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Auteur : Jean-Jacques Eigeldinger Titre : Frédéric Chopin Article

"Frederic Chopin", par Jean-Jacques Eigeldinger

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Cet article a été publié précédemment dans la brochure "Chopin 2010 en Belgique" editée par le Service culturel de l’Ambassade de Pologne en Belgique à l’occasion de l’année Chopin et distribuée gratuitement lors d’un grand nombre de concert de musique de Chopin en Belgique durant l'année 2010.

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Auteur : Jean-Jacques Eigeldinger

Titre : Frédéric Chopin

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Frédéric Chopin apparaît comme l’un des compositeurs les plus foncièrement

originaux et indépendants qui aient traversé l’histoire de la musique occidentale. Sa

berceuse et sa barcarolle, ses études et ses préludes, ses ballades et ses sonates,

chacune de ses mazurkas scintillent comme autant d’étoiles au firmament des chefs-

d’œuvre. Dans son art aussi bien que dans sa position esthétique, Chopin s’impose à

tous égards par son unicité. Il est le seul génie musicien du XIXe siècle à s’être

délibérément et exclusivement concentré sur le piano, le seul aussi dont le piano ne

reflète en rien l’orchestre de son temps, mais stylise tout au plus certains éléments

du bel canto. On chercherait en vain dans son œuvre des notations de caractère

descriptif ou des traces avouées d’intentions programmatiques, contrairement à ce

qui se produit chez la plupart de ses contemporains. Le premier, il a su à ce point

prêter une oreille attentive et infiniment aiguisée aux chants et danses de sa Pologne

natale, en discerner les beautés et la valeur, pour en imprégner ses compositions

sans les y introduire textuellement. Parfaitement conscient de son innovation,

n’écrit-il pas dès l’âge de vingt ans à son alter ego Tytus Woyciechowski : « Tu sais

combien j’ai toujours cherché à exprimer le sentiment de notre musique nationale et

comme j’y suis en partie, arrivé ». Aucun musicien de son temps n’est resté comme

lui imperméable aux influences dominantes et aux courants contemporains - son

admiration pour Bellini mise à part -, pour mieux ausculter son rêve intérieur et le

noter dans une rédaction transcendante. Perceptibles dans maintes compositions de

son adolescence, les traits stylistiques propres à ses prédécesseurs polonais

Cet article a été publié précédemment dans la brochure Chopin 2010 en Belgique

editée par le Service culturel de l’Ambassade de Pologne en Belgique à l’occasion de l’année Chopin.

La brochure était disponible gratuitement

lors d’un grand nombre de concert de musique de Chopin en Belgique.

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(Franciszek Lessel, Michał Kleofas Ogiński, Karol Kurpiński, Maria Szymanowska)

et à son maître Józef Elsner sont balayés par le créateur qui conçoit dès 1829

plusieurs études de l’opus 10.

« Personne ne possède la souplesse et l’éclat dont Chopin témoigne dans ses

plus belles œuvres, associés à une technique de composition vraiment magistrale. –

Perfection du détail et équilibre de l’ensemble ne se sont rencontrés au même degré

que chez Bach, mais au service d’autres postulats » écrit Wilhelm Furtwängler. Ce

n’est certes pas un hasard si le nom du « cantor de Leipzig » vient ici sous la plume

de l’illustre chef d’orchestre. Le culte de Johann Sebastian Bach, pour diversement

partagé qu’il soit par Felix Mendelssohn, Robert Schumann ou Franz Liszt, n’aboutit

jamais chez Chopin à un décalque néo-baroque des formes de composition

polyphoniques du XVIIIe siècle. Son enracinement, constant et toujours accru, dans

l’œuvre de J. S. Bach apparaît comme le plus sûr garant des libertés et des audaces

de tous ordres dont il gratifie la littérature musicale. Comment ne pas songer ici à

un Charles Baudelaire qui se circonscrivait dans les exigeantes limites du sonnet

tout en prônant l’étude de Nicolas Boileau comme garde-fou à ses propres

hardiesses dans Les Fleurs du mal ? L’écriture et la forme chez Chopin offrent une

perfection qui n’a d’égale que la nouveauté de son langage et de son art pianistique.

Ainsi des éléments d’improvisation sont-ils incorporés et stylisés dans une

rédaction qui a la fermeté et la transparence cristalline du diamant. La sensualité

spiritualisée de sa courbe mélodique, la subtile mobilité de son rythme, les

raffinements de son harmonie et de ses modulations font de lui un carrefour au

milieu du XIXe siècle, point névralgique dont dépendent directement Fr. Liszt et

Richard Wagner, Gabriel Fauré, Claude Debussy, Alexandre Scriabine, mais aussi

Edvard Grieg, Bedřich Smetana, Leoš Janáček, Isaac Albéniz, sans oublier ses

compatriotes Karol Szymanowski et Mieczysław Karlowicz : autant dire une part

essentielle des créateurs et tendances qui ont dominé dans la seconde moitié du

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XIXe siècle et au début du XXe. Quoique menées dans des conditions et un esprit

différents, les recherches d’un Béla Bartók sur le folklore hongrois et roumain

dérivent de l’attitude du maître polonais.

Aristocratique par essence, la musique de Chopin a toujours rencontré une très

large audience (parfois à la faveur de mésinterprétations, il est vrai). Plongeant

racine dans le sol polonais, tout un pan de sa production touche pourtant les

peuples du monde. Ce ne sont là des paradoxes qu’en apparence. Tour à tour

épique, lyrique, dramatique, élégiaque, ou simplement joueuse et séduisante,

éternellement juvénile, l’œuvre de Chopin transcende aujourd’hui les contingences

d’ordre sociologique ou ethnologique en raison de son universalité. Si elle fait

désormais partie intégrante du patrimoine culturel de l’humanité, elle ne cesse pas

pour cela d’appartenir, comme un bien national, à la Pologne dont elle constitue le

plus beau fleuron artistique.

L’auteur.

Jean-Jacques Eigeldinger (1940), musicologue suisse, professeur émérite de l'Université de Genève,

Membre de Conseil de Programme de l'Institut National Frédéric Chopin (NIFC) de Varsovie. Il fut

membre du jury de plusieurs éditions du prestigieux Concours International de Piano Frédéric

Chopin.