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1 Insubordinons-nous ! Lecture critique de la subordination Let’s insubordinate ! Critical reading of the subordination Audrey ROIG Fonds de la Recherche Scientifique - FNRS, Université libre de Bruxelles - ULB LaDisco, Gramm-R Dan VAN RAEMDONCK 1 Université libre de Bruxelles - ULB, Vrije Universiteit Brussel - VUB LaDisco, Gramm-R Résumé : La subordination, en tant que mécanisme de liaison syntaxique, convoque aujourd’hui une série de concepts comme la dépendance, l’intégration, la hiérarchisation, l’enchâssement, la rection ou encore l’absence d’autonomie, qui compliquent l’appréhension de la notion. Cette contribution propose dès lors une réorganisation systémique des modes de liaison, basée sur la reprise organisée des différents concepts couramment mobilisés par le mécanisme et sur la prise en considération conjointe du critère de l’incidence. Cette opération conduit à distinguer finalement deux formes d’hypotaxe : syntagmatique (SUB+) et paradigmatique (ENCH+). Mots-clefs : subordination, modes de liaison, mécanisme syntaxique, intégration, hypotaxe, dépendance Abstract: Nowadays, subordination, as a syntactic linking mechanism, is defined by a series of concepts such as dependence, integration, hierarchization, embedding, rection and lack of autonomy, which complicates the understanding of this notion. This paper therefore proposes a systemic reorganization of the linking modes based on the reorganization of the commonly used concepts, and on taking into account the parameter of incidence. This process leads us to distinguish two forms of hypotaxis: syntagmatic (SUB+) and paradigmatic (ENCH+). Keywords: subordination, linking modes, syntactic mechanism, embedding, hypotaxis, dependence Rappelée en ouverture de ce numéro, l’indexation compliquée de certaines structures aux mécanismes de coordination ou de subordination oblige sans doute à une réinterrogation préalable de la notion de subordination et, partant, de l’hétérogénéité des concepts convoqués sous cette même étiquette. Le tracé du paysage esquissé par la littérature grammaticale et linguistique donne très vite à voir une démultiplication des concepts associés aux termes subordination, coordination et juxtaposition, et, par extension, aux substantifs hypotaxe, parataxe, ou encore syndète et asyndète (cf. Béguelin 2010). Ce constat ouvre la porte à une problématique plus large, celle de l’incertitude du signifié qu’assignent les linguistes aux mots précités. L’hétérogénéité des discours invite en effet à penser que la subordination ou la coordination, par exemple, ne répondent pas forcément aux mêmes définitions chez tous les grammairiens et linguistes qui étudient le sujet du mode de liaison de séquences, eu égard au regard multifactoriel qui peut être porté sur ces termes et sur ce qu’ils pourraient recouvrir. Dans cette contribution, nous entendons mettre en évidence, en particulier, les différentes acceptions syntaxiques 2 du terme subordination ; problématiser, de façon critique, les sens rencontrés en fonction des concepts sur lesquels « la » subordination repose, tant dans une 1 Les auteurs sont présentés par ordre alphabétique. 2 Nous laisserons ici de côté les exploitations sémantiques et pragmatiques de la notion.

Insubordinons-nous ! Lecture critique de la subordination€¦ · Mots-clefs : subordination, modes de liaison, mécanisme syntaxique, intégration, hypotaxe, dépendance Abstract:

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    Insubordinons-nous ! Lecture critique de la subordination Let’s insubordinate ! Critical reading of the subordination

    Audrey ROIG

    Fonds de la Recherche Scientifique - FNRS, Université libre de Bruxelles - ULB LaDisco, Gramm-R

    Dan VAN RAEMDONCK1 Université libre de Bruxelles - ULB, Vrije Universiteit Brussel - VUB

    LaDisco, Gramm-R Résumé : La subordination, en tant que mécanisme de liaison syntaxique, convoque aujourd’hui une série de concepts comme la dépendance, l’intégration, la hiérarchisation, l’enchâssement, la rection ou encore l’absence d’autonomie, qui compliquent l’appréhension de la notion. Cette contribution propose dès lors une réorganisation systémique des modes de liaison, basée sur la reprise organisée des différents concepts couramment mobilisés par le mécanisme et sur la prise en considération conjointe du critère de l’incidence. Cette opération conduit à distinguer finalement deux formes d’hypotaxe : syntagmatique (SUB+) et paradigmatique (ENCH+).

    Mots-clefs : subordination, modes de liaison, mécanisme syntaxique, intégration, hypotaxe, dépendance

    Abstract: Nowadays, subordination, as a syntactic linking mechanism, is defined by a series of concepts such as dependence, integration, hierarchization, embedding, rection and lack of autonomy, which complicates the understanding of this notion. This paper therefore proposes a systemic reorganization of the linking modes based on the reorganization of the commonly used concepts, and on taking into account the parameter of incidence. This process leads us to distinguish two forms of hypotaxis: syntagmatic (SUB+) and paradigmatic (ENCH+).

    Keywords: subordination, linking modes, syntactic mechanism, embedding, hypotaxis, dependence

    Rappelée en ouverture de ce numéro, l’indexation compliquée de certaines structures aux mécanismes de coordination ou de subordination oblige sans doute à une réinterrogation préalable de la notion de subordination et, partant, de l’hétérogénéité des concepts convoqués sous cette même étiquette. Le tracé du paysage esquissé par la littérature grammaticale et linguistique donne très vite à voir une démultiplication des concepts associés aux termes subordination, coordination et juxtaposition, et, par extension, aux substantifs hypotaxe, parataxe, ou encore syndète et asyndète (cf. Béguelin 2010). Ce constat ouvre la porte à une problématique plus large, celle de l’incertitude du signifié qu’assignent les linguistes aux mots précités. L’hétérogénéité des discours invite en effet à penser que la subordination ou la coordination, par exemple, ne répondent pas forcément aux mêmes définitions chez tous les grammairiens et linguistes qui étudient le sujet du mode de liaison de séquences, eu égard au regard multifactoriel qui peut être porté sur ces termes et sur ce qu’ils pourraient recouvrir.

    Dans cette contribution, nous entendons mettre en évidence, en particulier, les différentes acceptions syntaxiques2 du terme subordination ; problématiser, de façon critique, les sens rencontrés en fonction des concepts sur lesquels « la » subordination repose, tant dans une

    1 Les auteurs sont présentés par ordre alphabétique. 2  Nous laisserons ici de côté les exploitations sémantiques et pragmatiques  de  la  notion.  

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    perspective grammaticale que linguistique. Nous questionnerons ce faisant la pertinence des concepts avancés et proposerons, à notre tour, sur la base d’une réassignation des niveaux d’intervention et d’interprétation de ces différents concepts, une redéfinition de la subordination dans le cadre d’une réorganisation systémique des modes de liaison séquentielle.

    1. Regards croisés sur la notion de subordination Les positions et attitudes adoptées par les linguistes face à l’acception et l’utilisation du terme subordination sont multiples. De présentation parfois peu systémique, les typologies des modes de liaison de séquences utilisées en linguistique sont aussi nombreuses que variées, comme les notions et concepts qu’elles convoquent. L’analyse de la littérature linguistique montre en effet que le terme subordination est difficilement cernable : Le Goffic, par exemple, regarde la subordination comme les « relations de dépendance » (1993 : 70), « au sens étymologique du mot : les éléments se commandent » (ibid.). La logique étymologique éclairée à la lumière de la dépendance syntaxique et fonctionnelle n’est pas celle suivie par Dubois et alii (1973), notamment, qui font mention du rapport rectionnel que sous-tend la subordination. L’entrée subordination comprend en outre deux définitions dans Le Dictionnaire de linguistique (1973). Très générale, la première définition propose pour la notion le synonyme de rection puisqu’elle invite à regarder la subordination comme tout « Rapport qui existe entre un mot régissant et un mot régi » (1973 : 462). La seconde particularise finalement la précédente en tant qu’elle spécialise la subordination dans la jonction de propositions. Ces deux définitions résument à elles seules la discussion menée par les grammairiens sur l’étendue du mécanisme de subordination, la subordination couvrant à la fois un large et un moins large spectre d’emplois selon les ouvrages consultés.

    1.1. Champ d’application de la subordination Ancourt & Denuite (1992), par exemple, reconnaissent à la subordination un champ d’action plus large que celui que lui assigne la tradition grammaticale. De la même manière que des propositions peuvent être enchâssées, expliquent en effet Ancourt & Denuite, des « groupes compléments du verbe, du nom, de l’adjectif, de l’adverbe, de la préposition ou de la conjonction » (1992 : 190) peuvent être subordonnés à d’autres éléments de la phrase. La subordination est donc à comprendre désormais comme toute « relation entre deux éléments d’une phrase ou d’un groupe unis l’un à l’autre, mais dont l’un dépend de l’autre : Un voyage d’études. Le voyage qu’elle a gagné » (ibid.). Dans cette optique, il est également question de subordination pour désigner la dépendance d’un groupe prépositionnel par rapport à un groupe nominal, voire complément du verbe par rapport au noyau verbal : Elle a gagné un voyage (ibid). Cette idée est relayée dans les grammaires de Braun & Cabillau (2007), par exemple, ou encore de Grevisse & Goosse. Dans Le bon usage (1986, 1993, 2007, 2011), en effet, la subordination est entendue comme « la relation qui unit, à l’intérieur de la phrase, des éléments qui ne sont pas du même niveau, qui ont des fonctions différentes, dont l’un dépend de l’autre. Ils forment un groupe, un syntagme, dans lequel il y a un élément syntaxiquement plus important, le noyau, qui est comme le support des éléments dépendants, subordonnés » (1986 : 408 ; 1993 : 387). Si elle allie, ici, de façon très générale les idées de hiérarchisation et de dépendance, cette conception large de la subordination est sans écho par contre dans les éditions du Bon usage antérieures à 1986 (12e éd.) ou, plus récemment, chez des auteurs comme Baccus (2002), Riegel, Pellat & Rioul (2004) ou Eluerd (2008), aux yeux de qui la subordination n’a jamais trait qu’aux liaisons de prédications. À mi-chemin entre les deux positions, Cherdon (2005) reconnait quant à lui la réalisation d’une subordination non

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    seulement dans le cas des propositions verbales (les enchâssées non réduites) mais aussi des groupes3 comme Tout à fait soûl, il s’endormit (2005 : 164).

    1.2. Parcours des traits définitoires de la subordination en syntaxe La subordination apparait par ailleurs comme une dénomination générique, applicable à différents domaines avec l’idée constante, toutefois, de la formation d’un groupe syntaxique étendu par l’imbrication d’un segment dans un autre. Pourtant, force est de constater que le terme subordination n’est pas mieux circonscrit dans les études morphosyntaxiques ; les sens assignés à la subordination fluctuent sous la plume des grammairiens et linguistes. Ainsi, ce ne sont pas moins de six principes syntaxiques (minimum) qui sous-tendent la notion de subordination qui ont été recensés dans les rubriques précédentes, à savoir l’intégration, la hiérarchisation, l’enchâssement, la non-autonomie, la rection et la dépendance.

    • L’intégration, au sens d’association, de mise en relation syntaxique de deux groupes (cf. Allaire 1982 ; Raible 1992 ; Melis 1994 ; Pierrard 1994 ; Koch 1995 ; Wilmet 2003, qui parle alors d’« enchâssement » ; Riegel et alii 2004 ; Cherdon 2005), ou au sens de phagocytage d’une structure par une autre de sorte à former un couple prédicationnel dans lequel l’intégré devient un terme de l’intégrant (cf. Hadermann et alii 2010, qui utilisent plutôt les termes de mise en « rapport syntaxique », ouvrant par-là sur l’idée, déjà, de hiérarchisation ; etc.).

    • La hiérarchisation implique le principe de non-équivalence syntaxique des séquences liées (Grevisse & Goosse 1993/2011, en parlant d’« éléments qui ne sont pas du même niveau » ; Melis 1994, qui fait état de rapports syntaxiques de niveaux différents ; Pierrard 1994, qui classe en outre une série d’indices de hiérarchisation ; Wilmet 2003/2010, qui rattache la subordination à son origine étymologique ; Riegel et alii 2004, en parlant de relations asymétriques de dépendance ; Hadermann et alii 2010, pour qui l’hypotaxe traduit « l’assemblage de prédications avec lien hiérarchique » (2010 : 220) ; etc.).

    • L’enchâssement, lorsqu’il ne réfère pas au mécanisme syntaxique, rappelle étroitement l’intégration (Foley & Van Valin 1984 ; Van Valin & La Polla 1997 ; Le Goffic 1993 ; Wilmet 2003). Il apparait cependant plus familièrement comme le synonyme du mode subordination (appellation dès lors oubliée) (Cherdon 2005, Braun & Cabillau 2007), désignant parfois spécifiquement l’imbrication de sous-phrases dans une phrase matrice (Ancourt & Denuite 1992), se faisant sinon le pendant de la subordination pour les liaisons hypotactiques de séquences autres que phrastiques, telles que les groupes prépositionnels (Lehmann 1988).

    • La non-autonomie : rejeté par Eluerd (2008), le critère de l’absence d’autonomie syntaxique pour une prédication verbale subordonnée est appliqué cependant pour la définition de la subordination dans la grammaire de Baccus (2002). Le principe de la non-autnomie est également rencontrée, mais de façon plus nuancée, dans les textes de Chevalier et alii (1990), de Lehmann (1988) ou de Melis (1994) par le biais de la dépropositionnalisation (exemplifiée notamment par la perte des modalités énonciatives pour la prédication subordonnée ; cf. Foley & Van Valin 1984 ou Van Valin & LaPolla 1997).

    3 Nous les nommons dans notre théorie groupes prédicatifs seconds (GP2). Ce sont des groupes prédicatifs sans verbe conjugué à un mode personnel (Van Raemdonck 2011).

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    • La rection, laquelle est plus (Melis 1994, Pierrard 1994) ou moins (Dubois et alii 1973 ; Le Goffic 1993) restreinte au domaine verbal, avec prise en compte d’un degré de subordination d’autant plus élevé que la rection verbale est affirmée. Dubois et alii invitent en effet à regarder la subordination comme tout « Rapport qui existe entre un mot régissant et un mot régi » (1973 : 462), comme Le Goffic parle finalement de rection à travers l’expression : « les éléments se commandent » (1993 : 70). À contrario, la combinaison des paramètres des niveaux d’intégration et de la fonction exercée par le segment intégré donne à voir, chez Melis (1994) une association du phénomène de subordination au principe de la rection au sens aixois (et donc restreint par rapport au sens fribourgeois par exemple ; v. Groupe de Fribourg 2012) du terme : d’éléments périphériques à nécessaires, les intégrées y sont classées en fonction de la perte, plus ou moins importante, de propriétés propositionnelles suivant l’entrée ou non de la prédication dans le champ de la rection verbale. Melis est rejoint à cet égard par Foley & Van Valin (1984) et Van Valin & LaPolla (1997), qui échelonnent le continuum d’intégration syntaxique par la prise en considération de trois niveaux phrastiques (clause) : le nucleus, le core, la périphérie.

    • La dépendance (Muller 2008), appellation générique4, particulièrement floue, définie généralement d’un point de vue syntaxique mais qui recouvre parfois aussi un sens sémantique, traduisant grossièrement le rattachement d’une séquence à une autre (cf. Melis 1994, où la dépendance est assimilée à une forme d’inclusion syntaxique ; Braun & Cabillau 2007, pour qui la dépendance recoupe implicitement les notions de hiérarchisation et d’intégration ; Muller 2008), ou l’absence d’autonomie de la séquence liée (cf. Allaire 1982, qui entend, par les termes de dépendance mutuelle, le phénomène de coréalisation des prédications liées ; Togeby 1982, qui rejoint en quelque sorte ce principe par le biais de la présupposition d’existence ; Foley & Van Valin 1984 ; Van Valin & La Polla 1997 ; Van Valin 2005 ; Le Goffic 1993, pour qui la dépendance syntaxique traduit le commandement entre des séquences et réfère, partant, à la hiérarchisation et à la question du rôle fonctionnel des segments dépendants ; Cherdon 2005, qui qualifie de dépendante une séquence qui ne peut pas fonctionner seule syntaxiquement et qui exerce par ailleurs une fonction dans l’intégrante ; Grevisse & Goosse 2011, qui couplent le principe de la dépendance à celui de l’exercice d’une fonction de l’élément subordonné par rapport à l’élément « noyau »).

    Comme nous pouvons le constater, si certains grammairiens ou linguistes considèrent exclusivement l’un de ces paramètres, d’autres, au contraire, en assemblent plusieurs. Du point de vue des linguistes, Togeby, notamment, définit la subordination d’après le seul critère de la présupposition d’existence, argument qui rejoint à certains égards le principe de non-autonomie syntaxique des séquences liées. Andersen (1995), quant à elle, réserve un traitement double à la notion de subordination et prend en compte des données d’ordre syntaxique et sémantique. Elle est rejointe, d’une certaine manière, par Larcher (1992) qui, à la différence de cette première toutefois, entend par subordination sémantique, une complexité énonciative. C’est d’ailleurs une proposition relayée par Muller quelques années plus tard (1996, 2008) lorsqu’il propose de distinguer les subordinations syntaxique et énonciative. La complexité de la définition de la subordination syntaxique ne se cantonne pas à ces quelques auteurs : Van Valin, dans ses différents modèles, combine par exemple les paramètres de l’enchâssement et de la dépendance, le premier étant de nature syntaxique, 4 Comme le résume par ailleurs Pierrard, la « dépendance syntaxique est sans doute une caractéristique du "noyau dur" des subordonnées mais ne constitue pas un fait suffisant pour englober l’ensemble des "propositions subordonnées" » (1994 : 22).

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    tandis que le second serait de nature plutôt sémantique ; Melis (1994), comme Dubois et alii (1973) en partie, opte ainsi pour les variables de l’intégration (1994 : 102), de la rection, de dépendance également (au sens d’inclusion ; cf. intégration) mais aussi, finalement, pour celle de la hiérarchisation en ce qu’il parle de rapports syntaxiques différents (ibid.). Hadermann et alii (2010), en revanche, préfèrent ne préserver que le binôme de l’intégration (existence d’un rapport syntaxique, opéré par l’enchâssement) et la hiérarchisation.

    2. Proposition de remise en système À partir de nos travaux antérieurs (notamment, Van Raemdonck 2011 et à paraitre ; Roig 2013), nous proposerons ci-dessous une réorganisation, que l’on souhaiterait systém(at)ique, des modes de liaisons de prédications et plus spécifiquement de la subordination. Pour ce faire, nous reprendrons les différents concepts mobilisés et les réassignerons à une place du système.

    2.1. La syntaxe Pour commencer, nous concevons la syntaxe comme un réseau – ainsi que son étude – de liaisons et relations d’éléments ou segments entre eux à l’œuvre dans la linéarité du discours. Nous choisissons comme unité la phrase, qui est définie comme :

    une unité de communication constituée d’une séquence structurée et ordonnée de mot(s), dont la mise en énonciation produit un énoncé, et que l’énonciateur décide de faire phrase. Au niveau syntaxique, c’est le lieu de la prédication première (mise en relation d’un prédicat à un noyau de GP1). La phrase est généralement prise en charge par un groupe prédicatif premier (GP1). (Van Raemdonck 2011 : 103)

    Les modes de liaisons syntaxiques d’éléments peuvent être de deux types : parataxiques ou hypotaxiques.

    2.2. La parataxe La parataxe (de para- : à côté) est un mode de liaison de segments, par exemple deux ou plusieurs groupes ou phrases, sans hiérarchisation ni dépendance, sur l’axe syntagmatique du discours. Ce mode peut se concrétiser avec ou sans outils de ligature (connecteurs) : dans le premier cas, nous parlons de coordination ; dans le second, nous parlons de juxtaposition coordonnante (ou de coordination implicite). La coordination et la juxtaposition coordonnante de deux phrases forment des phrases dites multiples.

    La coordination est le mécanisme qui relie des éléments ou segments, placés sur le même plan syntaxique, sans hiérarchisation, pour leur permettre d’occuper la même fonction.

    Dans le cas de la phrase multiple, la coordination concerne des structures phrastiques. Dans une phrase multiple, la coordination relie ces structures phrastiques en maintenant leur autonomie (Je pars demain et je reviens samedi). La juxtaposition coordonnante agit de même, mais sans le recours à un connecteur ligateur (Je pars demain, je reviens samedi).

    Il n’est pas surprenant de constater que ces deux phrases multiples sont sémantiquement semblables. En effet, la ponctuation utilisée pour la juxtaposition peut être interprétée de la même manière que s’il y avait un connecteur coordonnant. Coordination et juxtaposition coordonnante relèvent donc ici d’un même mode de mise en relation de segments, avec des outils variés que sont les connecteurs coordonnants et les signes de ponctuation. Ces derniers n’ont dès lors plus seulement pour fonction de marquer

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    une pause dans le discours, mais également, le plus souvent, de signifier un lien sémantique (l’addition, la consécution, l’opposition, …) entre les deux éléments qu’ils séparent, dans le cadre d’une organisation syntaxique hiérarchiquement égalitaire.

    2.3. L’hypotaxe L’hypotaxe (de hypo- : en dessous) est un mode de liaison de segments, par exemple deux ou plusieurs groupes ou phrases, avec hiérarchisation.

    On peut concevoir deux types d’hypotaxe, selon que l’on considère la hiérarchisation sur l’axe syntagmatique du discours (dépendance) ou sur l’axe paradigmatique (constituance).

    2.3.1. L’hypotaxe syntagmatique

    L’hypotaxe syntagmatique est le pendant de la parataxe, qui, toujours syntagmatique, est, on l’a vu, prise en charge par la coordination ou la juxtaposition coordonnante. Alors que dans la parataxe, la liaison de segments s’opère sans instaurer de relation de hiérarchie ou de dépendance, l’hypotaxe syntagmatique procède par subordination, par mise en rapport de dépendance et de hiérarchie entre segments. La subordination renvoie ici au mécanisme de d’instauration d’un lien de dépendance et de hiérarchie entre deux éléments ou segments dans la linéarité du discours, quelle que soit par ailleurs la constitution de l’élément ou du segment dépendant (mot, groupe déterminatif ou prédicatif (sous-phrase ou GP2)). Cette relation de dépendance correspond au concept d’incidence de Gustave Guillaume, qui institue la relation d’apport à support de signification. L’incidence, dans l’esprit de Guillaume, « a trait au mouvement, absolument général dans le langage, selon lequel, partout et toujours, il y a apport de signification, et référence de l’apport à un support. La relation apport/support est couverte par le mécanisme d’incidence » (Guillaume 1971 : 137). Une fois cloisonnée dans le domaine de la syntaxe (Van Raemdonck 1995, 2011), l’incidence livre du langage une vision systémique, organisée en une succession d’apports à supports, souvent eux-mêmes apports à d’autres supports, à la base de notre vision de la syntaxe, génétique. L’apport apparait comme dépendant du support, et donc subordonné. Nous cantonnons de la sorte la subordination aux relations hiérarchiques d’incidence à l’œuvre dans la linéarité du discours. Tout élément ou segment incident sera dès lors subordonné (les déterminants, compléments, directs ou non, les prédicats, premiers ou seconds,…). Ce mécanisme peut se concrétiser avec ou sans outils de ligature (connecteurs) : dans le premier cas, nous parlons de subordination (le château de ma mère ; il dort pendant la nuit ; je pense qu’il viendra demain) ; dans le second, nous parlons de juxtaposition subordonnante (ou de subordination implicite) (Un homme affable ; il craque ; il croque la pomme ; il dort la nuit). Selon nous, le critère de l’incidence se révèle suffisamment puissant pour opposer les mécanismes de la subordination (ou juxtaposition subordonnante) et de la coordination (ou juxtaposition coordonnante).

    2.3.2. L’hypotaxe paradigmatique

    L’hypotaxe paradigmatique est un mode de liaison, avec hiérarchisation, qui procède par l’enchâssement d’une sous-phrase dans une phrase matrice, c’est-à-dire par l’intégration d’une structure phrastique (avec verbe conjugué à un mode personnel) dans une position fonctionnelle d’une autre structure phrastique. Ce mode peut se concrétiser avec ou sans outils d’enchâssement : dans le premier cas, on parle d’enchâssement (Comme il a plu, elle a pris

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    son parapluie) ; dans le second, on parle de juxtaposition enchâssante (ou d’enchâssement implicite). En l’absence d’outil explicite, l’esprit doit reconstituer de quel type est le lien entre les segments de phrase :

    § hypothétique : « Tu fais ça, je te casse la figure5 ». § causatif : « Ce resto était trop cher, on est allés dans un autre ». § adversatif : « Il a fait des pieds et des mains, je n’ai pas cédé »6.

    L’enchâssement (de même que la juxtaposition enchâssante) intègre donc une sous-phrase dans une phrase matrice ; elle permet de donner un statut fonctionnel7 à une séquence verbale ou une sous-phrase. Elle se caractérise également par l’existence d’une asymétrie avec hiérarchisation entre phrase matrice et sous-phrase. Dans les cas d’hypotaxe paradigmatique, nous parlerons d’énoncé à phrase complexe8, la composante phrastique de l’énoncé est complexe dans la mesure où elle intègre une sous-phrase. Une nouvelle structure intégrative apparait : la sous-phrase (notée GP1’), qui renferme une relation de prédication première, comme dans la phrase matrice, mais hiérarchiquement secondaire car intégrée par enchâssement.

    Pour occuper une position fonctionnelle de la phrase, on dispose en fait d’un paradigme de structures intégratives, dont on peut observer l’intégration progressive au fur et à mesure de la perte des propriétés propositionnelles, de la (sous-)phrase au groupe déterminatif (nominal, par exemple) en passant par le groupe prédicatif second (perte de la modalité énonciative, du mode, du temps fini, de la forme verbale,…). Cette dépropositionnalisation peut être schématisée et exemplifiée comme suit :

    5 Dans ce cas, il et possible de remplacer la virgule par un « et ». Mais ce et serait non coordonnant. Il aurait plutôt une valeur énonciative d’organisateur logique, comme un adverbe : la séquence ne signifierait pas « X + Y », mais plutôt « si X alors Y ». Ce et aurait la même valeur dans une séquence corrélative du type Plus il mange et plus il grossit. 6 Le cas de ce que l’on appelle parfois la subordination inverse est plus complexe. Dans une phrase comme Il n’était pas parti depuis dix minutes que tu es arrivé, la première séquence (Il… minutes) pourrait être considérée comme une sous-phrase juxtaposée (juxtaposition enchâssante) exprimant le cadre (déterminant de la relation prédicative, à portée large), et la seconde (que tu es arrivé) comme une sous-phrase en position de phrase (prédication impliquée), ou de prédicat relié par la relation prédicative (support de l’apport Il… minutes) à un noyau non saturé (prédication incomplète). 7 C’est-à-dire capable d’endosser une fonction. 8 On parle souvent de phrase complexe lorsqu’on intègre dans une phrase matrice une sous-phrase. Il s’agit de complexité de phrase. Cette complexité peut également se trouver au niveau de la composante énonciation de l’énoncé. Nous avons montré (notamment Van Raemdonck 2007 et 2011 : 204 sv.) qu’un énoncé qui intègrerait en apparence deux modalités énonciatives différentes ou deux énonciateurs différents, pourrait être considéré comme complexe au niveau de son énonciation : c’est le cas pour l’interrogation indirecte et le discours re-produit.

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    Nous limitons, pour les besoins de la description du système, la prise en compte de l’hypotaxe paradigmatique par enchâssement à la seule sous-phrase, pourvue d’un verbe conjugué à un mode personnel. En effet, le GP2 apparait certes comme une structure intégrative intermédiaire, mais plus intégrée que la sous-phrase : on le trouve derrière des connecteurs prépositionnels et non derrière des enchâsseurs (à quelques rares exceptions près, traitables spécifiquement : Je cherche quelqu’un à qui parler).

    Pour autant, l’intégration d’une prédication via un GP2, ou via l’inscription à l’intérieur d’un groupe déterminatif d’une prédication exclusivement sémantique et non plus syntaxique, contribue à la complexité de la phrase. Cependant, cette complexité n’est pas explicitement montrée. Elle est implicite, comme absorbée – Havu & Pierrard (à paraitre) parlent de complexité condensatrice –, ce qui rend ces structures assez difficilement appréhendables pour un apprenant allophone. Nous distinguons dès lors complexité explicite et complexité implicite, et ne considérons la phrase à composante phrastique complexe que dans le premier cas.

    2.4. Bilan intermédiaire Le point de vue adopté ici permet d’éviter de confondre, comme on le fait trop souvent, subordination (dépendance) et enchâssement (constituance). Il existe en effet des sous-phrases enchâssées qui ne dépendent de rien, comme les sous-phrases noyau de phrase : Que tu partes implique une réorganisation de l’équipe. La subordination est essentiellement tributaire d’une relation de dépendance apport-support, l’apport dépendant syntaxiquement du support. L’enchâssement est essentiellement tributaire de l’intégration d’une sous-phrase contenant un verbe conjugué à un mode personnel (sauf cas limites ci-dessus). Par ailleurs, nous expliquons ainsi mieux comment traiter des exemples tels que Pierre est un homme intelligent et qui ira loin. Dans le groupe déterminatif nominal « un homme intelligent et qui ira loin », intelligent et qui ira loin sont reliés parataxiquement par coordination, et donc sans hiérarchisation, pour occuper conjointement la fonction de déterminant du noyau nominal homme. Ils en constituent globalement un apport et lui sont

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    subordonnés. Qui ira loin, qui n’est donc pas subordonné à intelligent mais bien coordonné, est par ailleurs bien enchâssé dans la phrase matrice en position fonctionnelle de déterminant du noyau nominal homme, fonction qu’il occupe conjointement avec intelligent.

    Le redéploiement des concepts permet, on le voit, une prise en compte systémique plus fine des phénomènes. En schéma :

    SUB ENCH

    Comme il pleut, il rentre ; Tu fais un pas, t’es un homme mort

    + +

    Il mange ; une pomme verte ; il sort (pendant) la nuit

    + –

    Qu’il vienne m’ennuie – +

    Pierre et Paul dinent ensemble – –

    2.5. Degrés dans la subordination Dans le cadre d’une opposition coordination/subordination basée sur l’incidence et la dépendance, il ne saurait être question d’un tiers ou d’un continuum pour l’indexation des segments sur l’axe syntagmatique. Soit il y a incidence et dépendance, soit il n’y a pas. Le continuum pourra tout au plus trouver une raison d’être dans l’appréciation du degré de dépendance, mais donc bien dans le cadre d’une relation hypotaxique.

    Certains critères, comme le type de connecteur, pourront servir à affiner le degré de dépendance d’un segment à un autre, une fois l’incidence établie. Nous nous proposons d’envisager ici brièvement deux d’entre eux : la rection et la portée. 2.5.1. La rection

    Nous avons défini la subordination en termes d’incidence. Le concept de rection a, quant à lui, été convoqué par Melis (1994) et Pierrard (1994), ou, avant eux, par Foley & Van Valin (1984) , repris ensuite dans Van Valin & LaPolla (1997) et Van Valin (2005). En somme, plus le terme serait régi par le verbe, plus la subordination serait forte. La limitation au seul verbe de la question de la rection nous semble dommageable et entrainer des conclusions erronnées. Si l’on peut éventuellement admettre que la sous-phrase circonstantielle (déterminant de la relation prédicative première) de S’il pleut, je ne sors pas apparait moins intégrée dans la phrase matrice que la complétive conjonctive (déterminant du verbe) de Je veux qu’il vienne, qu’en est-il de la sous-phrase de fonction sujet (noyau de phrase) dans Que tu viennes me dérange en comparaison de la même complétive conjonctive, qui sont deux arguments du verbe ? La complétive de Le fait que tu viennes demain me dérange, moins régie par le verbe serait-elle moins subordonnée, alors qu’elle apparait bel et bien requise par le nom dont elle est le déterminant. La notion de rection pâtit de sa limitation au domaine du verbe, limitation compréhensible dans le cadre d’un système verbo-centré, comme celui des syntaxes traditionnelles ou de la macrosyntaxe aixoise. Nous considèrerons la rection comme une notion applicable dès qu’un terme recteur, quelle que soit sa classe d’appartenance, commande un terme régi. Dès lors la rection se rencontrera dès que, dans un groupe, un noyau régit des apports (déterminants ou prédicats). La notion de rection n’est donc pas un

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    synonyme parfait de celle d’incidence : un terme pourra être incident à une relation ; pour autant, nous ne considérons pas la relation comme rectrice. Pour le comprendre, revenons au domaine verbal.

    Dans le domaine verbal, on rencontre les termes de valence (Tesnière 1965), d’éléments requis ou régis (Lazard 1994, 1998). La valence verbale intègre les actants du verbe, généralement limités, dans sa version traditionnelle, au sujet et aux objets direct et indirect, à l’exclusion donc des circonstants. Les éléments requis de Lazard reprennent les éléments dont la présence est exigée par le verbe, les éléments régis coiffant ceux dont la forme et la construction sont exigées par le verbe. Il n’entre pas dans notre intention de rediscuter ici de la pertinence de chacune de ces notions. Nous désirons néanmoins préciser ci-dessous la manière dont nous utilisons chacun des termes qui les recouvrent.

    Selon nous, à y regarder de près, les termes de valence et d’éléments requis relèvent de la complétude sémantique du terme support, ici le verbe. Ils pourront dès lors être utilisés conjointement, la valence du verbe reprenant les éléments requis par lui, indépendamment du contexte d’utilisation. Nous préférons, pour notre part, spécifier le terme de rection dans son versant syntaxique : serait régi l’élément qui échoit syntaxiquement à son terme recteur. Dans le GDV de l’énoncé, par exemple, Pierre range alphabétiquement ses fiches, seraient par exemple régis le déterminant du terme verbal (ses fiches) et le déterminant de la relation entre ce déterminant et le verbe lui-même (alphabétiquement), quand bien même ce déterminant de relation ne serait pas obligatoire, requis. En effet, le déterminant de relation (alphabétiquement dans l’exemple ci-dessus) échoit à une relation (qui relie ses fiches à range) qui échoit elle-même au verbe (range). Lorsque la forme ou le type de construction de l’apport seront exigés pour des raisons de cohérence ou de cohésion, nous dirons que l’élément est sélectionné. Nous considérons que ces notions sont applicables à l’égard de tous les types de noyaux de groupes, quelle que soit leur classe. Le même type d’analyse en rection/réquisition peut dès lors être effectué pour La prise de Constantinople en 1453 par les Ottomans ou Le fait que tu viennes. Nous distinguons ainsi trois niveaux dans la relation au noyau d’un groupe : la valence correspond à l’épure de la complétude lexico-sémantique du noyau (l’élément requis en est l’élément constitutif) ; l’élément régi est celui dont, au niveau syntaxique, l’incidence échoit (jusqu’)au noyau du groupe ; l’élément sélectionné est celui dont la forme et la construction sont exigés par le noyau.

    On le voit, ce qui peut influencer le degré de subordination d’un segment à un autre est le caractère non seulement régi, mais requis de ce segment. Un élément requis sera plus lié à son support qu’un élément régi. 2.5.2. La portée

    Une conception génétique de la phrase permet notamment de situer les éléments les uns par rapport aux autres en fonction de leur portée dans la phrase, c’est-à-dire de situer les différents apports en fonction de leurs supports respectifs et du moment où ils interviennent dans la génèse de la phrase. On dénombre différents types de portées.

    Dans la composante phrastique de l’énoncé, on trouve des portées intrasyntagmatique (à l’intérieur d’un groupe déterminatif hors verbal), intraprédicative (à l’intérieur du groupe déterminatif verbal, et donc sous la portée de la négation qui le clôt : Je ne pars pas demain ; Tu peux partir quand tu veux), extraprédicative (sur la relation prédicative, comme

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    déterminant : Demain, je ne pars pas ; Quand tu le désires, tu peux partir). Le noyau de phrase, quant à lui, est à considérer à part, vu qu’il n’est rapporté à rien ; tout lui est finalement rapporté : il ne sera donc jamais subordonné.

    Hors composante phrastique, la portée échoit toujours syntaxiquement sur la relation prédicative, soit par prédication seconde (Heureusement, vous êtes saufs), soit par détermination de l’énonciation (l’apport sémantique est alors reversé à l’énonciation : Franchement, tu exagères ; Si tu as soif, il y a de la bière dans le frigo). La portée d’un segment, si elle ne peut pas influer sur son caractère subordonné (s’il est incident, il est subordonné), peut néanmoins influer sur le caractère requis de cet élément. En effet, ne sauraient être requis que des éléments de la composante phrastique. Les prédicats seconds sur la relation prédicative ainsi que les déterminants de l’énonciation ne seront dès lors jamais requis en tant que groupes. Le degré de subordination sera donc moindre pour ces segments… mais subordination il y aura néanmoins.

    Conclusion Dans cette contribution, nous avons cherché à apporter un point de vue neuf sur la question de la subordination en en déconstruisant la définition. Nous avons montré comment les différents concepts mobilisés pour la décrire dessinent en fait des points de vue différents sous des dehors de compréhension et d’étiquetage communs. Nous avons dès lors proposé, hors conception modulaire macrosyntaxique et hors appréhension de continuum, de réinvestir ces différents concepts (à l’exception de celui d’autonomie, qui nous semble difficilement opératoire) dans un autre système d’oppositions, dans le cadre élargi des modes de liaisons d’éléments ou de segments quels qu’ils soient. La subordination devient dès lors le pendant hypotaxique de la parataxique coordination, envisagées toutes deux sur l’axe syntagmatique. Le tableau est complété par la prise en compte, sans rivale parataxique, d’une hypotaxe paradigmatique par enchâssement, la juxtaposition venant de son côté doubler par asyndèse ces modes syndétiques.

    Si l’opposition entre coordination et subordination est binaire, basée sur le critère de l’incidence, le degré de subordination peut-être plus ou moins poussé, ce qui permet, à l’intérieur de la subordination, d’envisager un continuum qui rende compte de ce que toutes les liaisons subordonnées ne sont pas uniformes. Nous avons envisagé les critères de réquisition et de rection, ainsi que celui de la portée pour esquisser quelques pas de spécification interne.

    En outre, nous n’ignorons pas que, sous l’effet d’une grammaticalisation ou d’une réanalyse, certaines liaisons ont pu passer d’un mode de liaison à un autre. Dresser des balises ne signifie nullement figer. L’étude des occurrences de liaisons de segments devrait permettre d’établir des cartographies de liaisons et des cartes d’identité de structures. Enfin, nous ne désespérons pas de voir un jour des modèles d’analyses prosodiques qui, au-delà de la déclaration du lien de segments entre eux, permettraient de trancher quant au mode de liaison effectivement mobilisé.

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