FICHE UVRE Portrait de Dora Maar - Musée national Picasso ... · Citation de Picasso in Françoise Gilot et Lake Carlton, Vivre avec Picasso, Paris, Calmann-Lévy, 1965, rééd

FICHE UVREPortrait de Dora Maar

2

Fiche-uvre : Portrait de Dora Maar

Portrait de Dora Maar Pablo Picasso, 1937Bronze, épreuve pour le marchand Ambroise VollardHuile sur toile, 92 x 65 cmMusée national Picasso-ParisDation Pablo Picasso, 1979, MP158

© RMN-Grand Palais/Mathieu Rabeau© Succession Picasso, 2017

3


CITATION

« Un artiste nest pas aussi libre quon pourrait le croire. Cest vrai aussi pour les portraits que jai faits de Dora Maar. Pour moi, cest une femme qui pleure. Pendant des années, je lai peinte en formes torturées, non par sadisme ou par plaisir. Je ne faisais que suivre la vision qui simposait à moi. Cétait la réalité profonde de Dora. Vous voyez, un peintre a des limites, et ce ne sont pas toujours celles quon imagine. »

Citation de Picasso in Françoise Gilot et Lake Carlton, Vivre avec Picasso, Paris, Calmann-Lévy, 1965, rééd. 1973 (page 114)

LEXIQUE

Surréalisme : Mouvement artistique qui connaît son apogée dans lentre-deux-guerres et accorde une place essentielle à linconscient, à lautomatisme ou encore à labsurde. Le groupe surréaliste a été fondé par André Breton et a compté parmi ses membres Max Ernst et Salvador Dalí.

Maestà : La Vierge en majesté (ou « de majesté »), appelée Maestà en italien est, dans liconographie chrétienne, une représentation artistique de la Vierge Marie figurée trônant dans le monde terrestre. À partir de 1348, la Vierge dhumilité remplace progressivement la Vierge en majesté, la peste noire qui ravage lEurope incitant à des représentations plus humanisées.

QUESTIONNEMENTS FACE À LUVRE

Il sagit de questionnements qui peuvent guider lobservation de luvre avec les élèves. Ces interrogations peuvent être adaptées en fonction du niveau des élèves tout en conservant leur pertinence.

- Comment sont représentés le visage et le corps de cette femme ?

- Quelles sont les couleurs utilisées par le peintre ? Quels effets provoquent ces associations ?

- Qui était cette femme pour lartiste, daprès vous ?

- Observez le décor : comment est construite la perspective derrière le corps féminin ? Quel est leffet, par contraste, sur la représentation du corps du modèle ?

- Comparez ce tableau avec le Portrait de Marie-Thérèse (MP159)

Portrait de Marie-ThérèsePablo Picasso, 6 janvier 1937Huile sur toile, 100 x 81 cmMusée national Picasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979, MP159

© RMN-Grand Palais/Adrien Didierjean© Succession Picasso, 2017

4


ANALYSE

Dora Maar, muse et artiste

Quand Pablo Picasso peint cette toile, Henriette Theodora Markovitch, alias « Dora Maar », est entrée dans sa vie depuis la fin de lannée 1935.

Dès la fin des années 1920, Dora Maar multiplie les rencontres artistiques (photographie, théâtre, cinéma) et participe à différents cours pour étudier lart photographique. Elle rencontre Henri Cartier-Bresson, Brassaï (avec lequel elle partage la chambre noire dun atelier) et son mentor Louis-Victor Emmanuel Sougez, photographe travaillant pour la publicité, larchéologie et le journal LIllustration. Elle participe au tournage du Crime de Monsieur Lange de Jean Renoir comme photographe de plateau. Cest à cette occasion quelle fait la rencontre de Picasso, par lintermédiaire de Paul Eluard.

Dora Maar est également proche de plusieurs groupes artistiques et intellectuels politisés appartenant aux courants de lextrême gauche antistalinienne. Elle fréquente lécrivain Georges Bataille et des artistes en rupture avec le surréalisme, comme Jacques Prévert et Max Morise.

Installée tour à tour dans plusieurs ateliers parisiens, Dora Maar réalise en 1936 plusieurs uvres photographiques dinspiration surréaliste. Les collages et les ajouts de couleurs font de ces photographies de véritables uvres plastiques : Portrait dUbu, 29 rue dAstorg et Sa sur noire.

Elle passe pour être une forte personnalité encline, daprès Brassaï1, « aux orages et aux éclats », mais aussi une femme « bien racée, une qui na pas froid aux yeux » selon des propos rapportés de Picasso. Dora Maar est bien plus quun nouveau modèle puisquelle est aux côtés de Picasso des débuts de la guerre civile espagnole à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à une époque où lengagement de lartiste prend une tournure véritablement politique : la résistance aux idéologies totalitaires. Une des traces les plus importantes de cette association artistique du couple demeure les photographies des étapes de la création de Guernica en mai-juin 1937 dans latelier des Grands-Augustins à Paris.

Un portrait classique ?

Peindre un portrait de femme assise dans un fauteuil na certes rien doriginal chez Picasso qui a utilisé ce mode de composition de manière récurrente, et en particulier dans les années 1930. Le Portrait de Dora Maar présente de ce point de vue une composition assez classique, où le corps et le décor sentremêlent. Le corps du modèle est ici très encadré par la structure de la chaise et masqué par son vêtement noir. Ce nest pas sans rappeler les figures médiévales de Vierges en Majesté. Accoudée au fauteuil dans lequel elle est assise, Dora Maar tient elle-même une pose classique, équilibrée par la position de ses mains. Sa monumentalité est accentuée par les formes géométriques qui composent et découpent son vêtement. Ses épaulettes rappellent la mode de la fin des années 1930.

1. Brassaï, Conversations avec Picasso, Paris, Gallimard, 1964.

5


La structure est cependant en partie décalée par le mouvement dépaule qui introduit une pose plus relâchée, accentuée par les doigts soutenant le cou et la nuque de Dora Maar. La coexistence du visage hérité du traitement du cubisme et de lutilisation de la perspective pour le décor atteint une forme déquilibre, tout en concentrant le regard du spectateur sur le visage du modèle.

Un portrait révélateur

Lartiste a porté un soin extrême aux coloris. Les ongles apparaissent comme des griffes rouges ponctuant lespace et attirant le regard sur cette peinture polychrome. Le rouge et le noir, couleurs de mort et de passion, habillent le corps de Dora Maar et rehaussent léclatante palette jaune, bleue et rose de son visage, traité en relief par un jeu de facettes lumineuses. Lespace de la pièce est contraint et les rayures multicolores concentrent la perspective sur le personnage. Sereine et lumineuse, la présence de la jeune femme est aussi magnétique, grâce à lhétérochromie qui caractérise son regard.

Pablo Picasso représente le visage de Dora Maar partitionné de face et de profil, suggérant lintrospection, voire le déséquilibre. Dora Maar est toute en lignes brisées, angles aigus et couleurs heurtées, ses ongles rouges et acérés sur de longues mains souples. Son visage est traité en reliefs marqués, soulignés par ses cheveux sombres. Ses grands yeux présentent un regard fixe au-dessus dun corsage brodé, dont les formes effilées font écho aux croisillons du fauteuil et au quadrillage de sa jupe. Ces derniers, conjugués aux stries horizontales et verticales du fond, suggèrent, en même temps que lenfermement, un espace mental rétréci.

Léquivalence psychologique entre le modèle et son image est tout à fait plausible et pertinente.

Mise en regard avec dautres représentations de Dora Maar

Ce tableau nest pas la seule représentation du modèle par Picasso puisque Dora Maar a prêté son visage à une abondante série de portraits. Si celui de 1937 nous montre une beauté en majesté, Dora Maar apparaît souvent sous les traits de la « femme qui pleure » : « Pour moi cest une femme qui pleure. Pendant des années je lai peinte en formes torturées, non par sadisme ou par plaisir. Je ne pouvais

La Vierge de Majesté entourée de six anges Allegretto Nuzi, vers 1350Peinture sur bois, 138 x 99 cmAvignon, musée du Petit Palais

© RMN-Grand Palais/René-Gabriel Ojéda

6


que donner la vision qui simposait à moi. Cétait la réalité profonde de Dora. »2 Picasso transpose aussi ses angoisses sur le corps du modèle. Les représentations du visage de Dora Maar révèlent ainsi les sentiments de lartiste vis-à-vis dun monde qui savance vers la guerre.

Ce portrait nen reste pas moins un hommage damant. Le portrait que fit Picasso de Marie-Thérèse Walter, à laquelle il restait tendrement attaché, en janvier 1937 (Portrait de Marie-Thérèse, MP159) montre, dans un registre et une palette totalement différents, les mêmes qualités que celui de Dora Maar, et cela en dépit des personnalités si dissemblables des deux jeunes femmes. A lopposé de la blonde Marie-Thérèse, il donne forme à une figure féminine Dora Maar qui apparait sous les traits dune personnalité plus sombre et complexe. Les portraits de Marie-Thérèse et de Dora Maar ont souvent été accrochés ensemble au Musée national Picasso-Paris. Picasso les prêta même comme paire dans les grandes expositions récapitulatives qui ont jalonné sa carrière.

2. Françoise Gilot et Lake Carlton, Vivre avec Picasso, Paris, Calmann-Lévy, 1965, rééd.1973 (page 114).

Femme qui pleurePablo Picasso, 18 octobre 1937Huile sur toile 55,3 x 46,3 cmMusée national Picasso-Paris Dation Pablo Picasso, 1979MP165

© RMN-Grand Palais/Jean-Gilles Berizzi© Succession Picasso, 2017

Femme au chapeauPablo Picasso, 18 octobre 1937 Huile sur toile65,5 x 50 cm Musée nationalPicasso-Paris, Dation Pablo Picasso, 1979, MP181

© RMN-Grand Palais/Mathieu Rabeau© Succession Picasso, 2017

Accrochage de portraits de Dora Maar devant Femmes à leur toiletteDora Maar, 1939 Epreuve gélatino-argentique29,8 x 40,5 cmMusée nationalPicasso-Paris, Archives privées de Pablo PicassoDon Succession Picasso, 1992, APPH1383© Succession Picasso, 2017© ADAGP, Paris

7


LES PHOTOGRAPHIES DE GUERNICA PAR DORA MAAR

En 1937, Dora Maar effectue un authentique travail de photographe d’art autour des étapes de la création du tableau Guernica. Les 9 « états » de ce travail photographique en noir et blanc constituent une œuvre originale qui permet de voir l’évolution du chef-d’œuvre de Picasso au cours de son élaboration.

Ces tirages en argentique sont aussi bien un témoignage du mode opératoire de l’artiste dans l’atelier des Grands-Augustins, qu’une œuvre à part entière de son inspiratrice et collaboratrice, Dora Maar. Celle-ci a en effet procédé à de nombreuses retouches pour donner une cohérence artistique à l’ensemble : il ne s’agit pas d’une saisie photographique instantanée.

Etat I, MP1998-270

Guernica en cours d'exécution, Dora Maar, Etats I, II, III et VI, 1937Musée national Picasso-Paris, Acquisition, MP1998-270/MP1998-206/MP1998-216/MP1998-284

© RMN-Grand Palais/Franck Raux© Succession Picasso, 2017© ADAGP, Paris

Etat II, MP1998-206

Etat III, MP1998-216 Etat VI, MP1998-284

8


Pistes pédagogiques

ÉCOLE PRIMAIRE

Cycle 2 - Dun portrait à lautre

On peut demander aux élèves de comparer les formes et les couleurs du Portrait de Dora Maar avec celles du Portrait de Marie-Thérèse pour leur faire relever les différences entre les toiles. Lobjectif est de faire émerger les points de continuité dans le travail de Picasso et le sens quon peut attribuer à des formes ou des couleurs sur une toile, selon quelles sont rondes ou anguleuses, vives ou pastel.

Cet exercice est loccasion de mobiliser du vocabulaire descriptif spécifique : ligne courbe/ligne brisée, couleur vive/pastel, froide/chaude, etc.

Cycle 3 - Différencier les couleurs

La toile peut être un support pour identifier et classer les couleurs. Lenseignement des arts plastiques a traditionnellement recours à un vocabulaire qui différencie les couleurs primaires et les couleurs secondaires. Cest à partir du mélange des premières (rouge magenta, bleu cyan, jaune) quon obtient toutes les couleurs secondaires (orange = jaune + rouge/vert = bleu + jaune/violet = rouge + bleu). Le Portrait de Dora Maar utilise précisément un mélange des deux catégories de couleurs. On pourra inviter les élèves à repérer celles qui relèvent de la première et de la seconde catégorie. Pour travailler la variation et lintensité des couleurs, on pourra également initier les élèves au vocabulaire de la teinte (cest le mot qui désigne ce que nous appelons la couleur), de la nuance (cest la variation dune couleur par mélange avec sa voisine sur le cercle chromatique) et de la clarté (cest ce que nous apprécions quand nous disons quune couleur est claire ou foncée) des couleurs.

Il sagit ainsi de constituer un lexique de base nécessaire à lanalyse et linterprétation de lusage des couleurs. Une démarche inversée est ensuite possible : partir des mots dun texte pour trouver les couleurs, les nuances et leur clarté à retranscrire par le dessin. On peut ensuite questionner les élèves en sappuyant sur ce vocabulaire dans les descriptions dun texte de français. Lenseignant peut demander aux élèves dimaginer ou dattribuer des couleurs au paysage décrit avec des mots.

Lenseignant peut jouer sur cet usage des couleurs et montrer quelles ne correspondent pas à ce qui est attendu dans limaginaire des élèves selon lartiste observé. La fameuse phrase de Paul Éluard : « La terre est bleue comme une orange », peut dailleurs servir de point de départ à la réflexion entre forme et couleur.

9


Cycle 3 - Formes et couleurs

Dans une logique dassociation de formes et de couleurs, lenseignant peut proposer de reconsidérer les choix de lignes et de couleurs effectués par Picasso sur cette toile.

Au préalable, on pourra montrer aux élèves certaines uvres de Kandinsky qui a développé une symbolique très personnelle où le choix des couleurs sopère par des jeux mentaux inédits à partir de formes plus ou moins géométriques.

Dès lors, on peut montrer que le choix de Picasso obéit lui-aussi à une certaine logique, soulignant une disposition psychologique vis-à-vis du modèle. Les formes anguleuses et les lignes qui strient les murs rappellent un imaginaire presque diabolique (voir les travaux de lhistorien Michel Pastoureau sur ce sujet, référencé en bibliographie). Lenseignant présente aux élèves quelques éléments de la spécificité des rayures dans limaginaire collectif depuis le Moyen Âge. On proposera alors aux élèves de modifier les couleurs dune reproduction de la toile et de réfléchir ensemble aux transformations qui sen suivent sur leur ressenti face à luvre.

COLLÈGE

Cycle 4, Lettres/Arts plastiques - Une figure de femme-artiste dans lentre-deux-guerres (4e-3e)

Le Portrait de Dora Maar peut donner lieu à un travail de recherche sur le rôle de Dora Maar comme muse, accompagnatrice du travail de Picasso et elle-même artiste. Créatrice à part entière, elle utilise les procédés caractéristiques des photographes surréalistes dont elle est proche.

Les enseignants peuvent ainsi montrer latmosphère artistique dans laquelle Dora Maar baignait en présentant des photographies de Man Ray avec lequel elle a travaillé ou des courts extraits de luvre de Georges Bataille dont elle fut intime, pour montrer lengagement politique et intellectuel du groupe surréaliste, par exemple autour de lantifascisme.

Les photographies prises par Dora Maar et qui immortalisent les étapes de la création de Guernica présentent une valeur artistique indéniable. Elles ont aussi aujourdhui un fort intérêt documentaire puisquelles permettent de retracer très précisément le processus de naissance de luvre.

On peut y ajouter également les documents darchives qui montrent Dora Maar dans son activité dartiste et intellectuelle : les lettres échangées avec les surréalistes ou lune de ses plus fameuses photographies, 29, rue dAstorg. Cette uvre témoigne de laudace dassociation et de montages

29, rue dAstorg, Dora Maar, vers 1936Épreuve gélatino-argentique,

photomontage, rehauts de couleur, 29,4 cm x 24,4 cm

Paris, Centre Pompidou, Musée national dart moderne, AM1990-218

© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais/

image Centre Pompidou, MNAM-CCI© ADAGP

10


irréalistes, ce qui permettra aux élèves de mieux comprendre létrangeté apparente du Portrait de Dora Maar en le replaçant dans un contexte artistique et culturel plus large.

Lenseignant de langue peut utiliser un vocabulaire de description simple en espagnol pour identifier les « sculptures ibériques » qui relèvent dune tradition artistique antérieure à la conquête romaine. Certaines de ces statues ont été découvertes en Andalousie à la fin du XIXe et ont fait lobjet dune exposition au Louvre à la fin de lannée 1905, visitée par Picasso.

Quels que soient langle et la démarche adoptés, on peut imaginer une collaboration entre les enseignants darts plastiques et de lettres pour mettre en récit un portrait écrit de Dora Maar. Les toiles vues au musée saccompagneront en amont ou en aval de la visite dune recherche documentaire ou de la distribution de documents permettant aux élèves de reconstruire un récit biographique.

Arts plastiques/Mathématiques - De la perspective dans un portrait en 1935

Le cadrage du personnage de Dora Maar sur la toile se fait avec lutilisation dune perspective. Lenseignant peut questionner le choix de cette forme peinte traditionnelle. Construite à partir de la Renaissance, la perspective est devenue une convention de lart occidental au fil du temps jusquà sa remise en cause par les avant-gardes à la fin du XIXe siècle : le grand historien de lart Erwin Panofsky a écrit sur le sujet un texte, La perspective comme figure symbolique, en 1927. Lenseignant peut utiliser le Portrait de Dora Maar comme une uvre qui reformule le sens du recours à la perspective dans une peinture au XXe siècle. On peut présenter aux élèves de multiples exemples de perspective avec notamment des mises en scènes religieuses depuis le Trecento italien, sans hésiter à sappuyer sur des expérimentations bien antérieures de figuration de la profondeur sur une surface plane. Les grottes préhistoriques de Lascaux et de Chauvet attestent de tentatives allant en ce sens, tout comme certaines peintures de lEgypte ancienne. À Chauvet, la profondeur naît dune forêt de cornes noires.

Panneau des rhinocéros dans la restitution des grottes Chauvet à la Caverne du Pont dArc, vers 34.000 avant JC

© Patrick Aventurier-Caverne du Pont dArc

Histoire de saint François dAssise, Giotto, 1297-1299Fresque, 270 x 230 cm Assise, Registre inférieur de la nef de la basilique Saint-François

© Archives Alinari, Florence, Dist. RMN-Grand Palais/Ghigo Roli

11


Quels que soient les exemples choisis par lenseignant, il importe de ne pas laisser entendre quil y aurait un « progrès » de lart mais que bien au contraire les sociétés humaines expérimentent pour représenter leurs idées, leur pensée sur tout ce qui les entoure. Après lavoir resituée par ces exemples variés tirés du passé, on peut sinterroger sur la place de la perspective dans un portrait de Picasso en 1935 : quel est son sens ?

On peut habilement invoquer le « bricolage » que l'artiste a souvent pratiqué et revendiqué dans ces années pour mettre en relation des outils, des techniques et des méthodes qui étaient jusqualors distinctes (cf. le dossier pédagogique de lexposition « Picasso. Sculptures »). La perspective vient ici conforter lidentité du personnage alors même que Picasso avait pu apparaître comme le représentant du cubisme des premières années du XXe siècle et du surréalisme dans les années 1920 et 1930. Lartiste manifeste une nouvelle fois sa liberté de choix par lusage dun portrait qui réutilise et détourne les conventions traditionnelles de la peinture.

Lenseignant darts plastiques peut aussi compléter son travail par une collaboration avec lenseignant de mathématiques ou de sciences physiques pour réfléchir à lapport de la science mathématique dans la construction de la perspective à la Renaissance. À lépoque de Picasso et de la relativité dEinstein, le respect des formes canoniques de la perspective na plus la même

portée quà sa naissance !

Classe de 5e, Histoire et Arts plastiques - Dora Maar dans lhistoire du portrait

Lenseignant peut montrer que le Portrait de Dora Maar sinscrit dans une longue lignée de représentations féminines hiératiques. On peut ici comparer le portrait de Dora Maar avec des peintures médiévales qui représentent la Vierge en Majesté, mais également avec pléthores de portraits féminins de lhistoire de lart depuis le XVIe siècle.

Madame Moitessier, Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1856Huile sur toile, 120 x 92,1 cmLondres, National Gallery

© The National Gallery, Londres© RMN-Grand Palais/National Gallery Photographic Department

Femme allongée, Pablo Picasso, 1955Fusain, huile sur toile, papiers collés, 80 x 190 cmMusée national Picasso-Paris, MP1990-27

© RMN-Grand Palais/Gérard Blot© Succession Picasso, 2017

12


Mais on peut aussi mettre cette uvre en relation avec dautres représentations caractéristiques de la femme dans luvre de Picasso. Il existe en effet tout un répertoire de « poses » de femmes assises, allongées ou lisant. On peut questionner le sens et la symbolique que ces poses évoquent dans limaginaire des élèves en les reliant à nouveau avec dautres représentations de lhistoire de lart : odalisques, baigneuses, femmes à leur toilette, etc.

LYCEE

Première. Lettres/Histoire des Arts Pourquoi représenter Dora Maar ?

Lenseignant peut envisager dutiliser cette uvre picturale pour aborder la crise de la « représentation » des arts littéraires (roman, poésie, théâtre) depuis la fin du XIXe siècle. Le Portrait de Dora Maar témoigne dun rapport complexe entre les formes héritées du passé et les ruptures de la modernité, comparable à ce quon retrouve dans le domaine des lettres au XXe siècle.

Observer les formes peintes par Picasso permet de montrer les choix opérés par rapport aux avant-gardes et autres bouleversements du début du XXe siècle :

- utilisation de formes géométriques, réminiscences du cubisme ;

- utilisation de la perspective qui a pourtant perdu de sa nécessité avec labandon de la représentation mimétique à la fin du XIXe siècle (cf. par exemple le travail de Paul Cézanne) ;

- association de couleurs caractéristiques du début du XXe siècle ;

- Picasso mêle formes anciennes et modernes, les expérimentations avant-gardistes et une tradition à laquelle il est resté attaché toute sa vie.

Dès lors, le Portrait de Dora Maar peut servir de support pour montrer une correspondance avec la littérature. On retrouve chez bien des écrivains et auteurs une manière de créer par laquelle lartiste se joue des formes classiques héritées du passé pour les bousculer et les utiliser à sa guise en se créant son propre vocabulaire artistique.

Lenseignant peut poser la question de cette correspondance chez lauteur de son choix : quil sagisse dun poète (Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé), décrivains (par exemple du Nouveau Roman) ou dauteurs de théâtre (Bertolt Brecht), lenseignant puisera dans le vivier des uvres au programme pour montrer que lart pictural utilise des outils langagiers, certes différents, mais quil a des préoccupations et des pratiques dans lesquelles bien des écrivains peuvent se reconnaître. La proximité de Picasso avec de nombreux hommes de lettres confirme que sa peinture a une force évocatrice qui créé des liens entre eux : Guillaume Apollinaire, Paul Éluard, Jean Cocteau et Max Jacob en sont quelques exemples.

13


À LIRE

Sur l’œuvre de Picasso– BALDASSARI, Anne (dir.), La collection du Musée national Picasso-Paris,

Paris, Flammarion, 2014 – BOUVARD, Emilie (dir.), Chefs-d’œuvre du Musée Picasso-Paris, Coédition

Musée national Picasso-Paris/Artlys, 2016 – BOUVARD, Emilie (dir.), ¡ Picasso ! , Paris, Coédition Réunion des Musées

Nationaux Grand Palais/Musée national Picasso-Paris, 2015 – DAGEN, Philippe, Picasso, Paris, Hazan, 2008 – DAIX , Pier re , La v ie de pe in t re de Pablo P i ca sso , Pa r i s ,

Éditions du Seuil, 1977 – DAIX, Pierre, Le nouveau Dictionnaire Picasso, Paris, Robert Laffont, 2012,

Collection « Bouquins » – LEAL, Brigitte, Pablo Picasso, 1881-1973, Paris, Éditions du Centre

Pompidou, 2011 – PENROSE, Roland, La vie et l’œuvre de Picasso, Paris, Éditions Bernard

Grasset, 1961 – SECKEL, Hélène, BALDASSARI, Anne, DUPUIS-LABBÉ, Dominique,-

GIRAUDON, Colette, LEAL, Brigitte, L’ABCdaire de Picasso, Paris, RMN-Flammarion, 1996

À utiliser avec le Portrait de Dora Maar– BALDASSARI, Anne (dir.), Picasso/Dora Maar : Il faisait tellement noir…,

Flammarion, 2006– PANOFSKY, Erwin, La perspective comme figure symbolique, 1927 (réédition,

Minuit, Le Sens Commun, 1976) – PASTOUREAU, Michel, Les Couleurs de nos souvenirs, Le Seuil, Paris, 2010– PASTOUREAU Michel, L’Étoffe du Diable. Une histoire des rayures et des

tissus rayés, Le Seuil, Paris, 1991

JUILLET 2017

Fiche réalisée avec le concours de Olivier Verhaegen, professeur-relais de l'Académie de Créteil

De

sig

n g

rap

hiq

ue : o

pix

ido

.co

m

Documents

FICHE UVRE Portrait de Dora Maar - Musée national Picasso ... · Citation de Picasso in Françoise Gilot et Lake Carlton, Vivre avec Picasso, Paris, Calmann-Lévy, 1965, rééd