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Patrick Gibert Management public, management de la puissance publique In: Politiques et management public, vol. 4 n° 2, 1986. pp. 89-123. Abstract Public organizations present characteristics which cannot be considered irrelevant as far as management is concerned : the constitutive elements of the public organization and their specificities in the classical scheme of an organization, their objectives which imply a double production function from inputs to outputs and from outputs to outcomes, the introduction of ideologies, the actor's conflicts between the citizen and the producer of public services, the numerous ways of intervention of the public administrations (regulations, incentives, prohibitions, compulsions) imply management duties extraneous to private firms. Each administration involves externalities which affect other administrations, so that cross effects can appear. Other factors give special features to public management : the situation in the sight of the law, the dépendance facing the political power. All these pecularities can be explained by the presence of the «public power», by the ties between the public power and the collective goods concepts. Résumé Les entités publiques et les organisations publiques présentent des caractéristiques et des particularités qui ne sauraient être considérées sans importance au regard du management : les éléments constitutifs de l'organisation publique et leur spécificité dans le schéma classique de l'organisation, leurs finalités impliquant une double fonction de production de moyens en réalisations et de réalisations en impact, l'introduction des idéologies, les conflits de rôle entre le citoyen et le producteur de service public , la pluralité des modes d'interventions des administrations publiques (réglementations, incitations, obligations, interdictions) entrafnent des préoccupations de management étrangères aux entreprises privées. Chaque administration produit des effets externes touchant d'autres administrations, d'où l'apparition d'effets liés. Enfin, d'autres facteurs donnent une coloration particulière au management public : dépendance envers le pouvoir politique, situation particulière au regard du droit. L 'ensemble de ces particularités s'explique par le fait de la puissance publique, par un rapprochement entre cette dernière et les concepts de biens collectifs. Citer ce document / Cite this document : Gibert Patrick. Management public, management de la puissance publique. In: Politiques et management public, vol. 4 n° 2, 1986. pp. 89-123. doi : 10.3406/pomap.1986.1893 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pomap_0758-1726_1986_num_4_2_1893

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Management público

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  • Patrick Gibert

    Management public, management de la puissance publiqueIn: Politiques et management public, vol. 4 n 2, 1986. pp. 89-123.

    AbstractPublic organizations present characteristics which cannot be considered irrelevant as far as management is concerned : theconstitutive elements of the public organization and their specificities in the classical scheme of an organization, their objectiveswhich imply a double production function from inputs to outputs and from outputs to outcomes, the introduction of ideologies, theactor's conflicts between the citizen and the producer of public services, the numerous ways of intervention of the publicadministrations (regulations, incentives, prohibitions, compulsions) imply management duties extraneous to private firms. Eachadministration involves externalities which affect other administrations, so that cross effects can appear. Other factors givespecial features to public management : the situation in the sight of the law, the dpendance facing the political power. All thesepecularities can be explained by the presence of the public power, by the ties between the public power and the collectivegoods concepts.

    RsumLes entits publiques et les organisations publiques prsentent descaractristiques et des particularits qui ne sauraient tre considres sans importance au regard du management : les lmentsconstitutifs de l'organisation publique et leur spcificit dans le schma classique de l'organisation, leurs finalits impliquant unedouble fonction de production de moyens en ralisations et de ralisations en impact, l'introduction des idologies, les conflits derle entre le citoyen et le producteur de service public , la pluralit des modes d'interventions des administrations publiques(rglementations, incitations, obligations, interdictions) entrafnent des proccupations de management trangres auxentreprises prives. Chaque administration produit des effets externes touchant d'autres administrations, d'o l'apparition d'effetslis. Enfin, d'autres facteurs donnent une coloration particulire au management public : dpendance envers le pouvoir politique,situation particulire au regard du droit. L 'ensemble de ces particularits s'explique par le fait de la puissance publique, par unrapprochement entre cette dernire et les concepts de biens collectifs.

    Citer ce document / Cite this document :

    Gibert Patrick. Management public, management de la puissance publique. In: Politiques et management public, vol. 4 n 2,1986. pp. 89-123.

    doi : 10.3406/pomap.1986.1893

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pomap_0758-1726_1986_num_4_2_1893

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    MANAGEMENT PUBLIC, MANAGEMENT DE LA PUISSANCE PUBLIQUE 4

    Patrick GIBERT*

    Rsum Les entits publiques et les organisations publiques prsentent des ques et des particularits qui ne sauraient tre considres sans importance au regard du management : les lments constitutifs de l'organisation publique et leur spcificit dans le schma classique de l'organisation, leurs finalits impliquant une double fonction de production de moyens en ralisations et de ralisations en impact, l'introduction des idologies, les conflits de rle entre le citoyen et le producteur de service public , la pluralit des modes d'interventions des administrations publiques (rglementations, incitations, obligations, interdictions) entrafnent des proccupations de management trangres aux entreprises prives. Chaque administration produit des effets externes touchant d'autres administrations, d'o l'apparition d'effets lis. Enfin, d'autres facteurs donnent une coloration particulire au management public : dpendance envers le pouvoir politique, situation particulire au regard du droit. L 'ensemble de ces particularits s'explique par le fait de la puissance publique, par un rapprochement entre cette dernire et les concepts de biens collectifs.

    * Institut de Management Public.

    Revue POLITIQUES & MANAGEMENT PUBLIC, Volume 4, n 2, juin 1986

    (c ) Institut de Management Public - 1 986

  • 90 Patrick G I BERT

    Introduction L'expression management public est devenue en 1986 d'utilisation courante. On pourrait mme penser que c'est un slogan la mode. Le succs d'une expression va souvent de pair avec le flou du concept qu'elle est cense exprimer, et l'observateur peut aisment noter que management public est utilis aujourd'hui frquemment tort et travers, par certains comme symbole de leur volont de modernit, par d'autres comme quivalent une meilleure gestion des ressources humaines dans les organisations publiques, par d'autres galement comme une expression de la diversification des domaines d'intrt de la discipline qu'ils reprsentent. Cerner les concepts de management public n'en devient que plus ncessaire. En particulier, il importe de vrifier que le management public a bien des attributs propres par rapport au management classique ou gnral.

    Les entits publiques prsentent des particularits qu'on ne saurait considrer comme accessoires au regard du management

    On peut voquer les facteurs de spcificit des organisations publiques de multiples faons. ANTHONY et HERTZLINGER, par exemple, numrent : l'absence de la mesure du profit, le fait d'tre des prestataires de service pour l'essentiel..., l'existence de contraintes pour leur financement, la domination des professionnels..., le caractre imprcis, diffus ou clat des responsabilits..., l'importance des influences politiques..., une tradition de systme de contrle de gestion inadquat (1). Laurence LYNN voque la proprit et la finalit organisation- nelles, les relations avec l'environnement, le point de vue et le contenu des dcisions, la structure de l'autorit (2). Michel MASSENET fait apparaftre l'essence des organisations publiques dans une sorte de dfinition : il s'agit d'organisations pluridimensionnelles qui manient des systmes de valeur et des systmes de mesures htrognes, dans lesquelles apparaissent des solutions de continuit entre le niveau du contrle gnral qui est politique et celui

    (1) ANTHONY et HERZLINGER, 1980, pp. 34-57.

    (2) LYNN, 1981, pp. 124-136.

  • Management public, management de la puissance publique 9 1

    de la gestion, comme entre la planification et la programmation (1). On peut encore voir dans la logique de l'intrt gnral et dans l'indpendance vis-- vis du march, la source de la particularit de la gestion des services publics (2).

    La faiblesse que prsentent la plupart de ces enumerations est double. Elles ne proposent pas un critre simple, dirimant, de sparation entre le public et le priv et obligent donc considrer, comme le fait explicitement LYNN, que bien que chacune des diffrences examines puisse tre raisonnablement considre comme une affaire de degr, leur addition est constitutive d'une diffrence de nature (3). Elles mettent l'accent sur des phnomnes qui peuvent n'tre eux-mmes que les consquences d'une cause premire. A cet gard, la tentative de LAUFER et BURLAUD de lier la notion de management public la notion de lgitimit, de donner une explication globale en dfinissant le macro-management ou management public au sens large comme ce que devient le management lorsque le public prend conscience de l'effet de l'action de l'organisation sur son environnement conomique et social (4) est plus sduisante.

    On partira cependant d'une enumeration des particularits que l'on croit distinguer dans les entits publiques, qu'elles se situent au regard des caractristiques conventionnelles des organisations, ou qu'elles soient extra-organ isation- nelles, rservant une troisime section la recherche d'une explication commune ces particularits.

    Les caractristiques particulires dans le public des lments constitutifs de l'organisation

    Toutes les organisations sont finalises, mais la nature de leur finalit diffre grandement selon que l'on a affaire une entreprise prive ou une organisation publique. Conventionnellement, on oppose la recherche du profit et le service public. Telle quelle, cette dichotomie est peu clairante. D'abord parce qu'elle met sur le mme plan une ralit aisment mesurable -ft-ce au prix de conventions draconiennes- et un concept beaucoup moins saisissable. Ensuite

    (1) MASSENET, 1975, p. 62.

    (2) BON et LOUPPE, 1980, pp. 31-37.

    (3) LYNN, 1981, p. 131.

    (4) LAUFER et BURLAUD, 1980, p. 52.

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    parce qu'elle repose sur un double postulat quant aux motivations et au comportement des entrepreneurs d'un ct, des gouvernants de l'autre. Le premier postulat, savoir que les entrepreneurs visent maximiser leur profit, qui est celui de la thorie conomique conventionnelle, a t largement infirm par les tudes des gestionnaires et conomistes d'entreprise (1). Le second, savoir l'orientation des organisations publiques vers l'intrt gnral, demande pour le moins tre prcis. C'est pourquoi une formulation plus prudente est prfrable et l'on peut noncer avec LYNN que *... le management priv est orient vers la performance conomique telle qu'elle est dtermine sur les marchs, tandis que le management public est orient vers l'intrt public tel qu'il est dtermin dans les forums politiques (2). Cela a l'avantage , dfaut de prciser la nature de l'intrt public, d'tablir un paralllisme intressant entre le march et le systme politique.

    La finalit de l'entreprise prive peut donc tre diverse : tout aussi bien que la maximisation du profit, ce peut tre la recherche d'un taux de croissance satisfaisant, la recherche d'une reconnaissance par la profession ou encore la satisfaction des besoins de ralisation de ses dirigeants. La caractristique commune de tous ces lments est d'tre des variables internes l'entreprise ou au cercle de ses membres. La finalit de l'entreprise est introvertie, elle n'est pas de changer un tat du monde ou plus modestement de son environnement. Les proccupations qu'elle peut avoir l'gard de ce dernier, (ne pas polluer par exemple), sont des contraintes qui manent des autorits publiques, ou qui rsultent des rapports de force dans lesquels elle est engage ou de sa volont de se comporter en bonne citoyenne ; ce ne sont pas des fins.

    Bien sr, on peut noncer que les entreprises prives rpondent par dfinition des besoins des consommateurs, puisque faute d'une demande s'adressant elles, elles disparaissent. Elles ont donc, l'vidence, un rle social et la main invisible conduit mme les plus gostes, celles d'entre elles qui sont les plus orientes vers le profit, tenir ce rle. Mais le rle n'est pas la finalit et l'entreprise reste finalise sur elle-mme (3).

    (1) Voir SIMON et la thorie de la satisfaction, BAUMOL et la thorie de la maximisation des ventes, MARRIS et PEN ROSE sur la recherche par les managers de la croissance de la firme.

    (2) LYNN, 1981, p. 114.

    (3) E. LEVY et alii, 1977, p. 37.

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    L'organisation publique-type, l'inverse, trouve sa justification dans la volont de changer un tat de l'environnement ou (ce qui revient au mme) de le prserver s'il est menac : il s'agit de contenir le chmage, d'viter les agressions extrieures, de faciliter les communications, de maintenir l'quilibre de la balance des paiements, etc. (1). Ce type de finalit n'a en lui-mme -sauf de points de vue politiques extrmistes (anarchie d'un ct, collectivisme de l'autre)-, aucune connotation positive ou ngative ; ce sont les domaines d'intervention et les modes d'intervention retenus qui seront interprts positivement ou ngativement par les diffrents segments de la population.

    Cependant, cette extraversion de la finalit va rendre plus complexe la bofte noire. Les organisations prives peuvent bien se caractriser par la transformation de moyens en produits ; pour les organisations publiques, la notion de produit va clater. Le vocabulaire RCB (2) est ici prcieux : le rsultat immdiat de l'activit d'une administration peut tre appel ralisation, qu'il s'agisse de nombre de dossiers d'attribution de primes traits, du nombre de plans d'occupation des sols (P.O.S.) labors, du nombre de placements (de salaris) effectus, du nombre de redressements fiscaux oprs... Le rsultat final de l'activit administrative peut tre qualifi d'impact, qu'il s'agisse des conomies d'nergie ralises grce aux incitations et rglementations publiques, de l'amlioration de l'urbanisme permise par les P.O.S., de la diminution du chmage entra f ne par l'activit de l'ANPE ou de celle de la fraude fiscale.

    Bien qu'il n'y ait pas, dans la plupart des cas, une solution de continuit entre la ralisation et l'impact, on peut tirer de cette dichotomie l'ide d'une double fonction de production : une premire fonction de production transforme les moyens en ralisations, une deuxime fonction fait passer de celles-ci l'impact. La nature des deux fonctions de production est distincte.

    La premire est classique, aisment comparable celle d'une entreprise prive ; les gestionnaires publics la maftrisent assez bien : un Directeur Dpartemental de l'Equipement connaft le volume de crdits, de matriels de types divers, la quantit d'hommes, de terrains dont il a besoin pour construire x kilomtres de route dans une rgion dtermine. Dans les diffrents services extrieurs

    (1) L. LYNN en arrive une formulation voisine lorsqu'il analyse la tche des managers publics En ralit, leur rle (...) est d'influencer le comportement (...) des autres institutions sociales : les Etats Fdrs et les collectivits locales, l'industrie prive et la famille par exemple, 1981, p. 137.

    (2) Cf. par exemple : Projet de loi de Finances pour 1979, Ministre des Transports, prsentation du budget sous forme de Budget de Programmes, Paris, Imprimerie Nationale, 1978, p. 9.

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    de l'Etat, l'on connaft le temps moyen qu'il faut pour traiter un dossier d'attribution de primes...

    La deuxime est moins orthodoxe : son output dpend en effet non seulement de la nature, de la quantit et de la combinaison des ralisations effectues (moyens utiliss), mais aussi du comportement de l'environnement, de ses ractions aux ralisations administratives : une politique d'aide aux investissements n'a pratiquement pas d'impact concret (en termes d'augmentation de la formation brute de capital fixe) quand les anticipations des entrepreneurs sont pessimistes. Une politique d'aide la natalit n'a que peu d'impact quand les valeurs sociales du moment s'y opposent ou que les prvisions des mnages en ce qui concerne leur avenir sont sombres. Les exemples abondent de politiques, caractrises par des ralisations importantes, qui sont des checs ; l'inverse, il est des politiques faibles, peu affirmes, qui dbouchent apparemment sur un impact important grce au concours d'un environnement trs favorable ; ainsi, certaines politiques anti-inflationnistes favorises par la baisse de cours de matires premires ou par une surproduction agricole.

    L'impact, par sa nature, va soulever plusieurs sries de difficults.

    D'abord, parce qu'il peut tre pluridimensionnel : la cration d'une ville nouvelle peut se traduire, tout la fois, par l'amlioration des conditions d'habitat pour ses citoyens, par des difficults accrues en matire de transport dans la zone o se situe la ville nouvelle, par des atteintes portes l'environnement cologique, par la relance d'un certain nombre d'industries du voisinage, etc. Sur chacune de ces dimensions, l'valuation des rsultats est difficile parce que les phnomnes qu'elles recouvrent sont complexes : les conditions d'habitat comprennent aussi bien le confort du logement que sa superficie, son environnement comme son esthtique... Pour certaines de ces composantes, peut en outre se poser un problme de mesure ; l'indicateur qui essaiera de les apprhender pourra tre partiel, biais ou traduire la subjectivit la plus grande (1) ; agrger ces indicateurs, pour avoir une estimation de l'impact selon une certaine dimension, est problmatique ; faire remonter l'agrgation, au niveau de l'ensemble des dimensions de l'impact d'une ralisation, l'est plus encore (2).

    Ensuite parce qu'il va poser des problmes d'imputation. On a not que la fonction de production qui fait passer de la (des) ralisations(s) l'impact comprend des inputs externes aussi bien qu'internes -les inputs externes peuvent

    (1) Cf. P. GIBERT, 1980, pp. 187-204.

    (2) Cf. Ph. de LAVERGNE, 1974.

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    d'ailleurs tre d'autres ralisations administratives, on y reviendra en traitant du problme des effets lis- ; la difficult qu'il y a dmler les parts de chacune de ces catgories de facteurs dans l'impact final va contribuer donner la discussion sur les choix publics, le caractre polmique qu'elle revt le plus souvent. Ce problme de l'imputation est un terrain classique du dbat politique ; les gouvernants s'attribuent les succs des politiques publiques et rejettent sur l'environnement les checs de celles-ci, les opposants font l'inverse (cf. les politiques anti-inflationnistes et celles de lutte contre le chmage).

    Encore, parce que l'impact ne peut se mesurer qu'en termes diffrentiels. L'impact, c'est la diffrence entre l'tat des choses qui rsulte de la mise en oeuvre d'une certaine politique, d'un certain programme, d'une certaine action administrative et l'tat des choses qui aurait exist en l'absence de cette politique ou de ce programme. Cet tat des choses de rfrence n'est pas forcment celui qui rgnait au moment o la politique est mise en oeuvre, car en l'absence de tout ajout de politique ou de programme, des volutions naturelles (1) de l'environnement auraient pu le changer. Par consquent, l'impact est valu non par rfrence une ralit mesure, mais par rapport l'estimation d'une situation hypothtique. Il y a, l encore, de quoi faire douter de la mesure et renforcer les polmiques.

    Enfin, parce qu'il existe normalement un dlai, d'importance trs variable, entre le moment o les ralisations d'une politique, d'un programme d'actions publiques sont effectues et celui o l'impact de ces ralisations est maximum. Il en rsulte qu'une mesure effectue un moment donn du temps risque d'apprcier en mme temps les impacts de politiques successives, voire contradictoires !

    La difficult d'valuation de l'impact reconnue, la tentation est forte de procder une nouvelle fois une analogie entre public et priv : n'y aurait-il pas pour les entreprises l'quivalent de la distinction entre ralisation et impact ? En particulier, ne peut-on trouver cet quivalent dans la dichotomie entre production et vente ? En effet, celle-l n'est dpendante que de l'aptitude de l'entreprise combiner les moyens de production, celle-ci dpend non seulement des efforts de la firme, mais aussi du comportement de l'environnement : apprciation par les consommateurs de leurs besoins, niveau prsent de leur pouvoir d'achat, anticipations de leur part, forces et faiblesses de la concurrence, etc.

    (1) Par naturelles, il faut entendre ici endognes l'environnement ou dues aux effets de politiques de l'organisme public considr ou d'autres organisations, peu importe, mais en principe indpendantes de la politique dont il est question.

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    Ce paralllisme est trompeur. La vente est l'acceptation d'un produit par la clientle : quand l'Agence Nationale pour l'Emploi ralise des placements, quand les Tlcommunications placent des lignes tlphoniques, ils vendent et pourtant ils n'effectuent l que des ralisations, leur impact est ailleurs : dans la rponse aux problmes du march de l'emploi, dans l'amlioration de la communication entre individus ou groupes, etc. L'impact, c'est la satisfaction de besoins sociaux rels ou supposs. Accessoirement, l'on peut noter que production et ventes sont homodimensionnelles et peuvent parfaitement s'exprimer en units de produit, mme si les conventions comptables font estimer celle-l au cot de production, celles-ci au prix de vente. A l'oppos, ralisations et impact sont le plus souvent htrodimensionnels : l'attribution de primes peut donner naissance des enfants : des papiers, de la rglementation en matire d'urbanisme peuvent engendrer une esthtique urbaine (1). Il rsulte de l'ho- modimensionnalit entre production et ventes que l'on ne retrouve pour le priv ni les problmes d'htrognit, ni ceux de mesurabilit qui rendent, difficile l'valuation de l'impact des politiques publiques (2). Il n'y a pas d'quivalent de l'impact ds l'instant o il n'y a pas de finalit externe.

    L'extraversion de la finalit des organisations publiques rend plus aigu le problme de la manifestation des prfrences idologiques des membres de ces organisations.

    Les choix stratgiques d'une firme prive ne sont, en gnral, gure contests par la masse de son personnel. Certes, en cas de difficults, ces choix font toujours l'objet d'une contestation ex post : les politiques aventuristes, l'expansion tout prix, l'incapacit s'adapter en adoptant de nouveaux modes de fabrication ou de nouvelles productions sont alors dnonces. Il est

    (1) Bien videmment, la vente par une entreprise prive peut s'analyser du point de vue d'un changement qu'elle apportera aux conditions de vie de ses acheteurs par exemple. La qualit marchande d'un produit va se dfinir par cela et la publicit qu'entreprendra l'entreprise mettra en lumire ce changement. Cette capacit satisfaire un besoin n'est normalement pour la firme qu'un moyen de promouvoir ces ventes : on reste dans le cadre d'une finalit interne. Changer le cadre de raisonnement, c'est passer du micro au macro-marketing (cf. supra).

    (2) Ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas de problmes de mesures pour les rsultats d'une politique prive. Une campagne de promotion de ventes par exemple ne peut voir son rsultat apprci que par comparaison avec une situation de rfrence (problme identique celui que l'on a not plus haut pour les organisations publiques) et que compte tenu des dplacements d'achats dans le temps : une augmentation des ventes la priode t due un avancement des achats par les clients, peut tre largement obre par une diminution aux priodes t + 1 ... t + n.

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    vrai aussi que, dans des cas exceptionnels, le personnel manifeste son hostilit une production qu'il considre comme socialement nuisible ou affiche sa prfrence pour une nationalisation. En rgle gnrale, cependant, les choix des produits et les modes de production ne sont gure critiqus sur le terrain idologique.

    Il en va diffremment pour les organisations publiques : les enseignants s'opposent leur ministre au nom d'une conception diffrente de l'ducation, les agents de la Direction Gnrale de la Concurrence et des Prix grognent lorsque la libration des prix entra f ne leur reconversion en surveillants de la concurrence, les postiers manifestent leur ire envers la cration d'une direction commerciale au sein de leur Direction Gnrale, les agents de l'ANPE manifestent une certaine grogne lorsque la direction gnrale de l'Agence met l'accent sur la ncessit de dmarcher les entreprises plutt que de se contenter de materner (1) les demandeurs d'emploi.

    On ne peut expliquer cet tat de fait ni par la seule propension naturelle la rsistance au changement, ni par la seule existence au sein de l'administration de nombreux groupes de professionnels ou d'experts, s'autorisant de leur expertise pour noncer leur conception des choses (2). On ne saurait non plus tout expliquer par la politisation des syndicats, ni par la crainte, non explicite le plus souvent, qu'auraient les intresss d'tre incomptents au regard des besoins en qualifications nouvelles qu'entrafnent les changements de politique qu'ils dnoncent.

    La vrit est qu'il y a dans une large mesure un conflit de rle entre le citoyen et le producteur, ds l'instant o la finalit des organisations publiques est extravertie et concerne des tats du monde auxquels chacun est sensible (3). L'interprtation de cette finalit en termes de grands objectifs ne peut laisser indiffrents ceux que leur travail rend plus sensibles encore. Quel que soit l'intrt social des autocuiseurs par exemple, il est normal qu'une modification

    (1) L'expression, qui n'est pas de la Direction de l'Agence, est habituelle dans les milieux sociaux.

    (2) Cette explication est cependant trs prsente chez des auteurs comme ANTHONY et HERZLINGER, 1980, pp. 45-46.

    (3) Cette sensibilit peut tre apprcie par le trs fort pourcentage des taux de rponses aux enqutes lances par les services publics. Cf. sur ce point BON et LOUPPE, opus cit, pp. 169-194.

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    dans la stratgie d'une firme qui en produit ne soit pas ressentie avec la mme acuit par ses employs que ne l'est un changement de la politique d'hospitalisation des personnes ges par des travailleurs sociaux. Quand le travail influe pour partie sur l'volution de la cit, il est comprhensible que la conception que l'on a de la cit chercher pouvoir se manifester dans le travail quotidien ou, du moins, ne pas tre heurte par les consquences attendues des travaux que l'on doit accomplir (1).

    On vient de voir que ce n'est qu'au prix d'une simplification draconienne que les concepts de finalit et de fonction de production crent, de pair avec la notion d'agencement des structures, une communaut entre entits publiques et entits prives. On vient de constater l'clatement pour les organisations publiques de la notion de produit entre ralisation et impact ; au sein mme des ralisations administratives, on peut constater un nouvel clatement du concept de produit administratif, clatement qui est entra f n par la pluralit des modes d'intervention de la puissance publique.

    Les rapports essentiels d'une entreprise prive avec son environnement se caractrisent par l'change, le contrat, l'accord de volonts ; l'change s'effectue le plus souvent entre bien ou service d'une part, monnaie de l'autre. Certaines organisations prives chappent ce schma : finances par des cotisations rgulires et/ou par des dons et legs spontans ou sollicits, elles donnent sans contrepartie : mdicament, nourriture, habillement, activits de loirsirs aux segments de la population auxquels elles se consacrent. Ces organisations charitables font partie de l'ensemble des organisations sans but lucratif qui pour la plupart ont galement, avec l'environnement, un mode de relation qui n'est pas fond sur l'achat-vente : la reprsentation des intrts auprs des pouvoirs publics, la dfense des intrts des travailleurs, le culte du souvenir d'un homme, d'un mouvement de pense, d'une cole, la pratique de certains loisirs... s'effectuent dans un cadre non marchand. Mais les actions entreprises par ces groupes n'ont d'impact que s'il y a accord de volont, spontan ou plus ou moins contraint -cas des avantages obtenus l'issue d'une grve- de la portion de l'environnement concerne.

    Par ailleurs, les entreprises prives classiques entretiennent elles-mmes avec l'environnement des relations qui ne se caractrisent pas par l'change : certaines sont exceptionnelles comme les tentatives qu'elles peuvent faire de renverser un gouvernement, d'autres sont mineures comme les cadeaux promotionnels qu'elles offrent, d'autres enfin sont plus rgulires et plus importantes et constituent les effets externes nots et regretts de longue date par l'cole no-classique.

    (1) Que ce soit lgitime est une autre chose.

  • Management public, management de la puissance publique gg

    Quand une entreprise pollue son environnement par le bruit qu'elle met, par les odeurs qu'elle distille, par la fume qu'elle rejette, par les effluents qu'elle rejette dans les cours d'eau, elle impose unilatralement une charge des entits et des individus qui lui sont extrieurs. En sens inverse, quand, par son installation en un lieu, elle augmente le pouvoir d'achat de la communaut locale, elle redresse les finances communales, elle permet l'augmentation ou le maintien des classes d'enseignement..., tous ces effets positifs n'ont pas de contrepartie directe (1).

    Les effets externes sont une ralit mais, sauf renverser l'ordre des valeurs -et faire pour les firmes prives du management public au sens de LAUFER et BUR LAUD-, on ne saurait dduire de leur existence une pluralit, significative pour la gestion des entreprises, de leurs modes de relations avec leur environnement. Ils constituent une exception au fonctionnement normal du march et ils ne sont que des sous-produits de l'activit de la firme. La conduite de celle-ci -exception faite des contraintes que l'Etat peut lui imposer pour restreindre l'mission d'effets externes ngatifs-, repose fondamentalement sur la relation d'changes avec l'environnement. Ce n'est pas pour rien que les effets externes sont recenss au nombre des imperfections du march.

    Les administrations publiques, en revanche, ont une activit qui repose sur la pluralit de leurs modes d'intervention. Elles prlvent unilatralement des ressources, en distribuent et offrent des prestations sans contrepartie -aux individus ou entreprises prsentant certaines caractristiques-, elles interdisent, en sens inverse, elles obligent faire (faire son service militaire, rpondre aux questionnaires de recensement, dans certains pays voter, etc.) et plus gnralement rglementent les comportements. Ces modes se surajoutent la relation d'achat-vente qu'elles connaissent galement pour assurer leur approvisionnement, pour se procurer la main-d'oeuvre dont elles ont besoin, comme pour couler certains de leurs produits.

    Cette pluralit des modes d'intervention va entrafner des proccupations de management que n'ont pas connaftre les entreprises prives. La plupart des politiques publiques, y compris les plus modestes, peuvent s'appuyer sur la combinaison de plusieurs de ces modes d'intervention : pour dcongestionner le centre ville d'une agglomration, on peut multiplier les interdictions de stationner et accentuer la rpression du stationnement irrgulier, augmenter le nombre de places de parking hors de la voie publique, interdire l'accs du

    (1) Du moins dans une authentique conomie de march car dans une conomie concrte, en reconnaissance justement de ces effets externes positifs, on accorde des aides l'entreprise considre.

  • 100 Patrick GIBE RT

    centre aux vhicules particuliers, tenter des campagnes de dissuasion, amliorer la frquence et la commodit des transports en commun, les rendre ventuellement gratuits, etc.

    Chaque administration se trouve donc face au problme de la dtermination d'une combinaison optimale -ou du moins d'une combinaison satisfaisante- des modes d'intervention retenus. C'est l, si l'on prfre, le problme de la dtermination de la structure d'inputs dans la seconde fonction de production, celle qui fait passer des ralisations l'impact.

    Mais les critres de choix de la combinaison ne sont pas uniquement ceux de l'efficacit et de l'efficience. Les modes d'intervention, contrairement aux inputs classiques, ne sont pas neutres. Ils peuvent tre irrguliers en eux-mmes (corves) ou au regard des objectifs de la politique mene. Ainsi, en France, la jurisprudence des tribunaux de l'ordre administratif veille une certaine adquation entre les fins poursuivies et les moyens utiliss (ou l'intensit de ces moyens). Ils peuvent tre aussi politiquement inopportuns et la responsabilit des gestionnaires publics s'apprcie sur ces deux dimensions aussi bien que sur la dimension managriale (1). Ils peuvent tre, enfin, idologiquement inconcevables. On y reviendra.

    Les lments de spcificit qui ne rentrent pas dans le schma classique de l'organisation

    Au regard des lments constitutifs de toute organisation, les organisations publiques prsentent, on vient de le noter, des spcificits certaines. Ces facteurs de diffrenciation par rapport aux entreprises prives se doublent d'lments extra-organisationnels. Nous entendons par l des traits qui ne figurent pas au nombre des modalits que peuvent prsenter les attributs gnralement considrs comme caractristiques des organisations. Les organisations publiques se signalent en particulier par l'interdpendance de leurs actions, par leur dpendance envers le pouvoir politique, par les traits du systme juridique dans lequel elles baignent.

    Les organisations publiques constituent chacune un ensemble distinct mais font partie galement - l'exception peut-tre des collectivits locales (2)-

    (1) Cf. P. GIBERT et F. BERNARD, 1977.

    (2) En effet, si l'on considre que les collectivits locales dterminent librement - l'intrieur de leur propre domaine de comptence- leurs propres objectifs, il n'y a pas lieu, d'un point de vue organ i- sationnel, d'en faire une composante du systme Etat et les contradictions entre politiques nationales et politiques locales sont alors choses naturelles, ce que ne sont pas les contradictions entre les politiques de deux administrations d'Etat.

  • Management public, management de la puissance publique 1 0 1

    d'une organisation plus vaste qui est l'Etat. Cette appartenance se traduit par l'absence d'une personnalit morale propre (cas des ministres) ou par l'existence d'une tutelle de l'Etat pesant sur l'organisation (cas des tablissements publics). Les administrations ont beau tre spcialises, se voir dfinir chacune leur domaine de comptence, leurs actions interfrent largement : la fiscalit procure des ressources l'Etat mais encourage ou freine certains types d'activits conomiques ; la politique fiscale du ressort du Ministre du Budget ne peut tre mene indpendamment des politiques sectorielles : agriculture, commerce, industrie. La politique du logement a une influence sur le prix des terrains agricoles, sur les problmes de la politique des transports, sur le rseau des tablissements scolaires, etc. La politique d'enseignement a une influence sur le march du travail, sur les saisons touristiques, sur l'industrie du livre... Ce genre d'exemples est multipliable l'infini. Chaque administration produit donc des effets externes qui touchent d'autres administrations. Au niveau de l'Etat dans son ensemble, le caractre d'externalit disparaft, il ne reste plus que l'ide que tout acte, toute dcision administrative prise au regard d'un certain champ d'action ou de certains objectifs a des effets qui lui sont indissociablement lis et qui touchent d'autres champs d'actions, d'autres objectifs. On a propos, par ailleurs, d'appeler ces effets : effets lis (1).

    Certains auteurs ont soulign l'importance de cette interdpendance des actions : l'interaction est inhrente aux politiques publiques ; c'est peut-tre leur caractristique la plus remarque pour se plaindre du peu de suite thorique que l'on donne gnralement cette constatation (2).

    D'autres ont soulign les contradictions qu'elle entrafne dans l'action publique, considre dans sa globalit, au regard d'un objet : nies automobiles doivent tre sres (selon le Ministre des Transports), efficientes du point de vue nergtique (selon le Ministre de l'Energie) et non polluantes (selon l'Agence pour la Protection de l'Environnement). Les rglementations promulgues par ces organisations se contredisent mutuellement. La scurit est, grosso modo, directement fonction du poids de l'automobile, mais le poids est l'ennemi de l'efficience nergtique. Quant aux quipements de contrle de l'mission de pollution, ils ajoutent aussi du poids aux vhicules... (3) .

    (1) Cf. P. GIBERT et F. BERNARD, 1977. Les notions plus classiques d'effets pervers et d'effets contre- intuitifs sont ici, en effet, dplaces.

    (2) GREENBERG et alii, 1977, p. 1 041.

    (3) B.M. ENIS, M. KANGUN et M.P. MOKWA, Public Policy Development : a Marketing Perspective in C. LOVELOCK et C. WEINBERG, 1978, p. 35.

  • 102 Patrick G I BERT

    Insuffisamment tudis, ces effets lis contribuent pourtant expliquer un certain nombre de tendances profondes de la gestion publique : lenteur du processus de dcision -sauf pour les problmes auxquels le pouvoir politique est fortement sensibilis-, centralisation de la dcision, prudence des dcideurs.

    Les effets lis, qui mettent en cause la cohrence de l'ensemble de l'action publique, sont un facteur de ralentissement de cette action. Le responsable d'une politique doit s'assurer que ses services ont envisag la possibilit que les mesures tudies produisent des effets pervers au regard d'autres politiques et s'assurer de l'accord, de la neutralit bienveillante ou de l'inconscience temporaire des administrations ou services ventuellement touchs.

    Les effets lis sont galement un facteur de centralisation, au niveau central comme au niveau local. Ainsi, les consquences ventuelles de la dcision d'un chef de service extrieur de l'Etat sur l'ordre public, entendu dans un sens large, justifient l'autorit que le Prfet, responsable du maintien de cet ordre, exerce sur la plupart des chefs de services extrieurs. L'analogue avec le secteur priv est, une fois encore, d'une porte limite : nombre d'entreprises appartiennent bien des groupes ou des holdings et abandonnent ceux-ci une partie de ce que sont les prrogatives d'organisations indpendantes ; cet abandon se justifie par le besoin de rapprochement des systmes de gestion plutt que par l'interdpendance des productions ; il peut bien y avoir des relations de complmentarit ou de concurrence entre les produits des diffrentes entreprises d'un groupe ; il n'y a pas d'interfrences du genre de celles voques plus haut : en commercialisant un produit nouveau, on ne modifie pas les caractristiques objectives des autres produits (1).

    Les effets lis renforcent enfin la tendance un comportement prcautionneux des managers publics, dans la mesure o ils peuvent aboutir faire juger leurs politiques, leurs actions sur les rsultats qu'elles ont produits dans des domaines dont ils ne sont pas responsables, plutt qu'au regard de leurs objectifs propres : l'initiateur d'un programme de contrle fiscal, qui se rvlera trs mal accept par la population, risque d'tre mal jug par le pouvoir politique, mme si le contrle a t efficace. L'importance des effets lis renforce l'importance de la notion de pertinence dans le comportement des responsables administratifs (2).

    (1) Ce qui n'empche pas, bien sr, la modification de leurs parts de march ou celle de leurs images auprs du public.

    (2) Sur le concept de pertinence, cf. F. BERNARD et P. GIBERT, 1977, pp. 233-236.

  • Management public, management de la puissance publique 1 03

    La dpendance envers le pouvoir politique. Jusqu'ici, nous avons la plupart du temps utilis le mot politique dans l sens de programme. Une politique peut se dfinir comme un ensemble relativement cohrent de mesures visant la modification ou la prservation des caractristiques de l'environnement d'un certain point de vue. Il nous faut maintenant traiter de la politique comme du phnomne lgitime, en dmocratie, de lutte permanente pour la conqute ou la prservation du pouvoir. Est, en gros, considr comme pouvoir politique l'ensemble des personnes qui tirent leur lgitimit d'un processus d'lection et celles qui sont responsables vis--vis d'elles et pleinement associes leur sort.

    Les administrations, les fonctionnaires sont subordonns -et c'est tout--fait lgitime- au pouvoir politique. Bien que les auteurs, l'exception de M. MASSENET (1), y fassent peu souvent allusion, leur management ne peut tre que marqu par les tendances profondes ou les contraintes de celui-ci. Plusieurs tendances apparaissent de ce point de vue, particulirement ngatives : l'absence d'explication vritable des objectifs poursuivis, l'valuation par les crises, la prfrence pour le court terme, l'ambigut du discours.

    Des objectifs, l'administration en a : les grandes lignes d'actions qualitatives d'un ct, les objectifs concrets, parcellaires, oprationnels de l'autre foisonnent. Ce qui est le plus souvent absent, ce sont les lments de raccord entre les deux. Cette absence a certes des raisons techniques ainsi qu'on l'a not en traitant des problmes de mesure de l'impact, mais elle s'explique surtout par le risque qu'il y a que l'explicitation mette les pouvoirs publics dans une situation dlicate. Comment peut-on noncer par exemple : notre objectif est que le nombre de chmeurs n'augmente pas de plus de 10 % dans l'anne ? Ou encore que 7e coefficient de concentration des sa/aires soit de x % ? Dans le premier cas, a serait oublier toute la force de l'affectivit qu'il y a dans la politique, le fait qu'elle est dans une certaine mesure la ngation des contraintes ; dans le deuxime cas, c'est courir le risque de voir -sous rserve de la comprhension du coefficient- une moiti de la population trouver l'objectif trop lev, l'autre le trouver trop faible et toutes les deux en tirer une apprciation ngative pour les gouvernants.

    On a coutume d'noncer que faute d'un systme d'coute permanent des attentes et besoins du public ainsi que de ses ractions quotidiennes aux dcisions

    (1) Opus cit p. 45 o il nonce la ncessit de tenir compte de la subordination des organisations publiques au pouvoir politique. Dans la prface ce livre, p. 11, 0. GELINIER exprime sous une forme diffrente la mme ide : le management public est conditionn par son interface omniprsente avec les forces politiques et leurs diffrents organes.

  • 104 Patrick G I BERT

    de l'administration qui la touchent, l'valuation par les crises tient lieu dans l'administration de systme de contrle marketing (1). Le bon manager public serait celui qui ne provoque pas volontairement ou involontairement de crise dans la relation entre l'administration et son environnement. Quelles que soient la porte relle de cette affirmation et la diversit des explications donnes ce phnomne (elles peuvent aller de la dnonciation du manque de courage des hommes celle de l'incapacit de maftriser les techniques des indicateurs de gestion et des sondages), on doit observer que l'valuation par les crises n'est qu'une des manifestations du caractre protiforme de la notion de politique. Devient politique tout problme pour lequel la sensibilit provoque ou spontane de l'opinion est forte, quelle que soit l'importance objective -si tant est qu'on puisse la mesurer- du problme (2). C'est l, bien sr, un nouveau facteur de centralisation car il incite les fonctionnaires, au moindre incident avec l'environnement, provoquer la remonte de l'affaire attendant instructions, directives ou couvertures pour le cas o elle s'aggraverait. Mais c'est galement un facteur de conservatisme car toute modification de l'tat des choses existant porte atteinte des intrts particuliers et risque de dgnrer en crise avec un segment de l'environnement (3). La carence dans l'action est moins perceptible ou mieux tolre par l'extrieur. LYNN note par exemple qu'aux Etats-Unis, le dirigeant d'une administration qui exerce ses responsabilits d'une faon passive et en se cantonnant aux devoirs de sa charge, tout en vitant les controverses politiquement dommageables, n'encourra pas de censure pour cela. Les forces mmes qui militent contre des grandes ralisations protgent contre l'chec (4). C'est enfin un lment dissuasif dans la recherche de solutions optimales, les solutions de compromis tant moins susceptibles de provoquer des remous.

    (1) Cf. par exemple J. BON et A. LOUPPE, L'Adaptation de l'Administration aux Administrs, Revue Administration, n 90, dcembre 1975, pp. 61-65.

    (2) La crise n'est pas toujours mai 1968. Les rclamations, les ptitions en sont une forme larve. Pour reprendre le vocabulaire d'HIRSCHMAN (opus cits) dfaut de pouvoir quitter (exit) leur administration-fournisseur pour obtenir de meilleures prestations ou un meilleur traitement, les administrs donnent de la voix (voice).

    (3) Ce risque pour le management public est renforc par ce que Stanley HOFFMAN a appel le total isme de la vie politique franaise. Il entend par l le fait qu'une dimension idologique (est) adopte par pratiquement tous les mouvements protestataires et choisit l'exemple du mouvement poujadiste, une rbellion de boutiquiers contre un renforcement de contrle fiscal devient rapidement un appel la rsistance contre la dcadence franaise et pour la convocation de nouveaux Etats Gnraux. Essais sur la France, Le Seuil, 1974, pages 165 et 166.

    (4) LYNN, 1981, p. 69.

  • Management public, management de la puissance publique 1 05

    La prfrence pour le court terme est lie aux chances lectorales, elle est dans une certaine mesure une question de survie,

  • 106 Patrick GIBERT

    les choix de la technostructure administrative. Ce qui est important, c'est que quel que soit le sige rel du pouvoir, quel que soit le processus concret de dcision, ceux qui gouvernent sont obligs de se couler dans le moule politique, de raisonner dans le cadre de sa rationalit, d'admettre ses rgles du jeu, fussent- elles antimanagriales. Ce qui importe est que le management public soit le lieu permanent de la confrontation entre une rationalit politique et une rationalit conomique (1).

    Les organisations publiques sont dans une position particulire au regard du droit : elles en crent -puisque c'est un de leur mode d'intervention majeur-, mais surtout elles sont, en France en tout cas, soumises un droit particulier : le Droit Public. Elles ne sont, en principe, pas dans une relation d'change avec leur personnel, puisque celui-ci est sous statut, les contrats qu'elles passent avec leurs fournisseurs comportent des clauses exorbitantes du droit commun, leurs rgles comptables contredisent sur plusieurs points importants le plan comptable gnral... Mme dans les pays de tradition anglo-saxonne, les besoins du fonctionnement des organisations publiques ont donn naissance un administrative law dont la croissance est forte. Il serait intressant de revenir sur la dialectique Droit Public, Management Public et sur l'impact que ce systme juridique particulier a sur chacune des fonctions du management ; nonons simplement ici que dans la plupart des cas, il impose au gestionnaire public des contraintes qui peuvent rendre ses actions et ses dcisions diffrentes de ce qu'elles auraient t dans un management sans contrainte.

    L'ensemble de ces particularits s'explique par le fait de la puissance publique

    A ce point, nous avons rpertori un certain nombre de facteurs qui paraissent donner une coloration particulire au management public : poursuite d'une finalit externe (et ses consquences sur la dualit ralisation/impact) ainsi que d'intervention, effets lis, dpendance envers le pouvoir politique, situation particulire au regard du droit.

    Il reste dterminer si ces facteurs de particularit constituent des caractristiques essentiellement indpendantes et dont chacune pourrait tre partage par d'autres organisations que les organisations publiques, faisant alors que la spcificit du management public n'est due qu' une conjonction d'lments inhabituels dans les organisations classiques, c'est--dire prives but lucratif. Ou si, au contraire, ces facteurs sont lis, se renforcent mutuellement et trouvent leur origine dans une cause commune.

    (1) Sur le concept de pluralit des rationalits et le dveloppement de la logique de chacune d'entre elles. Cf. DIESING, 1962.

  • Management public, management de la puissance publique j 07

    La recherche du facteur explicatif suprme requiert des emprunts des disciplines qui ont dj propos des critres de partage entre le public et le priv. La science conomique et le droit sont dans ce cas. Celle-l nous propose au moins deux oppositions a priori pertinentes pour notre problme : la dualit du marchand et du non marchand, l'opposition biens collectifs/biens privs. Celui-ci nous offre la dichotomie puissance publique/service public.

    La distinction marchand/non marchand ne nous para ft pas un point de dpart heureux : elle donne de la moiti du monde une dfinition purement ngative, sous-entendant que le caractre normal est d'tre marchand ; elle correspond mal en fait et de plus en plus (compte tenu de l'extension du public) au partage des activits entre le public et le priv, puisque nombre d'organisations publiques sont marchandes (toutes les entreprises publiques bien sr, mais aussi les PTT, les hpitaux, certains services publics municipaux...). Elle nous invite surtout remonter d'un cran et rechercher pourquoi il existe une sphre du marchand et une sphre du non marchand.

    La distinction biens collectifs/biens privs est plus prometteuse : en nonant qu'il existe des biens comme la dfense nationale, qui ne sont pas divisibles et de la consommation desquels personne ne peut tre exclu, on se situe en effet en amont de la distinction prcdente puisqu'on explique qu'il existe donc des biens qui ne peuvent tre vendus sur un march et dont l'existence, faute de pouvoir compter sur une cotisation spontane de chacun, est lie l'exercice de la contrainte, en particulier de la contrainte fiscale.

    Cette ide que la sphre du public se caractrise par la substitution la relation d'change de la relation de contrainte (1) nous rapproche de la distinction des publicistes puisqu'un des deux termes de celle-ci -la puissance publique- fait explicitement rfrence la contrainte. Eliminons d'abord l'autre terme, savoir le service public.

    Une quation inintressante : management public = management du service public

    II est ncessaire ici de faire la part entre la vulgate du service public -qui est un facteur de conservatisme et un lment de rsistance la modernisation de la gestion des administrations- et la thorie des services publics telle qu'ont pu

    (1) Trs dveloppe par exemple chez A. BARRERE , Economie et Institution Financires, Tome I, Institutions Financires, pp. 28-35, prcis Dalloz, premire dition, 1965.

  • 108 Patrick GIBERT

    la btir les publicistes. On sait qu'il existe des services publics deux acceptions : une acception matrielle et une acception organique. Bien qu'il n'existe aucune dfinition lgale du service public et que la doctrine ne soit jamais parvenue un consensus sur une formule (1), il semble que les dfinitions les plus rpandues mlangent des degrs divers les deux acceptions.

    DUGUIT (2), ROLLAND (3), HAURIOU (4), au-del de certaines divergences, ont qualifi de service public tantt l'activit, tantt l'organisation, ils ont voqu tantt l'intrt gnral, tantt les besoins, sont arrivs la double ide que les lments constitutifs du service public sont la recherche de l'intrt gnral (aspect matriel) et l'intervention sous une forme ou une autre de l'administration (aspect organique), ce que J. CHEVALIER a synthtis en assimilant le service public tune activit d'intrt gnrai gre par l'administration ou par une personne prive condition que celle-ci soit investie de sa mission par les pouvoirs publics et soumise leur contrle (5). C'est cependant ce mme auteur qui a mis en lumire le faux-semblant du paralllisme entre le critre matriel et le critre organique mil y a une vritable prsomption que l'administration agit dans le sens de l'intrt gnral et il est trs difficile de dcouvrir un critre objectif permettant de contredire cette prsomption. Toutes les activits publiques ont donc en principe le caractre d'activit de service public et ceci montre que, sur ce plan, le critre organique conserve une trs grande importance (6) .

    La deuxime phrase se termine par un doux euphmisme : le critre matriel semble en effet le seul oprant, service public devient synonyme d'organisation publique et le concept ne peut donc servir expliquer la dite spcificit des organisations publiques.

    (1)Cf. Evelyne PISIER-KOUCHNER, opus cit, p. 141.

    (2) L. DUGUIT, Trait II, troisime dition, p. 61, cit par E. PISIER-KOUCHNER, opus cit.

    (3) Louis ROLLAND, Prcis de Droit Administratif, neuvime dition, Librairie Dalloz, p. 1 et 2.

    (4) Maurice HAURIOU, Prcis de Droit Administratif, premire dition, 1982, p. 150, cit par Lucien SFEZ, opus cit, p. 136.

    (5) J. CHEVALIER, opus cit, p. 20.

    (6) Idem, p. 11.

  • Management public, management de la puissance publique 1 09

    II est vrai que plusieurs auteurs ont tent de faire le pont entre management et service public, mais leurs tentatives n'ont pas toujours t convaincantes. Jouant avec bonheur sur les mots, SAIAS et LEONARDI ont voulu rapprocher service du public et service public. Ils ont surtout abouti mettre en lumire les facteurs qui font qu'une organisation publique est, ou non, au service du public car ils semblent avoir utilis le terme de service public dans un sens purement synonyme d'organisation publique (1).

    M. MASSENET a not la versatilit et l'imprvisibilit de l'valuation par les publics de la gestion au motif que l'opinion ... peut remettre en cause une gestion correcte publique et rentable si l'ide qu'elle se fait de la finalit d'un service public vient changer (2) .

    Ph. GALY (3), plus constructif, a constat qu'actuellement l'efficacit n'est pas un principe du service public et que mme si elle est suppose implicitement (4) : ce principe ne pourrait avoir de valeur juridique : il n'y a pas de recours devant la juridiction administrative pour m inefficacit administrative, comme il y a un recours pour excs de pouvoir (5) et s'est tir d'affaire en proposant la reconnaissance de la recherche de l'efficacit comme nouveau principe de service public (6).

    LAUFER et BUR LAUD semblent avoir admis que le service public tait au moins un des fondements du management public puisqu'aprs avoir fond la notion de management public sur l'ide d'une lgitimit diffrente (de celle des entreprises prives traditionnelles), ils noncent : la rgle qui attribue un conflit la juridiction administrative dfinit l'extension de la lgitimit de l'action administrative (7).

    (1) SAIAS et LEONARDI, Service Public et Service du Public, Revue Franaise de Gestion, n 10, mai/aot 1977, p. 9 et suivantes. Ils ont nonc que le pouvoir de contrainte des services publics est fonction inverse du pouvoir discrtionnaire du consommateur et du degr de substituabilit l'offre de produits qu'ils effectuent.

    (2) Opus cit, p. 61.

    (3) Qui, rappelons-le, n'admet pas le terme du management.

    (4) GALY, opus cit, p. 77.

    (5) Idem, p. 78.

    (6) Idem, p. 180.

    (7) LAUFER et BURLAUD, opus cit, p. 20.

  • 110 Patrick G I BERT

    Seuls 0. GELINIER et M. DURUPTY ont abord de front le problme d'une ventuelle antinomie entre management et service public. 0. GELINIER l'a fait avec prudence, voquant cette antinomie sur le mode interrogatif et avec un souci d'tre constructif : peut-tre le management public ne sera-t-il rellement fond que lorsqu'il aura renouvel la thorie du service public (1). M. DURUPTY a vu l'antagonisme d'un oeil plutt critique en estimant que dans certains domaines l'introduction du management pouvait traduire un loigne- ment encore plus sensible des objectifs de service public (2).

    En tout tat de cause, aucun de ces auteurs n'a vritablement pos l'quation management public = management des services publics (3) et ce n'est pas du ct de la littrature amricaine qu'il faut chercher le palliatif de cette carence.

    Une voie plus fructueuse : le rapprochement des concepts de biens collectifs et de puissance publique

    Revenons donc la puissance publique : parmi les concepts juridiques, c'est celui qui permet la meilleure problmatique du management des organisations publiques ; de la mme manire que parmi les concepts conomiques, c'est celui de biens collectifs qui est le plus significatif au regard de ce management ; encore, les deux concepts renvoient l'un l'autre. On sait que la puissance publique est la force de contraindre en vertu d'un titre de lgitimit et (que) ce titre est confr par la souverainet (ou pouvoir politique ou pouvoir de domination) (4) et que les expressions souverainet, pouvoir politique, pouvoir de domination sont synonymes... et l'on peut dire dans le mme sens puissance publique (5).

    (1) En prface M. MASSENET, opus cit, p. 11.

    (2) L'argumentation est la suivante : le strict point de vue de la rentabilit dplace les buts de la comptabilit publique, l'adoption de l'informatique soulve des inquitudes quant l'intrt public. La puissance de l'instrument de gestion, de calcul et de recherche que reprsente l'informatique engendre des problmes d'thique concernant l'influence des organismes qui stockent des donnes dont ils peuvent se servir comme instrument de pouvoir. Comment rpondre de tels dfis, ds lors que l'informatisation de l'administration en remet en cause les structures mmes dans des proportions inconnues ?... En d'autres termes, l'impratif de gestion tend dterminer les structures de l'organisation publique. La rforme administrative devient tributaire de l'instrument lectronique, le moyen se substitue la fin.

    (3) Certains semblent mme s'tre orients rcemment vers la direction inverse, cf. LAUFER et BUR LAUD : le management est en effet le management du pouvoir public, 1982, p. 678.

    (4) L. DUGUIT, Trait I, troisime dition, p. 544, cit par E. PISIER-KOUCHNER, opus cit, p. 62.

    (5) Idem, p. 62.

  • Management public, management de la puissance publique -j 1 1

    Le management public est le management des biens collectifs

    La notion de biens collectifs est envahissante dans les socits contemporaines. La contribution de Mancur OLSON est cet gard dcisive ; c'est lui qui a soulign que la ralisation de tout objectif commun ou la satisfaction de tout intrt commun signifie qu'un bien public ou collectif a t fourni un groupe ( 1 ) . En d'autres termes, une politique ou un programme d'action public est un bien collectif par l'impact qu'il vise, quel que soit le caractre des ralisations sur lesquelles il dbouche.

    Du point de dpart d'OLSON notre dernire proposition, le cheminement n'est cependant pas direct. OLSON, en effet, est parti de l'analyse de pratiques syndicales anglo-saxonnes comme l'adhsion obligatoire un syndicat dtermin des salaris d'une entreprise ou comme le monopole d'embauch concd par une entreprise un syndicat ; il a justifi ces formes de contrainte en faisant la notation classique que les avantages que les syndicats acquirent par le rapport de force ou la ngociation profitent tous les salaris syndiqus ou non et que, ds lors, l'incitation se syndiquer est faible, qu'en consquence la coercition tait le prix payer pour que l'action des syndicats soit efficace. Les rsultats de l'action syndicale sont un bien collectif pour le groupe des salaris et en dfinitive c'est la fourniture des services et biens collectifs, et non la nature publique ou prive ou d'autres caractristiques des institutions dispensatrices de ces biens, qui dtermine dans une large mesure la libert conomique (2).

    Ainsi en arrive-t-on l'ide que l'existence de la contrainte n'est pas lie au public et son tendue (3). On para ft loin de la double quation puissance publique = contrainte = services collectifs. On y revient pourtant si l'on considre que la situation qu'tudie OLSON traduit une certaine dsagrgation de la puissance publique, le fait que l'organisation tatique n'a plus le monopole de la contrainte organise et que si vritablement les fruits dfendus de l'adhsion obligatoire sont recherchs par toutes les organisations professionnelles (4), alors on peut dire que les corporations modernes en viennent se conduire en gouvernement miniature (5). Dlaissons pour l'instant ce risque d'clatement de la souverainet et revenons l'ide que toute l'activit publique se ramne une fourniture de biens collectifs.

    (1) Mancur OLSON, p. 37.

    (2) Idem p. 123.

    (3) Idem, pp. 121-122.

    (4) Idem, p. 165.

    (5) Idem, p. 166.

  • 112 Patrick G I BERT

    Au dpart, la dfinition des biens collectifs laisse en dehors de son champ une partie importante des ralisations de l'administration puisque ce sont ceux dont tous peuvent bnficier en commun, c'est--dire dont la consommation par individu ne diminue en rien la quantit disponible de ce bien pour n'importe quel autre individu (1), mais vite l'on doit constater que le champ des biens collectifs est plus large. D'abord parce qu'il existe des biens mixtes : la vaccination de nombreux individus (bien priv), en diminuant les chances de propagation d'une maladie, amliore l'tat sanitaire gnral (bien collectif). Ensuite parce que des inefficacits naissent lorsque la satisfaction des besoins privs est confie au processus du march et chaque fois que c'est le cas, on peut dire qu'un lment de besoin collectif se trouve impliqu (2). Si finalement MUSGRAVE tablit une distinction premptoire (3) entre les besoins collectifs proprement dits et les besoins tutlaires qui visent les remdes aux inefficacits ..., il fonde en fait cette distinction sur un postulat des plus contestables, savoir que la satisfaction des besoins collectifs (devrait tre soumise au principe de la souverainet du consommateur (4), celle des besoins tutlaires ide par sa nature mme ... implique que l'on porte atteinte la souverainet du consommateur (5). La deuxime proposition est vidente (voire tautologique), la premire laisse perplexe car au nom de quoi les prfrences des consommateurs-citoyens, supposer qu'on puisse les faire expliciter sans biais, aboutiraient-elles une solution que les gouvernants trouveraient satisfaisantes ; on peut, au contraire, penser que l'esprit tutlaire des gouvernants peut d'autant plus s'en donner coeur joie dans les besoins collectifs qu'ils ont peu de chances de trouver en face d'eux une claire expression du dsir de leurs mandants qu'il leur faudrait enfreindre comme a peut tre le cas pour des biens tutlaires ! (6).

    (1) P.A. SAMUELSON, 1954, La thorie pure des dpenses publiques reproduit de la Review of Economies and Statistics, vol. 36, 1954, pp. 387-389, dans X. GREFFE, 1978, p. 12.

    (2) R.A. MUSGRAVE, Une thorie pluridimensionnelle de la gestion de l'Etat reproduit de The theory of public finance : a study in public economy, Me Graw Hill, International Studies Edition, 1959, pp. 23-27, in X. GREFFE, 1978, p. 303.

    (3) Idem, p. 308.

    (4) Idem.

    (5) Idem, p. 309.

    (6) La mise sur pied de la force franaise de dissuasion donne l'exemple-type de la ralisation tutlaire d'un bien collectif.

  • Management public, management de la puissance publique 113

    Ou la notion de biens collectifs n'est pas limite aux seuls biens de la jouissance desquels on ne peut tre priv, ou mieux vaut considrer que les besoins collectifs ne sont qu'un cas particulier des besoins tutlaires. Dans les deux cas, les gouvernants veulent prserver ou modifier un tat de l'environnement, leur attitude est dicte par une insatisfaction devant une situation provoque par le fonctionnement du march perturb par des politiques antrieures ou par l'impossibilit d'existence d'un march (cas des biens indivisibles). Peu importe ce niveau-l. L'essentiel est la prtention des gouvernants d'avoir une action et le fait que cette prtention n'est pas extravagante en raison des possibilits du recours la panoplie des armes de la puissance publique.

    ... donc de la puissance publique

    L'quation management public = management de la puissance publique peut tre taye par le schma que l'on a reprsent ci-aprs, moyennant les propositions suivantes :

    L'existence des besoins collectifs lato sensu ncessite le recours la contrainte en mme temps qu'elle lgitime l'usage de celle-ci (1).

    L'existence d'une multiplicit de besoins collectifs, dont la satisfaction est ventuellement contradictoire, demande une organisation de la rponse ces besoins et donc un agencement de la contrainte ; l'apparition d'une puissance publique dtentrice du monopole de la contrainte organise rpond donc ce besoin.

    Le caractre contraignant de la puissance publique l'oblige se lgitimer en permanence : elle doit tre supportable pour ceux sur qui elle s'exerce ; cette lgitimation prend des formes multiples et conditionne trs largement la gestion publique :

    . elle se manifeste par le mode de dsignation de ceux qui ont le pouvoir, c'est--dire disposent de l'arme de la contrainte : l'lection ;

    elle prend la forme d'un rappel systmatique de la finalit ultime suppose : l'intrt gnral ;

    (1) Car on ne peut exclure l'ide que la ralit premire est la contrainte, celle-ci pouvant toujours se trouver une justification ex post. Au Moyen-Age, la noblesse s'est trouve une fonction sociale en s' instaurant protectrice des faibles aprs les avoir soumis.

  • 14 Patrick GIBERT

    - elle induit une certaine modration dans l'utilisation de la contrainte : pour se procurer les terrains ncessaires de grands travaux, l'administration a recours de prfrence des achats l'amiable, plutt qu' des expropriations. Pour financer leurs dpenses pu

    bliques, les collectivits publiques ont recours l'emprunt ou au dficit budgtaire lorsqu'elles craignent de susciter un mcontentement important par suite d'un relvement fiscal trop fort. L'autorit militaire face un dsquilibre dans les dates, demandes par les jeunes gens, d'incorporation au service militaire prfre avoir recours la persuasion pour taler la pointe plutt qu' la loi qui lui permettrait d'effectuer un talement de faon autoritaire... ;

    elle se concrtise par l'organisation de son auto-limitation qui est l'objet mme du droit public constitutionnel ou administratif et la tche en France de juridictions spcialises : Conseil Constitutionnel, Conseil d'Etat et juridictions administratives.

    La puissance publique va tre conduite se dvelopper suivant ses deux logiques : interne et externe :

    - interne : monopoleuse, elle a un champ d'action gnral et par consquent elle internalise tous les conflits possibles entre rponses aux besoins collectifs d'o la ncessit, sous peine de se nier elle-mme, de grer les effets lis ;

    externe : la souverainet implique selon l'expression heureuse de G. JEZE la comptence de la comptence et la tentation est grande pour elle d'accroftre cette comptence pour surmonter par exemple une difficult dans l'exercice des attributions retenues jusque-l. L'incomptence au sens commun du terme peut se traduire par un accroissement de comptence au sens juridique de l'expression. La fluctuation de la frontire public/priv peut passer par la transformation par les gouvernants de besoins privs en besoins collectifs.

    L'existence de la puissance publique, la suppression qu'elle entra f ne pour une partie de la vie de passer ncessairement par des relations d'change, les consquences de son discours forcment lnifiant de lgitimisation concourent rpandre l'ide que le public, c'est pour une bonne part l'exonration de la sphre du quotidien, le lieu de la gratuit, celui des ressources illimites (le service rendu n'importe quel prix), le lieu o peuvent se rsoudre les contradictions d'intrt ( l'exception de ceux qui opposent aux exploiteurs forcment peu nombreux), les conflits d'objectifs... C'est une sphre o la demande est forcment forte puisqu'il n'existe pas d'lasticit par rapport au prix.

  • Management public, management de la puissance publique 115

    SCHEMA 1

    EXONERATION DM LA

    SPBERE DU

    QUOTIDIEN

    ANOMALIE DE LA

    PRESSIM DE LA OEMROE

    DEFI DES EITREPRISES PRIVEES

    A ROLE EXTERK RAJE1IR

    PUISSANCE PUBLIQUE

    niTERET 6EKRM EXTERME

    COUPE TEICE DE COUPE TE ICE

    OU

    DE

    LEGITIMATION GLOBALITE

    OC LA COUPE TEICE r*EFFETS LIES

  • 116 Patrick GIBERT

    La puissance publique s'accommode plus ou moins bien de l'existence des seules organisations qui la nient partiellement, savoir les organisations non publiques finalit externe (ONPFE), et plutt mal des entreprises prives qui, par leur taille, leur importance stratgique, etc. ont un impact externe majeur, c'est--dire risquent de mettre en cause la possibilit pour la puissance publique de raliser ses objectifs.

    L'interdpendance entre les diffrentes sphres rpertories dans le schma 1 est grande. Ainsi, la dpendance, au moins priodique, cre par le systme lectif des gouvernants au regard des gouverns amplifie la pression de la demande adresse la puissance publique. La rcupration du discours de l'intrt gnral par les diffrents groupes d'intrt fait de mme. A son tour, la pression de la demande renforce la logique de dveloppement du public. La modration dont est oblige de faire preuve la puissance publique pour assurer sa lgitimit freine le dveloppement dbrid de la sphre d'action publique. A l'inverse, la logique externe de dveloppement du public renforce la probabilit des actions que l'Etat peut tre amen raliser contre les entreprises prives qui semblent avoir un impact majeur sur l'environnement (exemple : les nationalisations). Cette logique de dveloppement, de la mme manire, peut renforcer la volont de rduire, marginaliser ou satelliser les concurrents que sont les ONPFE ... De son ct la ngation des contradictions est de nature faire occulter, au moins partiellement, le phnomne des effets lis, dans la mesure o les effets non recherchs d'une politique sont souvent inopportuns au regard d'autres politiques ... Ces influences respectives ont t mises en vidence dans le schma 2.

    L 'intrt qu'il ya poser que le management public est le management de la puissance publique

    . Le premier avantage qu'il ya poser que management public management de la puissance publique est d'entraftier un certain recentrage de la proccupation de management sur le noyau dur de l'Etat, de mettre en avant les administrations de souverainet et par l de diffrencier de faon dcisive le management public de la simple gestion, entendue dans son sens routinier, des organisations publiques. Cet avantage est de poids quand on sait qu'un des arguments souvent avanc par les fonctionnaires rencontre de la pertinence pour leur administration des mthodes modernes de gestion est que, n'tant pas proprement parler prestataires de services ou n'ayant pas la responsabilit de services logistiques, ils ne sont pas gestionnaires.

    . Le deuxime avantage du raisonnement en termes de puissance publique est de trancher avec une approche du management public timide, parcellaire et inhibe par le complexe du priv.

  • Management public, management de la puissance publique 117

    SCHEMA 2

    /CORPETEICE DE L\ 1 COMPETENCE J \ OU /

  • 118 Patrick GI BERT

    Une grande partie de la littrature et des travaux de spcialistes s'est dveloppe sur des domaines qui, dans le public, rappellent le plus le priv : on tudie volontiers le management des hpitaux, des coles, des postes, c'est--dire de services prestataires de services, activits rptitives dont les interdpendances avec les autres services sont limites, dont le mode de financement peut ne pas tre caractristique du public, qui ont des homologues ou des concurrents dans le secteur priv, etc.

    Certes, l'tude du management des secteurs cits a des justifications solides ; la crise chronique du financement du systme de sant, l'importance de la masse de personnel employe par le systme ducatif ou par les PTT suffisent expliquer le foisonnement de travaux dans ces domaines. Leur prdominance peut cependant, mme involontairement, conduire faire raisonner sur l'hypothse implicite d'un modle, celui du management (priv) que les organisations publiques ne respecteraient que mdiocrement : le management public sera alors par dfinition le lieu du management imparfait. La rfrence constante au march, la recherche de substituts aux indicateurs du march sont des travers trs significatifs de ce point de vue. Or, on ne peut qu'tre d'accord avec Peter DRUCKER qui a bien mis en vidence le sophisme commis par ceux qui se rfrent constamment au modle priv : {(noncer que les organisations publiques ont besoin de managers comme ceux du priv (business-like) est un diagnostic erron ; tre d'esprit priv est la mauvaise prescription pour les maux dont souffrent les organisations publiques. Ces organisations ont des problmes de performance prcisment parce qu'elles ne sont pas des entreprises. Le problme fondamental des organisations publiques n'est pas le niveau lev de leur cot, mais leur manque d'efficacit. Elles peuvent tre trs efficientes -et certaines le sont- mais elles ont tendance ne pas faire les choses adquates ( 1 ) .

    Le dtachement que prne P. DRUCKER de la nostalgie du priv est d'autant plus ncessaire que l'on estime que les concepts et les prceptes du management public doivent apporter en retour un enrichissement au management des entreprises prives (2) ou que l'on pense que le rapprochement de la gestion entre public et priv se fera essentiellement par un mouvement du priv vers le public et non l'inverse (3).

    (1) Peter F. DRUCKER, Managing the Public Service Institution, Public Interest, n 33, fall 1973, la citation est extraite de la page 68, reproduit in LOVELOCK et WEINBERG, opus cit, pp. 43-60.

    (2) LAUFER et BURLAUD, pp. 52-55, LYNN, 1980, p. 4.

    (3) Rapport BOK.

  • Management public, management de la puissance publique 1 1 9

    . Le raisonnement en termes de puissance publique permet galement de mieux analyser le phnomne des organisations non publiques finalit externe (que nous dnommerons ci-dessous par commodit ONPFE).

    Un certain nombre d'organismes, sans appartenir la sphre du public, se diffrencient de l'entreprise prive par l'absence d'un but lucratif dans leurs documents constitutifs et leur gestion. Ce sont pour la plupart ceux que recouvrent en principe dans le droit franais, les formes juridiques de la fondation ou de l'association, mais ce sont encore les glises ou les syndicats.

    Certains de ces organismes n'ont pas de finalit externe, leurs objectifs tant d'offrir des services (au sens le plus large du terme) leurs membres, ce sont avant tout des clubs. D'autres, en revanche, visent aussi ou surtout modifier l'tat ou un tat de leur environnement : il en est ainsi des glises, et du type de valeurs qu'elles veulent voir prserver ou restaurer dans la socit, des syndicats et de leur volont de voir modifier les relations de travail, voire la distribution du pouvoir conomique, mais galement d'organisations comme la Croix-Rouge ou Amnesty International (1).

    L'observation de la politique des Etats l'gard de ces ONPFE rvle que les Etats de type totalitaire ne tolrent pas d'ONPFE autonomes, qu'ils les combattent, les interdisent ou, l'inverse, cherchent les annexer, les mettant leur service, en faire des relais de leur action, ou n'admettent leur autonomie que contraints et forcs par un rapport de force dfavorable...

    Les Etats libraux admettent les ONPFE et mme, le cas chant, les encouragent. D'aucuns, en particulier les partisans d'un interventionnisme plus grand, estiment que cet encouragement n'est qu'une faon de pallier ou de cacher ses carences en matire de politique de la sant ou de politique culturelle par exemple. On peut y voir au contraire la marque que dans un rgime libral, la puissance publique ne va jamais jusqu'au bout de sa logique, que le rgime admet que les tats du monde dpendent d'interactions multiples, dues aussi bien aux activits des organisations marchandes qu' celles des ONPFE.

    (1) Les mouvements sociaux (P.WILKINSON : Social Movement, New- York, Praeger, 1971, rapport par PADIOLEAU, 1982, p. 36) qui se caractrisent par le fait que (i) au sein d'une collectivit, des acteurs, externes ou priphriques l'establishment de la socit politique ; (ii) appellent de leurs voeux des changements sociaux ; (iii) dans ce but, ils entreprennent des actions collectives donnent naissance dans une socit pluraliste des ONPFE. Mais, certaines ONPFE comme les glises sont des institutions qu'on ne saurait rduire au seul rle d'entrepreneur d'un mouvement social.

  • 120 Patrick GI BERT

    A l'inverse, un rgime totalitaire, monocentriste, s'estimant dtenteur du Bien, n'a point composer avec ceux qui prfrent d'autres ides, c'est--dire avec les tenants du Mal. L o d'un ct il y a une pluralit d'ides, d'intrts, de comportement admise tant bien que mal, de l'autre, il n'y a que des dviants, des factieux, des auteurs de crime de lse majest. L'existence mme des ONPFE est donc lie une certaine forme de rgime politique, la reconnaissance que l'Etat ne dtient pas le monopole de l'intrt gnral (H une forme d'autolimitation de la puissance publique.

    Les traits de management des ONPFE sont trs largement les traits de management public, mme s'ils revtent des cts propres : substitution aux consquences de la subordination au pouvoir politique des consquences des problmes de coexistence avec les organisations publiques ; ncessit dans la majorit des cas de s'intresser de trs prs au niveau des ralisations du fait que pour mobiliser ou retenir les adhrents, il faut leur offrir, en complment des biens collectifs dont profitent aussi les non-adhrents, des biens privs (2) ; difficults financires structurelles dues l'absence du pouvoir de prlvement autoritaire dont dispose l'Etat...

    Nous pouvons donc estimer que la ralit premire n'est pas le management des organisations non marchandes ou des organisations sans but lucratif dont le management public ne serait qu'un sous-ensemble, mais bien le management public entendu comme management de la puissance publique qui s'applique grosso modo aux organisations qui se situent sur le mme terrain que l'Etat, c'est--dire celui de la finalit externe.

    . L'inconvnient qu'il y a raisonner en termes de puissance publique est le risque qui existe de ngliger quelque peu les collectivits publiques qui ne participent que partiellement la puissance publique, en particulier les tablissements publics. De manire plus gnrale, dans l'optique du management de la puissance publique, les services ou organisations prestataires de services ne sont- ils pas quelque peu sacrifis au profit des services rgaliens ?

    En fait, ce risque est limit dans la mesure o prcisment on dira que ces organisations ont un mode de management public lorsqu'elles sont conduites d'une manire qui s'en rfre une finalit externe plutt que par rfrence un systme d'auto-valuation interne. Prenons le cas de l'Agence Nationale pour

    (1) Bernard CHENOT, Institutions Administratives, cours de N.E.P. de Paris ronot, les cours du Droit, 1963.

    (2) Cf. M. OLSON, pp. 162-163.

  • Management public, management de la puissance publique 121

    l'Emploi. Son action peut tre value par des mesures d'efficacit telles le nombre de placements effectus dans l'anne ou par des mesures d'efficience : cot moyen du placement, ou encore par sa part du march dans l'ensemble des embauches nationales. Dans ce deuxime cas, son activit n'est pas apprcie en fonction de son impact sur l'environnement : pour effectuer des placements, elle peut avoir recours tout style d'offres d'emplois, y compris les plus instables ; elle aurait mme intrt se concentrer sur la partie la plus utile de sa clientle de demandeur d'emplois -celle dont l'ge, les qualifications, l'exprience sont particulirement priss par le march. Dans cette optique- l, augmenter sa part de march au dtriment des autres modes de rapprochement entre offres et demandes d'emplois, c'est--dire au dtriment de ses concurrents, est aussi valable qu'accrof- tre par son activit le nombre de placements qui auront t raliss dans la collectivit nationale par comparaison ceux qui auraient t effectus en son absence.

    Dans une autre conception des choses, l'ANPE peut tre value essentiellement par la mesure de son impact sur l'environnement. Du ct de la demande d'emploi par exemple, elle s'intressera l'amlioration des chances des travailleurs dfavoriss de retrouver un emploi, la diminution du temps mis par les demandeurs d'emploi tre embauchs, aux conomies -de temps, de dmarche, de frais d'annonce, de dplacements- ralises par ces demandeurs d'emploi. Elle se polarisera galement sur des phnomnes similaires du ct des offreurs.

    L'opposition de la deuxime conception la premire n'est pas celle du qualitatif ou quantitatif -la deuxime srie d'objectifs est quantifiable comme la premire (1)-. Elle n'est pas non plus proprement parler celle du service public et de l'entreprise prive, elle est celle de l'extraversion l'introversion de la finalit.

    Ceci tant, on ne peut en conclure que l'introversion ventuelle de la finalit d'une organisation publique fait sortir sa conduite du champ du management public. Mme dans le cas o le systme de gestion de l'ANPE serait orient vers le premier type d'objectifs, on ne pourrait dire que son management est de type priv. Le mode de financement exorbitant du droit commun qui est le sien -il repose quasi intgralement sur une subvention de l'Etat-, la tutelle qu'exerce sur elle un organe politique -le Ministre du Travail-, la sensibilit du public aux problmes de l'emploi qu'elle a connatre suffiraient alors donner son fonctionnement certains des traits caractristiques du management public.

    (1) Mme si en ralit la quantification est plus difficile du fait qu'il s'agit de faire estimer la diffrence entre une situation relle et une situation hypothtique, celle qui aurait exist en l'absence de l'ANPE.

  • 122 Patrick GI BERT

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    PlanIntroductionLes entits publiques prsentent des particularits qu'on ne saurait considrer comme accessoires au regard du managementLes caractristiques particulires dans le public des lments constitutifs de l'organisationLes lments de spcificit qui ne rentrent pas dans le schma classique de l'organisation

    L'ensemble de ces particularits s'explique par le fait de la puissance publiqueUne quation inintressante : management public = management du service publicUne voie plus fructueuse : le rapprochement des concepts de biens collectifs et de puissance publiqueL'intrt qu'il y a poser que le management public est le management de la puissance publique

    Bibliographie

    IllustrationsSchma 1 - Equation management public = management de la puissance publiqueSchma 2 - Influences respectives du management de la puissance publique