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Extrait de la publication… · Bob Marley est un maître incontesté en dissimula-tion. Et tous les superlatifs par lesquels on passera pour qualifier sa courte et phénoménale

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F O L I O B I O G R A P H I E S

c o l l e c t i o n d i r i g é e p a r

GÉRARD DE CORTANZE

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Gallimard

Bob Marley

par

Jean-Philippe de Tonnac

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Crédits photographiquesþ:

1, 7, 8þ: David Burnet/Contact Press Image. 3, 13þ: Ester Anderson/Corbis. 4, 6þ: Michael Ochs/Corbis. 5þ: Brian Cooke/Redferns.

9þ: Veuige/Dalle. 10þ: Scope/Dalle. 11þ: Michael Putland/Dalle. 12þ: Bernd Muller/Redferns. 13þ: Jean-Louis Atlan/Sygma/Corbis.

15þ: Patrick Chauvel/Sygma/Corbis. 16þ: Echoes/Redferns. 17þ: Underwood&Underwood/Corbis. 18þ: Rue des Archives/Agip.

19þ: Armando Gallo/Retna Ltd./Corbis.

© Éditions Gallimard, 2010.

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Jean-Philippe de Tonnac est essayiste, éditeur et journaliste. Il a étééditeur chez José Corti et a travaillé pendant une dizaine d’années à ladirection des Hors-série du Nouvel Observateur aux côtés de Jean Daniel.Il a consacré une première biographie à l’écrivain René Daumal (Grasset,1998)þ; mené des entretiens avec Théodore Monod sur le thème del’engagement (Révérence à la Vie, Grasset, 1999)þ; dirigé une encyclopédiesur La Mort et l’Immortalité (avec Frédéric Lenoir, Bayard, 2004)þ; ques-tionné, avec Roger-Pol Droit, l’idéal de sagesse dans l’Antiquité (Fouscomme des sages — Scènes grecques et romaines, Le Seuil, 2002)þ; engagéun échange avec le psychiatre Xavier Pommereau sur le Mystère de l’ano-rexie (Albin Michel, 2007)þ; organisé la rencontre entre Jean-Claude Car-rière et Umberto Eco sur la question des mutations du livre (N’espérez pasvous débarrasser des livres, Grasset, 2009). Titulaire de deux CAP (pâtisse-rie et boulangerie), il a dirigé pour la collection «þBouquinsþ» des éditionsLaffont, chez qui il est éditeur, le Dictionnaire universel du pain (2010).

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Pour Diane.

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Pour toute une génération, Bob Marley était le Mal-colm X des années 1970, un authentique révolutionnaireet un homme qui n’abandonna jamais les gens qu’ilaimait et pour lesquels il se battait. Au cours de sa vie,Bob Marley n’a jamais changé. Il n’a jamais changé sonapparence… il n’a même jamais changé sa garde-robe.

DANNY SIMS CITÉ PAR LLOYD BRADLEY,Bass Culture.

Quand le reggae était roi,Allia, 2005.

[O]nly a few people knew him intimately. To the out-side world he was a reggae superstar. Few knew that hissongs were «þsongs of sorrows, pleading for redemp-tionþ»þ; and only a few knew that the majority of hissongs were praises to his God-figure, Jah Rastafari.

LEONARD R.ÞBARRETT,The rastafarians Sounds of Cultural Dissonance,

revised and updated edition, Beacon Press, 1988.

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Rasta gigogne

Commençons par enfoncer une porte ouverte.Le plus exposé, le plus ressassé est en même tempsce qui est le mieux caché. Comme si la surexposi-tion participait en même temps de la dissimula-tion, en était le ressort essentiel. La vérité aimeson propre retrait, dit le philosophe. Ce qui sedonne à voir se dérobe, afin que ce qui se dérobese donne à voir et à connaître. En l’occurrenceBob Marley est un maître incontesté en dissimula-tion. Et tous les superlatifs par lesquels on passerapour qualifier sa courte et phénoménale prestationsur la scène tout en rondeur du globe terrestreconfirmeront cette loi de plomb. Que savons-nousexactement du soleilþ?

Jetons-en plein la vue d’entrée de jeu pour con-tinuer d’aveugler. Superlatifs. Prenons les chosesdans l’ordre. Trois ans après sa disparition, cellequ’on peut regarder comme définitive (mais lesrastas protestent), l’album Legend est parmi lesmeilleures ventes de tous les temps. L’exploitn’est, dans son cas, pas isolé. Songs of Freedom en1992, est un nouveau jackpot. Décourageant pour

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la concurrence. Puis on enchaîne, très vite. LaBBC, en 1999, déclare que «þOne Loveþ» (premierenregistrement 1965, et présent sur l’album Exo-dus, 1977) est la chanson du millénaire, tandisque le Time fait d’Exodus le «þmeilleur album duXXeþsiècleþ». La BBC remet ça, en 2001, aumoment de désigner les meilleurs auteurs-compo-siteurs de tous les temps, en plaçant Marley sur lepodium, bien qu’en troisième position, après Dylanet Lennon — résultat confirmé par sa onzièmeplace dans le classement Forbes des personnalitésdisparues ayant touché les plus gros revenus1*. Onimagine que cet ébouriffant palmarès n’a paslaissé insensibles tous ceux qui se sentent le droitde revendiquer une part de ce succès. À commen-cer par son île au milieu de nulle part, plus pré-cisément perdue dans le Black Atlantic, une île oùil est venu au monde, en 1945, fort modestement,à Rhoden Hall, au pied de la colline de NineMiles, paroisse de St. Ann, dans cette régionqu’on appelle «þThe garden parish of Jamaicaþ»(la paroisse-jardin de la Jamaïque). Non seule-ment ses chansons vous accueillent à l’aéroportNorman Manley, en fanfare et en boucle, maisson «þOne Loveþ», encore lui, fait désormais officed’hymne national et vous ne pouvez concevoirune visite de l’île sans vous arrêter dans sa mai-son, 56 Hope Road, Kingston, où il a engendréquelques-uns de ses plus grands succès, et trans-formée désormais en musée, ou au mausolée de

* Les notes bibliographiques sont regroupées en fin de volume p.þ342.

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Nine Miles où il repose. Il est certain que Bobdemeure pour l’Office du tourisme jamaïcain«þune institution plus commercialisable que leschutes de la Dunns River, les rent-a-dreads d’OchoRios ou le rhum Wray&Nephewþ» — «þrent-a-dreadsþ» («þlouez un rastaþ»), étant, nous expliqueLloyd Bradley, «þle surnom donné aux prostituésmâles qui arpentent les plages d’Ochos Rios etMontego Bay, une des distractions favorites deriches (et vieilles) touristes (américaines) en quêtede “Big Bamboo”2þ».

Le nombre de ceux qui sont prêts à détournerun peu de cette lumière sur eux sont même légion,farouches, activistes de surcroît, au besoin procé-duriers. Les femmes de Bob se sont longtemps dis-putées la mémoire de son cœurþ; ses enfants uneplace devant son nomþ; les producteurs des droitsficelés de manière très peu conventionnelle auxsingles et albums qui ponctuent une trajectoire quipose un pied sur tous les continents et que la mortn’arrête visiblement pasþ; les réalisateurs la res-ponsabilité d’un biopic qui va venir nécessaire-ment les conforter, eux les gardiens du temple,dans leur velléité de ne rien faire, ne rien tenter.Mais le plus important n’est pas là. L’ascension del’enfant jeté sur les «þépines du plein jour 3þ», àKingston, Jamaïque, manière de Calcutta du Nou-veau Monde, où naître et (éventuellement) grandirs’apparente à une réprimande divine, ou un actede foi, la transsubstantiation qu’il a opérée de laviolence ordinaire, cette régénération de son sangqu’il est allé puiser après son premier séjour à

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Wilmington (Delaware, États-Unis) au sein desgroundations ou rassemblement des premièrescommunautés nyabinghi, toute cette ardente énergierédemptrice déployée par Marley n’a jamais cesséde susciter la louange et l’admiration des parias dela terre qui l’ont porté et le portent aux nues.Ainsi Bob est-il la première icône de ce tiers-monde qui apprend toujours beaucoup de lui, etd’abord à se détourner des dieux de l’Occidentqui squattent, à défaut de temple, le Nasdaq. Il estun sursaut magnifique d’orgueil pour cette partiedu monde qu’on n’a pas encore informée de lachute du Mur, ou qui n’y a pas cru, parce qu’unmur en cache toujours un autre, un mur blanccontre un mur noir, et que les illusions ont cesséde bercer. En ce sens, le phénomène Marley excèdetrès largement la scène musicale et a justifié, dansles pays anglo-saxons, l’investigation des chercheurssusceptibles d’éclairer cette inespérée parousieau cœur des ghettos de Back’O’Wall et de TrenchTown. Leader métis d’un panafricanisme dont ilest sans doute la figure la plus populaire, Marleya ainsi contribué à déplacer et brouiller les lignes,selon une stratégie qui lui était propre et qui aemprunté à cette loi évoquée précédemment. Dansune société de l’image et du leurre, le lieu de la dis-parition est au point de la plus universelle exposi-tion. En ce sens, Marley est demeuré un secretbien gardé.

Et gardé à deux niveaux de profondeur. D’abordl’homme, au dire de ceux qui l’ont approché,côtoyé de près, est resté indéchiffrable. Son

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biographe «þofficielþ», Timothy White, qui a con-sacré sa vie à scruter ce personnage «þtruqueurþ»,qu’il compare à l’araignée Anansi, héroïne descontes ghanéens et, plus généralement, des folk-lores de l’Afrique de l’Ouest et des Caraïbes,araignée roublarde, insaisissable, confirme cetteaptitude de Marley à vous échapper, à vous glisserentre les doigts, à protéger son monde intérieur,selon ce double mouvement du don de soi et duretrait4. Comme si les aptitudes métaboliques dumonde s’acharnaient à vouloir atteindre à l’essencedu message du chanteur et s’y épuisaient. Car,comme le dit White, si Marley est demeuré la reg-gae star que l’on sait, et ce dès le début des années1970, peu de ses adorateurs ont su que la plupartde ses tubes étaient en réalité des hymnes chantésà la gloire de Jah, le dieu d’une religion syncrétistenée des efforts obstinés de prophètes obscurs etsublimes, à la fois dans la Caraïbe, l’Amériquecentrale, les États-Unis et l’Afrique du Sud, pourréhabiliter l’âme noire. Dans une génération quidécouvrait, à partir des substances douces puisdures, les vertus du saut à l’élastique, avec ou sansélastique, on avait un peu rapidement classé Mar-ley et ses semblables parmi les fumeurs de joints,adeptes d’un peace & love de bazar, animateursde dancehalls aux quatre coins de la planète,laquelle se balançait désormais au rythme lent etlourd du one drop made in Jamaica. Les clichésont la peau si dure, parfois, qu’il est bien inutilede vouloir les pourfendre, et Marley eût été le der-nier à vouloir se mettre à nu. Si ce n’est dans

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l’intimité des alcôves, chambres d’hôtels, nuits dehasard, dont les protagonistes, peut-être, chéris-sent encore les images, inaltérable butin. Unhomme artiste gigogne dont les dreads, qui osten-siblement montrent et cachent, se retrouvent jus-ques et y compris sur le crâne du dernier Marley,tout au centre, à mille lieues au-dessous du niveaude la mer. Black Atlantic.

Nous y sommes. Le sociologue Paul Gilroy, duGoldsmith’s College de Londres, a développé ceconcept qui permet de réécrire l’histoire de ceshommes et de ces femmes arrachés à leurs terresafricaines mais arrivés nulle part, puisque jamaisaccueillis, ou bien à bras fermés et sans qu’aucunrivage ne se fasse jamais connaître5. Certainementpas les côtes de Guanahani (San Salvador), ainsique Colomb les a vues dans la nuit du 11 au12þoctobre 1492. Mais que voit-on dans la nuitþ?Plus sûrement, celles des prochaines et durablesservitudes. Un peuple déraciné, déporté, doncinterdit de se réenraciner ailleurs que dans ce non-espace qui n’est plus tout à fait l’Afrique, dont ilne demeure pour eux et leurs descendants que lesrythmes et les danses, ce dont le corps ne se dépar-tit pas même quand il est dans les fers, et pasencore la terre des esclaves, dont on ne veut évi-demment pas, ou qu’on fait semblant d’accepter.Ce Black Atlantic, ou sixième continent, qui n’estni ceci ni cela, «þneti netiþ», disent les Hindous, etcela tombe plutôt bien puisque ceux qui rempla-cèrent les Noirs après leur affranchissement, en1833, jouèrent dans cette histoire un rôle de cata-

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lyseur essentiel, nous allons y revenir. Il fautnécessairement s’attarder à reconstituer ce périmè-tre de détresse et de réinvention de soi ou se con-damner à ne rien comprendre à ce qui s’est passéen Jamaïque. Le rastafarisme qu’embrasse Marleyà son retour du Delaware, en 1966 (il a déjà pu sefaire une petite idée de ce qu’était le shitstem), estd’une certaine manière le très pur produit de cettedouble conscience dont parle W.E.B. Du Bois, quiest la certitude de n’appartenir à rien vraiment6.Peut-être la meilleure illustration de ce qu’estl’expatriation de soi est-elle donnée par l’écrivainsud-africain John Maxwell Coetzee dans son romanMichael K, sa vie, son temps. Comment faites-vous lorsque vous débarquez dans un monde quine vous voit pas, qui pourrait au mieux vous mépri-ser, mais qui vous ignore plutôt, qui a de vousl’image d’un sous-quelque chose, et qui a traité dela même façon vos parents et les parents de vosparentsþ? Comment faites-vous pour reprendre unpeu foi dans ce qui est si unanimement dégradéþ?Par où abordez-vous le problèmeþ? À partir dequoi essayez-vous de renverser le cours de l’his-toire qui vous a placé hors de l’histoireþ? C’est, bienentendu, cette affreuse aporie qu’il faut raconterlorsqu’on veut entendre la genèse du mouvementrastafari en Jamaïque, sorte de sionisme noir quivoit en l’Éthiopie son rêve promis et dans HailéSélassié, dernier Negusä nägäst d’Abyssinie, sonMessie noir. Or, c’est cette croyance que Marleyportait au plus profond de lui et qui l’a fait chan-ter et prêcher à travers ses tournées-marathonsþ; et

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sans doute cette pugnacité, cette énergie redouta-ble, jusques et y compris aux portes de la mort,peut-elle s’expliquer par sa foi ardente, pour nousà jamais obscure, laquelle excède ici, on l’auracompris, les enjeux du seul show-biz. Ainsi, dansla pleine lumière du mythe qu’il a contribué àcréer, Marley a-t-il bel et bien disparu à nos yeux.Et la tâche du biographe s’apparente à celle deHenry Morton Stanley partant, à travers l’Afri-que, à la recherche de David Livingstone.

Et nous voilà descendu à quelques profondeursau-dessous du niveau des mers où les bateauxnégriers poursuivent inlassablement leur obsé-dante et obscène ritournelle. La carrière du chan-teur Marley est inconcevable sans ces petits coupsde pouce du destin qui ont pour nom Clement«þCoxsoneþ» Dodd, Lee «þScratchþ» Perry, DannySims ou Chris Blackwell, le bien nommé. Ces per-sonnages hauts en couleur, jamaïcains ou anglo-jamaïcains, voire même américains, ont contribuéà forger ce messie reggae rasta qui poursuit, à tra-vers les siècles, désormais, sa course verte, jauneet rouge. Mais Marley, pourtant, n’a rien inventé.Il ne fut pas le musicien le plus talentueux de sagénération, et d’autres postulants auraient pu pré-tendre décrocher plus sûrement ce gros lot que leciel lui a attribué presque exclusivement. Celuiqui a fini par le résumer presque à lui tout seuln’a pas été véritablement le créateur du reggae,ni même son meilleur ambassadeur. Comme le ditLloyd Bradley, le fait que «þl’acteur le plusfameux du reggae n’exerça pratiquement aucune

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influence sur le développement de la musique àson niveau le plus basique — c’est-à-dire les stu-dios de Kingston —, constitue une ironie d’appa-rence colossale7þ». Les choses se passaient ailleurs.Très au-dessous du niveau de la surface des eaux.Essayez, pour voir, de plonger vos racines dans lenoir océan et voyez un peu si vous vous arrimez àquelque chose de solide. Pas évident. Marley ettous les prophètes du panafricanisme-éthiopianismeont eu à affronter ce casse-tête et sans doute celapeut-il légitimer cette étrangeté et ce mystère chezlui. Cette préoccupation. Marley n’est donc passeulement la découverte ou l’invention de produc-teurs et agents, fussent-ils géniaux (et ils le furent),certains d’avoir trouvé en lui l’icône d’une jeu-nesse encline à faire des vaincus de l’histoire sesprophètes.

Lorsqu’il commence à suivre l’enseignement deMortimer Planno, sorte de rasta VIP depuis qu’ils’est vu désigné pour accueillir Hailé Sélassié envisite en Jamaïque en 1966, Marley rejoint volon-tairement le petit nombre de ceux qui œuvrent àretrouver l’arche perdue, c’est-à-dire l’âme noire.Il est un des héros de cette renaissance, l’un desplus prodigieux. Dans ce sens, il convient de ratta-cher son nom à ceux de ces autres lumières quiœuvrèrent, avant lui, à ouvrir les eaux de l’océannoirþ: parmi ceux-ci, Archibald Dunkey, fondateurde l’antenne jamaïcaine de l’Ethiopian WorldFederationþ; Robert Hinds, prêcheur inspiré à latête de sa King of Kings Mission (6 Law Street,Kingston)þ; Joseph Nathaniel Hibbert, Costaricain

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membre de The Ancient Order of Ethiopia Maso-nic Lodge, puis ministre de l’Ethiopian CopticFaith en Jamaïque où il rencontra celui qui estdonné comme le premier véritable rasta de l’his-toire, Leonard Percival Howell. Sans oublier, bienentendu, le King des Kings, pour le coup, MarcusMosiah Garvey, figure de proue de ces mouve-ments engendrés ex nihilo, catalyseur de toutesces poussées de fièvres noires et à qui incombe laresponsabilité morale d’avoir assigné à ces contin-gents de fils d’esclaves, perdus sur l’immensité d’unocéan sans rivages («þlocal sans les mursþ», pourparaphraser l’écrivain Miguel Torga lorsqu’il défi-nit l’universel), la perspective du «þRetour en Afri-queþ». Mais on sait désormais ce que ces rêves derapatriement, lorsqu’ils s’incarnent, peuvent avoirde parenté avec les plus terribles cauchemars.

Bob est donc le héros d’une histoire gigogne, elleaussi. C’est celle-là qu’il faut raconter si tant estqu’on veuille saisir le mouvement de sa trajectoire,des quartiers les plus malfamés de Kingston auxétoiles noires au milieu d’un ciel encore trop blanc.

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Composition �ord Compo

Impression Maury-Imprimeur

45330 Malesherbes

le 7 mai 2010.

Dépôt légal : mai 2010.

�uméro d’imprimeur : 152885.

ISBN 978-2-07-034239-6 / Imprimé en France.

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Bob Marley

Jean-Philippe de Tonnac

Cette édition électronique du livre Bob Marley de Jean-Philippe de Tonnac

a été réalisée le 23 octobre 2012 par les Éditions Gallimard.

Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage (ISBN : 9782070342396 - Numéro d’édition : 147061).

Code Sodis : N44861 - ISBN : 9782072414244 Numéro d’édition : 230106.

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