Introduction Mohamed Charfi

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Introduction de l'ouvrage du professeur de droit feu Mohamed Charfi "Islam et Liberté, un malentendu historique"œuvre majeure de sa vie8, il s'inscrit dans la tradition du réformisme musulman et tunisien, dans un essai, qu'il articule autour de quatre grandes problématiques que sont l'intégrisme, le droit, l'État et l'éducation. Dénonçant l'extrémisme religieux et la vision de la charia comme œuvre divine8, il présente un point de vue libéral sur l'islam réconcilié avec les concepts du droit et de l'État8

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    ISLAM [1' UBE[{J 'E .bees en desuetude depuis des siecles, Le systerneban-caire" facteUf 'de;' -de\ ldQppe.mera, quand_ il est correcse-ment ofg1\!!lise.et bien dirige, foncsionae .normalernentdans laquasi-totalite des paysmusulmans malgreIa p.r

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    ISlAM ET LIBERTI:naute des musulmans), le regime politique nouveau,fonde theoriquernent sur la souverainete populaire, n'arien a voir avec le califat. Le regime juridique nouveaun'a rien a voir non plus avec la charia, ni par ses sourcesni par son contenu. Le droit nouveau est adopte par IeParlement theoriquernent issu du suffrage universel,alors que la charia est l'oeuvre des theologiens, Le droitpenal nouveau est concu pour rehabiliter le delinquantau au moins le mettre hors d'etat de nuire, alors que ledroit penal eharaique fait, comme tous les droitspenaux anciens, de chatiments corporels, eontient despeines, comme la lapidation, dont le but est de fairesouffrir.Ce sont 13 des innovations considerables qui n'ont

    jamais ete expliquees et justifiees 3 l'opinion. D'anneeen annee Ie fosse se creuse entre Ie systerne idealise etsacralise, herite des ancetres et propage par I'ecole, etIe systeme nouveau qui apparait de plus en plus commeetranger, importe et contraire 3 la religion. Les pOplr.lations souffrent ainsi d'une grave distorsion, d'unedechirure douloureuse et sont a la limite de la schizo-phrenic 4. Car elles ne veulent saerifier ni I'islam ni larnodernite. Elles sont autant attachees a l'islam en tantque religion qu'aux structures modernes de l'Etat dontelles revendiquent a juste titre la reelle democratisationet la representativite, En merne temps, elles sen tentconfusement la contradiction, voire I'Incompatibiliteentre les deux. Le dysfonctionnement du systernemusulman moderne est tel que la situation actuelledevient precaire,Les islamistes appartiennent a une fraction minori-

    taire de la population qui veut faire prevaloir I'islam surla modernite, Us ont un discours apparemment logiqueet coherent: nous sommes musulmans; nous devonsdone appliquer l'islam tel que nous l'avons herite et tel

    INTRODUcrIONdominant parce qu'ils ont l'allure de militants purs etdurs qui ont en face d'eux des n:gimes rouges par Ienepotisme, 1a corruption et l'incapacite de realiser Iedeveloppernent prornis. De plus et surtout, ils benefi-cient de I'immense avantage de l'absence d'un contre-discours credible. Car, dans la plupart des pays musul-mans, les attitudes reelles cornme le discours officiel desgouvernants traduisent une modernite hesitante, nonassumee et non conciliee avec l'islam. Sur ces troisaspects essentiels, la Tunisie se singularise par une atti-tude un peu plus coherente que les autres.

    Modemite hesitanteA la fin des annees 1950 et tout au long des annees1960, Ie monde arabe etait dechire entre plusieurs dis-cours politiques divergents. A l'Est, pays du CroissantIertile, le parti Baath regnait en maitre inconteste, EnEgypte et au Maghreb, trois hommes de grande stature,Nasser, Boumediene et Bourguiba developpaient desdiseours differents. Un parti et trois hommes avaientchacun sa strategie propre et son style particulier.Aujourdhui, il serait utile de tenter de comparer lesresultats de ces quatre approches.Le Baath etait, a ses debuts, un parti laic et moderne.Constitue par un noyau de chretiens et de musulmans

    qui ne pouvaient done s'entendre sur une base reli-gieuse, il a elabore un projet ind~endant des religions.Mais la modernisation de la societe etait pour lui secon-daire par rapport a l'objectif principal, l'unification dumonde arabe. Le modele, tant de fois cite et constam-ment present a l'esprit, etait celui de l'unification deJ'ltalie et de I'Allemagne au XIX" siecle. On pouvaitdone, surtout pOUI"agir vite, utiliser tous les moyens y

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    ISlAM ET UBERTI.

    Etat unificateur. Pour cela, les efforts ont ete concentre.,sur les forces armees. Au lieu de multiplier les federar ,tions de militants et les clubs d'intellectuels qui discu-tent, on aligne les bataillons de blindes qui s'affrontent.D'ou les putschs a repetition et finalement la scissiOllfentre Baath syrien et Baath irakien. ' .On chercherait en .vain la moindre divergence ideo-

    logique reelle pour expliquer l'opposition entre cesdeux fractions. En fait, entre ces deux armees, Ie eonflitne peut se eomprendre que si ron se rappelle que, lereve etant de reconstituer I'age d'or des Arabes, eet aged'or etait pour les Syriens eelui de la dynastie omayadedont la capitale etait Damas et pour les Irakiens eeluide la dynastie abbasside dont la capitale etait Bagdad.Le panarabisme n' est plus que de facade et se reduitdone a un miero-nationalisme expansionniste. Lesregimes sont de plus en plus autoritaires. Us font taireles concurrents, partisans d'un autre depassernent desfrontieres, les islamistes, Pour reduire leur influence, onessaie de contenter leur clientele, les couches socialestraditionnelles. Adieu done les projets de modernisa-tion. Le regime syrien s'allie a I'Islamisme radical del'lran et du Hizbollah libanais. En Irak, on va jusqu'apretendre que Michel Aflak, Ie president-fondateur duparti, d'origine chretienne, s'est converti a I'islam sur

    , son lit de mort ... pour tenter d'effacer cette sorte depeche originel , Au lendemain de l'invasion duKoweit, Saddam Hussein inscrit Allah akbar (Dieu estgrand) sur Ie drapeau irakien.Aujourd'hui, il suffit de se promener dans les villes

    du Moyen-Orient pour voir que la grande majorite desfemmes ont repris Ie voile, apres l'avoir abandorme aucours des annees 1950 et 1960. On peut en condureque les projets de laicite et de modernite ont ete sacri-fies au profit du projet d'unification qui a echoue. Leparti n'est plus que l'ombre de lui-merne. .. .

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    INTRODUCfION Quant aux trois hommes, Nasser, Boumediene etBourgtriba, un con flit, parfois feutre, souvent declare,k-s opposait. Des nuances separaient les deux premiersct une divergence profonde les opposait tous les deuxa Bourguiba.Nasser etait un grand tribun mobilisateur de foules,

    WI homme admire pour son honnetete et son integrite('1 un dirigeant sincerernent modemiste. Cependant,son modemisme etait hesitant paree qu'il passait ausecond plan par rapport a deux autres objectifs qu'iljugeait prioritaires : I'unite arabe et la liberation de laPalestine. Pour atteindre ees objectifs, il fallait mobiliserIe peuple, faire plaisir a l'opinion publique et n'ennegliger aucune fraction. Cette recherche d'adhesionpopulaire massive l'a amene a faire denormes conces-sions a la frange traditionnelle de la population. Certes,il s'est oppose aux freres musulmans et est aile jusqu'aI..ire executer leur doctrinaire Saied Kotb, mais cetteopposition ne concemait pas le fond des problernes etlie menait pas loin. C'etait en realite un conflit fratri-cide. Car l'islamisme et l'arabisme, etant les deuxIacettes de la strategie identitaire, sont parfois ennemismais toujours freres. Pour mieux s'opposer aux isla-rnistes qui avaient essaye de Ie tuer, Nasser a beaucoupmenage les ulerna (docteurs de la religion), c'est-a-direlislam offieiel qui est la pepiniere de I'islam populaireet militant. II a developpe l'Universite theologique d'EIAzhar (qui va compter en 1995 plus de cent mille etu-diants) et freine tout ee qui pouvait contrarier les isla-mistes, Ainsi, Ie mouvement de liberation de la femme,qui etait le plus fort du monde arabe jusqu'en 1952,x'est essouffle depuis la prise du pouvoir par les offi-ciers libres . Aucun pas significatif n'a ete accomplidans le sens de la codification du droit de la famille. Lestribunaux confessionnels faisaient figure dinstirutionsarchaiques ; il les a alors supprimes en 19555, mais en

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    ISlAM ET LIBERtiattribuant leurs competences aux tribunaux ordinairesdornines par des magistrats musulmans a la formationtraditionnelle qui appliquaient la charia des qu'il yavaitun musulman partie au proces, si bien que la situationdes coptes egyptiens s'est aggravee au lieu de s'amelio-rer 6.Aucune politique de planning familial n'a ete ten-tee de peur de contrarier les ulerna d'EI Azhar. Si Nassern'a pu realiser ni l'unite arabe ni la liberation de laPalestine, il n'a pas non plus modernise la societe egyp-tienne qui a en revanche accompli plusieurs pas enarriere,Boumediene avait une politique assez proche de celie

    de Nasser, avec cependant des particularites, Outre sonarabisme, c'etait un fervent adepte du socialisme scien-tifique et du combat anti-imperialiste. n revait de fairejouer a son pays le role de dirigeant de l'Afrique etmeme du tiers rnonde. Pour cela, il lui fallait unegrande Algerie, plus peuplee qu'elIe ne I'etait et beau-coup plus forte que ses voisins, d'ou le rejet de toutepolitique de planning familial, la creation du problernedu Sahara occidental pour affaiblir Ie Maroc et le sabo-tage du projet d'union tuniso-libyerme pour eviter Ierenforcement de la Tunisie. Comme Nasser, il pensaitque, pour des projets aussi grandioses, l'unanimismeetait necessaire. Aussi, tout en etant modemiste, il a faitce qu'il fallait pour contenter la frange traditionalistede la population. n offre un cadeau superbe aux ulema~en leur cedant le secteur de I'education. II continue lapolitique de Ben Bella en faisant appel, en tres grandnombre, aux cooperants egyptiens. Nasser en profitepour se debarrasser momentanement d'une bonne par-tie de ses integristes qui, employes comme enseignants 7,vont former les futurs cadres du FlS et du CIA. Bou-mediene cree parallelernent toute une serie dinstitutsd' etudes islamiques ou seules les theories les plus clas-siques sont enseignees, Pour Ie droit de la famille, il a

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    INTRODUCTIONhe"site jusqu'a sa mort entre un projet de code demodernisation des structures fami1iales et d'ernancipa-lion de la femme et u.n projet traditionnel. C'est cettedr-rniere solution qui par la suite a ete retenue par Ben.Ic-did. Si bien que, en 1991, beaucoup d'electeurs ontestime que, entre les principaux candidats, le FlS et IeFLN. il n'y avait pas de difference. Ce qui explique Ielort taux d'abstention.Quant a Bourguiba, malgre la solide reputation .quilui a ete faite, il ri'etait ni anti-musulman ni anti-arabe,Simplement, it avait un certain mepris pour les din. 'K('ants arabes de l'epoque, Le risque calcule et bienmedite qu'il a pris a Jericho en 1965 en prononcant Iediscours historique ou il a appele aux negociatlons avecIsrael, a un moment au Jerusalem-Est, la Cisjordanie et(~aza etaient encore arabes, prouve son attachement ala cause palestinienne. Le torrent d'injures qu'il arccues de la part de l'opinion publique arabe encoura-~i~epar ses dirigeants et les remous de I'opinion tuni-sicnne qu'il a supportes prouvent qu'il a paye plus cherpour ses sentiments arabo-rnusulmans que la plupart desautres dirigeants arabes,Pour Nasser, Ie colonialisme est a l'origine de nos'

    malheurs. II nous a exploites et opprimes et nous aimpose des frontieres artificielles que nous devons sup-primer. Pour cela, il prononcait des discours enflammesen flattant la fierte des citoyens et leur sentiment natio-nal pour les mobiliser contre I'irnperialisme. Bourguiba,lui, n'attisait la passion de personne, rnais il interessaitlout le monde. II s'adressait calmement a la raison descitoyens pour expliquer les causes de notre sous-deve-loppement qui, depuis I'mdependance, ne sont plusqu'en nons-memes. Et il indiquait les moyens de nousen sortir. Nous devons ernanciper nos femmes pourqu'elles participent a l'oeuvre dedification d'une societenouvelle - dou Ie code du statui personnel. NOllS

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    ISLAM ET LIBERTI.devons limiter les naissances pour que la croissance eco-nomique ne soit pas aneantie par Ie croit dernogra-phique - dou les efforts considerables fournis enmatiere de planning familial. Nous devons reflechir auxcauses de notre retard, nous mettre au travail et changernos mentalites et nos structures sociales pour nousmoderniser afin de rejoindre le train de la civilisa-tion . Analyse fondee sur plus dautocritique que decritique des autres. Objectifs apparemment plusmodestes mais finalement a la fois plus realisables etplus importants. La Tunisie recolte aujourd'hui les fruitsde cette politique.Ce qui n 'ernpeche pas que Bourguiba ait ete par ail-

    leurs un dictateur megalornane ayant une haute opinionde lui-rnerne et gouvernant avec _Ieparti unique. la tor-ture et la cour de surete de l'Etat, Ces atteintes auxlibertes publiques n' etaient ni legitimes ni merne utilesa sa politique.Bourguiba a fait que la modernite tunisienne, bienque reelle, reste nettement insuffisante faute de demo-cratie. Dans les autres pays arabes et islamiques, lamodernisation de l'Etat et de la societe n'est pas consi-deree par les pouvoirs publics comme etant une prio-rite. Elle est encore moins assumee.

    Modemite non assumeeLe problerne pour le monde musulman, ecrit Ol'ivi~;'

    Carre, est avant tout non pas d'inventer la laicite quiexiste, mais de penser la realite qu'il nie 8. Le proposest optimiste. Car les pays qui maintiennent, dans la pra-tique sociale et dans la legislation, des institutionscomme la polygamie, la repudiation ou le mariage desfilles impuberes sur la base du simple consentement dupere ne peuvent etre qualifies de pays laics. C'est Ie caa

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    INTRODUCTIONd(' l'ensemble du monde musulman a l'exception de la'lurquie et de la Tunisie. Pour mesurer a quel point Iext.uut dinferiorite de la femme est, malgre certaines.Ipparences, une realite sociale et juridique, rappelonspar exernple cet incident revelateur _qui a defraye larhronique il y a quelques annees, En Egypte, le pays qui.1 joue pendant longtemps Ie role d'avant-garde enmatiere demancipation de la femme, Aicha Rateb,ministre des Affaires sociales, avait des difficultes avecSOil mari et vivait separee de lui en attendant le divorce.Quand e1le a pris l'avion pour un voyage officiel, sonmari a reussi a ernpecher l'avion de decoller pendantlin bon moment car Ie voyage allait etre effectue sansl'autorisation maritale 9.Quand un intellectuel tente d'emettre des propos de

    ronciliation entre l'islam et la modernite, les ulerna seruobilisent contre ce penseur affreux mecreant aabattre ' et les gouvernants, par peur ou par demagogie,lout chorus. Cette pratique est malheureusement deja.mcierme. Lorsque, en 1925, Ali Abderrazak, penseurmusulman liberal, publie son ouvrage capital, L 'Islam litIp s fondements du pouvoir, pour coneilier la religion et lauiodernite en matiere de regime politique, les ulerna 16"dCJ}oncent vigoureusement et I'excluent de l'Universited'EI Azhar, et Ie gouvernement egyptien les approuve.Bien plus, Saad Zaghloul, chef du parti dominant del'epoque, le Wafd, parti du combat pour l'indepen-dance et qu'on disait laic, a denonce le livre et l'auteuravec la merne vigueur 10. Aujourdhui encore, les auto--rites egvptiennes n'ont pas change serieusement de poli-rique a ce sujet. Certes, l'ouvrage d'Abderrazak est.urjourdhui edite a des dizaines de milliers d'exern-plaires aux frais du gouvernement II. Mais cela ne..hang-c rien au fait que I'oeuvre d'Ali Abderrazak resteigr~oree dans les ecoles egyptiennes.Ala merne epoque, Tahar Haddad a public en Tuni-

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    ISLAM ET UBERTEsie son livre, ceuvre majeure, N otre femm e d ans L a chariaet dans L a societe, pour appe1er a !'emancipation de lafemme et dernontrer que l'islam bien compris ne s'y:oppose pas. II a ete soutenu par la frange eclairee desintellectuels et de la population et denonce par Jesulema de l'Universite la Zitouna qui l'a exc1u de ses..rangs. L'administration coloniale a applique la decision.des ulerna en ernpechant ce penseur d'acceder a lafonction de juge. Mais, des l'independance, le gouver~nement I 'a rehabilite. On se refere souvent a lui dansles discours officiels. Un club culturel est cree portantson nom. Ses oeuvres sont enseignees dans les eccles.Sans nier le grand merite de Bourguiba dans I'adoptiondu code du statut personnel, il est pratiquement adrnispar tout le monde que le code est fonde sur la theoriede Tahar Haddad.Mais, dans ce domaine, l'exemple tunisien reste

    I'exception au sein du monde arabo-musulman qui n'apas encore reussi une conciliation entre la religion et lamodernite.

    La c on ci li at io n de l'islom et de la moderniteAujourd'hui, Ia guerre du Golfe a tue l'enthousiasme

    pour l'unite arabe et la barbarie du CIA a fait pcrdreleurs illusions aux islamistes non fanatiques. C'est pro-bablement le moment pour les masses arabes d'aban-donner les chimeres et de se donner des objectifs plusrealistes et plus utiles de modernite et de developpe-ment. Une telle prise de conscience ne peut se realiserque dans la serenite et la paix interieure, dans la conci-liation entre I'etre et le devenir, entre l'appartenance ala civilisation arabe et a la religion islamique d'une partet - I a modernite d'autre part.Paradoxalement, l'obstacle qui ernpeche cette prise

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    INTRODUCTIONde conscience n'est autre que la politique des dirigeantsqui se disent et se veulent modemistes. D'abord, l'au-toritarisme pratique au nom de la modernite rend celle-ci suspecte voire detestable. D'autre part, beaucoup dedirigeants partagent avec le citoyen moyen Ie sentimentdiffus de l'incompatibilite entre l'islam et la modernite,Comme ils sont it la fois musulmans et modernes, iis ontmauvaise conscience, ils souffrent d'une contradictiontondamentale et sont ronges par une sorte de sentimentc Ie culpabilite qui les empeche de clarifier leur discours,de defendre leur politique et d'avoir une attitude conse-quente. Comme ils tiennent a rester au pouvoir auimporte quel prix, ils optent pour le discours et l'at-ritude demagogiques, ce qui les amene a combattrelintegrisme par I'mtegrrsrne. D'ou une politiquero nfuse, indefendable et sterile.A ce niveau aussi, la Tunisie fait exception. Apres

    l'avoir constatejean Daniel, observateur averti et grandronnaisseur du monde arabo-musulman, ecrit : LesTunisiens sont en train de devenir sincerernent musul-mans et sincerernent laiques. Depuis Ie milieu duXIX" siecle, ce pays qui abrite l'une des trois mosqueesIcs plus anciennes de l'islam ( IX" siecle) est en merneu-mps un pays de reformateurs de l'islam 12. La specificite tunisienne est inscrite dans 1a Consti-

    tution adoptee depuis 1959 et toujours en vigueur 13.l.'article Ie: de cette Constitution affirme que" la Tuni-sic est un Etat libre, independant et souverain ; sa reli-gion est l'islam, sa langue ]'ara~ et son regime la repu-hlique . On peut disserter longuernent sur la questiond{~savoir si l' expression sa religion est relative al'Ftat ou a la Tunisie. En fait, malgre I'ambiguite appa-re-nte - les constituants voulaient a l'epoque cacher unpeu leur jeu -, l'expression est relative a la Tunisie.(;{It{~explication s'rmpose a la lecture des autres articlesde la Constitution et de I'ensemble de la legislation et

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    ISLAM ET LIBERTI:a travers la politique menee par la Tunisie depuis l'in-dependance et jusqu'a aujourd'hui. L'article }',.con-tient done la constatation que le peuple tunisien estmusulman dans sa tres grande majorite et en mernetemps l'affirmation que, a la difference de la Turquieou la Constitution pose le principe de la Iaicite a la fran-caise, l'Etat tunisien n'ignore pas la realite sociologiqueni, certaines specificites de l'islam. Cela signifie queI'Etat doit prendre en charge la gestion des mosqueeset l'enseignement religieux. Mais, a la difference de laplupart des Constitutions des pays musulmans, il n'estdit ni que ~(l'Etat est islamique , ni que l'islarn estreligion d'Etat", ni que la charia est Ia source dudroit , ni source principale ou une des sources ..,ni merne une source dinterpretation pour Ie jugeou d'inspiration pour le legislateur. Au contraire,l'article 5 affirme Ie principe de ,< la liberte deconscience)' et l'article 6 le principe de I'egalite de tous les citoyens en droits et en devoirs, ce qui est,comme nous Ie verrons, contraire a la charia.

    Sincerernent musulmans et sincerement laiques ,les Tunisiens Ie sont parce quils font une relecture del'islam qui permet d'affirmer avec force qu'il peut par-fai tement se conjuguer avec la democratic et les droitsde l'homme. C'est-a-dire que, correctement interprete,il ri'est pas ineonciliable avec la moderriite 14. Ces affir-mations tant de fois repetees mais rarement expliqueesont besoin detre approfondies par l'etude des rappgrtsentre l'islam et Ie droit (chapitre II) et l'islam et l'Etat(chapitre III). Nous verrons, non seulement que cetteconciliation est possible et souhaitable, mais qu'elle ~or-respond a la lecture la plus fidele de la religion et laplus correcte de l'histoire. S'il n'en a pas ete ainsi jus-qu'ici, c'est le resultat d'une serie deveriernents quin'ont rien a voir avec I'essence de la religion et Ie textedu Coran. C'est done l'effet d'un facheux malentendu

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    INTRODUCTIONhistorique, De nombreux penseurs reformistes mustmans Ie demontrent inlassablement depuis un siecledr-rni. Demonstrations convaincantes meme si elles SOn-stees partie Iles et fragmentaires. Dans la plupart dp O l y s musulmans, les voix des musulmans modern11'ont pas ete entendues, Par peur, par demagogicpar ignorance, les gouvernants excluent leurs pensedes programmes scolaires et enseignent au contraire Itheories classiques, devenues anachroniques et do:l'cffet principal est de desorienter la jeunesse. IIgrand temps de changer radicalement la politique edrative et d'enseigner les theories modernes qui comlient l'islam avec la modernite (chapitre IV). Au preiable, il ne sera pas inutile de rappeler les origines,nature et les objectifs du mouvement integriste intenational et I'arnpleur des degats qu'il a causes jusqu'i(chapitre J). Ce qui montre l'importance et I'urgenrde trouver les solutions les plus justes et les plus appr-prices a ce grave problerne.