La circulation donne une impression de désordre, comme s’il n’y avait aucune organisation, Les conduc-teurs klaxonnent sans arrêt, c’est parfois fatiguant. Il n’y pas de passage pour piétons, les panneaux indicateurs sont rares. Je ne sais pas comment les vietnamiens se débrouillent pour se repérer. J’asso-cie souvent circulation et Vietnam, ces deux termes expriment assez bien l’idée que je me fais du « foutoir ». Finalement la circulation et le bruit définiraient assez bien Ho Chi Minh Ville : un joyeux capharnaüm. Arrivée à l’hôtel, je pensais dormir toute la journée mais un premier rendez-vous avec Phim Pha, la responsable pédagogique de l’ONG Enfants du monde nous attendait. J’ignorais à ce moment-là, que cette jeune femme allait complètement bouleverser la suite de mon voyage et ma vision du Vietnam

Les véhicules

à deux roues

sont sur-

chargés soit

de marchan-

dises, soit de

personnes. Il

n’est pas rare

de croiser

une famille

entière sur

un scooter.

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Regards Ho Chi Minh Ville, le 9 juin 2008, 9h35

La journée est dominée par la gêne. Dans les rues le regard des hommes me rend mal à l’aise, leurs clins d’œil accompagnés d’un sourire me gênent profondément. Quand on est la seule blonde aux yeux bleus, le regard qu’on peut te porter te rend froide et finit par t’exaspé-rer. Tu as l’impression de ne pas être comme les autres. Je perdais confiance en moi, face à ces gens qui ne cessaient de me scruter, surtout aux motards qui te souriaient juste pour un tour de moto et pour tenter de te soutirer de l’argent. Ces inconnus, plus âgés que moi, me donnaient l’impression de me toucher, simplement par leur regard. En France, cela me plait d’être différente, dans mon attitude et ma façon de m’habiller. Mais ici, au Vietnam, être bronzée, brune aux yeux plissée couleur chocolat ne m’aurait pas dérangé. J’aurai voulu me fondre dans la foule et demeurer dans l’anonymat. Je m’agrippais à la chemise de ma mère, j’étais terrifiée par ces regards. Je comprenais désormais la sensation désagréable qu’éprou-vent les handicapés, un simple regard peut devenir synonyme d’un profond malaise.

Cauchemars Ho Chi Minh Ville, le 9 juin 2008, la nuit

Au lever du jour je me réveille avec d’immenses cernes. La nuit a été courte, en sommeil vé-ritable, et longue en cauchemars. J’ai rêvé que j’étais enlevée. Cela révèle en moi un pro-fond stress. J’éprouve un sentiment de peur à l’égard des habitants d’Ho Chi Minh Ville. Je ne suis pas en confiance. J’espère chasser cet état et me retrouver dans des dispositions plus sereines.

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Première rencontre avec Phim Pha

 Ho Chi Minh Ville, le 10 juin 2008

Ce matin, c’est deuxième « première » rencontre avec Phim Pha à Pho 24, un restaurant de soupe. La première rencontre avait été rapide, nous étions fatiguées, il ne s’agissait que d’une prise de contact. Au début de notre conversation, je sombrais dans une som-nolence que je n’arrivais pas à contrôler. Je ne parvenais pas à me concentrer sur ce que racontait Phim Pha. Je ne captais que quelques mots « éveil, handicaps, aide... ». Phim Pha était pas-sionnée par ce qui touchait à l’éducation. J’ai fini par compren-dre qu’au Vietnam, l’école est payante. Cela n’est pas sans poser quelques difficultés aux parents les plus pauvres. Seuls les mo-nastères offrent la gratuité de l’école, mais, les enfants se des-tinent à devenir moines. Ici, au Vietnam et, contrairement à la France, les élèves ne sont pas vraiment autorisés à exprimer leurs opinions personnelles. Phim Pha nous raconte comment son petit frère a été sanctionné pour avoir décrit, dans un exercice scolai-re, les dents jaunes de sa professeur... Au Vietnam, la notion de groupe est très importante. Lorsqu’un enfant s’exprime, ce n’est jamais en son nom propre, c’est toujours par rapport au groupe. Je finis par écouter Phim Pha, pour laquelle, je commençais peu à peu à ressentir une certaine admiration.

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Phim Pha était une jolie jeune femme de 28 ans. Ses très beaux cheveux, bruns acajou, étaient assortis à ses petits yeux en amande. Ses vêtements étaient à la fois simples, élégants et les couleurs unies se des-sinaient sur sa fine silhouette. La douceur de sa voix m’a de suite rassurée. Phim Pha incarnait la gentillesse même. Elle a été la première vietnamienne avec qui je commençais à prendre confiance. Elle était très belle, de l’extérieur comme de l’inté-rieur. Elle me parlait avec une sérénité communicati-ve. Je ne sais pas pourquoi, son petit accent me fai-sait penser à la Suisse. Phim Pha connaissait Paris. Elle y avait vécu pendant cinq ans pour ses études. Elle s’était spécialisée en développement et en ges-tion des projets humanitaires. Elle voulait aider les

personnes en difficulté dans les pays du tiers monde. Phim Pha a un cœur gros comme ça !

Lorsqu’elle évoqua Ho Chi Minh Ville, je fis de mon mieux pour me concentrer sur les quelques « règles » à respecter. J’ai retenu qu’il fallait toujours mar-chander et ce n’est pas sans impatience que j’imagi-nais me lancer dans cette nouvelle activité. Par un miracle, dont les vietnamiennes ont peut-être le secret, Phim Pha, venait en quelques minutes, de me lever ce stress qui se glissait jusque dans mes cauchemars depuis mon arrivée à Ho Chi Minh Ville. Après cette rencontre, mes nuits sont redevenues calmes.

Portrait de Phim Pha

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Hôtel Anh Phuong Ho Chi Minh Ville, 10 juin 2008, 20h55mn

Situé au cœur de Ho Chi Minh Ville, District 1, près du grand marché de Ben Thanh Market, entre un restaurant et une agence de voyage, Anh Phuong n’est pas un hôtel qui surprend par son originalité. Sauf peut-être qu’ici, au Vietnam, rien ne se fait vraiment comme ailleurs. Ainsi a-ton déjà vu le hall d’un hôtel servir également de garage ? Certes, ce hall n’accueille que des véhicules à deux roues, les voitures étant encore trop encombrantes pour y entrer... La cuisine est située à côté de l’escalier et les odeurs très fortes qui en proviennent me laissent un goût désagréable dans les na-rines, un peu comme si je me trouvais à proximité d’aliments périmés mêlés à un ensemble disparate d’épices. Je n’aime pas cette odeur. C’est à ce point déplaisant que j’en viens à me boucher le nez et à me couper la respiration. Le contraste entre la cuisine et la réception est incroyable. La fraî-cheur de la réception nous invite à y rester des heures durant. Les deux premiers étages possèdent des chambres plutôt grandes, contrairement au troisième où les pièces sont beaucoup plus restreintes. De vrais « cagibis », il y a exactement la place pour un lit et un frigo. L’espace est à ce point restreint, que pour accéder à la salle de bains il faut parfois se livrer à des exercices d’escalade avec les bagages. Les chambres des quatrième et cinquième étages sont dotées de balcons et la vue sur la ville y est tout bonnement extraordinaire. L’hôtel ne possède pas d’ascenseur. Il faut beaucoup monter, c’est vraiment très fatiguant. La vue du cinquième est absolument fabuleuse, elle montre la ville dans toutes ses splendeurs, sans cette odeur pour nous accompagner. De cette vue, en hauteur, on a l’impression de pouvoir marcher sur les toits en sautant d’immeuble en immeuble. On peut s’ima-giner une visite en volant au-dessus des bâtiments. Le soir, quand la ville s’illumine, que la lune et les étoiles admirent cette vision, je me dis que le soleil manque une occasion de se reposer de-vant une vue si fabuleuse. Je suis émerveillé par ce tableau. La couleur dominante est un mélange subtil, à la fois bleutée et oranger. Les étoiles semblent danser avec les immeubles. C’est vertigi-neux. C’est beau. C’est sublime.

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Un excellent restaurant

 Ho Chi Minh Ville, le 12 juin 2008

On peut manger à toutes heures dans les restaurants vietnamiens. A Ho Chi Minh Ville, il exis-te des restaurants de soupes désignés par Pho, et des restaurants de riz. Les deux chaînes de restaurants les plus répandues sont Pho 24 et Pho 2000. Les repas sont les mêmes le matin, le midi et le soir ; de la soupe (nouilles, herbes, viandes). On peut y manger des nems, des soupes vietnamiennes et des flans. Les boissons sont variées (bière, soda ou thé glacé). J’aime bien le design de Pho 24. C’est un style japonais. Les vietna-miens sont très friands du design japonais. Les tables sont noires, les chaises en cube

noir et les lampes diffusent une lumière orange. L’atmos-phère est reposante. J’aime ces lignes épurées. On a l’im-pression que pas un objet inu-tile ne vient perturber le re-gard. Le style est totalement différent de l’aéroport mais

pourtant j’aime vraiment bien.

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A Pho 24, le service est très drôle. Les serveurs semblent complètement accablés par leur tâ-che. Ils traînent des pieds et lâchent un grand soupir lorsqu’on leur passe une commande. Pourtant j’aime beaucoup ce restaurant, et une complicité peut s’établir avec le personnel, malgré la barrière de la langue. A la première occasion les serveurs vont se rassoire. Ils prennent la commande et vont s’asseoir, puis ils t’amènent les plats et vont s’asseoir, puis te font payer et vont à nouveau s’asseoir. J’adore l’atmosphère qui s’y dégage. J’aime moins, Pho 2000, le lieu me semble moins bien agencé, plus simple, plus grand et surtout moins origi-nal avec un service vraiment quelconque. Aucune originalité et les serveurs font vraiment trop sérieux.

Le riz cantonnais n’est pas servi dans tous les restaurants. . Sinon le riz servis dans les restaurants , ... En vietnamien le riz cantonnais se nomme Com Chien ou Com Chao. C’est un riz un peu différent de ce qu’on peut connaî-tre en France. Le Com Chien est l’art d’accommoder les restes.

Notre vendeuse de riz « com chao » , ou nous avons acheté la barquette pour 5000 dong

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Dans le sud, les habitants cuisinent souvent des soupes. Les deux spécialités sont le serpent et la chauve-souris, mijotés dans des bouillons accompagnés de nouilles. J’ai mangé du ser-pent, c’est un goût très agréable et original. Il faut juste manger les écailles et recracher les os. La chair me fait penser à du poulet cuit dans des fruits de mer. En revanche, j’aime moins la chauve-souris. Il faut mâcher longtemps pour un résultat peu goûteux. M. Khuong, un ancien professeur d’université, aujourd’hui coordinateur pour Enfants du monde, m’a un jour lancé : « Maintenant que tu as mangé du serpent ils ne te mordront plus ». J’avais trouvé cet-te remarque à la fois drôle et étrange…

J’aime bien les spécialités vietnamiennes. J’étais habituée à manger asiatique avec maman mais c’était totalement différent, sa cuisine est aussi fine qu’en Asie. Mais avant d’aller au Vietnam ni moi ni elle ne connaissions cette manière particulière d’agrémenter les bouillons d’herbes et de viande. Maman cuisine les nems et le riz comme au Vietnam, mais l’accommodement du riz gluant, du serpent et de la chauve-souris nous était inconnu.

Le marché fruits et légumes à china town , HCMV le fruit du dragon

Petit plat

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Petit déjeuner vietnamien 

Ho Chi Minh Ville, jeudi 12 juin 2008, 8h

Pour le petit déjeuner, je me suis adaptée à la nourriture Vietnamienne : une soupe, tout ce qu’il y a de plus classique. Ce fut pour moi un véritable choc culturel. La pâte à tartiner chocolatée et les céréales n’existent pas au Vietnam. J’ai essayé de manger salé. Le premier jour ça fait bizarre de prendre le matin un bouillon au piment, composé de poulet, de sala-des, de germes de soja, de petites rondelles d’oignons, des nouilles et encore de toutes ces herbes, dont je ne parviens jamais à me souvenir du nom. Parfois, nous allions dans des lieux où l’on servait un petit-déjeuner d’inspiration européenne : une baguette de pain à la française avec deux œufs au plat, que nous pouvions, selon notre envie, servir avec du pi-ment frais et de la sauce au soja. Je regardais, ébahie, maman prendre son petit déjeuner. Maman ne mange aucun plat sans piment, elle adore les épices fortes. Elle était vraiment dans son élément. Ici, au Vietnam, il n’est pas dans les habitudes de manger sucré et le pe-tit-déjeuner ne se distingue pas des autres repas.

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Une Pluie torride Ho Chi Minh Ville, jeudi 12 juin 2008

Au mois de juin commence au Vietnam la saison des pluies, qui dure jusqu’en septembre. Il n’y a ni orages, ni tonnerre, juste des gouttes très puissantes propulsées par des gros nuages gris. Parfois, des formes sombres apparaissent dans le ciel aussi vite qu’ils disparaissent. Certains matins, il fait aussi chaud que sous les tropiques. Je sortais une jupe du placard, et l’après-midi la pluie arrivait au grand galop, pour se déverser abondamment. En France, le matin est nuageux et la pluie arrive peu à peu dans un mouvement de « crescendo ». Mais ici, la pluie vous tombe sur la tête sans crier gare. Pourtant, les vietnamiens semblent très bien comprendre les caprices du ciel. Ils détiennent cet art si particulier de l’anticipation, qu’ils parviennent toujours à enfiler leur cape, juste au moment opportun, pour ne pas se mouiller.

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Les cyclotouristes d’Ho Chi Minh Ville sont vraiment dotés d’excellents réflexes. Dès que la pluie s’annonce, dans un mouvement synchronisé, ils sortent immédiatement leurs capes de leur sac ou de leur siège. En général, la pluie ne dure guère plus d’une heure et le beau temps re-vient aussitôt. La pluie est très chaude. Du coup la touffeur ne diminue pas en intensité, malgré les ondées. Avec l’arrivée de la pluie, le tableau qu’offre la ville change immédiate-ment. En une fraction de seconde, Ho Chi Minh Ville semble se muer instantanément en se dra-pant d’un immense manteau multicolore. D’un seul coup, des milliers de capes de toutes les couleurs sillonnent la cité à toute vitesse et en tout sens. Chaque habitant semble constituer l’élément d’un immense jeu de couleurs grouillant sous une pluie épaisse. Qui n’a jamais vu Ho Chi Minh Ville sous la pluie ne peut comprendre l’ambiance si particulière qui anime cette ville : un mélange bouillant de couleur et de légèreté. C’est comme cela que j’aime Ho Chi Minh Ville.

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Un jeu très amusant

 

Ho Chi Minh Ville, jeudi 12 juin 2008, 16h Avec un grand soleil dans la vie et dans notre cœur, l’après-midi, le stress s’échappe enfin de chez moi, laissant place, comme par un véritable enchantement, à un aspect inconnu de ma personnalité : « femme d’affaire ». Je découvrais ainsi, un jeu particulièrement prisé au Vietnam : le marchandage. Tout en prenant des photos, nous nous sommes approchées du « marché couvert ». C’est Phim Pha qui nous l’avait conseillé. C’est le plus grand marché de Saigon. Aujourd’hui, je préfère dire Saigon et non Ho Chi Minh Ville. Saigon résonne de manière plus poétique. Saigon a été débaptisé lorsque les Américains ont quitté la ville en 1975. Ho Chi Minh est le nom du général qui a ramené la paix dans le pays en gagnant la guerre. Le marché couvert de Saigon, livre des couleurs discrètes mais le bruit y est assez imposant. Les odeurs sont incommodantes, mais avec le temps, on finit par s’habituer. Les stands alignés livrent un ensemble à la fois hétéroclite et étouffant. La moindre parcelle d’espace semble inévitablement occupée. De plus, les vendeurs ne te laissent jamais passer sans te regarder longuement. Le plus souvent, ils t’attrapent par le bras et tentent de t’influencer en te mon-trant les articles les plus chers. Ils te disent un prix, cher, beaucoup trop cher. Ils te montrent une calculette pour que tu écrives à ton tour le prix qui te convient. Si le vendeur propose 135 000 dongs (environ 5€) je réponds 35 000 dongs (environ 1,50€). Le jeu consiste pour le vendeur à obligatoirement descendre son prix de départ et toi à monter par rapport à ta proposition initiale. Le bon prix est un compromis entre les deux, par exemple 60 000 dongs (autour de 2,50€). J’aime beaucoup marchander, alors que ma mère a honte de le faire. Sa géné-rosité lui joue des tours. En marchandant on me prend pour une adulte, cela me plaît vraiment beaucoup. Ici, il n’y a aucune agressivité. Le marchandage est un jeu d’une indescriptible lé-gèreté.

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Tout se joue entre le vendeur et l’acheteur, la règle consiste à se maintenir sur un échange de douceur, de sourire et de très grande courtoisie. Marchander à Saigon est une grande leçon de vie. Ce n’est pas seulement rigolo, c’est aussi un moyen de se découvrir. J’ai ainsi appris à découvrir le culot, oser sans avoir honte. Ce fut pour moi une grande leçon qui m’a permis de prendre confiance en moi. J’ai l’impression d’avoir gagné dix ans en maturité, uniquement par le jeu du marchandage. C’est une étrange sensation. Du coup, le marchandage m’a beaucoup rapprochée des Vietnamiens. J’ai appris, par ce moyen, à les rencontrer. Leur regard ne me dé-range presque plus. J’ai découvert leur vrai personnalité, leur générosité, leur gentillesse. Ce soir, je trouve leur sourire fabuleux. Je suis contente et je veux que le temps passe plus doucement. Grâce à Phim Pha, je n’ai pas eu honte de marchander. J’ai compris que cela s’ins-crivait dans les coutumes d’ici. En plus, si je n’avais pas marchandé, ma tirelire aurait com-plètement explosé. Les gens sont si gentils que je vois ce pays d’une façon complètement dif-férente. J’ai enfin réalisé la chance que j’avais d’être ici. Le temps passe vite.

En fin d’après-midi, Phim Pha nous fait découvrir un nouveau restaurant. Un établissement spé-cialisé dans les petits plats vietnamiens. Il y avait des plats qu’on pouvait confectionner soi-même. D’autres enroulés constitués de feuilles de bananier, d’autres à base de noix de co-co. Ces préparations étaient crues ou cuites à la vapeur. La découverte de cette cuisine tra-ditionnelle ne m’a pas entièrement déplu. Aux plats crus, je préfère les « rouleaux de prin-temps ». Tandis que j’écris ces lignes, la saveur me revient à la bouche. Un goût de rien mé-langé à quelques épices s’imprégnant dans ma bouche. J’ai préféré les sauces, sans doute parce que je les connaissais, comme la sauce nems, soja, ou à base de noisettes.

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Aimer sans rien comprendre…

 Ho chi Minh, jeudi 13 juin 2008, 22h

Ce matin, il pleut. Je rentre à l’hôtel. Je me couche. Le sommeil n’arrive pas à m’emporter dans son monde de rêves mais, la nostalgie et surtout la différence avec la France me font réfléchir. Cette différence se retrouve dans la générosité, l’état d’esprit et la façon de vivre. En France, nous sommes beaucoup plus individualistes. Je devrais découvrir plus tard un pan entier de cette générosité d’abord lorsque tombant malade, les villageois de Tran Hoi se mobiliseront pour m’apporter des fruits pour les vitamines C. Cette bonté nous la ren-contrerons à nouveau, lorsque les habitants de Tran Hoi, un village dépourvu d’eau courante, nous installeront une pompe pour nous permettre de nous doucher. J’aime le Vietnam. J’ai en-vie de revoir mes proches tout en restant ici. Je commence à m’attacher à ce pays et à ses habitants, leur gentillesse, leur générosité, toutes ces qualités qui sont si importantes pour moi. En fin de journée, je suis allée, avec Phim Pha et maman, assister à une pièce de théâtre Franco-vietnamienne, inspirée d’Antigone de Sophocle. Je n’ai pas compris cette his-toire de femme qui se révolte contre l’autorité. Pendant la représentation, les comédiens français traduisaient les acteurs vietnamiens et inversement. Tout cela me paraissait un peu confus. Mais j’ai quand-même aimé sans rien comprendre…

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Un voyage cyclo dans une image animée…

Ho Chi Minh Ville, 13 juin 2008, 10h30 Trop cool nous avons internet! Aujourd’hui l’hôtel nous a annoncé que nous avions internet, nous pouvons enfin donner des nouvelles, la joie m’envahie. Depuis que je suis au Vietnam, chaque jour un cyclo nous demande si on veut faire un tour. Un cyclo ressemble à une sorte de vélo, avec à la place du guidon le siège. Le cyclo peut transporter une charge élevée, puisque deux personnes peuvent prendre place. La décoration du siège est soit unie soit constituée de motifs colorés ou fleuris. Le frein est situé à l’arrière, il est activé par le pilote comme une sorte de frein à main. Jusque là, j’avais toujours refusé de monter dans une de ces drôles de machines. Et puis, al-lez savoir pourquoi, aujourd’hui j’ai accepté. Je ne l’ai pas regretté, la balade a été génia-le. Au moment où je me suis assise dans le cyclo et que notre conducteur a commencé à pédaler, j’avais l’impression d’évoluer dans une image animée. Au début, le cyclomotoriste ne m’inspi-rait guère confiance, ensuite il m’a paru très gentil. Nous avons ainsi visité la grande vil-le, en nous arrêtant dans des lieux très connus ici. Le Palace de L’indépendance est un bâti-ment très grand. Souvent des mariages y sont organisés, comme aujourd’hui. Sans doute une per-sonne importante au vu des nombreuses équipes de télévision qui s’y trouvent.

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Le musée de la guerre est un moment d’intense émotion. Quand je regarde dans l’objectif de mon appareil j’y vois flou, les larmes restent bloquées dans mes yeux, elles ne veulent pas sor-tir. vomir.

La guerre est terrifiante. Les photos exposées sont cruelles. Il y a ces cadavres de bébés em-pilés, recouverts de sang. J’en ai la chair de poule. Je ne peux regarder plus longtemps. J’ai envie de

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Les handicaps sont graves et m’ont fait sortir les larmes qui restaient bloquées en moi. Les enfants ont gardé les stigmates de la guerre. Cela se voit à travers les dessins qu’ils expo-sent. Ces œuvres sont très centrées sur la paix dans le monde. Ils expriment leur « point de vue » par des dessins très symboliques. Je pense à ce dessin qui représente la terre avec un sparadrap, tenue par deux mains. Les enfants n’ont pas connu cette guerre, mais ils restent hantés par elle, comme un mal qui continuerait à leur ronger l’imaginaire. Quand je suis re-montée sur le cyclo, mes yeux se fermaient sans le vouloir. Les images du musée de la guerre continuaient à m’imprégner l’esprit.

Les dessins réalisés par des enfants de 10 à 16 ans en mémoire de ces guerres

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Une halte devant « China Town » le plus grand marché chinois d’ Ho Chi Minh Ville me permis de me remettre de ce que je viens de voir. La fatigue reprend le dessus. Je ne parviens plus à me contrôler. Je m’endors sur le rythme de mes pas. La promenade à travers la ville fut un grand moment d’émotions. Puis vint le temps de régler le cyclo. Une somme exorbitante nous est de-mandée : un million de dongs par personne, l’équivalent d’un mois de salaire pour une balade de deux heures. Maman paye cette somme sans sourciller. Elle m’explique que cet homme n’était pas un escroc. Il doit simplement nourrir sa famille. Elle me dit : « Si nous ne voulions pas nous faire avoir, c’était à nous de fixer le prix avant la course ». Je suis quand même assez en colère. Je n’aime pas me faire gruger. Maman dans un grand esprit de sagesse ne trouve que des aspects positifs à cette manifestation de la débrouille humaine. Elle essaye de me raison-ner mais je reste quand même très dubitative. Maintenant repos.

Shopping entre filles…

 

Ho Chi Minh Ville, vendredi 13juin 2008, 19h

Ce matin le soleil nous guide jusqu’à l’ambassade de France pour une rencontre avec le direc-teur des affaires culturelles. C’est un ancien professeur d’arts plastiques. Il est tout de suite touché par la démarche de maman. Après le rendez-vous, la pluie drue nous oblige à pren-dre un taxi. Le temps est si changeant qu’on ne sait jamais comment s’habiller le matin. Nous sommes rentrés à l’hôtel, attendre Phim Pha, qui devait venir me chercher pour une séance de shopping entre filles et une flânerie avec sa mobylette. Les magasins de fringues ressemblent beaucoup à ceux de France, les mêmes prénoms et les mêmes types de vêtements. Nous nous sommes super bien amusées. J’aime beaucoup Phim Pha, une jeune femme en or. En rentrant, je regarde un documentaire sur l’Asie. C’est en anglais. Je ne comprends pas tout. J’aime bien. Mainte-nant il faut manger.

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Veille d’un nouveau dépaysement…

 

Ho Chi Minh Ville, samedi 14 juin 2008, 18h Ce matin, la pluie tombe et le soleil se cache derrière ses amis les nuages. Nous allons quand même visiter et prendre en photos cette ville sublime. Les écoliers sont en vacances depuis environ 15 jours. Chaque midi, sur des bancs, les filles s’installent d’un côté et les garçons de l’autre. Les unes comme les autres semblent frappés d’une gracieuse élégance. Les garçons sont autour de leurs deux roues et proposent un tour aux filles qui tantôt acceptent tantôt refusent. De part et d’autre, une très grande douceur se dégage de ces visages illuminés par leurs merveilleux sourires. Pendant que j’observe ces activités, maman appelle Phim Pha pour savoir si on peut manger ensemble pour notre dernière soirée à Ho Chi Minh. L’angoisse m’envahie à l’idée d’être une nouvelle fois dépaysée. J’espère que le choc ne va pas trop être terrible. Demain matin nous nous levons à 4h du matin pour prendre l’avion pour Ca Mau.

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Grand départ vers Ca Màu

 

Ca Mau dimanche 15 juin 2008

La liaison entre Ho Chi Minh Ville et Ca Mau est assurée par un vol intérieur de Vietnam Air-lines. Le billet aller/ retour coûte 1550000 dongs environ 60 €. Le voyage dure à peine trois quart d’heure. Le changement de paysage est radical. En décollant d’Ho Chi Minh Ville, la vi-sion à travers le hublot offre un paysage urbain qui, très vite se transforme en rizière. La piste d’atterrissage semble aussi petite qu’une de nos routes départementales. L’aéroport est comme planté au milieu d’immenses rizières. Je prends tout de suite conscience, qu’ici, nous serons désormais assez éloignés de la ville et de ses agitations.

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Trajet en pirogue Ca Mau, LUNDI 16 juin 2008

La nuit à Ca Mau fut fraîche et agréable, mais beaucoup trop courte. Pour nous rendre au centre de Tran Hoi nous devons emprunter un taxi et une pirogue. Le trajet dure environ deux heures. Nous partons tôt le matin, vers les 6h. Le taxi qui nous amène jusque la pirogue est très confortable. Climatisé, il est aussi équipé d’une mini télé avec écran plat. Au Vietnam, les taxis sont très confortables et sont très souvent équipés d’écran plat. Une odeur de désinfec-tant imprègne l’habitacle. Nous voyageons dans un véhicule vraiment très propre.

Parvenus à la pirogue, nous sommes attendus par une femme aux longs cheveux bruns qui donnaient à son visage un caractère énigmatique. De prime abord, elle semble méfiante. Notre présence doit l’intriguer. Cette femme est membre du comité populaire. Le comité populaire est une orga-nisation chargée de régler des tas de questions qui concernent les habitants, ça touche aussi bien l’hôpital, que la distribution de l’eau, ou des choses liées à l’éducation. Au Vietnam, où que nous allions, il y a toujours un membre du comité populaire pour nous accueillir et nous accompagner.

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Très vite, le voyage en pirogue devient compliqué. Nous prenons rapidement l’eau. Nous sommes inquiets pour les appareils photos. La pirogue est le moyen de transport quasi obligatoire pour se rendre à Tran Hoi. Les routes sont trop étroites pour des voitures, et seulement ac-cessibles aux deux roues. Et le village est entouré par la rivière. Sur la rivière, nous croisons de nombreux bateaux, qui provoquent de grands mouvements de vagues, qui ne manquent jamais de nous tremper un peu plus. Le rivage est jalonné de petites maisons en bois sur pi-lotis. Ces petites maisons humbles semblent bien seules pour affronter les caprices de l’eau. La rivière est très boueuse. Étrange toute cette eau saumâtre. Je n’ai jamais compris pour-quoi l’eau ne parvenait pas à être plus claire dans cette région du Delta du Mékong.

Les abords sont peuplés d’une végétation, dont les feuillages de bananiers et de palmiers oc-troient au paysage une couleur très joyeuse, malgré la présence de ces maisons si fragiles, qui semblent respirer un parfum de mélancolie. Une odeur fruitée mêlée à celle de poissons procure à l’atmosphère une senteur inédite pour mes sens.

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L’accueil de Tran Hoi Tran Hoi, LUNDI 16 juin 2008

A Tran Hoi, nous sommes chaleureusement accueillis par les gens du centre. Lorsque mes pieds touchent la terre j’éprouve à nouveau une sensation de sécurité, bien que l’inconnu qui nous attend m’angoisse un peu. J’en suis toujours à me demander ce qui va m’attendre. Un voyage est toujours quelque chose de délicat. Je perds sans cesse mes repères. Je ne sais jamais de quoi demain sera fait. Le trajet jusque Tran Hoi m’a complètement endormi. Pour accéder au centre, le respect nous oblige à ôter nos chaussures. Le Centre de Tan Hoi est un établissement de confort destiné aux enfants handicapés, qui a été construit par l’ONG Enfants du monde. Il accueille pendant la journée une centaine d’enfants

âgés de 5 à 16 ans. Certains ont un handicap si léger, qu’en France ils ne seraient pas considé-rés comme tels, comme les épileptiques. D’au-tres sont plus gravement atteints. Trente ans après la fin de la guerre du Vietnam, les consé-quences de l’agent orange continuent d’être un véritable cauchemar pour des milliers d’enfants vietnamiens qui n’ont pourtant pas connu cette sale guerre. Le traumatisme reste palpable, même si les enfants dans leur très grande légèreté expriment très rarement leurs émotions.

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Dans le village de Tran Hoi je ressens une certaine méfiance de la part des villageois. Les gens d’ici sont accueillants, mais ils rencontrent peu d’européens ou de touristes et jamais d’artistes. Pour une jeune européenne habituée à vivre dans un certain confort, la première impression peut laisser perplexe. J’ignore pourquoi je m’attache à des détails insignifiants. Je m’aperçois qu’on est souvent plus exigeant lorsqu’on voyage à l’étranger. Je braque ici mon attention sur des choses que je ne verrais même pas en France. La première sensation que j’é-prouve, en arrivant au centre de Tran Hoi, est quelque chose qui me rappelle l’inachèvement. D’emblée, je remarque la porte d’entrée qui ne se ferme pas. J’observe qu’il n’y a pas de vo-lets. Sur les hauteurs, des encaves dans les murs logent des fils électriques dispersés de ma-nière brouillonne. Le sol carrelé accueille une multitude de fourmis.

Un petit instant de flash back, je fais le parallèle avec notre maison à Bonnieux, ou la porte d’entrée ne ferme pas le toit est inachevé, les fourmis aussi occupent une grande partie de notre maison, je m’aperçois que ce n’est pas si différent. Pour revenir à Tran Hoi et la dé-couverte du lieu dans lequel nous allons résider pendant 12jours, je vois au fond de la piè-ce un lit d’hôpital en fer qui m’enlève toute envie de dormir. Un miroir trône sur la droite d’un mur défraîchi. Ce miroir est destiné à la rééducation. Je n’ose pas m’en approcher. Je suis dans un état de complète déliquescence. Ma tête transpire. Mes cheveux sont lisses comme des baguettes. J’ai honte d’être aussi laide. Même un gecko n’oserait pas s’approcher.

A l’intérieur, les murs sont plutôt ternes. Le vert kaki domine les hauteurs jusqu’au plafond, tandis que le marron occupe la partie médiane, le reste de la surface étant peinte en blanc, avec quelques nuances de gris. Il n’y a pas d’odeurs particulières sauf peut-être dans la sal-le d’eau qui dégage une étrange senteur. Comme beaucoup de villages ruraux du sud Vietnam, il n’y a pas d’eau courante à Tan Hoi. En même temps toute l’installation sanitaire a été mise en place. Le centre n’attend plus qu’à être raccordé. Du coup, les toilettes sont bien équipées d’une cuvette, mais la chasse d’eau ne fonctionne pas. Dans la salle d’eau, un seau peut ser-vir à la fois pour une éventuelle toilette, ou pour rincer les tasses de thé. Le centre ne fonctionnant pas la nuit, aucun pensionnaire n’a vraiment besoin de se laver ici.

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Dans la salle principale, il y a un mini réfrigérateur, hors service, mais qui sert encore de table pour les plateaux de thé. Je n’aime pas le thé que l’on nous sert ici, je ne parviens pas à lui trouver du goût. J’ai la désagréable impression d’absorber un breuvage à base de fleurs de pissenlit. Chaque après-midi, Mme Van, la responsable du centre, amène des noix de coco à boire. Mais là encore, je n’aime pas ce breuvage, que je trouve beaucoup trop amer. Peut être, ai-je trop pris l’habitude en France de manger sucré : le chocolat, les biscuits, les pâtes à tartiner. Peut être, que mon goût est devenu trop conformiste, pour pouvoir appré-cier des choses qui seraient trop différentes de mes habitudes. Finalement, malgré mes efforts je m’aperçois que je reste souvent très fermée sur moi-même. Je ne m’ouvre pas suffisamment à ce qui est complètement différent de ce que je connais. D’un certain côté, cela me faisait de la peine de refuser le lait de noix de coco que m’apportait avec beaucoup de gentillesse Mme Van. Je me demandais ce qu’on pouvait penser de moi. Peut être que les vietnamiens me trou-vaient trop capricieuse. Je prenais peu à peu conscience que grandir, c’était aussi être capa-ble de s’ouvrir complètement à l’autre. Et je savais que de ce point de vue, j’avais encore beaucoup d’efforts à faire.

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Des enfants très concentrés  Tran Hoi, lundi 16 juin

De loin, au Vietnam comme en France, les enfants se ressemblent. D’ailleurs, de loin, tout le monde ressemble à tout le monde. Pour commencer à sentir la différence il faut s’approcher. Et en s’approchant, on découvre que les Français sont plus grands que les Vietnamiens. Cela m’a bien servi, puisque avec mes 1,54 je passais presque pour une adulte. Mais les véritables différences entre deux peuples tiennent davantage à leur manière de voir la vie qu’à des ca-ractéristiques physiques. J’aime beaucoup, chez les vietnamiens, leur manière de s’amuser pour un rien. Les jeunes vietnamiens sont sans doute plus drôles que nous. Un presque rien les amuse. J’adore leurs expressions. Simplement à les regarder, j’éclate de rire. Je trouve irrésistible certaines de leur expression.

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De tous les enfants du centre, Lazy m’a tout de suite intrigué. Sa nonchalance a quelque chose d’incroyable. Lazy est un doux rêveur. Ses pensées sont toujours ailleurs. A 14 ans il est ca-pable de rester des heures durant, seul, assis sur une chaise, à rêvasser. Lorsqu’il quitte sa chaise c’est souvent pour aller se recoiffer. La nonchalance de Lazy ne l’empêche pas d’être un grand coquet. Lazy se laisse vivre. Il est très bon en photo, même s’il faut en permanence le motiver. J’aime beaucoup aussi Khanh. Ce garçon de 15 ans possède beaucoup de charme. Il est d’une grande patience, tout comme son frère Hao. Tous les deux sont dotés d’une très gran-de générosité et sont vraiment très gentils.

Oanh alias Lazy

Khanh et son petit frère Hao

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Selon maman, les enfants avec qui nous travaillons à Tran Hoi ont une meilleure concentration que les jeunes français. J’ignore si c’est la même chose, en ce qui concerne les adultes. Ici, beaucoup d’enfants ont une soif de sa-voir, ce n’est pas comme en France, où de nombreux élèves semblent complètement blasés. Ici, les élèves veulent tout savoir.

Par exemple Giang à 13 ans aimerait être premier de sa classe. Il veut tout connaître sur tout. Il est très sympathique. Il aime se laisser photographier à la manière d’un top model. Il veut toujours être sur les photos.

Giang et Phim Pha

Giang toujours prêt à prendre la pose manière Top Model

Giang avec Lou et Mr.xxxxxxxx( à droite) dessous avec Oanh alias Lazy et Bao

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J’aime beaucoup aussi Tien, une fille très sensible avec un merveilleux sourire pour irradier son visage. Vinh est très volontaire et adore feuilleter des livres. Je suis impressionnée par les efforts que font ces enfants pour parvenir à réussir ce qu’ils commencent.

Les Vietnamiens ne montrent pas souvent leurs émotions sauf quand ils sont vraiment très tris-tes ou très joyeux. Lorsque j’ai quitté Tran Hoi, les enfants du centre de Tan Hoi ont tous pleuré, y compris ceux dont le caractère semblait très solide comme Dieu. Elle était la plus âgée. Belle comme une fleur, elle est vraiment très douée en dessin et en photo. Dotée d’une grande imagination, Dieu exprimait rarement ses émotions,à part à travers l’image. En France, souvent pour un rien les larmes coulent. Alors qu’au Vietnam les enfants s’amusent de tout. Une simple plume peut devenir pendant des heures, un objet d’amusement. Au Vietnam les enfants aiment beaucoup aussi les contes. Au Vietnam, il ne faut jamais décevoir en amitié et ne pas lancer des promesses si on compte ne pas les tenir. Le vietnamien est capable d’attendre très longtemps quelqu’un qui lui aurait fait une promesse et fini par être très déçu, si la parole n’a pas été tenue. Un jour, une vietnamienne m’a dit « L’amitié doit faire du bien si c’est pour faire du mal ça ne sert à rien » Cette phrase m’a longtemps habitée pendant mon voyage. L’amitié au Vietnam est une lumière douce qui éclaire ta propre vie. En France, les amitiés sont parfois très obscures, surtout lorsqu’elles sont ponctuées de malentendus, de disputes, d’incompréhension... A quoi bon les amis, si c’est pour se retrouver seule et incomprise... A quoi bon les amis qui te jalousent ou te dénigrent. Ce soir je rêvais d’une amitié profonde, joyeuse et pas prise de tête...

Le beau sourire de Tien Vinh toujours volontaire La talentueuse Dieu

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Aller jusqu’au bout…

Tran Hoi, mardi 17 juin

En venant au Vietnam, les choses ont pris une étrange résonance. Je n’étais plus seulement la fille de maman. J’étais désormais son assistante. Je me souviens du jour, où à Bonnieux elle m’avait présenté son projet. « Lou es-tu prête à me suivre dans cette aventure. Je te pré-viens, ce sera très difficile ! Si tu acceptes, il faut que tu saches que ce sera un engage-ment, il faudra aller jusqu’au bout. Tu devras assurer des ateliers avec les enfants et sur-tout t’attacher à tenir ton journal. Personne ne pourra t’aider. Tu seras seule, devant les pages blanches de ton carnet ».

Les phrases de maman me revenaient comme si elles avaient été prononcées il y a quelques heu-res à peine. J’avais accepté, sans savoir à quel point les choses auraient été si difficiles. J’avais du mal à écrire ces mots. Les phrases me venaient parfois avec beaucoup de diffi-cultés. Des fois, je ne comprenais même plus ce que j’écrivais. Chaque soir, maman me tannait pour tenir ce journal. Et le soir j’étais parfois si lasse, je n’avais pas envie. Maman me gonflait avec son journal. J’étais fatiguée. Je souhaitais dormir. Je ne voulais pas que la rédaction de ce journal m’envahisse. J’avais parfois envie d’être une petite fille de douze ans qui regarde la télévision en mangeant de la pâte à tartiner. De retour en France, je de-vrais exposer devant mes camarades de classe ce que j’avais vécu ici au Vietnam. A ce moment-là, certains diront peut être que je me la joue, ignorant sans doute, comment tout cela me sembla particulièrement difficile.

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Rigueur et méthode dans la création artistique

 Tran Hoi, mercredi 18 juin

Au centre de Tran Hoi, l’ensemble de nos activités va bien évidemment tourner autour de l’ima-ge. Nous nous séparons en deux groupes. Pendant que l’un appréhende la technique du cadrage l’autre groupe peaufine son éducation à l’image par l’art plastique. Pour maman l’art plasti-que est très important pour comprendre comment fonctionne une image photographique. La techni-que du crayon gris sert à approcher le noir et blanc et le collage à comprendre la gestion de l’espace, les enfants découvrant comment structurer une image en travaillant sur une feuille A4. Tout cela, se fait sur un mode ludique, la création artistique étant, pour maman, à la fois une école de rigueur et aussi un lieu d’évasion et de repos.

L’univers photographique de maman lui est vraiment très propre. Sa technique à la fois du ca-drage et du tirage lui sont très particulières. Elle seule sait rendre un noir parfaitement noir, avec cette intensité profonde qui lui permet en même temps de respecter toute la gamme des gris. Ici, au Vietnam, pour des raisons pratiques, nous avons travaillé pour l’instant que principalement en numérique. Installer une chambre noire au centre de Tran Hoi semblait trop incertain, notamment à cause du problème de l’eau.

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Les leçons de maman pour réaliser des images puissantes 

Lorsque maman évoque le cadrage, elle en parle toujours avec passion. Elle semble propulsée par une inépuisable énergie dans son envie de partager son savoir. Elle utilise toujours beau-coup d’exemples pour rendre très vivant son exposé. Peu de gens savent parler du cadrage com-me elle. Maman explique d’abord comment porter un appareil photo. Elle dit qu’il ne doit pas y avoir de distance entre l’œil et l’appareil. Car la distance nous fait incliner l’appareil. La distance empêche la fusion entre le regard du photographe et l’appareil. Pour maman, l’ap-pareil doit être le prolongement de la propre vision du photographe. Entretenir une distance entre l’œil du photographe et l’appareil c’est modifier le jeu des perspectives en affaiblis-sant la force de l’image.

Un tiers/ deux tiers 

Premier conseil qu’enseigne maman, le un tiers/ deux tiers. Rares sont les images qui suppor-tent d’être centrées. Regardez ces photos, elles sont construites sur le même schéma, même si le motif en est complètement différent.

Cette image est un mo-tif graphique, deux tiers à gauche, un tiers à droite.

Ici les lignes sont constituées par les personnages, deux tiers à gauche, un tiers à droite.

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Un sujet unique au centre de l’image en affaiblit la force. Pour maman, la règle du un tiers/ deux tiers permet de donner une expression plus forte en sortant le sujet du centre. Regardez, toutes les photos de mon journal respectent cette règle.

Plongée/ contre plongée 

Deuxième conseil, concerne l’usage de la plongée ou de la contre-plongée, c’est-à-dire en se plaçant soit au-dessus du sujet soit en dessous. Maman dit toujours qu’il faut éviter le face-à-face avec le sujet. Photographier c’est interpréter la réalité. Or, si le photographe se situe exactement en face de son sujet, plus aucune interprétation du réel n’est possible.

Une photo prise du haut s’appelle

plongée

Une photo prise d’en bas s’appelle contre plongée

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De mon côté, j’interviens d’abord avec les enfants sur la pratique du grattage. Il s’agit sim-plement de gratter sur le sol ou, sur un objet en bois, un motif avec un crayon de couleur ; un papier blanc assez fin servira à reproduire les motifs en relief. Nous compliquons ensuite l’exercice en ajoutant à la fois du collage, du découpage et du coloriage en utilisant du pa-pier journal, des crayons de couleurs et des ciseaux. Je leur apprends également la prolonga-tion de ligne. On obtient avec les enfants des résultats tout à fait surprenants, simplement par le jeu des prolongations de ligne, un nouveau paysage peut ainsi se former à la stupéfac-tion générale. Autre technique, le marbling qui rencontre un franc succès. Dans un bac d’eau, sur plusieurs minuscules bouts de papier on verse une goutte d’encre de couleur et à l’aide d’une fine ba-guette, le but est de créer des formes. En trempant une petite feuille de papier se forme un dessin. Une forme de magie se dégage de cet atelier. Les enfants ouvrent les yeux très grands et sont comme fascinés par l’atmosphère très sereine qui se dégage en pratiquant le marbling. C’est une activité très reposante. Un silence absolu nous entoure. L’importance est à la fois le résultat mais aussi la manière de pratiquer, dans une sorte de recherche d’harmonie avec soi-même et les autres. C’est un exercice qui appelle à une grande maîtrise de soi. Il s’agit vraiment d’être capable de contrôler le moindre de ses mouvements. Cela explique peut être l’atmosphère très particulière qui se dégage dans la pratique du marbling. La pratique des arts plastiques est toujours très agréable. De son côté maman enseigne le cadrage. Les enfants sortent dans le village avec le matériel professionnel. Les enfants photographient le thème qu’ils souhaitent. Le matin, lors d’un briefing maman corrige sur ordinateur les erreurs de cadrage. Jamais les enfants du centre ne se lassent d’écouter maman. Il faut dire qu’elle est tellement emportée parce qu’elle raconte, que même d’autres enfants du village viennent l’écouter.

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Les enfants adorent également le land art. C’est une activité artistique qui doit sans doute leur sembler très étrange. Le land art est une composition construite avec des éléments natu-rels : des cailloux, feuilles, sables, branches etc. L’idée est de s’adonner à sa créativité en prenant les éléments qui nous tombent sous la main. Une simple feuille, ordonnée d’une certaine manière et entrant en relation avec un autre objet peut produire un objet à la fois étrange, beau et déroutant. Maman dit que le land art permet d’apprendre la gestion de l’ima-ge et des volumes. Cela entraîne le regard à appréhender la notion d’ombre. Ainsi avec le land art on parvient à comprendre comment des angles différents, peuvent donner des expres-sions différentes. J’aime beaucoup le Land Art et cette façon de procéder où avec des maté-riaux naturels nous pouvons concevoir des dessins. Parfois cela donne des compositions abs-traites. Ici au Vietnam, les enfants ont une grande imagination. Et souvent lorsque le thème leur parle, ils savent faire ressortir ce qu’ils ont d’ancré en eux. Des villageois viennent en petits groupes observer les enfants. Eux aussi semblent fasciner par le land art.

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Un parapluie en feuille de bananier Tran Hoi, jeudi 24 juin 2008

J’enseigne à un petit groupe les techniques de prise de vues vidéo. Chaque jour, nous organi-sons une sortie au village. Aujourd’hui un grand soleil nous inonde, le ciel est d’un bleu in-tense. Quelques nuages blancs, grosses boules de chantilly se pavanent au-dessus de nos têtes. Les enfants me guident jusqu’au jardin de Mme Van. Un immense jardin, par lequel on accède en traversant une branche de bois au-dessus d’une étendue d’eau. Le lieu respire quelque chose du paradis. Les cocotiers flânent aux côtés des bananiers, des grenouilles clapotent dans l’eau des mares, des plantes aux multiples éclats cherchent de l’ombre auprès des arbres. Le temps passe sur un rythme d’une exquise douceur. La chaleur ne semble pas vouloir nous lâcher. Sou-dain, les enfants s’agitent. Ils m’expliquent que la pluie ne va guère tarder à tomber. Je m’amuse de cette panique soudaine. Le ciel est si beau me dis-je, il est fort peu possible qu’il pleuve. Je ne crois pas un instant qu’il puisse pleuvoir. Je continue à prendre des pho-tos. Soudain quelques gouttes commencent à tomber. Mais il est trop tard. Très vite le ciel déverse des quantités incroyables de pluie, avant d’avoir le temps de réaliser ce qui se pas-se. Les enfants sont déjà à l’abri. Je ne sais pas comment rentrer. Je traverse à nouveau la branche qui surplombe la mare et me précipite vers la maison de Mme Van. Parvenue devant son entrée, je suis trempée de la tête aux pieds. La gentille dame me tend alors une feuille de bananier qu’elle venait de décrocher afin de m’en servir comme parapluie. Nous sommes retour-nés au centre, lorsque la pluie s’est un peu assagie. Je marchais avec mon parapluie végétal. J’étais quand même la seule à être mouillée. J’ai compris ce jour-là, qu’il ne fallait jamais se fier à ses propres habitudes, qui pouvaient parfois nous jouer des tours. Si j’avais sim-plement fait confiance aux enfants de Tran Hoi, qui avaient l’expérience de la pluie, jamais je n’aurais été trempée de cette manière. J’étais une idiote, je n’avais qu’à m’en prendre à moi-même, d’être aussi bornée, et de ne voir les choses qu’à travers mon seul point- de vue.

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Sortie dans le Delta du Mékong

 Tran Hoi, jeudi 26 juin

Aujourd’hui, une sortie est prévue jusqu’au Delta du Mékong à Hon Da Bac, un petit village si-tué à une vingtaine de kilomètres de Tran Hoi. Cette sortie était financée par le Comité Popu-laire afin de permettre aux enfants de sortir de Tran Hoi et de photographier d’autres paysa-ges. Mais ce matin, il pleut tellement que nous nous demandons maman et moi si la sortie sera main-tenue. Les enfants ont beaucoup de retard. Ils ne sont toujours pas arrivés, Nous n’avons tou-jours pas pris notre petit déjeuner. Il pleut vraiment beaucoup. Nous nous interrogeons sur l’organisation de la journée, quand Giang et Khanh surgissent pour nous apporter de la soupe. Ils nous font comprendre que le point de rendez-vous sera chez Mme Van. Le petit-déjeuner ter-miné, équipées de nos capes nous partons. Par cette pluie, En France la sortie aurait été an-nulée. Mais pour ces enfants, sortir du village était un véritable évènement. Ils sont telle-ment heureux que personne ne prend le risque de leur faire de la peine en annulant l’expédi-tion. Une armada de motos vient nous chercher. C’est un convoi assez impressionnant. Je m’a-grippe derrière mon motard. Une fois que Phim Pha nous rejoint, notre expédition entame son départ. J’adore faire de la moto. L’air qui nous embrasse le visage, le paysage qui s’anime. J’aime vraiment beaucoup la mobylette que je préfère au vélo. J’ai quand même un peu peur de rester seule avec les motards. Je suis inquiète, mais maman est toujours derrière ou devant moi, ce qui me rassure.

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Sur le chemin, le pneu avant de la moto de maman se dégonfle. Il faut trouver de l’aide sur le bord de la route. Nous trouvons un homme qui répare le pneu. Ce pays est quand même incroya-ble, au milieu de nulle part, nous trouvons un réparateur de pneus...

Nous attendons longuement et finalement mon motard décide de prendre maman avec ses deux sacs photos et de nous charrier sur sa petite moto. Nous touchons presque le sol, ça fait très mal aux fesses, mais nous roulons quand même, malgré le poids des trois personnes. Parvenus à notre destination, nous entamons notre promenade au moment même où la pluie cesse de nous arroser, mais le vent prend aus-sitôt la relève.

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A Hon Da Bac le paysage est à la fois fabuleux , mystérieux et surréaliste. La terre craquelée donne au paysage un aspect lunaire. Les fissures sont suffisamment larges pour laisser les poissons y nager. Quels étranges poissons, ils nagent la tête vers le ciel. Le paysage est incroyable, avec ses plantes, ses vagues, je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi déconcertant. Ici où là des sculptures d’éléphants et de crocodiles accentuent encore l’étrangeté du lieu. De chaque côté d’un pont en bois, des vagues immenses semblent jouer à la fois avec le ciel et avec le vent très puissant. Les enfants semblent fasciner par ce paysage, qui les inspire pour réali-ser des images photographiques. Leur visage souriant affiche un air de satisfaction. Je suis heureuse de les voir heureux. Nous marchons vers le vent qui semble s’opposer à notre progres-sion. C’est le bonheur. Les images réalisées par les enfants sont excellentes. Maman est très impressionnée. Elle dit qu’en quinze jours, ces enfants ont autant progressé qu’en une année en France. C’est un ré-sultat époustouflant. Les enfants savent rentrer dans le détail des plantes en tenant compte des problèmes de lumière, où alors ils photographient des traces au sol en jouant avec le re-lief, où encore ils prennent des photos de mer et des vagues tout en tenant compte des nuances de couleurs. Peu à peu l’appareil devient leurs propres yeux.

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Pour le déjeuner de midi, la pluie nous interdit de manger dehors. Un homme très gentil nous a accueillis dans sa petite maison en taule. Nous avons mangé du pain avec du poulet accompagné de sel à la noix de coco ou aux crevettes. J’ai bien aimé ce repas. Bon j’ai boudé les fruits du pique-nique . C’est comme ça, je cherche toujours un motif d’insatisfaction. C’est certai-nement une attitude très européenne. Un rien rend heureux les petits vietnamiens, alors qu’un rien me met de mauvaise humeur. Peut-être sommes-nous trop habitués à devoir posséder beaucoup pour nous contenter, au point que nous finissons par oublier l’inestimable valeur des choses simples.

Cet homme dans sa simplicité nous avait accueillis dans sa maison, pour la plus grande joie de son cœur. Il nous regar-dait, enveloppé d’un immense bonheur, de nous voir tous assis sur la terre battue à manger nos quelques victuailles.

Rassasiée nous reprenons nos motos. Phim Pha, maman et moi tirons vers l’hôtel tandis que le reste des équipages s’en retourne vers Tran Hoi. A l’hôtel, je saute dans le bain et j’y reste au moins une heure. Je me brosse les dents et je me connecte à internet. La belle vie, faite de confort et de modernité.

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Une belle journée remplie de rencontres.

Tran Hoi, vendredi 27 juin

L’après-midi, nous rencontrons une vieille dame que Phim Pha apprécie beaucoup, Marie-Thérèse (son nom catholique). C’était une frêle femme de 88 ans. Sa petite taille contrastait avec l’im-mense sourire qui donnait à tout son être une apparence à la fois de fragilité et de douceur. Marie-Thérèse habitait une jolie maisonnette à Cà Màu. Elle était extraordinaire, par la joie de vivre qu’elle laissait transpirer à travers son immense générosité. Elle avait fréquenté l’école française de Saigon. Aussi était-elle heureuse de parler français, quand l’occasion s’en présen-tait. Elle avait étudié la pâtisserie française, et continuait d’ailleurs fort bien à exceller dans ce domaine. Ses gâteaux étaient merveilleux. Marie Thérèse réalisait également ses propres yaourts. Lorsqu’elle qu’elle apprit que Maman n’aimait pas le sucre, elle se leva aussitôt afin de lui apporter des chips à la crevette. Tout le monde a ainsi pu se régaler en partageant ce moment de convivialité. Marie Thérèse est devenue catholique le jour où passant devant une égli-se elle s’écria « si vous sauvez mon fils je me convertis au christianisme ». Son fils fut sauvé et Marie Thérèse se convertie dans les heures qui suivirent. Depuis, elle interroge souvent les personnes qu’elle rencontre afin de savoir si elles sont catholiques. Elle adore les plantes qu’elle s’imprègne en permanence de leur senteur. J’aimerais beaucoup lui faire connaître la la-vande, afin de partager avec elle un petit morceau de Provence.

Maman souhaite immortaliser ces instants en prenant quelques photos. Mais soudain Marie-Thérèse semble contrariée. Elle se lève brusquement et disparaît au fond de la pièce. Nous nous demandons ce qui a pu se passer. Lorsqu’elle revient, elle tient dans la main une brosse à cheveux, et se met immédiatement à coiffer maman. Nous attrapons alors un fou rire. Il y a chez Marie Thérèse un souci du détail, une at-tention délicate qu’elle porte sur chaque chose que je trouve assez singulière. Après la séance photos,

Marie Thérèse notera méticuleusement nos coordonnées. Lorsque nous nous quittâmes, je savais qu’un jour où l’autre je reverrais Marie Thérèse.

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Après avoir quitté la maison de Marie Thérèse, nous nous dirigeons vers un petit restaurant de rue afin d’y manger une soupe. Soudain, une adolescente de la taille d’une petite fille de 8 ans, fine silhouette et très pale, nous aborde à notre table afin de nous demander de l’argent. Elle veut acheter du riz. Phim Pha lui propose de se joindre à nous, elle lui com-mande une soupe et nous explique que souvent des enfants cherchent de l’argent pour nourrir leur famille. C’est très rare qu’ils acceptent de s’installer à une table et d’y partager un repas. Cette enfant devait vraiment avoir très faim pour s’asseoir avec nous. Elle nous explique avoir quatre frères et sœurs. Comme elle est la plus âgée, elle doit sortir dans les rues pour demander aux passants à manger. Cette petite fille me bouleverse. Cela me cou-pe l’appétit. J’ai senti des crampes au ventre. Sans doute l’émotion ressentie en regardant manger cette petite fille en face de moi. Je l’observais en train de savourer sa soupe, je pense qu’elle attendait ce moment depuis longtemps. La pluie a commencé à tomber, le cuisi-nier de ce petit restaurant de rue nous a en vitesse déplacé sous un préau afin de nous per-mettre de terminer notre repas sans être totalement mouillé. Le repas terminé nous avons of-fert à la petite fille cinq soupes pour ses frères et sœurs. Je la regardais partir sous la pluie en me demandant quel serait son sort, quel lendemain l’attendait. Nous devions rentrer à l’hôtel sous l’averse. Nous avions oublié nos capes. La douleur de mes crampes ne cessait pas d’augmenter et Phim Pha engagea deux motards pour nous raccompa-gner à l’hôtel. Je suis montée avec Phim Pha. J’ai eu pendant quelques heures très mal au ventre et j’ai longuement repensé à cette petite fille jusqu’à que le sommeil ne m’emporte complètement.