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Evaluation participative des actions de l’animation socioculturelle : le défi de la qualité Rapport de recherche Armbruster Elatifi Ulrike, Libois Joëlle, Perret Basile, Warynski Danièle Genève, août 2014

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Evaluation participative des actions de

l’animation socioculturelle : le défi de la qualité

Rapport de recherche

Armbruster Elatifi Ulrike, Libois Joëlle, Perret Basile,

Warynski Danièle

Genève, août 2014

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Remerciements

Nos remerciements vont en premier lieu au « cedic HES-SO » qui, par son subventionnement, a

permis la réalisation de cette recherche.

Nous tenons également à remercier nos partenaires terrain qui ont participé à cette recherche : la

direction de la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe) qui a donné son accord

de principe de collaboration à la recherche, puis les comités et les professionnels de la Maison de

quartier de Carouge et de la Centre de loisirs de Meyrin qui ont formé notre terrain d’investigation.

Nous remercions aussi le groupe d’experts qui a accompagné cette recherche et nous a enrichis de

ses remarques avisées, de ses suggestions, de ses questionnements : M. Yann Boggio, secrétaire

général de la FASe, M. Mehdi Aouda, secrétaire général adjoint en charge de la politique de la ville,

M. Jean-Marc Goy, membre du comité de la Fédération des centres de loisirs et de rencontres et M.

Laurent Wicht, professeur à la HETS Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier Basile Perret, assistant de recherche, qui a accompagné nos travaux tout

au long de cette recherche ainsi que Robin et Massimo Antonelli qui se sont occupés de la relecture

et de la mise en page du rapport.

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Table des matières

Introduction ............................................................................................................................................. 3

Chapitre 1 : Référentiels .......................................................................................................................... 5

1.1. Les processus de gestion et d’évaluation dans le secteur public. De la nouvelle gestion

publique à la gouvernance publique ..................................................................................... 5

1.2. L’animation socioculturelle, comme champ d’activités interactives et participatives ....... 10

1.3. Les valeurs ........................................................................................................................... 14

1.4. Epistémologie de l’activité participative ............................................................................. 21

1.5. L’évaluation : cadres théoriques ......................................................................................... 26

1.6. L’évaluation interactive ....................................................................................................... 29

Chapitre 2 : Méthodologie .................................................................................................................... 31

2.1. Recherche appliquée ........................................................................................................... 31

2.2. Groupe de terrains, groupe de chercheurs, groupe de référence ...................................... 32

2.3. Etapes ou déroulement sur le terrain ................................................................................. 33

2.4. Enregistrement sonore et vidéo, entretiens, analyse de contenu, travail de groupe, journal

de terrain ............................................................................................................................. 36

2.5. Présentation des terrains .................................................................................................... 40

Chapitre 3 : Etapes, processus et émergence d’un modèle ................................................................. 44

3.1. Première étape : la construction de la recherche (nov12-janv13)...................................... 44

3.2. Deuxième étape : étude de l’existant (janv13-fév13) ......................................................... 47

3.3. Troisième étape : retour sur l’étude de l’existant et co-construction d’une démarche

participative d’évaluation (mars 13) ................................................................................... 51

3.4. Quatrième étape : l’action, l’expérimentation et la mise en œuvre de l’outil d’évaluation

participative (avril-mai13) ................................................................................................... 55

3.5. Cinquième étape : l’analyse des données empiriques (mai-sept 13) ................................. 57

3.6. Sixième étape : l’évaluation du processus de recherche .................................................... 66

Chapitre 4: Synthèse ............................................................................................................................. 71

4.1 Présupposés de départs ...................................................................................................... 71

4.2. Modélisation........................................................................................................................ 77

Chapitre 5 : Pistes et perspectives ........................................................................................................ 93

Bibliographie.......................................................................................................................................... 98

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Introduction

La thématique de la présente recherche porte sur l’évaluation participative d’actions en animation

socioculturelle.

L’évolution politique et économique impose une présence de plus en plus forte des modalités

d’évaluation dans le champ du travail social. Si l’évaluation fait aujourd’hui partie du quotidien des

professionnels du social, elle interroge sur sa faisabilité. Les modèles classiques d’évaluation ne

répondent pas aux critères participatifs tels que définis dans les valeurs fondamentales du travail

social.

Du côté politique, la mise en place de la Nouvelle Gestion Publique (NGP) vise à rendre les

institutions étatiques plus autonomes en contrepartie de mesures de performance. Par ailleurs, la

volonté de renforcer la « cohésion sociale » en partenariat avec la société civile s’inscrit aujourd’hui

dans les priorités des politiques publiques. Dans ce contexte, la création d’un outil d’évaluation

partagé par les différents acteurs concernés qui permette de rendre compte des réalités et

problématiques du terrain répond à la définition des priorités des politiques sociales et permet de

rendre compte des réalités d’une forme du travail social participative et démocratique.

En ce qui concerne le milieu de l’animation socioculturelle, nous remarquons un accroissement

d’intérêt au niveau national pour élaborer des instruments qui garantissent et développent la qualité

de l’animation socioculturelle. Cet intérêt est notamment partagé par l’Association faîtière suisse

pour l’animation jeunesse en milieu ouvert (AFAJ) qui a entamé une première recherche avec la

Haute Ecole de Lucerne (HSLU). Différents développements dans le paysage de l’animation

socioculturelle en Suisse et à Genève ont appuyé notre choix d'engager la présente recherche,

comme la volonté de la faîtière suisse de l’animation jeunesse en milieu ouvert (AFAJ) de se doter

d’un outil de vérification de la qualité des prestations ou encore la réflexion en cours au niveau de la

Fondation pour l’animation socioculturelle (FASe) à Genève pour développer un outil qui rende

compte des actions des terrains.

L’animation socioculturelle, en évolution et développement constants, a continuellement à faire

connaître ses champs de pratique et l’activité réelle que ceux-ci engendrent. Pour ces raisons, notre

recherche questionne les possibilités et les conditions d’un processus d’évaluation participatif

reconnu par les décideurs institutionnels et politiques qui rende compte de l'action de terrain. Un

processus d’évaluation participatif permet non seulement d’affirmer une volonté de rendre compte

de son action, mais aussi d’intégrer l’évaluation dans la méthodologie de projets participatifs.

La conjoncture de ces différents développements nous a offert un champ de recherche ancré dans

des problématiques très actualisées. Cette recherche a débuté en janvier 2013 et a duré une année.

L’équipe de chercheurs était composée de formateurs de la Haute école de travail social Genève

(HETS Genève). L’étude a été réalisée en partenariat avec la Fondation genevoise pour l’animation

socioculturelle (FASe). L’intervention s’est faite en collaboration avec deux maisons de quartier du

canton de Genève faisant toutes deux parties de la FASe. La démarche expérimentée ouvre un

nouveau paradigme en matière d’évaluation participative de projets collectifs.

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Ce rapport comprend cinq chapitres qui retracent l’ensemble de la démarche de recherche. Le

premier chapitre pose le cadre théorique et conceptuel. Ainsi, nous détaillons le contexte

d’apparition de l’évaluation dans le domaine public et son évolution au cours des dernières

décennies. Nous rappelons les fondements de l’animation socioculturelle comme champ d’activités

interactives et participatives ainsi que les valeurs qui sous-tendent le travail social et plus

particulièrement l’animation socioculturelle. Nous exposons par la suite la notion d’évaluation

participative à travers une approche épistémologique. En effet, dans ce travail nous nous sommes

basés sur le concept d’action ou plutôt d’acte développé par Mendel en 1998 qui différencie le

discours d’action et la pratique de l’acte en trois temps différents : le pré-acte, l’acte et le post-acte.

Enfin, nous terminons ce chapitre par une définition de l’évaluation participative à proprement parler

et faisons un parallèle avec une recherche menée en 1992 à Genève par le sociologue Michel Vuille

sur l’évaluation interactive dans les maisons de quartier et jardins robinson genevois.

Dans le deuxième chapitre, nous présentons notre méthodologie de la recherche. Il s’agit d’une

recherche appliquée. Nous avons donc évolué dans cette étude conjointement avec nos partenaires

de terrain. Les différentes étapes de la recherche sont explicitées tout comme nos références

méthodologiques. Nous décrivons également les outils méthodologiques employés durant la

recherche. Nous concluons par la présentation de nos partenaires de terrain.

Le troisième chapitre est consacré au processus de la recherche. Nous reprenons chacune des

différentes étapes. Nous les décrivons telles qu’elles se sont déroulées sur le terrain. Nous spécifions

aussi les écarts que nous avons pu constater entre le développement projeté initialement par

l’équipe de recherche et la réalité du vécu sur le terrain, les ajustements nécessaires, les impasses et

les découvertes. Nous complétons ce descriptif par nos réflexions faites tout au long du processus de

recherche.

Après un bref rappel des objectifs et des présupposés de départ, nous revenons dans le quatrième

chapitre sur nos préconçus théoriques pour les mettre en regard avec les résultats de notre

recherche. Dans une deuxième partie de ce chapitre nous tentons de modéliser notre processus

d’évaluation participative. Notre but étant de proposer un outil de travail aux acteurs de terrain afin

de pouvoir s’emparer de l’outil et mener une démarche d’évaluation participative.

Nous terminons ce rapport par une mise en perspective de cette recherche et quelques pistes

d’évolution future.

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Chapitre 1 : Référentiels

1.1. Les processus de gestion et d’évaluation dans le secteur public.De la nouvelle

gestion publique à la gouvernance publique

Les processus de gestion et d’évaluation dans le secteur public développés ici s’appuient

principalement sur l’ouvrage Repenser la gestion publique, de D. Giauque et Y. Emery (2008).

La nouvelle gestion publique (NGP ou new public management NPM) s’est répandue en Suisse, dans

les administrations, à partir des années 90. La Suisse est un pays où le goût de la perfection règne

(manufacture horlogère, mécanique de précision, système démocratique aux instances diverses et

nombreuses) et où le coût de l’administration représente un des thèmes les plus débattus (Giauque

& Emery, 2008). La conjoncture économique difficile pour la plupart des collectivités publiques

amène l’idéologie libérale à prôner moins d’Etat, tout du moins un Etat différent où l’obsolescence

du modèle « bureaucratique » devient un leitmotiv au changement. L’appréciation du public envers

les fonctionnaires se transforme peu à peu. Alors que le public adhérait à l’idéologie de travailleurs

utiles à la communauté, il considère davantage aujourd’hui ces travailleurs comme des nantis,

bénéficiant de conditions de travail favorables, voire trop favorables, non soumis à la dure réalité de

concurrence qui sévit au sein des entreprises privées. De nombreux citoyens adoptent des discours

malveillants à l’encontre de ceux qui seraient privilégiés tout en étant financés par leurs propres

contributions, et sont dès lors largement séduits par les modèles théoriques du libéralisme élaboré

par des scientifiques économistes. Le contexte économique difficile est indéniablement un terreau

fertile à un modèle de pensée téléologique porté par la dimension pragmatique et mesurable que

propose la NPG. Notons encore que l’avènement des techniques d’information et leur implantation

dans tous les champs d’activité a largement favorisé le déploiement d’un nouveau modèle de gestion

et de contrôle tel que le permet l’application de la NGP.

Rappelons que dans la période d’entre-deux-guerres, le taylorisme est à son apogée dans l’industrie

sidérurgique aux Etats-Unis. Cette nouvelle organisation du travail séduit l’organisation scientifique

du travail (OST) en Suisse qui propage ces idées auprès des entreprises et instituts universitaires. Ce

mouvement de pensée ouvre des perspectives novatrices et ainsi apparaissent des spécialistes en

organisations et en psychologie du travail. Nouvelles professions qui visent à transformer les logiques

organisationnelles, tout en cherchant à intégrer les besoins et motivations du personnel.

Les aspects financiers sont devenus peu à peu incontournables au sein des champs disciplinaires des

sciences du travail, tout comme la redéfinition de l’appellation des chefs ou patrons dans les secteurs

de l’industrie, ou encore directeurs au sein des administrations, qui deviendront dirigeants, puis

managers, quels que soient les secteurs d’activité. Dans le cadre des organisations publiques, «

dominées par des doubles hiérarchies – politique et administrative – les questions touchant au

« leadership », à l’autonomie de décision et à la responsabilité deviendront essentielles » (Giauque &

Emery, 2008, p.15).

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Les années 1960 – 1990 sont marquées dans ce domaine par l’arrivée d’un nouveau type d’acteurs,

soit les consultants. Ces experts, indispensables dans un effort soutenu de modernisation, sont

largement sollicités par les administrations publiques et milieux politiques en quête d’un nouveau

paradigme, soit celui de l‘efficience, qui se caractérise dans la gestion publique par la rationalisation

et la rentabilité à tout prix. C’est ainsi que l’esprit d’entreprise entre dans la sphère publique et que

le courant du new public management fait son apparition dans l’administration suisse (années 1995 –

2000). L’organisation étatique passe donc d’une conception du service public à une éthique fondée

sur l’entreprise privée. Les valeurs traditionnelles de la fonction publique telle que le sens de l’intérêt

général, l’intégrité, l’altruisme et le sens du bien commun sont remplacées par des valeurs issues du

monde marchand porté par la culture du résultat ou de la performance.

Ce courant naissant a séduit autant les tenants de la gauche que de la droite politique, un exemple

devenu mythique fut l’expérience menée par la mairie de Saint-Denis, à la périphérie de Paris,

d’obédience communiste à ce moment-là ou encore la Suède et la Nouvelle-Zélande. Plus proche de

nous, le canton de Neuchâtel s’est lancé rapidement dans une restructuration ambitieuse à l’aune de

cette nouvelle orientation. Certains acteurs de la gauche ont vu dans la NGP une occasion

d’améliorer certaines tares bureaucratiques désuètes, permettant aux autorités d’améliorer et ainsi

de renforcer l’action publique.

La difficulté à diriger des systèmes bureaucratiques, à exercer une réelle direction politique, la

lourdeur et la lenteur des décisions par le cloisonnement des entités administratives, ont amené les

dirigeants politiques à entrer de plein front dans un nouveau mode d’organisation qui laissait

préjuger de réponses possibles à des problèmes récurrents.

La nouvelle gestion publique vise en premier la qualité des services fournis aux citoyens que l’on

nomme « clients ». Le passage obligé pour atteindre l’efficacité est la pose d’objectifs et d’indicateurs

de réussite pour atteindre des mesures de performance. « L’efficience », elle, concerne l’utilisation

rationnelle des moyens alloués, le fonctionnement au moindre coût (op.cit., p. 18). Ces changements

entraînent un renversement de la conception même de la gestion des fonds publics. D’une gestion

organisée à partir des ressources internes (inputs) on transforme l’activité vers une gestion avant

tout centrée sur les prestations à fournir (outputs). Ces orientations amènent à des restructurations

internes avec pour objectifs une flexibilité permettant une meilleure rapidité des prises de décisions,

de favoriser un développement vers la qualité des prestations en impliquant davantage les différents

acteurs (clients – professionnels) dans la redéfinition des produits fournis, de stimuler l’initiative et le

goût de l’innovation et enfin de rendre l’administration plus transparente dans son fonctionnement

et ses dépenses (op. cit., p.44).

La nouvelle gestion publique issue des Etats-Unis entraîne avec elle une terminologie américaine

telle que « new public management » accompagnée de tout un vocabulaire qui donnera un certain

pouvoir aux tenants de ce vocable spécialisé. C’est ainsi tout un nouveau langage qui s’inscrit petit à

petit dans le quotidien des lieux de travail.

Son efficacité s’appuie sur une autonomie donnée aux managers ou responsables d’entités publiques

qui doivent alors répondre à des contrats ou mandats de prestation qui fixent les objectifs à

atteindre en lien avec une enveloppe financière allouée. Le mode de gouvernance vise à simplifier les

structures, à développer une transparence des processus et des décisions prises, au risque

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d’individualiser l’activité tout en prônant la nécessité d’un travail d’équipe. Les managers des

services publics adoptent un nouvel esprit, qui est celui de l’entreprise, qui portera atteinte à

l’historique et immuable vision de service à la collectivité. C’est alors l’entrée de l’économie de

marché au sein des administrations publiques qui cherche à atteindre une certaine excellence par la

mise en concurrence, favorisant la privatisation partielle de certains biens communs. Si la NGP

ambitionne à rendre efficient le fonctionnement quotidien de l’administration cela implique de fait

une redéfinition des contours de celle-ci. L’exemple de la péréquation fédérale qui a mené à un

redéploiement des sources d’allocations financières dans le système des organisations sociales, s’il

déplace les sources de revenus au niveau cantonal, n’agit pas directement sur les attentes politiques

fédérales en matière d’efficacité. Ainsi le désengagement financier n’atténue aucunement les

attentes politiques. Situation représentative également dans les systèmes de formations

universitaires suisses, à l’exemple des hautes écoles spécialisées. Les logiques et mécanismes de

marché entrent de plain-pied dans les champs d’activité, gérés historiquement selon une éthique de

la gestion publique où les principes de libération du marché ne s’appliquaient pas, tels que la culture,

l’enseignement, la sécurité, le social et la santé. C’est donc à un changement de culture au sens des

valeurs, des attitudes et des comportements que nous renvoie la mise en application de la NGP. Ce

sont bien de nouveaux repères culturels qu’il s’agit d’inventer, relevant d’un plus grand souci

d’efficacité et de qualité des prestations fournies aux bénéficiaires tout en gardant le bien-fondé des

valeurs classiques de l’administration telles que le respect des personnes, l’égalité de traitement, la

légalité de l’action publique qui donne sens à la spécificité des services publics.

Aujourd’hui la dénomination même « nouvelle gestion publique » est quasiment abandonnée dans

les discours des spécialistes en la matière, tant l’application de celle-ci s’est réalisée sous de

nombreuses formes, adaptées aux réalités et contextes dans lesquels elle s’est implantée. Nous

pourrions même dire avec Giauque & Emery (op. cit., p.82), que « la nouvelle gestion publique,

comme concept uniformément reconnu, n’existe pas. Il s’agit plutôt d’un catalogue d’éléments plus

ou moins admis, approches et méthodes utilisées pour réformer l’administration ». Sous une forme

moins ambitieuse, on parle actuellement plus couramment de « gestion par objectifs » et de

« pilotage stratégique ». Toutefois, paradoxalement, c’est à ce moment-là que la nouvelle gestion

publique apparaît fortement dans les discours communs, retenue pour exprimer tous les maux que

connaissent les entités publiques et leur gouvernance. Les évolutions récentes s’orientent vers « une

nouvelle gouvernance publique » (Osborne, 2006). La notion de gouvernance en lieu et place de

gestion élargit la perspective à un réseau d’acteurs impliqué dans les processus issus tant du privé

que du public engagés dans un domaine d’action publique. Aujourd’hui l’adjectif « nouvelle » est

largement périmé. Suite à certaines exagérations du « managérialisme », les adaptations du système

s’organisent à partir de l’expérientiel. Pour exemple, le concept de gouvernance participative

cherche à s’établir dans de nombreuses collectivités publiques, partant du principe que les

connaissances métiers sont issues des professionnels au front de l’activité. Ainsi le souci du buttom –

up est devenu légion dans de nombreuses entreprises privées, parapubliques ou étatiques. Les

conceptions d’une bonne administration varient selon les régions et gouvernements, mais on peut

relever une certaine tendance à remettre le citoyen au centre en lieu et place du client ; la

valorisation des compétences avant la mesure de la productivité. Si la NGP a indéniablement fait

changer les mentalités et a inscrit la nécessité d’une meilleure gestion en s’appuyant sur des outils

plus efficaces, les notions de créativité et d’innovation tout comme l’éthos du service public

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reviennent au centre des préoccupations. Certains parlent aujourd’hui du New Public Service, modèle

de pensée post NGP, qui place le citoyen et l’intérêt général au cœur de la mission en lieu et place du

client consommateur et de l’esprit d’entreprise. Le slogan Penser stratégiquement, agir

démocratiquement devient le fer de lance de cette nouvelle approche qui se veut également plus

durable et éthique du point de vue de l’utilisation des ressources matérielles comme humaines. Si la

NGP était centrée sur la performance à court terme, la qualité durable des prestations devient un

critère d’excellence. De plus, le respect de la légalité et des procédures centrales à l’éthique de la

fonction publique place la transparence et la communication au cœur des processus institutionnels.

Les procédures qualité, qui placent la lisibilité des processus de travail et les boucles de rétroaction

au centre de leur logique d’accréditation cherchent à atteindre des objectifs durables en terme de

management de la qualité. Si cette nouvelle conception de la qualité, définie comme buttom-up,

engendre en réalité des problématiques d’application, la conception des outils est pensée comme

dynamique et horizontale. L’évaluation et l’auto-évaluation sont inscrites dans la grande majorité des

services publics, portant sur de nombreux critères principalement orientés bénéficiaires, comme

l’accessibilité des prestations et la clarté des procédures. Les plaintes sont consignées et des

réponses concrètes doivent être proposées. Le personnel est également questionné sur les liens avec

la hiérarchie, l’appréciation de l’encadrement, la consultation ou les processus de participation,

l’environnement de travail et la satisfaction engendrée par l’activité professionnelle.

L’enjeu de taille pour le management public est d’articuler deux axes jusque-là fortement clivés, soit

l’insistance sur les prestations de l’administration et celle de la politique publique qui s’occupe des

problèmes de société à résoudre. L’administration doit alors non seulement être au service de la

collectivité, mais également au service des prestations à fournir comme les soins, l’enseignement, les

prestations sociales ou encore les prestations de sécurité, thématiques au centre des préoccupations

des citoyens. Quant aux dirigeants, ils se voient garants de ces deux dimensions en y ajoutant celle

de la dynamique institutionnelle et de l’appréciation positive ou non du personnel sur l’activité elle-

même.

Le souci de la qualité s’est imposé dans les domaines de l’humain, comme ceux de la santé, du social

ou de l’enseignement supérieur. « Les objectifs sont d’alléger les étapes de l’exécution, de raccourcir

les délais, de préciser les responsabilités et d’utiliser des dossiers uniques, le tout en exploitant les

nouvelles technologies de l’information » (Giauque & Emery, 2008, p.94). Si le souci de la qualité

passe également par l’évaluation des services publics par les bénéficiaires, l’orientation « client »

pose des problèmes d’indicateurs représentatifs de la diversité des prestations. Prendre au sérieux la

parole des usagers demande à travailler sur des enquêtes systématiques ou peut-être plus propices

au champ d’action, à travailler l’évaluation de manière qualitative prenant en compte la subjectivité

des bénéficiaires, la manière dont ils ont ressenti les prestations étant étroitement corrélée aux

résultats mesurables de celles-ci. On retrouve cette difficulté autant dans l’enseignement en fonction

des différents types de pédagogie utilisés que dans les soins et le social en lien avec les dimensions

empathiques de l’activité. La nécessité de trouver des critères spécifiques et le choix d’indicateurs

pertinents posent des questions méthodologiques et éthiques à ne pas négliger. L’approche

qualitative portée par une volonté de gouvernance publique transparente et efficace pourrait être

définie selon les termes de Deming, 1986, cité par Giauque & Emery (2008, p.96) : « la qualité, c’est

avant tout un système voué à l’amélioration de la connaissance mise au service des utilisateurs ».

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Le modèle gouvernemental suisse est fortement tourné vers une démocratie participative, offrant

aux citoyens plusieurs voies de participation politiques, que ce soit à travers les référendums ou

pétitions. De plus, le mouvement associatif, largement répandu et encore très actif, permet une

externalisation ou une délégation à des tiers constitués des réponses à donner aux problématiques

sociales. C’est également une façon de reconnaître et de bénéficier d’un savoir-faire construit à partir

de connaissances internes et spécifiques directement liées aux prestations à fournir. Aujourd’hui, de

nombreuses associations, subventionnées par l’Etat sur la base de contrats de prestations,

produisent des offres sociales d’importance telles que la garde d’enfants, les programmes d’activités

citoyennes par le biais des maisons de quartiers et centres de loisirs, l’intervention de bas seuil en

faveur des plus démunis, des personnes toxicodépendantes ou encore la défense sociopolitique des

minorités... Giauque & Emery opèrent une césure significative entre partenariat et sous-traitance

dans la collaboration entre secteur public et privé ou semi-privé. A leur sens, « l’action

« partenariale » implique une codétermination des objectifs et une responsabilisation partagée dans

l’obtention des résultats. Ce n’est pas le cas de la sous-traitance » (op. cit., p.101).

Un véritable pilotage de l’action publique demande à articuler l’axe des prestations indispensables à

une qualité du vivre ensemble appuyé sur une rigueur administrative garante du droit et des

procédures. Elle ne peut s’appuyer que sur les savoirs des collaborateurs, impliquant une dimension

participative nécessaire au développement des compétences collectives et ainsi de l’institution ou

des services. L’évaluation de prestations publiques comme l’enseignement ou l’action sociale peut se

réaliser à la condition du respect des procédures de droit et en associant des critères qualitatifs et

quantitatifs. Nous l’avons montré, la gouvernance d’un service public ou para étatique ne peut se

calquer sur le modèle de l’entreprise privée, toutefois l’action « bureaucratique » d’antan ne peut

perdurer. Le souci de la qualité du service offert au citoyen est au centre des préoccupations des

prestataires et les outils de la NGP, adaptés à la réalité des contextes, ont participé à l’évolution des

mentalités et du regard porté au système public. Si la NGP a indéniablement été appliquée de

manière trop stricte dans les années 2000, le revirement sur une approche plus citoyenne

aujourd’hui, plaçant le défi de la bonne gouvernance en amont de la bonne gestion, devra être

intégré dans les systèmes de mandats de prestation. Ceci afin que les objectifs et les processus

d’application et d’évaluation soient au cœur de l’attention plus que la conformité des rendus aux

modèles gestionnaires appliqués stricto sensu. Lorsque le modèle à suivre est devenu tellement

fermé qu’il ne laisse plus de place à la créativité nécessaire à la contextualisation des situations,

lorsque l’extrême complexité des procédures est devenue plus paralysante que facilitante, alors il

faut accepter que le système lui-même soit devenu abscons et que ce soit bien la NGP elle-même, en

tant que modèle de gestion publique, qu’il est devenu urgent d’évaluer. Giauque & Emery résume de

manière très succincte trois temps de la gestion publique, « celle traditionnelle de l’administration

publique qui se référait au monde civique, celle de la NGP au monde marchand alors que la nouvelle

gouvernance publique se rapproche du monde des connexions et des réseaux » (op. cit., p.114). Le

modèle du marché est apparenté à la logique des contrats alors que le modèle des réseaux se

construit sur le partenariat.

La nouvelle gouvernance publique doit et peut s’appuyer sur une volonté politique et citoyenne afin

de réaliser des prestations efficientes pour parer au défi du tout sécuritaire, tout en relevant celui du

bien vivre ensemble, ceci par une gestion participative et solidaire du bien commun, de ce qui « fait

société ». C’est à partir de ce positionnement politique que nous avons cherché à construire le

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problème spécifique de l’évaluation dans les pratiques participatives en animation socioculturelle,

secteur d’activité du parapublic.

1.2. L’animation socioculturelle, comme champ d’activités interactives et

participatives

L’animation socioculturelle est un des métiers du travail social qui s’exerce dans des domaines de

pratiques multiples tout en maintenant des spécificités en termes de valeurs, de méthodologies

d’intervention et de mise en œuvre participative de l’action professionnelle.

Ce métier, très contemporain, est en constante évolution dans le sens où il participe à une

redéfinition de ses champs d’action en fonction de l’actualité sociale, culturelle et économique.

Toutefois il repose sur un socle solide inscrit sur la promotion de valeurs participatives et collectives

en s’appuyant sur la prise en compte des ressources et potentialités de chacun. L’animation

socioculturelle dans ses champs d’application se diversifie, évolue en lien avec les problématiques

qu’elle rencontre, auxquelles elle se confronte. Dans ses pratiques dynamiques, elle s’appuie sur des

méthodologies adaptées aux situations et structures actuelles.

Toutefois, s’appuyer sur ses origines, sur ses assises est la condition sine qua non pour garder et

développer son caractère spécifique. Que ce soit du côté de l’éducation populaire, du

développement communautaire ou encore de l’éducation informelle, l’axe central se positionne sur

l’émancipation citoyenne dans le sens d’instaurer une place et des espaces de décision participatifs

au sein de la société civile. L’animation socioculturelle possède en son champ des dimensions

politiques et critiques nécessaires à son développement. Elle ne s’attache pas à trouver des solutions

toutes faites, mais à mettre en œuvre des espaces de réflexion et d’action en faveur ou, mieux

encore, en présence de son public. Elle garde en son centre les dimensions culturelles et sociales et

développe des outils d’intervention riches et efficaces, en interdisciplinarité, favorisant le travail en

réseau interdisciplinaire.

L’animation socioculturelle trouve ses racines historiques françaises dans le mouvement

sociopolitique de l'éducation populaire; nord-américaines dans le mouvement d'organisation

communautaire ; sud-américaines dans le mouvement lié aux théories de la libération de Paolo

Freire1 notamment. En Suisse romande, ce sont principalement les racines de l’éducation populaire

française qui ont influencé l’histoire de l’animation socioculturelle, c’est pourquoi nous développons

plus particulièrement les fondements de ce mouvement.

L’éducation populaire a été profondément façonnée par les histoires nationales, régionales ainsi que

par des résonances culturelles, idéologiques, voire politiques. Les grands traumatismes nationaux

(immigrations, révolutions, émeutes, coups d’Etat, ingérences étrangères) sont fortement présents

1 Paolo Freire, né au Brésil en 1921 et mort en 1997, était un pédagogue connu essentiellement pour

son travail de conscientisation, d’émancipation et d’alphabétisation de personnes adultes issues de

milieux très précaires.

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dans l’histoire et le développement de l’éducation populaire. Elle se définit en complément de

l'enseignement scolaire formel en rapport aux notions voisines d'éducation permanente et

d'animation socioculturelle. Elle se réclame de tous les projets qui visent à la démocratisation de

l'accès aux savoirs, de la diffusion de la connaissance au plus grand nombre. L’objectif est de former

des citoyens actifs et responsables par une pédagogie adaptée favorisant la créativité. L'éducation

populaire est un moyen et une méthode d'éducation à la citoyenneté. Elle reconnaît et associe une

dimension humaniste du développement de l'individu, selon son parcours de vie, son environnement

et une visée politique d'émancipation, désireuse d’instaurer une place et un espace de décision à

chaque individu dans la société. En France, ce mouvement reprend de la force au moment de la

Libération. Il s'agit de « former le peuple à une culture « militante » pour renforcer une république

progressiste en lutte contre les forces réactionnaires et les puissances d'argent » et de « créer des

loisirs dans l’idée d’une révolution culturelle du temps libre, loisirs qui modifient l’expression de soi,

les rapports avec autrui et le rapport à la nature » (Dumazedier, 1962).

Les premières tentatives de définition de l’animation socioculturelle apparaissent dans les années

soixante-dix. Besnard (1986) nous livre un constat très parlant en affirmant que la plupart des études

menées sur ce champ professionnel en France s’accordent sur le fait qu’il est plus pertinent de

produire des caractéristiques, souvent déclinées en fonctions, que de tenter de délimiter une

définition générale.

Il délimite le champ d’activité comme un ensemble de pratiques, d’activités et de relations qui

concernent les intérêts manifestés par les individus dans leur vie culturelle et plus particulièrement

dans leur temps libre. Ces intérêts peuvent être artistiques, intellectuels, sociaux, pratiques ou

physiques. Les pratiques répondent à des besoins d’initiation, de formation, d’action, non satisfaits

par les institutions existantes. Elles satisfont aux fonctions de délassement, divertissement,

développement et sont volontaires, ouvertes à toutes les catégories d’individus, quel que soit leur

âge, sexe, origine, profession. Ces pratiques sont désintéressées, elles ne visent pas, en principe, à

l’obtention d’un diplôme ou d’une qualification. « Elles s’exercent généralement en groupe, dans des

institutions et des équipements socioculturels multiples. En général, elles se déroulent avec un

animateur, professionnel ou bénévole, ayant en principe reçu une formation particulière et utilisant,

en dominante, des méthodes pédagogiques actives » (Besnard, 1986, p.59).

Nous voyons ici la difficulté pour l’auteur de poser un cadre référent, utilisant nombre de fois des

termes comme en principe ou encore en général montrant par là les limites de l’exercice de

définition auquel il s’adonne. En 1973, le Conseil de coopération culturelle du Conseil de l’Europe

qualifie « d’activités animatoires », celles qui aident l’individu à prendre conscience de ses propres

besoins, talents et aptitudes ; à communiquer avec d’autres pour prendre une part plus active à la vie

de la communauté ; à s’adapter aux mutations de son environnement social, urbain et technique ; à

explorer sa propre culture, à développer en particulier ses aptitudes intellectuelles et physiques, ses

forces d’expression et sa créativité.

On le voit, les pratiques et objectifs de l’animation socioculturelle sont non seulement multiples,

mais aussi multiformes et en ce sens, l’application de mesures d’évaluations standardisées parait

difficile à appliquer. Les dimensions participatives sont largement relevées comme étant au cœur de

12

l’activité et nous pensons dès lors qu’il est nécessaire, en matière d’évaluation, de s’appuyer sur des

évaluations non seulement qualitatives mais aussi participatives.

Nous constatons que l’animation socioculturelle est issue de diverses références, toutes liées au

développement et à l’émancipation des individus. Elle est traversée de courants multiples et

contrastés. Loin d’être une entité abstraite, elle est en prise avec les réalités sociales et culturelles,

elles-mêmes riches en complexité, intégrant l’individu, le collectif et la dimension sociopolitique. Si la

notion de temps libre a fait référence dans les années soixante-dix, la mise en œuvre et la

valorisation de celle-ci s’est adossée et affermie dans la construction du métier autour de référentiels

comme la gestion de projets, l’éducation informelle, la conscientisation, la valorisation des cultures

minoritaires, la médiation culturelle, le développement communautaire (Libois & Heimgartner,

2008)2

Si les frontières restent ouvertes, les spécificités des trois métiers du travail social que sont

l’animation socioculturelle, l’éducation sociale et le service social s’appuient sur les finalités de

l’action sociale. Mais celle-ci ne fait pas l’impasse d’une position épistémologique assumée qui

permet d’être en capacité de nommer quel type d’action sociale est exercée. Etre professionnel dans

ces métiers demande bien souvent à adopter une pensée qui intègre les dimensions paradoxales de

l’activité. Il n’y a pas nécessairement paradoxe entre « contrôle social » et « acteur de changement »,

pour autant que les professionnels soient conscients de leur positionnement. Les deux dimensions

précitées ont toujours existé et continueront à coexister dans la tension inhérente à ces métiers.

C’est précisément un des dilemmes de l’action sociale qui cherche son propre dépassement dans

l’approche collective.

Au plan sociopolitique, la politique d’animation n’est souvent plus jugée en elle-même, mais en

fonction de la réussite des projets d’intervention. La notion de réseau, intra- ou interinstitutionnel,

interprofessionnel et intersectoriel devient une des clés essentielles pour l’instauration et le maintien

d’espaces, situés entre les structures étatiques et la société civile. L’évolution de la demande sociale,

l’émergence de nouveaux besoins liés à de nouvelles problématiques ou en constante mutation, ont

pour effet l’amplification des pratiques d’animation, définies en tant que modèle d’intervention

socioculturel. L’éventail de ses possibilités d’actions s’oriente vers le concept de restauration du lien

social, mais elles restent aussi singulières par leurs fonctions de critique sociale, de mobilisation

collective, de participation citoyenne.

L’identité de l’animation socioculturelle, très jeune d’un point de vue de la sociologie des professions

est encore peu stabilisée. « Pour cela, les animateurs socioculturels se trouvent encore bien souvent

en position de justifier leurs pratiques, les expliciter, les rendre visibles, car celles-ci n’ont pas été

suffisamment décrites et peu d’ouvrages les relatent. Elles sont multiples, éparses, et restent, la

plupart du temps, propriété de chaque lieu ou de chaque professionnel. Selon Chopart (2000), dans

le champ de l’intervention sociale, les frontières restent ouvertes. Si ce métier demande à être mieux

défini et mieux visible, il ne saurait s’enfermer dans des frontières trop étroites, son sens même

étant constitué par l’ouverture et l’adaptation aux changements et aux demandes du projet

2http://www.anim.ch/pxo3_02/pxo_content/medias/article_accueil_libre.pdf

13

socioculturel global, incluant toutes les dimensions de la vie en société » (Della Croce, Libois &

Mawad, 2011, p.13).

Les animateurs ont pour atout la polyvalence, tant dans leurs fonctions que dans leurs activités très

diversifiées, ce qui a pour effet que leurs domaines d’intervention éclatés rendent leur identité

professionnelle plus instable. Historiquement, ils ont aussi été moins bien promus par les politiques

et les administrations que les autres travailleurs sociaux. Leur manque d’organisation collective

durant plusieurs décennies a également prétérité leur visibilité, l’organisation collective étant un

élément fort du processus de reconnaissance professionnelle. Toutefois, en Suisse, depuis le début

des années deux mille, les animateurs socioculturels s’imposent comme corps professionnel

constitué, par la reconnaissance de leur formation en Haute école spécialisée de niveau tertiaire ainsi

que par sa structuration en organisation professionnelle. De la vision de l’animation en tant que

fonction professionnelle, nous sommes passés à la définition d’un métier. L’analyse de plus en plus

fournie des pratiques significatives de l’animation socioculturelle a permis aux terrains de mieux

expliciter leurs actions et leur spécificité en regard de l’ensemble des pratiques du travail social. Pour

ce faire, en 2001, les professionnels de la Suisse romande ont élaboré un référentiel métier très

détaillé (www.anim.ch), suivi d’un rapport relevant la nécessité de renforcer l’identité et la visibilité

des pratiques de l’animation socioculturelle sur le plan romand. Ce processus a permis la création

d’une plateforme romande de l’animation socioculturelle en mars 2004.

En résumé, nous relevons que l’animation socioculturelle a historiquement porté les dimensions

collectives et communautaires du travail social et qu’en ce sens, celle-ci se prête particulièrement à

des modes d’évaluation participatifs. Son action vise à organiser et à mobiliser des groupes et des

collectivités en vue d'un changement social. L’éducation populaire est une des sources de son

développement, tout comme les programmes de conscientisation en Amérique du Sud portés par

Paolo Freire, sans oublier l’approche communautaire portée par Saul Alinsky. L’intervention vise à

permettre une participation volontaire et démocratique faisant appel à la notion de citoyenneté.

Depuis l’apparition des sociétés modernes, le rôle de l’associatif et ainsi de la participation

deviennent toujours plus importants. L’association intervient souvent là où l’intégration sociale de la

personne est la plus compromise au vu de l’éclatement des relations sociales et de la montée de

l’individualisme. L’association est souvent un relais entre les personnes et les institutions, un pont

entre les citoyens et l’Etat. Elle permet à la population de formuler des besoins et des demandes qui

pourront contribuer au renforcement de l’identité sociale des personnes et a souvent le rôle de

négociatrice entre les différents acteurs concernés. Les intérêts individuels ont alors l’occasion de se

transformer en intérêts collectifs. L’animateur a pour fonction de rendre les groupes sociaux plus

aptes à communiquer, décider et agir en évaluant les besoins, les attentes et les aspirations des

personnes concernées. Son rôle est également de motiver les personnes, afin qu’elles puissent

participer aux processus de décision et concrétiser les buts recherchés. Il est un agent de

changement et a des activités dans les multiples domaines de la vie en société.

Ainsi, la mission démocratique est au fondement des pratiques des animateurs dans les différents

domaines dans lesquels ils exercent. Celle-ci implique « de partir de la situation concrète des gens. Ce

n’est que lorsque les gens perçoivent l’intérêt que peut avoir le projet pour l’amélioration de leur

situation et l’accroissement de leurs ressources qu’ils se mettent en route et que la participation

14

peut être suscitée. Il s’agit ici d’initier une démarche partant des usagers et de les associer

véritablement au projet » (Della Croce, Libois & Mawad, 2011, p.170).

Un des buts de l’intervention des animateurs dans les quartiers est d’améliorer les conditions de vie

des citoyens, d’une communauté, d’une population en tenant compte de l’environnement et du

cadre local des personnes. Pour ce faire, ils peuvent se baser sur une méthodologie d’intervention

avec les populations telle que le développement communautaire. Ce domaine est avant tout défini

par des programmes d’action ou des projets élaborés avec les groupes concernés, en lien avec les

problématiques auxquelles ils doivent faire face. Le professionnel a donc pour visée fondamentale la

participation citoyenne des individus et des collectivités en vue de favoriser une prise en charge

solidaire et collective de leurs conditions de vie. C’est à cette condition que l’animation

socioculturelle peut devenir un outil essentiel au développement d’une réelle politique de cohésion

sociale. Comme le dit Gillet (1995, p.256) : « Il reste aux professionnels de l’animation à agir sur un

autre volet qui les concerne au premier chef. En effet, de gauche à droite, cette politique de la ville

s’est toujours accompagnée d’un discours, affirmé avec plus ou moins de force, vantant les mérites

de la participation. En réalité, les dispositifs prévus à cet effet ont toujours été réduits à leur plus

simple expression, sans réelle délibération collective, sans action pédagogique adaptée, sans

concertation probante, parfois réduite à des effets d’annonce (tels que le financement direct par

l’Etat des projets Jeunes) ». L’animation socioculturelle, de notre point de vue, peut largement

contribuer à la congruence d’une politique de cohésion sociale dans la mise en œuvre de sa

dimension participative, car les animateurs et animatrices sont des professionnels du travail social

plus particulièrement formés aux méthodologies de l’action collective et du développement

communautaire local. Elle y est même nécessaire, car rappelons que la participation n’est de loin pas

toujours présente au démarrage d’un projet. Il reste nécessaire, dès le début, de travailler aux

conditions qui permettent son émergence. C’est là l’expertise même des professionnels de

l’animation socioculturelle.

1.3. Les valeurs

Dès lors que l’on interroge l’ « action » dans le travail social, la notion des valeurs apparaît au centre

du questionnement.

Le terme « valeur » trouve ses racines étymologiques dans le mot indo-européen wal qui signifie «

force et puissance ». Par la suite, il devient synonyme de « vaillance » et « bravoure » pour enfin

s'identifier à « conduite d'excellence ». En sociologie, « les valeurs sont des idéaux collectifs qui

définissent dans une société les critères du désirable : ce qui est beau et laid, juste et injuste,

acceptable ou inacceptable. Ces valeurs sont interdépendantes. Elles forment ce que l'on appelle des

systèmes de valeurs, elles s'organisent pour former une certaine vision du monde » (Etienne et al.,

1995, p.226).

Dans le travail social, les valeurs fondent, comme le dit Bouquet (2012, p.38), les orientations de

l’action. « Toutes les interventions sociales sont sous-tendues – implicitement ou explicitement – par

des valeurs. Les valeurs donnent sens à ce qui est dit ou fait ; elles ont un sens social ». L’ensemble

15

de ces valeurs, souvent subjectives, forme la conscience professionnelle du travailleur social. Pour

Melchior (2011, p.124) « quelle que soit la profession, la représentation du travail bien fait est au

cœur de cette conscience professionnelle. (…) L’éthique des travailleurs sociaux est constituée de

valeurs essentielles qui forment le socle de leur identité, et dans le respect desquelles ils entendent

effectuer la plupart de leurs activités ».

Le regain d’intérêt que vit, ces dernières années, la question de l’éthique professionnelle des

travailleurs sociaux s’explique certainement aussi par l’évolution des sociétés contemporaines et par

la prise de conscience des nouveaux défis qui l’accompagne. « C’est en période de doute que la

question éthique se pose avec le plus d’acuité » affirme Bouquet (2006). En effet, les profils des

usagers et leurs problématiques sont de plus en plus diversifiés et complexes. Le nombre de dossiers

suivis augmente tout comme les tâches administratives, pourtant les moyens à disposition du

travailleur social diminuent accroissant d'autant la charge de travail des professionnels.

Parallèlement, un nouveau mode de management dans les établissements du champ du travail social

apparaît provoquant « malaise des salariés pour qui les contraintes imposées par ce système sont

contradictoires avec leur mission » (Melchior, 2011, p.123). Ces pratiques de management s'inspirent

du secteur privé et introduisent « démarches qualité », recherche de l'efficacité, performance

personnelle et professionnelle, logique de service focalisée sur le court terme. Comment dès lors que

les logiques institutionnelles et organisationnelles prennent le pas sur des logiques professionnelles

parvenir à « concilier le temps long du travail éducatif avec les exigences d’efficacité imposées par la

culture du résultat ? » s'interroge Melchior (2011, p.126).

C'est dans ce contexte que la réflexion sur l'éthique, la déontologie, les valeurs du travail social prend

tout son sens. Ainsi, nous partons du postulat que les valeurs forment « des références pour tous les

travailleurs sociaux quels que soient le type de travail ou la modalité de l'activité exercée, et qu'elles

sont propres au travail social » (Bouquet, 2012, p.30).

Dans le cadre de notre recherche, au sein du travail social et plus particulièrement dans le champ de

l'animation socioculturelle, il nous importait de nous accorder sur une conception de l’éthique et de

la valeur.

L’éthique normative qui prévaut à parler de morale voudrait que nos actes soient pleinement

attribuables à notre volonté. Nous pourrions alors parler d’idéalité, d’orientation et de conduites

idéales de l’agir qui guident nos choix en fonction d’une idéalité portée par des valeurs.

Deleuze, à la suite de Spinoza, propose de s’intéresser à l’éthique en tant que formes que prennent

les actions des humains. C’est donc les actions telles qu’elles sont posées, en situation, dans leur

contexte qui sont prises en compte. Comprendre comment les sujets construisent les problèmes

qu’ils rencontrent et chercher ainsi à apporter des pistes de réflexion à partir des représentations ou

modalités de qui amène à penser et sentir les choses de telle ou telle manière. Il s’agit en premier

lieu de transformer les questions en problèmes sur lesquels il est possible d’entrer en matière, de

pouvoir les penser et peut-être influer, voire déplacer l’axe de signification préalablement établi.

L’éthique prend alors la forme d’une pensée sur la question posée, d’une mise en problème sur

laquelle il doit être possible d’influer le cours, d’opérer des ouvertures en transformant le problème

initial. On parle ici d’éthique immanente en lieu et place d’éthique normative (de Jonckheere, 2010).

16

Si l’éthique normative pose des lignes d’action préétablies, sur lesquelles les définitions du juste et

du faux sont organisées, l’éthique immanente part de la réalité pour la questionner et travailler sur

ce qui pose problème.

Cette conception de l’agir permet de travailler avec une pluralité de points de vue qui demandent à

être explicités ou compris selon les problèmes que cela pose à chaque acteur. Pour l’animation

socioculturelle, cette manière d’envisager la réalité permet de penser la diversité entre pairs, mais

aussi entre représentants du monde pluriel comme l’associatif, les élus locaux et surtout les publics

auxquels les animateurs s’adressent. La pluralité d’acteurs qui émanent des actions collectives et

participatives demande aux professionnels de travailler avec un modèle de pensée ouvert à la

pluralité des opinions, problèmes et attentes de chacun. C’est ainsi comprendre que les contextes

sociopolitiques, économiques et culturels agissent fortement sur les conceptions des uns et des

autres et que les situations rencontrées sont fortement agissantes, forme des manières de concevoir

le monde diverses, voire divergentes, sur un même objet. L’objectif n’est pas de mettre les différents

protagonistes d’accord, mais bien d’accorder une même reconnaissance d’avis pluriels.

Une éthique immanente ne réfute pas les valeurs, car celles-ci font pleinement partie du contexte

socioculturel dans lequel nous évoluons. Les valeurs permettent de construire de la cohésion dans les

modes d’agir et de sentir la réalité. Elles construisent de l’expérience commune qui permet une ligne

d’action. Les valeurs peuvent être comprises comme des forces agissantes sur le cours de l’agir, non

pas à comprendre comme justes ou fausses, mais à savoir toujours agissantes. Travailler de manière

collective demande à construire une hiérarchie des valeurs, qui permette, dans des dilemmes

éthiques, de travailler sur les conflits de valeurs. Il s’agira pour nous de repérer les systèmes de

valeurs accrochés à la profession et aux institutions, pour comprendre les manières dont elles

s’activent dans le fil de l’activité. Plus précisément, il s'agira que la communauté d’acteurs concernés

saisisse comment celles-ci s’immiscent et agissent dans les projets collectifs. La valeur s’enracine

dans les faits et les faits se définissent et se construisent à partir de valeurs. Valeurs et activité

apparaissent comme indissociables. Elles se réalisent dans des faits sans lesquels elles ne pourraient

exister. Les valeurs apportent une continuité de sens qui se fait et se défait en fonction de la manière

dont elles seront éprouvées par la réalité. Donner sens à l’activité, demande non pas de s’accrocher à

une direction à emprunter, mais bien de penser et sentir le sens à donner au cheminement qui

s’opère. Lorsque cela fait sens, c’est l’inclusion entre valeur et fait qui constitue un tout porteur de

sens. Si des valeurs sont portées par le métier, valeurs communes à partager, celles-ci ne font

réellement sens que lorsqu’elles font événement, qu’elles fusionnent avec des faits réels. Dans les

projets collectifs, l’expérience commune portée par une éthique non normative ouvre à une

construction de valeurs qui peut faire référence pour le groupe à un moment donné. Valeurs et

éthique sont donc à comprendre comme articulées à une pratique professionnelle, à des faits réels

qui demandent à être pensés dans leur pluralité de sens. Ce serait peut-être là la condition à une

réelle démarche participative et, par extension, à un processus d’évaluation participatif.

Si les valeurs et l’éthique sont parties prenantes de l’activité, nous pensons qu’il en est de même

pour l’évaluation. Rappelons que dans le mot évaluation, se retrouve le terme de valeur. L’évaluation

est toujours pensée et construite à partir d’un prescrit hexogène mais aussi endogène. Dans les

métiers de l’humain, les professionnels sont régulièrement en proie à des conflits de valeurs. Lors de

ces dilemmes rencontrés en plein cœur de l’activité, l’éthique, telle nous la concevons, permet de

17

problématiser et ainsi de construire une ligne de sens portée par le collectif. Ici, nous pourrions

parler de genre professionnel au sens de Clot (2000), genre professionnel qui produit un prescrit

endogène dont il s’agit de se déprendre dans un processus de regard critique sur ce qui a été produit.

Le genre renvoie à la dimension collective de l’agir qui peut être compris comme une forme d’habitus

au sens de Bourdieu. Ces manières de faire qui font consensus sont difficilement repérables

puisqu’elles fondent le quotidien de l’activité professionnelle. Elles fondent une norme collective

produite par le contexte institutionnel et les manières de s’y prendre au jour le jour, qu'il ne parait

plus nécessaire de nommer, ni de discuter. C’est ici que les pratiques portent le risque d’une

cristallisation de certaines valeurs intrinsèques au métier. Remettre en mouvement les présupposés

de l’action passe par l’exercice rigoureux de reprendre les dilemmes de l’action, de les confronter aux

valeurs porteuses du genre professionnel, et de parvenir à redéfinir une ligne éthique porteuse d’un

regard pluriel sur ce qui fonde tel ou tel acte. Ce processus est le point de départ obligé de tout

processus d’évaluation participative. On le voit, l’évaluation est intrinsèquement rattachée aux

valeurs qui fondent l’activité et faire acte d’évaluation, c’est parvenir à porter un regard nouveau ou

circonstancié sur ce qui fonde l’agir. Les valeurs fondatrices du travail social s'ancrent « dans

l'héritage moral et judéo-chrétien de la société ». Elles s'appuient également « dans celles de la

société et de ses institutions » (Bouquet, 2012, p.38).

Premièrement, elles sont humanistes, porteuses d’une vision globale, positive et émancipatrice de

l’homme, au sens où « la finalité du travail social étant l'émergence d'un sujet libre, capable

d'effectuer le plus lucidement possible ses propres choix, de décider en toute indépendance de ses

propres valeurs, son éthique, est mise au service de la valeur de l'homme, de sa spécificité, de son

unicité. L'intérêt pour autrui dans sa globalité, la foi en l'homme et en ses potentialités fondent

l'action sociale. Les valeurs humanistes sont les valeurs mères du travail social » (Bouquet, 2012,

p.38). Nous y trouvons comme principes éthiques, les notions de respect et de dignité de la personne

humaine et ceci indépendamment de la race, du genre, du statut, de la conscience, de la religion, de

l'opinion et de l'expression de la personne. La reconnaissance, la responsabilité, la tolérance, la

compassion, le partage, l'autonomie, l'autodétermination, la croyance dans les capacités et les

potentialités d’autrui ainsi que l'empathie sont également nommés comme valeur humaniste.

Deuxièmement, elles sont démocratiques, fondées sur les valeurs démocratiques de liberté, d’égalité

et de fraternité. Liberté de choix et d’opinion de chaque être humain. Egalité qui garantit les mêmes

droits humains devant la loi pour tout citoyen. Fraternité dans « l'appartenance inaliénable à la

famille humaine, en amont de toute société institutionnellement organisée » (Bouquet, 2012, p.40).

Dignité, citoyenneté, cohésion sociale, participation, promotion, solidarité, empowerment,

intégration, autodétermination, etc. sont aussi associés à cette catégorie.

L’animateur joue en faveur de la démocratie un rôle d’intermédiation, « intermédiation entre les

différents acteurs : les acteurs politiques et l’administration, les institutions d’action sociale et de

formation, la société civile et la vie associative, les habitants. Ce rôle d’intermédiation, constitutif de

la fonction sociale qu’exercent les acteurs de l’animation, exigent d’eux une grande clarté dans la

complexité et un sens démocratique qui demande à être développé et reconnu par tous »

L’animateur développe « de nouvelles formes de démocratisation de la culture « consacrée ». Il

défend « une démocratie culturelle qui ne se contente pas d’un accès facilité à la culture des élites

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ou à la culture de masse, mais vise l’encouragement à la création culturelle dans les milieux

populaires, sous des formes sans cesse renouvelées ».

L’animateur tente d’encourager « l’expression des populations et l’émergence de projets

participatifs, en partant de leur actualité, de leurs identités culturelles, de leur quotidien, de leurs

conditions de vie et de leurs aspirations ». Il poursuit un projet d’éducation permanente, à savoir le

renforcement du « capital culturel des milieux populaires qui forment la majorité de la population à

travers des activités formatives, une condition incontournable de leur participation citoyenne. » Il

privilégie « le quartier, le village ou la ville qui constituent le premier échelon pertinent d’exercice de

la citoyenneté. A cet échelon, tous les habitants sont considérés comme des citoyens et des

partenaires potentiels de l’action, quels que soient leurs statuts sociaux, leurs âges ou leurs

origines » (Libois et al, 2011).

Troisièmement, elles sont fondées sur le droit à travers un ensemble de normes et de règles qui

déterminent la condition et les rapports sociaux entre les individus faisant partie d’une société

donnée. Cela concerne aussi bien l’action des personnes que celle des organisations. C’est l’autorité

publique, l’Etat, qui sanctionne et contrôle l’application du droit dans la société. Nous pouvons y

rattacher le respect des droits individuels et collectifs ainsi que les droits des usagers. S’y ajoutent

aussi la protection des personnes et des biens, la notion de responsabilité, de discrétion, de

confidentialité et de secret.

Quatrièmement, les valeurs fondatrices du travail social sont enfin politiquement engagées, au sens

de « l'engagement fort des travailleurs sociaux à oeuvrer pour le changement social. Cette valeur

reflète un engagement particulier du travail social non seulement à accroître le bien-être et les droits

des individus et des groupes défavorisés, mais aussi à travailler en direction d'un changement des

attitudes et des politiques maintenant les désavantages et les inégalités » (Bouquet, 2010, p.40). Ils

mobilisent les responsabilités collectives et les solidarités de proximité.

Dans l’animation socioculturelle, cette dimension sociopolitique occupe une place prépondérante. La

dimension politique exige du professionnel de l’animation, une posture particulière, celle

« d’intermédiation entre les différents acteurs : les acteurs politiques et l’administration, les

institutions d’action sociale et de formation, la société civile et la vie associative, les habitants. Ce

rôle d’intermédiation, constitutif de la fonction sociale qu’exercent les acteurs de l’animation,

exigent d’eux une grande clarté dans la complexité et un sens démocratique qui demande à être

développé et reconnu par tous » (Libois et al., 2011).

Cinquièmement, les valeurs liées à la position professionnelle, que nous pourrions rattacher à la

posture professionnelle. Les métiers du travail social se construisent sur la relation humaine. Ils « ont

la spécificité d'allier une pratique professionnelle (…) à une certaine conception de l'homme »

(Bouquet, 2012, pp.43-44) et de la société humaine qui se rapportent aux valeurs humanistes et

démocratiques telles qu’énoncées plus haut. Ainsi, les valeurs professionnelles prennent une place

importante pour le travailleur social. Certaines de ces valeurs sont directement liées aux

compétences professionnelles fondamentales du travailleur social comme la connaissance, la

rigueur, l’efficacité, la cohérence, la responsabilité, la créativité, l’organisation, l’honnêteté, etc. Une

seconde série de valeurs porte plutôt sur l’individu et son environnement social. Il est attendu du

travailleur social qu’il respecte la dignité et l’unicité de toute personne, ses droits et ses possibilités,

19

qu’il dynamise le tissu social de la personne dans ses interventions sur l’environnement social de la

personne (famille, entourage, institutions, etc.). Enfin, un troisième groupe de valeurs

professionnelles se situe au niveau sociétal. Le travailleur social, à travers son action, vise le

changement social dans un but d’une amélioration de la qualité de vie de l’individu et/ou des

collectivités. Pour ce faire, il lui faut « d'une part assurer un rôle de veille sociale et d'innovation

sociale (…) ; d'autre part, assurer l'utilité sociale et l'intérêt général qui sont reconnus légalement à

l'action sociale et qui rejoignent le souci du « Bien commun » (Bouquet, 2012, p.44).

Concernant le champ de l’animation socioculturelle, nous sommes tentés de compléter ces valeurs

fondamentales par des valeurs plus spécifiques à ce métier.

Il s’agit tout d’abord des valeurs culturelles et sociales. L’action socioculturelle est inséparablement

sociale et culturelle. Il s’agit ici de valoriser la culture « comme mode d’appartenance, pouvoir

d’expression et d’action » dans les milieux populaires. Le professionnel de l’animation tente

premièrement d’encourager « l’expression des populations et l’émergence de projets participatifs,

en partant de leur actualité, de leurs identités culturelles, de leur quotidien, de leurs conditions de

vie et de leurs aspirations ». Deuxièmement, il poursuit un projet d’éducation permanente, à savoir

le renforcement du « capital culturel des milieux populaires qui forment la majorité de la population

à travers des activités formatives, une condition incontournable de leur participation citoyenne. »

Troisièmement, il développe « de nouvelles formes de démocratisation de la culture « consacrée » :

d’une part, des formes prenant en compte les obstacles économiques à l’accès aux biens culturels,

mais également les obstacles psychologiques, symboliques et cognitifs à cet accès ; d’autre part, des

formes pensant la médiation de cette culture de manière critique – histoire d’en faire non pas l’outil

d’une acculturation mystifiante, mais bien celui d’une émancipation des esprits et des sens ». Enfin, il

défend « une démocratie culturelle qui ne se contente pas d’un accès facilité à la culture des élites

ou à la culture de masse, mais vise l’encouragement à la création culturelle dans les milieux

populaires, sous des formes sans cesse renouvelées » (Libois et al., 2011).

Viennent ensuite les valeurs liées à la dimension locale. Les professionnels actifs dans le champ de

l’animation socioculturelle développent prioritairement des actions caractérisées par un ancrage

local, souvent informelles ou expérimentales. Dans ce sens, ils mobilisent les responsabilités

collectives et les solidarités de proximité. Ils vont ainsi « à contre-courant de la tendance générale à

rendre chaque individu seul responsable de son destin social ». Ils privilégient « l’espace local (tout

en pensant global)… : le quartier, le village ou la ville, qui constituent le premier échelon pertinent

d’exercice de la citoyenneté. A cet échelon, tous les habitants sont considérés comme des citoyens et

des partenaires potentiels de l’action, quels que soient leurs statuts sociaux, leurs âges ou leurs

origines » (Libois et al, 2011). Aujourd’hui les enjeux du vivre ensemble passent en priorité par une

approche territoriale où se joue, à la fois, le besoin d’appartenance et l’ouverture au monde, à la

pluriculturalité. Les politiques de la ville cherchent à donner la parole aux acteurs locaux, à fonder

l’idée de citoyenneté dans les espaces d’habitat au-delà des enjeux de nationalités et de droits

civiques. Toutefois, les projets se heurtent aux résistances ou incompréhensions des acteurs de

terrain qui ne se sentent pas entendus ou peu compris dans leurs revendications. La dimension

collective et participative du vivre ensemble et du partage du bien commun ne peut se suffire d’une

politique top-down et c’est un réel travail de proximité et de construction d'un langage commun qu’il

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s’agit d’initier. Ici, les animateurs socioculturels sont porteurs de compétences métier très utiles aux

nouveaux enjeux participatifs.

Notre recherche porte sur le champ de l’animation socioculturelle. A travers nos lectures, nous avons

pu constater que les valeurs prennent une place importante pour les professionnels de l’animation.

Ils y font régulièrement référence. Certaines de ces valeurs apparaissent plus souvent que d’autres

telles que les valeurs démocratiques et tout particulièrement la notion de participation et de

citoyenneté active. La valeur participative comprend la facilitation « d’une place et des espaces de

décision participatifs au sein de la société civile, spécifiquement pour les personnes ou les collectifs

minorisés ou en situation de vulnérabilité » par l’animateur socioculturel. Tandis qu’il faut entendre

sous la terminologie de citoyenneté, la démocratisation de l’accès aux savoirs, de la diffusion de la

connaissance au plus grand nombre et la capacité à exprimer et faire valoir son avis sur des questions

qui les concerne. L’objectif est de former des citoyens actifs et responsables.

L’association faîtière suisse d’animation jeunesse en milieu ouvert (AFAJ-DOJ) y fait également

allusion. Ainsi, elle propose dans ses Bases de réflexion trois principes fondamentaux de l’animateur

jeunesse qui fondent historiquement les pratiques quotidiennes : l’ouverture à tous les jeunes, la

non-contrainte (qui correspond au principe de libre adhésion développé en Romandie) et la

participation qui vise à renforcer l’implication et la codécision.

Ensuite, la Fondation pour l’animation genevoise (FASe) dispose avec la Charte cantonale3 d’un

« texte de référence » qui « fixe des points de repère pour les divers acteurs engagés dans les actions

d'animation ». Issue d’un large processus partenarial, en 1993, la Charte précise le rôle des Maisons

de quartier comme lieux de rencontre qui, par un cadre préventif et d’entraide, agissent sur le lien

social et ses dimensions culturelles, à la fois au niveau collectif et sur le plan individuel, pour éviter la

rupture de ce lien et prévenir la dégradation des situations personnelles ou sociales, lutter contre

l'exclusion et la marginalisation. Dans leur action associative et socioculturelle, les Maisons de

quartier « permettent aux personnes qui se rencontrent de mieux se comprendre, s'apprécier,

quelles que soient leurs différences. En redonnant à chaque individu le sentiment d'appartenance à

la communauté, ils suscitent le développement des solidarités, contribuant à prévenir l'isolement.

(…) Les maisons de quartier incitent et aident les individus à devenir des acteurs sociaux responsables

de leurs choix, à s'exprimer, à participer à la vie de la cité par la réalisation de projets collectifs et

parfois individuels, mais également en favorisant une ouverture d'esprit aux projets émanant

d'autres citoyens. »

Enfin, le contrat de prestations 2013-2016 entre l’Etat de Genève et la FASe4 fixe pour objectifs

stratégiques, à travers l’action éducative, associative et socioculturelle de favoriser l’intégration

sociale, une citoyenneté active et une réponse aux demandes locales. Plus spécifiquement, pour la

période 2013-2016, de renforcer les actions en faveur des enfants et des jeunes de milieux précaires,

de renforcer les actions en faveur de la diversité, de renforcer la démocratie participative, de

3http://www.fase-web.ch/site/fondation/Lachartecantonale/index.htm

4http://www.ge.ch/grandconseil/data/texte/PL11223A.pdf

21

participer activement à l’évolution des politiques publiques recouvrant les champs d’activités de la

FASe, à la cohérence et à la complémentarité des dispositifs en découlant.

1.4. Epistémologie de l’activité participative

La part risquée de l’acte développée chez Mendel nous a paru digne d’intérêt afin de rendre compte

des particularités de l’agir professionnel en animation socioculturelle. La lecture de Mendel (1998)

nous a permis de revisiter le concept d’action tout comme celui d’acte. Le concept d’acte présenté

comme une aventure enrichit notre compréhension de l’agir. La conception de l’auteur différenciant

le discours d’action et la pratique de l’acte, nous permet de sortir d’un certain amalgame entre

intentionnalité et activité réelle. La découpe très pragmatique, consent à illustrer différents temps

dans l’agir : pré-acte, acte et post-acte5. Penser l’activité en trois temps, permet de mieux saisir la

part d’intentionnalité du sujet engagée dans l’agir et la part de réalité immanente issue de données

naturelles et sociales. Mendel réfère cette préhension en trois temps à la pensée rationnelle

occidentale. Le découpage séquentiel de l’acte nous paraît illustrer avec finesse les attentes posées

en matière d’évaluation de l’activité. Cette articulation affine notre regard sur les situations

empiriques récoltées. La pensée rationnelle occidentale n’obtient d’autorité que par les capacités de

mesure, de maîtrise et de généralisation qu’elle exige. Les impératifs de performance poussent à un

surdimensionnement du travail par objectifs et à la prévision par l’élaboration d’indicateurs du

devenir de l’acte. Dans ce cadre, parler d’efficience est évalué à l’aune de la mise en œuvre et de la

réalisation du projet en oubliant la force de ce qui se construit dans le processus participatif. «Bien

moins étudiée demeure la forme de pensée spécifique au sujet engagé de manière interactive dans

la pratique proprement dite de l’acte» (Mendel, 1998, p.297). Le refus de la réalité, dans sa part de

risque, de contingence, biaise les processus de mise en visibilité de la part sensible de l’acte,

positionnement au cœur des métiers du social (Libois, 2013). L’impulsion émane d’une volonté du

sujet avec une part de responsabilité portée sur ce qui est à advenir. Advenir, car dans l’acte, qui est

le prolongement de l’action, rien n’est écrit à l’avance.

Nous retenons le pré-acte comme conceptualisation d’une réalité à venir, comme méthodologie de

projet, comme intentionnalité relevant d’objectifs prédéfinis. C’est dans le pré-acte que se

construisent un projet, un programme, une vision qui permettent une prise de décision pour

commencer quelque chose. Puis en essayant de maintenir le cap du projet, on rencontre l’acte et son

risque. « On décide une action et c’est à l’acte qu’on a affaire » (Mendel, 1998, p.49). L’animateur

socioculturel se positionne autant dans la pensée de l’acte que dans le réel de l’activité. Il assoit son

activité sur des valeurs et se confronte à la réalité des situations.

5Chez Mendel, l’action est présentée comme pré-acte, articulée à la volonté du sujet, à l’idée de création de

projets, d’événements. Dans cette conceptualisation de l’agir, l’auteur opère une distinction de

positionnement entre action et acte. Pour des raisons de prise en compte du langage commun avec les acteurs

concernés par la recherche, nous avons décidé de garder uniquement la terminologie de pré-acte. Nous

utiliserons le mot action dans la même acceptation large, comme le pratique régulièrement les professionnels

de l’action sociale.

22

L’acte est dévolu au registre du savoir-faire, de l’intelligence pratique, de la pensée en acte. Si l’acte

est une aventure, il ne se situe pas dans le domaine de l’aventurisme. L’acte est ce qui est à venir

devant (ad-venturus) ; il ouvre sur l’inconnu, sur l’imprévisible.

L’acte est bien davantage qu’une gestuelle corporelle décidée par la volonté et qui se termine une

fois l’objectif ponctuel atteint. L’acte se constitue dans un indéterminisme partiel, qu’il s’avère de

penser en incluant une part de contingence à laquelle le sujet va se confronter. C’est en cela que les

métiers de l’humain imposent une double exposition à l’inattendu. Le risque inhérent à tout acte

doublé de l’inattendu dû à la confrontation à autrui. Autrui investi comme objet d’intervention qui

pose de fait une résistance à ce qui lui est assigné. Autrui étant pris lui-même par une part

incontrôlable de ce qui lui arrive et une part de résistance propre à sa réalité.

Une fois engagé dans l’acte, tout retour vers une position initiale d’intentionnalité est impossible.

L’interactivité entre déterminismes sociaux et projet du sujet s’entremêle dans l’acte. L’acte est

pensé comme l’avènement d’un parmi les possibles. Entre le pré-acte et l’acte qui se déroule, s’ouvre

toute la distance qui sépare l’idée de la réalité, l’absolu du contingent, l’action de l’acte. Dans l’acte,

le sujet rencontre une réalité « hors soi » à laquelle il se confronte. Il développe la compétence d’être

là, à la fois engagé dans les situations et porteur d’une distance cognitive et émotionnelle qui ouvre

un espace d’investissement du sujet ou du collectif avec lequel il travaille.

Garder une part de soi hors de l’acte reste essentiel au processus. La nécessité d’une prise de

distance par rapport à ce qui se déroule est indispensable à la capacité de voir l’acte en extériorité

pour y intervenir à bon escient. Une part de professionnalité s’engage, pleinement présente dans

l’acte en devenir, et une part de soi s’oblige à rester en extériorité.

Cette acception de l’acte nous place loin de la position occidentale aristotélicienne, conception

élaborée en chaînes de causes à effets. Avec Mendel, nous pensons que le monde des idées ne

commande pas les dimensions sensibles de l’acte. Le phénomène d’interactivité se développe en

entremêlant le sensible et l’explicatif. L’acte est marqué par des temps d’équilibre et de déséquilibre

mus par cette tension créative. C’est le rapport entre pré-acte et acte qui se joue, qui demande à

être engagé et à laisser advenir. A l’intérieur d’une chaîne de causalité, des bifurcations surgissent,

des créneaux s’entrouvrent, d’autres possibles se développent. Celui qui sur l’instant, sait exploiter

cette situation, fera preuve de style au sens de la psychodynamique du travail. Il sera auteur d’un

savoir-faire issu de la prise en compte de la bifurcation, nécessaire au développement de la situation

au sein de laquelle sont engagés les sujets.

Le post-acte est la part réflexive succédant à l’acte. Le rendre compte, nommé communément

évaluation est partie intégrante du post-acte. Le retour sur expérience est également compris dans

ce temps spécifique de l’activité.

Les pratiques professionnelles aujourd’hui ont largement affaire au pré-acte et au post-acte dans un

découpage finalisé. Pré-acte au sens de l’accent porté sur les méthodologies, sur la clarification

d’objectifs à déterminer et à atteindre. Post-acte au sens de la nécessité du rendre compte de

l’activité, de la remise de rapports et d’évaluations de tous ordres. Les financements par projets vont

littéralement dans ce sens comme les contrats de prestation auxquels sont assujetties les

associations pour l’attribution des renouvellements financiers. Les professionnels du travail social se

23

trouvent fortement engagés dans la préparation de l’acte ainsi que dans l’élaboration de rapports ou

délivrables, laissant la part de l’acte dans un impensé, dans une expectative de deuxième ordre en

termes de priorités.

Dans le cadre de l’épistémologie de l’évaluation que nous avons retenue pour l’analyse des activités

collectives et participatives, nous comprenons l’évaluation comme un processus itératif aux trois

temps de l’activité. Dès le pré-acte, l’intention et la pose d’objectifs sont inhérentes au processus

évaluatif. L’acte est porté par une dimension indéterminée : espace ouvert aux ajustements

nécessaires porteurs d’une dimension évaluative, dans les choix portés par les déplacements

inhérents à l’activité. Pour le post-acte, c’est le temps du retour plus réflexif sur l’activité, porté

essentiellement par un regard rétrospectif sur le déroulement du processus.

PRE-ACTE ACTE POST-ACTE

Dit autrement, nous pouvons résumer l’activité en trois axes interconnectés.

• Téléologique : par la nécessité d’un projet d’action construit sur des objectifs prédéfinis. On

est ici dans le pré-acte avec une pensée consciente et verbalisable.

• Expérientiel : par l’acquisition préalable d’une technique dont une part reste de l’ordre de

l’implicite, du non verbalisable. L’expérience est définie comme une forme accomplie de la pensée

du savoir-faire, comme une aptitude à faire face aux événements.

• Evaluatif : l’expérience s’adosse au post-acte dans le sens que celle-ci se construit à la faveur

d’actes anciens qui ont été digérés, analysés, intégrés. C’est au travers de la continuité de ces

processus que l’expérience se renforce et se transmet.

A C T I V I T E

PRE-ACTE ACTE POST-ACTE

ORIENTATION EXPERIENCE RETOUR SUR EXPERIENCE (REX)

L’indéterminisme partiel exposé par Mendel dans la dimension risquée de l’acte, pose un problème

paradoxal lorsqu’il insiste sur un engagement nécessaire dans l’acte et l’absence de maîtrise de celui-

ci. Mendel nous invite à interroger la notion d’engagement, très porteuse dans le champ du travail

social issu de l’humanisme et de la militance. S’il insiste sur la dimension risquée de l’acte, celle-ci se

surinvestit de la notion d’engagement. « On ne pose pas un acte, on ne l’exécute pas, on ne le réalise

pas. On s’engage dans un acte » (op. cit., p.57). L’homme s’engage dans un processus en prenant un

risque, car l’imprévisibilité sera indéniablement de la partie. Parallèlement l’objet de l’intervention

24

n’est autre qu’un humain ou un groupe de personnes, qui pose de fait une résistance à ce qui lui est

assigné, lui-même étant pris dans l’incontrôlable de ce qui lui arrive. C’est en cela que le

professionnel de l’action sociale s’engage dans l’acte. Il ne s’agit pas d’une militance au sens

politique du terme, mais d’un engagement de soi avec la part de risque que comprend la

confrontation à autrui. Engagement de soi qui devient périlleux dès lors que l’organisation du travail

attend des résultats tangibles et mesurables de l’activité.

Nous insistons sur le fait que l’activité est un processus interactif. Le découpage en trois temps, s’il

est éclairant théoriquement, ne peut être défini de manière désarticulée.

C’est ici que l’évaluation prend tout son sens, dans son obligation à revenir sur ce qui s’est joué et

positionné dans l’activité.

Le sujet est pris dans un processus complexe fait d’un enchaînement d’actes qui s’émancipent d’une

méthodologie préconstruite. Le praticien peut penser le problème de manière abstraite, mais l’acte

l’engage à plonger corporellement dans la situation qui mobilise ses sens, sa motricité. L’intelligence

pratique – tacit skills pour les Anglo-saxons – est une habileté tacite qui engage la subjectivité et le

corps dans le travail. L’intelligence pratique, l’expérience informelle, la pensée concrète, la pensée

associative, le savoir-faire, la culture pratique, le sens technique, l’expérience sensible, le sens de la

matière : autant de mots proches dont il est difficile d’appréhender la réalité concrète. Revenir au

concept de La Métis, l’intelligence rusée décrite par Destienne et Vernand (1989) nous permet

d’approfondir l’intelligence du corps engagée dans l’activité.

La pensée créative engage le corps, les affects, les sens, au-delà de la dimension cognitive

prépondérante au niveau du pré-acte. L’acte se déroule en intériorité corporelle ; souvent le

praticien marmonne, parle tout seul face à la résistance du réel. Il imagine des scénarii possibles, des

rencontres avec la réalité tout en sachant qu’une part d’aléatoire est constitutive de l’acte. Il travaille

bien souvent par essais – erreurs, par images qui se réfèrent à son expérience, mais qui vont devoir

se modifier encore une fois en fonction de l’interaction avec la réalité. L’issue du résultat n’est pas

acquise. Celui-ci est une aventure qui procure une stimulation quant au dépassement d’une

répétition, d’un geste à reproduire. Nous pourrions dire, pour paraphraser Mendel, que l’acte se

développe de manière intuitive et analogique. La pensée elle-même est en acte, dans le sens qu’elle

se construit dans ces temps de contingence sans élaboration consciente et verbalisable. Nous

pouvons distinguer les pensées qui anticipent l’acte, des pensées en situation d’actes, mais toutes

restent indéniablement en mouvement.

Si nous nous référons à la différenciation entre le prescrit et le réel au sens de l’ergonomie en pays

francophones, le savoir-faire chez Mendel se glisse dans l’écart des ergonomes. Le savoir-faire n’est

pas objet uniquement de l’acte, dans le sens où il se nourrit de l’observation des règles de l’art, des

connaissances théoriques de base, de l’expérience des gestes facilitateurs, des « ficelles du métier ».

Tout comme le savoir-faire n’annule pas la dimension de risque intrinsèque à l’acte. Ce qui reste à

inventer est justement ce qui n’a pu être mécanisé, ou dans les relations de service, ce qui n’a pu

être anticipé, ce qui ne peut être transférable. Ici se déploient les notions de métis, de ruse,

d’astuces, comme capacités à oser sortir des sentiers battus. Cette pensée est également tirée de

l’expérience, mais dépasse la simple reproduction de l’acte. L’expérience se renouvelle au travers de

25

l’inventivité nécessaire au dépassement du déjà connu, par la singularité des situations qui toujours

interpelle le professionnel.

Faire preuve de professionnalisme passe par la pose d’objectifs partagés. Toutefois, nous l’avons dit,

les métiers de l’humain ne se déterminent pas par une activité préconstruite.

« L’étude de tous phénomènes humains nécessite la prise en compte d’une double dimension ;

subjective et objective » (Mendel, 1998, p.70). Ainsi, les sciences sociales et humaines ne peuvent

échapper à une interactivité entre subjectivité et objectivité. Nous pouvons alors parler de

construction contextualisée.

Conception contextualisée de l’agir :

Cheminement d’un professionnel dans un contexte en mouvement, dans un système de contraintes

diverses, de forces agissantes endogènes et hétérogènes souvent contradictoires.

Forces agissantes

EFFETS

OBJECTIFS INTENTIONS

L’agir du professionnel est traversé par un champ de forces agissantes sur l’activité en cours.

Rappelons que la pratique participative demande de la co-construction de l’agir en vue d’une

autonomisation des personnes ou des collectifs. Dès lors l’animateur n’est pas une force de décision

ou plus précisément ne peut avoir le plein pouvoir sur le déroulement de l’activité.

Nous avons insisté sur les dimensions contextuelles et organisationnelles omniprésentes dans l’agir.

Le travail, selon Clot (2006) se décline au sein des quatre dimensions qui recoupent les forces

agissantes endogènes et exogènes de l’agir professionnel. Articulation du personnel et de

l’interpersonnel, notions complétées du transpersonnel – la culture du lieu - et de la dimension

impersonnelle liée au prescriptif. L’organisation du travail est un fait objectif qui peut être traité

comme une composante explicative et causale, mais aussi tenue par des sujets, agissant et pensant.

Nous sommes en présence d’un modèle complexe explicatif et compréhensif au sein duquel

organisation du travail et sujets au travail se trouvent en interactivité constante. Tenir compte du

social et du psychologique permet un double regard et ouvre l’intervention sur un mouvement

26

d’appropriation de l’acte par engagement et résistance à ce qui s’impose à soi. L’organisation du

travail est un fait social qui agit de manière déterminante sur les processus psychologiques et les

représentations de l’homme au travail. Mais l’acte ne se réduit pas au sujet qui y prend part. Là,

peut-être plus qu’ailleurs, le soin porté à l’interaction dans le déroulement de l’acte est constitutif de

l’agir. Notre épistémologie de la pratique rejoint la définition de l’acte en trois temps définie par

Mendel constituée d’une intention dans le pré-acte, de la part risquée de l’acte et de réflexivité

instituée comme post-acte. Penser l’évaluation de l’activité collective demande à tenir compte de ces

trois temps en insistant sur l’interactivité et la fécondation réciproque que cela produit. L’évaluation

est portée par ce processus en mouvement.

C’est à partir de cette conception de l’agir collectif et de l’évaluation participative que nous

conduirons notre projet de recherche.

1.5. L’évaluation : cadres théoriques

L’évaluation de programme est un champ vaste avec des pratiques variées, qui diffèrent selon les

approches évaluatives, ou stratégies opérationnelles retenues (Daigneault 2011, p.2). Les chercheurs

s’accordent à distinguer plusieurs générations d’évaluations qui se sont développées au fil du temps.

Valéry Ridde, dans l’introduction générale à son ouvrage « Approches et pratiques en évaluation de

programme », décrit succinctement quatre générations d’évaluation (Ridde & Dagenais 2009, p.14):

- la première est celle de la mesure, dont l’évaluateur est un spécialiste ;

- la deuxième est plus de l’ordre de la description, dans laquelle l’évaluateur s’attache

principalement aux processus qui permettent la survenue des effets constatés ;

- la troisième, dans laquelle le défi de l’évaluateur est de porter un jugement sur les résultats

obtenus en regard des objectifs initialement fixés ;

- la quatrième, qui se veut plus interactive et dans laquelle il s’agit non seulement de

reconnaître le point de vue et les valeurs de l’ensemble des acteurs concernés, mais aussi de

faire en sorte qu’ils fassent partie intégrante de ce processus.

Certains auteurs estiment qu’une cinquième génération s’est récemment développée, sans que la

pratique soit encore très répandue. Cette nouvelle façon d’appréhender l’évaluation propose que la

société civile « prenne le pouvoir ». En d’autres termes, les bénéficiaires des programmes à évoluer

sont intégrés aux processus évaluatifs (Baron & Monnier, 2003).

Les trois premières générations d’évaluation sont dites « managériales ». En effet, elles sont faites

principalement pour et par l’administration, et les acteurs concernés ne sont pas impliqués dans la

démarche. Les deux dernières générations d’évaluation introduisent deux dimensions de la

participation, la « largeur » et la « profondeur ». La largeur relève de la diversité des groupes

d’intérêts impliqués dans le processus (des commanditaires aux bénéficiaires directs et indirects). La

profondeur mesure le degré d’implication des groupes d’intérêts.

27

Le choix d’un type d’évaluation est lourd de sens. Comme le dit Ridde (Ridde & Dagenais, 2009, p.17),

« l’évaluation, en tant qu’activité humaine, est source de tensions et de relations de pouvoir ». Dans

le contexte de cette présente recherche, pour être en adéquation face aux spécificités de l’animation

socioculturelle et ses valeurs, la démarche se doit d’être participative. Le but est de participer à la

construction d’un processus d’évaluation permettant de rendre compte des réalités du travail social

et ainsi de répondre à une demande étatique de visibilité de l’activité.

La stratégie évaluative participative repose sur une approche pluraliste fondée sur la négociation. Les

acteurs participent aux différentes étapes de l’évaluation, ce qui leur permet d’acquérir de nouvelles

compétences propres à l’évaluation de programme, aidés par les évaluateurs externes ou internes

avec un rôle déterminé à cette tâche qui offrent une expertise et un accompagnement tout au long

du processus. Cette vision sous-entend l’idée que « pour qu’une évaluation soit utile, et donc utilisée,

il est nécessaire qu’elle soit construite à partir des enjeux, des intérêts et des valeurs des

protagonistes de l’action publique, et qu’elle permette à ces agents de s’approprier ses résultats en

les associant à son processus » (Baron 2001, p.12).

Dans le domaine de l’évaluation participative, deux courants existent, selon Cousins et Whitemore

(1998), l’approche dite « pratique » et l’approche « transformative ». L’approche pratique permet

aux parties prenantes d’améliorer leur vision de l’évaluation, leur appropriation et finalement

l’utilisation en elle-même de l’évaluation (Cousins & Whitemore, 1998, p.6). Dans cette même

dynamique, l’approche transformative va plus loin, en supposant un changement social dans la

mesure où les connaissances et les pouvoirs sont transférés des mains des experts externes à celles

des principaux protagonistes. Un but important de cette approche est le développement du pouvoir

d’agir des personnes chargées de la mise en place des programmes visés par l’évaluation à travers

leur participation au processus évaluatif en respectant leur propre savoir. Dans le cadre de notre

recherche évaluative dans le champ de l’animation socioculturelle, ces notions prennent tout leur

sens en sachant que cet axe de travail est inspiré de la notion de « conscientisation » de Paulo Freire

(Cousins & Whitemore, 1998, p.8). Les « évalués » sont amenés à saisir les connections entre la

connaissance, le pouvoir et le contrôle en participant au processus d’évaluation. La distance entre les

chercheurs et l’ « objet » de leurs recherches est comblée par leur travail collectif.

28

Une approche participative de type « empowerment », de 5ème génération ou d’émancipation,

permet en outre de promouvoir les bénéficiaires en tant qu’architectes des processus les concernant

et non comme des bénéficiaires passifs des mesures mise en place et évaluées.

Qu’est-ce que l’empowerment ? Comment traduire cette notion en français? Jean-François Bélanger

propose une étude de l’« empowerment évaluation » dans un numéro des Cahiers de la performance

et de l’évaluation consacré aux approches théoriques en évaluation (Daigneault, 2011, pp.7-16). A ce

propos, il revient sur les différentes traductions du terme anglais « empowerment » proposées en

français. Il s’appuie sur les travaux de Le Bossé (2003, pp.45-47) pour proposer de remplacer la

définition du concept d’empowerment par l’expression « pouvoir d’agir ». Pourtant, la traduction

diffère dans le contexte de l’évaluation. Selon Bélanger, en référence aux travaux du fondateur de l’«

empowerment évaluation » David M. Fetterman, docteur en anthropologie, la traduction la plus

correcte est « évaluation habilitative » en lieu et place d’« évaluation émancipatrice ». Pour notre

recherche, nous retenons la terminologie de l’évaluation participative.

Au niveau scientifique, la question de l’évaluation participative favorisant l’« empowerment » est en

développement dans les sciences humaines et sociales, et notamment dans le travail social. La

création, ou l’accompagnement d’évaluations dans des cadres situés, mobilisant la participation des

différents acteurs concernés, complétant sur le plan qualitatif les évaluations de type quantitatif est

en plein essor. Un intérêt existe de la part de décideurs politiques pour le développement d’outils

d’évaluation qualitatifs, respectueux des processus participatifs. Nous pourrons alors parler

d’évaluation participative.

L’aboutissement de la recherche, d’un point de vue pragmatique et appliqué, serait la création d’un

processus d’évaluation participatif qui permettra non seulement aux acteurs du terrain,

professionnels et bénéficiaires, de réfléchir sur les problèmes rencontrés, mais aussi d’en rendre

compte aux instances externes. La dimension participative telle que nous la développons devrait

également permettre de dépasser les a priori actuels et méfiances souvent fondées des

professionnels face aux démarches classiques d’évaluation.

Dans ce sens, il importe de pouvoir incorporer au processus d’évaluation les personnes auxquelles les

actions sont destinées. A ce propos, un article relatant l’expérience d’impliquer directement les

bénéficiaires d’un programme montre les difficultés et les coûts inhérents à une telle volonté

(Whitmore & Mckee, 2001). En effet, cette collaboration nécessite de mettre à disposition un espace

de rencontres et de discussions qui est en général réservé aux pairs. Elle nécessite un temps

d’adaptation qui permet de trouver un langage commun. Ces efforts permettent ensuite au

processus d’évaluation d’être plus constructif, en ne négligeant aucune partie prenante.

Face à ces problèmes d’ordre organisationnel, tout en restant dans une dynamique participative

forte, nous avons adopté une évaluation que l’on pourrait qualifier de 5ème génération tout en

sachant les écueils organisationnels et philosophiques auxquels nous serons confrontés. Les

bénéficiaires seront intégrés dans le processus de recherche, mais cela ne sera pas suffisant pour

parvenir à développer une conscience des processus participatifs entre les différents acteurs :

professionnels, membres bénévoles du comité et participants. La part active des professionnels

engagés dans le processus d’évaluation sera à analyser au terme du processus pour opérer une

distinction plus claire entre 4ème génération et 5ème génération.

29

1.6. L’évaluation interactive

Michel Vuille, sociologue à Genève, a publié en 1992 un livre intitulé « L’évaluation interactive, entre

idéalités et réalités : recherche sur les pratiques d’évaluation en animation socioculturelle ». Cet

ouvrage montre combien l’activité des animateurs socioculturels est diversifiée et complexe tenant

au fait que l’action est par essence collective et que les partenaires y sont nombreux. « Sur le plan

sociopolitique, l’animateur discute et négocie la finalité de ses projets avec des partenaires proches

et lointains (association, comité, fédération, autorité cantonale). Au niveau psychorelationnel, il

négocie la mise en œuvre de ses projets, d’une part avec ses collègues (préparation), d’autre part

avec les usagers eux-mêmes (réalisation) » (Vuille, 1992, 4ème de couverture). Cette recherche-

interaction place en exergue le processus lié à la mise en place de projets d’intervention, processus

identifié en trois temps principaux : organisation – logique d’action – réalisation (OGALARA). Dès lors

l’évaluation interactive n’est pas un simple bilan, elle se construit à partir des trois temps de

l’activité, lorsque les animateurs posent des orientations, lorsqu’ils construisent leur logique d’action

et en troisième lieu lorsqu’ils prennent le temps de poser un bilan qui devra permettre une nouvelle

construction des orientations selon les indications fournies. L’auteur montre combien il est essentiel

de travailler ces trois temps de l’activité avec les partenaires, mais aussi combien il est difficile de

poser les critères d’évaluation qui doivent reposer sur les valeurs défendues et l’expérience acquise.

Ainsi, l’évaluation ne peut pas se résumer à la production d’un bilan, c’est-à-dire mesurer « après

coup » la conformité des résultats obtenus dans l’animation par rapport aux objectifs fixés. C’est

l’ensemble du processus que l’on retiendra comme définition de l’évaluation interactive.

Plus précisément, dans cette présente recherche, l’évaluation est perçue comme un processus

participatif, qui à partir des valeurs, missions et objectifs qui structurent l’animation socioculturelle,

cherche à produire du matériel permettant de rendre compte des activités d’un centre de quartier.

Le processus évaluatif va donc conduire à un travail d’investigation, d’interrogation et d’analyse,

globale et pluraliste, à travers un questionnement propre à l’animation socioculturelle. Ainsi,

l’évaluation permet, à travers un ou plusieurs regards critiques, de comprendre ce qu’une maison de

quartier, à travers ses activités, réalise.

Toujours dans l’optique d’aller plus loin que le bilan, le processus évaluatif souhaité ne vise pas à

déterminer un degré de conformité à telle ou telle norme, mais à permettre aux acteurs d’établir le

niveau de qualité des activités atteint et à porter une appréciation documentée et étayée à ce

propos. Comme nous l’avons décrit, l’évaluation c’est aussi donner une valeur à un ensemble d’actes

et une possibilité de reconnaissance du bien-fondé de l’activité. Ce dernier point est très important,

car la présente recherche souhaite répondre au défi de la qualité, cette dernière étant vue comme

une notion qui concentre à la fois les exigences de la commande publique et les finalités de toute

organisation à mission sociale. L’ensemble du processus participe à faire connaître et reconnaitre les

spécificités de l’approche socioculturelle dans sa dimension complexe.

Si ce processus d’évaluation doit fournir aux responsables des Maisons de quartier et aux bailleurs de

fonds des informations sur la façon dont les ressources sont utilisées et sur la mesure dans laquelle

30

les objectifs et les activités prévues ont été réalisés, il doit aussi amener à l’élaboration de réflexions

qui aideront les professionnels à améliorer la réalisation des activités à l’avenir.

Cette approche nous permettra de dépasser les écueils découlant d’une logique gestionnaire, qui est

souvent utilisée dans les évaluations de programmes. Cette logique ne perçoit l’action que dans une

perspective instrumentale, c’est-à-dire comme un ensemble de moyens agencés pour atteindre un

objectif défini d’avance. Ainsi, Terzi et son texte « La valorisation sociale et politique de l’animation

face à l’esprit gestionnaire », rejoignent notre vision de l’activité située qui permet de mieux rendre

compte du fait qu’agir n’est pas seulement poursuivre un but par l’application d’une procédure

prédéterminée. Au contraire, c’est « ajuster en permanence ce que l’on fait à des conditions

changeantes et dans une large mesure imprévisibles » (Terzi, p.9).

Les outils nécessaires à une telle production sont à élaborer en commun avec les terrains. Ces

derniers recourent en effet, à divers niveaux et divers moments, à des pratiques d’ajustements,

d’adaptations de leurs pratiques dans les activités proposées. Pour reprendre Vuille, il est possible de

dégager un invariant sans doute observable dans tous les centres : « (…) les partenaires régulent leur

action à travers de multiples « micro-examens » effectués à chaud, à travers des points de situation

informels qui ne laissent pas de trace écrite… » (Vuille, 1992, p.59). Ainsi, l’un des objectifs de cette

recherche est la construction d’outils permettant de rendre visibles ces ajustements que les

professionnels réalisent de façon quasi automatique pour améliorer leurs activités. Et ceux-ci passent

indéniablement par le crible de la co-construction dans les projets participatifs. C’est à ce type de

projet que nous nous intéressons et pour lesquels nous cherchons à construire un outil

méthodologique d’évaluation qui rende compte de l’engagement des différents acteurs. Car c’est

bien le processus participatif d’engagement dans les projets et les problèmes que cela suscite dont il

s’agit de rendre compte aux décideurs plus que des résultats prédéterminés l’action sociale.

31

Chapitre 2 : Méthodologie

2.1. Recherche appliquée

Dans le cadre de cette étude, nous avons mené une recherche appliquée. Une telle recherche a pour

caractéristique d’être conduite conjointement avec des partenaires du monde de la pratique, la

plupart du temps à une échelle régionale et locale6. Elle vise l’analyse et la visibilité des pratiques

professionnelles. Dans notre contexte, nous nous sommes intéressés à la pratique de l’évaluation

participative des actions destinées aux jeunes en milieu ouvert en animation socioculturelle.

Afin de pouvoir explorer finement les pratiques de l’évaluation participative d’une action, il nous

paraissait prioritaire de travailler en interaction forte avec les professionnels. Toutefois et comme le

relèvent très justement Libois et Wicht (2004) dans leur ouvrage sur le travail social hors murs,

« tenter de dévoiler ce qui se joue au cœur du métier reste une démarche particulièrement délicate

impliquant fortement les sujets de part et d’autre. (…) La démarche participative nécessite que

« chercheurs et professionnels du terrain exploré s’engagent, s’exposent et se confrontent » (Libois

& Wicht, 2004, p.18-19). Libois et Wicht (2004, p.17) soulignent également qu’il importe qu’un «

rapport de confiance indéniable entre toutes les parties engagées dans le processus » doive être

établi au préalable. « L’établissement d’un rapport de confiance réciproque peut se construire à

partir de différents socles ou éléments constitutifs, comme la notoriété des chercheurs, leur statut

professionnel, leur connaissance préalable des domaines étudiés » ou encore la connaissance

antécédente des acteurs en jeu. Dans notre situation, l’équipe de recherche comprend des anciens

animateurs socioculturels, nous pouvions donc nous situer dans un rapport de connaissance

préalable entre pairs. Le sujet travaillé dans cette recherche interpelle également fortement les

professionnels. Les équipes s’étant engagées dans le processus de recherche étaient déjà dans une

démarche réflexive sur leurs pratiques en la matière. La recherche devait leur permettre de mettre

en forme, de développer leur réflexion et si possible apporter des réponses. Ainsi, résument Libois et

Wicht (2004, p.19), pour mener une recherche appliquée, il faut « une nécessité de rencontre entre

intérêts réciproques identifiés à des niveaux distincts. Intérêt pour les professionnels à mieux

comprendre l’objet de leur investissement dans l’action et intérêt pour les chercheurs à construire

un objet de recherche adapté et évolutif, les questionnant autant sur l’activité de recherche que sur

l’agir professionnel. »

L’évaluation pose question sur les terrains, mais aussi aux employeurs et aux décideurs politiques. Ce

constat est apparu lors d’une journée organisée conjointement entre la Plateforme romande de

l’animation socioculturelle et la HETS Genève, le 22 septembre 2009. Elle avait réuni professionnels,

politiques et employeurs de la Suisse romande dans le but de « dialoguer sur les enjeux de

l’animation socioculturelle ». Cette journée a clairement montré qu’il y avait un manque au niveau de

l’évaluation des activités en animation socioculturelle. Les indicateurs suscitent des craintes chez les

professionnels, s'ils privilégient le quantitatif sur le qualitatif, et détournent de l'action de terrain

6 tiré du site de la HES-SO, http://www.hes-so.ch/fr/activites-recherche-183.html, lu le 09.10.2013

32

avec les usagers des forces accaparées par leur logique gestionnaire . L’ensemble des acteurs

présents à cette journée a laissé entendre qu’il y a nécessité à ce que l’évaluation soit à la fois

quantitative, qualitative et partagée.

2.2. Groupe de terrains, groupe de chercheurs, groupe de référence

Pour mener à bien cette recherche appliquée, nous avons travaillé sur trois niveaux distincts: terrain,

recherche, expertise. Dans ce but, nous avons formé trois groupes de travail distincts: le groupe de

terrain rassemblant les partenaires terrain, le groupe de chercheurs réunissant l’équipe de recherche

et enfin le groupe de référence formé de personnes extérieures à la recherche apportant un regard

expert à nos travaux.

Le premier groupe est composé des partenaires terrain. Pour construire ce partenariat terrain, les

chercheurs se sont adressés à la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle (FASe) qui

regroupe l’ensemble des centres de loisirs, maisons de quartier, terrains d'aventures, jardins

Robinson établis sur le canton de Genève. Leur mission consiste à offrir « des espaces de rencontres

conviviaux ouverts sur le quartier et la commune. Dans un objectif de prévention, ils organisent des

activités pour les enfants, les jeunes et toute la population. »7 Etant donné qu’une démarche de

recherche similaire avait été menée en Suisse allemande dans le champ de la jeunesse en milieu

ouvert, et afin de garantir une comparabilité entre les deux recherches, les chercheurs genevois ont

décidé de situer leurs observations dans le secteur des adolescents. Une fois l’accord de la direction

de la FASe obtenu, les chercheurs se sont adressés à deux maisons de quartier susceptibles d’être

intéressées par la démarche. Par la suite, il fallait constituer les groupes terrain (GTerrain) à

proprement parler. Idéalement, les chercheurs imaginaient que chacun des groupes terrain soit

formé de 6 à 8 personnes: des membres associatifs, des jeunes et des professionnels. Il est vite

apparu qu’il était impossible pour les comités associatifs et les professionnels de libérer autant de

personnes, et pour l’employeur institutionnel de les subventionner. Chacun des groupes terrain est

alors réduit à trois ou quatre personnes (deux professionnels, un/deux membres associatifs, des

jeunes). Par ailleurs, les chercheurs estimaient au départ que seuls les professionnels du secteur

adolescents participent à la recherche. Cependant, les coordinateurs d’équipe expriment leur souhait

de faire partie de la démarche de recherche, même s’ils ne sont pas directement sur le terrain avec

les adolescents. En effet, institutionnellement, ils sont confrontés à la question de l’évaluation des

actions. Il est alors décidé que les groupes terrains se composent d’au moins 4 personnes:

- 2 professionnels: le ou la coordinateur/trice et 1 animateur/trice du secteur adolescents

- 2 membres associatifs: 1 ou 2 membres du comité et si possible 1 ou plusieurs jeunes.

7 Tiré du site de la FASe, le 09.10.2013, http://www.fase-web.ch/site/fondation/index.htm

33

Au niveau des deux partenaires terrain, la composition des groupes est la suivante:

Le deuxième groupe, le groupe de chercheurs (GChercheur), comprend l’équipe de recherche: la

requérante principale, Joëlle Libois, professeure et directrice de la HETS Genève, deux co-

requérantes, Ulrike Armbruster Elatifi et Danièle Warynski respectivement chargée d’enseignement

et chargée de cours à la HETS Genève, ainsi qu’un assistant de recherche, Basile Perret. Au niveau

des rôles et des fonctions, Joëlle Libois est garante du volet méthodologique de la recherche, Ulrike

Armbruster Elatifi assume la coordination de la recherche et Danièle Warynski assure le lien avec les

terrains. L’adjoint scientifique, Basile Perret, est présent sur le terrain et s’occupe de la mise en

commun du rapport final du projet de recherche.

Quant au troisième groupe, le groupe de référence (GRéférence), il a pour finalité de conseiller le

processus de recherche. Il apporte également une expertise scientifique sur l’objet de recherche, soit

l’évaluation participative dans le contexte de l’animation socioculturelle. Il est composé, outre les

chercheurs, de membres représentant l’institution partenaire (FASe), le milieu associatif (FCLR)8,

l’Etat de Genève (DIP)9 et la recherche (HETS).

2.3. Etapes ou déroulement sur le terrain

Dans les lignes qui suivent, nous détaillons le processus de recherche. Notre recherche comporte six

étapes distinctes qui s’étendent sur une année. Pour élaborer cette démarche d’évaluation, nous

nous sommes basés sur différents auteurs tels que Smits et Champagne (2008), l’Institut Renaudot

(2012, p.22) et Merchel (2010, pp.60-61). Ces auteurs définissent et décrivent un certain nombre de

phases que devrait comporter une évaluation. Leur nombre est variable d’un auteur à l'autre, mais

nous pouvons distinguer des convergences entre eux. Dans le tableau comparatif qui suit, nous

présentons la démarche d’évaluation défendue par chacun de ces trois auteurs.

8FCLR: Fédération des centres de loisirs et de rencontres.

9 DIP: Département de l’instruction publique

Centre de loisirs de Vaudagne:

Professionnels: le coordinateur et la

professionnelle du secteur

adolescents

Membres associatifs: la présidente

et une membre du comité

Maison de quartier de Carouge:

Professionnels: la coordinatrice et

le professionnel du secteur

adolescents

Membres associatifs: un membre

du comité et trois jeunes du

secteur adolescents

34

Sur cette base théorique, nous avons élaboré nos étapes méthodologiques. Il existe une grande

similitude entre notre méthodologie et celle des trois auteurs de référence. Dans le tableau ci-après,

nous présentons de manière schématique les étapes d’évaluation prévues pour notre recherche.

Nous spécifierons par la suite pour chacune de ces six étapes les buts visés, les apports

méthodologiques et les acteurs engagés.

35

1. La première étape comprend la recherche des partenaires terrain et des experts

scientifiques, l’affinement théorique et méthodologique de la recherche, la planification du

processus de recherche ainsi que l’organisation d’une première rencontre entre chercheurs

et partenaires terrain. Concernant la poursuite des lectures scientifiques en lien avec la

thématique de l’évaluation participative, la difficulté réside dans le fait que cette démarche

se situe à contre-courant de ce qui se pratique en termes d’évaluation. Il n’existe donc que

peu de littérature sur le sujet.

La première étape comprend un deuxième volet, le démarrage de la recherche avec les deux

partenaires terrain choisis. Il s’agit d’organiser une première séance de travail réunissant

chacun des groupes terrain (GTerrain). Chaque GTerrain est composé de quatre personnes au

moins: deux membres associatifs (membre du comité et/ou usager) et deux professionnels

de la maison de quartier (coordinateur et professionnel du secteur ados). Lors de cette

réunion qui se déroule au courant du mois de janvier 2013, l’équipe de recherche explicite la

démarche d’évaluation participative, ainsi que les étapes de recherche. Elle précise les

objectifs de la recherche et valide avec les GTerrain le processus de la recherche. Elle

détermine avec les GTerrain les activités à évaluer et procède à un recensement de l’existant

en matière d’évaluation pratiquée en lien avec les activités choisies. Les activités retenues

émanent du secteur ados.

2. La deuxième étape comporte la définition du cadre théorique de l’évaluation (cf. Smits,

Renaudot, Merchel) ainsi que l’analyse de l’existant. Elle se caractérise également par deux

volets.

Un premier volet réunit le groupe de référence (GRéférence) du projet. Il s’agit pour les

chercheurs de présenter la démarche de la recherche et d’entendre les retours des experts.

Le deuxième volet consiste pour le GChercheur à proposer des valeurs fondamentales de

l’animation socioculturelle pour interroger les valeurs qui fondent les projets retenus par la

maison de quartier. Par ailleurs, les chercheurs recueillent et analysent l’existant en matière

d’évaluation pratiquée. L’étude de l’existant porte sur le matériel écrit mis à disposition par

les deux maisons de quartier partenaires (ex. les rapports d’activités, les rapports de projet,

etc.). Elle sera complétée par du matériel oral tel que récits et entretiens avec les membres

du GTerrain. Cette étape est menée par le GChercheur au courant du mois de janvier et

février 2013.

3. La troisième étape prévoit que les GTerrain co-construisent de manière participative le

problème qui est à la base de l’activité, ainsi que des outils qui vont permettre le recueil de

données en vue d’évaluer l’activité. Les GTerrain comparent également les valeurs

fondamentales de l’animation avec les valeurs sur lesquelles se basent leurs actions.

36

4. L’expérimentation de l’outil de recueil de données et la récolte de données forment la

quatrième étape. Il s’agit d’expérimenter et de mettre en œuvre les outils participatifs

décidés par le GTerrain lors de la précédente étape. Si la construction des outils est investie

par le GTerrain, la mise en œuvre de ces outils est assurée par les professionnels. Là aussi les

chercheurs constituent une ressource pour le suivi des travaux.

A la fin de cette quatrième étape, vers la mi-mai, une deuxième séance de travail avec le

GRéférence est prévue afin d’effectuer un bilan de mi-parcours de la recherche. Une séance

de bilan de mi-parcours est également organisée avec les GTerrain. Il s’agit d’une rencontre

réunissant les deux partenaires terrain. Il faut spécifier que nous avons mené les deux

recherches distinctement et en parallèle dans chacune des deux maisons de quartier et ceci

pour faciliter et optimiser la participation des usagers et des membres associatifs bénévoles.

Deux moments d’échanges et de rencontres entre les deux GTerrain ont été fixés afin de

permettre de croiser les regards et les expériences.

5. La cinquième étape porte sur la co-construction des outils d’analyse du matériel empirique

collecté lors de la précédente étape. Pour ce faire, le GTerrain se réunit pour la quatrième

fois début juin 2013.

Suite à cette séance de travail, l’analyse et l’interprétation du matériel empirique peuvent

être entreprises par les professionnels. Il s’agit d’une démarche formative. Dans cette

perspective, plusieurs séances de travail pour former les professionnels à l’analyse des

données empiriques sont prévues par les chercheurs. Cette étape devrait s’étendre de début

juillet à fin octobre 2013.

6. La sixième et dernière étape consiste à évaluer le processus d’évaluation participative et

éventuellement procéder à une modélisation de la démarche et de ses outils. Cette

évaluation se fait avec le GTerrain élargi à d’autres bénéficiaires, membres de comité et

professionnels.

Pour clôturer la recherche, une séance de travail avec le GRéférence au début du mois de

décembre 2013 a pour objectif de valider la démarche et de mettre en perspective la suite de

la recherche.

2.4. Enregistrement sonore et vidéo, entretiens, analyse de contenu, travail

de groupe, journal de terrain

Maintenant que nous avons présenté le déroulement de la recherche, nous nous attacherons à

expliciter les différents outils méthodologiques employés tout au long de cette étude sur le terrain.

37

Tout d’abord, dans le cadre de notre recherche, nous avons réalisé des enregistrements audio des

rencontres de travail avec les groupes de terrain ainsi qu’avec le groupe de référence. Certaines de

ces bandes sonores ont été retranscrites dans leur intégralité, d’autres partiellement en fonction de

la pertinence pour notre recherche.

Puis, nous avons utilisé différents outils pour la récolte des données empiriques (étape 2 du

processus de la recherche). La co-construction des outils de récolte des données constitue un

moment important dans le processus d’évaluation participative. Les outils sont multiples. Ainsi,

l’Institut Renaudot (2012) propose le questionnaire, la vidéo ou le carnet de bord pour cette étape.

Ridde (2003, p.272) utilise les portraits d’intervention et l’entretien semi-directif avec des

bénéficiaires. Soulet et Châtel (2001) quant à eux explorent les grilles de statistiques portant sur des

dimensions conceptuelles telles que la pertinence, la cohérence interne, la cohérence externe,

l'efficacité, l'effectuation, l'ethnicité, la rentabilité, la légitimité et la reproductibilité. Dans notre

recherche, le groupe de terrain de la Maison de quartier de Carouge a décidé d’expérimenter l’outil

de médiation vidéo pour la récolte du matériel empirique. Les professionnels ont filmé un certain

nombre de séquences tout comme l’équipe de recherche. Concernant la Centre de loisirs de

Vaudagne, le matériel empirique est constitué des bandes sonores réalisées par les chercheurs.

Par ailleurs, des entretiens semi-directifs ont été menés par les chercheurs au début de la recherche

pour étudier l’existant en matière d’évaluation. Ainsi, un entretien d’environ une heure a été mené

avec chacun des coordinateurs d’équipe des deux maisons de quartier. L’entretien semi-directif est

une méthode compréhensive. Elle permet la récolte d’informations qualitatives permettant de

rassembler des faits et opinions des personnes interrogées sur un sujet donné. Il offre la possibilité

de centrer le discours des personnes autour de thèmes définis préalablement et consignés par les

enquêteurs dans un guide d’entretien. Sa richesse réside dans le fait qu’il laisse libre « cours aux

choix de réponse des enquêtés, avec leurs mots et des détails faisant sens selon eux. Cette méthode

permet l’étonnement, ouvre le questionnement sur la complexité des objets étudiés »10. De plus,

« l’entretien semi-directif n’enferme pas le discours de l’interviewé dans des questions prédéfinies,

ou dans un cadre fermé »11. Il importe également de mener ces entretiens en face à face et de

préférence dans l’univers quotidien des interviewés, leur lieu de travail dans notre cas. Ce type

d’entretien est utilisé pour compléter les résultats obtenus par un sondage quantitatif, par l’étude du

prescrit, l’observation de terrain, etc.

Pour exploiter le matériel récolté (entretiens et prescrit), nous avons procédé à une analyse

thématique ou de contenu. Pour Blanchet et Gotman (1992), l’analyse de contenu n’est jamais

neutre. Concernant la démarche méthodologique, il faut dans un premier temps retranscrire

intégralement les entretiens. Ensuite, il s’agit de lire de manière critique les différents textes ainsi

obtenus afin de les décortiquer, désosser, désarticuler. Il est important de chercher à mettre en

relation, recouper, confronter les données, de tenter de comprendre les liens logiques entre les

textes. « L’analyse thématique défait en quelque sorte la singularité du discours et découpe

transversalement ce qui, d’un entretien à l’autre, se réfère au même thème ». Il faut tout

10

http://gers-sociologie.fr/methodes/l-entretien-semi-directif

11http://www.eureval.fr/IMG/File/FT_Entretien.pdf

38

particulièrement faire attention aux « thèmes auxquels le chercheur n’avait pas pensé ou à certains

éléments qui, sans être quantitativement importants, ni répétés régulièrement, laissent entrevoir en

filigrane des pistes nouvelles, qui peuvent constituer de véritables ouvertures pour l’analyse

thématique ». Une fois cette lecture effectuée, il importe de classer ou de coder « les données en des

thèmes et ensembles plus larges » Vient enfin l’analyse des catégories, soit l’identification des liens

entre catégories et thèmes ou, comme le nomme Kaufmann (1996), « l’étape de catégorisation-

conceptualisation (…). Elle s’appuie sur les catégories explicatives relevées précédemment et vise à

faire une présentation cohérente des éléments-clés de l’entretien en les associant à des catégories

explicatives (notions, concepts, etc.) ». Cette étape est essentielle pour un retour sur la question de

départ et l’élaboration d’hypothèses plus fines susceptibles d’alimenter la problématique. La théorie

fondée ou grounded theorie explicite le processus d’analyse de contenu de la manière suivante:

l’analyse de contenu « fournit une procédure qui permet de développer des catégories d’information

(codage ouvert), d’interconnecter ces catégories (codage axial), pour construire un ‘récit’ qui relie les

catégories (codage sélectif) et qui permet d’aboutir à un ensemble discursif de propositions

théoriques ». Dans le cadre de cette recherche, ce travail d’analyse de contenu a été effectué durant

la deuxième étape au moment d’établir un état des lieux de l’existant en matière d’évaluation

pratiquée dans les lieux partenaires.

Comme déjà évoqué plus haut, nous avons, dès le début de la recherche, constitué trois groupes de

travail distincts: le groupe de chercheurs, les groupes terrains et le groupe de référence. Nous avons

donc tout au long de notre démarche géré, modéré et animé ces groupes selon la méthodologie de la

dynamique de groupe restreint (Anzieu & Martin, 1994). Le nombre de participants pouvait varier de

5 à 11 personnes au maximum. En termes méthodologiques, l’animation de groupe vise à faire

avancer les protagonistes en direction des buts, des objectifs de travail préalablement définis et

annoncés. Dans le cadre de cette recherche, notre rôle consistait avant tout à aider les groupes à

échanger leurs points de vue sur différents sujets en lien avec l’étude. Le travail de l’animateur de

groupe est « d'écouter, d'observer et d'utiliser son intuition afin de discerner les besoins et les désirs

des différents participants. Pendant que le groupe porte toute son attention sur la tâche à accomplir,

l'animateur concentre ses efforts sur le processus de la réunion, et sur les personnes composant le

groupe ». Dans notre situation, nous avons également questionné, invité à approfondir, pointé et

relevé les contradictions dans les propos des participants. L’attention de l’intervenant doit se centrer

sur trois niveaux:

- le niveau de contenu: les idées et les opinions échangées entre les participants autour de

l’objectif poursuivi intéressent prioritairement le chercheur. De ce fait, il est primordial

que la parole circule librement, que chaque membre comprenne la pensée de l’autre, se

sente écouté lorsqu’il parle et puisse s’exprimer. L’animateur de groupe peut s’aider de

la technique de la reformulation pour vérifier la bonne compréhension du discours. Il

peut aussi interroger, faire des liens, inviter à expliciter ou encore synthétiser la parole

des participants. Ce niveau vise la production ;

- le niveau de la procédure: pour la bonne dynamique du groupe, il importe de décider en

amont du processus le fonctionnement du groupe, en abordant le déroulement des

séances, l’horaire, la prise de décision, la prise de parole, les règles que se donne le

groupe, etc. Ce niveau porte sur la gestion, le fonctionnement du groupe ;

39

- le niveau socio-émotif ou la régulation: dans tout groupe, des tensions ou des conflits

mineurs peuvent survenir au cours de la discussion. Une charge émotive peut être

causée par des différences de points de vue, la délicatesse du sujet, la protection de

collaborateurs, etc. Le rôle de l’animateur consiste à maintenir un climat favorable au

débat. « Il y parviendra dans la mesure où il fera circuler l’information sur ce que

ressentent les participants concernant le fonctionnement même du groupe et

concernant les différents types de participation qu’il rencontre dans le groupe ». De fait,

il doit savoir accueillir l’émotion, reformuler le propos, relativiser, voire détendre la

situation par une note d’humour, etc. 12

Les ouvrages sur le sujet13 distinguent également différents styles d’animateur allant de l’animateur

autoritaire au débonnaire. Nous avons privilégié le style démocratique, participatif et coopératif. Les

personnes ont le même statut dans le groupe. Elles agissent ensemble, sont interdépendantes et

sont toutes « porteuses du sens » du travail effectué14.

L’animateur de groupe incarne également certaines valeurs et attitudes telles que le respect et la

coopération, l’honnêteté et la franchise, la responsabilité et enfin la souplesse. Il fait valoir que

toutes les idées sont importantes, aucune idée n'a plus de poids qu’une autre.15

Une séance de groupe de travail doit être préparée méticuleusement. Dans cette phase de

préparation, l’animateur doit définir l’ordre du jour de la réunion, son déroulement, le qui fait quoi. Il

doit également convoquer les participants et s’assurer de la bonne organisation et de la logistique de

la séance. Vient ensuite le déroulement de la réunion qui se fait généralement en trois temps:

l’ouverture de la séance, l’échange et la clôture des débats. Enfin, après la rencontre, l’animateur

doit rédiger un compte rendu le plus rapidement possible pour éviter de perdre des informations. De

plus, l’équipe de chercheurs a procédé à un débriefing au sein du GChercheur après chacune de ces

séances de travail.16

Le journal de bord est un instrument très fréquemment utilisé dans la recherche appliquée. Selon

Mucchielli (1996, p.116), il « aide le chercheur à produire une recherche qui satisfait aux critères de

validation de cohérence interne (...). Le journal de bord constitue un document accessoire important

aux données recueillies sur le site ». Il contient les traces écrites, laissées par les chercheurs, lesquels

y narrent les événements (idées, émotions, pensées, décisions, faits, extraits de lecture, etc.)

contextualisés en termes de temps, de personnes, de lieux, de concepts théoriques, etc. Le journal

de terrain doit permettre au chercheur de découvrir, de comprendre et d’expliquer ce qu’il observe

12

http://www.fqli.org/admin/custom/datas/tiny/Documents_de_references_et_chroniques/Animation_de_groupe_F.Q.L.I.

_2008.pdf

13http://www.capsante-outaouais.org/animation-de-groupe/theorie

14http://www.animer.ch Marc ThiébaudRue du Collège 8 Tél.: 032 8 412 111 E‐mail: [email protected] 2013

Colombier Fax: 032 8 412 787 Site internet: www.formaction.ch

15http://www.sfm.mb.ca/uploads/14%20%20Animation%20de%20groupe%20et%20la%20resolution%20de%20problemes.

pdf

16http://www.animer.ch

40

et vit sur le terrain. A travers le journal de terrain, le chercheur peut rapporter certaines informations

recueillies au cours de la recherche. Enfin, il sert à témoigner, à ne pas oublier et à partager les

données, dans leurs aspects plus intimes et singuliers. Baribeau (2004) note à ce sujet que le but du

journal de terrain « est de se souvenir des événements, d’établir un dialogue entre les données et le

chercheur à la fois comme observateur et comme analyste et qui permettent au chercheur de se

regarder soi-même comme un autre. Cette instrumentation est essentielle pour assurer à la fois la

validité interne et la validité externe du processus de recherche ». Un journal de terrain peut

contenir différents types d’écriture: les notes de terrain par exemple qui regroupent les données

recueillies. Elles doivent être claires, simples et traitées avec toutes les réserves habituelles de

confidentialité. Le chercheur peut également y faire figurer les notes descriptives (Deslauriers, 1991)

portant sur les observations, la description de faits, d’événements, la consignation de conversations,

etc. Le chercheur peut y ajouter ses réactions personnelles et ses questionnements. Il y a également

les notes méthodologiques qui concernent directement le processus de la recherche et son

argumentation. Terminons avec les notes théoriques « qui pourraient être, s’il y a lieu, réécrites et

rendues accessibles pour illustrer l’élaboration des idées, des modèles (aspect de conceptualisation),

etc. » (Baribeau, 2004). Toutes ces notes sont datées, accessibles, documentées.

Maintenant que nous avons décrit les instruments utilisés dans notre recherche, nous pouvons

passer à la présentation des partenaires de terrain.

2.5. Présentation des terrains

Durant cette recherche, l’équipe de chercheurs a pu compter sur la participation de deux maisons de

quartier du canton de Genève, la Maison de quartier de Carouge et la Centre de loisirs de Vaudagne.

Nous allons brièvement décrire ces institutions dans ce chapitre.

La Maison de quartier de Carouge

L’Association du Centre de loisirs de

Carouge a été créée en 1963. La

Maison de quartier, par contre, a vu

le jour en 1969. Il s’agit d’une des

plus anciennes maisons de quartier

du canton de Genève. A ses débuts,

elle a fait partie de la « mouvance

militante contestataire proche de la

contre-culture typique des années

70 » (tiré du site de la FASe, lu le

14.10.2013). Ensuite dans les années

80, elle se tourne vers le quartier, ce

qui « aboutit à une collaboration étroite avec les autorités communales de Carouge » et à une

intégration dans la vie locale. La commune de Carouge vit actuellement une importante densification

avec différents projets de construction d’envergure. Dans le cadre de ces nouveaux aménagements,

41

la Maison de quartier déménage, en été 2009, au 3 rue de la Tambourine à Carouge. Elle continue à

gérer deux autres locaux: l’espace Grosselin (espace pour les jeunes) et « les Moraines » qui

accueillent les activités enfants.

La Maison de quartier de Carouge est une association à but non lucratif, affiliée à la Fédération des

Centres de Loisirs et de Rencontres (FCLR) et à la Fondation genevoise pour l’animation

socioculturelle (FASe). La Maison de quartier de Carouge est gérée par un comité composé de

personnes bénévoles habitant ou travaillant à Carouge. Il compte huit personnes. L’association est

forte de 69 membres en 2012.

Au niveau de l’équipe de professionnels permanents, la Maison de quartier de Carouge dispose d’un

taux global d’activités de 550% réparti entre huit animateurs et animatrices17. Cette équipe est

complétée sur le terrain par des animateurs auxiliaires ou remplaçants, des moniteurs qui travaillent

auprès des enfants et des adolescents, des civilistes, apprentis et stagiaires et enfin les intervenants

des cours. Pour le fonctionnement administratif et technique, l’équipe peut compter sur six

personnes : deux secrétaires, une comptable et trois personnes pour la technique et le nettoyage.

S’agissant de ses activités, « la Maison de quartier de Carouge travaille dans et hors les murs,

mettant en avant les collaborations et un travail de réseau avec différents partenaires. Son objectif

principal est d'amener les différents acteurs de la commune à une participation active dans différents

projets communautaires et de proximité. La volonté est de partager une réflexion commune afin de

contribuer ensemble à une meilleure qualité de vie.Afin d'enrayer les réflexes de consommation

passive, l'association vise à travers toutes ses activités, une plus grande responsabilisation

individuelle et collective. La notion de citoyenneté est omniprésente dans chacune des actions

menées. »18

La Maison de quartier de Carouge propose ainsi des activités aussi bien pour les enfants telles que

centres aérés durant les vacances, spectacles, fête du Bonhomme Hiver, sorties de ski, accueil libre,

atelier récréatif, etc. que pour les jeunes comme l’accueil libre, des sorties, des discos, des ateliers

créatifs, des repas, des petits jobs, un local de musique, etc. Le quartier n’est pas non plus oublié

avec des prestations du type: accueil quartier, location de salle pour des anniversaires d'enfants,

repas de quartier (raclette, barbecue à thème), fêtes solidaires, stages créatifs, expositions,

spectacles, etc.

17

tiré du site de la MQCarouge, lu le 14.10.2013

18tiré du site de la MQCarouge, lu le 14.10.2013

42

La Centre de loisirs de Vaudagne

La Centre de loisirs de Vaudagne se

situe sur la commune de Meyrin, à

l’avenue Vaudagne 16. Il s’agit d’un

lieu associatif d’accueil et de

rencontre ayant pour vocation de

« soutenir et développer des

réseaux de contact et de solidarité,

lutter contre la marginalité et

l'exclusion, inciter les habitants à

prendre part à la vie active de la

commune, mettre sur pied un

programme régulier d'activités à

l'intention des enfants et des

jeunes.Son équipement

comprend: des espaces de rencontre et de cours, une salle polyvalente, une cuisine, des ateliers

d'expression, ainsi que le secrétariat »19.

La Centre de loisirs de Vaudagne voit le jour le 8 décembre 1964. « Prévue au départ comme lieu

d’accueil et de rencontres pour les enfants, les adolescents et leurs parents, la Maison Vaudagne a

rapidement élargi son offre à la population adulte: des moments de débats, des semaines

d’information et d’animation ainsi que des soirées ciné-club touchant tour à tour les réalités locales

et mondiales. »20

« L'association Maison Vaudagne est une maison, une équipe de professionnels et de bénévoles au

service de la communauté meyrinoise (…). L’association est rattachée à la Fondation genevoise pour

l’Animation Socioculturelle (FASe) (…).Elle est membre de la Fédération des Centres de Loisirs et de

Rencontres (FCLR) ».21 Son comité, l’organe exécutif, compte neuf membres, huit membres de

l’association et un délégué du conseil municipal de la Ville de Meyrin. L’équipe de professionnels se

compose de cinq animateurs et animatrices. Elle est aidée dans ses tâches par une équipe de

moniteurs et du personnel administratif et technique. Ce dernier comprend quatre personnes.

La Centre de loisirs se divise en quatre secteurs: le secteur enfants s’adresse aux enfants entre 4 et

10 ans. Des activités sur inscription sont proposées comme les mercredis aérés, les centres aérés

pendant les vacances scolaires ainsi que des camps. « Elles ont une fonction de socialisation des

enfants et s’articulent autour des valeurs telles que la solidarité, l’intégration, la prévention, le

respect, l’apprentissage de l’autonomie et des responsabilités ».22 Le secteur « big kids » accueille

19

tiré du site de la FASe, lu le 14.10.2013

20tiré du site de la CLVaudagne, lu le 14.10.2013

21tiré du site de la FASe, lu le 14.10.2013

22tiré du site de la CLVaudagne, lu le 14.10.2013

43

des enfants de 10 à 13 ans sur inscription, pour des mercredis et des semaines découvertes. Il y a

également le secteur ados pour les 13 à 18 ans. Ce secteur offre des ateliers comme le foot en salle

ou encore la boxe, l’accueil libre du mardi au vendredi, des repas, des discos, des camps, des petits

jobs et une formation DJ. Le dernier secteur s’intitule secteur « tout public ». Les activités

développées par son équipe s’adressent aux personnes tous âges confondus.

44

Chapitre 3 : Etapes, processus et émergence d’un

modèle

Nous allons dans ce chapitre reprendre les six étapes du processus de recherche tel qu’il s’est

effectivement déroulé. Nous rappellerons pour chaque étape son énoncé initial, formulé lors de la

demande de financement du projet de recherche. Puis, nous analyserons l’écart entre le

déroulement projeté et le déroulement réalisé23. Nous décrirons ensuite le déroulement du

processus de la recherche sur le terrain et exposerons les réflexions successives qui en ont résulté.

3.1. Première étape : la construction de la recherche (nov12-janv13)

Cette étape comporte deux volets.

Etape 3.1.1.

trouver des partenaires terrains

planifier la recherche

former le groupe de référence

Ecart entre le déroulement projeté et constaté :

Ce premier volet initialement prévu durant le mois de septembre à fin octobre a duré plus

longtemps. En effet, la formation des GTerrains et du GRéférence a pris plus de temps qu’estimé au

départ, avec un décalage de trois mois.

Pourtant, le processus va rattraper ce retard et suivre le calendrier prévu, car les temps de rencontre

entre chercheurs et GTerrain produiront souvent, comme nous le verrons, des accélérations

fécondes dans l’avancée du processus. Ce constat montre que la dimension participative du

processus d'évaluation, en réunissant les acteurs lors de moments charnières, en produisant de

l'intelligence collective, démontre une efficacité telle que le retard initial a été rattrapé.

Ce qui tarde le processus est souvent la difficile recherche de dates communes entre usagers,

militants associatifs et professionnels. Anticiper le calendrier de ces rencontres peut même rendre la

démarche d'évaluation participative performante du point de vue et de l'efficience et de l'efficacité.

23

En annexe se trouvent des tableaux synoptiques donnant à voir l’ensemble des acteurs impliqués et le déroulement

chronologique effectif de la recherche.

45

Etape 3.1.2.

expliciter la démarche d’évaluation participative et les étapes de la recherche ; préciser les

objectifs de recherche et déterminer les activités à évaluer avec le GTerrain

valider le processus de recherche avec le GRéférence

Calendrier :

17.1.2013 : GTerrain à Carouge

24.1.2013 : GTerrain à Meyrin

Ecart entre le déroulement projeté et constaté :

Alors que deux réunions de chaque GTerrain étaient prévues, une seule a eu lieu. Elle a condensé la

présentation des objectifs et de la démarche par les chercheurs, le choix de l’activité retenue pour la

recherche par les acteurs de terrain, et le recensement des pratiques existantes en matière

d’évaluation dans la maison de quartier.

Le processus sera soumis à la validation du GRéférence après cette première rencontre des GTerrain

dans l’étape suivante, en sollicitant leur expertise sur différents outils possibles de récolte durant

l’activité.

Déroulement du processus :

Une première séance de travail réunit avec les chercheurs chacun des GTerrain. Lors de cette

première réunion, l’équipe de recherche explicite la démarche d’évaluation participative, ainsi que

les étapes de recherche. Elle précise les objectifs de la recherche et soumet pour validation à chaque

GTerrain le processus de la recherche.

Le GTerrain présente l’activité, dans le secteur adolescents, qui a été choisie pour la recherche.

A la MQCarouge, le GTerrain est composé de trois personnes : la coordinatrice, l’animateur

du secteur ados et un membre du comité de la Maison de quartier, qui assume la fonction de

trésorier au sein de l’association. L’activité retenue pour la recherche est une action

solidaire : « spring session ». Il s’agit d’une action qui a vu le jour deux années auparavant.

Des jeunes de la maison de quartier organisent une journée de solidarité pour soutenir une

association du canton. Le thème de cette année est l’Afrique. Il s’agit d’une activité

ponctuelle qui s’inscrit dans le cadre plus large de l’accueil libre. L’événement, « spring

session », a été fixé au 27 avril 2013. Les jeunes sont invités à coordonner les manifestations

de la journée : hip-hop, rap, beat box, parcours et concert. Ils promeuvent la journée dans

leurs réseaux, s’impliquent dans son organisation, participent le jour-même aux ateliers,

effectuent des démonstrations devant le public en fin d’après-midi, et se produisent en

concert. Les bénéfices de cette journée vont à une action de solidarité Nord Sud choisie par

les jeunes.

A la CLVaudagne, à Meyrin, le GTerrain est composé de 4 personnes : le coordinateur et une

animatrice du secteur ados, et deux femmes membres du comité de la maison de quartier,

dont la présidente. Ils choisissent pour la recherche l’activité « atelier DJ et disco » : les

46

jeunes se forment à tous les aspects de la pratique de DJ pour être engagés lors des discos de

la maison de quartier.

Les actions faisaient partie intégrante du programme d’activités des deux maisons de quartier. Il ne

s’agissait donc pas d’actions créées pour la recherche.

Les chercheurs animent un recensement de l’existant en matière d’évaluation pratiquée dans la

maison de quartier. Au moyen d’un flip chart, chaque GTerrain est invité à lister toutes les pratiques

d’évaluation qui leur viennent à l’esprit, ce qui génère spontanément des discussions sur les points

positifs ou plus problématiques.

Réflexions émergeant des échanges spontanés sur l’évaluation

L’évaluation se révèle être une pratique constante et abondante.

Elle se réalise avec une diversité d’acteurs :

avec les usagers, les jeunes, les parents, les habitants ;

avec les moniteurs et l’équipe, le comité et l’association ;

avec les réseaux du quartier, associations, travailleurs sociaux hors murs;

avec la commune, l'administration communale, les décideurs politiques ;

avec les différents niveaux hiérarchiques de la Fondation pour l’animation : responsables de

secteurs, responsables de région, secrétariat général.

L’évaluation est multiforme : informelle et formelle, orale et écrite, visant à garder trace, ajuster,

développer ou rendre compte d'une activité.

L’évaluation présente un certain nombre de défis :

- Rendre visibles le travail réel et ses effets

- Evaluer l’activité de manière quantitative et qualitative

- Savoir rendre compte de l’action aux décideurs politiques, associatifs, communaux et

cantonaux.

- Formaliser l’évaluation, de manière lisible, significative, non réductrice, sans que l’évaluation

soit chronophage

L'évaluation présente un certain nombre de difficultés :

- L’évaluation prend un temps qui parle de l’action sans forcément servir à l’action.

- Dans la fonction de coordination d’équipe, l'évaluation est redondante: une même

information est donnée à une succession d’interlocuteurs différents, ce qui, à chaque fois,

mobilise du temps.

47

3.2. Deuxième étape : étude de l’existant (janv13-fév13)

La deuxième étape comporte également deux volets.

Etape 3.2.1.

Co-construire un état des lieux de l’existant en matière d’évaluation

Calendrier :

21.2.13 : Entretien avec le coordinateur de Meyrin

22.2.13 : Entretien avec la coordinatrice de Carouge

Ecart entre le déroulement projeté et constaté :

Alors que deux réunions du GTerrain étaient prévues pour cette étape, seuls les coordinateurs ont

été sollicités pour un entretien semi-directif et pour la transmission de documents relatifs à

l’évaluation de la maison de quartier.

L'échange mené lors de la séance qui réunissait professionnels et militants associatifs avait déjà

apporté visions, expériences et réflexions quant à l'évaluation pratiquée dans la maison de quartier.

Les chercheurs ont effectué une analyse des entretiens et documents fournis pour la soumettre aux

GTerrain dans la prochaine et troisième étape de la recherche.

Déroulement du processus :

Premièrement, les chercheurs ont travaillé à identifier les valeurs fondamentales de l’animation

socioculturelle pour vérifier la conformité entre les valeurs du métier et les valeurs auxquelles les

acteurs se réfèrent pour évaluer les activités des maisons de quartier.

Pour établir les valeurs du métier, les chercheurs ont considéré quatre sources de référence :

les valeurs qui fondent le travail social ;

les valeurs des approches communautaires participatives ;

les valeurs de l’action jeunesse en milieu ouvert, champ choisi pour cette recherche ;

les valeurs de la Fondation pour l’animation, institution à laquelle sont rattachées les deux

maisons de quartier partenaires de cette recherche.

Le résultat de ce travail est présenté dans le premier chapitre.

Les valeurs du métier convergent avec les finalités qui se trouvent dans les textes de référence qui

forment le prescrit des maisons de quartier, dans les lignes de sens que les maisons de quartier se

donnent pour objectifs, qui orientent les activités, et que les maisons de quartier rappellent dans les

rapports d’activités.

Deuxièmement, les chercheurs ont dressé un état des lieux des pratiques d’évaluation sur la base de

trois sources d’information.

1. Le recensement des pratiques d’évaluation effectué de manière interactive avec

professionnels et membres de comité lors de la première réunion du GTerrain a fourni une

base quasi exhaustive de cet état des lieux.

48

2. L’étude des documents fournis par les coordinateurs a mis en correspondance cette vision

d’ensemble avec les documents effectifs, et permis d’apprécier la bonne facture des

documents destinés au comité, à la commune ou à la Fondation, d'une part et, d'autre part,

le pragmatisme des notes à usage interne de l’équipe, visant à garder en mémoire les

informations utiles à la poursuite ou l’amélioration des activités..

3. L’entretien avec chaque coordinateur a aidé à situer dans leur contexte ces différents

documents, et à illustrer par des exemples concrets les nombreuses pratiques d’évaluation

des maisons de quartier.

Les chercheurs ont dégagé de l’étude de la documentation fournie et de la retranscription des

entretiens avec les coordinateurs quatre catégories de pratiques d’évaluation qui se retrouvent dans

les deux Maisons de quartier.

1. La première catégorie découle des contrats qui lient la maison de quartier à la FASe et à la

commune : mandat de prestation, contrat tripartite ou projet institutionnel fixent des

missions dans lesquelles s’inscrivent les prestations. Rapport d’activités, bilan comptable

sont produits au moyen d’outils fournis par la Fondation, comme la grille GIAC, ou que les

maisons de quartier créent comme les bilans d’activités. Ces écrits sont produits par les

maisons de quartier avec beaucoup de soin, de rigueur et d’attention. Nous relevons la

grande qualité de ces documents.

L’analyse des textes prescriptifs révèle que les critères d’évaluation ne sont ni nombreux, ni

explicites. Le contrat de prestations entre l’Etat et la FASe invite les maisons de quartier à

« définir leur action en fonction du contexte local en l’inscrivant dans le cadre de la cohésion

sociale ». La convention tripartite FASe - commune - maison de quartier définit les

documents à lui annexer : rapport d’activité, programme annuel d’actions et de réseaux,

budgets et comptes, projet institutionnel. Les documents relatant les attentes communales

ainsi que le projet institutionnel contiennent peu d’indications au sujet de l’évaluation elle-

même.

2. La seconde catégorie relève des objets que l’équipe entend soumettre au comité afin de

pouvoir débattre d’orientations à prendre. Des dossiers sont alors remarquablement

constitués, présentant tenants et aboutissants, raisons d’être du projet et effets attendus,

veillant à informer exhaustivement les membres du comité afin qu’ils puissent se faire un

avis éclairé, tout en respectant la neutralité qui convient, et en distinguant clairement ce qui

tient des préconisations.

3. La troisième catégorie comprend les nombreuses notes d’organisation interne qui servent

au bon fonctionnement de la maison de quartier. Les professionnels ont construit au fil du

temps des outils (grilles, etc.) et des manières de faire (cahier de colloques d’équipe, etc.).

Ces documents sont fonctionnels. Ils sont investis en proportion de leur usage. Des notes

manuscrites dans un classeur opérationnel et bien ordré suffisent pour actualiser les mémos

d’organisation d’activités que la maison de quartier reconduit (commandes et achats de

matériel pour une fête, par exemple).

49

4. La dernière catégorie des pratiques d’évaluation, ce sont ces nombreuses observations et

commentaires qui sont échangés oralement, sur le moment. Ils ont pour fonction de

permettre un ajustement de l’intervention pendant son déroulement, de réguler d’éventuels

désaccords, ou de décharger un trop-plein de tensions pour se rendre à nouveau disponible à

l’agir et à la relation. L’évaluation orale de l’activité est un échange sur le vif à partir d’indices

identifiés par les professionnels: les signes verbaux et non verbaux des jeunes, le taux de

participation, le respect du matériel et des lieux, l’implication des jeunes, etc. Les

professionnels observent, et sondent les participants pour affiner leur interprétation des

faits, en sollicitant les avis, en questionnant, en dialoguant.

Faire remonter ces innombrables petits constats et faits, qui sont chacun pourtant hautement

signifiants tient à l’impossible. Ce n’est sans doute pas à souhaiter, car il faudrait pour transmettre

toute la teneur du travail l’équivalent du même temps de travail.

Comment, néanmoins, en traduire l’essence ? Cette question va continuer de traverser la suite de la

recherche.

Etape 3.2.1. avec le GRéférence :

Réagir sur la recherche en l’état

Élargir les apports proposés pour la suite

Calendrier :

18.2.13 : réunion du GRéférence

Déroulement du processus :

Les chercheurs accueillent les experts pour cette première séance sur les trois séances prévues dans

le dispositif de recherche avec le GRéférence.

Dans cette première séance, les chercheurs soumettent à discussion le processus de recherche afin

de l’ajuster, présentent l’état des lieux des pratiques existantes d’évaluation et sollicitent l’avis des

experts sur le choix d’outils de récolte de données empiriques.

La parole est donnée aux experts :

Le délégué du milieu associatif pense que les membres de comité se préoccupent peu de l’évaluation

des actions et délèguent ces aspects aux professionnels, lesquels rencontrent des difficultés à

expliciter leur pratique d’évaluation.

Le secrétaire général de la Fondation pour l’animation affirme que ce sont les professionnels et non

l’institution qui construisent leur prescrit en tenant compte des référentiels existants (Charte, loi,

statuts, contrat de prestations, etc.). A partir de ce prescrit, ils développent une théorie d’action du

changement social, un a priori sur le sens de l’action. A la base de toute logique évaluative, la théorie

d’action doit être posée avant de définir des intentions d’action. Le professionnel, partie prenante de

l’activité, ne peut garantir l’intersubjectivité. Il peut garantir que toutes les subjectivités s’expriment

et soient pondérées.

Le professeur de la HETS rend attentif au danger de l’auto-évaluation et rappelle l’importance du

tiers neutre que constituent les chercheurs dans cette expérimentation. Il rappelle que le propre de

50

l’évaluation est de mesurer un écart, ce qui implique de préciser une situation initiale à laquelle on

va comparer une situation ultérieure. L’évaluation conduit à expliciter ce qui est fait et le sens donné

à l’activité. Les indicateurs permettent de mesurer l’écart entre ce qui avait été prévu et ce qui a été

produit. L’écart n’est pas forcément source d’un problème à résoudre, il peut aussi être révélateur

d’un nouveau chemin emprunté en fonction de la réalité rencontrée.

Le GRéférence propose des outils pour la collecte de données empiriques :

Journal graphique : un jeune qui ne fréquente pas un groupe note et relève tout ce qu’il

voit.

Journal ethnographique que les jeunes tiendraient sous forme de calepin ou

d’enregistrements sur un iPad.

Grille de capture de l’observation participante, dont les items sont à construire au

préalable.

Journal de bord qui peut consigner simplement les faits, l’analyse et les interrogations.

La richesse et la portée de l’observation participante des professionnels sont méconnues

et trop peu exploitées.

Proximus, un puissant outil de croisement de données

Et les outils existants, à valoriser, tels que les réunions d’équipe et de comité, les flash

débriefing, tous les moments riches en analyse de par l’interlocution, l’intersubjectivité,

l'expression d'une pluralité de points de vue.

L’évaluation nécessite de recueillir des données avec méthode. Dans le cadre d’une évaluation participative, impliquant les acteurs concernés, l’outil de récolte

gagne à être pratique et ludique, tout en fournissant des données qui puissent susciter la réflexivité

collective.

Les chercheurs relèvent qu’intégrer militants associatifs et usagers dans toute activité de manière

participative fait partie des contenus dispensés dans la formation des professionnels.

51

3.3. Troisième étape : retour sur l’étude de l’existant et co-construction

d’une démarche participative d’évaluation (mars 13)

Cette étape avait pour but annoncé :

Co-construire à partir des problèmes et valeurs identifiés une démarche participative

d’évaluation

Calendrier :

7.3.13 : GTerrain à Meyrin.

13.3.13 : GTerrain à Carouge.

16.4.13 et 23.4.13 : réunions de préparation entre jeunes, association Bupp Junior et animateurs à

Carouge.

Ecart entre le déroulement projeté et constaté :

Alors que deux réunions du GTerrain étaient prévues, une seule a suffi, pour la présentation de l’état

des lieux des pratiques d’évaluation existantes et la co-construction participative du problème qui est

à la base de l’activité.

Déroulement du processus :

Les chercheurs commencent par présenter l’état des lieux des pratiques d’évaluation existantes et

similaires dans les deux Maisons de quartier.

Ensuite, les chercheurs suscitent l’échange entre les acteurs présents sur le problème, la

problématique sociale, la raison ou la motivation qui, pour chacun est à la base de l’activité choisie

pour la recherche.

A Meyrin, les chercheurs lancent la discussion avec les acteurs présents, professionnels et membres

du comité, sur le problème à l’origine de l’action « Atelier DJ et disco ».

La question suscite d’abord un retour sur l’histoire et l’origine de l’activité. Un groupe d’ados plus

âgés occupait le centre de loisirs, éloignant les plus jeunes. La fermeture du lieu a permis à une

nouvelle vague de jeunes d’occuper les lieux à la réouverture du centre de loisirs : des jeunes

amateurs de Rapp qui ont évolué vers la pratique de DJ.

La vision du problème que cet atelier pose aujourd’hui révèle différents points de vue au fil de la

discussion.

Les professionnels pensent que la baisse de fréquentation des discos est problématique, car

elle démotive les jeunes qui se forment à la pratique de DJ.

Les membres du comité se questionnent alors sur la manière d’accrocher les jeunes,

cherchant des solutions du côté de la promotion des discos.

La suite de l’échange montre que le projet de disco rassure en partie ces mères de famille,

membres du comité de gestion, qui préfèrent voir les jeunes au centre de loisirs que dans la

rue. L’activité « disco » est pour elles un moyen de prévention.

Les professionnels parlent alors plus particulièrement du jeune adulte qui forme les plus

jeunes à la pratique de DJ, et qui s’est formé lui-même au centre de loisirs. L’enjeu pour les

52

professionnels est de contribuer, avec cet atelier DJ, à socialiser et ancrer ce jeune adulte en

risque de rupture, en renforçant sa construction identitaire.

Puis les professionnels partagent leur préoccupation de trouver comment responsabiliser

davantage les jeunes dans l’organisation des discos. Comité et professionnels réfléchissent

alors à la manière de rendre les jeunes plus acteurs, pour qu’ils soient plus preneurs. Ils

finissent par se demander comment poser la question aux jeunes eux-mêmes.

En termes d’outil de récolte de données, aucun choix n’a été explicitement fait durant la séance.

A Carouge, trois jeunes faisant partie de l’organisation de l’événement participent à la séance du

GTerrain. Les chercheurs questionnent à nouveau les problèmes, les intentions, les intérêts qui sous-

tendent l’événement pour chacun.

A l’adresse des jeunes, plutôt silencieux, les questions sont précises, directes et factuelles :

« Qui choisit les horaires ?... Qu’est-ce que vous en pensez ?… Est-ce que vous sentez avoir une place

dans l’organisation ? »

L'échange révèle que les différents acteurs présents ont pour l'activité des motivations et des visées

différentes.

Les professionnels mettent en avant l’importance de sensibiliser les jeunes à la valeur de la

solidarité dans le but de conscientiser les jeunes par le soutien à une association solidaire.

Leur but est aussi de mobiliser et de valoriser les compétences, les aptitudes et les talents

des jeunes pour tenter de modifier les représentations parfois négatives à leur égard ; de

favoriser leur apprentissage dans la mise sur pied d’un événement et de les responsabiliser

dans l’organisation de la journée.

Les jeunes sont intéressés par la rencontre avec le public. Pour l’un, il s’agit de promouvoir la

musique de son groupe, se produire devant un public qu’il espère nombreux, apprendre à

programmer un concert, et programmer des groupes de musique de son réseau à charge de

revanche. Pour un autre, l’objectif est de réunir ses amis pour saisir l’occasion de pratiquer

une journée de parcours. D’autres veulent montrer ce qu’ils savent faire à l’occasion des

démonstrations qui suivront en fin de journée. Un jeune évoque son intérêt à soutenir une

association intervenant dans un pays en voie de développement.

Le membre de comité s’attache à clarifier les rôles respectifs, entre comité et professionnels,

entre professionnels et jeunes. Il trouve important que les jeunes co-organisent les activités

de la maison de quartier afin qu’ils deviennent acteurs et pas consommateurs de prestations

et de services. Il insiste pour que l’information circule entre l’ensemble des acteurs impliqués

et surtout entre le professionnel et les jeunes. Il défend l’autonomie et la marge de décision

laissée par les animateurs aux jeunes.

Cette fois, les chercheurs questionnent le moyen de garder une trace de l’activité. Les

participants décident d’utiliser la vidéo pour garder des traces et de l’événement et du

processus. A partir de ce moment, l’équipe commence, en l’absence des chercheurs, à filmer

toutes les fois où il est question de la « spring session », lors des accueils et discussions avec les

jeunes, lors des colloques d'équipe ou lors des séances de comité.

53

Les animateurs du secteur ados organisent deux rencontres de préparation de l’événement,

réunissant les jeunes, les intervenants des ateliers beat box et hip hop, l’association Bupp Junior qui

sera soutenue par la « spring session » cette année, et les chercheurs. En fin de séance, les

chercheurs invitent les participants à partager leur intérêt pour l’événement.

Pour les jeunes adultes qui vont animer les ateliers de beat box et de hip-hop, le but est de

vivre de leur art, et d'élargir leur clientèle.

Pour les membres de l’association Bupp Junior, le but est de réunir des fonds qui alimentent

leur projet solidaire.

Réflexion sur la co-construction des problèmes ou des intérêts à la base de l’activité

Plus variés sont les acteurs présents, plus nombreux sont les problèmes ou les intérêts pour lesquels

les acteurs s’intéressent à l’action. Les problèmes ou les intérêts sont différents pour chaque acteur,

mais complémentaires dans une volonté commune de mener l’activité à bien.

La plus-value qualitative apportée par la présence d’acteurs différents (professionnels, membres du

comité, jeunes, intervenants des ateliers, association partenaire) tient à la diversité des points de vue

et à la manière dont cette diversité relativise le point de vue de chacun tout en augmentant ses

dispositions à porter mutuellement attention aux intérêts et aspirations exprimées par d’autres.

En voici quelques exemples à Carouge…

Les jeunes découvrant la pratique artistique des uns et des autres proposent de se

programmer mutuellement et de se produire ensemble.

Un intervenant écoutant la présentation des jeunes militants de l’association Bupp Junior

raconte son propre engagement dans une association solidaire, partage quelques ficelles et

propose de relayer la promotion de leur action.

Tous les jeunes qui ont participé à la réunion de préparation où les membres de l’association

Bupp Junior ont partagé leur motivation sont restés présents le jour de la spring session

durant leur exposé, alors que les autres ont rangé leur matériel et quitté les lieux.

Un autre constat intéressant est de voir que des acteurs, professionnels et militants associatifs, sont

prêts à dégager du temps pour l'intérêt qu'ils découvrent dans les séances interactives qui réunissent

des acteurs différents.

Une membre de comité à Meyrin partage une réflexion allant dans le même sens concernant les

décideurs institutionnels, politiques et même associatifs. Elle évoque que ces acteurs ne s’informent

vraiment que lorsqu’ils sont sollicités pour apporter leur réflexion à un problème posé.

Ces considérations confortent l'hypothèse que l'évaluation gagne à être participative pour au moins

trois raisons. Premièrement, l'implication active des usagers, des militants associatifs, des décideurs

politiques comme des professionnels rend la démarche pour chacun intéressante. Il en découle que

ces différents acteurs se révèlent prêts à dégager du temps pour ces échanges. Deuxièmement, ces

échanges de points de vue différents sont féconds d'intelligence collective, d'entraide mutuelle et

54

d'implication. Troisièmement, il apparait que les acteurs sont plus enclins à mobiliser du temps pour

investir un processus participatif d'évaluation fait de questions posées et d'échanges que pour

investir la lecture solitaire de rapports qui auront mobilisé un temps conséquent de la part des

professionnels de terrain.

55

3.4. Quatrième étape : l’action, l’expérimentation et la mise en œuvre de

l’outil d’évaluation participative (avril-mai13)

Cette étape a initialement pour objectif :

expérimenter, mettre en œuvre les outils participatifs

Calendrier :

Meyrin :

21.3.13 : atelier DJ

22.3.13 : disco

10.5.13 : bilan des ateliers DJ et de la disco entre jeunes et animateurs ados.

Carouge :

27.4.13 : journée Spring Session

Ecart entre le déroulement projeté et constaté :

La recherche va conduire à préciser ce que sont les « outils », en distinguant les outils de récolte de

données pour constituer une trace de l’activité ; et les outils d’analyse de ces données.

Alors que 40 heures étaient comptées pour que les professionnels mettent en œuvre des outils

participatifs de récolte de données, aucune heure n’a été spécifiquement requise des

professionnels pour les besoins de la recherche, sinon le temps qu’a pu prendre, à Carouge, de

filmer la préparation de la « Spring Session », et la coordination des agendas pour permettre aux

chercheurs d’assister à l’action.

Déroulement du processus :

A Carouge, les chercheurs filment le déroulement de la journée : mise en place, ateliers, buvette,

démonstrations publiques, exposé sur l’action de Bupp Junior en Afrique, concert et rangement.

A Meyrin, les chercheurs participent à un atelier DJ, puis à la soirée disco. Ni l’atelier DJ, ni la disco

font l'objet d'un enregistrement, ni en vidéo, ni en son. Les chercheurs participent et consignent

souvenirs et impressions dans le journal de bord de la recherche.

Durant l’atelier DJ et durant l’installation de la disco, les chercheurs questionnent les jeunes

sur ce que leur apporte l’activité. A chaque fois, un jeune prend la parole pour exprimer sa

reconnaissance et son admiration envers le jeune adulte qui les forme. Des jeunes expriment

aussi de la reconnaissance pour la maison de quartier, le matériel de qualité qui est mis à

leur disposition et la confiance qui leur est faite de pouvoir l’utiliser et d’en avoir la

responsabilité.

Un tel échange, durant l'activité, constitue un exemple d'évaluation partagée avec les usagers.

L'échange y étant consigné, le journal de bord en restitue la trace. On peut se demander comment

outiller davantage cette forme d'évaluation participative directe de l'activité.

56

Les chercheurs sont invités à participer à un bilan de l’activité « atelier DJ et disco » qui réunit les

jeunes et les animateurs du secteur ados. Cette fois, ils font un enregistrement sonore de la réunion.

Six jeunes (5 garçons une fille), l’intervenant de l’atelier DJ, les deux animateurs du secteur

ados participent à une séance de bilan de l’atelier DJ. L’animateur du secteur ados,

commence la réunion par rappeler aux jeunes l’importance de la ponctualité. Puis, il leur

annonce que les responsables du secteur ados ont pris la décision de reconduire les cours de

DJ l’année à venir. Par ailleurs, les animateurs du secteur ados ont retravaillé le règlement en

vigueur concernant l’équipe DJ, renforçant les directives. Le nouveau règlement est lu par le

professionnel. Les jeunes et l’intervenant écoutent. Ensuite, l’animatrice présente les

nouveaux tarifs horaires pour l’équipe DJ, tarifs qui, à partir de l’année suivante, sont basés

sur les compétences et les connaissances des techniciens. Pour terminer, les jeunes sont

invités à signer le règlement de l’équipe technique. L’ensemble des jeunes s’engage et signe.

Il est 19 h. La première partie de la réunion est levée.

Tout le monde se donne rendez-vous au rez-de-chaussée pour le bilan des « discos ». Neuf

jeunes (dont une fille), deux moniteurs, les deux animateurs du secteur et le jeune « videur »

participent à cette partie de bilan. L’animateur mène le débat. Il veut savoir ce que les

jeunes pensent des discos et les invite à faire des propositions pour les améliorer. Il sollicite

la parole des jeunes. Ces derniers font plusieurs propositions que l’animateur note. Il spécifie

qu’aucune décision ne sera prise ce même soir.

L'enregistrement de ce bilan constitue une récolte de données qui seront analysées dans la

prochaine étape entre les différents acteurs.

57

3.5. Cinquième étape : l’analyse des données empiriques (mai-sept 13)

Cette étape comporte deux temps distincts.

Etape 3.5.1.

Réaliser un bilan à mi-parcours du processus, avec les deux GTerrain réunis, d’une part, et le

GRéférence, d’autre part

Calendrier :

22.5.13 : réunion des GTerrain de Carouge et Meyrin

29.5.13 : bilan à mi-parcours et apports d’outils d’analyse par le GRéférence

Réunion commune des GTerrain le 22 mai

Déroulement du processus :

Les deux GTerrain ont partagé un bilan du processus à mi-parcours de la recherche. C’est la première

fois que les deux GTerrain se rencontraient avec l’équipe de recherche.

Les acteurs font état de retombées positives de ce processus participatif : un DJ ayant fait défaut à la

dernière minute à Carouge, les professionnels de Carouge ont engagé un jeune formé à l’atelier DJ de

Vaudagne.

Les chercheurs, ensuite, pour illustrer des moments clés de la recherche, présentent un extrait

d’enregistrement où l’on entend le membre du comité de Carouge témoigner de la richesse de

l’échange vécu avec les jeunes, ce qui représentait pour lui une première expérience de ce type

depuis qu’il est membre du comité, soit plus d'une dizaine d'années.

Un échange s'ouvre alors sur la présence de membres de comité dans les activités. A nouveau, les

visions sont diverses, voire contradictoires.

Un membre de comité évoque le manque de temps pour des militants bénévoles, et voit leur rôle

dans la définition d'axes stratégiques que les professionnels mettent en oeuvre sur le terrain et dans

la vérification que les activités concrétisent bien ces axes.

Une autre membre de comité relève au contraire le paradoxe entre un grand investissement

demandé des comités sur le plan administratif et leur éloignement du terrain et des usagers. Elle

trouverait intéressant de pouvoir rencontrer les jeunes quand les professionnels les réunissent

autour d’une table pour co-réfléchir à une activité. L'expérience de cette co-réflexion démystifierait

le comité et serait formatrice pour les jeunes.

Une professionnelle évoque en écho les contradictions des professionnels envers le comité : « s’ils ne

sont pas là, ce n’est pas bien, et s’ils sont trop présents, ce n’est pas bien non plus. »

Un professionnel constate que le processus de l’action se construit le plus souvent entre les

professionnels sans les usagers, avec une tendance à penser à l’action terminée, et pas au chemin à

parcourir, au processus de co-construction.

58

Tous s'accordent à penser que tous les habitants n'ont pas les mêmes envies, ni le même niveau

d’implication. Certains aiment venir aux fêtes, tenir le bar, d’autres s'engager dans un processus tel

que l'évaluation participative des activités.

Réflexions sur la dimension participative de l’évaluation :

Membres de comité et professionnels constatent à la fois la richesse et la rareté de l’expérience de

co-construction participative et co-évaluation de l’activité.

Comme le relèvent les chercheurs, être présent dès le départ de l’action, permet de donner un sens

collectif ; se poser des questions ensemble rend le processus intéressant. Etre un bon professionnel

serait être attentif à ce que l’autre trouve sa place et soit porteur de projets.

L’activité « Spring session » à Carouge a permis d’expérimenter une variété plus grande encore

d’acteurs, puisqu’aux professionnels et au membre de comité se sont ajoutés différents jeunes :

jeunes impliqués dans la préparation de l’événement, jeunes adultes engagés pour animer les

ateliers, jeunes volontaires impliqués dans le projet Bupp Junior. Le questionnement par les

chercheurs des motivations de ces différents acteurs donne à voir qu’autant il y a d’acteurs, autant il

y a d’intérêts, de visions et d’objectifs différents pour la même activité, tout en gardant un sens

commun à l’activité.

L’échange suscite un intérêt des uns pour les autres. Comme le dit un membre du comité : « les

jeunes sont arrivés avec des objectifs personnels, ils sont partis avec des objectifs collectifs ».

La diversité de points de vue est intéressante pour les acteurs eux-mêmes. En témoigne le fait que

les deux GTerrain, soulignant la richesse de cette rencontre, décident d’organiser la dernière séance

de décembre en commun, prêts à trouver pour cette rencontre un temps en marge des séances

ordinaires de leur comité respectif. L’expérimentation d’un processus participatif ouvre une

disponibilité inattendue et même enthousiaste.

C'est un constat intéressant dans un contexte où un moindre engagement est souvent évoqué parmi

les tendances actuelles. L'expérimentation de la participation donne à constater au contraire un

regain d'implication d'acteurs qui ont pourtant fait part au départ de leurs réserves quant au temps

qu'ils pouvaient investir dans le processus.

Réunion du GRéférence le 29 mai

Déroulement du processus :

Les chercheurs rappellent les étapes depuis la première réunion du GRéférence qui avait suivi la

première rencontre des GTerrain : le recensement des pratiques existantes d’évaluation, la

vérification de la conformité des valeurs sous-jacentes aux activités avec les valeurs du métier, la co-

construction du problème.

Les chercheurs soumettent quelques questions au GRéférence :

Comment articuler un processus participatif d’évaluation et l’exigence de rendre compte de

l’usage des moyens alloués aux décideurs associatifs, institutionnels, politiques, et aux

contribuables ?

59

Un tel processus est-il possible pour toutes les activités ?

Peut-on imaginer réduire le nombre d’objectifs et de prestations attendues par les

Communes pour développer davantage la participation ?

Comment éviter d’augmenter la part déjà croissante de travail administratif ?

La parole est ensuite donnée aux experts.

Le secrétaire général de la Fondation pour l’animation genevoise confirme que les objectifs

fixés par les maisons de quartier sont trop nombreux pour investir la participation et le

travail collectif. Il précise que la FASe est en pourparlers avec les communes pour convenir

de ne fixer que 2 ou 3 meta-objectifs par quartier ou commune. Pour rendre compte dans un

devoir de redevabilité envers les politiques, il faudrait démontrer en quoi les actions de la

maison de quartier favorisent l’atteinte de l’objectif fixé collectivement.

Il pense qu’il suffirait que les animateurs réalisent des bilans et/ou évaluations de trois ou

quatre activités par année, avec des éléments qualitatifs concrets sur le quartier. Les

communes elles-mêmes, par manque de temps, ne peuvent pas absorber beaucoup

d’informations. Il ne s’agit donc pas d’être exhaustif dans ce que l’on veut montrer et

communiquer des activités.

Il précise que des outils du rendre compte existent déjà pour les maisons de quartier : la

grille GIAC, quantitative, comporte des espaces plus qualitatifs, et le rapport d’activités ouvre

un espace descriptif qui permet de valoriser les activités et les processus participatifs qui les

éalueraient.

Le professeur de la HETS met en garde face au risque de réifier le quartier et l’Habitant,

décrivant un monotype d’habitant, alors qu’il faut surtout être à l’écoute des besoins lorsque

les gens viennent, à l’occasion des prêts de salles ou des activités enfants, propices pour

entendre ce qui concerne les gens.

Réflexions sur la part de diagnostic préalable dans le processus d’évaluation:

A ce stade, les chercheurs se questionnent sur la formation à donner aux professionnels pour qu’ils

puissent élaborer un diagnostic partagé qui investigue l'environnement.

La question du diagnostic est centrale pour « préciser une situation initiale à laquelle on va comparer

une situation ultérieure » (GRéférence, du 18 février 2014) et informer en quoi l'activité a atteint les

objectifs fixés. En gardant à l'esprit que l'écart entre ce qui avait été prévu et ce qui a été produit

peut révéler un nouveau chemin emprunté en fonction de la réalité rencontrée (GRéfrence, 18

février 2014)

60

Etape 3.5.2.

L’analyse des données empiriques avec les terrains. Les objectifs initiaux sont les suivants :

Former à l’analyse et co-construire les outils d’analyse.

Analyser et interpréter les données empiriques récoltées.

Ecart entre le déroulement projeté et constaté concernant les GTerrain :

Il était initialement prévu de réunir trois fois les professionnels pour co-construire des outils

d’analyse avec lesquels ils auraient, disposant de 40 heures, analysé les données constituées dans la

précédente étape.

Ce temps s’est transformé ainsi :

Pour commencer, une séance a réuni les deux GTerrain et l’ensemble des chercheurs pour

faire le point en croisant les regards à mi-parcours de la recherche, entre récolte de données

et analyse de ces données.

Cette séance commune a été suivie d’une séance dans chaque Maison de quartier avec le

GTerrain durant laquelle les chercheurs ont expérimenté avec chaque GTerrain l’analyse

clinique de deux extraits : extraits vidéo, le 12 juin à Carouge sur la journée « spring

session », et extraits sonores le 19 septembre à Meyrin sur le bilan Atelier DJ-disco. Les

chercheurs induisent une analyse inspirée de l’analyse de l’activité, en procédant par

questionnement et invitation à prendre parole sur l’activité qui se donne à voir.

Chaque Maison de quartier était ensuite invitée à visionner ou écouter avec les jeunes l’intégralité du

matériau vidéo ou sonore, qui correspond à environ une heure de film tourné le jour de la spring

session pour Carouge, et une heure d’enregistrement du bilan de l’atelier DJ et des discos avec les

jeunes pour Meyrin. La proposition est de sélectionner des séquences significatives qui seraient

ensuite analysées en réunissant le GTerrain, les jeunes et les chercheurs.

La démarche va suivre un cours différent à Carouge et à Meyrin. Nous allons suivre l’un et l’autre.

Carouge :

12.6.13 : En présence des chercheurs : analyse de 2 séquences filmées de la journée spring session

avec le GTerrain

Sans les chercheurs : visionnement de l’intégrale du film par le GTerrain

Sans les chercheurs : visionnement de l’intégrale du film par les jeunes et interview filmé de

10 minutes par l'animateur qui recueille leurs commentaires à chaud

19.6.13 : En présence des chercheurs : co-construction d’une analyse par le GTerrain en visionnant

les commentaires des jeunes interviewés après qu’ils aient regardé l’intégrale du film.

61

A Carouge, en juin 2013 :

Déroulement du processus :

Membre du comité et professionnels ont visionné ensemble l'intégrale de la vidéo, et les jeunes l’ont

visionnée séparément, pour une raison d'agenda. L’animateur a interviewé les jeunes après leur

visionnement de la vidéo, recueillant leurs réactions à chaud et filmant, caméra sur l’épaule, cette

interview. On entend ses questions en voyant les jeunes lui répondre.

GTerrain et chercheurs se réunissent pour visionner cette interview où les jeunes réagissent au film

qu’ils ont regardé séparément.

Le propos des jeunes semble banal. Et pourtant, les professionnels vont en tirer une analyse

pénétrante. Ils comparent ce qu’ont été leurs points de vue sur la vidéo avec le point de vue

des jeunes. Ils réalisent qu’entre adultes, le film leur a donné à réfléchir sur les questions de

genre, de cultures, d’implication, alors que les jeunes attendent de se voir à l’écran dans leur

prouesse sportive, et trouvent la mise en place fastidieuse. Les commentaires des jeunes

révèlent la diversité de leur intérêt, l’un pour son image, l’autre pour les perspectives de

programmation de concerts à venir, le troisième dans le souci que la fête soit une réussite

pour chacun.

Visionner les réactions des jeunes conduit le GTerrain à peréfléchir aux bénéfices du

processus participatif. Tous s'accordent à dire que du lien s’est créé avec ces jeunes, en

particulier avec le comité, de par les séances partagées. Les jeunes connaissent aujourd’hui

l’existence du comité et son rôle. La glace est brisée. Par ailleurs, cette recherche donne à

l’équipe des professionnels l’impression d’un secteur ados plus intégré. Les animateurs

sentent les jeunes plus à l’aise en voyant qu’ils restent plus volontiers à la Maison de

quartier. Ils songent au fait que si la collaboration s’est ainsi intensifiée avec les jeunes, à

travers ce processus participatif, la même approche pourrait réussir avec d'autres usagers et

associations qui utilisent les locaux.

Le membre du comité constate que si l’on veut mieux fonctionner, il faut se rencontrer et se

rapprocher, mais il précise que ça ne peut être tout le temps, à moins d’être animateur. Il

suggère que le processus participatif soit mené pour 3 activités par année. Ce qui rejoint

l’avis du groupe d’experts.

Les chercheurs invitent alors membre du comité et animateurs à imaginer ce qu’aurait pu

être le contenu de la discussion si jeunes et adultes avaient été présents ensemble pour

visionner les traces de l’activité. Les adultes sont persuadés que les jeunes se seraient

ennuyés.

Les chercheurs leur demandent alors quelles questions ils auraient posées aux jeunes s’ils

avaient participé à la même séance. Les questions fusent. Les adultes auraient creusé le

thème de la coresponsabilité pour savoir comment les jeunes l’avaient vécue. Ils auraient

demandé aux jeunes s’ils étaient prêts à recommencer l’année suivante et ce qu’ils auraient

changé. Ils auraient invité un jeune à expliciter ce qui lui avait manqué en termes

d’information pour assurer la programmation du concert. Ils auraient demandé aux jeunes ce

qu’ils avaient appris quant au fait de mener un projet de bout à bout.

62

Les chercheurs demandent alors au GTerrain quel outil permettrait de rendre compte de

l’impact de l’activité du point de vue des différents acteurs concernés : usagers,

professionnels, comité, association de la maison de quartier, habitants, quartier, commune…

Un échange créatif s'engage alors qui va lier l'image d'un mât au diagramme de Kiviat et

produire la modélisation du processus d'évaluation participative que voici.

Au moment de co-construire le problème, dans l'étape du pré-acte, tous ne tirent pas à la même

corde, ni dans le même sens. C’est par cette diversité de points de vue et d’intérêts, chacun tirant sur

sa corde, que s’élève le premier mat sur lequel va s'appuyer l'activité. L’acte se déroule, de ce temps

de co-construction du problème, jusqu’au temps du post-acte, où les mêmes acteurs se retrouvent

pour faire le bilan de ce que l’activité leur a apporté.

C’est au membre du comité présent que nous devons la traduction de la métaphore des mâts en un

outil d’analyse, inspiré du diagramme de Kiviat. En s’élevant au-dessus du mât, comme par une vue

d’avion, on pourrait voir les différents sens donnés à l’action par les différents acteurs de cette façon

ACTE

PRE-ACTE POST-ACTE

ACTIVITE

63

En veillant à formuler précisément les attentes des uns et des autres au départ, en les assortissant

d’indicateurs, on dispose, au moment du post-acte, d’énoncés précis pour évaluer à quel point, sur

une échelle à définir, l’activité a comblé ces attentes, ou apporté des réponses aux problèmes posés.

Réflexions sur la dimension participative de l’évaluation :

Même si les adultes visionnent un film où les jeunes évaluent l'activité, l'expérience vécue à Carouge

révèle combien la rencontre (même différée) d'une diversité d'acteurs et le croisement de points de

vue différents enrichit l'évaluation de l'activité et la réflexion qui peut en découler.

Un échange direct entre adultes et jeunes, nourri par les questions qui sont venues aux adultes,

aurait pu être plus riche encore, par les réponses des jeunes à ces questions, et l'intelligence

commune qui aurait résulté de l'échange.

Ainsi que le montre la psychodynamique du travail, la confrontation des acteurs au visionnement de

l'activité filmée ouvre à penser, à partir même de cours fragments, les valeurs qui la fondent, les

compétences qu'elle requiert, le sens qu'elle prend, les effets qu'elle produit, etc.

Les outils d'analyse, tout comme les outils de récolte, peuvent se co-construire, dans une

compréhension partagée du processus et des exigences de l'évaluation, avec les acteurs, en

cohérence avec le modèle de l’évaluation participative de 4ème ou 5ème génération.

Meyrin :

10.9.13 : En présence des chercheurs : analyse de 2 extraits sonores du bilan DJ-discos avec le

GTerrain

23.9.13 : le coordinateur écrit aux chercheurs que le centre de loisirs suspend l’analyse de

l’intégralité de l’enregistrement prévue avec les jeunes

8.11.13 : En présence des chercheurs : régulation avec les professionnels

25.11.13 : En présence des chercheurs : des jeunes viennent soumettre un projet de disco pour les

18-25 ans lors d’une séance du comité de la maison de quartier.

A Meyrin, de septembre à novembre 2013.

Déroulement du processus

L’outil de récolte de données n’avait été explicitement ni discuté, ni convenu.

Les chercheurs ont participé à l’atelier DJ et à la disco avec pour seule trace le journal de terrain.

Comme chaque réunion, à Meyrin et Carouge, avait fait l’objet d’un enregistrement audio pour la

recherche, les chercheurs ont pensé qu’il serait intéressant d’utiliser comme matériau récolté sur

l’activité l’enregistrement audio de la réunion de bilan sur l’atelier DJ et les discos qui a réuni les

animateurs du secteur ados et les jeunes.

Les chercheurs ont choisi deux extraits de cet enregistrement pour initier une analyse de l’activité

avec le GTerrain. Cinq minutes d’extrait vont ouvrir à 2h10 d’échanges nourris sur une diversité de

64

thématiques : l’assiduité la persévérance et la ponctualité chez les jeunes, l’écoute, l’esprit de

groupe, la dynamique de groupe qui manque à faire cohésion, la nécessité par moments d'être plus

directifs que participatifs quand il faut recadrer une activité, et la difficulté des jeunes à prendre

parole.

Au bilan, le GTravail s’accorde sur l’intérêt de la discussion partagée entre différents acteurs, comité

et professionnels, où l’on se confronte sur les intentions et les façons de faire.

Le GTravail s’étonne de la profondeur de réflexion que l’écoute de 5 minutes d’extrait sonore d’une

réunion génère. L’animatrice partage comment, au fil de l’analyse, lui est apparue l'importance de

consulter les jeunes. Une membre de comité évoque l’utilité d’un modérateur pour un tel échange.

Cependant, cette analyse s’est déroulée en l’absence d’un animateur du secteur adolescents,

présent au bilan avec les jeunes, mais absent du GTerrain.

Alors qu’il était proposé que comité, professionnels et jeunes écoutent ensemble l’enregistrement

intégral de ce bilan pour choisir des passages significatifs, équipe et comité ont écrit aux chercheurs

pour exprimer leur malaise suite à cette analyse d'un bilan avec les jeunes en l’absence de

l'animateur du secteur ados qui l'a co-animé avec sa collègue. .

Une rencontre a lieu avec les chercheurs, ce professionnel, sa collègue et le coordinateur. Cette

rencontre va mettre en lumière l’importance de définir, avec tous les acteurs concernés, dans la

phase du pré-acte, le ou les outil(s) de récolte de données. En effet, l’enregistrement sonore du bilan

a été utilisé par les chercheurs pour servir de base à la réflexion du comité et de l’équipe sans

consultation préalable ni du GTerrain, ni des jeunes et des animateurs impliqués dans le bilan.

Craignant de ne pas motiver les jeunes à venir analyser l'enregistrement de ce bilan avec les

chercheurs et les membres du comité, les animateurs proposent d’intégrer dans la recherche une

séance de comité où des jeunes adultes viendront présenter et défendre un nouveau projet de disco

pour les 16-25 ans.

Les chercheurs acceptent de participer à ce pré-acte d'une nouvelle activité - une disco pour des plus

âgés - et sont invités pour ce point à l'ordre du jour d'une séance de comité. En voici le récit, extrait

du journal de bord des chercheurs :

Quatre jeunes se sont préparés, avec l’aide des animateurs du secteur ados, pour venir

présenter un projet de disco ouverte aux 16-25 ans. Tous ont en mémoire une disco

précédente, pour les 16-25 ans, avec débit d’alcool, qui avait été un succès du point de vue

de l’affluence, rigoureusement cadrée par un personnel de sécurité à l’entrée, mais qui

s’était terminée sur un bilan mitigé, en raison d’une vitre brisée.

D’entrée, l’animatrice propose d’entendre d’abord les jeunes sur leur vision de ce que la

soirée peut apporter avant d’aborder les détails techniques, tels qu’horaire, sécurité, débit

ou non d’alcool. La présidente accepte.

Les jeunes ont le projet de relancer les soirées discos en mobilisant les anciens pour

transmettre aux plus jeunes l'esprit des discos légendaires qui ont fait les heures de gloire de

la Maison Vaudagne. Ils veulent redonner un souffle à ce lieu où ils ont « tout appris de la

vie : le respect avec les autres, mixer, la maturité, savoir que la vie c’est pas comme tu veux,

qu’il faut avoir un bon niveau scolaire à l’école ».

65

Les membres du comité aident par leurs questions et leurs reformulations les jeunes à

expliciter leur motivation, les besoins qu’ils identifient auprès des plus jeunes, les attentes

des plus anciens.

Ils les aident ensuite à préciser l’organisation, l’ouverture ou non aux personnes en situation

de handicap, le prix d’entrée, le staff de sécurité, une communication préventive au

voisinage pour annoncer le bruit, …

La présidente conclut sur le projet de faire un bilan de l’activité en réunissant comité et

jeunes.

Réflexions sur la dimension participative de l’évaluation :

Ce moment donne à voir une boucle de qualité, où l’expérience intègre l’apprentissage du premier

processus qui l’améliore. Ainsi, on voit les différents acteurs convenir de commencer plutôt à co-

construire le problème, en abordant les lignes de sens, les intentions de l’activité, et de poursuivre

par les questions de mise en œuvre pratique.

On voit les professionnels et membres du comité déployer du soutien aux jeunes pour faciliter

l’énoncé des intentions et l’explicitation de ce qui motive le projet à l’origine.

On voit enfin se projeter, au moment du pré-acte, un temps de post-acte qui réunira les mêmes

acteurs pour effectuer un bilan de l’activité.

66

3.6. Sixième étape : l’évaluation du processus de recherche

La sixième et dernière étape a pour objectif initial de :

évaluer le processus d’évaluation participative et ses résultats avec le GTerrain

procéder à une modélisation de la démarche et de ses outils.

valider la démarche et mettre en perspective la suite de la recherche avec le GRéférence

Calendrier :

3.12.13 : bilan du processus avec les GTerrain de Carouge et Meyrin

17.12.13 : bilan du processus avec le GRéférence

Ecart entre le déroulement projeté et constaté :

Alors que deux réunions de chaque GTerrain étaient prévues pour évaluer le processus d’évaluation

et les résultats, une seule a suffi, qui a réuni, selon leur demande, les deux GTerrain.

Bilan avec les GTerrain

Déroulement du processus

Les membres des deux GTerrain réunis avec l’équipe de recherche font d’abord un retour sur

l’expérience de co-construction participative du problème. Ils valorisent l’expérience d’une vision

plurielle où «on ne cherche pas à avoir le même avis, mais où la diversité des intérêts peut faire

évoluer la vision de chacun ». Découvrir les raisons de l’autre peut relativiser l’ordre des priorités. Co-

construire est formateur. C’est à la fois une école de l’écoute et de la prise de parole, car pour que

chacun se retrouve dans l’orientation donnée au projet, il faut questionner les raisons de l’autre pour

les comprendre, et au besoin oser les confronter, avec bienveillance, sans complaisance.

La question se pose de savoir qui peut garantir ce processus de co-construction.

Les chercheurs avancent que les professionnels ont cette compétence dans leur bagage.

La réflexion des GTerrain se porte alors vers le rendre compte.

L’activité, dans les pratiques de l’animation, évolue par nature, parce qu’elle est réalisée par des

personnes humaines, créatives et ingénieuses, parce qu’elle est ouverte à l’apport des uns et des

autres qui vont l’enrichir et l’ajuster.

Comment, au moment de co-construire le problème, énoncer des objectifs tout en permettant à

l’activité d’évoluer, sans que cette évolution porte à conclure au moment de l’évaluation que

l’activité n’a pas atteint les objectifs de départ, ou que ces objectifs ont été mal planifiés ?

On pourrait imaginer, dans la modélisation de la démarche, des questions simples à poser lors de la

co-construction du problème. Par exemple :

Pourquoi et pour quoi veut-on réaliser l’activité ?

Qu’est-ce qui fait que l’activité serait réussie pour chacun des acteurs présents ?

Le GTerrain se demande comment documenter le retour sur l’expérience, qui réunit les mêmes

acteurs lors du post-acte, de sorte à rencontrer les exigences de l’évaluation et de la qualité.

67

L’évaluation, pour être rigoureuse, doit comparer deux points de situation, afin de mesurer l’impact

de l’activité. La qualité, pour être reconnue, doit pouvoir documenter les améliorations apportées.

Les GTerrain conviennent du fait que réunir des gens après une activité pour qu’ils se prononcent sur

l’activité n’est pas une pratique courante. Rendre les gens parties prenantes pourrait être un résultat

en soi, valorisé dans les rapports d’activité. Certes, ce ne serait pas possible de le réaliser pour toutes

les activités, mais un focus pourrait être donné sur quelques activités chaque année.

L’expérience de Meyrin, où des jeunes ont présenté un projet de disco pour les 18-25 ans au comité,

permet de développer l’idée de profondeur dans la démarche, qui précise le niveau auquel chacun

peut déterminer le contenu de l’analyse de ce qui a été produit et prendre part aux décisions qui

vont orienter l'activité à venir. Une membre de comité revient sur cette expérience en partageant un

certain malaise avec l’asymétrie de la situation. S’il y a eu co-construction dans l’échange de points

de vue, il n’y a pas eu co-décision. Les adultes demandaient aux jeunes des informations pour donner

par après leur accord ou pas. Dans l’asymétrie, les questions posées peuvent être vécues comme un

interrogatoire.

Le retour sur cette expérience permet d’éclairer l’importance de clarifier les rôles et de préciser qui

décide de quoi.

Il apparaît ainsi que la dimension participative du processus renforce la citoyenneté au moins de

deux manières.

En visant la codécision de l’activité, ou, à défaut, la co-construction du problème et des

intentions.

En clarifiant les rôles respectifs, le degré de participation, tout en exposant le cadre et les

contraintes inhérentes aux fonctions assumées par les uns et les autres.

En l’occurrence à Meyrin, comité et Centre de loisirs ont à charge le respect des lois concernant la

vente d’alcool, les nuisances nocturnes, etc. Le rôle du comité prend tout son sens dans la

transmission aux jeunes du projet institutionnel, du cadre, des règles, à l’occasion d’un projet auquel

les adolescents sont intéressés, et pour lequel ils sont sans doute prêts à apprendre et intégrer les

règles du jeu social. Le rôle des animateurs est de préparer les jeunes à présenter leur projet, en

intégrant la compréhension plus large des contraintes de l’institution à laquelle ils l’adressent.

Pouvoir montrer qu’un adolescent a évolué dans sa vision et sa compréhension du vivre ensemble

peut constituer une part essentielle de l’évaluation dont les maisons de quartier rendent compte aux

décideurs politiques.

Les GTerrain songent encore aux espaces à créer ou aménager pour co-construire certaines activités.

Un membre de comité envisage d’aller, par exemple, vers les jeunes, dans leurs temps et lieux

d’accueil, pour être en position basse dans l’échange, afin d’équilibrer la position haute qui lui

confère sa fonction au sein du comité. Si co-construire implique du temps à investir, il est clair pour

tous que c’est ainsi que se crée du lien.

A la question posée par les chercheurs de savoir ce que leur participation à la recherche leur a

apporté, les membres des GTerrain ont des réponses diverses. Le processus a été l’occasion de se

réapproprier des fondamentaux de l'animation, tels que la participation. La recherche a permis de

68

s’arrêter pour réfléchir, et dépasser des non-dits où l’on reste par habitude, ou par manque de temps

pour les aborder de manière constructive. La recherche a été aussi une occasion d’apprentissage,

avec la fière satisfaction d’avoir co-construit ses résultats. Ce fut aussi « une très belle rencontre ».

Avec cette dernière séance réunissant les deux GTerrain, le processus de la recherche touche à sa fin.

GTerrain et chercheurs saluent leur collaboration qui a permis de co-construire et progressivement

modéliser un processus d'évaluation qui parait à la fois novateur, simple d'application, à contre-

courant des tendances existantes en matière de définition d'objectifs et d'évaluation, et propre à

ramener au coeur de la pratique les fondements de l'animation que sont la participation, la prise en

compte des minorités et des diversités, le débat citoyen, la rencontre, le vivre ensemble et le lien

social.

Les GTerrain suggèrent aux chercheurs la création d’outils pratiques, assortis d'un mode d'emploi,

pour accompagner la conduite de ce processus d'évaluation pour qu'il soit rigoureusement

participatif, dès l'amont de l'activité.

L’envie survient de partager les découvertes de la recherche et les ressources qui en résulteront

avec d’autres Maisons de quartier au sein de la FASe, par une co-présentation entre GTerrain et

chercheurs !

Réflexion sur le bilan

Comme dans le processus d'évaluation participative d'une activité, le temps du post-acte devient

pré-acte. Les acteurs sont prêts à se lancer dans une nouvelle aventure, un nouvel acte, de co-

transmission, cette fois.

La rigueur voudrait que l’on co-construise ce que chaque acteur en attend. Cela prendrait une

séance, certes, mais la question du temps se pose bien différemment pour les acteurs quand le

processus, lorsqu’il est participatif, rejoint l’intérêt que chacun peut y trouver, et crée du lien social.

Bilan avec le GRéférence

Déroulement du processus

Les chercheurs présentent les résultats dégagés par la recherche et l' essai de modélisation de la

démarche qui prend forme.

1 2

69

1. Dans la phase de pré-acte et de co-construction du problème, on réunit des acteurs différents,

partenaires de l’activité, et on liste pour chaque acteur le problème ou l’aspiration qui le motive pour

l’activité. En s’aidant mutuellement, problème ou aspiration sont traduits en objectifs simples et

précis.

2. Collectivement ou séparément, les acteurs ou groupes d’acteurs priorisent les objectifs qui vont

orienter l’activité. On peut leur attribuer des indicateurs. Peuvent apparaître des objectifs communs

sur lesquels tous les acteurs se mettent d’accord, ou une diversité d’objectifs pour l’atteinte desquels

les acteurs se lancent solidairement dans l'action.

3. Dans la phase de post-acte et de bilan de l’activité, on réunit les mêmes acteurs, pour reprendre

les objectifs co-construits à l'étape du pré-acte, afin d’évaluer le degré auquel ils ont été atteints.

4. Sur un diagramme de Kiviat, les acteurs peuvent jauger à quel degré leurs objectifs leur paraissent

atteints.

Dans cette démarche participative, la diversité est stimulante. Le professionnel n’est pas celui qui sait

pour tout le monde. Il expose comme les autres sa vision des problèmes, ses contraintes, qu’il traduit

en objectifs.

Les chercheurs soumettent aux experts du GRéférence ces différentes questions :

1. Quelle place veulent prendre les acteurs politiques ? Au niveau de l’énoncé des valeurs, du

sens de l’action, d’une convention ? Au niveau de la co-construction du problème ? Aux deux

niveaux ?

2. Comment analyser les données pour rendre compte de l’activité ?

3. Comment peuvent se mélanger ou se teinter les projets des uns et des autres ? Comment

ouvrir la possibilité que puissent évoluer les objectifs des acteurs en cours de projet ?

3

4

70

4. Quels sont leurs retours par rapport à la recherche? Leur évaluation du processus

d’évaluation et des résultats ?

Les experts apportent des réponses à ces questions.

Les élus politiques investiront le niveau de la co-construction du problème si l’activité comporte un

enjeu politique, s’ils sont disponibles pour un processus qui prend du temps.

L’outil présente l’intérêt d’inviter à entrer dans la dimension participative, il en accompagne et en

garantit les conditions-cadre.

Cependant, quelle est la définition d’une activité participative ? Et d’une évaluation participative ?

Est-ce de la participation que d’être dans un collectif d’acteurs ayant des intérêts différents pour co-

construire un ensemble d’objectifs ?

Dans la phase de co-construction du projet, de l’évaluation et des objectifs, il est intéressant

de mettre en évidence, voire de dévoiler, les intentionnalités au plus près de l’exhaustivité,

d’expliciter sa théorie d’action et ses hypothèses causales sur le changement social

de traduire ses objectifs en mots clés

de les décliner en indicateurs précisant ce qui est attendu de l’activité

de vérifier ce qui unit ou sépare les acteurs

de tirer des lignes consensuelles, des axes co-construits et partagés, et de vérifier

l’acceptation du projet commun d’activité par les différents acteurs

de préciser ce qui est mis en œuvre pour atteindre les objectifs définis

Parmi les critères d’évaluation, en plus de présenter les produits et les effets de l’action et du

processus d’évaluation, il serait particulièrement intéressant de montrer si et comment les acteurs se

déplacent dans leur conception des choses, si et comment le dialogue avec d’autres acteurs produit

un déplacement de leurs représentations. L’hypothèse est que plus le collectif avance, plus les

déplacements s’opèrent. Alors l’évaluation participative serait aussi un moyen d’éducation populaire,

de formation permanente et d’accès à une certaine forme de citoyenneté.

71

Chapitre 4 : Synthèse

4.1 Présupposés de départs

Nous sommes partis d’un préconçu qui plaçait la Nouvelle gestion publique (NPG) comme source

des difficultés des professionnels, principalement sur la question de l’obligation de rendre des

comptes sur leur activité. Ce n’est pas réellement le rendre des comptes qui pose un problème de

fond, mais bien les outils ou modalités qui privilégient les indicateurs quantitatifs alors que

l’animation socioculturelle, comme les autres métiers du travail social, relève de dimensions

qualitatives inhérentes aux valeurs de la profession. Toutefois, après une exploration théorique et

empirique, notre positionnement se veut beaucoup plus nuancé. Les valeurs de l’administration

publique relèvent d’un souci d’efficacité et de qualité des prestations fournies aux bénéficiaires tout

en assurant le respect des personnes, l’égalité de traitement, la légalité de l’action publique qui

donne sens à la spécificité des services publics. Après exploration de la littérature, nous sommes

partis du principe que « la nouvelle gestion publique, comme concept uniformément reconnu,

n’existe pas. Il s’agit plutôt d’un catalogue d’éléments plus ou moins admis, approches et méthodes

utilisées pour réformer l’administration ». Sous une forme moins ambitieuse, on emploie

actuellement plus couramment les termes de « gestion par objectifs » et de « pilotage stratégique »

Giauque et Emery (op. cit., p.82).

Nous parlerons plus volontiers de nouvelle gouvernance publique, là où les adaptations du système

s’organisent à partir de l’expérientiel. Pour exemple, le concept de gouvernance participative

cherche à s’établir dans de nombreuses collectivités publiques, partant du principe que les

connaissances métiers sont issues des professionnels au front de l’activité. Ainsi le souci du bottom –

up est devenu légion. Aujourd’hui, nous pouvons relever une certaine tendance au sein de la gestion

publique à remettre le citoyen au centre en lieu et place du client ; les notions de créativité et

d’innovation tout comme l’éthos du service public reviennent au centre des préoccupations. Certains

parlent aujourd’hui du New Public Service, modèle de pensée post NGP, qui place le citoyen et

l’intérêt général au cœur de la mission en lieu et place du client consommateur et de l’esprit

d’entreprise. Le slogan Penser stratégiquement, agir démocratiquement devient le fer de lance de

cette nouvelle approche. La nouvelle gouvernance publique se rapproche du monde des connexions

et des réseaux » (op. cit., p.114). Le modèle du marché est apparenté à la logique des contrats alors

que le modèle des réseaux se construit sur le partenariat. La nouvelle gouvernance publique doit et

peut s’appuyer sur une volonté politique et citoyenne afin de réaliser des prestations efficientes pour

parer au défi du tout sécuritaire, tout en relevant celui du bien vivre ensemble, ceci par une gestion

participative et solidaire du bien commun, de ce qui « fait société ». C’est à partir de ce

positionnement politique que nous avons cherché à construire le problème spécifique de l’évaluation

dans les pratiques participatives en animation socioculturelle, secteur d’activité du parapublic.

Il est important de noter que le modèle gouvernemental suisse est fortement tourné vers une

démocratie participative, offrant aux citoyens plusieurs voies de participation politique, que ce soit à

travers les référendums ou pétitions. Une autre forme de participation passe par le mouvement

associatif, largement répandu et encore très actif, qui permet une externalisation ou une délégation

72

à des tiers constitués des réponses à donner aux problématiques sociales. C’est également une façon

de reconnaître et de bénéficier d’un savoir-faire construit à partir de connaissances internes et

spécifiques directement liées aux prestations à fournir.

Dans ce sens, travailler l’évaluation de manière qualitative demande à prendre en compte la

subjectivité des bénéficiaires. Dans ce sens, l’action menée en partenariat implique une

codétermination des objectifs et une responsabilisation partagée dans l’obtention des résultats; mais

surtout de tenir compte des effets portés par le processus, ceci afin que les objectifs et les modes

d’application et d’évaluation soient au cœur de l’attention plus que la conformité des rendus aux

modèles gestionnaires appliqués stricto sensu. Ce sont les notions de réseau, intra- ou

interinstitutionnels, interprofessionnels et intersectoriels qui se révèlent comme clés essentielles à

l’instauration et au maintien d’espaces situés entre les structures étatiques et la société civile.

C’est à partir de ces présupposés que nous avons construit notre modèle d’évaluation participative

ou d’ « évaluation en partenariat ». Pour Delesalle (2001), une démarche d’évaluation doit être aussi

bien participative (c’est-à-dire faisant participer les « usagers ») que pluraliste (c’est-à-dire portée

par une pluralité d’acteurs). Mais encore faut-il poser les bases de ce que nous avons retenu comme

dimension participative, dimension chère au métier d’animateur socioculturel.

Tout projet participatif implique « de partir de la situation concrète des gens. Ce n’est que lorsque

les gens perçoivent l’intérêt que peut avoir le projet pour l’amélioration de leur situation et

l’accroissement de leurs ressources qu’ils se mettent en route et que la participation peut être

suscitée. Il s’agit ici d’initier une démarche partant des usagers et de les associer véritablement au

projet » (Della Croce, Libois &Mawad, 2011,p.170).

La dimension participative demande une méthodologie d’intervention avec les populations telle que

le développement communautaire l’a produite. Ce domaine est avant tout défini par des

programmes d’action ou des projets élaborés avec les groupes concernés, en lien avec les

problématiques auxquelles ils doivent faire face. Le professionnel a donc pour visée fondamentale la

participation citoyenne des individus et des collectivités en vue de favoriser une prise en charge

solidaire et collective de leurs conditions de vie.

En réalité, au-delà des déclarations d’intention, les dispositifs prévus à cet effet sont parfois réduits à

leur plus simple expression, sans réelle délibération collective, sans action pédagogique adaptée,

sans concertation probante, parfois réduite à de simples effets d’annonce. Ici, on pourrait discuter la

difficulté pour les professionnels à vraiment laisser place aux personnes impliquées et aux collectifs

engagés dans les projets. La participation demande du temps, des allers-retours, des temps morts,

des incompréhensions qui nécessitent à revenir sur les bases du projet, sur ce qui avait été pensé par

les professionnels comme acquis. En termes d’efficacité et même d’efficience, si on regarde l’activité

uniquement du côté des résultats du projet, alors la dimension participative peut ne pas être

regardée comme un outil efficient. Si le focus est porté non pas sur l’objectif initial du projet, mais

bien sur la capacité des acteurs à aboutir à un projet commun, sur la capacité à prendre en compte

plusieurs points de vue et de travailler avec, de regarder le potentiel citoyen qui émerge du

processus, alors la pédagogie participative est largement efficiente. Il faut donc être au clair sur ce

73

qui est évalué, et c’est même aux collectifs d’intégrer la dimension évaluative dans tout projet

participatif.

Ce qui est à retenir derrière n’importe quel projet, ce sont les valeurs de bases de l’animation

socioculturelle qui touchent l’accès au savoir, l’émancipation et la possibilité d’agir sur son

environnement faisant preuve de citoyenneté au sens le plus large d’accès aux conditions du vivre

ensemble. L’objectif est de former des citoyens actifs et responsables par une pédagogie adaptée

favorisant la créativité participative. Associer une dimension humaniste du développement de

l'humain, selon les parcours de vie et l’environnement, dans une visée politique d'émancipation

désireuse d’instaurer une place et un espace de décision à chacun dans la société, c’est cela que

recouvre le concept de participation citoyenne.

Dans la cadre de l’animation socioculturelle, ce mouvement citoyen se construit principalement au

travers de l’associatif. L’association intervient souvent là où l’intégration sociale de la personne est

la plus compromise au vu de l’éclatement des relations sociales et de la montée de l’individualisme.

L’association est souvent un relais entre les personnes et les institutions, un pont entre les citoyens

et l’Etat. Elle permet à la population de formuler des besoins et des demandes qui pourront

contribuer au renforcement de l’identité sociale des personnes et a souvent le rôle de négociatrice

entre les différents acteurs concernés. Les intérêts individuels ont alors l’occasion de se transformer

en intérêts collectifs. L’animateur a pour fonction de rendre les groupes sociaux plus aptes à

communiquer, à décider et à agir en évaluant les besoins, les attentes et les aspirations des

personnes concernées, mais, en premier lieu, en leur donnant la parole sur les questions qui les

concernent.

Si l’éthique normative pose des lignes d’action préétablies, sur lesquelles les définitions du juste et

du faux sont organisées, l’éthique immanente part de la réalité pour la questionner et travailler sur

ce qui pose problème. Cette conception de l’agir permet de travailler avec une pluralité de points de

vue qui demandent à être explicités ou compris selon les problèmes que cela pose à chaque acteur.

Pour l’animation socioculturelle, cette manière d’envisager la réalité permet de penser la diversité

entre pairs, mais aussi entre représentants du monde pluriel comme l’associatif, les élus locaux et

surtout les publics auxquels les animateurs s’adressent. La pluralité d’acteurs qui émanent des

actions collectives et participatives demande aux professionnels de travailler avec un modèle de

pensée ouvert à la pluralité des opinions, problèmes et attentes de chacun. C’est ainsi comprendre

que les contextes sociopolitiques, économiques et culturels agissent fortement sur les conceptions

des uns et des autres et que les situations rencontrées sont fortement agissantes, et forment des

manières de concevoir le monde diverses, voire divergentes, sur un même objet. L’objectif n’est pas

de mettre les différents protagonistes d’accord, mais bien d’accorder une même reconnaissance aux

avis pluriels. C’est certainement là la clé de la participation, mais aussi la difficulté majeure du

positionnement professionnel. Le professionnel est à la fois expert de ces questions, mais se doit de

se tenir au positionnement de garant des processus participatifs tout en laissant aux protagonistes

l’espace libre au cheminement expérientiel d’agir à partir d’une pluralité de points de vue. Eric

Monnier voit le professionnel comme « maïeuticien, médiateur et méthodologue ». Il précise que

« le chargé d’évaluation tente en quelque sorte d’engager les protagonistes dans une démarche

collective pour comprendre les événements sociaux : le point de vue de l’évaluateur doit refléter

74

celui de la collectivité si l’on souhaite que ce point de vue transforme la représentation que les

acteurs sociaux ont de leur propre pratique » (Monnier, 1992, p.132).

Une manière de poser un cadre suffisamment porteur pour que les personnes puissent se sentir

reconnues dans leurs différences et suffisamment proches pour penser un projet commun se

détermine à partir de l’élucidation de valeurs communes à partager. Les valeurs permettent de

construire de la cohésion dans les modes d’agir et de sentir la réalité. Elles construisent de

l’expérience commune qui permet une ligne d’action. Les valeurs peuvent être comprises comme des

forces agissantes sur le cours de l’agir, non pas à comprendre comme justes ou fausses, mais pour

tenir un cadre suffisamment normé pour avancer ensemble. Etre professionnel de l’action collective

demande à construire une hiérarchie des valeurs, qui permettent dans des dilemmes éthiques de

travailler sur les conflits de valeurs. L’animateur socioculturel s’appuie sur des valeurs humanistes,

des valeurs démocratiques, des valeurs de droits humains et des valeurs professionnelles.

Certaines de ces valeurs apparaissent plus souvent que d’autres telles que les valeurs démocratiques

et tout particulièrement la notion de participation et de citoyenneté active. La valeur participative

comprend la facilitation « d’une place et des espaces de décision participatifs au sein de la société

civile, spécifiquement pour les personnes ou les collectifs minorisés ou en situation de vulnérabilité »

par l’animateur socioculturel. Tandis qu’il faut entendre sous la terminologie de citoyenneté la

démocratisation de l’accès aux savoirs, la diffusion de la connaissance au plus grand nombre et la

capacité à exprimer et faire valoir son avis sur des questions qui les concernent. Les valeurs

politiques et critiques sont à travailler « en direction d'un changement des attitudes et des politiques

maintenant les désavantages et les inégalités ». Si nous adhérons parfaitement à la définition de

Bouquet, dans l’animation socioculturelle, cette dimension sociopolitique occupe une place

prépondérante. La dimension politique exige du professionnel de l’animation une posture

particulière, celle « d’intermédiation entre les différents acteurs : les acteurs politiques et

l’administration, les institutions d’action sociale et de formation, la société civile et la vie associative,

les habitants. » Les valeurs culturelles et sociales tentent d’encourager « l’expression des

populations et l’émergence de projets participatifs, en partant de leur actualité, de leurs identités

culturelles, de leur quotidien, de leurs conditions de vie et de leurs aspirations » et le renforcement

du « capital culturel des milieux populaires qui forment la majorité de la population à travers des

activités formatives, une condition incontournable de leur participation citoyenne ». Les valeurs liées

à la dimension locale développent prioritairement des actions caractérisées par un ancrage local, et

sont souvent informelles ou expérimentales.

Dans le cadre de la dimension participative de l’activité, la part et le rôle que joue le professionnel

demandent à être pensés et éclaircis afin de mieux saisir jusqu’où peut intervenir l’animateur

socioculturel. C’est aussi une vraie question épistémologique qui se pose à nous lorsqu’on s’intéresse

à l’évaluation de l’activité. Pour avancer dans la compréhension de cette problématique qui relève de

la posture professionnelle, nous nous étions basés sur les écrits de Mendel. Celui-ci découpe

l’activité en trois temps, soit le pré-acte, l’acte et le post-acte. Du côté du pré-acte, c’est toute la

part d’intentionnalité qui est mise en exergue, permettant de définir un projet commun. C’est ici que

se travaillent les valeurs sous-jacentes à l’activité, et la conformité du projet aux textes prescrits, tels

le projet pédagogique, les objectifs annuels, ou encore les textes relevant des attentes des autorités

75

politiques. L’animateur tente d’asseoir son activité sur des valeurs qu’il s’agira de prioriser en

fonctions des horizons d’attente des différents protagonistes, mais de façon inhérenteà cela, il se

confrontera à la réalité des situations. C’est ici qu’il rencontrera la part inattendue de l’acte.

Rappelons que les métiers de l’humain imposent une double exposition à l’inattendu : le risque

inhérent à tout acte doublé de l’inattendu dû à la confrontation à autrui et à la pensée plurielle des

collectifs.

L’intérêt et la difficulté du métier résident principalement dans cette capacité à penser un projet en

fonction d’un diagnostic posé collectivement, à l’initier tout en restant attentif au processus de la

co-construction. C’est le rapport entre pré-acte et acte qui se joue, qui demande à être engagé et à

la fois à laisser advenir. A l’intérieur d’une chaîne de causalité, des bifurcations surgissent, des

créneaux s’entrouvrent, d’autres possibles se développent. Savoir exploiter cet enchaînement

d’allers et retours tout en restant ouvert à de nouvelles orientations demande un savoir-faire

toujours ajusté. La manière de conduire cette expérimentation implique une présence toute en

finesse, un certain style au sens de la psychodynamique du travail. Nous avions parlé de Métis, de

l’intelligence pratique – tacit skills pour les anglo-saxons – qui est une habileté tacite qui engage la

subjectivité et le corps dans le travail. Revenir au concept de La Métis, l’intelligence rusée décrite par

Destienne et Vernand (1989) doit permettre aux professionnels de sentir un espace de liberté

suffisant pour s’engager aux côtés des partenaires dans l’aventure de l’acte.

Du côté du post acte, ou du retour sur expérience (REX ) se joue la capacité réflexive succédant à

l’acte. Post-acte qui devrait permettre de donner de nouvelles impulsions et lignes d’action en

fonction de l’expérience menée et analysée. C’est ici le déplacement de la pensée qui permet de

montrer la force du développement de la pensée collective issue d’un processus d’évaluation

participative. Le rendre compte, nommé communément et certainement à tort « évaluation » est

partie intégrante du post-acte, dans sa capacité à monter et nommer le chemin parcouru, la

dimension éducative au sens large du processus mené, ce que nous avons développé sous le terme

de citoyenneté, de capacité à participer à un débat, à des controverses, tout en menant de front un

projet collectif établi comme utile à la collectivité.

Nous avions posé comme présupposé que les pratiques professionnelles, aujourd’hui, ont largement

affaire au pré-acte et au post-acte dans un découpage finalisé. Pré-acte au sens de l’accent porté sur

les méthodologies, sur la clarification d’objectifs à déterminer et à atteindre. Post-acte au sens de la

nécessité du rendre compte de l’activité, de la remise de rapports et d’évaluations de tous ordres.

Les financements par projets vont littéralement dans ce sens comme les contrats de prestation

auxquels sont assujetties les associations pour l’attribution des renouvellements financiers. Les

professionnels du travail social se trouvent fortement engagés dans la préparation de l’acte ainsi que

dans l’élaboration de rapports ou délivrables, laissant la part de l’acte dans un impensé, dans une

expectative de deuxième ordre en termes de priorités, comme si le déroulement du projet tenait

dans le fait que les objectifs préalablement posés suffisaient à tenir le projet. Or c’est justement dans

ce déroulement-là que peut ou non s’activer la part créative et citoyenne, dans l’ouverture

nécessaire à la complexité de l’expérimentation. Nous comprenons l’évaluation comme un processus

itératif aux trois temps de l’activité.

76

Nous avions défini l’évaluation participative comme appartenant à ce qui est nommé de 4ème

génération, dans laquelle il s’agit non seulement de reconnaître le point de vue et les valeurs de

l’ensemble des acteurs concernés, mais aussi de faire en sorte qu’ils fassent partie intégrante de ce

processus. La 5ème génération qui s’est récemment développée propose que la société civile « prenne

le pouvoir ». En d’autres termes, les bénéficiaires des programmes à évaluer sont intégrés aux

processus évaluatifs (Baron & Monnier 2003). Comme outils d’analyse concernant ce type

d’évaluation, nous avions retenu les dimensions de « largeur » et « profondeur » qui recoupent

tant la pluralité des acteurs engagés dans l’évaluation que la capacité de chacun à déterminer le

contenu de l’analyse de ce qui a été produit. Comme le souligne Delesalle (2001), il importe de

« s’assurer de la faisabilité et de la légitimité de ce partenariat d’évaluation, ce qui suppose de

préciser qui doit participer (largeur) et comment (profondeur). » Nous pouvons affirmer que la

stratégie évaluative participative repose sur une approche pluraliste fondée sur la négociation et

qu’elle permet à ces agents de s’approprier ses résultats en les associant à son processus tel que

défini par Baron (2001, p.12). Une approche participative de type « empowerment », de 5ème

génération ou d’émancipation, permet de promouvoir les bénéficiaires en tant qu’architectes des

processus les concernant et non comme des bénéficiaires passifs des mesures mises en place et

évaluées. Parvenir à de tels résultats demande une clarification dès le début du processus, afin que

tous les acteurs soient conscients, chacun à sa manière, du projet dans lequel ils s’engagent. Cette

phase d’éclaircissement est bien souvent ajournée, car bien difficile à faire comprendre aux

différents protagonistes qui ne sont pas forcément venus dans cet état d’esprit. C’est là toute la

difficulté de l’évaluation participative qui recoupe en son sein une part d’éducation citoyenne, portée

par des valeurs démocratiques. C’est sur ce point essentiel que se construit ce que les Anglo-saxons

ont nommé « empowerment évaluation », pour laquelle nous avons retenu comme traduction

« évaluation émancipatrice », qui nous relie ainsi au projet de l’éducation populaire ou encore de

l’éducation permanente. Mais notre recherche montre toutes les difficultés et les coûts inhérents à

une telle volonté. En effet, cette collaboration nécessite de mettre à disposition un espace de

rencontres et de discussions qui est en général réservé aux pairs. Elle nécessite un temps

d’adaptation long et parfois fastidieux qui permet de trouver un langage commun. Ces efforts

nécessaires au processus d’évaluation participatif devraient permettre d’être plus constructifs, en ne

négligeant aucune des parties prenantes.

Nous pourrions au terme de cette recherche, reprendre le défi de la qualité, cette dernière étant

vue comme une notion qui concentre à la fois les exigences de la commande publique et les finalités

de toute organisation à mission sociale. Nous définissons la qualité dans un tel processus comme la

capacité à faire émerger une conscientisation collective des enjeux sociaux, qui passe par le rendre

compte du processus participatif élaboré. Nous sortons là clairement de l’évaluation classique

uniformisée qui ne tient pas compte des enjeux multiples des métiers de l’humain au sein desquels

on peut souscrire à une vision unilatérale. Pour cela, il nous reste à construire un outil

méthodologique permettant de rendre visibles les ajustements que les professionnels réalisent pour

améliorer les dimensions participatives de l’activité. Ceux-ci passent indéniablement par le crible de

la co-construction, qui rend compte de l’engagement des différents acteurs.

77

4.2. Modélisation

L'intention de la recherche exploratoire était de co-construire et d’expérimenter avec les acteurs de

terrain un processus d’évaluation participative dans l'objectif d'arriver à une modélisation.

Comme nous le disions plus haut, le défi de la qualité concentre les exigences de la commande

publique et les finalités de toute organisation à mission sociale. Définir la qualité comme un

processus capable de faire émerger une conscientisation collective des enjeux sociaux et de rendre

compte de ce processus participatif, c'est viser les finalités sociales.

La question se pose de savoir comment répondre aux exigences de la commande publique. Nous

avançons deux réponses.

La première s'appuie sur la notion de boucle de la qualité comme développé dans le certificat suisse

de qualité pour les institutions de formation continue Eduqua24 : chaque institution devrait réaliser

cette boucle en 4 phases : analyser les besoins, élaborer et piloter les offres, les évaluer et les

améliorer. C'est l'apport du retour sur expérience (REX) où, au temps du post-acte, analysant

ensemble l'expérience menée, le processus d'évaluation participative, ouvrant au débat, produisant

de la pensée collective, améliore l'activité, précise les lignes d'action, donne de nouvelles impulsions.

La seconde se réfère aux apports de Pernelle Smits, dans le séminaire qu’elle a donné à la Haute

Ecole fribourgeoise de travail social les 6 et 7 novembre 2012 : « L’évaluation dans le travail social et

la santé : des modèles aux évaluations menées, le modèle de l’Université de Montréal ». Cette

chercheuse de l’Ecole Nationale d’Administration Publique (ENAP) et de l’Université de Montréal,

montre que l’évaluation qualitative ou quantitative souscrit aux exigences scientifiques de la qualité

en se conformant à ces critères déterminants :

Un regard est porté sur l’effectué

Le résultat final est comparé avec des objectifs annoncés et explicités

Un commentaire est produit sur ce qui est mesuré

La démarche est transparente

Une méthodologie documentée est consignée dans un protocole

Les conclusions sont strictement fondées sur les données récoltées

Nous reprendrons ces critères dans le modèle exposé ci-dessous.

Notre intention est de présenter ici un outil de travail le plus pratique et opérationnel possible, qui

servira aux professionnels pour mener à bien une évaluation participative de qualité. Le schéma ci-

dessous résume le processus d’évaluation participative d’une activité, dont nous détaillons chaque

étape par la suite.

24

Manuel Eduqua 2012 / www.eduqua.ch

78

Pré

-act

e

1. Choix de l’activité à évaluer pour en rendre compte et l’améliorer

3. Mobilisation des acteurs

4. Clarification du processus de décision

5. Problématisation collective

6. Pose des indicateurs

7. Choix de l’outil de récolte de données

Act

e

8. Récolte des données empiriques

Po

st-a

cte

9. Analyse des données recueillies

10. Co-évaluation de l’atteinte des objectifs ainsi que du

processus en matière de développement pour les acteurs

11. Co-construction de la présentation des résultats pour

rendre compte de l’activité

12. Amélioration du processus d’évaluation et son organisation

Pré

alab

les

Co

-co

nst

ruct

ion

2. Prendre en compte les données existantes en matière d’évaluation de l’activité, du prescrit et du territoire

Schéma : étapes du processus d’évaluation participative

79

Choix de l’activité

L'activité choisie pour être évaluée de manière participative peut être pérenne ou ponctuelle,

comme une manifestation ou un centre aéré, ou s'inscrire sur la durée, comme un atelier ouvert

pendant l’année, ou un accueil permanent. L’initiative d’une évaluation participative peut venir des

usagers, de l’association, du comité, des professionnels, de la commune, de la Fondation, …

Le choix de l'activité sera mûrement réfléchi, devant servir à rendre compte auprès des employeurs,

ou des décideurs publics ou privés qui subventionnent ou financent le lieu d’animation, et faire

l’adhésion des différents partenaires appelés à s’impliquer dans le processus. Toutes les activités

n’ont pas à faire l’objet d’une évaluation participative, dont le processus implique de l’anticipation et

du temps. L’évaluation participative requiert une planification à l’échelle d’un lieu d’animation, car

elle mobilise des ressources. Elle peut être considérée comme une activité en soi, de par sa

dimension participative et citoyenne.

Le rôle d’Animateur du processus d'évaluation participative

Nous nommerons « Animateur » dans la suite du texte la personne, le duo ou le groupe en charge de

cette fonction pour une activité donnée.

Un processus d’évaluation participative demande à être accompagné, comme on anime une

réunion, par une personne dont la fonction et la compétence sont d’aider le groupe à atteindre ses

objectifs, en suivant un processus réellement participatif.

Il est bien sûr requis que l’Animateur soit formé à la conduite d’une démarche d’évaluation

participative. Il joue un rôle clé dans le processus. Il est garant de la démarche et veille à maintenir le

focus. Il doit savoir animer des séances de groupe, ce qui implique des capacités d’écoute, de

distribution de la parole à tous les acteurs, de reformulation, de questionnement, de synthèse, de

régulation, etc. Il doit posséder des compétences organisationnelles et de gestion, pour convoquer

les séances, tenir l’agenda, faire circuler l’information, veiller à la constitution de traces tout au long

du processus, sous forme de prises de notes, enregistrements, etc.

La conduite du processus a été, dans ce volet de recherche, assumée par les chercheurs.

Le prochain volet de la recherche mettra en œuvre le processus en son entier, tel qu’il a pu être

modélisé à l’issue de cette première expérimentation, et servira à construire un dispositif de

formation à la conduite de processus d’évaluations participatives, proposé en formation de base et

continue, et à penser la mise en place d'espaces réflexifs, permettant d'être questionné sur sa

pratique, de pouvoir réfléchir au sein de groupes de référence ou d'intervision.

Echéancier

Une fois l’activité choisie, l’Animateur élabore un calendrier de la démarche d’évaluation

participative. Sur cet échéancier, il note les étapes du processus, un bref rappel des travaux à mener

pour chacune de ces étapes, les acteurs concernés, les dates, le nombre de séances prévues,….

1. Choix de l’activité à évaluer pour en rendre compte et l’améliorer

80

Etap

es

Travaux Acteurs Nombre de séances sur un calendrier à fixer

1 Choisir l’activité Comité et équipe

1 séance

2 Documenter prescrit, étude du territoire et évaluations existantes

Animateur Temps à prévoir

3 Mobiliser les acteurs Animateur

4 Clarifier le processus de décision et le pouvoir de décision laissé aux acteurs impliqués dans le processus à venir.

Comité et équipe

En séance de l’étape 1 ou 5

5 Problématisation collective - partage des besoins, aspirations pour l’activité et le processus - traduction en objectifs. Priorisation éventuelle. - synthèse en mots clés sur les axes d’un diagramme de Kiviat

Animateur et acteurs réunis

1 à 3 séances

6 Définir des indicateurs - en tenant compte des intentions des acteurs, du prescrit et du territoire - pour l’évaluation de l’activité et du processus d’évaluation en soi

7 Choisir un ou des outils pour récolter des données durant l’action

8 Récolter des données Equipe et acteurs

Durant l’action

9 Prendre connaissanceensemble des données recueillies et échanger

Animateur et acteurs réunis

1 à 4 séances 10 Co-évaluer l’atteinte des objectifs définis dans l’étape 6

Evaluer ce que le processus d’évaluation a développé pour les acteurs

11 Co-construire la présentation des résultats pour en rendre compte - Les résultats de l’activité en regard des objectifs, du prescrit et de l'étude préalable du territoire. - Ce que le processus a développé pour les acteurs

12 Améliorer le processus d’évaluation

81

Toute évaluation comporte implicitement un point de comparaison, l’enjeu est de l’expliciter (Smits,

2012).

L’évaluation participative proposée ici va confronter l’activité à trois points de comparaison.

Le premier point de comparaison, ce sont les objectifs des acteurs concernés, qui seront co-

construits dès la 4ème étape.

Le second point de comparaison, c'est le prescrit déjà existant. L’Animateur va réunir des

références en lien avec l’activité choisie : les valeurs du métier de l’animation ; la mission de

l’institution (inscrite dans la loi, la Charte, les conventions passées avec l’Etat, les communes,

la FASe et les centres, le projet institutionnel du lieu ; les objectifs annuels désignés par la

Commune, les objectifs annuels validés par l’assemblée générale, …)

Le troisième point de comparaison est le territoire, pour appuyer et/ou adapter l’activité en

fonction d'une réalité contextualisée. L’Animateur va réunir ou constituer des données sur le

territoire, statistiques, sociologiques, ...

Pour préparer l’évaluation du processus d’évaluation, l’Animateur va documenter l’existant en

matière d'évaluation de l'activité : rapport d’activités, cahiers de colloque d’équipe, notes de

secteurs, flyers précédents, critères d’évaluation que se donnent l’équipe et le comité, etc.

Variété d’acteurs

La largeur de l’évaluation s'établit en fonction de la variété des acteurs impliqués.

L’évaluation participative gagne à réunir une diversité d’acteurs concernés :

- Usagers ou bénéficiaires - Membres du comité et de l’association qui gère le lieu d’animation - Partenaires, intervenants, autres associations du quartier, artistes, … - Professionnels - Décideurs institutionnels et politiques25 - …

25

Les décideurs institutionnels et politiques peuvent préférer être présents en amont du processus

d’évaluation participative, au niveau des conventions de partenariat, mandats de prestation, projet

institutionnel, objectifs annuels, ou autres textes prescriptifs, ce qui les dégage des processus participatifs et

les positionne dans le rôle de mandataire.

2. Prendre en compte les données existantes en matière d’évaluation de l’activité, du prescrit et du territoire

3. Mobilisation des acteurs

82

La grandeur du groupe est à considérer en lien avec sa dynamique et son animation. Un groupe

d’une dizaine de personnes travaille efficacement. Au-delà d’un certain nombre, d’autres modes

d’animation sont à imaginer, en sous-groupes, avec des modalités inspirées des ateliers de l’avenir,

world café, etc.

Organisation

Pour l’animateur, la recherche de dates peut se révéler ardue et chronophage, dès lors qu’il faut

concilier les agendas de plusieurs personnes. Il est conseillé de fixer les dates pour l’ensemble du

processus au début de la démarche.

Minimalement, le processus requiert 2 rencontres regroupant tous les acteurs engagés dans le

processus : une rencontre de co-construction avant l’action et une rencontre d’analyse après l’action.

Ces deux temps peuvent être plus ou moins approfondis, comme nous le verrons, et demander soit

des temps plus longs (comme une journée au vert), soit plus de séances.

Il importe de prévoir un lieu pour les réunions de travail. L’accueil gagne à être convivial, car une

dimension importante du processus est la rencontre.

Il faut enfin définir les moyens mis à disposition, en temps, en budget (pour la convivialité, la récolte

de données si l’on prévoit, par exemple, de la vidéo et les frais courants.)

Cette étape peut faire l’objet d’une réunion préalable, ou d’une introduction avant de démarrer la

co-construction.

On appelle profondeur le degré de participation (information, consultation, concertation, co-

décision) attribué aux acteurs ou groupes d'acteurs.

Les processus de décision doivent être clarifiés avant d’engager les acteurs ou groupes d'acteurs dans

la démarche.

Compréhension de la démarche par les acteurs

Il est important de s’assurer que le sens et la dynamique d'une évaluation participative soient

compris par les personnes qui vont s’y engager :

- le sens d’une démarche d’évaluation participative et d’empowerment est partagé.

- l’implication est claire et librement choisie. Elle sera prépondérante au moment de la co-

construction et de l’analyse. Le positionnement de chacun quant à ses besoins et ses

aspirations se fait dans l’écoute et la considération de l’ensemble des acteurs.

4. Clarification du processus de décision

83

- Les besoins de formation et d’information sont verbalisés, en faisant « le point sur les

disponibilités et les moyens de chacun : tout le monde n’est pas à égalité devant une

situation d‘évaluation et des besoins de formation à cette pratique peuvent apparaitre »

(Delesalle, 2001).

Représentativité

On peut imaginer travailler ou non par groupes d'acteurs qui définissent ensemble des objectifs

communs pour l'activité : groupe des usagers, des membres du comité, des professionnels, des

représentants de la commune, etc.

Il s’agit ici de débattre, le cas échéant, sur « les questions de délégation et de représentativité de

chaque catégorie de partenaires de l’évaluation » (Delesalle, 2001).Quelle est la marge d’autonomie

et de décision attribuée aux différents acteurs représentatifs (comité, professionnels, délégation

d’usagers,…) ?

A ce stade, on aura :

choisi l’activité qui fera l’objet d’un processus d’évaluation participative

attribué la fonction d’animer le processus

réuni des acteurs prêts à s’impliquer dans le processus (largeur)

défini le pouvoir décisionnel de chacun des acteurs ou groupes d'acteurs pour chacune des étapes (profondeur)

produit un échéancier de travail

Emergence et partage des motivations

Il s’agit de la première séance de travail du groupe d’évaluation. L’Animateur peut rappeler les

fondements de l’approche participative, le sens et la signification de la démarche, présenter le

calendrier de travail et ses étapes.

Dans l’esprit de l’éducation populaire, la parole est horizontale : chacun parle de son point de vue et

de son vécu, depuis sa place ou sa fonction, en faisant part de son cadre et de ses contraintes.

Chacun expose ce qui fait sa motivation pour l’activité : problèmes, besoins, attentes, aspirations,

valeurs, intérêts, motivations, …

Cette prise de parole est formatrice. On constate qu’elle mobilise des solidarités, dès lors que les uns

découvrent les problèmes, besoins et aspirations des autres.

5. Problématisation collective

84

Ce moment sert également de première prise de contact entre les acteurs et lance la dynamique

collective.

L’Animateur peut également inviter chacun à partager son intérêt à s’investir dans un processus

d’évaluation participative.

L’Animateur veille à ce que chaque personne puisse s’exprimer.

Différentes modalités d’animation sont possibles pour ces partages :

- Prise de parole directe, ou via des post it, ou sur des flip-charts, etc. - Tour de table - Travail en sous-groupes selon les groupes d’acteurs ou en groupes mixtes - Travail par brainstorming, regroupements et priorisation - Etc.

Enoncés des intentions et intérêts

L’objectif est d’aboutir à la formulation par écrit d'objectifs qui expriment la motivation et l'intention

des acteurs. .

Dans ce processus participatif, les acteurs sont les auteurs de leurs énoncés. A ce propos, Paolo

Freire écrit (2001, p.82) que l’« objet de la recherche, en réalité, ce ne sont pas les hommes que l’on

étudierait comme des pièces anatomiques, mais leur pensée-langage en liaison avec la réalité, leurs

niveaux de perception de cette réalité, leur vision du monde où se trouvent insérés leurs « thèmes-

générateurs ».

Animateur et membres du groupe mettent leurs ressources au service de chaque acteur ou groupe

d’acteurs pour énoncer en objectifs les intentions et les motivations qui les concernent, dans leurs

propres termes.

Concrètement, chaque participant est invité à noter ses intentions (pour lui-même, ou sur des post

it).

Ces idées sont ensuite collectivisées dans le groupe, par acteur ou par groupe d’acteurs.

L’ensemble du groupe va s’employer à comprendre besoins et aspirations exprimés par chacun pour

l’aider à traduire ces idées en objectifs pour l’activité, clairs, succincts et précis.

Ce faisant, l’ensemble du groupe devient collectivement porteur des aspirations de chacun.

Le groupe peut décider de se mettre d’accord sur une série limitée d’objectifs en les priorisant, de

manière équitable entre les acteurs et groupes d’acteurs.

Le groupe, enfin, synthétise les objectifs retenus en mots clés, pour les inscrire sur les axes du

diagramme de Kiviat, en prévision de l’évaluation de leur atteinte après l’activité.

Il est crucial pour l’évaluation que l’Animateur prévoie les moyens de garder une trace objective de

l’étape de problématisation collective. Les échanges feront l’objet d’un enregistrement ou d’un

procès-verbal. Les objectifs finalisés seront précieusement conservés, de même que leur traduction

en mots clés sur les axes du diagramme de Kiviat.

85

Illustration de l’énoncé d’intentions pour une activité:

Diagramme de Kiviat

On inscrit alors au moyen de mots clés les objectifs priorisés par les acteurs pour l’activité sur un ou

plusieurs diagrammes de Kiviat (soit chaque acteur ou chaque groupe d’acteur remplit un

diagramme, soit les acteurs ou groupes d’acteurs apparaissent sur le même diagramme avec des

couleurs distinctes)

Jeunes : -Programmer un concert-Montrer une performance-Communiquer un événement-Tenir une buvette-Mettre sur pied des ateliers

Comité-favoriser la participation-Donner une autonomie de compétences-Rendre les jeunes acteurs et non consommateurs-Sensibiliser à la vie associative-Favoriser la prise de conscience du cadre-Croiser des regards

Professionnels-Donner une image positive des jeunes-valoriser leurs aptitudes et talents-Mobiliser des compétences organisationnelles-Sensibiliser à des actions solidaires

Co-construire le problème

Co-construire les objectifs

86

Dans la perspective de rendre compte de l’activité aux employeurs ou décideurs politiques et

financiers, on s’attachera à associer des indicateurs aux objectifs.

Dans le processus d’évaluation participative, les objectifs ont été co-construits avec les acteurs

concernés sur la base de leurs motivations d’habitants, de militants associatifs, de professionnels, …

En travaillant toujours dans l’esprit de l’éducation populaire, la tâche est d'associer maintenant avec

les acteurs concernés des indicateurs à ces objectifs, avec la rigueur de la démarche qualité afin de

disposer d’éléments évaluables en fin de processus.

La rigueur de l'évaluation est présente (Smits, 2012) si :

- le résultat final est comparé avec des objectifs annoncés et explicités

- une méthodologie documentée est consignée

- la démarche est transparente

Les indicateurs vont déterminer si un objectif est réaliste et à partir de quelle mesure il sera défini

comme étant réalisé.

Ils sont mesurables ou observables pour déterminer l’atteinte, voire le degré d’atteinte des objectifs.

Les indicateurs vont mesurer l'adéquation au prescrit, le degré d'atteinte des objectifs, l'impact

éventuel sur le territoire, le développement de la connaissance du territoire par l'activité.

Un exemple tiré de l’ouvrage de Merchel (2010) illustre la démarche.

L’objectif de l’activité évaluée est le suivant : « les enfants doivent résoudre des situations

conflictuelles sans violence ».

Les indicateurs peuvent être, par exemple, que « … les enfants abordent une question conflictuelle

lors d’une discussion sans intervention physique», ou que « …les enfants travaillent un conflit sans

insulte verbale et sans intervention physique».

Il existe toujours plusieurs possibilités d’indicateurs. La discussion permet de prioriser et faire des

choix.

Comme dans la 4ème étape, différentes modalités d’animation sont possibles pour ces partages :

- Prise de parole directe, ou via des post it, ou sur des flipcharts, etc.

- Tour de table

- Travail en sous-groupes par groupes d’acteurs ou groupes mixtes

- Travail par brainstorming, regroupements et priorisation

- Etc.

Pour « documenter la méthodologie » et « mener une démarche transparente », on gardera une

trace écrite de la discussion du groupe, des liens effectués entre les objectifs et les indicateurs

retenus, ainsi que des arguments qui ont présidé à leur priorisation et leur choix.

6. Pose des indicateurs

87

La récolte de données empiriques durant l’action dépend des objectifs et des indicateurs définis en

amont.

Les acteurs vont définir ensemble

l’outil ou les outils de récolte de données, adéquat-s en regard du temps, des compétences

et des moyens qu’il-s requiert ou requièrent, et propre-s à informer les indicateurs retenus.

Qui va réaliser cette récolte : les professionnels ou d’autres acteurs ?

Où, quand et comment sera effectuée la récolte de données ?

Il existe un grand nombre d’outils d’évaluation participative, dont peut s’inspirer la créativité qui est

vivement encouragée, puisque l’exigence ne porte pas sur l’usage de supports définis, mais sur la

rigueur avec laquelle la méthodologie est documentée quel que soit le support.

Voici quelques outils pour nourrir la créativité du groupe :

- enregistrement vidéo ou audio de l’action

- tenue de statistiques

- collecte de récits

- journal de bord

- grille d’observation participante

- questionnaire, interviews

- etc.

A ce stade, on aura :

Enoncé en objectifs les motivations et intentions de chaque acteur ou groupe d’acteurs pour

l’activité

Etudié l’évaluation existante

Formulé les questions d’évaluation (à quel questionnement, quelle demande, quelle

commande l’évaluation doit-elle apporter une réponse ?)

Identifié les valeurs qui sous-tendent l’activité pour chaque acteur ou groupe d’acteurs

Vérifié l’inscription des objectifs et des valeurs dans le prescrit

Traduit les objectifs en indicateurs

Vérifié que les indicateurs sont bien en lien avec les objectifs des acteurs, le prescrit, et le

territoire

Choisi l’outil de récolte de données

7. Choix de l’outil de récolte de données

88

La récolte de données s’opère selon les choix effectués dans l’étape précédente, durant le

déroulement de l’action.

L'action se déroule rarement comme on l'a prévue. La récolte de données va s'ajuster.

Mener un bilan de mi-parcours (facultatif)

Si l’action s’étend sur la durée, on peut envisager un bilan de mi-parcours avec l’ensemble des

acteurs afin de faire un bilan sur l’avancement du projet. Les personnes chargées de la récolte de

données livrent un aperçu du travail effectué. Sur cette base, et en regard des objectifs visés, le

mode de récolte de données peut être ajusté.

Opérer un choix dans le matériau recueilli

En fonction du temps dont dispose le groupe, les personnes qui ont récolté des données feront un tri

dans le matériau à analyser (séquences vidéo ou sonore, extraits d’entretiens, ….).

Ce matériau servira à l’analyse critique de la part des différents acteurs. Pour cette raison, le choix

des séquences doit être mûrement réfléchi. Elles devraient représenter des situations connues par

les acteurs, être directement reliées aux aspects concrets de leurs besoins, et donc reconnaissables

par eux. En outre, il est important que les séquences forment une sorte d’éventail de thématiques

possibles. Pour résumer, nous pouvons citer Paolo Freire (2001) pour qui les séquences « doivent

être des objets de connaissance, des défis sur lesquels doit se porter la réflexion critique des

acteurs ».

Réunir les acteurs

L’Animateur réunit l'ensemble des acteurs qui ont participé à la co-construction de l’activité,

afin de procéder à l’analyse des données recueillies avec l’outil ou les outils choisis. Il est à

noter que le post-acte d’une activité peut constituer un matériel ouvrant à un nouveau

projet, soit le pré-acte d’une nouvelle activité ou d’une nouvelle édition de la même activité.

Horizontalité

Il s’agit d’analyser ensemble l’activité sur la base de ces traces objectives, prise à partir de la réalité.

Les différents acteurs vont découvrir en même temps et réagir aux mêmes traces de l’activité. Le

professionnel n’est pas plus expert que les militants associatifs ou les habitants sur l’évaluation.

Chacun exprime et expose sa lecture des données recueillies, ses impressions, ses interprétations.

L’analyse se co-construit dans l’écoute, l’échange, le débat.

8. Récolte des données empiriques

9. Analyse des données recueillies

89

Ce travail d’analyse peut se faire selon différentes modalités :

- En plénière : tour de table, débat

- En sous-groupes : world café, focus groupe,…

La phase de co-évaluation comprend trois parties :

- Co-évaluation des énoncés,

- Co-évaluation de l’atteinte des objectifs

- Co-évaluation du processus

L’Animateur veille à ce que les données empiriques soient examinées en regard des objectifs de

départ. Il demande à chacun en quoi ses problèmes, ses attentes, ses aspirations, ses intentions et au

final ses objectifs de départ ont trouvé réponse, dans quelle mesure ils ont été atteints, ou déplacés.

Il se peut que le problème de départ se soit déplacé pour les acteurs, montrant un développement

de la pensée des acteurs, une prise de conscience de l'évolution de leur point de vue, un changement

dans leur situation,...

Il s’agit pour l’Animateur de questionner « comment les différents acteurs conçoivent la situation ».

Cette multiplication de récits, cette confrontation de différents niveaux de perception, ce dialogue

permet aux acteurs de décoder la réalité, de mener une analyse en profondeur.

Les objectifs résumés en mots clés, dans l'étape 5, dans les diagrammes de Kiviat, peuvent être

évalués au moyen d’une échelle de 1 (pas du tout atteint) à 10 (totalement atteint) par les acteurs ou

les groupes d’acteurs ou l’ensemble des acteurs débattant jusqu’à trouver une position commune.

Pour documenter le processus, on veillera à conserver (par un enregistrement et/ou un procès-

verbal fidèle) les explications données par les acteurs ou les groupes d’acteurs à leur évaluation de

l'atteinte des objectifs.

La prise de notes précises est de grande importance lors de cette séance de travail, car elle servira de

base pour rendre compte de l’activité.

10. Co-évaluation de l’atteinte des objectifs ainsi que du processus en

matière de développement pour les acteurs

90

Dans la perspective de rendre compte de l’activité aux employeurs ou décideurs politiques et

financiers, on co-évaluera l’activité en référence aux objectifs et aux indicateurs co-construits dans la

phase du pré-acte, sur la base des intentions des acteurs concernés, relativement au prescrit de

l’activité, et dans la prise en compte des données du territoire.

Un processus d’évaluation participative peut rendre compte de l’atteinte d’objectifs sur deux plans :

- celui de l’activité, en mesurant via les indicateurs l’atteinte des objectifs, l’impact sur le

territoire, l’accomplissement du prescrit

- celui de l'évolution des représentations, dont peuvent témoigner les acteurs impliqués dans

un processus participatif d’évaluation

On recueille aussi les apprentissages, prises de conscience, connaissances acquises,

compétences gagnées, réseau élargi, évolution et élargissement des points de vue, … dont

les acteurs témoignent. Il importe ici de rendre compte du déplacement de la posture des

acteurs, mais aussi, et surtout de la conscience qu'ils ont de ce déplacement. Il s’agit

d’amener les personnes à « analyser leur propre réalité, découvrir les déformations de leur

optique antérieure et parvenir à une perception nouvelle de la réalité. (…) En incitant à une

perception antérieure et à une connaissance de la connaissance antérieure, le décodage

provoque ainsi le jaillissement d’une perception nouvelle et le développement d’une

connaissance nouvelle. » (Freire, 2001, p.104-105).

91

De tels développements ou déplacements des points de vue sont des résultats à valoriser

auprès des employeurs et des décideurs politiques, en ce qu’ils réalisent les missions

assignées à l’animation socioculturelle en matière de lien social, de citoyenneté, de

conscientisation, de solidarité et de cohésion sociale.

Pour que l’évaluation soit rigoureusement de qualité (Smits, 2012) :

- Un regard est porté sur l'effectué

- Le résultat final est comparé avec les objectifs annoncés et explicités

- Un commentaire est produit sur ce qui est mesuré

- Les conclusions sont ainsi strictement fondées sur les données récoltées

Il s’agit ici de co-construire le compte rendu des résultats de l’évaluation de l’activité. Pour cela, on

discutera de :

- l’atteinte des objectifs pour les acteurs concernés en regard des indicateurs définis

dans la 6ème étape,

- la mise en œuvre du prescrit,

- l’impact sur le territoire,

- les développements résultant du processus participatif

Le rapport pourra se référer aux documents produits tout au long du processus d’évaluation

participative, tels que les objectifs issus de la co-construction, reportés sur les diagrammes de Kiviat,

les procès-verbaux des discussions,...

La démarche est transparente pour que l’évaluation soit rigoureusement de qualité (Smits, 2012).

Les acteurs travaillent à rendre compte de l’activité de manière compréhensible, significative,

efficace et concise, sachant que le temps des destinataires est souvent compté.

Des formes créatives peuvent être investies, telles que film, images, invitation à débattre,…

On voit l’importance de le prévoir au moment de penser la récolte de données à la 7ème étape.

Dans cette étape, les acteurs formulent ce qui pourra ajuster, améliorer ou développer l’activité, si

elle est reconduite ou si elle prendra une forme nouvelle. Le rendre compte reflète le cheminement

vers une perception nouvelle, le développement d’une connaissance nouvelle.

11. Co-construction de la présentation des résultats pour

rendre compte de l’activité

92

L'Animateur procédera enfin, avec les acteurs, au bilan final du processus d’évaluation participative

en vue de l’améliorer :

- analyser et évaluer les différentes étapes du processus d’évaluation

- traduire dans l’organisation des idées d’amélioration

- traduire en compétences à développer des idées d’amélioration

La réflexion participative sur le processus d’évaluation mérite de faire l'objet d'écrits afin de

contribuer activement à la promotion d’une culture et d’une pratique de l’évaluation participative.

12. Amélioration du processus d’évaluation participatif et son

organisation

93

Chapitre 5 : Pistes et perspectives

Dans ce rapport, nous avons mis un accent particulier sur la description du processus de notre

recherche exploratoire. En effet, nous voulions développer avec les terrains professionnels une

démarche d’évaluation participative. Nous ne disposions donc pas d’un outil d’évaluation élaboré en

amont et qu’il s’agissait de tester lors de l’intervention sur le terrain. Intentionnellement, nous

n’avions élaboré au préalable qu’une ligne méthodologique sur la base de nos lectures théoriques.

Nous voulions que notre recherche reste flexible, évolutive en fonction de ce qui sera vécu,

découvert, expérimenté sur et avec le terrain. Afin de rendre compte de ce cheminement, des

opportunités, mais aussi des difficultés qui résultent d’une démarche participative, nous avons laissé

une large place au descriptif du processus.

Ce choix méthodologique nous a permis d’explorer pleinement le participatif sur et avec le terrain.

Nos points d'ancrage concernant l’évaluation participative durant cette recherche ont été les

suivants :

En premier lieu, comme nous l’avons défini, l’évaluation de l’activité est plus large que le seul

bilan. Elle traverse toute l’activité, du pré-acte au post-acte.

En deuxième lieu, l’évaluation participative s’inscrit dans la sphère de l’activité citoyenne, de

l’action collective, de la rencontre, du débat et du lien social, valeurs essentielles à tout

projet d’animation socioculturelle. La dimension participative ajoute une qualité à l’activité

en mettant en œuvre les fondements propres à l’animation, tels que nous les avons définis

au premier chapitre.

En troisième lieu, l’évaluation participative vise à outiller les acteurs concernés (habitants,

usagers, militants associatifs, professionnels, partenaires) à communiquer sur le sens de

l’action, ses effets, et rendre compte aux employeurs et aux financeurs de l’usage des

moyens alloués.

Une démarche d’évaluation se doit d’être rigoureuse. Cependant, la rigueur dans une démarche

participative est autant accrochée à la rigueur méthodologique qu’à la capacité à garder une certaine

souplesse, garante d’une co-construction de la démarche. Nous l’avons expérimenté dans cette

recherche. L’évaluation participative est réalisée par et avec une multiplicité d’acteurs,

professionnels, usagers, intervenants, etc. qui ne sont experts ni de l’évaluation, ni de la recherche.

Ils collaborent à partir de leurs savoirs propres, de leurs expériences de vie, de leur imaginaire, de

leurs besoins et envies. Quant au chercheur, il est porteur de ses attentes, sa pratique, ses exigences

en matière de recherche. En voulant collaborer de manière participative avec les différents acteurs

impliqués dans le projet, le chercheur relève un défi d’importance, en ce que la recherche, comme

l'activité peut ne pas se dérouler comme prévu, et va demander un ajustement permanent, en

tentant de ne pas perdre en rigueur dans cet ajustement. En effet, la pratique de chercheur inclut le

risque d’être bousculée. Ainsi, le processus de récolte des données (étape 3.4) n’a pas toujours

répondu à nos attentes. La récolte n’a pas été réalisée selon les critères classiques d’une recherche.

94

La démarche participative demande une grande adaptabilité tout en maintenant une rigueur

scientifique nécessaire aux processus d’évaluation et de recherche.

Une autre difficulté résidait dans la communication avec nos partenaires. En tant que chercheurs,

nous sommes immergés dans notre objet. Nous l’avons étudié et documenté à travers des apports

théoriques et scientifiques. Nous l’avons débattu créant ainsi notre propre langage. Dans cette co-

construction du processus d'évaluation et de recherche, nous n’étions par moments ni explicites, ni

clairs dans nos discours, nos attentes, nos besoins face aux terrains.

Nous étions en tant que chercheurs pris dans une certaine ambiguïté entre le « laisser faire »

et« imposer » notre pratique et notre vision. Etant dans une démarche participative, nous avons

privilégié le premier axe au détriment d’une certaine scientificité. Dans la recherche participative, le

chercheur doit apprendre à lâcher le contrôle sur le processus pour le laisser vivre à son propre

rythme, avec ses propres avancées et empêchements. Les partenaires terrain s’adaptent en

permanence. Du coup, le matériel récolté est parfois moins pertinent, ne répond pas tout à fait aux

critères du protocole de recherche. Les acteurs comprennent les consignes à leur manière, les

traduisent dans leur contexte ce qui ne correspond pas toujours au projet d’une recherche.

Nous avons aussi parfois relâché notre attention. Nous n’avons pas toujours assez insisté pour que le

groupe terrain remplisse une exigence formalisée issue du processus de recherche (ex. choix de

l’outil de récolte de données), ce qui pose un problème de rigueur au moment de la phase d’analyse

des données.

Reste encore la question de l’accompagnement du processus. Qui peut animer l’échange pour que

les acteurs mettent à jour leurs intentions et confrontent les intentionnalités, pour qu’ils repèrent et

qualifient leur déplacement ou évolution de pensée, pour que soient mis à jour une pluralité d’avis,

des positions asymétriques et des non-dits ? Nous pensons que les coordinateurs des maisons de

quartier, avec la légitimité et les compétences qui sont les leurs, moyennant une formation

introductive et des espaces d'appui, pourront mener ces processus d'évaluation participative. La

question reste ouverte et sera reprise dans le deuxième volet envisagé suite à cette présente

recherche, dans lequel l'outil co-construit sera expérimenté en son entier.

Dans cette recherche, nous avons exploré et mis en avant le qualitatif alors que dans les démarches

évaluatives, le quantitatif domine. L’outil présenté ici propose néanmoins une forme de codification

du qualitatif, par une représentation graphique et quantitative du qualitatif et ceci pour différentes

raisons :

Il faut une donnée initiale. Si l’on veut rendre compte de l’évolution des représentations des

acteurs, il faut pouvoir les saisir à un temps zéro.

Il faut également se mettre d’accord sur l’échelle de manière non équivoque.

La démarche prévoit une saisie fidèle (prise de notes ou enregistrement) des commentaires

qualitatifs que font les acteurs au moment d'évaluer le degré d’atteinte des objectifs au

moyen d’une échelle de mesure.

95

La question reste ouverte de savoir si nous avons vraiment usé d’une dimension quantitative ou si

nous avons cherché à visualiser un processus d’éducation informel. L'idée du diagramme de Kiviat a

émané d’un membre d'un groupe terrain. Cet outil devra être testé dans la prochaine recherche.

Avant de passer au développement des pistes et perspectives futures, rappelons que le processus

d’une recherche exploratoire qui met l’accent sur le participatif se déroule rarement comme les

chercheurs l’ont prévu au départ. A notre avis, c’est dans cette imprévisibilité du processus que se

cache la richesse du participatif. Nous avons fait des découvertes, observé sur le terrain des manières

de procéder novatrices, créatives, surprenantes, dont le chercheur peut s’inspirer, plutôt que

d'imposer une méthodologie pré-construite. Nous avons pu discerner la portée d’une telle démarche

participative sur le terrain. Dans une maison de quartier, les membres du comité ayant participé à la

recherche ont questionné leur manière de faire, ainsi que leur posture et voulu intégrer la notion de

participatif au niveau de leurs séances de travail afin de laisser à l’usager une réelle place dans la

prise de décision des actions qui le concernent. Nous avons pu vérifier que lorsque les usagers sont

partie prenante de l’activité dès sa co-construction, ils font valoir leurs besoins qui sont ainsi pris en

compte, discutés et introduits dans la dynamique de gestion participative du projet.

L’évaluation des activités dans le domaine du travail social pose question. La mise en œuvre des

démarches évaluatives demeure assez spécifique en travail social. En effet, le travail social est

« parcouru par de multiples incertitudes non structurées qui rendent très relatives les « théories de

l’action » pré-établies (Duran, Thoeing, 1996). La complexité inhérente à la fabrication du lien social,

la singularité des trajectoires familiales et des destins personnels, la subjectivité des interactions

entre intervenants et usagers, l’enchevêtrement des déterminations socioéconomiques et des

logiques d’action font partie des éléments qui résistent à une application pure et simple des

standards structurant habituellement les méthodologies évaluatives » (Rouzeau, 2012, p.210). La

force de notre démarche réside dans le fait qu’elle a été construite de manière participative avec un

panel significatif d’acteurs du travail social comprenant les professionnels, les usagers et les

membres associatifs. Elle s’inscrit donc au plus près des besoins du terrain, tout en veillant à

observer la rigueur d'une démarche qualité.

Nos résultats de recherche répondent à une attente des milieux employeurs, politiques et financiers

du social. L’outil contient un fort potentiel d’innovation. Il pourrait également détenir un certain

impact économique, même si l’efficience de l’action n’est pas le principal critère d’une évaluation

participative. Il ne faut pas oublier que le déploiement des processus d’évaluation dans le secteur de

l’action sociale s’est inscrit dans « le prolongement des démarches de rationalisation et de pilotage »

(Rouzeau, 2012, p.209). Il accompagne une « transformation généralisée des modes de

gouvernance : responsabilisation des acteurs et remise en cause des positions acquises, raréfaction

des ressources et optimisation dans leur affectation, démarche qualité et enquête de satisfaction,

modernisation des services par le regroupement et la territorialisation » (Rouzeau, 2012, p.210).

L’évaluation a aussi permis d’objectiver « les faits sociaux et d’apprécier les impacts des actions

menées. » Comme le fait remarquer très justement Rouzeau (2012, p.209), « les finalités de cette

expertise sont multiples : repérer les problématiques les plus fragiles, orienter les interventions,

apprécier la qualité des services rendus, réfléchir le positionnement des institutions socio-éducative,

ajuster le fonctionnement organisationnel ou encore faire évoluer les compétences des

intervenants. »

96

L’évaluation des politiques publiques a débuté en Suisse vers la fin des années 1980 et son principe

figure dans la Constitution fédérale (art. 170) depuis le 1er janvier 2000. La République et canton de

Genève a instauré en 1995 la Commission externe d’évaluation des politiques publiques (CEPP). Elle

s’est engagée par là dans un processus d’institutionnalisation de l’évaluation. D’ailleurs, la

Constitution genevoise du 14 octobre 2012 confirme l’importance d’évaluer les politiques publiques.

« Il n’en demeure pas moins que l’évaluation des politiques publiques reste une discipline récente

encore peu balisée sur les plans institutionnel et professionnel » (Commission externe d’évaluation

des politiques publiques, 2013, p.2). Cette recherche a répondu en premier lieu à une problématique

locale, afin de développer une démarche d’évaluation qui réponde aux besoins et aux attentes des

institutions d’un champ spécifique, celui de l’action collective.

Il s’agit par la suite d’ouvrir une collaboration au niveau national, d’investiguer d’autres champs de

l’animation socioculturelle afin de pouvoir expérimenter l’outil, la méthodologie développée lors de

notre recherche exploratoire.

Il sera également important de mener une étude comparative sur les pratiques d’évaluation entre la

Suisse alémanique et la Suisse romande. Nous nous proposons de faire un point d’étape dans ces

deux parties linguistiques de la Suisse au sujet de l’implantation « des démarches d’observation et du

déploiement des opérations d’évaluation qui leur sont liées » (Rouzeau, 2012, p.210). Il s’agit de

rendre compte des « modes de production des connaissances visant à rendre compte des

problématiques socio-éducative » (Rouzeau, 2012, p.211) relatifs aux caractéristiques de chacune de

ces deux régions. En animation socioculturelle, les références historiques sont forts différentes. Si, en

Romandie, nous nous inspirons de la France et de l’Amérique latine avec l’éducation populaire et

Paolo Freire, dans la région linguistique allemande, les professionnels se réfèrent d’avantage à Horst

W. Opaschowski et, sa notion de la pédagogie des loisirs et les sciences récréatives (Moser, H.,

Müller, E., Wettstein, H., Willener, A., 2004, p.16).Cette comparaison entre le mode de production

des connaissances et l’opération d’évaluation prévalant en Suisse romande et en Suisse alémanique

permettra de bâtir des ponts entre nos deux cultures et donnera une dimension nationale à notre

outil d’évaluation.

Durant cette recherche qui se voulait exploratoire, nous avons développé avec les professionnels, les

membres associatifs et les usagers les bases d’un outil d’évaluation qui favorise la participation des

acteurs tout au long du processus évaluatif. Cet outil doit maintenant être testé sur le terrain. Dans

cette perspective, nous envisageons de déposer un projet de recherche auprès de la Commission

pour la technologie et l'innovation (CTI)26. Nous avons l’intention de mener un tel projet en

collaboration avec la Haute Ecole de travail social de Lucerne. La CTI encourage la recherche

appliquée et le développement (Ra&D) pour des projets qui se fondent sur une collaboration entre

l'économie et la science. De cette façon, les entreprises peuvent« profiter des ressources Ra&D des

hautes écoles pour leurs innovations ». En contrepartie, les chercheurs des hautes écoles ont

l’occasion de « transformer leurs résultats de recherche en produits et prestations compétitifs, et à

les mettre sur le marché en collaboration avec les entreprises ».

26

www.kti.admin.ch. Commission pour la technologie et l'innovation CTI, consulté le 11.12.2013.

97

Comme déjà annoncé précédemment, à travers notre recherche exploratoire, nous avons pu, en

collaboration avec des terrains, développer une méthodologie, un outil d’évaluation participative

qu’il s’agit aujourd’hui d'expérimenter à une plus large échelle dans le champ du travail social. Nos

résultats de recherche permettent maintenant de tester concrètement le processus entier

d'évaluation participative de l'activité dans les lieux d’animation socioculturelle. Notre étude a porté

spécifiquement sur les activités destinées aux jeunes en milieu ouvert. Il s’agit dès lors d'élargir

l'expérience à d’autres champs de l’animation socioculturelle tels que la gérontologie, le secteur

enfants, la culture, etc. De cette manière seulement, notre outil deviendra pleinement opérationnel

pour les professionnels comme pour les employeurs de l’ensemble du champ de l’animation

socioculturelle.

Une piste d’exploration complémentaire d’avenir réside dans la vérification de la boucle de qualité :

comment assurer la qualité dans le domaine de l’animation socioculturelle ? Sur cette question, il

sera particulièrement intéressant de comparer les compréhensions et les expertises entre la Suisse

alémanique et la Suisse romande.

Enfin, au cours de notre recherche exploratoire et afin d’asseoir l’évaluation participative dans la

culture professionnelle du travailleur social, il nous semble essentiel de transcrire notre expertise en

termes de formation professionnelle, dans la formation de base, et en développant notamment un

cycle plus pointu d’enseignement autour de cette thématique. De cette manière, la démarche

évaluative pourra s'implanter dans les institutions et contribuer au développement d’une culture de

l’évaluation participative auprès des professionnels.

98

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