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GEERT GORIS [ENTRETIEN AVEC GEERT GOIRIS – 2011] frédéric oyharçabal| voici ma descripon de pools at dawn (1999). qu’en pensez-vous ? « pools at dawn montre deux piscines bordées sur deux côtés par des arbustes agités par le vent. derrière les arbustes, une bande de couleur verte suit la perspecve des deux bassins. elle évoque la présence d’un vaste pré ou d’un mur. le regard glisse du premier bassin parellement visible vers le second bassin pour buter sur le plongeoir. des feuilles mortes jonchent le dallage imprégné d’humidité. elles indiquent la fin de l’automne ou le début de l’hiver. » « il y a un contraste entre la neeté quasi sculpturale des bassins avec leurs échelles en inox reflétant la lumière blanche, la fixité de l’eau semblable à une paroi de verre poli, et l’agitaon des arbres. cee agitaon n’évoque bizarrement aucun son. tout mouvement, tout son, semble absorbé, aénué, étouffé par la fixité de l’eau, la neeté des bassins, les détails du dallage et des feuilles mortes, la composion rigoureuse de ces différents éléments. par ailleurs, rien n’indique les limites de ce paysage et sa situation géographique. s’agit-il d’un sanatorium ? d’une propriété privée ? d’un espace à l’abandon ? combien de bassins ? » geert goiris| je pense que c’est une descripon assez féconde. tous les éléments visuels sont bien observés. les remarques sur l’absence de son et le mouvement figé sont tout à fait pernentes. les raisons principales qui m’ont conduit à prendre cee photo sont une recherche d’abstracon et l’utilisation de l’appareil photo pour montrer quelque chose que l’oeil humain n’est pas capable de percevoir. je voulais condenser une période d’une heure et demi en une image. chaque mouvement des arbres, et toute la séquence du changement de lumière sont enregistrés sur la pellicule. j’étais près de l’appareil photo durant tout le temps de l’exposion et l’espace se rétrécissait à mesure que la lumière déclinait. au début, je pouvais voir tout l’espace avec tous ses détails. puis, progressivement, la lumière diminuait et à la fin, je pouvais peine voir mes pieds. dans le même temps, l’image latente sur le film devenait de plus en plus visible, à mesure que passait le temps de l’exposition. l’appareil pouvait être comparé à un sablier où une certaine quantité de lumière était transférée de l’espace réel vers la surface de la pellicule. pour moi, le caractère rituel de ce processus était presque aussi important que l’espace réel représenté. la photographie a été prise à bornholm, une île danoise. cela m’intéresse beaucoup de faire des photos dans des îles parce que la lumière y est extrêmement bizarre, singulière. les mers ou océans qui entourent les îles agissent souvent comme d’immenses miroirs qui reflètent le soleil et le clair de lune [...] GEERT

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[ENTRETIEN AVEC GEERT GOIRIS – 2011]

frédéric oyharçabal| voici ma description de pools at dawn (1999). qu’en pensez-vous ? « pools at dawn montre deux piscines bordées sur deux côtés par des arbustes agités par le vent. derrière les arbustes, une bande de couleur verte suit la perspective des deux bassins. elle évoque la présence d’un vaste pré ou d’un mur. le regard glisse du premier bassin partiellement visible vers le second bassin pour buter sur le plongeoir. des feuilles mortes jonchent le dallage imprégné d’humidité. elles indiquent la fin de l’automne ou le début de l’hiver. » « il y a un contraste entre la netteté quasi sculpturale des bassins avec leurs échelles en inox reflétant la lumière blanche, la fixité de l’eau semblable à une paroi de verre poli, et l’agitation des arbres. cette agitation n’évoque bizarrement aucun son. tout mouvement, tout son, semble absorbé, atténué, étouffé par la fixité de l’eau, la netteté des bassins, les détails du dallage et des feuilles mortes, la composition rigoureuse de ces différents éléments. par ailleurs, rien n’indique les limites de ce paysage et sa situation géographique. s’agit-il d’un sanatorium ? d’une propriété privée ? d’un espace à l’abandon ? combien de bassins ? »geert goiris| je pense que c’est une description assez féconde. tous les éléments visuels sont bien observés. les remarques sur l’absence de son et le mouvement figé sont tout à fait pertinentes. les raisons principales qui m’ont conduit à prendre cette photo sont une recherche d’abstraction et l’utilisation de l’appareil photo pour montrer quelque chose que l’oeil humain n’est pas capable de percevoir. je voulais condenser une période d’une heure et demi en une image. chaque mouvement des arbres, et toute la séquence du changement de lumière sont enregistrés sur la pellicule. j’étais près de l’appareil photo durant tout le temps de l’exposition et l’espace se rétrécissait à mesure que la lumière déclinait. au début, je pouvais voir tout l’espace avec tous ses détails. puis, progressivement, la lumière diminuait et à la fin, je pouvais peine voir mes pieds. dans le même temps, l’image latente sur le film devenait de plus en plus visible, à mesure que passait le temps de l’exposition. l’appareil pouvait être comparé à un sablier où une certaine quantité de lumière était transférée de l’espace réel vers la surface de la pellicule. pour moi, le caractère rituel de ce processus était presque aussi important que l’espace réel représenté. la photographie a été prise à bornholm, une île danoise. cela m’intéresse beaucoup de faire des photos dans des îles parce que la lumière y est extrêmement bizarre, singulière. les mers ou océans qui entourent les îles agissent souvent comme d’immenses miroirs qui reflètent le soleil et le clair de lune [...]

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Expérience parfois inquiétante, comme si le monde semblait s’animer d’une vie propre, une vie lente et menaçante comme celle d’un animal primitif – mais expérience profondément mélancolique aussi, tant le sentiment de la perte y est intense, comme chez les Maîtres de la peinture flamande dont le travail de Geert Goiris est imprégné, sans nostalgie mais avec une conscience aiguë de la catastrophe du présent. C’est, par exemple, dans la série Whiteout, cette vue d’une barre d’immeubles à l’assaut de laquelle semblent monter les herbes du terrain vague attenant. Dans CCTS, c’est la plante du désert qui déploie ses bras au sol comme une araignée géante. Dans Mud Vulcanoes, une langue de glace semble émaner d’une source cachée et témoigner d’une sourde menace. LAIR, une vue de Los Angeles aux rayons X transforme la ville en une sorte de savane spectrale, préfigurant le retour de cette cité du désert à sa condition première. Tout se passe comme si un léger tremblé animait les lieux et les choses. Dans Slowfast, la pose longue donne à la mer une consistance laiteuse, et à la falaise la légèreté paradoxale d’une aquarelle.

Le paradoxe est que l’étrangeté et l’ambiguïté d’un monde dont nous sommes absents, d’un monde tel qu’il est quand personne ne le regarde, n’apparaissent que si le photographe parvient à faire comme s’il n’était pas vraiment là, à se décaler jusqu’à la périphérie. Cette lisière des choses est parfois spatiale, et se traduit alors par des vues panoramiques ou en plongée. Toutefois, l’artiste ne cultive aucunement les angles compliqués et le motif principal se trouve le plus souvent au centre de l’image. Mais elle peut aussi être liée à un procédé technique, une vue aux rayons X, ou bien un temps de pose très long, jusqu’à plusieurs heures, qui donne naissance à une nouvelle matérialité du paysage, révélant ainsi les failles dumonde des apparences, ses fractures, et l’étrangeté qu’il recèle.

It is sometimes a worrying experience, as though the world seemed animated with its own life, a slow and menacing life, like that of a primitive animal – but also an extremely melancholic experience, so strong is the feeling of loss, similar to the Masters of Flemish painting, whose work Geer Goiris has immersed himself in, without nostalgia, but with a keen awareness of the catastrophe of the present. For example, in the Whiteout series, it is the view of a housing block that seems to be attacked by the rising weeds of the adjoining wasteland. In CCTS, it is the desert plant that spreads its arms over the ground like a giant spider. In Mud Volcanoes, a tongue of ice seems to emanate from a hidden source and bear witness to a subdued threat. LAIR, an x-ray view of Los Angeles, transforms the city into a sort of spectral savannah, prefiguring the return of this city to the desert, its initial condition. Everything occurs as though a slight quavering animated the sites and objects. In Slowfast, the long exposure gives the sea a milky consistency, and the cliff the paradoxical lightness of a watercolour.

The paradox is that the strangeness and ambiguity of a world in which we are absent; a world as it is when no one is ooking, is only visible if the photographer manages to act as if he is not there, and to move to the edge. This edge of things is sometimes spatial, and can be translated by panoramic views or high-angle shots. However, the artist does not cultivate complicated angles and the main subject is most frequently located at the image centre. However, it can also be linked to a technical procedure, an X-ray view, or a long exposure, for up to several hours, which gives rise to a new materiality of the landscape, revealing in this way the faults of the world of appearances, its fractures and the strangeness it conceals.

Les photographies naissent de cette expérience dans le temps et dans l’espace, et se chargent à leur tour de la transmettre au spectateur.The photos are created from this experience in time and space, and are charged with transmitting it in turn to the spectator.

Suspension, framed lambda print, 100 x 120cm, 2006

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Geert Goiris dit parfois de ses photographies qu’elles sont « rencontrées » ou « découvertes », comme si elles préexistaient en quelque sorte dans la réalité, et qu’il suffisait d’aller à leur rencontre. On se doute que les choses ne sont pas aussi simples. Car pour les découvrir, encore faut-il savoir les chercher au bon endroit et être dans la disposition qui permet de les percevoir. Où 1sont ces lieux, et que sont-ils ?Ils ne sont pas strictement localisables sur le plan géographique, même si l’artiste a des paysages de prédilection, l’Antarctique, les déserts, des lieux abandonnés, « sauvages ». Mais la« sauvagerie » peut aussi bien surgir dans un jardin européen, une architecture moderniste, une ville américaine : elle est affaire de regard et de posture. Comme Geert Goiris le dit on ne peut plus clairement, « c’est la raison pour laquelle j’ai choisi la posture de l’étranger, et qu’en toute chose, je m’efforce de préserver l’ambiguïté. La raison pour laquelle également je recours à la métaphore du “sauvage” : je voyage non par goût de l’exotisme (mes photos ne sont pas des trophées), mais pour me libérer des contingences propres à chaque lieu et ouvrir à unecompréhension plus large du “sauvage”, de“l’inapprivoisé”».

Geert Goiris sometimes says that his photographs are what he “meets” or “discovers”, as if they already existed in some way in reality, and that all that is needed is to go out and find them. We imagine that things aren’t as simple as all that, since to discover them, you need to know to look for them in the right place and to be in the mood that enables you see them. Where are these places and what are they? They are not strictly locatable from a geographic point of view, even if the artist has his favourite landscapes, such as the Antarctic, deserts, and abandoned “wild” sites. However, the “wildness” can also spring up in a European garden, modernist architecture or an American villa. It is a question of position and the manner in which it is seen. As Geert Goiris says most clearly, “this is the why I chose the position of the stranger, why in everything I try to preserve my ambiguity, and why I also resort to the metaphor of “wild”. I do not travel through a taste for the exotic (my photos are not trophies), but to free myself from the routines specific to each place and to open up to a wider understanding of the “wild” and the “untamed’”.

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Melting Snow, Lambda print, 100 x 125 cm, 2005

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Le paradoxe est que l’étrangeté et l’ambiguïté d’un monde dont nous sommes absents, d’un monde tel qu’il est quand personne ne le regarde, n’apparaissent que si le photographe parvient à faire comme s’il n’était pas vraiment là, à se décaler jusqu’à la périphérie. Cette lisière des choses est parfois spatiale, et se traduit alors par des vues panoramiques ou en plongée. Toutefois, l’artiste ne cultive aucunement les angles compliqués et le motif principal se trouve le plus souvent au centre de l’image. Mais elle peut aussi être liée à un procédé technique, une vue aux rayons X, ou bien un temps de pose très long, jusqu’à plusieurs heures, qui donne naissance à une no velle matérialité du paysage, révélant ainsi les failles du monde des apparences, ses fractures, et l’étrangeté qu’il recèle.

À l’insu des objets et des paysages, le photographe belge Geert Goiris capte la part inapprivoisée du monde. Des clichés mélancoliques et étranges, pris à la lisière des choses, qui donnent à entrevoir une intense expérience de la réalité.

Par mon travail j’essaie d’avoir une emprise sur ce que l’on pourrait au mieux décrire comme réalismetraumatique, avec tout ce que ce mot comporte en termes de rattachement au domaine médicochirurgical : Une cassure qui ne serait pas la fêlure psychologique qui pousse quelqu’un à se confronter à une histoire passée non résolue, mais bien le coup d’oeil furtif et transitoire sur une autre réalité.

Mes images se réfèrent à des fictions familières. Simultanément, elles captent des lieux authentiques. Le fusionnement des faits avec la fiction crée précisément la fracture qu’il est de mon intention de conserver. Je m’efforce de préserver des points de vue dans toute leur perplexité. Le premier contact avec un lieu est important: L’impact des impressions personnelles crée une interférence avec le grand nombre d’images indistinctes stockées dans notre mémoire collective.

Tout ce que je photographie est réel, même lorsque cela paraît impossible. Je ne manipule pas les images et me contente de prôner leur capacités naturelles en opérant le choix du moment, du cadrage et du point de vue. Une photo me paraît réussie lorsque les éléments narratifs et les éléments représentatifs se succèdent en alternance. Pendant les cinq dernières années, j’ai travaillé sur une série d’images qui formeront un livre intitulé «Résonance». Ces images dérivent, en quelque sorte, des images des médias: Cinéma, télévision etautre photographie.

Les oeuvres sont reliées entre elles par une narration cryptique, genre de mémoire construite. La série marche en tant que mémoire à distance qui ne saurait être spécifique. Plutôt que de me ramener aux lieux représentés, ces images me rappellent une façon de voir. Je découvre toutes les images par hasard. Elles comportent souvent un motif central qui indique la présence humaine, mais ceci n’est en rien une formule. En quelque sorte j’essaie d’installer un doute dans la notion du paysage sublime en y apposant une anomalie. Souvent il s’agit d’une allusion à quelque catastrophe, calamité ou désastre: Causes finales aptes à relativiser le mythe matérialiste du progrès.

Les images se situent principalement dans des décors que l’on trouve aux bouts extrêmes de la société; touchant aux confins mêmes de la

12 Minutes Silence, framed lambda print, 100 x 120 cm, 2003

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civilisation. Ce sont des lieux qui portent un visage, telle une physiognomonie qui garderait les traces d’un événement passé ou d’une présence humaine.

La juxtaposition des climats et des régions les plus disparates provoque l’émergence d’un paysage mental. Le signifiant du lieu se déplace de la sphère du réel pour entrer dans le royaume de l’idée.

Je n’aspire aucunement à faire des reportages dans le sens où j’impartirais des leçons essentielles concernant le pays ou la région où la photo a été prise. Bien au contraire; ce ne sont souvent que des détails mineurs tels que le relief ou bien la végétation que je laisse en guise d’indicateurs d’orientation. Les endroits que je visite sont bien-sûr d’une importance capitale, parce qu’ils sont tous uniques, mais je choisis de ne pas jouer la carte de leur spécificité. Je m’efforce donc de niveler toutes leur qualités intrinsèques , qu’elles soient géographiques, climatiques ou sociales, pour créer une image mentale qui provoquerait la fusion sans soudure de différentes caractéristiques et afin d’en exprimer un sentiment d’anxiété, prémonition et peur. Il en découle une union détachée mais néanmoins intense avec mon environnement. Je fais souvent usage de temps d’exposition très longs afin d’obtenir le côté flou qui rend le cardage du temps indistinct. J’échange l’instant pour une façon d’être. Au lieu d’utiliser un appareil photo pour découper une tranche de temps, je l’utilise pour démontrer l’évidence d’une longueur qui ne comprendrait ni un «avant» ni un «après» bien défini. Pour saper le «réalisme» qui pourrait être attribué à mes images, je mets en évidence le fait qu’il ne s’agit pas d’une réalité, mais bien d’images d’une réalité.

In All due intent, catalogue Manifesta 5,2004, pp.156-157.

Standing on Ice, framed lambda print, 50 x 60 cm, 2002

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What I try to seize upon in my work might best be described as traumatic realism, assigning to the word «trauma» its surgical meaning: Of a breaking point, not in the psychological sense of coping withan unresolved past, but as a short transitory glimpse of another reality.

My images refer to familiar fictions.Simultaneously, they register authentic locations. The fusing of fact and fiction is precisely the fracture that I intend to conserve. I try to preserve viewpoints in all their perplexity. The first acquaintance with a place is important: the strong Impression that interferes with a number of stored-up but unpronounced images from our collective memory. Everything I photograph is real, unlikely as it may seem. I don’t manipulate the photographs, but push their insinuating capacities forward by carefully choosing the moment, framing and viewpoint. To me, a picture is successful when the representative and the narrative elements alternate.

Everything I photograph is real, unlikely as it may seem. I don’t manipulate the photographs, but push their insinuating capacities forward by carefully choosing the moment, framing and viewpoint. To me, a picture is successful when the representative and the narrative elements alternate.

For the past five years, I have been working on this series of images to be compiled in a book called Resonance. These shots are a kind of derivate ofmedia-images : cinema, television or other photographs.

The individual works are connected with each other in a cryptic narrative, like a fabricated memory.The series functions as a distant memory, which is not specific. Rather than bringing me back to theplaces they depict, these pictures remind me of a way of seeing.I discover all the images «by accident». Often there is a central motive that points at human presence, but this is not a formula. Somehow I try to install a doubt into the notion of the sublime landscape by imposing an anomaly onto it. Often there is an allusion to catastrophe, a calamity or disaster : some final event to put the materialistic myth of progress in perspective. These images are mainly set in landscapes, found at the outer reaches of society, touching on the confines of civilization. These places have a face, a particular physiognomy that bears traces of a bygone or human presence. By bringing together various regions and climates, a mental landscape emerges. The significance of the location shifts from reality to the realm of ideas. I do not aspire to make a reportage in the sense of imparting something essential about the country or area where the picture was taken. On the contrary, often only minor details such as the relief or the vegetation are left as vague indicators for orientation. The places I visit are obviously of capitalimportance, because they are all unique. But I choose not to play out the specific. I try to level intrinsic geographical, climatological and sociological qualities into a global mental image, where different worlds seamlessly fuse their various characteristics and externalise a feeling of anxiety, foreboding and fear. Together they demonstrate a detached yet intense association with mysurroundings.

I often use extremely long exposure times, allowing the effect of blur to render the specific time frame indistinct. I trade the moment for state of being. Instead of using a camera to cut a slice of time, I use it to gather evidence of duration, without a clear «before» and «after». In order to undermine the attributed «realism», I make it evident that this is not a reality: these are images of a reality.

In All due intent, catalogue Manifesta 5,2004, pp.156-157.

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Entretien avec Geert Goiris – juin 2011

Les photographies de Geert Goiris montrent des lieux insolites, des scènes fortes, étranges. Elles sont une sorte de condensation de l’ex-périence1. La main de l’homme est pour une grande part dans l’étrangeté des lieux et des situations photographiés par l’artiste, qu’il s’agisse des utopies architecturales des années 1970, de paysages aux confins de la civilisation, d’un kangourou albinos ou d’un arbre à voeux…

Frédéric Oyharçabal : Voici ma description de Pools at dawn (1999). Qu’en pensez-vous ?« Pools at dawn montre deux piscines bordées sur deux côtés par des arbustes agités par le vent. Derrière les arbustes, une bande de cou-leur verte suit la perspective des deux bassins. Elle évoque la présence d’un vaste pré ou d’un mur. Le regard glisse du premier bassin partiel-lement visible vers le second bassin pour buter sur le plongeoir. Des feuilles mortes jonchent le dallage imprégné d’humidité. Elles indiquent la fin de l’automne ou le début de l’hiver. » « Il y a un contraste entre la netteté quasi sculpturale des bassins avec leurs échelles en inox reflétant la lumière blanche, la fixité de l’eau semblable à une paroi de verre poli, et l’agitation des arbres. Cette agitation n’évoque bizarrement aucun son. Tout mouvement, tout son, semble absorbé, at-ténué, étouffé par la fixité de l’eau, la netteté des bassins, les détails du dallage et desfeuilles mortes, la composition rigoureuse de ces différents éléments. Par ailleurs, rien n’indique les limites de ce paysage et sa situation géogra-phique. S’agit-il d’un sanatorium ? d’une proprié-té privée ? d’un espace à l’abandon ? combien de bassins ? »Geert Goiris : Je pense que c’est une description assez féconde. Tous les éléments visuels sont bien observés. Les remarques sur l’absence de son et le mouvement figé sont tout à fait perti-nentes. Les raisons principales qui m’ont conduit à prendre cette photo sont une recherche d’abs-traction et l’utilisation de l’appareil photo pour montrer quelque chose que l’oeil humain n’est pas capable de percevoir. Je voulais condenser une période d’une heure et demi en une image. Chaque mouvement des arbres, et toute la sé-quence du changement de lumière sont enre-gistrés sur la pellicule. J’étais près de l’appareil photo durant tout le temps de l’exposition et l’espace se rétrécissait à mesure que la lumière déclinait. Au début, je pouvais voir tout l’espace avec tous ses détails. Puis, progressivement, la lumière diminuait et à la fin, je pouvais à peine voir mes pieds. Dans le même temps, l’image latente sur le film devenait de plus en plus visible, à mesure que passait le temps de l’exposition. L’appareil pouvait être comparé à un sablier où une certaine quantité de lumière était transférée de l’espace réel vers la surface de la pellicule. Pour moi, le caractère rituel de ce processus était presque aussi important que l’espace réel représenté. La photographie a été prise à Bornholm, une île danoise. Cela m’inté-resse beaucoup de faire des photos dans des îles parce que la lumière y est extrêmement bizarre,

singulière. Les mers ou océans qui entourent les îles agissent souvent comme d’immenses mi-roirs qui reflètent le soleil et le clair de lune.<br>

F. O. : Il est possible de montrer Trajectory (1999) et Palanga (2000) sous deux formes : une pho-to encadrée ou une affiche. Les dimensions de l’affiche varient en fonction du lieu d’exposition. Quand avez-vous commencé à montrer certaines de vos images sous forme d’affiche et pourquoi ?G.G. : J’ai présenté pour la première fois une image sous forme d’affiche en 2004 à la galerie Art:Concept à Paris. Il y avait plusieurs raisons à cela. À la galerie, l’espace n’était pas très grand et en couvrant un mur avec Trajectory, celui-ci devenait une sorte de fenêtre panoramique qui ouvrait l’espace. L’image en elle-même est clai-rement graphique dans les tons, et les lignes tracées par les motos évoquent un dessin. En imprimant la photo en très grand et en mat, elle se situe quelque part entre le dessin intimiste et le traditionnel paysage en trompe l’oeil. Comme le lieu représenté n’était pas vraiment specta-culaire et plutôt désert, l’affiche ne pouvait pas tomber dans le décoratif. On oscille entre l’obser-vation attentive et la vue d’ensemble détachée et distancée. L’autre élément, c’est l’échelle. Le petit buisson au premier plan de la photo est quasiment à échelle 1. Le recours à cette échelle réaliste permet que le regardeur devienne très conscient de son propre corps, et finalement de sa position face à quelque chose. L’artifice de la photo est légèrement suspendu et le sentiment de la propre présence physique du spectateur s’étend dès lors à toute l’exposition. Ces der-nières années, j’ai montré un grand nombre de photos sous forme d’affiche. Chaque occasion est liée à différentes raisons et intentions. J’ai eu recours à l’échelle monumentale pour une trans-formation délibérée du sujet. Fools Gold (2007) montre un objet qui mesure en réalité autour de 15 cm de hauteur. Je l’ai agrandi en une sorte de sculpture d’environ trois mètres de haut. L’impression sur affiche a d’autres propriétés intéressantes. C’est fin comme une peau. Alors qu’une photographie encadrée reste toujours un objet introduit à l’intérieur d’un espace, l’affiche est davantage partie intégrante de l’espace. Lors d’une exposition à Ostende 2, j’ai construit une pièce sans angles. L’espace était entouré d’un mur courbe sans interruptions. Une seule ou-verture faisait office d’entrée et de sortie. Les images épousaient et accentuaient les courbes. Cette présentation plus dynamique donnait le sentiment qu’elles tournaient en continu dans la tête du regardeur.

F.O. : Pourrions-nous dire que le recours à l’af-fiche, dans le cas de Trajectory et Palanga, ac-centue la dimension « conceptuelle » de votre travail, qui serait de l’ordre du « paysage mental »? J’ai vu la présentation de Liepaja (2004) au Palais de Tokyo 3. J’ai trouvé que la présence du mur sous le poster était très sensible. Il devenait dès lors difficile de se projeter physiquement dans l’image. On restait dans une sorte d’entre-deux permanent, quelque chose d’impossible à résoudre. Êtes-vous d’accord avec cela ?

G.G. : Au Palais de Tokyo, Liepaja était imprimée à une très grande taille, presque trois mètres sur cinq. On voit rarement une image avec de telles dimensions en dehors du cinéma et des pan-neaux d’affichage publicitaires. J’ai utilisé une technique expérimentale pour montrer cette image : au lieu de l’imprimer sur un papier et la coller sur le mur, j’ai utilisé une technique de transfert, où en fait le pigment pénètre directe-ment dans la peinture blanche du mur. L’épreuve n’a plus de support : le mur lui-même devient le support. Ceci, combiné au format cinémato-graphique, évoque une projection en arrêt, une sorte de post-image oubliée sur le mur, l’appa-rence d’un vieux panneau publicitaire battu par les intempéries. Je suis donc d’accord avec cette idée d’un entre-deux à laquelle vous faites ré-férence. Pour moi, cette présentation était am-bivalente. J’espérais (et visais) une installation intense et soignée, et en fin de compte, cela ressemblait à une image quasi en ruine qui s’est avérée juste puisque Liepaja représente une ruine. Au bout du compte, l’image en tant que projection mentale était parfois très présente, et à d’autres moments, éclipsée par la structure du mur.

F.O. : Trajectory montre un terrain de motocross. Le choix du noir et blanc souligne les tracés, les trajectoires. Lorsque je regarde cette image, je pense comme vous à un dessin. Vous avez beau-coup parlé de la Spiral Jetty de Robert Smithson avec Vincent Lamouroux 4. Trajectory m’évoque dans l’esprit, les dessins de Smithson. Est-ce que son travail et en particulier ses dessins ont une influence sur vos photos ?G.G. : Je n’ai jamais vu de dessins de Robert Smithson, seulement quelques reproductions sur des livres. Je ne peux donc pas affirmer qu’ils me sont familiers. Quelques-unes de mes pho-tos montrent cependant une sensibilité pour les traces, les interventions dans le paysage. Elles sont donc assez proches des earthworks de Robert Smithson. Le concept d’entropie est très palpable dans un lieu tel qu’un terrain de motocross où les lignes surgissent à la fois de la logique et du hasard : les motards recherchent les pentes les plus raides, les chemins les plus aventureux. Une fois les motards partis, il n’y a plus ce sentiment de vitesse, et les seules choses restantes sont les traces qui disparaissent len-tement dans le sol. Deux forces apparemment opposées – une rapide et une lente – sont ici thématisées. Les traces sont donc le résultat visuel d’un processus plutôt lent. L’incessante poursuite d’un même chemin. Par ailleurs Ro-bert Smithson s’intéresse aux lieux où l’entro-pie devient visible que sont les puits de mine, les lacs salés, les déserts, etc. Ces lieux m’inté-ressent également car ils résistent à l’évidence de l’implantation et de l’organisation humaine. C’est présenter une idée de la société plutôt que la société en tant que telle. Ces sites sont sou-vent isolés et difficiles d’accès, d’où leur aspect sauvage. J’aime m’y promener car il s’en dégage quelque chose de classique et d’ahistorique. L’autre intérêt que je partage avec Smithson est d’effectivement regarder le monde à une échelle

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2012Darkcloud

Galerie art : Concept,Paris (FR)

Walk and DissolveStadtgalerie

Backnang (DE)

2011The Unreliable Narrator

Galerie Catherine BastideBrussels (BE)

2010Czar Bomba

CABBurgos (ES)

TurbulenceGeert Goiris / Vincent Lamouroux

KIOSKGhent (BE)

Whiteout and Other StoriesHamburger Kunsthalle

Hamburg (DE)

2009Confabulation

Kunstforum BaloiseBasel (CH)

Imagine There’s No CountriesLe Crédac

Ivry-sur-Seine (FR)

Whiteout #02Statements Art Basel

Basel (CH)

greetgoiris.info

2012Junctions

(curator: Lara D’Hondt),Bozar, Brussels (BE)

Pop-UpLiens artistiques

Musée d’Ixelles (BE)

Sculpture is everythingGallery of Modern Art, Brisbane (AU)

Arcadian BoxesSiakos Hanappe Gallery

Athens (GR)

Be here nowDeutsche Börse AG,

Frankfurt am Main (DE)

Le Silence, une fictionNouveau Musée National de Monaco

(MC)

2011Transformed Land

Gulbenkian foundationParis (FR)

The Eye is a Lonely Hunterphotofestival Heidelberg-Mannheim-Ludwigshafen (DE)

curators Katerina Gregos & Solvej Helweg OvesenThe second Act, de Brakke Grond,

Amsterdam (NL)

temporelle non-anthropologique, à l’échelle des temps géologiques plutôt que du temps humain. C’est faire un effort d’abstraction (et cela incite à rester humble) que de considérer la quasiinsignifiance de la présence humaine dans le large contexte du cosmos. Smithson accepte le caractère irréversible de l’entropie, et n’a ja-mais été effrayé par cela. Mais pour moi, l’ef-facement des choses existantes et de l’espèce humaine a quelque chose de mélancolique. Je suppose que c’est une différence très claire entre le point de vue de Smithson et le mien. Enfin, il y a évidemment une différence généra-tionnelle. Il est étrange de constater que Smith-son a été très critique par rapport au concept de recyclage des déchets. Il en parlait dans les années 1970, quand on en était plus ou moins à la phase expérimentale. Aujourd’hui, c’est de-venu complètement mainstream et je ne peux pas imaginer vivre dans le monde sans cela. J’ai été conditionné par la société à comprendre la nécessité du recyclage. Aussi, la position de Smithson consistant à douter publiquement de sa validité a quelque chose de frais et de nou-veau pour moi.

F.O. : Palanga se situe entre le dessin et l’ap-parition/disparition. Avez-vous retouché cette photo?G.G. : Palanga n’a pas été modifiée ou numéri-quement retravaillée. L’épreuve ressemble vrai-ment à l’image originale. Durant le voyage où j’ai pris cette photo, j’ai dû passer par quelques petits aéroports dont les postes de contrôle étaient équipés d’antiques machines à rayons x. Quelques pellicules furent endommagées par la radiation. Au début, je n’ai pas voulu utiliser Palanga en l’état : le coin de la photo en bas à gauche était complètement voilé. J’ai quand même décidé de garder l’image car cette altéra-tion faisait sens et semblait lui « appartenir ». La perte des détails sur la pellicule soulignait en-core plus la structure métallique du pavillon. La réduction et la simplicité des tons évoquaient un projet d’architecture. Grâce à cette erreur technique, quelque chose émerge qui ajoute une forme de clarté à cette photo. L’erreur en améliore l’expression. À un niveau plus concep-tuel, le fait qu’une machine à rayons x ait laissé une trace sur le cliché lui confère plus de temps , plus d’ histoire . Pendant la Guerre froide, Pa-langa (Lithuanie) était une station balnéaire où les cadres du parti communiste venaient se re-poser. Aujourd’hui, tout cela est derrière nous et ce pavillon apparaît comme un monument de cette époque révolue. Cette image, avec l’em-preinte des rayons x, sonne comme un écho ralenti de cette histoire.

Traduit de l’anglais par Frédéric Oyharçabal.

1. Régis Durand, « Entretien avec Geert Goiris », in cat. Croiser des mondes. Emmanuelle Antille, Geert Goiris,Stanley Greene, Guillaume Herbaut, Janaina Tschäpe, Jeu de Paume, Paris, 2005, pp. 20-30.2. Freestate, exposition collective, Ostende, Belgique, 2006.3. Fresh Hell, exposition collective, Palais de Tokyo, site de création contemporaine,Paris, 20/10/2010 –16/01/2011.4. « Fragments d’une conversation. Geert Goiris/Vincent Lamouroux », in Vincent Lamouroux, coll Artcontemporain – monographies, Les presses du réel, Dijon, 2010, pp. 29-35.

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GEERT

GORIS