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Animaux de rente SCIENCES & PRATIQUE 30 www.depecheveterinaire.com La Dépêche Vétérinaire | N°1299 du 11 au 17 avril 2015 compte rendu Optimiser l’efficacité de la vaccination en élevage bovin Laurent MASCARON Consultant en vaccinologie et maladies infectieuses Courriel : [email protected] (92800 Puteaux) PROPHYLAXIE L’évolution des connaissances en immunologie permet d’appréhender la vaccination différemment en éle- vage bovin. De nouvelles stratégies vaccinales se développement comme le recours à des vaccins multivalents ou capables de stimuler l’immunité locale et cellulaire en plus de la pro- duction d’anticorps. Une réduction de la prescription des anti- biotiques, objectif affiché du plan EcoAn- tibio et de la loi d’avenir agricole, passe par une amélioration de la prévention des maladies infectieuses. C’est pourquoi le GTV* Bretagne a mis l’accent sur la vac- cination en élevage bovin lors de sa Journée vété- rinaire bovine, le 26 février. Dans ce contexte, notre confrère Gilles Foucras, du service pathologie des ruminants de l’école vétérinaire de Toulouse, a rappelé aux prescrip- teurs les principaux mécanismes mobilisés par la réponse immunitaire afin d’optimiser l’efficacité de la vaccination dans la pratique quotidienne. Place du vaccin en médecine préventive Défini comme une « substance d’origine micro- bienne qui, administrée à un animal, lui confère une immunité contre une infection causée par les microbes dont elle provient », le vaccin constitue une classe à part parmi les médicaments vétéri- naires. Il représente environ 20 % de ce marché, toutes espèces confondues. Cette proportion dépasse 50 % chez les volailles et le porc. L’évolution des pratiques vers une médecine pré- ventive renforce le caractère indispensable de la vaccination dans l’arsenal vétérinaire. Elle présente un intérêt tout particulier dans les affections polyfactorielles les plus fréquentes (diar- rhées néonatales des veaux, maladies respira- toires...), contre les infections à germes particuliè- rement virulents ou dépourvues de traitement curatif. Mobiliser l’immunité anti-infectieuse De composition variable (mono ou multivalents, inactivés ou vivants atténués, entiers ou sous-uni- taires), les vaccins ont pour but de reproduire une réponse immunitaire de façon préventive et spé- cifique de l’agent qui l’a induite. L’objectif est de pouvoir mobiliser rapidement des mécanismes de protection actifs en cas de contact avec cet agent. La quasi-totalité des vaccins inactivés contient un adjuvant (hydroxyde d’aluminium pour les trois quarts d’entre eux) afin d’amplifier l’immunité induite par le contact avec les antigènes vaccinaux. La production d’anticorps est l’effet couramment le plus facile à objectiver suite à une vaccination, avec un rôle variable dans la protection induite par le vaccin (exemple : 90 % de la protection vis-à-vis du virus influenza est liée aux anticorps). Les mécanismes immunitaires mis en œuvre lors d’infection ou de vaccination (facteurs solubles comme les anticorps mais aussi lymphocytes B et T) varient selon la nature de l’agent infectieux, le site d’infection et la voie d’administration du vaccin (voie générale ou locale, par exemple intra- nasale). Le statut immunitaire de l’animal (âge, présence éventuelle d’anticorps maternels) et son vécu anti- génique et infectieux influencent également la réponse vaccinale. La vaccination induit au point d’administration une situation inflammatoire (multiplication limitée au niveau local, effet de l’adjuvant) qui permet une présentation efficace des antigènes au système immunitaire et la libération de facteurs stimulants de l’immunité. Large palette de mécanismes de protection L’immunité anticorps confère en règle générale une protection contre les germes présents à l’ex- térieur des cellules à certains stades de leur mul- tiplication comme les virus ou certaines bactéries (E. coli, streptocoques...). A contrario, l’immunité contre les agents intracellulaires est un processus com- plexe qui repose en grande partie sur l’immunité à médiation cellulaire et la réponse de type Th1, faisant en particulier intervenir les lymphocytes T cytotoxiques. La vaccination par voie muqueuse pré- sente l’intérêt d’une réponse rapide, concentrée au niveau local (intéressant pour neutraliser une infection à sa porte d’entrée) et moins soumise à une interfé- rence avec les anticorps maternels. Son inconvénient semble être une immu- nité plus courte que par voie parentérale (IM, SC), avec un risque potentiel de réar- rangement génomique avec des souches sauvages dans le cas de vaccins vivants atténués. Même si les effecteurs de l’immunité post-vaccinale sont parfois difficiles à mesurer (immunité cellulaire), les études d’efficacité sur le terrain permettent de valider l’intérêt de la vaccination dans les conditions pra- tiques d’élevage. Ainsi, une récente méta-analyse** de 5 essais terrain contrôlés a montré une diminution par 2 (R=0,44) du risque de déclarer une maladie respi- ratoire chez des veaux allaitants vaccinés avec différents vaccins antiviraux en prévention des BPIE***. Un effet positif d’intensité plus faible a été montré sur des bovins à l’engrais vaccinés contre Mannheimia haemolytica (synthèse de 15 essais)****. Perspectives Lors d’échec vaccinal, il appartient au prescripteur d’identifier la cause exacte des troubles, en parti- culier dans les affections multifactorielles, de rap- peler les règles de bonne pratique de la vaccination et d’adapter le protocole à la période à risque. Une évolution est en cours vers l’usage et le déve- loppement de vaccins multivalents, de vaccins capables de stimuler l’immunité locale et cellulaire, et pas seulement la production d’anticorps. Des progrès significatifs ont été faits au cours des dernières années pour la compréhension de la mémoire immunitaire. Il ne fait aucun doute qu’ils auront prochainement un impact sur la recherche en vaccinologie et la formulation de nouveaux vac- cins, en médecine humaine et souhaitons le aussi en médecine vétérinaire. * GTV : Groupement technique vétérinaire. ** Theurer et coll. Systematic review and meta-analysis of the effec- tiveness of commercially available vaccines against bovine herpes- virus, bovine viral diarrhea virus, bovine respiratory syncytial virus, and parainfluenza type 3 virus for mitigation of bovine respiratory disease complex in cattleJAVMA, Jan 1, 246, No. 1, 126-142, 2015. *** BPIE : broncho-pneumonies infectieuses enzootiques. **** Larson RL, Step DL. Evidence-based effectiveness of vacci- nation against Mannheimia haemolytica, Pasteurella multocida, and Histophilus somni in feedlot cattle for mitigating the incidence and effect of bovine respiratory disease complex Vet Clin North Am Food Anim Pract., 28(1), 97-106, 2012. «Le statut immunitaire de l’animal et son vécu antigénique et infectieux influencent la réponse vaccinale.» La vaccination présente un intérêt particulier dans les affections polyfactorielles les plus fréquentes comme les diarrhées néona- tales des veaux ou les maladies respiratoires. Laurent Mascaron Consultant Gilles FOUCRAS Dip. ECBHM Professeur en pathologie du bétail École vétérinaire de Toulouse Conférencier

How to optimise cattle vaccination Dépêche Vet april 2015

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Animaux de renteSCIENCES & PRATIQUE

30

www.depecheveterinaire.com

La Dépêche Vétérinaire | N°1299 du 11 au 17 avril 2015

compte rendu

Optimiser l’efficacité de la vaccination en élevage bovin Laurent MASCARONConsultant en vaccinologie et maladies infectieusesCourriel : [email protected] (92800 Puteaux)

PROPHYLAXIE

L’évolution des connaissances en immunologie permet d’appréhender la vaccination différemment en éle-vage bovin. De nouvelles stratégies vaccinales se développement comme le recours à des vaccins multivalents ou capables de stimuler l’immunité locale et cellulaire en plus de la pro-duction d’anticorps.

Une réduction de la prescription des anti-biotiques, objectif affiché du plan EcoAn-tibio et de la loi d’avenir agricole, passe par une amélioration de la prévention des maladies infectieuses. C’est pourquoi le GTV* Bretagne a mis l’accent sur la vac-cination en élevage bovin lors de sa Journée vété-rinaire bovine, le 26 février.

Dans ce contexte, notre confrère Gilles Foucras, du service pathologie des ruminants de l’école vétérinaire de Toulouse, a rappelé aux prescrip-teurs les principaux mécanismes mobilisés par la réponse immunitaire afin d’optimiser l’efficacité de la vaccination dans la pratique quotidienne.

Place du vaccin en médecine préventive Défini comme une « substance d’origine micro-bienne qui, administrée à un animal, lui confère une immunité contre une infection causée par les microbes dont elle provient », le vaccin constitue une classe à part parmi les médicaments vétéri-naires. Il représente environ 20 % de ce marché, toutes espèces confondues. Cette proportion dépasse 50 % chez les volailles et le porc.

L’évolution des pratiques vers une médecine pré-ventive renforce le caractère indispensable de la vaccination dans l’arsenal vétérinaire.

Elle présente un intérêt tout particulier dans les affections polyfactorielles les plus fréquentes (diar-rhées néonatales des veaux, maladies respira-toires...), contre les infections à germes particuliè-rement virulents ou dépourvues de traitement curatif.

Mobiliser l’immunitéanti-infectieuse De composition variable (mono ou multivalents, inactivés ou vivants atténués, entiers ou sous-uni-taires), les vaccins ont pour but de reproduire une réponse immunitaire de façon préventive et spé-cifique de l’agent qui l’a induite. L’objectif est de pouvoir mobiliser rapidement des mécanismes de protection actifs en cas de contact avec cet agent.

La quasi-totalité des vaccins inactivés contient un adjuvant (hydroxyde d’aluminium pour les trois

quarts d’entre eux) afin d’amplifier l’immunité induite par le contact avec les antigènes vaccinaux.

La production d’anticorps est l’effet couramment le plus facile à objectiver suite à une vaccination, avec un rôle variable dans la protection induite par le vaccin (exemple : 90 % de la protection vis-à-vis du virus influenza est liée aux anticorps).

Les mécanismes immunitaires mis en œuvre lors d’infection ou de vaccination (facteurs solubles comme les anticorps mais aussi lymphocytes B et T) varient selon la nature de l’agent infectieux, le site d’infection et la voie d’administration du vaccin (voie générale ou locale, par exemple intra-nasale).

Le statut immunitaire de l’animal (âge, présence éventuelle d’anticorps maternels) et son vécu anti-génique et infectieux influencent également la réponse vaccinale.

La vaccination induit au point d’administration une situation inflammatoire (multiplication limitée au niveau local, effet de l’adjuvant) qui permet une présentation efficace des antigènes au système immunitaire et la libération de facteurs stimulants de l’immunité.

Large palette de mécanismesde protection

L’immunité anticorps confère en règle générale une protection contre les germes présents à l’ex-térieur des cellules à certains stades de leur mul-tiplication comme les virus ou certaines bactéries (E. coli, streptocoques...).

A contrario, l’immunité contre les agents intracellulaires est un processus com-plexe qui repose en grande partie sur l’immunité à médiation cellulaire et la réponse de type Th1, faisant en particulier intervenir les lymphocytes T cytotoxiques.

La vaccination par voie muqueuse pré-sente l’intérêt d’une réponse rapide, concentrée au niveau local (intéressant pour neutraliser une infection à sa porte d’entrée) et moins soumise à une interfé-rence avec les anticorps maternels.

Son inconvénient semble être une immu-nité plus courte que par voie parentérale (IM, SC), avec un risque potentiel de réar-rangement génomique avec des souches sauvages dans le cas de vaccins vivants atténués.

Même si les effecteurs de l’immunité post-vaccinale sont parfois difficiles à mesurer (immunité cellulaire), les études

d’efficacité sur le terrain permettent de valider l’intérêt de la vaccination dans les conditions pra-tiques d’élevage.

Ainsi, une récente méta-analyse** de 5 essais terrain contrôlés a montré une diminution par 2 (R=0,44) du risque de déclarer une maladie respi-ratoire chez des veaux allaitants vaccinés avec différents vaccins antiviraux en prévention des BPIE***. Un effet positif d’intensité plus faible a été montré sur des bovins à l’engrais vaccinés contre Mannheimia haemolytica (synthèse de 15 essais)****.

Perspectives

Lors d’échec vaccinal, il appartient au prescripteur d’identifier la cause exacte des troubles, en parti-culier dans les affections multifactorielles, de rap-peler les règles de bonne pratique de la vaccination et d’adapter le protocole à la période à risque.

Une évolution est en cours vers l’usage et le déve-loppement de vaccins multivalents, de vaccins capables de stimuler l’immunité locale et cellulaire, et pas seulement la production d’anticorps.

Des progrès significatifs ont été faits au cours des dernières années pour la compréhension de la mémoire immunitaire. Il ne fait aucun doute qu’ils auront prochainement un impact sur la recherche en vaccinologie et la formulation de nouveaux vac-cins, en médecine humaine et souhaitons le aussi en médecine vétérinaire. ■* GTV : Groupement technique vétérinaire.** Theurer et coll. Systematic review and meta-analysis of the effec-tiveness of commercially available vaccines against bovine herpes-virus, bovine viral diarrhea virus, bovine respiratory syncytial virus, and parainfl uenza type 3 virus for mitigation of bovine respiratory disease complex in cattleJAVMA, Jan 1, 246, No. 1, 126-142, 2015.*** BPIE : broncho-pneumonies infectieuses enzootiques.**** Larson RL, Step DL. Evidence-based effectiveness of vacci-nation against Mannheimia haemolytica, Pasteurella multocida, and Histophilus somni in feedlot cattle for mitigating the incidence and effect of bovine respiratory disease complex Vet Clin North Am Food Anim Pract., 28(1), 97-106, 2012.

«Le statut immunitaire de l’animal et son vécu antigénique et

infectieux infl uencent la réponse vaccinale.»

�La vaccination présente un intérêt particulier dans les affections polyfactorielles les plus fréquentes comme les diarrhées néona-tales des veaux ou les maladies respiratoires.

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Gilles FOUCRASDip. ECBHMProfesseur en pathologie du bétailÉcole vétérinaire de Toulouse

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