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Exposition Inquiétantes Etrangetés – dossier d’accompagnement – oct. 2011 Service des Publics - musée des Beaux-Arts de Nantes 1 Inquiétantes étrangetés Inquiétantes étrangetés Inquiétantes étrangetés Inquiétantes étrangetés 4 nov. 2011 4 nov. 2011 4 nov. 2011 4 nov. 2011 - 15 janv. 2012 15 janv. 2012 15 janv. 2012 15 janv. 2012 Chapelle de l’Oratoire Chapelle de l’Oratoire Chapelle de l’Oratoire Chapelle de l’Oratoire – musée des Beaux musée des Beaux musée des Beaux musée des Beaux-Arts de Nantes Arts de Nantes Arts de Nantes Arts de Nantes « L’inquiétante étrangeté sera cette sorte de l’effrayant qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familières. » Sigmund Freud, 1919 Les œuvres ici réunies, ont toutes à voir avec le singulier, l’insolite, le trouble, le difficilement reconnaissable, voire l’effroyable. L’inquiétude peut surgir de la fiction, relevant alors de la mise en abîme d’un trouble ancestral comme de péripéties propres à l’existence témoignant de la terreur primitive. Ce nouveau regard porté sur les collections affirme l’utilisation du concept freudien comme un outil méthodologique et interroge la force du paradoxe, la contradiction, la tension et l’ambivalence des œuvres. Organisée autour de plusieurs thèmes, l’exposition propose des rapprochements parfois inattendus. Il a été choisi d’interroger la puissance des images, ce qu’elles véhiculent et comment, plutôt que ce qu’elles représentent, générant de nouvelles perceptions de soi et du monde. Présentation de l’exposition : Mercredis 9 et 16 novembre à 14h30. Sur réservation au 02 51 17 45 74. Modes de visites pour les classes : - en autonomie (1h) sous votre entière responsabilité, - en médiation (1h) avec une conférencière du musée : du cycle 1 à la 5 e : atelier couplé à la visite de l’exposition adaptée au niveau (fiche de préparation à l’atelier délivrée à la réservation), de la 4 e à l’enseignement supérieur : visite-conférence. Médiations de l’exposition : Catherine Boyer-Le Treut, Claire Dugast, Juliette Eoche-Duval Sciama, Christel Nouviale (conférencières), Stéphanie Guillarmain (réservation), Joëlle Tessier (conseillère arts visuels 1 er degré), Isabelle De Rosa (enseignante chargée de mission 1 er degré), Virginie Michel, Bruno Hérody, Anne Ribstein (enseignants chargés de mission 2 nd degré). Avertissement concernant les reproductions d’œuvres Les visuels reproduits ici le sont à des fins pédagogiques. Aucune diffusion en dehors de la classe n’est possible sans autorisation (contact : [email protected]), car certaines œuvres ne sont pas libres de droit et cela engage le musée à des déclarations spécifiques et des frais attenants.

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Texto acerca de la noción de inquietante extrañeza de Freud

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  • Exposition Inquitantes Etrangets dossier daccompagnement oct. 2011 Service des Publics - muse des Beaux-Arts de Nantes

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    Inquitantes trangetsInquitantes trangetsInquitantes trangetsInquitantes trangets 4 nov. 2011 4 nov. 2011 4 nov. 2011 4 nov. 2011 ---- 15 janv. 2012 15 janv. 2012 15 janv. 2012 15 janv. 2012

    Chapelle de lOratoire Chapelle de lOratoire Chapelle de lOratoire Chapelle de lOratoire muse des Beaux muse des Beaux muse des Beaux muse des Beaux----Arts de NantesArts de NantesArts de NantesArts de Nantes Linquitante tranget sera cette sorte de leffrayant qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, et de tout temps familires. Sigmund Freud, 1919 Les uvres ici runies, ont toutes voir avec le singulier, linsolite, le trouble, le difficilement reconnaissable, voire leffroyable. Linquitude peut surgir de la fiction, relevant alors de la mise en abme dun trouble ancestral comme de pripties propres lexistence tmoignant de la terreur primitive. Ce nouveau regard port sur les collections affirme lutilisation du concept freudien comme un outil mthodologique et interroge la force du paradoxe, la contradiction, la tension et lambivalence des uvres. Organise autour de plusieurs thmes, lexposition propose des rapprochements parfois inattendus. Il a t choisi dinterroger la puissance des images, ce quelles vhiculent et comment, plutt que ce quelles reprsentent, gnrant de nouvelles perceptions de soi et du monde.

    Prsentation de lexposition : Mercredis 9 et 16 novembre 14h30. Sur rservation au 02 51 17 45 74. Modes de visites pour les classes :

    - en autonomie (1h) sous votre entire responsabilit, - en mdiation (1h) avec une confrencire du muse :

    du cycle 1 la 5e : atelier coupl la visite de lexposition adapte au niveau (fiche de prparation latelier dlivre la rservation),

    de la 4e lenseignement suprieur : visite-confrence. Mdiations de lexposition : Catherine Boyer-Le Treut, Claire Dugast, Juliette Eoche-Duval Sciama, Christel Nouviale (confrencires), Stphanie Guillarmain (rservation), Jolle Tessier (conseillre arts visuels 1er degr), Isabelle De Rosa (enseignante charge de mission 1er degr), Virginie Michel, Bruno Hrody, Anne Ribstein (enseignants chargs de mission 2nd degr). Avertissement concernant les reproductions duvres Les visuels reproduits ici le sont des fins pdagogiques. Aucune diffusion en dehors de la classe nest possible sans autorisation (contact : [email protected]), car certaines uvres ne sont pas libres de droit et cela engage le muse des dclarations spcifiques et des frais attenants.

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    La toile et le reflet Lorsque les poils du pinceau touchent la toile vierge, c'est comme le battement du cil de l'il qui s'ouvre sur un nouveau monde. Galienni

    Dans son trait De Pictura (1435), Leon Battista Alberti nonce deux formules que lon considre encore aujourdhui comme les bases de la peinture occidentale. La premire dfinit le tableau comme une fentre ouverte sur le monde , sa mission est dimiter la ralit. La toile (ou plus gnralement le support), devient une surface dinscription qui conduit naturellement la question de la reprsentation. Puis le sujet est remis en question la fin du XIXe sicle, jusqu disparatre dans la premire dcennie du XXe sicle au profit de formes et de compositions colores abstraites. Malgr ces changements, le tableau reste fidle lide dune surface remplir. Dans ses Achromes (1957-63), Piero Manzoni dbarrasse la toile de son rle de rcipient . Vierge, muette et libre, celle-ci redevient matire, prsente littralement. Le tableau-reflet chang en tableau-plan est dsormais tableau-objet. La seconde formule dAlberti dsigne Narcisse comme linventeur de la peinture . Le miroir est une rfrence pour les artistes car limage reflte et limage peinte sont toutes deux rgies par les lois de la perspective. Mais la peinture ne peut se rsigner ntre quun miroir passif, elle a la puissance de transfigurer le rel. Pour de nombreux artistes, inclure un miroir dans le tableau, un reflet dans limage, devient un moyen de questionner la reprsentation, lillusion et lespace pictural. Dans le portrait de Mme de Senonnes, le dcalage entre le reflet et lobjet peint attire lil du spectateur, puis son esprit. Sadane Afif, lui, capture le spectateur dans des objets rflchissants dtourns, devenus monochromes inattendus. Jacques-Charles Derrey Toulouse, 1907 - Paris, 1975

    Portrait de la femme de l'artiste 1947 Oeuvre inacheve, jamais expose Huile sur toile 81x65 cm Don de Mme Derrey en 1993 Ce Portrait de la femme de lartiste, jamais expos auparavant, interpelle par son sujet et sa composition. La femme, au regard inquiet, place dans un intrieur sommairement dcrit (latelier de lartiste ?) brandit une toile blanche. Celle-ci, comme un hymne la page blanche, constitue la fois une invitation peindre tout en insistant sur la difficult de la cration en art. Que doit-on voir au-del de cette toile vierge qui occupe tout le premier plan ? Quel rle joue exactement cette femme : modle ou assistante ? Le regard interrogatif, larrire-plan construit avec de larges plages colores suggrent lattention que le peintre, traditionnel dans sa formation, accorde aux courants les plus avant-gardistes. Cette uvre, place en prambule donne le ton de lexposition : trange, au dbut, la Femme, le modle de luvre, inquite dapporter la Page blanche au peintre. []. Le dsir furtif, vite retenu, de leur souhaiter dtre aveugles pour quils naient pas peur de devoir mettre de lordre dans cette inquitante tranget quon souponne tre la vie. Remplir la page blanche et devenir un peintre. Philippe Renaud Jacques-Charles Derrey arrive Nantes en 1913 o il se forme lcole des Beaux-arts, puis dans latelier de Lucien Simon et de Louis Roger lcole des Beaux-arts de Paris. Mdaille dor au Salon des artistes franais en 1936, Grand prix de Rome de gravure, Directeur de lcole des beaux-arts de Valenciennes, puis enseignant lcole polytechnique, Derrey illustre de nombreux livres et ralise des paysages.

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    Jean Auguste Dominique Ingres Montauban, 1780 - Paris, 1867

    Portrait de Mme de Senonnes 1814 Huile sur toile 106x84 cm Achat M. Bonnin en 1853

    Ce clbre portrait met en scne la jeune Marie Marcoz, alors matresse du vicomte Alexandre de Senonnes. Ami dIngres, celui-ci lui commanda un portrait de sa bien-aime rpute alors pour sa beaut. Assise sur un moelleux canap, dans un chatoiement dtoffes et de bijoux, elle fait face au spectateur et linterpelle du regard. Derrire elle, un miroir noir occupe la quasi-totalit de lespace. Trait comme un aplat sombre, il isole lovale pur du visage et renforce son trange prsence. Par ailleurs, son pouvoir de rflexion laisse perplexe car il ne reflte que partiellement le modle, ignore lespace rel et occulte la prsence de lartiste. Le regard perdu dans le vague et le sourire nigmatique de la future Madame de Senonnes laissent chacun le choix de linterprtation. Ce chef-duvre fascina P.Picasso, H.Matisse, A.Breton et L.Aragon. La thmatique de la toile et du reflet est ici centrale et mise en valeur par laccrochage qui place Brume de Sadane Afif en face--face. Dans un miroir de fond et son reflet, le peintre [...] avoue lobsession de son oeuvre derrire la sagesse apparente dun portrait classique, mais cet aveu linquite et lui inspire ltrange attitude qui consiste cacher, peine, sa signature dans une carte fiche dans le cadre du miroir. Philippe Renaud. lve de David Paris, Ingres, obtient en 1801 le premier prix de Rome o il sjourne de 1806 1820. Plus tard, il y dirigera lAcadmie de France Rome. Personnage incontournable de la scne artistique du XIXe sicle, il est principalement connu pour ses portraits o il excelle. Sadane Afif Vendme, 1970

    Brume 2003 Panneau mural Aluminium, adhsif rflchissant 210x390 cm Acquisition Fonds national d'art contemporain Dpt au Muse des Beaux-Arts de Nantes le 07/12/2006 Brume est un assemblage de panneaux rflchissants pour autoroute. Il constitue ici un monochrome inattendu, jouant sur les effets de lumire et de miroir. La fonction de lobjet utilitaire sest perdue et lartiste en exploite son ambigut identificatrice. Notre perception est mise en abme dans cette uvre laquelle nous participons. Par ses capacits rflchissantes, luvre intgre le spectateur et reflte dun jour nouveau le miroir noir dIngres Que refltent deux miroirs quand ils se regardent ? Linfini dun abme interstellaire ou lnigmatique reflet du vide traverser. Se font-ils des clins dil de franche complicit pour mieux se mentir eux-mmes en guise de philosophie ? [] Le miroir quon accroche au mur est-il un simple autoportrait qui se repose en votre absence, pour rflchir un peu, dirait Jean Cocteau, avant de vous renvoyer votre image, votre retour inopin en vous-mmes. Le flou fait-il partie de lart de rflchir ? tranges ces images qui vous dessinent sans effort, mais tout naturellement lenvers. Comme si vrit et mensonge taient jumeaux, vrais ou faux selon lhumeur. Philippe Renaud Diplm de lcole des Beaux-arts de Nantes, Sadane Afif fait partie dune jeune gnration montante dartistes nantais. Il vit, depuis 2003, Berlin. Sans atelier, il sinstalle souvent sur son lieu dintervention. Le refus de sisoler correspond un souci de sentourer pour crer.

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    Philippe Gronon Rochefort, 1964 Verso n 44, Achrome, Pietro Manzoni, collection du Muse des beaux-arts de Nantes 2010 Cette photographie reprsente le dos de la peinture de Piero Manzoni, Achrome, dans les collections du muse des Beaux-Arts de Nantes Acquisition En 2005, Philippe Gronon entreprend une nouvelle srie de photographies en couleur, toujours lchelle un, reprsentant les revers de tableaux issus de collections prives et publiques. Sa dmarche est toujours la mme. Il prend une photo largentique quil dveloppe en chambre, puis numrise limage afin de dtourer lobjet. Enfin, il procde une impression pigmentaire en couleur, contrecolle sur aluminium. Le rsultat de cette opration photographique qui extrait la chose en la dtourant pose alors la question de son statut, ni tout fait image, ni rellement objet . Sur le chssis photographi, apparat la face cache de luvre, linvisible devient visible. Transparaissent alors les stigmates et lhistoire du tableau : restaurations, salissures, poussires, signatures, tiquettes dexpositions et de transporteurs, inscriptions du propritaire Lartiste interroge ainsi une uvre nigmatique de nos collections permanentes : lAchrome de Piero Manzoni. Que voit-on derrire une uvre qui na pas de sujet, ou plutt qui est son propre sujet ? Et de fait, que nous rvle-t-il sur lendroit ? Lenvers tmoigne mais ne rvle pas. Depuis 1987, Philippe Gronon ralise des photographies selon un point de vue frontal et lchelle un, dobjets-supports de communication (tableaux dascenseur), de surfaces dinscription (tableaux noirs) ou encore de rceptacles (coffres-forts). Ces lments, saisis hors de leur contexte dutilisation, sont des surfaces apparemment neutres mais qui comportent des traces dusage ou dusures qui tmoignent dune histoire. Piero Manzoni Soncino (Italie), 1933 - Milan, 1963

    Achrome 1958 Kaolin sur toile 60x89 cm Achat la Galerie Nathalie Seroussi en 1992 Lartiste italien Piero Manzoni peut tre considr, avec le Belge Marcel Broodthaers, comme lun des pres spirituels de lart conceptuel* en Europe. En 1956, il signe le manifeste pour la dcouverte dune zone dimages o il dclare entendre lart comme dcouverte [] de zones authentiques et vierges . Lanne suivante parat un second manifeste : lart nest vritable cration . Il affirme quil faut atteindre sa propre mythologie personnelle en se librant, par un processus dauto-analyse, des faits trangers, des gestes inutiles, [et de] la cohrence stylistique . Cest dans cette logique quen 1957, il ralise ses premiers Achromes , aprs avoir vu Milan Les monochromes bleus dYves Klein. Luvre na pas de couleur, elle nest pas peinte en blanc. La toile est imprgne de kaolin et de colle. La surface nest rien dautre que de la toile durcie et plisse : Linfini est rigoureusement monochrome ou, mieux encore, sans couleur , dclare Manzoni. Il joue sur lambigut toucher/vue. La texture de la toile est inattendue. Cette uvre ouvre le champ de la dfinition mme de la peinture. La toile se suffit elle-mme. Le critique dart italien Germano Celant crivait en 1958 : dans ses uvres, Manzoni fait table rase de toute interrogation et de toute proccupation existentielle et commence considrer le tableau comme une aire de libert qui ds le dbut se dgage de toute implication chromatique et figurative et devient achrome : une surface et une toile muette, dbarrasse de toute allusion, de toute description, de toute allgorie et de tout symbole . * Art conceptuel : est un mouvement de l'art contemporain apparu dans les annes 1960 mais dont les origines remontent aux Ready made de Marcel Duchamp au dbut du XXe sicle. L'art est dfini non par les proprits esthtiques des objets ou des uvres, mais seulement par le concept ou l'ide de l'art.

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    Rosemarie Trockel Schwerte (Rpublique fdrale d'Allemagne), 1952

    Sans Titre 1988 uvre ralise dans le cadre des Ateliers Internationaux des Pays de la Loire uvre en 3 dimensions, Installation Chemise blanche accroche un cintre, dans une vitrine. 200x50x30 cm Achat l'artiste en 1989 Frac des Pays de la Loire Dpt au Muse des Beaux-Arts de Nantes en 1993

    Prsente de manire musale (socle et vitrine), une simple chemise blanche suspendue un cintre est accompagne dune araigne. Apparemment banal, ce vtement a la particularit de pouvoir tre port indiffremment par les deux sexes boutonnage gauche et poignets boutons de manchettes. Son tiquette Justine Juliette Collection dsir fait rfrence en partie lhrone de Sade. Au moment de linstallation de luvre, une araigne est glisse dans la vitrine et en tissant sa toile, elle rejoue le geste initial de la fabrication de la chemise tout en introduisant un lment inquitant. Invisible au premier abord, la petite bte ncessite une attention particulire de la part du visiteur. Priv de nourriture, larachnide ne survit que peu de temps et reste accroch discrtement. Jouant de la dialectique du vice et de la vertu, Rosemarie Trockel trouble la blancheur virginale du tissu par la prsence de laraigne, mtaphore de la mort et/ou de labandon. Cette uvre navigue sur la thmatique de ltrange et de la toile comme celle que tisse laraigne dans le plafond de chacun dentre nous et quil nous faut domestiquer . Philippe Renaud Rosemarie Trockel se forme lcole des Beaux-arts Cologne et tudie lanthropologie, la sociologie, la thologie et les mathmatiques. Son uvre polymorphe et droutante, utilise diffrents mdiums et objets divers. De nombreux indices dsignent lhomme et son comportement, mais travers lexprience de lartiste comme femme.

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    Lenfer et la maladie Ma grand-mre me disait : Regarde Toi longtemps dans une glace Et tu verras le diable. Longtemps, jai fix un miroir Mais jai senti mon me partir Et jai manqu de me trouver mal. Camille Bryen Les enfers dsignent le royaume souterrain des morts dans la mythologie grco-latine. Au singulier, il est le lieu destin au supplice des damns dans la religion chrtienne. Pour les crivains et les artistes, il reprsente une source permanente dinspiration, un sujet pris, propice lexpression de nos peurs les plus profondes. LIxion de Jules Elie Delaunay (1876) est lexemple mme du supplici. la douleur de son chtiment, se rajoute lternel recommencement de celui-ci. Le corps cristallise ici une souffrance atroce, traduite par la crispation des membres, une composition tendue, des contrastes violents de couleurs et de lumires. Enfer ou paradis dans Spunkland de Gilbert & George ? Habitus traiter de faon crue et trs explicite des sujets de socit brlants comme le racisme, lalcool, lhomosexualit, les deux artistes anglais proposent ici une image ambigu. Ils se photographient nus, main dans la main, minuscules face un univers gigantesque compos de gamtes vus au microscope. Sont-ils deux Adams au pays du foutre (traduction du titre), ou peut-tre chasss de leur paradis ? Difficile interprtation ici, le sperme voque le sexe mais renvoie aussi lenfer du sida. Le corps est le point commun aux uvres de cette section : le corps lieu de souffrance, le corps objet de plaisir sexuel, mais aussi le corps matriau de luvre avec la performance de Jana Sterbak. Quattendons-nous de lartiste ? Quil nous offre son corps comme combustible pour fournir lnergie qui nous permettra de comprendre le monde et repousser nos peurs ? Jules Elie Delaunay Nantes, 1828 - Paris, 1891

    Ixion prcipit dans les enfers 1876 Huile sur toile 114x147 cm Acquisition en 1880

    Cette uvre illustre le supplice dIxion. Personnage de la mythologie grecque, il incarne le vice, la trahison, la rcidive et le chtiment perptuel. Roi des Lapithes (tribu du nord de la Thessalie), il assassine son beau-pre Eione. Malgr tout, Zeus laccueille sur lOlympe. Mais Ixion tente de sduire Hra. Furieux, Zeus lui envoie une nue ayant les traits de son pouse. Ixion la viole. Il est condamn tre attach perptuit sur une roue enflamme qui tournoie au-dessus du Tartare (les Enfers). Artiste officiel et acadmique, Jules-Elie Delaunay est fascin par les grands mythes fondateurs. Laspect effroyable et terrifiant de la punition est rendu avec ralisme, soulign par une palette sombre, dominante noire et rouge. Le corps convulse, le visage est fig dans la douleur. Le choix du sujet permet dopposer subtilement attraction et rpulsion. Il rvle en effet la fois notre attirance pour le morbide et la ncessit dune mise en garde, deux facteurs constitutifs de notre fonctionnement, de notre socit. Portraitiste de talent et peintre dhistoire, Jules-Elie Delaunay est un hritier du classicisme dIngres et du Seicento italien. Il reoit de nombreuses et prestigieuses commandes Nantes et surtout Paris : lOpra Garnier et le Panthon.

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    Giacomo Farelli (attribu ) Rome, 1624 - Naples, 1701 Dploration sur le corps du Christ XVIIe sicle Huile sur toile 96x135 cm Achat M. Cacault en 1810

    Si le thme de la Dploration de la Vierge est trs frquemment trait par les peintres et sculpteurs, ce tableau se distingue par le recours un cadrage extrmement resserr. Lattention se concentre sur les deux personnages principaux. Le corps du Christ, vu en raccourci, nest pas sans voquer le chef-duvre dAndrea Mantegna, La lamentation sur le Christ mort, de 1480, conserv la Pinacothque de Brera. La diffrence est que le corps du Christ est ici dispos en diagonale, rompant ainsi avec la rigidit verticale de la version du peintre de la Renaissance. Le Christ semble serein, plong dans un sommeil ternel. Son corps ne porte pas les stigmates dune mort douloureuse. Cette iconographie met en exergue la volont de lEglise au XVIIe sicle : rassurer le fidle en insistant sur la plnitude de lhomme face la mort, puisque la rsurrection lattend. La Vierge Marie, par contre, revtue de son ample manteau dazur, incarne la mater dolorosa, la vierge de douleur. Elle pose son visage sur le torse de son fils et esquisse un geste de dploration, les deux mains grandes ouvertes, au-dessus du drap et de lpaule de son fils. Le jeu des mains et des pieds animent par ailleurs la composition de faon originale. Le peintre russit ici synthtiser les diffrents courants de lpoque avec les influences du pass. Il ralise une uvre destine la dvotion prive, o les questions de lamour filiale et du sacrifice sont poses. Form Naples dans latelier dAndrea Vaccaro, Giacomo Farelli est fortement influenc par la veine naturaliste des peintres caravagesques Massimo Stanzione et Filippo Vitale. Jana Sterbak Prague (Tchcoslovaquie), 1955 Artist as a combustible 1986 Photographie couleur Tirage couleur 29,8x20,4 cm Achat la Galeria Toni Tapies en 2002 Fonds national d'art contemporain Dpt au Muse des Beaux-Arts de Nantes le 10/12/2003

    Cette photographie montre Jana Sterbak lors dune performance en 1986. Lartiste se met en scne pendant trente secondes dans un scnario trange : elle se tient debout avec une coupelle de poudre pose sur son crne qui senflamme et cre un jaillissement de lumire. Le corps est baign dun halo lumineux et sa silhouette se dcoupe dans lespace. Le spectateur se trouve pris entre deux sentiments forts : lblouissement de ce jeu de lumire et linquitude devant cette mise en danger corporelle. La photographie, seul vestige de cette performance, fixe ce moment dembrasement dans une immobilit surrelle. Par le titre de luvre, Artist as a combustible, lartiste suggre que notre socit contemporaine attend beaucoup des artistes : en effet, ils vont parfois jusqu' se mettre en scne dans des situations extrmes pour nous ouvrir les yeux sur le monde actuel. Cest le feu qui illumine et qui attire, brle limagination pour mieux la tromper. Lartiste le laisse schapper de son cerveau fcond comme on laisse se dvelopper une pidmie mortelle. Cest alors la punition aprs lamour forcment trahi, la souffrance tout jamais dune roue de feu, qui, doit-on le souponner, devient plaisir ncessaire. Philippe Renaud. Luvre de Jana Sterbak oscillant constamment entre lironie et le paradoxe, labsurde et la tragdie, fait appel un vaste registre de matriaux et de multiples rfrences. Son travail propose une multitude de pistes centres vers une rflexion sur les limites de la condition humaine.

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    Sophy Rickett Londres (Royaume-Uni), 1970 Vauxhall Bridge de la srie : Pissing Women 1995 5/5 Prise de vue ralise Londres N 1 d'une srie de trois uvres Photographie noir et blanc, tirage argentique contrecoll sur aluminium 102x102 cm (hors marge) (Tir par John Barton, Richie Colour) Achat l'artiste Fonds national d'art contemporain Transfert au Muse des Beaux-Arts de Nantes le 29/06/2007

    Vauxhall Bridge, appartient la srie Pissing Women o Sophy Rickett photographie des femmes urinant debout devant des immeubles emblmatiques du pouvoir masculin. La composition est trs simple, mais la narration plus complexe. Au premier plan, une femme vtue comme une business women en tailleur et talons hauts, urine comme un homme sur le pont Vauxhall bridge Londres. A larrire-plan, illumin de tous ses feux, le fameux btiment du MI6 (Military Intelligence Six), symbole masculin de pouvoir et de puissance, simpose dans la nuit. Cette photographie, non retouche, peut tre comprise comme une simple satire du comportement masculin, mais on peut aussi y voir une volont daffirmation et de revendication fministe. Luvre joue des contrastes de lumire et dobscurit, pour construire un espace o la photographie souligne la violence du sujet ainsi que son absurdit. Sophy Rickett ne en 1970 Londres, tudie la photographie lUniversit de Communication de Londres. Aprs son diplme du Royal College of Art, son travail commence tre reconnu la fin des annes 1990. Vauxhall Bridge est une de ses premires uvres.

    Gilbert & George Gilbert Prouch, San Martino in Badia (Italie), 1943 George Passmore, Plymouth (Royaume-Uni), 1942, dit

    Spunkland 1997 Installation murale de douze lments Techniques mixtes 190x302 cm Acquisition Fonds national d'art contemporain Transfert au Muse des Beaux-Arts de Nantes le 29/06/2007

    Spunkland est une uvre imposante constitue dun assemblage de panneaux photographiques. Les deux artistes apparaissent gauche au premier plan. Vus de dos, ils semblent contempler le paysage qui soffre eux et qui ressemble une peinture gestuelle abstraite. Comme lindique le titre (spunk en anglais signifie foutre), il sagit en ralit dun nuage de spermatozodes. tablissant un rapport dchelle entre la figure humaine minuscule devant limmensit des gamtes vus au microscope, ils dtournent avec ironie la figure romantique de lartiste face au cosmos et linfini. Luvre de part sa dimension et son graphisme publicitaire a un impact visuel immdiat et une dimension plutt onirique alors que le sujet reste assez cru. Entre enfer et paradis, douleur et jouissance, le sperme voque la fois la vie et ses plaisirs, mais aussi dans le contexte du virus du sida, la mort. Aussi, les interprtations sont varies : Gilbert et George sont-ils condamns comme Adam et Eve lerrance et la douleur, ou au contraire sapprtent-ils plonger dans un ocan de plaisir infini ? Doit-on voir dans cette uvre une mise en garde, ou un appel la vie ? Gilbert et George se sont rencontrs en 1967 lcole dart de Saint Martin, Londres, et depuis lors ont toujours travaill ensemble. Les sujets abords, souvent violents et crus, visent susciter lmotion. Ils dclarent proposer un art de la confrontation, un art qui ait un sens, qui traite de sujets universels presque inacceptables .

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    Le rve et limaginaire

    Chaque rve qui russit est un accomplissement du dsir de dormir. Sigmund Freud, 1900

    Le rve est intimement li l'inconscient depuis que Sigmund Freud, l'aube du XXe sicle, le dfinit sous le prisme de la psychanalyse. Il sagit pour lui dun tat inconscient, dun phnomne psychique se produisant pendant le sommeil. linverse, limaginaire est le produit dun tat conscient, de la facult qua lesprit de se reprsenter des images. Luvre de Georges de La Tour est la frontire de ces deux notions. Le personnage de Joseph est en train de rver. Limage peinte par lartiste est une projection relle de linconscient de Joseph. Il voit lange lui transmettre le message divin et nous sommes les tmoins de limagination de lartiste. La mise en scne et le clair-obscur contribuent donner un aspect mystique et inaccessible ce songe. Les deux autres uvres prsentes rsultent directement de limagination des artistes. On Kawara matrialise une dure inaccessible lchelle humaine, un pass imperceptible et un futur fantasm, sous la forme dune bote contenant 24 CD audio de 60 minutes. Des voix dhommes et de femmes grnent des dates stalant sur un million dannes. A contrario, Alexandre Chantron suspend le temps. Les nymphes viennent de mourir. De leurs corps enchevtrs et sans vie, se dgagent un sentiment ambigu, la fois sensuel et violent. Le rcit contraste ici fortement avec latmosphre doucereuse de luvre.

    Alexandre Chantron Nantes, 1842 - ?, 1918 Feuilles mortes 1902 300x215 cm Don Madame Alexandre Chantron en 1918 Feuilles mortes ! est une uvre qui valut au peintre les honneurs (seconde mdaille du salon de 1902) mais dont le sujet reste difficile et obscur. Elle est accompagne dun pome lgiaque qui figure sur le cadre, crit par un pote nantais quelque peu oubli, Dominique Caill. Mais il est aujourdhui difficile de dire qui du peintre ou du pote a inspir lautre. De jeunes femmes nues, inanimes, jonchent le sol couvert de feuilles mortes dans un sous-bois. Les corps cadavriques prennent une tonalit orange sous leffet dun soleil couchant. Les couleurs roses et chaudes, le traitement lumineux du ciel larrire plan, la prsence des corps enchevtrs dans un vallon, suscitent un sentiment ambigu. Si ces nymphes sont mortes violemment, empoisonnes, le paysage parat au contraire trs paisible, comme tranger ce quil abrite. Allusion au temps qui passe, la jeunesse perdue ? Symbolique des saisons qui ponctuent le cycle de la vie ? Complaisance morbide ? Linterprtation reste ouverte Lartiste sloigne en tout cas du style plus raliste de sa jeunesse pour traiter un sujet dans la veine symboliste hrite de Gustave Moreau. Matre dune certaine cole nantaise de peinture, Chantron est un artiste redcouvrir. De formation acadmique, il fait ses classes chez Bouguereau, puis carrire au salon de Paris, en proposant des sujets varis, facilement accessibles au grand public.

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    Georges de La Tour Vic-sur-Seille, 1593 - Lunville, 1652

    L'Apparition de l'ange saint Joseph dit aussi Le Songe de saint Joseph 1re moiti XVIIe sicle Huile sur toile 93x82,2 cm Achat M. Franois Cacault en 1810

    Grce la prsence dune signature, ce tableau est un des points de dpart de la redcouverte de luvre de Georges de La Tour, partir de 1915. Elle appartient la deuxime partie de la carrire de lartiste, alors quil pratique cette manire nocturne si caractristique, fonde sur une simplicit de la composition, un usage de la lumire artificielle et une simplification des volumes. Dans Le songe de saint Joseph, lange prvient celui-ci de la conception divine du Christ. Cependant, rien ne permet ici didentifier les deux acteurs de la scne car de La Tour dpeint les personnages sacrs comme de simples humains, laissant planer la possibilit potique dune double interprtation. Simple scne de la vie quotidienne ou mystre sacr ? Lange nest-il quun enfant ? Et saint Joseph un vieillard endormi ? Aucun attribut ne permet de le savoir. Le procd de la source lumineuse unique, la flamme de la bougie, occulte par le bras au premier plan, permet lartiste de jouer subtilement avec les zones dombre : seul un fin rai lumineux ourle la main de lange, claire son charpe brode et le profil de son visage. Saint Joseph que lon devine dans la pnombre est-il en train de dormir ? La lumire, subtilement rendue, confre cette scne raliste une dimension sacre. Une atmosphre recueillie et mystrieuse baigne les deux personnages. Il sagit dune lumire mtaphorique, simule, au sens o Hegel lentend, c'est--dire recre par lesprit , un loge la bipolarit de notre me, la fois claire et obscure. On Kawara Kariya (Japon), 1933 One Million Years (Past and Future) 2002 CD audio 13,5x26,2x13,5 cm Achat la Akira Ikeda Gallery en 2003

    One Million Years est constitue de 24 CD audio, de 60 minutes chacun, classs dans une bote en bois. Ces CD correspondent lenregistrement dune exposition exclusivement sonore organise par la galerie Ikeda ( Berlin) en 2002. Des hommes et des femmes numrent alternativement des dates passes, de 988 628 983 821 avant J.-C. (Prhistoire) et des dates futures, de 13 293 19 155 de notre re. Cet inventaire temporel permet de prendre conscience du temps lchelle de lhistoire de lhumanit, de raliser quel point ce temps est infini et insaisissable. Il nous rappelle que nos vies sont courtes face celle de notre univers. Ce travail nous place face au nant, au vide, linaccessible et la frustration. Autodidacte, On Kawara ralise ses premires sculptures en 1953. Aprs avoir quitt le Japon en 1959, il voyage en Amrique et en Europe et participe, partir de 1966, au mouvement conceptuel. Fonde sur la notion de temps, son uvre, troitement associe sa biographie, est compose de Date Paintings : des tableaux monochromes raliss en une journe, dats dans la langue du pays et complts dun journal du jour. Il prolonge ce travail par lenvoi de cartes postales ou de lettres, de listes de gens quil rencontre, ou de livres quil lit. Il rappelle ainsi ses correspondants quil est toujours en vie.

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    La mort, le crime et la mtamorphose

    Je tavais dit, Sophie quil arriverait un malheur []. Heureusement que la figure et les bras nont pas eu le temps de fondre Je suis trs habile mdecin, je pourrai peut-tre lui rendre ses yeux. Dshabillez-la poupe, mes enfants pendant que je prpare mes instruments []. Comtesse de Sgur, 1858

    Notre terreur primitive de la mort et nos craintes enfantines enfouies expliquent, selon Sigmund Freud, notre inquitude, notre effroi face des tres et des environnements pourtant coutumiers qui nous apparaissent soudainement tranges. Les artistes et crivains se plaisent se confronter la mort en lui donnant diffrents visages. Lucrce et Judith, hrones trs prises par les peintres du XVIIe sicle, incarnent deux images opposes de la mort. La premire, victime, lave par son suicide lhonneur de sa famille. Le tableau de Jacques Blanchard sloigne du sujet historique pour se concentrer sur laspect dramatique et humain. La seconde, criminelle, tue pour librer son peuple. Giovanni Battista Spinelli la peint en guerrire froide et dtermine. Cest souvent une mort symbolique que les artistes abordent. Pietro Della Vecchia, au XVIIe sicle, lvoque dans la mtamorphose de Tirsias en femme. La mort est ici synonyme dun changement dtat. Georges Rochegrosse dplore la disparition de la posie, tue par la ville moderne du dbut du XXe sicle. Dans la veine surraliste, Claude Cahun utilise des objets fonctionnement symbolique pour mettre en scne de petites compositions phmres quelle photographie. Dans lune delles, apparat un personnage transperc dune lance identifi comme Le pre . Hommage ou allusion inconsciente au pre de lartiste dcd quelques annes auparavant ? Jacques Blanchard Paris, 1600 - Paris, 1638 La mort de Lucrce 1re moiti XVIIe sicle Huile sur toile 74x61 cm Achat Eric Turquin Expertise (SA) Avec la participation de l'Etat (DMF) en 1989

    La Mort de Lucrce est un sujet souvent trait par les artistes de la premire moiti du XVIIe sicle. Hrone exemplaire, elle incarne la vertu, la femme chaste qui se donne la mort pour laver son honneur et sauver son royaume. Lucrce est romaine. Viole par le fils du roi trusque Tarquin le Superbe, elle dnonce publiquement le crime de son agresseur puis se poignarde dans les bras de son pre. Cet vnement prcipite la chute de Tarquin et aboutit la cration de la Rpublique romaine en 509 av. J.-C., qui clbre toujours Lucrce comme lune de ses figures fondatrices. Lartiste choisit de reprsenter le moment fatal o Lucrce tient son arme fermement. Elle regarde vers le ciel, le prend tmoin et limplore en mme temps. Blanchard met en lumire le geste dtermin et surtout la poitrine sensuelle du modle qui soffre au poignard. Cest par la gestuelle que Blanchard incarne leffroi que doit nous inspirer la vue de cette terrible scne. Rival du clbre Simon Vouet, Jacques Blanchard est form Lyon par Horace Le Blanc. A la suite dun long sjour en Italie, il devient particulirement sensible linfluence de Vronse et du Titien, au point dtre parfois surnomm le Titien franais . Sa touche brillante et sensuelle garde le souvenir de lart vnitien, mais ses compositions portent la marque du classicisme bolonais et parisien.

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    Giovanni Battista Spinelli (attribu ) Judith qui vient de trancher la tte d'Holopherne XVIIe sicle Huile sur toile 80x68 cm Achat M. Franois Cacault en 1810 Tire du livre de Judith (ancien testament), cette uvre met en scne la jeune hrone criminelle. Jeune veuve originaire de Bthulie, alors assige par le gnral assyrien Holopherne, elle se rend dans le camp ennemi, sduit et enivre le guerrier pour mieux le dcapiter. La tte rapporte sera cloue aux portes de la ville et mettra fin au sige. Le modle, aux formes pulpeuses difficilement contenues par son beau vtement, serre de la main lpe de sa victoire tandis quelle porte son regard au loin, se protgeant de la lumire par sa main en visire. Cette Judith sinscrit dans une srie ralise par le peintre de personnages cadrs mi-corps, plongs dans un clair-obscur dramatique la manire caravagesque. Le clair-obscur joue ici un rle narratif primordial : la lumire dirige tombe de la partie suprieure gauche sur les atouts sduisants de la belle (dcollet plongeant, toffes soyeuses, carnation laiteuse) puis sur la vision morbide de la tte frachement dcapite. Lambigut du personnage se trouve ainsi mise en avant ; Judith est la fois une sductrice lgante et une meurtrire sans tat dme guide par sa foi. Elle savana alors vers la traverse du lit proche de la tte dHolopherne, en dtacha son cimeterre, puis sapprochant de la couche, elle saisit la chevelure de lhomme et dit : Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu disral ! . (Judith 13.6.10) Giovanni Battista Spinelli, originaire de Bergame, est connu entre 1640 et 1660, alors que son activit se dploie entre Naples et Chieti. Jean Benner Mulhouse, 1836 - Paris , 1906 Salom avant 1907 Huile sur toile 118x80 cm Don de Many Benner en 1907 Sur un fond sombre, une jeune femme au regard fixe nous prsente un plateau sur lequel est pose une tte humaine dcapite. Il sagit de Salom (vangile selon saint Matthieu, 14, 1-12, et vangile selon saint Marc, 6,14-29). Fille dHrodiade, elle charme au cours dune danse son beau-pre, le roi Hrode qui, envot, dclare lui accorder ce quelle souhaite. Sur le conseil de sa mre, la danseuse demande la tte de saint Jean-Baptiste. Hrode excute ses dsirs et aprs avoir fait dcapiter le Saint par un bourreau, lui fait apporter sur un plateau. Contrairement liconographie traditionnelle, Benner sintresse non pas lpisode de la danse mais sa conclusion sanglante. Il joue ainsi sur lambigut de Salom qui oscille entre innocence et culpabilit. Cette figure inspire fascination et horreur ; transparence des voiles, sensualit de la chair, puret des traits, regard envotant contrastent avec latrocit du sujet. Latmosphre capiteuse, la palette sourde aux reflets jaunes donnant un aspect surnaturel au visage, et la frontalit de la scne accordent un charme troublant, trs proche de lesthtique des symbolistes. Jean Benner, issu dune famille de peintre, suit les leons de Pils et de Henner Paris, qui lui enseignent un mtier acadmique. Il expose au Salon, ds 1857. Cest la suite dun voyage en Italie en 1866 quil aborde de nouveaux genres portraits, paysages et sujets mythologiques ou religieux.

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    Pietro Della Vecchia (Pietro Muttoni, dit) Venise, 1603 - Venise, 1678 Le devin Tirsias se mtamorphosant en femme XVIIe sicle Huile sur toile 107x142 cm Achat M. Dumouill en 1896 Tir des Mtamorphoses dOvide (III, 316-338), cet pisode reprsente le devin grec Tirsias aux cts dune femme nue, un sabre la main, sparant deux serpents. Le rcit prcise quils sont en train de saccoupler. Tirsias tue la femelle. Il est aussitt transform en femme. Sept ans aprs, il rencontre nouveau deux serpents entrelacs et reproduit son geste. Il retrouve alors sa forme premire. Pour avoir fait lexprience des deux sexes, Tirsias est choisi pour arbitrer une querelle entre Zeus et Hra relative au plaisir dans lamour. Jupiter prtend que la femme prend plus de plaisir que l'homme et son pouse Junon prtend le contraire. Les dieux demandent son avis Tirsias. Il donne raison Jupiter. Junon, plus offense qu'il ne convenait de l'tre pour un sujet aussi lger, condamna les yeux de son juge des tnbres ternelles (Mtamorphoses, III, 316-338). Jupiter ne pouvant aller l'encontre de la dcision de Junon, pour compenser sa ccit, offre Tirsias le don de divination et une vie longue de sept gnrations. Ce sujet voque la perte didentit, engendre la suite de la rencontre de serpents, symboles de pulsion de vie et de libido. Peintre officiel de la Rpublique de Venise, Pietro della Vecchia sinspire principalement de la peinture du XVIe sicle et tout particulirement du Titien et de Giorgione. Rput pour ses portraits, il ralisa galement quelques cartons pour le dcor de mosaques de la basilique San Marco. Il ralise ici une composition trange, dans lesprit baroque, illustrant un sujet mythologique peu commun. Brassa (Gyula Halasz, dit) Brasso (Autriche-Hongrie), 1899 - Paris, 1984

    Sans titre vers 1935 Tirage sur papier aux sels d'argent. Original de l'poque 22,5x29,3 cm Achat la succession Brassa 2010

    Aprs des tudes lcole des Beaux-arts de Budapest, puis de Berlin, Brassa arrive Paris en 1923 et se consacre la photographie, qui le rend vite clbre grce la publication douvrages comme Paris de nuit, prfac par Paul Morand, en 1932, ou de ses clichs dans la revue surraliste Minotaure. Cest en 1949 quest publie Anthologie de la posie naturelle, sous la direction de Camille Bryen et Alain Gheerbrant, dans laquelle sont reproduites dix photographies de Brassa, ainsi quHistoire de Marie reproduisant des propos tenus par sa femme de mnage. Les photographies de Brassa tmoignent de la crativit du hasard que recherchait alors Camille Bryen. La rue lui offre un spectacle quil fixe sur la pellicule : objets trouvs, graffitis, affiches, autant de motifs qui appellent le rve, linterprtation, comme ici les restes dun poupon accroch une baraque foraine dont le sens demeure nigmatique. []. La maman revint, prit des ciseaux, dtacha le corps cousu la poitrine : les yeux, qui taient dans la tte, tombrent sur ses genoux ; elle les prit avec des pinces et les replaa o ils devaient tre, et pour les empcher de tomber encore elle coula dans la tte, et sur la place ou taient les yeux, de la cire fondue quelle avait apporte dans une petite casserole [] . Comtesse de Sgur, Les Malheurs de Sophie, 1858.

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    Raoul Michelet/Ubac Malmdy, 1910 - Paris, 1985 Objet 1935 18 x 13 cm Photographie d'un objet de Camille Bryen Fondation Camille Bryen sous gide de la Fondation de France Dpt au Muse des Beaux-Arts de Nantes en 1994 Luvre prsente est la photographie dun objet cr par Camille Bryen (Nantes1907-Paris, 1977). Objet, constitu dlments divers sans liens apparents (jambes et buste de poupe, bote, chanes) voque une sorte de pantin dsarticul, un tre trange sans tte, proche de la mtamorphose. Il sinscrit dans la mouvance surraliste des annes 1930 qui conoit, partir dassociations non rationnelles et non esthtiques, des objets fonctionnement symbolique. Proche de Bryen dans sa recherche de lirrationnel, Ubac cre des photos qui sont les vhicules de ses obsessions et de sa rvolte, lobjectivation de ses dsirs lui permettant dapprhender de plus en plus vastement sa ralit , pour reprendre les termes de ce dernier lors de la prsentation des photographies lExposition surraliste la Louvire en Belgique en 1935. Dans les annes 1930, Raoul Michelet, qui ne signe pas encore Ubac, frquente le groupe surraliste et pratique la photographie. En 1935, il publie avec Camille Bryen un recueil de pomes et de photos, Actuation potique, annonc par un tract incitatif : Affichez vos pomes, affichez vos images . Claude Cahun (Lucy Schwob, dit) Nantes, 1894 - Saint-Hlier (Royaume-Uni), 1954 Le Pre 1932 Epreuve aux sels d'argent 23,6x17,7 cm Achat en 2000 Le Pre appartient la srie de photographies que Claude Cahun ralise partir de mises en scne dobjets. Prsentes lors de lexposition surraliste chez Charles Ratton (clbre galeriste parisien dart africain) en 1936, elles illustrent galement un recueil de posie pour enfants le Coeur de Pic, publi en 1937. Ces scnographies phmres, souvent installes sur le sable ou en extrieur, runissent des objets trouvs ou confectionns figurines, bibelots, coquillages, os, insectes et invitent une lecture allgorique et symbolique. Le pre de lartiste est ici dcrit dune manire humoristique comme un pantin frle constitu dos de sche, de bouchons de lige, de cuillre en bois et de plumes, tout prt tre pulvris par les vagues. Les interprtations sont diverses : hommage lhomme dcd en 1928, rglement de compte dipien, vocation dune enfance fragilise par la folie dune mre et langoisse dun pre face cette fatalit ? Petite-nice de lorientaliste Lon Cahun, nice de lcrivain Marcel Schwob et fille de Maurice Schowb, propritaire du journal nantais Le Phare de la Loire, Lucie Schwob prend, vers 1917, Claude Cahun comme pseudonyme. Installe Paris o elle se lie avec les surralistes (H.Michaux, A.Breton), elle dveloppe de multiples activits : pote, essayiste, photographe, comdienne... qui refltent sa qute permanente didentit.

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    Georges Rochegrosse Versailles, 1859 - ?, 1938 La mort de la pourpre Huile sur toile 219x298 cm Don de l'artiste en 1926

    Peintre dhistoire, Georges-Antoine Rochegrosse nhsite pas recourir de trs grands formats pour reprsenter la mort de personnages illustres de lAntiquit ou la fin des civilisations. On ne saurait toutefois reconnatre en lui un artiste exclusivement soucieux de livrer au public une image la fois spectaculaire et documente du pass. Il porte galement un regard critique sur la socit de son temps : le contexte emblmatique de la rvolution industrielle. Il prend tout son sens dans La Mort de la pourpre. Les commentateurs de cette immense composition, expose au Salon des artistes franais de 1914, quelques semaines avant le dclenchement du premier conflit mondial, saccordent assez logiquement reconnatre dans la grande figure couche celle dOrphe, reconnaissable sa lyre et sa tte nimbe. Si Rochegrosse a dj reprsent Orphe vtu de pourpre couleur associe lide de dignit souveraine dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe sicle il donne vraisemblablement cette couleur et au titre du tableau un sens plus gnral, lassociant, selon son ami Camille Mauclair (historien dart et critique littraire), la fin de lclat, du rve, de limagination . Quon reconnaisse Orphe ou le cadavre dune muse asphyxie dans cette atmosphre industrielle (Louis Hourticq), pleure par un pote [] daujourdhui (Mauclair), un rveur moderne (Gustave Kahn), voire, pourquoi pas, lartiste lui-mme, luvre tient la fois du manifeste esthtique et dun constat dramatique sur lpoque et sur lart. Rochegrosse sefforce de renouveler liconographie dune figure mythique qui a connu bien des incarnations au plus fort du symbolisme en insrant cette mort dOrphe dans la contemporanit. Linterprtation de Camille Mauclair, selon laquelle luvre illustrerait une lamentation sur lart romantique tu par le modernisme, sur la beaut insulte par les cits du machinisme , semble pertinente.

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    Visages et masques

    Tout portrait se situe au confluent dun rve et dune ralit. Georges Perec, 1978 Le visage est la partie de notre corps que lon dvoile le plus facilement lautre. Il permet didentifier un individu, de lire ses motions, dentrevoir parfois son parcours de vie. Il est aussi le sige de lidentit et le seul fragment de notre anatomie qui jouit de la totalit de nos sens. En histoire de lart, il est li au genre du portrait depuis les dbuts de la reprsentation, et fascine encore les artistes contemporains. Dans le trs grand tableau de Grard Gasiorowski, un visage surgit de la matire et remplit tout lespace, chappant compltement la volont de lartiste. Cest Kiga (dernire et premire syllabe du nom du peintre), la personnification de la peinture, qui rvle ici son identit en effaant celle de lauteur. Les portraits photographiques de Craigie Horsfield hypnotisent. Comment, par ce mdium qui enregistre une ralit objective, russit-il transmettre la personnalit, lintimit de ses modles ? Dun clair-obscur noir et blanc merge le visage grand format dune inconnue qui nous pntre du regard. Dans les vidos issues de ses performances, Marina Abramovic place son visage au centre de son dispositif. Il devient une fentre ouverte sur les sensations physiques et mentales quelle peroit. Le masque est une seconde peau qui cache et rvle la fois. Grace lui, je peux tre un autre. La question de lidentit et du genre est au cur du travail de Claude Cahun. Dans ses autoportraits, masques, maquillage, dguisements mettent en lumire la complexit dune personnalit. Visage ou masque ? Le Petit roi de Rosemarie Trockel drange par son visage enfantin ouvert sur le vide, coiff dune couronne qui nous espionne de ses yeux.

    Marina Abramovic Belgrade (Yougoslavie (avant 1991)), 1946 Video Portrait Gallery 1999 Nouveaux mdias, Vido Projection sur moniteurs d'une srie indissociable de 14 portraits de l'artiste films lors de performances ralises entre 1975 et 1998. Marina Abramovic est lune des figures fondatrices de lart de la performance depuis les annes 1970. Ses performances sont comme des rituels initiatiques o elle utilise son corps comme mdium et sa vie personnelle comme scnario. La mise en scne symbolique des tapes de la vie passe par la mise en danger de sa propre personne jusquaux limites physiques et mentales de la douleur. Vido Portrait Gallery constitue, travers une srie dautoportraits, une mini-rtrospective de son travail de 1975 1998. Son visage est au centre du dispositif. On lobserve dans diffrents scnarios, tous prouvants physiquement et psychiquement (laver avec acharnement des os de squelette, brosser les cheveux jusqu arrachage, pousser un hurlement sans interruption jusqu puisement, laisser des serpents se promener sur son corps et son visage ou manger un oignon avec la peau). Poussant les frontires du supportable, elle place le spectateur dans une situation inconfortable le poussant ragir : Je suis intresse par l'art qui drange et qui pousse la reprsentation du danger. Et puis, l'observation de public doit tre dans l'ici et maintenant. Marina Abramovic est une artiste serbe ne Belgrade en 1946. Ses premires uvres se prsentaient comme une rbellion contre son ducation stricte et la culture rpressive de la Yougoslavie d'aprs-guerre de Tito. En 1975, sa rencontre avec Ulay marque le dbut dune fructueuse collaboration artistique. Depuis 1988, elle enchane des performances en solo.

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    Craigie Horsfield Cambridge (Royaume-Uni), 1949 Ewa Chrobak Wispiankiego 6, Krakow, October 1976 1988 Epreuve aux sels d'argent 167x151 cm Don de la Socit des amis du Muse des Beaux-Arts de Nantes en 2003 Craigie Horsfield affiche des intentions sociales et une esthtique fonde sur la relation. Luvre dart, annonce-t-il, est passe de lobjet laction dans lespace de la relation, luvre dart est une manire dtre en relation . Lartiste associe films, photographies, sons, gravures et dessins pour interroger la fois lart et la vie, le familier et lextraordinaire, lpique et le quotidien. De 1969 et 2005, il sillonne lEurope : Londres, Cracovie, Barcelone, Rotterdam et ralise des sries de portraits et de scnes de rue o les contours sont flous et o noirceur et douceur rivalisent. La composition frontale, le dcor inexistant, ne permettent pas de situer et de caractriser le modle. Lartiste tire ses photographies en grand format donnant ses modles un caractre monumental auquel le spectateur peut difficilement se soustraire. Il ne livre jamais de renseignement sur le statut de la personne portraiture, il prcise par contre le nom, le lieu et la date de prise de vue. Disc-jockey en Allemagne dans les annes 1970, Craigie Horsfield sinstalle Londres dans les annes 1980. Il devient un acteur essentiel de la scne artistique contemporaine, grce une nouvelle approche de la photographie et lun des principaux protagonistes du ralisme social en Angleterre dans les annes 1990. Grard Gasiorowski Paris, 1930 - Lyon, 1986 Kiga-Crucifixion-Trace 1984 Huile sur toile 200x200 cm Achat la Galerie Maeght en 1985 Frac des Pays de la Loire Dpt au Muse des Beaux-Arts de Nantes le 27/10/1989

    En 1976, Grard Gasiorowski dcide dabandonner dfinitivement son patronyme au profit de AWK (l'Acadmie Worosis Kiga), compose de 400 artistes fictifs, reprsents chacun par un chapeau. Kiga, desse tutlaire de la peinture, apparat dans son travail comme une prolongation divine de la figure de lartiste. Cette uvre est issue de la srie Crmonie, ralise en 1983 et 1984. Lartiste y peint les diffrents visages que sest donne la peinture : hommages Lascaux, Rembrandt, Chardin, Czanne, Giotto qui sont chacun des avatars de Kiga. Alliant le sacr et le profane, la peinture est, selon les mots mmes de lartiste, comme les colonnes dun temple ddi la peinture depuis Lascaux . Figure marginale et solitaire, qui se condamna, certains moments de sa vie, la rclusion ou la disparition, Gasiorowski, n'a cess de vouloir incarner la peinture, s'y engloutir et s'en dfaire. Compose de sries, son uvre apparat comme autant d'effets de ce paradoxe du peintre , comme autant d'intensits productives, hors des conventions qui rgentent l'avant-garde elle-mme , ainsi que l'nonce l'un de ses plus ardents dfenseurs, le critique Bernard Lamarche-Vadel.

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    Rosemarie Trockel Schwerte (Rpublique fdrale d'Allemagne), 1952

    Sans titre (Le petit roi) 1985 Huile sur bois 50x40 cm Achat la Galerie Jule Kewenig en 1993 Le Petit Roi est la reprsentation dun personnage enfantin, coiff dune couronne, qui nous fait face. Le cadrage serr et le fond bleu invitent se concentrer sur le visage. Mais, alors que les orbites, les narines et la bouche semblent ouverts sur le nant, des yeux animent la couronne. La reprsentation oscille entre navet (monde de lenfance, jeu, dguisement) et gravit (aspect fantomatique, visage sans substance). Une inquitante tranget se dgage de ce personnage qui semble nous observer avec amusement. Avant de suivre lenseignement de lcole des Beaux-arts Cologne, Rosemarie Trockel tudie lanthropologie, la sociologie, la thologie et les mathmatiques. travers une dmarche multiforme, droutante et insaisissable, elle explore tous les mdiums (peinture, sculpture, dessin, tricot, photographie, vido) et sapproprie de nombreux objets (bas, fers repasser, plaques de cuisson) dont elle dtourne lusage des fins critiques. Son uvre est reconnue dans les annes 1980 avec la ralisation de tableaux en tricot. Tout portrait se situe au confluent dun rve et dune ralit. Georges Perec, La Vie mode demploi, Romans, 1878. Claude Cahun (Lucy Schwob, dit) Nantes, 1894 - Saint-Hlier (Royaume-Uni), 1954 Autoportrait couvert de masques vers 1928 Tirage argentique 11,8x8,9 cm Achat M. Franois Leperlier en 1996 Installe Paris o elle dveloppe une intense activit, Claude Cahun intgre une troupe de thtre de 1925 1929 et interprte trois rles. Elle ralise alors une srie dautoportraits en costume lors des rptitions dont cette photographie. On y voit lartiste portant un masque sur le visage, affuble dune cape noire sur laquelle sont cousus une multitude de demi-masques loup voquant le carnaval et le travestissement. Le dguisement, le travestissement, les jeux avec les miroirs sont pour elle un moyen de questionner le genre, lhomosexualit ou landrogynie. Le modle, plac frontalement devant lobjectif, confre une impression trange, renforce par le regard vide de tous les masques. Au-del de laspect thtral et carnavalesque, la question identitaire est au cur des proccupations personnelles de lartiste : Sous le masque, un autre masque. Je nen finirais pas de soulever tous ces visages. C. Cahun, Aveux non avenus, 1930.

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    Lombre et le fantastique

    une petite chose, linquitude donne une grande ombre. Proverbe sudois

    A la source de lhistoire de la reprsentation se trouvent deux cls fondatrices. Pline lAncien donne la premire, le mythe de Dibutade, par laquelle il explique la naissance des arts du trait. Dibutade est un potier corinthien dont la fille trace sur le mur le contour de lombre porte de son bien-aim avant quil ne parte pour un long voyage. Le potier faonne ensuite dans largile le relief du fianc. Platon propose la seconde, lallgorie de la caverne, qui met en scne des hommes enchans ignorant tout du monde et de la ralit quils ne peroivent qu travers les ombres projetes sur les parois de leur grotte. Ces deux rcits rvlent la nature complexe de lombre : elle est preuve dexistence, trace de prsence mais aussi dformation, tromperie. Lombre qui cache, qui enveloppe les objets de mystre, inquite. Elle est mtaphore de linconscient et renvoie un monde fantastique dans lequel le surnaturel fait irruption dans la ralit. Hugues Reip prsente un thtre dombres sous la forme visible dun carrousel enfantin. Les silhouettes mouvantes, ambigus, rappellent les personnages de dessins anims. Bien loin de lombre, Fabrice Hyber choisit laquarelle, matire transparente et lumineuse, pour exprimenter les nouvelles possibilits de monstres . Des personnages imaginaires naissent des taches, des coulures et de la rencontre de leau et du pigment. Gaston Chaissac remplit la feuille blanche dun dessin spontan. Nes de ses gestes inexpriments, se dveloppent des taches de couleurs libres qui se transforment en un bestiaire danimaux fantastiques.

    Hugues Reip Cannes, 1964

    White Spirit 2005 Installation Plaque circulaire en bois, formes dcoupes, moteur, spots et cran 100x180 cm cran : 224x250 cm Achat du FNAC 2008 Dpos au muse en 2010 Les ombres fantomatiques de douze figurines fixes sur un mange dfilent sur un cran. Puisant dans lunivers du cartoon, Hugues Reip a cr ces silhouettes, des esprits malicieux qui apparaissent et disparaissent de manire fugace. Lartiste propose une relecture du mythe platonicien de la caverne mtin de danse macabre dans la grande tradition mdivale. Avec cette lanterne magique, Reip livre une mditation onirique, en noir et blanc, sur la nature pour le moins illusoire, cyclique et phmre des choses. Dans ce thtre dombres, rien nest cach. Le dispositif technique est vue et participe du spectacle mme, linstar des machineries du thtre de lpoque baroque. Pas de mystre dans llaboration de cette frise mouvante. Lillusionnisme cde le pas la fabrique de lillusion, laissant ainsi chacun la libert de sabmer dans la contemplation rveuse du dfil immatriel, ou bien den dtailler les rouages ou encore dembrasser linstallation dans sa globalit . (MACVAL, 2010). Depuis les annes 1990, Hugues Reip dveloppe un travail mystrieux, entre naturel et magie, alliant dessins, constructions, bricolages, vidos. En rfrence la littrature ou lart populaire du dbut du XXe sicle, au cinma muet ou au manga japonais, ses crations tout autant absurdes quhumoristiques, avec pour fil conducteur une rflexion sur le mouvement et la lumire, interrogent notre culture et nos rfrences.

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    Sarkis Istanbul (Turquie), 1938 103 aquarelles Srie de 103 dessins, aquarelles sur papier 1981 Aquarelle sur papier 15x22,8 cm Acquisition Fonds national d'art contemporain Transfert au Muse des Beaux-Arts de Nantes le 29/06/2007 Aprs des tudes dart Istanbul entre 1957 et 1960, Sarkis commence peindre. son arrive Paris en 1964, o il vit et travaille toujours, il dcouvre lart conceptuel et luvre de Joseph Beuys (1921-1986). En 1969, il participe lexposition Quand les attitudes deviennent formes la Kunsthalle de Berne de Harald Szeemann. Il y met en scne des installations complexes autour de la/les mmoire/s en exploitant des bibelots, des bandes magntiques et des mots en nons. Lartiste nabandonne pas pour autant la pratique picturale. Il ralise cette srie de 103 aquarelles entre le 25 juillet 1981 et le 13 dcembre 1988 entre Istanbul, Berlin, Paris et Strasbourg. Elles constituent une sorte de journal de bord, le souffle intrieur de lartiste. On retrouve ici les thmes chers au Captain Sarkis, comme il se surnomme : le bateau, le forgeron, lhomme au balcon, lange. Intgres peu peu dans ses expositions, les aquarelles enrichissent la comprhension de son uvre. Elles scandent et animent le temps. La date et le lieu sont toujours prciss et encadrent rigoureusement laspect alatoire de leur cration. Dun point de vue technique, laquarelle permet en effet la rencontre parfois hasardeuse de leau et des pigments, jouant des contrastes, alternant aspects vaporeux, opacit et transparence. Les formes oscillent entre lindicible et le probable. Fabrice Hyber (Fabrice Hybert) Luon, 1961 Monstres 1987 2 Aquarelles 56,5x76 cm Don de l'artiste en 1993

    Fabrice Hyber a entrepris des tudes de mathmatiques, avant dintgrer lcole rgionale des Beaux-arts de Nantes. Il ralise sa premire exposition personnelle intitule Mutation, en 1986, Nantes. Depuis ses dbuts, Hyber exprimente un processus fond sur le dtournement et lhybridation, en construisant une uvre faite de diffrentes techniques et matriaux (peinture lhuile et collage dobjets par exemple ) o apparaissent des cratures imaginaires homme six doigts, sirne, monstres, etc. Ce nest pas ltude des monstres qui mintresse, mais plutt la dcouverte de nouvelles possibilits de monstres, trouver lintrieur des systmes existants la peinture par exemple les moyens de la monstruosit , confie lartiste. Les deux aquarelles ici runies, rvlatrices de sa grande dextrit, jouent de la mtamorphose provoque par les coulures et bavures du mdium. Dans le thtre absurde o nous ne sommes que des marionnettes douloureusement manipules par des ogres et des fes pas toujours bonnes, il faut sortir de lombre pour schapper de lenfance. Il faut laisser le pinceau tacher de couleurs inattendues le papier de nos rves pour imaginer des rencontres tranges. Dcider de lcher la proie pour lombre et ainsi rveiller la page blanche de nos mmoires peut engendrer dinquitantes histoires comme de bandes dessines qui font peur en rvlant dinavouables fantasmes. Philippe Renaud.

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    Gaston Chaissac Avallon, 1910 - La Roche-sur-Yon, 1964

    Btes 1936 Crayon de couleurs sur papier 6,5x10,4 cm Don de Mme Jane Kosnick Kloss Freundlich en 1966

    Oiseaux et serpents 1936 Crayons de couleur sur papier 6,6x10,4 cm Don de Mme Jane Kosnick Kloss Freundlich en 1966

    Btes 1936 Crayons de couleur sur papier 6,6x10,4 cm Don de Mme Jane Kosnick Kloss Freundlich en 1966 Btes et oiseau 1936 Crayon noir sur papier 6,6x10,4 cm Don de Mme Jane Kosnick Kloss Freundlich en 1966

    Chaissac dveloppe un bestiaire imaginaire et hybride, proche du langage mdival, o animaux et vgtaux se confondent. Les formes simbriquent et sont parfois relies. Les couleurs, arbitraires, dvoilent la libert dimagination de lartiste. Dans sa manire de remplir compltement la feuille blanche, Chaissac retrouve les pratiques dune expression spontane lie lenfance. Il joue de son inexprience : Jaccentuais, loccasion, ma maladresse, mtant aperu que plus mon dessin tait mal foutu, moins il avait la raideur de lapprenti dessinateur. On est lgant sa faon . Issu dune famille modeste, Gaston Chaissac apprend le mtier de son pre, cordonnier, avant de stablir Paris en 1936 et douvrir une choppe avec son frre. Il commence frquenter la petite acadmie Le Mur cre par le peintre Otto Freundlich et sa femme, Jeanne Kosnick-Kloss. Lenseignement est essentiellement bas sur lexploration des techniques artisanales comme le vitrail ou la broderie. Le couple encourage Chaissac dessiner et lui fait dcouvrir les travaux de Paul Klee, des expressionnistes et dadastes allemands. Ces dessins danimaux sont un tmoignage de ces premiers essais.

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    Linterprtation et le rel

    Je voulais dessiner la conscience dexister et lcoulement du temps. Henri Michaux Quel est notre perception du rel, comment linterprter ? En premier lieu, il convient dtablir une distinction entre le rel et la ralit. La ralit est le monde tel que nous le percevons avec nos sens et notre intelligence. Par contre, le rel se dfinit partir dune limite du savoir, non apprhend mais plutt cern et dduit, cest limpossible dcrire donc limpossible dire. Linterprtation est une construction mentale, une tentative de comprhension de la ralit. Mais interprter le rel est plus ambitieux dans la mesure o le postulat de dpart est limpossible dire . Linterprtation est donc supposition subjective et non certitude. Il faut accepter de perdre pied. Luvre dEmile Gilioli, Si je tombe illustre parfaitement le propos. La ralit est le bloc de marbre, le rel est une forme trange, linterprtation est plurielle et hypothtique. Libre chacun dy voir ce quil veut. Lintention des artistes de cette section est de susciter le questionnement, prolongement du leur. Certains font appel lalatoire, au hasard pour se dfaire de la ralit et passer directement au rel et linterprtation. Cest le cas dHenri Michaux ou dYves Tanguy. La peinture est rduite au geste, elle est automatique, inconsciente. Annette Messager dtourne ce recours au hasard avec ironie et dcalage. Chaque jour pendant un mois, elle interprte sa signature trace sur un papier lencre et pli. Elle dcrypte ces images de linconscient et avec humour, nous fait relativiser. Vassily Kandinsky Moscou, 1866 - Neuilly-sur-Seine, 1944

    Acht mal (Huit fois) 1929 Huile sur prparation granite sur contreplaqu 24,3x40 cm Legs de Mme Nina Kandinsky en 1981 Muse national d'art moderne Dpt au Muse des Beaux-Arts de Nantes le 01/12/1987 Acht Mal (Huit fois), reprsente huit fois la mme forme gomtrique dans des formats diffrents. Disposes en quilibre sur la pointe, elles sont alignes et frontales. Lespace est arien et sobre. Les coloris terreux, aux tonalits douces et harmonieuses, sentremlent sur un fond poudr, granul. Kandinsky travaillait toujours les textures, les reliefs et matriaux. Il faisait ses mlanges lui-mme et alternait peinture lhuile, dtrempe et tempera. Cette uvre induit plusieurs interprtations possibles. Kandinsky ne ralise jamais de tableaux sinscrivant dans labstraction pure et froide dun Mondrian. Ses peintures sont sensibles et musicales. Elles prsupposent une participation active du spectateur qui en fait sa propre exgse. En 1896, aprs des tudes de droit, Vassily Kandinsky dcide de se consacrer la peinture. Aprs avoir sillonn lEurope, il participe la cration du groupe expressionniste Der Blau Reiter (Le cavalier bleu) Munich. En 1908, il sinstalle Murnau et labore peu peu un langage abstrait quil thorise dans son ouvrage Du spirituel dans lart (publi en 1911). En 1910, il ralise sa premire aquarelle abstraite puis enseigne au Bauhaus de Weimar, entre 1922 et 1933, une cole darts appliqus qui prne la synthse des arts. Toutes les uvres conserves au muse des Beaux-Arts de Nantes datent de cette priode.

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    Emile Gilioli Paris, 1911 - Paris , 1977

    Si je tombe 1953 - 1954 33x43x28,2 cm Donation de M. Gildas Fardel en 1965 Si je tombe est une uvre dpouille et abrupte. Le titre soppose au matriau et implique une dichotomie entre la masse du marbre et la notion de vertige, le risque de perdre pied. mile Gilioli est lun des chefs de fil de labstraction lyrique. Aprs des tudes lcole des arts dcoratifs de Nice, il intgre en 1930 lcole des Beaux-arts de Paris. Comme de nombreux artistes de sa gnration, il frquente latelier du sculpteur Jean Boucher et est influenc par le travail de Charles Malfray. Mobilis en 1939, il est envoy Grenoble o il se lie damiti avec lartiste Andry-Fracy, conservateur du muse de 1919 1949, qui lui transmet son intrt pour le cubisme et labstraction. la Libration, il retourne Paris et anime la jeune cole abstraite de Paris, avec Serge Poliakoff et Jean Deyrolle. La simplicit de son art, o la forme et la matire se conditionnent rciproquement, sinspire la fois de la Grce archaque, de la statuaire de lancienne gypte et du cubisme. Gomtriques, ces uvres offrent chacun le loisir dy retrouver une forme familire. Yves Tanguy Paris, 1900 - Woodbury, 1955

    Sans titre 1927 Huile sur toile 46x38 cm Achat la Galerie Jacques de la Braudire en 2009 Cette uvre plonge le spectateur dans un monde trange et sourd, mi-aquatique, mi-cleste, baign par un doux clair-obscur. La logique et le rel ne font pas partie de cet univers trs personnel. Tanguy, baign par latmosphre bretonne de son enfance, invente des formes tranges, non identifies, dites mal nommables . Sans doute sont-elles une vocation de ses souvenirs : vastes plages qui se dcouvrent mare basse, ctes rocheuses, lgende de la ville dYs. En 1927, une vingtaine de ses toiles est prsente par Andr Breton dans une exposition intitule Yves Tanguy et objets dAmrique. Dans sa prface, il y crit : La grande lumire subjective qui inonde les toiles de Tanguy est celle qui nous laisse le moins seuls, lendroit le moins dsert.... Il va sans dire que ceux qui dans ces toiles distingueront ici ou l une espce danimal, un semblant darbuste, quelque chose comme de la fume, continueront se faire plus forts quils ne sont, placer tous leurs espoirs dans ce quils appellent la ralit . La premire rencontre de Tanguy avec les surralistes a lieu Paris, en 1925, o il fait la connaissance de R.Desnos et G.Malkine qui lintroduiront auprs de B.Pret, de L.Aragon puis dA.Breton. Ds lors, lartiste devient lun des piliers des exprimentations surralistes et participe activement laventure du groupe. Ds 1926, une uvre est reproduite dans La Rvolution surraliste.

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    Jean Arp (Hans Arp) Strasbourg (Allemagne (avant 1949)), 1886 - Ble (Suisse), 1966

    Objet casanier 1956 Moulage original avec traces de coutures, gomme-laque et ponage taill, ayant servi au moulage la glatine la fonte Pltre 36x16x25 cm Objet casanier illustre trs bien la dfinition quArp donnait de la sculpture : Celui qui veut abattre un nuage avec des flches puisera en vain ses flches, beaucoup de sculpteurs ressemblent ces tranges chasseurs. Voici ce quil faut faire : on charme le nuage dun air de violon sur un tambour ou dun air de tambour sur un violon. Alors, il ny a pas long que le nuage descende, quil se prlasse de bonheur par terre, et quenfin, rempli de complaisance, il se ptrifie. Cest ainsi quen un tournemain, le sculpteur ralise la plus belle des sculptures. Entre objet rel du quotidien, animal domestique, ou forme abstraite invente, cette uvre fait office de synthse entre labstraction et le surralisme et reste ouverte de multiples interprtations. Aprs des tudes lcole des Arts et mtiers de Strasbourg en 1902-1905, Hans Arp alterne des sjours Paris, en Allemagne et en Suisse o ses parents se sont installs. Il fait la connaissance de W.Kandinsky, des Delaunay, de M.Jacob, P.Picasso, G.Apollinaire, M.Ernst. Pendant la guerre, il sinstalle Zurich o il rencontre sa future femme, lartiste Sophie Taeuber, et participe la fondation de Dada avec T.Tzara (mouvement davant-garde n en 1916). Il produit des collages, reliefs et peintures abstraites aux formes anthropomorphiques quil dveloppe toute sa carrire. Se ralliant au surralisme en 1925, il installe son atelier Meudon en 1927. Annette Messager Berck-sur-Mer, 1943

    Album n47, petite pratique magique quotidienne 1973 Srie de 31 dessins encadrs, 1 texte encadr, 1 un album album : 60 x 65 cm Achat la Galerie Marian Goodman en 2001 Entre 1972 et 1974, Annette Messager ralise une soixantaine dalbums-collections qui empruntent la fois au journal intime, lalbum de photographies et au livre de recettes. Les thmes traits peuvent se regrouper en plusieurs catgories : la vie sentimentale, le mariage et la maternit, les rencontres et les ruptures, la vie domestique et, enfin, la recherche didentit, registre auquel appartient cette uvre. Dans lAlbum n47, Annette Messager appose chaque jour pendant un mois sa signature lencre sur un papier qui, pli, forme de larges taches noires, la manire des tests de Hermann Rorschach, mis au point en 1921 pour valuer le profil psychologique dun patient. Elle dcrypte quotidiennement ces images de linconscient avec un court texte manuscrit qui tmoigne dun got prononc pour la petite histoire et le mode intime. criture du banal et du quotidien, ces textes illustrent, sur un ton teint dhumour et de drision, la vie imaginaire dune jeune femme et renvoient, non sans ironie, une image attendue de la fminit, conforme aux strotypes. Tel un rituel, la rptition quotidienne dune mme action confre lcriture une valeur dexorcisme, une fonction thrapeutique.

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    Max Ernst Brhl (Allemagne (avant 1949)), 1891 - Paris, 1976

    Fort 1925 Frottage d'huile sur toile 87x65 cm Achat Artcurial avec la participation du FRAM en 1986 Planches de lalbum Histoire naturelle La roue de la lumire n 29 de lAlbum Histoire Naturelle ex. n2 Paris, 1926 impression sur papier Japon imprial 32,2 x 50 cm

    Lvad n 30 de lAlbum Histoire Naturelle ex. n2 Paris, 1926 impression sur papier Japon imprial 32,2 x 50 cm

    Systme de monnaie solaire n 31 de lAlbum Histoire Naturelle ex. n2 Paris, 1926 impression sur papier Japon imprial 50 x 32,2 cm Cette Fort est probablement la premire dune srie date 1925. Dcrite dune manire trs sommaire - des planches de bois verticales voquant une palissade - elle se comprend comme une vocation, une interprtation plutt quune reprsentation fidle. Lartiste, partant du genre classique du paysage, innove et se soustrait une image traditionnelle de la nature : il ne peint pas sur le motif , mais partir de la matire mme du bois. Il part du parquet pour retrouver la fort : il inverse le processus qui a conduit de la nature au plancher. La technique picturale, trs innovante, est travaille par frottage. Seules des touches de peinture blanche en haut gauche rappellent le mtier traditionnel du peintre. Max Ernst affirma avoir ralis ses premiers frottages Pornic en 1925 partir du parquet de sa chambre. Ce moyen trs simple dexpression recouvrir, frotter, dcouvrir qui, selon lartiste, permet d assister en spectateur la naissance de luvre se rapproche de lcriture automatique des surralistes. La composition place le regardeur la lisire du bois. La Fort, impntrable, frontale, se dresse comme une barrire pour protger lentre de mondes secrets. Artiste dorigine allemande, Ernst est considr comme un acteur majeur des mouvements Dada et Surraliste. Cit en 1924 par Andr Breton dans le Manifeste du surralisme, il peut se prvaloir dtre linventeur du collage et du frottage . Trente-quatre dessins raliss partir du procd du frottage furent publis en 1926 dans un album intitul Histoire naturelle. Max Ernst invente ses premiers frottages Pornic le 10 aot 1925 partir du parquet de sa chambre : [] me trouvant, par un temps de pluie dans une auberge au bord de la mer, je fus frapp par lobsession quexerait sur mon regard irrit le plancher dont mille lavages ont accentu les rainures. Je me dcidai alors interroger le symbolisme de cette obsession et, pour en venir en aide mes facults mditatives et hallucinatoires, je tirai des planches une srie de dessins, en posant sur elles, au hasard, des feuilles de papier que jentrepris de frotter la mine de plomb. En regardant attentivement les dessins ainsi obtenus, les parties sombres et les autres de douce pnombre, je fus surpris de lintensification subite de mes facults visionnaires et de la succession hallucinante dimages contradictoires se superposant les unes aux autres avec la persistance et la rapidit qui sont le propre des souvenirs amoureux.[] Max Ernst une bataille qui finit en baiser, Pornic, aot 1925. On y retrouve des thmes que lartiste dveloppera tout au long de sa carrire : la fort, loiseau, la mer, etc. Celui de lil en particulier souligne le rle majeur du sens de la vue qui reste le fondement de toute approche de lobjet artistique.

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    Brassa (Gyula Halasz, dit) Brasso (Autriche-Hongrie), 1899 - Paris (France), 1984

    Graffiti - Mur vers 1940 Photographie noir et blanc 23,1 x 14 cm Tampon de Brassa au dos (A 2080) Acquis par le muse en 2010

    Graffiti - Mur vers 1940 Photographie noir et blanc 18,3 x 24 cm Tampon de Brassa au dos (A2070) Acquis par le muse en 2010

    Graffiti - Mur vers 1940 Photographie noir et blanc 17,7 x 23 cm Tampon de Brassa au dos (A 2072) Acquis par le muse en 2010 Inspires par les traces et empreintes du quotidien, ces photographies sont autant dimages du passage du temps que de tmoignages de lhistoire de lhumanit. Brassa voit le monde tel quil est, il nprouve nul besoin de dformer ou de mentir. Ses clichs sont la fois authentiques et esthtiques. Il les classe dailleurs par familles et nous montre quel point ce langage mural reprend les grands thmes de lhistoire de lart : Masques et visages , Animaux , Amour , Mort . Le mur a toujours exerc sur moi une sorte de fascination. Jai souvent prfr cette autre nature artificielle et urbaine, imprgne dhumanit, infiniment riche en suggestions et ce langage phmre qui y prend mystrieusement naissance . En 1933, Brassa publie pour la premire fois ses photographies de graffiti dans la revue surraliste Minotaure. N en Hongrie, Gyula Hlasz dit Brassa tudie lcole des Beaux-arts de Budapest puis de Berlin o il sinitie la peinture et la sculpture avant de se consacrer la photographie. Il sinstalle Paris en 1924. Henri Michaux Namur (Belgique), 1899 - Paris, 1984

    Sans titre 1983 Acrylique couleur 24x33 cm Don de la Socit des amis du Muse des Beaux-Arts de Nantes en 2003

    Sans titre Pastel 32,2x23,9 cm Don de la Socit des amis du Muse des Beaux-Arts de Nantes en 2003 Explorateur de linconscient et du rve, Michaux cherche trouver un tat originel o sexpriment les rudiments graphiques dune autre langue, affranchie de la signification et de la lisibilit : Je voulais dessiner la conscience dexister et lcoulement du temps . La peinture est alors une criture rduite son geste, son trac, infiniment recommenc. Les dessins de lartiste voquent des pulsations qui permettent de visualiser des rythmes mystrieux. travers sa pratique libre et exprimentale, Michaux mle posie et peinture. Son uvre se situe la frontire des deux domaines. Connu pour ses narrations graphiques des annes 1920, il multiplie par la suite les techniques et les formats (huile, encre, pastel, crayons). Proche des surralistes, il nhsite pas recourir des substances pharmaceutiques pour crer. Les taches, cest une provocation. Jy rponds. Vite. Il faut faire vite, avec ces grandes molles, capables de se vautrer partout []. Insupportables taches. Henri Michaux.

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    Julio Gonzlez (Julio Gonzals) Barcelone, 1876 - Arcueil, 1942 Danseuse chevele 1935 Fer forg et soud 53,5x37x20 cm Donation de M. Gildas Fardel en 1958 Cette uvre appartient un ensemble de figures dansantes excutes entre 1934 et 1936. La silhouette anthropomorphe en fer, ddie la mmoire de la clbre danseuse Isadora Duncan (1877-1927), a t ralise pour une soire organise par les Archives internationales de la danse. On devine la fascination que devait prouver le sculpteur pour cet art dont le propos essentiel tait prcisment de jouer avec le mouvement. La technique du fer forg est ici parfaitement matrise. Vritable prouesse technique, lensemble ne repose que sur un seul point dappui. Il est dans sa trs grande puret graphique un chef-duvre dquilibre et dlgance, la fois nigmatique et brut. Fils et petit-fils de ferronniers dart, Julio Gonzlez commence par tudier la peinture lcole des Beaux-arts de Barcelone. Fix Paris en 1899, o il retrouve son compatriote Picasso, Gonzlez finit par adopter la sculpture comme moyen dexpression, privilgiant le travail du mtal. Wifredo Lam Cuba 1902 Paris 1987 Maternit IV 1960 Huile sur toile 81 x 60 cm Acquis par la Ville en 2010

    Cette peinture appartient une srie de toiles lies lhistoire personnelle de Lam. Son mariage en 1960 avec Lou Laurin sera suivi de la naissance de trois enfants : Eskil, Timour et Jonas. Le thme de la maternit, souvent trait par Lam, est donc dactualit. De ce sujet traditionnel, Lam propose une vision o il mle la posie africaine et la construction plastique occidentale. Une femme assise la fois de profil et de face est dote dune tte de cheval et de petites cornes et lenfant a un corps doiseau. Imprgn de ses origines afro-cubaines et trs inspir par les avant-gardes europennes, lartiste mlange les genres et les styles (humain/animal, Art africain/Cubisme, divin/humain..) offrant ainsi un nouvel univers imaginaire et intime. Les femmes-cheval y portent des enfants ails mme la poitrine [], laissent apparatre dans leur crinire des ttes rondes ou coniques gnralement cornues. [] Anne Tronche, Une morphologie totmique de linvisible, 2010.

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    Arts visuelsArts visuelsArts visuelsArts visuels

    Histoire des artsHistoire des artsHistoire des artsHistoire des arts

    Pistes pdagogiques

    Le lieu et lvnementLe lieu et lvnementLe lieu et lvnementLe lieu et lvnement

    Subjectivit Etranget

    Anachronisme Paradoxe

    Imagination Interrogation

    Avant la visite

    Questionner les lves sur le lieu, le titre et le sens de cette exposition. Initialement ouverte aux expositions temporaires, la chapelle de lOratoire accueille pendant la priode des travaux du muse, des expositions autour des collections permanentes. Inviter les lves dcouvrir ce btiment class Monument historique, dat de la seconde moiti du XVIIe sicle : faade, architecture intrieure propre une chapelle, sa place dans le quartier Ce btiment tenu par les Oratoriens abritait la chapelle du collge aujourdhui disparu. Avec des lves de cycle 3, lenseignant peut utiliser le carton dinvitation au vernissage de lexposition. Les lves en dduisent de nombreux indices et des informations sur lvnement. Le carton : du ct des textes Inquitantes Etrangets

    Quvoquent ces deux mots ? - La date, le lieu

    O est prsente lexposition ? A quelles dates ? Quest-ce quun vernissage ? Quand a-t-il lieu ? Quelles autres informations sont donnes (logo de la Ville) ?

    Le carton : du ct de limage

    Que reprsente cette image ? Identifier les diffrents lments qui composent limage. Prciser aux lves quil sagit de la reproduction dune uvre dYves Tanguy. Pour comprendre lorganisation de lexposition Lexposition privilgie les rapprochements subjectifs, la diversit des supports et des mdiums et saffranchit des prsentations chronologiques traditionnelles. Ce parti pris ouvre un questionnement nouveau sur les thmatiques abordes dans lexposition et les rapprochements inattendus entre les uvres. Lenseignant incite les lves aborder les uvres avec un autre regard, suscite ltonnement et linterrogation autour des titres choisis par le commissaire dexposition: La toile et le reflet, Lenfer et la maladie, Le rve et limaginaire, La mort, le crime et la mtamorphose, Visages et masques, Linterprtation et le rel.

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    Un travail de sensibilisation est propos avec les trois uvres suivantes :

    Rosemarie Trockel Sans titre (Le petit roi) 1985

    Georges de La Tour Lapparition de lange Saint Joseph (ou le songe de Saint Joseph) 1re moiti du XVIIe sicle

    Emile Gilioli Si je tombe 1953/1954

    A votre avis, pourquoi ces trois uvres sont-elles choisies pour lexposition Inquitantes Etrangets ?

    Dans un premier temps, ne donner aux lves que les trois images. Ils essaient de trouver des arguments pour rpondre la question. Connaissent-ils dautres uvres qui leur semblent tranges ou inquitantes ?

    Aprs la visite

    1.Rle et fonction du titre A partir de luvre dEmile Gilioli : Sans la nommer, demander aux lves dattribuer un titre cette uvre qui lui confre un caractre trange.

    Si je tombe, titre de luvre, est llment qui ajoute une signification ou une interprtation pour limaginaire du visiteur.

    Montrer aux lves que les cartels sont des lments importants dune exposition, quil est ncessaire de les lire. 2.Les lves, commissaires dexposition Par groupes, les lves choisissent des images diverses, cartes postales, affiches, reproductions, illustrations et les assemblent pour constituer une exposition par des rapprochements singuliers. Ils trouvent des titres, des intituls, inventent des cartels qui donnent sens ces rapprochements. Ils soignent la prsentation de cette exposition pour la donner voir aux autres lves. Ce travail peut aussi tre ralis partir des reproductions des uvres de lexposition. Les lves proposent une nouvelle scnographie. 3.Une proposition plastique Contrainte de travail : rendre trange ou inquitant une image ou un objet. Lenseignant amne les lves intervenir sur les images pour faire surgir ltrange ou linquitant partir dun fragment dimage, de taches, de frottages, dassociations inattendues, qui sont sources dinterprtation potique ou fictionnelle.

    Des pistes possibles : scnographie dcale dobjets, collages surralistes, titres surprenants, jeux de contrastes ou de contraires, de couleurs 4.Histoire des Arts Situer chronologiquement Dans cette exposition, demander aux lves de reprer au moins trois uvres dpoques diffrentes, identifies par auteur et par dates de cration. Ils placent ensuite les images, les titres ou les noms des artistes sur la frise chronologique de la classe.

  • Exposition Inquitantes Etrangets dossier daccompagnement oct. 2011 Service des Publics - muse des Beaux-Arts de Nantes

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    Comprendre et connatre Aborder les notions de figuration et dabstrac