66

Gaïa Scienza 3

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Gaïa Scienza est devenu la gazette du Centre d'écologie urbaine de Bruxelles

Citation preview

Page 1: Gaïa Scienza 3
Page 2: Gaïa Scienza 3

Year 2010 after the birth of Jesus-Christ, jewish prophetor

Year 4708 after the birth of Huangdi, first chinese emperorAnnée 2010 après la naissance de Jésus-Christ, prophète juif

ouAnnée 4708 après la naissance de Huangdi, premier empereur chinois

i

Gaia Scienza is a project of The Internationalist Foundation

www.internationalistfoundation.org

Copyleft © 2010 The Internationalist Foundation Concept & Coordination: Pierre HonoréEditorial Board: Dr Rabbit, Étienne Camperez,

Nguyen Xuan SonE-mail contact: [email protected] page: http://gaia-scienza.orgTypeset and designed by Nicolas Vaughan

Thanks to Etienne Poulard for the English version of the manifesto.

Page 3: Gaïa Scienza 3

Sommaire

Editorial – Long life to Prometheus · 5Pierre Honoré

Dans le Mac Do de la fin du monde · 9Keyvan Sayar & Guillaume Carreau

Kotka’s secret · 15Étienne Camperez & Marie Cocquerelle

La Thaïlande entre deux combats · 23Photos by Loïc Hoquet

Le pib et sa crôassance, depuis son «big bang» jusqu’à nos jours · 33

Polen Lloret & Lautaro Malato

Jésus est-il en voie de réapparition pour sauver celles et ceux qui sont en voie de disparition? · 41

Pierre Honoré, Guillaume Carreau & Fondation Raffy

La volonté du goût · 57Nguyen Xuan Son

The Da Vinci Skull · 59Étienne Poulard

Page 4: Gaïa Scienza 3
Page 5: Gaïa Scienza 3

Editorial – Long life to Prometheus

Pierre Honoré

À l’occasion de cette édition du solstice d’hi-ver, simple et commode repère astronomique - il en sera également ainsi avec les équinoxes – j’aimerais rendre un vibrant hommage à la maîtrise du feu qui fut indubitablement un tournant décisif dans l’his-toire de l’humanité. Il n’est pourtant pas ici ques-tion d’essayer d’en montrer l’ampleur: chacun est à même de le faire à la faveur de son imagination et de ses connaissances. En revanche, cette commémora-tion intempestive nous donne le prétexte de considé-rer l’hypothèse invérifiable, hasardeuse et fulgurante du développement prodigieux du langage dans l’es-pace social sécurisé qui se créé autour du feu. Libé-rés pendant ces moments des contraintes naturelles, les hommes ont donné naissance à des histoires et des théories, à de la technique et à de la science et ont commencé, par petit groupe séparés, à ordonner le monde. Selon ce qu’il est couramment admis par la communauté scientifique, c’était il y a 450 mille ans environ.

Page 6: Gaïa Scienza 3

6

Et alors ? Est-ce que cela changera quoi que soit à la situation en Thaïlande ? A la disparition des es-pèces ? A la crise ? D’ailleurs, me direz-vous, quel rap-port entre tout ça ? « C’est un peu fourre-tout votre affaire… ». Erreur. Nous sommes toujours au coin du feu - ou à côté du radiateur, de la climatisation, sous la douche, c’est tout un: c’est le devenir prométhéen de l’homme – encore un mythe qui devient concept […]. Le devenir prométhéen de l’homme, cela veut dire que l’avenir est à la fois technique et philosophique. Le combat des idées doit se jouer en conscience du rôle des artefacts sur les idées elles-mêmes. Si les échanges commerciaux et les mutations de l’écono-mie font s’entrechoquer des conceptions différentes du monde, elle n’impliquent pas une incompatibili-té. C’est pour cela que la coexistence au sein de cette gazette de contributions a priori très différentes ne donne pas un simple patchwork, mais est le reflet d’une interaction et d’un travail cohérent entre des entités et des individualités dont les vœux sont à au-jourd’hui et à demain. Bonne lecture ! i

Page 7: Gaïa Scienza 3

7

Editorial – Long Life to Prometheus

Pierre Honoré

On the occasion of this issue, which corresponds to the winter solstice (a handy astronomical mark-er, like equinoxes), I would like to pay a glowing trib-ute to the mastery of fire, which undoubtedly marked a turning point in the history of mankind. The aim here is not to measure the scope of this phenome-non – something we can all do with a little bit of im-agination and factual knowledge. This untimely com-memoration nonetheless gives us a pretext to look at an unverifiable, hazardous and dazzling hypoth-esis: that of the prodigious development of language in the safe social space created by fire. Around the fire, men were temporarily freed from natural con-straints. This, in turn, gave rise to histories and theo-ries, to technology and science: men, in small isolated groups, started to order the world. According to sci-entists, this took place about 450 thousand years ago.

So what? Is this going to change anything to the situation in Thailand? What about the extinction of

Page 8: Gaïa Scienza 3

8

species? Or the “crisis”? By the way, how does all this relate? ‘All this is a bit random.’ Not so random. We’re still by the fireplace, or by the radiator, the air condi-tioning, or in the shower. It’s all the same, all about the promethean becoming of man – another myth that becomes a concept […]. Man’s promethean be-coming gestures towards a future that’s both techni-cal and philosophical. The intellectual struggle must integrate the role of artifacts on ideas themselves. Trade and economic mutations bring about different conceptions of the world, which are not incompat-ible with one another. For this reason, the very dis-tinct contributions in this gazette offer more than a simple patchwork. This variety is the result of a cohe-sive work, of an interaction between entities and indi-viduals. For today, and for tomorrow. Enjoy the read-ing! i

(English translation by Étienne Poulard)

Page 9: Gaïa Scienza 3

Dans le Mac Do de la fin du monde

Keyvan Sayar & Guillaume Carreau*

La dernière fois que j’ai vu autant de pluie tomber du ciel c’était dans la version technicolor de la bible. A l’époque je riais diaboliquement dans ma barbe en regardant des plus innocents que moi se faire engloutir par l’humide châtiment d’un dieu vachement irritable. Les plus naïfs étaient allés s’abriter sous des arbres sans se douter un instant que cette fois-ci Papa ne refermerait pas le robinet.

Seulement voilà bien quatre heures que je me suis réfugié dans ce Mac Do du milieu de nulle part fuyant la pluie qui n’arrête toujours pas de tomber, et là, tout de suite, la bible me semble nettement moins drôle. Et si dieu existait ? Et s’il était assez susceptible pour laver son honneur bafoué avec un divin tuyau d’arro-sage ? Le père éternel aurait fini par craquer. Marre des blasphèmes, du foutage de gueule, des fidèles qui viennent à la messe juste pour draguer, des prêtres

* http ://sykamore.media.free.fr/keyvan_sayar.htm et http ://grandpapier.org/_Carreau_

Page 10: Gaïa Scienza 3

10

qui paient leurs séjours au Club Med avec le denier du culte. Marre du showbiz, des artistes à paillettes qui lui volent la vedette, des intellos criards qui lui mettent toutes sortes de génocides sur le dos. Marre de tout. Envie de remettre les compteurs à zéro. Envie de passer à autre chose, peut-être faire du yoga, créer des soleils, des ciels bleus, s’asseoir sur une caisse en bois et plonger les yeux dans cet infini là.

Moi je me dis évidemment que je voudrais bien rentrer vivant à la maison, rêver, aimer encore un peu, mais Papa a beaucoup souffert, Papa en a sa claque. On lui demande toujours tout et qu’est-ce qu’on lui donne ? Rien. Enfin si, il y en a qui lui donnent leur virginité, d’autres leurs cheveux, il y en a même qui lui offrent des p’tits bouts de zizi. Merci les enfants, c’est vrai-ment sympa de votre part, c’est adorable tous ces petits prépuces dans des mouchoirs en soie mais là vraiment j’ai pas la tête à ça, faut que j’fasse le point d’vant un whisky-coca. Chauffez-vous un truc au micro-ondes si vous avez faim, moi là j’ai vraiment besoin d’un break.

Et puis crac. Papa tire un trait sur tout. Il ouvre les vannes. Le déluge version 2.0. C’coup ci j’veux pas entendre parler d’un Noé au cœur pur ou des deux écureuils amoureux qui vont clamser en se serrant dans les bras. C’est pas mon problème, qu’il dit Papa. Il restera plus que les poissons et ce sera très bien comme ça. A part peut-être certaines sardines un peu

Page 11: Gaïa Scienza 3

11

caractérielles on n’a jamais vu un poisson emmerder le monde !

Dans mon Mac Do de la fin du monde, les gens commencent à comprendre. Nous sommes peut-être trois cent, quatre cent, serrés dans une petite salle qui sent bon l’huile de friture. Les vitres sont recou-vertes de buée. Des milliers de gouttes s’écrasent à chaque seconde sur notre prison de verre. Ce verre qui ne nous protégera peut-être plus très longtemps. Des mères de famille rendent à leurs enfants jouets, cigarettes, couteaux et seringues confisqués. Tenez les jeunes, amusez-vous une dernière fois. Les cris d’une ultime partie de jambes en l’air résonnent au fond de la salle. Une partie carrée d’ailleurs. Normalement c’est interdit par la bible mais vu que Papa vient de rompre unilatéralement le contrat, ce genre de clause ne pèse plus grand-chose. Devant un tribunal je pense même que ces libertins de la dernière heure pourraient plaider la légitime jouissance.

Si seulement j’avais un parapluie je serais sorti voir la mer encore une fois avant de mourir, mais puisque je n’en ai pas, je suis obligé de rester à l’intérieur. Ce serait trop bête de bousiller des chaussures toutes neuves.

Ca y est, les lumières viennent de s’éteindre. La der-nière centrale nucléaire du pays est sûrement en train de faire des bulles sous un océan de colère divine. Je me demande si quelqu’un lira jamais ces lignes.

Page 12: Gaïa Scienza 3

12

Papa, si tu me lis, arrête s’il te plaît. On va changer tu vas voir, on va devenir sympas, rigolards, on fera plus d’guerres ou alors juste des p’tites, on se moquera pas de toi, on essaiera de te laisser tranquille et de se prendre en main nous-mêmes, on est grands main-tenant tu sais. Steuplait Papa. On va arriver à l’faire marcher ce monde. Promis juré on l’fait. Donne-nous juste une dernière chance. Et j’te promets qu’on va l’tenir en bon état, nickel, on remettra tous les arbres et les pierres pile à la bonne place. On donnera des graines aux oiseaux, on se brossera les dents, allez steuplait Papa déconne pas ! i

Page 13: Gaïa Scienza 3

Voir aussi : http ://vimeo.com/12508390 par le groupe Superflex.

Page 14: Gaïa Scienza 3
Page 15: Gaïa Scienza 3

Kotka’s secret

Étienne Camperez & Marie Cocquerelle

i. Granpa’s Water

“Who are you?” whispered Kotka under her breath. She was infinitely scared because she had just seen a blue flame - inside a bottle of water! Kotka had spent the summer with Granpa in the mountains. Before she left him to go back to school, Granpa had given her a bottle filled with ice-cold water. Kotka was so amazed by the fiery flashes in the mountain water that she asked almost unconsciously:

“Who are you?”Kotka could not know that this was a magic ques-

tion that awakened a genie who happened to live in the water. Upon that magic question, the genie swirled out of the bottle and across the room, filling the air with a beautiful spray of crystals that floated up and down like enchanted snow flakes. Then the genie, who looked a bit like a transparent snowman, looked Kotka in the eyes and told her a mysterious riddle that the frightened girl remembered through-out her life:

Page 16: Gaïa Scienza 3

16

I am your mother of inventionI obey to your intention

I am a genie born for youSpeak a wish: it will be true.

ii. The Wish

I am sure you can imagine how frightened Kotka must have been by now. Still weary from her trip, suddenly there flies a transparent snowman through her room and wants to know her most intimate de-sires! Kotka was about to faint, but then she noticed that the beautiful crystals were still floating every-where in her room, marvellously. Her thoughts ran in circles and lines, even in rectangles:

“This is beautiful! Horrible! I must be dreaming! I have to wake up and get rid of all this!»

But then the crystals started to sit on her face and her hand, and their icy sting felt very real indeed.

«Perhaps it is possible that this snowman is real! Yes, this is happening to me! I should think very care-fully about the wish I will ask him! I should think very carefully about what I want from him. . .”

For she remembered the stories that Granpa had told her over the summer. Every time something magic happened to the people in Grandpa’s stories,

Page 17: Gaïa Scienza 3

17

they would always come up with a silly idea so that everybody ended up worse that before. Kotka felt pity for the people in the stories and told Granpa that she would never behave that foolishly if something magic would knock on her door.

“Here I am in one of Granpa’s funny tales! But I have to be very careful. . . Not like those fools who ask for gold or beauty or fame only to die afterwards hungry, sad and lonely! Oh my, you bet Kotka will make a good wish! I have to find the wish that makes me happy for sure. . .”

Kotka continued for a while to think like this, rec-ollecting the stories about flying Aladdins and Gold-en Donkeys that Grandpa had told her. But she felt that it was time to decide upon her wish and let the genie go:

“My wish is to be happy for the rest of my life.”

iii. Beauty and Sadness

Kotka never told anybody about what had happened to her: she was afraid that this might interfere with her wish. She knew that all wishes have to be kept secret to become true, like with shooting stars, the coins that you throw into Roman fountains, or the candles her mother used to light in churches. She

Page 18: Gaïa Scienza 3

18

also thought that if her wish turned out to be not so clever after all, then at least nobody could make fun of her if she kept it a secret. Whether it was for these precautions or whether her wish was indeed very well chosen, everything turned out magnificently. Nobody had ever seen a young girl - and later woman - so pro-foundly happy and in peace with herself. Whenever something sad happened in her life, she stopped and asked herself:

“Now where are you my genie? Aren’t you strong enough to make me happy now?”

But these moments always passed sooner or later so that Kotka had come to believe in the mysterious powers of her genie.

Kotka also never told her husband about the wish that she had asked the genie as a young girl - although she loved him deeply. When her husband died many years later she sat next to him, lost in million memo-ries of moments they had lived together. That day, the tears would not end and the pain was so great that she felt like drowning and being burnt at the same time. For weeks Kotka’s thoughts remained dumb and the panic of a lonely death slowly invaded her mind and will. She desperately tried to get her hus-band, her happiness back to life. The genie seemed to have abandoned her.

Then, one day, Kotka remembered a melody that

Page 19: Gaïa Scienza 3

19

her husband had sung when he was coming back from one of his adventures. This melody gradually in-vaded her thoughts, soaking up her tears and turning them into sweetness. For Kotka finally remembered what her husband had told her about the music he loved:

“In the greatest sadness I hear beauty, and in all great beauty I hear sadness.”

This thought made Kotka proud despite her tears: she looked at her life and concluded that her sadness was special, her loss grand and unique. When the days of mourning were done, Kotka knew that the genie would always keep his promise no matter how hard the blow would be.

iv. The Source

All life ends with death, even happy ones like Kotka’s. On her eightieth birthday, she decided to retire to the mountains and to spend her last years in Granpa’s chalet. She became accustomed to the rhythmic life in the mountains, enjoying the visits of friends and neighbours between her walks through nature. Soon, the people began to say that Kokta resembled a land-scape because she lived like the stones and the trees and the water.

Page 20: Gaïa Scienza 3

La possibilité d’un autre, de Marie Cocquerelle, 2010Kotka, insatisfaite du réel se donne un maitre, elle feint qu’il est l’organisateur des mystères qui la dépassent. Entre songe et mensonge, elle n’est pas au commande, elle est agie plus qu’elle n’agit. Kotka est lui. (cf. illustration). Cet homme au visage absent, parle d’une identité qui se projette et se dédouble dans des objets. Lui. Sa peau se déchire et en sort la possibilité d’un autre grouillant de fausses pistes, de repos fabriqués et de séductions faciles.Marie Cocquerell

Page 21: Gaïa Scienza 3

21

Then, in her last autumn, Kotka passed by the small current from which Granpa had taken the wa-ter on the day she had left him to go back to school. It was the source that had made her happy throughout her life.

But as she knelt down to the water, Kokta now sees an old face in which time has left its wrinkled sig-nature. She feels that her life still flows happily like this water, but also that it will soon dry out. Kotka had come to accept that her life will soon be over. But now, looking at this water which had changed her life when she was young, a terrible doubt grows in her head. Was the genie not only a creature of childish imagination? How sure could she be that the he re-ally existed? These doubts make her sad, and soon the sadness turns into blind despair. Had all her happi-ness, all her life only been imagination? Did her cur-rent sadness not prove the non-existence of the ge-nie? Angry tears start to touch her face in the water, and Kotka shouts desperately to her image:

“Who are you?”The echo of her scream reflects from the rocks

back onto the water. But the water whitens and the genie emerges from the dying stream that had be-come her life. And Kotka’s tears turn into tears of joy: this means that her life had not been mere imagina-

Page 22: Gaïa Scienza 3

22

tion! Everything in it was real: from the beginning to the end.

“But who are you?” she asks again, finally grasping the power of the magic question. And the genie re-plies to her a second time with a strange riddle:

Be not afraid to see me in your facesI was your father’s father’s blindness

I was your dreams, your fears, unconsciousWithout a me a you is sense-less

You and me was never twoI was a genie: I was you.

The hikers that found her body told the police that they had seen a bluish flame flickering over the dead woman. This was all that anybody ever knew of Kot-ka’s secret. i

Page 23: Gaïa Scienza 3

La Thaïlande entre deux combats

Photos by Loïc Hoquet With the participation of the

International Crisis Group*

Loïc Hoquet est photographe et réalisateur. Pas-sionné par la boxe, il part à Bangkok en 2005 pour s'immerger dans le milieu très fermé de ce sport. Il décide plus tard de réaliser un documentaire dont il conduit actuellement le tournage. En mai 2010, alors qu'il se trouve à Bangkok pour les repérages et les prises de contact nécessaires à la réalisation de son projet, les affrontements entre les « chemises jaunes » (partisans des royalistes) et les « chemises rouges » (opposants au régime de Abhisit Vejjajiva) éclatent. Sans plus de préparations, il décide de “couvrir” l'évé-nement.

* http://www.crisisgroup.org

Page 24: Gaïa Scienza 3
Page 25: Gaïa Scienza 3
Page 26: Gaïa Scienza 3
Page 27: Gaïa Scienza 3
Page 28: Gaïa Scienza 3
Page 29: Gaïa Scienza 3

29

‘The “Red Shirts” drew support from the urban and rural poor. They formed a pivotal force that rallied against the military-installed government and the establishment-backed Abhisit administration. After a court ordered the seizure of Thaksin’s assets in late February, the UDD again took to the streets demand-ing an election.’ (International Crisis Group, Asia Re-port n°192, 5 July 2010*)

* http://bit.ly/blgzFu

Page 30: Gaïa Scienza 3

‘The most violent political clashes between the gov-ernment and demonstrators in modern Thai history erupted between 10 April and 19 May after weeks of protests on the streets of Bangkok. While this recent chapter of the country’s tumultuous politics ulti-mately ended in a government crackdown, conflict between conservative elites and the allies of a popu-

Page 31: Gaïa Scienza 3

list politician is far from over. On one side is the un-elected establishment – the palace, the military, the judiciary and the network around them and their yel-low-shirted supporters. On the other is a police colo-nel-turned-businessman-turned-politician, Thaksin Shinawatra, who has challenged the old order with his red-shirted supporters drawn from the rural and urban poor. Neither side is united and each has its own counterintuitive allies. With the conservative royalist establishment stand some members of the urban middle class, angered by Thaksin’s corruption, cronyism and human rights abuses. With the popu-list Thaksin are some members of the military and much of the police. Thai society, institutions, even families are often dangerously divided down the mid-dle [. . .]

If Thailand is to move away from recent violence, consolidate a new political consensus, and restore de-mocracy, it will need to hold elections sooner rather than later. After such a divisive period in Thai histo-ry, those in power will need to refresh their mandate. Any reconciliation plan or reform agenda will also need popular endorsement to succeed. If all sides are involved in such efforts, then they could work together to minimise election violence and, more importantly, commit to supporting the result and gi-ving the new government a chance to govern without

Page 32: Gaïa Scienza 3

rancour and instability. It will be an important test for Thailand to prove; that is heading away from this violent moment or entrenching long-term instability with all its deadly consequences.’ (International Cri-(International Cri-sis Group, Asia Report n°192, 5 July 2010) i

Page 33: Gaïa Scienza 3

Le pib et sa crôassance, depuis

son «big bang» jusqu’à nos jours

Polen Lloret & Lautaro Malato

Chers amis, vous constatez que cet article se veut sérieusement persifleur. Il s’agit en effet de pourfendre une « idée reçue » ancrée dans nos sociétés marchandes depuis des décennies, à savoir la notion de « Produit Intérieur Brut », et de sa tant désirable crôassance. Nous avions d’abord parsemé le texte de « points d’iro-nie » (de « smileys », si vous préférez). L’ironie est une des meilleures armes du « pourfendeur ». Mais au vu de la qualité du lectorat, nous avons décidé de vous laisser placer les « points d’ironie » vous-mêmes

En physique, l’Univers est en expansion et son entro-pie ne peut que croître (entropie = désordre). L’entro-pie n’est pas une notion « déconomique »,1 mais ther-

1 L’auteur ajoute ici un « d » pour créer un jeu de mots rappe-lant le verbe « déconner » qui signifie dans le langage familier « dire ou faire des conneries ».

Page 34: Gaïa Scienza 3

34

modynamique. En « déconomie », c’est le pib qui se doit de crôatre indéfiniment.

Mais rappelons pour commencer que le pib (« Produit Intérieur Brut ») est la somme des valeurs monétaires ajoutées quand on produit biens et ser-vices dans un pays, se décomposant comme suit, de manière imagée :

(1) L’argent du beurre à la production (les sommes dépensées en valeur ajoutée de travail)

(2) La taxe privée sur l’argent du beurre (dite : « la va-leur créée pour l’actionnaire »)

(3) La taxe publique sur l’argent du beurre (Taxe sur la Valeur Ajoutée et assimilés)

Le total constitue l’argent du beurre à la vente.Le pib apparaît donc en fait comme la mesure : (1)

d’une « valeur dépensée » en travail par l’entreprise ; mais ensuite, on « charge la barque » en lui ajoutant : (2) une « taxe privée » (la « valeur pour l’actionnaire » objet de toutes les convoitises) et (3) une taxe publique (grosso modo les taxes sur la consommation, objet de toutes les plaintes). Le pib serait donc mieux nommé la « dibttc », la « Dépense Intérieure Brute Toutes Taxes Comprises ».

Concernant son développement. . .

Page 35: Gaïa Scienza 3

35

0—Avant le « big bang » : l’Univers économique est sans comptabilité, il vit de troc et d’eau fraîche. C’est un trou noir dont ne sort aucune lumière comptable. Pourtant, il a une masse qui peut être importante : par exemple, un milliard de Chinois qui assurent leur gite et leur couvert.

1—Au moment du « big bang » : apparition des pre-mières entreprises, de leur comptabilité, et de la modeste comptabilité nationale qui agglomère ces comptabilités « privées » (si régime libéral) et qui les taxe : apparition de la taxe à la valeur ajou-tée (et de la taxe privée dite « création de valeur pour l’actionnaire », si régime libéral). Apparition du pib, somme des valeurs ajoutées (« argent du beurre/travail » + « valeur pour l’actionnaire » + TVA). Puis :

2—Expansion de l’univers déconomique : de plus en plus d’employés sortent du champ hors-compta-bilité monétaire de l’agriculture archaïque, pour entrer dans le champ de la comptabilité nationale des entreprises. Crôassance fulgurante. On parle de « Tigres » !

3—Cet exode rural peut se prolonger par d’autres formes « d’exode » : l’exode des femmes, par exemple, depuis les foyers vers les bureaux, ou les entreprises. Car au foyer, point de prise en compte par la comptabilité nationale. Mais quand arrivent

Page 36: Gaïa Scienza 3

36

les frigos et les machines à laver, quand il y a des crèches etc., la femme peut passer d’un travail do-mestique, non comptabilisé, à une contribution en « valeur ajoutée » au sein des entreprises. Ensuite, pour prolonger la durée de vie de la crôassance, on peut aussi « externaliser » encore plus de services. Par exemple, dans le couple ou par une société de services, facturer la promenade du chien (La no-tion de chèque emploi-service n’est d’ailleurs pas faite… que pour les chiens). Mais après « un cer-tain temps » :

4—Toutes les réserves de main d’œuvre sont… à l’œuvre, comptablement parlant. Leur producti-vité (donc leur production) augmente, mais… le pib va stagner ou diminuer, si on continue à payer les gens pareil, malgré la productivité croissante.2 C’est pourtant ce qu’on fait, au nom d’une indis-pensable compétitivité (« maîtrise des coûts sala-riaux »). Le pib est-il donc condamné à stagner ? Non, car :

5—Il peut poursuivre sa crôassance si on fait croître

2 Une meilleure productivité (méthodes de production, tech-nologies etc.) aboutit à moins de dépenses de main d’œuvre (même en englobant les investissements effectués). Donc, « toutes choses égales par ailleurs » : « plus de productivité --> moins de pib ! »

Page 37: Gaïa Scienza 3

37

la « valeur pour l’actionnaire », que des indélicats appellent « les profits ». Et cette crôassance main-tenue génère aussi, mécaniquement, une crois-sance des recettes de TVA. Donc « les entreprises » et l’État sont contents : il faut que la crôassance dure ! Quant aux employés, ils commencent à se poser des questions, mais on leur explique que de leur compétitivité et de la crôassance dépend la durabilité de leur emploi, fût-il en voie de rétrécis-sement durable.

6—La « valeur pour l’actionnaire » s’accumule, et l’ac-tionnaire, qui est plus épargnant que consomma-teur, cherche comment la placer pour la faire fruc-tifier. Quelques technologies et produits nouveaux apparaissent opportunément : Internet, téléphone portable etc. L’actionnaire investit dans ces do-maines, qui restent encore de l’ordre des biens et services tangibles. Mais en quelques années, leur marché se sature, d’autant plus que « l’argent du beurre » (la paye des employés) n’augmente pas au rythme de la productivité. Est-ce la fin de la crôas-sance ? Non car :

7—Si les particuliers manquent d’argent pour ache-ter, les banques se feront un plaisir de leur prêter (Le crédit à la consommation, à l’immobilier etc.). Or les banques, si elles sont d’humeur optimiste, c’est-à-dire prêteuse, peuvent prêter quasiment « à

Page 38: Gaïa Scienza 3

Dessin de Lautaro Malato, 2010

Page 39: Gaïa Scienza 3

39

gogo » (dans tous les sens du terme), dans la limite de règles prudentielles « souples ». Il leur suffit de mettre à leur passif des « dépôts » fictifs corres-pondant au montant des prêts : création de mon-naie « pour soutenir la crôassance ».

8—Les banques, si elles commençaient à douter (mais que c’est dur, de renoncer à prêter à x% !), risqueraient de « casser la crôassance » ? A Dieu ne plaise : l’État calme leurs appréhensions en les refinançant, c’est-à-dire en leur prêtant à « taux d’ami » (presque 0%, aux Etats-Unis) pour qu’elles (les banques) puissent prêter, « aux taux du mar-ché », aux candidats consommateurs désargentés. Et les « taux du marché », « ce n’est pas de l’assis-tanat » !

9—Mais un jour arrive où on a prêté tant d’argent « au bout d’un élastique » que l’élastique rompt sous la charge, et que les défauts de remboursement montent en flèche. « Le marché » bascule dans le pessimisme, les banques ne prêtent plus, même les unes aux autres (les « taux interbancaires » crôassent abruptement), chacune se demandant si sa collègue n’est pas la prochaine sur la liste des faillites. C’est à ce moment que l’État honni (« lais-sez les marchés jouer librement ») est appelé à la rescousse.

10—Et l’État dit aux banques : « Ce n’est qu’une ques-

Page 40: Gaïa Scienza 3

40

tion d’argent ? Mais il fallait le dire ! Tenez, et rem-boursez nous si vous revenez à meilleure fortune ». Et voilà comment on entre dans le domaine de « La liquidité incontrôlable » (Patrick Artus).

Nous en sommes là. L’univers déconomique restera-t-il en expansion ? C’est aussi la question qu’on se pose pour l’Univers physique. Il y a quelque temps, on pen-sait que cet Univers pourrait atteindre un maximum, puis revenir en arrière pour un « big crunch » (une grosse compression). Depuis, on a trouvé une mysté-rieuse « énergie noire » (et aussi une « matière noire », mais ne pas confondre) qui accentuerait encore l’ex-pansion de l‘Univers physique.3 Mais les mesures et les calculs prêtent encore à contestations. Tout comme les mesures et les calculs touchant au ren-flouement du système déconomique. Une chose est pourtant certaine : c’est que dans l’Univers physique comme dans le monde déconomique, l’entropie (c’est-à-dire le désordre) ne peut que crôatre. i

3 Curieusement, on a vu apparaître dans le monde de la finance des « dark pools », lieux de sombres négoces électro-niques d’instruments financiers, en d’autres termes, marchés clandestins de gré à gré (la mafia n’est pas loin…). Encore un facteur d’expansion accélérée de l’univers financier ?

Page 41: Gaïa Scienza 3

Jésus est-il en voie de réapparition

pour sauver celles et ceux qui sont en voie de disparition?

Pierre Honoré, Guillaume Carreau & Fondation Raffy

Chapitre 1 Introduction liminaire pour commencer

Le soleil se leva. Moi aussi. Depuis la fenêtre de ma chambre, je portai sur les vallons blanchis par la gelée un regard gonflé d’orgueil et de sommeil. Tout en m’étirant, je sentis remonter de mon ça à mon sur-moi comme une sourde protestation iconoclaste. Une fervente sensation que je situerais entre une envie de pisser et un vague sentiment d’injustice.

C’était la veille de Noël, au fin fond d’un départe-ment français que l’on appelle la Creuse. Je me trou-vais chez ma grand-mère Josette et il n’y avait là rien d’ennuyant, bien au contraire. Josette était en effet une femme de cœur et d’esprit qui avait toujours été

Page 42: Gaïa Scienza 3

42

engagée dans un tas de projets passionnants. Pour être tout-à-fait précis, elle travaillait à la pérennisation de la production agricole et à l’auto-suffisance énergétique. Pour autant que je sache, elle avait consacré ses quinze dernières années aux techniques de méthanisation qui consistent – et bien que cela ne soit du point de vue de la narration d’aucune utilité – à maîtriser le processus naturel de dégradation des matières biologiques pour en faire de l’électricité ou du carburant. C’est ainsi que la ferme qu’elle avait fait bâtir et dans laquelle nous nous trouvions était pourvue d’un générateur électrique fonctionnant à partir de bouse de vache. Le seul inconvénient notoire se faisait sentir quand soufflait le vent du nord, mais on s’accordait pour dire que ce n’était qu’une question d’habitude. Quoi qu’il en fut de ces petites nuisances olfactives, le système tournait à merveille et prouvait bien que Josette avait de la suite dans les idées : car pendant qu’une bonne partie du pays pestait contre le prix de l’essence et les intempestives coupures d’électricité, les habitants de la ferme de Grand-mère n’avaient rien d’autre à déplorer que les médisances de certains voisins.

Cela étant, il faut dire également que Josette avait beaucoup voyagé dans sa vie, de sorte qu’elle avait trouvé l’amitié de tout un tas de gens qui ne man-quaient pas de lui rendre visite quand ils le pouvaient. De ses amis, j’en rencontrai quatre cette année : Steve,

Page 43: Gaïa Scienza 3

43

un biologiste et militant américain ; Andreas et Inke, un couple berlinois respectivement avocat et plasti-cienne-performeuse, et Edgar, un professeur de lettre à la retraite, parisien, passablement blasé et pessimiste. Avec André, un paysan-musicien que je connaissais déjà puisqu’il travaillait et habitait avec Josette, nous formions une petite communauté, réunis pour célébrer le renouveau de la vie et la fin des ténèbres, je veux parler du solstice d’hiver.

« S’il n’y a que ça pour te faire plaisir, m’avait fina-lement dit Josette, va donc faire les courses ». Visible-ment lassée de mes explications alambiquées, elle avait fini par accepter que je batte en brèche la tradition de la dinde au réveillon de noël. C’est qu’il me semblait qu’il n’y avait pas de raison de préférer la « d’Inde » à autre chose le soir de la naissance du Christ. Pauvre bête, avais-je pensé, chaque année objet d’un sacrifice de masse en raison de je-ne-sais-quel obscur symbole solaire tiré d’un mythe malmené entre les cultures et les générations. . . je trouvais que tout ça manquait de justification et qu’il fallait changer. Ce changement, pour le coup, eu l’effet d’un pavé de saumon dans un magret de canard.

Je partis donc en fin d’après-midi à la quête d’un met de remplacement. Quand je revins à la ferme, la tête encore pleine de la frénésie de l’hypermarché, de ses courses aux derniers cadeaux et de ses enfants tur-

Page 44: Gaïa Scienza 3

44

bulents, j’entrepris de raconter mon errance dans les rayons blafards: « Tel un jeune poète au milieu d’une civilisation moribonde fustigeant l’individu moderne pour qui le pouvoir d’achat est une qualité au moins aussi sacrée que celles qui faisaient les aptitudes d’un grand chasseur de mammouths, je. . . » grand-mère m’interrompit en fronçant les sourcils.

— Quel besoin avais-tu d’aller là-bas ? Il y a des mar-chands dans le centre ville, non?

Un silence fit alors écho à mon hésitation.— Tout était fermé, il était trop tard, murmurai-je— Ah mais il fallait y penser avant mon petit! Bon.

Passons. Qu’est-ce que tu nous as ramené de beau. . . ?Elle avait probablement raison. Elle préférait les

petits commerces du centre ville et elle produisait une bonne partie de ses fruits et légumes qu’elle échangeait contre des œufs, du lait et du fromage dans les fermes avoisinantes. Je confessai donc piteusement mon manque d’organisation et je me m’attelai à la cuisine.

Chapitre 2 Le banquet

C’est Steve l’Américain qui fut le premier à « marcher au pavé dans le plat » :

— De l’aile de raie? Je m’attendais pas à un truc

Page 45: Gaïa Scienza 3

45

comme ça ici! dit-il avec un sourire. Hey, vous savez qu’c’est une espèce en voie de disparition? J’sais pas si j’ai envie d’être complice de ça!

— Une espèce en voie de disparition?, renchérit Andreas, tu es sûr?

— Ouais, ouais, ça dépend des espèces et des régions mais dans l’ensemble, c’est vraiment pas conseillé. J’ai travaillé à l’International Union for Conservation of Nature. Ils ont alerté les politiques sur la sur-pêche en Méditerranée. Un des pires cas par exemple c’est la raie de Malte.

— C’est quoi alors cette espèce?, demanda Inke en me regardant.

Pour une énième fois dans l’histoire de la Terre, la nuit était maintenant tombée et le ciel était étoilé.

— Alors?! Insista André.— Méditerranée, raie de Malte, répondis-je à demi-

voix.Andreas et Edgar éclatèrent de rire sans qu’on puisse

les arrêter. André, qui pour sa part s’entretenait avec Steve, semblait être effaré de ces réactions. Josette se tenait derrière Inke qui s’amusait visiblement de toute cette pagaille. Il fallait que j’intervienne:

— Écoutez, je ne savais pas ce que Steve vient de nous dire. Et puis en même temps c’est pas moi qui l’ai pêchée, elle était déjà morte. Si c’est pas moi qui l’avait achetée, ça aurait été quelqu’un d’autre.

Page 46: Gaïa Scienza 3

46

— Oui mais en raisonnant comme ça on en encou-rage la pêche, répliqua à la volée André.

— Disons que c’est une erreur de ma part, pas une habitude alimentaire, voilà.

— Oui mais si tout le monde raisonne comme ça, c’est sûr que tout est perdu.

Le débat était dans l’impasse. On s’escrima à coup de « oui », « non », « si » pendant que la raie refroidissait en vertu du second principe de la thermodynamique. Steve déclara d’un ton amical et sincère qu’il préfé-rait se passer de la raie mais que cela ne posait aucun problème si les autres voulaient en manger. André se rangea derrière Steve. De son côté Andreas accepta d’en manger « un peu pour gouter ». Je trouvais heu-reusement en Edgar un soutien. Tout en tendant son assiette vers la soupière, l’intellectuel professa :

— Si cette délicieuse raie est effectivement en voie de disparition, je ne vois aucune raison pour qu’elle en change. . . de voie. A-t-on déjà vu un vieillard rajeunir? Ou une firme multinationale motivée par autre chose que le profit? Non. Alors il faut se dépêcher de goûter la viande de raie pour mourir moins bête. Puisqu’elle est arrivée jusqu’à nous par un heureux concours de circonstances, personne autour de cette table n’est responsable de sa disparition.

— Un heureux concours de circonstance?, s’exclama Steve, je ne vois rien d’heureux là-dedans. C’est pas

Page 47: Gaïa Scienza 3

47

Kant qui disait quelque chose comme « agit selon la maxime que tes actions doit être universel? » Ouais alors si tout le monde mange la raie, il y a plus de raie. Et si on se permet de manger la raie, on peut manger le requin, et puis la baleine. . .

Pour tenter de divertir les esprits, Andreas s’essaya à une boutade un peu acide qui passa complètement inaperçue. De son côté, Josette n’avait plus pied; elle essayait désespérément de mettre l’accent sur la poêlée de légumes et les patates braisées. Personnellement, et bien que j’entendais les arguments de Steve et que j’étais dans l’ensemble assez d’accord avec lui, je trou-vais cette raie de Malte absolument délectable. Ne voulant pourtant pas jeter de l’huile sur le feu, je fis simplement remarquer qu’à l’époque de Kant, dans l’ignorance de la limitation des ressources de la planète, on pouvait admettre que tout le monde puisse manger de la raie et que, par conséquent, ce qui est universel est également voué au changement en fonction de nos connaissances, ce qui dans ce cas voulait dire que ce qui apparait comme universel est néanmoins lié à des conditions sociales et culturelles particulières. Cela impliquait donc l’existence d’une multiplicité d’uni-versalités ce qui, enfin, lui faisait perdre son caractère universel. Entre deux bouchées de feuilleté au fromage de chèvre et un roulé au jambon, Steve me rappela que c’était bien dans l’ignorance de l’époque sur certaines

Page 48: Gaïa Scienza 3

48

évidences scientifiques et non par une erreur de rai-sonnement que Kant s’était trompé. Ce à quoi je rétor-quai que nous sommes également soumis à l’ignorance et que, peut-être, l’abus de feuilleté au fromage entraî-nera à l’avenir des modifications génétiques douteuses pour le génome. On n’était visiblement pas convaincus par mon argument. Des protestations s’élevèrent de part et d’autre.

— Notre responsabilité en tant qu’humains, conti-nua Steve, est d’agir en fonction de la préservation de la vie. Notre plaisir personnel ne doit pas être plus fort que la conscience d’appartenir à un tout. Je suis convaincu qu’on doit toujours agir en fonction d’une idée qu’on a de l’homme et de sa place. Après bien sûr, si vous pensez qu’on doit de toutes façons tous mourir, il faut qu’on se « gave » comme des oies! Il faut brûler les forêts et polluer les mers!

— Je vais exagérer un peu, riposta Edgar, mais il y a quelque chose de presque chrétien dans ce que tu dis: il faut en somme que nous portions les erreurs de l’humanité. La différence serait juste que la faute devient multiple, instantanée et immédiate. Mais ça veut aussi dire, mon vieux, qu’elle a en retour une durée de vie plus courte, tant du point de vue de l’individu que de celui de l’espèce. En gros ton système ne fonc-tionne pas, y compris dans les dimensions éthiques que tu veux lui conférer. On ne peut pas en tout cas

Page 49: Gaïa Scienza 3

49

porter un fardeau moral quant à notre alimentation. Le problème, c’est la production

Sur ce, Edgar fit remarquer avec un air repu que la raie était bonne et que la soirée était très réussie, ce qui agaça Steve qui se leva de table en prétextant aller fumer une cigarette. Je ne dis rien parce que j’en avais déjà assez fait, mais je pensai que là, Edgar avait marqué un point. Je trouvai de toute façon que Steve était un peu trop à cheval sur ses principes, mais bon, il fallait surement des gens comme ça. Pendant ce temps-là, le débat s’égrainait en vaines complaintes de la part d’André qui au fond, je le savais et c’est ça qui m’amusait, n’en avait vraiment rien à foutre. Inke, qui était restée discrète depuis le début, prit la parole:

— Disons que je vois les choses de manière plus, comment dire, distanciée. Ici évidemment, cette his-toire m’interpelle, je n’en ai d’ailleurs pas mangé beau-coup.

— Tu veux que je te resserve? interrompit Edgar.Elle le considéra avec un mélange de reproche et

de complicité.— En tant qu’amateur d’art et artiste moi-même, je

m’amuse de toute l’illusion du monde. Mais je ne suis pas moine, je dois y participer, alors ma création et ma curiosité explorent cette contradiction inhérente à la vie. Ce qui se passe ce soir m’interroge donc sur un point: quelle est la nature de la raie, puisqu’elle n’est

Page 50: Gaïa Scienza 3

50

plus simplement nourriture? On en fait des reportages, on peut en faire des peintures parce que c’est d’une certaine manière une création de. . . disons une partie de la manifestation, et qu’en ça elle est sublime. Ça c’est son côté inutile. Son côté utile, c’est en tant que soupe. Mais voilà qu’à l’ère « anthropocène », l’inu-tile disparaît au profit de l’utile, à tel point que c’est dans les outils de l’utilité – la technique – que l’artiste va chercher l’inutilité. Vous connaissez peut-être les déclarations comme « tout est art » ou « l’art est mort ». Je crois que Steve est dans la première, la raie devient pour lui un animal sacré. Edgar est dans la seconde, la raie continue d’être un objet de consommation. Ce que je m’avance à dire est un peu imprécis, mais je crois que toute la question tourne autour des symboles, et autour de symboles qui n’existent pas encore ou n’exis-teront jamais. C’est pour ça en tout cas que j’aime l’art contemporain, je recherche ces symboles.

— Le monde comme pure représentation, quoi, lan-çai-je à tout hasard.

— C’est un peu ça avoua Inke avec une petite gri-mace. C’est la puissance de faire oublier l’impuissance.

Andreas répéta cette dernière phrase pour en sou-ligner, je présumai, la dimension libidinale.

— En gros, commença t-il en faisant délibérément une mine d’imbécile, on crée ce qu’on peut ni baiser ni boire ni manger, et nous baisons, buvons et mangeons

Page 51: Gaïa Scienza 3

51

ce qu’on ne peut pas créer! En tant que ni artiste, ni in-tellectuel, ni militant, alors en tant que simple citoyen avec un bon salaire, je dirais qu’on ne fait aujourd’hui qu’entretenir le paradoxe de l’idée de l’art pour pouvoir jouer avec les formes des représentations du monde et en tirer si possible le maximum d’argent. Oublions pas que c’est pas l’ouvrier qui va acheter un tableau de Van Gogh ou de Marcel Duchamp, c’est quand même le bourgeois, c’est-à-dire moi-même, sauf que je n’ai pas assez d’argent et que je préfèrerais une maison dans les montagnes. Bon, mais quand le bourgeois achète une œuvre d’art, il convertit surtout son pouvoir financier en pouvoir symbolique. Après la justification de cette transaction, c’est autre chose, c’est de la production de discours. Mais je pense que c’est tout de même assez malsain et dangereux de dire que Steve est dans le « tout est art », parce qu’alors on supprime et la res-ponsabilité et ce qui faut bien appeler le sacré de la vie humaine. Si on supprime les distances entre le sujet et l’objet, la pensée se perd dans le rêve et dans l’absurde. En deux mots, tout devient permis. Vous m’imaginez dire ça au parquet pour la défense d’un criminel? Mon-sieur le juge, mon client est innocent car au moment du crime, il faisait une performance artistique.

Nous rîmes en même temps que Steve qui, comme il avait écouté ce que disait Andreas, releva l’expression « sacré de la vie humaine » en demandant sur un ton

Page 52: Gaïa Scienza 3

52

très ferme: « Pour quels hommes ? Pour nous autres nantis? ». La discussion se prolongea ainsi jusque tard dans la nuit, avant qu’Inke ne se mit soudain à chanter et à effacer notre impuissance à ressusciter la raie. Elle chanta Ode an die Freude. Tout le monde fut scié par la puissance cristalline de sa voix. Comme personne ne parlait allemand à part Andreas qui par contre chantait comme une casserole, on se tut et on l’écouta religieusement.

Chapitre 3 « Man ist, was man isst », le monologue du héros

La lune était presque pleine et la campagne baignait dans une clarté qui lui donnait des airs d’un autre monde. Tout comme moi. Cette affaire avait éveillé en moi de profondes interrogations. Qu’étais-je avec cette raie dans l’estomac ?

Au détour d’une ancienne buanderie qui faisait aujourd’hui office d’atelier, je tombai sur le petit pou-lailler de Josette. Il y avait deux dindes. L’une d’elle s’intriguait de ma présence. Je tendis une oreille à ses gloussements : elle n’avait vraisemblablement rien à me dire, c’était une volaille parmi les gallinacées, igno-rante de ses origines américaines et de son passeur Colomb, pas l’oiseau mais le navigateur. Mais elle était

Page 53: Gaïa Scienza 3

53

vivante et comestible, me dis-je, et ouvrait donc à une large dimension abstraite et symbolique. Je m’absor-bais ainsi dans une profonde méditation. S’il nous fallait devoir tuer, il semblait clair qu’il nous fallait y mettre du sens, comme pour justifier à nos yeux notre propre mort. Mais dans le cas de cette raie, les termes de l’échange entre la mort et la vie avaient changé, du moins pour Steve. « C’est presque Chrétien ce que tu dis », lui avait lancé Edgard, « nous devons payer pour les erreurs de l’ensemble de l’humanité ». Visiblement, c’était le clash entre une morale humaniste et une morale hédoniste. Dans l’une, les actes de l’individu se définissent par le biais d’un universalisme idéologique qui implique l’ensemble de l’humanité – c’est d’ailleurs bien pour cela qu’il est idéologique – ; et dans l’autre les actes de l’individu se définissent et s’organisent en vue d’obtenir une satisfaction individuelle la plus grande possible. La première morale condamne l’aile de raie à la portugaise parce qu’il en va de la survie de l’espèce, l’autre la tolère parce qu’il en va de la vie et du plaisir de l’individu. Dans l’une c’est une faute parce que l’individu n’est libre qu’en vertu du contrat social, dans l’autre c’est une jouissance et une marque de distinction parce que l’individu n’est libre qu’en ôtant la liberté à d’autres. La première était résolument moderne et éclairée, l’autre vraisemblablement plus archaïque et barbare. L’une se basait plutôt sur des

Page 54: Gaïa Scienza 3

La Raie Alitée. avec la permission de © Fondation Raffy

Page 55: Gaïa Scienza 3

55

lois écrites, l’autre plutôt sur une proclamation orale. L’une pouvait être un état de droit, l’autre un régime autoritaire. Le parlementarisme d’un côté, le fascisme de l’autre. L’individu libre dans l’un, l’individu aliéné dans l’autre. Je marquai une pause dans mon raison-nement. Tous cela m’emmenait bien loin et le froid commençait à me saisir les oreilles et les doigts de pied. C’est sur la conscience soudaine de mon corps que se présenta l’évidence que ces deux systèmes de morale n’étaient structurellement pas séparés, mais cohabi-taient au sein de mêmes espaces: l’idéal républicain n’a jamais fait disparaître les stratégies et les affirmations hédonistes, et les tribus les plus archaïques ont leur règles fondamentales dans l’organisation du groupe. J’avais affaire à une dialectique entre les instincts et la conscience d’un côté, et à une dialectique entre le groupe et l’individu de l’autre. Un casse-tête qui pour-rait faire l’objet d’une thèse sur les perspectives d’exis-tence et de développement des raies de Malte dans la civilisation contemporaine. Je pris le chemin du retour.

J’esquissai alors une dernière pensée pour le mytho-logique Jésus: « mangez, ceci est mon corps, buvez, ceci est mon sang ». L’expérience de ce soir me faisait penser qu’il avait déniché là la meilleure des média-tions, astucieuse « com » religieuse : celle de la nour-riture. En mangeant Jésus, je me rapprochais de dieu le père, d’un principe unificateur, comme la cuisine.

Page 56: Gaïa Scienza 3

56

Mais aujourd’hui, Jésus pouvait-t-il être dans une aile de raie? A l’évidence: non. L’eucharistie ne fonctionnait donc pas dans ce cas, car cela aurait signifié que dieu, et donc l’homme par la même occasion, sont en voie de disparition. Hors ça, mis à part les nihilistes et les sui-cidés, personne ne voulait en entendre parler. Il fallait continuer de travailler, de participer à l’effort plus ou moins commun de recherche de solutions. En atten-dant que la raie ressuscite en laboratoire, on peut dire que nous avions sacrifié avec Edgar un animal sacré aux yeux des écologistes. Voilà peut-être un moyen de recycler notre mauvaise foi. . .

De retour à l’intérieur, on avait ouvert une bou-teille de Schnaps et les discussions étaient plus légères. Au fond, pensais-je avant de m’écrouler, l’apocalypse n’était pas si terrible que ça. i

Page 57: Gaïa Scienza 3

La volonté du goût

Nguyen Xuan Son

Douze ans d’âge pour la boisson,Douze ans, l’âge pour cette première leçon.

Dans un réflexe, la bouche se serre,L’excitation de la découverte s’enterre,

De suite, le regret de la curiosité.Perdre la face ? Non, il faut tout avaler.Difficile d’être content de l’expérience,

La prochaine fois : abstinence.Mais le vin puis l’alcool fort montrent maturité ;N’y avait-il pas un arrière goût un peu fruité ? i

Page 58: Gaïa Scienza 3
Page 59: Gaïa Scienza 3

The Da Vinci Skull

Étienne Poulard

“Every decoding is a new encoding.” David Lodge, Small World

Every time we quote, we use quotation marks – thus: ‘ ’. This symbol is the semiotic manifestation of an aca-demic convention. It’s also a visual warning: please be aware that in this interval (‘ ’) I stop being myself; do not take these words as mine, for they come from elsewhere. Yet, there is a strong claim to ownership in the act of quoting, which is no less than an appro-priation of the discourse of somebody else. This is the heart and soul of a certain paradox-in-quoting. The “‘ ’” sign acknowledges the exteriority of a discourse that we have incorporated to our own: and as such, quoting is fundamentally an operation of interiorisation. The use of this specific code also testifies to the textual predestination that underlies the act of writing, id est the knowledge that what we are writing is going to be read by other people. Our audience is a ghostly one. In academic productions, the act of quoting manifests an unconscious need to integrate a larger discourse,

Page 60: Gaïa Scienza 3

60

which could be that of a specific discipline but also that of a certain social or cultural status in general. From a very young age, we’re inculcated with the fear of ex-clusion (are we not?). We think that relying on other discourses might be a good way to bring authority to our own discourse. We quote: ‘The mother’s body brings death into the world because her body itself is death’ (Janet Adelman, Suffocating Mothers).

palin / psaoscraped clean and used again

A palimpsest is a manuscript page that has been scraped off and used again. When we quote, we scrape off the original text; we bend its meaning in order to make it fit our discourse – which is a form of textual violence. (Plagiarism, on the other hand, should be en-couraged. And illegal downloading too.) By integrating alien quotes into our discourse, the aim is to strength-en our argument, to insure that our discourse is val-id – or even better: compelling. But there is a flip side to this interiorisation. If quoting consists in including text from the outside, then, surely, it means that our discourse represents the inside to this outside. Nice and safe. However, by accepting the academic conven-tion of quoting, we become ‘the outside’. OUTSIDERS. The fortress of academia is impenetrable – and all the

Page 61: Gaïa Scienza 3

61

more if we conceive it as such. When we quote, we manifest a desire to enter the fortress with our Trojan horse (a Trojan pen or a Trojan computer keyboard in most cases). Therein lies the potential danger of quoting: a maddening reversibility that exposes the inner side of our skin like the inside of a glove, and then—and then we are sucked within. What is at stake in the practice of quoting, and in writing indeed, is the question of authority. Authority is the Holy Grail of academic writing. Officially, authority is ‘an accepted source of information’ (but who accepts?). Author-ity also refers to ‘a quotation or citation from such a source,’ the dictionary tells us. I’m quoting from an online dictionary, Dictionary.com: can we consider it a reliable source of information to define authority? Yes? Does it lack authority because it’s not the Oxford English Dictionary?

A quotation is an uncanny recurrence of writing within itself: a ghost. The gap between the now of writ-ing and the then of a quotation is what conditions the whole of historical perception. From Greek antiquity through the Enlightenment, writing itself has been conceived as a derivative practice, the then of speech. But. No history without writing. In the end, it’s quoting that insures that the-tradition-of-all-the-dead-gener-ations-weighs-like-a-nightmare-on-the-brain-of-the-living. Let writing write us. It writes itself (people get

Page 62: Gaïa Scienza 3
Page 63: Gaïa Scienza 3

63

killed for less). The body writing [was / is / will be] an all-encompassing ocean of quotes whose functions are quasi-unlimited – like with modern cellular phones (email-book-gps-facebook-youtube-microwave, et ce-tera). The body writing is text of life, essence, white spirit. Devil eyes.

Writing the text of my life —

oceanskyline

and overheadthe incommensurable eye

spreading its warm light on my cold bodyIt’s the soothing voice in your ear that tells you to

carry on in spite of the paralysing sorrow.

The impossible hope when you are broken down sob-bing in your pillow.

Listen

Academia is a cardboard setting, wrapping and clas-sifying texts around a capitalistic mode of production and distribution. How to allay our fears of an infinite, overflowing writing? We classify. We classify so as to make our environment clear and tame. And what is quoting but another means of classification? Quoting

Page 64: Gaïa Scienza 3

64

is an arbitrary reordering of the body writing, giving us the illusion of a before and an after, the illusion that we can do away with the implacable mechanics of nature, with its perennial cycles of life and death. Our own finitude haunts us. Sometimes we despair. Life is full of uncertainties, apprehensions and doubts. But none of this really matters. Let’s think about the everyday. What we can learn from the practice of quoting, in the end, is that we shouldn’t take too much distance from the world, from things, from human beings, from direct human interaction. We touch, feel, hate, chal-lenge, desire, love, compete with, long for one another. And from these interactions, we infer the fragility of life, but also its invaluable value. It’s so easy to forget that genuine human interaction matters. Let the eve-ryday triumph – for the better and for the worse. Do you like coffee? i

Page 65: Gaïa Scienza 3
Page 66: Gaïa Scienza 3

Photo de David Brulotte – Stigmat Photo – (2010)Début des manifestations au Népal en mai dernier. A ce jour, il n'y a toujours pas de constitution, pas de gouvernement fonctionel et un retrait de l'onu sous peu. L'unité des maoistes que l'on voit sur cette photo n'est que symbolique et largement contraire et contradictoire avec le déroulement et la participation de ces derniers dans le processus politique népalais.

Beginning of demonstrations in Nepal during last May. Until today, there is even no constitution, no practical government and the presence of the un end up the 11th January. The Mahoist’s unity that we can see on this picture is only symbolic and it’s highly in contradiction with the sequence of events and the participation of this formers in the Nepali political process.

sound of silence