Hans Hermann Hoppe Le Rationalisme Autrichien a l'Ere Du Declin Positivisme

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    * "Austrian Rationalism in the Age of the Decline of Positivism", chapitre 11 de : The Economics and Ethics of Private Property,Boston/Dordrecht/London, Kluwer, 1993, pp. 209-.234. Traduit par Franois Guillaumat.

    LE RATIONALISME AUTRICHIEN L'RE DU

    DCLIN DU POSITIVISME

    par

    Hans-Hermann Hoppe*

    Rationalisme et relativisme dans les sciences de la nature et de la socit

    Le rationalisme philosophique affirme que l'homme est capable de reconnatre certains

    principes, certains fondements premiers de la connaissance : qu'il existe une justification

    ultime, une validit a priori pour l'ensemble de cette connaissance ; que celle-ci doit tre

    prsuppose par quiconque prtend discuter d'une proposition prtendant quelque

    connaissance que ce soit par exemple le principe de non-contradiction ; qu'on ne peut

    pas la contester par des noncs qui aient un sens, parce qu'elle est une condition

    pralable de toute mise en question qui puisse signifier quelque chose ; et que l'homme, ense fondant sur la reconnaissance de telles vrits ultimes, est capable de progresser

    systmatiquement dans la science.

    Le relativisme nie l'existence de fondements absolus la connaissance et la possibilit

    du progrs scientifique.

    Les sciences de la nature semblent bien ne fournir aucune, ou presque aucune bonne

    raison d'adhrer au relativisme. Il semble indniable que l'histoire des sciences de la

    nature est une histoire de progrs continuel, et que l'homme possde maintenant une

    matrise de la nature bien suprieure celle du pass. En outre, des disciplines telles que

    la logique des propositions, l'arithmtique, la gomtrie euclidienne, la mcanique

    rationnelle (la mcanique classique hormis la gravitation) et la chronomtrie, tout ce

    qu'on a appel la "protophysique", semblent fournir de parfaits exemples de la conception

    rationaliste d'une connaissance dfinitivement tablie : si l'on veut dire quoi que ce soit de

    sens, ou pour faire une mesure empirique quelconque de l'espace, du temps et de la

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    1 Cf. en particulier sur ce point P. Lorenzen, Methodisches Denken (Francfort sur leMain : Suhrkamp 1968) ; P. Lorenzen, Normative Logic and Ethics (Mannheim :Bibliographisches Institut, 1969). "la gomtrie, la chronomtrie et l'hylomtrie [la

    mcanique rationnelle] sont des thories a priori qui rendent 'possible' la mesureempirique de l'espace, du temps et de la matire. Elles doivent tre tablies avant que la

    physique, dans le sens moderne d'une connaissance empirique, avec ses champs de forceshypothtiques, ne puisse commencer. C'est pourquoi je souhaite ranger ces disciplinessous le nom commun de 'protophysique'. Les propositions vraies de la protophysique sontcelles qui peuvent tre fondes par la logique, l'arithmtique et l'analyse, les dfinitionset les normes idales qui rendent la mesure possible". p. 60. Cf. aussi P. Janich, Die

    Protophysik der Zeit (Mannheim : Bibliographisches Institut, 1969) ; F. Kambartel,Erfahrung und Struktur (Francfort/M. : Suhrkamp, 1986).2 Chicago : University of Chicago Press, 1962. La Structure des rvolutions

    scientifiques, Paris, Flammarion, 1983. Cf. aussi Imre Lakatos & A. Musgrave, eds.,Criticism and the Growth of Knowledge (Cambridge : Cambridge University Press,1970).

    matire, on ne saurait se dispenser de poser a priori la validit de la logique et de la

    protophysique ; de sorte qu'on ne peut pas imaginer qu'elles puissent tre rfutes par

    une quelconque exprience ou mesure faite par l'homme. (On ne peut pas dire, par

    exemple, que la gomtrie euclidienne ait t "rfute" par la thorie de la relativit,

    parce que pour fonder la thorie de la relativit, on est bien oblig de prsupposer la

    validit de la gomtrie euclidienne qui a permis de construire les instruments de

    mesure).

    Bien au contraire, en parfait accord avec les affirmations du rationalisme, il appert

    que c'est prcisment le statut de la logique et de la protophysique comme thories

    absolument valides a priori qui rend le progrs dans les sciences naturelles empiriquessystmatiquement possible1.

    Le clbre ouvrage de Thomas Kuhn sur La Structure des rvolutions scientifiques2 a

    fourni une occasion de critiquer cette conception des sciences de la nature et de leur

    volution. Analysant dans le dtail des pisodes essentiels de l'histoire des sciences

    naturelles exprimentales, Kuhn y mettait en cause l'ide d'un processus scientifique qui

    serait une progression rgulire vers la vrit grce une succession d'hypothses,

    d'expriences dcisives et d'limination de thories rfutes par l'exprience, chaque

    gnration nouvelle en sachant plus que la prcdente. A en croire Thomas Kuhn, le

    processus n'tait au contraire ni cumulatif ni orient. Diffrents "paradigmes" ou

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    3 Cf. Paul Feyerabend, Against Method (Londres : New Left Books, 1975) [Contre lamthode] ; Science in a Free Society (Londres, New Left Books, 1978) ; Wissenschaftals Kunst (Francfort/M. : Suhrkamp, 1984).

    modles fondamentaux de l'essence de la nature se seraient succds et supplants dans le

    rle d'orthodoxies temporaires, chacun tant immunis contre l'exprience, impossible

    rfuter par celle-ci, chaque paradigme tant incommensurable avec l'autre. Les

    changements de paradigme n'auraient pas t motivs par des expriences indiscutables,

    mais comparables des conversions religieuses. Les anciens paradigmes disparaissaient

    mesure que mouraient les savants qui les avaient soutenus ; les nouveaux prenaient leur

    place mesure que se dveloppaient de nouvelles gnrations de savants, infects par

    une vritable fivre de conversion. Chaque gnration aurait tir des connaissances

    nouvelles de l'adoption du nouveau credo mais perdu la connaissance ancienne en

    abandonnant les paradigmes des gnrations passes.

    L'ouvrage de Kuhn impose-t-il une rvision de l'interprtation rationaliste des sciences

    de la nature, et fonde-t-il l'argumentaire relativiste ? Kuhn est enclin le penser.

    D'autres, notamment Paul Feyerabend, ont mme pouss l'extrme les tendances

    relativistes de Kuhn jusqu' un "anarchisme mthodologique" dont le slogan serait que

    "tout peut passer3". Cependant, on ne saurait douter que ni Kuhn, Feyerabend ni qui que

    ce soit d'autre n'ont russi convaincre le grand public d'accepter un modle relativiste

    des sciences de la nature, en dehors des tours d'ivoire universitaires. Aujourd'hui, comme

    par le pass, le grand public demeure imbu des conceptions du rationalisme et mon

    avis, il a bien raison.

    Il ne s'agit pas de prtendre qu'il n'y ait pas de vrits partielles dans les recherches

    souvent captivantes de Kuhn et de Feyerabend. Il est certainement vrai, et important, que

    des pertes d'informations peuvent se produire mme dans les sciences de la nature, et

    qu'il est par consquent avantageux de ne pas seulement tudier les publications les plusrcentes, mais aussi de s'intresser aux crits des auteurs depuis longtemps teints et

    oublis. Il est galement vrai que des motifs tels que le pouvoir, le prestige, l'argent,

    l'animosit personnelle et l'amiti ne cessent pas d'agir quand on se tourne vers l'tude de

    la nature. (Qui, par exemple, laissera tomber sans problme une thorie laquelle il a

    consacr toute une vie de travail, simplement parce que le monde extrieur fait de plus

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    4 Sur ce sujet cf. aussi H. H. Hoppe, "On Praxeology and the Praxeological Foundationsof Epistemology and Ethics" in : Jeffrey Herbener, ed., The Meaning of Ludwig vonMises (Boston : Kluwer Academic Publishers, 1991).

    en plus dfection vers un autre paradigme incompatible avec lui ? En fait, en tant

    qu'conomiste on peut mme aller plus loin et admettre la possibilit de la rgression

    scientifique : un processus de consommation du capital, suivi par une baisse gnrale

    des niveaux de vie, une population moindre, une dsintgration des marchs et de la

    division du travail, seraient le rsultat invitable d'un dclin dans la connaissance

    humaine de la nature.

    Cela dit, les prtentions du rationalisme n'en sont pas le moins du monde affectes.

    Pour commencer, il n'est certainement pas possible d'tendre le relativisme de Kuhn et

    Feyerabend la logique et la protophysique. Si l'on veut mettre une proposition qui ait

    un sens, ou faire une mesure quelconque, "tout" ne peut pas passer, justement. Cesdisciplines, qui soit dit en passant sont largement demeures l'cart du domaine des

    considrations de Kuhn et Feyerabend, sont absolument indispensables pour toute science

    exprimentale (et ne sont donc pas seulement des paradigmes "irrfutables" susceptibles

    d'tre remplacs par d'autres qui n'auraient aucun rapport). Or, partir du moment o

    l'on a admis cela, o l'on a compris qu'noncer des propositions, compter, construire des

    instruments de mesure, mesurer, toutes activits qui rendent possibles les sciences

    exprimentales, tout cela constitue des activits dlibres, il devient clair qu'on doit

    envisager les paradigmes des sciences de la nature comme des moyens : moyens de servir

    un projet humain indispensable et universel, l'aune duquel ils doivent ncessairement

    tre commensurables du point de vue de leur efficacit dans la poursuite de cette fin4.

    L'impression relativiste de l'volution des sciences naturelles que Kuhn et Feyerabend

    essaient de suggrer est due au fait que les deux conoivent tort les thories

    scientifiques comme de purs systmes de propositions verbales et mconnaissentsystmatiquement qu'elles sont fondes dans la ralit de l'action. Ce n'est que si on

    considre les thories comme compltement trangres toute action qu'on peut aboutir

    ces deux rsultats : non seulement

    qu'une thorie particulire puisse chapper toute rfutation, mais encore

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    que deux thories rivales quelconques, dont les propositions respectives ne peuvent

    pas tre rduites les unes aux autres, ni dfinies dans les termes l'une de l'autre,

    chappent toute mesure commune de telle sorte qu'aucun choix rationnel ne soit

    possible entre les deux.

    Cependant, un tel rsultat n'affecte la rfutabilit d'aucune thorie, ni la possibilit de

    comparer des paradigmes rivaux, ds lors qu'il s'agit de les appliquer la ralit de

    l'action, ou de s'en servir comme d'instruments pour raliser un projet concret. Au niveau

    purement verbal, les paradigmes peuvent bien tre irrfutables et incommensurables,

    mais en pratique ils ne peuvent jamais l'tre. En fait, on ne pourrait mme pas dire qu'un

    paradigme est irrfutable ou que deux paradigmes quelconques ne sont pas

    commensurables si on ne prsupposait pas un cadre conceptuel commun qui puisse servir

    de fondement un tel jugement ou comparaison. Et ce sont cette rfutabilit et

    commensurabilit pratiques des sciences naturelles exprimentales qui expliquent la

    possibilit du progrs technique.

    En refusant systmatiquement de tenir compte du fait que les thories et les

    observations qui font l'objet d'une interprtation thorique sont le fait de personnes

    agissantes, qui les imaginent et les mettent en oeuvre pour russir dans leur action, Kuhn

    et Feyerabend se sont privs du critre mme au moyen duquel toute connaissance

    concernant la nature est continuellement teste et mesure : le critre du succs ou de

    l'chec dans la ralisation d'un projet utilisant la connaissance dans une situation donne.

    S'il n'y avait le critre du succs instrumental, peut-tre le relativisme semblerait-il

    inluctable. En revanche, dans chacune de nos actions vis--vis de la nature, nous

    confirmons l'affirmation du rationalisme suivant laquelle il est possible de dfinir un

    domaine d'application pour toute connaissance thorique, et d'y tester continuellement le

    succs de son application, de sorte qu'on est bien oblig de tenir pour commensurables

    des thories concurrentes pour les domaines d'applicabilit o elles sont susceptibles de

    mener au succs. On ne peut pas concevoir une situation o il serait rationnel de

    renoncer un outil intellectuel qui se serait montr efficace une occasion dans un

    domaine d'application, dans le cas o aucun autre outil ne serait disponible. De mme, si

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    5 Cf. H. H. Hoppe, "In Defense of Extreme Rationalism", Review of AustrianEconomics, Vol. III, 1989, notamment les pp. 190-92 ; W. Stegemller,Hauptstrmungen der Gegenwartsphilosophie, Vol. II, (Stuttgart : Krner, 1975), ch. 5,

    partic. les pp. 523 et suiv.6 Cf. M. Hollis/S. Lukes eds., Rationality and Relativism (Oxford : Basil Blackwell,1982).

    un autre outil tait plus efficace, par exemple si une thorie ou un paradigme permettait

    d'atteindre un but qu'on ne pourrait pas raliser aussi bien si on en appliquait un autre, il

    serait irrationnel pour quiconque agit de ne pas l'adopter. Bien sr, rien dans la vie

    n'empche de se conduire de faon aussi irrationnelle. Cependant, quiconque le fait doit

    en payer le prix. Il se prive de la possibilit d'atteindre des buts qu'il aurait pu atteindre

    autrement. Isole des autres contextes sociaux qui peuvent donner d'autres raisons, de

    type psycho-sociologique, pour ne pas l'adopter, seule face la nature, aucune personne

    capable de distinguer une action efficace d'une autre inefficace n'accepterait de payer ce

    prix-l. C'est pour cela que la conception relativiste des sciences de la nature est

    inacceptable. Pour cela que, dans la matrise par l'homme des mystres de la nature, un

    progrs constant est possible et concrtement observable (mme si, pour des raisons

    psycho-sociologiques, il est parfois erratique). Progrs dont Kuhn et Feyerabend

    devraient prtendre qu'il ne se produit pas, alors qu'il leur crve les yeux depuis le dbut5.

    La situation est fort diffrente lorsqu'on se tourne du ct des sciences sociales. L, il

    semble bien que les prtentions du rationalisme trouvent beaucoup moins de soutiens, et

    le relativisme est trs largement accept 6.

    Au premier rang des arguments cits l'appui du relativisme est cette observation

    que, dans le dveloppement des sciences sociales, il n'existe rien qui ressemble au

    progrs ralis dans les sciences de la nature. Alors que notre pouvoir de prdiction et

    notre matrise instrumentale de la nature se sont spectaculairement accrus depuis l'poque

    de Platon et d'Aristote, le dveloppement des sciences sociales empiriques est marqu

    par la stagnation. Malgr l'arrive de toutes sortes de gadgets techniques, comme les

    ordinateurs grande vitesse, il semble que nous ne sommes pas aujourd'hui mieux placs pour prvoir les phnomnes sociaux, ou pour planifier le changement social, que Platon

    et Aristote leur poque. (On pourra remarquer que mme si l'on admet cette

    observation, la conclusion relativiste laquelle elle est cense conduire n'en est pas

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    7 Cf. H. H. Hoppe, Kritik der kausalwissenschaftlichen Sozialforschung. Untersuchungenzur Grundlegung von Soziologie und konomie (Opladen : Westdeutscher Verlag, 1983),

    particulirement les pp. 30-32 ; sur le "dualisme mthodologique" cf. aussi Ludwig vonMises, Human Action : A Treatise on Economics (Chicago : Regnery, 1966), p.18 [L'Action humaine] ; Theory and History : An Interpretation of Social and EconomicEvolution (Auburn, Al. : Ludwig von Mises Institute, 1985), pp. 1-2 et 38-41 ; cf. aussi K.

    O. Apel, Die Erklren : Verstehen Kontroverse in transzendental-pragmatischer Sicht(Francfort/M.: Suhrkamp, 1979).8 Cf. L. von Mises, Theory and History, pp. 44 et suiv.

    directement dductible : elle ne s'ensuit que si l'on commence par supposer que les

    critres du progrs dans les sciences sociales sont bel et bien les mmes que ceux des

    sciences de la nature. Les partisans du relativisme considrent que cela va de soi. Mais

    ce n'est pas du tout vident. Bien au contraire : dans les sciences de la nature, l'objet de

    la connaissance la nature et le sujet de cette connaissance celui qui agit sont

    des entits diffrentes, spares. Dans les sciences sociales, en revanche, les objets de la

    recherche et de la connaissance sont eux-mmes chercheurs et sujets connaissants. A la

    lumire de cette diffrence catgorique, il ne va pas de soi que la mthode applicable aux

    sciences naturelles et aux sciences sociales ne puisse tre que la seule et mme. Il n'y a

    mme absolument rien de surprenant ce que, s'agissant de prdiction sur des gens qui

    font des prdictions, ou de matrise instrumentale sur des gens qui pratiquent la matrise

    instrumentale, on ne puisse avoir un progrs scientifique du genre de celui qu'on observe

    dans les sciences de la nature !7)

    Les partisans du relativisme font en outre gnralement remarquer qu'il n'y a

    apparemment rien dans les sciences sociales qui joue un rle analogue celui jou par la

    logique et la protophysique comme fondements a priori des sciences naturelles

    exprimentales. L'affirmation rationaliste, notamment associe avec la tradition de la "loi

    naturelle" suivant laquelle une telle analogie est observable en conomie politique et en

    thique8, cette affirmation est aujourd'hui oublie, disparue de la conscience publique, ou

    balaye d'emble. L'conomie, tient-on, est une discipline empirique, tout comme la

    physique, avec pour objet de produire une connaissance prdictive ; mais la diffrence

    de la physique elle ne tient pas ses promesses. En ce qui concerne l'observation qu'il

    existe des conomies prospres comme des socits pauvres, ce qui, aprs tout, pourrait

    laisser quelque place une explication conomique mme si ce n'est pas le type

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    9 Cf. Murray N. Rothbard, Man, Economy and State (Los Angeles : Nash, 1970), p. 749.

    d'explication offerte par la physique les tenants du relativisme social prtendent que

    ces diffrences n'ont pas de raisons conomiques, mais sont dues des niveaux diffrents

    de connaissances techniques. Les socits riches le sont cause de leur avance technique ;

    la pauvret est due au manque de savoir-faire dans les sciences de la nature.

    (Deux objections cette opinion paraissent videntes :

    sa description des faits est purement et simplement fausse. Est-ce que les socits

    sous-dveloppes n'envoient pas leurs futurs savants et ingnieurs en grand nombre

    dans les universits des pays avancs, et ces socits pauvres n'ont-elles pas accs la

    mme connaissance que les riches quand ceux-ci sont revenus ?

    Plus important encore, le savoir-faire technique ne peut avoir d'effet matriel que si

    on l'applique. Or, pour l'appliquer, il faut de l'pargne, et de l'investissement. Ce n'est

    pas la disponibilit du savoir scientifique et technique qui impose des limites la

    prosprit des socits ; bien au contraire, c'est le montant de l'pargne et de

    l'investissement qui impose des limites l'exploitation d'une connaissance

    effectivement disponible ainsi qu'au progrs scientifique, dans la mesure o les

    activits de recherche, elles aussi, doivent tre entretenues par des capitaux pargns.

    De sorte que, contrairement aux conceptions relativistes, la thorie conomique

    semble bien finalement avoir quelque chose voir avec la pauvret et la richesse 9).

    On affirme aussi que l'thique ne peut rien justifier d'autre que le relativisme. Qu'il

    existe toujours des diffrences d'opinion en apparence irrductibles dans le domaine de

    la politique contemporaine ne fournit-il pas en effet la preuve concluante que le

    relativisme moral est dans le vrai ? L'anthropologie sociale par exemple, l'tude de

    socits telles que les habitants des Iles Fidji, ou les indignes de Nouvelle-Guine,

    n'apportent-elles pas encore davantage de preuves l'appui ? Il y a bien des institutions

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    10 Cf. Henry Veatch, Rational Man. A Modern Interpretation of Aristotelian Ethics(Bloomington : Indiana University Press, 1962), partic. les pp. 37-46 ; H. H. Hoppe, "InDefense of Extreme Rationalism", pp. 184-85.* Avant son initiation la tradition du Droit naturel par Lord Shaftesbury (cf. Murray Rothbard : Economic Thought B efore Adam Smith. Aldershot :

    Edward Elgar, 1995) [N.d.T].1 Cf. V. Kraft, Der wiener Kreis (Vienne, Springer, 1968) ; W. Stegmller,Hauptstrmungen der Gegenwartsphilosophie, Vol. I (Stuttgart, Krner, 1965), ch. IX-X.

    telles que le cannibalisme ou l'esclavage que les relativistes auraient bien de la peine

    dfendre ; cependant, en croire le relativisme, considrer ces pratiques comme des

    contre-exemples serait un malentendu. Le problme des ces institutions ne serait pas

    qu'elles rfutent le relativisme, mais que les socits qui les adoptent seraient encore sous

    la coupe du rationalisme social, c'est--dire qu'elles croient toujours tort en une thique

    absolument fonde. Le relativisme moral, affirment ses tenants, exclut l'intolrance de

    telles pratiques et implique un pluralisme des valeurs. (Comment n'est-il pas vident qu'il

    s'agit l d'une doctrine entirement fallacieuse ? En l'absence de fondements absolus a

    priori, le "pluralisme" des valeurs ne peut tre qu'une idologie sans fondement parmi

    d'autres, et il n'existe absolument aucune raison dcisive pour la choisir plutt qu'une

    autre. Ce n'est que s'il tait possible d'avancer des raisons a priori valides pour adopter

    le "pluralisme" qu'on pourrait prtendre qu'il sauvegarde la "tolrance" et rejeter le

    cannibalisme et l'esclavage comme pratiques sociales acceptables10.)

    Le positivisme et la destruction de l'conomique et de l'thique par le relativisme

    Aucune doctrine philosophique moderne n'a davantage contribu la propagation du

    relativisme que le positivisme. Enracin dans les traditions de l'empirisme de Locke* et de

    Hume, il est d'abord apparu Vienne pour s'tablir ensuite, notamment dans le sillage de

    l'migration de ses chefs intellectuels, comme croyance philosophique dominante du

    monde occidental1.

    Alors que les principes fondamentaux du positivisme impliquent la ngation des

    affirmations rationalistes aussi bien pour les sciences naturelles que pour les sciencessociales, c'est sur les secondes que son impact a t le plus fort. Certes, on ne saurait

    douter que les sciences de la nature, notamment la logique et la protophysique, aient

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    2 Cf. F. Kambartel, Erfahrung und Struktur, notamment le ch. 6 ; cf. aussi plus loin la n.18.3 Cf. Ludwig von Mises, Human Action [L'Action Humaine], ch. III.

    souffert de l'influence du positivisme2. Cependant, dloger le rationalisme de ce

    domaine-l de la connaissance serait extrmement difficile, pour les raisons que nous

    avons dj vues. Adopter le relativisme impliquerait d'abandonner immdiatement les

    moyens intellectuels grce auxquels on russit matriser la nature : quiconque a intrt

    distinguer le succs de l'chec refusera de payer ce prix-l. Dans les sciences sociales,

    en revanche, les choses sont diffrentes. Il est vrai que jusqu' prsent, l'argument

    purement intellectuel pour le relativisme social n'est gure apparu mieux fond que pour

    les sciences naturelles (j'entends d'ailleurs dmontrer dans ce qui suit qu'il est entirement

    dpourvu de fondement). Cependant, prner et pratiquer le relativisme dans les sciences

    sociales ne conduit pas aussi automatiquement l'chec immdiat que dans les sciences

    de la nature. Si on nie l'existence de lois absolues de l'conomie ou de l'thique et la

    possibilit du progrs social, il faut aussi que quelqu'un en paie le prix. Ce prix, en

    revanche, rien ne force le payer directement, pas plus qu' le faire payer par ceux qui

    auront accept cette opinion et agi en consquence. Bien au contraire, celui qui l'adopte

    peut ventuellement imposer aux autres ce qu'il en cote de penser comme il le fait.

    Ainsi, dans la mesure o le relativisme peut servir de moyen pour accrotre son bien-tre

    aux dpens de celui des autres, certains individus peuvent avoir un intrt majeur

    prner le relativisme social3.

    C'est cela qui explique pourquoi l'influence du positivisme s'est particulirement faite

    sentir dans les sciences sociales : que cela ait t ou non l'intention des positivistes, leur

    message philosophique a immdiatement t reconnu par les pouvoirs en place comme

    une puissante arme idologique au service de leur propre ambition de dominer toujours

    davantage les autres, et de s'enrichir leurs dpens. De sorte que la plus grande

    prodigalit fut dploye pour soutenir le mouvement positiviste, lequel mouvement

    renvoya bien entendu l'ascenseur en dtruisant notamment l'conomique et l'thique

    comme les bastions traditionnels du rationalisme social, effaant de la conscience

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    4 Cf. Ludwig von Mises, Human Action, [L'Action humaine], 7/ partie. De mme, TheUltimate Foundation of Economic Science (Kansas City, Sheed Andrews & M cMeel, 1978),not. les ch. 5 8 , qui s'achve par l'affirmation :"Dans la mesure o le principe empiriste du positivisme logique se rfre aux mthodesexprimentales des sciences de la nature, il ne fait qu'noncer ce qui n'est contest par

    personne. Dans la mesure o il rejette les principes pistmologiques des sciences del'action humaine, il n'est pas seulement entirement dans l'erreur. Dlibrment, en pleine

    connaissance de cause, il est aussi en train de saper les fondations intellectuelles de lacivilisation occidentale." (p. 133).5 Cf. en particulier A. J. Ayer, Language, Truth and Logic (New York : Dover, 1946).

    publique un immense corps de connaissance qui constituait un lment croyait-on

    permanent de l'hritage de la pense et de la civilisation occidentales4.

    Le premier dogme du positivisme, et le plus fondamental, est que la connaissance de la

    ralit, ou connaissance empirique, doit tre vrifiable ou au moins rfutable par

    l'exprience ; que tout ce que l'on connat par exprience aurait pu tre autre ou, pour

    dire les choses autrement, qu'on ne peut rien savoir de la ralit qui soit vrai a priori ; que

    toutes les propositions vraies a priori sont des noncs analytiques, qui n'ont absolument

    aucun contenu factuel mais ne sont vrais que par convention, ne reprsentant qu'un rappel

    tautologique de l'emploi des symboles et de leurs rgles de transformation ; que toutes

    les propositions sont soit empiriques soit analytiques, mais jamais les deux la fois ; desorte que les jugements normatifs , n'tant ni empiriques ni analytiques, ne peuvent

    lgitimement contenir aucune prtention la vrit, mais doivent tre considrs comme

    la pure expression des motions, n'en disant en fait pas davantage que 'Ouah ! Ouah !' ou

    'Grrrr...'5"

    Le second dogme du positivisme formule l'extension ou plutt l'application du

    premier au problme de l'explication scientifique. D'aprs le positivisme, expliquer un

    phnomne rel implique de formuler un nonc du type "si A, alors B" ou alors, si les

    variables se prtent une mesure quantitative, "dans le cas d'un accroissement (ou une

    dcroissance) de A, on aura un accroissement (une dcroissance) de B". En tant

    qu'nonc se rfrant la ralit (c'est--dire, A et B tant des phnomnes rels), sa

    validit ne peut jamais tre tablie avec certitude en examinant la proposition seule ni

    toute autre proposition dont la premire pourrait tre logiquement dduite ; elle demeure

    jamais hypothtique et dpendante du rsultat d'expriences venir dont l'issue ne

  • 8/3/2019 Hans Hermann Hoppe Le Rationalisme Autrichien a l'Ere Du Declin Positivisme

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    6 Cf. Karl Popper, The Logic of Scientific Discovery (New York : Basic Books, 1959)[Logique de la dcouverte scientifique] ; Conjectures and Refutations (Londres :Routledge & Kegan Paul, 1969) [Conjectures et rfutations] ; C. G. Hempel, Aspects ofScientific Explanations (New York : Free Press, 1970) ; E. Nagel , The Structure of Science(New York : Harcourt, Brace & World, 1961).

    7 Cf. P. Oppenheim/H. Putnam, "Unity of Science as a Working Hypothesis", in H. Feigl,ed., Minnesota Studies in the Philosophy of Science, Vol. II (Minneapolis : TheUniversity of Minnesota Press, 1967).

    peut tre connue l'avance. Si l'exprience confirme une explication hypothtique, c'est-

    -dire si l'on observe un cas o B suit bel et bien A conformment la prdiction, cela

    ne prouverait pas que l'hypothse soit vraie, car A et B sont des termes gnraux et

    abstraits (des "universaux", par opposition avec les "noms propres") et ceux-ci se

    rfrent des phnomnes ou des vnements dont il existe (ou du moins pourrait en

    principe exister) un nombre infini de cas, de sorte que des expriences ultrieures

    pourraient encore la rfuter. Et si une exprience contredisait une hypothse, c'est--dire

    si on observait un cas o A ne serait pas suivi de B, cela ne serait pas non plus dcisif,

    car il serait toujours possible que les phnomnes lis par hypothse l'aient bel et bien

    t, mais qu'un vnement ou une variable ngligs jusque-l aient simplement empch

    d'apparatre la relation postule. Une telle contradiction prouverait simplement que

    l'hypothse particulire envisage n'tait pas entirement correcte telle que formule,

    mais ncessitait quelque raffinement, quelque spcification de variables additionnelles,

    qu'il serait ncessaire de contrler pour pouvoir observer la relation postule entre A et B.

    Cependant, une contradiction ne prouverait jamais une fois pour toutes qu'il n'existe

    absolument aucune relation entre certains phnomnes donns6.

    Enfin, le positivisme prtend que ces deux dogmes associs sont universellement

    applicables tous les domaines de la connaissance (thse de l'"unit de la science") ; il

    n'existerait aucune connaissance a priori de la nature, ni de la ralit sociale de l'action

    humaine ; et la structure de l'explication scientifique serait la mme quel que soit le sujet

    tudi7.

    Si on suppose pour le moment que cette doctrine est correcte, il est facile de

    reconnatre ses implications relativistes : l'thique n'est pas une discipline cognitive. Tout jugement normatif est tout aussi bien, ou mal fond, que n'importe quel autre. Mais alors,

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    8 Cf. F. Kambartel, Erfahrung und Struktur, notamm. pp. 236-42. La conceptionrationaliste de la logique et des mathmatiques est rsume par l'nonc de G. Frege : "ils'ensuit de la vracit des axiomes qu'ils ne se contredisent pas l'un l'autre".L'interprtation positiviste-formaliste, en revanche, est formule par le jeune D. Hilbert :

    "si les axiomes arbitrairement postuls ne conduisent pas des implicationscontradictoires, alors ils sont vrais, et les objets dfinis par les axiomes existent" (cit parKambartel, p. 239).

    La progression du formalisme, explique Kambartel, a des consquences considrables. "Le retrait des mathmatiquesde toute justification pratique, et de la justification pistmologique correspondante du formalisme, est en lui-mme une dcision pratique de la plus grande importance . C'est l'abandon de la justification pratique et, commedes systmes formels dpourvus d'une interprtation de leur point de dpart qui ait un sens ne peuvent absolumentrien justifier, c'est en fin de compte l'abandon de toute justification quelle qu'elle soit" (p. 241). Par consquen t,"un grand nombre d'analyses formelles deviennent un jeu sophistiqu pour un petit groupe d'amateurs, quoique le public ne s'en aperoive gure, tant donn son incapacit atteindre le niveau de discussion exig ici pourdterminer la frontire entre la thorie et le jeu" (p. 238).

    9 Cf. H. Lenk, "Logikbegrndung und Rationaler Kritizismus", Zeitschrift fr(continued...)

    que peut-on reprocher tous ceux qui cherchent imposer leur volont aux autres ?

    Evidemment rien. Tout est permis. L'thique se rduit la question : "qu'est-ce que je

    peux faire impunment ?" Et quel message pourrait tre plus doux pour ceux qui sont

    au pouvoir ? Pour le roi cannibale, pour l'esclavagiste, pour le dtenteur d'un poste

    public ! C'est justement ce qu'ils ont envie d'entendre : que la force prime le droit et

    dfinit la justice.

    De mme doivent-ils tre enthousiasms par le message du positivisme dans le

    domaine des sciences descriptives. Pour ce qui est des sciences de la nature, la doctrine

    positiviste est assez inoffensive. Des disciplines telles que la logique et la protophysique,

    dont on tient les propositions pour vraies a priori (non testables par l'exprience), les positivistes les interprtent comme ne contenant absolument aucune "vraie"

    connaissance : comme des formalismes sans contenu empirique. Et cette conception des

    choses a bien contribu lgitimer et promouvoir la dgnrescence de certaines

    branches de la logique et des mathmatiques en des jeux de symboles dpourvus de

    signification, dont le grand public est demeur largement ignorant du fait de la nature

    sotrique du sujet8 ; cependant, elle n'a pas chang, et elle n'aurait pas pu changer le fait

    qu'au moins certaines des propositions de la logique et des m athmatique s servent de fondement mme aux

    sciences naturelles exprimentales, et qu'on les traite donc comme contenant une information factuelle, quoique de

    nature non hypothtique9. Il n'y a pas grand mal non plus dans la conception empiriste des sciences naturelles

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    (...continued)Philosophische Forschung, Vol. 24, 1970 ; K. O. Apel, Transformation der Philosophie,Vol. II, pp. 406-10.

    10 Sur ces questions, voir les traits d'conomie les plus importants de notre poque,Human Action [L'Action humaine] de Ludwig von Mises, et Man, Economy and State deMurray Rothbard.

    exprimen tales, telles que la physique. Sa mthodologie , suivant laquelle on ne pourrait jamais tablir

    dfinitivemen t si une relation postule entre deux ou plusieurs variables existe ou non, semblerait favoriser

    l'ventualit que le chercheur s'accroche ses hypothses quoiqu'il advienne, quelles que puissent tre les

    expriences apparemment contradictoires, dans la mesure o il pourrait toujours tenir pour responsable de ses erreurs

    de prvision quelque variable nglige jusqu' prsent. Mais comme je l'ai expliq u plus haut, personne n'aime

    mieux, s'il essaie de produire un phnomne naturel, se trouver des excuses perptuelles pour chouer plutt que

    d'y parvenir effectivement. Car c'est lui seul qui devrait payer le prix de cette obstination.

    Cependant, dans le domaine des sciences sociales, o l'on peut imposer aux autres les

    consquences de ses dcisions, la possibilit d'immuniser ses hypothses contre toute

    rfutation offre des occasions bienvenues pour les gens au pouvoir.

    Considrons des propositions caractristiques de l'conomie : chaque fois qu'un

    change n'est pas volontaire mais forc, comme un vol main arme ou un impt, l'une

    des parties profite au dtriment de l'autre. Ou : le salaire minimum est une interdiction

    de travailler pour moins d'un certain salaire. Suffisamment lev, il provoque un chmage

    involontaire massif. Ou bien : chaque fois que la quantit de monnaie est accrue alors

    que la demande de monnaie reste inchange, son pouvoir d'achat baissera. Ou encore :

    n'importe quelle quantit de monnaie est capable de rendre les mme services, de sorte

    qu'une quantit accrue ne peut pas augmenter le niveau de vie gnral (mme sil'accroissement peut avoir des effets redistributifs). Ou encore : la possession collective

    des moyens de production rend absolument impossible la comptabilit des cots, et

    conduit par consquent une production plus faible au sens des valuations des

    consommateurs. Ou enfin : l'imposition des producteurs de revenu accrot leur taux

    effectif de prfrence temporelle, et conduit par consquent une moindre production.

    Ces propositions semblent bien nous apprendre quelque chose sur la ralit, et pourtant

    elles semblent bien irrfutables et vraies par dfinition10. Cependant, en croire le

    positivisme, il ne saurait en tre ainsi : Dans la mesure o ces noncs prtendent avoir

    un sens empirique, alors il faut que ce soient des hypothses, sujettes confirmation ou

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    rfutation empirique. Il faut qu'on puisse formuler le contraire des propositions ci-dessus

    sans qu'il paraisse immdiatement identifiable comme faux (et insens). C'est

    l'exprience de trancher la question. De sorte que, condition de reprendre son compte

    la doctrine positiviste, le bandit de grands chemin, l'inspecteur des impts, le syndicaliste

    ou le Gouverneur de la Banque centrale pourrait agir de manire parfaitement lgitime,

    du point de vue scientifique, en affirmant que l'impt profite au contribuable et accrot la

    production, que le salaire minimum augmente l'emploi, et que l'inflation de papier-

    monnaie accrot la prosprit gnrale. En bons positivistes, il leur faudrait admettre qu'il

    ne s'agit, l encore, que d'hypothses ; mais comme l'effet prdit est cens tre

    bnfique, alors il faut srement essayer, pour voir... Aprs tout, on ne doit pas se fermer

    de nouvelles expriences, il faut toujours tre prt ragir avec souplesse, avec un

    esprit ouvert, en attendant le rsultat de l'exprience en cours. Cependant, si ledit rsultat

    n'est pas tel qu'on l'avait postul, si les victimes du bandit ou du fisc ne semblent pas en

    profiter tellement que cela, si l'emploi diminue ou s'il en rsulte une crise de conjoncture

    au lieu de la prosprit gnrale qu'on prtendait esprer, la possibilit d'immuniser ses

    hypothses contre l'exprience devient une option bien concrte, et d'ailleurs presque

    irrsistible. Car pourquoi le bandit, l'inspecteur des impts, le Gouverneur gnral de la

    Banque centrale ne souhaiteraient-ils pas minimiser toutes les expriences apparemment

    contraires comme de simples accidents, aussi longtemps qu'ils peuvent, eux, continuer

    profiter de leur "exprience" dans le vol, l'impt et l'inflation ? Pourquoi ne

    souhaiteraient-ils pas interprter toutes les expriences apparemment contraires comme le

    produit de quelque circonstance malencontreusement nglige et qui, une fois neutralise,

    aboutira bientt un rsultat inverse, rvlant la vritable nature des relations qui existent

    entre l'impt, le salaire minimum, l'inflation, et la prosprit ?

    En fait, quelles que soient les preuves exprimentales que l'on puisse opposer ces

    hypothses, partir du moment o l'on a adopt le positivisme et rejet toute

    argumentation de principe leur encontre pour cause d'erreur conceptuelle, la position

    du voleur ou du fisc demeure l'abri de toute critique concluante, car on peut toujours

    s'arranger pour attribuer l'chec quelque influence non prise en compte jusqu' prsent.

    Mme l'exprience la plus parfaitement contrle ne saurait changer cette situation. Car il

    resterait jamais impossible de prendre en compte toutes les variables dont il serait

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    11 Cf. aussi H. H. Hoppe, A Theory of Socialism and Capitalism (Boston : KluwerAcademic Publishers, 1989), ch. 6 ; "The Intellectual Cover for Socialism", The FreeMarket, fvrier 1988.

    ventuellement imaginable qu'elles puissent avoir un effet sur la variable expliquer

    pour la raison pratique que cela impliquerait littralement de prendre en charge

    l'univers entier, et pour la raison thorique qu'on ne sait mme pas quellessont toutes ces

    variables qui dterminent l'univers. Quelques reproches que l'on puisse faire au bandit,

    l'inspecteur des impts ou au Gouverneur gnral de la Banque centrale, il sera toujours

    possible, dans le cadre de la mthodologie positiviste, de prserver ou de repcher le

    "noyau dur" de leur "programme de recherche" comme l'aurait appel le no-popprien

    Imre Lakatos. L'exprience nous dit seulement que telle exprimentation particulire n'a

    pas eu le rsultat attendu, mais elle ne pourra jamais nous dire si une exprience

    lgrement diffrente ne produirait pas des rsultats diffrents ou s'il est vraiment

    impossible de parvenir la prosprit gnrale par une forme ou une autre de banditisme,

    de fiscalisme ou d'inflationnisme.

    L'attitude que le positivisme entretient vis--vis de l'conomique descriptive et qui est

    devenue caractristique de la plupart des lites contemporaines au pouvoir ainsi que

    leurs gardes du corps intellectuels subventionns est celle d'un ingnieur social

    relativiste dont la seule devise serait :

    "il n'y a rien dont on puisse savoir avec certitude que c'est impossible dans le domaine des

    phnomnes sociaux, et [par consquent] il n'y a rien que nous ne soyons prts essayer sur

    nos [malheureux] congnres, aussi longtemps que l'on garde un esprit ouvert11."

    Le fait que le positivisme soutient la mentalit du relativisme social ne prouve pas

    qu'il a tort. Nanmoins il semble avis de demeurer souponneux quant sa validit. Il

    n'est certainement pas vident qu'il n'existe absolument aucune norme thique rationnelle

    et que tout, littralement, "soit acceptable". Il n'est pas non plus intuitivement plausible

    que la thorie conomique soit condamne demeurer, au choix, un jeu symbolique sans

    rapport avec le rel ou un ensemble de propositions hypothtiques, empiriquement

    testables sur les consquences des actions et interactions des hommes. Car dans le

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    * Comme disait l'autre : "seuls les voleurs et les assassins ont intrt ce que la dfinitiondu vol et de l'assassinat passe pour une affaire d'motion subjective" [F. G.].1 Cf. sur ce qui suit L. v. Mises, The Ultimate Foundation of Economic Science ; M. N.Rothbard, Praxeology and the Philosophy of the Social Sciences (San Francisco : CatoInstitute, 1979) [traduit en franais comme les ch. 1, 2 et 3 de Economistes et charlatans,Paris, les Belles Lettres, 1991] ; H. H. Hoppe, Praxeology and Economic Science

    (Auburn, Al. : Ludwig von Mises Institute, 1988) ; "On Praxeology and thePraxeological Foundations of Economics and Ethics" ; cf. aussi M. Hollis/E. Nell,

    Rational Economic Man (Cambridge : Cambridge University Press, 1975) (l'introduction).

    premier cas il ne s'agirait jamais que d'une perte de temps. Et dans le second, la thorie

    conomique serait videmment impuissante et donc compterait pour du beurre (par

    exemple, le boulanger d'Athnes aurait pu prdire le comportement de ses concitoyens

    avec bien plus de prcision et de certitude que son homologue contemporain !) ; or, des

    propositions comme celles que nous avons mentionnes plus haut ne sont apparemment

    dpourvues ni de sens ni de pertinence. En fait, vu les implications intresses du

    positivisme pour les gens de pouvoir, on pourrait bien mme souponner que le

    positivisme en viendrait tre accept mme s'il tait faux* ; et qu'il continuerait de l'tre

    alors mme que ses absurdits auraient t exposes comme c'est d'ailleurs bel et bien

    le cas.

    Car il se trouve que chacun des trois postulats interdpendants du positivisme est

    faux, de manire dmontrable et dmontre1.

    En ce qui concerne la classification censment exhaustive entre les propositions

    analytiques, empiriques et motives, on est bien forc de demander : "Mais quel est donc

    le statut de cet axiome mme ?" Il faut bien que ce soit une proposition analytique ou

    empirique ; moins qu'il ne s'agisse de l'expression d'une motion.

    Si on la tient pour analytique, alors il ne s'agit que de blabla verbal sans contenu,

    qui ne dit rien d'une ralit vraie, mais se bornant dfinir un son, ou un symbole,

    l'aide d'un autre. De sorte qu'on n'aurait plus qu' hausser les paules et rpondre :

    "et alors ?"

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    2 Cf. aussi, sur ce qui suit, H. H. Hoppe, Kritik der kausalwissenschaftlichenSozialforschung ; cf. aussi The Economics and Ethics of Private Property, ch. 7.

    La mme rponse serait approprie si on tenait l'argument positiviste pour une

    proposition empirique. Si c'tait le cas, il faudrait admettre que cette proposition

    pourrait bien tre errone, et qu'on aurait bien le droit de connatre le critre sur la foi

    duquel on devrait dcider si elle l'est ou non. De manire plus dcisive encore, en tant

    que proposition empirique elle ne saurait dcrire qu'un fait historique, et serait tout

    fait inutilisable pour dcider si oui ou non il serait possible, l'avenir, que quelqu'un

    produise jamais des propositions qui dcrivent le rel mais ne soient pas rfutables,

    ou normatives sans tre motionnelles.

    Enfin, si le slogan positiviste se trouvait tenu pour une proposition motive, alors

    d'aprs sa propre doctrine elle serait sans valeur du point de vue de la connaissance, ne

    pourrait prtendre noncer une vrit quelconque, et on n'aurait pas lui prter

    davantage d'attention qu' un chien qui aboie.

    De sorte qu'on est forc de conclure d'emble que le positivisme est un chec total. Il

    ne prouve pas qu'une thique rationnelle soit impossible. Et on ne peut pas non plus le

    considrer comme une pistmologie, comme une thorie acceptable de la connaissance.

    Car s'il l'tait, il faudrait que la prmisse la plus fondamentale du positivisme soit un

    nonc synthtique a priori (dcrivant le rel, mais irrfutable), ce dont le positivisme

    nie l'existence mme, et on se retrouverait donc dans le camp du rationalisme social.

    De mme, l'affirmation positiviste suivant laquelle toutes les propositions scientifiques

    seraient hypothtiques se dtruit elle-mme (car quel est le statut de cette explication-

    l2 ?)

    Pour comprendre cet argument, imaginons une explication tablissant un lien entre

    deux ou plusieurs vnements et supposons qu'on ait russi la faire "coller" un

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    ensemble de donnes. On l'applique ensuite un autre ensemble de donnes,

    apparemment pour raliser un autre test empirique. Maintenant, on est tenu de se

    demander : "que sommes-nous tenus de prsupposer pour lier la seconde exprience la

    premire de telle manire qu'elle la confirme ou qu'elle l'infirme ?" On pourrait croire

    d'emble que si la seconde exprience rptait les observations de la premire, ce serait

    une confirmation, et sinon, une rfutation et il est clair que la mthodologie positiviste

    suppose cela vrai. Or, dans ce cas, rien en fait n'autorise le dire. Car tout ce que

    l'exprience rvle l'observateur vraiment "neutre", c'est que l'on peut classer comme

    "rptition", ou au contraire comme "non-rptition" deux ou plusieurs observations sur

    la succession dans le temps de deux ou plusieurs types d'vnements. Une simple

    rptition ne devient "confirmation" positive et une non-rptition "rfutation" ngative

    que si l'onsuppose, indpendamment de tout ce qu'il est rellement possible de confirmer

    par exprience, qu'il existe des causes invariantes, oprant indpendamment du temps.

    Si on suppose au contraire qu'au cours du temps la causalit opre quelquefois d'une

    manire et quelquefois d'une autre, alors ces cas de rptition ou de non-rptition ne

    sont que des expriences dates, enregistres, mais ne peuvent avoir aucun sens

    particulier ni lien rciproque. Il n'existe entre elles aucun lien logique de confirmation

    ou de rfutation rciproque. Il y a une exprience, puis il y en a une autre ; elles sont

    semblables, ou elles sont diffrentes ; mais c'est tout ce qu'on peut trouver en dire. Rien

    d'autre ne s'ensuit.

    De sorte qu'il n'est possible de parler de "confirmation" ou de "rfutation" que si l'on

    prsuppose le principe dergularit : que si l'on est convaincu que les phnomnes

    observables sont en principe dtermins par des causes qui demeurent constantes et ne

    dpendent pas du temps dans la manire dont elles oprent. Il faut absolument supposer

    vrai le principe de rgularit pour pouvoir dduire qu'une hypothse est bancale du fait

    qu'on choue reproduire une exprience ; et c'est cette condition seule qu'on peut

    l'interprter comme confirme parce qu'on y parvient. Or, il est vident que ce principe

    de rgularit n'est pas dduit de l'exprience et que celle-ci ne pourrait pas le confirmer.

    Ce lien entre les vnements n'est pas observable. Et mme si on l'observait, l'exprience

    ne pourrait pas rvler s'il est ou non indpendant du temps. On ne peut pas non plus le

    rfuter par l'exprience, puisque si un vnement semblait le rfuter (par exemple si on

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    ne pouvait pas reproduire un rsultat), on pourrait toujours dire d'emble que c'tait le

    type d'vnement particulier cens en causer un autre qui n'tait pas le bon. Et comme

    cette exprience ne prouve pas non plus qu'une autre succession d'vnements ne puisse

    pas se rvler invariante avec le temps dans sa manire d'oprer, on ne peut pas

    prouver non plus que le principe de rgularit ne soit pas valide.

    Et cependant, alors qu'il n'est ni dduit de l'exprience ni rfutable par elle, le

    principe de rgularit n'est rien de moins que la prsupposition logiquement ncessaire

    pour raliser des expriences dont on puisse dire qu'elles se confirment ou se rfutent

    mutuellement (par opposition des expriences sans lien logique entre elles). Ainsi,

    puisque le positivisme suppose qu'il existe de telles expriences logiquement lies, alorson doit en conclure qu'il admet aussi l'existence d'une connaissance non hypothtique

    propos du rel. Il doit bel et bien supposer qu'il existe des causes invariantes avec le

    temps, et doit le supposer alors mme qu'il est impossible d'imaginer que l'exprience le

    confirme ou l'infirme. Une fois de plus, le positivisme apparat comme une doctrine

    incohrente, contradictoire. Des explications non hypothtiques pour des faits rels, a

    existe bel et bien.

    Enfin (et dsormais sans surprise pour nous), la thse positiviste de l'unit de la

    science se rvle elle aussi contradictoire. Le positivisme prtend que les actions, de

    mme que tout phnomne, peuvent et doivent tre expliques au moyen d'hypothses.

    Si c'tait le cas, alors, et de nouveau contrairement sa propre doctrine suivant laquelle

    il ne saurait y avoir aucune connaissance a priori de la ralit, le positivisme seraitforc

    de supposer que les actions humaines aussi sont strictement dtermines par des causes

    invariantes, indpendantes du temps. Car si nous devions procder comme le positivismenous demande de le faire tablir entre diffrentes expriences un lien de confirmation

    ou de rfutation suppose alors il faudrait, comme nous venons de l'expliquer,

    prsupposer que la causalit y opre avec une rgularit absolue. Mais alors, si c'tait

    vraiment vrai, et s'il tait vraiment possible de concevoir les actions des hommes comme

    entirement gouvernes par une causalit invariante avec le temps, alors comment

    expliquer les explicateurs ? Comment rendre compte du comportement de ceux qui

    excutent ce processus mme de formation des hypothses, de vrification et de

    rfutation ? A l'vidence, pour faire toutes ces belles choses, pour prendre en compte les

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    expriences de "confirmation" ou de "rfutation", pour remplacer les vieilles hypothses

    par des nouvelles il faut bien qu'on soit capable d'apprendre. Mais si l'on peut

    apprendre de l'exprience, ce que le positiviste est bien oblig d'admettre, alors aucun

    moment on ne peut savoir l'avance ce qu'on ne saura que plus tard, et ce que l'on fera

    une fois qu'on l'aura su. En fait, la seule chose qui soit possible est de reconstruire la

    squence des causes de ses actions, et cela aprs les faits, car on ne peut expliquer sa

    propre connaissance que si on la possde dj. Ainsi, la mthodologie positiviste

    applique au domaine de la connaissance et de l'action, qui contient la connaissance

    comme ingrdient ncessaire, est purement et simplement contradictoire une absurdit

    logique de plus.

    Le principe de rgularit peut et mme doit tre suppos dans le domaine des objets

    naturels, c'est--dire pour des phnomnes qui ne sont pas constitus de notre propre

    connaissance ni d'actions manifestant cette connaissance (dans ce domaine, la question

    de savoir s'il existe des lois constantes partir desquelles il est possible de faire des

    prvisions ex ante est positivement dtermine indpendamment de l'exprience, et les

    facteurs empiriques ne jouent de rle que pour dterminer quelles sont les variables

    concrtes qui ont, ou n'ont pas, un lien de cause effet avec quelles autres variables). En

    ce qui concerne la connaissance et l'action, en revanche, le principe de rgularit ne

    peutpas tre valide (dans ce domaine, la question de savoir s'il existe ou non des

    constantes est en elle-mme empirique par nature et ne peut tre dtermine pour une

    variable donne que sur la base de l'exprience passe, c'est--dire ex post). Et tout cela,

    qui est une connaissance authentique de quelque chose de rel, peut tre connu

    apodictiquement ; de sorte que c'est le dualisme mthodologique, et non le monisme quel'on doit accepter et admettre comme absolument vrai a priori.

    L'cole autrichienne et les chances d'une reconstruction rationaliste de l'thique et de

    l'conomique

    Le fait que le positivisme avait t rapidement dmasqu comme un systme philosophique qui se rfute lui-mme n'a videmment pas contribu faire avancer sa

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    3 Pour une interprtation du 20/ sicle comme l'apoge de la philosophie de l'ingniriesociale et du relativisme, cf. le magnifique Modern Times de Paul Johnson (New York :Harper & Row, 1983) [Les temps modernes].4 Cf. aussi Henry Veatch, Rational Man et For an Ontology of Morals : A Critique ofContemporary Ethical Theory (Evanston, Ill. : Northwestern University Press, 1971) ; dumme, Human Rights, Fact or Fancy ? (Baton Rouge, Louisiana State University Press,

    1985).5 Par exemple, Gary North propose de "jeter un coup d'oeil sur n'importe quelle page deTheory of Value : An Axiomatic Analysis of Economic Equilibrium [Thorie de la valeur :analyse axiomatique de l'quilbre conomique], livre crit par Grard Debreu, et qui entait sa neuvime impression en 1979 pour porter tmoignage de l'horreur des tudesde troisime cycle en conomie. La seule allusion la ralit dans l'ensemble du livre setrouve probablement la page 29 [p. 33 dans l'dition franaise], avec ces mots : 'blrouge d'hiver n/2'". G. North, "Why Murray Rothbard Will Never Win the Nobel Prize!" inLlewelyn Rockwell/Walter Block eds.Man, Economy and Liberty: Essays in Honor of

    Murray N. Rothbard(Auburn, Al. : Ludwig von Mises Institute, 1988, pp. 89-90 [Traduit

    en franais sous le titre : "Pourquoi Murray Rothbard n'aura jamais le prix Nobel",ch. final de Murray Rothbard et al.,Economistes et charlatans (Paris : les Belles Lettres,1991), p. 198].

    cause. En revanche, du fait des perspectives allchantes qu'il offrait aux gens de pouvoir,

    cette rfutation n'a pas fait grand-chose non plus pour affaiblir sa popularit. Pour dfaire

    le positivisme, il en fallait beaucoup plus que se borner dmontrer qu'il est logiquement

    faux : il aura fallu des dcennies d'exprimentation sociale, tentant toujours plus grande

    chelle de prouver, dans le monde et l'intrieur de chaque Etat-nation, qu'il n'y a pas de

    lois morales ni conomiques, que rien n'est tabou et que tout est possible. Il aura fallu la

    stagnation des dmocraties sociales occidentales partir de la fin des annes 60 et du

    dbut des annes 70 ; l'appauvrissement constant des pays du Tiers-monde des dcennies

    aprs leur dcolonisation ; et, aprs 70 ans d'exprimentation, l'effondrement progressif

    puis de plus en plus rapide partir de la fin des annes 80 des pays du bloc

    socialiste 3. En dehors du monde rel, c'est--dire chez les universitaires, il aura fallu la

    disparition temporaire de la philosophie morale et politique, et leur remplacement par

    l'analyse linguistique, par des calembredaines sans signification oprationnelle, par la

    thorie des groupes de pression et du marchandage4. Il aura fallu que l'conomie politique

    dgnre en exercices symboliques dpourvus de tout sens empirique, sans ressemblance

    aucune avec ce qui tait jadis l'objet d'tude des classiques de la pense conomique (

    l'exception, au passage de quelque terme consonance conomique5) produits dans le

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    6 Sur la dgnrescence des sciences sociales en particulier, cf. les brillantes observations

    de Stanislav Andreski, Social Science as Sorcery (New York : St Martin's Press, 1972) [Lessciences sociales, sorcellerie des temps modernes ? (Paris : PUF, coll. Sociologied'aujourd'hui, 1975)] ; R. Sykes, ProfScam: Professors and the Demise of Higher Education(Washington D. C. : Regnery, 1988).7 Cf. aussi Murray N. Rothbard, For A New Liberty (New York : MacMillan, 1978), ch.9 ; "The Hermeneutical Invasion of Philosophy and Economics", Review of AustrianEconomics, Vol. III, partic. pp. 54-55 ; du mme, "Is There Life After Reaganomics ?"in Llewelyn Rockwell, ed. The Free Market Reader (Auburn, Al : Ludwig von MisesInstitute, 1988), partic. p. 378 ; "Ronald Reagan : An Autopsy", Liberty, Vol. II, n/ 4,mars 1989.8 Pour une valuation critique de ce nouveau nihilisme, cf. Henry Veatch,"Deconstruction in Philosophy: Has Rorty Made It the Denouement of Contemporary

    (continued...)

    meilleur des cas par des mathmaticiens de deuxime ordre, non pour un public lequel

    n'existe pas, mais pour ramasser la poussire dans les bibliothques de ce monde qui sont

    subventionnes par l'impt ; ou alors il fallait qu'elle dgnre en une puissante industrie

    de la prvision conomtrique, dont la futilit est douloureusement vidente pour tout le

    monde, y compris les politiciens et les bureaucrates d'Etat qui ne la subventionnent que

    pour des raisons de "lgitimation" scientifique6. Il aura fallu la faillite du systme

    keynsien, avec l'apparition du phnomne, prtendument impossible, de la stagflation

    dans les annes 1970 ; l'effondrement du paradigme montariste, aprs une longue suite

    de prvisions manifestement fausses de la fin des annes 1970 celle des annes 80 ; et

    la complte banqueroute de l'conomie marxiste dans le monde entier7.

    Si le positivisme n'est pas mort, le prix de dcennies de relativisme social est, depuis

    le milieu des annes 1970, devenu trop lev pour qu'on le passe sous silence ou qu'on

    lui trouve une explication bnigne. Une situation de crise est progressivement apparue en

    philosophie. Sans surprise, comme le positivisme perdait progressivement du terrain,

    d'autres variantes du relativisme, qui avaient t submerges par le rgne du positivisme,

    ont refait surface et s'efforcent de remplir le vide idologique. Associ des tiquettes

    telles que l'hermneutique, la rhtorique, l'ultra-subjectivisme et le dconstructionnisme,

    une sorte de mouvement universitaire a cours, qui essaie de ressusciter le vieux message

    du nihilisme, comme quoi la vrit n'existe pas, et qui attribue l'chec du positivisme

    non pas son relativisme, mais au fait qu'il ne serait pas assez relativiste, admettant

    l'existence de vrits empiriques (hypothtiques) plutt que pas de vrit du tout8.

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    (...continued)Analytical Philosophy ?", Review of Metaphysics, 39, 1985 ; J. Barnes, "A Kind of

    Integrity", London Review of Books, 6 novembre 1986 ; Murray N. Rothbard, "TheHermeneutical Invasion of Philosophy and Economics" ; H. H. Hoppe, "In Defense ofExtreme Rationalism".

    Mais la crise a aussi ramen la philosophie du rationalisme social qui avait depuis

    longtemps dmontr la fausset du positivisme mais tait tombe dans l'oubli durant les

    dcennies de la suprmatie positiviste. Rallume par l'attribution du prix Nobel

    d'conomie en 1974 Friedrich Hayek, l'Ecole autrichienne d'conomie politique, super-

    rationaliste, tradition de Carl Menger, Eugen von Bhm-Bawerk et, avant tout, de

    Ludwig von Mises, Mentor de Hayek et matre de Murray Rothbard, a connu un

    renouveau clatant. Ecarte pendant des dcennies des postes de prestige de l'Universit

    subventionne cause de ses implications indigestes pour les gens de pouvoir, relgue

    une survie peu encombrante dans le milieu interlope, non universitaire, des intellectuels

    du monde rel, l'Ecole autrichienne a constamment repris de l'lan, devenant un vritablemouvement de masse, conqurant de plus en plus de bastions universitaires de mme

    qu'un nombre toujours croissant de partisans la base. En fait, avec pour fer de lance le

    Ludwig von Mises Institute, ce mouvement a pris une dimension internationale, avec une

    renaissance des ides missiennes qui se dveloppe dans les cercles intellectuels de

    l'Europe de l'Est. Face l'effondrement total du socialisme et l'vanouissement de toute

    autorit et lgitimit de l'Etat, confronts la tche d'une reconstruction immdiate et

    complte de leurs pays, ils ne peuvent que juger ridiculement inappropris les conseils

    que pourraient leur donner une conomie mathmatique sans signification empirique, ou

    l'conomtrie, de mme que ceux que l'on pourrait dduire du keynsianisme, du

    montarisme, des anticipations rationnelles ou, pire encore, de l'hermneutique. Dans

    leur situation d'urgence, seule l'Ecole autrichienne offre une rponse claire, radicale et

    constructive : non seulement il existe des vrits dans les sciences sociales, mais il en

    existe qui sont a priori, non hypothtiques, et personne n'est capable de les dfaire. La

    vrit est aussi simple qu'elle est fondamentale : la proprit prive, les droits de proprit

    prive et eux seuls, sont un principe normatif indiscutablement valide et absolu, et la

    base d'un progrs continuel et "optimal". Pour s'extraire des ruines du socialisme, rien ne

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    9 Pour une valuation critique de la rvolution en Europe de l'Est, cf. H. H. Hoppe, "TheCollapse of Socialism and the Future of Eastern Europe", Kwasny Economics, Vol. II,numro 6, 30 octobre 1989 ; Desocialization in a United Germany (Auburn, Al. : Ludwigvon Mises Institute, 1991).

    10 Cf. en particulier L. v. Mises, Human Action [L'Action humaine] ; Murray N. Rothbard,Man, Economy and State ; The Ethics of Liberty (Atlantic Highlands : Humanities Press,1982)[L'Ethique de la libert].

    suffira sinon une privatisation complte de toute proprit et le retour une socit de

    contrat fonde sur la reconnaissance du caractre absolu des droits de proprit prive9.

    En fait, l'Ecole autrichienne reprsente la plus ambitieuse de toutes les formes du

    rationalisme social, elle qui affirme inflexiblement qu'il existe une connaissance a priori,

    non hypothtique de la ralit dans les sciences sociales, et que ce sont son thique et sa

    thorie conomique (qui intgrent cette connaissance) qui ont le mme statut que la

    logique et la protophysique comme les fondements absolument indispensables de toute

    recherche sociale empirique. Bien plus, l'Ecole autrichienne et elle seule a valid cette

    affirmation en prsentant un systme descriptif de l'conomique et de l'thique

    compltement dvelopp, cohrent et complet

    10

    .Indirectement, l'affirmation centrale de l'Ecole autrichienne a dj t prouve. La

    rfutation du positivisme qui prcde a dmontr que, alors qu'on ne peut pas concevoir

    la connaissance et l'action comme dtermines (c'est--dire pouvant tre prdits sur la

    base de variables effectives oprant sur un mode invariant au cours du temps), toute

    action, en vertu du fait qu'elle entend raliser un objectif dtermin, prsuppose une

    ralit physique structure par une causalit dterministe. A l'vidence, cet aperu

    reprsente en lui-mme un exemple parfait de la possibilit d'une connaissance non

    hypothtique de la socit : elle nonce propos de l'action un postulat dont aucun acteur

    ne pourrait imaginer qu'il soit controuv, parce qu'il faudrait en fait prsupposer qu'il est

    valide pour seulement tenter de prouver le contraire. L'approche autrichienne se borne en

    fait affirmer qu'en rflchissant, nous avons pu arriver bien d'autres conclusions,

    galement irrfutables par toute personne agissante, sur ce que le fait d'agir implique et

    prsuppose.La thorie autrichienne a pour points de dpart deux axiomes systmatiquement lis,

    tous deux des vrits non hypothtiques.

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    11 Cf. L. v. Mises, Human Action [L'Action humaine], 1/ partie.12 Cf. en particulier K. O. Apel, Transformation der Philosophie, Vol. II.

    Le premier est l'"axiome de l'action" : elle nonce le fait que les tres humains

    agissent et, plus spcifiquement, que moi, je suis en train d'agir maintenant. On ne peut

    pas nier que cette proposition est vraie : le faire serait en soi-mme une action. On ne

    peut pas non plus ne pas agir volontairement : ce choix serait en lui-mme une

    action. De sorte que la vrit de cette action est littralement impossible d-faire11.

    Le second axiome est l'"apriori de l'argumentation" : l'vidence, ce que nous

    venons maintenant de faire, depuis tout ce temps, j'cris cette tude, le lecteur la

    lit est de nous livrer l'argumentation. S'il n'y avait pas d'argumentation, il n'y

    aurait pas de dbat quant la vracit ou la fausset du relativisme social ou quant au

    statut de l'thique ou de l'conomique. Il n'y aurait que silence ou bruit sans raison.

    Ce n'est que par l'argumentation que les ides de vracit ou de fausset peuvent

    apparatre. Savoir si quelque chose est vrai, faux ou indtermin ; ce qui est

    ncessaire pour le justifier ; si c'est moi, ou quelqu'un d'autre, ou personne qui a

    raison il faut que tout cela se dcide au cours d'une argumentation et d'un change

    de propositions. Cette proposition est galement vraie a priori, car elle ne peut pas tre

    nie sans tre affirme par l'acte mme de cette dngation. Il n'est pas possible

    d'affirmer qu'il ne serait pas possible d'affirmer, et on ne peut pas contester que l'on

    sache ce que veut dire "prtendre valider une proposition" sans implicitement affirmer

    tout le moins que c'est le contraire qui est vrai.

    C'est donc l'a priori de l'argumentation12, et les deux axiomes sont lis en tant que

    branches ncessairement entremles de connaissance a priori logiquement ncessaire.

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    13 Cf. Sur ce qui suit H. H. Hoppe, A Theory of Socialism and Capitalism, ch. 2 & 7.* Quiconque trouvera une meilleure traduction pour "intersubjectively meaningful norms

    (continued...)

    En effet, l'action est plus fondamentale que l'argumentation, puisque l'argumentation n'est

    qu'un sous-ensemble de l'action. En revanche, affirmer ce que l'on vient de dire propos

    de l'action et de l'argumentation et de leurs relations rciproques ncessite dj une

    argumentation, de sorte que, du point de vue pistmologique, il faut considrer

    l'argumentation comme plus fondamentale que l'action non argumentaire.

    L'thique, ou plus particulirement la normative autrichienne de la proprit prive, est

    dduite de l'a priori de l'argumentation ; et c'est de sa nature comme axiome non

    hypothtique et absolument vrai que cette normative mais oui tire son propre statut

    de science absolument vraie13.

    L'a priori de l'argumentation tant maintenant tabli comme point de dpartaxiomatique de l'pistmologie, on en dduit d'emble que tout ce qui doit tre

    prsuppos par le fait mme d'noncer des propositions ne peut plus tre contest au

    moyen de propositions. Cela n'aurait aucun sens de demander que l'on justifie des

    prsuppositions qui sont ncessaires pour que l'nonc de propositions ayant un sens soit

    seulement possible. Il faut au contraire les tenir pour dfinitivement justifies par

    quiconque ouvre la bouche pour dire quelque chose. On doit comprendre que tout nonc

    spcifique qui contesterait leur validit implique une contradiction performative ou

    pratique.

    En outre, de mme qu'il est indniablement vrai qu'il n'est pas possible d'affirmer qu'il

    ne serait pas possible d'affirmer, et qu'on doit absolument supposer que quiconque se

    livre l'argumentation sait forcment ce que veut dire "prtendre que quelque chose est

    vrai", il est galement vrai que tout argument ncessite une personne qui argumente : un

    acteur. L'argumentation ne consiste jamais dans des propositions en l'air : c'est toujoursen mme temps une activit. Comme c'est au cours de l'argumentation que l'on doit

    formuler les noncs prtendus vrais et dcider de leur ventuelle vracit, et comme

    l'argumentation, indpendamment de tout ce que l'on peut dire cette occasion, est aussi

    une question pratique, il s'ensuit qu'il doit absolument exister des normes dont des

    consciences diffrentes peuvent s'accorder pour dire qu'elles ont un sens* : celles

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    (...continued)must exist" peut faire ses propositions ; il gagne un carambar [F. G.].*** Du moins pour la dure de l'argumentation. Cf. Hoppe, The Economics and Ethics ofPrivate Property, p. 247 :"aussi longtemps que dure la discussion, il y a reconnaissance mutuelle de la matriseexclusive par chacun de ces ressources [le cerveau, les cordes vocales, etc.] [...] le fait

    de la possession de soi-mme est une prcondition praxologique de l'argumentation.Quiconque essaie de rfuter quelque chose doit en fait tre possesseur de soi-mme."[F. G.].

    prcisment qui font d'une action une argumentation. Et celles-ci doivent avoir un statut

    cognitif particulier dans la mesure o elles sont les conditions pratiques pralables de la

    vrit. Et de fait, personne ne pourrait prter la moindre validit aux dichotomies si

    chres au positivistes, entre les jugements de fait ("empiriques") et les jugements de

    valeur ("motifs"), ou entre les propositions de fait ("empiriques") et les jugements

    analytiques ["tautologiques, partir de dfinitions arbitraires et conventionnelles," N.d.T.]

    moins de considrer comme valides les normes qui sous-tendent l'argumentation (au

    cours de laquelle ces distinctions sont faites). Il est tout simplement impossible

    d'affirmer le contraire, parce que le faire prsupposerait en fait leur validit en tant que

    normes.

    Allons plus loin : en tant qu'entreprise ncessairement pratique, tout change de

    propositions exige que celui qui les fait possde la matrise exclusive de certains moyens

    rares. Personne ne pourrait jamais avancer quoi que ce soit, et personne ne pourrait

    jamais se laisser convaincre par aucune proposition, si le droit de faire un usage exclusif

    de son propre corps*** n'tait pas dj prsuppos. C'est la reconnaissance mutuelle de

    cette matrise exclusive de chacun sur son propre corps qui explique cette caractristique

    distincte des changes de propositions : que mme si on n'est pas d'accord avec ce qui

    vient d'tre dit, on peut au moins se mettre d'accord sur le fait qu'on n'est pas d'accord.

    Et il est galement vident que ce droit de proprit sur son propre corps doit tre tenu

    pour justifi a priori. Car quiconque voudrait essayer de justifier quelque norme que ce

    soit doit dj prsupposer son droit exclusif de matriser son propre corps pour

    seulement dire : "je propose ceci et cela". Quiconque contesterait un tel droit se

    retrouverait pris dans une contradiction pratique, puisqu'en argumentant de la sorte il

    aurait implicitement accept la norme mme qu'il mettait en cause.

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    *** Et comme ce principe, comme celui de la possession de soi (qui rsulte de sa premiremise en oeuvre), peut tre appliqu dans tous les cas et comme il est exclusif de tout

    (continued...)

    Enfin, il serait impossible de se livrer l'argumentation, si on n'tait pas autoris

    s'approprier, en plus de son propre corps, d'autres ressources rares par appropriation

    initiale, c'est--dire en les mettant en valeur avant qu'un autre ne le fasse, ou si de telles

    ressources n'taient pas dfinies en termes physiques, objectifs. En effet, si personne

    n'avait de droit sur rien, part son propre corps, alors nous cesserions tous d'exister et la

    question de la justification des normes de mme que tous les problmes humains

    n'existerait tout simplement pas. Le fait que l'on soit vivant prsuppose que soient valides

    certains droits de proprit sur d'autres objets. Quiconque est vivant ne pourrait pas

    affirmer le contraire.

    Et si une personne ne pouvait pas acqurir ce droit exclusif de disposer de ces biens par l'appropriation initiale, en tablissant quelque lien objectif entre une personne et une

    ressource matrielle particulire avant que personne d'autre ne l'ait fait, si au contraire on

    supposait que les derniers arrivs avaient le mme titre de proprit sur ces biens, alors

    littralement personne ne serait jamais autoris faire quoi que ce soit avec quoi que

    ce soit, faute d'avoir obtenu le consentement pralable de tous ceux qui sont pourront

    venir aprs. Ni nous-mmes ni nos anctres, ni notre progniture ne pourrions survivre.

    Or, pour que quelqu'un, quel qu'il soit, puisse argumenter, il lui faut bien videmment

    tre en mesure de survivre. Et pour cela, il est impossible de concevoir les droits de

    proprit comme dfinis "hors du temps" et sans prcision quant au nombre de personnes

    concernes. Bien au contraire, il est absolument ncessaire que les droits de proprit

    soient dfinis par une action localise et date et pour des individus agissants

    particuliers. Sinon, il serait impossible pour quiconque de dire quoi que ce soit un

    moment et un endroit donn, et pour un autre de rpondre. Affirmer que la rgle de la premire mise en valeur comme norme de proprit pourrait tre rejete, ou qu'elle serait

    injustifie implique une contradiction. Affirmer cette proposition implique que l'on

    existe un instant donn comme unit de dcision physiquement indpendante, et par

    consquent le droit de la premire mise en valeur comme un principe absolument valide

    d'acquisition de la proprit*** .

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    (...continued)autre, il est par implication le seul universellement valide, pour les gens qui prennent lalogique au srieux. Cf. Hoppe, ibid., p. 249-250 :"... quiconque nierait la validit du principe de la premire mise en valeur contredirait lecontenu de sa proposition par le fait mme de l'noncer... une fois qu'au titre du principede premire mise en valeur on a admis la matrise exclusive de certaines ressources, ildevient impossible de justifier quelque restriction que ce soit l'exercice de ce principe

    l'exception d'une restriction volontaire, que l'acteur s'imposerait soi-mme sanstomber dans une contradiction.

    "Car si celui qui propose une telle restriction au principe du droit de la premire mise envaleur tait cohrent avec lui-mme, il ne pourrait disposer que de certaines ressourcesrares (quelle que soit cette limite), dont en outre il ne serait pas autoris faire usage

    pour des appropriations ultrieures au titre de ce principe. Mais dans ce cas, il ne pourrait videmment pas empcher l'appropriation parun autre au titre de ce principe,pour la seule raison qu'il n'en aurait pas les moyens. Et s'il cherchait empcher cetteappropriation, alors il tendrait ipso facto ses propres prtentions [sur les biens sansmatre] au-del de ses propres ressources qu'il tient pour justement appropries : desorte qu'il se contredirait lui-mme.

    "Pire, pour justifier son ingrence, il lui faudrait invoquer un principe d'acquisitionincompatible avec le principe de la premire mise en valeur : il lui faudrait prtendre,au mpris de la logique, qu'une personne qui tend ses possessions au titre de ce

    principe, principe dont personne ne peut dire qu'il soit universellement faux, serait, ou tout le moins, pourrait tre, un agresseur (alors mme que personne ne pourrait direqu'elle ait pris quoi que ce soit qui que ce soit, parce qu'elle n'aurait pris que desressources n'appartenant personne, c 'est--dire des choses que jusqu' prsent

    personne n'avait tenues pour rares, et que tout le monde aurait pu s'approprier avant s'ilavait t le premier s'apercevoir de sa raret, y compris ceux [...] qui se soucienttellement du sort des derniers arrivs qu'ils voudraient rserver des ressources pour leur

    bnfice ultrieur). Il lui faudrait en outre prtendre que quiconque interfre avec unetelle extension, et le fait au nom d'un principe dont on ne peut arguer qu'il soituniversellement valide, agirait, ou du moins pourrait agir lgitimement (alors mmequ'il confisquerait toujours quelqu'un quelque chose que celui-ci aurait acquis sansrien prendre personne)."

    "L'erreur centrale [de ceux qui rejettent] cet argument est [leur] refus de reconnatrel'incompatibilit logique [de l'ide] de "droits sociaux" l'ide qu'on pourrait avoir desdroits sur la proprit que les autres auraient constitue au titre de la premire mise envaleur avec ce mme principe de la premire mise en valeur. Ou bien c'est le

    premier principe qui est juste, ou alors c'est le second. Par consquent, on ne peut pasdire que le premier le soit, puisque pour le dire il faut prsupposer la validit dusecond".

    Cette dmonstration montre qu' eux seuls, les prsupposs a priori de l'action humaine,(continued...)

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    (...continued)lois praxologiques a priori qui s'imposent la normative politique sont extrmement

    contraignants, et constituent dj en eux-mmes une normative concrte absolumentvraie a priori :

    le fait que celle-ci est contrainte de dcrire des relations concrtes et dates entre des personnes singulires etdes objets particuliers. Comme le dit Hoppe la p. 247 de The Economics and Ethics of Privete Property :"toute philosophie politique qui n'est pas construite comme une thorie des droits de proprit passecomplte ment ct de son but et doit par consquent tre rejete d'emble comme un verbiage dpourvu desens pour une thorie de l'action". Car un jugement normatif doit toujours porter sur des actes. Juger desrsultats, comme prtendent le faire nombre d'argumentaires sur une prtendue "justice sociale", impliqueforcment de juger tous les actes concrets qui ont conduit ces rsultats. Et comme il n'existe aucunergularit dans l'action humaine, il s'ensuit qu'il est logiquement impossible de dfinir a priori des actes quiconduiraient l'une quelco nque de ces prtendues "normes" de rsultat. Cf. Hayek : Le Mirage de la justicesociale, Paris, P UF, 1982. Bien entendu, si l'a priori de l'action interdit toute dfinition d 'une quelconque"justice sociale", il ne peut pas empcher de soi-disant "philosophes politiques" d' ignorer les contraintes qu'ilimplique sur le raisonnement normatif, de mme que de croire celle-ci en dpit de toute rationalit.

    - Le fait que la survie de tout tre agissant implique forcment que celui-ci se soit livr au moins une fois uneappropriation par premire mise en valeur (ne serait-ce qu'en respirant pour son propre compte de l'air gratuit),

    - le fait que ce principe d'appropriation naturelle est universellement applicable et exclusif de tout autre,

    tout cela suffit dmontrer qu'il n'y a qu'un seul systme de justice intellectuellement cohrent, celui que dcritMurray Rothbard dans L'thique de la libert. On pourrait donc penser que l'a priori de l'argumentation estredondant par rapport celui de l'action c omme fondement de la normative politique.

    Nanmoins cet a priori de l'argumentation soumet celui qui accepte de participer une discussion rationnelle d'autres contraintes trs fortes et qui constituent en elles-mmes des normes universellement valides a priori,compltant les lments de normative rationnelle dj fournis par l'a priori de l'action :

    La contrainte de cohrence logique (principe de non-contradiction), qui prsupposeque quiconque participe une discussion rationnelle accepte de prendre en compte les

    principes impliqus par toute action envisage (rejet du pragmatisme). Sans cohrencelogique, par exemple, on ne pourrait pas dduire que le principe de la premire mise envaleur est leseulvalide du fait que celui-ci est ncessairement acceptable,universellement applicable et exclusif de tout autre.

    - Le principe de la proprit de soi, ncessairement admis au moins pour la dure de ladiscussion.

    L'a priori de l'argumentation permet donc de transformer la conclusion : "il n'existe de philosophie politiquecohrente et compatible avec la survie de l'humanit que dans une application universelle du droit de la premiremise en valeur", en cette autre conclusion : "quiconque accepte de participer une discussion civilise accepteimplicitement une philosophie politique fonde sur l'application universelle et par consquent exclusive du droitde la premire mise en valeur."

    Que l'a priori de l'argumentat ion et de l'action conduisent certaines normes absolument et universellement vraiestablit donc un a priori du droit naturel : une normative absolument et universellement vraie a priori, qui neconstitue qu'une contrainte limitative sur les choix de l'action, mais se trouve dfinir compltement la philosophiepolitique.

    On peut parler juste titre de droit naturel, dans la mesure o l'on tient que la connaissance vraie a priori exprime

    (continued...)

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    (...continued)des lois de la nature. Ces dmonstrations se trouvent d'ailleurs dans la droite ligne de la tradition du Droit naturel(quelles qu'en aient pu tre les diverses conclusions au cours de l'histoire de la pense). Ceux qui le positivisme a appris se mfier de l'expression peuvent comprendre que celle-ci dsigne seulement toute

    rflexion normative qui accepte de tenir compte des lois de la nature. Et pour qui admet de dfinir la Raisoncomme l'"art de l'identification non contradictoire" (Ayn Rand) de ce qui est, elle est simplement synonyme dediscussion rationnelle sur les normes. Hayek, qui le rejetait explicitement sous ce nom, ne faisait donc absolumentrien d'autre que du "droit naturel" dans ses ouvrages de philosophie politique ostensiblement soumis aux rgles dela discussion rationnelle. Il tait donc pris, ce faisant, dans une contradiction pratique (ou "performative"). [F. G.].

    1 Cf. sur ce qui suit L. v. Mises, Human Action [L'Action humaine], ch. IV ; M. N.Rothbard, Man, Economy and State, ch. 1 ; "Praxeology: The Methodology of AustrianEconomics", in Edwin Dolan, ed. : The Foundations of Modern Austrian Economics(Kansas City : Sheed & Ward, 1976) ; H. H. Hoppe, Praxeology and Economic Science ;aussi Lionel Robbins, The Nature and Significance of Economic Science (New York :

    New York University Press, 1982) [ Nature et signification de l'conomique]. [Cf. aussi :"La Praxologie comme mthode des sciences sociales", ch. 2 de M. N. Rothbard et al.,

    Economistes et Charlatans (F. G.)]

    Pour sa part, la thorie conomique, ou "praxologie" dans la terminologie de Ludwig

    von Mises, en mme temps que son statut de science sociale non hypothtique et vraie a

    priori, est dduite de l'axiome de l'action1.

    Dans toute action, l'acteur poursuit un but ; et quel que puisse tre ce but, le fait

    que cet acteur le recherche rvle que celui-ci lui attribue une valeur relativement

    plus grande qu' tout autre but d'une action qu'il aurait pu envisager au dbut de cette

    action.

    Pour raliser ce but, un acteur doit dcider d'intervenir ou de ne pas intervenir (ce

    qui est une autre manire d'influencer le rsultat) au dpart pour obtenir un rsultat

    plus tard ; et cette intervention implique l'emploi de moyens limits (au moins ceux

    du corps de celui qui agit, de l'emplacement qu'il occupe et le temps employ pour

    l'intervention).

    Il faut aussi que ces moyens aient une valeur pour l'acteur en question valeur

    dduite de celle du but parce que l'acteur doit les considrer comme ncessaires

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    pour effectivement atteindre son but. En outre, les actions ne peuvent tre faites que

    l'une aprs l'autre, ceci impliquant toujours de faire un choix , c'est--dire

    d'entreprendre l'action qui, un moment donn, promet le rsultat auquel l'acteur

    donne le plus de valeur et conduit renoncer aux autres, qui ont moins de valeur.

    En outre, lorsqu'il agit, un acteur ne se borne pas vouloir substituer une meilleure

    situation une autre et dmontrer sa prfrence pour celle qui a le plus de valeur ;

    il considre aussi invariablement quel moment de l'avenir ses buts seront atteints et

    dmontre une prfrence universelle pour des rsultats plus immdiats. Comme

    l'action prend du temps et comme l'homme doit absolument consommer quelque chose

    un moment ou un autre, le temps est toujours rare ; de sorte que les rsultats

    immdiats ou plus rapides ont, et doivent toujours avoir plus de valeur que des

    rsultats futurs ou plu