30
HAL Id: halshs-00937555 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00937555 Preprint submitted on 28 Jan 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique : revisiter l’historiographie diopienne Anatole Fogou To cite this version: Anatole Fogou. Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique : revisiter l’historiographie diopienne. 2013. halshs-00937555

Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

HAL Id: halshs-00937555https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00937555

Preprint submitted on 28 Jan 2014

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique :revisiter l’historiographie diopienne

Anatole Fogou

To cite this version:Anatole Fogou. Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique : revisiter l’historiographiediopienne. 2013. �halshs-00937555�

Page 2: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Working Papers Series

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique : revisiter l’historiographie diopienne

Anatole Fogou

N°60 | janvier 2014

Cet article se propose de revisiter l’historiographie de Cheikh Anta Diop qui s’insère dans le débat sur une philosophie spéculative de l’histoire, tel qu’il a été inau-guré par Hegel et tel qu’il se poursuit encore de nos jours. En effet, les prises de positions de cet auteur sur les fonctions de l’histoire et de la conscience historique amènent à s’interroger sur leur capacité à servir de socle éthique au développement de l’Afrique.

B o u r s e sF e r n a n dB r a u d e lI F E R

Page 3: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 2/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique : revisiter l’historiographie diopienne

Anatole FogouJanvier 2014

L’auteurL’auteur est Chargé de cours au Département de philosophie de l’Ecole Normale Supérieure de l’Uni-versité de Maroua (Cameroun). Il y enseigne l’histoire de la philosophie moderne, la philosophie morale et politique et la philosophie du droit. Il s’intéresse aux questions de gouvernance en Afrique, en lien avec les héritages de la colonisation et de la décolonisation, de justice globale et de justice ethnoculturelle, d’identités, d’éthique et de bioéthique, en étant à la fois attentif à l’évolution des débats philosophiques sur ces différentes questions et à la manière dont elles servent (ou pourraient servir) à questionner les situations concrètes, en Afrique et ailleurs.Contact : [email protected]

Le texteCe texte a été écrit en septembre 2013, dans le cadre d’une bourse postdoctorale Fernand Braudel IFER, dont le séjour a été effectué à la MESHS de Lille.

Citer ce documentAnatole Fogou, Histoire, conscience historique et devenir de l ’Afrique : revisiter l ’historiographie diopienne, FMSH-WP-2014-60, january 2014.

© Fondation Maison des sciences de l’homme - 2014

Informations et soumission des textes :

[email protected]

Fondation Maison des sciences de l’homme190-196 avenue de France75013 Paris - France

http://www.fmsh.frhttp://halshs.archives-ouvertes.fr/FMSH-WP http://wpfmsh.hypotheses.org

Les Working Papers et les Position Papers de la Fondation Maison des sciences de l’homme ont pour objectif la diffusion ouverte des tra-vaux en train de se faire dans le cadre des diverses activités scientifiques de la Fonda-tion : Le Collège d’études mondiales, Bourses Fernand Braudel-IFER, Programmes scien-tifiques, hébergement à la Maison Suger, Séminaires et Centres associés, Directeurs d’études associés...

Les opinions exprimées dans cet article n’en-gagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement les positions institutionnelles de la Fondation MSH.

The Working Papers and Position Papers of the FMSH are produced in the course of the scientific activities of the FMSH: the chairs of the Institute for Global Studies, Fernand Braudel-IFER grants, the Founda-tion’s scientific programmes, or the scholars hosted at the Maison Suger or as associate research directors. Working Papers may also be produced in partnership with affiliated institutions.

The views expressed in this paper are the author’s own and do not necessarily reflect institutional positions from the Foundation MSH.

Page 4: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 3/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

RésuméCet article se propose de revisiter l’historiographie de C. A. Diop qui s’insère dans le débat sur une phi-losophie spéculative de l’histoire, tel qu’il a été inauguré par Hegel et tel qu’il se poursuit encore de nos jours. En effet, les prises de positions de cet auteur sur les fonctions de l’histoire et de la conscience his-torique amènent à s’interroger sur leur capacité à servir de socle éthique au développement de l’Afrique.

Mots-clefsAfrique, histoire, conscience historique, mémoire, postcolonialisme

History, historical consciousness and the future of Africa: revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography

AbstractThis paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography which fits into the debate on a specu-lative philosophy of history namely; world history and history of reason, such as it was propounded by Hegel and as it still continues nowadays. Our objective is to discuss Diop’s statements on the functions of history and the historic consciousness. Precisely, Our aim is to interrogate their capacities to serve as ethical base for the African development.

KeywordsAfrica, history, historical consciousness, memory, postcolonialism

Page 5: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 4/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Sommaire

Le sens de l’historio-graphie diopienne : de la dé-marginalisation à la reprise d’initiative historique 6Le sens de l’historiographie diopienne 6

La thématique centrale de Diop : l’antériorité des civilisations nègres égyptiennes 8

La valeur et la fonction de l’histoire dans la création de la conscience historique 10

Le postcolonialisme et la fragmentation de l’histoire africaine 11Décolonisation de l’histoire ou victimisation et nativisme ? 12

Une lecture fragmentée de l’histoire 12

Un héritage du structuralisme et du postmodernisme 13

L’histoire entre réalité et fiction 15

Marrou et la théorie de l’histoire comme instrument de la liberté 17

La question du rapport de l’histoire à la mémoire : la fonction véritable de l’histoire 20

Plaidoyer pour le non historique 24

Références bibliographiques 25

Page 6: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 5/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

L’histoire de l’Afrique, comme on le sait, a été marquée par la traite, l’es-clavage, la colonisation, auxquels on peut aujourd’hui ajouter la néo-colo-

nisation et l’ajustement structurel… Ces phéno-mènes, qui ont eu des répercussions profondes sur l’imaginaire et l’univers mental des Africains, ont inauguré et institué une histoire chaotique, frag-mentée et tragique, de sorte que ces sociétés se sont installées dans une crise multisectorielle et multidimensionnelle qui tend à les reléguer au rang de nations archaïques se battant contre la misère et pour la survie, et développent ce qu’on pourrait appeler la « philosophie du maintien. »Pourtant, les consciences des intellectuels et des philosophes africains vont rapidement s’éveiller et un vaste mouvement de réflexion sera engagé sans que pour autant les solutions adéquates soient trouvées, et sans que le complexe d’infé-riorité inoculé par ces flétrissures, ne se soit étiolé. C’est peut-être que ces solutions ne prenaient pas suffisamment en compte la situation concrète des Africains dont la personnalité est délabrée, à qui on a fait croire non seulement qu’ils n’avaient pas d’histoire (Hegel F., 1965), mais aussi que leur continent constituait le désert de la création. C’est dans ce contexte qu’à la question de savoir « quel fondement donner à nos entreprises nationales, à nos projets de société pour notre survie, pour l’affirmation de notre identité, pour le dévelop-pement de notre personnalité » (Elungu P.E.A., 1987 : 52), ou en d’autres mots sur quoi adosser le devenir et le développement l’Afrique, Cheikh Anta Diop propose comme solution la création d’une conscience (pan)africaine qui passe par la restauration de la mémoire collective et la recti-fication des vérités historiques falsifiées tout au long de l’histoire. En effet, l’une des idées qui s’imposent avec force et puissance à la lecture des ouvrages de Cheikh Anta Diop, c’est qu’il ne peut y avoir de devenir africain sans le recours à l’histoire. Désormais, l’histoire est une valeur susceptible de mobiliser les énergies, d’opérer une transformation radicale et totale de l’homme africain en vue de son inser-tion dans le monde moderne. On comprend alors pourquoi le projet général de ses engagements scientifique et politique consiste en une tentative de « restitution de l’histoire africaine authentique, de réconciliation des civilisations africaines avec l’histoire » ( Diop C. A., 1981 : 10).

Pour cet auteur, l’entrée dans la modernité est conditionnée par le retour à l’histoire, par la constitution d’une conscience historique claire, solide et puissante sur laquelle viendrait échouer toute tentative d’aliénation1. En effet, l’occident est parvenu, à force de falsification grossière de l’histoire de l’humanité, à un «  abâtardissement des peuples  » africains avec pour corollaire le complexe d’infériorité  : le noir a ainsi acquis la conviction qu’il est une être inférieur, n’ayant rien apporté à la civilisation et ne pouvant rien y ajou-ter. Pour faire face à ce « tissu de mensonges » et à cette « constellation d’erreurs », C. A. Diop se propose de restituer à l’Afrique sa véritable iden-tité historique. Sa démarche s’adosse à l’idée que le recours à l’histoire et à l’dentité est le chemin le plus sûr pour résoudre les complexes, retrou-ver la confiance par la correction des falsifications. Armé de la connaissance de sa véritable histoire en effet, l’Africain deviendrait un homme fort, pouvant affronter tous les défis de la modernité. Ainsi, dit-il, il «  devient indispensable que les Africains se penchent sur leur propre histoire et leur civilisation et étudient celle-ci pour mieux se connaître. Arriver ainsi par la véritable connais-sance de leur passé à rendre périmées, grotesques et désormais inoffensives ces armes culturelles. » (Diop C. A., 1981  : 272). Ces prises de posi-tion, tout en s’inscrivant dans la perspective de la décolonisation de l’histoire africaine, soulèvent des problèmes relatifs à la philosophie et à l’épis-témologie de l’histoire, dans la mesure où elles véhiculent un savoir ou une pratique de l’histoire qui appelle une épistémologie.Si comme le soutient Fauvelle (1996 : 93), le tra-vail de Diop est un savoir qui dévoile une idéolo-gie et un objet de savoir qui développe à son tour une idéologie, on pourrait se demander si c’est « une bonne manière de décoloniser l’histoire que de laisser l’idéologie énoncer ses attendus ? Est-elle vraiment décolonisée si, sous des conclusions inversées, c’est toujours la même voix qui parle ? »

1. Il écrit  : « La conscience historique, par le sentiment de cohésion qu’elle crée, constitue le rempart de sécurité cul-turelle le plus sûr et le plus solide pour un peuple. C’est la raison pour laquelle chaque peuple cherche seulement à bien connaître et à vivre sa véritable histoire, à transmettre la mémoire de celle-ci à sa descendance. L’essentiel pour le peuple est de trouver le fil conducteur qui le relie à son passé ancestral le plus lointain possible. Devant les agres-sions culturelles de toutes sortes, devant tous les facteurs de désagrégation du monde extérieur, l’arme culturelle la plus efficace dont puisse se doter un peuple est le senti-ment de continuité historique.  » (Diop C. A. 1981  : 272).

Page 7: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 6/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Si par ailleurs comme l’a bien vu Ricœur (2000), l’histoire relève d’une épistémologie mixte, d’un entrelacement d’objectivité et de subjectivité, d’explication et de compréhension, on peut se demander si contrairement à Diop, il ne faut pas militer avec Nietzsche (1872) pour une neutralité de l’histoire. Mais le problème le plus intéressant auquel nous nous attacherons dans les lignes qui suivent pourrait être de se demander pourquoi l’histoire tient-elle une place si importante dans le devenir de l’Afrique ? En quoi la connaissance du passé pourrait-elle faire de l’Africain un homme nouveau et lui permettre de changer sa situation ? La conscience historique qui serait crée est-elle à même de jouer le rôle de noyau éthique de civili-sation dont l’Afrique a besoin pour orienter son évolution dans les différents secteurs de la vie ? Cette recherche, qui se situe à mi-chemin entre la philosophie critique de l’histoire et l’épistémo-logie historique, entend mobiliser les ressources de l’herméneutique2 pour comprendre pourquoi le devenir de l’Afrique passe par la constitution d’une conscience historique.

Le sens de l’historio-graphie diopienne : de la dé-marginalisation à la reprise d’initiative historique Le sens de l’historiographie diopienneVingt sept ans après la parution de Nations nègres et cultures, Cheikh Anta Diop publie Civilisation ou barbarie. Dans cet ouvrage qui tient compte des dernières découvertes intervenues dans les sciences, C. A. Diop fait à la fois une mise à jour de ses précédents travaux et apporte une réponse aux critiques qui ont fusé de toutes parts pour réfuter l’idée d’une antériorité historique et chro-nologique de la civilisation noire. Cet ouvrage se donne ainsi comme une « anthropologie sans complaisance », et se situe dans la continuité de toutes ses autres publications dont le projet fon-damental, est décliné de la manière suivante : « le souci manifesté dans Nations nègres…, aussi bien que dans tous nos autres ouvrages, est de parve-nir à une connaissance de l’Afrique, sinon totale,

2. L’herméneutique est prise ici dans le sens de méthode qui permet l’examen des modes de compréhension à l’œuvre dans les savoirs à vocation objective.

du moins suffisante, pour mieux aider dans la modeste mesure du possible à son insertion har-monieuse dans le monde moderne » (Diop C. A., 1971 : 280).À coté de cet objectif qui habite tous ses ouvrages, C. A. Diop se propose de montrer non seulement qu’une histoire non événementielle de l’Afrique est possible, mais surtout de faire de l’idée que les Egyptiens étaient des noirs un « fait de conscience historique africaine et mondiale et surtout, un concept scientifique opératoire  » (Diop C. A. 1981 : 10). L’enjeu, c’est de faire mentir une cer-taine conception de l’Afrique et de l’Egypte qui situe cette dernière hors de l’Afrique. Et l’auteur qui s’est le plus avancé dans cette direction n’est autre que Hegel, que Diop ne cite pratiquement jamais, mais dont on « sent »  bien à la lecture qu’il s’attache à détruire les conceptions sur l’Afrique. La conception diopienne de l’histoire et le pro-jet de sa réécriture se fondent sur le constat de son extraversion. Elle s’enracine dans le souci de tourner radicalement le dos aux falsifications et de réaffirmer l’historicité des société africaines, mais surtout de montrer qu’il y a une continuité spatio-temporelle des sociétés africaines, malgré l’émiettement territorial et la diversité tribale. Ainsi, Diop (1957 : 14 ), souligne que toutes les théories élaborées pour rendre compte du passé africain avaient pour but avoué de servir le colo-nialisme et surtout de faire croire au nègre qu’il n’avait jamais été à l’origine de quoi que ce soit de valable : « Toutes ces théories scientifiques sur le passé africain sont éminemment conséquentes  ; elles sont utilitaires, pragmatistes. La vérité c’est ce qui sert et, ici, ce qui sert le colonialisme : le but est d’arriver, en se couvrant du manteau de la science, à faire croire au Nègre qu’il n’a jamais été responsable de quoi que ce soit de valable, même pas de ce qui existe chez lui ». Par conséquent, il y a un réel danger à s’instruire de ce passé dans les ouvrages occidentaux sans en faire une cri-tique sévère car, chaque fois que dans l’histoire un peuple en a conquis un autre, il a utilisé l’arme de l’aliénation culturelle. Il est donc question d’éradiquer ce « poison culturel » savamment ino-culé dans les mentalités nègres et qui désormais semble faire partie intégrante de la personnalité du noir.Dans cette perspective, il devient indispensable que les Africains apprennent leur véritable his-toire et leur vraie civilisation, étudient celles-ci «  pour mieux se connaître  : arriver ainsi, par

Page 8: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 7/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

la véritable connaissance de leur passé, à rendre périmées, grotesques et désormais inoffensives ces armes culturelles » (ibid.  : 15). Contre ceux qui pensent qu’il est futile de fouiller dans les décombres du passé parce que les problèmes de l’heure sont urgents et se posent dans un monde de vitesse, caractérisé par la tendance à l’unifica-tion du monde et par le surdéveloppement de la science qui est promise à la résolution de tous les grands problèmes, ce qui rend caduques, périmées et accessoires les préoccupations « locales », Diop, répond que cette attitude est le fruit « d’une cécité culturelle  » et d’une «  incapacité à proposer des solutions concrètes, valables, aux problèmes qu’il faut résoudre pour que l’assimilation cesse d’être une nécessité apparente… cette attitude n’est au fond, qu’un piétinement dangereux car elle donne l’illusion de la marche en avant à pas de géants ; elle masque la tendance à déprécier tout ce qui émane de nous. » (idem). Ainsi, le modernisme ne consiste pas à rompre avec les sources du passé, mais plutôt à y intégrer la nouveauté pour affronter les autres peuples sur un pied d’égalité, en s’appuyant sur son passé, un passé suffisamment étudié. Il n’est pas nécessaire que ce passé soit beau, il suffit qu’il soit à même de servir à la sauvegarde de la culture nationale. Ainsi, il ne s’agit pas de « créer de toutes pièces une histoire plus belle que celle des autres, de manière à doper moralement le peuple pendant la période de lutte pour l’indépendance, mais de partir de cette idée évidente que chaque peuple a une histoire. Ce qui est indispensable à un peuple pour mieux orienter son évolution, c’est de connaître ses origines, quelles qu’elles soient. Si par hasard notre histoire est plus belle qu’on ne s’y attendait, ce n’est là qu’un détail heureux qui ne doit plus gêner dès qu’on aura apporté à l’appui assez de preuves objectives » (Diop C. A., 1957 : 19).Il ne s’agit donc pas de se complaire d’un quel-conque passé, mais d’aboutir à une connaissance profonde de ce passé qui seule, est à même d’en-tretenir dans la conscience nègre le sentiment de continuité historique indispensable pour consoli-der l’Etat multinational qu’il appelle de tous ses vœux (Diop C. A., 1982 : 7). Ainsi, les différences non essentielles mais relatives entre les peuples africains, proviennent du climat et des condi-tions particulières de vie. Cependant,  bien qu’ils aient été façonnés «  d’une manière durable  » par leur milieu, il n’est pas indifférent pour eux de remonter jusqu’au moule primitif qui les a

modelé, en sachant faire le tri entre les diffé-rentes influences étrangères qui se sont superpo-sées, car les contacts suivis entre eux ont provo-qué des influences réciproques. Selon Diop, il est souhaitable que chaque peuple se livre à une telle investigation qui devra déboucher sur une recon-naissance de soi parce que ce faisant, ce peuple « s’aperçoit de ce qui est solide et valable dans ses propres structures culturelles et sociales, dans sa pensée en général ; il s’aperçoit aussi de ce qui par conséquent n’a pas résisté au temps. Il découvre l’ampleur réelle de ses emprunts, il peut mainte-nant se définir de façon positive à partir de cri-tères indigènes non imaginés, mais réels. Il a une nouvelle conscience de ses valeurs et peut définir maintenant sa mission culturelle, non passion-nément, mais d’une façon objective  ; car il voit mieux les valeurs culturelles qu’il est le plus apte, compte tenu de son état d’évolution, à dévelop-per et à apporter aux autres peuples » (Diop C. A., 1957 : 9-10).C. A. Diop prend le contre-pied de tous les théo-riciens de l’anhistoricité des sociétés africaines, en évacuant les descriptions rapides, parcellaires, par-tiales, «  ethnographiques  » qui rendaient jusque là compte, d’un point de vue extérieur, de l’his-toire des sociétés africaines. Il s’efforce de rompre avec l’habitude des études structurales et atem-porelles des cosmogonies qui déracinent l’Afrique de son cadre historique. Il élabore une étude de l’histoire et des civilisations africaines depuis les origines même de l’humanité, qui rend compte de leur évolution spatio-temporelle, en vue de créer une conscience historique et de les réinsé-rer dans l’histoire parce que pour lui, les différents peuples africains sont constitués d’hommes qui font ou qui ont fait l’histoire. Comme le souligne (Obenga T., 1996 : 28), « si Cheikh Anta Diop s’intéresse tant aux « genèses », « aux origines », «  aux émergences premières  » des civilisations africaines, c’est que les premières origines sont la vérité et qu’elles sont une puissance exception-nelle pour faire se remémorer le passé temporel tout entier, d’un seul tenant, établissant ainsi une certaine logique historique dans les évolutions et les développements ultérieurs qui tiennent cepen-dant des émergences primordiales ».Ainsi, le travail historien de C. A. Diop consiste à inaugurer une nouvelle façon d’envisager l’his-toire de l’Afrique, celle qui lui confère une grille définitive d’intelligibilité  : c’est cela «  le mouve-ment d’ensemble de sa pensée, l’ossature même de

Page 9: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 8/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

son œuvre, son jaillissement global » (Obenga T., 1996  : 29). Il entend éclairer historiquement la vie sociale africaine, dans sa globalité, car four-nir et élucider la compréhension historique de la vie est partie intégrante de l’historiographie. Pour mieux faire comprendre l’impact de cette réin-sertion de l’Afrique dans l’histoire, T. Obenga convoque Heidegger qui affirmait que «  ce qui a une «  histoire  » peut du même coup en faire une », puisque l’histoire est le tout de l’étant qui change dans le temps. Les peuples africains, parce que vivant dans le temps, ont donc une histoire, c’est-à-dire « une aventure spécifique de leur être au monde qui s’est « passée » et qui s’est, en même temps, transmise (en tant que mémoire collec-tive, tradition) et qui se poursuit toujours, encore maintenant. L’homme se rapporte par conséquent à toutes les dimension de la conscience historique comme sujet des évènements, comme sujet d’his-toire » (Obenga T., 1996 : 29).En effet, les histoires écrites par les colons n’éta-blissaient pas de chaines causales, de trame his-torique susceptibles de situer les évènements par rapport à la temporalité (passé-présent-futur). Du coup, elles situaient les sociétés dont elles parlaient dans une certaine intemporalité ou atemporalité. Ces histoires n’étaient qu’une sorte d’ «  ébauche avortée  » parce que les africanistes ne parvenaient pas à tracer tout l’enchainement logique et spatio-temporel du passé humain afri-cain. Ainsi, il y avait un véritable malaise tenant au fait que «  la quasi-totalité des chercheurs contemporains semblaient se refuser à tout jamais à rattacher la culture africaine à quelque souche ancienne que ce fut  ; elle était là, cette culture, suspendue en l’air, au dessus du gouffre noir du passé, comme un ébauche avortée, étrangère au reste du monde » (Diop C. A., 1971 : 74). Dans cette perspective l’un des apports fondamentaux de C. A. Diop sera de donner à l’Afrique noire son « passé » et son caractère historique, en mon-trant, preuves et témoignages à l’appui, que les peuples de cette partie du monde existent dans le temps, et ce depuis l’aube des temps, d’autant que la première humanité y a émergé. Par cet aspect, il donne un sens à l’histoire africaine, qui se décline à la fois comme orientation et signification (Fau-velle X., 1996  : 43)  : les sociétés africaines évo-luent dans le temps, développent une façon par-ticulière de vivre, un mode d’existence particulier qu’il s’agit pour les contemporains d’assumer, et en le faisant, de s’assumer eux-mêmes. L’Afrique a donc désormais un sens en ce qu’elle possède

une histoire, qui peut se comprendre comme une aventure collective orientée vers une fin cer-taine. La découverte de ce passé n’est donc pas un repliement sur soi stérile, mais inaugure un hori-zon nouveau de travail et de liberté, et c’est pour-quoi C. A. Diop (1982  : 9) affirmait que « Les intellectuels doivent étudier le passé non pour s’y complaire, mais pour y puiser des leçons ou s’écar-ter en connaissance de cause si cela est nécessaire. Seule une véritable connaissance du passé peut entretenir dans la conscience le sentiment d’une continuité historique, indispensable à la consoli-dation d’un état multinational. »

La thématique centrale de Diop : l’antériorité des civilisations nègres égyptiennesLa fonction de l’historiographie est de four-nir une explication narrative et interprétative des phénomènes historiques, ce qui implique la nécessité d’une logique qui donne à l’historien des ressources pour examiner le contenu, la réa-lité et les liens de causalité entre les faits. Il s’agit en fait de dire un évènement, un objet ou une période de la vie d’un peuple, de se le représen-ter dans sa dimension singulière mais aussi d’en montrer la portée humaine et universelle. Ainsi, la tache de l’historien, vivant dans le présent et sans être un homme du passé, est d’expliquer et d’interpréter le passé. Or, concernant l’Afrique, avant les travaux de Diop, les historiens africa-nistes ont fait la preuve de leur manque de sens d’unité, de continuité et de profondeur. Ils ont effectué des récits anecdotiques, des compila-tions de faits sans essayer de dégager les liens de causalité qui pouvaient les tenir ensembles. Ils se sont montrés «  imbus de préjugés tenaces, inca-pables bien souvent de faire preuve d’imagination créatrice, de réflexion historique rigoureuse, inca-pables bien souvent aussi d’élargir les objets his-toriques, [ils] ne font que des dissertations sans signification humaines. Ils n’ont ni idées générales pour interroger le passé africain, ni ambitions marquées pour le devenir des peuples africains » (Obenga T., 1996 : 73). Fort de ce constat, mais aussi de l’idée que les manuels d’histoires de ces africanistes ne permettent pas de remonter l’his-toire au delà de quelques siècles et ce sans lien de continuité, Diop va s’attacher à retrouver un fil conducteur, une logique dans l’histoire africaine, et c’est pourquoi il va s’efforcer d’en retrouver la trame, la continuité dans le temps et dans l’espace africains, avec la ferme intention « d’arriver, par

Page 10: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 9/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

des recherches fructueuses, à rattacher, non d’une façon hypothétique, mais effective, tous ces tron-çons de passé à une antiquité, une origine com-mune qui rétablit la continuité  » (Diop C. A., 1957 : 15).C’est pour répondre à cette préoccupation de tem-poralité longue et de continuité que C. A. Diop entreprend l’écriture de l’histoire de l’Afrique noire précoloniale, c’est-à-dire de l’antiquité égyptienne à nos jours. Pour lui, la Vallée du Nil, depuis la région des Grands lacs, est le lieu d’en-racinement, d’où remonte l’historicité de toute l’Afrique noire et de ses civilisations. Si on l’avait considéré comme tel, le sens de l’histoire africaine eût été différent : « Il est évident qu’à partir de la Nubie et de l’Egypte, si on avait pris une direc-tion géographique continentale telle que : Nubie-golfe du Bénin, Nubie-Congo, Nubie-Mozam-bique, le cours de l’histoire africaine serait apparu également ininterrompu  » (Diop C. A., 1957  : 133). L’Egypte est ainsi le berceau de l’Afrique, le premier jalon de son histoire, sa fondation et le socle de son identité (Fauvelle X., 1996 : 41). Elle est le centre de référence, le lieu à partir duquel est intelligible les différentes formations historiques africaines. Elle permet de corriger les connaissances parcellaires et fragmentaires. Par delà cette affirmation, il y a l’idée que l’Afrique forme un tout cohérent qui finalement révèle une trajectoire historique singulière, commençant depuis la première humanité et, à travers une série de migrations, culmine dans la civilisation égyp-tienne qui va éduquer et « civiliser » l’humanité. Si l’Egypte occupe une place si centrale dans le tra-vail historien de C. A. Diop, c’est justement parce qu’il la considère comme le lieu de naissance d’où émergent les civilisations africaines et celui à par-tir duquel peut se consolider le processus de créa-tion d’une culture panafricaine. En effet, elle est « l’avant » porteur de mouvement dès les genèses, le « substratum », fondement commun des civi-lisations négro-africaines en leur diversité histo-rique, géographique et en leur unité profonde, la « référence historique et culturelle » dans la trame générale de l’histoire de l’humanité. La vallée du Nil est donc le fil conducteur qui devra permettre d’étudier et de comprendre l’Afrique dans sa glo-balité (Obenga T., 1996  : 112-115). Il importe alors de retrouver le cheminement qui conduit de là aux sociétés actuelles. Que ce passé soit glo-rieux est juste un hasard, et ce qui importe c’est qu’il soit intégré comme élément de la conscience historique africaine.

Pour y arriver, C. A. Diop use de la comparaison entre l’Egypte des pharaons et les communau-tés noires-africaines actuelles, ce qui le conduit à établir entre elles des liens de parenté culturelles et linguistiques. Ceci lui permet d’envisager les civilisations africaines comme un ensemble tem-porel évitant les définitions parcellaires, énigma-tiques et sans âme. Cette comparaison lui permet aussi de remonter aux origines, et, à partir de ces fondements historiques et culturels, de restituer à ces sociétés leur passé historique. Concrète-ment, il s’attache à rechercher les ressemblances du point de vue linguistique, artistique, culturel, cosmogonique et religieux entre l’aire culturelle de l’Egypte ancienne et l’Afrique noire actuelle, en vue de mettre en exergue les spécificités, les singularités, d’affirmer les parentés ou la commu-nauté d’origine. De cet exercice, C. A. Diop acquiert la convic-tion que l’Egypte ancienne s’apparente à un foyer inaugural dont les peuples africains doivent prendre connaissance pour nourrir la conscience de leur historicité dans le temps et l’espace. De fait, la différence que Diop établit entre un peuple et une population tient précisément de ce que sans conscience commune, les «  tribus  » et les «  ethnies  » africaines ne sont que des tron-çons indifférents, des agrégats de population sans âme, sans histoire partagée, sans destin unitaire, collectif dans le monde contemporain. Mais la conscience historique qui se construit à partir de cette antiquité Egyptienne permet de mieux envi-sager l’avenir, parce qu’elles savent désormais d’où elles viennent, étant entendu qu’on ne sait où l’on va que si l’on sait d’où l’on vient : « La conscience historique africaine confère donc à tout le monde noir africain le sentiment réel d’une solidarité culturelle, d’une communauté historique ayant ensemble des valeurs fondamentales héritées des ancêtres communs. La réconciliation des Africains avec leur propre histoire, leur passé culturel, est d’une nécessité vitale » (Diop C. A., 1957 : 116).Ainsi, ce que Diop veut faire voir, c’est la généalo-gie historique et culturelle des sociétés africaines actuelles. Il veut leur faire prendre conscience de leurs antécédents historiques, des filiations pos-sibles entre elles parce qu’il est convaincu que leur historicité s’enracine dans l’Egypte antique et à partir d’elle, comme réalité historique et cultu-relle de l’histoire du monde. Ce lien de conti-nuité historique établi entre le passé humain le plus lointain et l’Afrique contemporaine insiste

Page 11: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 10/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

sur l’histoire de l’Egypte et son rôle primordial dans le développement scientifique, culturel, philosophique, spirituel, etc. du monde ancien, ce qui permet de rétablir la vérité historique du rôle de l’Afrique dans l’éducation de l’humanité. En effet, en soutenant l’idée d’une parenté entre l’Egypte ancienne et les sociétés d’Afrique noire subsaharienne, Cheikh Anta Diop contribue à déconstruire le mythe d’une « Egypte blanche », faisant de cette falsification historique le support théorique et idéologique d’un nouveau courant afro-centriste (Havard J-F., 2007 : 73).Selon notre auteur, cet héritage égyptien ancien doit être enseigné parce qu’un «  héritage n’est vivant que quand il est assumé par des commu-nautés qui en font leur affaire, de génération en génération, dans l’infinitude de la temporalité. L’Egypte pharaonique ne doit pas être « contem-plée  » comme une chose en soi, abstraitement, purement et simplement. L’Egypte pharaonique n’est pas qu’objet de fouilles archéologiques, de cénacles érudits qui s’abiment dans les exégèses des textes : l’Egypte pharaonique est un passé qui appartient en totalité au monde noir  ; celui-ci doit en conséquence l’assumer à la manière d’un legs ancestral. Conséquemment, l’Egyptologie doit être avant tout une science africaine, comme le sont les antiquités gréco-latines pour l’en-semble de l’Europe, les antiquités chinoises pour l’ensemble de la chine, etc. les antiquités dont les descendants ont disparu de l’histoire deviennent de ce fait des « antiquités mortes », des « antiquité perdues  », sinon que la mémoire collective de l’humanité ne les retient que comme de simples souvenirs historiques et objet de fouilles archéo-logiques pour alimenter les musées.  » (Diop C. A., 1957 : 117-118).

La valeur et la fonction de l’histoire dans la création de la conscience historiqueIl se dégage de l’historiographie diopienne l’idée que l’histoire est une valeur susceptible de mobili-ser les énergies, d’opérer une transformation radi-cale et totale de l’Africain en vue de son insertion dans le monde moderne. Il précise à plusieurs reprises que le recours au passé, contrairement à la négritude senghorienne, ne consiste aucune-ment à idéaliser le passé, à s’en délecter ou à s’y complaire  ; il est plutôt question d’user de cette histoire, de s’y regarder comme dans un miroir pour corriger ses imperfections ou porter à leur

paroxysme les qualités. On comprend bien que l’histoire dont il s’agit ici n’est pas l’histoire évè-nementielle, simple compilatrice d’évènements, puisque l’historien n’est pas un muséologue. Sans être véritablement théorisée, la notion de conscience historique habite toute l’œuvre de Diop. En effet, tous ses efforts ont pour fina-lité d’en doter l’africain, afin qu’il s’en serve pour révolutionner son présent et construire son ave-nir. Mais comment y parvenir ? C’est à ce niveau qu’intervient la connaissance de l’histoire, ce ciment social qui, d’après lui, est vital dans l’exis-tence d’un peuple, dans la mesure où elle est l’un des facteurs qui permet d’assurer la cohésion des différents éléments d’une collectivité. Sans conscience historique, les peuples ne peuvent pas être appelés à de grandes destinées. Selon T. Obenga la conscience historique se décline en une double détente  : d’une part, dans la mesure où dans la conscience réside un certain savoir, il s’agit d’acquérir une connaissance aigüe de la pro-fondeur de l’histoire du monde, et d’autre part, avoir conscience de vivre dans et de participer à l’histoire, d’être acteur et non pas seulement sujet de l’histoire. C’est dire que la conscience historique renvoie à la connaissance de l’histoire et donc du passé qui devrait générer confiance de soi, enthousiasme devant les taches à accomplir et produire une restructuration de la conscience historique afri-caine et transformer l’Africain en un Prométhée : « L’Africain qui nous a compris est celui là qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti naître en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée por-teur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion » (Diop C. A., 1981 : 16). Ainsi, la conséquence logique du travail historique de Diop devra bien être la prise d’initiative historique qui elle-même ne saurait être efficace si elle ne s’adosse à la conscience col-lective du passé culturel et historique : «  Et par là, la conscience historique, en s’ouvrant l’avenir relié à l’origine, devient une conscience historiale.  » (Samb D., 1992 : 54).Mais il ne s’agit pas dans l’élaboration de cette conscience historique, de privilégier les consciences ethniques et régionales particulières (conscience wolof, malinké, ibo, akan, bamoun, haoussa, bantu), puisqu’elles se rattachent toutes à

Page 12: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 11/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

un même socle qui est l’Egypte pharaonique et qui témoigne de leur unité à la fois géographique, spirituelle, linguistique et culturelle, qui bien qu’oubliée pour certains, n’en est pas moins recon-naissable dans les diverses cultures régionales de l’Afrique noire. La connaissance du passé his-torique commun devra déboucher sur la correc-tion des flottements de la personnalité africaine actuelle, redonner confiance aux peuples africains qui, sachant désormais ce que l’humanité doit à leurs ancêtres, peuvent affronter l’avenir avec optimisme et dépasser le legs colonial car, l’his-toire est la clé qui ouvre la porte de l’intelligence, de la compréhension de la société africaine. En fait, l’histoire a toujours été un élément fonda-teur des connaissances des hommes à travers le temps. C’est elle qui structure leur mémoire et leur rapport au temps et à eux-mêmes. C’est ce qu’attestent ces mots de Michel Foucault (1966 : 378) expliquant la fonction de l’histoire dans la société occidentale  : «  Depuis le fond de l’âge grec, l’histoire a exercé dans la culture occiden-tale un certain nombre de fonctions majeures  : mémoire, mythe, transmission de la Parole et de l’Exemple, véhicule de la tradition, conscience critique du présent, déchiffrement du destin de l’humanité, anticipation sur le futur ou promesse d’un retour ». Selon C. A. Diop, c’est une fonction analogue que l’histoire devrait jouer dans la vie des peuples d’Afrique, car si cette dernière veut vivre, s’im-poser dans le monde moderne et contribuer au progrès général de l’humanité, elle doit le faire à partir de son histoire, de la mémoire culturelle de ses valeurs, de ses théories du Bien, du Beau et du vrai, de ses langues ou plus généralement de son identité culturelle, car « aujourd’hui, chaque peuple, armé de son identité culturelle retrou-vée ou renforcée, arrive au seuil de l’ère postin-dustrielle. Un optimisme africain atavique, mais vigilant, nous incline à souhaiter que toutes les nations se donnent la main pour bâtir la civilisa-tion planétaire au lieu de sombrer dans la barba-rie » (Diop C. A., 1981 : 16). De fait, Diop invite à une réappropriation de l’histoire qui, dans un mouvement dialectique doit déboucher sur la déconstruction des histoires coloniales et une réé-criture de cette même histoire qui opère du même coup une recomposition et une redéfinition du « rapport à l’identité collective, l’enjeu étant alors de redéfinir ce qui fait sens pour que les indivi-dus   qui se retrouvent dans une communauté, et notamment dans une communauté nationale

puissent à nouveau dire « nous » » (Havard J-F., 2007 : 71).L’historiographie de Diop apparaît sous ce rap-port comme une entreprise de construction de l’identité culturelle africaine comme seul socle à partir duquel un développement de l’Afrique est possible. En effet, l’étude des notions d’Etat, de royauté, de morale, de philosophie, de religion et d’art, de littérature et d’esthétique menées dans L’unité culturelle de l ’Afrique noire n’ont pour fonc-tion que de « dégager le dénominateur commun de la culture africaine » par opposition à la culture nordique aryenne, culture à partir de laquelle devra s’organiser la construction d’une Afrique unie pour une insertion harmonieuse dans la modernité, d’autant plus que ce sont les peuples qui, armés de leur identité culturelle retrouvée ou renforcée peuvent influencer durablement le devenir des peuples. Enfin, Diop est convaincu que le destin de l’Afrique passe par la construc-tion d’une Etat africain, justement adossé à cette unité culturelle.

Le postcolonialisme et la fragmentation de l’histoire africaineEn rétablissant un lien de continuité entre les dif-férents peuples et cultures africaines, C. A. Diop contribue à la reconstruction d’un grand récit qui narre les origines de l’universel humain, à partir d’un point de départ située en Afrique. M. Diouf (1999) a très bien perçu cet aspect lorsqu’il affirme que Diop ne sort pas de la rationalité occiden-tale, mais la détourne. Pour lui, Diop « reconstruit l’universel humain en lui attribuant une origine et une inspiration africaines, redonnant au pas-sage, mais seulement au passage, les lignes géné-rales du texte africain qui donne sens à tous les récits africains, de quelque manière qu’ils soient générés, de quelque lieux qu’ils proviennent et de quelque culture qu’ils se réclament. Il reste pri-sonnier des déterminations d’une histoire linéaire telle qu’elle est proposée par la philosophie des Lumières » (Diouf M., 1999 : 8). Ainsi, pour C. A. Diop, l’historiographie s’apparenterait à la for-malisation d’un des « grands récits » qui caracté-risent la modernité et qui montre que l’histoire de l’humanité est un long chemin vers l’émanci-pation. Par cet aspect, la démarche diopienne est similaire à historiographie nationaliste indienne des années 1920-1930, qui s’attachait à remettre en cause l’interprétation britannique de l’histoire

Page 13: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 12/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

à partir de la redécouverte de celle de l’ancienne Inde. Le rôle de celle-ci est joué dans la pratique diopienne par l’ancienne Egypte. Ainsi, Diop partage avec les historiens indiens le rejet des fabrications essentialistes des affirmations auto-ritaires sur les sociétés par les savoirs coloniaux, qui confinent ces sociétés à la passivité et à l’inap-titude aux changements et aux transformations historiques. A ce titre, Diop sera réfuté par les postcoloniaux africains qui, renouvelant les argu-ments des nationalistes indiens, vont estimer que cette façon de concevoir l’histoire consiste à se poser en victime de l’autre d’une part, à nier la pluralité des mode d’expression des récits histo-riques et des régimes de vérité et d’autre part. Il affirmeront qu’il n’ y a pas une histoire globale et linéaire, mais des histoires locales, particulières et à la limite chaotiques.

Décolonisation de l’histoire ou victimisation et nativisme ?La conception diopienne de l’historiographie et plus particulièrement les thèses qu’il défend, qui aujourd’hui relèvent « presque du lieu commun », ont soulevé nombre de réactions en Afrique et ailleurs. C’est ainsi que pour Achille Mbembe3 par exemple, les auteurs qui comme Diop ont l’Afrique et son histoire pour objet d’étude sont confinés depuis des décennies dans une sorte de ghetto ; leur travail serait plombé par le nativisme, le culte de la victimisation, la territorialisation de la production du savoir. Pour lui, le nativisme est le propre des discours sur l’Afrique qui font l’identité et l’authenticité leur point d’ancrage, et proposent le retour à une problématique africa-nité ontologique et mythique ; tandis que la vic-timisation décline l’idée que : « L’expérience afri-caine du monde serait déterminée, à priori, par un ensemble de forces dont la fonction serait d’em-pêcher qu’éclose la singularité de l’être africain, de cette part du soi historique africain irréductible à tout autre. Du coup, l’Afrique ne serait pas res-ponsable des catastrophes qui lui arrivent. Le des-tin du continent dans le présent ne procèderait pas de choix libres et autonomes, mais de l’héri-tage d’une histoire imposée, marquée au fer par le viol, le crime et toutes sortes de conditionnalités » (Mbembe A., 2000a : 20).

3. On peut ranger dans la même catégorie des auteurs com-me Jean-Godefroy Bidima, Anthony Appiah, Valentin Y. Mudimbe.

Il s’ensuit une lecture africaine de soi comme somme de fatalités, de sorte qu’on ne peut trouver dans l’histoire africaine ni ironie, ni accident : « Au cœur du paradigme de la victimisation se trouve, en réalité, une lecture de soi et du monde en tant que série de fatalités. Il n’y a, pense-t-on, ni ironie, ni accident dans l’histoire africaine. Celle-ci serait essentiellement gouvernée par des forces qui nous échappent. La diversité et le désordre du monde ainsi que le caractère ouvert des possibilités histo-riques sont ainsi ramenées, d’autorité, à un cycle, toujours le même, spasmodique, qui se répète un nombre infini de fois, selon la trame d’un com-plot toujours fomenté par des forces hors de toute atteinte » (ibid. : 25).Ainsi, la logique de Diop et celle de tous les cher-cheurs africains de sa génération serait celle de la dénonciation de ce qui est différent, du refus du monde. Leur activité scientifique s’apparente à une sorte de névrose qui alimente une pensée xénophobe négative et circulaire. Elle se décline en une politique de l’africanité qui, combinée à l’économie politique marxiste, construit la rhéto-rique de l’identité culturelle dont on ira chercher les traits dans les empires africains d’autres fois et dans l’Egypte pharaonique.Pour sortir de cette démarche qualifiée de « réac-tionnaire  », Mbembe se propose de présen-ter l’Afrique que telle qu’elle existe, c’est-à-dire de problématiser l’idée d’une identité africaine immuable car, celle-ci n’existe pas ; seule existe « une identité en devenir et qui, loin des mytholo-gies unanimistes, se nourrit des différences entre les Africains tant du point de vue ethnique que linguistique ou encore des traditions héritées de l’histoire coloniale » (ibid. : 31). Il faut en consé-quence, s’éloigner des réflexes nativistes qui ne concourent qu’à la jouissance du sentiment de différence.

Une lecture fragmentée de l’histoireDans la même lignée, J. G. Bidima critique la conception diopienne de l’histoire placée sous le signe de la continuité, qu’il qualifie d’identitaire et d’absolutiste. Pour lui, l’histoire africaine doit être lue non plus du point de vue de la continuité et de la fondation de la culture, mais selon le paradigme de la discontinuité et du détail. Alors seront privilégiées les constellations de fragments, de sorte qu’ « au lieu de parler de l’histoire afri-caine, il faudrait la fragmenter en micro-histoires

Page 14: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 13/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

où on pourra aussi lire non seulement l’histoire des dignitaires bien-pensants des sociétés afri-caines mais aussi, celle des marginalisés et de tout le refoulé » (Bidima J-G.,1995 : 76). Cet auteur estime que l’histoire est une construction struc-turée par la partialité de l’historien, la relativité de sa situation et la précarité de ses instruments d’analyse. Toutes choses qui exigent que la vérité soit simplement considérée comme métaphore et fiction. Cette histoire doit être comprise selon ce qu’il appelle le paradigme de «  la traversée  » qui se décline autour des concepts de transitaire, de transitoire, de débordement et d’impercep-tible fugace, dans la mesure où l’histoire n’em-prunte pas un schéma unique, mais se situe dans «  l’entre-deux  » qui indique la possibilité d’em-prunter plusieurs chemins. Par le rejet de cette conception de l’histoire africaine de même que de ses totalités émancipatrices – panafricanisme, nationalisme africain, renaissance de l’Afrique -, la « docte espérance » que professe la philosophie de la traversée prône des identités rhizomatiques, qui prolifèrent selon les possibilités qu’offrent la logique de la globalisation. Dans la même perspective, Mbembe estime qu’il n’y a pas lieu de parler d’histoire africaine parce que ce qui en tient lieu ici est encastré dans des temps et des rythmes conditionnés par la domi-nation européenne, de sorte qu’essayer d’en rendre compte, c’est se situer à l’interface entre le travail des forces internes et celui des acteurs internatio-naux, ou pour le dire autrement, l’histoire africaine est d’une certaine manière indiscernable de l’his-toire occidentale. Il y a donc comme « une dilata-tion du monde » qui fait que les sociétés africaines ne peuvent être comprises que dans la perspec-tive d’une multiplicité de temps, de rythmes et de rationalités qui ne peuvent être pensés en dehors de ce monde dilaté (Mbembe A., 2000b : 21-22).Cela signifie que l’histoire africaine doit être comprise sous l’angle de la fragmentation et de la discontinuité, étant donné la perte de la crédibi-lité des grands récits et l’affirmation générale de la multiplicité des mondes et des formes de vie. La référence est non plus la longue durée (histoire), mais des «  durées autochtones  »  ; ceci suppose que l’on renonce à des « visions classiques » qui se caractérisent par la linéarité et l’irréversibilité du temps et de l’histoire, pour envisager le temps de l’existence africaine qui n’est « ni un temps linéaire, ni un simple rapport de succession ou chaque moment efface, annule et remplace tous ceux qui l ’ont précédé

(…). Ce à quoi l ’histoire des sociétés africaines nous renvoie, c’est à l ’idée d’une pluralité d’équilibre et au fait qu’en tant que sociétés historiques, les formations sociales africaines ne convergent pas nécessairement vers un point, une tendance ou un cycle unique, mais qu’elles recèlent en elles la possibilité de trajectoires fractionnées, ni convergentes, ni divergentes, mais imbriquées, paradoxales.  » (Mbembe A., 2000b  : 36, souligné pas l’auteur) C’est dire que du point de vue de Mbembe, comme d’ailleurs aussi de Bidima, la volonté diopienne de reconstruire une histoire de la nation africaine revient simplement à offrir aux africains une figure de leur destin his-torique saturé de sens pour attester de leur capacité à se donner un destin, à s’affranchir de la servitude.

Un héritage du structuralisme et du postmodernismeOn peut aisément reconnaître dans les thèses de ces deux auteurs les influences de Michel Fou-cault (1969) qui annonce l’idée de discontinuité de l’histoire des idées et de l’histoire réelle. Pour lui, sous les grandes continuités de l’histoire de la pensée, il existe des interruptions, des ruptures et des discontinuités propres aux temporalités his-toriques. Cette mutation s’insère dans les sciences historiques du fait que les historiens aujourd’hui4 cherchent à distinguer dans le champ propre de l’histoire, « des couches sédimentaires diverses », de sorte qu’ « aux successions linéaires qui avaient jusque là fait l’objet de la recherche, s’est substi-tué un jeu de décrochages en profondeur ». Cette multiplication des niveaux d’analyse, chacun avec «  ses ruptures spécifiques  » et un « décou-page qui n’appartient qu’à lui », amène Foucault à conclure que « derrière l’histoire bousculée des gouvernements, des guerres et des famines, se dessinent des histoires presque immobiles sous le regard, - des histoires à pentes faibles » qui se déroulent en dehors des grandes téléologies, des grandes anthropologies et des grandes logiques, qui rejettent les continuités. En fait, le projet de Foucault était de penser la discontinuité, de « for-muler une théorie générale de la discontinuité, des séries, des limites, des unités, des ordres spéci-fiques, des autonomies et des ordres différenciés » (Foucault M., 1969  : 9-10, 19). Cette opération aboutit à une multiplication des ruptures dans l’histoire des idées, et privilégie les structures sans labilité dans l’histoire proprement dite.

4. Parmi les historien que Foucault a en vue, on peut citer Fernand Braudel, François Furet, Denis Richet, Emmanuel Le Roy Ladurie.

Page 15: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 14/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Foucault (1966) affirmait déjà l’existence d’une discontinuité entre les trois grandes époque de l’histoire qu’il identifie  : l’époque classique, la Renaissance et la période moderne. Chacune d’elle étant caractérisée par une épistémè5, le pas-sage de l’une à l’autre est marqué par une rupture qui influence la façon de penser. Ainsi, à la pen-sée par similitude et analogie du Moyen âge et de la Renaissance, l’âge classique substitue celle de l’ordre et du classement. Des disciplines telles que la grammaire générale, l’histoire naturelle et l’économie s’efforcent d’appréhender les trans-formations et les mutations des phénomènes, et de dresser des taxinomies. Mais avec la période moderne, c’est l’homme qui devient objet d’étude avec l’émergence des sciences humaines  : ce qui fait dire à Foucault (1966 : 179) que « dans une culture et à un moment donné, il n’y a jamais qu’une épistémè, qui définit les conditions de pos-sibilités de tout savoir  ». Cet état de chose, du point de vue de cet auteur, justifie donc le prin-cipe de discontinuité des périodes de l’histoire. En fait, le passage d’une période à l’autre n’est jamais pensé par Foucault comme une progression, et il ne dit jamais quels sont les facteurs qui président au passage d’une épistémè à une autre.Foucault va s’attacher à rejeter l’histoire au pré-texte qu’elle a cessé d’exercer les fonctions de sens, de mémoire, de mythe, de transmission de la Parole et de l’exemple, de véhicule de la tradition, de conscience historique du présent, de déchif-frement du destin de l’humanité, d’anticipation sur le futur ou encore de promesse d’un retour. Ainsi, à la «  grande histoire lisse, uniforme en chacun de ses points », entraînant dans un même mouvement de dérive, de chute ou d’ascension « tous les hommes et avec les choses, les animaux, chaque être vivant ou inerte, et jusqu’aux visages les plus calmes de la terre  », Foucault substitue des histoires particulières et autonomes, et attri-bue à chaque activité, à chaque temps et même à la nature une historicité propre qui témoigne

5. L’épistémè désigne la structuration des discours scienti-fiques, c’est-à-dire l’ensemble des relations qui existent pour une époque donnée entre les sciences quand on les considère du point de vue des régularités discursives. Ainsi, la tache d’une archéologie du savoir consiste à reconstituer l’articula-tion entre le niveau des connaissances telles qu’elles existent et fonctionne à une époque donnée, avec le niveau épistémo-logique du savoir où ces connaissances trouvent leurs condi-tions de possibilité. Il convient également de souligner que ces systèmes de relations entre science et savoir qui consti-tue l’épistémè, tissent un réseau de nécessité inaccessible à la conscience de ceux qui les émettent.

de ce que chaque compartiment de la réalité humaine possède ses propres lois de fonction-nement et sa cohérence propre, de sorte que la chronologie se développe selon un temps struc-turé par une cohérence interne. Plus précisément, à l’histoire comprise comme le dernier refuge de l’ordre dialectique entre les individus et la totalité, c’est-à-dire comme ce grand discours qui permet de conserver le principe de causalité en évitant la contradiction et de maintenir la linéarité dans le cours de l’histoire, à l’histoire réduite à la relation de causalité, totalisante et intouchable, Foucault substitue un principe de niveaux, de distinction et de périodisation qui fixe l’espace temporel dans lequel on peut identifier un épistémè. Comme le souligne Judith Revel (2010 : 77-78), il s’agit pour lui « de faire émerger d’autres relations, d’autres modalités du changement, en faisant jouer les rapports d’implication, d’opposition, d’exclu-sion de manière non seulement verticale (c’est-à-dire chronologiquement), mais aussi horizon-tale (d’un type de discours à l’autre, d’un savoir à l’autre, d’une pratique à l’autre). Si l’analyse ver-ticale implique une périodisation qui fixe l’espace temporel dans lequel construire un ou plusieurs isomorphismes, c’est-à-dire l’épistémè d’une époque donnée à partir de la rupture opérée avec l’épistémè précédente, (…) l’analyse horizontale, elle, établit ces isomorphismes de manière trans-versale et contribue en cela à en définir les limites temporelles, c’est-à-dire la périodisation ».Si tout est ainsi fragmenté, il devient évident que l’historicité, telle que Foucault l’entend, ne peut plus trouver sa place  dans le grand récit com-muns aux choses et aux hommes, puisque de toutes les façons, l’homme n’a plus d’histoire  ; il se trouve enchevêtré à des histoires qui ne lui sont ni subordonnées ni homogènes. Comment dans ces conditions, construire un projet global d’humanité et de société  ? Un tel projet est-il même seulement encore désirable ? Selon (Nkolo F., 2007 : 103), cette désarticulation de l’histoire montre bien l’impuissance de l’homme face aux circonstances, ce qui le rend inapte à « formuler un projet cohérent, puisque l’histoire elle-même a perdu sa cohérence et sa légitimité, (…) a cessé d’être l’expression d’une accumulation progressive, d’une tension vers le futur, le progrès ». Pour lui, ce refus de l’historique a des origines anciennes, et se rattache au conflit entre la diachronie et la synchronie articulé par le courant structuraliste. En effet, depuis les années 1967-1970, le struc-turalisme a commencé à préparer le terrain au

Page 16: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 15/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

postmodernisme qui lui-même prolonge l’époque structurale. De fait, le postmodernisme, qui pré-tend éclater la structure fermée du structuralisme en a, en réalité, conservé les principes fondamen-taux  : la structure à la place du sujet, le forma-lisme, le signe, le langage, le refus de l’histoire. Sur ce point, on peut remarquer que contraire-ment au structuralisme qui rejette les contenus au profit des structures, la pensée historique soutient que les contenus ont autant ou plus d’importance que les formes. Celle-ci se fonde sur la dialectique de l’histoire réelle dont la trame est faite de for-mations, de transformations, d’éclatements, de dissolutions et de reconstructions des formes et des contenus selon les lois de l’histoire concrète des hommes. Il s’ensuit que la pensée historique, « ne se réduit ni à un poids mort, ni à un pitto-resque superflu. Au sein de la mondialité techni-cienne se manifestent et se manifestèrent des dif-férences, dues à l’histoire des sociétés, des groupes, des classes, des peuples, des nations. L’histoire continue  » (Lefebvre, cité par Nkolo F., 2007  : 81). Cette façon de voir contredit la conception structurale qui envisage le temps par rapport à la structure, et en fait une réalité variable, flexible. Ainsi, chaque société serait dotée d’une tempora-lité interne globale, chacun de ses segments ayant un rythme qui lui est propre. Dans le même ordre d’idées, Lévi-Strauss insère l’histoire dans la structure. Il estime que le travail de l’historien consiste en fait, à reconstituer de façon discontinue, les images des sociétés dispa-rues telles qu’elles furent, mais dans leur présent. Ces images ne démontrent donc pas une succes-sion d’images continues qui traduirait le passage d’une étape à une autre, mais des états séparés, car l’idée de continuité historique ne semble cor-respondre à aucune réalité précise et concrète. Selon Lévi-Strauss, l’histoire dite universelle n’est qu’une juxtaposition de quelques histoires locales au sein desquelles il y a plus de trous que de pleins. Pour lui à observer attentivement l’histoire, on constate qu’elle est constituée d’une infinité de mouvements, psychiques et individuels qui sont en fait la traduction des évolutions inconscientes, qui elles même se résolvent en phénomènes céré-braux, hormonaux, nerveux. Ainsi, le fait histo-rique n’est pas plus objectif qu’un autre, dans la mesure où c’est l’historien ou à la limite l’agent du devenir historique qui le constitue par abstraction pure.

Au demeurant, dans l’univers structural, le discré-dit qui frappe l’histoire touche aussi à la mémoire ; en effet cet univers n’a pas de mémoire et les êtres qui le peuplent sont «  schizoïdes, amnésiques, incapables de dire quoi que ce soit sur leur passé », puisque la mémoire est considérée ici comme représentation suspecte du passé, dans la mesure où elle échoue à en rendre fidèlement compte et ne peut en faire une reproduction adéquate. Ainsi, le présent se suffit à lui-même comme manifes-tation de la temporalité  ; il est donc impossible «  d’établir quelque déterminisme dans ce kaléi-doscope des souvenirs et des mémoires » (Nkolo F., 2007 : 92), puisque ces dernières n’échappent ni à l’incohérence, ni à la contradiction.

L’histoire entre réalité et fictionIl ressort de ce qui précède que le postmoder-nisme, qui est le point d’aboutissement de tout ce mouvement de pensée et auquel se rattache Mbembe, Bidima et leur inspirateur direct Fou-cault, manifeste un profond scepticisme à l’égard de l’histoire et à l’égard des grandes tendances de l’historicisme. Pour eux, l’histoire universelle n’est pas orientée, elle n’est régie par aucune loi. En conséquence, il n’y a pas d’action consciente de l’homme dans l’histoire ; l’homme est installé dans l’instant, le singulier, l’aléatoire, le relatif et le divers. Pour F. Nkolo (2007), en rejetant la loi et la prévision historique, le postmodernisme dévoile en réalité son coté réactionnaire, dans la mesure où il agit comme un voile idéologique qui empêche tout questionnement sur la finalité et la légitimité de l’ordre social nouveau. Dans cette perspective, il accompagne le capitalisme qui « réduit le monde à l’état moléculaire. Son idéolo-gie prend alors l’effet pour la cause. Dans la célé-bration du divers et du contingent, celle-ci rend opaque le projet global en cours. Mais conscient que seul un contre-projet global est opposable au projet libéral total, et qu’un tel contre projet est porteur d’intelligibilité, l’idéologie ridiculise les métarécits et décrète la « fin de l’histoire », l’his-toire idéologique de l’humanité s’achevant avec l’Etat universel et homogène » (Nkolo F., 2007 : 93). L’enjeu de cette démarche est en fait non seu-lement de répudier l’idée de progrès moral, mais aussi et surtout de légitimer les inégalités entre les hommes, de durcir les rapports sociaux et de pérenniser les rapports de force favorables aux plus forts.

Page 17: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 16/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Mais d’une manière générale, on peut penser avec C. Edward (2011) que l’historiographie du XXè siècle a été profondément modifiée par le climat de relativisme qui, sur le plan historique, a mis à mal le principe de l’objectivité des récits, à partir de l’idée que les historiens, en tant que média-teurs de la réalité, ne sont pas indépendants des idéologies qui ressortissent à leur cadre de réfé-rence. L’argument est que dans la mesure où l’his-torien est toujours un homme de quelque part, il est impossible qu’il parle d’une perspective objec-tive, mais seulement à partir d’une subjectivité qui plombe ses motivations, ses oublis, ses parodies et ses silences.S’appuyant sur l’analyse des écrits de Roland Barthes et de Jacques Derrida, C. Edward affirme qu’avec la théorisation de ce que François Lyo-tard a appelé la condition postmoderne, il se met en place un brouillage de la distinction entre lan-gage et réalité qui dès lors, fait de l’histoire une simple fiction. Ainsi, s’appuyant sur le rejet opéré par la linguistique de la relation entre les mots et les choses, les historiens postmodernistes esti-ment que la réalité est une construction de mots et donc un discours qui, à ce titre, ne décline qu’une version de la réalité et non la vérité. Ainsi, les personnages historiques, leurs pensées et leurs actions sont considérés comme étant celles des historiens qui les relatent dans la mesure où pour eux, « il n’existe pas de passé objectif et indépen-dant relaté par les historiens » (Edwards C., 2011 : 489). Dans cette perspective, les écrits des histo-riens ont pour seule fonction de chercher à com-bler un vide par une reconstruction illusoire de la réalité, « une parade de signifiants qui se font pas-ser pour une collecte de faits » et dont l’objectivité n’est elle-même qu’une «  illusion référentielle  » (Barthes R., cité par Edwards C., 2011  : 489).En effet, selon J. Derrida rien n’existe en dehors du discours, ce qui revient à dire qu’il n’ y a aucune correspondance entre le langage et la réalité objective d’autant plus que ce sont les relations entre les signifiants qui donnent sens au langage. Or, ce sens change chaque fois qu’un mot est uti-lisé dans un contexte particulier, ce qui donne lieu à « un jeu infini de significations ». Pire encore, il y a autant de significations qu’il y a de lecteurs. Appliqué à l’histoire, cela revient à dire qu’il ne peut y avoir de lecture objective et factuelle du document historique et par conséquent, qu’on ne peut parler de document de référence en his-toire. De plus, les historiens lisent les documents

historiques de leurs point de vue, et varient les signification en fonction des objectifs qui leurs sont propres.De la sorte, il n’y a vraiment pas, du point de vue de l’historiographie postmoderne, une his-toire qui serait la narration ou la reconstruction des évènements passés et réels à partir de faits et de preuves objectives, mais seulement les textes d’historiens, d’autant plus que «  les évènements, les structures et les processus sont indiscernables des formes de représentations documentaires, des appropriations conceptuelles et politiques et des discours qui les construisent » ( Joyce P., cité par Edwards C., ibid.). Ainsi, l’histoire n’est finale-ment qu’un jeu de mots, une fiction qui, à partir des archives et à la manière d’un conte, recons-truit le passé en faisant souvent recours à l’ima-gination. C. Edwards cite le cas de Nathalie D. Zemon (1993) qui dans un texte censé présen-ter une histoire réelle, s’est attachée à explorer le domaine de la fable et du fantastique, en mêlant de manière ingénieuse faits et fiction, de manière à véhiculer une idée qui lui est propre.De même, le brouillage intempestif entre fiction et réalité est à l’œuvre dans les travaux des histo-riens postmodernes et en particulier dans Hay-den White (1973). En effet, cet auteur s’attache à établir un parallèle entre le style narratif des his-toriens du XIXè siècle et celui de la fiction qui consiste à jouer sur le sens des mots pour créer de l’effet. Ainsi, il  n’existe pas de vérité absolue et objective en histoire, puisque l’interprétation découle non pas des sources primaires, mais des modes de création d’une intrigue qui, n’étant pas de vraies formes littéraires, empêchent d’écrire une version précise, réelle définitive et objective du passé. Il en découle que toute histoire est une métahistoire qui relate de manière poétique com-ment les choses se sont passées.Edwards (2011 : 491) soutient qu’à côté de ce pro-cessus de brouillage de la frontière entre réalité et fiction, les historiens postmodernistes s’attachent également à une reconfiguration de l’histoire par la destruction de la linéarité du temps, son rem-placement par une représentation séquentielle qui en fait un temps rythmique, celui de l’expé-rience, de l’improvisation et de l’aventure. Tout ceci donne lieu à la réduction de la connaissance au langage et au contexte social qui le produit, car elle assume l’idée d’une relation étroite entre le texte et son contexte socio-historique. C’est ainsi que la nouvelle histoire qui naît comprend le

Page 18: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 17/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

monde comme un texte qui n’est intelligible qu’à partir du discours idéologique qui le porte et des pratiques matérielles du temps qui l’encadre. Il faut à la vérité dire qu’il y a un paradoxe latent dans toute histoire parce que comme l’a bien vu H-I. Marrou, «  Nous disons l’histoire, l ’histoire au singulier, parce que nous attendons qu’un sens humain unifie et rende raisonnable cette histoire unique de l’humanité ; c’est ce pari implicite que tache d’expliciter le philosophe rationaliste qui écrit une histoire de la conscience  ; mais nous disons aussi les hommes, les hommes au pluriel, et nous définissons l’histoire comme la science des hommes du passé, parce que nous attendons que les personnes surgissent comme des foyers radi-calement multiples d’humanité : c’est ce soupçon que le philosophe existentiel porte au jour en se vouant aux œuvres singulières, où se réorganise le cosmos autour d’un centre exceptionnel d’exis-tence et de pensée. L’histoire, pour nous autres hommes, est virtuellement continue et discon-tinue, continue comme unique sens en marche, discontinue comme constellation de personnes. Et ainsi vient se décomposer, dans la prise de conscience philosophique de l’histoire, sa rationa-lité virtuelle et son historicité virtuelle » (Marrou H-I., 1962 : 47-48, mots soulignés par l’auteur).Ainsi, « L’histoire peut être lue comme dévelop-pement extensif du sens et comme irradiation de sens à partir d’une multiplicité de foyers organisa-teurs, sans que nul homme plongé dans l’histoire puisse ordonner le sens total de ses sens irradiés. Tout récit participe des deux aspects du sens  ; comme unité de composition, il mise sur l’ordre total où s’unifient les évènements  ; comme nar-ration dramatisée, il court de nœud en nœud, de rugosité en rugosité » (Ricœur P., 1967 : 48-49).

* * * * *Au regard de ce qui précède, on peut finalement de demander en quoi la connaissance de notre passé fait de nous des hommes nouveaux. N’y a-t-il pas dans la conception diopienne une survalorisation de la fonction de l’histoire  ? Ces interrogations suggèrent que nous jetions un regard la notion d’histoire, depuis la manière dont elle s’élabore jusqu’à la fonction mémorielle qu’elle occupe dans l’espace des sociétés. Il est de plus en plus clair, quoiqu’en pense Foucault, que loin d’être seule-ment un narrateur ou un historiographe qui cher-cherait simplement à retracer avec plus ou moins de scientificité le passé humain, l’historien joue un rôle important dans transmission de la tradition,

la conscience critique du présent, le déchiffre-ment du destin de l’humanité et l’anticipation sur le futur. Pour mieux approfondir ce questionne-ment, nous nous laisserons guider par des histo-riens jetant un regard réflexif sur leur métier ou par des philosophes, épistémologues de l’histoire.

Marrou et la théorie de l’histoire comme instrument de la libertéH-I. Marrou (1962) est l’un des tout premiers historiens de métier à jeter un regard réflexif et épistémologique sur la pratique de l’histoire en France. Il affirme que l’histoire est la connais-sance du passé humain. Mais il ne s’agit pas d’une connaissance de type narrative du passé humain, encore moins une œuvre littéraire visant à le retracer, mais d’une connaissance valide, vraie. C’est plutôt la connaissance scientifiquement éla-borée du passé humain. A ce titre, cette connais-sance est inséparable de l’historien, puisqu’elle est le résultat de l’effort créateur par lequel celui-ci, sujet connaissant, établit un rapport entre le passé qu’il évoque et son présent. Cet état de chose commande que la connaissance produite soit l’entrecroisement de la subjectivité et de l’objectivité de l’historien, puisque celui-ci mêle le passé des hommes d’antan au présent de ceux d’aujourd’hui. Par cette posture, il confirme l’idée que l’historien ne saurait être un simple compi-lateur d’évènements ou un muséologue. Son tra-vail consiste donc non pas seulement à mettre en ordre les documents, mais à les interroger, à les interpréter et à les comprendre. Cette activité lui permet alors de rencontrer, dans une attitude de réciprocité, la conscience de l’autre, dont la com-préhension devient l’un de ses fils directeurs.En effet, contrairement à Langlois et Seignobos qui affirmaient que l’histoire n’est que la mise en œuvre des documents, H-I. Marrou (1962  : 67) soutient que le document n’est pas au départ de l’activité de l’historien, dans la mesure où celle-ci n’est que la réponse élaborée à une question posée au passé par la curiosité, l’inquiétude, l’angoisse existentielle de l’historien. Ainsi, le grand histo-rien «  est celui qui, à l’intérieur de son système de pensée (…) saura poser le problème histo-rique de la manière la plus riche, la plus féconde, saura voir quelle question il y a intérêt à poser à ce passé. La valeur de l’histoire, et j’entends aussi bien son intérêt humain que sa validité [ précise-t-il], est par là étroitement subordonnée au génie de l’historien ».

Page 19: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 18/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

C’est pourquoi il dit plus loin que l’on ne doit pas imaginer l’historien comme un homme qui se promène dans les richesses du passé comme un visiteur désœuvré devant les vitrines d’un musée, s’arrêtant ici et là, au gré de sa curiosité (Marrou H-I., 1962 : 277). Pour lui, l’historien n’est pas non plus cet homme obsédé par son engagement dans l’historicité et le devenir au point de n’avoir en vue dans ses entreprises que la compréhension de la situation présente en vue de canaliser son action immédiate. Ainsi, si l’histoire ne peut jouer dans la vie et la culture humaine le rôle de principe anima-teur et mobilisateur de la vie immédiate, sa tache n’étant pas de faire revivre ou réanimer le passé, elle a, en revanche, une fonction plus humble mais plus précieuse qui est simplement de « fournir à la conscience de l’homme qui sent, qui pense et qui agit une abondance de matériaux sur lesquels exer-cer son jugement et sa volonté. Sa fécondité réside dans cette extension pratiquement indéfinie qu’elle réalise de notre expérience, de notre connaissance de l’homme. C’est là sa grandeur, son ‘’utilité’’  » (ibid.,  : 271). Vue sous cet angle, l’histoire est ce qui dilate notre connaissance de l’homme, c’est-à-dire qui nous donne une vision plus large du passé humain, quitte à l’homme d’action de puiser dans cette vaste expérience des ressources ou des motifs pour son action. L’historien contribue donc à la constitution de la connaissance historique qui n’est, à la limite, qu’un ferment pour l’imagination créatrice, une sorte d’enrichissement par le truche-ment de la reprise pour soi des valeurs culturelles tirées du passé. Elle nous fait appréhender sa réa-lité multiforme, ses virtualités infinies qui se sont déployées de façon différentes dans le temps et l’espace, puisqu’elle nous révèle des choses sur les différents aspects de l’être et de la vie humaine que nous ne pourrions savoir dans notre seule vie. Ce faisant, elle féconde notre imagination et offre des possibilités supplémentaires d’action.C’est donc la connaissance historique et non l’his-toire en elle-même qui alimente notre imaginaire en rendant possible et efficace une action sur l’homme présent. Par où cette dernière apparaît comme un moyen, un instrument qui nous libère des entraves et des limitations de notre situation dans le devenir. On retrouve là une des préoccupa-tions de C. A. Diop pour qui l’histoire et la prise de conscience historique créent un sentiment de continuité historique susceptible de permettre de lutter contre les agressions culturelles et les aliéna-tions de toutes sortes. Dans cet esprit, H-I. Marrou (1962 : 273), précise : « A partir du moment où je

sais ce que je suis, pourquoi et comment je le suis devenu, cette connaissance me rend libre à l’égard de cet héritage que je ne reçois plus désormais que sous bénéfice d’inventaire ». La prise de conscience dans ces conditions joue le rôle d’une véritable catharsis, d’une libération de notre inconscient sociologique qui verrait ainsi exclus tous les com-plexes intériorisés grâce à l’arme du mensonge et des falsifications de l’histoire, car la connaissance de la cause passée peut modifier les faits pré-sents, puisque «  la connaissance historique libère l’homme de son passé. Ici encore, l’histoire apparaît comme une pédagogie, le terrain d’exercice et l’ins-trument de notre liberté » (ibid., : 274). Le problème est de savoir comment parvenir à cette connaissance ? Autrement dit, cette connais-sance peut-elle avoir le statut d’une connaissance objective, relatant les choses comme elles se sont passées ? Dans le cas de C. A. Diop, des soupçons «  d’instrumentalisation propagandiste  » ont été formulés par F-X. Fauvelle. Pour cet auteur, C. A. Diop instrumentalise l’idéologie dans la mesure où, bien que son œuvre historiographique se situe sur le terrain idéologique, la vérité qu’elle énonce n’est pas déterminée par celui-ci ; mais rétablie dans ses droits, cette vérité sert l’idéologie de la libération de l’Afrique, de sorte que la prétention diopienne à une connaissance et à une vérité dénuées de toute idéologie n’est pas incompatible avec son engage-ment et son adhésion à l’idéologie marxiste (Fau-velle F-X., 1996 : 62-63).Mais il faut en vérité dire, à la suite de Marrou, qu’il y a des servitudes, des logiques, des philosophies bref tout un environnement qui s’imposent à l’his-torien et qui déterminent et délimitent son champ d’action. Celles-ci forment son « équation person-nelle », son « équipement mental ». Ainsi, il n’y a pas d’histoire qui ne soit d’une manière ou d’une autre liée à la philosophie de l’homme et de la vie à laquelle adhère l’historien, et sur laquelle sont assis ses concepts, ses schémas d’explication et même les questions qu’il pose au passé. Il s’agit en fait des cadres doctrinaux, de l’orientation et de la position existentielle, de l’être même de l’historien (Marrou H-I., 1962 : 237). L’honnêteté oblige l’historien à faire un effort de définition de cette orientation, d’explication des raisons du choix de son sujet, de description de son itinéraire intérieur, de sa genèse jusqu’à l’impact de la «  rencontre d’autrui  » qui l’enrichit en le transformant. Comme on peut le constater, cette conception de l’activité de l’histo-rien, élaborée dans la perspective de la critique du

Page 20: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 19/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

courant positiviste a été, comme le dit P. Ricœur (2000 : 440), mal accueillie parce que la critique de l’objectivité ne s’était pas accompagnée d’une cri-tique similaire de la subjectivité. En effet, «  il ne suffit pas d’évoquer en termes généraux une épokhê du moi , un oubli subtil de soi, il faut porter au jour les opérations subjectives précises susceptibles de définir(…) une bonne subjectivité pour distinguer le moi de recherche d’un moi pathétique »6. En fait, l’histoire relève d’une épistémologie mixte, faite d’une combinaison entre l’objectivité de son objet et la subjectivité de l’historien, entre la compréhension et l’explication. La subjectivité de l’historien est donc impliquée par l’objectivité de son objet. Dans cet esprit, P. Ricœur met les historiens en garde contre la fascination d’une fausse objectivité de l’histoire où il n’y aurait plus que des structures, des forces, des institutions et non plus des hommes et des valeurs humaines  : « Nous attendons que l’histoire soit une histoire des hommes, et que cette histoire des hommes aide le lecteur, instruit par l’histoire des histo-riens, à édifier une subjectivité de haut rang, la subjectivité non seulement de moi-même, mais de l’homme » (Ricœur P. 1967 : 28). S’appuyant sur la définition que Marc Bloch donne du métier et de la démarche de l’historien, il dénonce la fausse clôture qui croit en une sorte d’expérience immédiate installée dans l’opération historiogra-phique entre l’ambition scientiste de l’histoire avec son horizon objectiviste, et la perspective subjectiviste. L’enjeu est de montrer que le travail de l’historien doit se situer dans l’entre deux, c’est-à-dire en tension entre la recherche d’objectivité et la subjectivité de l’historien lui-même travaillé à la fois par son moi de recherche (bonne subjec-tivité) et son moi pathétique (mauvaise subjecti-vité). La position de l’historien est donc d’être à la fois extérieur à son objet en fonction de l’éloigne-ment temporel vis-à-vis de son objet, et à l’inté-rieur par l’implication de son intentionnalité dans le processus de connaissance. Ainsi, si l’objectivité à laquelle parvient l’historien reste incomplète en comparaison de celle qui est atteinte dans les autres sciences cela tient à quatre raisons :

6. P. Ricœur vise ici particulièrement H-I. Marrou (1962  : 246) qui affirmait que « la connaissance historique implique donc toujours un détour, un circuit, qui suppose un premier mouvement centrifuge, une epokhè, une suspension des mes préoccupations existentielles les plus urgentes, une sortie de soi, un dépaysement, une découverte et une rencontre d’autrui ».

• la première réside dans le jugement d’impor-tance, cette opération par laquelle l’historien procède à la sélection d’évènements et de fac-teurs qu’il juge importants et qu’il intègrera dans son schème interprétatif ;

• la seconde est tributaire de la conception vul-gaire de la causalité, qui fait de la cause soit le phénomène intervenu le dernier, soit une constellation de force à évolution lente, soit encore une structure permanente. Or, ce sens de la causalité historienne « reste souvent naïf, précritique, oscillant entre le déterminisme et la probabilité  : l’histoire est condamnée à user, concurremment, de plusieurs schèmes d’explications, sans les avoir réfléchis ni, peut-être, distingués des conditions qui ne sont pas des causations, des causations qui ne sont que des champs d’influence, des facilitations, etc. » (Ricœur P., 1967 : 34);

• la troisième tient à la distance historique  : comment en effet, se demande Ricœur, expri-mer dans une langue et un contexte contem-porain des institutions ou des situations pas-sées, abolies sans recourir à des similitudes fonctionnelles que l’on corrigera par la suite par différentiations ? Cette difficulté rend le langage historique forcément équivoque, car il ne peut échapper au phénomène irréduc-tible « de l’éloignement de soi, de l’étirement, de la distension, bref de l’altérité originelle ». Cet état de chose oblige l’historien à recourir à quelque chose comme une imagination tem-porelle, dans la mesure où un présent passé est « re-présenté, re-porté au fond de la « dis-tance temporelle » - « autrefois » » (Ibid. : 35).

• la dernière raison est que l’historien veut expliquer l’homme, c’est-à-dire le passé humain. Celui-ci se caractérise par le vécu qui est en son essence inépuisable, et qui par conséquent impose une tache de compré-hension intégrale, qui elle-même, s’appuie sur une reconstruction toujours plus articu-lée, associée à de profondes synthèses. Ceci nécessite un effort de sympathie entre l’his-torien et l’objet étudié, une sorte d’affinité première qui, au terme de l’analyse critique passera de la sympathie inculte à une sym-pathie instruite. Par ce biais, l’historien fait ressurgir les valeurs des hommes d’autrefois, auxquelles nous ne saurions avoir accès s’il ne s’y était intéressé avec une certaine passion.

Page 21: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 20/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Ainsi, «  l’histoire est une des manières dont les hommes « répètent » leur appartenance à la même humanité ; elle est un secteur de la communica-tion des consciences, un secteur scindé par l’étape méthodologique de la trace et du document, donc un secteur distinct du dialogue où l’autre répond, mais non un secteur entièrement scindé de l’inter-subjectivité totale, laquelle reste toujours ouverte et en débat. » (ibid., : 37). Mais il reste que si le jugement d’importance, le schème complexe de causalité, l’imagination temporelle et la sympa-thie traduisent les dispositions subjectives, ils n’en constituent pas moins les dimensions de l’objecti-vité historique elle-même, car si l’histoire reflète la subjectivité de l’historien, le métier d’historien, lui, éduque la subjectivité de l’historien.

La question du rapport de l’histoire à la mémoire : la fonction véritable de l’histoireF-X. Fauvelle (1996) remet en cause, en s’ap-puyant sur une prise de position de Pierre Nora, le rapport implicite7 que C. A. Diop entre his-toire et mémoire. Il suggère l’idée que la forma-tion et la transmission des identités n’a rien à voir avec l’histoire, et même que la mémoire s’oppose à l’histoire. Citant Nora, il écrit  : « La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, elle est en évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l’amné-sie, inconsciente à ses déformations successives, vulnérables à toutes les utilisations et manipu-lations (…). L’histoire est la reconstruction tou-jours problématique et incomplète de ce qui n’est plus. (…) Parce qu’elle est affective et magique, la mémoire ne s’accommode que des détails qui la confortent  ; elle se nourrit de souvenirs flous, télescopants, globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensibles à tous les transferts, écrans, censures ou projections (…). La mémoire installe le souvenir dans le sacré, l’histoire l’en débusque, elle prosaïse toujours. (…) La mémoire s’enracine dans le concret, dans l’espace, l’image et l’objet. L’histoire ne s’attache qu’aux continuités tempo-relles, aux évolutions et aux rapports des choses. La mémoire est un absolu et l’histoire ne connait

7. C. A. Diop n’établit pas de filiation directe entre l’histoire et la mémoire. Mais à la lecture de ses travaux, on perçoit bien, comme l’a révélé F-X. Fauvelle, que la conscience historique serait abstraite et manquerait de consistance et d’épaisseur si elle n’était adossée à la mémoire qui l’alimente.

que le relatif  » (Nora P., cité par Fauvelle F-X., 1996 : 179). Cette position fait suite et s’appuie sur celle du sociologue M. Halbwachs (1950) qui dans une démarche de dissociation de la mémoire - his-toire, débouche sur leur opposition frontale. Pour lui, la mémoire ne se confond pas avec l’histoire. Cette dernière renvoie à un recueil de faits qui ont sans doute occupé une place de choix dans la vie des hommes, mais sont classés et conservés selon des règles et des nécessités qui ne constituent pas celles de ceux qui les ont vécus. C’est pourquoi il dit que «  l’histoire ne commence qu’au point où s’éteint la tradition, moment où s’éteint et se décompose la mémoire sociale  » (Halbwachs M., 1950  : 68). De fait, le besoin d’écrire l’his-toire d’une époque ou d’un évènement n’apparaît que lorsqu’on est assez éloigné du passé pour ne plus être capable de trouver des témoins qui en gardent un souvenir vivant, de sorte que la narra-tion historique apparaît comme le seul moyen de sauver de tels souvenirs, selon le principe que « les paroles et les pensées meurent, les écrits restent » (Halbwachs M., 1950 : 69).Cet auteur part de l’idée que pour qu’il y ait mémoire, il faut qu’il y ait un sujet, individu ou groupe qui se souvient, qu’il ait le sentiment de remonter à ses souvenirs de façon continue, puisqu’elle est un courant de pensée continue, d’une continuité qui n’a rien d’artificiel, dans la mesure où ce qu’elle garde du passé c’est ce qui est encore vivant dans la conscience du groupe qui l’entretient. Or, l’histoire ne saurait être l’his-toire de ce qui est encore présent. Par contre, dans la mesure où elle s’intéresse au détail, elle reste l’apanage d’une petite communauté d’éru-dits, qui ne retient des évènements du passé, que ce qui intéresse les contemporains, c’est-à-dire en somme peu de choses. Elle introduit dans le temps des divisions en siècles, périodes discon-tinues, comme des tronçons successifs en contact par leurs extrémités, mais qui ne forment pas un corps. La mémoire se caractérise par un déve-loppement continu où les lignes de séparation nettes n’existent pas, mais seulement des limites irrégulières et incertaines dans lesquelles le pré-sent ne s’oppose pas forcément au passé, puisque la mémoire d’une société s’étend jusque là où elle peut, c’est-à-dire jusqu’où elle atteint la mémoire des groupes dont elle est composée.Le second point de distinction entre histoire et mémoire réside dans le fait qu’il y a plusieurs

Page 22: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 21/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

mémoires collectives alors qu’il n’y a qu’une his-toire. L’auteur soutient que, bien qu’il existe des histoires particulières comme l’histoire de France, d’Allemagne ou d’une période précise, la démarche de l’historien, dans un souci d’objectivité et d’im-partialité, consiste à dresser une sorte de tableau comparable à un océan dans lequel viennent se jeter toutes les histoires partielles, car l’orienta-tion de l’esprit historique, la « pente fatale » qui entraîne chaque historien, est d’écrire une histoire universelle, de sorte que l’on peut comprendre l’histoire comme la mémoire universelle du genre humain. Mais il n’y a pas de mémoire universelle parce que chaque mémoire est collective et a pour support un groupe qui lui-même est limité dans un temps et un espace. Dans ces conditions ras-sembler la totalité des évènements en un tableau unique revient à les couper de la mémoire de ceux qui les ont vécus et qui en gardent le souvenir. Il ne s’agit plus alors de les revivre comme c’est la caractéristique de la mémoire, mais de les dispo-ser selon les principes historiques, de les définir en les opposant. Par cet aspect, il apparaît bien que l’histoire s’occupe beaucoup plus des diffé-rences et fait abstraction des ressemblances. Or, sans ces dernières, il n’y a pas de mémoire pos-sible. De fait, dans la mémoire, les similitudes passent au premier plan, parce que le groupe au moment où il envisage son passé, sent bien qu’il est resté le même et a une tendance naturelle à perpétuer ses sentiments de même que les images qui font la substance de sa pensée. Fort de ce qui précède, M. Halbwachs(1950 :78) conclut qu’en «  apparence, la série des évène-ments historiques est discontinue, chaque fait étant séparé de celui qui le précède ou qui le suit par un intervalle, où l’on peut croire qu’il ne s’est rien produit. En réalité, poursuit-il, ceux qui écrivent l’histoire, et qui remarquent surtout les changements, les différences comprennent que, pour passer de l’un à l’autre, il faut que se déve-loppe une série de transformations dont l’histoire n’aperçoit que la somme (au sens intégral), ou le résultat final. Tel est le point de vue de l’his-toire, parce qu’elle examine les groupes du dehors, et qu’elle embrasse une durée assez longue. La mémoire collective, au contraire, c’est le groupe vu du dedans, et pendant une période qui ne dépasse pas la durée moyenne de la vie humaine, qui lui est, le plus souvent, bien inférieure. Elle présente au groupe un tableau de lui-même qui, sans doute, se déroule dans le temps, puisqu’il s’agit de son passé, mais de telle manière qu’il se reconnaisse

toujours dans ces images successives. La mémoire collective est un tableau des ressemblances, et il est naturel qu’elle se persuade que le groupe reste, est resté le même, parce qu’elle fixe son attention sur le groupe, et que ce qui a changé, ce sont les relations ou contacts du groupe avec les autres ».Nous citons longuement ce texte pour bien mon-trer que M. Halbwachs radicalise en fait la dis-tinction entre histoire et mémoire, dont il fait deux réalités irréductibles l’une à l’autre. Seule-ment, dans la conception qu’il se fait de l’histoire, il n’y a pas de place pour la subjectivité, l’histoire étant totalement «  objective et impartiale  », et l’historien se contentant de retranscrire les faits tels qu’ils se sont déroulés dans le passé, de sorte que «  sa posture est celle de Sirius, à l’abri de tout jugement normatif, à l’écart de toute attache mémorielle  » (Dosse F., 2010  : 188). Pourtant, l’opposition entre ces deux réalités est loin d’être aussi absolue. Cette dichotomie, qui a une valeur méthodique et heuristique, visant à substituer à une conception de l’histoire comme mémoire une compréhension de celle-ci comme critique, cède rapidement la place à un rapprochement entre les deux pôles, travaillés par la problématisation du caractère purement abstrait et conceptuel d’une improbable histoire coupée du vécu. De plus, les travaux récents sur la mémoire sociale montrent qu’il faut mettre à bonne dis-tance la fausse césure d’une histoire fondée sur la recherche de la vérité contre une mémoire alimentée aux sources de la fidélité de la tradi-tion car, «  au premier mouvement qui assure le primat du regard critique, à la mise à distance, à l’objectivation et à la démythologisation, suit un second temps, complémentaire dans lequel l’his-toire serait pur exotisme, celui d’une recollection du sens, qui vise à l’appropriation des diverses sédimentations de sens léguées par les généra-tions précédentes, des possibles non avérés qui jonchent le passé des vaincus et des muets de l’histoire » (Dosse F., 2010 : 189).Ainsi, l’opposition de la mémoire à l’histoire semble de moins en moins pertinente, dans la mesure où l’historien ne se limite plus simple-ment à narrer ce qui s’est réellement passé, mais à s’intéresser aux métamorphoses même de la mémoire, à étudier les jeux de la mémoire et de l’oubli que mettent au jour dans certaines situa-tions, des enquêtes de type historico-ethnogra-phiques, et qui montrent en même temps que les recherches historiographiques ne peuvent se

Page 23: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 22/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

passer de l’examen des mentalités collectives.8 Cet état de fait préside en réalité au «  tournant his-toriographique » (Nora P., 1993)9 qui, en s’inté-ressant non seulement aux actions mémorisées ou commémorées, mais aussi à leurs traces, à la construction des évènements, à l’effacement et à la résurgence de leurs significations dans le temps, à la manière dont la tradition se constitue et se transmet, sert de fondement à une reconstruction narrative constitutive d’identités fondatrices qui laissent penser qu’entre mémoire et histoire le fossé n’est pas aussi grand.Ricœur (2000) s’est attaché à mettre au jour cette dialectique entre histoire et mémoire. En effet, à partir d’un contexte inquiétant marqué d’une part, par de nombreuses commémorations cen-sées perpétuer un «  devoir de mémoire  », mais aussi caractérisé à la fois par « trop de mémoire » et « trop d’oubli » d’autre part, il se propose d’éla-borer une « politique de la juste mémoire  » qui sache critiquer les excès de toutes parts, qu’elles soient celles de commémorations exagérées ou celle d’oublis futiles dissimulés par la négligence volontaire du « ne pas vouloir savoir ». La première partie de cet ouvrage fondamental qui porte sur la phénoménologie de la mémoire, se propose de répondre à deux questions essentielles : de quoi y a-t-il souvenir ? De qui est la mémoire ? Convo-quant la philosophie grecque à travers Platon et Aristote, il montre que deux mots sont utilisés pour signifier la mémoire : anamnèsis qui renvoit à l’acte de se rappeler, de se souvenir et mnème, qui est l’image dont on se rappelle, l’image-sou-venir ou plus exactement, pour reprendre une ter-minologie platonicienne, l’impression ou la trace laissée dans l’âme et qui l’affecte.

8. Voir à ce sujet: G. Duby (1973), Le dimanche de Bouvines, Gallimard, Paris ; P. Joutard (1977), La légende des camisards, une sensibilité au passé, Gallimard, Paris.9. P. Nora(1993 : 24) invite les historiens à reconsidérer les sources mêmes de leurs discours en prenant en considéra-tion les traces laissées dans la mémoire collective par les faits, les hommes, les symboles et les évènements du passé : ceci devrait déboucher sur une reprise totale de la démarche his-torienne qui ouvre à une nouvelle manière de faire l’histoire : « Non plus les déterminants, mais leurs effets ; non plus les actions mémorisées ni même commémorées, mais la trace de ces actions et le jeu de ces commémorations  ; pas les évènements pour eux-mêmes, mais leur construction dans le temps, l’effacement et la résurgence de leurs significations ; non le passé, mais ses réemplois permanents, ses usages et mésusages, sa prégnance sur les présents successifs  ; pas la tradition, mais la manière dont elle s’est constituée et trans-mise ».

Dans le Théethète précisément, à travers la méta-phore de la cire, Platon explique que les souvenirs sont comme des empreintes de force variables que laissent dans l’âme les marques et les traces des évènements passés et donc absents. Plus cette impression est forte plus le souvenir est vivace et peut aller jusqu’à la déchirure de l’âme, plus elle est faible moins le souvenir est net. Ce qui importe à ce stade c’est la conclusion qu’en tire Ricœur, à savoir que la mémoire est la représentation ou, pour mieux le dire, la trace intérieure d’une image absente  : autrement dit, elle manifeste l’absence de présence et la présence de l’absent. Mais il y a deux difficultés, celle de l’adéquation entre le souvenir et l’objet absent dans le temps ou plus exactement de la non reconnaissance de la tem-poralisation de la mémoire, et celle de l’hallucina-tion10 (Ricœur P., 2000 : 64) ou plus exactement celle de la fiabilité de la mémoire et de sa vérité. Pour les contourner, l’auteur propose l’expérience de la reconnaissance, « le miracle de la mémoire heureuse » qui permet d’enrober de présence l’al-térité du révolu, même si elle peut ouvrir sur une confusion entre passé reconnu et passé perçu. En réalité, soutient l’auteur, il y a dans la mémoire et le souvenir une requête de vérité du quoi anté-rieurement vu, éprouvé, entendu ou vécu qu’on peut nommer fidélité : « nous parlerons de fidélité -vérité du souvenir pour dire cette requête, cette revendication, ce claim qui constitue une dimen-sion épistémique-véritative de l ’orthos logos de la mémoire » (Ricœur P., 2000 : 67).C’est Aristote qui va introduire l’idée essentielle que la mémoire est du passé et qu’à ce titre, elle est attachée à un indice temporel qui la rapporte toujours à ce qui est révolu, c’est-à-dire au passé. De fait, elle instaure toujours une distance tem-porelle entre le passé et le présent, c’est-à-dire entre le présent de la souvenance et l’époque pas-sée du souvenir. Ainsi, P. Ricœur (2000  : 106) estime que la mémoire est gardienne de l’altérité et de l ’ipséité en tant que proche, mais aussi qu’elle est la matrice de l’histoire. Mais en même temps,

10. Voici comment se présente cette difficulté  : «  Si nous suivons jusqu’au bout cette pente descendante qui, du sou-venir pur, conduit au souvenir image - et, comme nous al-lons le voir, bien au delà -, nous assistons à un renversement complet de la fonction imageante, qui déploie, elle aussi, son spectre depuis le pole extrême que serait la fiction jusqu’au pole opposé qui serait l’hallucination. (…) en nous portant au pole hallucinatoire, nous mettons à découvert ce qui con-stitue pour la mémoire le piège de l ’imaginaire. C’est en effet une telle mémoire hantée qui est la cible ordinaire des cri-tiques rationalistes de la mémoire ».

Page 24: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 23/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

elle est objet de l’histoire, même si une fois encore la connaissance historique ne saurait se confiner à la dimension mémorielle, d’autant plus qu’elle se distingue du discours historique. A coté de cette approche cognitive de la mémoire, P. Ricœur exprime la nécessité de prendre en compte une approche pragmatique de la mémoire, en particu-lier de ses usages et de ses abus possibles. Ainsi, il part de l’analyse des concepts freudiens de mémoire refoulée et de mémoire manipulée, éla-borés par les idéologies marxistes pour dénoncer les abus qui peuvent intervenir lorsque l’on reven-dique des identités ou des commémorations de mémoire collective. Il parlera de mémoire obli-gée pour exprimer la dimension pathologique, de mémoire manipulée dans sa dimension pratique et de mémoire obligée sur le plan éthico politique. En fait, l’enjeu de ces analyses est de montrer que l’injonction à se souvenir risque d’être prise comme une invitation à court-circuiter le travail de la mémoire. Il se dit d’autant plus attentif à ce péril que son livre constitue un plaidoyer pour la mémoire comme matrice de l’histoire, dans la mesure où elle reste la gardienne de la probléma-tique du rapport représentatif du présent au passé (Ricœur P., 2000 : 107). Si la mémoire recherche le passé avec une inten-tion de fidélité, l’histoire porte en elle une exi-gence de vérité qui la différencie de la mémoire. Ricœur va donc proposer le concept de repré-sentance pour qualifier la représentation histo-rienne dans son souci de lieutenance du passé. Ce concept condense les attentes et les apories de l’intentionnalité historienne. Il désigne en fait l’attente placée dans la connaissance historique de procéder à des reconstructions du cours passé des évènements. La représentance est donc « la visée de la connaissance historique elle-même, placée sous le sceau d’un pacte selon lequel l’historien se donne pour objet des personnages, des situations ayant existé avant qu’il n’en soit fait récit » (Dosse F., 2010 : 195). Elle se distingue de la représenta-tion en tant qu’elle implique un vis-à-vis du texte, un référent que Ricœur (1985) nommait déjà lieutenance. Selon Ricœur (2000 : 369), c’est « la moins mauvaise manière de rendre hommage à une démarche reconstructive seule disponible au service de la vérité en histoire ». Il y a donc deux pôles dans le rapport de l’histoire à la mémoire : celui de la vérité et celui de la fidélité.

L’articulation, dans le contexte contemporain d’après la deuxième guerre mondiale, de ces deux moments fait émerger la notion paradoxale de devoir de mémoire que P. Ricœur rejette, lui pré-férant celle de travail de mémoire, l’enjeu étant la recherche d’une mémoire heureuse, apaisée qui, imprégnée de la requête de véridicité de l’histoire, peut déboucher sur un oubli de réserve, ressource à la fois pour la mémoire et pour l’histoire : « l’oubli revêt une signification positive dans la mesure où l’ayant-été prévaut sur le n’être-plus dans la signi-fication attachée à l’idée du passé. L’ayant-été fait de l’oubli la ressource immémoriale offerte au tra-vail du souvenir » Ricœur P., 2000 : 574). Ainsi, la différence entre le projet de vérité de l’histoire et la visée de fidélité de la mémoire réside dans le fait que le petit miracle de la reconnaissance n’a pas d’équivalent en histoire. Seulement, l’histoire a la capacité de compléter, corriger, voire réfuter le témoignage de la mémoire sur le passé, même si celle-ci est la gardienne de la dialectique consti-tutive de la passéité du passé entre le « ne plus » et « l’ayant-été ». Au final, P. Ricœur tire deux conclu-sions à savoir que seul le concept déjà évoqué de représentance est le correspondant historique de la représentation mnémonique, et deuxièmement que la compétition entre la fidélité de la mémoire et la vérité de l’histoire ne peut être tranchée sur le plan épistémologique et par conséquent, on est fondé à penser à leur complémentarité essen-tielle. Car, comme le dit si bien Dosse (2010  : 196), dans la mesure où l’histoire est plus objec-tivante dans son rapport au passé, elle peut jouer un rôle d’équité et tempérer par voie de consé-quence la tentative exclusiviste des mémoires par-ticulières, et transformer, ce faisant, une mémoire malheureuse en mémoire pacifiée et heureuse.Dans cette perspective, la question devient sur-tout celle des enjeux de la mémoire et de l’iden-tité, de l’utilité de l’histoire. Peut-on en effet comme le fait C. A. Diop reconstruire et fonder une mémoire à partir de la reconstruction d’une histoire ? En d’autres termes, y a-t-il une instru-mentalisation indue de l’histoire au fins de fon-der une identité et de légitimer une action pour inscrire un peuple dans la durée ? La question est d’autant plus intéressante qu’on sait que depuis le XVIIe siècle, l’histoire constitue le fondement de la connaissance et de la réflexion qui forme la pensée politique, morale et culturelle.

Page 25: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 24/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Plaidoyer pour le non historiqueIl faut en réalité dire que la connaissance histo-rique implique l’altérité qu’elle permet de décou-vrir parce qu’elle dilate profondément la connais-sance de l’homme dans sa réalité multiforme, dans ses virtualités infinies. De la sorte, l’une des fonc-tions essentielles de l’histoire consiste en l’enri-chissement de l’univers intérieur par la reprise des valeurs culturelles récupérées dans le passé (Mar-rou H-I., 1962  : 250). Ces valeurs renvoient à tout ce qu’on peut savoir et comprendre de vrai, de beau et de réel dans la vie humaine, des faits les plus simples aux super systèmes idéologiques. Du moment que de tels éléments ont existé chez les hommes du passé, il appartient à l’historien de se montrer capable de nous les faire saisir et com-prendre pour qu’ils revivent en nous, acquièrent ainsi une nouvelle réalité et une historicité seconde, et prennent vie dans la culture contem-poraine, bref qu’ils revivent dans notre mémoire. Cet état de chose nous conforte dans l’idée que la question du rapport de la mémoire à l’histoire est beaucoup plus complexe que l’explication un peu courte qu’en donne F-X. Fauvelle. La question fondamentale semble être celle de savoir si l’his-toire et la connaissance subséquente qu’on peut en avoir suffisent à sauver une tradition ou un peuple de la perdition et à fonder une mémoire. En d’autres termes, l’histoire n’est-elle pas plutôt comme le suggère Le Rider (1999) le cimetière des traditions qui cessent de vivre dès qu’elles deviennent historiques ? En effet, s’il est vrai que l’histoire se distingue de la mémoire et qu’on ne peut vivre sans oublier, il est aussi vrai qu’il est impossible de vivre sans mémoire. Mais dans quelles proportions doit on tenir l’une et l’autre ? C’est ici qu’il faut sans doute situer le plaidoyer nietzschéen pour le non historique.En effet, Nietzsche montre que si la vie a besoin des services de l’histoire, l’excès d’études histo-riques en revanche, est nuisible pour les vivants. Prenant pour point de départ la maxime de Goethe selon laquelle tout savoir qui n’augmente ou ne stimule pas la vie est haïssable, il affirme que c’est la vie qui doit servir d’instance de légi-timation de la valeur et de l’utilité de l’histoire, et condamne toutes les sciences coupées de l’activité, de sorte que l’histoire n’a de sens à ses yeux que si elle est au service de l’action et de la vie : « Certes, nous avons besoin de l’histoire, mais nous en

avons besoin autrement que le flâneur raffiné des jardins du savoir, même si celui-ci regarde de haut nos misères et nos manques prosaïques sans grâce. Nous en avons besoin pour vivre et pour agir, non pas pour nous détourner commodément de la vie et de l’action, encore moins embellir une vie égoïste et des actions lâches et mauvaises. Nous ne voulons servir l’histoire que dans la mesure où elle sert la vie » (Nietzsche F., 2000 : 499).Contrairement à l’animal qui vit de manière non historique, c’est-à-dire dans un éternel présent, l’homme, lui, ne peut oublier  : il se souvient et reste lié à son passé comme à un fardeau obscur et invisible qu’il traîne, qu’il affecte même de nier souvent dans son commerce avec ses semblables. Cependant, pour être heureux et connaître le bon-heur11, l’homme a besoin d’oublier, de vivre sans aucune mémoire, comme un animal, car «  toute action exige l’oubli, de même que toute vie orga-nique exige non seulement la lumière, mais aussi l’obscurité » (Nietzsche F., 2000 : 503). En effet, si l’homme se réduisait à sa dimension historique, il deviendrait une sorte de géant à la mémoire pleine du savoir historique, mais privé de la véri-table vie et de son existence ; ce qui aurait pour conséquence de nuire à la vie, celle de l’individu comme celle de la collectivité ou même de toute une civilisation. Ainsi donc, l’élément historique, autrement dit la connaissance du passé, et l’élé-ment non historique ou mieux l’oubli sont éga-lement nécessaires à la santé d’un individu, d’un peuple ou d’une civilisation. Cet appel nietzschéen à prendre en compte le non historique est en fait une invite à relativiser la prétention diopienne à considérer le savoir his-torique comme unique dispensateur de sens, de valeur et de vérité sur les sociétés du passé. Le recours à une histoire non idéalisée et surévaluée devrait être le signe d’une volonté de se regarder en face et de révéler les caractères généraux qui auront bravé l’usure du temps au cours de l’évolu-tion. En effet, l’élément non historique, loin de ne figurer que la possibilité et la positivité de l’oubli,

11. Nietzsche (2000  : 502) écrit  : «  … Il est toujours une chose par laquelle le bonheur devient le bonheur : la faculté d’oublier ou bien, en termes plus savants, la faculté de sentir les choses, aussi longtemps que dure le bonheur, en dehors de toute perspective historique. Celui qui ne sait pas s’installer au seuil de l’instant, en oubliant tout le passé, celui qui ne sait pas, telle une déesse de la victoire, se tenir debout sur un seul point, sans crainte et sans vertige, celui-là ne saura jamais ce qu’est le bonheur, pis encore : il ne fera jamais rien qui rende les autres heureux ».

Page 26: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 25/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

peut s’étendre aux savoirs élaborés dans d’autres disciplines comme l’anthropologie, qui sont sus-ceptibles de servir de fonds à partir desquels tirer les ressources éthiques mobilisatrices pour asseoir le développement d’une société. Certains peuples africains ont consigné leurs savoirs ances-traux dans des formes d’écritures non phonolo-giques, mais qui informent sur leurs institutions sociales, politiques et culturelles. Il s’agit par-fois de traces, de mots-ornements, de marques, de pictogrammes, d’écriture-rébus ou proverbes, de syllabaires ou plus généralement de moyens graphiques de représentations des idées, consti-tués en systèmes ordonnés de transmission et de correspondance. C’est par exemple ce que donnent à voir les tra-vaux de Georges Niangoran Mboua (1984) sur les poids à peser l’or chez les Akan de Côte-d’Ivoire. Les poids, que l’on appelle ici dja, sont des miniatures en métal qui reproduisent l’image des principaux éléments d’une culture loin d’être morte. (37) Ce sont des figurines d’origine locale, conçues, instituées, exécutées et vécues par la volonté des ancêtres. (Mboua N., 1984 : 30). Elles sont perçues comme une encyclopédie où se trouve consignée la somme de toutes leurs connais-sances matérielles et non matérielles, comme un livre auquel les akan ont l’habitude de se référer pour trouver des solutions à leurs problèmes fon-damentaux. Ces figurines jouent encore, de nos jours, un rôle important dans diverses cérémonies qui arrivent à des dates précises de leur calendrier (Mboua N., 1984 : 37).Certains de ces éléments figuratifs matérialisent des textes de loi dans la mesure où pour imposer un décret, le roi faisait fondre des poids à signi-fication symbolique. Ceux-ci n’étaient utilisés que lorsqu’un citoyen commettait une infraction réprimée par ce décret loi. Dans ce cas, l’amende à payer est une quantité d’or pesée avec la figurine fondue au moment de l’institution du décret.Comme on peut l’apercevoir, les figurines servant de poids à peser présentent des signes, qui sont des idéogrammes, c’est-à-dire des éléments qui tra-duisent une pensée, qui peut être un précepte de vie, une maxime, un dicton, un proverbe. Mais on retrouve également les idéogrammes sur d’autres objets d’art tels que les statuettes, les planches à divination, les bandes de tissus et même les mur en banco des maisons d’habitation. L’ensemble de ces éléments graphiques présents sur un support constituent un message ou plus précisément un

moyen graphique de communication. Le fait qu’il s’agisse d’idéogrammes montre à suffisance qu’il ne s’agit pas de simples fantaisies d’artistes. Que les supports soient différents ne change pas le sens des signes, de sorte qu’on peut conclure qu’ils constituent des discours que l’on peut interpréter pour parvenir à écrire une certaine histoire des peuples concernés. Au regard de ce qui précède, il importe de prendre des distances critiques vis-à-vis de la tendance à la « prétention totalisante attachée au savoir his-torique  », et de remettre en cause toute l’histo-riographie qui voudrait s’ériger en « discours de l’Histoire en soi, se sachant elle-même ». En effet, dans la mesure où le travail de tout historien est tributaire d’un lieu social dont il émane, il est toujours le produit d’un lieu institutionnel et d’un legs anthropologique qui le surdétermine en tant que relation au corps social.

Références bibliographiquesBidima J.-G. (1993), Théorie critique et modernité africaine. De l ’école de Francfort à la « Docta Spes africana  », Paris, Publications de la Sorbonne, série philosophie.Bidima J.-G.(1995), La philosophie négro-afric-aine, Paris, PUF, coll. QSJ. De Certeau M. (1975), L’écriture de l ’histoire, Paris, Gallimard.Diop C. A. (1981), Civilisation ou barbarie, Paris, Présence africaine.Diop C. A. (1982), L’unité culturelle de l ’Afrique noire, Paris, Présence africaine.Diop C. A.(1987), l ’Afrique noire précoloniale, Paris, Présence africaine.Diop C. A.(1979), Nations nègres et cultures, Paris, Présence africaine.Diop C.A. (1971), Antériorité des civilisations nègre : mythe ou vérité historique ?, Paris, Présence africaine.Diouf M. (dir)(1999), L’historiographie indienne en débat. Colonialisme et sociétés postcoloniales, Paris, Karthala/Sephis.Diouf M. (1999), «  Entre l’Afrique et l’Inde  : sur les questions coloniales et nationales. Ecri-ture de l’histoire et recherches historiques  », M. Diouf (dir), L’historiographie indienne en

Page 27: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 26/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

débat. Colonialisme et sociétés postcoloniales, Paris, Karthala/Sephis.Dosse F. (2010), L’histoire, Paris, Armand Colin, 2è éd.Duby C. (1973), Le dimanche de Bouvines, Paris, Gallimard.Edwards C. (2011), « Réalité ou fiction ? L’histoire à l’épreuve du postmodernisme », Revue europée-nne d’histoire, vol. 18, N°4, pp. 487-498.Elungu P.E.A (1987), Tradition africaine et ratio-nalité moderne, Paris, l’Harmattan.Fauvelle F-X. (1996), L’Afrique de Cheikh Anta Diop, Paris, Karthala.Foucault M. (1966), Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard.Foucault M. (1969), L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard. Halbwachs M. 1950, La mémoire collective, Paris, PUF,Havard J-F. (2007), «  Identité(s), mémoire(s) collective(s) et construction des identités nation-ales dans l’Afrique subsaharienne postcoloniale », Cités, n° 29, pp. 71-79.Hegel (1965), La raison dans l ’histoire, Paris, Plon, coll. 10/18.Joutard P. (1977), La légende des camisards, une sensibilité au passé, Paris, Gallimard.Le Rider, J. (1999), «  Oubli, Mémoire, His-toire dans la Seconde considération inactuelle  », Revue germanique internationale, N° 11, 1999, pp. 207-225.Marrou H-I. (1962), De la connaissance historique, Paris, Seuil.Mbembe A. (2000a), «  A propos des écritures africaines de soi  », Politique africaine, n° 77, pp. 16-43.Mbembe A. (2000b), De la postcolonie. Essai sur l ’imagination politique dans l ’Afrique contempo-raine, Paris, Karthala.Niangoran Mboua G. (1984), L’univers Akan des poids à peser l ’or, Abidjan, NEA-MLB.Nietzche F.(1872) (1990), La Seconde considéra-tion intempestive, trad. P. Pusch, Paris, Gallimard. Nkolo Foe (2007), Le postmodernisme et le nouvel esprit du capitalisme, Dakar, Codesria.

Nora P. (1993), Les lieux de mémoire, tome 3, Paris, Gallimard.Obenga T. (1996), Cheihk Anta Diop, Volney et le sphinx, Paris, Khepera/Présence africaine.Revel J. (2010), Foucault, une pensée du discontinu, Paris, Mille et une nuits.Ricœur P. (2000), La mémoire, l ’histoire, l ’oubli, Paris, Seuil.Ricœur P. (1967), Histoire et vérité, Paris, Seuil.Samb D. (1992), Cheikh Anta Diop, Dakar, Les nouvelles éditions africaines.White, H., (1973), Metahistory: The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe, Balti-more, Johns Hopkins University.Zemon D. N. (1988), “The Return of Mar-tin Guerre: On the Lame”, American Historical Review, N°93, pp. 553–603.

Page 28: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 27/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Working Papers : la liste

Hervé Le Bras, Jean-Luc Racine & Michel Wieviorka, Natio-nal Debates on Race Statistics: towards an International Com-parison, FMSH-WP-2012-01, février 2012.Manuel Castells, Ni dieu ni maître : les réseaux, FMSH-WP-2012-02, février 2012.François Jullien, L’écart et l’entre. Ou comment penser l’altérité, FMSH-WP-2012-03, février 2012.Itamar Rabinovich, The Web of Relationship, FMSH-WP-2012-04, février 2012.Bruno Maggi, Interpréter l ’agir : un défi théorique, FMSH-WP-2012-05, février 2012.Pierre Salama, Chine – Brésil : industrialisation et « désindus-trialisation précoce », FMSH-WP-2012-06, mars 2012.Guilhem Fabre & Stéphane Grumbach, The World upside down,China’s R&D and inno-vation strategy, FMSH-WP-2012-07, avril 2012.Joy Y. Zhang, The De-nationali-zation and Re-nationalization of the Life Sciences in China: A Cos-mopolitan Practicality?, FMSH-WP-2012-08, avril 2012.John P. Sullivan, From Drug Wars to Criminal Insurgency: Mexican Cartels, Criminal Enclaves and Criminal Insurgency in Mexico and Central America. Implica-tions for Global Security, FMSH-WP-2012-09, avril 2012.Marc Fleurbaey, Economics is not what you think: A defense of the economic approach to taxation, FMSH-WP-2012-10, may 2012.

Marc Fleurbaey, The Facets of Exploitation, FMSH-WP-2012-11, may 2012.Jacques Sapir, Pour l ’Euro, l ’heure du bilan a sonné : Quinze leçons et six conclusions, FMSH-WP-2012-12, juin 2012.Rodolphe De Koninck & Jean-François Rousseau, Pourquoi et jusqu’où la fuite en avant des agricultures sud-est asiatiques  ?, FMSH-WP-2012-13, juin 2012.Jacques Sapir, Inflation moné-taire ou inflation structurelle  ? Un modèle hétérodoxe bi-sectoriel, FMSH-WP-2012-14, juin 2012.Franson Manjali, The ‘Social’ and the ‘Cognitive’ in Language. A Reading of Saussure, and Beyond, FMSH-WP-2012-15, july 2012.Michel Wieviorka, Du concept de sujet à celui de subjectiva-tion/dé-subjectivation, FMSH-WP-2012-16, juillet 2012.Nancy Fraser, Feminism, Capi-talism, and the Cunning of His-tory: An Introduction, FMSH-WP-2012-17 august 2012.Nancy Fraser, Can society be commodities all the way down? Polanyian reflections on capita-list crisis, FMSH-WP-2012-18, august 2012.Marc Fleurbaey & Stéphane Zuber, Climate policies deserve a negative discount rate, FMSH-WP-2012-19, september 2012.Roger Waldinger, La politique au-delà des frontières : la sociologie politique de l ’émigration, FMSH-WP-2012-20, septembre 2012.Antonio De Lauri, Inaccessible Normative Pluralism and Human Rights in Afghanistan, FMSH-WP-2012-21, september 2012.

Dominique Méda, Redéfinir le progrès à la lumière de la crise éco-logique, FMSH-WP-2012-22, octobre 2012.Ibrahima Thioub, Stigmates et mémoires de l’esclavage en Afrique de l’Ouest : le sang et la couleur de peau comme lignes de fracture, FMSH-WP-2012-23, octobre 2012.Danièle Joly, Race, ethnicity and religion: social actors and poli-cies, FMSH-WP-2012-24, novembre 2012.Dominique Méda, Redefining Progress in Light of the Ecologi-cal Crisis, FMSH-WP-2012-25, décembre 2012. Ulrich Beck & Daniel Levy, Cos-mopolitanized Nations: Reima-gining Collectivity in World Risk Society, FMSH-WP-2013-26, february 2013.Xavier Richet, L’internationalisa-tion des firmes chinoises : croissance, motivations, stratégies, FMSH-WP-2013-27, février 2013.Alain Naze, Le féminisme critique de Pasolini, avec un commentaire de Stefania Tarantino, FMSH-WP-2013-28, février 2013.Thalia Magioglou, What is the role of “Culture” for conceptua-lization in Political Psychology? Presentation of a dialogical model of lay thinking in two cultural contexts, FMSH-WP-2013-29, mars 2013.Byasdeb Dasgupta, Some Aspects of External Dimensions of Indian Economy in the Age of Globali-sation, FMSH-WP-2013-30, april 2013.Ulrich Beck, Risk, class, crisis, hazards and cosmopolitan solida-rity/risk community – conceptual

Page 29: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 28/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

and methodological clarifications, FMSH-WP-2013-31, april 2013.Immanuel Wallerstein, Tout se transforme. Vraiment tout ?, FMSH-WP-2013-32, mai 2013.Christian Walter, Les origines du modèle de marche au hasard en finance, FMSH-WP-2013-33, juin 2013.Byasdeb Dasgupta, Financiali-zation, Labour Market Flexibi-lity, Global Crisis and New Impe-rialism – A  Marxist Perspective, FMSH-WP-2013-34, juin 2013.Kiyomitsu Yui, Climate Change in Visual Communication: From ‘This is Not a Pipe’ to ‘This is Not Fukushima’, FMSH-WP-2013-35, juin 2013.Gilles Lhuilier, Minerais de guerre. Une nouvelle théorie de la mondialisation du droit, FMSH-WP-2013-36, juillet 2013.David Tyfield, The Coal Renais-sance and Cosmopolitized Low-Carbon Societies, FMSH-WP-2013-37, juillet 2013.Lotte Pelckmans, Moving Memories of Slavery: how hie-rarchies travel among West Afri-can Migrants in Urban Contexts (Bamako, Paris), FMSH-WP-2013-38, juillet 2013.Amy Dahan, Historic Overview of Climate Framing, FMSH-WP-2013-39, août 2013.Rosa Rius Gatell & Stefania Tarantino, Philosophie et genre: Réflexions et questions sur la production philosophique fémi-nine en Europe du Sud au XXe

siècle (Espagne, Italie), FMSH-WP-2013-40, août 2013.Angela Axworthy The ontologi-cal status of geometrical objects in the commentary on the Elements of Euclid of Jacques Peletier du Mans (1517-1582), FMSH-WP-2013-41, août 2013.

Pierre Salama, Les économies émergentes, le plongeon ?, FMSH-WP-2013-42, août 2013.Alexis Nuselovici (Nouss), L’exil comme expérience, FMSH-WP-2013-43, septembre 2013.Alexis Nuselovici (Nouss), Exi-liance  : condition et conscience, FMSH-WP-2013-44, sep-tembre 2013.Alexis Nuselovici (Nouss), Exil et post-exil, FMSH-WP-2013-45, septembre 2013.Alexandra Galitzine-Loum-pet, Pour une typologie des objets de l ’exil, FMSH-WP-2013-46, septembre 2013.Hosham Dawod, Les réactions irakiennes à la crise syrienne, FMSH-WP-2013-47, sep-tembre 2013.Gianluca Manzo, Understan-ding the Marriage Effect: Changes in Criminal Offending Around the Time of Marriage, FMSH-WP-2013-48, GeWoP-1, octobre 2013.Torkild Hovde Lyngstad & Torbjørn Skarðhamar, Unders-tanding the Marriage Effect: Changes in Criminal Offending Around the Time of Marriage, FMSH-WP-2013-49, GeWoP-2, octobre 2013.Gunn Elisabeth Birkelund & Yannick Lemel, Lifestyles and Social Stratification: An Explora-tive Study of France and Norway, FMSH-WP-2013-50, GeWoP-3, octobre 2013.Franck Varenne, Chains of Reference in Computer Simulations, FMSH-WP-2013-51, GeWoP-4, october 2013.

Olivier Galland & Yannick Lemel, avec la collaboration d’Alexandra Frenod, Comment expliquer la per-ception des inégalités en France ?,

FMSH-WP-2013-52, GeWoP-5, october 2013.Guilhem Fabre, The Lion’s share  : What’s behind China’s economic slowdown, FMSH-WP-2013-53, october 2013.Venni V. Krishna, Changing Social Relations between Science and Society: Contemporary Chal-lenges, FMSH-WP-2013-54, november 2013.Isabelle Huault & Hélène Rai-nelli-Weiss, Is transparency a value on OTC markets? Using displacement to escape categori-zation, FMSH-WP-2014-55, january 2014.Dominique Somda, Une humble aura. Les grandes femmes au sud de Madagascar, FMSH-WP-2014-56, january 2014.Débora González Martínez, Sur la translatio de miracles de la Vierge au Moyen Âge. Quelques notes sur les Cantigas de Santa Maria, FMSH-WP-2014-57, janvier 2014.Pradeep Kumar Misra, The State of Teacher Education in France: A Critique, FMSH-WP-2014-57, january 2014.Naeem Ahmed, Pakistan’s Coun-terterrorism strategy and its Impli-cations for domestic, regional and international security, FMSH-WP-2014-59, january 2014.

Anatole Fogou, Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique : revisiter l ’historiographie dio-pienne, FMSH-WP-2014-60, january 2014.

Page 30: Histoire, conscience historique et devenir de l'Afrique ...€¦ · revisiting Cheikh Anta Diop’s historiography Abstract This paper intends to revisit Cheikh Anta Diop’s historiography

Histoire, conscience historique et devenir de l’Afrique 29/29

Fondation Maison des sciences de l’homme - 190 avenue de France - 75013 Paris - Francehttp://www.fmsh.fr - FMSH-WP-2014-60

Position Papers : la liste

Jean-François Sabouret, Mars 2012 : Un an après Fukushima, le Japon entre catastrophes et rési-lience, FMSH-PP-2012-01, mars 2012.Ajay K. Mehra, Public Security and the Indian State, FMSH-PP-2012-02, mars 2012.Timm Beichelt, La nouvelle poli-tique européenne de l ’Allemagne : L’émergence de modèles de légiti-mité en concurrence ?, FMSH-PP-2012-03, mars 2012.

Antonio Sérgio Alfredo Gui-marães, Race, colour, and skin colour in Brazil, FMSH-PP-2012-04, july 2012.Mitchell Cohen, Verdi, Wagner, and Politics in Opera. Bicen-tennial Ruminations, FMSH-PP-2012-05, may 2013.Ingrid Brena, Les soins médi-caux portés aux patients âgés inca-pables de s’autogérer, FMSH-PP-2013-06, avril 2013.

Samadia Sadouni, Cosmopo-litisme et prédication islamique transfrontalière : le cas de Maulana Abdul Aleem Siddiqui, FMSH-PP-2013-08, septembre 2013.Alexis Nuselovici (Nouss), Étu-dier l ’exil, FMSH-PP-2013-09, septembre 2013.